(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)
(page 80) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
Les tribunes sont remplies de spectateurs. On y remarque un grand nombre de dames.
La séance est ouverte à midi et demi. (P. V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. Thorn, envoyé par le gouvernement provisoire en mission extraordinaire dans le grand-duché de Luxembourg, demande un congé de vingt jours. (U. B., 13 janv.)
- Ce congé est accordé. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
M. Barnique réclame le payement de son traitement de légionnaire.
M. Carret-Cornoy présente des observations concernant la loi sur le sel.
M. Waxveiler demande que le temps des humanités soit réduit de sept années à quatre.
Cinquante-quatre habitants d'Élouges demandent la réunion à la France.
Cent dix-huit habitants de Mons font la même demande.
M. Durant demande que les bourgmestres soient nommés par le chef de l'État.
Cent quarante et un habitants de Dour demandent la réunion à la France.
Un grand nombre d'habitants de Montigny et de Jemmapes font la même demande.
M. Wodon réclame contre la réunion à une puissance étrangère quelconque, et demande que nous hâtions notre choix.
Les associés de M. Drion déclarent ne pas partager ses opinions sur les lois qui régissent les mines.
Des habitants de Mignault, demandent qu'ou leur accorde une indemnité, à cause de la grêle qui a ravagé leur commune. (U. B., 13 janv. et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. Toussaint fait hommage au congrès du portrait du duc de Leuchtenberg.
- Dépôt à la bibliothèque. (P. V.)
M. le président – M. de Celles a la parole pour communiquer au congrès les pièces reçues par le comité diplomatique. (Attention marquée.) (J. F., 13 janv.)
M. le comte de Celles, vice-président du comité diplomatique, (page 81) monte à la tribune – Messieurs, la section centrale nommée par vous pour s'occuper de la question relative au choix du souverain, a désiré connaître les intentions de la cour de France, et savoir si le choix du duc de Leuchtenberg, pour roi de la Belgique, aurait son approbation. En conséquence, elle m'a chargé de faire partir un courrier pour Paris ; ce courrier est parti samedi dernier à cinq heures et demie de l'après-midi. Il a été de retour cette nuit, portant la réponse dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture. (Profond silence.)
A M. le comte de Celles, vice-président du comité des relations extérieures.
Paris, le 9 janvier 1831, 11 heures 1/2 du soir.
« Monsieur le comte,
« Ce soir à quatre heures votre dépêche du 8 m'est parvenue, et comme la réponse était urgente, je me rendis sur-le-champ chez M. le ministre des affaires étrangères. Il se trouvait dans ce moment au conseil, chez le roi.
« La question belge, à ce qu'il m'a dit à son retour, y a été longuement et mûrement discutée ; de sorte que les dernières déterminations du cabinet français et l'expression de ses vues, de ses pensées, de ses désirs, relativement à nos affaires, sont toutes récentes et ne datent encore que de quelques heures.
« Après que j'eus donné connaissance à M. Sébastiani du contenu de votre dépêche et de la note qui y était jointe relativement au duc de Leuchtenberg, le ministre me répondit : « que de toutes les combinaisons, la plus fâcheuse et la plus fatale, peut-être, était celle qui concernait le duc de Leuchtenberg ; que le gouvernement français ne pouvait bien certainement ni l'appuyer ni l'approuver ; que jamais il ne consentirait à le reconnaître pour chef des Belges, et qu'on pouvait regarder comme une chose à peu près certaine que le cabinet anglais serait dans les mêmes dispositions que la France ; que l'on se flatterait en vain que le roi de France consentît à accorder une de ses filles au fils d'Eugène de Beauharnais ; que jamais une telle union ne se ferait ; que la Belgique gouvernée par le duc de Leuchtenberg deviendrait le foyer où toutes les passions des partisans napoléoniens fermenteraient, et qu'enfin la France, au lieu d'ouvrir avec nous le plus de communications possible, serait obligée de s'entourer de barrières et de s'éloigner de nous. »
« Comme j'insistais en faisant observer que par le choix du duc de Leuchtenberg, on avait quelque espérance de rallier les opinions si divergentes du congrès, et d'arriver à un résultat prompt et définitif qui sans cela pourrait être très éloigné, ce qui livrerait le pays à des dissensions et à une anarchie déplorable, M. Sébastiani me répondit : « Je verrais avec une véritable douleur que votre pays ne conservât pas jusqu'au bout ce calme et cette union qui ont rendu votre révolution si belle. Le congrès et la nation belge sont assurément libres de faire tel choix qui leur convient pour le prince qu'ils appelleront à les gouverner. Mais s'ils font un choix que la France a quelque raison de regarder comme hostile, qu'ils sachent bien que c'est perdre tous les avantages de bon voisinage avec elle et se priver de sa puissante amitié. »
« Je crus alors devoir demander à M. Sébastiani si cette résolution était irrévocable relativement au duc de Leuchtenberg, et si ses paroles avaient un caractère officiel, qui me permît de les rapporter. « Oui sans doute, reprit-il, et vous allez en juger. » Alors faisant appeler son secrétaire, il lui dicta, pour M. Bresson, une lettre que j'expédie avec cette dépêche, et dans laquelle les intentions du gouvernement français, relativement à un projet de réunion à la France, à la candidature du duc de Nemours et à celle du duc de Leuchtenberg, sont clairement et formellement exprimées. M. Bresson est, je crois, autorisé à vous donner communication de cette lettre, qui d'ailleurs ne renferme rien d'autre que ce que je vous écris aujourd'hui. C'est sans doute avec intention que M. Sébastiani l'a dictée devant moi à haute voix.
« J'ai cru, monsieur le comte, que, dans une affaire si importante et qui intéresse à un si haut degré l'avenir et le bonheur de la Belgique, je ne devais pas seulement m'attacher à connaître la pensée du ministère français, chose variable et mobile à l'infini, mais qu'il serait convenable de savoir l'opinion et de recueillir les sentiments de celui qui ne change pas, quand tout se succède et se modifie autour de lui. Pour y parvenir, je me suis rendu, en sortant de chez M. Sébastiani, chez une personne (Note de bas de page : le maréchal Gérard) que vous connaissez très particulièrement, et qui est bien avant dans l'intimité et la faveur du roi. Vous savez, monsieur le comte, quel vif intérêt cette personne, qui au besoin vous autorise à la nommer, porte aux affaires de la Belgique. (page 82) Déjà je l'avais visitée ce matin et je l'avais priée d'entretenir le roi, qu'elle devait voir à midi, de l'élection future de notre chef, des divers candidats qui se présentaient aux suffrages du congrès, et particulièrement du prince Othon de Bavière et du duc de Leuchtenberg. L'illustre général dont il s'agit s'est rendu chez le roi, et voici, autant que ma mémoire est fidèle, ce qu'il m'a rapporté de son entretien avec Louis-Philippe.
« Le roi, plus que qui que ce soit au monde, me dit-il, désire de voir la Belgique libre, heureuse et indépendante dans tout ce qui pourrait augmenter le rapprochement et les bons rapports de voisinage de la Belgique avec la France ; Louis-Philippe s'y serait prêté bien volontiers ; voilà pourquoi ne pouvant, lié qu'il est par des engagements antérieurs et arrêté par la certitude d'une guerre générale, accorder son fils le duc de Nemours aux vœux de la grande majorité des Belges, il aurait vu, avec plaisir, l'élection du prince Othon, auquel il n'aurait pas hésité de donner une de ses filles. Le roi croyait que le jeune âge du prince, loin de nuire à sa candidature, était au contraire un des motifs qui auraient engagé le congrès à l'élire, parce qu'on aurait pu diriger son éducation constitutionnelle et le former à l'amour des institutions belges. Le roi ne comprend pas quelles puissantes raisons paraissent pousser le congrès à donner la préférence au duc de Leuchtenberg : assurément les Belges sont libres dans leur choix, et à Dieu ne plaise qu'on cherche en rien à gêner la libre manifestation de leurs vœux ; mais si le congrès pense qu'il importe aux intérêts de la Belgique de conserver la France pour amie, s'il veut se réserver les moyens d'obtenir d'elle protection, et appui au besoin, et surtout un traité de commerce avantageux, s'il veut que la ligne des douanes disparaisse, s'il songe enfin à multiplier les relations amicales avec la France, au lieu de les interrompre tout à fait, qu'il ne se montre donc pas favorable au fils de Beauharnais. Les hommes sages du congrès, et ils sont en grande majorité, comprendront les raisons que le gouvernement français peut avoir de désirer qu'un prince de la famille de Napoléon ne vienne régner à sa porte. Ces raisons sont trop évidentes, pour qu'il soit nécessaire de les exposer ; ce qui, au reste, est bien positif, bien arrêté, d'une manière irrévocable, c'est que jamais la France ne reconnaîtra le duc de Leuchtenberg comme roi de Belges et que jamais, surtout, le roi Louis-Philippe ne lui donnera une de ses filles pour femme. De toutes les combinaisons possibles, Louis-Philippe n'hésite pas à dire que celle de proposer le jeune duc de Leuchtenberg pour roi en Belgique, serait la plus désagréable à la France, et la moins favorable au repos et à l'indépendance des Belges.
« Je crois, monsieur le comte, pouvoir répondre de l'exactitude des paroles que je vous rapporte ; elles m'ont assez frappé et je les écoutais avec trop d'attention, pour que ma mémoire ne me les rappelât pas telles que je les ai entendues.
« La même personne de qui je tiens ces détails m'a appris aussi qu'hier, au Palais-Royal, lorsque le duc d'Orléans, s'approchant du duc de Nemours, vint lui dire qu'il avait obtenu un grand nombre de voix dans les sections du congrès national, le duc répliqua vivement, et d'une voix assez haute pour être entendu de tous : que, dans le cas où le congrès pourrait jeter les yeux sur lui et le proclamer roi, il ne croirait pas devoir accepter une couronne si difficile à porter ; que rien au monde ne pourrait le décider à accepter une si grande responsabilité ; qu'une telle charge était au-dessus de ses forces.
« Tel est, monsieur le comte, le résultat de ce que j'ai recueilli dans cette soirée sur les dispositions personnelles du roi et sur celles de son ministère ; je m'empresse de vous les faire connaître, supposant que ma lettre vous arrivant avant la discussion de mardi prochain, pourra vous être de quelque utilité.
« Recevez, monsieur le comte, l'expression de mon respect et de mes sentiments les plus distingués.
« M. FIRMIN ROGIER. »
M. Bresson, l'un des agents du congrès de Londres, près le gouvernement provisoire de la Belgique, a écrit ce qui suit :
A M. le comte de Celles, vice-président du comité diplomatique.
Bruxelles, 11 janvier 1831.
« Monsieur le comte,
« Ayant appris, il y a quelques jours, qu'une partie du congrès pensait à porter ses vues sur M. le duc de Leuchtenberg, pour souverain de la Belgique, j'ai cru devoir en informer le gouvernement du roi. Sa réponse m'est parvenue dans la nuit dernière ; elle ne me laisse aucun doute sur sa manière de considérer le choix qu'on se propose. Sans qu'on doive m'accuser de vouloir gêner les délibérations du congrès, il me semble cependant que je ne puis vous laisser ignorer que le roi (page 83) et son gouvernement pensent que l'élection de M. le duc de Leuchtenberg jetterait la Belgique dans de graves embarras ; que ce prince ne serait certainement pas reconnu par les grandes puissances, et dans aucun cas par la France.
« J'ajouterai, monsieur le comte, que S. M. ayant, à plusieurs reprises, manifesté l'intention de ne consentir ni à la réunion de la Belgique à la France, ni à l'élection de M. le duc de Nemours, l'insistance qu'on mettrait à reproduire ces questions décidées n'aurait d'autre résultat que d'agiter la Belgique et de remettre en question la paix de l'Europe que S. M. veut conserver.
« Je vous prie, monsieur le comte, de ne voir dans cette communication qu'un nouveau témoignage de l'intérêt si vrai que le roi et son gouvernement portent à la cause de la Belgique. La. Belgique n'aura jamais d'ami plus sincère que le roi des Français ; les conseils qu'il donne aux Belges sont, pour ainsi dire, paternels ; il ne veut exercer d'autre influence que celle qui calme les passions, qui montre la vérité et dirige vers un but honorable et utile.
« Agréez, monsieur le comte, les nouvelles assurances de ma haute considération.
« BRESSON. »
- M. le comte de Celles descend de la tribune. (U. B., 13 janv. et A. C.)
M. le président – Je demande la permission de faire observer que c'est par erreur que M. le vice-président du comité diplomatique a dit que la section centrale avait désiré qu'un courrier fût envoyé à Paris. C'est M. Lebeau qui l'a demandé. (U. B., 13 janv.)
M. Lebeau – J'allais demander la parole pour expliquer ce qui s'est passé, messieurs, lorsque la section centrale s'est réunie pour faire le dépouillement des procès-verbaux envoyés par les sections, sur la question relative au choix du souverain. On ne s'est pas borné à examiner les diverses questions qui avaient été soulevées dans les sections ; la conférence s'est encore engagée sur les différentes combinaisons politiques qui pouvaient résulter de tel ou tel choix. Je témoignai mon étonnement de ce que, pour le choix que pourrait faire le congrès du duc de Leuchtenberg, nous étions réduits à une communication officieuse de M. Bresson, dans laquelle, à la vérité, la France se prononçait pour l'exclusion de ce prince. Je rédigeai une série de questions à faire au gouvernement français sur ce choix ; je les montrai à quelques-uns de mes collègues qui y donnèrent leur approbation : mais la section centrale elle-même n’eut pas à donner son avis. Je dis à M. le comte de Celles, en lui communiquant une note, que je ne pouvais regarder comme définitive la détermination communiquée par M. Bresson. M. de Celles me dit qu'il s'empresserait d'en envoyer la substance, et, je crois même, les propres termes à Paris, par un courrier extraordinaire, qui pourrait être de retour mardi. Ces questions remises à M. de Celles, le courrier partit ; et je crois sans peine, d'après la réponse que je viens d'entendre, que la substance au moins en a été mise sous les yeux de M. Sébastiani.
Je dois dire que ce n'est pas la section centrale qui demanda l'envoi du courrier : c'est moi qui désirai être éclairé sur la question, sans préjudice de soutenir les conclusions de la section centrale, si la réponse de la cour de France ne m'avait pas paru assez claire. (U. B., 13 janv.)
M. de Robaulx demande l'impression des pièces communiquées. (E., 13 janv.)
- Le congrès en ordonne l'impression et la distribution. (P. V.)
M. De Lehaye – Je me permettrai d'adresser une question à M. le comte de Celles. Je lui demanderai si, avant la lettre qui vient de nous être lue, le cabinet français ne s'était pas prononcé contre le duc de Leuchtenberg. (U. B., 13 janv.)
M. le comte de Celles, vice-président du comité diplomatique – Il n'y avait eu aucune communication officielle. (U. B., 13 janv.)
M. Alexandre Gendebien – Messieurs, après les communications faites précédemment au congrès national, et après la lecture qu'il vient d'entendre de la lettre de M. Firmin Rogier, je crois pouvoir me dispenser d'entrer dans de longs détails sur ce qui s'est passé à Paris touchant la question qui occupe le congrès. Je ne me permettrai donc que peu de mots, et sur la lettre qu'on vient de lire, et sur les interpellations adressées à M. le vice-président du comité diplomatique.
Étant à Paris, je reçus, par des lettres non officielles, l'invitation de sonder le gouvernement français sur le choix du duc de Leuchtenberg ; je pris des informations non seulement auprès de M. le comte Sébastiani, mais encore auprès de M. le maréchal Gérard, le même dont parle M. Rogier dans sa lettre (je crois pouvoir le nommer sans indiscrétion), et il résulta de ces informations la certitude et la conviction la plus complète pour moi, que la réponse du gouvernement français serait telle que vous venez de l'entendre. Non content d'avoir pris l'avis de M. le ministre des affaires étrangères, et de M. le maréchal Gérard, que l'on peut croire avoir souvent la pensée (page 84) du roi, j'ai consulté plusieurs autres personnes qui toutes me répondirent que le choix du duc de Leuchtenberg serait vu avec la plus grande peine par le gouvernement et par S. M. Louis-Philippe. Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire relativement au duc de Leuchtenberg, et je voudrais pouvoir faire passer dans votre âme la conviction où je suis qu'il faut que le congrès renonce à ce choix, quelque satisfaisant qu'il pût paraître sous le rapport de la personne du prince.
Je me permettrai maintenant, sans entrer dans de grands détails, de dire quelques mots non seulement sur ma dernière mission, mais encore sur les autres missions que j'ai eu à remplir à Paris. Je crois nécessaire d'en dire quelque chose pour faire cesser les conjectures hasardées à ce sujet. Je serai court.
Vous savez, messieurs, que ce fut le lundi 27 septembre que l'armée hollandaise évacua Bruxelles. Le gouvernement provisoire à peine rassemblé, il fut reconnu que si la lutte ne se prolongeait qu'entre la Hollande et la Belgique, elle ne pouvait être douteuse pour nous ; mais que si la Prusse accordait des secours à la Hollande, il en serait autrement. Convaincus de la nécessité d'assurer les résultats d'un premier succès, je fus chargé de partir pour Paris. Je m'y rendis, et j'acquis bientôt la certitude que la lutte se bornerait entre la Hollande et la Belgique. J'étais chargé en même temps de proposer un traité d'alliance avec la France, sans qu'il fût question de réunion ; le traité ne devait être qu'un traité d'alliance offensive et défensive entre les deux pays.
A cette époque il ne fut pas possible de conclure l'alliance proposée ; mais le gouvernement français me donna l'assurance qu'il ne souffrirait pas qu'aucune puissance intervînt dans nos affaires.
Revenu à Bruxelles le 10 octobre, je reçus, dès le 16 du même mois, une seconde mission qui avait pour but de m'assurer si la France persisterait à observer le principe de la non-intervention, et si elle ne regarderait pas comme une infraction à ce principe l'arrivée de quelques déserteurs prussiens en Hollande. Cette circonstance, et les préparatifs de guerre de la Prusse dans les provinces rhénanes, faisaient craindre une intervention de la part de cette puissance.
J'étais chargé en même temps de savoir (comme le congrès était sur le point de se réunir) si le choix qu'il pourrait faire du duc de Nemours pour roi de la Belgique serait approuvé par le gouvernement français. Je reçus, dès cette époque, une réponse négative. Il ne fut pas plus question de réunion à la France cette fois, que dans ma première mission.
Ma troisième mission avait pour but la même demande du fils de S. M. Louis-Philippe pour roi des Belges ; je vous ai déjà dit la certitude que j'ai acquise.
J'étais chargé aussi de demander protection au gouvernement français pour notre commerce, et d'ouvrir des négociations pour obtenir un traité de commerce avantageux. J'ai eu l'assurance des ministres du roi et du roi lui-même, que la France nous accorderait tout ce qui pourrait nous donner la plus grande somme de bonheur possible, et assurer la prospérité du commerce et de l'industrie en Belgique.
Voilà, messieurs, quels ont été et le but et le résultat de mes trois missions à Paris. (U. B., 13 janv.)
M. le baron Osy – Nous savons, par la lettre qui vient d'être lue, que la France ne veut ni nous accorder le duc de Nemours, ni nous permettre de choisir le duc de Leuchtenberg ; je désirerais savoir si M. Gendebien n'était pas chargé de sonder la cour de France sur un prince allemand, et si on n'a pas sondé une cour allemande sur le choix d'un de ses princes. (U. B., 13 janv.)
M. Alexandre Gendebien – Il me serait impossible de répondre à cette question, qui rentre dans les attributions du comité diplomatique. Je peux dire que je n’ait reçu aucune mission à cet égard ; j'ajouterai seulement que j'ai été chargé, en dernier lieu, de demander officiellement à M. Sébastiani si le prince Othon de Bavière serait agréé par la France, et si, par ce choix, nous pourrions compter sur des relations de commerce et d'amitié entre les deux pays. Il me fut répondu que ce choix serait agréable à la France, et que S. M. Louis-Philippe ne serait pas éloigné de lui donner sa fille. (U. B., 13 janv.)
M. le président – La discussion est ouverte sur les conclusions prises par la section centrale, relativement à la proposition de M. Constantin Rodenbach concernant le choix du chef de l'État (Elle a été faite dans la séance du 3 janvier, voyez page 13) ; la parole est à M. Blargnies. (U. B., 13 janv.)
M. Blargnies – Messieurs, je ne me dissimule pas (page 85) combien il est extraordinaire de nous voir discuter paisiblement sur le chef que nous devons nous donner, aujourd'hui que l'Europe est ébranlée jusque dans ses fondements, et que la guerre est imminente, inévitable, aujourd'hui que l'intégrité de notre territoire nous est disputée, que l'Escaut nous est fermé, que l'ennemi occupe Anvers et Maestricht, et que notre constitution n'est pas terminée.
Je partage cependant l'avis de la section centrale, et je pense que la nation doit envoyer quelques-uns de ses représentants à Paris et à Londres, pour y traiter de tout ce qui est relatif au choix du chef de l'État ; notre politique me semble exiger cette démarche.
Je voudrais, messieurs, que nos envoyés eussent mission d'offrir à Louis-Philippe le trône de la Belgique, et d'appuyer notre résolution à Londres. Ne pensez pas, messieurs, que les partisans de mon opinion et moi nous ayons le dessein de sacrifier la patrie et ses glorieuses couleurs ; notre désir est de les conserver le plus longtemps possible, et d'assurer à la Belgique une prospérité sans laquelle elle maudirait la révolution.
J'ai l'intime conviction que les meilleurs patriotes et les citoyens les plus raisonnables sont ceux qui veulent le roi Louis-Philippe pour chef de notre État.
L'homme ne peut détruire ce qu'a fait la nature.
La nature a voulu que la Belgique fût une partie des Gaules ; la France et la Belgique sont unies par le langage, les mœurs, les habitudes, les nécessités de leur commerce et d'une défense commune.
La France ne souffrira pas davantage que notre pays permette aux puissances du Nord de pouvoir, des villes de Tournay, Namur, Mons et autres, s'élancer sur Paris en quelques jours de marche ; la vraie politique du roi Louis-Philippe l'appelle au Rhin, et il ne pourra la méconnaître longtemps.
Le peuple belge, en se donnant pour chef le roi Louis-Philippe, contracte en même temps alliance avec le peuple français ; ce double avantage est immense ; il est impossible de le rencontrer dans le souverain d'un autre État ou dans tout autre prince étranger.
En choisissant le prince Othon de Bavière, la Belgique s'allie avec une maison allemande sans plus.
La Belgique connaît Louis-Philippe, c'est le premier citoyen de France ; c'est un des plus puissants rois du monde, c'est l'homme qui a assuré les résultats de la révolution moderne ; tout ce qu'elle sait d'Othon de Bavière, c'est qu'il est âgé de quinze ans et demi, et qu'il n'est pas encore en état de se diriger lui-même.
La famille d'Orléans est une famille populaire ; il est fort douteux que l'on puisse en dire autant de la maison de Bavière.
Le prince de Bavière ne procurera même pas le débouché de la Bavière à la Belgique ; Louis-Philippe au contraire ouvre la France tout entière à la Belgique.
La Bavière est un petit État perdu au milieu de l'Allemagne ; il est sans marine ; l'on connaît la puissance de la France sur terre et sur mer.
Othon de Bavière est mineur ; il ne peut accepter notre constitution que dans trois ans ; sous lui, nous devons, au début d'un régime nouveau, subir tous les inconvénients d'une régence ; le provisoire dont on se plaint tant, se perpétue pour la satisfaction peut-être d'un parti menaçant.
Il n'est que deux modes d'existence pour la Belgique ; elle doit être l'avant-garde de la France ou celle de ses ennemis.
En voulant rester neutre, la Belgique viserait à l'impossible ; elle s'emprisonnerait dans ses étroites limites ; en prétendant ménager plusieurs puissances à la fois, elle se rend leur esclave de cent manières.
Si nous voulons plaire aux puissances du Nord et à l'Angleterre, quel que soit le prince que nous appelions, il devra favoriser leur système contre la France, et la France gênera notre commerce, et à la première occasion, elle nous ajoutera à ses départements.
Quelle que soit, au contraire, la combinaison politique à laquelle nous nous arrêtions, si nous nous écartons de la politique des puissances du Nord et de l'Angleterre, si la Belgique cesse d'être une de leurs forteresses, nous faisons suite au royaume de France, malgré le vain appareil de nos places de guerre, nous rentrons dans la Gaule, et nous la terminons au Rhin.
La guerre est inévitable, s'écrie-t-on, si la France s'étend jusqu'au Rhin par la réunion de la Belgique à son territoire ; il n'est donc qu'un seul moyen d'éviter la guerre, c'est de rétablir le royaume des Pays-Bas en haine de la France ; mais alors la guerre est inévitable de la part de la France, et les Belges se seraient montrés ingrats envers ceux qui ont rendu efficaces leurs efforts pour la liberté.
Et qui donc ferait avec succès la guerre à la Belgique et à la France ? Oubliez-vous donc quelle est la situation de l'Europe ? L'Angleterre est tout entière à ses affaires intérieures ; sa politique s'est (page 86) depuis longtemps effrayée des accroissements immenses de la puissance russe ; l'Angleterre n'est plus en état de soudoyer les puissances du Nord, une grande partie de sa population sympathise avec les Français et les Belges, on peut d'ailleurs la mettre hors de cause par la franchise du port d'Anvers ; la Russie est en face de la Pologne et bientôt peut-être de la Turquie et de la Perse ; la Prusse doit observer ses conquêtes et ses libéraux ; l'Autriche est absorbée par l'Italie et la Galicie. Que peuvent donc craindre la France et la Belgique ? Reculeraient-elles devant leurs triomphes, et devant les conséquences de leurs principes ? Se défieraient-elles des peuples et de la liberté ? L'on craint d'entraîner la France dans une guerre à cause de la Belgique ! Et l'on ne sent pas que la guerre du principe monarchique contre le principe de la liberté est une nécessité de l'époque, et l'on ne voit pas que la Pologne appelle irrésistiblement la France et la Belgique ! La question de la Pologne, messieurs, est bien autrement grave que celle de la Belgique : c'est en Pologne que se trouve le nœud de la sécurité future de l'Europe.
Dans la position où nous nous trouvons, nous devons marcher droit au but et sans détour ; nous trouverons dans une alliance intime avec la France sûreté et durée pour nos institutions, et grands avantages pour notre commerce, ce que nous ne pouvons attendre d'ailleurs.
De son côté la France y gagnera beaucoup ; la Belgique, régie par ses lois et par des hommes de son choix, heureuse et libre par la France, sera pour elle un appui cent fois plus fort que si elle était réunie à Ses départements.
Tâchons donc d'obtenir Louis-Philippe pour chef de notre nouvel État, c'est le seul moyen qui nous reste d'éviter de devenir département français ; nous satisferons aussi par là à ce qu'a droit d'attendre de nous l'héroïque ville de Bruxelles, cette noble cité qui devait tant perdre au changement de régime politique et qui cependant n'a reculé devant aucun sacrifice ; nous lui assurons le séjour de la cour du représentant du roi des Français.
J'estime en conséquence qu'il est du devoir du congrès national d'envoyer deux de ses membres au roi Louis-Philippe, pour lui offrir au nom de la nation la couronne de la Belgique, sous la condition de l'acceptation de notre constitution.
Si notre indépendance a été reconnue, si elle n'est pas plus un vain mot que le principe de non-intervention adopté à notre égard, si l'intérêt de notre patrie nous commande d'en agir ainsi ; si Louis-Philippe et la France acceptent, comptons sur le courage des Français et des Belges, comptons sur la situation de l'Europe et sur les peuples. (U. B., 13 janv.)
M. Werbrouck-Pieters – Messieurs, les peuples sont rassasiés de beaux discours, de phrases sonores, mais ambiguës, mais diplomatiques, si je puis m'exprimer ainsi ; ce sont des faits, des réalités qu'il leur faut ; c'est surtout la vérité qu'ils veulent entendre.
Ce serait, messieurs, une grave erreur de notre part que de nous dissimuler les inquiétudes que doivent nous inspirer et l'état politique de l'Europe et la conduite que tient à notre égard le gouvernement hollandais, je dirai même que tiennent quelques grandes puissances de l'Europe. Prenons-y garde, messieurs, si nous ne voulons devenir le second volume de notre révolution patriotique de 1789 ; révolution que ceux de mon âge ont vue, et que les autres connaissent, sans doute, par l'histoire de leur pays. Alors, aussi, les Belges étaient victorieux, et, à l'exception d'une partie du Luxembourg et du pays de Liége, toute la Belgique, la citadelle d'Anvers y comprise, était en leur pouvoir ; déjà ils avaient formé une armée régulière, munie de tout le matériel que la guerre exige ; à cette armée ils avaient joint une levée en masse, et tout cela n'empêcha pas qu'en moins d'un mois tout fut anéanti ; et que nous fûmes rejetés dans la dépendance du successeur de celui contre qui nous avions pris les armes, et que nous avions déchu et exclu, avec tous ceux de sa famille, de toute autorité en Belgique. Telle fut la conséquence des négociations diplomatiques qui eurent pour résultat la fameuse convention signée à Reichenbach, le 27 juillet 1790, par la Prusse, l'Angleterre et la Hollande.
L'histoire nous a tracé cet événement mémorable en ces termes : « Le congrès exerçait néanmoins la souveraineté précaire avec d'autant plus d'assurance qu'il se voyait appuyé en apparence par le peuple, et qu'il se croyait protégé par les puissances étrangères.
« C'était cependant dans ce moment que les ministres de Prusse, d'Angleterre et de la Hollande, signaient à Reichenbach la fameuse convention du 27 juillet, par laquelle il fut arrêté, que la tranquillité et le bon ordre seront promptement rétablis dans les provinces belgiques, et que les trois puissances alliées concourraient au rétablissement de la domination de Sa Majesté Apostolique dans ces provinces, moyennant l'assurance de leur ancienne constitution, avec une amnistie plénière et un oubli parfait de ce qui s'était passé pendant les (page 87) troubles, le tout sous là garantie des trois puissances. »
Les temps et les hommes ne sont plus les mêmes, je le sais, mais tant que nous ne serons pas reconnus d'une manière positive et sans restriction aucune ou avec des conditions sur lesquelles nous serons d'accord et que nous aurons acceptées, tant que nous ne serons pas épaulés par une alliance forte et avouée, nous ne pouvons nous laisser aller à une dangereuse quiétude.
Notre révolution tient à des causes occultes autant qu'à des causes évidentes. Il ne faut perdre de vue ni les unes ni les autres ; c'est là que nous devons puiser notre opinion sur les mesures que nous avons à prendre pour terminer et conduire à bon port notre glorieuse révolution. Nous ne pouvons nous dissimuler non plus que notre révolution est à la fois la suite et la conséquence de celle de France qui a ébranlé jusque dans ses fondements l'alliance qu'on s'est plu d'appeler sainte et à laquelle les peuples pourraient donner tout autre nom. Ceux qui l'ont faite, cette alliance, feront tout ce qui dépendra d'eux pour la réédifier. De là les démonstrations hostiles de leur part que l'attitude seule des peuples arrête, et peut arrêter encore. Les membres de cette alliance n'ignorent pas que ce qu'a dit autrefois Mirabeau est devenu aujourd'hui aussi une réalité. C'est que tous les peuples qui veulent être libres, forment entre eux comme une société d'assurance contre les tyrans et les oppresseurs de leurs droits et de leur liberté. Mais des circonstances imprévues, le résultat des événements qui se passent en ce moment en Pologne, le succès momentané peut-être du despotisme sur la liberté, l'entêtement de quelques ministres furibonds peuvent faire changer ces démonstrations en faits, et amener ainsi une conflagration qui embraserait l'Europe entière ; en ce cas, le seul parti que la Belgique aurait à prendre saute aux yeux des moins clairvoyants. Elle se joindrait de corps et d'âme à la puissance qui le mieux peut la protéger et dont le système coïncide le plus avec le sien, Je n'en dirai pas davantage sur cet événement éventuel, et ce n'est pas de lui que je veux aujourd'hui m'occuper. Je dirai toutefois à la nation, pour lui inspirer plus de confiance encore : Belges, étendez vos regards autour de vous, vous n'y trouverez que des puissances qui ont besoin de la paix comme nous ; vous y trouverez des hommes que, pour une guerre uniquement dirigée contre la liberté des peuples, on ne mènera pas aussi facilement au combat ; vous y trouverez des peuples qui, moins libres que la France et nous, regardent en secret nos révolutions comme une espérance qui leur est commune, et lorsque les peuples veulent rester libres, est-il un emploi de la force capable d'empêcher qu'ils ne le soient ?
Cependant, messieurs, je ne me dissimule pas plus qu'aucun autre membre de cette assemblée, combien nos affaires politiques se compliquent et deviennent chaque jour de plus en plus critiques, combien enfin il devient urgent de faire cesser notre état provisoire, en appelant au timon de l'État un chef capable de le tenir d'une main ferme et résolue.
D'une part on nous insinue que la France verrait d'un mauvais œil que nous fissions choix de tel ou tel, de l'autre que l'Angleterre ne pourrait reconnaître celui-ci ou celui-là ; tout cela peut être vrai, mais n'est point démontré à mes yeux, et tant que cela ne le sera de toute autre manière qu'officieusement, je me croirai libre et obligé de voter dans ma conviction pour celui que j'estimerai le plus convenir à mon pays.
Quoi qu'il en soit, pour ce qui me concerne, je refuserai toujours la voix à un mineur quel qu'il soit, parce qu'un pareil choix ne peut avoir à mon avis d'autre résultat que de perpétuer sous un autre nom le provisoire dont la nation veut sortir, et encore parce qu'une minorité conduite par une régence ou un régent placerait la Belgique dans un état précaire qui ne lui laisserait ni repos ni stabilité.
Et moi aussi, messieurs, je pense, comme le dit un honorable membre du comité diplomatique, que nous avons besoin avant tout de notre indépendance, et que nous ne pouvons, quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, nous affranchir de l'influence que les puissances étrangères ont jusqu'à un certain point le droit d'exercer sur nous dans le choix du chef de l'État. Je ne vois pas même comment nous pourrions faire à cet égard une exception à la loi politique générale à l'Europe. Je pense, de plus, que, comme toute autre de ces puissances, nous avons à remplir des devoirs envers l'Europe, que de gré ou de force nous devrons nous y soumettre.
Les cinq grandes puissances, dit-on, ont reconnu notre indépendance, c'est possible, et je l'espère, mais n'ont-elles pas mis quelques conditions à cette reconnaissance ? Et quelles sont-elles ? Voilà ce que nous ignorons et ce que nous devons savoir pertinemment avant de procéder contre, car pour moi qui, il est vrai, ne suis pas diplomate ; je ne consulte, en lisant un protocole ou une communication qu'on peut ou qu'on veut bien nous faire connaître, que le texte, et, sans finesse ni arrière-pensée, j'interroge mon gros bon sens pour savoir ce qu'il veut dire. Or, ce gros bon sens me (page 88) dit que je ne dois voir dans le protocole du 20 décembre qu'une seule chose de bien positive, c'est (ce sont les termes du protocole) « que les plénipotentiaires se sont réunis dans le but de remédier aux dérangements que les troubles survenus en Belgique ont apportés dans le système établi par les traités de 1814 et 1815. » Et nous connaissons tous ce système, et nous savons ce qu'il nous a valu. C'est encore ce que « les événements des quatre derniers mois ont malheureusement démontré, que l'amalgame parfait et complet que les puissances voulaient opérer entre nous et les Hollandais, n'ayant pas été obtenu, il est impossible désormais de l'effectuer, et qu'ainsi notre union est détruite et qu'il devient indispensable de recourir à d'autres arrangements pour accomplir (et remarquez bien, messieurs, ces mots) les intentions à l'exécution desquelles cette union devait servir de moyen. » Si vous connaissiez le protocole du 17 novembre, vous pourriez peut-être vous expliquer tant soit peu cet ambigu. Toutefois, si je comprends bien tout ceci, cela veut dire, je pense, que les puissances jusqu'ores ne reconnaissent notre indépendance que comme un fait, et à la reconnaissance définitive de laquelle elles mettent, dès à présent, des conditions fondées et sur le système des traités de 1814 et 1815, et sur notre part des devoirs européens que nous avons à remplir, et enfin, des obligations que les traités ont fait contracter envers les autres puissances, par le royaume des Pays-Bas, dont la Belgique faisait partie intégrante, et que par conséquent nous aurons à y participer dans une proportion dont le terme ne sera pas l'affaire la plus facile à régler.
Je dis donc que nous devons être d'autant plus circonspects aujourd'hui dans le choix d'un chef que le protocole du 20 décembre dernier et la réponse faite par notre comité diplomatique nous placent, quant à la question de savoir si nous aurons la paix ou la guerre, dans une position jusqu'à présent assez incertaine. Et en effet, messieurs, s'il était vrai, comme on nous l'a assuré plus d'une fois, que notre indépendance fût reconnue sans restriction, sans condition aucune, pourquoi ne pas admettre nos envoyés aux délibérations comme parties intégrantes et non comme seulement appelés et admis pour être consultés et entendus sur tout ce qui pourra faciliter quoi ? l'adoption définitive des arrangements qui rapprocheront le plus du système de 1814 et 1815.
Je ne pousserai pas plus loin mes observations sur le protocole du 20 décembre, ni sur toutes les communications diplomatiques qui nous ont été faites soit officieusement, soit seulement depuis que le congrès existe. J'y reviendrai peut-être une autre fois. De ce que j'ai dit résulte toutefois pour moi la conséquence que je ne puis faire le choix d'un chef avant que toute cette diplomatie soit éclaircie, avant que je sache d'une manière pertinente quelles sont les intentions que les puissances veulent exécuter à notre égard, avant que j'aie la certitude que le chef que je nommerai saura inspirer assez de confiance à l'Europe pour pouvoir espérer pour mon pays du bonheur et de la stabilité. Jusque-là je me dirai : Dans le doute, abstiens-toi ; et je m'abstiendrai. Un député qui connaît son mandat ne doit, à mon avis, dans une circonstance comme celle-ci, dont dépend aussi la guerre et la paix, que dis-je, le sort de la patrie, consulter que sa conviction, et je ne l'écouterais pas si je me laissais aller à ces empressements qu'on demande de toutes parts pour nommer un chef avant de pouvoir le faire en toute connaissance de cause.
Je dirai plus, messieurs, lorsque je jette les yeux sur la marche de la diplomatie eu général, quant à nos affaires, je ne puis me livrer à une sécurité bien grande. Je ne parlerai point de nos intérêts matériels, de notre industrie, de notre commerce ; on pourrait me taxer d'appartenir à cette classe d'hommes à qui on semble attribuer à tout propos toutes les agitations dont on a tant parlé dans une autre circonstance. Non, messieurs, ce n'est point le commerce qui alarme les esprits, inquiète les citoyens, agite le peuple ; le commerce ne sait que trop bien que ses regrets d'avoir tout perdu par notre révolution sont inutiles ; il est convaincu que son sort ne peut s'améliorer par de nouvelles révolutions, il sait que jeter ses regards en arrière ne servirait à rien, et que le retour, quoi qu'il arrive, vers le précédent ordre de choses, est impossible. La révolution est faite, la séparation d'avec la Hollande est consolidée, et c'est pour moi la seule chose jusqu'ici de bien constatée pour nous. L'une et l'autre ont réduit momentanément l'industrie et le commerce à rien. C'est un fait, mais ce commerce, pour sortir du néant, place sa confiance dans cette même révolution, et espère que le temps arrivera bientôt que le congrès ou la législature pourra et devra s'occuper de lui, car sans lui point d'aisance, point de prospérité, point de stabilité. Ainsi tombent tous les reproches, tous les sarcasmes qu'on ne cesse de lancer contre le commerce, et auxquels pour ma part je ne répondrai rien ni ne ferai plus (page 89) grande attention ; car pour qui sait ce que c'est que le commerce, doit savoir que le commerce ne peut prendre racine et prospérer que dans un pays libre et tranquille et sous un gouvernement stable ; la liberté, la stabilité, la paix, sont ses éléments, et ce n'est pas lui qui les renversera ou cherchera à les renverser, convaincu qu'il est, que sans eux, il ne peut voir renaître les affaires ni prospérer. Non, messieurs, ce n'est point au commerce qu'on peut et que l'on doit imputer les agitations des esprits, mais bien plutôt à diverses discussions imprudentes qui ont eu lieu dans cette enceinte ; aux écrits, aux journaux de certains partis puissants et influents qui semblent vouloir remettre en question et nos droits et nos libertés civiles, et nos propriétés nationales ; aux doctrines manifestées dans des écrits subversifs de tout commerce, car n'a-t-on pas lu, n'a-t-on pas dit que la Belgique n'a pas besoin de commerce, qu'elle était heureuse sans commerce sous le règne de Marie-Thérèse ; que moins les Belges auront du commerce, plus religieux ils seront ? Joignez à cela, messieurs, le malaise de plusieurs fortes populations jouissant naguère d'une grande prospérité, les pertes matérielles qui ont horriblement froissé les intérêts et l'existence de la classe nombreuse qui n'existe que par le commerce et l'industrie, toutes conséquences naturelles et inséparables d'une révolution, et là vous trouverez sans étonnement les véritables causes d'agitation, si agitation il y a. Pour moi, qui ai vu plus d'une révolution, je n'en connais pas une qui n'ait offert les mêmes symptômes. Notre tâche à nous, c'est de chercher à faire cesser le plus promptement possible l'état précaire qui accompagne toute révolution. Pour y parvenir il n'est que deux moyens à mon avis, la guerre ou les négociations diplomatiques.
La guerre, peut-être aurions-nous mieux fait de la poursuivre vigoureusement, que de consentir à une suspension d'armes sur laquelle j'ai dit mon opinion dans une autre circonstance ; quoi qu'il en soit, on a préféré la voie des négociations diplomatiques, et lorsque des hommes, en qui nous avons placé notre confiance, l'ont ainsi jugé utile ou nécessaire, ce n'est pas moi qui, jugeant par le résultat, me permettrai de les blâmer ; il n'y a pour moi ni générosité, ni même politique à le faire. Je dis donc que ce qu'a fait le gouvernement provisoire, je dois croire et je crois jusqu'à preuve contraire qu'il l'a fait comme il a cru devoir le faire pour remplir son mandat. Ainsi, messieurs, sans blâme comme sans passion, je voterai pour les conclusions de notre section centrale parce que je suis intimement convaincu que, nous sommes arrivés à un tel point, que nous ne pouvons assez tôt être instruits officiellement et pertinemment des véritables intentions des puissances étrangères tant relativement à notre indépendance qu'à l'égard du chef que nous avons à appeler à la tête de notre gouvernement ; parce que d'ailleurs je pense que des membres choisis parmi nous et par nous, munis de nos instructions, inspireront une plus grande confiance aux puissances étrangères ; parce qu'enfin la nation verra par là que nous ne voulons décider sur des points dont dépend tout son avenir, qu'en parfaite connaissance de cause, et que nous ne nous laissons entraîner, ni par des clameurs, ni par des influences, qui souvent, sous les dehors d'un grand et vif patriotisme, cherchent à nous éloigner d'une véritable indépendance, en nous plaçant dans la position équivoque d'un gouvernement, qui ne conviendra qu'à une faible minorité de la Belgique, et en réalité pas du tout aux grandes puissances de l'Europe.
Messieurs, je vous ai parlé raison et non pas diplomatie ; car j'ai eu l'honneur de vous le dire je ne suis pas diplomate. Seulement je vous dirai, que si j'étais employé en cette qualité même par un roi, je ne saurais me résoudre à l'appeler mon maître. Celui qui pourrait lâcher ce mot, a dit Mirabeau, est né et mourra dans la peau d'un esclave. Mais, roi ou congrès, en écrivant à l'autorité qui m'aurait donné sa confiance, je l'assurerais de mon profond respect et non de ma haute considération, ce qui est la formule d'un supérieur à son subordonné. Vous ne verrez, j'espère, messieurs, aucune personnalité dans cette réflexion, car toute personnalité sera toujours loin de ma pensée, je l'ai faite seulement dans l'ordre des convenances. (C., supp. au 13 janv.)
M. Seron – Messieurs, je n'abuserai pas de votre patience, je vais au fait.
La France offre un vaste débouché au commerce de la Belgique ; nous lui livrons nos toiles, nos fers, nos houilles, nos marbres, nos bestiaux, nos grains ; et la meilleure preuve que nous faisons beaucoup d'affaires avec elle, c'est l'immense quantité d'espèces françaises en circulation dans notre pays.
Quand la France se met en révolution, la Belgique s'insurge. La Bastille fut prise le 14 juillet 1789, et Bruxelles chassa les Autrichiens dans le mois d'août de la même année. L'époque de notre dernière révolution n'est séparée que par l'espace d'un mois des journées de Paris.
Dans la lutte de la liberté contre la tyrannie, (page 90) notre sort est tellement lié au sort de la France que, si elle succombe, le même joug s'appesantit sur nous et sur elle. Et qui nous assurera, si ce n'est elle, et le littoral de la Flandre maritime et la liberté de l'Escaut, et la possession d'Anvers, de Maestricht, du Limbourg et du Luxembourg ?
En un mot ; messieurs, bien que nous ayons proclamé solennellement notre indépendance nationale, il est de fait que nous dépendons de la France ; mais que ce mot n'effarouche personne il n'y a rien d'indépendant sur la terre, et si nous dépendons de la France, à son tour la France dépend de nous ; car ces denrées, ces marchandises, ces bestiaux que nous lui livrons pour son argent elle en a besoin ; et en retour elle nous livre elle-même des vins et d'autres objets. Si sa population est prête à s'armer pour notre défense, nous sommes prêts aussi à la seconder de nos armes avec notre courage, quand on voudra porter atteinte à ses libertés et à ses droits.
Que de motifs pour faire avec cette nation (et le plus tôt possible), je ne dis pas seulement sur traité de commerce avantageux aux deux peuples, mais encore un traité d'alliance offensive et défensive !
Pour arriver à ce but, il faut entretenir les sentiments de sympathie et d'amitié qui déjà nous unissent. Je n'examinerai pas si nous devons nous réunir à la France, ou lui demander un chef ; mais je dis que la raison veut que nous la consultions sur le choix que nous avons à faire, et que nous la consultions non par l'intermédiaire de la diplomatie, mais par une communication directe ; car tel chef qui contrarierait ses vues nécessairement contrarierait les nôtres, en mettant obstacle à la bonne intelligence qui, dans notre intérêt commun, doit continuer de régner entre elle et nous. J'adopte donc l'avis de la section centrale en ce qu'il tend à envoyer auprès du gouvernement français des commissaires pris dans votre propre sein. Je l'adopte aussi quant à la proposition d'envoyer aussi des commissaires à Londres ; bien que nous ne devions pas attendre de grands avantages de nos relations avec un peuple égoïste, ennemi éternel du commerce des autres nations, et constamment occupé du soin de pomper leurs richesses.
Cette démarche ne saurait être trop solennelle ; je ne dis rien de ce qu'a fait jusqu'à présent notre diplomatie, si ce n'est que je n'ai rien vu d'officiel de la part du gouvernement français dans les lettres qu'on nous, a lues ; mais je dis que, dans une question aussi importante, il est bon que le congrès soit lui-même l'organe de la nation.
Tout en reconnaissant l'urgence de la nomination, je crois qu'on ne saurait y apporter trop de maturité. Cette opération est si grave, elle tient si éminemment au sort futur du pays, que si on voulait la précipiter, je déclare, dès ce moment, que je ne pourrais en conscience prendre part à la délibération.
Cette urgence, au reste, est loin d'être justifiée par les conspirations dont certaines personnes veulent nous faire peur, et qui ressemblent à celles dont Bonaparte parlait au conseil des Cinq-Cents, à Saint-Cloud, le 18 brumaire an VIII, sans que Bonaparte pût dire en quoi elle consistait, ni citer un seul conspirateur ; je me trompe : il aurait pu se nommer. (U. B., 13 janv.)
M. Lardinois – Messieurs, nous sommes appelés à discuter le rapport de la section centrale relatif à la proposition de notre honorable collègue, M. Constantin Rodenbach.
Cette proposition avait pour objet de procéder sans délai à la nomination du chef de l'État.
La section centrale, pénétrant tout le danger qui résulterait évidemment d'une pareille précipitation, a reculé devant les conséquences de cette ardeur et propose sagement de marcher aux investigations, de vous environner de lumières, afin d'apporter toute la maturité qui doit présider à une circonstance aussi solennelle.
Je vous demanderai, messieurs, un peu d'attention ; j'abuse rarement de votre patience, et si aujourd'hui je prends la parole, c'est pour user, avec une franchise républicaine, des derniers moments de liberté qu'un nouveau maître ou des gouvernants ombrageux peuvent nous enlever.
Peu de jours nous séparent du temps où nous faisions partie du royaume des Pays-Bas. Nous étions mécontents de notre situation politique qui était peu tolérable. Sous le rapport commercial, nous n'avions pas à nous plaindre, si nous comparons sans prévention l'état de notre industrie et de notre commerce à celui des autres nations.
Bientôt notre constitution sera achevée. Elle assurera l'égalité des droits, la liberté civile, politique et religieuse. Elle fera la part de tous les intérêts, même ceux de l'oisiveté.
Nous étions gouvernés par un roi qui nous fut imposé, qui avait été poursuivi par le malheur et à qui l'adversité ne pouvait rien apprendre, tant son cœur était endurci et inflexible.
L'administration du gouvernement déchu était arbitraire et partiale ; nous étions pour ainsi dire livrés au pillage hollandais. Ses actes portaient le timbre de l'esclavage, et si on ne l'avait pas arrêté dans sa frénésie, il aurait bientôt posé en principe (page 91) le despotisme. Cette conduite du roi Guillaume, qui faisait une guerre impie aux libertés publiques, préparait une révolution ; il en fut différentes fois averti par l'exposé de nos griefs ; mais il fut sourd à nos réclamations et aima mieux mettre son trône en péril que de nous rendre justice ; et son trône s'est écroulé en Belgique.
Une émeute, le bris ou l'incendie de quelques meubles à Bruxelles furent l'occasion d'une révolution. Liége et Verviers se soulevèrent, et bien que les industriels fussent persuadés que la perte de la Hollande et des colonies les privait à la fois de débouchés considérables et assurés, ils ne purent résister à l'enthousiasme de la liberté et compromirent sans balancer leur existence matérielle pour reconquérir nos droits politiques. Notez-le bien, messieurs, l'industrie a tout sacrifié ; mais elle n'a pas cru s'anéantir : courbée sous l'orage, elle a le droit d'espérer que vous l'aiderez à se relever plus florissante que jamais.
Le flux révolutionnaire apporta des hommes nouveaux au timon des affaires ; sans expérience, mais purs d'intention, leurs actes nombreux attestent qu'ils connurent leur position et qu'ils visaient à faire le bien du pays. Jusqu'à présent j'ai cru que leur unique ambition était la reconnaissance publique ; je voudrais les louer ; mais je m'arrête ; il faut attendre le dénouement du drame pour juger les acteurs et les actions.
Le gouvernement provisoire fit un appel à la nation et nous fûmes réunis en congrès national. Notre tâche n'est pas facile et elle est peut-être au-dessus de nos forces ; c'est peu d'avoir brisé nos fers, il faut reconstruire l'édifice de la société sur des bases durables. Nos premiers pas, quoique lents, n'ont pas été dépourvus d'énergie ; l'histoire enregistrera notre déclaration d'indépendance, l'exclusion des Nassau du trône de la Belgique et l'adoption d'un gouvernement monarchique ; la postérité jugera ces actes et leur opportunité. Nous avons senti le besoin de nous mettre en communication avec les puissances étrangères, et à cet effet un comité diplomatique fut créé. Faut-il vous redire, messieurs, comment nos jeunes diplomates furent mystifiés, joués par l'intrigue des roués politiques ? comment ils furent dupes de leur candeur trop confiante ? Faut-il vous rappeler un armistice fatal et dérisoire qui enchaîna le courage de nos braves, qui permit à nos ennemis atterrés de se reconnaître, et leur donna le temps de préparer des moyens de défense et d'attaque ? Vous parlerai-je de notre indépendance reconnue, pourvu que nous laissions morceler un pays que nous avons conquis au prix de notre sang ; pourvu qu'Anvers reste sous le canon des incendiaires et que nos navires ne puissent passer devant Flessingue sans payer un tribut honteux ? Voilà l'indépendance que notre diplomatie vous annonçait avec emphase. Mais vous devez vous consoler, vous avez un roi à choisir et vous êtes libres dans ce choix, à l'exception cependant de cinq ou six personnages qui sont exclus et qui déplairaient à ceux qui nous protégent et qui nous veulent du bien.
Telle est la situation inévitable des petits États, ils demandent la médiation des grandes puissances et ils en sont asservis sous les dehors des bons offices de l'amitié ; et si nous exceptons une ou deux de ces puissances qui sont intéressées à notre conservation, les autres voudraient bien nous traiter comme Saturne traitait ses enfants.
La nation a besoin de repos, le provisoire qui pèse sur elle depuis quatre mois l'inquiète. Les passions encore émues s'agitent ; on pétitionne vigoureusement, quelques mouvements populaires ont même eu lieu. Des rapports sur ces diverses circonstances ont été faits au gouvernement provisoire, et il a cru devoir faire participer sa frayeur au congrès. Cette panique, messieurs, ne doit pas vous alarmer, et surtout vous déterminer à prendre des résolutions qui pourraient précipiter l'État dans l'anarchie. Je conçois que des négociants de Gand et d'Anvers, poussés par le désespoir et la misère, et signant leurs pétitions assis sur les ruines de leur commerce et de leurs manufactures, demandent le prince d'Orange pour roi, croyant sincèrement que c'est le remède à leurs maux. Il n'en est pas ainsi dans d'autres localités, qui souffrent peut-être plus cruellement encore dans leur existence matérielle. Là sont de nombreuses populations agglomérées ; un peuple d'ouvriers se trouve sans travail et menacerait la tranquillité publique, si ceux qui ont tout sacrifié n'appliquaient leur dernier sou en actes de bienfaisance, et n'empêchaient par leur influence les excès de la misère du peuple. C'est ainsi que se comportent les industriels. Et cependant nous voyons l'évêque de Liége qui lance contre eux une diatribe déguisée sous le nom de mandement : ne l'oubliez pas, messieurs !
On a parlé qu'il existait dans cette assemblée des partis : je n'en vois pas encore ; je ne remarque que des dissidences d'opinion. Je me plais à croire que le congrès est composé de l'élite de la nation, qu'il est plein de lumières, d'intentions pures et de vues de bien public. Mais ce n'est pas comprendre son mandat que de qualifier de mauvais patriotes les signataires de certaines pétitions. (page 92) N'abusons pas des mots, messieurs, ne calomnions pas les intentions ; nous pourrions fomenter les dissensions en irritant ceux qui ne veulent et cherchent que l'ordre et la félicité publique.
Je ne me rends pas encore compte des raisons qui ont pu engager le gouvernement provisoire réclamer l'urgence pour la nomination du chef de l'État. Ce n'est pas le danger de l'anarchie, car ce danger est un fantôme pour le moment. Ce n'est pas le désir de sortir du provisoire, car on vous propose pire encore, une régence sous un petit Othon que la Providence a fait trouver tout exprès pour satisfaire les vœux spirituels et les ambitions terrestres.
Le congrès national doit s'élever à la hauteur de sa mission et se placer en dehors des intérêts personnels. Le choix du chef de l'État doit clore ou perpétuer encore longtemps notre révolution Ce choix apprendra au commerce et à l'industrie dans quels intérêts la révolution a été faite et s'ils doivent n'en retirer que ruines et calamités. Alors les yeux se dessilleront et on fera la part à qui de droit de la malédiction ou de la reconnaissance publique.
Une vérité triviale, mais qui ne peut être trop répétée, est que l'agriculture, le commerce et les manufactures sont les principales sources de la prospérité publique. Vous ne devez donc jamais les perdre de vue ; consultez leurs vœux et leurs besoins avant de précipiter le choix du chef de l'État. Ce n'est pas le moment de plaider à cette tribune une question aussi vitale. Mon opinion vous est connue, j'abonde dans l'idée d'une réunion à la France en conservant notre constitution et notre administration intérieure. Mais la volonté connue du roi Philippe, mais les propos de ses ministres, tout nous dit que la France ne veut pas de nous ! Je répondrai que sous le rapport politique seulement, nous sommes pour la France une nécessité inévitable, et je ne croirai jamais, à moins d'un acte de refus formel, authentique, que la nation française voudrait nous repousser de sa famille, lorsque nous lui tendons les bras, Si c'était le cas, je la plaindrais et je devrais douter si elle est digne de sa liberté.
Pour éclairer cet état de choses et débrouiller le chaos de notre diplomatie naissante, nommons, messieurs, des commissaires pour aller à Paris et à Londres, pour aller s'instruire de ce que nous avons à faire pour concilier les prétentions des puissances avec le vœu et les avantages que nous devons chercher à procurer à notre pays, par la nomination du souverain de la Belgique.
Ces commissaires émaneraient du congrès et correspondraient directement avec le gouvernement provisoire, à qui nous devons maintenir toute considération. La publicité est de l'essence des gouvernements constitutionnels, mais il est des mesures à garder et il ne faut pas confondre les temps et les lieux. Notre position politique nous commande une grande réserve de discrétion et de circonspection, surtout en matières diplomatiques.
Messieurs, pour que vos importants travaux et votre zèle produisent tout le bien qu'on doit en attendre, il faut que la confiance et l'harmonie règnent parmi nous. Consultons tous les intérêts, faisons-nous mutuellement quelques sacrifices, que l'intérêt public nous rallie, et en unissant nos efforts nous ferons le bien de la patrie. (C., supp. au 13 janv.)
M. Jottrand – Messieurs, en venant à cette tribune appuyer les conclusions de la section centrale pour l'envoi de commissaires spéciaux à Londres et Paris, j'exposerai, à l'exemple des préopinants, mes opinions comme membre de cette assemblée sur ce qui doit ou ne doit pas rentrer dans la mission de ces commissaires.
Différent en ce point, et en ce point surtout, de manière de voir avec l'honorable M. Blargnies, je déclare d'abord que les commissaires du congrès ne me semblent pas pouvoir être chargés d'offrir le trône de la Belgique au roi Louis-Philippe.
Le député de Mons a fait remarquer que notre diplomatie n'avait encore hasardé aucune démarche en ce sens, et que par conséquent aucune réponse n'avait pu être faite touchant l'acceptation ou le refus d'une pareille offre. Mais si nous voulons nous en rapporter à ce que nous avons appris par la diplomatie, le refus de Louis-Philippe ne doit-il pas se présumer des réponses que l'on dit nous avoir été données quand il s'est agi de proposer le trône au duc de Nemours ? A cette dernière proposition, le roi de France objecte la foi promise à ses alliés, la renonciation que la France a faite à tout accroissement de territoire, la guerre dont la France, la Belgique, toute l'Europe sont menacées, si une pareille combinaison politique tentait de se réaliser, et l'on espère une réponse affirmative à une proposition beaucoup plus directe, beaucoup plus hostile aux intérêts des puissances, que la France a grande raison de songer à ménager ! Le roi Louis-Philippe est toujours ami de la paix. Ce n'est pas pour un jour, sans doute, qu'il a si sagement évalué tout ce que sa nation et lui-même risqueraient d'avantage et de bien-être réel pour la possession précaire de la Belgique.
Si donc nous nous en référons à ce que la diplomatie (page 93) nous a appris des dispositions du roi des Français, la démarche que propose l'honorable M. Blargnies serait au moins inutile.
Mais est-ce bien là, messieurs, la seule question à examiner pour se déterminer sur l'adoption ou le rejet de la démarche ? je ne le pense pas.
L'honorable député de Mons a beaucoup parlé de notre position géographique et de notre esprit national, qui, selon lui, rendent indispensable tôt ou tard notre réunion à la France. Il voudrait, dit-il, saisir l'occasion favorable que nous avons d'opérer cette réunion de la manière la plus avantageuse à la Belgique. Je conçois que, dans sa conviction à cet égard, il puisse songer, par amour pour son pays, à surmonter jusqu'au refus formel du roi Louis-Philippe.
Cependant tout le monde ne pense pas comme lui, et pour ma part j'oppose ici ma conviction à la sienne. Je suis convaincu que ni notre position géographique ni notre esprit national ne tendent à amener notre réunion à la France. Si cette tendance existait réellement, messieurs, comment expliquerions-nous ces neuf cents ans de séparation complète depuis le démembrement de l'empire de Charlemagne ? Et pour ne remonter dans cette longue série de siècles que jusqu'à l'époque où les divisions féodales recommencèrent à disparaître et à se fondre dans de grands royaumes, comment donner la solution de ce qui s'est passé entre nous et la France depuis la fin du XVe siècle, s'il est vrai que la Belgique ne soit qu'une mouvance de ce puissant royaume ?
Lors des guerres de la réforme et lorsque la Belgique insurgée contre Philippe II donnait à la France une occasion si naturelle de rappeler à son obéissance cette prétendue vassale, pourquoi donc ne voyons-nous pas d'autres relations s'établir entre nous et la France que les relations passagères et indirectes qui résultent de l'appel du duc d'Anjou sur notre territoire ?
Après les victoires du roi Louis XIV, et lorsque la France avait atteint par les armes une puissance qu'elle n'atteignit plus depuis que sous Napoléon, pourquoi notre pays ne demeura-t-il au pouvoir de nos voisins du Midi qu'à peu près le temps nécessaire pour que leurs armées le traversassent en allant et en revenant ?
Nous pouvons faire la même question à propos de ce qui se passa sous Louis XV. Puis reste à expliquer seulement la possession vicennale sous la République et l'Empire.
Cette possession est le seul souvenir qu'attestent avec complaisance ceux qui prétendent que la Belgique est de mouvance française ; mais qu'ils veulent donc bien observer que sous l'empire de Napoléon, l'Italie et une grande partie de l'Allemagne ressortissaient aussi de la domination française. Est-ce à dire que l'Italie et l'Allemagne sont des dépendances naturelles de la France ? Il est vrai que si nous en voulions croire le conquérant qui avait passé son niveau de fer sur tous ces pays, l’Angleterre elle-même n'était qu'une portion du sol français séparée de ce sol dans quelque grand cataclysme, mais qui devait aussi, tôt ou tard, être réuni sous la même domination.
Laissons ces rêves de l'ambition et rappelons-nous qu'en 1813 l'Europe entière se leva pour faire justice des erreurs de l'esprit de conquête, et que le torrent débordé des peuples du Nord et de l'Ouest ne rentra dans son lit qu'après que la Belgique, comme toutes les autres contrées usurpées par les armes françaises, avait été rendue, sinon à son existence naturelle, au moins à une position compatible, jusqu'à un certain point, avec le repos de l'Europe.
Ce sont ces guerres de peuples toujours excitées en Europe chaque fois que la France nous a possédés ou a tenté de nous posséder, qui fournissent la preuve principale de l'impossibilité d'une réunion de la Belgique à cet empire déjà si vaste. Cependant les Belges seraient bien à plaindre si leurs vœux appelaient réellement la domination française, et si l'intérêt égoïste de leurs autres voisins était un perpétuel obstacle à la réalisation de ces vœux.
Heureusement encore il n'en est pas ainsi. Ce n'était pas malgré lui que le peuple belge était gouverné par l'Espagne, au temps d'Albert et d'Isabelle. Ce n'était pas malgré lui qu'il était gouverné par Marie-Thérèse. Et c'est peut-être le meilleur argument à opposer à tous ceux qui prétendent si bien connaître notre tendance vers la France, que cet exemple de la Belgique gouvernée tranquillement à quelques lieues de Paris, par des souverains qui habitaient Madrid ou Vienne.
Non, messieurs, les Belges ne souffrent pas de leur séparation de la France. Leurs mœurs nationales, leur caractère particulier rendent cette séparation très naturelle ; et c'est ici le lieu de répondre à l'honorable préopinant, M. Seron, qu'il a tiré une conséquence peu exacte de son observation que les Belges comme les Français ont eu en quarante ans deux révolutions à la même époque.
Ces deux révolutions bien observées, loin de prouver la conformité d'esprit et de caractère entre les Belges et les Français, prouvent à la dernière (page 94) évidence les différences profondes qui existent entre les deux nations.
En 1789, les Français font leur révolution contre le clergé et la noblesse.
La même année, les Belges, à tort ou à raison, ce n'est pas ce que j'examine ici, font une révolution pour soutenir leur clergé et leur aristocratie.
En 1830, les Français chassent leur roi Charles X, pour la raison principale qu'il favorise trop le clergé et les nobles.
La même année, à un mois de distance, les Belges chassent leur roi protestant ; et les nobles et les prêtres ne sont pas ceux qui prennent la part la moins active à cette nouvelle révolution.
Certes, messieurs, et vous le croirez assurément de ma bouche, je ne prétends pas que notre révolution ait été exclusivement aristocratique et cléricale. La liberté pour tous en a été, en est encore le symbole. Mais ne résulte-t-il pas suffisamment des simples rapprochements qui viennent d'être faits qu'il existe au fond de la nation belge des besoins, des intérêts moraux qui ne sont pas tout à fait les mêmes qu'en France.
Il est temps d'aborder la question des intérêts matériels que plusieurs font sonner très haut, sans que dans ce siècle positif aucun homme raisonnable puisse songer à y trouver quelque chose à redire.
Nous recevons de deux provinces de la Belgique des pétitions qui demandent la réunion à la France. Dans le Hainaut, les pétitionnaires sont peu nombreux à la vérité, mais je me hâte de reconnaître qu'à Verviers, les pétitions pour la réunion sont évidemment l'expression de l'opinion de la majorité.
Je ne m'arrêterai pas à cette différence, et j'admettrai volontiers que les forgerons du Hainaut et les fabricants de drap de la province de Liége, demandent également la réunion de notre pays à la France. Selon moi, les vœux sont contraires aux véritables intérêts du pays, aux intérêts même des classes particulières d'industriels qui les émettent. Je n'examinerai pas s'ils sont déraisonnables sous d'autres rapports, sous le rapport, par exemple, du peu d'espoir qu'ils ont de les voir accueillir par la France qui, de leur aveu, y perdrait considérablement.
Si les fabricants de Verviers obtenaient dès demain notre réunion à la France, ils m'accorderont sans peine que pour le moment ils ne feraient guère plus d'affaires pour cela. Le commerce est mort chez nos voisins comme chez nous. Les temps doivent changer pour que cet état de choses change : sous ce premier point de vue, la réunion actuelle ne mettrait pas un terme à la crise dans laquelle se trouve Verviers.
Mais supposons que le calme soit revenu ; combien de temps Verviers profitera-t-il des avantages de la réunion ? Combien de temps ses produits de meilleure qualité et à meilleur marché que les produits français de même espèce seront-ils sans concurrence sur les marchés de la France et de la Belgique réunies ? Tout juste le temps qu'il a fallu à Verviers, après la chute du système continental, pour rivaliser avec les produits allemands et anglais sur les marchés étrangers ; c'est-à-dire que les draperies françaises actuellement existantes, stimulées bientôt par la concurrence de Verviers, s'élèveront à tous les avantages de cette dernière ville, et que le marché français ne suffira bientôt plus aux produits cumulés de Verviers, Sedan, Louviers, Elbeuf, etc.
Cependant en s'attachant à la France, Verviers subira son système de douanes, et les marchés étrangers fermés à la France seront fermés à Verviers.
La fabrication du fer profiterait peut-être davantage et plus longtemps de notre réunion à la France. Cependant je ne fais aucun doute que la plus grande facilité de la vente et l'augmentation considérable de bénéfices que pourraient faire nos forges, ne ralentissent de beaucoup l'élan donné pour les améliorations de cette industrie, dans l'état de vive concurrence où elle se trouve placée aujourd'hui.
La Belgique serait alors soumise au tarif français, qui frappe de droits énormes les fers étrangers. Le prix du fer augmenterait chez nous à raison de cette cause ; toutes les industries qui emploient le fer comme matière première seraient grevées d'un surcroît de mise de fonds pour travailler. Leur prix de fabrication en augmenterait d'autant, et les bénéfices faits par nos forgerons seraient chèrement payés par toutes les autres classes d'industriels. Heureux, si ce changement ne paralysait pas notre travail manufacturier, qui n'a dû en grande partie son extension qu'au bon marché et à la bonne qualité des matières premières, dont remploi lui était indispensable, et parmi lesquelles le fer occupe une bonne place.
Je ne dirai rien des pertes que feraient à la réunion de la Belgique à la France tant de producteurs qui se taisent, et prouvent par leur silence qu'ils comprennent leurs véritables intérêts ; et sans parler ici un langage qui serait encore (page 95) compris, le langage de nos vieux souvenirs d'indépendance et de l'expérience funeste que nous avons quelquefois faite du joug étranger, je me résumerai en disant qu'il n'y a pas lieu de charger les commissaires du congrès d'aller offrir en France la couronne de la Belgique.
On nous a parlé d'une autre combinaison, l'élection du prince Othon, second fils du roi de Bavière, jeune homme de quinze ans et demi, qui épouserait plus tard une fille de Louis-Philippe, et régnerait sous une régence jusqu'à sa majorité.
La combinaison ne me paraît pas heureuse pour un pays qui, comme le nôtre, a besoin de sortir du provisoire et de se constituer fortement au milieu des embarras où il se trouve encore.
Une régence est toujours faible ; plus elle sera courte, plus cette faiblesse se fera remarquer. Quel homme d'État un peu ambitieux voudra attacher son sort, soit comme ministre, soit comme diplomate, à un régent dont l'autorité sera de courte durée ? Dans les circonstances où nous sommes, avec une guerre à finir en Hollande, n'avons-nous pas besoin d'un chef qui plaise et impose à l'armée ? Un enfant ne saurait être un général.
Ces considérations sommaires seraient, si l'on voulait, susceptibles de beaucoup de développements.
On nous allègue l'intérêt que promettent de porter au jeune prince Othon le roi Louis-Philippe et son cabinet. Je ne veux susciter aucune défiance, mais dans la position où se trouve la Belgique, est-on bien sûr que tout le monde a un égal intérêt à la retirer sérieusement de son état de faiblesse actuelle ?
Si par délicatesse il nous est interdit d'examiner cette question, je pense qu'il serait bon d'en déférer l'examen à l'Angleterre et à la Prusse qui sont aussi nos voisins. Le choix du prince Othon me conviendrait moins que jamais, si j'apprenais qu'il ne plaît qu'à la France.
Pour la Belgique, prise isolément, le duc de Leuchtenberg me conviendrait davantage. On objecte les répugnances du roi des Français et les déclarations que nous connaissons depuis ce matin. Je n'ai garde de les mépriser ; mais il m'est permis d'examiner si ces répugnances, si ces déclarations qui me paraissent l'expression d'un premier mouvement, ne céderaient pas dans une discussion de bonne et franche amitié que les commissaires du congrès auraient avec les ministres du roi Louis-Philippe.
On prétend que le duc de Leuchtenberg servirait de point de ralliement au parti bonapartiste en France. S'il y a encore un parti bonapartiste en France, il faut qu'il soit bien fort pour n'avoir besoin que du duc de Leuchtenberg en Belgique pour faire avantageusement la guerre à la popularité si justement acquise de la famille d'Orléans.
Et si le parti bonapartiste est si fort, un moyen bien simple de l'attacher au char de Louis-Philippe lui-même, serait d'aborder franchement cette question du duc de Leuchtenberg. Le roi des Français, en lui donnant une de ses filles, trancherait cette question entièrement à son avantage.
Mais j'ai entendu dans les lettres qui nous ont été lues à cette tribune l'expression affectée de fils de Beauharnais. Je ne puis croire que cette affectation cache un vieux et gothique préjugé. Le roi des Français sait trop bien où le siècle en est aujourd'hui, et sa position particulière nous répond de sa manière de voir à cet égard. Je pense donc qu'une discussion toute franche, toute loyale avec le cabinet français peut amener encore d'autres résultats que ceux qui nous sont connus jusqu'aujourd'hui dans cette question du duc de Leuchtenberg, Et puis le cabinet français n'est pas le seul à consulter. Sous ce point de vue encore, les commissaires du congrès à Paris et à Londres ne doivent point partir sans instructions sur le duc de Leuchtenberg.
A défaut de cette candidature, je ne pense pas que l'intérêt de la Belgique nous commande encore de choisir le prince Othon à l'exclusion de tout autre prince majeur. Londres ou Paris pourraient peut-être offrir aux commissaires des éclaircissements propres à être admis. Il va sans dire que je n'entends parler en aucune manière d'un prince quelconque de la famille exclue par le congrès.
J'adopte les conclusions de la section centrale, sauf qu'il me paraîtrait plus convenable d'envoyer les mêmes commissaires à Londres et à Paris. (C., supp., 13 janv.)
M. le comte de Baillet – Messieurs, vous sentez tous la gravité de la question qui nous occupe aujourd'hui, et quelle immense responsabilité nous allons assumer sur nos têtes aux yeux de nos contemporains et de la postérité. N'avoir en vue que les intérêts de la patrie, éviter de marcher au hasard en faisant un choix qui doit décider de son avenir, prendre des renseignements sur les princes étrangers qui pourraient assurer la paix de l'Europe, l'indépendance de la Belgique, et lui procurer le traité le plus favorable avec la (page 96) Hollande, les plus grands avantages pour son commerce et pour son industrie, telles sont les conclusions pleines de raison et de sagesse que vous présente le rapport de votre section centrale. Nous sommes tous ici animés des mêmes sentiments. Les généreux citoyens qui se sont dévoués dans des temps difficiles pour maintenir l'ordre public, seraient les premiers à nous désavouer, si le salut de la patrie n'était pas notre unique boussole. La majorité des sections a pensé que l'élection d'un prince étranger, en nous faisant contracter de nouveaux liens avec la grande famille européenne, serait un gage de stabilité pour notre État futur. Nous sommes libres dans ce choix sans doute, mais en le faisant nous devons penser que nous ne sommes pas un peuple isolé, et entièrement indépendant de notre position au dehors. Il nous faut jeter les yeux, non pas sur tel ou tel pays seulement, mais sur tous les pays dont nous avons besoin pour vivre. Heureusement l'intérêt des puissances étrangères est le même que le nôtre. Le maintien de la paix est le besoin de tous les peuples. La question de la réunion à la France est la question de la guerre, a dit dans la chambre des députés M. le comte Sébastiani. La lettre de M. Firmin Rogier, qui nous a été communiquée ici, nous apprend que M. Sébastiani a assuré à M. Gendebien que la guerre pourrait tout remettre en question en France ; ne serait-ce pas lui témoigner notre reconnaissance d'une manière étrange que de l'y précipiter malgré elle ? C'est lorsque le maintien de la paix sera définitivement assuré que l'Europe sortira de cette crise effrayante, qui épuise et finirait par tarir toutes les sources de la richesse et de la prospérité. La consolidation de notre gouvernement est indispensable pour parvenir à ce résultat. Quel choix peut nous faire espérer cette consolidation, quelle est la combinaison la plus favorable à nos intérêts particuliers Quelles sont les exclusions prononcées par le cinq puissances ? On vient de nous annoncer officiellement que le souvenir d'un grand homme mort à Sainte-Hélène paraît encore assez redoutable pour que le fils d'un de ses frères d'armes : pour qu'un prince qui dans le fond est étranger à la famille de Napoléon, qui appartient aux premières maisons souveraines de l'Europe, ne puisse jamais être reconnu par la France comme roi de Belges, et que le frère de l'impératrice du Brésil n'obtiendrait pas la fille de Louis-Philippe ; connaît-on encore d'autres exclusions ? Serait-il impossible d'attacher notre avenir aux souvenirs du passé, en choisissant un chef issu du rang de nos anciens princes, qui presque toujours ont été populaires en Belgique, et sous lesquels nos pères jouissaient d'un gouvernement à bon marché, et le plus de liberté que tout le reste du continent ? Une union ne pourrait-elle pas avoir lieu entre une princesse française et un fils du prince Charles ? Le duc Jean de Saxe enfin, qui a vingt-neuf ans et dont les héritiers seront probablement appelés un jour à cette couronne, ne pourrait-il pas, s'il était élu, nous faire espérer par la suite un accroissement de territoire ? La France, qui est noble et généreuse, ne verrait-elle pas avec plaisir l'élévation au trône de la Belgique, d'une maison qui fut toujours sa fidèle alliée, et qui fut victime en 1814 de sa fidélité au malheur ? Toutes ces questions me paraissent importantes et de nature à être mûrement examinées. Il me semble que ce n'est qu'en désespoir de cause, qu'on pourrait songer à une minorité dans les circonstances actuelles. L'histoire de presque toutes les régences, dans les gouvernements les plus anciens, les plus solidement établis, est un tableau de déchirements intérieurs et de combats des partis. Elles étaient cependant toujours confiées à des princes du sang royal. Nous aurions l'honneur de l'invention, et ce serait présenter un exemple tout à fait nouveau : dans les fastes de l'histoire que de commencer une dynastie par une minorité. Après les événements dont nous avons été les témoins, il faut qu'une main ferme et habile saisisse les rênes du gouvernement, il faut que le chef de l'État soit assez fort pour se mettre au-dessus de tous les partis. Il faut qu'il sache se montrer à notre brave armée et la commander en héros. Il faut enfin, comme nous l'a dit l'honorable M. Charles Rogier, sortir du provisoire et nous constituer de manière à pouvoir espérer de la stabilité. Ce but serait-il atteint par l'élection du prince Othon ? s'est-on assuré d'avance de son consentement et de celui de sa famille ? sans doute cette illustre maison de Bavière fut toujours féconde en princes vertueux et éclairés. Le roi actuel comprend les besoins de l'époque et marche à la tête du mouvement du siècle ; son génie, ses principes vraiment libéraux le distinguent plus que son rang. Il joint toutes les vertus domestiques à celles du prince et du citoyen. Mais c'est précisément à cause de ces qualités, c'est parce qu'il sent tout le fardeau d'une couronne et qu'il l'apprécie à sa juste valeur, que je doute qu'il consente jamais, à ce qu’un enfant de quinze ans, sans guide, sans conseil, sans appui, éloigné, abandonné de tous les siens, vienne se livrer à des inconnus, dans un pays étranger, en révolution. Accepterait-il, dans tous les cas, avant que les limites du pays ne soient (page 97) fixées, et sans connaître le pacte fondamental que son fils doit jurer d'observer ? Un prince de sa maison pourrait-il être élu comme régent, et si cela n'est pas possible, l'Europe verrait-elle dans cette élection un gage de tranquillité et de repos ? Je désire être éclairé sur toutes ces questions avant de me déterminer. Je partage du fond de mon cœur le vœu patriotique émis hier par notre respectable président, que la Belgique puisse être définitivement constituée avant le 10 février prochain. Nous avons tout le temps de nous entourer, avant cette époque, des lumières nécessaires. J'avoue que jusqu'ici la perspective d'un prince de quinze ans, celle de la possibilité d'une alliance avec une princesse qui en a treize, ne me paraît pas offrir des garanties suffisantes. Le métier de roi est difficile par le temps qui court, et je pense que le rôle de pacificateur, et de fondateur d'une dynastie nouvelle, ne peut appartenir qu'à un homme fait et qui soit en état de nous défendre.
Je voterai pour les conclusions de la section centrale. (C., supp., 13 janv.)
M. Delwarde pense que le projet de la section centrale est vicieux, en ce qu'en nommant une commission spéciale au sein du congrès, pour correspondre avec les envoyés à Londres et à Paris, ce serait donner à certains membres de l'assemblée une prépondérance nuisible là où il doit y avoir égalité parfaite. Passant au fond de la question, l'orateur s'embarrasse peu du refus fait par le gouvernement français d'un prince de la famille royale pour roi des Belges. Ce ne sont ni les ministres ni le roi qui décideraient, la question, si le congrès élisait le duc de Nemours ; ce seraient et la chambre des députés et la chambre des pairs, et celles-ci céderaient aux vœux de la nation française qui demande ou la réunion, ou un prince français pour la Belgique. L'orateur termine en conseillant d'élire ou le duc de Nemours ou Louis-Philippe lui-même, disant que, ce choix une fois fait, il faudra que le roi cède à l'opinion publique. (U. B., 13 janv.)
M. Charles Rogier – Messieurs, des divers orateurs entendus jusqu'ici, les uns veulent des combinaisons reconnues impossibles, d'autres combattent celles qui se présentent, sans en indiquer de nouvelles ; aucun ne montre un but précis vers lequel puisse se diriger le choix du congrès.
Du milieu des opinions divergentes, il surgit cependant un fait incontestable, c'est notre vive et presque unanime sympathie pour la France. Nous aimons la France ; nous sommes portés de cœur vers elle ; eh ! qui refuserait sa sympathie à ce peuple généreux qui nous offre en partage, avec les bienfaits de sa civilisation et de son commerce, tant d'illustrations politiques, militaires, civiles et littéraires ? De son côté, la France nous aime : tous nous sentons le besoin de la consulter comme un ami sûr, en qui nous devons mettre toute notre confiance.
Eh bien ! que nous conseille-t-elle ? Non pas la réunion, ni le duc de Nemours, ni le duc de Leuchtenberg. « Je veux votre indépendance, dit-elle, votre bien-être ; ils sont associés à mon bien-être, à mon indépendance ; mais je ne veux pas la guerre, parce que je la crois contraire à notre repos et à notre liberté. » Pas de réunion ; pas de prince français : ceci se dit et se répète à la tribune, dans le cabinet ; officieusement, officiellement.
On n'en tient compte. « Proclamons, s'écrie-t-on, Philippe, roi des Français et des Belges ; mille avantages en naîtront pour nous. Nous aurons notre indépendance et notre prospérité assurées ; Bruxelles redeviendra florissante, etc. » Cela est magnifique, et si cela se pouvait, je serais le premier à crier : Vive Philippe ! Mais si le roi de France refuse la couronne pour son fils, est-ce par hasard afin de la garder pour lui-même ? A la bonne heure. Allez donc vous en informer près de lui ; envoyez des commissaires, qu'ils aillent entendre de sa bouche ce que déjà il vous a fait répondre : « Je ne peux pas, je ne veux pas, parce que je ne veux pas la guerre générale. »
On le sait bien aussi chez nous, que la guerre générale suivrait presque infailliblement la réunion directe ou indirecte de la Belgique à la France. Eh bien, je le demande, est-ce à nous à provoquer la guerre et ses suites désastreuses ? à nous, à la désirer ? à nous, champ de bataille inévitable de toutes les querelles européennes ? Au lieu de laisser la France juge de l'opportunité de la guerre, nous voulons l'y entraîner malgré elle ; notre ardeur belliqueuse prévoit de beaux succès ; nous nous voyons en espoir sur les bords du Rhin, et ceux qui rêvent cette conquête avec notre indépendance ne voient pas que cette conquête même serait son anéantissement, à moins de supposer qu'enclavée entre la France actuelle et le duché du Bas-Rhin, la Belgique, tombée aux mains de la France, puisse espérer de demeurer État séparé et indépendant.
Pour tous ceux qui, depuis huit jours, ont ouvert les yeux à la clarté diplomatique, il est évident que la France fait ce qu'elle peut pour éviter la guerre ; et quand elle nous dit : « Je ne puis vous donner un prince, et je ne veux pas de la réunion, » il faut bien l'en croire. Mais elle nous offre en même temps une combinaison qui, sans (page 98) présenter les dangers des deux autres, nous apporte des avantages presque équivalents. Elle nous donnera une princesse française, et avec elle son alliance, son amitié, sa protection, son appui. La question du prince n'est, à mes yeux, que secondaire. Celui qu'on nous propose appartient à la confédération germanique, et à ce titre seul il doit déjà nous convenir. Avec une fille de Philippe, nous ressentirons, de l'influence de la France, ce qu'il en faut pour en être protégé, sans en être pour ainsi dire écrasé.
Mais une régence devient nécessaire avec cette combinaison. Et l'on craint les faiblesses d'une régence dans un État qui sort à peine d'une révolution. Mais avec une constitution telle que vous venez de la faire, avec des institutions toutes républicaines, le personnel du pouvoir exécutif devient chose assez indifférente, et l'État ne sera pas perdu, parce qu'il n'aura pas à sa tête un monarque qui sache, comme on dit, monter à cheval. La régence puiserait sa force dans la monarchie naissante, et la monarchie naissante s'appuiera à son tour sur une popularité indigène. Cela, je le veux bien, ne vaudrait pas un pouvoir fort et définitif dès son principe ; mais cela serait quelque chose de plus que cette autorité purement provisoire et bourgeoise, trop peu amie d'elle-même quoi qu'on en dise ou pense, pour chercher à fortifier ou à se continuer.
Il faut donc que le congrès laisse là les lenteurs et se décide. J'ai été des premiers à provoquer l'urgence de la discussion sur le choix du chef de l'État. J'ai dit que les partis commençaient à diviser le pays, et que la situation devenait critique. Il est possible que ceux qui, placés à la sommité du pouvoir, reçoivent chaque jour et de divers côtés des rapports parfois peu rassurants, s’exagèrent à eux-mêmes les dangers ; je le veux croire ; mais enfin, pour qui ne ferme pas les yeux à la lumière du jour, n'est-il pas évident que ces divers partis mettent à profit nos lenteurs et que la prolongation du provisoire ajoute chaque jour à leur force et à leurs espérances ?
Il faut en finir. Envoyer des commissaires à Paris est chose inutile, puisque vous connaissez, à n'en pas douter, la réponse et les vœux de la France, à moins de supposer que le roi Philippe, le cabinet français, le gouvernement provisoire et le comité diplomatique s'entendent pour se jouer de vous. Cette démarche serait non seulement utile, elle pourrait encore porter atteinte à l’honneur du congrès, en l'exposant à un refus solennel. Qui sait même si les commissaires seraient admis ?
Il faut en finir. Ce n'est pas quinze jours ou un mois qui nous avanceront beaucoup. Nous sommes très incertains des avantages d'un délai, tandis que les inconvénients en sont avoués par les plus soupçonneux, par les plus intrépides scrutateurs des arrière-pensées.
Et puisque j'en suis venu là, je ne finirai pas sans dire ma pensée tout entière. Si le congrès ne voyait dans la démarche de ceux qui se pressent que le fait de quelques ambitions avides de se maintenir au pouvoir futur, il lui serait facile de déjouer leurs intrigues : qu'en même temps qu'il décrète une monarchie avec une régence, il déclare exclus de la régence les membres du gouvernement précédent. Ce sera, je vous l'affirme, leur rendre un plus grand service qu'on ne pense, et leur donner la meilleure marque de reconnaissance qu'ils puissent être en droit d'espérer. (U. B., 13 janv.)
M. le baron de Liedel de Well – Messieurs, la nation belge, fatiguée du provisoire, soupire après un ordre de choses stable et permanent.
Malgré les talents des patriotes distingués qui dirigent les affaires, les effets désastreux de ce provisoire se font sentir partout : un cri de détresse générale s'élève de toutes parts.
Nos cités manufacturières et industrielles, naguère l'orgueil de la Belgique, offrent le triste spectacle d'une population d'ouvriers qui ne demandent qu'à travailler, mais qui, par la stagnation générale du commerce, n'ont plus les moyens de gagner du pain pour eux et leurs nombreuses familles.
Privé de tous ses débouchés, entravé de toutes parts, le commerce, jadis si florissant dans nos contrées, languit, et succombera bientôt à l'inaction forcée à laquelle il est réduit ; le mouvement est sa vie.
Il n'est pas étonnant, messieurs, que tant de maux réels, et ceux qu'on prévoit devoir en être nécessairement la suite encore, affectent profondément la nation, l'effrayent, et lui fassent désirer avec une vive impatience le moment qui, mettant fin à cet état provisoire, incertain, soit pour elle l'annonce d'un état de choses stable et permanent, et rouvre enfin toutes ces sources de prospérité, enfants de la paix et de la confiance.
Il est donc reconnu, messieurs, que le vœu général, fortement exprimé, est que le provisoire cesse, que le choix du chef de l'État y mette fin.
Mais il est bien reconnu aussi que si malheureusement ce choix ne faisait que prolonger le provisoire, source de tant de maux, nous ne (page 99) répondrions en aucune manière aux vœux de nos mandataires, à leurs besoins réels.
Or, je vous le demande, messieurs, ferons-nous cesser ce provisoire en déférant la couronne de la Belgique à un prince à peine âgé de quinze ans ? Il faudra nécessairement une régence, et ne serait-ce pas plutôt organiser définitivement, et pour trois ou quatre ans au moins, ce même état provisoire, qui nous est déjà insupportable, quoique sa fin soit prochaine ?
Et qu'on ne dise pas qu'une régence ne peut pas être considérée comme un état provisoire, que c'est un gouvernement définitivement organisé, et qui en offre tous les avantages.
Il serait peut-être possible, messieurs, de défendre cette thèse en théorie ; mais quant à la pratique, l'expérience de tous les siècles nous a appris que les régences, même établies au sein de la paix la plus profonde, sont les temps orageux des monarchies ; qu'elles alimentent les jalousies, les dissensions des grandes familles, et excitent l'ambition et les cabales de tous ceux qui se croient des prétentions bien ou mal fondées au pouvoir.
L'État, déchiré par des querelles intestines, ne prête aucune force au gouvernement pour maintenir son autorité au dedans, pour se faire respecter au dehors.
Si tels sont déjà les inconvénients des régences dans les temps ordinaires, où un gouvernement tout organisé, un peuple habitué à un ordre de choses établi depuis des siècles, des relations amicales avec les voisins, promettent une paix profonde, combien ne doit-on pas redouter davantage ces mêmes inconvénients dans les temps difficiles où nous vivons, où les orages des révolutions nous agitent et grondent autour de nous, où les nations cherchent avec inquiétude à réaliser de nouvelles formes de gouvernement, où nous avons nous-mêmes enfanté une constitution, qui n'a pas encore de modèle dans les fastes des peuples, assemblage nouveau de principes républicains avec des formes monarchiques !
Ce serait une folie, messieurs, de disconvenir que, dans ces circonstances, nous avons essentiellement besoin non d'un roi enfant, non de l'autorité précaire et chancelante d'une régence mal affermie, mais de toute l'énergie d'un monarque qui sache se faire obéir, donner une impulsion heureuse à toute cette machine de fabrique nouvelle, et fortifier, par son activité, par sa prudence , ce pouvoir central, que notre trop grande défiance, j'ose le dire, messieurs, a créé si faible, si peu capable de protéger ces mêmes institutions libérales que l'Europe nous enviera, si l'anarchie le les détruit pas.
Je ne puis me persuader, je ne puis me convaincre, que parmi tant de maisons souveraines qui peuplent l'Europe, on n'ait pu trouver à offrir à notre choix qu'un prince qui nous menace du plus grand des maux, d'une longue minorité. Je supprime l'énoncé des réflexions pénibles que cette idée fait naître en moi, mais je dirai que si les démarches et les recherches de nos hommes d'État n'ont pu nous procurer que ce triste résultat, il vaut mieux différer encore notre choix et ne pas chercher à réparer nos maux en les éternisant. (U. B., 13 janv.)
M. Lebeau – Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la section centrale, et je dirai à l'un des préopinants qui a pensé que ce serait compromettre la dignité nationale que d'insister auprès du gouvernement français, après les refus dont on nous a donné connaissance, que l'on peut déléguer des commissaires à Londres et à Paris, et leur conférer des pouvoirs et des instructions tels qu'ils ne puissent blesser ni l'indépendance ni la dignité du congrès national. Ces commissaires ne seront, en effet, chargés de conclure aucun traité définitif, mais seulement de provoquer des éclaircissements sur telle ou telle combinaison indiquée, pour éclairer à leur tour le congrès national sur ce qu'il convient de faire. J'appuie donc, sous ce rapport, la proposition de la section centrale.
Maintenant, messieurs, qu'il me soit permis de dire un mot des instructions à donner aux commissaires. Quelques-uns des préopinants en ont parlé à tort, selon moi ; car cette discussion, en séance publique, dans laquelle on a jeté une grande quantité de noms propres, me semble prématurée, et je n'y aurais pas apporté le tribut de mes faibles lumières, si elle n'avait pas déjà été soulevée. Eh bien, venant aux commissaires à envoyer à Londres et à Paris, je ne pense pas qu'il faille leur donner des instructions, soit pour offrir la couronne à un prince français, soit pour obtenir l'agrément de la cour de France pour le duc de Leuchtenberg.
Un des honorables préopinants a démontré, avec conscience et talent, les avantages de la réunion de la Belgique à la France, sous le sceptre de Louis-Philippe.
Si ce projet de réunion ne me paraissait pas impraticable, j'y adhérerais avec enthousiasme, bien assuré que nous ne pourrions avoir de meilleur moyen de terminer notre glorieuse révolution. Mais, lorsque je vois que les résolutions de la (page 100) France sont contraires à la réunion et à l'élection du duc de Nemours, et que les déclarations des ministres à cet égard sont si formelles ; lorsque je vois le roi lui-même prendre part à ces déclarations, lorsque ces déclarations sont répétées à la tribune et à la face de l'Europe, je ne pense pas qu'il faille insister ; la réunion est impossible. Et remarquez, messieurs, que ce n'est pas tel ou tel membre du cabinet français qui le déclare, c'est le conseil en masse, le conseil dans lequel sont représentées toutes les opinions de l'armée, de l'industrie et du commerce. Je pense donc qu'il serait inutile et même inconvenant de faire interroger la France sur des points résolus définitivement non seulement par le cabinet français, mai par le roi lui-même (à qui, certes, personne ne refusera une volonté personnelle), qui s'en est expliqué formellement. On le sent bien, en effet cette réunion serait un motif de guerre générale de guerre à mort, non seulement de l'absolutisme contre les idées libérales, mais une guerre mortelle aux intérêts matériels de la France et de la Belgique. L'Angleterre sent trop bien tout ce que son industrie et son commerce auraient à souffrir d'une telle réunion, pour ne pas s'y opposer. Souvenez-vous de ce que disait un de ses plus grands ministres, l'illustre M. Canning : « La possession du port d'Anvers par la France serait un sujet immédiat de guerre. »
Si les hostilités commençaient, l'Angleterre pourrait faire à l'instant un mal incalculable aux intérêts matériels de la France. Elle n'aurait pas besoin pour cela d'une guerre continentale ; il lui suffirait d'intercepter ses communications maritimes avec le reste du monde et de bloquer ses ports : il y aurait aussitôt ruine pour la France. Mais si l'Angleterre en faisait un sujet de guerre, croit-on que les puissances continentales resteraient paisibles spectatrices ? Non. Nous verrions bientôt une guerre générale en Europe. Et alors que deviendrions-nous ? Que deviendrait la France elle-même avec un gouvernement à peine assis, avec un noyau d'armée (murmures et chuchotements), et menacée à l'intérieur de divisions par un parti, le parti carliste, qui reprendrait une nouvelle vigueur si la guerre devenait imminente ? On sait malheureusement que les opinions ne sont pas unanimes en France. Les départements de l'Ouest et du Midi comptent bon nombre de partisans de l'ancienne dynastie ; ils feraient tous leurs efforts pour parvenir au renversement de la dynastie nouvelle, qui seule peut nous garantir la possession de nos libertés. Voilà, messieurs, quel serait le résultat de notre réunion. Il faudrait supposer le cabinet français frappé de stupidité pour ne pas reculer devant d'aussi terribles conséquences.
Les ministres du roi de France, dit-on, et le roi lui-même, ne sont pas les seuls à consulter dans la position où nous nous trouvons. Il est un pouvoir au-dessus d'eux pour décider la question : ce sont les chambres. Elles décideraient en notre faveur, car telle est l'opinion de la France, et il faudrait bien qu'elles suivissent le torrent de l'opinion.
Messieurs, on juge fort mal de l'opinion de la France, parce qu'on ne va pas la chercher là où il faut. On va toujours chercher l'opinion de la France à Paris. Évidemment à Paris il y a un parti nombreux qui veut la guerre, parce qu'il espère y trouver un moyen de ressaisir les avantages qui lui ont été déniés par les derniers événements. Mais consultez les départements, vous verrez que ce n'est plus la même chose. Voyez ce qui s'est passé dans les derniers temps ! Souvenez-vous du résultat des dernières élections. Qu'ont fait les départements ? Ils ont envoyé à Paris des députés des centres. Les journaux de la capitale le leur ont amèrement reproché. Ils ont accusé les départements d'être frappés d'une terreur panique, et de méconnaître les avantages de la révolution de juillet. Et pourquoi ? parce que les élections n'avaient pas renforcé le parti libéral, qui se dit, à tort, le plus fort en France. (Réclamations nombreuses.)
Dès que la question de la réunion serait agitée dans la législature, vous verriez les intérêts des marchands de draps et des forgerons, plaidés à la tribune avec talent et avec succès. La France voudra conserver ses débouchés, et ne verra pas sans peine un petit État très productif les partager avec elle. La France commerciale et industrielle peut transiger avec nous, parce que nous pouvons l'y amener par un système prohibitif bien entendu ; mais ne vous attendez pas à voir la ligne des douanes complètement effacée. Dans les ouvertures faites à la France, elle a laissé entrevoir qu'elle laisserait volontiers entrer nos toiles, nos bestiaux, nos charbons ; mais elle s'est montrée fort peu empressée quant à nos draps : ce n'est que par des combinaisons restrictives que nous pourrons la forcer à faire de plus larges concessions.
J'ai entendu avec étonnement un député du Hainaut dire que, sans la réunion à la France, nous ne pourrions jamais avoir le port d'Anvers. Mais cette réunion nous empêcherait de le posséder plus que toute autre combinaison ; car, si l'Angleterre consentait jamais à la réunion, ce ne serait (page 101) qu'à condition de faire d'Anvers un port libre.
Je me résume sur ce point, et je dis que les instructions de nos commissaires ne peuvent porter ni sur la fusion pure et simple, sur la fusion sous le gouvernement de S. M. Louis-Philippe, ni sur le duc de Nemours : mais je n'en pense pas moins que nous devons déléguer des envoyés à Londres et à Paris. Il est bon qu'ils aillent protester à Londres et à Paris de la profonde répugnance que nous éprouvons pour un prince mineur. Dans les temps ordinaires je n'en voudrais pas ; à plus forte raison quand nous sortons à peine d'une révolution, quand notre gouvernement est sans force morale, et qu'une guerre contre la Hollande devient de plus en plus inévitable. S'il n'est pas d'autre moyen d'assurer notre indépendance, en désespoir de cause il faudra bien se résoudre à cette combinaison. Aussi ne voudrais-je pas la flétrir d'avance, et repousser irrévocablement celui que le roi des Français paraît disposé à nommer son gendre : en effet si le roi de France ne veut la couronne belge ni pour lui ni pour son fils ; si le prince de Saxe-Cobourg ne peut être élu, ni le duc de Leuchtenberg, ni un citoyen belge, nous serons réduits à proclamer le prince de Bavière ou la république ; car, en définitive, pour constituer une monarchie, il faut nécessairement un roi, fût-il mineur.
Il y a encore une autre question importante à traiter : je n'ai pas perdu le souvenir qu'il avait été question de nous donner pour roi un prince de Saxe, en réunissant à la Belgique les provinces rhénanes. Cette combinaison a été agitée par le cabinet français, qui ne l'a abandonnée que depuis peu de jours. Je voudrais que la France fût encore consultée par nos commissaires sur cette réunion.
Je veux aussi qu'ils soient autorisés à poser encore la question du duc de Leuchtenberg, à Londres et à Paris. Si la répugnance de la France est invincible, il faudra nous soumettre ; car nous devons ménager la France : sans elle sommes-nous assez forts pour faire ouvrir l'Escaut, pour nous assurer la possession du Luxembourg ? Non, sans doute. Mais, je le répète, avant de renoncer au duc de Leuchtenberg, il faut que la répugnance de la France soit bien constatée. Mais il faut protester hautement contre une minorité ; il faut que nos commissaires fassent connaître notre profonde répugnance pour tout ce qui ne nous ferait pas sortir immédiatement du provisoire ; et si l'on nous réduit à la dernière extrémité, déclarer que la Belgique se constituera en république. La question ainsi posée entre le duc de Leuchtenberg et la république, il est possible que la France fasse de plus sérieuses réflexions et change de détermination à notre égard. (U. B., 13 janv.)
M. le baron de Leuze – Messieurs, le prince qui nous convient le mieux, c'est l'archiduc Charles d'Autriche. (On rit.) Ce prince nous convient, parce qu'il est le plus grand prince de la terre ; il en est même le plus grand guerrier, car Napoléon n'est plus. (On rit encore.) Qu'il vienne donc se mettre à la tête de nos braves, il les conduira à la victoire ; il verra qu'ils n'ont pas dégénéré des Belges de César. Il prendrait à l'instant les rênes de l'État et ne les laisserait pas entre les mains d'une régence. Ce prince n'est pas, comme on le dit, le descendant des despotes ; lisez l'histoire de la Toscane, et vous verrez que son auguste père était le plus libéral des hommes. Eh bien ! son fils lui ressemble. Mais ce héros voudrait-il combler nos vœux ? Oui, messieurs ; notre mère Marie-Thérèse lui criera du haut des cieux : Mon fils, allez sauver vos frères. (J. F., 13 janv.)
M. Davignon – Ce ne sont pas, comme on a dit, quelques habitants qui demandent la réunion à la France, c'est une population tout entière. J'appuie les conclusions de la section centrale, et je me déclarerai contre une régence. (J. B., 13 janv.)
M. Claus – On a dit que la réunion à la France serait loin de procurer des avantages à notre commerce et à notre industrie. Si nos fabriques de draps se sont accrues depuis quinze ans, c'est que nous pouvons les livrer à meilleur marché qu'en France. La France ne peut également pas entrer en concurrence avec nous pour les fers. Une population nombreuse qui se livrait à la coutellerie avant 1814 est aujourd'hui sans pain, elle reprendrait ses travaux. On exporte d'une superficie de deux lieues et demie sur trois quarts de lieue, 4000 bateaux dont la valeur s'élève à 8,000,000 de fr. ; si on pouvait diminuer le prix par la suppression de la douane, on en livrerait pour dix millions en France. La Hollande peut se fournir en Angleterre ; nous n'avons plus qu'un débouché, c'est la France. (J. B., 13 janv.)
- Il y a encore plusieurs orateurs inscrits. (U. B., 13 janv.)
Il est quatre heures et demie ; la séance est levée. (P. V.)