(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 211) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Van Linn prie la Chambre de charger un avocat à Bruxelles de faire payer par un habitant de Schaerbeek un reliquat de compte dû au docteur Sell, à Cologne. »
— Renvoi à la commission des pétitions.
« Des pêcheurs dans les cantons de Lokeren, de Hamme et de Termonde demandent que les dispositions qui régissent la pêche sur l'Escaut, depuis le passage d'eau à Tamise jusqu'à Termonde, ainsi que sur la Durme à Lokeren, soient modifiées dans le sens des dispositions en vigueur sur le Bas-Escaut. »
- Même renvoi.
« Le sieur Stembert, ancien préposé des douanes, demande une augmentation de pension.
- Même renvoi.
« Le sieur Vander Bruggen demande que la langue flamande soit enseignée convenablement à l'Ecole militaire et à la nouvelle école de guerre. »
- Même renvoi.
« Le secrétaire communal de Wierde prie la Chambre de statuer sur les pétitions des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Des instituteurs communaux du canton de Spa prient la Chambre d'adopter, pendant la présente session, le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« La chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles prie la Chambre d'ordonner une enquête publique sur toutes les questions qui intéressent l'exploitation des chemins de fer en Belgique et de décider que la commission d'enquête comptera au nombre de ses membres des représentants de l'industrie et du commerce. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie, avec demande d'un prompt rapport et dépôt sur le bureau pendant la discussion du crédit de 12,080,000 francs au département des travaux publics.
« Par message en date du 21 décembre 1871, le Sénat informe la Chambre des représentants qu'il a adopté le projet de loi contenant le budget des voies et moyens pour l'exercice 1872. »
« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Charles-Paul-Hubert Tillemans. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. de Macar. — J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'augmentation du traitement des greffiers provinciaux.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Il a été convenu, à la fin d'une des séances précédentes , que la parole serait donnée, pour un fait personnel, à M. de Kerckhove, lorsque la discussion du budget de la guerre serait reprise.
M. de Kerckhove a donc la parole.
M. de Kerckhove. - Messieurs, je commence par demander pardon à la Chambre de lui parler encore une fois du meeting de Liège, et cela au beau milieu de la discussion du budget de la guerre. Mais la Chambre voudra bien reconnaître, je l'espère, qu'il n'y a pas de ma faute, que le seul auteur responsable de ce hors-d'œuvre, c'est l'honorable M. Frère-Orban, à qui décidément ce malheureux meeting semble avoir enlevé tout repos. L'honorable représentant de Liège en perd même la mémoire ; il oublie ou il feint d'oublier d'où est partie l'attaque. Voici, en effet, les paroles de l'honorable représentant : « C'est, en vérité, comme un écho du thème des meetings antimilitaristes ; nous en sommes encore là. C'était le système des meetings antimilitaristes dont nous a parlé l'autre jour M. de Kerckhove. Il m'a traite de Turc à More... etc. »
Vous le voyez, messieurs, j'ai parlé l'autre jour des meetings antimilitaristes et j'ai traité M. Frère de Turc à More... Après cela, il n'y a plus à en douter : c'est, moi qui ai commencé la guerre ; guerre injuste, cela va de soi ; c'est moi qui suis l'agresseur. Voilà ce qu'insinue M. Frère, alors que, la Chambre en est témoin, je n'ai fait, l'autre jour, que me défendre contre des attaques, Dieu merci, assez souvent renouvelées pour que j'eusse le droit de perdre enfin patience. Mais l'honorable M. Frère avait besoin de cette insinuation pour pouvoir reparler du meeting de Liège et de lui-même.
Réellement, messieurs, je ne puis m'empêcher de le dire, et l'honorable M. Frère voudra bien me pardonner ma franchise, je croyais l'honorable représentant de Liège plus maître de lui-même (lui qui aime tant à être le maître). Je le croyais plus capable de commander à ses émotions. Mais l'amour-propre, - je me sers d'un terme radouci, - l’amour-propre est comme la colère ; c'est un mauvais conseiller. Quand une fois l'amour-propre s'est emparé d'un homme, si distingué qu'on le suppose, il le domine, il le mène, il le rend capable des plus grandes niaiseries.
Je me serais dispensé d'en faire l'observation, je n'aurais même pas répondu à la nouvelle philippique de l'honorable M. Frère, s'il s'était agi de moi seul.
Turc, ou More, démocrate, clérical ou doctrinaire, j'aurais laissé tomber tout cela jusqu'à nouvel ordre. L'occasion n'aurait pas tardé à se représenter ; car l'honorable M. Frère nous aurait bien reparlé, l'un ou l'autre jour, du meeting de Liège.
Mais l'honorable M. Frère veut absolument rendre le parti conservateur responsable de ce que j'ai fait, moi, au meeting de Liège. Parce que j'ai été à Liège, avec quelques amis politiques, avec des membres de cette Chambre, l'honorable M. Frère se signe avec horreur - se signe à sa façon - et crie à l'abomination : il voit le grand parti de l'ordre, le grand parti conservateur sombrer dans le socialisme, dans le communisme, qui sait ? peut-être même dans le mormonisme. (Interruption.)
M. Bouvier. - Cela tient un peu de la Turquie.
M. de Kerckhove. - L'honorable M. Bouvier veut bien m'interrompre, selon sa louable coutume. Eh bien, je me permettrai de dire à l'honorable membre qu'il remplit ici de singulières fonctions. Quand on porte le nom de M. Bouvier, on devrait se garder d'exciter sans cesse la Chambre du geste et de la voix. (Interruption.)
(page 212) M. Bouvier. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je n'ai rien dit ni rien fait.
M. de Kerckhove. - Il est vrai que l'honorable M. Frère prétend que nous nous sommes convertis. Il devrait donc nous féliciter; eh bien, c'est tout le contraire : il nous accable de reproches parce que, l'année dernière, pendant la guerre, nous avons cru devoir voter les dépenses nécessaires pour mettre le pays à l'abri de toute surprise.
Mais, si nous avions fait le contraire, que serait-il arrivé ?
Certes, l'honorable M. Frère n'aurait pas manqué de nous signaler comme de mauvais citoyens, comme des révolutionnaires, des traîtres à la patrie. Il nous aurait, au moins, reproché de manquer de tout esprit gouvernemental. Et maintenant, M. Frère va jusqu'à me faire un grief d'avoir réservé mon vote sur le budget de la guerre, d'avoir voulu réfléchir ; et c’est lui, il le dit, qui a produit chez moi cette hésitation. Là-dessus, M. Bouvier s'écrie triomphalement : Et M. de Kerckhove a voté le contingent ! Et ceci, pour le dire en passant, est encore une inexactitude de M. Bouvier, vu que je n'étais pas même à la Chambre le jour où le contingent a été voté.
M. Frère donc prétend que j'hésite. Eh bien, oui. J'hésite en présence de la proposition d'ajournement qui est partie des bancs de la gauche, parce que, à mes yeux, c'est là une pure tactique de parti et que je ne suis pas assez simple pour aider aux manœuvres de l'opposition.
Mais, messieurs, ce n'est pas tout cela qui préoccupe M. Frère, ni mes votes, ni mes paroles, ni les discours du meeting de Liège ; l'intérêt est ailleurs : la grande affaire, pour lui, c'est de savoir ce qu'on a fait de son nom à cet affreux meeting. Aussi, voyez comme l'honorable M. Frère discute les chiffres et les détails que j'avais donnés !
D'abord il n'admet pas, il ne saurait admettre qu'il y ait eu un grognement à son adresse. La chose n'est pas consignée au procès-verbal. Et cependant cela en valait bien la peine ! Peut-on supposer que le procès-verbal n'eût pas consigné un fait aussi grave ?
Et puis j'ai osé dire que tout le monde - excepté moi, M. Frère - que tout le monde avait crié : « A bas Frère ! » Dès lors il est impossible, aux yeux de l'honorable représentant de Liège, qu'il y ait eu là trois ou quatre mille personnes. Il ne pouvait y avoir tout au plus qu'un millier de malheureux. « C'est, dit M. Frère, le nombre des signataires de la pétition. » Comme si une pétition déposée derrière une porte et qu'on signait quand on pouvait en approcher, à travers les ondulations de la foule, comme si une pareille pétition était une liste de présence !
Du reste, il suffit d'une simple observation pour apprécier les calculs de M. Frère. Tout le monde sait, à Liège, que la salle de la Renommée peut contenir aisément 3,000 personnes. Or, cette salle était comble, tout ce qu'il y a de plus comble, et cela sans parler des abords du local.
M. le président. - M. de Kerckhove, restez dans le fait personnel.
M. de Kerckhove. - Soit. Je laisse là l'arithmétique de M. Frère. Cette manière de calculer, qui consiste à réduire le nombre de ses adversaires pour avoir le droit de les dédaigner, est une vieille tactique bien usée. Pourtant, je ne veux pas disputer cette illusion à M. Frère, puisqu'il paraît y attacher tant de prix. D'ailleurs, j'ai autre chose à lui dire.
D'abord, un mot sur l'ensemble des procédés de composition de l'honorable représentant de Liège. Voici comment il s'y prend. Il découpe quelques phrases du discours que j'ai prononcé au meeting de Liège ; il les rapproche d'autres extraits de discours prononcés par d'autres personnes, soit là, soit ailleurs, et de discours très colorés bien entendu ; puis, avec un art que je ne conteste pas, il agence si bien les choses que, pour l'auditeur d'abord, et pour le lecteur ensuite, le tout semble être sorti de la même bouche. Cela ne manque pas de produire un certain effet : un catholique dire de pareilles choses ! quelle horreur !
De la part d'un ancien ministre, c'est peut-être de la diplomatie ; mais, pour ma part, je n'en ai jamais pratiqué de pareille.
D'après M. Frère, le principe même du meeting était mauvais : il ne fallait pas s'associer à l'Internationale.
J'ai dit, messieurs, et je répète qu'en Belgique, à cette époque, l'Internationale n'avait pas pris les développements ni le caractère qu'elle a aujourd'hui. Donc...
M. Vleminckx. - Ce n'est pas là le fait personnel.
M. de Kerckhove. – Comment ? Je me défends ; je dis que l'Internationale n'avait pas alors le caractère qu'elle a pris depuis....
M. Vleminckx. - Oui, mais je prétends que ce n'est pas là le fait personnel ; bornez-vous à répondre au fait personnel.
M. de Kerckhove. - Je réponds au fait personnel, et d'ailleurs, M. Vleminckx, vous n'avez pas la police de l'assemblée.
M. Vleminckx. - Je ne vous parle pas, je parle au président.
M. Bouvier. - Laissez parler.
M. le président. - Continuez, M. de Kerckhove, mais renfermez-vous dans le fait personnel.
M. de Kerckhove. — Je n'en suis pas sorti, M. le président. M. Frère m'a représenté comme un suppôt de l'Internationale ; j'ai le droit d'établir que l'accusation n'est fondée sur rien. Il a travesti ma pensée et mes paroles ; je dois pouvoir le démontrer à la Chambre. Je continue donc.
Voici la vérité :
Certains hommes avaient voulu établir en Belgique un centre d'action pour une association internationale d'ouvriers ; ils avaient échoué dans leurs efforts ; c'est alors que ces hommes se sont rabattus sur Londres, où ils ont tenu le grand meeting dont a parlé M. Frère. Après Londres, ils sont allés à Genève, à Lausanne, et je ne sais où encore. Mais à Liège, l'Internationale ne figurait pas sous ce nom. J'ai ici le compte rendu du meeting ; je suppose que c'est le même qui a servi à M. Frère. Eh bien! je n'y trouve aucune mention de l'Internationale.
D'abord le meeting n'était pas présidé, comme M. Frère l'a dit un jour dans cette Chambre, par M. Maréchal, président de l'Internationale.
M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit cela.
M. de Kerckhove. - Si ce n'est pas vous, M. Frère, c'est quelqu'un des vôtres. (Interruption.)
Messieurs, comme c'est l'honorable M. Frère qui a parlé, et parlé souvent du meeting de Liège, j'ai dû supposer que c'était lui qui avait commis cette erreur. Quoi qu'il en soit, j'affirme que la chose a été dite, et j'affirme aussi que c'est complètement faux.
Le meeting était présidé, non par M. Maréchal, mais par M. Viclor Hénaux, ancien échevin de la ville de Liège. Quant à M. Maréchal, il ne figure pas là sous le titre de président de l'Internationale, mais bien comme président de la Ligue des travailleurs. C'est une nuance très importante.
M. Frère-Orban. - La Gazette de Liège dit le contraire.
M. de Kerckhove. - J'en doute très fort. Pour moi, je vous dis qu'il y avait là des radicaux, des hommes de la Tribune, que l'honorable M. Frère-Orban connaît parfaitement, mais pas autre chose.
L'honorable M. Frère-Orban se demande aussi comment j'ai pu ignorer les doctrines de l'Internationale. D'après lui, c'est là ce que j'aurais déclaré à la Chambre, et naturellement cela le fait sourire de pitié.
Mais je n'ai pas dit cela. Voici mes paroles, et je n'ai rien à rétracter.
« Elle (l'Internationale) n'avait pas alors l'organisation qu'elle a aujourd'hui, avec les doctrines qu'elle avoue et proclame devant le monde, avec ces doctrines infâmes... (Interruption.)
« Oui, infâmes, et auxquelles je n'ai jamais, ni de près ni de loin, prêté ni pu prêter le moindre appui, ni donner le moindre encouragement. Je l'affirme sur l'honneur. Est-ce clair ? »
Voilà ce que j'ai dit. Or, de quoi s'agissait-il à Liège ? Suis-je allé là pour aider l'Internationale? Ai-je prêté l'appui de ma faible parole à ses doctrine s? Est-ce l'Internationale qui m'a convoqué ? Mais pas du tout. Ce sont des conservateurs, comme moi, qui m'ont appelé. Et appelé pourquoi ? Uniquement pour protester contre la conscription et l'exagération des charges militaires. Le titre même du meeting le prouve.
Soit, dira M. Frère, mais il y a eu là une monstrueuse coalition. Une coalition ! Mais M. Frère lui-même admet le principe des coalitions. Il nous a cité à ce propos MM. de Potter et Félix de Mérode, deux hommes très éloignés par les idées et qui pourtant se sont rapprochés et coalisés pour fonder l'indépendance de la Belgique.
Il est vrai, l'honorable M. Frère-Orban y met une condition : il faut que le but de la coalition soit licite. Licite sans doute ; mais, dans toute entreprise, il faut que le but soit licite ; sinon l'entreprise est mauvaise. Or, précisément pour nous, dans notre conviction, l'abolition de la conscription était un but parfaitement licite. Je l'ai toujours cru et le crois encore. Et voilà ce qui m'a fait parler au meeting de Liège. Mais ai-je attaqué autre chose ? Ai-je attaqué l'armée ou quelqu'une de nos institutions ? Pas le moins du monde.
Je crois même que je n'ai pas été très sévère pour l'honorable M. Frère-Orban. Vous allez en juger, messieurs. Voici ce que j'ai dit de plus fort :
« Si encore, à côté de ce qu'on demande au peuple, aux travailleurs, on leur apportait de nouveaux droit; mais le doctrinarisme ne donne pas de droits ; il est impitoyable : les uns, il les exclut sous prétexte de cléricalisme ; les autres, sous prétexte de radicalisme, il veut tout attirer à lui, et, s'il m'est permis de vous rappeler certaine vieille chanson, appelée, je crois, la Distribution des prix, il fait comme ce mathématicien enfant qui « pose zéro et relient tout... » Messieurs, un grand historien, s'effrayant à tort des progrès que faisait la mécanique en Angleterre, prévoyait le moment où l'Angleterre, tout entière, n/aurait plus été qu'une machine, (page 213) dont le premier ministre aurait tenu la manivelle. Eh bien, c'est là ce que les doctrinaires veulent faire en Belgique. Il y a un premier ministre que je n'ai pas besoin de nommer » (vous le voyez, M. Frère, je ne vous nommais même pas) ; « ce ministre tient la manivelle et il ne veut pas la lâcher... »
Il faut avouer, messieurs, que tout cela n'était pas bien méchant. Ce n'était que vrai.
Mais, nous a dit M. Frère, il y a bien autre chose ; il y a eu des discours incendiaires, et M. de Kerckhove a applaudi !
J'ai applaudi, M. Frère ? Et où donc avez-vous trouvé cela ? Serait-ce encore dans votre procès-verbal ? S'il en est ainsi, votre procès-verbal a été fort mal rédigé ; et je n'en fais pas compliment à son auteur.
Du reste, messieurs, depuis quand est-on responsable de tout ce qui se dit ou a pu se dire dans une assemblée à laquelle on a assisté, voire même par des amis ? À ce compte-là, où en serait donc l'honorable M. Frère, si l'on se mettait à supputer pour lui, depuis 1846 jusqu'à ce jour?
Encore une fois, il avait été convenu, à Liège, qu'on ne s'occuperait que de la conscription et je n'y étais allé que pour cela ; mais, je le demande à tout homme de bon sens, pouvais-je, moi, fermer la bouche aux orateurs qui sortaient de ce programme ?
Ceci, messieurs, me rappelle un autre meeting auquel j'ai assisté, un meeting également composé d'hommes appartenant aux opinions les plus opposées, et qui a été tenu ici, à Bruxelles, pour protester en faveur de la Pologne.
Il y avait là des professeurs de l'université libre de Bruxelles, des libres penseurs et des catholiques ; je crois même me rappeler que l'honorable M. Dumortier y assistait. (Interruption.)
Oui, mon honorable ami y assistait et a même prononcé un discours très éloquent et très applaudi.
Eh bien, à ce meeting, il avait été convenu qu'on ne s'occuperait que de la Pologne; lorsque des amis de l'honorable M. Frère sont arrivés à l'assemblée et ont demandé, vous devinez pourquoi, que l'on fît également une protestation en faveur de l'unité italienne. Mais, et je le dis à la louange des membres du bureau, appartenant pour la plupart à l'opinion radicale, ils ont loyalement repoussé la proposition.
Messieurs, puisque l'honorable M. Frère étend si loin le principe de. la responsabilité, je me permettrai de lui demander comment il applique ce principe au fameux congrès des étudiants de Liége ?
Ce congrès s'est tenu sous le patronage de vos amis.
M. le bourgmestre de Liège, M. Piercot, est venu, accompagné de ce qu'il y avait de plus notable dans le conseil communal, recevoir les étudiants liégeois et autres, leur offrir le vin d'honneur et leur faire un très joli discours que je voudrais pouvoir vous lire en entier.
Mais le temps me manque et je dois me borner à vous citer deux ou trois lignes qui suffisent, d'ailleurs, à caractériser l'ensemble.
M. Frère-Orban. - Lisez aussi la lettre de M. Dupanloup.
M. le président. - Tout cela s'éloigne du fait personnel.
M. de Kerckhove. - Je voudrais bien savoir comment se traite un fait personnel. Si je dois m'interrompre à chaque instant, je préfère renoncer à la parole.
La Chambre appréciera. (Interruption.)
Je continue donc. Voici ce que dit M. Piercot :
« Messieurs les étudiants belges et messieurs les étudiants étrangers, ce n'est pas sans une profonde émotion que l'autorité communale de Liège se voit entourée de l'élite de la jeunesse studieuse; nous voyons en vous l'avant-garde de la civilisation, quand vous inaugurez par des travaux sérieux ces fêtes de l'intelligence. »
Un peu plus loin, M. Piercot constate que le congrès des étudiants de Liège a été apprécié de différentes manières. C'est que, dans la ville de Liège, il y avait des hommes de bon sens, des réactionnaires, à qui ce beau congrès déplaisait très fort. Or, voici ce que leur répond magistralement M. le bourgmestre :
« Les autres, et j'ai hâte de dire qu'ils sont en petit nombre, ont voulu voir dans le congrès... je ne sais quel danger pour l'ordre social ; quelques-uns ont affecté de voir en vous je ne sais quels apôtres de bouleversements, alors que vous êtes les représentants les plus dignes et les plus autorisés de tous les principes de conservation sociale...
« Et quant à d'autres, qui ont affecté de redouter votre présence à Liège, qui ont voulu voir en vous des fauteurs da révolutions, vous les regarderez, comme, nous, avec le sourire du dédain et vous direz : Des hommes libres et indépendants qui se consacrent à l'étude ne sont jamais des fauteurs de révolutions. »
Or, messieurs, les choses ont marché si bien : ces dignes représentants des grands principes de la civilisation moderne ont si bien profité du patronage et des encouragements de M. bourgmestre de Liége que, dès le premier jour, on arborait dans les rues de cette ville, d'un côté, le drapeau rouge, et de l'autre, pis que ça, le drapeau noir.
M. Bara. - Et à Louvain dernièrement?
M. Beeckman. - Qu'est-ce qu'on a arboré à Louvain?
M. de Kerckhove. - Je ne puis pas citer de longs extraits du compte rendu du congrès de Liége. C'est dommage, car la mine est riche et il y a là des choses fort instructives. Mais je craindrais de déplaire à notre honorable président et à la Chambre elle-même. Je dois donc, être très sobre et prendre un peu au hasard.
Voici, entre autres professions de foi, ce que dit un orateur :
« Au nom de la haine : haine de l'autorité dans les choses religieuses, haine de l'autorité dans la politique, haine de l'autorité dans l'ordre social. C'est l'autorité qui pèse sur nous. Quand la science ne peut s'élever jusqu'au ciel, plus haut que le ciel, quand elle ne peut crever la voûte du ciel comme un plafond de papier, il n'y a pas de science... »
Cette sortie emporte les hourras de l'auditoire.
Un autre orateur termine son discours, discours très violent d'ailleurs, par ces mots :
« Suivant moi, il n'y a qu'une seule chose qui mérite d'être enseignée par la jeunesse et à la jeunesse, c'est la république et le socialisme. »
Un autre membre s'écrie triomphalement :
« Oui, nous sommes révolutionnaires, socialistes, athées ! Nous le disons sincèrement, franchement, loyalement.... etc., etc. »
Enfin, dans la dernière séance, le président du congrès, résumant les débats qui avaient eu lieu, proclame devant l'assemblée que la réunion d'un futur congrès est certaine ; qu'elle n'est pas discutable.
« Que l'on ne dise pas, s'écrie-t-il, que le congrès n'a pas produit de résultat pratique. Il a été ce qu'il devait être. Il a élevé une tribune impérissable et constitué une force. Et à cette force appartient la direction de l'humanité. »
Voilà, messieurs, ce que proclamait le président. Vous en conviendrez, c'était très rassurant comme doctrine et comme intelligence. Cela méritait évidemment une récompense, et c'est bien ainsi qu'en ont jugé M. Frère et ses amis, puisque de ce même président ils ont fait... un magistrat.
Il est vrai, je ne puis m'empêcher de le faire remarquer, que, si au congrès des étudiants, on a outragé Dieu, on a insulté la famille, le mariage, la propriété (la propriété ! M. Frère), il n'y a pourtant pas eu de grognements, et l'on n'a pas crié : A bas Frère !
Un mot, messieurs, pour finir.
L'honorable M. Frère, vous l'avez vu, en veut énormément au meeting de Liège comme aussi aux meetings d'Anvers, et, au fond, pour le même motif. A Anvers on n'a pas envoyé de grognements à l'adresse de l'honorable M. Frère, mais on a fait l'équivalent en français et en flamand. Cela suffit.
L'honorable M. Frère attaque le meeting de Liège parce que c'est la démocratie rouge, le socialisme, le communisme, etc.
Il attaque Anvers, parce que là, dit-il, on a pratiqué le mensonge ; et puis, on a mal placé la statue de Léopold Ier ; on a manqué de respect à la royauté.
Avec une pareille susceptibilité, une sensibilité aussi développée, je m'étonne que l'honorable M. Frère ne soit pas mort d'indignation, il y a quinze jours, quand nous avons vu l'émeute hurler à nos portes, insulter tous les pouvoirs, outrager la représentation nationale et même la personne du Roi !
Il est vrai qu'il y avait là un but licite. (Interruption.) En d'autres termes, la fin justifie les moyens. Qui donc a dit cela, M. Frère ? Ou plutôt, à qui a-t-on attribué cet axiome ?
M. Bouvier. - Aux jésuites.
M. de Kerckhove. - Eh bien, les rôles sont changés, M. Bouvier. Les jésuites aujourd'hui, c'est vous.
M. Bouvier. - Je ne l'ai jamais été ; je ne le serai jamais. C'est un mot injurieux cela.
M. de Kerckhove. - Du reste, messieurs, l'honorable M. Frère n'est pas seul à amnistier l'émeute quand elle a un but licite, à reconnaître le saint devoir de l'insurrection; ce grand principe vient d'être affirmé au milieu des doux épanchements d'un banquet patriotique. Voici quelques paroles, extraites du compte rendu de ce banquet, et je voudrais pouvoir citer le tout. Il va de soi que c'est l'honorable M. Bara qui parle :
« Oui, messieurs, comme l'a dit mon honorable ami, la Belgique a remporté une noble victoire qui la grandira devant l'Europe. »
(page 214) M. Bara a raison: la victoire est, en effet, très belle, très noble, et l'Europe l'a déjà appréciée. Les journaux anglais, français, hollandais et autres nous ont apporté les échos de l'admiration européenne. Nous ne saurions mieux faire que de continuer à grandir ainsi devant le monde.
En Angleterre surtout, où l'on est assez bon juge en ces sortes de matières, on nous prédit un brillant avenir, si nous persévérons dans cette voie.
Un peu plus loin, l'orateur ajoute :
« Nous avons protesté. Le pays a protesté et il en est sorti une réparation utile pour l'honneur de la nation belge.
« ... La Belgique a bien fait de céder à ces sentiments généreux. Nous n'avons rien à regretter, etc. ... »
En d'autres termes, messieurs, les rues de Bruxelles sont la Belgique et la victoire de l'émeute est un grand honneur pour tout le pays.
Messieurs, de pareilles paroles dans la bouche d'un ancien ministre de la justice n'ont pas besoin de commentaires.
C'est une petite théorie, je veux dire une doctrine très simple et très commode. M. Frère et ses amis peuvent la résumer en deux mots pour l'édification des fidèles :
« Tout ce qui se fait contre nous est illicite et mérite l'anathème. Tout ce qui se fait pour nous mérite des éloges. Cela pout être irrégulier parfois, mais c'est toujours bon. »
Je le répète, la théorie est fort simple, et avec cela on peut aller très loin... si le pays le veut bien...
Il est vrai que l'honorable M. Frère et ses amis ont contredit, l'autre jour, l'honorable M. Malou, quand il leur disait: « Le pays vous connaît. »
Qui sait ? Messieurs, vous aviez peut-être raison alors.
Mais la situation s'éclaircit de plus en plus ; le jour se fait sur vos doctrines et désormais, soyez-en sûrs, le pays saura à quoi s'en tenir.
J'ai dit.
M. Bouvier (pour un fait personnel). - M. de Kerckhove vient de dire que quand on porte mon nom, on ne doit pas exciter la Chambre ni de la voix, ni du geste.
Messieurs, je suis très fier de mon nom. Il est honorable. Jamais je n'en changerai, pas même contre l'offre de certain titre nobiliaire. (Interruption.)
Vous, monsieur, vous n'avez pas seulement changé de nom, vous avez même adopté une autre patrie. Un jour, on vous a rencontré diplomate turc en Turquie, aujourd'hui vous ornez les bancs de la droite. Je ne vous félicite pas de toutes ces transformations.
M. de Kerckhove (pour un fait personnel). - Il paraît que M. Bouvier n'a pas bien compris ce que. j'ai dit tout â l'heure. Je n'ai pas eu la moindre intention de blâmer le nom de M. Bouvier. Seulement nom oblige. Or, je m'étais rappelé qu'un jour quelqu'un, je crois, le comte Félix de Mérode, avait comparé la Chambre à une volière ; c'était au moins léger ; mais, messieurs, avant l'entrée de M. Bouvier à la Chambre, personne encore ne s'était avisé de nous traiter comme, un troupeau. Voilà ma pensée.
M. Bouvier. - Ce mot est par trop spirituel, pour qu'on y réponde.
M. de Kerckhove. - Quant à mon nom, à ma patrie et j'ajouterai à ma religion, je suis heureux de pouvoir rassurer complètement l'honorable M. Bouvier. Je n'ai jamais rien changé, rien renié ni à Constantinople, ni à Bruxelles. J'ai, il est vrai, représenté la Turquie à Bruxelles, et je n'ai nullement à le regretter, car, j'ose l'affirmer, j'ai ainsi eu l'occasion de rendre des services à deux pays amis ; et cette position, je. l'ai occupée non seulement avec l'autorisation, mais, je. puis le dire, d'après le désir du roi Léopold Ier.
Je n'en dirai pas davantage, pour le moment, mais, si l'honorable M. Bouvier (ou la Chambre) souhaite de plus amples renseignements, je suis prêt à les fournir.
- Un membre à gauche. - Merci bien !
M. le président. - L'incident est clos ; la parole est à M. Vermeire sur le budget de la guerre.
M. Vermeire. - J'avais demandé la parole lorsque M. Pirmez insinuait que les membres de la droite qui avaient été autrefois très opposés au budget de la guerre l'auraient sans doute voté aujourd'hui que leurs amis se trouvent au pouvoir.
Cette appréciation n'est pas exacte.
Lorsque nous nous sommes élevés contre les dépenses militaires, des événements graves ne s'étaient pas produits et nous nous trouvions devant une situation qui nous autorisait à prendre cette attitude.
En effet, en 1848, époque assurément fort troublée, le budget de la guerre n'était que de 28 millions, et des membres de cette Chambre, qui n'appartenaient certainement pas à l'opinion conservatrice, avaient même voulu le réduire à 25 millions.
Nous avons donc le droit et peut-être même avons-nous le devoir de protester lorsque, de 1848 â 1870, le budget de la guerre s'est élevé de 28 à 36 millions, sans compter 4 millions de crédits supplémentaires et sans même mettre en ligne de compte les crédits extraordinaires qui s'élèvent ensemble à plus de 25 millions.
Vous voyez, messieurs, que le tiers de nos ressources et même davantage se trouve absorbé par le budget de la guerre. Remarquez que ce n'était pas seulement l'opposition, mais que c'étaient des membres très dévoués au gouvernement qui l'engageaient à modérer ses prétentions relatives au pétitionnement des sommes nécessaires au département de la guerre.
Depuis lors, de graves événements se sont passés en France. Une grande responsabilité pèse, je le reconnais, sur le gouvernement et même sur nous. Nous avons laissé au gouvernement le soin de nous défendre en cas de besoin ; mais si nous lui laissons cette lourde responsabilité, il me semble que nous devons aussi, d'autre part, lui donner les moyens de pourvoir, de son mieux, à la sécurité du pays.
Certes, nos dépenses militaires, telles qu'elles sont établies aujourd'hui, sont excessivement élevées, et si l'honorable M. Pirmez a pu se vanter, avant les dernières élections, d'avoir dit à ses électeurs qu'il aurait voté les dépenses militaires parce qu'il mettait la conservation du pays au-dessus de quelques sacrifices financiers, j'ai déclaré, de mon côté, non pas dans un meeting, mais à une réunion d'électeurs de l'arrondissement de Termonde, où l'on attaquait aussi l'exagération des dépenses militaires, que je mettais l'intérêt de la patrie, au-dessus de tout intérêt de parti. J'ai ajouté que s'il m'était prouvé que le pays avait besoin de 40, de 50 et, même, de 100 millions pour se défendre, je n'hésiterais pas à les accorder.
Vous voyez donc, messieurs, que dans notre esprit, nous n'entendons pas voter le budget de la guerre, par amour du budget lui-même ; mais parce que nous sommes convaincus que nous devons mettre les intérêts de la patrie au-dessus de mesquins intérêts de finance.
Messieurs, la loi de 1817, qui a été mêlée à ce débat, nous ne pouvons le méconnaître, est une loi réactionnaire contre le militarisme, tel qu'il avait été entendu par le premier empire. On se disait alors qu'on allait entrer dans une ère nouvelle ; on croyait que l'on pouvait désarmer une bonne fois et que la guerre avait disparu pour longtemps.
La loi de 1817 était donc favorable à l'intérêt de l'industrie, du commerce et du travail agricole ; car il était plus profitable au pays de voir ces bras occupés désormais à un travail qui devrait réparer les désastres de la guerre et faire prospérer de nouveau les sources de la richesse publique.
Mais aujourd'hui l'esprit militaire a ressuscité, car on vient de nous annoncer que les remplaçants étant de très mauvais soldats, il faut aussi abolir le remplacement militaire.
Je crois que c'est là une exagération.
Ce n'est que depuis quelques années que l'on dit que le remplacement est mauvais et qu'il faut le faire disparaître.
Je constate qu'à mesure que des changements ont été opérés dans les pays qui nous environnent, nous avons toujours voulu modifier nos lois militaires, surtout dans le sens des lois qui régissent les pays qui ont remporté des victoires.
C'est ainsi qu'autrefois nous avons calqué nos lois militaires sur celles de la France. Mais, aujourd'hui que la France a été vaincue, on veut que nous nous conformions aux lois militaires, à celles de la Prusse.
Je le dis franchement, je n'hésite pas à accorder au gouvernement tout ce dont il a besoin pour nous défendre comme il convient ; mais je ne puis cependant lui accorder l'abolition du remplacement militaire et je réserve mon vote jusqu'à ce que le gouvernement se soit expliqué complètement à cet égard.
M. Delaet. - Messieurs, la question du maintien ou de la suppression de la citadelle du Nord a été agitée depuis quelques jours dans cette enceinte dans des sens fort divers.
Comme députés d'Anvers, moi et d'autres de mes amis, nous avons voulu attendre, avant de prendre la parole, qu'une déclaration nette et claire du gouvernement fût intervenue.
L'honorable ministre des finances a repris pour son compte les promesses d'un de ses prédécesseurs et il a exprimé, exactement dans les mêmes fermes, ce qu'il croyait pouvoir être fait en cette matière. Il y a donc une similitude parfaite entre ces deux déclarations.
Au fond cependant l'honorable M. Frère-Orban ne nous a jamais promis que le mur crénelé. Il est vrai que sur une interpellation partie de nos (page 215) bancs, il a ajouté : « Nous verrons encore si ce mur peut disparaître » et nous avons aussitôt déclaré que nous lui en savions gré. Maïs peu de temps après, lors de la discussion de l'affaire Strousberg, il a déclaré qu'examen fait, le mur crénelé devait être construit et maintenu.
Nous ne savons pas quelles études avait faites l'honorable M. Frère pour arriver à de telles conclusions, attendu que son successeur n'a trouvé aucune trace d'études ni au département des finances ni au département de la guerre. Si donc les paroles de M. Malou sont les mêmes que celles de M. Frère, nous avons tout lieu de croire que les résultats pratiques en seront tout autres.
Nous en avons pour garant les déclarations faites au Sénat par l'honorable M. Malou, lors de la cession de la citadelle du Sud.
Avec M. Frère la question d'Anvers était fermée, avec M. Malou elle demeure ouverte.
Toutefois, messieurs, si nous prenons acte des promesses du gouvernement, nous ne les considérons que comme des promesses et sans nous faire illusion au delà de ce que comporte la prudence. Mais aussi nous disons que le programme d'Anvers reste debout dans toutes ses parties, dans tous ses points, dans toute sa portée et que la maison d'Anvers ne laissera protester aucun de ses engagements.
Je pourrais me borner à ces observations ; mais je crois qu'il est de toute loyauté de faire à la Chambre et au gouvernement une déclaration quant au budget de la guerre et à l'organisation de l'armée.
Je ne pense pas que la députation d'Anvers, prise dans son ensemble, vote jamais le budget de la guerre tant que les charges militaires excéderont les véritables besoins du pays.
Nous avons affirmé toujours que ces charges étaient excessives et nous les considérons encore, et plus que jamais, comme telles. Les récents événements, loin de nous amener à une conviction contraire, nous ont confirmés, pleinement et entièrement confirmés dans nos idées sur cette grave question.
Nous la traiterons avec tous les développements qu'elle comporte, lorsque la Chambre discutera la réorganisation de l'armée.
J'ai dit.
M. Cornesse. - Messieurs, je tiens à expliquer à la Chambre la position que j'ai prise, et que j'entends conserver, sur la question militaire.
On a souvent parlé, dans cette enceinte et ailleurs, du langage que j'ai tenu au corps électoral de Verviers avant les élections du 14 juin. On m'a adressé l'accusation de palinodie; on a dit que j'avais trompé et égaré la population. On a été plus loin, et sans que cela me fût adressé directement, on a été jusqu'à dire que mes amis et moi nous avions menti devant le corps électoral.
Je tiens à faire, une bonne fois, justice de ces mensonges et de ces accusations calomnieuses ; il me suffira, pour le faire, de rappeler en quelques mots ce que j'ai dit et ce qui s'est passé avant le 14 juin 1870.
Appelé à faire connaître au corps électoral de Verviers mes idées et mes aspirations politiques, j'ai consacré deux paragraphes d'un très long discours à la question militaire. Parlant d'Anvers, j'ai dit qu'une grande faute avait été commise, que des millions avaient été inutilement engloutis dans les fortifications d'Anvers.
M. Frère-Orban. - En pure perte.
M. Cornesse. - Inutilement ou en pure perte, c'est bien la même chose, je pense.
Eh bien, messieurs, si j'avais eu l'honneur de siéger dans cette Chambre quand la question des fortifications d'Anvers est venue, je n'aurais pas hésité à voter contre ces fortifications et je l'eusse fait en bonne et nombreuse société, je l'eusse fait avec un grand nombre de mes amis et avec un grand nombre de membres de la gauche. Il me sera permis de citer, à ce propos, le langage que tenait un homme qui a toujours exercé une grande influence sur ses amis, l'honorable M. Devaux.
Voici comment il s'exprimait, en motivant son abstention, sur la loi du 8 septembre 1859 :
« Messieurs, l'année dernière, dans une circonstance analogue, je me suis abstenu. J'avais à cette époque émis le vœu que le gouvernement voulût faire examiner sérieusement et à fond par une commission d'hommes compétents la question de la préférence à donner soit à Bruxelles, soit à Anvers, comme base de notre système de défense et que les raisons données de part et d'autre fussent publiées.
« Il n'a pas été fait droit à ma demande et, je dois le dire, les arguments produits en faveur d'Anvers, par M. le ministre de la guerre, ont été insuffisants pour me convaincre que par l'adoption de ce système on ne commet pas une grande faute. »
Messieurs, il se trouve que j'ai été plagiaire sans le savoir, et qu'en disant avant le 14 juin, à Verviers, qu'une grande faute avait été commise dans les fortifications d'Anvers, je n'ai été que l'écho de l’honorable M. Devaux.
M. Frère-Orban. - Est-ce que vous vouliez fortifier Bruxelles ?
M. Cornesse. - Je n'ai pas à répondre à cette interruption, mais je démontre que par un des vôtres, par l'un des plus importants et des moins suspects, les fortifications d'Anvers ont été signalées comme une grande faute. Je n'ai pas employé d'autres expressions que celles de l'honorable M. Devaux.
Aujourd'hui les fortifications d'Anvers existent, elles sont la base de notre système de défense nationale. Il faut les accepter et nul ne songe à les démolir.
Ce qu'on appelle la question d'Anvers n'a jamais consisté dans la démolition des fortifications.
Il y avait trois choses dars le programme du mouvement anversois : la démolition des citadelles, la question des servitudes et la question des dix millions ; celle-ci est aujourd'hui tranchée.
La question des servitudes est tranchée par le projet de loi soumis aux délibérations de la Chambre.
Quant à la question des citadelles, il y a été fait droit partiellement en ce qui concerne la citadelle du Sud ; et pour la citadelle du Nord, l'examen bienveillant qui a été promis par le gouvernement nous permet d'espérer, dans un avenir prochain, la conciliation de tous les grands intérêts engagés dans celle question.
Quant à l'armée, je ne me suis jamais déclaré l'adversaire de cette grande institution nationale ; au contraire, je l'ai proclamée, avec un certain courage, vous voudrez bien le reconnaître, car je parlais à l'arrondissement le plus antimilitariste peut-être de la Belgique, l'une de nos meilleures institutions.
Ce que j'ai condamné, ce sont les exagérations, les abus, les excès. Je disais alors que les circonstances extérieures paraissaient très favorables pour introduire un certain allégement des dépenses pour la guerre, que nous étions dans d'excellents rapports avec les puissances étrangères, que rien ne menaçait notre indépendance et notre neutralité, que le moment semblait opportun pour examiner la question du dégrèvement de charges militaires qui pèsent lourdement sur le pays et absorbent une notable partie des revenus du trésor.
Voilà le langage que je tenais avant, le 14 juin, je n'ai rien à en rétracter et je n'en ai absolument rien rétracté quand j'ai accepté un portefeuille.
Oh ! on n'a pas attendu mon entrée au pouvoir pour me reprocher d'être un ennemi de l'armée, de vouloir voter systématiquement contre le budget de la guerre. Ces mensonges et ces calomnies traînaient à notre adresse dans les journaux doctrinaires avant le 14 juin. Mon honorable ami, M. Alfred Simonis et moi, nous avons protesté énergiquement contre ces accusations ; et permettez-moi de vous citer quelques passages d'une lettre du 11 juin 1870, que nous avons adressée, M. Alfred Simonis et moi, à l'Union libérale de Verviers, qui s'était permis de nous imputer d'être des adversaires systématiques de l'armée. Voici cette lettre :
« Verviers, le 11 juin 1870
« A Monsieur l'éditeur de l’Union libérale.
« Monsieur,
« Depuis plusieurs jours, vous publiez nos noms en tête de votre journal, en les affublant d'opinions que vous nous prêtez gratuitement, dans le but d'égarer et d'effrayer le corps électoral.
« Nous ne sommes pas seulement des rétrogrades, rêvant le retour vers un passé jugé impossible ; nous sommes aussi des révolutionnaires et des démolisseurs de la pire espèce.
« MM. Simonis et Cornesse, dites-vous, s'engagent à voter systématiquement contre le budget de la guerre, au risque de compromettre l'indépendance du pays, l'ordre et la prospérité à l'intérieur... »
« Nous venons protester contre ces mensonges quotidiennement répétés.
« Nous avons, l'un et l'autre, exposé franchement et publiquement nos sentiments et nos convictions politiques.
« Nous vous défions de trouver, dans notre programme, une ligne, un mot, pour justifier vos accusations.
« Sincèrement dévoués aux intérêts du plus grand nombre, nous croyons, en poursuivant la réalisation progressive des améliorations et des réformes légitimement réclamées par l'opinion publique, nous montrer meilleurs amis de nos institutions et de la conservation sociale que ces politiques arriérés qui, en face des entreprises contre le capital et la propriété, n'ont d'autre souci que de raviver, dans un but de domination (page 216) égoïste, les préjugés antireligieux et les querelles surannées du clérical et du libéral.
« Recevez, monsieur l'éditeur, nos salutations distinguées,
« Prosper Cornesse,
« Alfred Simonis. »
Voilà, messieurs, ce qu'à la date du 11 juin, trois jours avant le scrutin du 14, nous disions au corps électoral de Verviers, protestant contre cette hostilité systématique au budget de la guerre que nous prêtaient nos adversaires.
Je n'avais donc rien à désavouer, rien à abjurer ; quand je suis arrivé au pouvoir, j'y suis entré sans manquer à aucun de mes engagements et avec l'intention formellement déclarée de rechercher sincèrement, consciencieusement, loyalement toutes les réductions dont notre établissement militaire peut être susceptible.
Que fallait-il de plus ? Ayant accepté le pouvoir, il était loyal de faire appel au pays.
L'honorable M. Le Hardy disait, l'autre jour, que quand un homme politique accepte le pouvoir, il doit se soumettre au verdict de la nation, ce qui, du reste, est chez nous une nécessité constitutionnelle.
Mais ce ne sont pas les ministres seuls qui se sont présentés devant le corps électoral ; nous y avons renvoyé aussi nos amis et nos adversaires ; nous avons dissous les deux Chambres, nous avons voulu que le pays tout entier se prononçât librement, en parfaite connaissance de cause, sur la politique de son choix et je puis le dire, cet appel s'est fait dans des conditions de loyauté complète.
M. Frère-Orban. - Oh ! vous exagérez.
M. Cornesse. - Jamais à aucune époque le pays n'a pu manifester plus librement sa volonté.
M. Frère-Orban. - Oh !
M. Cornesse. - Jamais la pression gouvernementale n'a été moindre ; tous les fonctionnaires publics ont pu librement exercer leurs droits. (Interruption.) Il n'y a eu ni menaces, ni intimidation, ni pression d'aucune sorte de la part du gouvernement.
Nous étions du reste un pouvoir naissant au milieu de circonstances les plus difficiles ; nous n'étions, en quelque sorte, qu'un pouvoir provisoire ; nous étions à peine installés ; nous n'avions pas à notre disposition cette main de fer qui a si longtemps pesé sur l'administration et qui faisait trembler les fonctionnaires quand elle ne les brisait pas...
M. Bouvier. - Aujourd'hui ils tremblent, oui.
M. Cornesse. - Après la dissolution des Chambres, j'ai fait connaître fidèlement la situation au corps électoral de Verviers, auquel je demandais la ratification de mon mandat.
L'honorable M. Pirmez a rappelé récemment, en termes trop flatteurs, la lettre que j'ai écrite le 20 juillet 1870. Permettez-moi, malgré l'ennui de pareilles citations, de vous lire quelques paragraphes de cette lettre adressée à mon honorable ami, M. Alfred Simonis :
« L'extrême gravité des événements extérieurs détourne momentanément l'attention des questions politiques qui préoccupaient les esprits lorsque la paix semblait pour longtemps assurée. Mais la crise actuelle sera, je l'espère, de courte durée et les questions posées reviendront à l'ordre du jour.
« Je me dois à moi-même, je dois à tous mes amis de Verviers de leur déclarer qu'en entrant au pouvoir, j'ai conservé intactes les convictions qui m'animaient le 14 juin dernier.
« Lorsque j'ai reçu l'offre d'un portefeuille, c'est moins à ma personnalité qu'au caractère de nos dernières élections que je l'ai attribuée. En acceptant cette offre, je n'ai été inspiré par aucune pensée d'ambition ; je n'ai consulté que mon dévouement à notre cause.
« Je reste convaincu qu'il est nécessaire d'élargir notablement les bases du droit de suffrage dans les limites constitutionnelles.
« L'occasion est fournie au pays de manifester son opinion d'une manière irrécusable et irrésistible, par le seul acte que le ministère ait posé jusqu'ici dans l'ordre politique : la dissolution des Chambres. Cette dissolution fournit à la nation le moyen d'exprimer sa volonté souveraine.
« Je le déclare bien haut : si les Chambres nouvelles étaient composées de telle sorte qu'une large extension du droit de suffrage pour la province et pour la commune n'eût aucune chance de prévaloir, je croirais devoir laisser le soin de diriger les affaires à d'autres hommes répondant mieux aux sentiments de la majorité.
« J'étais, mon cher collègue, je suis et je resterai partisan de la décentralisation administrative, des droits et des prérogatives de la presse, du dégrèvement des impôts qui frappent les objets d'alimentation populaire. Je n'ai, sur ces points comme sur le reste, abdiqué aucune de nos convictions.
« Parlerai-je maintenant des charges militaires?
« J'ai mis, comme condition de mon entrée dans le cabinet, l'examen à nouveau de notre état militaire et de toutes les réductions dont il peut être susceptible. Depuis, les événements ont marché. Aujourd'hui que le canon va gronder sur nos frontières, il ne peut être question pour la Belgique de songer à affaiblir les moyens de garantir efficacement sa neutralité et de défendre son indépendante. Le patriotisme belge jetterait l'anathème à celui qui oserait mettre en avant l'idée de porter la main sur notre établissement militaire.
« Le bien, mon cher collègue, sortira peut-être de l'excès du mal : la tourmente passée, j'espère que le désarmement général sera la conséquence de la terrible collision dont nous allons être témoins. Mais jusque-là, il faut s'incliner devant l'impérieuse nécessité des événements. »
Ma position devant le corps électoral était donc nette et sans équivoque. Eh bien, le corps électoral de Verviers et le pays tout entier nous ont donné raison. Nous avons été réélus, mon honorable collègue, M. Simonis, et moi, et le pays a donné au gouvernement nouveau, malgré les circonstances et en dépit des efforts et des violences de l'opposition, une majorité imposante dans les deux Chambres. Tout, dans notre conduite, a donc été loyal, régulier, correct, et les reproches de palinodie que l'on nous adresse, le reproche d'avoir promis la suppression du budget de la guerre, du contingent et de la conscription, le reproche d'avoir égaré, trompé les populations, ces reproches ne sont que de pures calomnies, dont je crois avoir fait complètement justice par le simple exposé des faits.
Mais vous avez fait la coalition, dit M. Frère-Orban, dans les meetings de Liège et à Verviers.
Messieurs, je ne crois plus devoir parler des meetings de Liège. La réponse de l'honorable M. de Kerckhove me dispense de ce soin. Cependant il me sera permis de dire que l'indignation que simule l'honorable M. Frère-Orban, à l'endroit de ces meetings, n'est nullement justifiée.
Les meetings sont l'exercice d'un droit ; c'est la pratique du droit d'association ; ils sont de l'essence de nos institutions constitutionnelles.
Et je ne sache pas, en vérité, qu'on puisse raisonnablement reprocher à un parti de se servir d'un moyen que la Constitution met à sa disposition.
Les coalitions, messieurs, ont existé partout, sous tous les régimes et dans tous les pays. Quand des hommes d'opinions politiques différentes, de convictions religieuses opposées, veulent poursuivre un but commun, ils doivent bien s'unir, s'entendre, se coaliser. Mais notre révolution n'est-elle pas le produit d'une coalition sous le nom d’union des catholiques et des libéraux ?
Messieurs, qu'y a-t-il donc de blâmable dans les coalitions quand elles ont un but honnête ? Et, par exemple, est-on un mauvais citoyen parce qu'on n'est pas favorable à la conscription, parce qu'on la considère comme un mode injuste et odieux de recrutement ?
Je n'ai pas pris part au meeting de Liège parce que je ne partageais pas les idées de ceux qui y assistaient.
Mais si j'avais été un adversaire déterminé et irréconciliable de la conscription, je serais allé au meeting de Liège et je n'aurais pas cru poser en cela un acte de mauvais citoyen.
Ces meetings sont, je le répète, parfaitement légitimes, et c'est se montrer peu libéral que de critiquer si amèrement l'usage de nos libertés. (Interruption.)
M. Frère-Orban. - Exécutez vos promesses. (Interruption.)
M. Cornesse. - Oh, je le sais, vous avez vos raisons de vous plaindre de ces meetings : ils étaient des symptômes. Ils réunissaient des hommes de camps opposés, de convictions absolument contraires. Pourquoi ? Leur but direct était, sans doute, l'abolition de la conscription. Mais ce qu'ils voulaient aussi, c'était délivrer le pays de votre politique écrasante, de ce joug sous lequel chacun gémissait.
Ce qu'ils espéraient, c'était, en s'unissant, d'arriver à ce résultat atteint le 14 juin par votre chute, qui fut pour le pays entier, comme l'a dit un journal libéral, un immense soulagement. (Interruption.)
Vous parlez de coalitions sur la question militaire et vous les blâmez ! On ne pactise pas, dites-vous, sur ce grand intérêt public qui s'appelle l'armée.
C'est l'intérêt national par excellence ; bien coupables sont ceux qui encouragent les adversaires de nos institutions militaires !
Mais vous n'y prenez pas garde. Qui donc ai-je rencontré sur mon chemin aux élections du 14 juin et du 2 août ?
Le programme de l'Association libérale de Verviers porte en tête : (page 217) réduction des dépenses militaires et vote contre le budget de l'armée. Il n'y a pas de candidat libéral qui ne doive subir cette condition.
Puis, qui êtes vous allé prendre le 2 août pour me l'opposer ?
L'honorable M. Demeur, dont j'estime le caractère et la loyauté, mais qui n'est certes pas un doctrinaire ; M. Demeur un partisan de la révision de la Constitution, un démocrate qui ne cache pas son drapeau et qui n'est pas favorable au budget de la guerre.
L'honorable membre était candidat de l'association libérale à Bruxelles et vous avez voulu lui faire l'honneur d'une double élection, parce que vous considériez son nom comme un appât démocratique et que vous teniez la coalition comme excellente du moment qu'elle devait vous être utile.
Vous avez pris non seulement M. Demeur, mais aussi M. David.
Oh ! l'histoire électorale de l'honorable M. David est curieuse.
Le 14 juin, il a été, de la part de ses amis, les doctrinaires, victime d'un véritable traquenard. Au poll préparatoire de l'association libérale pour les élections du 14 juin, il fut littéralement étranglé par des muets.
Il s'était présenté avec ses amis de Limbourg et de Dolhain, croyant ne rencontrer aucune opposition. On ne lui demande aucune explication, on ne formule contre lui aucune critique, mais ne voilà-t-il pas qu'au dépouillement son nom reste au fond de l'urne ; trois autres candidats étaient choisis et M. David était bel et bien évincé.
Ce coup de Jarnac souleva une légitime et générale indignation. J'en appelle à M. David lui-même et je lui demande s'il n'est pas vrai qu'il a été lui-même profondément indigné de la conduite de l'association doctrinaire? (Interruption.)
Au 2 août, il fallait trouver des concurrents sérieux pour nous combattre ; il fallait, acceptant le mot d'ordre du convent libéral, réunir et coaliser toutes les forces ennemies pour faire pièce au gouvernement et renverser le représentant de Verviers qui avait eu l'honneur d'être appelé à siéger dans le conseil des ministres. C'est alors qu'en même temps que l'on portait M. Demeur, on est allé repêcher l’honorable M. David. (Interruption.)
Or, qu'était M. David ? Quels étaient ses antécédents et ses engagements sur cette question militaire qui nous occupe ?
M. David avait prêté le serment d'Annibal contre notre établissement militaire ; il avait accepté le mandat impératif, j'ai les pièces en mains pour prouver le fait s'il était contesté, il avait accepté le mandat impératif de voter systématiquement et toujours contre le budget de la guerre ; il avait pris l'engagement formel de présenter un projet de loi portant réduction des dépenses militaires à un chiffre déterminé, et jusqu'à ce qu'il fût fait droit à ses exigences il avait fait la promesse, je le répète, de voter toujours contre le budget de la guerre. (Interruption.)
M. Muller. – Il tient sa promesse.
M. Cornesse. - Le projet de loi est encore à venir, mais vous déplacez la question. (Interruption.) .
Ce que je démontre en ce moment, et vos interruptions ne m'empêcheront pas de dire la vérité à la Chambre et au pays, ce que je démontre en ce moment, c'est que le reproche que vous nous faites de pactiser et de faire de la politique au détriment de l'armée est immérité, quant à nous ; mais que vous, vous avez mérité ce reproche, mais que vous, vous avez fait de la coalition sur cette matière et que, quand il y a un grand intérêt national en jeu, vous savez, à l'occasion et dans l'intérêt de parti, en faire bon marché.
Vous êtes l'ennemi des coalitions, quand elles se font contre vous, mais vous les acceptez et les encouragez, quand elles vous servent.
Ah! messieurs, si le meeting de Liège et la coalition de Verviers étaient le seul danger social, si c'est là ce qui doit frayer la voie à l'Internationale, la société peut être parfaitement tranquille, et sans inquiétude. Mais puisque vous avez parlé de l'Internationale, laissez-moi vous dire ce qui, à mon sens, compromet l'ordre public, la société. Ce qui est d'un dangereux et pernicieux exemple, l'honorable M. de Kerckhove le rappelait tout à l'heure, ce sont les événements du genre de ceux qui ont marqué ces derniers jours. Voilà ce qui est pour l'Internationale, voilà ce qui est pour les fauteurs de désordre un encouragement et un fatal exemple.
Permettre, messieurs, que la foule ameutée outrage les ministres du Roi, la majesté du parlement et la royauté elle-même, s'incliner devant les clameurs de la rue, et se féliciter que ces désordres aient renversé un gouvernement, voilà un véritable danger social. Car enfin si les émeutiers en gants jaunes que nous avons entendus hurler devant cette Chambre ont pu impunément faire leur office, que feriez-vous si le peuple, par exemple, venait réclamer, de la même façon, une amélioration de son sort, si le peuple venait, hurlant et vociférant devant le palais de la Nation et devant le palais du Roi, demander que l'on chasse les pouvoirs public», qu'il n'a pas élus, pour lui accorder des droits politiques qu'il n'a pas ? Est-ce que vous emploieriez la force pour réprimer ces excès et pour faire protéger l'autorité ? Mais vous ne le pourriez guère, après que l'impunité a été assurée, à ceux qui, dans un but moins avouable, ont outragé la majesté du parlement.
Messieurs, des procédés analogues à ceux qui ont été pratiqués récemment ont été indiqués dans un meeting de Liège autre que celui dont il a été si souvent question. Le meeting dont je parle est du 1er mai 1870. La façon de procéder lorsqu'on veut avoir raison de la résistance du pouvoir, a été indiquée par un honorable membre qui siège sur les bancs de la gauche. Il s'agissait, dans ce meeting, de la révision de la Constitution.
Ecoultz, messieurs, comment parlait cet orateur :
« L'orateur que vous venez d'entendre, et qui voudrait avoir recours aux moyens violents pour obtenir la réforme de nos institutions, se trompe en fait. Je ne dis rien contre la légitimité absolue du moyen, lorsqu'il est indispensable d'y recourir. Je ne dis rien contre ce moyen qui est indiqué non seulement comme un droit, mais encore comme un devoir, dans la fameuse déclaration des droits de l'homme, venue d'Amérique avec Thomas Payne et adoptée par la grande révolution française. Je dis seulement qu'il ne faut pas recourir actuellement à la violence. Elle n'est pas nécessaire, donc elle serait illégitime.
« Voici le moyen que je vous indique : vous pensez qu'il est difficile de faire accepter à nos deux Chambres actuelles, au Roi lui-même, vous pensez qu'il est difficile de faire accepter celle idée de la réforme de l'article 47 ? Pas si difficile que cela paraît.
« Je vous citerai l'exemple de ce qui s'est passé dans un autre pays, un pays voisin du nôtre, en Angleterre.
« En 1832 (ces faits me sont contemporains, j'ai déjà 66 ans), on voulait faire une révolution électorale assez radicale... et les Anglais s'y sont pris comme je vais vous dire :
« On avait voté à la chambre des communes une réforme : les communes en Angleterre nommeraient dorénavant leurs magistrats, tandis qu'auparavant elles ne les nommaient pas. C'était la reine qui nommait les maires et les aldermen, excepté dans la ville de Londres, qui seule avait le droit de nommer ses magistrats.
« La réforme communale, en ce sens que les électeurs éliraient leurs magistrats, était non seulement décrétée par la chambre des communes, mais celle-ci étendait cette réforme jusqu'au point que les électeurs pour le parlement constitueraient dorénavant un corps électoral de 1,100,000 personnes, au lieu de 500,000.
« Cette réforme plaçait le gouvernement dans les mains de la bourgeoisie en l'ôtant à la couronne et à l'aristocratie nobiliaire. Aussi la chambre des pairs s'y opposait-elle.
« Le peuple de Londres, réuni comme nous ici, décida que la chambre des lords voterait l'acceptation de la réforme admise par la chambre des communes, ou bien que si elle ne le faisait pas dans la séance même où elle discutait la question, le peuple de Londres en masse, parcourant les grandes artères de la capitale, depuis Trafalgar square jusqu'au palais de la reine, casserait toutes les vitres aux hôtels des lords.
« Les lords en séance, apprenant cette démonstration et cette menace, votèrent le bill dans la soirée même.
« Voici le second fait que j'ai à citer ; il est plus récent :
« Après les réformes dernières dans les divers pays du continent, on réclama encore une nouvelle réforme en Angleterre : on demanda que les 1,100,000 électeurs qui avaient voté jusque-là, depuis 1832, pour les élections au parlement, se changeassent en un nombre tel qu'il est aujourd'hui : de 3,000,000 au moins, et que toute personne occupant comme père de famille une location quelconque devînt électeur de droit.
« Tous les meetings unanimement, ouvriers comme bourgeois, vous viendrez à tel jour dans les rues de Londres, tous avec vos députations, demander la réforme que nous réclamons. Voilà ce que le peuple de Londres décide. Comment, nous disait-il, vous demandez à ces bourgeois de la chambre des communes, comme à ces nobles de la chambre des lords une nouvelle réforme ! Réunissons le peuple dans tous ses comices, réunissons le peuple par corps de métiers et faisons, tel jour, à telle heure, une promenade générale. Tous les corps de métiers viendront avec leurs bannières en tête et déclareront que telle réforme doit être accordée.
« Ceux qui possèdent des locations quelconques ont, en effet, droit de suffrage aujourd'hui. Mais, pour obtenir ce droit, il a fallu une grande démonstration. On met tous les corps de métiers en route sur le pavé de Londres : les maréchaux ferrants marchent les premiers sur leurs chevaux ; les ouvriers de tous les autres métiers les suivent. Un jour de grande (page 218) pluie, qu'il faisait très mauvais, cette procession commence à 11 heures du matin et parcourt les rues de Londres portant des bannières où le vœu du peuple est inscrit,
« Il n'y a qu'un peu de tumulte à Hyde-Park, où le peuple enfonce les portes grillées fermées devant lui, et cette seule démonstration a suffi pour que la réforme de 1868 fût décrétée.
« Je vous indique des moyens analogues, moins violents même. Il suffit que le peuple exprime énergiquement sa volonté. Je me demande : Quelle difficulté y aurait-il à assembler le peuple comme on l'a fait à Londres, pour déclarer une bonne fois qu'il veut la réforme par l'abolition de l'article 47 ? Cette difficulté n'est pas grande : elle consiste purement et simplement à trouver quelques milliers d'hommes pour se rendre, en personne, au palais du roi et chez les gouverneurs de province représentant le roi, pour leur dire : Voilà une pétition : nous demandons l'abolition de l'article 47 de la Constitution.
« Vous pouvez encore recourir au moyen que les Suisses employèrent en 1846. Les aristocraties bourgeoises étaient maîtresses partout du gouvernement. Dans toutes les grandes villes, le peuple se réunit sur les places publiques, et à cette seule démonstration les bourgeois évacuèrent les grands conseils et les conseils d'Etat dans tous les cantons. »
Et qui tenait ce langage? C'est l'honorable M. Jottrand. (Longue interruption.)
M. Jottrand. - Je n'ai jamais assisté à aucun meeting de Liège ; par conséquent je n'ai jamais pu y prononcer les paroles que vous m'attribuez.
M. Cornesse. - J'ai cru que c'était vous qui assistiez à ce meeting, et voici pourquoi : l'honorable M. Demeur que je vois se démener en riant...
M. Demeur. - Certainement je ris.
M. Cornesse. - L'honorable M. Demeur assistait à ce meeting. Il y a fait un discours.
M. Demeur. - Oui, et je m'en vante.
M. Cornesse. - M. Demeur a parlé très longuement, et après lui a pris la parole M. L. Jottrand. (Interruption.)
On dit derrière moi que c'est le père ou le frère de notre honorable collègue qui a assisté au meeting de Liège.
Je pouvais facilement me tromper : car MM. Jottrand et Demeur sont deux amis politiques ; ils sont arrivés en même temps à la Chambre, peu de temps après le 1er mai 1870, ils siègent l'un à côté de l'autre; et en voyant Oreste parler au meeting, je devais croire que Pylade s'y trouvait également, puisque j'y rencontrais son homonyme.
D'après le document que je tiens à la main, c'est M. L. Jottrand qui a tenu le langage que j'ai cité textuellement et fidèlement. Du reste, messieurs, que ce soit M. Jottrand père ou M. Jottrand fils, cela n'ajoute ou n'enlève rien à la valeur de mes observations.
M. Jottrand. - Ne me mettez pas en cause, je ne suis responsable que de mes paroles.
M. Demeur. - Vous avez dit : un membre de la Chambre.
M. Cornesse. - Je le croyais, et vous devez reconnaître qu'il y avait des raisons de le supposer.
M. Demeur. - Reconnaissez votre erreur alors et tout sera dit.
M. Cornesse. - Il ne me coûte, pas de la reconnaître; elle s'explique parfaitement et ma bonne foi est entière. (Interruption.)
Les circonstances dans lesquelles ce langage a été tenu me permettaient de supposer que le M. Jottrand du meeting était M. Jottrand, notre honorable collègue.
- Un membre à gauche. - C'est de la légèreté.
M. Cornesse. - Non, ce n'est pas de la légèreté, car la paternité de ces paroles importe peu à ma thèse. C'est le mode de procéder indiqué que je voulais surtout signaler à l'attention de la Chambre et du pays.
Après ce que nous avons vu tout récemment, après le succès des manifestations, le danger est grand pour l'avenir de les voir se renouveler et il sera bien difficile de résister quand on viendra demander, par les mêmes moyens, des réformes radicales telles que la révision de la Constitution.
Messieurs, on nous a dit et répété souvent dans cette discussion: Vous avez sacrifié cette question d'intérêt national à de mesquines considérations de parti. Nous, au contraire, dit M. Frère, nous avons toujours sur cette question fait acte de patriotisme; nous, nous n'avons jamais songé dans celte question à l'intérêt du parti libéral, nous vous avons toujours tendu une main amie, nous vous avons demandé de marcher la main dans la main, toujours, en tout temps.
Eh bien, messieurs, voyons l'histoire, et ici il n'y a pas d'erreur possible ; je vais puiser dans les documents officiels et démontrer à l'honorable M. Frère que, dans une occasion bien grave, au lendemain des événements de 1848, il a, comme membre du gouvernement, sacrifié ou tout au moins manifesté l'intention de sacrifier ce grand intérêt national qui s'appelle l'armée, à l'intérêt de l'union dans le sein du parti libéral.
L'histoire des variations de M. Frère sur la question militaire offre des enseignements précieux inscrits dans nos fastes parlementaires et dont l'honorable M. Frère-Orban devrait bien se ressouvenir. Cela le rendrait plus circonspect et plus indulgent vis-à-vis de ses adversaires.
En 1850, il existait au sein de la majorité libérale une faction profondément hostile au chiffre du budget de l'armée. Cette minorité, qui avait pour principal organe l'honorable M. d'Elhoungne, demandait qu'on réduisît le budget de la guerre à 25 millions et qu'on constituât une commission de révision pour examiner les questions relatives à l'établissement militaire.
L'élément civil du cabinet, représenté par les honorables MM. Rogier et Frère-Orban, penchait vers une satisfaction à donner aux membres de la minorité de la majorité, si je puis ainsi parler. MM. Frère et Rogier voyaient dans cette satisfaction donnée à une fraction de leur majorité un moyen de se dégager de l'espèce de reconnaissance qu'ils devaient avoir envers les membres de la droite de cette Chambre qui toujours, sur la question du budget de la guerre, se montrèrent patriotes avant tout, et n'hésitèrent pas â voter les propositions émanées du cabinet libéral.
L'élément militaire du cabinet ne voulait pas consentir à cette satisfaction que réclamait alors l'intérêt du parti libéral.
M. Chazal donna, en 1850, sa démission de ministre de la guerre.
(erratum, page 238) M. Frère-Orban. - La démission de M. le général Chazal n'avait rien de commun avec le budget de la guerre.
M. Cornesse. - Sous la date du 9 août 1850, M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, adressa à M. le général de Brialmont une lettre ainsi conçue :
« Bruxelles, le 9 août 1850.
« Mon cher général,
« Nous avons besoin pour le ministère de la guerre d'un homme éprouvé et qui inspire une confiance entière au pays et à l'armée.
« Les membres du cabinet pensent qu'il faut à la Belgique une armée fortement organisée et suffisante pour faire face à toutes les éventualités. Rien de plus important à leurs yeux que de voir cette institution assise sur des bases stables et définitives. Ce serait rendre un grand service que de résoudre, pour n'y plus revenir, les difficultés que soulève chaque année la discussion du budget de la guerre.
« Les hommes les plus considérables de la Chambre que nous avons consultés ont été d'avis qu'au moyen d'une réduction relativement minime et successive, on obtiendrait sur cette question une majorité très unie et pour longtemps immuable. Il ne s'agirait pour cela que d'arriver au chiffre de 25 millions, en réduisant de 450,000 francs par année le chiffre actuel du budget, soit 1,300,000 francs en trois ans.
« Il est bien entendu qu'en cas d'événements graves, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, le cabinet n'hésiterait pas à faire toutes les dépenses extraordinaires que nécessiteraient les circonstances. Nous raisonnons dans l'hypothèse d'une situation normale, et pour une telle situation, nous vous posons, mon cher général, les deux questions suivantes :
« Est-il possible d'opérer, en trois ans, une réduction de 1,300,000 fr. sans affecter la force organique de l'armée ? Seriez-vous disposé à prendre l'engagement d'opérer une telle réduction, réserve faite des événements dont j'ai parlé plus haut ?
« Je n'ai pas besoin de vous dire, mon cher général, combien il nous serait agréable, à nos collègues et à moi, de vous voir entrer dans des vues dont la réalisation serait, à nos yeux, le plus sûr, le seul moyen peut-être, de sauvegarder dans l'avenir l'institution de l'armée.
« Nous avons eu à ce sujet, avec quelques officiers généraux, des conversations purement officieuses et sans conclusion. Quoi qu'en aient dit certains journaux, il n'y a pas eu de refus de concours de leur part, par la simple raison qu'il n'y a pas eu d'offre directe et officielle de la nôtre.
« Recevez, mon cher général, la nouvelle assurance de mes sentiments affectueux.
« (Signé) Ch. Rogier. »
M. le ministre de la guerre était alors au camp de Beverloo et il répondit au gouvernement, sous la date du 10 août, par la lettre suivante :
« Camp de Beverloo, le 10 août 1850.
« M. le ministre,
« J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser le 9 de ce mois et par laquelle vous voulez bien, au nom du cabinet, m'exprimer le désir de me voir accepter les fonctions de ministre de la guerre.
(page 219) « Vous m'écrivez, M. le ministre, que les membres du cabinet pensent qu’il faut à la Belgique une armée fortement organisée et suffisante pour faire face à toutes les éventualités.
« D'un autre côté, vous me faites connaître que, dans l'opinion du cabinet certaines réductions sur le chiffre du budget de la guerre sont indispensables pour que le sort de l'armée ne soit pas remis en question chaque année et vous m'indiquez quel devrait être, d'après vos honorables collègues, le montant de ces réductions au bout de trois années.
« Vous comprendrez, M. le ministre, que, pris, comme je suis, à l'improviste, il ne m'est pas- possible de répondre d'une manière catégorique aux deux questions que vous avez bien voulu me poser à cet égard, mais par dévouement pour le Roi et pour le pays, je suis disposé à prendre part aux travaux du cabinet et à entrer dans les vues que vous m'avez exposées, pour autant qu'un examen plus complet de la situation ne vienne pas me démontrer l'impossibilité, pour moi, de concourir à leur réalisation.
« Veuillez agréer, M. le ministre, la nouvelle assurance de ma haute considération.
« Le lieutenant général commandant les troupes campées.
« (Signé) Brialmont. »
Voilà donc, messieurs, le projet parfaitement arrêté de réduire les dépenses militaires au chiffre de 25 millions. L'intention et les vues du cabinet étaient clairement manifestées. (Interruption.)
C'était le seul moyen de maintenir ou de rétablir l'union dans la majorité libérale de l'époque. (Interruption.)
Maintenant, quel était le but que se proposait l'honorable M. Frère en indiquant le chiffre de 25 millions comme devant être atteint pour le budget de la guerre ? Messieurs, il nous l'expliquera lui-même et je vais citer textuellement un fragment de son discours en l'empruntant aux Annales parlementaires de 1851. Vous verrez, messieurs, que l'honorable M. Frère était inspiré dans son projet par cette seule et unique pensée, de ramener l'unité dans le parti libéral et de se débarrasser de l'appui équivoque, de l'appui douteux et précaire des membres de la minorité. C'est donc, bien l'intérêt national sacrifié à l'intérêt de parti. Ecoutez :
« Le cabinet, disait M. Frère, ne s'est pas posé une misérable question d'argent ! Non, il avait à résoudre une difficulté beaucoup plus grave que celle-là.
« Quelque importance que puissent avoir les considérations financières, je les mets au-dessous des questions qui intéressent l'honneur, la dignité et l'indépendance du pays.
« Nous avions à examiner, messieurs, si le gouvernement serait ou non possible. »
Le gouvernement, c'est-à-dire le ministère libéral.
« Il s'agissait de savoir, continue M. Frère, si l'on devait persister à accepter un appui équivoque, dangereux de la part d'une partie de cette Chambre et diviser une grande opinion... »
Impossible de poser plus carrément la question sur le terrain politique. Aussi l'orateur est-il interrompu par une voix qui lui crie :
« C'est donc une question de parti. »
Et il répond en termes qui accentuent plus énergiquement son opinion et prouvent que ce que l'on cherchait, c'était l'union du parti libéral, qu'il fallait maintenir à tout prix.
Ecoutez encore.
« Ce n'est pas là une question de parti. (Interruption.)
« Ce n'est pas une question de parti. C'est la question de savoir à quels hasards on allait livrer le pouvoir en Belgique. Je soutiens, d'ailleurs, qu'il importe à l'armée et qu'il importe au pays que l’opinion libérale se soit pas divisée.
« Je dis que cela importe au plus haut point à la tranquillité du pays. »
Tel était le langage tenu par l'honorable M. Frère. On ne peut être plus net, plus catégorique.
Et voulez-vous entendre, messieurs, comment cette transaction, - car on transigeait sur cette matière d'ordre public et d'intérêt national - était interprétée par un homme qui était une des parties faisantes de cette transaction, un homme important, ancien président de cette Chambre et qui a laissé à gauche les meilleurs souvenirs ? Je veux parler de l'honorable M. Delfosse.
C'était lui qui, avec l'honorable M. d'Elhoungne, traitait de puissance à puissance avec le gouvernement.
Voici comment l'honorable M. Delfosse expliquait la transaction :
« Ce moyen de conciliation que je crois sérieux, sincèrement offert, disait-il, et dont l'inexécution ferait à l'instant même renaître mon opposition au budget de la guerre, ce moyen de conciliation, je l'accepte par patriotisme, je l'accepte pour faire cesser une division qui affaiblirait le parti auquel j'appartiens, ce grand parti dont l'union, comme l'a dit avec raison M. le ministre des finances, importe à la tranquillité du pas.
« On conçoit la mauvaise humeur que ce fait important, que nous avons rétabli, a inspirée à l'ancienne droite et surtout à l'honorable M. Dechamps.
« Il était si agréable de voir la division dans les rangs opposés, de devenir par là un appoint nécessaire.
« Il était si doux de s'entendre adresser des paroles de reconnaissance !
« Qui sait même si l'on n'espérait pas mieux, si l'on ne se préparait pas déjà à faire ses conditions?
« Qui sait si on ne rêvait pas le retour de ces ministères mixtes qu'on avait tant prônés, dont on s'était si bien trouvé ?
« Là, messieurs, est le secret, je ne dirai pas de la comédie qui se joue, je veux rester dans les termes parlementaires, mais du dépit qui perce, mais de la vivacité de l'opposition qui se produit. »
L'honorable M. Delfosse donnait ainsi parfaitement à cette conciliation son véritable caractère, l'intérêt et l'intérêt exclusif du parti libéral. Et tous les orateurs, à droite et à gauche, qui n'étaient pas partisans de cette transaction, s'élevaient, avec une rare énergie, contre ce marché qui consistait à mettre au rabais notre administration militaire dans un intérêt de parti.
M. Lebeau, M. Devaux, M. de Brouckere et beaucoup d'autres membres de la gauche faisaient entendre alors des paroles sévères, énergiques, cruelles à l'adresse du ministère. M. Lebeau disait : « Il est de ces questions sur lesquelles il n'est pas possible de transiger, même avec ses meilleurs amis, parce que ce sont des questions de conscience et de dignité personnelle. »
Et M. Devaux disait également :
« Quant aux transactions, certes, j'ai montré ici, depuis vingt ans, que je savais faire des concessions raisonnables à mon parti ; et il ne m'a guère rencontré comme obstacle. Mais il ne faut pas abaisser ou perdre une opinion pour la tenir unie. Mieux vaut se séparer que de s'égarer ensemble. »
Et ce n'était pas seulement sur vos bancs, c'était sur les nôtres aussi que l'attitude que le gouvernement avait prise était flétrie en termes éloquents et énergiques. Il me sera permis de citer un passage du discours remarquable que tenait alors l'homme d'Etat éloquent qui occupe aujourd'hui le département des finances.
« Le résultat du vote que vous provoquez, disait M. Malou, sera de tracer entre les partis une ligne plus profonde ; nous déplorons cette direction de la politique qui a fondé la Belgique, qui l'a fait grandir, qui lui a permis de traverser les tempêtes.
« Mais quelle que soit l'intolérance que vous professez dans vos actes, s'il surgissait pour le pays des dangers nouveaux, vous nous retrouveriez encore ce que nous avons été en 1848 ; cette main que vous repoussez... »
Vous voyez qu'alors vous ne nous tendiez pas la main, que vous n'engagiez pas la droite, à marcher avec vous la main dans la main...
«... cette main que vous repoussez aujourd'hui, nous viendrons vous la tendre pour aider à sauver le pays ; nous ne craindrions pas que le lendemain vous nous disiez encore que nous avons cédé au sentiment de la peur.
« Malgré ces actes d'intolérance, nous viendrions vous prêter notre appui, en présence des dangers qui menaceraient le pays ; nous n'avons qu'une raison d'être, qu'une pensée, qu'un gage d'avenir ; c'est la devise, qui toujours a été la nôtre : la nationalité avant tout. »
Eh bien, messieurs, à la suite de cette page d'histoire, a-t-on bien le droit, sur les bancs adverses, de nous reprocher ces prétendues palinodies sur la question militaire?
Vous aviez fixé à 25 millions le chiffre maximum du budget de la guerre ! A quel chiffre avez-vous donc laissé le budget quand vous avez quitté le pouvoir ?
Vous nous reprochez à tort de ne nous préoccuper, en cette matière, que de l'intérêt politique, de l'intérêt de notre opinion, ce qui est absolument inexact, et je vous prouve qu'en 1851 vous avez pactisé, concilié, transigé sur cette question dans un intérêt de parti, pour maintenir l'union de votre majorité et pouvoir marcher plus sûrement dans les voies libérales.
Le moment était grave cependant ; la situation intérieure était inquiétante ; la Belgique ne jouissait pas alors de la sécurité qu'elle possède aujourd'hui ; nous étions au lendemain de 1848, nous étions à la veille de l'échéance des pouvoirs du président ; la guerre existait dans plusieurs contrées de l'Europe ; et c'est dans un pareil moment que, contrairement à l'avis de toutes les autorités militaires et de vos meilleurs (page 220) amis, vous plantiez cette colonne d'Hercule de 25 millions et remettiez le sort de l'armée aux délibérations d'une commission !
L'attitude que vous avez prise alors, le rôle que vous avez joué devrait vous rendre moins prodigue des reproches injustes et immérités que vous ne cessez de nous adresser.
L'honorable M. Van Humbeeck propose d'ajourner à deux mois le vote du budget. L'honorable M. Frère substitue à cette proposition une simple question : Le gouvernement seratl-il en mesure de produire ses vues sur la question militaire avant la fin de cette session ?
Messieurs, les explications qui ont été fournies par le gouvernement me paraissent péremptoires et de nature à déterminer ceux qui ne se laissent pas dominer ici par une question de parti, à repousser l'ajournement.
Que vous dit en effet le gouvernement ? La question militaire est partout agitée ; elle est agitée dans tous les pays qui nous avoisinent ; il serait imprudent, il serait d'une légèreté impardonnable, il serait prématuré de la trancher aujourd'hui. Nous devons attendre les éclaircissements, les lumières qui ne manqueront pas de nous venir de l'étranger.
La position de la Belgique, sa neutralité lui font un devoir de ne pas se presser. On ne doit rien, du reste, improviser en cette matière. Il faut agir avec prudence, avec maturité. Une commission a été instituée, cette commission n'a pas achevé ses travaux. Quand cette commission aura terminé son œuvre, le gouvernement aura à l'examiner et à aviser. Jusque-là il doit attendre. On ne peut d'ailleurs fixer de terme fatal dans lequel cette question doive être examinée et résolue. La question est d'une importance capitale ; elle est d'un intérêt majeur, et rien ne nous force à nous presser, il n'y a pas péril en la demeure.
On dit que le gouvernement, en prenant cette altitude, agit par politique, en vue des prochaines élections.
Messieurs, si la politique inspirait au gouvernement une pareille attitude, il serait d'une maladresse insigne. N'est-il pas vrai que vous auriez beau jeu pour exploiter cette attitude et que. vous n'y manqueriez pas ? Ne pourrez-vous pas dire que l'intention du ministère est d'aggraver les dépenses militaires ? Je suis convaincu qu'il n'en est rien. Mais vous auriez un thème magnifique pour les élections prochaines.
Si le ministère n'a pas révélé ses projets, c'est qu'il a des arrière-pensées, c'est qu'il a craint d'effaroucher le pays, c'est qu'il rêve des augmentations, etc., etc.
La politique n'est donc pour rien dans la conduite du gouvernement. Cette conduite est imposée par la nécessité de la situation.
En attendant le résultat des travaux de la commission et des délibérations du gouvernement, quel est le devoir de tous les membres de la Chambre, classés, si vous le voulez, en militaristes et antimilitaristes ? Ce devoir me parait être de voter le budget de la guerre et de repousser la proposition d'ajournement.
Du moment que l'on admet la nécessité d'une force nationale pour défendre notre indépendance, pour garantir notre neutralité au dehors et pour maintenir la tranquillité à l'intérieur, il est impossible de voter aujourd'hui contre le budget de la guerre ; car si ce budget venait à être rejeté, toute notre organisation militaire s'effondrerait ; nous n'aurions plus rien pour nous protéger et nous défendre, nous nous rendrions la risée de l'Europe.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation provisoire. En votant le budget aujourd'hui, on n'engage nullement l'avenir. Lorsque le gouvernement nous fera ses propositions, chacun restera libre de les apprécier, d'accorder ou de refuser son concours.
Dans ces conditions, après surtout que le contingent est voté, il ne serait ni raisonnable, ni politique, ni sage, de repousser le budget de la guerre. Nous ne pouvons pas, dans cette situation provisoire, briser l'institution qui nous protège et laisser le pays sans défense.
M. David. - Mon honorable collègue de Verviers croit m'embarrasser en me rappelant le mandat impératif, accepté par moi, de combattre les dépenses militaires et d'en poursuivre la réduction. Mais il est bien jeune dans cette Chambre ! Il ignore ce qui s'y est passé et il ne sait donc pas que, depuis mon entrée dans cette assemblée, c'est-à-dire depuis plus de vingt-cinq ans, jamais je n'ai voté aucune dépense militaire sauf une seule fois : j'ai voté la transformation de notre vieille et disparate artillerie en artillerie se chargeant par la culasse ; et pourquoi ? Parce que la majorité voulant une armée, je ne pouvais lui refuser des armes pour se défendre le cas échéant.
Par conséquent, et M. Cornesse aurait dû le comprendre, ce mandat impératif, imposé à tous les candidats, était pour moi complètement lettre morte et absolument inutile. Jamais je n’ai commis, moi, de palinodies ; j’ai toujours maintenu ma manière de voir à cet égard.
Ce n’est pas, messieurs, que je sois l’adversaire de l’armée. Non ; mais je veux une armée autrement constituée qu’elle ne l’est aujourd'hui chez nous ; je veux une armée semblable à celle qui existe en Suisse ; cette armée, qui n'imposerait pas de si lourds sacrifices à la nation, serait parfaitement suffisante pour maintenir l'ordre à l'intérieur du pays. Avec des armées semblables, qu'il faut travailler à faire adopter par toutes les nations de l'Europe, les envahissements et les annexions criminelles des territoires voisins ne seraient plus possibles. L'humanité serait débarrassée d'un sinistre cauchemar qui l'oppresse et l'effraye.
L'honorable M. Cornesse nous dit : « Mais le programme de l'association libérale contient aussi un article où l'on réclame la réduction des dépenses militaires. » Oui, tout l'arrondissement de Verviers, et les amis de M. Cornesse eux-mêmes, veulent des réductions dans les dépenses militaires ; c'est si vrai que dans sa célèbre profession de foi à la réunion des cléricaux, le 2 juin 1870, si je ne me trompe, il avait dû formellement promettre, pour avoir chance d'être élu, de combattre ces dépenses. Je n'ai pu retrouver à la bibliothèque le numéro de la Gazette de Liége dans lequel se trouve le discours de M. Cornesse, à cette réunion des cléricaux à Verviers ; sinon, je l'aurais relu pour la deuxième ou pour la troisième fois à nos honorables collègues, mais enfin, il leur avait promis des réductions du budget militaire aux applaudissements bruyants de toute l'assemblée.
Eh bien, au lieu de voter de pareilles réductions, qu'ont fait les honorable MM. Simonis et Cornesse ? Dans les premiers mois de leur présence à la Chambre, ils ont immédiatement voté plus de 36 millions de francs d'augmentations de dépenses militaires, sans doute pour être fidèles à leurs engagements.
Voila la différence entre vous, et moi, messieurs ; moi, je n'ai jamais varié sur la question militaire.
Au 2 août 1870, j'aurais été repêché par le parti catholique à Verviers !!! Moi appuyé par le parti ultramontain !!! c'est-à ne pas en croire ses oreilles !!!
Mais si les journaux ultramontains de la localité parvenaient jusqu'à vous, vous verriez ce qu'ils font de moi ; vous verriez qu'au 2 août 1870 pas un seul catholique n'a voté pour moi ; du reste je ne demande pas leurs voix ; je préfère qu'ils les donnent à d'autres.
A l'élection du 2 août, M. Cornesse, qui cependant était ministre, aurait été renvoyé à ses dossiers, à Liège, et M. Simonis à son bel et splendide établissement de. draperies à Verviers, si 400 libéraux ne s'étaient pas abstenus de venir voter, parce que (erratum, page 244) M. Muller, M. Demeur et moi nous étions considérés par eux comme trop avancés ; néanmoins ces deux messieurs ont eu presque le nombre voulu de voix pour être élus.
M. Frère-Orban. - Je m'en tiendrai strictement au fait personnel, n'ayant pas le droit, et je le regrette, de rencontrer diverses assertions de l'honorable préopinant.
M. Cornesse a parlé d'une palinodie que j'avais faite à propos du budget de la guerre.
M. Cornesse est depuis peu de temps dans cette Chambre ; s'il y avait siégé depuis plusieurs années, il aurait su qu'il ne faisait qu'une dixième édition d'un discours de M. Coomans. Tout ce qu'il a dit, M. Coomans l'a dit et tout ce que M. Coomans a dit a été complètement réfuté.
M. Cornesse. - Je n'ai pas eu la prétention de faire du neuf.
M. Frère-Orban. - Je m'en suis aperçu.
M. Van Wambeke. - Nous avons déjà entendu cinquante fois la même chose.
M. Frère-Orban. - Si M. Van Wambeke veut bien le permettre, je m'expliquerai encore une fois, puisque M. Cornesse le veut ainsi.
Le document dont l'honorable M. Cornesse a donné lecture constate que le gouvernement, en 1850, a, non pas promis de réduire le budget de la guerre à 25 millions, mais a offert de soumettre à une commission l'examen de la question de savoir si le budget, qui ne s'élevait alors qu'à 26,500,000 francs, pouvait être ramené, en trois ans, à 25 millions sans porter atteinte à la force de l'armée.
On ne s'est pas engagé à réduire le budget de la guerre à 25 millions, on ne l'a pas promis, l'examen eût été en ce cas inutile, et dans le discours que j'ai prononcé à cette époque, il est clairement énoncé qu'il ne s'agissait pas d'une question d'argent.
L'examen a été accepté par la gauche tout entière, deux membres exceptés, MM. Devaux et Lebeau.
Il est donc clair que, n'ayant rien promis, n'ayant consenti qu'à un examen qui a été fait, le reproche de l'honorable membre tombe absolument à faux.
(page 221) Mais, dites-vous, sur une affaire d'intérêt national, j'ai déclaré, dans une circonstance donnée, que l'appui de la droite était équivoque et compromettant.
Je disais la vérité. Il y avait alors une situation dont il était indispensable de sortir.
Il fallait entretenir l'armée : il ne s'agissait pas seulement de voter un gros budget de la guerre ; il fallait des ressources pour faire face aux dépenses ; elles manquaient ; des impôts étaient inévitables, il fallait les voter.
Or, vos amis, grands partisans en ce moment-là des dépenses militaires et très désireux de faire échec au cabinet, déclaraient qu'ils ne voteraient pas un sou d'impôt. D'un autre côté, une partie de nos propres amis affirmaient que si l'on ne réduisait pas les dépenses militaires, ils ne voteraient pas non plus les impôts. Qu'ai-je dit à mes amis et à mes adversaires? J'ai singulièrement contrarié, je le reconnais, mes adversaires en cette circonstance. Ils ont été pris dans le piège où ils désiraient nous voir tomber.
Je leur ai dit : Votre appui est compromettant; vous voulez bien voter les dépenses de la guerre et non les recettes pour les couvrir ; l’intérêt national serait donc menacé, si nous nous reposions sur vous (erratum, page 238) du soin d'y pourvoir. D'ailleurs, c'est le renversement du cabinet que vous espérez en comptant sur les résistances d'une partie de la gauche.
J'ai dit à mes amis : Nous examinerons si les dépenses militaires peuvent être réduites, mais en attendant le résultat de cet examen, vous nous donnerez les sommes dont nous avons besoin.
Les impôts ont été votés, au grand désappointement de la droite, et l'examen promis a été fait. Il a été constaté non seulement qu'il était impossible de réduire le budget de la guerre, mais même qu'il fallait l'augmenter de plusieurs millions, et pas un reproche ne m'a jamais été adressé à ce sujet.
On n'a pas prétendu, sur les bancs de la gauche, que j'eusse promis de réduire le budget de la guerre à 25 millions et que j'avais manqué à cet engagement. Ce n'est pas, j'imagine, dans cette situation que se trouve l'honorable M. Cornesse.
J'ai fait à cette époque une chose qui a été du plus grand intérêt pour le pays et pour l'armée. MM. Devaux et Lebeau ont eu la loyauté de le reconnaître. Les appréhensions qu'ils avaient n'ont pas été justifiées. C'est depuis lors que cette question de l'armée a été posée sur son véritable terrain.
Des ressources abondantes ayant été créées, qui permettaient de pourvoir à tous les services publics et aux travaux publics, la situation financière n'a plus pesé sur l'examen des affaires militaires. Certes, il était légitime de rechercher, en présence des doutes qui étaient émis par quelques-uns, s'il était possible de ramener le budget de la guerre à 25 millions; si l'on pouvait aujourd'hui encore ne dépenser que pareille somme, il y aurait lieu de s'en féliciter ; mais ni alors, ni depuis, la défense nationale n'a été mise par nous au rabais. Au milieu des difficultés politiques et financières de l'époque, nous avons hautement proclamé que la question qui s'agitait n'était pas une question d'argent. Nous n'avons pas promis de réductions ; nous avons promis de faire examiner et, par conséquent, les reproches que nous adresse l'honorable membre ne pouvaient nous atteindre et ne peuvent, en aucune manière, le disculper.
M. Balisaux. - On s'aperçoit, messieurs, que nous approchons de la Noël : c'est la journée aux confessions. (Interruption.)
J'ai demandé la parole pour exposer à la Chambre les motifs des votes que je vais être appelé à émettre sur les deux questions à l'ordre du jour : l'ajournement de la discussion du budget de la guerre et le budget de la guerre lui-même.
Mais, messieurs, comme chacun fait ici son examen de conscience, comme je pourrais avoir aussi la conscience quelque peu chargée, on me l'a reproché du moins, je tiens aussi à m'expliquer, mais le plus brièvement possible.
Dans la séance de samedi dernier, ayant bien ou mal interprété des paroles sorties de la bouche de mon honorable collègue et ami, M. Pirmez, paroles qui avaient pour but de reprocher à certains députés de n'avoir pas le courage de leurs opinions et de n'oser les manifester par leurs votes, j'ai demandé la parole pour m'expliquer à ce sujet. Je craignais surtout une fausse interprétation de son discours, parce que je ne pouvais croire que l'honorable M. Pirmez eût voulu diriger contre moi une attaque en cette circonstance.
J'avais raison, messieurs, de craindre cette fausse interprétation ; car à peine les paroles auxquelles j'ai fait allusion étaient-elles prononcées, qu'une lettre était adressée de Bruxelles à un journal de Charleroi annonçant que M. Balisaux n'avait pas eu le courage d'exprimer son opinion sur la question du contingent de l'armée et qu'il s'était sauvé.
Peut-être me direz-vous, messieurs : Vous ne devez pas vous arrêter à ce que dit un journal, surtout quand ce journal est le Progrès de Charleroi, jadis fondé pour critiquer la conduite politique des anciens députés de l’arrondissement et dont le premier vagissement fut : A bas les anciens !
Il est vrai que ce journal est aujourd'hui l'organe d'une coterie de l'association libérale de. Charleroi et rédigé par des transfuges du parti catholique. (Interruption.)
Mais je ne pouvais pas rester sous le coup d'une accusation de lâcheté tant vis-à-vis des électeurs de mon arrondissement que vis-à-vis du pays tout entier.
Je suis sorti de la Chambre, il est vrai, au moment où l'on discutait le projet de loi sur le contingent de l'armée.
C'est au moment où l'honorable M. Le Hardy se levait pour prendre la parole... (Interruption.) Sachant qu'il fait toujours un examen approfondi des questions qu'il traite, j'ai cru que je pouvais me retirer pendant quelques instants. La discussion n'a duré que quelques minutes, et quand je suis rentré, le vote avait eu lieu.
Je voudrais néanmoins bien savoir, messieurs, quel est l'ami dévoué ou l'implacable ennemi qui me suit ainsi dans l'accomplissement des actes les plus ordinaires de la vie, je lui en témoignerais toute ma gratitude !
Je déclare donc aujourd'hui que si j'avais été présent lors du vote de la loi sur le contingent militaire, j'aurais donné un vote favorable à cette loi.
Nous avons maintenant à examiner la question du budget militaire et notamment la proposition d'ajournement de la discussion de ce budget.
Nous allons, enfin, sortir des questions personnelles, mais avant et, puisque nous faisons un examen de conscience, reconnaissons tous que le pays tout entier doit être bien fatigué des luttes irritantes dont il est témoin depuis que la session a commencé ; avouons humblement que nous perdons notre temps, qu'en conséquence, nous gaspillons l'argent du trésor public ; reconnaissons qu'il est temps que nous nous livrions enfin à des travaux utiles aux intérêts matériels ou moraux du pays.
Savez-vous ce qu'on dit, messieurs ?
On dit que l'arbre des haines, des discordes, des passions politiques semble avoir pris racine dans la chambre des députés, tandis qu'elle devrait donner au pays l'exemple de la sagesse et de la modération.
M. Bara. - Dites cela à la droite. (Interruption.)
M. Balisaux. - Je le dis à tous ceux qui soulèvent des questions de cette nature et je blâme tous les députés qui adressent à leurs collègues des attaques personnelles qui ont un caractère irritant.
Mais revenons, messieurs, à la question.
Nous avons un budget de la guerre à discuter, une proposition d'ajournement, qui a déjà été l'objet de longs et nombreux discours. Je déclare dès aujourd'hui que je donnerai un vote favorable au budget de la guerre et que je voterai contre la proposition d'ajournement.
Je ne suis cependant pas, messieurs, un partisan enthousiaste de l'organisation actuelle de l'armée. L'expérience nous a instruits, en 1870, pendant la guerre entre la France et l'Allemagne, quand nous avons vu manœuvrer notre armée. Cette expérience nous a appris qu'elle laissait à désirer sous plusieurs rapports. Dans un discours que j'ai fait sur le projet de loi du contingent militaire dans le courant de la session dernière, j'ai critiqué l'organisation de l'armée, j'ai dit qu'elle laissait beaucoup à désirer ; que les cadres de ses officiers et de ses sous-officiers étaient trop incomplets, que son intendance était défectueuse ; j'ai soutenu que les officiers inférieurs étaient trop mal rétribués pour pouvoir les attacher sérieusement à la carrière des armes.
J'ai dit qu'une armée de 100,000 hommes était ou trop forte ou trop faible : trop faible si la Belgique ne pouvait plus avoir foi dans les traités internationaux qui garantissent sa neutralité et son indépendance, si elle ne pouvait plus compter sur l'exécution loyale de ces traités.
J'ai critiqué les dépenses militaires, parce que j'avais personnellement alors confiance en ces traités, mais j'ai ajouté : « Si le droit et la justice ont disparu pour faire place à la force, alors même une armée de 100,000 hommes est insuffisante. Si nous devons retourner aux temps de barbarie où il n'y a plus ni droit, ni justice, il ne nous reste plus qu'une seule chose à faire, c'est de nous armer tous et de nous préparer tous les jours à défendre nos familles et nos foyers. » Mon opinion à cette époque, je le répète et je l'affirmais dans mon discours, était que les traités internationaux étaient une garantie suffisante pour nous. Je dois le dire à regret, aujourd'hui, mon opinion sur ce point s'est considérablement modifiée. Depuis lors, nous avons pris connaissance des documents (page 222) machiavéliques de la diplomatie étrangère, qui mettaient en marché l’existence de notre pays, l’existence de notre nationalité ! L’illusion dont je me berçais a complètement disparu.
J'ai dit, messieurs, que cette armée était trop forte, si elle devait seulement servir à maintenir l'ordre, et assurer la tranquillité dans l'intérieur du pays.
Malheureusement encore sur cette question j'ai dû modifier sensiblement mon opinion. La commune de Paris ne nous avait pas encore fait connaître ses exploits. Je ne savais pas jusqu'à quelles conséquences fatales un pays pouvait être poussé par de fausses doctrines qui ne tendent à rien moins qu'au bouleversement de toutes nos institutions sociales.
Je suis loin de partager l'opinion de certains de mes amis, de certains de nos honorables collègues qui croient que la garde civique est suffisante pour assurer l'ordre à l'intérieur du pays. Certes, dans quelques grandes villes, Bruxelles, Liège, Gand et autres, la garde civique est organisée d'une manière sérieuse ; elle peut intervenir efficacement pour réprimer les troubles, pour empêcher les désordres. Mais, messieurs, en Belgique, ce ne sont pas les grandes villes qui sont menaçantes, dans des moments de troubles politiques. Les villes de la Belgique ne sont pas assez importantes pour emporter avec elles tout un pays dans un mouvement révolutionnaire. Ce qui est dangereux, ce sont les grands centres industriels comme l'arrondissement de Charleroi qui compte des communes ayant 15,000 à 20,000 habitants, peuplées surtout d'ouvriers industriels et qui sont privées de garde civique.
Charleroi n’a qu'une garde civique de 300 à 400 hommes. Quelle serait l'efficacité de son intervention pour réprimer les troubles, si, dans les environs de Charleroi, 30,000 à 35,000 ouvriers se mettaient en grève, menaçaient la sûreté des personnes, des propriétés et cherchaient à mettre en pratique ces doctrines coupables, fallacieuses et trompeuses de l'Internationale ?
Eh bien, j'avoue à regret que nous sommes toujours sur un volcan ! Savez-vous ce qui se passait la semaine dernière ? Un charbonnage occupant un nombre considérable d'ouvriers voyait tous ses ouvriers se mettre en grève, réclamant 50 p. c. d'augmentation sur leur salaire et deux heures de moins de travail par jour.
Voilà jusqu'où peuvent aller leurs exigences !
Savez-vous ce qui se dit en ce moment dans toutes les assemblées des ouvriers affiliés à l'Internationale? On dit :
« Il faut que tous les ouvriers des établissements charbonniers se soulèvent à un jour donné et fassent la grève. »
Je dis donc qu'en Belgique la garde civique, telle qu'elle est organisée, est inefficace pour maintenir et assurer l'ordre dans l'intérieur du pays.
Certes, messieurs, je reconnais qu'il est beau de pouvoir dire, à une tribune parlementaire surtout : Nous pouvons compter sur nos braves el courageuses milices citoyennes, nous pouvons compter sur leur dévouement; elles n'ont jamais failli à leur devoir, elle n'y failliront jamais !
Ces paroles font sûr le cœur l'effet d'une Brabançonne bien exécutée ; elles vous rendent populaire, mais il est une chose que je mets au-dessus de la popularité, c'est la vérité.
Je ne mets nullement en doute le patriotisme, le dévouement et le courage de nos milices citoyennes, mais je vais vous dire franchement mon opinion sur la garde civique.
En règle générale, il est de nombreuses exceptions, le garde civique aime ses aises. Il tient à sa liberté et à ses habitudes ; il est de mauvaise humeur quand le tambour l'appelle.
M. Guillery. - Pas quand il y a du danger.
M. Balisaux - Il n'est donc pas propre au métier de soldat. La garde civique est recrutée en Belgique parmi les personnes qui appartiennent à la classe aisée, parmi les négociants, les médecins, les avocats, les notaires, etc., qui tous ont des affaires, et quand on les détourne de leurs affaires pour une revue, un exercice, ils ne craignent pas de témoigner ouvertement leurs regrets.
En règle générale encore, le garde civique aime à manifester son opinion et l'on ne peut guère compter sur lui, lorsqu'il s'agit de réprimer des manifestations qui sont en harmonie avec ses opinions. (Interruption.)
En règle générale encore le garde civique connaît peu ou point le métier de soldat.
J'ai été artilleur, et je n'ai jamais vu un canon que de loin. (Interruption.) « Vous étiez, me dira-t-on un mauvais artilleur. » Soit, mais j'ai pour consolation de pouvoir vous dire que presque tous mes compagnons d'armes étaient de la même force que moi.
Je n'entends en aucune manière porter atteinte à l’institution de la garde civique ; j'apprécie ses nobles sentiments, sn courage et son dévouement ; je le répète, je ne porte aucune atteinte à cette institution.
- Un membre à gauche. - Vous y portez atteinte; vous offensez la garde civique.
M. le président. - Qu'on n'interrompe pas.
M. Guillery. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
J'ai interrompu, c'est vrai ; mais pourquoi ? Parce que M. le président de la Chambre, qui n'aurait pas dû permettre à M. Balisaux d'insulter la garde civique, est resté silencieux.
M. le président. - Je n'ai pas apprécié comme vous les paroles que M. Balisaux a prononcées.
M. de Clercq. – C’est la garde civique qui nous a insultés.
M. Guillery. – M. Balisaux a dit que la garde civique manquait de courage.
M. Balisaux. Je demande à m'expliquer.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Balisaux. - Je rappelle ce que j'ai eu l'honneur de dire. Voici mes propres expressions, si mes souvenirs sont exacts ; j'en appelle à mes voisins ; je reconnais que la garde civique est animée des plus beaux sentiments de courage et de dévouement. Certes, elle ne faillirait pas à son devoir ; mais ce qui est certain pour moi, c'est qu'à un moment donné, dans une circonstance donnée, elle serait impuissante pour réprimer les émeutes ; qu'elle serait impuissante pour maintenir l'ordre et la tranquillité en Belgique, si elle avait pour mission de réprimer une tentative de mise en pratique des fausses doctrines qui ne tendent à rien moins qu'à un bouleversement de nos institutions sociales.
Je ne prétends donc pas que la garde civique ne.remplit pas son devoir ; mais j'apprécie l'efficacité de son intervention selon ma conscience et ma raison.
Je ne pense pas que la garde civique d'une petite ville consente à parcourir les villages voisins pour s'y faire écharper.
M. Frère-Orban. - Quand elle sera commandée, elle ira.
M. de Rossius. - Elle l'a fait
M. Frère-Orban. - Elle l'a fait à Liège.
M. Balisaux. - J'ai commencé par excepter la ville de Bruxelles la ville de Liège et autres grandes villes où la garde civique est nombreuse, bien équipée et sévèrement organisée. J'ai pris pour exemple les petites villes.
- Des membres à gauche. - Charleroi.
M. Balisaux. - Un centre industriel peuple de 50,000 à 60,000 ouvriers el j'ai dit qu'une garde civique composée de 300 hommes serait impuissante pour y réprimer le désordre, l'émeute.
M. Vleminckx. - Vous ne vous êtes pas borné à cela.
M. Balisaux. - Je me suis borné à cela.
M. Guillery. - Non, non. (Interruption.)
M. Balisaux. - Il nous faut donc une armée et une armée sérieuse. Voilà la conclusion de tout ce que je viens de dire.
Il nous faut une armée sérieuse, non seulement pour assurer notre indépendance et notre nationalité, mais encore pour assurer l'ordre à l'intérieur du pays dans le cas où l'ordre serait menacé. S'il faut une armée, il faut nécessairement la payer, il nous faut donc un budget de la guerre.
Pourquoi présenter une proposition d'ajournement, lorsque le gouvernement nous a répondu, sur la sommation que vous lui adressiez de s'expliquer : Je refuse de vous fournir dans le délai de deux mois aucune explication sur un projet quelconque de nouvelle organisation militaire ? A toute menace, il faut nécessairement une sanction ; or, quelle, est la sanction que vous donnerez au refus du gouvernement de s'expliquer sur la question que vous lui avez posée ?
Je la cherche en vain. En effet, messieurs, c'est parmi nos honorables collègues qui se déclarent les partisans convaincus de l’organisation actuelle de l'armée, qui affirment qu'elle est la meilleure et qu'il n’en faut point d'autre, que je rencontre les principaux soutiens de la motion d'ajournement. Ceux-là mêmes devraient s'empresser de voter un budget de la guerre qui est basé sur cette organisation. Mais quelle serait la conséquence d'un vote favorable sur ce projet d'ajournement, supposons que la Chambre l'adopte ? Nous reviendrons dans deux mois discuter à nouveau ce même budget et les honorables auteurs de la proposition d'ajournement seront les premiers à voter des deux mains le budget de la guerre.
Voilà donc la conséquence possible d'un succès sur la motion d'ajournement.
(page 223) Si cette motion a un but purement politique, le but est atteint. Le pays sait que le gouvernement refuse de s'expliquer sur la question d'organisation militaire et que certains députés de la droite qui se sont engagés vis-à-vis de leurs électeurs à voter contre les dépenses militaires modifieront, par des raisons politiques, leur opinion sur cette question et accorderont un vote favorable au budget.
Le pays le sait. Il n'est nul besoin d'avoir d'autres explications à ce sujet. Nous ne les aurons pas davantage dans deux mois que nous ne les avons aujourd'hui. Si le gouvernement venait vous dire, au surplus : Eh bien oui, nous modifierons l'organisation actuelle ; nous y apporterons des changements radicaux, parce que nous la considérons comme mauvaise. Dans ces circonstances, le gouvernement pourrait-il même présenter à la discussion un autre projet que celui qui est soumis à nos délibérations ? Une organisation militaire nouvelle ne se fait pas en deux mois, ni même en une année. Le budget de 1872 doit donc, quoi qu'il arrive, rester ce qu'il est.
Je déclare en conséquence, messieurs, que je voterai contre la proposition d'ajournement ; mais elle a un but purement politique, on l'énonce clairement.
C'est une tactique contre certains membres de la droite qui, pendant que le gouvernement libéral était au pouvoir, ont voté contre le budget de la guerre comme tactique et sont disposés à l'approuver aujourd'hui parce que le pouvoir est entre les mains de leurs amis.
Comme tactique politique, j'approuve mes honorables collègues de la gauche. Ils ont raison de demander à tous et à chacun de ces députés de la droite quels sont les motifs déterminants de ce virement dans leur opinion. Ils ont raison de leur demander s'il est dû à l'intérêt de la politique qu'ils défendent ou à toute autre considération qui lui soit étrangère.
Si, pendant que le ministère libéral était au pouvoir, des membres de la droite ont voté systématiquement contre les dépenses militaires ; si, pour arriver à la Chambre, ils ont promis au corps électoral de poursuivre la réduction des dépenses militaires, il leur appartient de s'expliquer vis-à-vis de la Chambre et vis-à-vis du pays qui sera bientôt appelé à les juger.
S'ils sont coupables de palinodie, qu'ils en subissent les conséquences, qu'ils acceptent la responsabilité de leurs paroles et de leurs actes.
Messieurs, il résulte d'un fragment du discours de l'honorable M. Pirmez à l’association libérale de Charleroi, en mai 1870, fragment dont l'honorable M. Frère a donné lecture à la Chambre, que mon honorable collègue s'est déclaré, lui, partisan de l'armée, et conséquemment d'un budget de la guerre pour autant que cette armée soit nécessaire à la défense de notre neutralité et de notre nationalité.
Mais l'honorable M. Frère a ajouté que M. Pirmez aurait été à ce sujet l'objet d'odieuses attaques de la part de ses adversaires. C'est sur ce point qu'il me reste, messieurs, à fournir quelques explications à la Chambre. On pourrait, en effet, inférer de ces paroles qu'ayant été généralement considéré comme l'adversaire de mon honorable collègue dans la lutte électorale, c'est moi qui ai dirigé ou ai fait diriger d'odieuses attaques contre lui. Or, messieurs, je tiens à constater ici, d'abord, que je n'ai jamais été l'adversaire politique de M. Pirmez et que je suis encore à me demander quelles sont les questions politiques qui nous divisent.
Jamais je n'ai dirige contre l'honorable M. Pirmez aucune attaque, surtout odieuse, je crois pouvoir affirmer que j'en suis incapable.
Je partage même son opinion sur la question militaire, mais je ne me rappelle pas que pendant toute la durée de la lutte électorale ni même antérieurement j'aie émis mon opinion sur ce point, ni par mes paroles, ni par mes écrits.
Je n'ai pu combattre ici le contingent militaire et les dépenses de l'armée que pendant que le pouvoir était ce qu'il est encore aujourd'hui et si je l'ai fait, ce n'est que librement et non en vertu d'une promesse faite aux électeurs de l'arrondissement de Charleroi qui ne me l'avait, du reste, pas demandée et qui ne la désirait pas, car cette question n'a été pour rien dans le verdict prononcé par le corps électoral.
- Voix nombreuses. - La clôture !
M. le président. - La clôture est demandée.
M. Guillery (contre la clôture). - Je ne m'opposerais pas à ce que la discussion fût close, si l'une de nos plus respectables institutions n'avait pas été attaquée. (Interruption.)
Elle a été attaquée aux applaudissements de la droite et je tiens à répondre à ces attaques.
S'il est rationnel de prononcer la clôture quand une discussion est épuisée, il n'est pas permis de la prononcer dans des circonstances comme celles-ci.
M. Bara (contre la clôture). - Je demande à répondre, non seulement pour appuyer ce que vient de dire l'honorable M. Guillery, mais aussi pour que la clôture ne soit pas prononcée sur le budget de la guerre.
La garde civique a été attaquée, elle doit être défendue. Mais de plus, nous avons à répondre à d'autres attaques.
Nous avons encore toute la séance de demain et si vous ne voulez pas continuer la discussion du budget de la guerre, nous pouvons voter des crédits provisoires. (Interruption.)
Je ne vois pas pourquoi il faut, sous prétexte de vacances, étrangler une discussion. (Interruption.)
Comment ! Nous venons d'entendre l'honorable M. Cornesse. faire son éloge et diriger contre nous des critiques auxquelles j'ai personnellement le droit de répondre. Nous venons d'entendre l'honorable M. Balisaux attaquer toute la Chambre en prétendant que nous nous livrons à des travaux stériles.
Je demande à la Chambre de pouvoir faire sortir M. Balisaux de son erreur.
Si vous clôturez la discussion, vous aurez posé un acte de violence et vous n'aurez rien gagné.
- Une voix à droite. - A l'ordre !
M. Bara. - A l'ordre, dit-on ! Pourquoi donc à l'ordre ? Est-ce que je ne puis pas dire à la majorité qu'elle poserait un acte de violence en clôturant la discussion ? (Interruption.) Eh bien, si vous ne voulez pas nous entendre, force nous sera, d'une manière ou d'une autre, de revenir, à la la rentrée, sur ce que vous avez dit, et nos discours seront d'autant plus longs que nous aurons plus de temps pour nous préparer à répondre aux attaques dont nous avons été l'objet.
A propos de l'article premier du budget, par exemple, nous pourrions, du reste, soulever une nouvelle discussion générale.
Ne clôturez donc pas la discussion sur deux discours qui vous ont défendus, car, je dois le dire, le discours de M. Balisaux est un discours de droite et non pas un discours de gauche, c'est tout bonnement une perche dorée qu'il tend au ministère.
- Voix nombreuses. - A demain !
M. Dumortier. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu M. Bara dire que la majorité poserait un acte de violence en prononçant la clôture. Mais, messieurs, voilà quinze jours que nous discutons... (interruption) non pas sur le budget, mais à côté du budget ; voilà quinze jours que vous divaguez. (Interruption.) La majorité de la Chambre a un droit et ce droit est pour elle un devoir ; c'est de rappeler l'ordre dans les débats et bien évidemment quand une discussion a duré quinze jours sans qu'un mot ait été dit sur le budget de la guerre, elle à bien le droit de prononcer la clôture. (Interruption.) Maintenant puisqu'on a parlé d'acte de violence, voulez-vous savoir où elle est la violence? C'est de vouloir discuter des choses qui ne sont pas en discussion, de vouloir prolonger une discussion étrangère à l'ordre du jour.
Le pays est très mécontent ; il réclame de nous non point des discussions pareilles, mais des lois.
Eh bien, ce sont ces lois qu'il faut voter, et si vous ne les votez pas dans la séance d'aujourd'hui, quand les voterez-vous ?
- Un membre. - Ce soir.
- Des membres. - Demain.
- D'autres membres. - La semaine prochaine.
M. Dumortier. - On dit une séance du soir. Eh bien, il est impossible d'avoir une séance du soir ; chacun sait ce que c'est que les séances du soir.
J'engage donc vivement mes honorables amis à maintenir leur proposition et à voter la clôture.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Messieurs, si jamais question a été épuisée, c'est à coup sûr celle de l'ajournement. J'ose déclarer que depuis le Congrès jusqu'à présent, jamais une question d'ajournement n'a comporté un tel emploi de temps. Je fais appel à la bonne volonté de tous les membres de cette Chambre. Ce serait véritablement un abus que de prolonger cette discussion. Votons donc aujourd'hui sur la question d'ajournement. Nos opinions sont faites à cet égard ou elles ne le seront jamais. Nous passerions pour des imbéciles si nous déclarions que nous ne sommes pas éclairés sur cette question. Votons donc sur la proposition d'ajournement et après cela nous aborderons le budget.
M. Vleminckx. - Je ne m'opposerai pas à ce que la clôture soit prononcée à la condition que nous puissions dire tout ce que nous avons à dire à l'occasion de l'article premier.
(page 224) Il y a des membres qui n'ont pas encore parlé sur le budget de la guerre. Si vous clôturez aujourd'hui la discussion générale, vous n'aurez rien fait ; cette discussion recommencera, soyez-en certains.
Du reste, il est très probable que tout sera terminé demain ; nous voterons sur la question d'ajournement et sur le budget de la guerre.
M. le président. - La clôture est demandée sur la question d'ajournement et sur la discussion générale du budget. (Interruption.)
Nous aurons à voter d'abord sur la question d'ajournement, c'est le règlement qui l'exige. Si l'ajournement est rejeté, il nous restera à discuter les articles du budget.
M. Bouvier. - Messieurs, je comprends que l'on termine la discussion sur la question d'ajournement, mais, comme l'honorable M. de Theux vient de le dire lui-même, la discussion générale du budget de la guerre reste ouverte. Dans ces conditions-là, j'accepte, pour ma part, la clôture sur la question d'ajournement.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Messieurs, on a commencé par la discussion générale du budget de la guerre, puis on s'est occupé de la question d'ajournement et on a continué en même temps la discussion du budget de la guerre. Je demande donc que la discussion générale soit close aussi bien pour ce qui concerne le budget de la guerre que pour la motion d'ajournement.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, la discussion du budget de la guerre était commencée ; une proposition d'ajournement se produit ; rigoureusement, la discussion générale devait être dès ce moment suspendue ; pourquoi n'en a-t-il pas été ainsi? C'est parce que la proposition d'ajournement se motivait par des considérations qui portaient sur le fond de la question. La discussion générale devrait donc rester ouverte.
Maintenant j'engage la droite à ne pas insister pour la clôture de cette discussion, car sur l'article premier du budget : « traitement du ministre, » auquel on peut rattacher la question de confiance, sur cet article nous pouvons traiter tout ce que comporte la discussion générale. Il ne faut donc prononcer la clôture que sur la question d'ajournement.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Vous vous rappelez, messieurs, que l'honorable M. Couvreur a traité la question de l'armement général.
Pendant qu'on discutait la question d'ajournement, on a examiné divers systèmes ; c'est ainsi que l'honorable M. Frère a discuté le système prussien. Donc, la discussion générale n'a pas cessé un instant, et je pense qu'il y a lieu de la clore.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je crois que, des deux côtés de la Chambre, on désire terminer demain le budget de la guerre. A quoi bon clore en ce moment la discussion générale ? Ce qui serait, du reste, sans résultat, si l'on recommençait la discussion à propos de l'article premier.
Je crois qu'il y a des choses qui doivent être nécessairement dites avant la clôture de la discussion générale. Qu'on permette aux membres qui ont à les dire de prendre la parole demain ; les orateurs se restreindront dans leurs observations, et nous ferons tous en sorte que le budget de la guerre soit voté demain.
Je demande donc que la discussion générale du budget de la guerre ne soit pas close aujourd'hui.
M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Messieurs, dans les limites de la proposition de l'honorable M. Frère, je n'insiste pas sur la clôture de la discussion générale du budget de la guerre, mais je demande qu'on mette immédiatement aux voix la clôture de la discussion sur la motion d'ajournement.
- Des membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition d'ajournement.
96 membres y prennent part.
57 répondent non.
39 répondent oui.
En conséquence, la proposition d'ajournement n'est pas adoptée.
Ont répondu non :
MM. Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Mulle de Terschueren, Nothomb, Pety de Thozée, Reynaert, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Thienpont, Thonissen, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Balisaux, Beeckman, Biebuyck, Coremans, Cornesse, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, De Lehaye, de Lhoneux, de Moerman d'Harlebeke, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada et Thibaut.
Ont répondu oui :
MM. Dupont, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Mouton, Muller, Orts, Rogier, Sainctelette, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Allard, Anspach, Bara, Bergé, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Couvreur, d'Andrimont, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius et Dethuin.
M. Dumortier. - Vous avez entendu tout à l'heure, messieurs, qu'après le vote du budget de la guerre, la Chambre prendrait des vacances.
Je crois que le moment est venu de fixer le terme de ces vacances, et je propose que demain, après le vote du budget de la guerre, la Chambre s'ajourne jusqu'au 16 janvier.
M. le président. - M. Dumortier propose à la Chambre de s'ajourner demain, après le vote du budget de la guerre, jusqu'au mardi 16 janvier 1872.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La Chambre entend-elle se réunir demain à 1 heure ? (Adhésion.)
- La séance est levée à 5 heures et demie.