(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)
(Présidence de M. Thibaut.)
(page 105) M. Wouters fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Charles Tillemans, ingénieur civil attaché au service de la carte générale des mines, prie la Chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation ordinaire qu'il a demandée. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des habitants de Leval-Chaudeville prient la Chambre de consacrer pour les servitudes douanières le principe de l'indemnité inscrit pour les servitudes militaires dans le projet de loi présenté par le gouvernement. » ;
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport concernant les servitudes douanières.
« Les secrétaires communaux de Kessel et de Berlaer proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux.
.« Même demande de secrétaires communaux dans l'arrondissement de Dinant. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur Dellafaille-Vande Woestyne réclame l'intervention de la Chambre, pour hâter la solution à donner à l'affaire des Matériels de chemin de fer exploitée par la compagnie Pauwels. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'Itegem prient la Chambre d'autoriser la construction d'un chemin de fer de Terneuzen par Malines à Gladbach, dont le projet est soumis au gouvernement. ».
- Même renvoi.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Gérard-Samuel Kapper, sergent-major au deuxième régiment de ligne. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. Demeur, forcé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »
- Ce congé est accordé.
Il est procédé au tirage au sort des sections de décembre.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, le Roi nous ayant demandé nos portefeuilles, nous les avons remis entre les mains de Sa Majesté.
En présence de cette situation, la Chambre jugera sans doute convenable de s'ajourner pendant quelques jours.
M. le président. - Y a-t-il une proposition d'ajournement ?
- Des membres. - Oui ! oui ! Jusqu'à convocation du président.
M. Van Humbeeck. - Je demande la parole pour une simple observation de régularité.
Je comprends parfaitement la demande d'ajournement. Mais peut-on prévoir à peu près combien de temps durera cet ajournement ? Dans le cas où l'on ne pourrait prévoir approximativement ce temps, il conviendrait peut-être de voter dès aujourd'hui des crédits provisoires pour les départements dont les budgets n'ont pas été votés. (Interruption.)
Je fais cette observation, sans dessein d'insister si elle rencontre de l'opposition. C'est une question de régularité.
M. Guillery. - Je viens prier la Chambre de fixer le jour de la prochaine réunion... (Non ! non !) à mardi prochain ou mardi en huit, si on le préfère. (Non ! non !)
Il n'entre pas dans mon intention d'entraver en quoi que ce soit la composition de l'administration nouvelle. Telle ne peut être ma pensée. Mais je crois que, dans les circonstances graves où nous nous trouvons, il importe que les Chambres ne s'ajournent pas indéfiniment. (Interruption.)
Permettez, messieurs, laissez-moi expliquer ma pensée ; si ce n'est pas votre opinion, vous me combattrez. (Interruption.) Mais il me semble que je ne dis rien de désagréable pour personne.
Si l'on veut dire que les circonstances ne sont pas graves quand un ministère se retire, je ne suis pas de cet avis. (Interruption.)
- Voix à droite. - Il ne se retire pas. C'est le Roi...
M. Guillery. - Je ne comprends rien aux interruptions, mais permettez-moi d'achever.
Je dis que les circonstances sont graves, et qu'il importe que la Chambre ne soit pas trop longtemps absente ; je demande qu'elle se réunisse pour prendre les décisions qui pourraient être nécessaires.
Nous ne pouvons pas laisser à une autorité, quelque respectable qu'elle soit, le soin de nous convoquer.
Je demande que la Chambre, usant de son droit, fixe dès à présent le jour où elle se réunira...(interruption) si elle n'a pas reçu de convocation antérieure.
M. Coomans. - Messieurs, je m'étonne grandement qu'on vienne invoquer la régularité en cette circonstance où tout me semble irrégulier.
Deuxième observation. Un honorable membre vient de dire que le ministère se retire ; ce n'est pas ainsi que j'ai compris la déclaration de l'honorable ministre des affaires étrangères ; le ministère ne se retire pas, c'est la Couronne qui retire ses pouvoirs au ministère.
- Des membres : Oui ! oui !
M. Bouvier. - Elle use de son droit.
M. Coomans. - Soyez calmes et patients, si c'est possible, parce que nous le sommes, nous, nous forts de notre droit.
Je constate donc que le ministère a simplement fait son devoir en ne gardant pas les portefeuilles, qu'il lui était impossible de conserver quand Sa Majesté les lui demandait.
Troisième observation, provoquée par celles qui ont précédé. Il importe, dit l'honorable M. Guillery, que la Chambre fixe le jour de sa prochaine réunion et qu'elle reste maîtresse de ses décisions.
Ce langage me paraît très irrégulier. La Chambre n'est plus maîtresse de ses décisions. (Interruption.)
Il est étrange, selon mor, que ceux qui, tout au moins, ont favorisé, excusé l'émeute... (Longue interruption.)
M. le président. - M. Coomans, vous avez engagé la Chambre à être calme et modérée ; je vous engage, à mon tour, à rester calme et modéré.
M. Coomans. - Vous voyez que je le suis. Il est très étrange que ceux-là qui ont, tout au moins, excusé, sinon légitimé l'émeute... (Nouvelle interruption.)
M. le président. - J'invite tous les membres de la Chambre au silence.
M. Coomans. - ... soient d'accord pour engager la Chambre à discuter devant l'émeute qui a troublé ses débats et fait éconduire le ministère. (Interruption.)
(page 106) A ces dénégations que je ne comprends pas, j'ajouterai qu’en entrant dans cette salle, j'ai été frappé de la joie qui éclatait sur les visages de la plupart des membres de la gauche. (Nouvelle interruption.)
Je constate encore cette joie par les rires auxquels vous vous livrez maintenant, Et n'est-ce pas la une chose bien triste ? (Interruption.) Vous le verrez et le sentirez plus tard.
Ce n'est pas joyeux que vous devriez être ; et au lieu de rire, vous devriez pleurer. (Interruption.)
Nous assistons, hélas ! aux funérailles de la Constitution. (Interruption à droite.)
M. Rogier. - Il ne faut pas applaudir aux funérailles. (Interruption.)
M. Coomans. - Je n'y applaudis pas, je les déplore. Maintenant, je vais prononcer des paroles qui seront applaudies par la majorité du pays et par les libéraux eux-mêmes. (Interruption.)
Vous m'avez traité de révolutionnaire, moi et quelques-uns de mes amis, quand nous avons demandé le suffrage universel, le suffrage universel honnête, légal, constitutionnel, celui de tous les Belges majeurs, celui de tous les Belges censés honnêtes ; vous m'avez traité de révolutionnaire, vous avez repoussé le suffrage universel comme devant perdre l'ordre et la Constitution, et que faites-vous ? Ces droits, que vous avez refusés au peuple belge, indûment, imprudemment selon moi, vous les avez dévolus au suffrage universel, au faux et dangereux suffrage de la rue.
Eh bien, puisqu'on a parlé de régularité, voilà une position que je veux régulariser et, à partir d'aujourd'hui, je demande le suffrage universel. J'aime mieux voir nos ouvriers dans les comices où ils occuperont une place honorable et légale, que de les voir dans les rues où ils vous applaudissent indécemment, où ils nous outragent sans protestation de votre part et où vous leur demandez leurs applaudissements. Oui, vous acceptez et portez les médailles de l'émeute !
Le jour où nous aurons le vrai suffrage universel sera un jour de résurrection et j'aime tant ma patrie, j'ai tant de confiance, encore dans le bon sens belge malgré les incroyables bêtises que je vois s'accomplir aujourd'hui, que j'espère que cette résurrection viendra et que nous aurons la paix avec l'ordre, avec la Constitution radicalement révisée.
M. le président. - La parole est à M. De Lehaye.
M. De Lehaye. - J'y renonce.
M. Guillery. - Je demanderai la parole chaque fois qu'il plaira à l'honorable M. Coomans de nous adresser une accusation aussi injuste, aussi passionnée que celle que nous venons d'entendre. (Interruption.)
M. Bouvier. - Laissez parler !
M. Rogier. - Ne riez pas. (Interruption.)
M. Guillery. - Si vous croyez que ces interruptions m'empêcheront de dire une seule des choses que j'ai à dire, vous connaissez mal mon caractère et ma conscience. Chaque fois qu'on nous accusera de fomenter ou d'encourager des émeutes, je devrai, au nom de la loyauté et de l'honneur, protester contre de pareilles accusations, comme je l'ai fait dès le premier jour.
J'ai supplié la Chambre, avant-hier, de prolonger la séance de quelques minutes pour me permettre de faire entendre à mes concitoyens la protestation la plus énergique, non pas contre l'émeute, car il n'y a pas d'émeutes...
M. Bouvier. - Non, nous protestons.
M. Coomans. - C'est le triomphe de l'émeute,
M. Bouvier. - Il y a eu des manifestations. (Interruption.)
M. Guillery. - Ne faites pas croire, messieurs, qu'on est plus bruyant à l'intérieur de cette Chambre qu'à l'extérieur.
Nous avons fait ce que nous avons pu - loyalement et honnêtement - pour engager nos concitoyens à s'abstenir de toute manifestation dans les rues ; nous les y avons engagés au nom de l'ordre et de la tranquillité publiques que nos gardés civiques ont protégés avec tout le dévouement qu'on peut attendre d'elle. Avant-hier, en quittant cette Chambre, je suis sorti par la rue de la Loi ; j'ai traversé la rue Ducale et le boulevard sans rencontrer un seul groupe, même de cinq personnes. Ceux de mes collègues qui ont pris le même chemin n'ont éprouvé aucune difficulté à circuler, j'en suis convaincu ; il n'y avait du monde que derrière les grilles du Parc. (Interruption.)
On dit, messieurs, que nous sommes en présence de manifestations révolutionnaires. Je commence à le croire ; mais elles ne sont pas là où vous les signalez..
Ce qui m'étonne et m'afflige, pour mon pays et pour vous-mêmes, c'est de vous avoir entendu applaudir les paroles de M. Coomans déclarant que nous assistions aux funérailles de la Constitution. Si je vous combats comme adversaires politiques, je désire vous soutenir et être soutenu par vous, comme patriote belge. N'écoutez pas la passion du moment. Il n'y a pas un seul d'entre vous qui, au fond du cœur, ne soit dévoué à son pays.
Pourtant vous écoutez la voix de la passion au point d'applaudir ceux qui disent que nous assistons aux funérailles de la Constitution.
Tous semblez tout oublier en ce moment.
On va jusqu'à découvrir la personne du Roi. (Interruption.)
- Voix à droite. - On l'a insultée. (Nouvelle interruption.)
M. Guillery. - Oui, on vient ici découvrir la personne du Roi.
- Voix à droite. - Ce n'est pas nous !
M. Guillery. - On a découvert la personne du Roi et sur le banc ministériel et sur les bancs de la droite.
M. de Borchgrave. - La garde civique elle-même a insulté le Roi. (Interruption.)
M. Bouvier. - C'est une calomnie. (Interruption.)
M. Guillery. - La garde civique a été constamment sous les armes, et elle a maintenu l'ordre dans la capitale. (Interruption.) Je désire, messieurs, que ce débat conserve toute la solennité, toute la dignité possible. Je ne dirai pas un mot qui soit de nature à aigrir ce débat ; mais il y a des choses que je dois dire en vertu de mon devoir ; je dois dire que la Belgique doit surtout son indépendance à son amour de la liberté, à la pratique sincère de ses institutions, au respect de l'ordre.
- Voix à droite. - Sincère, oui. (Interruption.)
M. Guillery. - Ce que M. le ministre de la justice a dit dans la séance d'avant-hier, je le répète aujourd'hui : pratiquons sincèrement nos libertés par le jeu régulier de nos institutions.
Est-ce là ce que vous voulez ? Est-ce le jeu régulier de nos institutions que de découvrir, comme vous le faites, la personne du Roi, en disant que c'est lui qui a voulu la démission du ministère ? Est-ce ainsi, messieurs, qu'on agit dans d'autres pays ? En Angleterre, comme en Belgique jusqu'à présent, la personne du Roi a toujours été couverte par la signature, par le dévouement, par la loyauté, au besoin par la générosité d'un ministre.
Comment ! c'est dans un moment où notre pays peut être menacé ; c'est dans un moment où l'on semble vouloir nous faire entendre de l'extérieur que notre indépendance dépend de l'ordre et de la liberté sagement pratiqués que. vous venez découvrir la seule personne inviolable du pays !
Messieurs, je n'ai jamais été un flatteur de la royauté ; je ne le serai jamais. Mais quand j'entends attaquer le Roi qui a tant de droit à notre respect, je ne puis m'empêcher de protester avec toute l'énergie de mon âme et j'ai la conviction profonde d'être ici l'interprète sincère et fidèle du sentiment de la nation.
Divisons-nous en catholiques et libéraux, en progressistes et en doctrinaires, en partisans du suffrage universel et en partisans du suffrage restreint ; mais restons toujours d'accord sur les principes fondamentaux du régime parlementaire. Lorsque nous aurons fait ce que l'on n'a jamais fait dans les pays constitutionnels, nous aurons porté la plus grave atteinte, à nos institutions.
- Une voix à droite. - C'est fait !
M. Guillery. - Au lieu de pratiquer sagement le gouvernement constitutionnel...
- Une voix à droite. - Sagement !
M. Guillery. -... nous aurons sapé dans sa base notre pacte fondamental.
Nous ne savons pas quelle administration succédera à celle qui vient de se retirer, mais à coup sûr, ce ne sera pas dans nos rangs qu'elle sera choisie, nous n'avons donc pas à nous en occuper. (Interruption.)
Quand, il y a quelques jours, messieurs, vous étouffiez la voix de l'opposition, vous portiez atteinte à votre parti, à votre cause, à ce ministère que vous protégiez imprudemment et auquel vous auriez dû faire entendre, tout au moins, la vérité que l'honorable ministre de la justice a fait entendre dans la dernière séance. Je vous ai dit que cela était fatal non à ceux contre lesquels on dirige ces violences, mais à ceux qui en font usage.
Voilà, messieurs, la protestation que je voulais faire entendre.
Le respect de la personne du Roi n'aura pas été méconnu sans qu'au nom de mes collègues et au nom de mon pays j'aie fait entendre la plus énergique protestation de dévouement à la personne du Roi.
M. Delaet. - C'est un discours ministre.
M. Guillery. - Ne craignez rien à cet égard.
M. Bara. - Messieurs, il est impossible que le débat s'égare et qu'il soit admis que les motifs de la démission demandée au ministère sont ceux indiqués par l'honorable M. Coomans.
(page 107) Ce ne sont point les agitations de la rue qui déterminent la retraite du cabinet. M. le ministre des finances l'a déclaré.
Le ministère ne se retire point devant les manifestations. Voilà ce qu'a dit, il y a deux ou trois jours, M. Jacobs.
M. De Lehaye. - Allons donc !
M. Bara. ~ M. le ministre des finances a déclaré formellement dans la séance de vendredi, je crois, qu'il ne se retirerait point devant les agitations de la rue. (Interruption.)
Mais, messieurs, si ce ministère n'a plus de prestige, s'il n'a plus d'autorité, si les révélations des affaires Langrand l'ont destitué... (Interruption.)
- Voix à gauche. - Oui ! oui !
M. Bara. - ... et lui ont ôté toute autorité, pourquoi voulez-vous que la conscience royale ne se révolte pas à son tour ? (Interruption.) Pourquoi voulez-vous attribuer aux agitations de la rue ce qui ne peut leur être attribué ?
Pourquoi ne venez-vous pas plutôt avouer que c'est parce que, le ministère a approuvé et voulu faire approuver les opérations de Langrand que la Couronne lui a retiré sa confiance (interruption) et que sa démission lui a été donnée ?
Voilà la vérité. Vous êtes cruels à l'égard de la Couronne, vous voudriez qu'elle amnistiât les affaires Langrand ; elle s'y est refusée ; elle a dégagé sa responsabilité et elle a eu raison. (Interruption.) Dans la résolution du Roi, il n'y a pas autre chose.
Mais ce qu'il y a d'incroyable, c'est de. voir M. Coomans se poser en puritain de l'ordre ; c'est de voir M. Coomans sonner le glas de la Constitution belge, annoncer les funérailles de la Constitution.
Mais s'il y a un homme, qui a tenté de renverser toutes nos institutions, depuis la première jusqu'à la dernière, c'est bien vous, M. Coomans ! S'il y a un homme qui n'a pas laissé un article de notre Constitution sans lui jeter des injures à la face, c'est M. Coomans ! Vous avez dit des électeurs qu'ils étaient pourris ; vous avez insulté ces électeurs qu'aujourd'hui vous revendiquez pour vous cramponner au pouvoir ; en toutes circonstances, vous avez applaudi aux mesures les plus violentes, vous les avez approuvées.
De quoi se plaint la droite ? Elle frémit sur ses bancs parce que le Roi a demandé la démission du ministère. Ecoutez, messieurs, ce que la droite a fait :
Nous étions en 1841. Il y avait un ministère modéré, un ministère mixte au pouvoir. Ce ministère n'avait pas même fait de programme. Que voit-on ? On voit le Sénat, l'assemblée conservatrice, on voit le parti clérical au Sénat faire une adresse au Roi et lui demander la démission du ministère, et l'on voit ce ministère obligé de se retirer devant cette manifestation.
Il y a là un fait bien plus grave que l'agitation dans la rue ; c'est vous qui sommiez ta Couronne de donner au ministère sa démission. C'est un acte plus grave et bien plus coupable que les manifestations d'hommes qui ont été excités par les révélations des affaires de M. Langrand.
Sans doute, ces manifestations de la rue sont regrettables. Mais combien n'cst-il pas plus regrettable de voir un grand corps de l'Etat, dans un moment de calme, voter une adresse demandant la démission d'un ministère le plus modéré qui ait jamais existé ? (Interruption.)
Voilà ce que vous avez fait. Ne venez donc pas nous dire que vous êtes les défenseurs des formes ordinaires de la vie constitutionnelle.
Chaque fois que vous avez cru pouvoir arriver au pouvoir par la violence, vous y avez eu recours. (Interruption.)
Qu'avez-vous fait en 1864 ?
En 1864, violant le respect de nos institutions, vous avez déserté cette Chambre pour empêcher toute espèce de délibération.
Vous avez voulu arrêter les rouages de notre machine constitutionnelle. Vous avez destitué la Chambre ; vous l'avez empêchée de délibérer. La Chambre n'a plus pu, à cause de vous, tenir de séances. Vous aviez le but secret peut-être d'appeler l'émeute dans la rue. (Interruption.) Mais, vous le savez, les populations ne sont pas avec vous.
Plus tard, que faites-vous encore ? Des troubles éclatent à Saint-Génois. (Interruption nouvelle.) Lorsqu'on résiste à l'autorité communale, lorsqu'on brûle quantité de propriétés, que faites-vous ? Vous venez essayer d'arrêter, par des discussions dans cette Chambre, l'action de la justice. Que fait M. le ministre de la justice ?
Un arrêt de la cour d'assises venait de condamner un des incendiaires de Saint-Génois. Qu'avez-vous fait ? Vous veniez à peine d'arriver au pouvoir que vous mettiez cet incendiaire en liberté.
Qu'avez-vous fait encore à propos de la loi sur les bourses d'étude ?
Vous vous êtes mis à la remorque des évêques, qui tenaient ce langage incroyable :
« Non seulement nous avons dû refuser notre concours, mais nous nous trouvons encore dans la nécessité de nous opposer autant qu'il est en nous à ces mesures injustes. C'est pourquoi nous ne pourrions délivrer les titres et documents (relatifs aux fondations de bourses), à moins d'y être forcés, car la violence qui nous sera faite pourra seule légitimer la délivrance de ces pièces. »
Ainsi, messieurs, les évêques refusent de restituer les pièces que la loi leur ordonne de rendre, et dans celle Chambre vous vous êtes faits les soutiens des prétentions des évêques.
Ecoutez ce que disent les membres du parti de l'ordre. M. Eugène de Kerckhove, député de Malines, assistait au meeting qui a eu lieu à Liège, à la salle de la Renommée, pour protester contre la conscription et les charges militaires. M. Maréchal, président de la section de l'Internationale de Liège, siégeait au bureau du meeting. Et voici comment M. Eugène de Kerckhove s'exprimait :
« Il est une chose que nous ne pouvons nous dissimuler, c'est que le projet de loi qui nous est présenté (il s'agissait de la loi d'organisation militaire), c'est que ce projet, dis-je, est condamné par le pays. Le pays n'en veut pas, et, sous ce rapport, il y a désaccord complet entre l'opinion publique et le gouvernement. (Adhésion générale.)
« Eh bien, cette situation ne peut pas se prolonger ; il est de l'intérêt du pays, de notre avenir ; il est de notre dignité, de notre honneur qu'elle ne se prolonge pas.
« Il n'y a qu'un seul moyen d'en sortir, et ce moyen, il dépend de l'opinion publique, de vous tous, de le réaliser : c'est de demander par toutes les voies possibles la dissolution de la Chambre !- Oui, oui ! s'écrient des milliers de voix. - (Longue interruption.) »
M. de Kerckhove. - Par les voies légales oui, mais jamais par l'émeute.
M. Bara - Ecoutez donc, M. de Kerckhove.
« Je vous remercie, disiez-vous, je vous remercie, messieurs, de vos applaudissements, de votre approbation, non pas pour moi, mais je vous remercie pour mon pays de ce profond sentiment de patriotisme que je trouve ici. Je ne m'en étonne pas. Je retrouve la noble cité de Liège, et je m'appuie sur cette magnifique manifestation pour émettre un vœu, c'est que l'honorable bureau qui noue préside veuille bien transmettre aux Chambres, par tous les moyens en votre pouvoir, le vœu que vous venez d'appuyer si chaleureusement, c'est-à-dire l'appel au pays, et pour vous rappeler un vieux mot liégeois que je crois bien citer : « l'appel au sens du pays. » (Longues acclamations.) »
Et vous avez essayé d'agiter le pays. Vous avez organisé des manifestations. Vous avez porté processionnellement vos pétitions ; vous réclamiez énergiquement le renvoi du ministère ; vous alliez plus loin, vous réclamiez la dissolution des Chambres et, remarquez-le, messieurs, nous avions alors dans les Chambres une puissante majorité. Ai-je demandé rien de pareil ?
Je. me suis borné à réclamer le remplacement des ministres actuels par d'autres ministres, choisis dans vos rangs. Et, parce que la Couronne a retiré sa confiance au ministère, vous vous écriez que l'heure des funérailles du régime représentatif a sonné !
Je le répète, vous membres de. la droite, vous avez demandé des mesures plus graves que la simple démission d'un ministère ; vous avez voulu et la démission du ministère libéral et la dissolution des Chambres, dans lesquelles notre opinion avait une majorité considérable, et si vous aviez obtenu satisfaction sur ces deux points, vous eussiez applaudi à la résolution de la Couronne. (Interruption.)
Aujourd'hui que la Couronne se sépare des hommes de la société Langrand-Dumonceau, vous parlez des funérailles du gouvernement représentatif ! Vous dites : « On nous donne notre démission à cause des émeutes. » Mais non, il n'y a pas d'émeutes ; on vous reprend vos portefeuilles pour rendre hommage à la moralité publique ; on vous les retire à cause des scandales des sociétés-Langrand. La nation belge ne pouvait pas supporter plus longtemps une administration qui avait pour but la réhabilitation des hommes et des choses des institutions Langrand ; le pays trouve avec raison que la condition essentielle de tout gouvernement est l'honnêteté dans le pouvoir. (Interruption.)
M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, il est impossible à la droite, il est impossible au gouvernement de rester sous le coup de la haineuse diatribe que vous venez d'entendre.
- Des membres à gauche. - A l'ordre !
(page 108) M. le président - J'engage M. le ministre à être calme et modéré et à retirer l'expression peu parlementaire dont il vient de se servir.
- Voix à droite. - il y a eu de plus grandes violences de langage à gauche.
M. le président. - Les violences n'excusent pas les violences et j'engage tout le monde à rester calme.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Le moment que nous traversons est solennel...
M. Bouvier. - Est-ce qu'on ne rappelle pas M. le ministre à l'ordre ?
M. Cornesse, ministre de la justice. - Il importe que chaque parti ait sa responsabilité dans les événements actuels.
M. Frère-Orban. - Mais M. le ministre de la justice ne s'est pas expliqué.
- Des membres à gauche. - Maintient-il ses paroles ?
- Des membres à droite. - Oui, oui, ne les retirez pas !
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Si mon honorable collègue et ami les retire, je les fais miennes.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je maintiens mes paroles, M. le président.
M. Bouvier. - Je demande le rappel à l'ordre. (Interruption.)
M. Dupont. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. - J'engage...
M. Frère-Orban. - M. Dupont a demandé la parole pour un rappel au règlement...
M. le président. - Un instant, M. Frère-Orban ; j'engage M. le ministre à retirer l'expression dont il s'est servi.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Il m'est impossible, M. le président, de retirer les paroles dont je me suis servi, car elles sont l'expression exacte et fidèle de ma pensée.
- Voix à gauche. - A l'ordre !
M. le président. - Je ne puis pas scruter votre pensée ; chacun peut avoir la sienne, que personne n'a le droit de juger, mais l'expression de la pensée tombe sous l'application du règlement.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Il n'est pas permis à M. Bara d'insulter la droite et le gouvernement sans qu'on ait le droit de lui répondre. Peut-être l'intention de M. Bava n'était-elle pas de nous insulter ; peut-être croit-il ne pas être mû par le sentiment que j'ai indiqué. Mais nous devons y attacher ce caractère. (Interruption.)
M. le président. - Vous n'affirmez donc pas qu'elle a ce caractère ? C'est tout ce que le règlement exige.
M. Cornesse, ministre de la justice. - La Chambre appréciera mes paroles.
M. le président. - Vous avez expliqué votre pensée, M. le ministre.
M. Delaet. - Il l'a expliquée.
M. le président. - J'ai engagé bien souvent les orateurs à rester dans le calme et la modération. Je désire qu'ils écartent de leurs discours tout ce qui pourrait exciter les passions.
M. Dupont. - Je. demande la parole pour un rappel au règlement. Toute la gauche est indignée des paroles que vient de prononcer M. le ministre de. la justice. Il n'est pas permis d'insulter, dans une Chambre belge, un homme qui n'est mû que par l'amour du pays. C'est là un scandale devant lequel je ne puis me taire. Je demande donc que M. le président prononce le rappel à l'ordre de M. le ministre de la justice.
Ces mots « haineuse diatribe » ont une signification que tout le monde connaît ; c'est, une expression de mépris. « Haineuse diatribe », ces mots veulent dire que mon honorable ami, M. Bara, a été inspiré non par les sentiments les plus nobles, mais par les sentiments les plus mesquins de la haine et de l'envie. Le pays tout entier appréciera la pensée qui a dicté les paroles de M. Bara. Je persiste, en conséquence, à demander le rappel à l'ordre de M. le ministre de la justice.
M. Coomans. - Ce n'est pas moi qui fais un rappel au règlement, ce sont les honorables membres de la gauche. Je demande la parole sur l'incident. Je fais un appel à la justice distribuée.
Je constate au vu de vous tous que des paroles cent fois plus dures que celles sorties de la bouche de mon honorable ami, M. Cornesse, ont été prononcées à gauche, surtout par M. Bara, cent fois plus dures. Et l'autre jour encore, un membre de cette Chambre n'a-t-il pas dit que des ministres avaient menti devant leurs électeurs, et cependant, monsieur le président, l'avez-vous rappelé à l'ordre pour cela ? Point !
M. Bouvier. - J'avais dit la vérité.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - M. le ministre de la justice vient de la dire aussi.
M. Coomans. - N'est-ce pas une véritable injure celle-là ?
Il est impossible de s'expliquer avec plus de modération que ne l'a fait M. Cornesse. N’a-t-on pas prétendu qu'il n'y a que des voleurs ici, oubliant que, s'il y en a de ce côté, il y en a tout au moins autant à gauche ?
Voilà ce qui a été dit en pleine Chambre ; et tout à l'heure encore, ne vient-on pas de le répéter ? J'avoue que le mot prononcé par l'honorable. M. Cornesse est dur, cruel peut-être, peu parlementaire, c'est possible ; mais comme vous en avez prononcé de plus durs, il serait inique de rappeler mon honorable ami à l'ordre, et j'en appelle, moi, à la justice distributive. Du reste, messieurs, ceci est bien peu de chose dans le terrible débat que nous soutenons aujourd'hui !
M. le président. - Depuis huit jours, il n'a été prononcé que trop de paroles vives. Je le regrette, pour mon compte. Cependant j'ai cru devoir user de beaucoup de tolérance vis-à-vis de tous les orateurs. J'ai fait plus d'une fois appel au calme. Malheureusement, je n'ai pas été toujours entendu.
Quant au fait actuel, M. le ministre de la justice s'est expliqué ; et son explication me paraît suffisante. Je n'ai donc pas à prononcer un rappel à l'ordre. La parole est continuée à M. le ministre de la justice.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je disais, messieurs, que, dans le moment solennel où nous nous trouvons, il importe que la responsabilité respective des deux opinions qui se trouvent en présence dans cette Chambre soit nettement fixée et établie. La droite peut se rendre cette justice qu'aujourd'hui encore, quoique l'honorable M. Guillery en ait dit, elle est dans la pratique vraie, régulière, normale du régime constitutionnel.
- Voix à droite. - C'est vrai !
M. Cornesse, ministre de la justice. - Jamais la droite n'est sortie des limites du droit et de la légalité. Toujours, quand elle a été minorité, elle a subi son sort, se maintenant dans les voies légales (interruption), et essayant de reconquérir le pouvoir par les moyens légitimes que la liberté met à la disposition de tous les partis.
M. Guillery. - En refusant de siéger...
M. Cornesse, ministre de la justice. - Vous dites que la droite, en 1864, s'est retirée et a refusé de siéger. Pourquoi l'a-t-elle fait alors ?
La Chambre était saisie de la proposition d'augmenter le nombre des représentants et sénateurs dans des arrondissements la plupart libéraux. La gauche était arrivée, en ce moment, à n'avoir plus de majorité dans cette Chambre. Elle employait les moyens qui lui sont habituels pour restaurer son influence qui s'en allait et asseoir de nouveau sa suprématie.
Il s'agissait, vous vous en souvenez, de voter la fameuse proposition Orts à l'aide de la seule voix de majorité qui restât à la gauche. On voulait faire transporter ici un membre moribond, l'honorable M. Cumont.
Cette conduite était un coup de parti, un acte de violence et, pour l'empêcher, la droite s'est abstenue. (Interruption.)
- Une voix à gauche. Voilà la pratique du régime parlementaire.
M. Cornesse, ministre de la justice. - C'était parfaitement conforme à la loi. Jamais, dans aucune occasion, la droite, elle, n'est descendue dans la rue et n'a profité des émeutes. (Interruption.)
A quoi bon interrompre ? Vos clameurs ne m'empêcheront pas de dire ma pensée, tout entière.
Si la droite s'est retirée en 1864, l'honorable M. Frère et quelques-uns de ses amis lui avaient donné l'exemple. A la fin d'une session, lorsqu'il s'agissait de voter des fonds pour les travaux publics, ils se sont également retirés de la Chambre, n'hésitant pas à entraver ainsi la marche de l'administration. (Interruption.)
- Des voix à gauche. - C'est de l'histoire à la façon des journaux.
M. Cornesse, ministre de la justice. - L'histoire, savez-vous ce qu'elle inscrit à votre bilan ? Elle inscrit à votre bilan que vous n'avez jamais su supporter patiemment le rôle de minorité. (Interruption.) Elle inscrit à votre bilan que chaque fois que, par suite du jeu régulier de nos institutions, vous êtes redevenus opposition, vous avez fait usage de moyens violents pour chercher à ressaisir l'influence et le pouvoir ! (Interruption.) Vous avez usé et abusé de tous les moyens constitutionnels et autres pour écraser le parti conservateur. (Interruption.)
Vous le niez, mais n'est-ce pas vous, messieurs, qui, cinq fois, avez eu retours à la dissolution ? (Interruption.) La dissolution, nécessaire dans certaines circonstances, est souvent, dans les mains d'un parti habile et audacieux, un moyen violent de se maintenir au pouvoir. (Interruption.)
(page 109) M. Van Humbeeck. - Je demande la parole.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Est-ce que, dans maintes circonstances, vois ne vous êtes pas cramponnés au pouvoir et notamment en 1864 ? (Interruption.) Oui, vous vous y êtes cramponnés à l'aide de dissolutions répétées et intempestives. (Interruption.)
Et aujourd'hui, chose vraiment incroyable, on ose nier dans cette Chambre qu'il y ait eu des émeutes ! on ose prétendre que la majorité parlementaire n'a pas été outragée ! (Interruption.) Mais n'avons-nous pas entendu de nos bancs les clameurs et les vociférations de la rue ? N'avons-nous pas, pendant huit jours, au sortir de nos séances été l'objet d'injures et d’outrages ? Les hôtels ministériels n'ont-ils pas été sur le point d'être envahis ?
Quelqu'un s'est-il levé dans vos rangs, avant la dernière séance, une seule voix s'est-elle fait entendre pour rappeler cette foule égarée au respect du droit et de la Constitution ? (Interruption.)
- Voix à gauche. - Oui ! oui !
MjC. - Non, pas une voix ne s'est élevée pour flétrir ses excès.
M. Muller. - Vous nous calomniez.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Pas une voix... (Interruption.) Voilà trois fois que j'entends cette interruption malveillante que j'aurais l'esprit égaré.
Serait-ce peut-être pour le chagrin d'abandonner le portefeuille que je tenais de la confiance du Roi ? Messieurs, cette interruption ne me touche ni ne m'émeut. Elle est contraire à la vérité.
Tous mes amis le savent, tous ceux qui me connaissent le savent ; je n'ai consenti à accepter un portefeuille que par dévouement à notre cause.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - C'est vrai.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je ne tenais personnellement pas le moins du monde à cet honneur ; j'ai accepté cette position uniquement par devoir ; et soyez bien sûrs que si je ne consultais que mes goûts, mes convenances personnelles, mes intérêts, je me réjouirais peut-être de ce qui arrive. Mais on ne peut, messieurs, dans des circonstances aussi graves, consulter ses convenances, ses goûts et ses intérêts personnels.
Ami de mon pays, dévoué sincèrement à nos institutions, ami de la liberté pour tous, l'ayant défendue, dans toutes les occasions, en politique, dans la presse et devant les tribunaux, l'ayant défendue, même contre vos amis, MM. de la gauche, MM. Dupont et d'Andrimont, le savent et peuvent l'attester, je vois avec douleur les événements qui se passent et qui sont l'antipode de la pratique sincère de la vraie liberté.
Il faut que chacun ait la responsabilité de la situation qui est faite à la droite, à la majorité, au gouvernement.
Ah ! vous avez dit des affaires Langrand qu'elles étaient pour notre opinion une tunique de Nessus. Je vous renvoie le mot et je dis avec plus de vérité que l'émeute, si elle vous procurait le pouvoir, serait pour vous une tunique de Nessus dont vous ne vous dépouilleriez jamais.
En 1857, on est parvenu à légaliser la situation. En 1857, après qu'on avait fait ou approuvé l'émeute, parce que le ministère avait quitté la place à la suite du résultat des élections communales, on a pu dire : La loi et la Constitution sont respectées. On l'a dit et répété, quoique le germe de la démission du ministère fût dans les manifestations foudroyantes de mai 1857. Mais aujourd'hui cette excuse ne sera plus possible, l'émeute est là ; elle est encore peut-être dans ce moment aux portes du Palais de la Nation ; elle nous accueillera peut-être de ses huées lorsque nous sortirons de cette enceinte.
Eh bien, si ces émeutes vous donnent le pouvoir, il est juste que vous en supportiez la responsabilité.
- Des membres. - L'ajournement !
M. de Theux (pour un rappel au règlement). - Messieurs, on a agité la question de savoir si M. le président serait chargé de nous convoquer ou si la Chambre fixerait elle-même le jour de sa prochaine réunion. Je crois que, dans les circonstances actuelles, il est impossible que la Chambre décide quel jour elle se réunira. Nous devons avoir confiance en M. le président et lui laisser le soin de nous convoquer.
On s'est livré à une revue rétrospective de vingt années ; si nous voulons continuer à discuter ainsi, ne nous ajournons pas. On a critiqué la décision de la droite, qui a prononcé la clôture de la discussion sur l'interpellation de M. Bara ; mais qu'est-ce qu'il y avait de malhonnête en cela ? Quoi de plus naturel ? On voulait nous constituer en cour de justice.
- Un membre. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. de Theux - Il était de toute justice de clore cette discussion et d’abandonner l’affaire à l’autorité judiciaire.
M. Frère-Orban. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Des membres de la Chambre demandent la parole pour un rappel au règlement, pour ôter, en définitive, leur tour de parole à ceux qui sont inscrits ; c'est un discours que l'on fait et l'on n'indique aucune disposition réglementaire qu'il faudrait faire respecter. On viole, au contraire, le règlement. La parole m'avait été accordée ; on doit me la maintenir suivant le règlement, et c'est lui que j'invoque en revendiquant mon droit.
- Des voix à droite. - La clôture !
M. le président. - M. de Theux demande que l'on s'occupe de la question d'ajournement ; et c'est pour cela qu'il a demandé la parole pour un rappel au règlement.
En effet, il n'y a que la question d'ajournement qui soit en discussion. ; mais ce débat a dévié, malgré moi, sur tous les bancs de la Chambre.
Je donne maintenant la parole à M. Frère-Orban.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je ne veux pas passionner ce débat ; je voudrais qu'il fût calme et digne. Mais s'il est difficile de lui maintenir ce caractère, je regrette de constater que c'est encore par la faute du ministère. Au banc ministériel, on paraît méconnaître les principes les plus élémentaires du régime constitutionnel et notre histoire constitutionnelle.
M. le ministre des affaires étrangères a annoncé d'une manière irrégulière la résolution qu'il avait à communiquer à la Chambre ; M. le ministre des affaires étrangères, contrairement aux principes les plus élémentaires du régime parlementaire, en violation de la Constitution, a découvert la Couronne.
M. le ministre des affaires étrangères aurait eu le droit de tenir le langage qu'il a tenu, après la constitution d'un nouveau ministère ou après l'avortement d'efforts faits pour constituer un nouveau cabinet ; il y aurait eu alors des ministres acceptant la responsabilité de la communication qu'ils faisaient à la Chambre ; aujourd'hui, M. le ministre, des affaires étrangères a découvert la personne royale, et en la découvrant, il l'a livrée à la discussion, et ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'ayant ainsi méconnu ses devoirs, la droite tout entière a applaudi à son langage.
- Voix à droite. - Oui, oui.
M. De Lehaye. - La droite a été jouée, elle pouvait protester.
M. Frère-Orban. - Eh bien, vous donnez là de détestables exemples pour un parti qui croit pouvoir se nommer le parti conservateur. Sans doute, à l'heure opportune, dans les conditions voulues par la Constitution, la résolution de la Couronne pouvait être discutée ; mais elle ne pouvait l'être qu'en présence d'un ministre responsable. Cette résolution, qui n'est, d'ailleurs, que l'exercice régulier d'un droit constitutionnel, ne pouvait occuper la Chambre que si un ministre en prenait la responsabilité. En ce moment, qui couvre la Couronne ? Quel est le ministre qui prend la responsabilité de l'acte que l'on critique ? Que ce ministre se lève ! Eh bien, où est-il ? Le silence est absolu au banc ministériel. Ainsi, nous n'avons plus de ministres responsables, on a livré la Couronne à la discussion, on l'a livrée aux passions des partis. Voilà ce qui est révolutionnaire. (Interruption.)
M. le président. - Vous avez promis d'être modéré et calme, M. Frère...
M. Frère-Orban. - C'est vrai, M. le président, mais il est difficile d'être calme devant une situation dont des aveugles et des insensés ne paraissent pas redouter les conséquences. (Interruption de M. Delaet). Taisez-vous, M. Delaet, vous n'avez pas le droit de m'interrompre. (Nouvelle interruption de M. Delaet.)
M. le président. - Vous n'avez pas la parole, M. Delaet.
- Des voix à droite : Il y a là un fait personnel...
M. Delaet. - Je demande la parole pour un fait personnel...
M. le président. - Vous aurez la parole après M. Frère-Orban.
M. Frère-Orban. - Vous m'avez interrompu, je vous ai dit que vous n'aviez pas le droit de m'interrompre...
M. de Borchgrave. - C'est là votre explication....
M. Frère-Orban. - Comment ; ce sont mes propres paroles que je répète ; je n'explique rien et comprenez comme vous voulez. (Interruption.)
M. de Borchgrave. - Comprenez comme vous voulez ! Ces mots ne s'adressent pas à moi, je suppose ? Je demande la parole pour un fait personnel.
(page 110) M. le président. - Vous l’aurez.
M. Frère-Orban. - Si on méconnaît, comme je viens de l'établir, les principes de notre régime constitutionnel, on méconnaît tout autant notre histoire parlementaire. M. le ministre de la justice, qui semble en vérité n'avoir appris la politique que dans les gazettes de son parti, peut-il raconter sérieusement dans cette Chambre que jamais le parti libéral n'a su rester dans son rôle de minorité ? Mais ce parti a été en minorité pendant dix-sept ans dans le sein des Chambres.
M. Dumortier. - Il n'y avait pas de parti libéral à cette époque ; il n'y avait que des patriotes.
M. Frère-Orban. - On s'est bien aperçu qu'il y avait un parti libéral lorsque en 1840 vos amis ont posé ces actes que l'honorable M. Bara a rappelés tout à l'heure.
Après ces provocations de 1840, le parti libéral, dont vous niez l'existence, a-t-il su supporter son rôle de minorité d'une manière honorable et digne ?
Il a fait prévaloir son opinion par la presse, par les discussions publiques, par les discours prononcés dans cette Chambre, et il vous a successivement vaincus dans les comices électoraux. Voilà comment il est arrivé au pouvoir en 1847.
Jusqu'en 1852 il est resté au pouvoir dans sa constitution originaire. Des libéraux ont alors succédé à des libéraux. Vous aviez feint de les désirer par hostilité contre ceux auxquels il succédait. Le parti libéral a-t-il méconnu le rôle qu'il avait alors à jouer ? Et lorsque vous êtes arrivés au pouvoir, lorsque l'administration catholique, qui ne s'annonçait pas comme telle, est arrivée au pouvoir, est-ce que l'opposition, la minorité d'alors n'a pas su tenir le rang et le rôle qui lui étaient assignés ? Quels actes pendant ce temps avez-vous à lui reprocher ?
A cette époque on savait que, sur les bancs de la droite, une fraction plus ardente voulait imposer au ministère d'alors la discussion de cette loi funeste qui a jeté un trouble si profond dans le pays. Alors, nous vous avons avertis, nous vous avons dit : Ne faites pas discuter ce projet de loi, il vous sera fatal ; vous allez solliciter les passions les plus vives de la nation ; vous allez créer une situation périlleuse. Etait-ce le langage d'une minorité ayant la soif du pouvoir ? Et pour se venger de certaines déclarations ministérielles, des exaltés, des hommes peu clairvoyants parmi vous ont imposé l'obligation de mettre à l'ordre du jour ce projet qui a été si funeste à votre parti.
M. le ministre de la justice, quoi que j'aie pu dire dans la dernière séance, vient de rappeler encore 1857. Le germe de l'avènement des libéraux a été les manifestations qui ont eu lieu au mois de mai précédent, c'est-à-dire six mois auparavant !
Vraiment, M. le ministre, vous connaissez bien mal notre histoire parlementaire. (Interruption.)
- Une voix. - Voilà de la modération !
M. Frère-Orban. - Il est possible que je n'aie pas cette modération apparente que ne me permet pas de garder une certaine susceptibilité nerveuse que je ne saurais maîtriser ; mais j'ai la modération dans l'esprit, j'ai la modération dans ces actes ; je vous l'ai prouvé pendant une longue administration. Après avoir été pendant dix-huit ans au pouvoir, j'attends encore qu'on me fasse rétracter les actes essentiels de cette administration. (Interruption.)
Oui, la preuve, de la modération de ces actes, c'est que rien de ce qui a été fait par l'administration libérale pendant cette longue administration de dix-huit années n'a été retiré par vous.
Vous avez eu beau attaquer de la manière la plus outrageante, la plus injurieuse, les mesures les plus importantes de notre politique ; vous avez eu beau déclarer que certaines lois proposées par nous étaient des lois infâmes, des lois de vol et de spoliation ; vous avez eu beau déclarer que d'autres lois étaient inconstitutionnelles ; ces lois, vous les avez acceptées depuis que. vous êtes la majorité ; vous les ratifiez, quoique ayant le pouvoir de les réformer ; les ministres qui vous représentent les consacrent chaque jour en les exécutant. Nous faut-il des aveux plus formels que ceux-là ?
M. le ministre de la justice, invoquant des souvenirs un peu confus dans son esprit, pour expliquer certains actes de son parti en 1864, arrive à dénaturer ce qui s'est passé en cette circonstance.
La minorité d'alors ne s'est pas retirée parce qu'il manquait une voix de majorité pour prendre des résolutions, comme l'a supposé l'honorable ministre de la justice, elle s'est retirée pour empêcher d'une manière permanente la Chambre de délibérer.
C'a été un acte révolutionnaire comme celui qui a été pratique à Anvers, où l'on a proclamé la grève électorale, disant qu'on n'exécuterait pas la loi, qu'on n’élirait pas de représentants ni de sénateurs et l'on a eu recours ainsi à ce qu'on a appelé sur les lieux, par un accouplement de mots qui révèle le désordre des idées, la révolte légale.
Vous avez rappelé que dans une autre circonstance, en compagnie des honorables MM. Paul Devaux, Rogier et quelques autres amis, j'avais quitté l’assemblée au moment d'un vote, ce qui a mis la Chambre dans l'impossibilité de statuer.
Mais ce fait, qui a eu lieu dans toutes les assemblées délibérantes et souvent, est sans importance. On pouvait se réunir le lendemain et prendre une résolution. (Interruption.)
Voici quel était le cas : on voulait clore la session. Il y avait à l'ordre du jour un projet de loi relatif aux affaires militaires et un projet de loi de travaux publics.
Nous insistions pour que le projet de loi relatif aux affaires militaires fût voté.
Vous étiez alors majorité et cette majorité ne voulait pas plus qu'aujourd'hui aborder cette question.
Elle ajourna ce projet sous prétexte que le temps pour discuter manquait, et incontinent on mit en délibération le projet de loi relatif aux travaux publics qui, à nos yeux, était bien moins urgent que l'autre, tous deux, d'ailleurs, pouvant être également votés.
Au moment du vote, après notre départ, la Chambre ne se trouva pas en nombre. Rien ne s'opposait à ce qu'elle se réunît pour délibérer et voter le lendemain.
Vous avez, vous, empêché que la Chambre pût régulièrement s'assembler, et pendant huit jours on a fait un appel nominal pour constater votre désertion, la Chambre n'étant pas en nombre pour délibérer.
M. Rogier. - Nous nous sommes retirés à la fin d'une séance.
M. Frère-Orban. - Mais, parmi les griefs qui sont imputés aux libéraux, ce qui dépasse tous les travestissements imaginables, c'est que, en 1864, suivant l'histoire de M. le ministre de la justice, c'est alors qu'aurait brillé de tout son éclat l'ardeur des libéraux, se cramponnant au pouvoir !
Nous cramponner au pouvoir ! M. le ministre de. la justice l'a dit, il l'a répété. Mais encore une fois, où l'honorable ministre de la justice a-t-il appris l'histoire parlementaire ?
Il ne sait donc pas qu'en 1864, nous sommes restés pendant cinq mois démissionnaires, sommant ses amis de prendre le pouvoir et qu'ils ont reculé devant l'offre qui leur était faite de consulter le pays ! Il a oublié que ses amis, occupés d'autres soins dont on voit aujourd'hui les résultats, ne voulurent pas comparaître comme catholiques, mais comme réformistes, devant le corps électoral, et que c'est alors seulement que nous avons soumis les deux programmes au jugement du pays.
Voilà comment nous nous cramponnions au pouvoir. Voilà quelle était la situation à cette époque, et il est vraiment singulier que des faits aussi récents puissent être travestis comme l'a fait. M. le ministre de la justice.
Mais c'est pour rattacher ce qui se passe en ce moment à des actes antérieurs, aux événements de 1857, que M. le ministre de la justice prend surtout la parole. Des émotions populaires, des émeutes menacent encore une fois l'existence d'un cabinet catholique ! Ainsi parle M. le ministre de la justice.
Messieurs, dans les pays libres, l'exagération sur les événements du jour est habituelle. Souvent des actes sans gravité réelle sont grossis par la passion, de telle sorte que ce qui, d'ailleurs, est assez inoffensif se transforme presque en un crime aux yeux de ceux qui ont à s'en plaindre. Je ne veux m'occuper des événements de la rue, dont on a parlé, ni pour les légitimer, ni pour les justifier, ni pour les excuser. Je n'ai pas été le dernier, en ces circonstances ni en d'autres analogues, à exprimer à cet égard mon sentiment.
Si j'avais la moindre autorité qui pût faire que l'ordre complet se fît dans la rue, j'en userais, dans l'intérêt bien entendu de tous les partis. Mais je ne veux pas que, par des exagérations inexcusables, on fasse croire à l'étranger que la capitale est pour ainsi dire en état de révolution. Il y a des manifestations, oui, des manifestations fâcheuses, oui ! Il y a de l'émotion dans la population, oui ! il y a des rassemblements qui sont plus ou moins tumultueux, oui ! on acclame les uns ; on poursuit les autres de huées. On réclame la démission des ministres, mais d'apparence de troubles, d'émeute, d'actes qui nécessiteraient une répression violente que vous êtes prêts d'ailleurs à appliquer, il n'y en a pas.
- Un membre. - Et les outrages adressés à la Chambre ?
M. Frère-Orban. - Il y a eu des outrages adressés à des membres, de la Chambre ; si vous voulez que je les mentionne aussi, je les mentionnerai. Mais de grâce, un peu de calme, un peu de tranquillité.
(page 111) Voyez ce qui se passe ailleurs dans les pays libres. En Angleterre, chaque fois que des lois de quelque importance sont soumises aux délibérations du parlement ou de la chambre des lords, pour peu que ces lois, ces mesures, ces discussions passionnent l'opinion publique, il y a d'immenses rassemblements dans les rues de Londres, aux portes du parlement, et les membres du parlement sont hués, les lords sont hués, les ministres sont hués.
Messieurs, l'homme qui avait rendu peut-être le plus de services à l'Angleterre, lord Wellington qui avait été, qui est resté, qui est mort l'idole du peuple anglais, lord Wellington, ayant pris parti pour une mesure qui était impopulaire, - il avait combattu, si mes souvenirs me servent bien, l'abolition des lois sur les céréales, - lord Wellington a été l'objet des attaques les plus vives ; il a été poursuivi de cris et de huées, et les vitres de son hôtel ont été lapidées.
Ceux qui ont visité Londres pendant la vie de lord Wellington ont pu voir qu'indigné des manifestations populaires dont il avait été l'objet, il n'a jamais consenti, pendant toute sa vie, à ce qu'on réparât les vitres qui avaient été brisées à son hôtel. Eh bien, il n'a pas crié à l'abomination de la désolation ; il n'a pas cru que c'était la fin du monde, que c'était la fin de la vie parlementaire en Angleterre ; il n'a pas sonné les funérailles, le glas du régime constitutionnel. Lord Wellington a compris qu'il y a, dans certains moments, des égarements qui, s'ils sont condamnables, peuvent, au moins en certaine mesure, s'expliquer.
Ainsi, messieurs, soyez justes ; il y a parmi vous, et c'est de beaucoup le plus grand nombre, il y a parmi vous des personnes qui ont été tout à fait étrangères aux affaires de M. Langrand ; elles y sont tout aussi étrangères que nous-mêmes, elles n'y ont aucune part et dans leur conscience elles condamnent tout autant que nous-mêmes les actes qui ont été révélés et qui ont indigné tous les honnêtes gens.
Est-ce qu'elles peuvent prendre sous leur responsabilité d'amnistier de pareils actes ? Quels sont ceux qui ont lu les dossiers récemment publiés et qui n'ont pas rougi en voyant la corruption qu'ils dévoilaient à tous les yeux ?
Dans votre âme et conscience vous blâmez, vous répudiez, vous flétrissez toutes les impuretés irrévocablement constatées, et vous voulez que le peuple, à qui ces actes ont été exposés, reste impassible !
Vous voulez que la fibre honnête ne s'éveille pas, ou tout au moins que l'indignation dans son explosion soit toujours mesurée.
Dans ces manifestations regrettables dans leur expression parce qu'elles troublent l'ordre, reconnaissez pourtant que les populations font ce que vous faites vous-mêmes au fond de votre conscience'.
M. de Borchgrave, pour un fait personnel. - Messieurs, je ne veux pas revenir sur les paroles prononcées par l'honorable M. Frère à l'adresse d'un membre de cette assemblée, mais j'ai demandé la parole lorsque l'honorable membre, avec le superbe dédain que vous lui connaissez, a dit : « Prenez mes paroles comme vous voulez. »
Si j'y trouvais quelque chose qui pût atteindre ma dignité, je sais quel serait mon devoir et je saurais le remplir.
M. Frère-Orban. - S'il y avait quelque chose dans mes paroles qui pût porter atteinte à la susceptibilité d'un honorable membre, j'en accepterais parfaitement les conséquences, ainsi que vient de le dire aussi l'honorable membre.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Anspach (contre la clôture). - Je prie la droite de me permettre de parler pendant deux minutes. (Parlez !)
M. le président. - La parole est à M. Anspach, qui a promis d'être court.
M. Anspach. - Dans les temps agités, il arrive souvent qu'il soit prononcé des paroles qui ont un caractère d'exagération ou d'injustice, je ne veux pas les discuter ; je veux simplement qu'à côté des paroles de blâme qui ont été dites, on puisse trouver un mot de protestation. J'en appelle, pour le jugement définitif, à des temps plus calmes.
J'ai entendu tout à l'heure - je ne sais d'où elle est partie - une attaque contre la garde civique de Bruxelles.
On comprendra, dans un avenir prochain, que la garde civique de Bruxelles, par son attitude, par son esprit de discipline, par son dévouement, a rendu un immense service au pays.
J'ai entendu dire aussi que pas une voix ne s'est élevée pour blâmer les manifestations de la rue. Et cela se dit cependant devant un membre de cette Chambre qui depuis dix jours n'a cessé de faire tous les efforts possibles pour ramener au calme ses concitoyens.
Les affiches dont les murs de Bruxelles sont couverts peuvent-elles être ignorées ? Et on vient dire qu'il n'y a pas eu une voix pour déplorer les désordres dont les manifestations étaient l'occasion !
Il y a cependant des membres de la Chambre, les uns dans la milice citoyenne, les autres dans l'administration, qui ont fait des efforts surhumains pour tâcher de parer aux complications fâcheuses que ces manifestations pouvaient amener, et la droite l'a reconnu dans une séance précédente.
Je ne réponds pas à ce qu'on a avancé sur la prétendue gravité de ces désordres ; l'honorable M. Frère les a parfaitement caractérisés selon moi.
Un dernier mot : Vous avez, messieurs, par la nomination de M. De Decker engagé une espèce de litige devant l'opinion publique ; ce procès, vous l'avez perdu. Eh bien, en entendant tout à l'heure les clameurs qui s'élevaient d'un côté de la Chambre, je me rappelais ce dicton populaire : On a vingt-quatre heures pour maudire ses juges, il me semblait que certains membres de cette Chambre usaient de ce droit plus que de raison et c'est pour cela que, quant à moi, je désirerais qu'on clôturât ce débat et que nous nous ajournions à quelques jours.
M. de Borchgrave. - Je demande la parole pour un fait personnel...
- Voix à gauche. - M. David l'a demandée pour une motion d'ordre...
M. de Borchgrave. -Je n'ai que quelques mots à dire.
Lorsque M. Guillery parlait tout à l'heure des atteintes portées à la royauté, je l'ai interrompu en disant que c'était la garde civique qui avait porté atteinte à la royauté en se livrant à des manifestations bruyantes sous les fenêtres du palais. Mes paroles avaient excédé ma pensée ; j'étais loin de vouloir porter une accusation contre la garde civique en général, car je sais qu'elle compte dans ses rangs des hommes d'ordre de tous les partis et des chefs dévoués à nos institutions. Mais j'ai vu cinquante-neuf gardes civiques de la deuxième légion qui passaient devant le palais, la crosse en l'air, en hurlant et vociférant.
M. Anspach. - Je suis forcé de redemander la parole.
M. de Borchgrave. - Je le répète, je n'ai pas attaqué la garde civique, je rends hommage aux hommes d'ordre qui la composent, jéen'ai attaqué que ceux qui se sont permis des manifestations inconvenantes et je tiens à ce qu'on ne donne pas à mes paroles une portée qu'elles n'ont pas eue.
M. Coomans. - Il m'est impossible de laisser passer silencieusement les accusations très graves dont j'ai été l'objet de la part de deux honorables orateurs. Ils m'ont accusé d'avoir flétri tous les principes essentiels de la Constitution, de les avoir toujours combattus, - M. Bara me fait un signe d'assentiment, - et en outre d'avoir découvert la personne royale. Il paraît que c'est ce second reproche qui semble le plus grave à mes honorables adversaires. Je l'aborde donc on premier lieu. J'ai découvert, moi, la personne royale ! Moi, mais le premier qui a fait cela c'est M. Anspach, l'honorable bourgmestre de Bruxelles. (Interruption.)
Comment ! dans une circonstance solennelle, devant tout ce qu'on appelle l'élite de la population bruxelloise, M. Anspach a déclaré, en laissant croire qu'il tenait cela de la bouche du Roi, et je le tiens de beaucoup de ses amis libéraux, loyaux et honnêtes gens...
M. Anspach. - Je demande la parole.
M. Coomans. - M. Anspach a déclaré que le Roi avait eu la main forcée ; que ses ministres l'avaient obligé de signer un acte malhonnête. Et M. Anspach croyait faire l'éloge de Sa Majesté de cette façon ! Quoi ! si l'acte était malhonnête, pourquoi le Roi le signait-il ? Ensuite...
M. Bouvier. - On découvre la royauté.
M. Coomans. - J'ai bien le droit...
M. Bouvier. - La personne du Roi est inviolable. (Interruption.)
M. Pirmez. - Il est absolument impossible que la Chambre discute ici les actes du Roi.
M. Coomans. - Je discute les actes de M. Anspach.
M. Pirmez. - Je demande à M. le président de faire respecter la Constitution et d'interdire les discussions sur les actes de la royauté.
- Des membres. - La clôture !
M. Pirmez. - Je demande à M. le président, avant de laisser continuer de pareilles discussions, de s'informer s'il y a un ministre qui accepte la responsabilité de ces actes ; il pourra alors en permettre la discussion, mais son devoir est de faire observer ici les prescriptions de la Constitution.
M. le président. - Il est désirable que tout le monde se mette d'accord pour clore ce débat qui ne peut profiter à personne. J’engage (page 112) tous les orateurs inscrits, de quelque côté qu'ils soient, à renoncer à la parole.
- Voix diverses. - Oui ! oui !
M. le président. - M. Coomans, je vous en prie, cédez à la demande du président ; cédez au désir de la Chambre ; renoncez à la parole.
M. Coomans. - Mais, M. le président...
M. le président. - Je vous en prie, M. Coomans, n'insistez pas.
M. Coomans. - Il est vraiment singulier qu'on me rappelle au calme, moi qui suis certainement le membre le plus calme de la Chambre en ce moment. (Interruption.)
M. le président. - N'insistez pas ; tout le monde renonce à la parole.
M. Coomans. - Je ne puis y renoncer. Je suis parfaitement décidé à ne pas manquer au règlement ; moins encore à la Constitution ; mais j'ai la parole et je suis également décidé à présenter les quelques observations que j'ai encore à faire.
Eh bien, voici encore un principe constitutionnel... (Interruption.) Je m'imagine que M. Anspach n'est pas inviolable. (Interruption.) Ah ! je le sais bien, vous sentez que je vous amène sur des charbons ardents et vous n'aimez pas que je rappelle un acte qui a entretenu l'émeute.
Je conçois que la foule se soit émue et même jusqu'à un certain point à l'excès, quand on lui donnait à entendre que le Roi était prisonnier dans son palais... (interruption) qu'on lui avait forcé la main pour signer des actes contraires à la moralité publique.
- Voix à gauche. - Comme le pape à Rome.
M. Coomans. - Tant, pis pour les emprisonneurs ! Je parle du langage tenu dans la rue par M. Anspach.
Les sots ont cru pendant plusieurs jours qu'on avait violenté la conscience royale. Or, je suis bien convaincu que jamais la conscience royale n'a été violentée ; je suis bien convaincu que le Roi...
M. le président. - M. Coomans, je vous en prie, laissez donc le Roi en dehors de nos débats.
M. Coomans. - Mais, M. le président, vous interrompez précisément la meilleure partie de mon discours. (Interruption.)
.Je viens de dire que je suis bien convaincu que le Roi ne mérite pas l'éloge « déshonorant » que M. Anspach lui a décerné.
M. Anspach.—Je proteste contre le mot « déshonorant » que M. Coomans vient de prononcer et je demande que ce mot soit retiré.
M. le président. - L'honorable M. Coomans annonçait tout à l'heure qu'il était l'homme le plus calme de la Chambre. Je le prie, pour, ne blesser personne, de retirer le mot dont il s'est servi.
M. Coomans. - Oh, certainement ! Mais laissez-moi m'expliquer.
M. Anspach. - Je demande si M. Coomans retire le mot « déshonorant » ?
M. le président. - Il est retiré.
M. Coomans. - Il n'y a rien déshonorant pour vous dans ce que j'ai dit.
Je vais en dire plus que vous ne désirez.
M. Anspach. - Ainsi, le moi « déshonorant » est retiré ?
M. Coomans. - Oui.
M. le président. - M. Coomans, je vous en prie, encore une fois, cessez ; tout le monde désire que ce débat soit terminé.
M. Coomans. - Je vais donner à la gauche une explication qui la satisfera complètement.
On dit que j'ai flétri et combattu les principaux articles de la Constitution.
Les honorables membres qui m'ont lancé cette accusation seraient fort embarrassés de la justifier.
Je déclare que jamais je n'ai flétri, ni combattu illégalement aucun article de la Constitution.
Ennemi de toute émeute et de toute violence, j'agis toujours légalement ; quand je verrai le moment venu de faire réviser la Constitution, j'agirai en vertu de l'article 131, et je n'irai pas gueuler mes opinions dans la rue.
Je suppose qu'on a fait allusion à la conscription et à la réforme électorale, au suffrage universel. Il est très vrai que j'ai toujours combattu la conscription et toujours demandé le suffrage universel ; mais la conscription n'est pas dans la Constitution, le suffrage restreint non plus, et je pouvais très bien les combattre, malgré mon serment d'observer la Constitution.
Messieurs, je pourrais allonger beaucoup ce discours, ne fût-ce qu'à titre de réponse ; je pourrais prouver que de précédents orateurs ont avancé des erreurs énormissimes. (Interruption.) Mais, puisque la gauche tout entière, je le constate, désire la clôture de ce débat, je veux bien lui faire ce plaisir-là et je me tais.
M. le président. - La Chambre s'ajourne donc jusqu'à convocation de son président.
La parole est maintenant à M. David pour une motion d'ordre.
- Voix à droite. - Non ! non ! la Chambre est ajournée.
M. David. - Je suis rentré seulement, aujourd’hui à la Chambre et je tiens à expliquer la conduite que j'aurais tenue le 23 novembre dernier.
Messieurs, les révélations courageuses de l'honorable M. Bara sur les scandales financiers des sociétés Langrand et sur la participation d'un grand nombre de cléricaux dans ces affaires véreuses, si désastreuses pour une foule de nos concitoyens, ont soulevé dans mon arrondissement une. profonde et bien légitime indignation.
Je regrette donc vivement de n'avoir pu assister, à cette séance du 23 novembre, pour m'opposer énergiquement à la clôture d'une discussion à peine commencée et pour appuyer l'ordre du jour proposé par l'honorable membre.
- La séance est levée à quatre heures et un quart.