(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Tack, premier vice-président.)
(page 666) M. Léon Visart procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Hagemans donne lecture du procès-verbal de la séance du 8 mars ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des instituteurs pensionnés demandent que le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires prescrive la révision des pensions déjà accordées d'après les nouveaux statuts de la caisse générale. »
M. de Kerckhove. - Je me permettrai d'appuyer et de recommander la pétition des instituteurs pensionnés, dont on vient de vous présenter l'analyse. Cette pétition se rapporte d'ailleurs à un intérêt qui a toutes les sympathies de la Chambre.
Comme nous avons reçu plusieurs pétitions du même genre, je crois qu'il conviendrait de les réunir et de les renvoyer soit à la commission des pétitions, soit à la section centrale qui est chargée d'examiner le projet de loi instituant une caisse de retraite pour les instituteurs. Je m'en rapporte sur ce point à la décision de la Chambre.
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
«M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Jean-Pierre Reuland. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« MM. Devaux et cie adressent à la Chambre 125 exemplaires d'une brochure intitulée : L'Internationale remplacée. »
- Distribution aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.
« MM. Nothomb, Van Wambeke, Van Outryve et Elias demandent un congé. »
- Accordé.
M. Bara (pour une motion d’ordre). - Dans une des dernières discussions qui ont eu lieu à la Chambre, j'ai dit ceci :
« M. Desoer a demandé sa grâce ; il s'est adressé au Roi ; les autres personnes n'ont pas demandé grâce, elles ont fait plus : elles sont allées trouver le procureur du roi et lui dire : Nous vous prévenons que nous ne demanderons pas notre grâce, et vous aurez à nous emprisonner tel jour. C'étaient des prisonniers qui s'imposaient ; le procureur du roi n'a pas voulu les recevoir. »
Depuis que j'ai prononcé ces paroles, une des personnes condamnées, M. Mallet, a publié une lettre qu'il m'adresse, et dans laquelle il dit :
« Je déclare hautement qu'en ce qui me regarde, il n'y a pas, dans ce passage, un seul mot exact... »
Et plus loin : « Quant à moi, malgré votre dire positif, je vous mets au défi de prouver que je sois allé trouver M. le procureur du roi pour le sommer de m'incarcérer. D'un bout à l'autre, ce que vous avancez à ce sujet dans la citation que je souligne est une histoire inventée à plaisir. »
Je comprends que les membres de la Chambre n'entament point ici de discussions avec des personnes étrangères à cette assemblée. Mais, d'un autre côté, il y a, dans la circonstance dont je m'occupe, la dénégation d'un fait matériel, positif. Il est évident que si j'avais avancé ce fait et qu'il fût faux, que si je l'avais inventé, comme le prétend M. Mallet, j'aurais trompé la Chambre. Je dois donc, à la Chambre la preuve de l'assertion que j'ai produite devant elle.
C'est là que se bornera mon observation. Or, je tiens en main une communication que m'a faite, le 19 septembre 1867, M. le procureur du roi à Liège et de laquelle j'extrais ce qui suit :
« MM. Mallet et Guinotte, condamnés pour le duel entre le premier et M. Em. Desoer, se sont présentés au parquet où ils ont déclaré ne pas vouloir demander grâce et ont annoncé leur intention de se présenter le 20 septembre pour recevoir leur ordre d'écrou.
« (Signé) Schuermans, procureur du roi.»
C'est tout ce que j'ai à dire. M. Schuermans est maintenant conseiller à la cour d'appel de Liège, chacun connaît son caractère honorable, et je crois que. son assertion ne sera contestée par personne.
- L'incident est clos.
M. Vermeire. - Au nom de la commission de l'industrie, j'ai l'honneur de déposer un rapport sur la pétition des meuniers demandant une révision de la loi sur les patentes.
- Impression et distribution.
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il aux amendements de la commission ?
M. de Lantsheere, ministre de la justice. -Je m'expliquerai sur chaque article.
M. le président. - La discussion s'ouvre donc sur le projet amendé par le gouvernement.
- La discussion générale est ouverte.
M. Demeur. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis a un double but. D'une part, il tend à simplifier, à faciliter la preuve du gage en matière commerciale ; d'autre part, il tend à faciliter les formalités requises pour la réalisation de la chose donnée en gage, à défaut de payement par le débiteur.
Aujourd'hui, la preuve du gage, lorsqu'il s'agit d'une somme de plus de 150 francs, ne peut résulter que d'un acte écrit, enregistré, indiquant le montant de la somme due et spécifiant les objets donnés en gage..
A défaut de cet écrit à date certaine, le gage peut exister entre les parties contractantes, mais il est réputé non avenu, à l'égard des tiers. La forme l'emporte ici sur le fond, et cette règle, consacrée par le code civil, la jurisprudence l'a déclarée applicable en matière commerciale.
Ces exigences de la loi sont la source de grandes difficultés pour le commerce, qui veut marcher promptement, qui veut pouvoir prouver par toutes les voies de droit, et au besoin par témoins, les opérations auxquelles il se livre.
Aussi, depuis longtemps déjà, le commerce a demandé la révision des dispositions de la loi sur la matière.
Cette révision a été faite en France dès l'année 1863.
On n'a eu, dans ce pays, aucun reproche à adresser à la législation nouvelle et le commerce belge en demande l'adoption pour notre pays.
Y a-t-il inconvénient à autoriser la preuve du gage en matière commerciale, autrement que par l'accomplissement des formalités rigoureuses exigées par la loi civile ?
Certainement, messieurs, par l'abolition de ces rigueurs, il peut arriver qu'un débiteur favorise certains de ses créanciers au détriment de la masse ; que, par une convention apparente, il attribua une partie de son patrimoine à. certains de ses créanciers au préjudice des autres, mais il (page 667) ne faut pas, pour cela, comme la loi le fait aujourd'hui en cette matière, présumer la fraude.
La loi présume que celui qui détient une chose en gage, qui peut prouver le gage par ses livres, par sa correspondance, etc., est en fraude s'il n'apporte un acte enregistré.
Aussi, messieurs, qu'arrive-t-il ? C'est que, en vue d'éluder les formalités rigoureuses qui sont exigées pour la constatation du contrat de gage, on recourt à des ventes simulées ; de telle sorte que ce n'est qu'au moyen d'une fraude à la loi que le commerce arrive à donner effet à des conventions parfaitement légitimes en elles-mêmes.
Les dangers qu'on pourrait redouter de la suppression des formalités requises aujourd'hui pour la preuve du gage n'existent pas à mes yeux, et j'ai toujours été frappé de la différence qu'il y a entre les modes de preuve admis en matière commerciale, d'une part, pour la vente et, d'autre part, pour le gage. Par des ventes frauduleuses, de même que par des actes de gage, frauduleux, le débiteur peut favoriser certains créanciers au détriment des autres, et cependant, la vente n'est pas frappée de cette suspicion dont est frappé le gage : on n'exige pas du vendeur et de l'acheteur la production d'un acte enregistré pour constater la vente d'une marchandise.
Il semble même que la vente présente un moyen plus facile que le gage de favoriser un créancier au détriment des autres, puisque pour son existence elle n'exige pas, comme le contrat de gage, la tradition de la chose vendue.
Une seconde modification importante est apportée à la législation actuelle par le projet de loi. Aujourd'hui, à défaut de payement, le créancier fait assigner le débiteur devant le tribunal civil aux fins de voir autoriser la vente. Un avoué est nécessaire. Il y a des frais nombreux et des lenteurs.
Cet état de choses est nuisible tout aussi bien au créancier qu'au débiteur. Le projet de loi simplifie les formalités.
A la demande du créancier, le président du tribunal de commerce rend une ordonnance fixant le jour et les conditions de la vente. Cette ordonnance ne sera rendue que vingt-quatre heures au plus après la notification au débiteur de la requête du créancier. L'ordonnance sera exécutoire nonobstant opposition et appel. C'est là une simplification qui sera d'une utilité journalière.
Sur ce point, on s'est borné d'ailleurs en quelque sorte à reproduire les règles consignées dans la loi de 1862, sur les warrants.
Mais, messieurs, si j'approuve ces deux points fondamentaux du projet de loi, je dois en critiquer quelques termes.
C'est ainsi que, dans l'article 35, je lis : « Le privilège n'existe sur le gage, à l'égard des tiers, qu'autant qu'il a été mis et est resté en la possession du créancier ou d'un tiers, convenu entre les parties. »
On a fait ici un changement à la disposition du code civil (article 2070), qui a été reproduite dans la loi française de 1863. On a ajouté ces mots : « à l’égard des tiers. » Ces mots ne se trouvent ni dans le code civil, ni dans la loi française de 1863, et, en vérité, je ne comprends pas la modification. Le privilège n'existe jamais qu'à l'égard des tiers. Le privilège est un droit de préférence au profit d'un créancier relativement aux autres créanciers. Le privilège ne se conçoit qu'à l'égard des tiers. Il n'y a donc aucune raison de modifier la rédaction que nos lois renferment aujourd'hui.
Voilà une première observation. Il y en a une seconde. Elle porte sur le paragraphe 3 5 du même article.
« Le créancier, dit ce paragraphe, est présumé avoir les marchandises en sa possession lorsqu'elles sont à sa disposition dans ses magasins ou navires, à la douane ou dans un dépôt public, ou si, avant qu'elles soient arrivées, il en est saisi par un connaissement ou par une lettre de voiture. »
Eh bien, je dois le dire, c'est un non-sens que cette disposition. Il est impossible, que nous mettions dans notre loi qu'une personne est présumée avoir des marchandises en sa possession, lorsque ces marchandises sont à sa disposition dans ses magasins ! Il est évident que celui qui a une marchandise à sa disposition, dans ses magasins ou dans son navire, ne doit pas en être présumé le possesseur ; il en est le possesseur.
De même, lorsqu'une personne a une marchandise à sa disposition à la douane ou dans un dépôt public, cette personne est en possession : on ne peut pas dire qu'elle est présumée être en possession.
Cette rédaction pourrait d'ailleurs faire supposer que, dans l'intention du législateur, le créancier n'est pas présumé en possession lorsque, par exemple, la chose est à sa disposition dans le magasin d'un tiers. Or, telle n'est évidemment pas la pensée des auteurs du projet.
Quant à la partie finale de cet alinéa, on peut la maintenir ; là il s'agit d'une possession fictive. Lorsque le créancier est saisi de la chose par un connaissement ou par une lettre de voiture, il n'en a pas la possession matérielle, mais il doit être néanmoins réputé la posséder.
J'ajoute, qu'au lieu des mots « le créancier est présumé, » je préférerais les mots « le créancier est réputé, » qui se trouvent dans la loi française de 1863.
La troisième observation de détail, que j'ai à faire, porte sur l'article 37. Cet article prévoit le cas où le débiteur ne paye pas. Le créancier a alors le droit de provoquer la vente du gage.
L'article porte :
« A défaut de payement ou de consignation à l'échéance de la créance garantie par le gage, le créancier peut, etc. »
Entend-on par là que le débiteur pourra éviter la vente, rien qu'en consignant ?
Mais ce serait là un moyen de chicane pour le débiteur qui voudrait nuire à son créancier ! Il suffirait de consigner la somme due pour empêcher la vente ! C'est impossible. On a voulu dire sans doute : A défaut de payement ou d'offres réelles, suivies de consignation, etc. Si le débiteur fait des offres réelles, si le créancier refuse et si ensuite le débiteur consigne la somme due, alors évidemment la vente ne pourra avoir lieu ; mais il n'est pas besoin de mettre cela dans une loi spéciale. Les offres réelles valables et suivies de la consignation équivalent au payement. C'est là un principe général inscrit dans le code civil.
La rédaction du projet ne semble donc pas pouvoir être maintenue. Elle a été empruntée assez maladroitement à la loi de 1862 sur les warrants, qui contient une autre disposition non reproduite dans le projet actuel (article 11, paragraphe premier), avec laquelle elle concorde et sans laquelle elle cesse de se justifier.
En dernier lieu, je propose de supprimer l'article 42 du projet de loi. Cet article est ainsi conçu :
« Art. 42. L'exercice des droits conférés au créancier gagiste par les articles précédents n'est suspendu ni par la faillite, ni par l'état de sursis, ni par le décès du débiteur ou du tiers bailleur dégage. »
Cette disposition est inutile dans plusieurs cas et inexécutable dans les autres.
En ce qui concerne le sursis, il est parfaitement inutile de dire qu'il ne suspend pas les droits du créancier gagiste ; cela est dit dans la loi sur les sursis (article 605).
En cas de faillite, le débiteur ne peut plus payer ; la sommation doit être notifiée au curateur de la faillite. L'exercice du droit du créancier gagiste est modifié ; mais il n'est pas suspendu.
En cas de faillite, le gagiste peut faire vendre le gage ; il n'est inscrit que pour mémoire sur la liste des créanciers (article 542, loi du 18 avril 1851).
Enfin, l'article porte que l'exercice du droit conféré au créancier n'est pas suspendu par le décès du débiteur.
En thèse générale, cela est évident et ne doit pas être dit dans une loi particulière.
Un débiteur meurt ; ses héritiers prennent sa place, le créancier notifie aux héritiers la mise en demeure. L'exercice des droits du créancier ne sera pas suspendu. Cela va sans dire dans la généralité des cas ; mais dans bien des cas, cela serait d'une exécution impossible.
Un débiteur vient à mourir laissant une succession vacante, on ne connaît pas d'héritier. Il y a lieu dans ce cas à nommer un curateur à la succession vacante.
Pouvez-vous dire : L'exercice du droit du créancier gagiste ne sera pas suspendu ? Il sera suspendu, quoi que vous fassiez, jusqu'à la nomination du curateur à la succession vacante. Et en effet, le débiteur étant mort, il n'y a momentanément plus personne à qui l'on puisse notifier la mise en demeure, qui est la condition préalable et sine qua non de la vente.
Autre cas : Un débiteur défunt laisse des héritiers mineurs.
Pouvez-vous dire qu'ici le droit ne sera pas suspendu ? La mise en demeure est nécessaire ; à qui la notifiera-t-on ? On ne peut pas la notifier aux mineurs. L'exercice du droit du créancier est donc forcément suspendu jusqu'au jour de la nomination d'un tuteur.
L'article 42 me paraît donc inutile ou inexécutable.
Un dernier mot. Je veux dès à présent, dans cette discussion générale, appeler l'attention de la commission et du gouvernement sur la question suivante. Nous avons à notre ordre du jour le code de commerce : titres du Gage, des Commissionnaires, de la Lettre de change, du Contrat de société, etc.
Il n'est pas à croire que nous arrivions, dans le cours de cette session, à voter tout ce qui reste à voter du code de commerce. Or, les dispositions relatives au gage et celles relatives aux commissionnaires forment un (page 668) tout distinct, pouvant être parfaitement détaché sans aucun inconvénient, du moins, je le pense, de l’ensemble du code de commerce.
Je demande donc que l'on examine s'il n'y a pas lieu de détacher ces deux titres et de les promulguer séparément.
Ils pourraient être facilement votés par le Sénat dans un temps prochain ; de la sorte, nous aurions au moins cette partie du code de commerce en vigueur dans le cours de cette session.
M. le président. - Les amendements de M. Demeur sont appuyés. Ils font donc partie de la discussion.
M. Van Humbeeck. - L'honorable M. Demeur approuve les dispositions du projet dans leur ensemble ; il s'est livré cependant à quelques critiques de détail portant sur la rédaction plutôt que sur le fond. La forme dans des lois semblables à celle qui nous occupe présente toujours de grandes difficultés. Toute critique qui s'y rapporte doit être prise en considération sérieuse.
La commission, pas plus que le gouvernement, je pense, n'entendra donc insister par amour-propre sur des rédactions présentées par elle. Elle sera toujours disposée à accepter toutes les améliorations. Mais, quant aux amendements de l'honorable membre, il ne me paraît point, jusqu'ici, qu'ils constituent des améliorations réelles.
Dans l'article 35, paragraphe premier, l'honorable membre critique les mots « à l'égard des tiers ». Ce paragraphe porte : « Le privilège n'existe sur le gage à l'égard des tiers, qu'autant qu'il a été mis et est resté en la possession d'un créancier ou d'un tiers convenu entre parties. »
Ces mots « à l'égard des tiers » lui paraissent surabondants. Je ne suis pas de cet avis. Je crois qu'il est bon de faire ressortir qu'un lien de droit subsiste entre le débiteur et le créancier, par le seul effet du consentement réciproque ; mais vis-à-vis des tiers intéressés, à qui le contrat peut nuire, le privilège n'en résultera que lorsque le gage aura été mis en la possession, soit du créancier, soit du tiers convenu entre parties.
Qu'un lien de droit entre le débiteur et le créancier existe préalablement, la preuve en est dans le fait que le créancier gagiste a immédiatement une action contre le débiteur, pour le contraindre à la délivrance.
Je crois donc que ces mots ont leur raison d'être.
L'honorable membre critique aussi le troisième alinéa du même article.
Cet alinéa a sa raison historique. Il est l'explication pour des cas spéciaux d'un principe posé dans le paragraphe 2. Voici la marche de l'article. Le premier paragraphe dit que le privilège n'existe, à l'égard des tiers, que lorsque le gage est en possession du créancier ou du tiers convenu entre parties ; c'est le principe. Le paragraphe 2 indique d'une manière générale comment la possession se transmet. Il dit que la possession se transmet suivant le mode admis en cas de vente, pour le même meuble.
C'est là encore une règle générale. Mais, dans quelques cas spéciaux, la question de savoir si la délivrance a eu lieu, si la possession est transmise, pouvait former doute. Ces cas, dans les lois antérieures, ont été l'objet de mentions explicatives.
C'est ainsi que l'article 93 du code de commerce actuel donne privilège au commissionnaire pour ses avances sur des marchandises à lui expédiées, lorsque ces marchandises sont à sa disposition dans ses magasins ou dans un dépôt public.
Cette circonstance est assimilée à une délivrance réelle ; dans la loi française de 1863, nous trouvons une rédaction entièrement identique à celle que propose maintenant la commission. C'est l'article 92 de cette loi.
M. Demeur. - On a changé la rédaction.
M. Van Humbeeck. - Si votre observation se borne à critiquer la substitution du mot « présumé » au mot « réputé, » je la considère comme fondée. Je trouve, en effet, le mot « réputé » plus juste.
Je crois qu'il y a même simplement dans cette substitution une erreur de plume ; car je ne me souviens pas qu'il y ait eu délibération sur ce point.
Mais je ne puis me rallier à la demande de suppression de l'honorable M. Demeur.
D'après les précédents législatifs, on a attribué quelque utilité aux expressions qu'il veut voir disparaître. Elles n'ont donné lieu à aucune erreur. Il faut les maintenir.
En ce qui concerne les articles 37 et 42, que l'honorable membre a critiqués aussi, il a reconnu cependant que ces articles se trouvent dans la loi sur les warrants.
Je demande s'ils ont présenté dans la pratique quelques inconvénients. Si l'on en cite pas, tenons-nous à des textes connus et acceptés.
Messieurs, nous devons être sobres de corrections qui soient purement de style. Nous devons avant tout nous demander si les dispositions existantes ont présenté des lacunes ou ont donné naissance à des difficultés ; dans ce cas, on doit les compléter ou les réviser. Mais quand il n'y a pas de raisons pratiques, lorsqu'on ne signale pas d'inconvénients réels, il vaut mieux s'en tenir aux textes existants dont il existe une interprétation faite.
Je croîs donc, messieurs, qu'on peut maintenir les articles critiqués par l'honorable M. Demeur tels qu'ils se trouvent dans le projet de la commission.
Cependant celle-ci, je le répète en terminant, n'a pas la prétention de présenter des textes ne varietur ; au contraire, elle s'empressera d'admettre toutes les modifications dont la nécessité lui sera démontrée.
- La discussion générale est close.
M. le président. - Nous passons à la discussion des articles du titre VI, « Du Gage. »
L'article 34 du projet amendé par le gouvernement est ainsi conçu :
« Art. 34. § 1. Le gage constitué pour sûreté d'une dette commerciale se constate conformément au mode admis pour la preuve des conventions. en matière de commerce, sans préjudice aux dispositions de l'article 2075 du code civil, en ce qui concerne la signification au débiteur du transport à titre de garantie de toute créance mobilière ordinaire.
« § 2. Il se constate aussi, selon le mode admis, en matière de commerce, pour la preuve de la vente ou du transport d'un objet de même nature que celui donné en gage.
« § 3. L'endossement, le transfert et le transport, s'il y a lieu, mentionnent que les valeurs endossées, transférées ou transportées le sont à titre de garantie. »
La section centrale propose de rédiger cet article comme suit :
« Art. 34. Le gage constitué pour sûreté d'un engagement commercial se constate conformément au mode admis, en matière de commerce, pour la vente ou le transport d'objets de même nature que ceux donnés en gage.
« S'il s'agit de créances mobilières ordinaires, leur transport, à titre de gage, devra être signifié au débiteur conformément aux dispositions de l'article 2075 du code civil.
« S'il s'agit d'effets à ordre, l'endossement mentionnera qu'ils sont cédés à titre de garantie.
« Il est défendu d'antidater l'endossement à peine de faux. »
M. Jacobs propose, par amendement, de rédiger l'article comme suit :
« Art. 34. Le gage, pour sûreté d'un engagement commercial, se constitue et se constate conformément aux modes de formation et de preuve admis en matière de commerce pour la vente ou le transport d'objets de même nature que ceux donnés en gage ; seul, le transport, à titre de garantie, des créances mobilières ordinaires doit être signifié au débiteur. »
M. Cruyt, rapporteur. - Je viens, en peu de mots, justifier le changement de rédaction que nous avons cru devoir apporter à la rédaction proposée par le gouvernement.
La rédaction proposée par le gouvernement se borne à reproduire les termes ou du moins l'idée de la loi française de 1863. D'après cette loi, le gage, quant aux-valeurs négociables, peut se constituer d'une façon quelconque ; ainsi, une lettre de gage, par exemple, peut être donnée en gage sans même qu'il y ait un endossement. Telle est, en effet, l'interprétation que la loi française a reçue par les auteurs, notamment par MM. Bravard-Veyrières et Demangeat.
A mon avis, c'est aller beaucoup trop loin et ouvrir la porte aux abus.
Je crois qu'il vaut mieux se tenir au principe que le gage peut se constituer par tous les moyens par lesquels on peut faire une vente.
Ainsi, quand il s'agit d'effets négociables, il est évident que la propriété ne peut en être transmise que par l'endossement ; il est donc juste que le nantissement ne puisse également être fait que par l'endossement. Nous demandons même que l'endossement mentionne que l'effet est transmis à titre de garantie.
A l'article 88, dont la discussion doit venir plus tard, on propose de décider qu'un endossement en blanc est valable pour la transmission de l'effet, à titre de propriété ; d'après la rédaction de la commission, l'endossement en blanc ne suffirait pas pour constituer valablement un droit de gage sur l'effet négociable ; elle exige la mention expresse que c'est à titre de garantie que le titre négociable est endossé.
(page 669) M. Jacobs. - J'attire l'attention spéciale de la Chambre sur le premier article du titre que nous discutons ; selon qu'il sera bien ou mal rédigé, la loi sera bien ou mal faite.
D'après la rédaction du gouvernement et celle de la commission, il semble qu'il s'agisse d'établir les moyens de prouver l'existence des gages commerciaux, tandis que nous avons à déterminer quels sont les éléments constitutifs du gage commercial ; le but de la loi n'est autre que de simplifier les formalités requises pour établir un gage en matière de commerce.
Je vois, en effet, dans le premier rapport fait en 1870 par l'honorable M. Dewandre, sur la question du gage, j'y vois ce principe établi à presque toutes les lignes :
« Les négociants anversois demandent l'introduction dans le nouveau code de commerce de dispositions analogues à celles par lesquelles la loi française de 1863 a simplifié, en matière commerciale, les formalités exigées pour la constitution et pour la vente du gage.
« Plus la constitution et la réalisation du gage sont simples, plus la personne qui veut emprunter sur nantissement trouve facilement et à bas prix l'argent dont elle a besoin.
« Le moyen le plus simple et le plus rationnel pour atteindre ce but est d'exiger les mêmes formalités pour la mise en gage et la tradition de l'objet engagé, que celles admises par la loi pour la vente et la délivrance du même objet. »
Quel est donc le véritable but à atteindre ? Il est étranger aux questions de preuve ; il ne se rapporte qu'à la façon d'établir le gage en matière commerciale, à sa constitution, aux formalités constitutives qu'il s'agit de simplifier.
L'exposé des motifs de la loi française du 23 mai 1863 dit aussi que l'article 91 de cette loi a pour but de faire disparaître la nécessité des formalités requises par l'article 2074 du code civil, c'est-à-dire l'acte écrit et l'enregistrement.
Et de fait, en beaucoup de matières, il y a certaines formalités substantielles exigées. Elles peuvent le plus souvent servir accessoirement de preuve, il est vrai, mais, au fond, elles sont indépendantes de toute idée de preuve.
Ainsi, en matière de donation, l'acte authentique est requis. C'est un élément constitutif de la donation qui n'existe pas, à défaut d'acte authentique. Ce n'est pas là un mode de preuve.
Supposons, en effet, que l'acte authentique ait été détruit, que les minutes du notaire soient brûlées, on pourra, à l'aide de témoins, établir que cet acte authentique a existé, qu'il a péri dans le désastre et que par conséquent la donation réunissait les éléments constitutifs requis pour être valable. La preuve sera exclusivement testimoniale et aura pour but d'établir l'existence d'un élément constitutif de la donation, l'acte authentique.
La vente, d'après l'article 1583 du code civil, est un contrat purement consensuel.
Mais, pour certains objets, on exige des formalités. Le transport des créances requiert la remise du titre ; la propriété des actions au porteur s'établit, d'après l'article 35 du code de commerce, par la tradition ; la propriété des actions nominatives se transfère, d'après l'article 36, par la déclaration du transfert sur les registres de la société ; c'est ainsi encore que la propriété de la lettre de change se transmet par l'endossement.
Le transfert, l'endossement ne sont pas des preuves ; ils pourront occasionnellement servir de preuve, mais ce n'est pas à titre de preuve qu'on les exige.
Ce sont des formalités substantielles, qui touchent au fond ; ce sont des éléments constitutifs que la loi détermine.
Lorsque la commission et le gouvernement dans leur rédaction disent que le gage en matière commerciale se constate de telle et telle façon, ils perdent de vue qu'il ne s'agit pas d'établir les règles de la preuve, déterminées pour tous les engagements commerciaux par l'article 25 du projet, mais bien d'établir les règles de la constitution même du gage et qu'il y a lieu de se demander, non comment le gage se constate, mais comment il se constitue.
La loi française de 1863 s'est la première servie de ce mot « constate » qui a passé de là dans les diverses rédactions de la première commission, du gouvernement et de la commission définitive.
Mais voici comment la loi française a été conduite à s'en servir : à son article 91 elle dit que le gage se constate entre parties et à l'égard de tiers, conformément aux dispositions de l'article 109 du code de commerce. Cet article 109 règle la preuve en matière commerciale pour les ventes et les achats. Nous n'avons pas à nous préoccuper au même degré de la question des preuves, parce que l'article 25 du nouveau code de commerce, plus large que l'ancien article 109, en trace les règles non seulement pour les achats et les ventes, dispositions spéciales auxquelles on devait se référer en d'autres matières, mais pour tous les engagements commerciaux par une disposition générale.
Il serait donc inutile de s'occuper de la question de preuve si cet article 25 était voté.
Comme il ne l'est pas encore, comme nous entamons le titre du Gage avant d'avoir abordé l'article 25, je suis obligé, dans la rédaction de mon amendement, de parler à la fois des preuves et des éléments constitutifs.
Voici ma rédaction :
« Le gage pour sûreté d'un engagement commercial se constitue et se constate conformément aux modes de formation et de preuve admis en matière de commerce pour la vente ou le transport d'objets de même nature que ceux donnés en gage. »
L'article 91 de la loi française comprend plusieurs paragraphes ; après avoir posé un principe général de preuve en s'en référant à l'article 109 et en se servant du mot « constate, » il trace des règles spéciales dans lesquelles il ne se sert plus de ce terme ; dans lesquelles, devant indiquer les dispositions constitutives de certains gages spéciaux, il se sert du mot « établi » pour marquer de quelle manière ces gages s'établissent : « Le gage a l'égard des valeurs négociables peut aussi être établi par un endossement régulier... A l'égard des actions, parts d'intérêt, obligations... le gage peut être établi par un transfert... »
Enfin, pour les créances mobilières, la loi française se réfère à l'article 2075 du code civil qui prescrit une signification. On comprend, en effet, qu'une signification soit requise pour les créances mobilières ordinaires, autres que des obligations de société ou des titres de rente, par exemple. Une obligation, un titre de rente peut se donner en gage comme il peut se donner en pleine propriété, par la tradition, s'il est au porteur, par un transfert, lorsqu'il est en nom.
Mais une créance mobilière ordinaire, une créance qui se donne en gage pourrait n'être qu'un chiffon de papier si, aussitôt après l'avoir donnée, le propriétaire de la créance allait se faire payer par son débiteur. Le gagiste en possession du titre se croirait nanti d'une valeur et n'aurait qu'un chiffon ; c'est pour éviter ce résultat que l'article 2075 du code civil a exigé, pour le transfert des meubles incorporels, la signification au débiteur. Pour les créances il faut continuer à l'exiger.
Vous remarquerez, messieurs, que je supprime dans ma rédaction la disposition du gouvernement et de la commission qui demandent que dans l'endossement on indique qu'il est fait à titre de garantie.
C'est là un point tout à fait en dehors de la question que je viens de développer. Si mon amendement était admis, les derniers paragraphes de la rédaction de la section centrale pourraient s'y ajouter. Mais j'ai pensé qu'il fallait les biffer, qu'il ne fallait pas indiquer sur l'endossement la garantie ; cela ne servira qu'à compliquer le mécanisme de la loi et à nuire au crédit de celui qui remet le gage et le dégage ensuite.
Si je mets sur un effet « endossé pour garantie », cette formule restera sur le titre jusqu'au moment où il arrivera à échéance et chacun ainsi saura que tel négociant a été réduit, à tel moment, à la triste nécessité de devoir donner un gage.
Je ne vois aucune nécessité à rendre cela public. La commission nous dit, dans son rapport, que cette mention est l'unique moyen de prévenir le doute qui, sans cela, existerait souvent sur la portée du transfert que les parties ont voulu opérer.
Il n'y a, messieurs, pas de doute possible sur ce point : l'article 2230 du code civil dit, en effet, qu'on est toujours présumé posséder pour soi et à titre de propriétaire ; de sorte que la présomption sera qu'il y a vente. Il faudra que celui qui prétend n'avoir reçu l'effet que comme gage établisse par sa correspondance, par témoins, en un mot par tous les moyens admis en pareille matière, que ce n'est pas à titre de propriété, mais à titre de gage qu'il l'a reçu.
Je ne vois donc aucune nécessité et je vois de graves inconvénients à faire cette mention. Celui qui recevra à titre de gage devra prendre ses précautions. En affaires, chacun doit prendre les siennes pour bien établir sa situation.
Si j'admets, messieurs, qu'on suive complètement les règles de la vente, quant aux dations de gage, selon la nature des objets, si j'admets que l'endossement se fera de la même façon, que le transfert ou la tradition se fera de la même façon, que la signification se fera de la même façon ; qu'en un mot on se référera toujours au mode usité en matière de vente, je ne veux pas non plus, et ici je suis d'accord avec la commission, qu'on puisse (page 670) donner en gage une lettre de change uniquement par la simple remise. Je ne veux pas plus de formalités que pour la vente ; je n'en veux pas moins non plus et j'exige l’endossement pour le gage comme pour la vente.
Je n'admets pas la dation en gage d'un effet de commerce sans l'accomplissement d'aucune formalité.
Je pense qu'il faut s'en tenir aux formalités de la vente, c'est-à-dire l'endossement, rien de plus, rien de moins.
Endossement, sans mention que l'endossement a lieu à titre de garantie.
C'est pourquoi je supprime le dernier paragraphe de la rédaction de la commission.
- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. de Lantsheere, ministre de la justice. - Messieurs, j'aborde cette discussion dans le même esprit que l'honorable M. Van Humbeeck.
Le gouvernement, comme les membres de la commission, apporte le fruit de ses études, le résultat de son examen, sans avoir l'intention de repousser aucune amélioration, les appelant, au contraire, de tous ses vœux, aussi bien dans le fond que dans la forme.
Mais la première condition pour bien juger les amendements qui si produisent, c'est de s'entendre sur le but que l'on veut atteindre.
Un dissentiment se produit entre le gouvernement et la commission au sujet de la rédaction de l'article premier.
Les deux rédactions répondent à deux systèmes complètement différents et, avant d'apprécier à laquelle des deux il faut donner la préférence, il est nécessaire de déterminer, de fixer d'une manière bien nette et bien précise le but que l'on veut atteindre, l'idée que l'on entend exprimer.
Pour ma part, lorsque j'ai commencé l'examen de ce travail dont la Chambre, est depuis longtemps saisie, je n'ai pas eu la prétention de modifier la portée que la Chambre elle-même avait entendu donner à son œuvre.
J'ai cru que son intention était fidèlement exprimée dans le rapport déposé par l'honorable M. Dewandre en 1870, et je me suis préoccupé bien plus de rechercher si la rédaction arrêtée dès cette époque traduisait exactement la pensée de l'assemblée que de chercher à assigner à la loi un autre but, une autre portée.
Or, quel était le but indiqué par l'honorable M. Dewandre ?
Ce but était double : rendre plus facile et moins coûteuse la constitution du gage ; adapter les formalités du gage au nantissement des meubles incorporels et tout particulièrement au nantissement des effets de commerce et des actions de sociétés.
Le moyen d'atteindre ce double résultat, on avait cru le trouver d'une manière générale dans l'assimilation des formalités requises pour la constitution du gage et la tradition de l'objet engagé aux formalités prescrites pour la vente et la délivrance du même objet. Pour la formule, c'est à la loi française du 23 mai 1863 que la commission avait eu recours.
Elle y avait rencontré l'expression exacte de sa pensée. Aussi n'eut-elle d'autre pensée en proposant la rédaction de l'article 34 que de reproduire exactement la règle tracée par le législateur français.
M. Dewandre, après avoir exposé le but que se proposait la commission et le moyen le plus efficace de l'atteindre, ajoutait : « C'est ce qu'exige la loi française du 25 mai 1863 et c'est ce que votre commission vous propose d'admettre, mais en des termes plus généraux que ceux employés par cette loi. »
Or, messieurs, en examinant la rédaction proposée, on ne tarde pas à s'apercevoir que sous des termes plus généraux se cachent en réalité de sérieuses mais involontaires restrictions.
Je dis des restrictions involontaires et imprévues parce qu'elles atteignent précisément ces meubles incorporels dont la commission déclarait vouloir favoriser le nantissement, les effets de commerce et les actions de sociétés.
L'article 34 du projet de la commission porte :
« Le gage se constate conformément au mode admis, en matière de commerce, pour la preuve de la vente d'un objet de même nature que celui donné en gage. »
Or, quelle est la disposition qui règle la preuve de la vente ? C'est l'article 25 du projet actuel.
Il admet tous les modes de preuve consacrés par la loi civile et de plus la preuve testimoniale, dans les cas où le juge croit devoir y recourir, « sauf, ajoute1 l'article, les exceptions établies, pour des cas particuliers. » Or, parmi ces cas particuliers, pour lesquels une exception est admise, figure précisément la transmission de la propriété des effets de commerce.
La propriété des effets de commerce se transmet par la voie de l'endossement. De là cette conséquence que le nantissement d'un effet de commerce ne pourra s'établir que par le moyen de l'endossement. Or, la loi française va plus loin. Elle admet la preuve de ce nantissement non seulement par la voie de l'endossement régulier, mais encore par l'endossement irrégulier et même, en l'absence de tout endossement, par tout autre mode : un acte séparé, par exemple, la correspondance, etc.
C'est ainsi que Demangeat et Bédarride interprètent la loi et le texte, après avoir posé la règle générale dans le paragraphe premier, ajoute, en effet : « Le gage peut être établi par un endossement, etc. »
La restriction est donc bien réelle pour les effets de commerce.
Elle se rencontre également pour certaines actions de sociétés. Supposez une action nominative. La vente s'établira par le transfert opéré aux livres de la société, mais il peut se faire que les statuts de certaines sociétés n'admettent point le transfert à titre de garantie.
Je crains même que dans l'état actuel elles ne soient nombreuses. Toute cette catégorie d'actions se trouvera donc exclue du bénéfice de la loi. Nouvelle restriction que repousse la loi française.
Je crois que l'expression avait trahi la pensée de la commission et c'est pour assurer aux dispositions la même portée qu'aux dispositions de la loi française que j'ai proposé la rédaction qui vous est soumise.
Cependant, messieurs, la commission actuelle semble ne s'être pas assigné un but aussi étendu que la commission de 1870.
Elle déclare très nettement qu'elle n'entend pas qu'un effet de commerce puisse être donné en gage autrement que par endossement, et elle, va même plus loin, elle exige que l'endossement porte la mention qu'il est fait : « à titre de garantie. »
L'endossement en blanc lui-même est proscrit.
Quant aux titres de sociétés qui se trouveraient dans le cas que j'ai défini tout à l'heure, il faut renoncer à les donner en nantissement.
C'est à la Chambre qu'il appartient de décider lequel des deux systèmes doit être préféré. Au système le plus large, système qui est celui de la commission de 1870, répond la rédaction que je propose ; à l'autre répond la rédaction de la commission actuelle.
Je ne veux pas, à cet égard, émettre d'opinion personnelle, je reconnais que trop de facilités engendrent de sérieux dangers. Mais je me permettrai une observation.
Si vous êtes d'avis que ce soit une chose désirable que d'étendre et de faciliter le nantissement des effets à ordre, des actions de sociétés, vous devez, pour être logiques, vous rallier au système de la commission de 1870.
Décider, en effet, qu'un effet de commerce ne pourra être donné en gage qu'a la condition qu'il porte la mention qu'il est endossé à titre de garantie, c'est rendre moralement impossible le nantissement de ces valeurs.
Je conçois qu'un négociant qui a besoin de recourir à cet expédient avoue sa détresse à son bailleur de fonds. C'est une inévitable nécessité ; mais ce que vous n'obtiendrez pas de lui, ce que vous ne pouvez exiger, sans ruiner totalement son crédit, c'est d'inscrire l'aveu de son état de gêne sur un titre qui peut-être passera en plusieurs mains et qui doit, en définitive, tomber dans celles de son propre débiteur.
Il faut donc ou renoncer au nantissement des effets de commerce et manquer le but que la Chambre s'était proposé en 1870, ou bien effacer la nécessité de l'endos à titre de garantie et accepter la rédaction que je propose.
Que des abus puissent se présenter dans ce système, il ne faut pas se le dissimuler ; mais des abus peuvent se présenter aussi dans le système de la commission. Et en définitive, si, par crainte d'abus éventuels, on veut priver le commerce honnête des facilités qu'on lui a laissé entrevoir, autant vaut s'en tenir aux dispositions protectrices, trop protectrices peut-être du code civil.
Une autre observation moins importante mérite de fixer un instant votre attention.
La rédaction du gouvernement tranche en termes exprès la question de savoir si l'endossement peut servir de titre à une constitution dégage. Il était utile de donner une solution bien nette à la question, parce qu'elle a donné lieu à controverse.
La loi française n'y a pas manqué, la commission ne semble guère s'en être préoccupée et si l'on peut admettre qu'elle la tranche, ce n’est que par induction : « S'il s'agit d'effets à ordre, porte son projet, l'endossement mentionnera qu'ils sont cédés à titre de garantie. »
Il faut bien en conclure que l'effet à ordre peut être constitué en gage par la voie de l'endossement. Mieux vaudrait, à mon sens, le dire nettement et clairement.
(page 671) Un mot maintenant de l'amendement de M. Jacobs, D'après M. Jacobs il s'agit moins, dans le projet qui nous occupe, de régler le mode de preuve que les conditions constitutives du gage lui-même. C'est, je pense, une erreur complète. S'il ne s'agissait que de déterminer les conditions constitutives du gage, il suffirait de dire que le gage se constitue par le consentement des parties et par la tradition de la chose, ou mieux de reproduire la définition du nantissement telle que l'a donnée l'article 2071 du code civil, mais à ce prix il ne valait guère la peine d'introduire un titre nouveau dans le code de commerce.
Ce que nous avons en vue de régler c'est un mode de preuve. Cela est si vrai que lorsque en France la question qui nous occupe s'est présentée1, on s'est demandé s'il ne convenait pas de rattacher les dispositions nouvelles au titre des preuves, à l'article 109 du code. Et si le titre nouveau a été rattaché au titre de « la Commission », c'est que dans l'un comme dans l'autre il y a un privilège a régler.
D'après quel mode celui qui prétend exercer un droit de préférence sur un meuble corporel ou incorporel appartenant à autrui, établira-t-il ce droit au regard des autres créanciers du même débiteur ?
Telle est la question a résoudre. Sans doute, il puisera son droit dans le contrat de gage ; mais autre chose est ce contrat en lui-même, dans ses éléments constitutifs, entre parties ; autre chose est son efficacité à l'égard des tiers et le privilège qu'il engendre. C'est l'existence de ce privilège qu'il importe au créancier gagiste d'établir, ce sont les règles suivant lesquelles il en justifiera que nous traçons.
Les considérations que j'ai fait valoir me déterminent, messieurs, à maintenir la rédaction proposée par le gouvernement, sauf cependant un amendement de forme qui a été introduit par la commission. Il consiste dans la substitution des mots : « d'un engagement commercial » à ceux : « d'une dette commerciale. »
La commission a pensé que les mots « engagement commercial » avaient quelque chose de plus large, embrassaient même certaines opérations, notamment l'ouverture de crédit, que les mots « dette commerciale ». Dans cet ordre d'idées, je ne vois pas d'inconvénient à admettre la rectification que propose la commission.
M. Cruyt, rapporteur. - C'est en effet dans la pensée que vient d'indiquer l'honorable ministre de la justice que nous avons substitué le mot : « engagement » au mot : « dette ». Ce n'est pas seulement pour le cas d'ouverture de crédit que l'on pourra constituer des gages.
D'après le texte ainsi amendé on pourra le faire pour toute sorte d'engagements commerciaux.
Ainsi, par exemple, celui qui avancera de l'argent à un fabricant pour l'aider dans son industrie pourra, pour garantir l'exécution de l'engagement pris par celui-ci, délivrer ultérieurement les produits convenus, ou, pour la restitution de ses avances, se faire valablement remettre un gage.
En un mot, toutes sortes d'engagements commerciaux, devant s'exécuter à terme, pourront être, garantis par des nantissements.
Je dois maintenant un mot de réponse aux observations de l'honorable M. Jacobs ; car, si elles restaient sans réponse, elles pourraient donner lieu à des interprétations que je ne sauras admettre.
L'honorable membre a dit qu'il y avait une distinction à établir entre la constitution du gage et la preuve du gage.
En théorie, cela est très vrai ; mais comme dans la pratique, ainsi que vient de le dire M. le ministre de la justice, le privilège du gage ne doit être invoqué que vis-à-vis des tiers, tout se réduira d'ordinaire à une question de preuve.
Dans notre pensée, toutefois, le contrat de gage vis-à-vis des parties entre elles est un contrat purement consensuel, de même que la vente...
M. Demeur. - Et la tradition ?
M. Cruyt, rapporteur. - Elle doit nécessairement exister vis-à-vis des tiers, mais il y a convention valable entre les parties, du moment qu'il y a une promesse de gage. Il faut que celui qui a promis le gage s'exécute.
Posons un exemple : je suppose qu'il y ait eu convention de gage à raison d'un titre négociable et que le titre ait été remis par le débiteur au créancier sans avoir été endossé ; sans doute, il n'y aura pas de gage valable vis-à-vis des tiers, puisqu'il n'y a pas eu d'endossement ; mais celui à qui le gage aurait été ainsi promis et le titre remis aurait, vis-à-vis de celui avec lequel il a traité, un droit de rétention sur ce titre, parce qu'il y a eu entre eux convention valable indépendamment de tout endossement.
L'honorable ministre me semble persister dans les amendements qu’il a proposés à l'article premier.
J'ai déjà expliqué la différence très importante qui existe entre le système de la commission et le sien.
Je dois dire toutefois que les objections qui ont été faites à notre rédaction, d'après laquelle l'endossement devrait mentionner qu'il est fait à titre de garantie, notamment en ce qui concerne l'atteinte portée au crédit de celui qui a ainsi donné un titre en garantie, me paraissent sérieuses et de nature à faire réfléchir.
Je serais, quant à moi, plus ou moins disposé à me rallier à un changement de rédaction qui supprimerait la nécessité de cette mention.
L'honorable ministre critique aussi notre rédaction, si j'ai bien compris, en ce que nous ne mentionnons pas, d'une manière assez claire, que les actions de sociétés peuvent être données à titre de garantie.
Je pense, messieurs, qu'il doit être entendu que les cas rappelés dans l'article 34 ne sont mentionnés qu’exempli gratia, et que nous admettons d'une manière générale que tous modes propres au transfert de valeurs quelconques pourront toujours être suivis valablement pour donner ces valeurs en gage.
Si quelque autre rédaction dans ce sens était proposée, nous pourrions nous y rallier.
M. Pirmez. - Messieurs, je crois que l'honorable rapporteur renonce à la nécessité de la mention de la garantie dans l'endossement ; on est d'accord, me semble-t-il, pour supprimer cette disposition.
C'était à cet égard que je voulais prendre la parole. (Interruption.)
Si l'on n'est pas d'accord, je vais donner les raisons qui me paraissent déterminantes pour opérer la suppression dont on vient de parler.
Je crois, messieurs, qu'il est extrêmement important,, quand on fait une loi, de tâcher de faire une œuvre logique. Il est évident que si vous assimilez la constitution du gage aux règles qui concernent le transfert de la propriété, vous ne pouvez pas exiger des formes plus compliquées lorsqu'il s'agit de donner une garantie que lorsqu'il s'agit d'aliéner complètement une chose.
Je crois donc qu'il faut faire quelque chose du logique.
M. Tesch. - Vous admettez tous la nécessité de la possession pour qu'il existe un nantissement, je pense.
M. Pirmez. - Oui, mais en matière mobilière, la loi à l'égard des tiers règle les droits par la priorité de la possession.
M. Tesch. - La différence entre le gage et la vente existe néanmoins.
M. Pirmez. - Dans la pratique on aboutit à un résultat identique, la possession est, à l'égard des tiers, la seule garantie de l'acquisition. Du reste, l'article suivant règle parfaitement la question et il n'y a aucune difficulté à cet égard.
Je demande donc qu'on assimile les deux choses et je crois qu'à cet égard la rédaction de M. Jacobs est complète et exacte.
Seulement, je pense qu'il est fort inutile, dans cette rédaction comme dans les autres, de rappeler les formalités de la signification du transfert, puisque cette formalité est inhérente à la vente comme au gage quand il s'agit de créance, et il est par conséquent inutile de rappeler, d'une manière spéciale, la formalité du transfert. Je crois donc qu'on peut parfaitement supprimer la dernière phrase de l'amendement de M. Jacobs, comme le paragraphe 2 de l'article de la commission.
Messieurs, si l'on part de l'idée que je viens d'émettre et qui me paraît la seule logique, il est absolument impossible de maintenir l'obligation de mentionner que l'endossement est fait à titre de garantie.
Si on la maintient, voici la difficulté dans laquelle on se trouvera. Je suppose qu'un endossement en blanc soit employé pour donner une garantie ; d'après la disposition du projet de la lettre de change, l'endossement en blanc a pleine valeur, Qu'arrivera-t-il ?
Prétendra-t-on que l'endossement n'a rien transmis du tout, qu'alors que cet endossement pouvait transmettre le titre, que le bénéficiaire pourrait réclamer la lettre de change comme sa propriété et qu'il ne pourrait pas la conserver à titre de garantie ? Ainsi je suppose une lettre de change de 1,000 francs. Celui au profit duquel elle est endossée pourra la retenir en propriété pour 1,000 francs et il ne pourrait pas constituer une garantie de 500 francs sur ce même titre ? Evidemment il y a là une inconséquence, et dès l'instant que vous admettez une pleine valeur à l'endossement pour constituer la propriété, il est évident que vous devez lui donner aussi une pleine valeur pour constituer une garantie.
Je crois, messieurs, qu'il est d'autant plus important de supprimer cette disposition, qu'elle pourrait constituer une autre difficulté.
M. le ministre de la justice nous a dit qu'une lettre de change ne pouvait être transmise par un autre mode que l'endossement. Je crois que c'est une erreur. L'endossement est un mode privilégié de transmettre la lettre de change, un mode plus simple, plus facile que le mode ordinaire. (page 672) Mais je crois qu'il est parfaitement reconnu par la doctrine qu'on peut transmettre des lettres de change par les modes de cession ordinaires. Cette transmission peut se faire, par exemple, par un acte authentique avec signification.
On peut avoir recours à ce mode quand on n'a pas la lettre de change à sa disposition.
Maintenons donc ce principe et puisqu'on peut transmettre la propriété de la lettre de change par différents moyens, ne limitons pas à certains moyens la constitution du droit de gage sur la lettre de change.
Je crois donc, pour résumer ces observations, que nous devons nous borner à dire que le gage se constitue et se constate exactement de la même manière que la vente des matières auxquelles s'applique le gage. Cette disposition, jointe à celle de l'article suivant sur la nécessité de la possession, constituera un système inattaquable au point de vue de la logique comme au point de vue de la pratique.
M. Van Humbeeck. - Je suis en ce moment le seul membre présent qui fit partie de la commission du code de commerce à l'époque où le rapport de M. Dewandre y a été discuté.
Je crois pouvoir affirmer à l'honorable ministre de la justice qu'il se trompe sur la pensée de cette commission. Celle-ci s'est inspirée de la loi française du 23 mai 1863 et de la loi belge sur les warrants ; elle a voulu généraliser les facilités que ces deux lois avaient inaugurées, mais non en créer de plus grandes.
L'honorable ministre de la justice a été induit en erreur par un passage du rapport de M. Dewandre, passage qu'il nous a lu, mais sur la signification duquel il s'est trompé.
Ce passage prouve uniquement l'intention de ramener la création du gage commercial à une règle générale et simple, mais non pas l'intention de réduire tellement les formalités que la latitude de créer des gages fût affranchie de toutes les garanties que la loi doit réserver aux tiers créanciers.
La preuve de cette intention est dans le passage qui suit immédiatement celui dont l'honorable ministre a donné lecture :
« Ainsi, dit l'honorable rapporteur, quelle que soit la manière dont la vente d'un objet pourra se constater en matière commerciale, acte public, acte sous signature privée, correspondance, livres des parties, preuve testimoniale, endossement, mention de transfert, l'engagement de cet objet pourra se constater de la même manière. »
Plus loin, parlant spécialement du gage à établir sur des effets de commerce, l'honorable rapporteur dit encore :
« S'agit-il d'un effet de commerce, dont la propriété et la possession se transmettent par un endossement et par la remise du titre, le créancier gagiste aura droit à son privilège vis-à-vis des tiers, lorsqu'il détiendra le titre revêtu d'un endossement constatant qu'il lui a été remis en gage. »
La pensée était donc exclusivement d'assimiler le mode d'engagement au mode de vente.
Si nous avions voulu élargir le système de la loi française de 1863, nous n'aurions, évidemment, pas supprimé le paragraphe 2 de l'article 91 de cette loi.
Je crois qu'il faut rester dans le système admis par la commission de 1870. Je ne puis m'habituer à l'idée qu'un nantissement sur des valeurs négociables puisse être établi même par la preuve testimoniale.
On a critiqué beaucoup l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la commission, d'après lequel l'endossement doit mentionner que les effets sont cédés à titre de garantie.
Un telle disposition, dit-on, paralyse les effets de la loi. Un débiteur embarrassé ne consentira jamais, sous un pareille condition, à donner en garantie des valeurs négociables puisque, au moment de l'échéance, la preuve de l'embarras dans lequel il s'est trouvé sera portée à la connaissance du souscripteur et un peu de tout le monde.
Mais, messieurs, il sera toujours libre au débiteur embarrassé, qui ne se résignerait pas à une pareille mention dans l'endossement, de faire un endossement pur et simple, en consentant à suivre la foi du créancier nanti.
C'est dans l'intérêt du débiteur que la mention est exigée. Si vous la supprimez, il en résultera que le créancier gagiste sera toujours en possession de titres endossables qui, selon les apparences, leur auront été transférés en pleine propriété. S'ils veulent alors abuser de ces titres, autoriserez-vous l'emprunteur à établir qu'il n'y a en réalité qu'un véritable gage ?
Mais c'est revenir constamment par voie indirecte, par voie d'exception, à la preuve par témoins du gage commercial sur effets endossables, ce qui est à mon avis, une conséquence qu’il faut éviter.
La mention de la cause de garantie dans l'endossement peut encore avoir d'autres effets utiles. Il peut arriver dans certaines circonstances que des valeurs négociables déjà endossées se trouvent encore dans le patrimoine de l'endosseur au moment où des créanciers exercent leur recours sur le patrimoine.
Dans ce cas, si l'endossement est translatif de la propriété, les valeurs, quoique étant encore en possession du débiteur, appartiendront néanmoins à celui au profit de qui elles sont endossées ; si, au contraire, l'endossement est constitutif d'un gage, par le fait seul que les valeurs sont encore dans la possession du débiteur, elles feront l'objet d'un recours de ses créanciers. La mention de la constitution de garantie, combinée avec l'absence de délivrance, empêchera que le privilège conféré n'ait des effets à l'égard des créanciers.
Les valeurs négociables resteront donc le gage commun de ces derniers.
Je ne redoute donc point les inconvénients attachés à la disposition critiquée ; je crains plutôt que des inconvénients ne résultent de la suppression.
M. Jacobs. - Je comprends qu'en France on se soit préoccupé spécialement de la question de la preuve du gage parce qu'on se référait à l'article 109 du code de commerce qui ne règle la preuve qu'en matière d'achats et de ventes. Mais nous avons dans notre projet un article 25 qui traite de la preuve des engagements commerciaux en général ; je ne comprendrais donc pas qu'on fît encore, au sujet de la preuve, un second article spécial au gage.
On m'objecte que, s'il ne s'agissait que de déterminer les éléments constitutifs du gage, il suffirait de dire, que ce contrat se constitue par le consentement des parties et par la tradition de l'objet.
Cela n'est vrai qu'en thèse générale, comme l'article 1583 du code civil dit que la vente est, en règle générale, parfaite par le seul consentement des parties.
Mais nous ne traitons pas seulement du gage à l'égard des parties, nous traitons encore du gage en ce qui concerne les tiers ; or, la propriété des titres au porteur ne se transmet que par la tradition ; la propriété des actions nominatives ne se transmet que par un transfert dans les registres de la société ; la propriété d'une lettre de change ne se transmet que par l'endossement.
Il faut plus que le consentement pour la vente de ces objets et c'est pour cela que nous exigeons plus aussi à l'égard de ces objets pour le gage.
C'est une erreur que de prétendre qu'en toute matière, pour constituer un gage, il suffit du consentement et de la possession. Quand il s'agira d'actions nominatives, il faudra le transfert dans le registre ; quand il s'agira de lettres de change, il faudra l'endossement.
M. Tesch. - Vous ne pouvez pas dire : Cela se constitue comme la vente. Il faut la possession en fait de lettres de change.
M. Jacobs. - C'est pour cela qu'immédiatement après l'article 34 vient l'article 35 qui, outre les conditions requises pour la vente, exige la possession.
L'article 35 vient corriger ce qu'il y a de trop absolu dans l'article 34 ; il le complète. Il ajoute précisément aux formalités en matière de vente la seule condition distinctive entre le gage et la vente. Mais, messieurs, que l'on dise : « se constitue », ou que l'on dise : « se constate » ou bien encore que l'on dise les deux choses, comme je le propose, l'intention de la Chambre est d'exprimer une seule et même chose par ces trois formules. Mieux vaut l'exprimer clairement, de façon qu'il n'y ait pas de doute possible, et non de façon à laisser subsister des obscurités.
L'intention de la majorité de la Chambre, me paraît-il, c'est, à part la question de possession, d'établir en principe que les mêmes formalités qui constituent la vente constitueront le gage. Ni plus, ni moins.
L'honorable M. Pirmez me demande pourquoi j'établis une finale à l'article. Je vais le lui dire : c'est précisément pour restreindre la portée de l'article 1690 du code civil.
Cet article 1690 porte qu'en cas de transport de créances et autres droits incorporels, la signification du transport doit être faite au débiteur.
Or, ce qui s'applique, d'après l'article 1690, à tous les droits incorporels indistinctement, je ne l'applique qu'aux créances ordinaires.
M. Pirmez. - Cet article ne s'applique évidemment pas aux actions au porteur ni aux lettres de change.
M. Jacobs. - Il peut y avoir des droits incorporels, tels que les actions des sociétés civiles industrielles, pour lesquelles, en prenant l'article 1690 à la lettre, il faut une signification. Je l'exclus pour ces droits incorporels civils comme pour ceux qui ont un caractère commercial, et je ne le maintiens que pour les créances mobilières ordinaires.
(page 673) C'est donc pour établir l'exclusion de tous autres droits incorporels que je mentionne les créances. Cela n'est peut-être pas absolument nécessaire, ces explications étant données, mais cela me paraît préférable pour dissiper tout doute sur la portée de l'article.
M. Bara. - La Chambre sait comment est né le projet de loi dont elle est en ce moment saisie. Le gouvernement n'avait d'abord proposé aucune disposition relativement au gage. Il maintenait sous ce rapport ce qui existe dans le code civil et dans le code de commerce. Des réclamations ayant surgi, notamment de la part de commissionnaires d'Anvers, la commission parlementaire chargée de l'élaboration du titre des Commissionnaires, et dont M. Dewandre était le rapporteur, a rédigé un projet sur le Gage. Le gouvernement, plus tard, a révisé le projet de la commission et ce sont ces amendements que nous discutons en ce moment.
Je suis complètement désintéressé dans le débat, puisque je n'ai pas fait de proposition quand j'étais ministre de la justice. La matière est difficile, et tout en rendant hommage aux efforts qui ont été faits, je me permets d'adresser un reproche général aux diverses propositions en discussion, c'est de vouloir, en une seule disposition, définir la manière dont s'établit le gage.
Ainsi quand on dit avec le gouvernement : « Le gage constitué pour sûreté d'une dette commerciale se constate conformément au mode admis pour la preuve des conventions en matière de commerce », quand on s'exprime ainsi, on ne dit pas la vérité.
Ce n'est là qu'un des éléments du contrat de gage ; il faut, de plus, une tradition et une possession en mains du créancier. La rédaction, sous ce rapport, est donc incomplète.
Je fais le même reproche à l'amendement de l'honorable M. Jacobs. Que dit cet amendement ? « Le gage, pour sûreté d'un engagement commercial, se constitue et se constate conformément aux modes de formation et de preuve admis en matière de commerce, etc. »
Eh bien, cela est sous certain rapport inexact. Ainsi, par exemple, je vends un cheval ; il y a un écrit qui prouve la vente ; donc il y a un contrat parfait.
Mais si je vous donne en gage ce cheval et que je ne le livre pas, il n'y a pas de Gage. Aussi, le code civil n'a-t-il pas procédé ainsi : il s'est abstenu de définir en un article la manière dont s'établit le gage ; il a énuméré en plusieurs articles les conditions qu'il fallait réunir pour avoir un droit de gage sur un meuble.
M. Jottrand. - L'article 2071 le définit.
M. Bara. - Cet article dit : « Le nantissement est un contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier pour sûreté de la dette. »
L'article 2075 dit que le gage confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose qui en est l'objet par privilège et préférence aux autres créanciers. »
Mais ce n'est pas là une définition de la manière d'établir, de créer le gage.
Le code ne définit pas cette manière, mais il indique, dans les articles 2074, 20753 et 2076, les conditions exigées pour l'exercice du droit de préférence sur un meuble, comment le gage va s'établir, et il dit :
D'après l'article 2074, il faut un acte public ou sous seing privé enregistré.
D'après l'article 2075, en cas de meubles incorporels, il faut de plus une signification au débiteur de la créance donnée en gage.
Enfin, dans les deux cas, d'après l'article 2076 il faut que le gage ait été mis et soit resté en la possession du créancier.
Je crois que le mieux serait de laisser subsister le code civil auquel le code de commerce ne doit pas déroger, et stipuler les modifications qu'exige la matière commerciale. On aurait l'avantage de conserver sur beaucoup de points la jurisprudence admise pour le code civil.
Je crois que vous devriez procéder de la même manière et laisser subsister les articles du code civil.
Vous pouvez diminuer les rigueurs, supprimer la nécessité du contrat public ou sous seing privé enregistré, mais, maintenez l'économie du code civil ; sinon votre définition sera incorrecte au point de vue grammatical et au point de vue juridique.
Vous dites plus qu'il n'y a dans votre pensée, et vous êtes obligés d'ajouter dans l'article 35 à la rédaction insuffisante de l'article 34, en exigeant que le gage soit en la possession du créancier.
J'espère que, d'ici à mardi, l'honorable ministre de la justice pourra voir s'il n'y a pas moyen de présenter une rédaction meilleure de manière a faire disparaître toute difficulté.
Je ferai encore une observation au sujet de l'amendement de l'honorable M. Jacobs. Il peut être très bon, mais nous ne l'avons eu qu'hier soir, et nous n'avons pu l'examiner suffisamment. Or, en cette matière, il faut être prudent et ne pas voter à la légère des amendements.
Il faut que M. le ministre de la justice et la Chambre aient toujours le temps d'apprécier les amendements importants.
J'ai maintenant à présenter une observation sur le système du projet de loi.
Dans l'article 34 et dans l'article 35, il y a deux systèmes, selon qu'il s'agit de gage portant sur des meubles corporels ou de gage portant sur des meubles incorporels. S'agit-il de gage sur des meubles corporels, il faut que l'objet donné en gage soit dans les magasins, dans les navires du créancier, ou soit dans un dépôt public ou en douane. De telle sorte que cela est contraire à la disposition du paragraphe premier de l'article 35 qui dit : « Le privilège n'existe sur le gage, à l'égard des tiers, qu'autant qu'il a été mis et est resté en la possession du créancier ou d'un tiers convenu entre les parties. » Je demande une explication sur ce point.
M. Van Humbeeck. - C'est une explication relative à des cas exceptionnels et pour lever des doutes : le créancier est présumé en possession.
M. Bara. - L'honorable M. Van Humbeeck se trompe, ou je me fais mal comprendre. Prenons un exemple.
Je suppose que j'ai un cheval ; je n'ai pas d'écurie chez moi ; il est chez un tiers ; est-ce que je ne pourrai pas le donner en gage, en stipulant qu'il restera chez ce tiers ?
Eh bien, le paragraphe 3 s'y oppose, parce que dans ce cas le cheval ne sera ni chez le créancier, ni en douane, ni dans un dépôt public, il sera chez un tiers convenu.
Le paragraphe 3 de l'article 35 semble donc apporter une restriction inadmissible à ce qui est dit au paragraphe premier du même article, et il faudrait alors ajouter après les mots « dépôt public » les mots « ou dans un endroit quelconque. »
M. Jottrand. - Le tiers doit avoir la possession dans les mêmes conditions où le créancier lui-même peut l'avoir.
M. Bara. - Evidemment ; c'est-à-dire que l'objet que je donne en gage peut se trouver partout ailleurs, peut se trouver chez un tiers et non pas nécessairement chez le créancier. Dès qu'il m'appartient, je puis le donner en gage, et si je conviens avec mon créancier que je le lui donne en gage à condition de le laisser chez le tiers, où est l'inconvénient ? Pourquoi voulez-vous m'en empêcher ? (Interruption.)
Le paragraphe 3 constitue certainement dans ses termes une restriction. Dans son Cours de droit commercial, M. Namur explique que l'objet donné en gage doit pouvoir être dans tout autre emplacement qu'un dépôt public ou chez le créancier ; sinon l'article 35, paragraphe 35, est restrictif.
M. Van Humbeeck. - Ce n'est pas la pensée.
M. Bara. - Je crois aussi que telle ne peut être la pensée de l'auteur de l'article, et c'est pourquoi il faut modifier la rédaction et dire : « ou dans un emplacement quelconque. »
- Un membre. - Ou dans tout autre lieu convenu.
M. Bara. - Ou dans tout autre lieu convenu, si vous le voulez. La pensée est la même.
Quant aux endossements et aux transferts, je ne puis non plus admettre le système du gouvernement. Il est clair que si vous allez permettre pour les effets, pour les lettres de change, etc., de les donner en gage par une simple tradition, sans aucune espèce de formalité, si ce n'est l'inscription : à titre de garantie, vous allez faciliter la constitution du gage des effets, mais, d'un autre côté, vous allez ouvrir la porte à une foule d'abus.
Lorsqu'il s'agit de donner en gage des meubles corporels, les dangers pour les tiers sont moins considérables, mais lorsqu'il s'agira de donner en gage des effets, il faut être plus rigoureux. Je crois que si l'on admet qu'un effet de commerce peut se transférer sans un acte public ou seing privé enregistré, il n'v a plus de sécurité pour les tiers, surtout si on n'observe pas le mode de transfert admis par le code de commerce.
Je crois donc qu'il faut exiger l'endossement régulier. Quels inconvénients peut-il y avoir à cela ? Je n'en vois pas.
(page 674) Votre endossement à titre de garantie va créer une foule d'embarras. Que ferez-vous de cette mention lorsqu'il faudra négocier l'effet ? L'effacer ? Mais acceptera-t-on aussi facilement l'effet portant cette rature ? Vous créerez une foule de difficultés.
Quant au paragraphe 2, je demanderai à M. le ministre de la justice s'il ne le considère, pas comme inutile ?
Le paragraphe premier dit : «... pour la preuve des conventions en matière de commerce, etc. »
Et le paragraphe dit : «... pour la preuve de la vente ou du transport... »
Or, la vente ou le transport sont des conventions. Le paragraphe 2 ne fait donc que répéter le paragraphe premier.
Il me semble que tout au moins le paragraphe 2 devrait être supprimé.
Je termine en priant M. le ministre d'examiner mes observations et de voir s'il y a lieu et s'il n'y a pas moyen d'en tenir compte.
M. Jottrand. - Je demande la parole.
- Des membres. - A mardi !
- La séance est levée à 4 heures et demie.