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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 27 avril 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Tack, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 952) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Bertrand demande que les douaniers soient dispensés des logements militaires. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi déterminant une sanction pénale pour l'obligation des logements militaires.


« Des marchands de bière et cabaretiers à Bruxelles et aux environs prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à l'accise sur la bière.

« Même demande de brasseurs dans le Limbourg, la Flandre occidentale et le Brabant. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre :

« 1° Un exemplaire du cahier contenant les circulaires de son département pendant l'année 1871 ;

« 2° Un exemplaire du deuxième cahier du sixième volume des procès-verbaux des séances de la commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de la Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Sainctelette, retenu par une indisposition, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice

Rapport de la commission

M. Van Overloop. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires aux budgets du ministère de la justice des exercices 1871 et 1872.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué, je propose de porter le projet qu'il concerne à l'ordre du jour avant le projet relatif aux servitudes militaires.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Je pense qu'il y aura lieu également d'intercaler dans l'ordre du jour, après le projet de loi concernant l'autorisation demandée par le gouvernement de vendre de la main à la main les terrains à bâtir appartenant au domaine, les deux projets de loi allouant l'un un crédit spécial au département de la justice et l'autre des crédits supplémentaires au département des finances. Ces projets ont été placés par erreur, dans la séance d'hier, à la fin de l'ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances

Rapport de la section centrale

M. Vermeire. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet qui ouvre un crédit supplémentaire au ministère des finances.

M. le président. - Ce rapport sera également imprimé et distribué et je propose de porter le projet qu'il concerne à l'ordre du jour après le projet de crédit supplémentaire au ministère de la justice.

- Cette, proposition est adoptée.

Projet de loi prorogeant la durée de la Banque Nationale

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. Demeur.

M. Demeur. - Je n'abuserai pas de la bienveillante attention que la Chambre a bien voulu m'accorder jusqu'à présent ; je serai bref.

Hier, j'ai signalé la divergence qui existe entre l'intérêt de l'actionnaire de la Banque et l'intérêt du public, des industriels et des commerçants qui sont en rapport avec la Banque et qui donnent valeur à ses billets en les acceptant comme monnaie. Cet état de choses acquiert chaque jour plus d'importance, à raison du développement même de la Banque Nationale.

On peut dire qu'aujourd'hui cette institution constitue un véritable pouvoir dans notre pays. L'année dernière, la Banque a escompté pour 1,500,000,000 de francs ; elle possède, indépendamment de son établissement à Bruxelles et de sa succursale à Anvers, trente comptoirs. C'est elle qui est maîtresse du crédit sur toute la surface de notre pays. La concurrence contre elle est impossible. Dépendent d'elle non seulement les commerçants et les industriels, mais encore les intermédiaires du crédit. Vous ne l'ignorez pas : pour l'industriel, pour le commerçant, le crédit, c'est la fortune, c'est souvent l'honneur. La puissance de la Banque ne fera que grandir par suite du développement même des affaires commerciales dans le pays, et nul ne peut en fixer la limite. Dans cet état de choses, n'avons-nous pas à nous demander si les garanties qui existent aujourd'hui contre les abus du pouvoir de la Banque sont suffisants ?

Quelles sont ces garanties ?

A côté de la Banque, il y a un commissaire du gouvernement. Mais il ne faut pas s'y tromper : le commissaire du gouvernement n'a rien à dire à la Banque. Il a le droit d'assister aux délibérations ; il a le droit de prendre connaissance des écritures, mais il ne peut aller au delà d'une simple (page 953) vérification. Evidemment, ce n'est pas son intervention qui peut être une sauvegarde.

Le gouverneur de la Banque est nommé par le Roi ; c’est une garantie ; mais le conseil d'administration se compose de sept membres et les six directeurs, qui forment une énorme majorité, sont élus par les actionnaires.

Enfin, la loi du 5 mai 1850 dispose que le gouvernement peut s'opposer à l'exécution de toute mesure qui serait contraire soit à la loi, soit aux statuts, soit aux intérêts de l'Etat.

Cette garantie est évidemment suffisante lorsqu'il s'agit des matières d'ordre public, lorsqu'il s'agit de l'intérêt de l'Etat ; mais, remarquez-le, messieurs, cette disposition ne donne aucun droit au gouvernement en ce qui concerne les intérêts du public, en ce qui concerne les intérêts privés dans leurs rapports avec la Banque. En cas d'abus de la part de la Banque, dans ses rapports avec l'intérêt privé, quelle sauvegarde, quelles garanties y a-t-il pour le public ? Qu'on me les indique. Je n'en connais aucune.

Cependant, messieurs, contre les abus possibles de tous les pouvoirs, quels qu'ils soient, on a institué des garanties : il y a des garanties contre les abus même du pouvoir législatif ; il y a des garanties contre les abus du pouvoir judiciaire ; il y a des garanties contre les abus du pouvoir exécutif. Il n'y a pas de garanties au profit du particulier contre les abus du pouvoir de la Banque.

Le projet de loi apporte-t-il quelque modification à cette situation ? M. le ministre des finances paraît s'être préoccupé uniquement des intérêts du trésor public dans les changements qu'il propose. A ce point de vue, nul ne peut le méconnaître, d'importantes modifications sont consacrées par le projet qui nous est soumis.

En ce qui concerne 1a garantie pour les intérêts privés, je n'en vois qu'une seule dans le projet, c'est celle qui résulte de la disposition qui attribue au trésor public les sommes provenant de l'escompte de la Banque, au delà de 5 p. c.

C'est là une garantie, et on ne pourra évidemment soutenir que la Banque élève, à tort, son escompte lorsqu'elle relèvera au-dessus de 5 p. c., puisque, à ce taux, elle est dépourvue de tout intérêt.

Mais il ne faut pas s'exagérer l'importance de cette disposition.

Le taux de 5 p. c. pour l'escompte de la Banque est un chiffre très élevé. Le taux de l'escompte est alors chez les banquiers de 6, 7 et 8 p.c. et nous savons que le nombre des négociants en rapport direct avec la Banque pour l'escompte est très restreint.

Quoi qu'il en soit, l'exposé des motifs constate que les sommes perçues du chef d'escompte au-dessus de 5 p. c. n'a pas dépassé, en moyenne, 180,000 francs par an depuis dix ans.

En supposant que la Banque n'escompte plus au delà du taux de 5 p. c, ce serait donc un bénéfice de 180,000 francs pour l'universalité des clients de la Banque.

Mais, dans les limites de 5 p. c, la Banque est omnipotente.

Je veux prendre un exemple.

Supposons qu'elle escompte à 4 p. c. et que, dans le fait, l'état du marché soit tel, que raisonnablement elle pourrait fixer l'escompte à 3 1/2 p. c.

Sous le régime de la libre concurrence, il y a des garanties contre des excès de ce genre. Il y a la concurrence elle-même. Mais ici, quelle garantie avez-vous ?

J'entends dire à mes côtés : Il y a encore concurrence. Mais où est-elle la concurrence ? N'est-il pas vrai que, dans tout le pays, par la force même des choses, par le fait même de la situation privilégiée de la Banque, les banquiers qui escomptaient autrefois avec leurs propres ressources ou avec les ressources de leur clientèle ont disparu et qu'il n'y a plus d'autres banquiers que ceux qui réescomptent à la Banque Nationale, et qui, par conséquent, ne peuvent pas lui faire la concurrence ?

Pour que la concurrence puisse exister, il faut qu'on puisse lutter à armes égales. La Banque Nationale n'est-elle pas armée au point de vue du taux de l'escompte mieux que qui que ce soit ? N'a-t-elle pas à sa disposition le produit de l'émission ?

Je ne comprends donc pas en vérité qu'il puisse venir à l'idée de qui que ce soit de dire que la libre concurrence existe en matière d'escompte en Belgique.

A mon avis, le projet de loi, sous certains rapports, aggrave même la situation. Il augmente incontestablement la puissance de la Banque et il augmente son indépendance vis-à-vis de l'Etat. Il augmente sa puissance, cela n'est pas douteux puisqu'il double son capital propre.

J'approuve l'augmentation du capital dans les termes que j'ai énoncés hier ; je trouve même, si l'interprétation que j'ai donnée à l'article 4 du projet est exacte, que cette augmentation n'est pas suffisante ; mais je constate ce résultat que la puissance de la Banque en recevra une augmentation considérable.

D'un autre côté, quel sera l'effet de la disposition d'après laquelle une portion notable de l'encaisse du trésor, employé aujourd'hui par la Banque dans ses opérations, sera distraite de ces opérations et placée pour compte de l'Etat en valeurs commerciales ? Ce sera de diminuer considérablement la dépendance dans laquelle la Banque s'est trouvée jusqu'à ce jour vis-à-'vis de l'Etat.

En droit, la Banque est indépendante de l'Etat ; mais, en fait, depuis qu'elle existe, la présence dans ses caisses de sommes considérables appartenant au trésor public n'était pas sans donner au ministre des finances une autorité considérable sur la Banque. La Banque a, aujourd'hui, pour le ministre des finances, pour le gouvernement, le respect, les égards que l'on doit avoir pour un créancier de 70,000,000 de francs, ; et assurément les choses ne se seraient pas passées en 1870 comme elles se sont passées si le ministre des finances n'avait pas eu alors, dans les caisses de la Banque, une somme de 88,000,000 de francs.

Désormais cette situation sera modifiée par une disposition dont j'adopte le principe, mais dont je constate les conséquences. C'est un fait qu'à l'avenir la Banque n'aura plus aux fonctions de caissier de l'Etat les avantages qu'elle a aujourd'hui, que son indépendance, par conséquent, en sera considérablement augmentée et que cette sorte de garantie de fait qui existait viendra à disparaître.

Messieurs, cette divergence entre l'intérêt de ceux qui apportent le capital de la Banque et l'intérêt de ses clients, du public, cette divergence n'existe pas dans toutes les institutions de crédit. Nous avons des institutions de crédit où l'intérêt des actionnaires se confond merveilleusement avec l'intérêt des clients, des institutions dans lesquelles l'actionnaire est lui-même le client. Les Unions du Crédit, qui ont commencé à s'introduire en 1848, qui ont pris et prennent chaque jour des développements, les Unions du Crédit réalisent une combinaison qui, à ce point de vue, ne présente pas les inconvénients de la Banque Nationale.. Ces institutions ont pour but de faire l'escompte aux négociants et aux industriels qui sont associés, qui versent une partie du capital social, qui garantissent le reste et qui nomment eux-mêmes l'administration.

Cette idée a déjà été appliquée, dans des conditions analogues, à une institution très importante due à l'initiative de l'honorable M. Frère, le Crédit communal.

Eh bien, dans ma pensée, l'avenir en matière de banques, quelles qu'elles soient, appartient à ce genre d'institutions, et je vois le jour où les Unions du Crédit s'étant développées en Belgique, leur fédération pourra former le capital de la Banque et, sinon former son administration, au moins, y intervenir.

Alors le conflit que je signalais tout à l'heure n'existe plus.

Ce ne sont plus les actionnaires qui ont un intérêt à faire prévaloir contre l'intérêt du commerce et de l'industrie, c'est le commerce et l'industrie eux-mêmes qui administrent la banque, qui veillent à leurs propres intérêts.

Nous n'en sommes pas encore là. Je ne pense pas que les Unions du Crédit aient pris jusqu'à ce jour des développements suffisants pour que ce but puisse été réalisé.

Mais, je le répète, c'est à elles qu'appartient l'avenir.

Elles ne sont, du reste, que l'application à nos institutions financières des règles que nous avons consacrées en politique.

Dans le domaine politique, tous les pouvoirs émanent de la nation. Il doit en être de même dans les institutions du crédit ; le pouvoir doit y émaner du monde commercial et industriel.

Si cette solution n'est pas aujourd'hui réalisable, s'ensuit-il qu'il n’y a rien à faire ? L'honorable M. de Lhoneux, dans la séance dîner, a indiqué un moyen de donner des garanties au public ; il a parlé de la nomination des censeurs par la Chambre.

Le gouvernement ne peut-il en proposer d'autres ?

La nation devra-t-elle, pendant trente ans, rester en présence du monopole, sans avoir, contre ses abus, même éventuels, des garanties sérieuses ?

Quant à moi, si satisfaction ne nous était donnée sous ce rapport, je ne pourrais voter le projet de loi.

Dans tous les cas, il y a une disposition du projet de loi qui semble devoir nécessairement être modifiée ; je veux parler de la durée de la (page 954) prorogation du privilège de la Banque Nationale, fixée, par un des paragraphes de l'article premier, à trente ans. J'ai développé dans la séance d'hier les motifs qui me font croire que ce terme de trente ans n'est pas nécessaire, qu'il est dangereux. Je ne veux pas revenir sur ces motifs ; mais je me réserve de présenter un amendement à cette disposition du projet de loi.

M. Boucquéau. - Je désire commencer par une rectification.

Lorsque avant-hier, pendant que l'honorable M. Frère parlait, je fis cette interruption : « Pourquoi donc certains journaux ont-ils changé d'opinion depuis deux ans ? » Je n'ai pas bien saisi la réponse qui me fut faite, mais il me semble cependant qu'elle notait pas précisément conforme à ce que rapportent les Annales. Je la rétablis donc d'après la sténographie :

« M. Frère. - Je n'en sais rien. Vous avez beaucoup plus de relations que moi avec les journaux. Vous devriez donc le savoir. »

L’honorable M. Frère appréciera que je ne pouvais rester sous le coup d'un soupçon d'inexactitude.

Quant au surplus, bien que des relations avec les journaux n'aient en elles-mêmes rien dont on doive se défendre, je déclare que je n'ai jamais eu aucune relation avec un journal politique et que, quant aux journaux économiques, la seule communication que je leur ai faite spontanément, c'est une lettre qu'a reproduite le Moniteur des intérêts matériels du 15 janvier 1865 ; tout ce que j'ai pu leur adresser en dehors de cela, ce fut à leur demande ou sous leur provocation.

De toutes les questions qui peuvent vous être soumises, il n'en est pas, dans l'ordre matériel, de plus importante que celle que nous sommes appelés à discuter en ce moment. Et si je dis dans l'ordre matériel, c'est pour ne heurter d'abord aucune conviction, aucune croyance, car je pense, quant à moi, que l'homme est assujetti à des exigences, à des besoins matériels qui s'imposent et doivent être satisfaits avant qu'il puisse s'occuper d'améliorer son être moral.

La première nécessité est de vivre et si la production, dans laquelle le capital joue un si grand rôle, n'était pas facilitée et garantie par l'organisation sociale, l'homme, obligé de chercher la satisfaction de ses besoins de chaque jour, se ravalerait bientôt vers la brute.

Accroître la production et la garantir, augmenter les facilités de satisfaire aux exigences de la vie matérielle, c'est donc faciliter le progrès moral de l'homme. A ce titre, et considérée de ce point de vue, la question qui nous est posée apparaît dans toute son importance et nul homme digne de siéger dans une assemblée législative ne peut lui refuser une scrupuleuse attention.

Nous le savons tous, messieurs, la question qui depuis bientôt un demi-siècle appelle surtout l'attention de tous ceux qui s'occupent des problèmes de la vie sociale est celle de ces plaintes incessantes du travail contre le capital, de l'intelligence qui se prétend asservie à la matière.

L'agitation qui en résulte doit-elle être exclusivement attribuée à des passions mauvaises, à des ambitions qui cherchent à égarer les classes les moins éclairées pour s'en faire un point d'appui, et ne rêvent rien moins qu'un bouleversement social ? Sans doute ces éléments ont une large part dans cette agitation ; ils cherchent surtout à lui donner un corps, à l'organiser, à lui créer des ramifications nombreuses fonctionnant avec ensemble, à en faire une puissance assez forte enfin pour modifier l'organisation sociale actuelle.

Mais croit-on que cette agitation pourrait aller s'étendant et se fortifiant sans cesse si elle ne s'appuyait sur des souffrances réelles ?

Non, messieurs, ces souffrances existent et nous devons, nous qui sommes chargés de l'intérêt général, en chercher sérieusement le remède si nous ne voulons que ceux qui les éprouvent se jettent dans les bras d'audacieux charlatans, car, vous le savez, il est facile d'égarer ceux qui souffrent. Il nous est donné aujourd'hui de chercher ce remède, mais, pouvons-nous espérer le trouver, si nous n'avons auparavant sondé la profondeur du mal ?

L'honorable M. Pirmez, dans son rapport semble croire que lorsque la Banque escompte les valeurs commerciales, que lorsqu'elle donne par sa prudence une sécurité complète à la monnaie fiduciaire, dont l'émission lui est octroyée, elle a produit tout le bien qu'on peut attendre d'elle, et constatant l'accord qui existe sur ce point entre les chefs des deux grandes opinions qui partagent le pays, il semble ne point douter que l'on ne soit arrivé à une solution qui ne laisse rien à désirer. Nul plus que moi n'admire les facultés éminentes qui distinguent MM. Frère et Malou ; mais je ne puis cependant m'incliner devant la solution qui nous est proposée, fût-elle même le résultat d'un complet accord entre ces hommes éminents.

Ils n'ont pas été en position, en effet, d'étudier cette question sous ses aspects les plus importants. Nous le savions tous, messieurs, et l'honorable M. Frère, d'ailleurs, en est convenu dans un discours que chacun de nous connaît sans doute, la fortune lui a souri tout au début de sa carrière et nul concours qu'il a pu désirer ne lui a fait défaut ; d'un autre côté, il y a quelques mois à peine, alors qu'il venait d'abandonner les affaires pour payer dans une plus large mesure sa dette à la vie publique, l'honorable M. Malou s'honorait à juste titre devant ses électeurs d'une carrière qui a présenté l'image constante du travail fécondant le capital ; ni l'un ni l'autre donc n'ont éprouvé cette passion du travail se consumant impuissante faute du capital, de la matière sur laquelle elle puisse s'exercer ; tous deux ils sont incompétents dans une certaine mesure, car ils n'ont point souffert.

Peut-être les circonstances moins propices m'ont-elles donné d'étudier plus profondément le problème ; peut-être les difficultés avec lesquelles j'ai été aux prises et sous lesquelles j'ai failli succomber, pour avoir voulu m'affranchir de la tyrannie du capital, m’ont-elles amené à étudier de plus près les vices de l'organisation financière et leurs conséquences funestes pour la sécurité du travail et le développement de la production.

Eh bien, messieurs, c'est grâce à cette expérience que je ne puis partager la satisfaction de l'honorable rapporteur de la section centrale sur l'ensemble de l'œuvre que l'on nous offre ; je crois que l'on n'y a pas tenu compte des enseignements si considérables qui nous ont été donnés dans ces dernières années ; car, tandis que ce siècle a vu des sciences très importantes entièrement transformées, la plus importante et cependant la plus simple de toutes semblerait, s| l'on en juge par le projet qui nous est soumis, n'avoir réalisé que bien peu de progrès, et perdre de vue même le but qu'elle doit poursuivre.

Grâce aux progrès réalisés dans d'autres sciences, le XIXème siècle offre, si on le compare aux siècles précédents, un développement rapide de la richesse, mais ce développement s'activerait bien davantage, le progrès marcherait bien plus rapidement encore, s'ils n'étaient enrayés par un mécanisme financier vicieux.

Pour apprécier ce que devrait être ce mécanisme, nous devons, messieurs, nous mettre bien d'accord sur le but à poursuivre, sur le résultat à obtenir.

C'est ce but qu'il s'agit de bien déterminer, si nous ne voulons que notre discussion tombe dans une confusion complète.

Ce but, je le déclare sans craindre de contradiction, c'est d'abaisser et de régulariser le plus possible le cours de l'argent.

On ne s'en douterait guère à la lecture du rapport de l'honorable M. Pirmez, mais son autorité sera peut-être contrebalancée dans votre esprit par celle d'hommes qui, comme Turgot, comme Jacques Lafitte, ont allié à des capacités financières incontestées ce dévouement profond au bonheur de l'humanité, sans lequel il n'est point de véritable économiste.

Chacun d'entre vous, messieurs, connaît cette magnifique image de Turgot qui, comparant l'élévation de l'intérêt de l'argent au niveau de la mer, nous montre de nouvelles terres livrées au travail et à la production à mesure que ce niveau s'abaisse. C'est l'abondance des capitaux, dit-il en conclusion, qui anime toutes les entreprises, et le bas intérêt de l'argent est tout à la fois l'effet et l'indice de l'abondance des capitaux.

Jacques Lafitte, dans une brochure remarquable, publiée en 1824, exprime la même idée : « Je suis profondément persuadé, dit-il, que l'un des plus grands progrès à procurer à un pays, c'est de réduire le taux de l'intérêt. Sans doute, il diminue bien de lui-même, mais il faut des déclarations précises, solennelles, pour entraîner sa réduction là où elle est arriérée. Et le gouvernement, qui est un des plus grands consommateurs de capitaux, annonçant qu'il réduisait leur prix d'un cinquième, entraînait cette réduction par sa puissante concurrence ; son exemple était irrésistible, et devait accélérer encore le mouvement qui nous entraîne vers la prospérité, la civilisation et le genre de liberté promis désormais à tous les peuples. »

J'ai cité tout ce passage bien que la première phrase suffise pour confirmer ce que j'ai dit sur la réduction du taux de l'intérêt ; mais je ne tenais pas moins à rapporter ce qu'il ajoute sur la nécessité de déclarations précises, solennelles faisant connaître le taux de l'argent. Et je vous fais remarquer, à l'appui de ce que j'aurai à vous démontrer par la suite, que rien ne peut être plus précis ni plus solennel qu'une indication fournie par un mécanisme d'une sensibilité extrême fonctionnant sous l'influence de l'offre et de la demande générale et constatant ainsi avec une justesse incontestable l'état du marché des capitaux.

Je pourrais citer encore d'autres autorités à l'appui de la même opinion. C'est ainsi qu'une brochure, publiée par M. Isaac Pereire et à laquelle M. Michel Chevalier, dit-on, n'est point resté étranger, représente (page 955) l'augmentation de l’intérêt comme un tribut prélevé sur le travail et ajoute qu’il n’y a de prospérité dans l’industrie que lorsque l’intérêt est peu élevé.

Il résulte évidemment de ces citations que dans l’opinion de leurs auteurs, il faut qu'à la réduction du taux de l'intérêt se joigne la régularité de ce taux. Turgot n'eût point conseillé certainement la culture de terres, qui découvertes aujourd’hui par la mer, pouvaient être recouvertes le lendemain ; toutefois je e crois pas inutile de signaler cette conclusion naturelle des passages cités, car l’honorable M. Pirmez me paraît trop enclin à admettre comme inévitables des variations du taux d’escompte auxquelles il faut se résigner si, comme il le dit, elles sont inévitables, mais auxquelles, on le reconnaît, et c’est sur ce point que j’insiste, il serait désirable que l’on pût remédier.

Il y a quelques années déjà, en 1864, alors que régnait une crise intense et prolongée, source de souffrances et de désastres, et par laquelle j'étais tout particulièrement éprouvé, ma pensée revenait sans cesse sur la position faite au travailleur obligé de recourir au crédit, par l'instabilité même des conditions dans lesquelles le crédit peut s'obtenir. La plupart des grandes entreprises sont des entreprises de longue haleine pour lesquelles l'obtention de capitaux à long terme est nécessaire.

Eh bien, cette obtention de capitaux à long terme est en quelque sorte impossible à cause de l'incertitude et de la fluctuation constante du taux de l'argent, qui a pour point de départ les variations fréquentes et considérables du taux d'escompte de la Banque.

Je ne pouvais détourner ma pensée de deux considérations très graves, militant en sens contraire :

D'une part, la limitation légale de l'intérêt de l'argent, limitation qui, à moins de rendre le prêt obligatoire au maximum fixé, ce qui est une absurdité, ne pouvait être maintenue, parce que, en présence de nécessités impérieuses d'argent, on peut considérer cette limitation comme contraire à la première de toutes les lois : celle de la conservation personnelle. Comment voudrait-on, par exemple, que l'homme dont la ruine peut dépendre du non-paiement d'un effet qu'il aurait souscrit, se résignât à cette ruine parce qu'il ne pourrait emprunter à un taux déterminé ? Et s'il y a pour lui nécessité d'emprunter, n'importe à quel taux, la loi, à moins d'y parer elle-même, peut-elle, sans heurter la première des lois, interdire le prêt à ce taux ?

D'un autre côté, les abus qui, à défaut de fixation de la véritable valeur de l'argent, ne manqueraient pas de renaître, en raison même de ces nécessités impérieuses d'argent qui mettent l'emprunteur à la merci du prêteur et dont Jules Liégeois, dans son Essai sur l'histoire et la législation de l'usure, a tracé ce tableau saisissant : « Pour constater la triste position des emprunteurs, dit-il, les Pères de l'Eglise n'avaient qu'à jeter les yeux autour d'eux : au milieu de cette chute immense de l'empire romain par laquelle la Providence préparait l'avènement de la civilisation moderne, la désorganisation sociale, l'abandon du commerce et de l'industrie, l'insécurité des routes et des mers, l'inégalité de jour en jour plus choquante de la répartition des richesses, l'impuissance ou le mépris des lois, enfin, la dégradation des mœurs avaient contribué à étendre, sur la face de l'empire, la lèpre d'une misère incommensurable, d'un paupérisme toujours croissant. Il n'y avait pas, pour ainsi dire, de prêt ayant pour objet un emploi fructueux des capitaux : on ne faisait guère de prêts que pour fournir au malheureux le pain du jour en lui arrachant celui du lendemain. Dans de semblables conditions économiques, l'usure devait prendre et elle prit, en effet, des proportions qui attirèrent sur elle les anathèmes des Pères de l'Eglise. »

L'abolition nécessaire du maximum légal de l'intérêt de l'argent me paraissait, à défaut d'un moyen d'en déterminer la véritable valeur, devoir ramener des abus du même ordre et c'est alors qu'après y avoir réfléchi pendant plus de six mois et consulté à ce sujet la plupart des hommes compétents que je connaissais, je crus avoir trouvé la solution dans le réescompte du portefeuille de la Banque Nationale, dont une lettre publiée par le Moniteur des intérêts matériels du 17 janvier 1865, expose l'idée en ces termes :

« Les variations de l'escompte, pendant les deux années qui viennent de s'écouler, sa grande élévation pendant le second semestre de 1864, ont causé de profondes souffrances et de nombreux désastres.

« … Convaincu, pour ma part, que l'argent se cache bien plus qu'il ne s'exporte ou ne marque réellement, et que c'est surtout à la méfiance que tient le haut prix de location des capitaux, je me suis demandé si, en faisant disparaître cette méfiance en donnant toute sécurité aux capitaux, on ne remédierait pas, en partie du moins, aux maux signalés.

« Partant de là, ne pourrait-on, tout en maintenant leur organisation actuelle sur les autres points, imposer aux Banques Nationales l'obligation de réescompter à bureau ouvert, avec un écart fixe, leur laissant un bénéfice équitable, le papier qu’elles ont en portefeuille ?

« Toute personne ayant un capital disponible pourrait prendre à la Banque des valeurs de portefeuille à telle date et de telle importance qu'il lui conviendrait. Ces valeurs lui seraient remises avec bonification d'un intérêt inférieur d'une quotité fixe à l'escompte actuel de la Banque elle-même. Ainsi, en supposant que cet écart fût de 1 p. c, l'escompte étant 6 p. c, le réescompte devrait se faire à 5. Au fur et à mesure que les banques élèveraient leur escompte pour prévenir l'épuisement de leurs caisses, les fonds improductifs, attirés par un intérêt de plus en plus élevé, viendraient s'offrir en échange de leur portefeuille. Ce papier remis dans la circulation offrirait les avantages d'une sécurité complète due à l'endos des banques, aux signatures qui y seraient jointes, à l'impossibilité absolue de vol ou de falsification.

« Emploi utile de capitaux souvent improductifs, reconstitution continuelle de l'encaisse des banques, multiplication de leurs opérations et de leurs bénéfices sans que le public puisse s'en plaindre, tels seraient, croyons-nous, les avantages de la mesure que nous proposons.

« Jouissant du privilège d'émettre la monnaie fiduciaire qui supplée à l'insuffisance de la monnaie métallique, mais intermédiaires obligés, permanents, fidèles et parfaitement solvables et responsables entre l'offre et la demande des capitaux, les Banques pourraient alors à juste titre être appelées : « Banques Nationales. »

La question ainsi posée est certainement bien simple et il est facile d'en apprécier les conséquences ; je vais néanmoins, par des chiffres, la rendre plus saisissable encore.

La Banque, d'après ses statuts, doit avoir en caisse une somme métallique égale, en règle générale, au tiers de ses billets en circulation et qui ne peut qu'exceptionnellement descendre en dessous de cette proportion, sans pouvoir être inférieure au quart.

Supposons donc que la Banque ait 100 millions de numéraire en caisse et des lettres de change achetées au moyen de 300 millions de billets de banque. Cette proportion de 100 millions espèces et de 300 millions billets mis dans la circulation ne pouvant être dépassée qu'exceptionnellement, la Banque, pour qu'on lui apporte moins de nouvelles lettres de change' à escompter, contre lesquelles elle devrait donner de nouveaux billets, va élever son escompte et refuser même des valeurs qu'elle eût acceptées en d'autres circonstances.

Elle va ainsi infliger des pertes à ceux dont elle escompte les valeurs et qui avaient compté sur un taux plus bas et mettre peut-être dans de sérieux embarras ceux dont elle aura refusé le papier. Si elle pratiquait le réescompte de son portefeuille, au contraire, et qu'elle fût obligée d'en céder les valeurs avec un écart quelconque, en sa faveur, de son taux d'escompte, sa position serait toute différente.

Supposons, en effet, qu'on lui achète pour cinquante millions de ces valeurs, ces cinquante millions d'effets qu'elle aurait cédés lui seraient payés soit en billets de banque, soit en espèces. Admettons, comme étant le moins favorable à notre idée, que le payement ait lieu en billets, ce sera donc cinquante millions dont sa circulation fiduciaire sera diminuée ; elle aura alors en caisse cent millions d'espèces et deux cent cinquante millions de circulation ; tout en réalisant un bénéfice, elle se sera maintenue dans une position normale et, de manière à pouvoir continuer ses opérations sans faire souffrir qui que ce soit et même en rendant un nouveau service par la facilité offerte à chacun d'un placement sûr et lucratif de ses fonds tout en en conservant même la disponibilité, de manière à pouvoir faire face aux besoins les plus subits.

Ceci n'a pas besoin d'explication pour quiconque est tant soit peu initié aux affaires de banque. En temps normal, pour un particulier, un bon portefeuille, c'est de l'argent et en temps de crise une valeur portant l'endos de la Banque offre même une sécurité plus grande que le billet de banque, sécurité due aux bonnes signatures qui précèdent celle de la Banque et à l'impossibilité du vol ou de la falsification.

A ces avantages s'ajoutant celui d'une production d'intérêts, nul doute qu'en temps normal ou en temps de crise le public n'aille au réescompte. Si l'on en venait même à devoir recourir au cours forcé du billet de banque, le réescompte n'en fonctionnerait que plus activement, à ce point que l'on peut dire qu'il rend en quelque sorte impossible le retour du cours forcé.

Je dois me hâter, messieurs, d'écarter une objection de détail, sans importance réelle, que la Banque de France elle-même a été réduite à invoquer devant le conseil supérieur chargé en 1865 par le gouvernement français d’une « enquête sur les principes et les faits généraux qui régissent la circulation monétaire et fiduciaire, » objection qui prouve, avec les objections qu'y a jointes M. De Lavenay, commissaire général de l'enquête, qu'il n'y a rien de sérieux à objecter au réescompte.

(page 956) Nous lisons, en effet, dans le rapport de M. De Lavenay, sixième volume, page 61, de l’enquête précitée :

« Par le réescompte, on méconnaît l’obligation morale dans laquelle la Banque pense être vis-à-vis des commerçants, de garder scrupuleusement dans son portefeuille le secret de leur opérations. »

Je m'arrête pour le moment à cette objection, parce qu'elle m'a été reproduite sincèrement, et sans parti pris en faveur de la Banque. Quant à la Banque elle-même, je prouverai, je l'espère, par l'examen simultané de ses divers objections, que ce n’est pas sincèrement qu’elle les a produites, et que par conséquent l'intérêt dont elle se préoccupe le moins est précisément celui en vue duquel elle est instituée.

Quant à l'objection en elle-même qu'il ne convient pas qu'une lettre de change entrée dans le portefeuille de la Banque en sorte, elle est contraire à la nature même de la lettre de change qui, comme son nom l'indique, est faite pour circuler, pour s'échanger. Celui qui émet une lettre de change ayant une base réelle s'inquiète assez peu dans quelles mains elle passe ; il n'y a que pour les valeurs sans cause réelle émises pour se créer des ressources factices, connues généralement sous le nom de valeurs de circulation, que l'on peut craindre le réescompte, et celles-là il n'y a nul inconvénient à y mettre obstacle, puisque la Banque, en vertu de ses actes constitutifs, ne doit pas les admettre.

Permettez-moi de vous démontrer, par un exemple, que cette objection n'est qu'un vain prétexte.

Un maître de forges, propriétaire de laminoirs, mais n'ayant pas de haut fourneau, doit, pour se procurer la fonte brute, matière première de sa fabrication, s'adresser à d'autres établissements qui, pour la plupart, allient à la fabrication de la fonte celle du fer dont lui-même s'occupe. Comment leur règle-t-il la fonte qu'ils lui fournissent ? Mais généralement en traites sur ses clients qui pourraient être également les leurs et auprès de qui ils auraient intérêt à le supplanter.

Quand je remets à la société de Couillet une lettre de change que j'ai reçue de la compagnie belge de Matériel de chemin de fer d'un import quelconque, de 2,500 francs par exemple, quel parti pourra-t-elle en tirer, quel secret lui aurai-je livré et à quel propos la Banque de France voit-elle là matière à scrupule ?

L'honorable M. Pirmez a senti la faiblesse de l'argument et cherché à le renforcer, car il dit que la Banque préférerait remettre-des obligations à terme que de laisser « fouiller » dans son portefeuille. Mais qui donc a jamais parlé à propos du réescompte de laisser fouiller dans le portefeuille de la Banque ? Si j'ai parlé du réescompte du portefeuille, c’est parce que c'est l'idée simple, pratique, théorique, dans toute sa pureté, parce que c'est une opération qui se contrôle par elle-même, puisque la Banque ne peut réescompter que le papier qu'elle a, tandis que, sans surveillance, elle pourrait émettre des obligations à terme à l'infini ; parce que la lettre de change, en s'immobilisant dans le portefeuille d'une Banque d'Etat, perd son caractère de véhicule de la valeur et interrompt sans nulle raison les services qu'elle pourrait continuer à rendre.

Mais cette objection n'en est pas même une, ce n'est plus qu'une chicane, car il y a bien longtemps que j'ai fait observer que le réescompte pourrait être direct ou indirect et que le résultat à atteindre était de faire de la Banque l'intermédiaire entre l'offre et la demande des capitaux, tout en établissant un véritable marché régularisant autant que possible le cours de l'argent et permettant de mettre en valeur la quantité énorme de capitaux qui restent actuellement improductifs.

Telles étaient, en effet, les considérations exposées dans la lettre que j'ai eu l'honneur de vous lire. Que disais-je encore dans une nouvelle lettre que publiait le même journal dans son numéro du 7 novembre 1869 :

« Non, certainement, l'émission, ne fût-elle pas limitée par la loi, ne pourrait, sans le cours forcé, protéger l'encaisse. Et alors, c'est-à-dire quand l'émission est arrivée à son maximum, que doit faire la Banque ? Doit-elle, bien pourvue et satisfaite, augmenter le taux de son escompte, trier 1es bordereaux, repousser les signatures qu'elle acceptait auparavant et dont elle peut amener le discrédit, alors que, suivant mon système, rien ne lui est plus facile que d'équilibrer ses ressources avec les besoins de l'industrie et du commerce ?

« Comment peut-elle dire : Je ne veux plus de ce papier ; cet autre, je ne le veux plus qu'à un escompte très élevé parce que mon portefeuille regorge et que mon encaisse diminue ? Peut-elle le dire lorsque de nombreux détenteurs de capitaux ne demanderaient pas mieux que de les offrir en échange du portefeuille, de renouveler l’encaisse et de mettre ainsi la Banque en mesure de continuer ses opérations et les services qu'elle doit au public ?

« Eh quoi ! chargée d'alimenter le commerce et l'industrie, elle repousserait les ressources qu'on lui offre ! Chargée de nourrir une ville ou un pays, elle en détournerait les vivres et elle y entretiendrait la disette pour placer ses approvisionnements à un taux plus élevé !

« Le remède étant connu, le maintien d'un tel système serait impossible. »

« Et que notre contradicteur ne s'y trompe pas, qu'il ne voie pas seulement un mot là où il y a un principe. Ce que nous disons, c'est que le public seul peut satisfaire aux besoins du public, c'est que la masse des prêteurs peut seule satisfaire aux demandes de la masse des emprunteurs et que la Banque doit servir à tous d'intermédiaire, de trait d'union, si elle veut continuer à vivre.

« Qu'après cela, ce trait d'union s'établisse par le réescompte, par des prescriptions ou tort autre moyen équivalent, quant à la traduction de l'idée, cela importe peu. L'essentiel est que le principe, qui est l'utilisation et la disponibilité du capital, soit assuré, et que la nation, la masse, devienne son propre banquier par l'intermédiaire d'un établissement qui, privilégié, doit bien cela en retour du monopole de l'émission.

« Il y a plus d'un moyen, cela va sans dire, pour réaliser l'idée, comme il peut exister plusieurs chemins pour arriver au même but. Donc il y aurait peu d'utilité à s'étendre beaucoup sur les moyens indiqués par votre correspondant et dont il reconnaît lui-même le vice ou l'insuffisance.

« Il eût trouvé mieux peut-être, si, s'affranchissant de l'encombrement inutile des comptes courants, il s'était borné à faire délivrer par la Banque des promesses, transmissibles par endos, ou tout simplement des promesses an porteur, à échéance déterminée au gré du preneur, à qui l'escompte aurait été bonifié sur-le-champ. »

Je ne crois pas, messieurs, que j'eusse pu indiquer avec plus de précision le système d'obligations à terme que l'honorable M. Pirmez déclare bien supérieur au réescompte. C’est là, comme je l'ai dit, comme il l'a dit lui-même, une question de fond plutôt que de forme. Toutefois, lorsque des trois modes qu'il indique de recevoir des fonds à intérêt : le réescompte, les obligations à terme, les comptes courants, il dit que le réescompte est en pratique le plus compliqué, l'honorable rapporteur commet deux erreurs très graves : la première, c'est que réescompter une lettre de change n’est pas recevoir des capitaux à intérêt, mais vendre une créance à terme ; la seconde, c'est qu'il présente fort arbitrairement, comme plus compliqué que le compte courant et les obligations à terme, le réescompte à bureau ouvert, simple vente au comptant ou, comme on pourrait le dire, écus sur le sac, n'exigeant pour toute écriture que l'inscription de la somme reçue à côté du numéro de l'effet.

J'ai déjà dit que l'inconvénient reproché au réescompte de permettre de fouiller dans le portefeuille, de la Banque est une pure imagination de M. Pirmez ; l'idée d'y substituer les obligations à terme pour éviter cet inconvénient n'est pas moins originale.

Si la signature seule de la Banque suffit au preneur d'obligations à terme, pourquoi l'honorable rapporteur voudrait-il que pour le réescompte on fouillât dans son portefeuille ? Sa signature, suffisante sur des obligations à terme, ne le serait-elle plus lorsqu'on sait qu'elle est précédée encore au moins de deux autres signatures, que l'on doit présumer bonnes puisque la Banque les a acceptées comme telles ?

Et si les réescompteurs n'ont pas à se préoccuper des signatures jointes à celle de la Banque, quel autre motif pourraient-ils avoir de fouiller dans son portefeuille ?

L'importance approximative de la valeur étant indiquée, ainsi que son terme et son lieu de payement, n'eût-il pas aussi facile de satisfaire à ces conditions, grâce à un bon classement, que de trouver un mot dans le dictionnaire ?

Si, ainsi que je l'ai dit, je ne ferais aucune objection à la substitution d'obligations à terme au réescompte du portefeuille, bien que celui-ci soif plus logique et plus sûr, je ne puis, en aucune manière, admettre que le compte courant productif d'intérêts soit supérieur au réescompte ni même aux obligations à terme. Il va de soi, en effet, que lorsque je veux bien admettre les obligations à terme comme pouvant être substituées au réescompte, c'est qu’elles ne pourraient être émises qu'aux époques et pour des sommes correspondantes aux échéances du portefeuille. Les promesses émises par la Banque se trouvent ainsi garanties par les valeurs qu'elle a gardée dont l'encaissement est en quelque sorte affecté au payement des ses propres promesses. Si, moyennant toutes ces conditions, les obligations à terme peuvent suppléer au réescompte, il n'en est plus de même quant au compte courant productif d'intérêts.

Dans le réescompte, la Banque ne devra, en effet, recevoir d'argent que si elle a des lettres de change à céder en retour. L'argent qu'elle recevra ainsi d'un membre du public ne sera en quelque sorte que le remboursement de l'avance qu'elle aura faite elle-même auparavant à un autre membre du public, de telle sorte qu'elle-même ne se trouvera jamais (page 957) engagée malgré elle ; seulement, lorsque, au moyen de l'émission du capital fictif qu'on lui a donné le droit de créer dans l'intérêt de la masse, elle aura fait une opération d'escompte, elle sera tenue de la céder, tout en conservant un certain bénéfice pour son opération, au capital réel qui viendrait réclamer cet emploi.

Et ce serait justice, car quoi que l'on dise des services de la monnaie de banque dont je m'occuperai plus tard, il est incontestable qu'elle n'a pas été créée pour supplanter et rendre stériles les capitaux réels, mais pour y suppléer et faciliter les affaires par un capital additionnel et fictif qui ne coûte rien et dont la création deviendrait une injustice s'il pouvait, en quoi que ce soit, réclamer la priorité sur les capitaux réels. La répulsion que nous éprouvons pour le cours forcé, l'obligation du remboursement à vue ne sont que des conséquences de ce principe que la circulation de l'émission ne peut s'imposer, qu'elle n'est qu'une faculté. A plus forte raison l'émission ne peut-elle prétendre à la priorité sur les capitaux réels.

Ni pour la Banque elle-même, si elle veut y apporter toutes les facilités possibles, ni pour le public, le compte courant à intérêt ne vaut le réescompte, à moins d'y attacher des conditions qui sont les conséquences toutes naturelles du réescompte, tandis que, n'étant nullement de l'essence du compte courant, elles devraient faire l'objet d'une foule de réglementations et de stipulations formelles.

La Banque ne pourrait, sans marcher à une ruine certaine, recevoir des fonds en compte courant lorsqu'elle n'en aurait pas l'emploi ; il n'en faudrait pas moins une stipulation formelle pour régler ce point, tandis que toute stipulation semblable est inutile quant au réescompte, la Banque ne pouvant vendre que ce qu'elle possède.

Dans le réescompte, l'agent de circulation est tout trouvé, c'est la lettre de change réescomptée qui continue son rôle jusqu'à échéance, et qui, revêtue de la signature bien connue de la Banque, circulera avec une facilité nouvelle, le plus souvent sans nécessiter aucune écriture, mais par la simple tradition de la main à la main.

En sera-t-il de même pour le titulaire d'un compte courant, sera-t-il écrit sur sa figure que son compte courant est créditeur ou même qu'il a un compte courant ? Qui voudra recevoir comme monnaie un chèque, si ce n'est d'une personne dont la solvabilité lui soit parfaitement connue ?

Mais infériorité bien plus grave du système du compte courant et par laquelle, en bonne logique, j'aurais dû commencer.

On ne demanderait certainement de compte courant à la Banque que pour des dépôts de quelque importance et d'une certaine durée. Le réescompte, au contraire, qui ne demande aucune écriture, qui se pratiquerait absolument comme l'achat au comptant d'un objet quelconque, permettrait l'emploi de toute somme si minime et à échéance si rapprochée que ce soit, car on sait que la Banque n'a pas de minimum pour ses effets et qu'elle a des valeurs à échéance de chaque jour. Le réescompte serait donc bien plus puissant que le compte courant, car il s'adresse à toutes les bourses et c'est en réalité par la réunion des petites épargnes que l'on forme les plus gros capitaux.

Est-ce bien sérieusement que l'honorable M. Pirmez représente le réescompte comme étant plus compliqué que le compte courant productif d'intérêts ? Vous allez en juger. Supposons que vous ayez une somme disponible, 10,000 francs, dont vous désirez immédiatement tirer quelque profit. Vous passez à la Banque ; en échange de cette somme, vous prenez des effets à terme qui vous sont remis pour leur valeur nominale, diminuée de l'escompte jusqu'à leur échéance. L'opération est terminée ; vous n'avez pas plus à vous occuper désormais de la Banque que la Banque n'aura à s'occuper de vous ; si, au contraire, vos 10,000 francs sont placés en compte courant, il faudra, lors du retrait de vos fonds, faire un compte d'intérêts, qui peut être très compliqué si, comme de raison, il varie en même temps que l'escompte de la Banque qui, dans l'intervalle, aura pu avoir des fluctuations nombreuses.

Ainsi donc, ni sous le rapport de la sécurité de la marche de la Banque, ni sous le rapport des facilités offertes au public, ni sous le rapport de la puissance de production par la mise en valeur des sommes les plus minimes comme les plus fortes, le compte courant productif d'intérêts ne vaut le réescompte. Du reste, l'honorable M. Pirmez, comme j'aurai l'occasion de le démontrer, a une manière très commode d'argumenter.

Il s'en prend à une absurdité qu'il proclame supérieure à tout ce qu'on peut lui opposer de plus rationnel, démontre que cependant ce n'est qu'une absurdité et que par conséquent il n'est pas nécessaire de discuter le reste. Ce procédé se retrouve à chaque instant dans son rapport. C'est ainsi que, pour combattre la pluralité des banques, il suppose ces banques émettant des billets différents, comme si la pluralité des banques ne pouvait se combiner avec une émission unique, créée par l'Etat et qui serait remise aux banques à des conditions déterminées et contre des garanties de toute sûreté, permettant à l'Etat lui-même de garantir ces billets de banque.

De même, il s'attaque aux comptes courants productifs d'intérêts, reconnus peu pratiques et dangereux pour les banques d'émission, mais dédaigne de discuter le réescompte que des économistes distingués et des hommes pratiques qui ont fait leurs preuves, considèrent comme la vraie solution.

Je n'imiterai pas son procédé, je discuterai son rapport et si je vous y signale des erreurs, si je vous prouve que souvent l'honorable M. Pirmez, bien que s'étant particulièrement occupé de finances, s'est placé à côté de la question, peut-être reconnaîtrez-vous, messieurs, qu'il ne serait pas sans danger de trancher une question dont la portée n'est pas seulement nationale, mais humanitaire, alors qu'elle est aussi peu instruite.

Je me propose donc, messieurs, d'examiner, en même temps que le projet qui nous est soumis, les raisons par lesquelles l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale croient pouvoir le justifier ; je vous démontrerai que l'institution de la Banque Nationale ainsi combinée ne va pas nécessairement vers le but qu'on s'est proposé, et qui est, je le rappelle, l'abaissement et la régularisation du taux de l'argent, tandis que par l'adjonction d'un nouvel organe bien simple, d'un guichet de réescompte, que le législateur de 1850 n'eût pas tardé à imaginer, s'il avait dirigé lui-même le fonctionnement de son œuvre, elle eût répondu à toutes les exigences de la science économique et ouvert une nouvelle époque dans la marche de l'humanité.

Laissez-moi donc encore une fois, messieurs, en raison de l'importance du sujet, et avant que d'aborder la double démonstration que je me suis proposée : les défectuosités du projet actuel, d'une part, et, d'autre part, le vrai principe sur lequel doit être fondée une banque d'Etat, faire appel à votre attention par quelques considérations qui me paraissent dignes de la frapper.

Nous nous trouvons en présence de deux intérêts dont l'un n'a été créé qu'en vue de l'autre, d'un intérêt privé, qui, quoique très important, n'est rien auprès de l'intérêt général qui est sa seule raison d'être, d'un intérêt privé à qui nous devons la justice, mais rien de plus, et, à qui nous ne pourrions, sans forfaire à nos devoirs, sacrifier la moindre parcelle de l'intérêt général, et le projet qui nous est soumis a été élaboré dans l'ombre par cette considération que nous révèle l'honorable M. Malou et par laquelle cet esprit éminent mais parfois trop prompt et trop enclin à la bienveillance, même envers ses adversaires, je dirais presque : surtout envers ses adversaires, s'est laissé surprendre : d'éviter toute spéculation désordonnée sur les actions.

Ainsi donc, messieurs, le public, dont on eût dû éveiller l'attention sur une question si importante, en a été tenu soigneusement écarté par cette considération que des spéculateurs qui, pour la plupart, cherchent leur profit dans le jeu, incapables qu'ils sont d'une production réelle, auraient pu par des conjectures aventurées sur des négociations de prorogation, dont le contrat primitif ne leur permet de rien augurer, s'engager dans des opérations désordonnées, suivies de désillusions ou de mécomptes. Quelle sollicitude ! Et quel dommage que le gouvernement se chargeant plus tôt de ce rôle de tuteur, n'ait point prémuni le public contre une foule d'entreprises véreuses dont, mieux que qui que ce soit, il pouvait connaître les vices t Et voilà sous quel prétexte l'intérêt général n'a point été appelé à se faire entendre avant qu'un accord entre les plus grandes forces du parlement ne nous apporte une affaire en quelque sorte tout arrêtée et conclue en l'absence du principal intéressé !

L'intérêt privé, celui qui aurait dû être soigneusement écarté, a été seul entendu. Seul il a eu accès auprès des représentants du gouvernement. Je sais que les représentants du gouvernement doivent aussi se considérer comme les représentants de. l'intérêt général, mais pourquoi, lorsqu'ils doivent avant tout leur protection à cet intérêt souvent insouciant et inerte, n’écouter que l'intérêt privé, toujours actif, ardent, et qui, dans le cas actuel, s'est préparé depuis longtemps pour obtenir la continuation d'un privilège qui, s'il ne produit pas, au profit de la masse, tout le bien qu'on peut en retirer, constitue dans notre pays, qui doit être un pays d'égalité, une véritable féodalité ?

Vous vous êtes méfié des agitations, des fluctuations que la connaissance des négociations aurait pu amener sur la valeur des titres, tandis que négociant au grand jour, faisant connaître chaque jour l'état de ces négociations, qui n'auraient jamais été que provisoires puisqu'elles auraient dû recevoir la sanction de la législature, vous eussiez été certain d'être arrivé à des conditions équitables, ou du moins devant être considérées comme telles, lorsque, se basant sur ces conditions, la Bourse n'eût attribué aux actions de la Banque que leur valeur réelle, calculée sur son (page 958) capital, sa réserve et le terme restant à courir de son premier contrat. On eût été certain alors d'être arrivé à des conditions équitables, sans faveur, tandis que la hausse qui s'est produite jusqu'ici sur les actions, hausse qui s'accroîtra si le contrat provisoire devient définitif, permettra d'établir, par un calcul bien simple, de combien de millions le gouvernement aura gratifié la Banque.

Mais, messieurs, ainsi que je crois l'avoir suffisamment indiqué tout à l'heure, il est toujours difficile de bien résoudre une question d'intérêt général en présence d'un intérêt privé très puissant cherchant à fausser la solution à son profit et conséquemment en supposant même que la compagnie actuelle eût droit, ce que je n'admets pas, à une préférence pour l'exploitation ultérieure du privilège, n'eût-on pas dû, après avoir établi l'importance que l'on aurait bien voulu donner à cette préférence, discuter ensuite, dégagé de toute préoccupation d'intérêt particulier, l'organisation ultérieure de notre premier établissement de crédit ?

Il serait facile, en effet, d'accorder une préférence à la compagnie actuelle, sans qu'elle eût un intérêt particulier à l'adoption d'un mode de fonctionnement plutôt que d'un autre. Permettez-moi de m'expliquer, car ceci me paraît avoir son importance.

Je suppose que, le contrat provisoire actuel étant admis, il soit entendu qu'il fera l'objet d'une adjudication basée sur l'un des termes de ce contrat, à savoir le taux au delà duquel le produit de l'escompte sera attribué à l'Etat et que, pour reconnaître le droit de préférence de la Banque, il soit stipulé que tous les soumissionnaires, elle seule exceptée, auront à majorer la part de l'Etat dans les bénéfices d'une somme quelconque, de 200 mille francs, par exemple.

N'est-il pas évident que si la question était ainsi dégagée de toute considération d'intérêt particulier, et que signalée à l'attention de tous on fit remarquer que de sa bonne ou mauvaise solution dépend le développement de la production et de la richesse générale, il pourrait jaillir de la tension de tous les esprits vers un même but et des discussions entièrement désintéressées qui en résulteraient, quelque enseignement dont il y ait lieu de tenir compte ?

N'est-il pas évident que la presse tout entière eût été entraînée à l'étude de cette question, si intimement liée au développement du travail, à l'amélioration du sort des classes inférieures de la société, dont elle se dit généralement préoccupée ; tandis qu'aujourd'hui devant cette question capitale, la presse presque tout entière semble s'être entendue pour rester muette ? Est-ce à dire qu'elle trouve la solution parfaite, et cela n'éveille-t-il pas dans votre esprit quelque étonnement et en même temps quelque appréhension sur les conséquences de l'acte que vous êtes appelés à sanctionner ? Eh quoi, non seulement parmi les principaux organes de notre presse quotidienne, mais parmi nos journaux financiers les plus importants et jusqu'au plus accrédité d'entre eux qui, il y a quelques années, proclamait comme la vraie solution un système tout différent de celui que l'on vous propose, partout le même silence ! S'ils parlent, c'est pour ne rien dire. Et ce silence ne vous dit rien ? Eh bien, moi je vous dis : Arrêtez-vous, ce silence me fait peur.

J'aborde maintenant, messieurs, les deux points que je me suis proposé plus spécialement de traiter, tout en regrettant vivement que le temps matériel m'ait manqué pour donner à mon préambule, ainsi qu'à ce qu'il me reste à vous dire encore, les développements que comporte le sujet.

Ces deux points sont :

La critique du système qui nous est proposé, de l'exposé des motifs et du rapport de la section centrale tendant à le justifier.

L'exposé de la modification à apporter à ce système pour le mettre en rapport avec la simple raison, comme avec les principes incontestés de la science économique.

Si, comme on l'a dit pour justifier l'institution des banques d'émission, elles ont cet avantage de créer un capital fiduciaire qui, pour la partie qui dépasse l'encaisse, constitue un bénéfice en jetant dans la circulation un capital qui ne coûte rien, fonctionnant cependant comme un capital réel, cet avantage n'existe que pour autant que ce capital fiduciaire ne fonctionne qu'à défaut du capital réel. S'il se substitue à celui-ci, et le rend stérile, non seulement il manque à son but, mais il constitue une injustice.

Aussi, ne puis-je jamais penser sans émotion à la prétention d'employer l'émission à l'escompte des valeurs commerciales, de préférence aux capitaux réels et de repousser ceux-ci de cet emploi, pour ne pas les enlever à une autre branche quelconque de la production, comme le dit l'honorable M. Pirmez. Comme si, par l'escompte et le réescompte combinés, la Banque accroissant sa puissance, ne devait pas, sans diminuer la sûreté de sa marche, être mise à même de venir en aide à tous les genres de production ; car tous, ils sont dignes de sollicitude, s'ils peuvent contribuer à l'amélioration de l'existence humaine.

Ce n'est pas d'ailleurs aux capitaux réels qui ne dépendent pas d'elle que la loi peut, soit directement, soit indirectement, imposer un emploi quelconque, mais au capital fiduciaire qu'elle autorise et à qui elle peut imposer telle condition qu'elle juge équitable.

L'escompte des valeurs commerciales constitue un placement des plus sûrs et des plus productifs. Par l'organisation actuelle, on peut dire que le monopole de l'escompte est assuré à l'émission et qu'il dépend d'elle, en Belgique et en France, d'en chasser tous les capitaux réels dont la concurrence la dérangerait. Et, en effet, messieurs, et j'appelle sur ce point toute votre attention, parce qu'il n'a pas été signalé, que je sache : quand la Banque fixe son taux d'escompte, ce n'est pas en réalité pour elle qu'elle le fixe, c'est pour les autres, ce serait surtout pour ceux qui voudraient lui faire la concurrence et entrer en lutte avec elle ; quand elle aurait fixé l'escompte à 2 p. c. par exemple, et que ceux qui, n'ayant pas la ressource de l'émission et voudraient lui faire concurrence, ne pourraient retirer de leurs capitaux que 2 p. c, elle, grâce à l'émission qui multiplie ses capitaux par trois et même par quatre, pourrait retirer de 6 à 8 p. c.

La position privilégiée de la Banque, dit M. Pereire, page 18 de la brochure que j'ai déjà citée, lui donne en réalité le droit absolu de régler comme elle l'entend le taux de l'intérêt dans tout l'empire français.

D'un autre côté, dans l'enquête française, volume III, pages 440 et 441, nous voyons, par la déclaration de M. Schneider, que la Banque de France reconnaît qu'il y a indépendance complète entre elle et la Banque d'Angleterre. On peut en dire autant de la Banque Nationale de Belgique. Sa liberté de fixer le taux d'escompte est absolue et, si elle subit parfois l'influence du dehors, ce n'est que dans le sens de la hausse, quand, pour maintenir la proportion voulue entre son encaisse et son émission, elle augmente le taux de l'escompte.

Ainsi donc, la Banque, maîtresse de l'escompte par son privilège qui lui permet d'en chasser les autres capitaux, mais n'ayant que des ressources limitées pour faire face à des besoins indéterminés qui se développent rapidement quand renaît la confiance, amène nécessairement, par l'insuffisance de ses ressources, des crises périodiques, qu'elle met sur le compte du commerce et de l'industrie, mais qui sont la conséquence de l'insuffisance des ressources qu'elle met à leur disposition.

N'est-il pas souverainement étrange que l'encaisse de la Banque, qu'elle a intérêt à réduire et à placer d'une manière productive lorsqu'il dépasse le tiers de son émission, devienne une limite aux affaires qu'on doit chercher à accroître, et que si les affaires, s'accroissant ainsi que la matière escomptable nécessitent une augmentation de l'émission, elles en reçoivent immédiatement le châtiment ?

La Banque a 300 millions de circulation et 120 millions de numéraire, par conséquent 20 millions de plus que la proportion voulue ; elle applique d'une façon productive ces 20 millions qui ne lui sont pas nécessaires pour garder la proportion voulue avec son émission, et si, immédiatement après, un accroissement d'affaires se produit et nécessite l'accroissement de l'émission, ce sera le public qui payera, par l'accroissement de l'escompte, les conséquences de la réduction de l'encaisse opérée par la Banque à son propre profit.

On le voit donc, messieurs, d'après le système actuel, il n'est pas bien certain que l'accroissement du capital produit par la création d'un capital fiduciaire profite réellement aux affaires, puisque, éloignant les capitaux réels de l'escompte, il rend stérile l'épargne qui pourrait s'y consacrer, né fût-ce qu'en attendant son placement définitif ; il occasionne des variations constantes du taux de l'escompte et de l'intérêt des capitaux par l'invariabilité de ses ressources en présence de besoins qui varient sans cesse.

Les raisons que donne l'honorable M. Pirmez pour démontrer que la Banque ne doit pas accepter des ressources du dehors, malgré la variabilité des besoins auxquels elle doit satisfaire, méritent d'être signalées.

Pourquoi ces fonds ne vont-ils pas à d'autres établissements d'une solidité parfaite, qui reçoivent des fonds en en payant l'intérêt ? Dans quel dessein la Banque Nationale voudrait-elle leur enlever ces fonds ? Pourquoi ne vont-ils pas, par l'intermédiaire de ces établissements, où ils sont appelés par les besoins de l'industrie et du commerce ?

Vous le voyez, messieurs, le capital fiduciaire s'attribue le monopole de l'escompte, quant aux capitaux réels, l'honorable M. Pirmez leur permet de s'adresser partout ailleurs, il leur indique même des établissements parfaitement sûrs qui leur donneront un intérêt, dont il omet, malheureusement, d'indiquer le taux. Mais ne vous semble-t-il pas, messieurs, qu'entre les deux capitaux : le capital réel et le capital fiduciaire, c'est celui qui a coûté à acquérir, qui est le fruit du travail, de services rendus, qui doit avoir la priorité d'emploi et non pas celui qui n'a coûté que la peine d'imprimer un billet ?

(page 959) Poursuivant son apologie du système actuel, l'honorable rapporteur nous parle du redoutable problème à résoudre par la Banque, d'être toujours à même de rembourser à vue une somme énorme qu'elle doit en grande partie engager à terme.

Mais l'honorable membre sait bien qu’elle ne pourrait résoudre ce problème. A qui veut-il donc faire croire qu'avec un encaisse de 100 millions la Banque puisse rembourser à vue 300 millions de billets ? Ne sait-il pas quels sont les procédés auxquels on recourt, en cas de panique, pour traîner en longueur ces remboursements à vue dont la demande, en se prolongeant, amène nécessairement le cours forcé ?

L'honorable M. Pirmez signale les difficultés que créerait le retrait des comptes courants productifs d'intérêts ? Mais les comptes courants sans intérêts que la Banque reçoit actuellement sont-ils moins exposés à ces retraits ? Mais c’est évidemment le contraire puisque, n'en recevant pas d'intérêts, rien ne les retient à la Banque. Dira-t-on que cet attrait d'un intérêt pourra leur faire acquérir une importance d'où naîtrait le danger ?

Mais l'expérience a prouvé selon vous que l'encaisse du tiers suffit pour en garantir le remboursement à vue et vous n'avez, du reste, aucune limite à vos comptes courants non productifs d'intérêts, bien plus exposés à des réclamations immédiates.

L'honorable M. Pirmez argumente ensuite de l'impossibilité où se trouverait la Banque de refuser la reprise du papier qu'elle aurait réescompté, pour démontrer l'impossibilité du réescompte ; mais quand on sait que la Banque est réellement dans l'impossibilité d'opérer un remboursement à vue auquel elle s’est engagée, on se demande s'il parle sérieusement. N’est-il pas évident, comme nous l'avons établi plus haut, qu'avant de lui demander la reprise du papier qu'on lui aurait racheté, qui, outre sa signature, en porterait au moins deux autres bien solvables, qui produirait intérêt et qui de plus ne serait pas exigible, on lui réclamerait le payement de ses billets à vue ? Du reste, pour écarter l'objection, bien qu'elle soit sans valeur, j'admettrais même qu'il fût formellement interdit à la Banque de reprendre le papier qu'elle aurait réescompté.

Que veut donc dire, paragraphe 6, page 28 de son rapport, l'honorable M. Pirmez quand il parle des retraits de capitaux résultant du non-renouvellement des réescomptes ?

Evidemment, l'honorable rapporteur n'a pas compris le réescompte, ou bien, ce qui n’est pas à supposer, il veut empêcher qu'on ne le comprenne. Vous avez un millier de francs disponibles, vous achetez à la Banque une traite payable dans un mois par un tiers, un négociant de Bruxelles, par exemple ; de quel renouvellement peut-il être question ? On comprend que si la Banque émet des obligations à terme et qu'à leur échéance elles ne soient pas renouvelées, cela lui enlève une ressource qu'elle aurait pu désirer conserver, mais sur laquelle, en tous cas, elle ne devait pas compter. Mais dans le réescompte il n'en serait pas ainsi ; la Banque aurait vendu une créance à terme, elle en aurait reçu le prix dont elle aurait pu tirer parti sans attendre l'échéance.

Je ne comprends pas réellement l'honorable M. Pirmez ; après avoir prétendu que le compte courant productif d'intérêts et les obligations à terme sont supérieurs au réescompte, il n'oppose à ces trois modes d'appeler des capitaux à la Banque que des objections qui s'appliquent au compte courant et aux obligations à terme et nullement au réescompte ; et il termine cette critique en reconnaissant le mal de l'organisation actuelle, mal auquel le réescompte apporterait certainement des adoucissements et très probablement un souverain remède. Il est certain, comme il le dit, qu'avec des ressources limitées, la Banque ne peut éviter les crises parce que la demande des capitaux est inégale ; mais, si le réescompte fonctionnait, si la Banque avait un guichet où elle vendrait des valeurs contre argent, comme elle en a un pour les acheter, il est évident qu'en vendant ses valeurs avec bénéfice, elle se procurerait les moyens d'en acheter d'autres et lorsque l'honorable M. Pirmez dit que ce serait le moyen le plus énergique d'aggraver les crises, il est évident, pour autant que cela s'adresse au réescompte, qu'il verse dans l'erreur la plus complète.

Il est au contraire certain que les crises seraient rendues presque impossibles, si pas impossibles, par le réescompte ; si ce n’est dans des cas où l'ordre social lui-même étant mis en question, le crédit de la Banque même serait ébranlé. Mais si, en temps de crise, la Banque défend son encaisse par l'élévation de l’escompte qui diminue l'offre du papier à escompter, l'augmentation égale du taux du réescompte ferait qu'on lui achèterait plus de papier, en échange duquel on verserait les capitaux dans sa caisse, et il est bien évident que les ressources affluant ainsi de toutes parts, les crises ne pourraient qu'en être atténuées.

Pour prouver que la faculté ainsi donnée à chacun de verser de l'argent à la Banque contre du papier à terme dont l’escompte lui serait bonifié immédiatement, serait sans fruit, l'honorable M. Pirmez recourt à son procédé ordinaire : la pétition de principe ; il affirme ce qui n’est rien moins que prouvé. Comme il l'avait déjà fait en 1865, il déclare qu'il n'y a pas de capitaux improductifs. Ne leur a-t-il pas dit, en effet, qu'ils devaient se placer dans ces établissements par l'intermédiaire desquels ils vont où ils sont appelés pour les besoins de l'industrie et du commerce ?

C’est là qu'ils doivent se trouver, et s'ils y manquent, ils contreviennent aux prescriptions de M. Pirmez ; mais ils n'ont garde d'y manquer et, par conséquent, il n'y a pas de capitaux disponibles. Quand donc vous voudriez qu'on les portât à la Banque, vous ne voyez pas qu'il faudrait les enlever à ces autres établissements ; vous ne voyez que le fait substitué, vous ne voyez pas le fait détruit !

Nous l'avons déjà dit, le capital réel est maître de lui-même ; il n'appartient à personne, si ce n’est à celui qui le possède, de lui assigner un emploi ; et si, en vue de cette augmentation de capitaux dont l'honorable M. Pirmez a signalé avec raison l'utilité, on accorde à un établissement le privilège de créer de la monnaie fiduciaire admise par l'Etat, comme monnaie réelle, cet établissement n'atteint sûrement son but qu'en n'enlevant pas aux capitaux réels la priorité d'un emploi quelconque ; cet établissement, en effet, ne se justifie, au contraire, que si, facilitant le placement des capitaux réels, ce n’est qu'à défaut de ceux-ci, et pour y suppléer qu'il fait fonctionner le capital fictif.

Et pour quelle raison, en effet, autre que celle d'abaisser et de régulariser le cours de l'argent, constitueriez-vous une Banque Nationale et lui assureriez-vous de si énormes bénéfices ? Serait-ce, comme on me l'a dit en section, pour émettre la monnaie de banque ? Mais il serait facile d'apprécier à sa juste valeur l'importance que le public attache à cette monnaie de banque.

On n'aurait qu'à admettre, par exemple, que celui qui touche une somme quelconque à la Banque et qui peut y prendre indifféremment des espèces ou des billets, ne puisse plus obtenir de billets que moyennant une prime, si minime qu'elle fût, de un par mille, par exemple, de manière qu'ayant à recevoir, je suppose, une somme de 1,020 francs, il ne lui soit remis, s'il demande un billet de mille francs, que ce billet, plus 19 francs en espèces, étant bien entendu, d'ailleurs, que la Banque ne remboursera ce billet qu'à sa valeur nominale ; croyez-vous qu'il se trouverait beaucoup de preneurs de billets ?

Ou bien si, prenant, l'exemple dans un autre sens, il était entendu que le billet émis pour mille francs ne se rembourserait que par 999 francs, croyez-vous qu'il circulerait bien facilement ?

J'en doute, messieurs, et je suis autorisé à en conclure que si la Banque émet pour 250 millions de billets de banque, le public ne serait guère disposé à payer ce service plus de 250 mille francs.

Passant en revue les modifications inscrites au projet de loi, je ne m'y arrêterai que le moins possible.

C’est ainsi qu'en supposant que vous n'apportiez aucune modification au projet, le 1° de l'article premier, prorogeant le privilège de trente ans, ne me paraît pas pouvoir s'accomplir.

Quant au 2°, augmentant le capital de la Banque, augmentation sur l'utilité de laquelle la section centrale a conçu des doutes (n'allant pas toutefois aussi loin que l'honorable M. Pirmez, qui a, je crois, exprimé l'idée que la Banque pouvait fonctionner sans capital), (voir page 7, paragraphe 2 de son rapport). Nous demanderons alors sur quoi la Banque est en droit de compter pour former un encaisse du tiers d'une émission de quelque importance ; les dépôts n'étant nullement obligatoires, que je sache, et les fonds du trésor, sauf la partie à tenir disponible pour ses besoins et non pour ceux de la Banque, devant être employés à son profit.

Qu'il nous soit permis de dire en passant que nous ne comprenons pas la qualification de prime donnée par l'honorable M. Pirmez à une somme de 100 francs à verser à la réserve.

En ce qui concerne le 3° et le 5° de l'article premier, il est clair que, pour moi, dans l'organisation actuelle, si la suppression de l'obligation d'employer la réserve en fonds publics et la possibilité de la faire servir à l’escompte est un bien, la réduction de la réserve, toute mesure diminuant l'encaisse est un mal puisque cela réduit de trois fois autant la monnaie de banque à émettre, par conséquent les capitaux fiduciaires que la Banque a intérêt à introduire dans la circulation, intérêt qui seul l'engage à abaisser l’escompte.

Mais je ferai remarquer que si le réescompte fonctionnait, l’encaisse pourrait être considérablement réduit, puisque la moindre hausse de recompte le renforcerait infailliblement.

Quant au 4° de l'article premier et à l'article 2, je vous rappellerai, messieurs, que j'ai déjà eu l'occasion de vous dire que de la valeur réelle les actions se composant du capital, de la réserve et de l'exploitation du privilège jusqu'au 31 décembre 1875, comparée à leur cote à la Bourse, il est (page 960) évident que les bénéfices de la prorogation que l'on escompte prouvent que des avantages énormes sont assurés à la Banque.

Je puise dans le 4° de l’article premier et dans l’article 2 un autre moyen de démontrer ces avantages et je vous dit : Supposons que, toute les autres conditions restant les mêmes, il soit décidé que le privilège sera concédé sur ce 4° de l’article premier, c’est-à-dire à la compagnie qui accordera sur l’excédant des bénéfices au-delà de 6 p. c. la plus forte part à l’Etat. Croyez-vous, messieurs, que vous n'aurez pas d’adjudicataire allouant à l'Etat plus que le quart de cet excédant ? Mais vous aurez preneur allouant à l'Etat au lieu de 25 p. c. 50, 75 p. c. et an delà; vous auriez même des preneurs et en grand nombre se contentant des 6 p. c. de prélèvement ; de sorte que pour arriver à n'avoir qu'un adjudicataire et pour laisser à l'exploitant un intérêt à bien gérer la banque, à la faire prospérer, il vous faudrait réduire le prélèvement fixe, afin que, pour trouver une rémunération suffisante de ses capitaux, il doive réclamer une quotité dans l’excédant variable.

Mais, messieurs, bien que cette attribution de bénéfices à l'Etat ait son importance, elle n'en a pas autant, à beaucoup près, que le parti que l'on pourrait tirer de la clause introduite, en 1806, par l'honorable M. Frère, lors de l'abolition du maximum légal de l’intérêt de l'argent et qui a limité le maximum attribuable à la Banque dans le produit de l'escompte, le surplus devant être acquis au trésor public. Eh bien, messieurs, en admettant que la Banque Nationale ne soit guidée que par des considérations d'intérêt général, en supposant que, contrairement à ce que nous permet de croire l'honorable M. Pirmez lui-même, le désir de donner de gros dividendes à ses actionnaires ne soit rien pour elle dans la fixation de l'escompte, n'y aurait-il pas déjà avantage, rien qu'au point de vue du trésor public, de concéder le privilège à qui réclamerait, au profit de la Banque, le moindre prélèvement sur l'escompte attribuant le surplus au trésor public. Et si le projet actuel a bien fait de réduire ce prélèvement de 6 à 5 p. c, se trouvera-t-il quelqu'un assez arbitraire pour prétendre, ou assez habile pour prouver, qu'il y aurait inconvénient à ce qu'il fût abaissé à 4 p. c. ?

Eh bien, messieurs, encore une fois, laissant subsister toutes les autres conditions, que l'on confie le privilège de l'émission à la compagnie qui réclamera le moindre taux d'escompte, le surplus étant attribué à l'Etat, et j'affirme que l'on trouvera preneur se contentant de 3 p. c, si pas 2 1/2. Et comment donc, lorsqu'il y a certitude que l'on trouverait preneur à 3 p. c., irez-vous accorder5 p. c. au titulaire actuel ? Si on vous demandait de lui verser chaque année, à titre gratuit, une somme d'un million venant du trésor, vous n'y consentiriez certainement pas, vous ne consentiriez pas davantage à ce qu'elle prélevât sur le commerce et l'industrie pareille somme, ne serait-ce donc pas manquer à nos devoirs de sacrifier bénévolement l'avantage que je vous signale ?

Pourriez-vous ainsi sacrifier ou l'intérêt du trésor ou celui du public ? Car de deux choses l'une, ou, comme on le prétend parfois, la Banque n'est pas maîtresse d'empêcher l'escompte de s'élever et alors, quand il s'élèvera, le surplus de 3 p. c. bénéficiera à la masse ; où elle en est maîtresse et alors, comme elle s'attachera, pour faciliter et augmenter les affaires, à ne pas élever le taux au delà de 3 p. c, ce sera le commerce, l'industrie et les affaires, en général, que stimule toujours un bas intérêt de l'argent, qui en profiteront, au grand avantage de tous.

Dira-t-on par hasard que cette assurance que je vous donne de trouver preneur à 3 p. c. ne soit pas sérieuse ?

Mais il faudrait ne pas y avoir réfléchi ; car, en supposant même que la Banque n'opérât qu'avec son propre capital, tandis qu'elle a toujours en dépôt d'autres capitaux dont elle profite comme des siens propres, il est à remarquer que son capital se multipliant trois fois en règle générale et jusque quatre fois par son émission, ce serait un produit annuel de 9 à 12 p. c. sur son capital que ce taux de 3 p. c. pourrait lui valoir.

Croyez-vous donc, messieurs, que lorsque ce taux de 3 p. se trouve augmenté de l'intérêt et commission que doivent prendre de leur côté les banquiers intermédiaires en compensation des risques dont ils couvrent la Banque, l'escompte ne revienne pas déjà bien cher, ne laissant au travailleur, commerçant ou industriel, que des bénéfices très restreints ?

Cela est vrai surtout pour le plus grand nombre des signatures, qui ne sont pas de premier ordre, mais qui n'en sont pas moins dignes de notre sollicitude.

Telle est, messieurs, la modification que je vous proposerai d'apporter à l'article 2, c'est-à-dire que ce ne soit pas seulement au-dessus de 5 p. c. mais de 3 p. c. que l'intérêt perçu par la Banque soit attribué à l'Etat, si je ne puis obtenir une satisfaction plus complète. Tout au moins serions-nous certains que la Banque, pour multiplier les affaires, s'efforcerait de ne pas laisser le taux s'élever au delà de 3 p. c ; nous serions certains que, ne pouvant plus trouver, dans l'élévation de l'escompte, une compensation à la restriction qu'elle apporte aux affaires, elle chercherait à se procurer des ressources afin d'augmenter ses bénéfices en augmentant le nombre de ses opérations et non pas en prenant un bénéfice exagéré sur chacune d'elles.

Avant de quitter ce sujet, pour entrer dans l'exposé des avantages du réescompte, qui est la vraie solution parce qu'il constituerait un véritable marché fonctionnant sous l'influence de l'offre et de la demande, je dois dire quelques mots du placement des fonds disponibles du trésor, conformément à l'article 4, parce que l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale me paraissent manquer de précision sur ce point.

Si, comme on ne peut le méconnaître, l'abondance de capitaux est un bien, puisqu'elle a pour conséquence de réduire l'intérêt de l'argent ; je comprends que l'on emploie les fonds disponibles du trésor en valeurs commerciales belges, ou même en valeurs commerciales tirées du pays sur l'étranger puisque dans ce cas, sans priver le pays de ses ressources, le gouvernement pourrait, en cas de besoin subit, se procurer des fonds par le réescompte de ces valeurs et en s'adressant à l'étranger par conséquent, sans affecter notre circulation métallique.

Mais si l'exposé des motifs tout entier et le rapport de la section centrale jusqu'à la page 36 permettent de croire que c'est de valeurs du pays sur l'étranger qu'il s'agit, il semble, à la page 37, vouloir donner à entendre en parlant, de valeurs étrangères, qu'il s'agit de valeurs de l'étranger sur l'étranger, et ici, messieurs, je dois protester de toutes mes forces, car ce serait, sous prétexte de ne pas lui redemander, en cas de besoin, des fonds que l'Etat lui aurait avancés, priver continuellement le pays de ces fonds ; ce serait, pour ne pas avoir à le rationner dans un moment critique, affamer continuellement le pays ; ce serait en un mot envoyer à l'étranger les capitaux de l'Etat afin que la Banque pût placer plus sûrement et plus facilement les siens à l'intérieur.

J'espère, messieurs, que vous pèserez ce point, qui n'est pas sans importance, et qu'il sera bien entendu que c'est en valeurs du pays sur l'étranger que les fonds du trésor pourront être employés, car s'il s'agit de valeurs de l'étranger sur l'étranger, vous pouvez compter que ce seront des opérations d'arbitrage entre les grandes maisons de banque de l'Europe, qui profiteront de la stipulation de l'article 4, et que la raréfaction de capitaux et l'augmentation de l'escompte qui en résultera dans le pays, y feront payer avec usure aux affaires le faible bénéfice que l'Etat pourra en retirer.

Ne pouvant terminer aujourd'hui mon discours, je vous demanderai, messieurs, d'en remettre la continuation à mardi.

- La séance en levée à 4 heures et demie et remise à mardi à 2 heures.