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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 novembre 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 77) M. de Borchgraveù procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters lit le procès-verbal de la séance du 24 novembre courant.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Meldert prient la Chambre de procéder à la révision de la loi du 18 février 1845 sur le domicile de secours et spécialement de réduire à une année consécutive le temps nécessaire pour acquérir un nouveau domicile de secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des habitants d'une commune non dénommée demandent que le Moniteur publie une traduction flamande du compte rendu des séances de la Chambre et qu'une copie des débats parlementaires soit mise à la disposition des journaux qui le réclameraient. »

- Même renvoi.


« Le sieur Suscot prie la Chambre de faire donner suite à la réclamation qu'il a adressée à M. le directeur général des chemins de fer au sujet d'une expédition enregistrée le 22 octobre dernier à la station de l'Etat à Sombreffe et qui n'est point parvenue au destinataire. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Kerf réclame l'intervention de la Chambre pour faire annuler l'arrêté de révocation de ses fonctions de commissaire de police de la ville de Binche. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Membruggen demandent que le canton de Looz soit réuni à celui de Tongres. »

- Même renvoi.


« Le sieur Cellis, journalier à Looz, réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Nicolas, milicien de 1870, soit dispensé du service ou bien obtienne un congé à long terme. »

- Même renvoi.


« La dame. De Mey réclame contre l'incorporation dans l'armée de son frère, Auguste Glaus, milicien de 1871, ayant tiré au sort un numéro qui doit l'exempter du service. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Liège prient la Chambre de décréter immédiatement l'abolition du remplacement et de la substitution militaires. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Roche-à-Frêne demandent que ce hameau de la commune de Havre en soit séparé pour être réuni à celle de Villers-Sainte-Gertrude. »

- Même renvoi.


« Le sieur Henrard demande que les musiciens des guides soient assimilés, pour la pension, aux musiciens-gagistes des régiments d infanterie. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jean Fontaine demande la dissolution de la Chambre. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Sugny demandent la mise en adjudication de la route à construire de Mennehaut à Celle. »

« Même demande de membres du conseil communal et d'habitants de Vivy. »

- Même renvoi.


« Les secrétaires communaux d'Argenteau et de Richelle proposent des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

« Même pétition des secrétaires communaux de l'arrondissement d'Ostende. »

M. Lelièvre. - Je demande que ces requêtes soient renvoyées à la commission des pétitions, qui sera invitée à faire un prompt rapport. Semblable décision a déjà été prise sur des pétitions de même nature. Je ne puis qu'appuyer de nouveau les justes réclamations des secrétaires communaux.

- Le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, est ordonné.


« Les instituteurs du canton de Brée prient la Chambre de discuter le projet de loi relatif à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires. »

« Même demande d'instituteurs du canton de Maeseyck et de ceux du canton de Herve qui proposent, en outre, des mesures concernant la dotation de la caisse générale de prévoyance et le règlement de la pension des instituteurs. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Joly, commissaire de l'arrondissement de Namur, demande la place de conseiller à la Cour des comptes. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Le sieur Pierre Entringer, employé au chemin de fer de l'Est à Gouvy, né à Sandweiler (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« M. Ansiau, retenu par une indisposition, demande un congé. »

« M. Simonis, retenu pour affaire importante, demande un congé d'un jour. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi décrétant la libre entrée des denrées alimentaires, des grains, des riz, des viandes, des bestiaux, modifiant les droits d'accise en matière d'alcool et de sucres ainsi que certains droits d'enregistrements et de patentes

Dépôt

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi : 1° décrétant la libre entrée des denrées alimentaires, des grains, des riz, des viandes, des bestiaux ; 2°, modifiant les droits d'accise en matière d'alcool et de sucres ; 3°, modifiant certains droits d'enregistrements et de patentes.

- à droite. - Très bien !

M. le président. - Le projet de loi sera imprimé et distribué, et renvoyé à l'examen des sections.

Projet de loi modifiant le traitement des greffiers provinciaux

Dépôt

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui modifie l'article 121 de la loi provinciale et fixe à 7,000 francs le traitement des greffiers provinciaux.

- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi fixant le contingent de l’année 1872

Dépôt

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le projet de loi destiné à fixer le contingent de l'armée pour l'année 1872.

- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.


M. Vleminckx. - Messieurs, je me lève pour déclarer à la Chambre (page 78) que si une indisposition ne m'avait pas tenu éloigné de la Chambre, jeudi dernier, j'aurais voté pour l'ordre du jour proposé par l'honorable M. Bara.

M. de Lhoneux. - Messieurs, je déclare également que si j'avais pu être présent ce jour-là, j'aurais émis un vote semblable sur cette proposition.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre pour l’exercice 1872

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, le budget qui est soumis aux délibérations de la Chambre est basé sur l'organisation en vigueur, telle qu'elle résulte de la loi de 1868, sauf en ce qui concerne les compagnies de correction, créées en vertu d'une loi postérieure à la loi organique.

Dans le rapport que le gouvernement, par mon organe, a déposé sur le bureau de la Chambre, dans le courant de la dernière session, j'ai, tout en rendant hommage aux qualités de l'armée et en constatant la bonté de son organisation, indiqué les parties qui ont laissé à désirer ou qui m'ont paru incomplètes durant le pied de guerre de 1870.

Le gouvernement, avant de prendre une décision relativement aux propositions qu'il pourrait y avoir lieu de vous soumettre, a jugé utile et convenable, d'une part, de consulter une commission composée comme l'avait été celle qui a élaboré l'organisation de 1868, et d'autre part, d'attendre les solutions qui seront données aux questions fondamentales dans les grands pays où se sont révélées, comme chez nous, des lacunes dans l'organisation militaire.

Il est prudent, en effet, de connaître, les résolutions qui seront prises chez nos voisins. Nation éminemment défensive, nous pouvons nous borner à imiter ce qui se fera autour de nous en l'adaptant à nos mœurs et coutumes et de manière à rendre aussi légères que possible les charges que le pays est obligé de supporter pour soutenir son indépendance.

Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour protester contre les exagérations qu'on essaye de me prêter. Je ne veux pas préjuger les solutions que le gouvernement pourra être conduit à vous soumettre ultérieurement, mais j'ai le droit et peut-être le devoir de dire ici que les projets qu'on m'attribue sont imaginaires.

Je désire vivement, je l'avoue, que le pays et la Chambre reconnaissent que la suppression du remplacement serait une mesure éminemment équitable, morale et opportune. Je n'hésite pas à déclarer que la force publique offrirait bien plus de garantie qu'aujourd'hui, si l'on décrétait, non pas le service obligatoire, mais le service personnel, c'est-à-dire l'abolition du remplacement.

Quant à l'organisation proprement dite, je ne crois pas me montrer exigeant en désirant qu'on mette à ma disposition les moyens de réaliser complètement les intentions des législateurs qui ont voté la loi de 1868 et qu'on comble certaines lacunes que l'expérience a révélées.

J'ai cru devoir, messieurs, vous dire nettement quelles sont mes aspirations personnelles ; je ferai naturellement des efforts pour qu'elles puissent se traduire en faits.

M. Lelièvre. - A l'occasion du budget en discussion, je crois devoir appeler l'attention du gouvernement sur quelques brèves considérations que je livre à son examen.

Un code pénal militaire a été décrété, mais en ce qui concerne la procédure, les personnes appartenant à l'armée sont encore régies par les dispositions du code hollandais qui est absolument étranger aux règles garantissant la bonne administration de la justice criminelle. Cet ordre de choses doit cesser. Il importe que les militaires obtiennent le bienfait des législations modernes sauvegardant l'honneur et la liberté des citoyens.

Les prescriptions surannées doivent disparaître et les garanties sanctionnées par toutes les nations civilisées doivent être assurées à l'armée.

D'un autre côté, il est essentiel de faire prévaloir en cette matière le principe de l'égalité de tous vis-à-vis de la loi.

A ce point de vue, les délits du droit commun commis par des militaires doivent être déférés aux juges ordinaires.

Tel a été l'objet d'une proposition déposée, il y a plusieurs années, par l'honorable M. Orts, à laquelle on n'a pas donné suite, parce que l'on attendait dans un temps peu éloigné la présentation d'un code d'instruction criminelle applicable à l'armée.

Aujourd'hui les citoyens lésés par des faits délictueux, rentrant dans la catégorie du droit commun, ne peuvent se constituer partie civile, le caractère exceptionnel des tribunaux militaires n'admettant pas semblable intervention.

D'un autre côté, ceux qui ont une réclamation à former contre les militaires, quelle qu'en soit l'origine, fût-elle même née d'un délit, ne peuvent attraire le défendeur devant le tribunal du lieu où ce dernier se trouve en garnison.

Ils sont forcés de s'adresser au juge dans le district duquel le militaire avait son domicile d'origine.

Ce sont là des entraves à l'exercice des créances les plus légitimes. Elles rendent très difficile, si pas même impossible, l'introduction des actions fondées en droit et en équité.

La partie lésée ne peut pas même, en cas de délit, s'adresser au juge civil du lieu où le fait dommageable a été commis.

L'on comprend que cette matière exige des réformes immédiates dont la nécessité ne peut être contestée.

Ce n'est pas tout ; si les auditeurs militaires ont des attributions exorbitantes qui doivent évidemment disparaître, d'après les règles d'une bonne législation, d'un autre côté, ils ne jouissent pas des prérogatives que leur qualité devrait leur faire attribuer.

Ainsi ils ne sont pas assimilés aux procureurs du roi, au point de vue de la juridiction.

En matière répressive, ils ne sont pas exempts du service de la garde civique, comme les chefs des parquets.

Tout cela crée des anomalies qu'il est impossible de maintenir.

Je crois donc devoir recommander au gouvernement l'urgence d'une nouvelle législation sur tout ce qui concerne les personnes appartenant à l'armée. Elle a été signalée par le Congrès national, et le gouvernement fera chose éminemment utile en réalisant cette importante amélioration.

M. Couvreur. - Messieurs, les événements de l'année dernière, en nous obligeant à mobiliser notre armée, nous ont donné l'occasion d'apprécier le mérite de cette organisation.

M. le ministre de la guerre a bien voulu, à ma demande, nous communiquer un rapport dans lequel il a consigné les résultats de l'expérience que nous avons acquise. Ce rapport débute en déclarant que l'organisation militaire est bonne, mais que quelques services sont constitués d'une façon incomplète.

Il n'était guère possible que le chef du département de la guerre énonçât un autre avis, après l'opposition que notre organisation ne cesse de rencontrer, après les sacrifices considérables que le pays s'impose depuis quelques années pour constituer une organisation militaire modèle. Ce serait un mauvais médecin que celui qui, après un long traitement, au lit d'un moribond, viendrait lui dire qu'il n'a plus de chance de vaincre la maladie qui le tue.

Mais tous ceux qui ont lu le rapport avec l'attention qu'il mérite, ceux-là surtout qui ont essayé de lire entre les lignes, ont dû arriver à une conclusion diamétralement opposée à celle de l'honorable ministre : à savoir que l'organisation n'est pas bonne, qu'il n'y a pas que quelques services qui soient en souffrance, mais que tous les services laissent à désirer et que c'est la base même de l'organisation qui est vicieuse.

Pour appuyer ce que je viens de dire, je ne puiserai mes preuves que dans le rapport du gouvernement lui-même.

Que constate d'abord ce rapport ? C'est l'insuffisance des effectifs militaires.

En vertu de l'organisation décrétée par la loi, nous comptions sur un effectif d'une centaine de mille hommes. Les registres matriculaires n'en renseignent que 95,000 ; et c'est à peine si l'on a pu mettre 84,000 hommes sur pied.

Si l'on tient compte de toutes les défalcations, et notamment des troupes nécessaires pour garder tant bien que mal nos forteresses, il se trouve qu'après de très grands et de très persévérants efforts, après des sacrifices de toute nature et fort onéreux imposés à nos populations, nous n'avons réussi à mettre en campagne que 40,000 hommes, pour couvrir le pays et la capitale contre une attaque éventuelle, c'est-à-dire un chiffre d'hommes à peine supérieur à un corps d'armée allemand ou français.

Cet effectif de 84,000 hommes manque de solidité, de consistance. Pour le former, il a fallu faire manœuvrer ensemble les classes de 1870 qui n'avaient encore reçu aucune instruction militaire et les éléments des classes intermédiaires qui, par suite du fonctionnement du remplacement et de la substitution, se trouvaient dans le même cas. On a dû aussi faire appel aux classes de 1861 et de 1862 qui s'étaient déshabituées du service militaire ou qui n'avaient pas appris le maniement des armes perfectionnées. Par ce seul fait, la mobilisation de notre année a condamné le système du rappel des anciennes classes, des classes qui remontent à 8 ou 10 ans en arrière.

Cet effectif de 84,000 hommes, nous n'avons pu d'abord ni le loger, (page 79) ni le mettre au courant de ses devoirs. On n'a pu l’appeler sous les armes que successivement, et malgré cette précaution qui entraînait de longs retards, l'encombrement s'est trouvé tel qu'il a été impossible de caserner les miliciens dans les lieux de dépôt. Nous n'avions même pas de quoi les coucher. Pour 84,000 hommes, le département de la guerre ne disposait que de 37,000 lits. Il a fallu loger la troupe chez l'habitant, au grand ennui des populations, surtout dans les villes, au grand détriment aussi de la discipline de l'armée, au grand préjudice de l'instruction des miliciens rappelés.

L'insuffisance des cadres a été plus complète et plus grande encore. Je ne parle pas de l'insuffisance des cadres des bataillons de marche qui ont dû être gonflés à l'improviste avec des éléments non préparés, ce qui, par conséquent, a fait entrer dans l'armée des forces qui, plus tard, ne pourront pas rendre les services qu'on est en droit d'en attendre et qui entraveront l'avancement d'officiers plus capables.

Je parle des cadres des 4ème et 5ème bataillons qui, de l'aveu du rapport, étaient complètement en dessous de leur tâche.

« Il n'y avait, dit le rapport, dans ces bataillons, ni officiers, ni sous-officiers, ni caporaux, car les faibles cadres entretenus en temps de paix se composent des officiers qui sont détachés des corps et envoyés dans des positions spéciales. »

A cette insuffisance de l'effectif et des cadres, il faut ajouter l'insuffisance des chevaux, tant pour l'artillerie que pour la cavalerie. « Malgré tous les efforts qui ont été faits par la remonte, il a fallu 27 jours pour acheter nos chevaux. »

C'est le rapport qui parle. 27 jours, messieurs. Il n'en a guère fallu plus a l'Allemagne pour mobiliser toute son armée, pénétrer en France, remporter les victoires de Reichshofen, de Wissembourg, de Spicheren et de Mars la Tour, voire pour bloquer Metz.

Voilà encore, messieurs, une des conséquences de l'organisation défectueuse de nos forces militaires.

Les magasins d'habillement n'étaient pas en état de pourvoir aux besoins des miliciens appelés sous les armes. Il ne s'y trouvait à cette époque que les vêtements nécessaires, pour vêtir d'uniformes les dernières classes.

Quelle était à ce moment l'approvisionnements de nos arsenaux ? Le rapport est discret sur ce point. Il se borne à énumérer les commandes faites. Elles permettent de supposer que ce service présentait, lui aussi, de nombreuses lacunes.

A côté de tant de causes d'insuffisance de nos moyens de résistance, nos forteresses étaient-elles au moins en état de défense ? Point.

Je ne parle pas de ces travaux qui sont toujours indispensables dans les moments critiques. Je parle de la situation normale des forteresses.

A Liège, une large brèche à la citadelle dut être réparée en toute hâte ; Termonde, si tant est que cette place soit nécessaire à notre système de défense, Termonde était dans des conditions déplorables.

A Anvers, il a fallu élever des forts sur la rive gauche et à Merxein, pour mettre la place à l'abri d'un bombardement.

Rappelez-vous, messieurs, que sur la foi des prédécesseurs de M. le ministre de la guerre, nous avons dépensé 50 millions pour mettre Anvers à l'abri de tout danger de ce genre.

M. Coomans. - Anvers n'est pas encore protégé du tout.

M. Couvreur. - De même que nos forteresses n'étaient pas en état, de même nous manquions, à l'armée, de canons pour être à la hauteur des progrès de l'art militaire. Ici encore, le rapport est en aveu.

Le service des colonnes de munitions avait un personnel insuffisant. Le même reproche est adressé au personnel du service médical, du génie et des ambulances.

Je ne parle pas du service de l'intendance, sur lequel je pourrais faire de piquantes révélations. Qu'il me suffise de dire, pour le moment, que l'intendance a succombé sous le poids de ses obligations et cela de l'aveu de tout le monde.

Le rapport dit en termes formels que la situation de l'intendance appelle la plus sérieuse attention du pays. Il en dit autant du service du bataillon d'administration.

Cette armée qui, de l'aveu de celui qui est chargé de l'administrer, manque donc des éléments les plus indispensables pour assurer les services qu'elle est appelée à rendre, cette armée, qui n'a pas l'effectif voulu par la loi, qui n'a de solidité ni dans son organisation, ni dans ses cadres, qui manque d'artillerie, d'intendance, de services d'ambulance, qui n'a pas de train du tout, a-t-elle du moins été mise en œuvre d'une façon satisfaisante ?

Hélas ! messieurs, ici encore je me trouve en présence de deux aveux humiliants pour nitre amour-propre national.

Deux armées avaient été formées : l'une d'Anvers, l'autre d'observation. Cette organisation n'a pas tardé à paraître défectueuse, à cause de la complication des rouages trop nombreux qui la composaient. Un arrêté royal du 1er octobre y a mis fin. Voilà le premier aveu.

Je demande comment il se fait qu'on se soit aperçu aussi tardivement que cette organisation ne répondait pas à son but et quelles eussent été les conséquences de la faute commise si les événements n'avaient pas pris la tournure favorable que nous connaissons ? Je constate encore que, de l'aveu même du rapport, cette organisation vicieuse n'a pas été sans influence sur le manque d'ensemble et de précision qui a caractérisé certains des mouvements désordonnés de nos troupes.

J'en aurais long à dire sur le désarroi de nos mouvements ; mais je ne veux pas aborder ce point.

Je ne veux pas sortir du cadre du rapport et des conditions de notre organisation.

Eh bien, messieurs, dans cet ordre d'idées tout homme qui lira le rapport arrivera à cette conclusion : que notre organisation militaire tout entière est essentiellement mauvaise, et que, si-elle avait été mise à une épreuve plus sérieuse que celle qu'elle a subie, elle n'y eût pas résisté.

Je fais naturellement abstraction de la bravoure des soldats, de la science des officiers, de leur patriotisme à tous. Si nous avions été obligés de résister à une invasion subite pénétrant rapidement dans le pays, au lieu d'avoir à faire un simple service de police sur nos frontières, notre organisation militaire se fût effondrée tout comme s'est effondrée l'organisation de l'armée française qui lui a servi de modèle. Voilà la vérité. Elle éclate à la lecture du rapport. Nous aurions eu à subir les mêmes désastres que la France, nous aurions entendu les mêmes lamentations des populations écrasées par l'envahisseur, les mêmes accusations de trahison contre les hommes assez imprévoyants pour n'avoir pas doté le pays d'une organisation militaire sérieuse et efficace à l'heure du péril.

Ce que nous avons en ce moment, c'est le simulacre d'une armée. Les 40 millions que nous dépensons chaque année, les sacrifices considérables que nous avons imposés depuis de longues années au pays ne nous donnent que les apparences d'une force.

Ce que nous possédons brille sur un champ de parade ; ce qui fait la force d'une armée, les muscles et les nerfs, cela fait défaut.

Nous sommes aujourd'hui plus que jamais placés en présence de ce dilemme : ou de nous décider à un désarmement absolu, de nous mettre dans la situation du Grand-Duché de Luxembourg, de nous fier exclusivement à la force des traités, ou de nous résigner à chercher d'autres procédés, d'autres moyens de défense pour organiser en Belgique une force autrement sérieuse, autrement efficace que celle qui nous a coûté jusqu'ici d'aussi énormes sacrifices. Ce que nous avons aujourd'hui, après tant de sacrifices, c'est un colosse aux pieds d'argile qui ne peut pas tenir les promesses qu'on fait en son nom, quels que soient le courage et le patriotisme de ceux qui le composent.

Messieurs, cette situation doit éveiller à bon droit toutes les préoccupations de notre patriotisme.

Quel remède le gouvernement entend-il appliquer ? Quel est son programme, sa politique militaire ? Comment résoudra-t-il le problème qui est posé ? Jusqu'à présent nous n'en savons absolument rien.

L'année dernière, M., le ministre de la guerre a nommé une commission mixte. Il vient de nous dire qu'il attend les conclusions de cette commission pour nous soumettre des propositions.

- Un membre. - La commission a fini son travail.

M. De Lehaye. - Du tout ; elle n'a pas terminé.

M. Couvreur. - Toujours est-il que c'est là un procédé très facile, très commode pour esquiver la responsabilité de la position à prendre et gagner du temps, jusqu'au moment où l'on croira pouvoir présenter au pays une organisation nouvelle sans avoir à subir les conséquences politiques que cette présentation doit entraîner.

Cette situation, nous ne pouvons ni l'accepter, ni la tolérer : elle n'est pas digne de nous, elle n'est pas digne du gouvernement, elle n'est pas digne des grands intérêts engagés dans le problème. Un gouvernement ne mérite ce titre et n'a droit au pouvoir qu'à la condition de savoir ce qu'il veut et d'oser assumer la responsabilité de ses projets.

Le gouvernement pourra me répondre qu'il a suivi l'exemple des cabinets antérieurs.

Je sais que, dans le passé, des commissions mixtes ont également été instituées. Ce sont ces commissions mixtes qui nous ont dotés de l'organisation dont les événements ont démontré l'insuffisance.

(page 80) J’ai déjà eu l’occasion de protester, dans cette enceinte, contre l’établissement de ces commissions. Elles faussent les institutions et déplacent les responsabilités. Elles procèdent par voie de transaction sur les principes, elles sont impuissantes à formuler un projet logique et consistant ni lui-même. Un tel projet ne peut sortir que de la tête d'un homme de génie ou des délibérations mûries d'une enquête parlementaire appelant à son aide, par la publicité, toutes les forces vives, toutes les capacités spéciales de la nation et s'imposant ensuite à ses résistances, si elle en manifeste, par la puissance de convictions éclairées, par les faits établis contradictoirement sous le contrôle de la publicité.

Il paraît que, dans la circonstance actuelle, la transaction n'a pas même pu s'établir. Certains membres de la commission veulent sinon le service obligatoire pour tous, au moins le service personnel de tous ceux que le sort atteint et une organisation analogue à l'organisation allemande : c'est l'élément militaire ou militariste de la commission.

L'élément civil a été d'un avis opposé.

Je ne sais pas bien à quel système il s'est rallié : tout ce que je sais, c'est que la commission n'a pas pu se mettre d'accord sur un système complet et pratique, et que nous sommes aujourd'hui, tout aussi peu avancés, au point de vue d'une organisation rationnelle de la défense du pays, que nous l'étions il y a quelques années.

C est le moment pour le cabinet de se prononcer, d'engager sa responsabilité. On n'est gouvernement qu'à cette condition. Est-il avec les éléments militaristes qui veulent le service militaire personnel ? Est-il avec les éléments civils qui maintiennent le statu quo ? Incline-t-il vers le système suisse, ou bien ne sait-il pas ce qu'il veut et attend-il son salut de quelque incident imprévu, dans l'espoir de franchir d'ici là l'écueil des prochaines élections ? Notre patriotisme, messieurs, ne peut lui laisser le bénéfice de ces atermoiements.

M. le ministre de la guerre nous a fait tantôt une déclaration dont j'ai vainement essayé de comprendre la portée. Il nous a dit qu'il voulait la suppression du remplacement ; qu'il ferait des efforts pour atteindre ce résultat.

Je demande si tous les membres du cabinet assument collectivement la responsabilité de cette déclaration. (Interruption.)

Est-ce que le gouvernement tout entier est solidaire des opinions que vient d'énoncer M. le ministre de le guerre, le projet de loi qui nous sera présenté sera-t-il l'expression de ces opinions ? Voilà ce que je veux savoir.

J'insiste sur une déclaration claire. Dans les circonstances actuelles, après une nomination qui a soulevé l'indignation publique et que je ne puis assez blâmer, le cabinet ne mérite plus indulgence ni ménagement. Sur la question spéciale qui nous occupe, comme sur toutes les autres, nous devons connaître d'une façon précise ses intentions. Les intérêts les plus importants du pays en dépendent.

M. Bouvier. - Depuis mon entrée dans cette enceinte, j'ai constamment émis un vote favorable au budget de. la guerre et n'ai jamais marchandé mon concours aux sacrifices indispensables à la défense de la patrie et de nos institutions. J'ai toujours placé ces grands intérêts au-dessus des intérêts de parti. Avant d'être de mon parti, je suis Belge et national avant tout. C'est vous dire que je n'hésite pas un moment à voter le projet de budget. Qu'il me soit permis cependant de faire une revue rétrospective sur les crédits que nous avons votés depuis une quinzaine de mois, de discuter l'importance des sommes que le gouvernement devra solliciter encore de la législature pour maintenir et compléter notre système défensif. La mobilisation de l'armée, récemment mise sur le pied de guerre, est la pierre de touche de notre organisation militaire. Elle démontre que certains services laissent beaucoup à désirer pour faire face aux événements redoutables que l'avenir nous prépare.

Depuis l'avènement au pouvoir du cabinet, pour lequel je n'ai aucune sympathie, nous avons voté une loi allouant, au département de la guerre :

- un crédit de 15,220,00 fr. pour l'entretien, la remonte et le matériel de l'armée.

- une loi s'élevant à 2,240,000 fr. pour l'exécution des travaux de défense d'Anvers et de Termonde.

Une loi accordant des crédits extraordinaires, à concurrence de 9,956,850 fr., une deuxième, à concurrence de 5,000,000 fr., une troisième à concurrence de 3,250,000 fr.

Soit, sans parler des lois qui rendaient disponibles certains reliquats s'élevant à plusieurs millions (pour mémoire) : fr. 35,668,850 fr., et, sans y comprendre le projet de loi allouant au département de la guerre un crédit de 150,000 francs pour travaux d'appropriation des bâtiments de la Cambre, affectés à l'école de guerre, dépense indispensable pour augmenter la valeur intellectuelle de notre armée. Je ne puis affirmer que cette nomenclature soit complète ; mais elle suffit pour démontrer que le cabinet ne nous a jamais trouvé en opposition avec lui pour assurer l’indépendance nationale.

Et que voyons-nous assis sur les bancs des ministres ? Des hommes qui, lorsqu'ils étaient dans l'opposition étaient des antimilitaristes des plus décidés, des hommes qui non seulement votaient contre le budget de la guerre, mais employaient le langage le plus violent et le plus acerbe contre les charges militaires.

Et ce qui est plus étrange encore, nous voyons un ministre de la guerre déclarer dans un rapport, dont je tiens un exemplaire entre les mains, que plusieurs des services de notre état militaire présentent des lacunes, des défectuosités même, sans oser demander des crédits pour les faire disparaître.

Quel est le motif d'une semblable attitude ? C'est qu'il est mal entouré, ayant à ses côtés des gens qui, pour arriver dans cette enceinte, ont déclaré aux électeurs que, s'ils entraient au parlement, ils y soutiendraient la réduction du budget de la guerre et de nos charges militaires.

Eh bien, ces hommes ont menti devant le corps électoral. (Interruption.)

M. le président. - M. Bouvier, modifiez vos expressions ; elles ne sont pas parlementaires.

M. Bouvier. - Quand on ne dit pas la vérité, M. le président, dans quelle situation se trouve-t-on ?

M. le président. - Vous ne pouvez pas me poser cette question.

M. Bouvier. - Mais moi j'en pose une, M. le président. Je dis qu'un homme qui ne dit pas la vérité devant ses électeurs ou devant tout autre homme, est un menteur. Vous ne pouvez pas sortir de là.

M. le président. - Vous connaissez le règlement, M. Bouvier ; il interdit toute imputation de. mauvaise foi et toute personnalité.

M. Bouvier. - Je ne fais pas d'imputation, M. le président, j'énonce un fait.

Je n'ai jamais menti devant mes électeurs ; je n'ai jamais dit que je ne voterais pas le budget de la guerre.

- Un membre à droite. - Qu'est-ce que cela nous fait ?

M. Bouvier. - Que vous avez un homme honnête devant vous qui n'aurait pas tenu un pareil langage devant les électeurs, et je constate que l'honorable ministre de la guerre doit se trouver embarrassé avec ses collègues et qu'il ne peut s'exprimer autrement dans la note qu'il vient de vous lire.

M. le président. Notre règlement interdit toute personnalité.

M. Bouvier. -J'ai le droit d'exprimer loyalement, franchement, honnêtement ma pensée.

M. le président. - Et conformément au règlement.

- Un membre. - Et poliment.

M. Bouvier. - Et poliment, sans doute ; mais quand un homme promet des choses qu'il sait ne pas devoir tenir, quand il fait le contraire de ce qu'il dit, j'ai le droit de caractériser une pareille situation. (Interruption.)

Il m'est impossible de parler autrement que je ne pense.

Préferez-vous que je dise que certains membres du cabinet ont joué la palinodie ? (Interruption.) Aimez-vous mieux cela ? Soit. Acceptez donc le mot de palinodie, mais cela ne les sauvera pas. Quel est le devoir de l'honorable ministre de la guerre reconnaissant les imperfections de notre organisation militaire ? L'honorable M. Couvreur vient de nous l'indiquer, c'est de remédier sans hésitation et sur l'heure à une aussi dangereuse situation. Le gouvernement a nommé une commission, me répliquera-t-on. Eh bien, je le demande, a-t-elle présenté des conclusions ? Une interruption de l'honorable M. Vleminckx constate que cette commission n'a pas encore conclu.

M. De Lehaye. - Elle n'a pas encore terminé.

M. Bouvier. - Depuis qu'elle est installée, elle en a eu le temps. On attend, dit l'honorable ministre de la guerre, que les autres puissances aient décidé quelle sera leur organisation militaire. Quelles autres puissances ? L'organisation de la Prusse, vous la connaissez. Cette organisation ne sera pas changée, mais améliorée, c'est une nation qui ne s'endort pas sur le succès : Sadowa a préparé Sedan.

(page 81) En France, que constate-t-on ? C'est que tous les conseils généraux on exprimé le vœu que le service militaire soit personnel et obligatoire, ayant pour base l’enseignement obligatoire et gratuit.

La commission nommée par l’assemblée nationale de France a abouti aux mêmes conclusions. Donc quand vous dites que vous devez attendre les résolutions et les solutions des puissances voisines, je déclare que vous recourez à un faux fuyant, et j’ajoute que vous n’osez pas conclure actuellement par la raison que nous avons des élections en juin prochain et que vous avez peur de faire connaître au corps électoral que vous aurez encore à réclamer du pays d’immenses sacrifices pour mettre notre état militaire au niveau de celui des puissances qui nous entourent.

Ne l'oubliez pas, messieurs, l'honorable M. Couvreur vient de nous démontrer que notre effectif, qui, d'après la loi d'organisation de 1858, doit s'élever à 100,000 hommes, n'a atteint que le chiffre de 85,000 combattants.

Il y a eu, vous l'avez constaté vous-mêmes, il y a eu un déchet de 16,000 à 17,000 hommes. Et non seulement, vous avez eu ce déchet, niais vous avez dû, pour qu'il ne fût pas plus considérable, appeler sous les drapeaux la classe de 1870. Or, cette classe était dénuée de toute instruction ; elle n'a pas même pu entrer en ligne, ainsi que les 3,000 substitués que vous avez appelés sous les armes. Or, quand on constate une pareille situation, qui est une véritable révélation, on ne se retranche pas derrière des fins de non-recevoir ; mais on dit carrément, loyalement : C'est de l'argent qu'il me faut pour couvrir ma responsabilité et parer à un état de choses que la mise sur pied de guerre m'a permis de constater. Je crains que si des événements graves surgissent, la patrie ne puisse pas être défendue efficacement, convenablement, il est urgent de remédier à un mal comme un danger pour mon pays.

Voila comment on parle quand on est ministre de la guerre.

Messieurs, non seulement notre effectif n'est pas de 100,000 hommes ; mais nos cadres mêmes ont été désorganisés.

En effet, messieurs, notre armée se compose de seize régiments, chaque régiment de cinq bataillons ; et il y a trois bataillons actifs (sauf au régiment des carabiniers, où l'on en rencontre quatre), un quatrième également dit actif et un cinquième de réserve. Eh bien, il manque au moins mille officiers et sous-officiers pour compléter les cadres des 4ème et 5ème bataillons.

Qu'a-t-on fait lorsque l'armée a été mise sur pied de guerre ? On a été chercher dans les bataillons actifs de quoi compléter les cadres des 4ème et 5ème bataillons ; de manière qu'on a défait ce qui était bon pour faire quelque chose de détestable. Voilà la situation vraie, et je défie M. le ministre de la guerre de me contredire.

En ce qui concerne la cavalerie, l'honorable M. Couvreur vient de vous indiquer les singulières anomalies qui s'y rencontrent.

La mobilisation de notre armée a démontré aussi que notre effectif en chevaux n'est pas en rapport avec les exigences des services qu'elle est destinée à remplir.

Le département de la guerre a dû acheter plus de 4,000 chevaux qui n'auraient pu rendre aucun service ou du moins peu de services puisqu'il faut au moins trois mois pour dresser dans les dépôts un cheval et qu'il a fallu 27 jours pour se les procurer.

Or, en présence de la rapide mobilisation des armées modernes, les trois millions que l'achat de ces chevaux a imposés au trésor public eussent été totalement perdus, quand on songe qu'en 1866, l'armée prussienne, forte de 200,000 hommes, écrase, huit jours après le début de la campagne, l'armée ennemie tout entière et qu'au bout de deux mois elle dictait la paix à l'Autriche sous les murs de Vienne.

N'oublions pas qu'en Prusse, le sixième jour après la mise sur pied de guerre, les 13 corps de l'armée étaient en marche avec tous leurs hommes et tous leurs chevaux. Le sort de la campagne franco-prussienne était déjà décidé, quand en Belgique on achetait encore pour trois millions de chevaux qui n'auraient pas pu servir, n'ayant pas été dressés. Une pareille situation démontre encore une fois qu'il y a de grandes innovations à introduire dans l'arme de la cavalerie, si nous ne voulons, comme vient de le proclamer l'honorable membre, n'avoir qu'un simulacre d'armée.

Ainsi que vous l'a démontré l'honorable M. Couvreur, nos soldats ont dû coucher sur la paille ou des sacs de campement. Il n'y a que 37,000 lits pour une armée de 100,000 hommes. Cette situation accuse un besoin de matériel de casernement qui nécessitera de nouveaux crédits, cela est incontestable. M. le ministre les réclamera-t-il ?

Quoique nous ayons beaucoup fait pour notre artillerie, et je me plais à reconnaître qu'elle est relativement bonne, il reste encore beaucoup à faire pour se trouver à la hauteur de nos voisins. Je ne parle pas de la portée ni de la justesse du tir, ni de l'excellence de nos pièces, mais de leur nombre, qui n'est pas en proportion tout à fait de trois pièces par 1,000 hommes, surtout pour notre corps d'armée d'observation.

On ne peut méconnaître cependant que dans la guerre de 1870 l'artillerie allemande a décidé du sort de la campagne.

Là aussi il y a de fortes dépenses à faire, sans compter les nombreux canons nécessaires à l'armement des forts en construction et à construire.

Je demanderai à M. le ministre de la guerre s'il est disposé à solliciter de la législature des crédits pour faire face à ces besoins.

Quant au génie, vous avez reconnu vous-même, M. le ministre, qu'il est au-dessous du chiffre indispensable à sa bonne organisation et que le train de l'armée n'existe pas même sérieusement chez nous.

Ce résumé impartial et rapide que je viens de faire de l'organisation de notre armée indique qu'il n'y a pas de temps à perdre pour la compléter.

L'honorable M. Couvreur vous a parlé, messieurs, des forts élevés autour d'Anvers et entre autres de celui de Merxem, dont l'érection a été décidée pour mettre notre métropole commerciale à l'abri d'un bombardement. Je demanderai à l'honorable ministre de la guerre quel est l’état d'avancement de ces travaux.

Nous avons voté des sommes considérables pour établir plusieurs forts autour d'Anvers ; je demanderai si nous aurons encore des sommes à dépenser pour les achever et quels sont les crédits qu'il sollicitera dé nous.

Je lui demanderai encore si la fameuse citadelle du Nord est démolie ; si elle ne l'est pas, quand elle le sera ou si elle le sera. Son collègue l'honorable ministre des finances, quand il faisait partie de l'opposition, nous a plusieurs fois entretenus de cette fameuse citadelle du Nord, proclamant dans cette enceinte qu'elle était une menace perpétuelle pour Anvers et qu'il fallait la faire disparaître à tout prix.

En terminant je fais un appel à la loyauté de M. le ministre de la guerre pour obtenir des réponses catégoriques aux diverses questions que j'ai eu l'honneur de lui poser.

M. le président. - La parole est à M. Pirmez.

M. Pirmez. - M. le ministre de la guerre ne répond-il pas aux précédents orateurs ?

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, les honorables membres qui viennent de parler ont analyse le rapport que j'ai déposé sur le bureau de la Chambre. Ils ont mis en relief les insuffisances que j'avais constatées.

Il est certain que nous n'avons pas pu réaliser l'effectif énoncé dans la loi sur le contingent. Il est certain que les cadres étaient insuffisants. Cette insuffisance a été constatée loyalement et je ferai mes efforts pour qu'elle disparaisse.

Mais la question à envisager est avant tout une question d'opportunité. Faut-il, avant que la commission ait terminé ses travaux, faut-il, avant que nous connaissions ce qui sera adopté à l'étranger, prendre des résolutions immédiates ? Le gouvernement pense qu'il y a lieu d'attendre, avec d'autant plus de raison qu'il n'y a pas péril en la demeure.

Je répéterai que l'armée, telle qu'elle est aujourd'hui organisée, a été parfaitement en mesure de répondre à sa mission et, qu'en fait, elle a préservé le pays de toute violation.

Je ne demande pas mieux que de remédier, le plus tôt possible, aux défectuosités signalées.

Je désire cependant le faire sans précipitation. Notre organisation actuelle a été calquée en grande partie sur l'organisation des puissances militaires de premier ordre. Attendons que ces puissances aient donné l'exemple de transformations auxquelles elles sont plus intéressées que nous ; nous y puiserons certainement des données utiles et des renseignements dont nous pourrons faire profit.

M. Pirmez. - M. le ministre de la guerre a fait connaître à la Chambre qu'il avait deux grandes réformes à proposer.

La première est dans ses aspirations personnelles : c'est la suppression du remplacement.

La seconde, qui nous est révélée par le rapport, est l'augmentation du contingent.

Je regrette vivement que M. le ministre de la guerre n'ait pas fait connaître ce qu'il entend substituer au remplacement ; en quoi il veut faire consister le service personnel.

(page 82) M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Tous ceux qui tombent au sort marchent,

M. Pirmez. - Tous ceux qui tombent au sort marchent ; est-ce à dire que tous les miliciens iront à la caserne, qu'il n'y aura de réduction pour personne quant à la durée du service, en un mot que le service sera uniforme ; est-ce à dire que dans quelque condition que l'on se trouve, que l'on étudie, que l'on dirige une industrie, on servira le temps prescrit par la loi ?

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Le principe que je désire voir adopter par le pays et par la Chambre, c'est le service personnel ; c'est-à-dire la suppression du remplacement (interruption), de toute espèce de remplacement ; en un mot, je désire le service comme en Prusse.

M. Frère-Orban. - Eh bien, vous ne connaissez pas l'organisation prussienne. Je vous le déclare.

M. Pirmez. - Il y a deux manières de concevoir le service personnel.

Dans un premier système, où tout le monde sert pendant le même temps sans faveur, sans diminution de temps, tous les miliciens sont obligés de faire le même temps de service ; ce système est un système impossible, parce que le pays qui l'adopterait briserait toutes les carrières et verrait promptement dépérir l'industrie, les lettres et les arts.

M. Thonissen. - Ce n'est pas le système de la commission.

M. Pirmez. - Voilà donc le premier système qui est repoussé par M. le ministre de la guerre et j'ai la satisfaction de l'apprendre par M. Thonissen.

Le deuxième système est le système prussien ; si tout le monde doit le service, un certain nombre de jeunes gens sont autorisés à être pendant un an seulement sous les armes au lieu d'y être pendant trois ou quatre ans.

Or, je dis que ce système, c'est le remplacement, non pas le remplacement volontaire et rétribué, mais le remplacement gratuit et forcé du riche par le pauvre.

Que se passe-t-il aujourd'hui ? Un milicien qui ne veut pas servir lui-même a un remplaçant qui passe ses trois années au corps, de sorte que dans l'armée se trouve, pour celui qui ne sert pas en personne, un homme qui fait intégralement son service ; mais quand vous aurez exempté une catégorie de miliciens de deux des trois années de service, nous aurons toujours besoin d'avoir le même nombre d'hommes qu'aujourd'hui ; l'effectif que nous avons en temps de paix, c'est-à-dire notre effectif normal, devra être le même.

Si, chaque année, il y a trois mille remplaçants, il est probable qu'il y aura trois mille individus qui seront ce qu'on appelle des volontaires d'un an. Chacun d'eux fait pour son remplaçant trois ans de service : ils font ensemble neuf mille années de service. Si chacun fait seulement un an de service, il manquera six mille années de service ; eh bien, pour obtenir ces six mille années de service, vous devrez avoir un plus grand nombre de miliciens, ou bien vous tiendrez plus longtemps sous les armes les miliciens que vous avez aujourd'hui ; et ces miliciens nouveaux, ou tenus plus longtemps sous les armes, ce sont ceux qui appartiennent aux classes inférieures de la société qui serviront ainsi pour les miliciens des classes élevées.

Voilà la conséquence du système que vient de nous développer M. le ministre de la guerre.

C'est là un point extrêmement grave ; il prouve à l'évidence que le système qui est présenté constitue bien le remplacement, avec cette différence que ce ne seront plus des remplaçants volontaires et payés, mais des remplaçants forcés et gratuits.

J'engage M. le ministre de la guerre à réfléchir à ces conséquences ; quant à moi, pour supprimer le remplacement, j'attendrais un système qui évite de pareilles conséquences.

Je passe à la seconde question, au second desideratum de M. le ministre, de la guerre.

Messieurs, on a toujours supposé que nous devions pouvoir avoir une armée de 100,000 hommes sous les armes. M. le ministre a présenté dans son rapport une série de calculs pour démontrer que notre organisation ne pouvait fournir le chiffre de 100,000 hommes.

Il y a un certain nombre d'erreurs dans le rapport ; je veux les signaler parce que ce rapport a déjà produit un effet que j'ai constaté dans les discours de MM. Couvreur et Bouvier. Ces discours ont dû être très agréables à M. le ministre de la guerre ; les honorables membres qui les ont prononcés sont entrés précisément dans la voie où l'on voulait les conduire.

En effet, M. le ministre de la guerre désirait faire des changements, il nous fait un rapport où il nous dépeint sous les couleurs les plus sombres l'organisation militaire, et les deux honorables membres viennent nous dire : Demandez-nous donc des millions pour des casernes, pour des canons, pour des chevaux, etc. Je ne m'attendais pas à un discours de cette espèce et j'ai été amené ainsi à constater que le rapport a admirablement atteint son but en amenant les honorables membres à formuler ces propositions.

Mais, comme je désire voir les choses comme elles sont, je me permets de ne pas les suivre.

Le rapport repose sur un anachronisme, l'honorable général Guillaume a pris les choses telles qu'elles étaient lorsqu'il a quitté le département de la guerre, comme chef de la direction du personnel et il considère tout ce qui s'est passé depuis jusqu'à son entrée au ministère comme n'ayant jamais existé.

Il fait abstraction de la loi de 1870 qui a été votée par les Chambres ; il a fait presque abstraction de l'augmentation du contingent votée en 1868.

J'espère démontrer que le rapport, en disant que l'on ne peut aujourd'hui réunir un effectif de 100,000 hommes, repose sur des erreurs manifestes.

Quel chiffre d'hommes avions-nous sous les armes à l'époque où nous en avions le plus, c'est-à-dire le 20 août de l'année dernière ? 83,350 d'après M. le ministre de la guerre ; mais nous n'avons eu que deux classes de 12,000 hommes, les autres étant de 10,000.

M. le ministre de la guerre recherche combien dans ce nombre de 83,350 hommes, nous avons eu de miliciens sous les armes à cette époque du 20 août, en faisant abstraction des volontaires. Or, je constate tout d'abord à ce sujet que l'on nous donne deux tableaux en contradiction l'un avec l'autre ; le tableau A est en contradiction avec le tableau B. Je ne sais si ces deux tableaux ont été faits dans des ministères différents, ce qui expliquerait la contradiction, puisque les ministres ne s'entendent pas entre eux sur la question.

Je constate d'après le tableau A qu'il y avait 83,000 hommes sous les armes, dont 8,000 volontaires. Si j'ôte 8,000 de 83,000 il reste, d'après les règles de l'arithmétique élémentaire, 73,000. Au tableau de la page suivante je trouve 72,000 miliciens sous les armes ; il y a donc une erreur d'un côté ou de l'autre.

M. le ministre de la guerre, prenant actuellement le tableau qui lui convient le mieux, fait le calcul suivant : Nous avons appelé 104,000 hommes sous les armes pour nos dix classes.

Nous en avons eu 72,000 ; donc si nous établissons la proportion lorsque les dix classes seront de 12,000 hommes, soit 120,000 hommes, nous aurons au plus 84,000 hommes, soit un déficit de 10,000 hommes au moins.

M. le ministre de la guerre s'est naturellement dit qu'il y aura des volontaires. Il y aura effectivement des volontaires, puisqu'on en voit 8,000 qui figurent dans l'armée. Savez-vous ce que fait M. le ministre ? Il les supprime. Voici la petite phrase, que je lis dans le rapport : « Il n'y a plus guère à ajouter les volontaires, puisque la loi nouvelle les fait compter presque tous dans le contingent. »

Voilà les volontaires supprimés, les volontaires que l'on a eus cependant en vue lorsqu'on a fixé l'armée à 100,000 hommes.

Il est inexact, messieurs, que la nouvelle loi de milice ait presque complètement supprimé les volontaires en dehors des contingents, cette loi veut que les volontaires désignés par le sort comme miliciens comptent dans le contingent, mais ceux qui ne tombent pas dans le contingent font partie de l'armée au delà du chiffre des miliciens.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Ces volontaires entrent dans les contingents suivants.

M. Pirmez. - C'est une erreur.

Un homme n'appartient qu'à une classe de milice. Chaque classe est de 45,000 hommes environ, tous ne sont pas désignés pour le service militaire ; une partie de la classe composée des bons numéros et qui comprend à peu près les deux tiers de la classe est exempte du service ; tous les volontaires qui tirent aussi un bon numéro, et il y en a à peu près deux sur trois, ne sont pas compris dans le contingent.

Donc, les deux tiers des volontaires seront à l'armée au-dessus de ce que fournit le contingent.

Les deux tiers de 8,000 c'est quelque chose comme 5,000. Par conséquent, au lieu d'écrire dans le rapport la phrase que je viens de relever, il fallait dire : Il y aura encore 5,000 volontaires. Voilà comment on retrouve 5,000 hommes.

(page 83) M. Muller. - Et les volontaires qui engagent après le tirage ?

M. Pirmez. - C'est juste ; vous aviez encore tous ceux qui se sont engagés après le tirage au sort.

II faut ajouter ainsi tous les renouvellements de contrats volontaires, tous les hommes qui restent à l'armée après un engagement de service. Mais enfin, je me borne à montrer, et je crois l'avoir fait à l'évidence, qu'il y a quelques milliers d'hommes que vous faites disparaître des calculs.

Mais il y a bien d'autres erreurs encore dans le rapport.

Ainsi, on nous signale que sur la classe de 1870 il y avait un déchet de 1,640 hommes ; mais d'où vient ce déchet ? De congés accordés par M. le ministre de la guerre au printemps à des miliciens pour qu'ils puissent se faire remplacer en octobre ; de sorte qu'il n'a pas pu les rappeler en août. Or, je vous le demande, pouvez-vous considérer cela comme un déchet réel ? Du reste, à l'avenir on n'aura plus à accorder de congés dans ces conditions, puisque l'incorporation aura lieu au mois d'octobre, et que pendant tout l'été la dernière classe sera la classe de l'année précédente.

Mais, messieurs, savez-vous combien il y avait d'hommes en congé limité ou illimité ? Il y en avait 14,000. De ce nombre, il y en avait 6,500 des 9ème et 10ème classes qui, étant mariés, ne pouvaient être rappelés. Il en reste donc 7,300. Or, M. le ministre de la guerre a cru qu'il ne fallait pas appeler la réserve de la cavalerie. On a laissé ces hommes dans leurs foyers, parce qu'on n'avait pas de chevaux à leur donner. Pouvez-vous appeler cela un déchet ? Déchet de chevaux, oui ; mais pas d'hommes.

Ce n'est pas tout : on compte encore comme déchet tous les miliciens auxquels on ne connaissait pas de domicile et auxquels on n'a pu faire parvenir l'ordre de rappel.

C'est là, messieurs, le résultat de défaut de prévision dans la loi de milice ou de soins de la part de l'administration de la guerre ; mais la loi nouvelle contient des dispositions qui permettent d'y parer ; de sorte qu'à l'avenir cet inconvénient ne se représentera plus ; donc il ne faut pas faire entrer ce point pour défalquer des prévisions des hommes qui seront certainement à l'armée, si l'on veut user de la loi.

Je retrouve donc encore, sur ces 14,000 hommes, quelque chose comme 5,000 à 6,000 hommes et j'arrive, ainsi à un contingent de 95,000 à 96,000 hommes, au lieu de 84,000, chiffre du rapport.

Ce n'est pas tout, messieurs, je vais démontrer maintenant ce que fait gagner la nouvelle loi de milice.

Aujourd'hui, vous n'avez plus la substitution qui a entraîné, lors du dernier appel, les plus graves inconvénients.

En effet, des gens de la 6ème classe ou des classes plus anciennes, qui se comptaient comme complètement libérés, se sont vus rappelés.

On pouvait prendre comme substituants des miliciens de la 6ème classe. Ceux qui s'étaient fait substituer se sont vus rappelés en lieu et place de leurs substituants, et ont été incorporés sans avoir aucune instruction militaire ; on a signalé dans de nombreuses brochures faites par des militaires que les substituants fournissaient le plus grand contingent à la désertion.

La substitution a été proclamée la lèpre de l'armée. Nous l'avons complètement supprimée.

Je crois cependant qu'il y a encore des circulaires du département de la guerre où il est parlé de la substitution.

M. le lieutenant-général Guillaume, ministre de la guerre. - Je vous demande pardon. Vous êtes dans l'erreur.

M. Pirmez. - Dans tous les cas, messieurs, voilà la grande cause de la désertion qui disparait.

On a constaté qu'il y avait deux fois autant de déserteurs substituants que de déserteurs remplaçants.

Mais si tout cela est vrai, il faut bien admettre que l'armée subira à l'avenir moins de pertes que par le passé.

Voici un autre point qu'on néglige :

Sous la loi ancienne, les miliciens de la huitième classe pouvaient remplacer. Une perte nette résultait de cette disposition en cas de rappel de la huitième classe ; or, la loi nouvelle déclare que pour remplacer il faut être affranchi de tout service militaire. Donc encore une cause de perte qui disparaît.

Je pourrais encore parler des garanties toutes nouvelles exigées des remplaçants, garanties qui ont satisfait le département de la guerre.

Mais cela m'entraînerait trop loin, et j'en ai dit assez pour conclure que la nouvelle loi assure parfaitement l'effectif de 100,000 hommes.

Si je signale les erreurs commises, c'est pour mettre M. le ministre de la guerre en garde contre des tendances à une augmentation du contingent.

Je demande à M. le ministre de la guerre de faire en sorte que notre organisation militaire produise tout le bien possible ; mais je dois reconnaître que cela doit lui être très difficile, l'honorable ministre ayant des idées tout à fait contraires à certains points importants de cette organisation.

Ainsi notre loi admet le remplacement et considère que les remplaçants peuvent devenir bons si l'on prend toutes les mesures que la loi autorise. M. le ministre de la guerre, lui, a jeté l'anathème sur le remplacement ; pour lui les remplaçants démoralisent l'armée et ne peuvent jamais en former un élément admissible. Ne sera-t-il pas bien difficile à l'honorable général de faire tout ce qui est possible pour améliorer le remplacement ?

Il considère notre contingent de 12,000 hommes comme insuffisant ? Ne lui sera-t-il pas pénible de faire des efforts pour qu'il atteigne le chiffre des prévisions ? Il est obligé, par devoir, de chercher à faire produire de bons résultats à ce qu'il proclame devoir en produire de mauvais.

C'est là une position essentiellement fausse. Que M. le ministre de la guerre dise franchement ce qu'il pense ; qu'il présente un projet de loi sur la suppression du remplacement et sur l'augmentation du contingent. Alors il aura une position très claire et très nette. Mais soutenir que notre organisation est défectueuse, que notre contingent est insuffisant et que le remplacement est la perte de l'armée, et entreprendre la tâche de faire produire de bons fruits à ces arbres condamnés ; c'est avec quelque droiture et quelque dévouement qu'on s'y mette, et je ne les conteste pas à l'honorable général, une situation difficile.

Maintenant, messieurs, je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, dans le département duquel la chose se trouve, s'il est partisan de la suppression du remplacement.

Je crois qu'il serait bon de constater s'il y a, sous ce rapport, un certain accord entre les différents membres du cabinet, ou au moins entre deux d'entre eux.

Je pourrais relever bien des erreurs dans le rapport de M. le ministre de la guerre. Il faut que j'en signale une, parce qu'elle a trompé l'honorable M. Couvreur. Nous lisons dans le rapport que les miliciens des classes de 1861 et 1862 n'avaient jamais eu en mains les nouveaux fusils lorsqu'on les a rappelés.

Or, il n'en est rien : la classe de 1861 a été rappelée sous les armes en 1868 et la classe de 1862 a été rappelée en 1869, et pendant cette période tous les soldats d'infanterie ont été munis de l'habit.

Dans leurs discours, les honorables MM. Couvreur et Bouvier ont fait des demandes auxquelles je ne puis me rallier.

M. Couvreur. - Je n'ai rien demandé. J'ai démontré que l'organisation était défectueuse, voilà tout.

M. Pirmez. - Vous avez si bien signalé tout ce qui manque à l'organisation actuelle et si bien montré combien il est regrettable qu'il en soit ainsi, qu'on verra nécessairement là une demande indirecte.

Ainsi on signale que nos casernes ne sont pas suffisantes pour contenir notre armée sur le pied de guerre, que les hommes ont été obligés de loger chez les habitants, que quelquefois ils ont couché à la belle étoile.

On sera, messieurs, toujours dans cette situation. Vous n'allez pas, je suppose, construire des casernes sur toutes les routes que doit parcourir une armée pour défendre le pays.

Jamais une armée au monde, n'a eu la chance de trouver en campagne, à chaque étape, un gîte pour la recevoir. De plus, je dois dire à la louange des soldats, qu'ils ont été parfaitement accueillis chez les habitants et n'ont pas été considérés comme une charge.

M. Frère-Orban. - Au contraire.

M. Pirmez. - Les soldats se sont parfaitement conduits. Ce qui a laissé à désirer, c'est l'intendance, qui bien souvent a été coupable de grandes imprévoyances, de grandes négligences, et ce que je regrette, c'est qu'en signalant les vices ou plutôt les fautes de l'intendance, on se croie obligé de venir demander plus d'argent pour elle. Il ne faut pas croire que lorsqu'une administration est mauvaise, le remède soit de la doter de nouveaux fonds, de nouveaux fonctionnaires. Il faut craindre que l'on ne cherche à rendre ces services mauvais pour en accroître l'importance. Il faut exiger que l'intendance soit bonne et punir ceux qui commettent des fautes.

(page 84) Les journaux ont assuré qu'on a fait payer aux simples soldats quelques pommes de terre qu'ils avaient arrachées parce qu’on ne leur avait rien donné à manger : que dans certains lieux on a expédié de la viande qui a dû être enfouie parce qu’elle avait été envoyée dans un état de décomposition complète.

Il arrive souvent que le soldat est victime de fautes que l'on devrait réprimer chez d'autres. Quand les officiers signalent des défauts dans l'intendance, par exemple, ils sont considérés comme manquant aux devoirs de confraternité militaire. Il devrait en être autrement, et l'on devrait considérer comme un titre à l'avancement la sévérité déployée à faire donner au soldat ce qui lui est dû.

J'engage M. le ministre de la guerre (je suis convaincu qu'il n'est pour rien dans ces abus ; ce n'est pas un reproche que je lui adresse), je l'engage à agir avec vigueur, à réprimer efficacement les abus, et il rendra ainsi plus de services à l'armée qu'en nous demandant des crédits incessants.

Que le département de la guerre se convainque que l'argent n'est pas le remède aux abus. Plus de travail, d'abnégation, de dévouement chez les inférieurs, plus de fermeté et, au besoin, de rigueur chez les supérieurs, feront plus que des augmentations de crédit.

Qui pourrait affirmer que nos officiers consacrent au travail tout le temps qu'ils devraient y consacrer, qu'ils ne pourraient être plus laborieux et plus instruits, et que le chef de l'armée n'a rien à leur demander à cet égard ?

Qui pourrait affirmer que les soldats sont aussi rapidement et aussi constamment instruits qu'ils pourraient l'être ?

Elevez le niveau de votre corps d'officiers, et vous aurez fortifié l'armée plus que par des accroissements de cadre.

Faites instruire vos soldats par des exercices multipliés et vous pourrez diminuer le temps de service ; c'est là qu'il faut tendre.

Il y a un vaste champ de réformés dans l'armée, sans demander des sacrifices d'hommes et d'argent. Je demande que ce soit celles-là qu'on accomplisse, ce sont celles qu'on dédaigne le plus.

M. Thonissen. - Je ne m'attendais pas, messieurs, à devoir expliquer aujourd'hui le langage que j'ai tenu au sein de la commission militaire.

Je n'ai pas les pièces sous les yeux. Si je commets quelque erreur, mes honorables collègues, MM. Orts et Van Humbeeck, voudront bien rectifier mes paroles.

Dans les questions militaires, messieurs, je n'ai jamais eu qu'un seul mobile, mon patriotisme, qu'un seul but, l'honneur et la défense du pays.

Quand j'ai demandé la suppression du remplacement, je ne me suis pas préoccupé du point de savoir si cette proposition était impopulaire, si elle devait plaire ou déplaire à MM. les ministres ou à mes coreligionnaires politiques. Je l'ai crue utile, je l'ai crue juste, rationnelle, sagement démocratique, et. c'est pour ce motif que je l'ai mise en avant et que la commission l'a votée par 25 voix contre 4, si ma mémoire est fidèle.

D'un autre côté, quand je demandais la suppression du remplacement, et que cette suppression était votée, à une grande majorité, par la commission militaire, il était bien entendu que la réforme serait combinée de manière à ne pas entraver le développement industriel du pays et le recrutement normal des professions libérales.

L'honorable M. Pirmez a parlé du chef d'un établissement industriel. Je lui ferai remarquer qu'en Prusse la personne qui se trouve dans ces conditions n'est pas astreinte au service militaire.

Nous avons demandé la suppression du remplacement, parce qu'à nos yeux le remplacement est la lèpre de l'armée, qu'il est une source de démoralisation, et que même, dans certaines circonstances, il pourrait constituer un véritable danger pour l'ordre public.

L'armée se compose, jusqu'à concurrence de 33 p. c, de remplaçants, qui sont presque toujours recrutés dans les plus mauvaises conditions possibles. Nous avons pensé qu'il faut porter remède à cet état de choses. Je le répète, c'est dans ce but que j'ai demandé la suppression du remplacement et que la commission a voté cette suppression.

Mais, nous dira-t-on peut-être, pourquoi modifier dès à présent la loi de 1870 ? Laissez-la fonctionner et voyez à quels résultats vous arriverez.

En effet, messieurs, bien des personnes espèrent un grand résultat du remplacement opéré sous les auspices du ministère de la guerre.

C'est une complète illusion.

En 1870, le nombre des remplaçants a été de 3,284, et le département de la guerre, malgré les démarches les plus intelligentes et les plus actives, n'en a trouvé que 383, c'est-à-dire, à peu près un sur dix !

Je dois ajouter encore que la commission militaire, en votant la suppression du remplacement, a agi dans la conviction qu'on introduirait en Belgique le système prussien des volontaires d'un an, et que ce système, à son tour, serait combiné de manière à ne pas aggraver les charges qui pèsent aujourd'hui sur les classes laborieuses.

Nous pourrions avoir en Belgique 3,000 à 4,000 de ces volontaires par an. Or, si, indépendamment de ce nombre de volontaires, le contingent annuel était maintenu au chiffre actuel de 12,000 hommes, nous aggraverions la position de ceux qui, ne se trouvant pas dans les conditions voulues pour jouir de cette faveur, devraient désormais seuls fournir tout le contingent.

Dans ma pensée, l'introduction du système des volontaires d'un an doit entraîner, dans une raisonnable proportion, la diminution du contingent annuel.

M. Frère-Orban. - Cela n'est pas possible.

M. Thonissen. -. Cela est certainement possible. Supposons qu'il faille un effectif moyen de 40,000 hommes. Pourquoi, si nous avions 3,000 ou.4,000 volontaires d'un an, ne pourrions-nous pas réduire le contingent dans une proportion analogue ?

M. Frère-Orban. - Cela n'est pas possible.

M. Thonissen. -Pardon.

M. Frère-Orban. Cela est mathématiquement impossible.

M. Thonissen. - Vous le prouverez ; en attendant, permettez-moi de continuer.

Il n'y aurait pas d'aggravation des charges personnelles qui pèsent actuellement sur les classes inférieures, et les charges financières du budget seraient considérablement allégées, parce que les volontaires d'un an doivent se nourrir, se loger et s'équiper à leurs frais.

Voilà de quelle manière j'ai entendu la question. Je dois même ajouter que M. Orts et moi nous avions déclaré, d'une manière expresse, que nous voulions introduire dans nos lois de milice toutes les exemptions, très nombreuses, qui sont inscrites dans la loi prussienne. J'ai déjà parlé de celle qui concerne les chefs d'industrie.

Au surplus, il y a un point sur lequel je suis d'accord avec l'honorable M. Pirmez, c'est celui de l'effectif de 100,000 hommes. Je crois, comme lui, qu'on peut y arriver sans augmenter le contingent annuel. Il y a différentes raisons signalées par l'honorable membre qui m'ont également frappé : mais il y a un point très important qui, je pense, lui a échappé.

Quand l'armée a été mise sur le pied de guerre en 1870, nous n'avions que depuis deux ans le contingent de 12,000 hommes. Durant les années précédentes, le contingent n'était que de 10,000 hommes. Par conséquent si, dans quelques années, l'armée doit être mise de nouveau sur le pied de guerre, cet accroissement annuel de 2,000 hommes suffira pour combler le déficit dont on se plaint aujourd'hui. Mais je ne veux pas, en ce moment, examiner cette question.

J'ai tenu uniquement à constater que, en demandant la suppression du remplacement, nous avons été mus par une pensée vraiment démocratique, par une pensée juste, en voulant que tout individu désigné parlé sort prît une part égale au service militaire.

M. Coomans. Je veux l'égalité complète.

M. Thonissen. - L'égalité complète est également mon idéal, mais il faut bien que je tienne compte des résistances insurmontables que l'on s'expose à rencontrer.

Je me suis dit : Puisqu'il n'est pas possible d'obtenir l'égalité absolue, efforçons-nous au moins d'obtenir l'égalité relative. Un homme politique ne saurait pas agir d'une autre manière.

S'il y avait moyen de faire admettre l'égalité absolue en matière de milice, ce serait là mon système ; mais je ne suis pas de ceux qui disent : Tout ou rien. Je demande ce qu'on peut raisonnablement obtenir. Avec les volontaires d'un an, on fait un pas en avant vers l'égalité, et j'ai fait ce pas. Voilà pourquoi j'ai voulu demander simplement la suppression du remplacement, avec l'admission des volontaires d'un an. Quand on défend des idées populaires, on peut être soupçonné de rechercher des applaudissements ; mais quand un homme appuie une pensée impopulaire et mal comprise, cet homme est convaincu et il mérite du moins qu'on dise de lui : Il a agi avec une parfaite loyauté et un désintéressement absolu.

M. Muller. - Personne ne vous soupçonne.

(page 85) M. Le Hardy de Beaulieu. - Je demande la permission à la Chambre d'examiner la question à un point de vue diffèrent de celui auquel se sont placés les orateurs qui viennent de se rasseoir.

Je me suis demandé si, dans le cas où nous adopterions les idées de l'honorable M. Bouvier qui invite le gouvernement à réclamer toutes les ressources qui lui paraîtront nécessaires pour obtenir la meilleure armée possible, je me suis, dis-je, demandé si, dans ce cas, le plus favorable, on ne le contestera pas, à la thèse du ministre de la guerre, nous aurions atteint le but qu'il poursuit.

Depuis quarante ans, nous sommes à la recherche d'une minute de sécurité et nous n'avons pas encore atteint cet heureux moment : toujours il manque quelque chose.

Nous avons consacré à la poursuite de ce but qui paraît si facile à saisir des sommes immenses, plus de deux milliards. Nous sommes plus loin que jamais de l'atteindre.

On nous annonce, en effet, qu'il faut de nouvelles dépenses pour arriver au résultat recherché depuis si longtemps. Il est bien permis de se demander si, ces dépenses faites, nous serons plus avancés.

Pour nous rendre compte du résultat des efforts faits jusqu'à ce jour pour assurer notre sécurité, il est bon, il est nécessaire d'examiner les faits qui se sont passés l'an dernier à nos portes et chez nous ; et de tirer de ces faits leurs conséquences naturelles et légitimes.

Qu'avons-nous vu l'an dernier ?

Nous avons vu deux puissances de premier ordre, l'une de 40 millions d'habitants, l'autre de 5G à 58 millions se ruer l'une sur l'autre. Je n'ai pas à entrer dans l'examen des motifs de cette lutte formidable ; je constate simplement les faits. Or, qu'avons-nous vu ? Nous avons vu l'une de ces puissances écrasée sous la supériorité de l'effectif de l'autre ; comme l'avait prédit d'avance, avant la lutte, un des hommes qui ont conduit cette guerre, en disant : Nous les écraserons sous notre effectif.

Je me demande, messieurs, si, dans la situation géographique et statistique de la Belgique, il a jamais pu se trouver quelqu'un qui ait pu avoir la prétention d'écraser sous notre effectif celui de nos puissants voisins, qui aurait pris la résolution d'attenter à notre liberté ou à notre nationalité ?

Or, messieurs, vous le savez, l'histoire nous l'apprend à chaque page, et cela devient plus vrai de jour en jour, il n'y a pas de milieu en guerre : celui qui n'écrase pas est écrasé !

Eh bien, supposons que les idées de M. le ministre de la guerre et de M. Bouvier aient été admises et votées par les Chambres, et que les nouveaux sacrifices qu'ils annoncent aient été imposés au pays ;

Supposons encore que, par une politique malheureuse ou étourdie, il fallût en venir des paroles à l'action et que nous trouverions les 60,000 ou 80,000 hommes de l'armée de campagne qui ont été prévus par la loi que vient de défendre avec tant d'habileté l'honorable M. Pirmez.

Quelle sera notre situation, si, selon toutes les probabilités, nous sommes écrasés sous l'effectif supérieur du voisin ?

Nous avons vu le maréchal Mac-Mahon ramener de Woerth 15,000 à 17,000 hommes clopin dopant et tout désorganisés vers Châlons à travers les défilés protecteurs des Vosges. Que resterait-il de l'armée belge après une journée semblable ? Et que ferait la Belgique si une semblable situation lui était créée ?

L'exemple du Danemark, que j'ai déjà signalé à l'attention du pays et de ses gouvernants, de ce pays qui aussi a voulu lutter avec des effectifs inférieurs, nous apprend suffisamment quel serait notre sort. Le vainqueur nous imposerait sa loi. Malheur au vaincu ! Le droit, la justice, la bonne cause ne seraient pas admis par. ui. Le vainqueur peut même se permettre de ne pas tenir ses engagements les plus solennels.

Eh bien, messieurs, moi j'ai toujours exprimé cet avis que nous ferions beaucoup mieux, que nous agirions plus sagement, plus patriotiquement, que nous aurions une politique meilleure et plus solidement établie, si dès la veille nous nous placions dans la position du lendemain ; si d'avance, sans fausse honte, avec le sentiment de notre valeur et de notre dignité, nous déclarions aux gros bataillons que nous nous reconnaissons vaincus, que nous ne voulons pas même essayer la lutte, sachant d'avance quel en serait le résultat et si, abandonnant les vieilles routines, nous dirigions toute notre politique extérieure dans le sens de cette résolution.

Messieurs, les événements de l'année dernière ont donné complètement raison aux conseils que je n'ai cessé de donner au gouvernement dans ce sens depuis que je fais partie de cette Chambre.

La Belgique a-t-elle couru un instant plus de dangers extérieurs que le Luxembourg ? Est-ce que le grand-duché avait comme nous 60,000 hommes à placer en ligne pour défendre sa neutralité ? Non ; et cependant le Luxembourg avec ses 200 gendarmes a été tout aussi respecté, tout aussi protégé que nous par les traités et l'accord des grandes puissances.

Lorsque la guerre fatale a éclaté, l'Angleterre n'a-t-elle pas dû conclure des traités ave les puissances belligérantes pour protéger notre neutralité ?

M. Bouvier. - A la condition de la défendre.

M. Le Hardy de Beaulieum. - A la condition qu'on nous respectât, rien de plus. Car il y a d'autres intérêts là dedans. Et nous avons été respectés, bien que l'objectif d'un des belligérants fût la conquête de la Belgique. Cela est acquis.

Pourquoi avons-nous eu besoin que l'on conclût un nouveau traité en notre faveur ? Pourquoi notre état politique permanent en Europe, n'était-il pas établi d'une façon sûre, avant le traité de 1870 ? Pourquoi l'Angleterre a-t-elle été obligée de conclure ce traité ? Pourquoi cette puissance a-t-elle cru que le traité de 1830 fût insuffisant ? C'est ce que nous ne savons pas. Serait-ce donc que par la faute de notre diplomatie, ou par la faute de je ne sais qui, la situation créée par les traités de 1839 n'a pas été suffisamment maintenue ? Pourquoi tous nos efforts diplomatiques ne tendent-ils pas constamment et toujours à maintenir, à consolider la situation qui nous a été créée pendant la guerre de 1870 ? Avons-nous la prétention, sans sortir de la neutralité qui nous est imposée dans l'intérêt de nos puissants voisins, de peser d'une façon quelconque, en faveur de qui que ce soit, dans les conflits qui peuvent s'élever entre les grandes puissances ?

Telles sont les questions que le pays se pose avec anxiété, et auxquelles le gouvernement actuel, pas plus que le, précédent, ne semble disposé à répondre.

Messieurs, je crois que nous n'avons pas le droit de nous immiscer dans la politique européenne active et que, n'ayant pas ce droit, nous avons le devoir de déclarer fermement et carrément aux puissances protectrices que nous ne pouvons pas maintenir constamment les charges d'une organisation militaire qui se trouve et se trouvera toujours en défaut au moment où l'on veut l'utiliser.

Quoi qu'on fasse, quelques sacrifices que. l'on ait faits et que nous fassions dans l'avenir, nous serons toujours dans la même situation, c'est-à-dire plus faibles que nos voisins, et comme je le disais en commençant, nous poursuivrons en vain la sécurité que nous cherchons depuis si longtemps au moyen de tant et de si douloureux sacrifices pour la masse de la population.

Je demande qu'au lieu de dépenser toute notre énergie, toutes nos forces, toutes nos finances, au lieu de faire emprunts sur emprunts pour maintenir des armements inutiles et dangereux, nous entrions dans la voie naturelle que nous trace notre situation géographique et diplomatique et que nous fassions comprendre aux puissances qui seules ont pouvoir de faire quelque chose, qui seules ont mot à dire et qui seules font la guerre, que nous ne voulons pas nous mêler de leurs affaires, mais que nous demandons d'être déchargés de l'obligation ruineuse d'attendre en armes, pendant de longues années de paix, le moment où il leur plaira de se mettre en guerre, sans nous consulter.

Tous les efforts de notre diplomatie doivent donc arriver à faire comprendre aux puissances qu'il nous est impossible, absolument impossible de subir pendant plus longtemps les charges que nous avons supportées avec patience sinon avec résignation depuis quarante ans. Je demande donc de nouveau et en insistant, si c'est possible, avec plus d'énergie que jamais, qu'au lieu d'augmenter nos charges militaires, nous arrivions à les diminuer d'une manière sensible.

Messieurs, à cet égard, les événements de l'année dernière ont singulièrement donné raison à tout ce que nous avons dit dans toutes les circonstances depuis huit ou dix ans. Nous avons toujours soutenu qu'une petite nation comme la nôtre, neutre comme nous le sommes, ne devait avoir pour se défendre en cas de conflit européen qu'une organisation militaire analogue à celle qui existe en Suisse et qui n'impose au pays que des charges imperceptibles.

La Suisse était plus exposée que nous dans les derniers événements ; elle a eu à recueillir une armée de 90,000 hommes, elle l'a fait sans aucune espèce de sacrifice comparable à ceux que nous avons été appelés à faire et malgré les quelques défauts qui ont aussi été reconnus dans cette organisation, défauts qui ne sont pas comparables à ceux qui existent, quoi qu'on en dise, dans l'organisation votée il y a quelque temps, la Suisse a parfaitement rempli tous ses devoirs internationaux ; elle n'a pas été exposée un instant plus que nous à voir sa neutralité violée et cela n'a pas coûté le quart de la somme dépensée par nous.

Eh bien, je demande qu'en présence de ces faits constatés, au lieu de se lancer dans des aggravations de dépenses, on entre dans la voie qui nous (page 86) est tracée par une nation très raisonnable, très sensée, et chez laquelle les vertus patriotiques, veuillez-le croire, sont aussi vivaces que dans aucun autre pays en Europe.

Je demande qu'on diminue considérablement les charges que nous impose inutilement l'organisation actuelle de l'armée ; je demande qu'on y substitue une éducation militaire obligatoire pour tous, éducation qui sera faite, non pas en casernant les citoyens, ni en les enrégimentant pendant de longues années pour leur faire ensuite perdre chez eux ce qu'ils ont appris dans les casernes, mais en les exerçant à domicile, sur le terrain de leurs travaux ordinaires, sans frais pour eux et aux moindres frais possibles pour l'Etat.

Tant qu'on ne sera pas entré dans cette voie, nous entasserons dépenses sur dépenses ; je ne parle pas seulement des dépenses annuelles, mais de toutes celles extraordinaires que l'on nous présente de temps à autre, et qui nous obligent à faire emprunts sur emprunts pour parer à tous les services publics, jusqu'à ce qu'accablées sous le faix les classes laborieuses finissent par ne savoir plus le supporter.

Je ne veux pas succomber de cette manière ; si nous devons périr, ce que je ne crois pas, je préfère succomber sans lutte à succomber par la banqueroute.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans les considérations auxquelles il vient de se livrer, L'honorable membre, dans son discours, a trouvé moyen de se mettre en contradiction avec lui-même. A entendre la première partie, il suffirait, pour maintenir la neutralité belge, de se fier à la valeur des traités, sans avoir besoin de l'appuyer sur une force armée ; dans la seconde partie de son discours, au contraire, l'honorable membre, nous propose pour modèle à suivre la Suisse qui a institué l'obligation générale du service. Ces deux propositions sont essentiellement contradictoires. Je ne crois pas avoir besoin de combattre longuement la première. Il est un enseignement qui doit ouvrir les yeux au pays sur la valeur d'une semblable thèse, si elle pouvait encore être défendue.

S'il était vrai que la neutralité belge n'a pas besoin d'être armée, s'il suffisait qu'elle fût loyale et sincère sans devoir être forte, ceux qui se trouvent au banc ministériel et qui combattaient les dépenses militaires avant d'y arriver auraient refusé d'employer un instrument que, dans l'opposition, ils avaient déclaré coûteux et inutile ; ils se seraient refusés à mobiliser notre armée, à lui faire surveiller nos frontières ; ils ne l'ont pas fait, et en se mettant en contradiction avec leurs affirmations anciennes, ils ont rendu service au pays ; ils ont préféré cette fois-là leur devoir de gouvernants à la triste satisfaction d'être conséquents avec d'anciennes erreurs.

Mais en même temps ils ont abandonné et condamné la première proposition que M. Le Hardy a soutenue. Examinons maintenant la seconde. Nous donner comme exemple la Suisse, c'est réduire la discussion à une question purement technique ; la Suisse a une armée nombreuse, mais ne demande au soldat qu'un service d'un mois la première année et des rappels sous les armes de quelques jours pendant plusieurs des années suivantes.

De tels soldats peuvent former une excellente armée sur le sol où ils sont appelés à agir. Mais ce terrain diffère essentiellement de celui sur lequel l'armée belge serait appelée à remplir son rôle.

Dans la discussion de 1868, j'ai eu l'occasion de démontrer ce point ; on représente quelquefois cet argument comme plus spécieux que fondé ; j'ai établi alors qu'il a une valeur réelle.

J'ai invoqué l'autorité du général suisse Dufour, je lui ai emprunté des paroles relatives à la configuration de la Suisse, d'où il résulte que l'armée suisse n'aura presque jamais à mettre en ligne plusieurs bataillons et qu'elle doit tendre à renforcer ses lignes plutôt qu'à les étendre.

Cette seule considération démontre que le rôle de l'armée suisse n'est pas celui de l'armée belge et que l'éducation des deux armées doit être essentiellement différente.

Quant à la prédiction de ruine financière que nous fait l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, le passé dément ces paroles sinistres. Il n'y a pas en Europe un pays dont la situation financière soit meilleure que la nôtre. Comme le disait il y a quelques années M. Tesch, certes les exagérations des dépenses militaires sont regrettables, mais si la ruine seule doit arrêter les nations dans cette voie, la Belgique peut y persister la dernière ; sur le champ de bataille de l'argent, la victoire nous restera.

Messieurs, des critiques exagérées ont été consignées dans le rapport déposé par l'honorable ministre de la guerre. L'honorable M. Pirmez a montré cette exagération en beaucoup de points ; il a prouvé que plusieurs déductions de ce rapport reposent sur des calculs plus ingénieux qu'exacts.

L'honorable membre aurait pu ajouter que l'organisation de 1868 n'avait pas produit tout ce qu'on était en droit d'en attendre, parce qu'elle était demeurée incomplète. L'organisation militaire de 1868 devait recevoir pour complément la création d'une réserve nationale de 30,000 hommes à tirer du premier ban de la garde civique sérieusement réorganisé.

C'était aussi une application du service personnel que nous avions préconisée dès cette époque. Nous voulions aussi que la bourgeoisie ne se désintéressât pas du service militaire ; nous voulions qu'à l'heure du danger les enfants de la bourgeoisie, les fils des familles aisées courussent au combat avec leurs frères moins bien partagés de la fortune.

Nous leur permettions cependant, en temps de paix, de se dispenser de payer, non l'impôt du sang, mais l'impôt du temps. Nous les autorisions à rester temporairement dans leurs foyers, à la condition seulement de trouver un homme qui consentît volontairement et moyennant une rémunération à les remplacer dans les rangs.

Mais le système du service personnel n'en était pas moins consacré. Le devoir pour tout le monde de se dévouer en cas de danger national était nettement proclamé. A ce système que veut-on substituer aujourd'hui ?

L'honorable ministre de la guerre nous a parlé de l'organisation prussienne et par conséquent de l'admission des volontaires d'un an.

L'honorable M. Pirmez a répondu immédiatement que dans l'organisation prussienne les volontaires d'un an ne comptent pas dans le contingent. Pour compléter celui-ci, il faut alors prendre un soldat dans les classes qui ne peuvent pas fournir de volontaires d'un an, c'est-à-dire dans une classe moins bien partagée de la fortune. Et celui-là sera un véritable remplaçant, un remplaçant malgré lui, un remplaçant sans indemnité. Cela n'est évidemment ni juste, ni égalitaire quoi qu'on en dise.

L'honorable M. Thonissen n'accepte pas ce système en entier ; il nous en propose un autre qui, je pense, n'a encore fonctionné nulle part. Il est donc bien difficile de le juger à la première audition sur un simple exposé assez vague.

Cependant quelques objections se présentent immédiatement à l'esprit. L'honorable membre, en acceptant des volontaires d'un an, croit avoir découvert un moyen de diminuer le contingent ; obtenant un certain nombre de ceux-ci, il entend diminuer d'autant de nombre d'hommes à prendre dans les classes qui ne peuvent pas donner de volontaires d'un an, dans les classes moins favorisées de la fortune.

Cela n'est possible qu'à une condition : c'est que vous ferez admettre par les autorités militaires que le service d'un an suffit pour former un soldat. Oh ! le jour où vous aurez fait reconnaître cela par les autorités compétentes, les questions militaires seront singulièrement simplifiées ; car ce qui est le nœud de toutes les difficultés, des questions financières comme des questions de charge personnelle, c'est la durée du temps nécessaire pour former des soldats dans les différentes armes.

Or, votre système préjuge cette question, puisque vous auriez un contingent composé, en notable partie, de volontaires ne servant qu'un an. Il y a plus : il faudrait faire admettre encore, par les autorités militaires, que des effectifs peu nombreux suffiront pour l'instruction des cadres ; car avec ce système vous aurez souvent des effectifs infimes sous les armes. Trois classes sous les armes, lorsque chacune est composée, pour un tiers, de volontaires d'un an, n'en représentent, en réalité, qu'un peu plus de deux ; c'est donc comme si une classe sur trois disparaissait de l'effectif de paix.

Le jour où vous aurez fait admettre ces effectifs de paix par nos généraux, comme suffisants, bien des questions, encore une fois, seront singulièrement simplifiées.

Mais il restera encore les préoccupations d'ordre public. Rappelons-nous nos débats de 1868. Nous avons lutté dans la commission d'Etat et ensuite dans la section centrale pour arriver à une diminution considérable du temps de service.

Nous avions, en section centrale, réduit le service actif de l'infanterie au terme de 21 ou 22 mois et nous n'avons d'abord pas voulu revenir sur notre opinion, malgré le gouvernement.

A l'avénement au ministère du général Renard, de nouvelles tentatives ont été faites pour nous faire revenir sur cette décision et jusqu'alors tous les arguments produits étaient tirés des besoins de l'instruction du soldat.

Nous ne sommes pas revenus encore alors sur notre manière de voir, bien que nous n'eussions en une telle matière qu'une autorité bien relative.

On a eu recours alors à un autre ordre d'arguments. On a fourni des chiffres établissant que si nous réduisions le service à 22 mois, nous n'aurions qu'un nombre d'hommes déterminé sous les armes ; qu'avec ce nombre il fallait faire face à tels et tels services et que lorsque tous ces (page 87) services étaient remplis, s'il fallait réunir à l'improviste, pour des troubles graves, une force sérieuse sur un point du pays, on n'aurait plus pu mobiliser à cet effet qu'un chiffre insignifiant d'hommes, moins de 3,000 ; je ne saurais préciser plus exactement en ce moment.

Devant cet argument il a fallu s'incliner ; un honorable collègue qui ne siège pas sur les bancs de la gauche et qui, lui aussi, comprenait l'importance qu'aurait présentée une réduction du service actif, l'honorable M. de Naeyer a alors déclaré dans cette enceinte qu'en présence de ce dernier argument il fallait renoncer à demander cette réduction dans les termes où elle avait été réclamée jusqu'alors.

Une réduction a cependant été faite sur le temps de service exigé antérieurement à 1868, mais elle est moindre que nous ne l'aurions désirée. Je le répète, le jour où l'on n'aura plus cette difficulté, il y aura de grandes simplifications apportées dans toutes les questions militaires.

Messieurs, je n'entends pas examiner d'une façon approfondie les différentes questions techniques qui ont été soulevées un peu à l'improviste, mais, cette discussion, dans la situation où elle se présente, me porte à faire une réflexion plus générale, une réflexion politique.

Je me demande si accepter la situation où l'on nous place aujourd'hui, c'est bien pratiquer sincèrement nos institutions parlementaires. La question militaire est une de celles avec lesquelles la droite a le plus agité le pays ; vous êtes arrivés au pouvoir en demandant la réduction des dépenses militaires, en la promettant.

Depuis, ceux de vos organes qui avaient le plus soutenu cette thèse, ont un peu adouci leurs expressions. On en est venu déjà à dire seulement : Par d'aggravation des dépenses militaires. Eh bien, soit ! C'est déjà un recul.

S'il n'y a pas d'aggravation, il n'y aura certes pas non plus de réduction ; vous n'en aurez pas moins manqué à vos promesses anciennes et il est impossible que les raisons que vous avez aujourd'hui pour changer d'opinion ne vous aient pas frappés d'abord ; vous êtes trop intelligents pour ne pas les avoir connues d'avance ; elles sautaient aux yeux. Il y a donc eu un piège tendu à la crédulité des électeurs.

Pour sortir de cette situation, que faites-vous ? que dites-vous ? Mais vous ne dites rien, vous ne vous expliquez pas ; vous voulez pouvoir revenir au mois de juin, devant le corps électoral, répéter encore, vos promesses anciennes. Mais ce que nous devons vouloir nous, opposition, c'est que vous arriviez devant le corps électoral avec des engagements précis. Si vous croyez pouvoir réduire les charges militaires, dites-le ; si vous croyez devoir les aggraver, dites-le encore.

C'est dans ce dernier cas surtout qu'il faut savoir parler. Oui, si vous croyez avoir à aggraver les charges militaires, si vous considérez cela comme un devoir gouvernemental, ayez la franchise de le dire, ne tendez pas aux électeurs un nouveau piège, alléchés par la réussite de celui que vous leur avez tendu autrefois ; vous ne pouvez pas par des réticences calculées essayer de capter la faveur des électeurs.

Des explications sont indispensables. La situation est des plus étranges. Un ministre de la guerre nous dit : Je fais en mon nom personnel des déclarations et je suis décidé à marcher dans tel sens.

Ses collègues à côté de lui se taisent, et quand on les somme, car on les a sommés, de déclarer s'ils adhèrent ou non à ces déclarations, s'ils partagent les idées de leur collègue, ils persistent dans le silence. Même, je ne l'avais pas encore remarque, M. le ministre de l'intérieur, interpellé sur une question spéciale, n'est plus à son banc.

Pouvons-nous admettre cette position ? Et vous, majorité, qui avez la garde des institutions parlementaires, pouvez-vous considérer une pareille conduite comme loyale, comme étant la pratique vraie de notre Constitution ?

Pour ajourner ces questions, on donne une raison : c'est qu'une commission a été instituée et n'a pas encore terminé son travail. Je ne me rends pas à cette raison. Je fais partie de cette commission. Je déclare d'abord que j'ai peu assisté aux séances. A peine avait-elle ouvert ses travaux, qu'un malheur de famille m'a frappé. Plus tard, une indisposition a prolongé mon absence. Ce n'est qu'aux dernières séances que j'ai pu revenir. Cependant des documents m'étaient périodiquement envoyés, qui me permettaient de me tenir au courant des travaux et dont la lecture m'inspirait cette réflexion, que la commission, avec la marche qu'elle suivait, ne pouvait aboutir à rien. Je voyais préconiser, dans de beaux discours, des principes séduisants, mais les décisions restaient constamment dans le vague ; je ne voyais jamais adopter de formule précise. Je me demandais toujours comment on sortirait de cette voie. Car il faut que nous voyions les choses dans leurs conséquences pour pouvoir les juger législativement.

Lorsque je suis revenu à la commission, j'ai appelé son attention sur la marche défectueuse qu'elle suivait ; j'ai proposé d'en revenir à la marche qu'avait suivie la commission de 1867 ; au lieu de délibérer dans le vague et sur des questions de principe, faisons, disais-je, ce qu'on a fait alors : nommons une sous-commission, que celle-ci arrête un projet d'organisation dans tous ses détails, et que comme conséquence de cette organisation elle fasse un projet de budget, qu'elle fixe un chiffre de contingent.

Alors nous verrons quelles sont les charges que l'organisation nouvelle doit imposer au pays.

Mais par la marche que vous suivez, vous n'arrivez à rien. Vous prenez des décisions ; aucune de ces décisions n'est absurde en soi, mais chacune exige des sacrifices d'hommes et d'argent, et quand vous aurez additionné les sacrifices vous reculerez et vous ferez des transactions, et c'est alors que commencera votre travail sérieux. Pourquoi ne pas y arriver tout de suite ?

Eh bien, cette proposition n'a pas été acceptée ; déjà une décision contraire paraissait avoir été prise, dans laquelle les intentions connues du gouvernement avaient eu leur influence.

Le gouvernement désirait que l'on votât d'abord des principes et qu'on lui renvoyât ces décisions, d'après lesquelles il rédigerait un projet d'organisation sur lequel la commission délibérerait ensuite.

Les votes de principes ont été émis, la marche que le gouvernement désirait voir suivre a été suivie et aujourd'hui vous êtes depuis plusieurs mois en possession des solutions de principes.

Cependant, les propositions n'arrivent pas, de manière qu'il dépend du gouvernement d'arrêter indéfiniment la commission ; et cependant il donne, pour ne pas s'expliquer, cette raison, qu'il n'a pas le rapport de cette même commission.

Nous ne pouvons pas nous soumettre à une pareille manière de procéder.

II n'y a qu'un moyen de rentrer en ce moment dans la pratique de nos institutions, c'est d'ajourner la discussion du budget de la guerre pour obliger le gouvernement à s'expliquer.

Voici la situation. Aussi longtemps que le gouvernement aura besoin d'obtenir son budget, et aussi longtemps qu'il n'aura pas obtenu sa loi du contingent, il est sous notre contrôle ; le jour où il aura fait voter le budget de la guerre et le contingent, il en aura pour un an à ne pas se soucier, s'il le veut, de nos réclamations. Et alors, on arrivera devant le corps électoral, chacun étant libre de faire, au nom de son parti, l'un des promesses de telle nature, l'autre des promesses tout à fait opposées.

Au contraire, avec l'ajournement, il faudra, dans un moment donné, que le gouvernement s'explique ; les électons se feront alors dans des conditions de franchise. On pourrait faire porter l'ajournement soit sur le budget, soit sur le contingent. Je crois qu'il est préférable de le faire porter sur le budget.

Il n'y a pas là d'inconvénients pratiques. Si nous ajournions la loi sur le contingent, nous désorganiserions tout à fait l'armée ; tandis que l'ajournement du budget ne nous empêche pas de voter des crédits provisoires qui permettent au service de marcher, jusqu'à ce que nous soyons saisis des intentions du gouvernement.

Je demande, en conséquence, l'ajournement à deux mois de la discussion du budget de la guerre.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, la proposition d'ajournement a déjà été présentée antérieurement par l'honorable M. Vleminckx ; cet honorable membre demandait, si mes souvenirs sont exacts, que l'examen en sections du budget de la guerre fût ajourné. Le gouvernement s'est opposé à cette proposition, et la Chambre ne l'a pas adoptée. Nous devons, pour les mêmes motifs, repousser l'ajournement demandé par l'honorable M. Van Humbeeck.

On semble oublier la déclaration formelle qui a été faite par M. le ministre de la guerre. Mon honorable collègue a déclaré que l'organisation de l'armée était bonne, qu'elle répondait aux besoins pour lesquels la force militaire est instituée.

Comment cette organisation a-t-elle fonctionné lors de la mise de l'armée sur le pied de guerre au mois d'août 1870 ? C'est ce que M. le ministre de la guerre a examiné dans le rapport qu'il a soumis à la Chambre ; il a cru remarquer quelques lacunes, quelques défectuosités qu'il a signalées.

Dans cette situation, quel était le devoir du gouvernement ? De rechercher comment ces lacunes pouvaient être comblées, comment ces défectuosités pouvaient être réformées.

A cet effet, nous avons cru convenable de nommer une commission chargée d'examiner non seulement les questions soulevées par le rapport (page 88) du ministre de la guerre, mais encore de rechercher en même temps, en s'appuyant sur l'exemple des autres pays et sur les leçons de l'expérience de la dernière guerre, les mesures que commandent la situation de la Belgique et les conditions où notre pays se trouve.

Cette commission a été nommée pour faire un travail sérieux et complet, nous avons cru, nous le croyons encore, qu'il serait imprudent et peu sage, de hâter trop une solution ; nous attendons, en conséquence, que le rapport de la commission nous soit remis, avant d'aborder l'examen des différentes questions que peut faire naître l'organisation de l'armée.

Dans d'autres pays, on a agi plus vite et que voyons-nous ? Que s'est-il passé notamment en Suède ? Déjà deux fois des projets d'organisation ont été repoussés par la législature.

En Hollande, un budget avait été présenté avec des propositions modifiant l'organisation de l'armée ; ce budget a dû être retiré. Ces exemples ne sont-ils pas instructifs ?

Comme chez nous, je le répète, l'organisation de l'armée est bonne, comme elle a prouvé que, même dans des circonstances graves, l'armée, telle qu'elle est composée, pouvait sauvegarder notre neutralité, nous avons pensé que, sans rien compromettre, il convenait de ne précipiter aucune solution, et qu'il était préférable d'attendre, avant de rien soumettre à la législature, qu'un examen approfondi fût fait par une commission composée d'hommes expérimentés dans l'art de la guerre, auxquels ont été adjoints des membres des Chambres qui se sont le plus occupés des questions militaires.

Cette commission a commencé son travail ; elle ne s'est encore prononcée que sur une seule question, celle du remplacement ; c'est une question sur laquelle, l'honorable ministre de la guerre vous l'a dit avec la franchise qui le caractérise, sur laquelle il a, lui, une opinion arrêtée. Mais le gouvernement n'est pas encore saisi du rapport de la commission ; il n'a pas eu à délibérer sur la question du remplacement et il n'entend délibérer sur cette question que lorsqu'il sera saisi de toutes les propositions de la commission.

- Un membre à gauche. - Qu'après les élections.

M. Dupont. - Le gouvernement n'a pas la même franchise que le ministre de la guerre.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - On dit que le gouvernement n'a pas la même franchise que M. le ministre de la guerre.

Je repousse cette accusation et cette expression, qui n'est guère parlementaire. Le gouvernement, soyez-en persuadés, aura la franchise de son opinion ; il la fera connaître loyalement à la Chambre ; mais il ne pourra exprimer une opinion que lorsqu'il l'aura suffisamment mûrie et approfondie, et qu'il pourra la formuler en projet de loi.

M. Guillery. - Cela ne sera mûr qu'après les élections.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Dans cette question vraiment nationale, le gouvernement se préoccupe, avant tout, comme c'est son devoir, de l'intérêt du pays ; il ne se préoccupe nullement d'un intérêt de parti.

Voilà ma réponse à l'interruption de l'honorable membre.

Mais, dit-on, le gouvernement devrait au moins s'expliquer dès à présent, et dire au parlement s'il partage l'opinion du ministre de la guerre relativement à la suppression du remplacement.

Théoriquement, chaque membre du cabinet peut avoir une opinion préconçue sur cette question ; mais à quoi servirait l'expression d'une opinion théorique ? Ce qu'il faut, c'est une opinion pratique, c'est-à-dire, une opinion sur les mesures à prendre si le remplacement est supprimé. Or, quant à ces mesures, vous l'avez entendu dans cette enceinte, les personnes les plus compétentes ont des opinions complètement divergentes. Chacun reconnaît qu'il ne s'agit pas uniquement de décréter que le remplacement est supprimé ; qu'il faut encore dire quelles règles seront appliquées au service personnel obligatoire.

MM. Thonissen et le ministre de la guerre ont parlé des volontaires d'un an. Cette opinion est combattue par l'honorable M. Pirmez et par d'autres honorables membres. Dès lors, messieurs, il est évident que le gouvernement, avant d'émettre une opinion devant le parlement, une opinion qui l'engage pour l'avenir, une opinion qu'il puisse traduire en un projet de loi, doit attendre le travail de la commission, l'étudier, le méditer, afin de proposer une solution suffisamment mûrie.

M. Bouvier. - Il y a plus d'une année que la commission fonctionne.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - La commission a des renseignements à recueillir en pays étrangers ; elle s'entoure de toutes les indications qui lui paraissent utiles ; qu'on ait au moins la patience d’attendre le résultat de ses investigations.

Reproche-t-on à la France de ne pas encore posséder une nouvelle organisation militaire ? N'en a-t-elle pas autant et plus besoin que nous ? Là on tient compte des difficultés qui se présentent, des tiraillements qui se produisent à ce sujet.

En Angleterre se trouve-t-on complètement d'accord ; l'est-on davantage en Hollande et en Suède ?

Comment demander à la Belgique de devancer les autres nations, de prendre la tête du mouvement ? Mais ce n'est évidemment pas son rôle ; comment réclamer de nous une solution avant que d'autres puissances, qui s'occupent également de cet objet important, se soient prononcées ? Pourquoi nous exposer à devoir revenir sur nos pas et à défaire peut-être ce que nous aurions fait trop précipitamment ?

M. Bouvier. - Votre commission est inutile alors.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - La prudence n'est jamais inutile, et le gouvernement a agi avec sagesse on suivant la ligne de conduite qu'il a adoptée. Que la commission ne néglige pas sa mission, qu'elle s'occupe de la question, qu'elle recueille avant tout les renseignements nécessaires. Ce n'est pas le gouvernement qui entravera la marche de ses travaux et de ses délibérations, et quand elle mettra le gouvernement à même de présenter un projet de loi, le gouvernement saura remplir son devoir. Mais il est impossible de préciser, dès à présent, le jour et l'heure où une solution pourra être soumise à la Chambre ; je le lui dis très franchement.

En terminant, je prie la Chambre d'être bien persuadée qu'ii n'y a ici ni tactique, ni préoccupation politique.

Le gouvernement veut faire quelque chose de bon, d'utile, de salutaire pour le pays ; il examinera mûrement les questions que la commission lui soumettra et dans une question de cette nature qui intéresse la sécurité et l'indépendance du pays, il se préoccupe uniquement de l'intérêt du pays et met complètement à l'écart tout intérêt de parti.

M. Frère-Orban. - Je ne comprends pas trop les raisons que M. le ministre des affaires étrangères donne pour combattre la motion d'ajournement.

L'honorable ministre estime que la question est très grave ; que le gouvernement ne peut pas encore se former une opinion ; qu'il attend les lumières que doit lui fournir la commission qu'il a instituée.

Eh bien, ce sont des raisons en faveur de l'ajournement ; on peut, en attendant que le gouvernement soit éclairé, accorder des crédits provisoires, et ainsi nous aurons un moyen de hâter la solution des questions à résoudre.

Il ne faut pas, messieurs, oublier la révélation que nous a faite l'honorable M. Van Humbeeck. On a fait, dans le sein de la commission, une proposition qui était de nature à amener des conclusions. Cette proposition a été écartée parce que l'intention du gouvernement est qu'il n'y ait pas de solution.

La situation du cabinet est connue : la plus grande division règne parmi ses membres sur cette question. S'il n'y a pas eu de changement d'opinion au sein du cabinet, si tous ses membres sont fidèles aux engagements qu'ils ont pris vis-à-vis du corps électoral, ils sont en pleine contradiction avec les propositions qu'annonce M. le ministre de la guerre. Eh bien, refuser de s'expliquer à cet égard parce que l'accord est impossible, c'est une position qui, je dois le dire, n'est pas loyale ; le gouvernement, après avoir tout ébranlé, ne peut persévérer à laisser plus longtemps sans solution une question d'intérêt national de premier ordre.

Vous avez à vous expliquer ; vous devez une explication catégorique à la Chambre et au pays. M. le ministre de la guerre, chaque fois qu'il a pris la parole, a déclaré qu'il exprimait une opinion personnelle, qu'il formulait des principes personnels, en affirmant, toutefois, qu'il tient à les faire prévaloir. Et personne à côté de lui ne se lève pour l'appuyer. Ce silence le condamne. Est-ce une position digne pour des ministres ; est-ce une position que la Chambre puisse accepter ?

M. le ministre de la guerre a déposé un rapport. Est-ce une affaire personnelle ou une affaire de gouvernement ?

Je demande qu'on réponde à cette question d'une manière nette et précise. Oui ou non, le rapport déposé par M. le ministre de la guerre est-il un acte de gouvernement ?

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Oui.

M. Frère-Orban. - M. le ministre des affaires étrangères dit oui. Ainsi c'est un acte du gouvernement. Vous êtes tous d'accord sur les opinions qui sont formulées dans le rapport.

M. Jacobs, ministre des finances. - Mais pas du tout. (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Sur quoi donc êtes-vous d'accord ? La Chambre et le pays ont le droit de le savoir.

(page 89) Si vous êtes d'accord sur le rapport présenté par M. le ministre de la guerre, ce que l'un affirme et ce qu'un autre nie ; si vous êtes d'accord, première hypothèse, vous avez des conclusions immédiates à apporter. Vous n'avez plus d'avis à attendre. Votre opinion est faite, elle est celle du ministre de la guerre.

Si, au contraire, c'est la dénégation qui est émanée d'une partie des bancs ministériels qui est la vérité, comment pouvez-vous continuer à espérer de faire illusion au pays sur l'impuissance où vous êtes de résoudre la question de la défense nationale ?

Il faut déchirer les voiles, il faut que l'on connaisse la pensée du gouvernement sur les questions qu'il a lui-même soulevées au sujet de notre établissement militaire.

Dites ce que vous voulez faire, et si vous n'avez pas de résolution arrêtée dès ce moment, si vous ne pouvez vous prononcer à l'heure présente, acceptez l'ajournement.

M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, je ne veux pas d'équivoque, et une réponse que l'on demande en un mot en présente souvent.

Il est trop facile de se prévaloir d'un oui, d'un non ou d'un geste pour en déduire un désaccord entre les membres du gouvernement. Expliquons-nous. La question est celle-ci :

Ce rapport de M. le ministre de la guerre est-il son œuvre personnelle ou celle du gouvernement ?

Voici les faits : M. le ministre de la guerre, sur la proposition de l'honorable M. Couvreur et à la demande de la Chambre, a fait un rapport sur la manière dont l'armée a manœuvré pendant les événements de guerre, sur sa mise sur pied de guerre.

M. le ministre de la guerre a soumis son rapport très détaillé aux différents membres du cabinet, avant de le soumettre à la Chambre. Il a demandé l'avis de ses collègues sur le rapport et nous avons pensé qu'il y avait lieu de soumettre ce rapport consciencieux, dont nous acceptions les données comme exactes, quoique l'honorable M. Pirmez les contredise et qu'il puisse avoir raison sous certains rapports, je n'entre pas dans ce débat, nous avons pensé qu'il y avait lieu de soumettre ce rapport à une commission mixte, qui a été saisie du point de savoir si les lacunes signalées par M. le ministre de la guerre sont aussi réelles qu'il le croit et qui, après avoir constaté les faits, aura à déterminer les remèdes à y apporter.

C'est de l'avis du gouvernement que ce rapport, rédigé par M. le ministre de la guerre, a été soumis à cette commission, mais nous n'entendons pas, et personne ne peut prétendre que ce rapport, long et minutieux exposé des faits, ne contienne aucune erreur, aucun fait contestable, comme ceux qu'a relevés M. Pirmez.

M. Frère-Orban. - Je demande la parole.

M. Jacobs, ministre des finances. - Le gouvernement n'a donc posé qu'un fait...

M. Bouvier. - Vous désavouez donc le rapport de M. le ministre de la guerre ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Pas le moins du monde. M. le ministre de la guerre nous a présenté un rapport dans lequel, partant de ce point de départ que l'organisation est bonne, il y signale cependant des défauts, des lacunes.

Nous avons été d'accord tous ensemble pour décider la nomination d'une commission (interruption) qui aurait à examiner les points indiqués dans ce rapport.

Si nous avions été en désaccord avec M. le ministre de la guerre sur le fond même de son rapport, nous n'aurions pas admis que le ministre de la guerre, concurremment avec nous, présentât ce rapport à la Chambre et a la commission.

M. Vandenpeereboom. - Je voudrais bien comprendre... (Interruption.)

M. Jacobs, ministre des finances. - Si l'on faisait un peu moins de bruit, on comprendrait plus facilement. (Interruption.)

M. Bergé et M. Jottrand. - On entend bien, mais on ne comprend pas.

M. Jacobs, ministre des finances. - S'il y avait eu désaccord entre les membres du cabinet et leur collègue de la guerre sur les bases, le fond du rapport, évidemment qu'un pareil rapport n'aurait pu être soumis à une commission ; mais, par contre, nous ne devions pas être d'accord avec M. le ministre de la guerre sur les mille points de détail de ce rapport, que nous ne pouvions évidemment pas contrôler seuls et que nous soumettions dans ce but à une commission avant d'apporter une résolution à la Chambre.

II y avait donc un accord d'ensemble, mais vous ne pouvez pas prétendre que, dans les moindres détails de ce rapport, nous ayons contrôlé le ministre de la guerre.

Il me semble maintenant que les honorables membres comprennent.

Nous avons été d'accord avec M. le ministre de la guerre pour constater une situation dans son ensemble. Nous avons été d'accord avec lui pour ne pas signaler les remèdes et pour demander avant de nous mettre d'accord sur les remèdes, l'avis de la commission qui a été instituée.

Est-ce suffisamment clair ?

Voilà l'attitude qu'a prise le gouvernement.

On nous dit : Cette attitude est bien commode. Vous vous réservez de ne pas prendre de conclusion finale, et, quand vous vous retrouverez devant le corps électoral, au mois de juin de l'année prochaine, vous vous réservez de vous présenter encore les uns comme militaristes, les autres comme antimilitaristes.

Messieurs, je ne déclinerai pas la responsabilité de mes actes. Le corps électoral pourra me demander compte, l'année prochaine, du maintien, depuis que nous sommes au pouvoir, de l'état militaire actuel ; c'est sur ces actes qu'il me jugera. Tous les changements que je pourrais désirer voir apporter à cet état militaire ne sont pas des faits, ce ne sont que des désirs, et c'est sur les faits qu'on juge.

M. Dupont. - Vos promesses ont été protestées.

M. Jacobs, ministre des finances. - Nous ne laissons pas protester nos promesses, et je vous déclare que je n'entends pas me soustraire par des promesses à la responsabilité de mes actes.

J'admets que le corps électoral nous juge sur le budget, le contingent, l'organisation que nous avons appliqués, quoique nous ne prétendions pas qu'il n'y a pas de modifications à y apporter ; nous ne pourrions le prétendre, puisque nous consultons la commission sur ce point.

Mais j'accepte sans faux-fuyants qu'on nous juge sur les seuls faits que nous avons posés, que l'on décide si nous avons eu tort, oui ou non, d'agir comme nous l'avons fait.

On me reproche d'avoir critiqué cette organisation que j'applique depuis que je suis au pouvoir.

Il est exact, messieurs, que je l'ai critiquée.

L'organisation actuelle de l'armée n'est pas pour moi l'organisation idéale, et lorsque, sans responsabilité, comme simple membre de la Chambre, j'avais le droit absolu d'indiquer mes préférences, c'est un autre système que j'ai indiqué, système qui entraînerait peut-être plus de charges, sinon au point de vue financier, au moins au point de vue personnel.

Je n'ai jamais prétendu réaliser au pouvoir, comme membre du cabinet actuel, le système pour lequel, en 1868, j'ai indiqué mes préférences ; je ne prétends pas imposer au pays, ni à mes collègues un système qui est loin d'avoir l'assentiment de la majorité de la Chambre et du pays. (Interruption.)

Quiconque a passé par le pouvoir sait qu'on n'y réalise pas toutes ses idées.

Le gouvernement est une suite de transactions ; les partis qui arrivent au pouvoir se divisent toujours en plusieurs fractions ; aucune ne peut avoir la prétention d'absorber les autres ; on se fait des concessions réciproques et chacune cherche à réaliser, non pas toutes ses idées, c'est impossible, mais le plus grand nombre.

Lorsque nous nous présenterons devant le corps électoral, nous lui dirons : Quand on a été au pouvoir, on vous juge sur vos actes.

Nous avons réalisé un bon nombre de nos idées, nous ne les avons pas réalisé toutes ; jugez-nous ; si vous pensez que, coûte que coûte, il fallait vouloir les réaliser toutes, au risque de n'en réaliser aucune, condamnez-nous ; si vous pensez que nous avons agi sagement, approuvez-nous.

Cela dit, messieurs, j'arrive à la question de l'ajournement.

On nous dit : « Acceptez des crédits provisoires pour un ou deux mois, d'ici là vous aurez une solution. »

Messieurs, il est incontestable que le budget de l'exercice 1872 devra être basé sur l'organisation militaire actuelle. Quelles que soient les modifications que l'on introduise dans l'organisation de l'armée, ce n'est pas dans l'exercice 1872 qu'on pourra réaliser la nouvelle loi. Dès lors il est complètement inutile, et ce serait un acte peu sérieux que d'ajourner un budget qui s'appliquera nécessairement à la situation actuelle.

(page 90) Si nous avions l'espoir d'arriver à une solution assez à temps pour qu'elle pût être appliquée à l'exercice 1872, l'ajournement pourrait se concevoir ; mais comme, dans l'hypothèse même que nous parvenions à vous présenter un projet de loi, antérieurement aux élections, il ne serait pas possible de le discuter et de l'appliquer à l'exercice 1872, il n'y a pas lieu d'ajourner la discussion du budget de la guerre.

M. le président. - La parole est à M. Coomans.

- Des membres. - A demain !

M. Coomans. - Je ne serai pas long ; je n'ai que deux ou trois observations à présenter.

- Des membres. - Parlez ! Parlez !

M. Coomans. - Je suis de ceux qui pensent qu'il est utile, urgent de réorganiser nos institutions militaires, puisqu'on les déclare mauvaises ou insuffisantes, mais je traiterai ce point une autre fois. Je me contenterai de répondre à ce que je viens d'entendre.

On désire la loyale pratique du régime parlementaire. Le vœu est bon, surtout opportun devant les manifestations irrégulières dont la Chambre est l'objet et à l'heure même où je reçois des avertissements écrits et menaçants de la part des amis de nos adversaires. Oui, messieurs, ce que nous devons tous vouloir, c'est la pratique loyale de nos institutions parlementaires. Or, ce qu'on veut, ce que veut la proposition de l'honorable M. Van Humbeeck, ce n'est pas la pratiquer loyalement notre régime parlementaire, c'est au contraire le dénaturer.

On ne veut pas supprimer une équivoque, on veut en créer une autre, la grossir et l'assombrir.

En effet, allons au fond des choses avec cette loyauté qu'on nous recommande très indûment ; je renvoie le conseil à qui nous le lance. Le fond des choses le voici : la gauche est aussi divisée sur la question militariste que la droite et le cabinet, peut-être davantage. Mais comme il s'agit, surtout depuis quelques jours, de réunir étroitement le faisceau de la gauche, on a trouvé une équivoque pour s'y donner la main.

On ne veut pas voter contre le budget de la guerre, je sais bien pourquoi, je le dirai un autre jour ; on ne veut pas voter contre le budget de la guerre, je parle de la majorité doctrinaire, qui est celle de la gauche, on ne veut pas voter contre le contingent de l'armée, mais comme on désire émettre un vote unanime, on crée une équivoque et on demande l'ajournement.

Eh bien, voilà ce que j'appelle dénaturer le régime parlementaire.

Voulez-vous que la situation soit éclaircie, pratiquez le moyen que j'ai moi-même souvent proposé, soit la réduction du budget, soit le rejet du budget, soit le refus du contingent, votez tout cela avec moi et alors votre but, si tel est votre but, votre but sera atteint, c'est-à-dire que vous aurez forcé le gouvernement à nous présenter immédiatement les conclusions qu'il vous a promises et que vous avez le droit d'attendre de lui.

Votez avec moi le rejet du budget et du contingent hic et nunc et demain le gouvernement doit vous apporter le projet de réorganisation qui nous est dû.

Mais vous ne voulez pas cela, il vous faut, je vous le répète, une équivoque et quand vous nous accusez de tactique, le reproche est inconcevable et se redresse contre vous.

On reproche au ministère de n'être pas d'accord sur cette question.

J'espère bien qu'il ne se mettra pas d'accord dans le sens que la majorité de la gauche désire.

Je suis très heureux qu'il y ait des opinions différentes dans le ministère sur cette question-là. Si tous les ministres étaient d'accord avec l'honorable général Guillaume, je considérerais les prochains résultats officiels comme véritablement désastreux.

Mais vous-mêmes, M. Frère et autres, vous qui vous scandalisez d'un désaccord ministériel qui est assez clair aujourd'hui, n'avez-vous pas eu plus de désaccords dans vos divers ministères ? Vous étiez désunis sur la question de l'or, vous l'étiez sur une question beaucoup plus grave que la question militaire, je dis plus grave, parce que la Constitution même était en jeu, selon vous.

Vous avez siégé souvent ensemble à six et refusé d'observer la Constitution. Vous avez déclaré que notre loi sur l'enseignement primaire était inconstitutionnelle. L'opinion d'un grand nombre de membres de la gauche, plusieurs ministres en tête, était que notre loi de 1842 sur l'enseignement primaire est inconstitutionnelle. Eh bien, malgré cela, vous avez maintenu cette inconstitutionnalité et vous avez dit pourquoi : c'est que vous n'étiez pas d'accord, et heureusement que vous n'étiez pas d'accord, car sur ce terrain aussi vous auriez fait beaucoup de mal.

Le ministère est donc en désaccord sur les questions militaristes. J'espère qu'il le restera longtemps encore, c'est-à-dire assez de temps pour que le pays voie clair dans cette question militaire et pour qu'il fasse enfin justice de toutes les exagérations des militaristes catholiques ou doctrinaires, qui ont à moitié ruiné le pays et qui le ruineront entièrement si on continue à gaspiller le plus clair du revenu public en armements et en fortifications inutiles.

Voilà mon opinion bien résumée. Voulez-vous, je le répète, forcer le ministère à s'expliquer ? Repoussez le budget de la guerre ; repoussez le contingent. Voilà une situation loyale.

M. Bouvier. - Dites cela à vos amis.

M. Coomans. - Ils voteront chacun selon sa conscience. Comme vous n'êtes pas d'accord non plus sur cette question, vous voulez l'être sur une ombre, sur une équivoque, vous créez la question d'ajournement. C'est sortir d'une difficulté par la petite porte. Moi, je sors toujours par la grande et c'est ce que je vais faire encore aujourd'hui, malgré le méchant tapage que j'entends.

M. le président. - Voici la proposition de l'honorable M. Van Humbeeck :

« Je propose à la Chambre d'ajourner à deux mois la discussion du budget de la guerre. »

- Cette proposition sera imprimée et distribuée.

- Des membres. - A demain !

- La séance est levée à 5 heures et un quart.