(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Thibaut, premier vice-président.)
(page 1617) M. de Borchgrave fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Vrints lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Borchgrave présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Duvivier demande l'exécution immédiate du boulevard circulaire de Bruxelles. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Struyvelt, ancien employé de la douane, demande une augmentation de pension. ».
- Même renvoi.
« Le sieur Masquelin propose de monopoliser, au profit de l'Etat, les avis et annonces éparpillés dans diverses feuilles. »
- Même renvoi.
« Les membres de la société de Veldbloem, à Bruxelles, demandent que toutes les affaires judiciaires soient traitées en flamand dans les provinces des deux Flandres, d'Anvers, de Limbourg et dans les arrondissements de Bruxelles et de Louvain. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.
« Le sieur Van Meenen demande une augmentation de traitement pour les employés inférieurs du département des finances. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des finances.
« Des habitants de Turnhout demandent le maintien du tarif actuel des voyageurs sur les chemins de fer de l'Etat. »
« Même demande d'habitants de Courtrai, Gand et Wichelen. »
-Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.
« Le sieur Servaes demande ce qu'il doit faire pour obtenir justice sur des faits concernant l'administration communale de Nalinnes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la guerre adresse à la Chambre un exemplaire de la 7ème livraison de la carte topographique de la Belgique comprenant les planchettes suivantes : Houltave, Bruges, Lophem, Oedelem, Ypres, Sottegem, Flobecq, Tournai, Leuze, Ittre, La Hulpe, Jodoigne, Jauche, Mons, Seneffec, Fleurus et Spy et deux exemplaires des feuilles de Louvain et de Nivelles. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Par message en date du 5 juillet, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi portant création d'un nouveau canton de justice de paix avec Dison pour chef-lieu. »
- Pris pour notification.
Première section
Président : M. Van Cromphaut
Vice-président M. Van Iseghem
Secrétaire : M. Lefebvre
Rapporteur de pétitions : M. Hermant
Deuxième section
Président : M. Moncheur
Vice-président M. Hayez
Secrétaire : M. Visart (Amédée)
Rapporteur de pétitions : M. Delaet
Troisième section
Président : M. de Smet
Vice-président M. Magherman
Secrétaire : M. Pety de Thozée
Rapporteur de pétitions : M. de Macar
Quatrième section
Président : M. Van Wambeke
Vice-président M. de Zerezo de Tejada
Secrétaire : M. de Clercq
Rapporteur de pétitions : M. Biebuyck
Cinquième section
Président : M. Julliot
Vice-président M. Notelteirs
Secrétaire : M. Visart (Léon)
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Sixième section
Président : M. Thienpont
Vice-président M. Beeckman
Secrétaire : M. Reynaert
Rapporteur de pétitions : M. Santkin
« M. Sainctelette, empêché de se rendre à Bruxelles, demande un congé pour la séance de ce jour. »
- Accordé.
« M. Simonis demande un congé de trois jours. »
- Accordé.
M. Anspach. - Je demanderai à la Chambre l'autorisation d'interpeller M. le ministre des finances, mardi prochain, sur un point spécial d'application de la loi relative à la décharge à la sortie des boissons distillées.
M. Jacobs, ministre des finances. - Volontiers.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Messieurs, les idées développées par l'honorable M. Demeur, dans la séance d'hier, ne sont pas nouvelles ; l'honorable membre les avait déjà exposées au meeting libéral de Bruxelles et elles ont fait l'objet d'une brochure publiée en 1864. Elles étaient donc parfaitement connues lorsque le gouvernement, en 1865, a proposé le projet qui est devenu la loi du 7 juillet 1865.
Quelques-unes de ces idées ont été portées devant cette Chambre par des orateurs éloquents ; elles y ont été défendues avec beaucoup de talent, ce qui n'a pas empêché la Chambre de voter en 1865, sous l'honorable M. Tesch, le projet de loi qui lui était soumis, ce qui n'a pas empêché la Chambre de voter en 1868, sous le ministère de M. Bara, la prorogation de cette même loi de 1865.
L'honorable M. Demeur n'attaque pas le principe de la loi de 1865, il le trouve excellent. Il reconnaît que le bien-être du pays, sa prospérité, sa (page 1618) sécurité, exigent que les étrangers ne puissent impunément venir troubler la tranquillité dans notre patrie. Il reconnaît également que lorsque les étrangers sont poursuivis en pays étranger ou ont été condamnés en Belgique ou à l'étranger pour l'un ou l'autre des crimes ou délits prévus par la loi d'extradition, il importe au pays de s'en débarrasser.
L'honorable M. Demeur a même adressé ses félicitations au gouvernement pour quelques améliorations introduites dans le projet de loi.
Ces améliorations, messieurs, prouvent que le gouvernement a fait tout ce qui était possible pour, donner satisfaction aux objections légitimes qu'avait soulevées la loi de 1865. Mais ces améliorations ne satisfont pas l'honorable M. Demeur ; il va plus loin : il a proposé à la Chambre trois amendements sur lesquels je demande la permission de m'expliquer très brièvement.
Il est impossible au gouvernement de se rallier aux amendements de M. Demeur, et c'est pour donner les motifs de cette opposition que j'ai demandé la parole.
M. Demeur demande d'abord que les arrêtés d'expulsion soient motivés. D'après l'article 97 de la Constitution, dit M. Demeur, tout jugement doit être motivé ; il doit en être de même des arrêtés d'expulsion.
Je ferai d'abord remarquer à la Chambre qu'un arrêté d'expulsion n'est pas un jugement, n'est pas un acte qui doive être entouré de publicité ; c'est une simple mesure de police, un acte administratif qui n'est connu et ne doit être connu que de l'intéressé auquel il est notifié.
Il est à remarquer que l'expulsion n'est aucunement une peine ; ce n'est qu'une mesure de précaution et d'ordre social que la société prend à l'égard des étrangers. Il n'y a donc point de motifs pour introduire dans la loi l'obligation de motiver les arrêtés d'expulsion.
En fait, d'ailleurs, l'étranger n'ignore jamais les motifs sur lesquels l'expulsion est basée ; toujours il en a connaissance et je défie qu'on cite un cas où les motifs de son expulsion n'auraient pas été donnés à un expulsé.
Puis, quels motifs devraient être donnés dans l'arrêté d'expulsion ? Les arrêtés de cette nature sont fondés : ou bien sur ce que l'étranger compromet la tranquillité publique, ou bien sur ce qu'il est poursuivi ou qu'il a été condamné pour l'un des faits compris dans la loi sur les extraditions.
Eh bien, à supposer l'obligation de motiver inscrite dans la loi, l'arrêté d'expulsion serait suffisamment motivé, s'il mentionnait, par exemple : « Attendu que X... compromet par sa conduite la tranquillité publique en Belgique... » ou bien : « Attendu que X... est poursuivi actuellement ou a été condamné soit à l'étranger, soit en Belgique, pour tel délit rentrant dans les cas prévus par la loi du 3 avril 1868... » cela suffirait, car, même en présence de l'article 97 de la Constitution, il est de jurisprudence que les arrêts et jugements en matière correctionnelle, par exemple, sont suffisamment motivés quand ils portent : « Attendu qu'il est établi ou qu'il n'est pas établi, » selon qu'il y a condamnation ou acquittement.
Il faudrait donc, pour que cette obligation de motiver fût sérieuse, qu'on indiquât quels seraient le nombre et le détail des motifs qui pourraient être introduits dans un arrêté d'expulsion ; autrement ce ne serait qu'une garantie illusoire pour l'expulsé ; on ne peut pas exiger plus que l'indication des termes de la loi sans nuire à l'étranger qu'on veut prétendument protéger et garantir.
En effet, le document lui est signifié par huissier, et si l'on exigeait tous les détails, l'honneur de l'étranger pourrait en souffrir ; l'arrêté serait souvent pour lui une sorte de brevet d'infamie aggravant encore sa position.
Aussi M. Demeur a-t-il été hier interrompu par un honorable membre de la gauche qui lui disait que ce serait rendre un mauvais service à l'étranger que d'indiquer dans un document officiel les motifs détaillés de cette expulsion.
L'honorable M. Demeur dit que l'opinion publique est intéressée à savoir pourquoi une expulsion a lieu.
Mais l'honorable M. Demeur n'y a pas pris garde ; l'opinion publique ne connaît pas les arrêtés d'expulsion ; les arrêtés d'expulsion sont, je l'ai déjà dit, des actes secrets, ils ne peuvent devenir publics que par la volonté des intéressés ; ce sont les intéressés qui peuvent les porter à la connaissance du public. Eh bien, lorsque ces cas se produisent, lorsque les expulsés réclament soit dans la presse, soit devant la Chambre, le gouvernement n'est-il pas toujours obligé d'expliquer les motifs qui ont dicté sa résolution ? Et malheur au ministre qui n'aurait pas les moyens de justifier son acte !
On ne comprendrait donc l'obligation de motiver un arrêté d'expulsion que dans le cas où la Chambre serait disposée a admettre un recours contre cet arrêté ; en dehors de cette faculté de recours, il n'y a nulle raison pour que l'arrêté d'expulsion soit motivé.
Chaque arrêté royal est accompagné d'un rapport au Roi dans lequel sont exposés, détaillés minutieusement, tous les faits sur lesquels l'expulsion est fondée ; et il n'y a pas à craindre, en cette matière, que le gouvernement expulse jamais sans motifs.
L'expulsion est toujours un acte grave ; le gouvernement, avant de le poser, s'entoure de renseignements, de précautions ; et il n'est pas de ministre qui signe un arrêté d'expulsion sans penser aux conséquences que cet acte peut entraîner ; c'est assurément un des côtés les plus pénibles de l'exercice du gouvernement que de contresigner des arrêtés de cette nature.
On ne le fait jamais qu'avec les plus grandes précautions, en consultant tous les documents fournis ; et remarquez que ces documents émanent toujours de l'autorité judiciaire du pays de l'expulsé. On ne se borne pas à des renseignements donnés par la police belge ou étrangère ; on réclame toujours, avant de prendre un arrêté d'expulsion, des documents fournis par l'autorité judiciaire du pays étranger.
Le premier amendement proposé par l'honorable M. Demeur me paraît donc devoir être repoussé par la Chambre. Il ne donne aucune garantie réelle à l'étranger et peut être pour lui la source d'inconvénients très graves.
Une autre garantie que l'honorable M. Demeur voudrait introduire, c'est l'intervention du pouvoir judiciaire. Cette prétendue garantie fait l'objet de son second amendement, qui est ainsi conçu :
« La disposition suivante sera ajoutée à la loi du 7 juillet 1865, après l'article 3 :
« Art. 3bis. L'arrêté royal, porté en exécution de l'article premier et motivé sur la poursuite ou la condamnation de l'étranger pour l'un des crimes ou délits qui donnent lieu à l'extradition, sera susceptible d'opposition dans les deux cas suivants :
« 1° Si le fait pour lequel l'étranger est poursuivi ou a été condamné ne rentre pas dans les crimes ou délits qui donnent lieu à l'extradition ;
« 2° Si la poursuite ou la condamnation n'est pas prouvée.
« Le délai de l'opposition sera d'un jour franc.
« L'opposition sera notifiée au procureur du roi de l'arrondissement dans le ressort duquel l'étranger aura été trouvé, avec assignation à comparaître à la plus prochaine audience du tribunal correctionnel de cet arrondissement.
« Si l'opposition est reconnue fondée, il ne sera pas donné suite à l'arrêté royal ; dans le cas contraire, il sera passé outre. »
Ainsi, l'honorable M. Demeur ne réclame pas l'intervention des tribunaux en matière d'expulsion du chef de faits troublant la tranquillité publique. Il ne la réclame pas en faveur des réfugiés politiques ; il réserve cette faveur à ceux qui sont expulsés à raison d'une poursuite ou d'une condamnation du chef de l'un des crimes ou délits rentrant dans la loi sur les extraditions.
En matière politique, l'honorable M. Demeur se fie au gouvernement.
M. Demeur. - Pas du tout.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Il n'y a rien dans votre amendement qui pourvoie à cette situation.
En cette matière donc, l'honorable M. Demeur ne craint pas l'arbitraire. (Interruption.)
M. Demeur. - Vous êtes dans l'erreur.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Mais vous ne proposez rien en cette matière...
M. Demeur. - Parce que je sais fort bien que ce serait sans succès.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Vous avez donc plus d'espoir pour le reste ?
M. Demeur. - Certainement.
M. Cornesse, ministre de la justice. - C'est un simple fait que je constate. L'honorable membre abandonne tous les réfugiés politiques à la discrétion de l'administration. Eh bien, l'honorable M. Demeur rompt ainsi avec tous les antécédents des adversaires du renouvellement des lois de 1835 et de 1865.
Jusqu'ici les garanties, la publicité, le recours aux tribunaux, etc., n'étaient réclamés qu'en fait d'expulsions politiques. Jamais on n'a songé à les réclamer pour les malfaiteurs vulgaires poursuivis ou condamnés.
J'en fournis immédiatement la preuve en citant les paroles de l'honorable M. Van Humbeeck qui a défendu sa thèse en 1865 avec un talent (page 1619) auquel je me plais à rendre hommage. L'honorable M. Van Humbeeck, qui demandait l'intervention du pouvoir judiciaire, ne voulait l'introduire que pour les réfugiés politiques. Voici ce qu'il disait :
« Je n'ai pas nié à cette époque (1861) que la loi fût constitutionnelle.
« Je n'ai pas demandé non plus que l'on diminuât la sévérité consacrée par cette loi pour l'étranger qui vient parmi nous fuyant la justice répressive de son pays. (Il eût pu ajouter : qui a été condamné dans le pays.) Je me suis borné à demander des garanties pour celui qui est amené en Belgique par des malheurs politiques, à demander que l'on précisât ses devoirs et que, moyennant le strict accomplissement de ses devoirs ainsi précisés, il trouvât chez nous un asile inviolable. Je viens aujourd'hui défendre les mêmes idées d'une manière plus large et plus complète. »
L'honorable M. Van Humbeeck, en 1865, allait même plus loin : il voulait renforcer la loi sous ce rapport, et armer le gouvernement du droit d'expulsion pour des cas que ne comprenait pas alors la loi sur les extraditions (interruption) et qu'elle comprend aujourd'hui, comme le dit l'honorable membre.
L'honorable M. Van Humbeeck citait notamment alors les cas de larcin, de filouteries, de banqueroute simple, d'attentat aux mœurs ; et il reconnaissait qu'il était de l'intérêt public de comprendre ces cas dans la loi sur les expulsions.
Et parlant des précautions dont il voulait entourer l'expulsion, l'honorable membre ajoutait :
« Il va de soi que cette solennité de formes, ces précautions, je ne les demande que pour des proscrits politiques ; je tiens à établir une démarcation de plus en plus radicale entre les proscrits et les étrangers que la loi tient en suspicion comme malfaiteurs. »
Eh bien, cette démarcation de plus en plus radicale que l'honorable M. Van Humbeeck introduisait, l'honorable M. Demeur la maintient ; mais c'est seulement aux étrangers tenus en suspicion comme malfaiteurs qu'il applique et prodigue les garanties !
Maintenant, comment le recours au pouvoir judiciaire est-il organisé par l'honorable M. Demeur ?
Il ne l'admet que dans deux cas : 1° si le fait pour lequel l'étranger est poursuivi ou a été condamné ne rentre pas dans les crimes et délits qui donnent lieu à l'extradition ; 2° si la poursuite ou la condamnation n'est pas prouvée.
Je ferai remarquer d'abord que l'honorable membre n'indique absolument rien sur le mode de preuve qui serait suivi. Serait-ce le mode de preuve exigé par la loi sur les extraditions ? Cette loi exige la production de certains documents. Une explication serait au moins nécessaire à cet égard.
Ensuite, il n'y a pas la moindre sanction contre le recours téméraire de l'individu expulsé. Ce recours aura lieu fréquemment, s'il n'expose à aucune pénalité.
L'honorable M. Van Humbeeck avait à cet égard un autre système, il permettait à l'étranger de s'opposer à l'expulsion et de recourir au pouvoir judiciaire ; mais si le recours n'était pas admis, l'honorable membre faisait prononcer une peine contre le récalcitrant.
Dans la pensée de l'honorable M. Van Humbeeck, c'était sans doute un moyen de soumettre la légalité d'un arrêté d'expulsion à l'examen des tribunaux, lorsque l'étranger avait des motifs sérieux de se croire illégalement et injustement frappé.
Mais ici, messieurs, dans le système de l'honorable M. Demeur, nous avons un recours et nous n'avons pas de sanction contre le recours téméraire et mal fondé. Et je demanderais volontiers pourquoi le tribunal correctionnel intervient ici ? Car enfin, il ne s'agit pas d'appliquer une peine. Le tribunal correctionnel n'est saisi que d'une seule chose, de la question de savoir si l'individu sera expulsé ou non. Il est saisi sur la demande de l'expulsé lui-même. Eh bien, je demande pourquoi le tribunal correctionnel a été choisi de préférence.
Messieurs, le recours aux tribunaux, dans cette matière, est évidemment une confusion de pouvoirs que la Chambre ne peut pas consacrer.
Le tribunal correctionnel, dans le système de l'honorable M. Demeur, devient juge de l'arrêté d'expulsion. On en appelle à lui en quelque sorte d'une décision prise par arrêté royal. Est-il possible d'admettre une pareille désorganisation des pouvoirs ?
Et notez que, d'après l'amendement de l'honorable M. Demeur, je crois que le tribunal correctionnel statue en dernier ressort. Il n'y a aucune voie de recours contre ce qu'il décide. Je ne vois pas du moins que ce recours, soit indiqué,
« Si l'opposition est reconnue fondée, il ne sera pas donné suite a l'arrêté royal ; dans le cas contraire, il sera passé outre, »
Messieurs, le pouvoir exécutif est chargé d'assurer la tranquillité publique, de maintenir l'ordre public. Telle est l'essence de sa mission. Chaque pouvoir doit rester dans sa sphère, et ce n'est pas, selon moi, faire œuvre de progrès ni de liberté que d'effacer la ligne de démarcation qui sépare les uns des autres.
Je le demande à la Chambre, ne tomberait-on pas dans un véritable gâchis en permettant au tribunal correctionnel de biffer purement et simplement la signature royale et de dire : Cet arrêté ne sera pas exécuté ?
Messieurs, cette opinion qu'il y a un véritable danger de confondre les pouvoirs a été justifiée en 1865 par l'honorable M. Bara, qui citait notamment l'opinion d'un magistrat distingué, M. de Fernelmont, l'honorable premier président de la cour de cassation, qui, étant alors avocat général, s'exprimait de la manière suivante dans ses conclusions, formulées en 1834 :
« Lorsque le gouvernement procède dans l'intérêt de l'Etat comme dépositaire du pouvoir exécutif, en d'autres termes, lorsqu'il s'agit d'une question purement administrative, le recours à l'autorité judiciaire doit rester inefficace. Permettre au pouvoir judiciaire d'annuler les actes de cette espèce ou de surseoir à leur exécution, ce serait lui permettre de défaire en seconde instance ce que le gouvernement a fait en première, ce serait lui attribuer le droit, non de juger, mais de gouverner ; ce serait, en un mot, déplacer les pouvoirs et donner ouverture aux conflits les plus dangereux, les plus inextricables. Dans ces circonstances, le citoyen blessé dans ses intérêts ou dans sa dignité doit chercher une réparation dans la responsabilité ministérielle. »
Voilà, messieurs, les vrais principes en cette matière ; le pouvoir judiciaire juge et ne gouverne pas ; transporter le gouvernement dans les tribunaux, c'est donner ouverture aux conflits les plus graves, les plus dangereux.
Il ne faut pas confondre ici les mesures en matière d'expulsion et les mesures en matière d'extradition. Ce sont deux domaines tout à fait différents. En fait d'extradition, on comprend parfaitement que le pouvoir judiciaire soit consulté, émette un avis. Pourquoi ? Parce que la demande d'extradition n'est formulée par un gouvernement étranger qu'à la suite d'une instruction judiciaire, commencée ou terminée à l'étranger. Le pouvoir exécutif étranger est en quelque sorte passif, il s'efface devant sa magistrature dans les demandes d'extradition.
C'est sur les réquisitions du pouvoir judiciaire qu'il s'adresse à vous pour demander qu'on lui livre un individu rentrant dans les conditions du traité. Il est donc assez naturel que le gouvernement belge, ayant à examiner non pas un acte administratif ou diplomatique du gouvernement, mais une véritable procédure, que le gouvernement, dis-je, consulte le pouvoir judiciaire. Mais quand il s'agit d'une mesure de police, d'une mesure de précaution pour maintenir la sécurité publique, ce serait une véritable confusion de pouvoirs que d'y faire intervenir la magistrature.
L'honorable M. Demeur proposa d'aller beaucoup plus loin que l'on ne va en matière d'extradition, matière mixte, qui tient à la fois du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.
En effet, messieurs, lorsqu'il s'agit d'extradition, on ne demande à la chambre des mises en accusation qu'un avis et non pas un arrêt, et cet avis ne doit même pas être conforme ; au contraire, l'honorable M. Demeur rend les tribunaux correctionnels juges souverains d'un arrêté du pouvoir exécutif, qui leur est directement déféré.
Vous voyez, messieurs, que cet amendement ne peut, en aucune façon, passer dans la loi.
Il viole manifestement le principe de la séparation des pouvoirs, et n'est qu'une extension abusive de l'article 107 de notre Constitution.
M. Demeur propose un troisième amendement, ainsi conçu :
« En dehors des cas prévus par la loi du 7 juillet 1865 et par l'article 3 de la loi du 3 avril 1848, l'étranger qui se trouve sur le territoire belge ne peut en être expulsé.
« Les mots « résidant en Belgique » sont supprimés dans la loi du 7 juillet 1865, article premier. »
Messieurs, cet amendement est d'une extrême gravité et je dois le combattre de toutes mes forces. Il est le renversement complet de toutes les règles qui ont servi de base à la pratique administrative des cabinets qui se sont succédé en Belgique depuis quarante ans. Il lie les mains au pouvoir exécutif qui a dans ses attributions la police générale du royaume et la mission d'interdire l'entrée de la Belgique aux vagabonds ou aux hommes dangereux qui peuvent troubler la tranquillité publique et compromettre la sécurité et le repos des citoyens.
(page 1620) Si un pareil amendement pouvait être admis, l'administration serait privée du droit de refuser l'accès du territoire aux étrangers qui se présentent à la frontière, soit dépourvus de moyens d'existence, soit précédés d'une réputation détestable, soit même sous le coup de poursuites criminelles.
La Belgique serait ouverte à tous les fuyards des autres nations ; la frontière serait libre et on pourrait y mettre un poteau avec cette inscription :« Ici peuvent pénétrer sans aucun danger, sans risque d'être inquiétés, les malfaiteurs de toutes les nations voisines ». Ces malfaiteurs ne pourraient être éloignés ni inquiétés par la police ; il faudrait toujours un arrêté royal pour en délivrer le pays.
Je pense, messieurs, qu'il suffît de dénoncer un pareil système pour qu'il soit repoussé par tous ceux qui tiennent à ce que la Belgique ne devienne pas le réceptacle de tous les malfaiteurs des nations voisines.
Messieurs, après m'être exprimé sur le fond de ce dernier amendement, je me permettrai de soumettre à la Chambre une observation qui me paraît devoir le faire écarter par une sorte de question préalable.
La Chambre est, en ce moment, saisie d'une seule chose : d'une demande de prorogation de la loi de 1865 ; or, cette loi concerne simplement les étrangers résidant en Belgique. Les dispositions qui règlent l'admission des étrangers qui se présentent à nos frontières ou qui n'ont pas de résidence sur notre sol n'ont rien de commun avec l'objet qui figure à votre ordre du jour. Il suffit de consulter le texte et les discussions de la loi de 1835 pour s'en convaincre, et l'amendement même de M. Demeur prouve que cette loi, comme celles qui l'ont prorogée, n'a d'application qu'en ce qui concerne l'étranger résidant. Eh bien, que fait l'honorable M. Demeur par son troisième amendement ?
Sous prétexte d'amendement, il propose d'abroger toutes les dispositions relatives aux étrangers non résidants et dépourvus de moyens, d'existence. Il ne laisse subsister que la loi de 1865 et l'article 3 de la loi de 1848. Toutes les autres dispositions législatives disparaissent. Nos frontières sont libres et l'administration désarmée. Je crois que ce n'est pas là un simple amendement à la loi dont la Chambre est saisie.
L'honorable M. Demeur est parfaitement libre d'user de son droit d'initiative parlementaire pour faire décider que les lois que le gouvernement applique aux étrangers qui veulent pénétrer chez nous, n'ont plus d'existence légale.
Mais il ne peut pas, à propos d'une loi qui n'est relative qu'aux étrangers résidants, proposer incidemment de bouleverser de fond en comble des lois qui régissent une toute autre situation. Une proposition aussi grave devrait suivre toute la filière tracée par le règlement de la Chambre. Il y a donc, je le répète, une sorte de question préalable à opposer à l'amendement de l'honorable membre.
J'ajoute que le moment est très mal choisi, à la fin d'une session déjà longue, pour soulever une question aussi importante.
Ce n'est d'ailleurs pas incidemment et par voie d'amendement qu'on peut proposer de supprimer une législation de l'examen de laquelle la Chambre n'est pas saisie et dont elle n'a pas à s'occuper en ce moment.
Ceci m'amène, messieurs, à dire quelques mots du décret du 23 messidor an III et de l'arrêté-loi du 6 octobre 1830.
Le gouvernement actuel, comme ses prédécesseurs, croit que ces lois sont encore en vigueur ; il le croit notamment avec l'auteur de la loi de 1835. L'auteur de cette loi, l'honorable M. Ernst s'en expliquait expressément dans son exposé des motifs ; il le répétait à la Chambre à la suite d'interpellations qui lui étaient adressées. L'honorable comte de Theux, ayant à s'expliquer dans cette discussion de la loi de 1835, admettait également l'existence du décret du 23 messidor an III et déduisait les raisons graves qui lui faisaient défendre cette opinion ; tous les ministres qui se sont succédé depuis 1835 ont toujours reconnu l'existence de ce décret et de l'arrêté-loi de 1830 et les ont invariablement appliqués.
Messieurs, ces lois ont été vivement attaquées par des orateurs qui ont pris part à la discussion de 1865, notamment par M. Van Humbeeck et par M. Guillery.
M. Van Humbeeck. - Et par M. Jacobs !
M. Cornesse, ministre de la justice. - L'honorable M. Jacobs a prétendu alors qu'il pouvait y avoir des doutes sur l'existence de ces lois et il a demandé qu'on codifiât cette matière, ce qui, du reste, pourra peut-être se faire dans un avenir plus ou moins éloigné.
Je n'hésite pas, pour ma part, à déclarer qu'il serait à désirer que tout doute sur cette matière pût être dissipé et un jour viendra peut-être où tous nous pourrons nous mettre d'accord sur l'intérêt ici en jeu, sur ce grand intérêt national, qui ne devrait pas diviser les partis.
Je croîs que tous nous sommes disposés à nous tendre la main pour assurer la sécurité et le bien-être du pays et pour empêcher qu'il ne devienne le réceptacle des vauriens et des fainéants des nations voisines.
Messieurs, la question de la légalité de ces dispositions a été discutée en 1865 de la façon la plus approfondie. L'honorable M. Tesch a répondu à cette époque aux observations fort habilement présentées par l'honorable M. Van Humbeeck et je crois que les dissertations de M. Tesch doivent porter la conviction dans tous les esprits impartiaux et non prévenus.
Du reste, messieurs, telle a été alors l'opinion de la Chambre devant laquelle M. Tesch a développé son opinion, puisque depuis lors l'honorable M. Tesch a continué, de l'assentiment et de l'aveu des deux Chambres, à appliquer la loi, ce qu'a fait également après lui l'honorable M. Bara. Il me suffira donc, pour édifier la Chambre, de lui rappeler comment s'exprimait à cette époque l'honorable M. Tesch ; il serait difficile de dire mieux qu'il ne l'a fait les raisons qui militent en faveur de l'application que le gouvernement a faite de l'arrêté de 1850 et du décret de messidor an III.
Voici d'abord, messieurs, comment s'exprimait l'honorable M, Tesch sur l'arrêté de 1830 :
« L'honorable M. Van Humbeeck vous a dit : Il n'y a pas que la loi de 1835 que le gouvernement ait à sa disposition ; il a encore toute une série de lois les unes plus arbitraires que les autres ; il applique des lois qui sont abrogées ; et il ne se contente pas d'appliquer des lois qui sont abrogées ; il procède encore par voie de circulaire.
« L'honorable M. Van Humbeeck a cité l'arrêté du 6 octobre 1830 et la loi de messidor an III ; il a prétendu que l'un et l'autre étaient abrogés.
« Pour soutenir que l'administration de la sûreté publique abusait étrangement de l'arrêté de 1830, il a dû attribuer à cette administration une prétention qu'elle n'a pas ; il vous a dit : L'administration de la sûreté publique soutient qu'en vertu de l'article 2 de l'arrêté de 1830, elle a le droit de demander à chaque individu qui vient en Belgique, les motifs qui l'amènent dans notre pays. L'administration de la sûreté publique n'a pas élevé de semblables prétentions. Elle n'a jamais appliqué l'article 2 de l'arrêté de 1830 ; elle dit que, dans son opinion, l'article 3 de cet arrêté est encore applicable.
« Or, cet article concerne exclusivement les indigents ; il ne concerne ni les réfugiés politiques, ni les voyageurs, ni les autres étrangers qui sont dans le pays.
« Remarquez bien, messieurs, que ce que l'on dit arbitraire, a toujours été pratiqué au vu et au su des Chambres, et ensuite des déclarations les plus formelles faites par les ministres, et que jamais l’administration de la sûreté publique n'a invoqué ni inventé des dispositions pour les appliquer à l'insu du pouvoir législatif. Il suffit de relire, sous ce rapport, la discussion de la loi de 1835.
« Voici, messieurs, ce que déclarait à cette époque le ministre de la justice, M. Ernst :
« Messieurs, les étrangers peuvent se trouver dans trois positions. Ou ce sont des étrangers qui arrivent en Belgique et nous avons le droit de les recevoir ou de ne pas les recevoir en vertu des lois sur les passeports Ces lois ont été exécutées sans interruption et sans contestation, sous l'empire français, sous le régime hollandais et depuis la révolution. Ces lois ont été appliquées au sieur Guinard, et elles eussent été appliquées aux autres évadés de Sainte-Pélagie, s'ils étaient venus en Belgique ; ou bien ce sont des étrangers qui n'ont aucun moyen d'existence, le gouvernement peut leur interdire toute résidence en Belgique en vertu de l'arrêté du 6 octobre 1830.
« Loin de moi la pensée de faire un reproche au gouvernement provisoire d'avoir pris cet arrêté. C'est une disposition sage d'ordre public et du droit des gens. Car on doit pouvoir repousser les étrangers sans ressources qui viennent dans le pays pour l'exploiter. On demande s'il faudra qu'en vertu de l'arrêté du 6 octobre, les étrangers se présentent devant le ministre de la police ou un officier de police pour justifier de ses ressources. Mais cet arrêté est exécuté depuis quatre ou cinq ans sans avoir donné lieu à aucune plainte. Il a été appliqué au sieur Dejudicibus. Des interpellations nous ont été adressées sur cette mesure ; des explications ont été données, mais personne n'a protesté contre l'application de l'arrêté du 6 octobre.
« D'ailleurs, s'il pouvait y avoir quelque doute sur le droit qu'a le gouvernement d'appliquer l'arrêté du 6 octobre, ce doute serait levé par la proposition qu'a faite l'honorable membre auquel je réponds ; car il a proposé depuis longtemps l'abrogation de cet arrêté. La Chambre est saisie de ce projet qu'elle jugera en connaissance de cause. Pour moi, je pense que vous ne pouvez pas abroger une disposition qui est nécessaire, qui existe dans tous les pays.
(page 1621) « Quant aux étrangers qui résident en Belgique, et qui y ont tous les moyens d'existence, peuvent-ils être expulsés ? Nous ne l'avons pas pensé, dans l'état actuel de la législation. Le précédent ministère avait cru pouvoir les expulser, en vertu de la loi de vendémiaire.
« La Chambre n'a pas désapprouvé le gouvernement. Mais nous, nous avons besoin d'une loi, à l'égard des étrangers qui, résidant en Belgique, compromettraient par leur conduite l'ordre et la tranquillité publique. »
Ainsi s'exprimait l'auteur de la loi de 1835, et son opinion était alors admise et ratifiée par la Chambre tout entière sans aucune contestation, pour ainsi dire. La pratique constante de 35 années est venue confirmer et corroborer cette opinion. Aussi M. Tesch a-t-il pu dire avec infiniment de raison en 1865 :
« Après la publication de cette loi, voici comment il a toujours été procédé :
« Tout ce qui concerne les étrangers résidants était réglé par la loi de 1835.
« Tout ce qui avait rapport à l'arrivée des étrangers en Belgique était réglé par la loi de messidor ; et quant aux indigents, auxquels on pouvait aussi appliquer la loi de messidor, on leur appliquait l'arrêté de 1830. »
Ainsi, messieurs, en ce qui concerne l'arrêté-loi du 3 octobre 1830, la démonstration me paraît complète. Mais il y a, dit-on, un arrêt de cassation. Sans doute, mais à côté de cet arrêt il y a la pratique constante du gouvernement qui est contraire, et cette pratique a été approuvée par le pouvoir législatif.
M. Tesch passait alors à la loi du 23 messidor an III, et notez que, comme il le disait lui-même, la question de l'existence de l'arrêté du 6 octobre 1830 n'a qu'un intérêt en quelque sorte historique. L'existence ou la non-existence de cet arrêté est sans importance, parce que le gouvernement n'en a pas besoin ; c'est ce que M. Tesch déclarait dans son discours, de la façon la plus nette et la plus précise.
Messieurs, si, à propos de l'arrêté de 1830, on a pu citer un arrêt de cassation, le même arrêt de cassation, vous le verrez tout à l'heure par la citation de M. Tesch, peut être invoqué pour établir et démontrer le maintien de la loi de messidor an III.
Cet arrêt qu'on invoque pour prouver que l'arrêté de 1830 n'existe plus consacre implicitement dans ses motifs le maintien du décret de messidor an III.
Je laisse de nouveau la parole à l'honorable M. Tesch pour démontrer que ce décret a encore force de loi.
« Je sais qu'il y a eu des contestations sur la question de savoir si l'article 3 de l'arrêté de 1830 était encore en vigueur. Je connais parfaitement l'arrêt de la cour de cassation de 1848. D'autres jurisconsultes prétendent que l'arrêté est encore en vigueur, que l'article 3 a un caractère permanent. Mais, quoi qu'il en soit, c'est là une discussion purement théorique, car, en vertu de la loi de messidor qui est générale, le gouvernement est libre de recevoir ou de ne pas recevoir dans le pays les étrangers qui y arrivent, qu'ils soient ou ne soient pas indigents.
« Mais la force, l'existence de la loi de messidor a été contestée par l'honorable M. Van Humbeeck. Il prétend que cette loi n'existe plus et qu'elle a été remplacée par une loi de germinal an IV.
« M. Van Humbeeck. - De vendémiaire et de germinal.
« M. Tesch, ministre de la justice. - De vendémiaire et de germinal, soit.
« Eh bien, je vais prouver à l'honorable M. Van Humbeeck que c'est une erreur, et j'espère qu'il voudra bien le reconnaître après ma démonstration.
« Lorsque la loi de 1835 a été votée, on a fait le même raisonnement que vous a fait avant-hier l'honorable M. Van Humbeeck.
« On a dit : La loi de messidor était une loi temporaire. Lisez les articles 1, 2, 3 et 4 ; il s'agissait de régler tout ce qui a rapport à la situation des étrangers appartenant à un pays avec lequel la France était en guerre et cette législation purement transitoire a dû disparaître avec les événements qui l'avaient produite.
« Je ne puis mieux faire que de vous donner lecture de la réponse faite par l'honorable comte de Theux, alors ministre de l'intérieur, à l'honorable M. Gendebien qui soutenait, contre l'honorable M. Van Humbeeck, que la loi n'existait plus :
« Je dirai que ce n'est pas en vertu de la loi de vendémiaire an IV que le sieur Guinard a été contraint de sortir de la Belgique, mais en vertu d'une loi dont l'existence n'a jamais été contestée par personne, et conforme aux principes du droit public. En effet, la loi du 23 messidor an III, contient à cet égard les dispositions les plus formelles ; elle porte : Art 5. Les dispositions des articles précédents seront appliquées aux étrangers qui, se prétendant nés dans des pays alliés ou neutres, ne seront pas reconnus et avoués par leurs ambassadeurs et agents respectifs.
« Les dispositions des articles précédents obligent l'étranger à sortir du territoire français.
« L'article 9 est encore plus précis, il porte : « Tout étranger, à son arrivée dans un port de mer ou dans une commune frontière de la République, se présentera à la municipalité : il déposera son passeport, qui sera envoyé de suite au comité de sûreté générale, pour y être visé ; il demeurera, en attendant, sous la surveillance de la municipalité, qui lui donnera une carte de sûreté provisoire, énonciative de la surveillance. »
Puis l'honorable M. de Theux citait l'arrêté du Directoire exécutif, qui prescrit des mesures d'exécution relatives aux passeports des étrangers, et comme on revenait à la charge pour contester l'existence de la loi de messidor, l'honorable M. de Theux répondit ainsi :
« Je me bornerai à parler sur ce qui concerne la loi du 23 messidor an III. J'ai dit que cette loi était en vigueur. Il sera facile de démontrer qu'elle était applicable aux cas auxquels nous l'avons appliquée.
« Cette loi avait deux objets. Les articles 1, 2, 3et 4 s'appliquaient aux étrangers appartenant aux pays avec lesquels la France était en guerre. Mais l'article 5 concernait les étrangers appartenant aux pays alliés et neutres. Il suffit d'en lire le texte pour être convaincu. L'article 5 veut que l'étranger ait été reconnu et avoué par l'envoyé de sa nation. En effet, il faut que l'étranger soit avoué, et pour être avoué, il faut qu'il obtienne un passeport de cet envoyé, c'est un principe fondamental. On n'admet jamais un étranger qu'autant qu'il est pourvu d'un passeport délivré par son gouvernement ou par un agent diplomatique de son gouvernement. La demande d'aide et protection faite en faveur de l'étranger par son gouvernement prouve qu'il est digne d'être reçu. Il y a des exceptions. L'étranger peut se présenter muni d'un passeport du gouvernement ou d'un agent diplomatique du gouvernement du pays dans lequel il se rend. Si M. Guinard avait été porteur d'un passeport délivré par l'envoyé belge à Paris, il eût été muni d'un titre suffisant.
« Quant aux étrangers qui ne sont ni dans l'une ni dans l'autre de ces catégories, le gouvernement a à délibérer s'il peut accorder un passeport de son propre mouvement. Il l'accorde ou le refuse suivant les circonstances.
« L'article 9 de la loi prouve à l'évidence ce que j'ai dit hier à la Chambre puisqu'il exige que tout étranger, à son arrivée dans un port de mer, ou dans une commune frontière de la République, présente son passeport à la municipalité, afin qu'il soit envoyé au visa de son gouvernement.
« Veut-on une nouvelle preuve que cet article n'était pas applicable seulement, comme l'a dit l'honorable préopinant, à un étranger dont le pays ne serait pas connu, qui par conséquent ne serait pas reconnu par son ambassadeur, lisez l'arrêté du directoire du 4 nivôse an V. Cet arrêté établit plusieurs catégories d'étrangers.
« Il est vrai que dans le préambule il est parlé d'émigrés qui rentrent sur le territoire sous le titre d'étrangers. Mais ce n'est là qu'une occasion de rappeler les dispositions de la loi du 23 messidor an III.
« Les dispositions de la loi de l'an V sont générales, sans exceptions, sans limites. Tous les auteurs qui se sont occupés de cette matière n'ont jamais mis en doute l'existence de la loi de l'an III et notamment de l'article que j'ai cité. »
L'honorable M. Tesch, continuant sa démonstration, citait l'arrêt de cassation dont je parlais tout à l'heure et il démontrait, en répondant à l'honorable M. Van Humbeeck, qu'en l'an V, cette disposition de l'an III, loin de n'avoir eu qu'une existence éphémère, existait encore puisqu'on prenait, à cette époque, des mesures pour en assurer l'exécution.
Je fais grâce à la Chambre du reste de cette citation, déjà trop longue. Je me borne à rappeler les dernières paroles du discours de l'honorable M. Tesch.
« La vérité est que l'existence de la loi de messidor a été reconnue par tout le monde en Belgique, par les ministres, en plein parlement, et par la cour de cassation elle-même ; sous ce rapport, aucune espèce de doute ne peut exister.
« Il serait tout aussi facile de prétendre, le lendemain du jour où une loi est votée, qu'elle n'a plus force obligatoire. »
Ainsi, messieurs, ces dispositions existent encore ; elles sont nécessaires ; ce n'est pas le moment de priver le gouvernement de cette arme qui lui est indispensable en tout temps, mais dont il a surtout besoin dans les circonstances que nous traversons, pour assurer le maintien du bon ordre et de la sûreté publique.
(page 1622) Nous sommes à la veille de l'expiration de la loi ; il importe qu'elle soit votée immédiatement pour que le gouvernement ne soit pas désarmé.
L'honorable M. Demeur ne trouvera pas, je pense, qu'il y a de l'exagération dans les dispositions qui protègent chez nous l'ordre public.
j'ajoute qu'il n'y a pas eu d'abus réellement sérieux depuis de longues années. Il y a quarante ans que la loi fonctionne en Belgique.
Y a-t-il eu beaucoup de victimes qui ont fait entendre leurs doléances ?
Je les cherche en vain.
Le bon ordre a été maintenu. Nous sommes parvenus à conserver intacte la moralité de nos populations, précisément à cause des mesures efficaces, énergiques, mais justes, qui ont été prises par le gouvernement, grâce à cette loi qu'on voudrait aujourd'hui briser dans ses mains.
La non-admission des vagabonds, des gens sans aveu, qui voudraient venir exploiter le pays, est aussi une mesure d'absolue nécessité.
Je suis convaincu que la Chambre, dans les circonstances que nous traversons, ne voudra pas affaiblir l'autorité du pouvoir exécutif et qu'elle repoussera les amendements qui auraient pour effet de laisser le pays ouvert à tous les mauvais éléments sociaux.
La Belgique est hospitalière et généreuse. Une foule considérable d'étrangers y trouvent asile et protection. Récemment encore, lors des derniers événements de guerre, le renom de l'hospitalité belge a grandi en Europe. Il n'y a donc rien à redouter de laisser dans les mains du gouvernement des moyens d'action dont il a si sagement usé et qui n'ont d'autre but que le maintien de l'ordre public et la prospérité du pays !
M. Thonissen. - Hier, messieurs, à la fin de la séance, l'honorable M. Demeur m'a sommé, en termes bienveillants il est vrai, de dire si mes opinions sont, en 1871, sous le ministère conservateur, ce qu'elles étaient en 1868, sous le ministère libéral.. Ma réponse sera simple et nette :
Oui, je pense aujourd'hui sur toutes ces matières absolument comme en 1868. Mes opinions n'ont pas l'habitude de changer avec les modifications qui s'opèrent dans une partie de la population de la rue de la Loi.
Fixons-nous d'abord sur l'état réel du problème en 1865.
Je me trouvais alors en présence d’une question de droit et d'une question de fait.
En fait, remarquez-le bien, je déclarais que le gouvernement devait avoir le droit d'expulser, par simple mesure de police, les étrangers non résidants, dépourvus de moyens d'existence. La Belgique, disais-je, ne doit pas devenir l'asile, le réceptacle des mendiants et des vagabonds des nations voisines.
Voilà la question de fait, et sur celle-ci j'étais d'accord avec l'honorable M. Bara. Mais il n'en était pas de même de la question de droit. Ici je disais à l'honorable M. Bara : « La loi du 23 messidor an III et l'arrêté-loi du 6 octobre 1830 n'ont plus force obligatoire ; régularisez la situation ; fixez, par une loi nouvelle et complète, la position légale des étrangers qui se trouvent sur le sol belge. »
L'honorable M. Bara ne répondit pas en détail à mon argumentation ; il me renvoya au discours que M. Tesch avait prononcé en 1865. Il me répondit à peu près dans les termes dont l'honorable ministre de la justice s'est servi en répondant naguère à la section centrale, qui lui demandait si, aux yeux du gouvernement, la loi du 23 messidor an III était encore en vigueur. M. Bara me répondait : M. Tesch l'a dit, il y a trois ans. M. Cornesse répond à son tour : M. Tesch l'a dit, il y a six ans. Dans une autre enceinte on dirait : Magister dixit.
M. Bara. - Ce n'est pas cela.
M. Thonissen. - Vous l'avez dit.
M. Bara. - Je l'ai dit, mais vous interprétez mal.
M. Thonissen. - En tout cas, je puis vous dire que mon interprétation est complètement exempte de malveillance. J'aborde le fond du débat.
Je crois sincèrement que la loi du 23 messidor an III n'est plus obligatoire, et j'en trouve une première preuve dans le titre même, dans la rubrique qui figure en tête de la loi.
Le titre d'une loi ne fournit pas toujours une preuve sérieuse ; il est souvent l'œuvre d'un commentateur et même de l'éditeur d'un recueil de lois. Mais ici, il présente un tout autre caractère : le titre est, dans le cas actuel, l'œuvre de l'auteur même de la loi ; il figure au Bulletin officiel français ; il a été présenté, en même temps que la loi, à la Convention nationale ; il a ainsi une incontestable valeur en droit.
Lisons donc ce titre :
« Loi qui ordonne aux étrangers nés dans les pays avec lesquels la République est en guerre... »
Ces premiers mots prouvent déjà qu'il ne s'agissait que d'une loi transitoire, destinée à fournir des sécurités à la République engagée dans une formidable guerre avec l'Europe.
Nous ne sommes pas, nous, en république, nous ne sommes pas en guerre. (Interruption.)
Patience, messieurs, j'arriverai tantôt à d'autres arguments.
Je continue à lire le titre :
«... est en guerre, de sortir de France, s'ils n'y sont pas domiciliés avant le 1er janvier 1792. »
Le titre consacre donc une exception en faveur des étrangers établis en France avant le 1er janvier 1792.
Où sont aujourd'hui ceux qui pourraient invoquer cette exception ? Ils seraient au moins centenaires.
N'est-il pas évident, messieurs, que ce titre seul atteste que nous sommes en présence d'une simple loi de circonstance ?
Pour prouver le contraire, on me renvoie au discours prononcé par l'honorable M. Tesch, en 1865.
Ce discours était, en effet, des plus remarquables.
L'honorable M. Tesch justifia admirablement tous les faits d'expulsion qu'on lui reprochait, que lui reprochait notamment, je pense, l'honorable M. Guillery. En même temps, avec autant de raison que d'éloquence, il prouva que le gouvernement doit être armé du droit d'expulsion, pour mettre l'ordre et la sécurité publique à l'abri des tentatives des étrangers turbulents et dangereux. Mais est-ce que l'honorable M. Tesch a été aussi explicite, aussi complet dans la partie de son discours relative à la loi du 23 messidor an III ? Non, messieurs, l'honorable M. Tesch est venu dire que l'honorable M. Ernst était d'avis que cette loi était encore en vigueur ; que l'honorable M. de Theux était, lui aussi, d'opinion que la loi de messidor conservait toute sa force ; que d'autres hommes éminents avaient parlé dans le même sens. On a constamment cru au caractère obligatoire de cette loi, disait l'honorable M. Tesch ; on en a jugé ainsi sous le régime français, sous le régime néerlandais, sous le régime belge.
Sans doute, messieurs, cet argument présente une certaine valeur ; mais, on doit bien l'avouer, ce n'est qu'un argument de fait et nullement un argument de droit. A-t-on prouvé que les termes mêmes de la loi de messidor attestent son caractère permanent ? En aucune manière, On s'est écrié : La loi est nécessaire ; tout le monde la regarde comme telle ; tout le monde l'a appliquée ; tout le monde aura donc eu tort depuis plus d'un demi-siècle !
Encore une fois, ce sont là des arguments de fait et non pas des arguments de droit. Ils ne prouvent pas que la loi de messidor n'était pas, en droit, une loi de circonstance.
Je sais bien, et le plus ignorant des candidats en droit sait qu'une loi n'est pas une loi de circonstance, par ce seul fait que les circonstances l'ont provoquée.
Non, il faut que, de l'ensemble de la loi, il résulte clairement que le législateur a eu l'intention, non seulement de faire une loi provoquée par les circonstances, mais encore une loi destinée à disparaître avec ces mêmes circonstances.
Cette double condition est nécessaire, mais je soutiens précisément que l'existence de cette double condition ressort clairement de l'ensemble de la loi du 23 messidor an III, et en voici une preuve à laquelle on n'a pas touché et à laquelle on ne répondra pas.
On prétend qu'il y a dans cette loi des règles transitoires, dont la durée momentanée résulte du texte même, et des règles définitives conçues en termes généraux.
Eh bien, voici une règle conçue en termes généraux et absolus, et vous allez voir si elle est encore applicable en Belgique : c'est l'article 8 qui dit : « Tout étranger trouvé dans un rassemblement séditieux sera réputé espion et puni comme tel. » Certainement voilà une règle conçue en termes généraux, et je vous demanderai si, aujourd'hui encore, on pourrait, on oserait l'appliquer. Sous le régime de la première république française, la sanction de cet article était la guillotine dans les villes, la fusillade dans les campagnes, et aujourd'hui même, pour les délinquants étrangers à l'armée, c'est la peine de dix à quinze années de détention.
L'article 114 du code pénal est exprès à cet égard. Eh bien, encore une fois, oserait-on traîner un étranger devant la cour d'assises pour l'y faire condamner à quinze années de détention, parce qu'on l'aurait trouvé dans un rassemblement séditieux ?
Je conçois, messieurs, qu'on dise : cette loi n'est pas de circonstance, ou bien : Cette loi est de circonstance. Mais qu'est-ce qu'on fait ici ? La loi renferme douze articles, et. on dit : Elle est de circonstance pour onze (page 1623) articles, mais, pour le douzième qui me convient, elle a un caractère permanent.
C'est déjà une singulière manière d'argumenter ; mais je vous prouverai que le douzième article lui-même n'est plus applicable. Je prouverai que le gouvernement lui-même ne l'applique pas tel qu'il est. J'irai plus loin : je prouverai que le gouvernement, malgré toute sa bonne volonté, ne saurait en faire une application régulière.
Voici, messieurs, le système de la loi de messidor an III dans la partie qu'on prétend être encore obligatoire en ce moment : Il faut que l'étranger se présente à l'administration communale ; au conseil municipal du premier village qu'il rencontre à la frontière. Si on le laisse entrer, on lui remet une carte portant les mots : « hospitalité, sûreté », et, s'il n'y a pas de guerre avec le pays auquel appartient l'étranger, on y ajoute le mot : « fraternité ». (Interruption.)
L'article est formel. Si, au contraire, l'étranger est plus ou moins suspect, on lui remet, en vertu de l'article 9, toujours obligatoire selon l'honorable M. Cornesse, une carte provisoire de sûreté, on le place sous la surveillance de la police, et le maire adresse le passeport de l'étranger au comité de salut public, pour avoir ses ordres !
Où est aujourd'hui ce comité de salut public, monsieur le ministre de la justice ? Certainement vous ne prétendrez pas que l'administrateur de la sûreté publique, M. Berdert, que j'honore infiniment, représentera lui tout seul, le terrible comité de salut public ?
Il faut donc, disais-je, avoir l'avis du comité de salut public, et si celui-ci ne repousse pas l'étranger, l'autorité municipale lui permet d'entrer dans le pays et d'y circuler librement.
Est-ce qu'aujourd'hui vous forcez les bourgmestres à jouer ce rôle ? Est-ce qu'on remet encore une carte de sûreté, emportant, comme conséquence directe, la surveillance de la police ? Est-ce qu'on en réfère encore au comité de salut public ? Mais pas le moins du monde ! On place à la frontière un gendarme ou un autre employé de la police qui vérifie les passeports, et tout se borne là. On n'applique donc pas soi-même le fameux article 9 dont on s'obstine à proclamer la force obligatoire.
Je passe maintenant à l'arrêté du 6 octobre 1830. Ici je pense, avec l'honorable ministre de la justice, que la discussion est à peu près théorique. En effet, si on déclare encore obligatoire l'article 9 de la loi du 23 messidor an III, qui permet de repousser du territoire tous les étrangers indistinctement, il est évident que l'article 9 de l'arrêté-loi du gouvernement provisoire du 6 octobre 1830, qui parle des étrangers dépourvus de moyens d’existence, n'a plus, en réalité, qu'une valeur purement théorique.
Je dirai cependant qu'ici encore l'arrêté a un titre au Bulletin officiel, un titre qui indique clairement le but que le gouvernement provisoire voulait atteindre ; ce titre, le voici : « Mesures relatives aux étrangers qui arrivent à Bruxelles, » et puis, immédiatement après, arrive un considérant qui affirme qu'on n'a en vue que les étrangers qui, sous prétexte de venir combattre à Bruxelles pour la cause nationale, y viennent en réalité pour vivre de ressources équivoques.
« Considérant que beaucoup d'étrangers passent en Belgique, les uns avec l'intention honorable d'y porter des secours contre les entreprises du despotisme hollandais, mais d'autres, en grand nombre, pour y chercher des moyens d'existence équivoques, au milieu des embarras inséparables d'un état de transition. »
Et immédiatement après, messieurs, arrivent des mesures transitoires en rapport avec cet état de transition.
Or, que fait-on de nouveau à l'égard de cet arrêté ?
Des quatre articles dont il se compose, on n'en prend qu'un seul, l'article 3, dont on a besoin. On regarde celui-ci comme définitif et les autres comme transitoires. Mais on oublie que cet article 3 est en rapport avec l'article 2, où l'on disait que provisoirement et vu l'urgence, certaines mesures pouvaient être prises à l'égard des étrangers qui se rendaient à Bruxelles pendant la période révolutionnaire.
Franchement, est-ce qu'un tel système peut durer indéfiniment ?
Et ici, puisqu'on invoque l'autorité de l'honorable M. Tesch, autorité très respectable, je puis, à mon tour, invoquer des autorités non moins imposantes : la cour d'appel de Bruxelles et la cour de cassation de Belgique, qui ont déclaré que cet arrêté n'avait jamais eu qu'un caractère purement transitoire, en rapport avec la révolution de 1830.
J'avais envie, messieurs, de faire résoudre la question par la Chambre, au moyen d'un amendement ainsi conçu : « Le gouvernement a le droit d'interdire le séjour du royaume à tout étranger non résidant dépourvu de moyens d'existence. » Mais M. le ministre de la justice a fait une observation qui m'a frappé. Il a dit qu'il ne fallait pas introduire la confusion dans le débat ; que nous traitions simplement la question des étrangers résidant dans le royaume ; que nous pourrions nous occuper plus tard des étrangers non résidants. Il ne faut pas, a-t-il dit, par un simple amendement, introduire cette deuxième question dans la discussion.
Celte observation m'a décidé à ne pas présenter mon amendement. Mais j'espère que M. le ministre voudra bien, en retour, soumettre mes propres observations à une nouvelle étude et examiner sérieusement s'il trouva dans les lois existantes un pouvoir que, d'après moi, il doit posséder, mais que, d'après moi encore, il ne possède pas dans l'état actuel de la législation. Tous doivent convenir que, pour le moins, il y a un doute sérieux qu'il convient d'éclaircir.
Maintenant, messieurs, je dirai, à mon tour, quelques mots des trois amendements présentés par l'honorable M. Demeur.
Permettez-moi d'abord d'émettre une réflexion générale. Il n'y a pas un peuple au monde, ni républicain ni monarchique, qui place l'étranger et l'indigène absolument sur la même ligne quant aux lois de police et de sûreté.
De bonne foi, qu'est-ce qu'il faut éviter ? Une seule chose. Assurément il faut que le gouvernement puisse faire sortir du royaume les malfaiteurs, les vagabonds, les mendiants étrangers ; sous ce rapport, il ne peut y avoir de doute. La seule chose à éviter, c'est que le gouvernement belge, gouvernement à institutions libérales, se fasse l'exécuteur des vengeances politiques d'un gouvernement étranger. Il faut veiller à ce qu'il ne confonde pas l'exilé politique malheureux avec le malfaiteur indigne de recevoir l'hospitalité nationale.
Eh bien, je l'ai dit en 1866 et je le répète encore aujourd'hui, il n'y a eu sous ce rapport aucun abus en Belgique. Je tiens à la main le tableau qui indique les expulsions faites depuis 1865 jusqu'en 1870, c'est-à-dire dans une période de cinq ans. Combien y a-t-il eu d'expulsions pour matières politiques, les seules qui doivent sérieusement nous préoccuper ? Il y en a eu trois : deux en 1865, aucune en 1866 ; aucune en 1867 , deux en 1868, une seule en 1869 ; aucune en 1870.
Convenons-en, messieurs, dans un pays où l'on n'a fait que trois expulsions pour cause politique en cinq ans, il n'y a pas lieu de s'alarmer si fortement dans l'intérêt des étrangers qui viennent demander un asile ! A ce point de vue, la loi que nous discutons ne mérite :
« Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. »
Je ne crois donc pas que les amendements présentés par l'honorable M. Demeur soient indispensables.
Par un premier amendement, l'honorable membre demande que les arrêtés d'expulsion soient motivés. Je crois qu'ils sont toujours plus ou moins motivés ; j'en ai vu qui portaient : « Attendu que (un tel), par son séjour en Belgique, compromet la sûreté publique. »
Si l'honorable M. Demeur se contente de semblables motifs, son amendement est parfaitement inutile. Si, au contraire, il veut qu'on mette que l'individu est expulsé parce qu'il se trouve poursuivi ou qu'il a été condamné pour tel crime, il rend à l'expulsé un très mauvais service. Ainsi, dans un cas l'amendement est inutile, tandis que, dans l'autre cas, il est nuisible à ceux qu'il a pour objet de protéger.
Le deuxième amendement de l'honorable M. Demeur a été éloquemment combattu par l'honorable ministre de la justice. Je n'y insisterai donc pas, je me contenterai de dire que j'y trouve, même dans la forme, quelque chose d'exorbitant. L'étranger pourrait déférer au tribunal correctionnel un arrêté portant la signature du Roi et délibéré en conseil des ministres.
Je suppose qu'on s'empare d'un étranger à Neufchâteau ou à Marche, pour le conduire à la frontière. Cet étranger s'adresse au tribunal correctionnel de Neufchâteau ou au tribunal correctionnel de Marche, et l'un de ces tribunaux pourra casser un arrêté royal délibéré en conseil des ministres !
M. Demeur. - Cela n'est pas dans mon amendement.
M. Thonissen. - Voici ce que porte votre amendement : « La disposition suivante serait ajoutée à la loi du 7 juillet 1865, après l'article 3 :
« Art. 3bis. L'arrêté royal, porté en exécution de l'article premier et motivé sur la poursuite ou la condamnation de l'étranger pour l'un des crimes ou délits qui donnent lieu à l'extradition, sera susceptible d'opposition dans les deux cas suivants :
« 1° Si le fait pour lequel l'étranger est poursuivi ou a été condamné ne rentre pas dans les crimes ou délits qui donnent lieu à l'extradition ;
« 2° Si la poursuite ou la condamnation n'est pas prouvée.
« Le délai de l'opposition sera d'un jour franc.
(page 1624) « L'opposition sera notifiée au procureur du roi de l'arrondissement dans le ressort duquel l'étranger aura été trouvé, avec assignation à comparaître à la plus prochaine audience du tribunal correctionnel de cet, arrondissement.
« Si l'opposition est reconnue fondée, il ne sera pas donné suite à l'arrêté royal ; dans le cas contraire, il sera passé outre. »
Par conséquent, messieurs, le tribunal de Neufchâteau, saisi de la contestation, pourrait dire : On s'est trompé à Bruxelles ; le Roi et ses ministres ont tort ; je ne veux pas que l'arrêté royal soit exécuté ; j'accueille l'opposition !
Il reste vrai que, strictement parlant, on ne cassera pas l'arrêté royal ; il existera, mais il aura une existence toute platonique, puisqu'on ne pourra pas le mettre à exécution. Ne jouons pas sur les mots.
Et puis n'y aurait-il pas, au fond, une étrange confusion de pouvoirs ?
Vous feriez échouer, par la décision d'un tribunal correctionnel, l'exécution d'un ordre rentrant essentiellement dans les attributions du pouvoir exécutif, pouvoir dont la Constitution proclame l'indépendance absolue dans le cercle de sa compétence !
Vous me direz peut-être par un argumentum ad hominem, que j'ai signé, en 1865, un amendement qui disait que le gouvernement devait demander l'avis de la chambre du conseil du tribunal de première instance.
Je ne nie pas ce fait ; mais, en 1868, j'ai reconnu loyalement que je m'étais trompé trois ans auparavant ; j'ai déclaré alors que, après y avoir réfléchi, je ne voulais pas que les tribunaux fissent de l'administration.
Peu importe, du reste, ce que j'ai dit ou fait il y à cinq ans. Votre amendement n'en amènerait pas moins une véritable confusion de pouvoirs, puisque vous feriez suspendre l'exécution d'un arrêté délibéré en conseil des ministres, par décision d'un tribunal correctionnel.
M. Van Humbeeck. - Il ne s'agit pas d'arrêté royal délibéré en conseil des ministres, mais d'un simple arrêté royal..
M. Thonissen. - C'est vrai ; j'oubliais qu'on ne demande l'intervention du conseil des ministres que pour le cas d'expulsion pour cause de tranquillité publique. Mais cette erreur ne renverse, en aucune manière, la thèse que je défends. Le fond de mon argumentation reste complètement intact. C'est toujours le pouvoir judiciaire empiétant sur les attributions du pouvoir exécutif.
Quant au troisième amendement, messieurs, je me réfère également aux observations présentées par l'honorable M. Cornesse.
Je ferai cependant une remarque, en quelque sorte pratique. Si vous supprimez, dans le texte de la loi, les mots que l'honorable M. Demeur veut faire disparaître ; si vous rendez la loi applicable à tous les étrangers résidant ou non résidant en Belgique, il faudra un arrêté royal pour le premier mendiant venu qu'on voudra renvoyer au delà de la frontière. S'il y a mille mendiants, il faudra mille arrêtés royaux.. On ne peut évidemment exiger que la prérogative royale descende à de tels détails. De 1865 à 1870, il y a eu 7,589 expulsions pour défaut de moyens d'existence. Il aurait donc fallu 7,589 arrêtés portant la signature du chef de l'Etat !
J'ai cru qu'il n'était pas inutile de signaler cette conséquence pratique du système que je repousse.
En terminant, je résumerai encore une fois mes idées, car on pourrait peut-être supposer, bien à tort, que je ne suis pas complètement d'accord avec moi-même.
En fait, je partage l'avis du gouvernement ; je crois que celui-ci doit avoir, dans certains cas, le droit d'expulser, par arrêté royal, les étrangers résidant dans le pays, et je pense aussi qu'il doit posséder le droit d'expulser, dans d'autres cas, par simple mesure de police, des étrangers non résidants dans le royaume.
Seulement, je voudrais que le gouvernement fît régulariser sa position ; qu'il cessât d'invoquer une loi qui n'est plus en vigueur ; qu'il nous présentât un projet destiné à lui fournir les pouvoirs nécessaires.
Ce n'est pas à dire, comme l'a insinué hier l'honorable M. Bara dans une interruption, qu'il faille mettre en accusation les ministres qui signent des arrêtés d'expulsion en vertu d'une loi qui, à mes yeux, n'existe plus. Nullement ; en 1835 M. Ernst déclare qu'il regarde la loi de messidor comme obligatoire ; plus tard M. le comte de Theux et M. Tesch viennent tenir le même langage ; en un mot, pendant vingt-cinq ans la Chambre laisse faire le gouvernement sans l'arrêter et sans le blâmer. Dans de telles conditions il est évident qu'un ministre peut répondre : Si je me suis trompé, c'est avec l'assentiment des Chambres.
Je n'irai donc pas demander la mise en accusation des ministres, Je ne veux pas la mort des pécheurs, je demande simplement qu'ils entrent dans une voie plus juridique, plus légale.
M. Bara. - La présentation du projet de loi, tel qu'il est conçu, m'a, je l'avoue, vraiment étonné.
J'ai toujours voté la loi de 1835, et je la voterai, maintenant que je suis dans l'opposition, comme je l'ai votée quand j'étais dans la majorité, comme je l'ai présentée et défendue quand j'étais ministre.
Cette loi, messieurs, je l'ai dit, est une loi de nécessité, mais elle n'est pas une loi de principe.
Tout ce qu'on a pu dire sur cette loi est connu, et malgré cela chaque fois qu'elle a été représentée dans cette enceinte, surtout sous l'administration libérale, elle a été l'objet des plus vives attaques, et d'attaques qui n'atteignaient pas seulement la loi, mais qui avaient pour but le gouvernement qui la défendait.
Aujourd'hui, le débat s'offre sous de meilleurs auspices. L'atmosphère de la Chambre est bien calme. A droite comme à gauche, rien ne présage un orage parlementaire.
Je regrette vivement que, nous libéraux, nous n'ayons pas eu le bonheur de profiter de cet état d'apaisement.
En effet, messieurs, nous avons entendu hier M. Demeur, qui depuis longtemps est un adversaire de la loi de 1835. L'opposition qu'il a faite au projet du gouvernement est, qu'il me permette le mot, la plus anodine qu'il soit possible de faire.
Il a commencé par des éloges qui, je crois, ne sont pas très mérités ; je les examinerai tout à l'heure ; et puis il a proposé des modifications qui nous déroutent complètement au sujet de la portée de l'ancienne opposition à la loi de 1835. Pourquoi combattait-on la loi de 1835 ? C'est surtout pour son côté politique.
On a raison sans doute de s'occuper de la question de savoir si les étrangers condamnés pour les faits prévus par le code pénal ordinaire doivent être expulsés. Il peut, sous ce rapport, y avoir des améliorations à apporter dans notre législation pénale, mais ce n'est pas là une question politique qui divise les partis et fait naître des scissions dans leur sein.
Que vient nous proposer l'honorable M. Demeur ?
Laissant complètement de côté toutes ses objurgations contre la loi de 1835 dans sa portée politique et les hommes qui ont défendu et appliqué cette loi, il demande simplement, modestement, de décider que l'arrêté d'expulsion des malfaiteurs sera motivé et que l'intéressé pourra porter sa réclamation devant le tribunal correctionnel ; il demande aussi l'abrogation de certains articles du décret de messidor an III et de l'arrêté-loi de 1830.
Quant à la classe si intéressante des étrangers, des hommes politiques qui, chassés de leur pays pour malheurs politiques, viennent demander l'hospitalité à la Belgique, pour cette classe l'honorable membre ne demande rien, ne propose rien. Je le regrette, messieurs, non pas au point de vue delà loi en elle-même. Tant mieux si cette question est apaisée, mais je tiens à constater que quand nous étions au pouvoir, l'honorable membre n'avait pas pour nous les ménagements qu'il a aujourd'hui pour nos adversaires. Alors au contraire l'honorable membre provoquait des agitations dans l'opinion publique, avec conscience et bonne foi, je le reconnais, il disait :
« Je n'ai plus qu'un mot à dire. Il faut pétitionner : il faut que la pétition à adresser aux Chambres soit aussi succincte que possible ; qu'elle demande aux Chambres de ne pas proroger la loi de 1835 telle qu'elle est conçue. Il faut aussi qu'elle signale les lois qui n'existent plus et qu'on applique encore, et enfin qu'elle demande aux Chambres de déclarer formellement que ces lois ont cessé d'exister.
« On ne doit plus pouvoir dire désormais que, pour la sûreté de leurs personnes, les étrangers en Belgique subissent les décisions de la police et réclament en vain l'intervention de la justice. »
M. Demeur. -C'est ce que je demande.
M. Bara. - Oui, c'est ce que vous demandez, mais pour ceux-là exclusivement qui tombent sous l'application du code pénal ordinaire, mais vous ne demandez rien pour les réfugiés politiques, pour cette classe intéressante qui fait précisément l'objet des discussions dans le sein de l'opinion libérale.
Evidemment l'honorable M. Van Humbeeck, comme l'honorable M. Guillery, lorsqu'ils combattaient la loi en 1868, ne s'occupaient pas de ceux qui tombaient sous l'application de la loi pénale ordinaire, mais des réfugiés politiques ; c'était pour eux et pour eux seuls que ces honorables membres luttaient.
(page 1625) L'honorable M. Demeur réduit, au contraire, le débat à des proportions telles, que je ne puis réellement admettre que ses propositions soient sérieuses ; je crains même que ce ne soit qu'une défaite ; l'honorable membre n'aborde pas le véritable côté, le côté politique de la question, il ne combat pas même le ministère, quoiqu'il ait des armes toutes prêtes pour cela ; il a des armes très puissantes, et il ne s'en sert pas ; en revanche, il rend des actions de grâces au cabinet pour les modifications insignifiantes qu'il a introduites dans la loi.
M. Demeur reconnaîtra, je l'espère, que ses amendements ont une bien faible portée. Quels sont ces amendements ? Je ne parle pas de celui qui se rattache au décret de messidor an III et à l'arrêté-loi de 1830. Nous examinerons plus tard ces points.
L'honorable membre demande que les arrêtés d'expulsion soient motivés. Eh bien, ce n'est pas d'un grand profit pour l'étranger, il n'en sera pas moins expulsé.
Il demande, en outre, qu'on puisse faire opposition à l'arrêté royal d'expulsion, du chef d'une condamnation ou d'une poursuite judiciaire ordinaires.
Eh bien, messieurs, cela n'a pas de valeur non plus. L'honorable membre croit qu'il aura obtenu quelque chose, en ayant une pareille disposition dans la loi, et de fait il n'aura rien obtenu. C'est mettre un point sur un i.
En effet, il faut savoir ce que c'est, que la pratique.
Comment l'honorable membre peut-il penser que le ministre de la justice, quel qu'il soit, aille dire à un individu qu'il veut expulser : « Vous avez été condamné pour tel crime ou tel délit » alors qu'il ne l'a pas été.
Avant de prendre l'arrêté on s'assure que l'individu qui est l'objet de cet arrêté est bien celui qui a subi ou encouru la condamnation à laquelle l'arrêté s'applique. (Interruption.)
Je veux parfaitement que l'honorable M. Demeur ait par son amendement un système d'apparence plus complet en la forme ; mais il n'aura rien obtenu de sérieux, de pratique ; il n'aura rien amélioré, rien conquis, en supposant qu'on lui concède le modeste amendement qu'il propose à la loi.
C'est donc fort peu de chose. Ici s'arrête ma tâche.
Quant à combattre au fond les amendements, j'en laisse le soin au gouvernement.
Voilà donc pour mes amis de la gauche. La question paraît avoir subi de leur côté un apaisement complet.
Il semble en être ainsi, du reste, pour tout le monde. La Chambre est déserte.
Cette question des étrangers, qui était naguère un grande affaire politique, qui avait suscité des prises d'armes très vives - tout le monde était au combat, tant à gauche qu'à droite - va être très bourgeoisement tranchée, au milieu du plus grand calme, sans aucune agitation possible, et si quelques orateurs n'avaient quelques mots à dire, je pense que la loi serait déjà votée.
M. Demeur. - Elle n'a occupé que deux ou trois séances en 1868.
M. Bara. - Il ne s'agit pas de la longueur des séances, mais de la nature des explications ; et si l'honorable M. Guillery était ici, il pourrait affirmer que la discussion a été assez vive en 1868 ; et l'honorable M. Van Humbeeck, qui est présent, et qui a toujours suivi cette question, sait parfaitement bien qu'il y a eu un échange, de discours très nets entre l'honorable M. Guillery et moi, relativement à la loi sur les étrangers.
Aujourd'hui cela se passe tranquillement. Tant mieux. Cela prouve que la loi que nous avons défendue, est acceptée par tout le monde (interruption), acceptée sans trop de protestation. C'est déjà quelque chose que d'empêcher la poule de crier quand on l'écorche. (Interruption.)
Certainement ! nous n'entendons plus autant de gros et grands mots contre la loi. Il est évident pour nous que cette loi n'est point aujourd'hui discutée dans les conditions de lutte dans lesquelles elle s'est produite antérieurement. (Interruption.)
M. le président.- Vous avez seul la parole, M. Bara ; je ne puis pas permettre que dix membres vous interrompent à la fois.
M. Bara. - Mon honorable collègue, M. Jottrand, m'interrompt et me dit que si le gouvernement actuel n'a pas été aussi vivement attaqué que nous, c'est qu'il a usé du même procédé en présentant la loi à la fin de la session. Mais c'est aussi à la fin de la session que nous avons discuté la loi, et les ardeurs caniculaires, plus vives qu'aujourd'hui, n'ont apaisé l'opposition ni à droite ni à gauche.
Je disais, messieurs, que je m'étonnais vivement de voir le gouvernement présenter la loi telle qu'il la présente et voici pourquoi : c'est qu'il y a dans le gouvernement d'honorables membres qui ont toujours voté contre cette loi et qui l'ont combattue très énergiquement.
En vain leur avons-nous opposé ce qu'avaient fait nos processeurs et toutes les raisons qu'on donne aujourd'hui (car cette matière est vieille de 35 ans), nous ne sommes jamais parvenus à les convaincre. Aujourd'hui ils arrivent au pouvoir et immédiatement ils sont éclairés. Ainsi, messieurs, lorsque l'honorable M. Van Humbeeck proposait tout un système à substituer à la loi de 1835, l'honorable membre avait surtout en vue deux points : il voulait que l'étranger ne fût expulsé qu'à raison des faits commis depuis son séjour en Belgique et il voulait faire intervenir la justice.
L'honorable M. Jacobs s'est déclaré disposer à sanctionner les principes de M. Van Humbeeck et il y était si disposé qu'immédiatement il a fait une proposition ainsi conçue :
« Considérant qu'il importe de réviser toute la législation sur l'admission et le séjour des étrangers en Belgique, la Chambre renvoie le projet renouvelant la loi du 22 septembre 1865, ainsi que les amendements proposés à la section centrale, et l'invite à fondre en un seul projet toutes les dispositions éparses sur la matière. »
Vous me direz que par ces considérants vous ne connaissez pas encore l'opinion de M. Jacobs sur la matière. Je vais vous la faire connaître.
Voici ce qu'il disait : l'article 9 du décret de messidor an III et l'article 3 du décret du gouvernement provisoire sont abrogés ; ces articles, à l'aide desquels se sont faites le plus grand nombre d'expulsions, ne sont plus en vigueur.
Il invoquait ensuite le traité du 17 août 1860 entre la Belgique et la Bolivie, pour démontrer qu'il y avait assimilation complète de l'étranger et du national, et il ajoutait :
« Dans l'incertitude où nous sommes à cet égard, on doit se demander s'il est convenable et digne du gouvernement belge de continuer à appliquer des dispositions dont la légalité est si douteuse. N'est-il pas de son honneur d'avoir une législation complète dont l'existence ne puisse être discutée par personne ?
« C'est, messieurs, je le déclare, ma conviction profonde que l'honneur du gouvernement belge lui commande d'avoir en cette matière une législation claire, nette, complète, et de ne pas se contenter de quelques débris, de vieux décrets d'une autre époque, portés dans des circonstances exceptionnelles et dont on fait cependant une application constante, malgré le changement des institutions et des circonstances.
« Je vous propose de charger la section centrale d'élaborer un projet de loi général sur le séjour des étrangers en Belgique.
« Je crois, comme la plupart des orateurs qui m'ont précédé, qu'il y aura bien des modifications à introduire dans la loi de 1835 et dans les dispositions antérieures. »
Ainsi, messieurs, d'après M. Jacobs, il y avait beaucoup de modifications à introduire dans la loi de 1835 et dans les dispositions en vigueur ; les législations antérieures qu'on invoque se composant de quelques vieux débris qui ne sont plus en vigueur, qui ne sont plus en rapport avec les temps et les circonstances. Et tout à l'heure l'honorable M. Cornesse déclarait que si ces dispositions n'existaient pas, il faudrait en faire de semblables, qu'elles sont indispensables, qu'elles sont nécessaires. Et cependant l'on disait que ce sont de vieux décrets d'une autre époque, portés dans des circonstances exceptionnelles et dont on fait cependant de nombreuses applications, malgré le changement des institutions et des circonstances.
L'honorable M. Jacobs se déclarait disposé à sanctionner les principes de l'honorable M. Van Humbeeck. C'est textuellement extrait de son discours.
Dix-huit membres de la droite votaient la proposition de l'honorable M. Jacobs, et il est prudent de donner leurs noms, pour que ces honorables membres puissent, tout à l'heure, au moment du vote, se souvenir de leur attitude dans l'opposition. C'est une précaution que je crois nécessaire et dont ils auraient dû souvent faire usage depuis que leurs amis sont au pouvoir. (Interruption.)
Voici les honorables membres qui ont voté la proposition de l'honorable M. Jacobs : MM. Hayez, Jacobs, Lelièvre, Magherman, Notelteirs, Reynaert, Schollaert, Van Hoorde, Van Overloop, Van Wambeke, Verwilghen, Coomans, De Haerne, Delaet, de Liedekerke, de Naeyer, Desmet...
M. Julliot. - On apprend tous les Jours.
M. Bara. - On apprend tous les jours. Mais il paraît que l'instruction a été longue, car c'était en 1865 que cela se passait. On arrive en 1868. On aurait pu croire qu'on avait acquis un peu d'instruction. Cela ne change pas ; au contraire, la liste s'enrichit d'un ministre, M. Wasseige, (page 1626) qui, au lieu d'apprendre, d'après l'honorable M. Julliot, désapprend... (Interruption.) et il se produit une opposition nouvelle de l'honorable M. Jacobs qui déclare que le projet de loi doit être ajourné que ce n'est pas possible, qu'on ne peut donner au gouvernement le pouvoir d'expulser pendant trois ans, qu'il faut tout au plus lui donner ce pouvoir pour un an, que d'ici-là on délibérera. Impossible, disait l'honorable M. Jacobs, de rester plus longtemps dans cet arbitraire.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Vous ne discutez pas la loi ; vous faites une revue rétrospective. (Interruption.)
M. Bara. - Je vous instruis, M. Kervyn, et vous devriez me remercier ; je rends compte fidèlement de ce qui s'est passé. On peut rappeler les rétroactes. Pour connaître une loi, on doit bien dire les précédents parlementaires, les discussions qui l'ont amenée.
Donc, messieurs, le 14 mai 1868, M. Jacobs déclarait formellement qu'il était impossible de discuter une pareille loi à la fin d'une session. Il proposait l'ajournement et il obtenait les voix de M. Wasseige, de M. Thibaut, notre honorable vice-président, et de plusieurs autres membres de la droite.
Enfin, messieurs, on proposa d'autres amendements peu importants ; ainsi on proposa de donner à l'étranger huit jours avant de quitter le pays, etc., etc.
Les circonstances étaient très graves alors, nous venions de passer par les troubles de Montigny, où la troupe avait dû faire usage de ses armes ; la population ouvrière était très agitée dans certains bassins, et nous avions en Belgique un homme qui tenait la plume de l'Internationale et qui a été, depuis lors, nommé membre de la Commune de Paris. C'était M. Vésinier. M. Vésinier écrivait les articles les plus violents, il semait dans les masses les doctrines les plus pernicieuses.
Malgré cela, l'honorable ministre des finances d'aujourd'hui, M. Jacobs, voulait désarmer le gouvernement. (Interruption.)
Aujourd'hui les circonstances ne sont pas aussi graves ; je ne crois pas que nous ayons des membres de la Commune en Belgique ; les mesures qui ont été prises par le gouvernement français et par le gouvernement belge ont laissé pénétrer chez nous très peu d'hommes ayant pris part aux derniers événements.
Il y a quelques jours, l'honorable M. Jacobs, au Sénat, reprochait à l'honorable M. Dolez de voter toujours contre les lois qu'il proposait. Je ne sais pas si l'honorable ministre des finances a pensé au vote qu'il allait émettre aujourd'hui ; car, enfin l'honorable M. Jacobs a toujours voté contre la loi sur les étrangers et il va voter pour tout à l'heure et l'on pourrait dire que c'est précisément le mobile qu'il attribuait, à tort, à M. Dolez qui le faisait voter, en 1868, contre la loi. (Interruption.)
Cette opposition que plusieurs membres de la droite faisaient en 1868 à la loi sur les étrangers, cette opposition a disparu. M. Pety de Thozée a cité un discours de M. Tesch, jadis si décrié, et après cela tout est fini.
De plus, en 1868, M. Jacobs déclare que les dispositions du décret de messidor an III et de l'arrêté de 1830 étaient abrogées.
Je comprends qu'un gouvernement qui déclare que ces lois sont en vigueur, les applique, mais je ne comprends pas qu'elles soient appliquées par un gouvernement qui les déclare abrogées.
L'honorable M. Thonissen a invoqué la bonne foi, mais pour celui qui déclare que ces lois sont abrogées, il n'y a pas de bonne foi à invoquer.
Il ne s'agit pas de lois peu importantes, de lois administratives qu'il peut être indifférent, en certains cas, d'appliquer ou de ne pas appliquer. Il s'agit de lois qui touchent aux droits les plus essentiels de l'homme, à |a liberté d'aller et de venir, à la famille, au travail, à l'industrie.
Je me figure la position des honorables MM. Cornesse et Jacobs.
L'honorable M. Cornesse dit à M. Jacobs : « J'ai expulsé 100 personnes aujourd'hui ». M. Jacobs répond :« Vous avez commis 100 actes illégaux ». (Interruption.)
Il est évident qu'on ne peut vivre côte à côte dans une pareille situation, qu'on ne peut faire un bon ménage ministériel, (Interruption.)
Notez que le gouvernement ne pourra pas songer à reproduire le décret de messidor et l'arrêté de 1830.
Car l'honorable M. Jacobs dira : Ce sont de vieux décrets pris pour d'autres circonstances ; il faut beaucoup de modifications à la loi. (Interruption.)
J'expose cela, messieurs, pour que la Chambre et le pays jugent si nous avons toujours été attaqués justement quand nous étions au pouvoir, et si l'on ne doit pas reconnaître que l'opposition s'est créé d'une façon que je ne veux pas qualifier, des amitiés et des appuis en dehors de cette Chambre pour des raisons qui n'étaient pas bien sincères. (Interruption.) Sans doute, nous pouvons rappeler l'histoire de ces derniers temps.
L'honorable M. Coomans et ses amis cherchaient des appuis partout. Nous ne voulons plus de la loi sur les étrangers, disaient-ils.
On se pressait les mains dans les meetings.
L'occasion de se montrer se présente et nous ne trouvons plus personne !
M. Coomans. - Vous me trouverez. Je vote contre.
M. Bara. - Cela n'a pas empêché l'honorable M. Coomans de voter trois fois pour. Numero deus impare gaudet. (Interruption.). L'honorable M. Coomans a défendu la loi en 1849, époque où les esprits étaient très disposés aux idées libérales.
II disait alors :
« La Constitution assure des droits politiques aux Belges et n'en accorde pas aux étrangers. Il s'agit d'empêcher que des étrangers ne fassent pas de la politique désordonnée en Belgique et ne méconnaissent ainsi les devoirs qu'ils ont contractés envers le pays qui les a libéralement accueillis... On a parlé de l'antique hospitalité belge qui doit nous servir d'exemple. Mais anciennement les étrangers jouissaient de moins de garantie en Belgique qu'aujourd'hui. Il ne faut pas avoir lu l'histoire attentivement pour nier ce fait.
« S'il faut des garanties aux étrangers, ce que je ne nie point, il me semble que les Belges peuvent en exiger aussi de leur part. »
Et l'honorable M. Coomans votait la loi. (Interruption.)
C'est l'acete à côté du commentaire ; le commentaire, il le donnait dans la discussion, et il le faisait suivre de l'acte, c'est-à-dire du vote.
M. Coomans a été beaucoup plus loin ; voici ce qu'il disait...
- Un membre. - Qu'est-ce que cela fait ?
M. Bara. - Ce que cela fait ! Mais je n'admets pas, moi, que l'on change tous les jours d'opinion. M. Coomans disait :
« A mes yeux, la meilleure loi sur les étrangers sera celle qui supprimera toutes les lois relatives aux étrangers, en accordant seulement au pouvoir exécutif le droit d'expulser du pays tous les individus étrangers frappés d'une condamnation judiciaire et infamante. C'est le seul droit que je voudrais voir attribuer au gouvernement. Ce droit est conforme, je ne dirai pas au droit des gens, je n'en connais pas, il n'y a pas de droit des gens, mais il est conforme au droit naturel et social et je l'exercerais moi-même de bon cœur.
« Je suis homme, je suis chrétien, et je considère tous les étrangers non seulement comme des Belges - ce serait trop peu dire - mais comme des frères.
« C'est mon devoir, et je n'accorde à personne, pas même au chef de mon pays, le droit d'expulser un honnête homme, parce qu'il n'a pas eu le bonheur équivoque, hasardeux, d'être né à quelques pas de chez moi, dans ma petite patrie.
« J'avoue, je veux être franc avant tout, que j'aime et estime beaucoup plus un certain nombre d'amis que j'ai à l'étranger, que plusieurs millions de Belges que je ne connais pas. »
M. Coomans. - Mais c'est de moi cela et pas de M. Nothomb,
M. Bara. - Certainement c'est de vous ; je ne me suis pas occupé de M. Nothomb.
- Une voix. - Vous avez attribué ces paroles à M. Nothomb.
M. Bara. - Oh ! c'est par erreur, elles sont bien de M. Coomans.
M. Coomans. - Je n'en ai jamais prononcé de meilleures et j'en réclame la paternité.
M. Bara. - Vous l'avez ; vous avez la paternité des deux enfants, le blanc et le noir. (Interruption.)
M. Coomans. - C'est la même pensée.
M. Bara. - Il est évident que le gouvernement n'est pas logique ou tout au moins une partie du gouvernement n'est pas logique.
Quant aux modifications qu'il a introduites ont-elles quelque importance ? Evidemment non ; d'abord le gouvernement substitue au mot « poursuivi » les mots « qui a été poursuivi », c'est-à-dire qu'il prétend que sous le texte actuellement en vigueur, on peut expulser un individu qui a été poursuivi et acquitté, et il veut éviter qu'un individu acquitté puisse être expulsé.
Autant que mes souvenirs sont exacts, la disposition modifiée n'a jamais été interprétée dans le sens qu'on lui donne, et je n'ai pas de souvenance que, pendant les cinq années de mon ministère, l'on m'ait soumis des arrêtés concernant des individus poursuivis et inquiétés.
L'honorable M. Demeur a cité une circulaire de 1840 ; mais cette circulaire ne dit pas du tout ce que l'honorable membre y a vu.
Au surplus, il ne m'est pas démontré que le législateur, quand il s'est (page 1627) servi du mot « poursuivi » a entendu dira autre chose que : placé sous la coup de poursuite.
On veut rendre le texte plus clair, soit ; mais ce que l'on veut a toujours existé dans la pratique.
La seconde disposition que le ministre présente consiste à substituer l'exception pour l'étranger ayant un enfant en Belgique à celle qui existait pour l'étranger ayant des enfants en Belgique.
Les mots « des enfants » ont toujours été employés pour indiquer la postérité ; mais on a même été plus loin que le gouvernement ne veut aller aujourd'hui, et quand la femme était enceinte, on n'expulsait pas ; ainsi, sous ce rapport, on pourrait encore introduire une amélioration dans le projet. (Interruption.)
Vous dites : des enfants nés dans la pays. Eh bien, dans la pratique, on a toujours été plus loin et on n'expulsait pas quand un enfant devait naître.
Le troisième point est le plus important : c'est l'engagement que prend le gouvernement de fournir, chaque année, un rapport sur l'exécution de la loi de 1835.
Eh bien, je demande à l'honorable ministre à quoi va aboutir ce rapport ? Se bornera-t-il à mentionner les expulsions qui auront été faites ou les expulsions qui n'auront pas été faites parce que les personnes qu'il s'agissait d'expulser auront consenti à partir ?
En effet, en matière politique, souvent, toujours même avant d'expulser an étranger, on le fait appeler et on lui demande s'il veut quitter le pays, sinon il y sera obligé ; si l'étranger ne consent pas, on prend alors des mesures de rigueur. Voilà comment se passent les choses en pratique.
L'honorable ministre va-t-il nous rendre compte aussi des cas de ce genre ? Va-t-il nous dire : Pendant le courant de telle ou telle année, il s'est présenté autant de cas, j'ai fait appeler les personnes en cause, il en est parti autant volontairement et il en est resté autant ? C'est, je crois, ce qui doit se faire d'après le projet de loi, car, en 1868, l'honorable M. Jacobs demandait que le rapport tînt compte des conversations de l'autorité avec les étrangers invités à quitter le pays.
Voici ce qu'il disait :
« L'honorable M. Jacobs a cité un fait. L'honorable M. Guillery a cité un fait notoire, celui du général Prim, dans lequel il n'a pas été porté d'arrêt d'expulsion ; on l'a évité en prévenant le général que s'il ne quittait pas le sol belge, il serait expulsé. Je pourrais citer plusieurs cas semblables. J'en tire un nouvel argument en faveur de la demande d'un rapport annuel sur les mesures prises à l'égard des étrangers. »
Ces paroles s'appliquaient non seulement aux étrangers réellement expulsés du pays, mais à ceux-là aussi qui s'éloignaient volontairement ; c'est pour ces différents cas que, par un amendement, on demandait un rapport.
S'il en doit être ainsi, je dois montrer à la Chambre les inconvénients d'un pareil système.
Si le rapport ne doit contenir que les arrêtés réels d'expulsion, c'est une véritable plaisanterie. Nous aurons toute une série d'individus expulsés pour crimes ou délits prévus par la loi sur les extraditions et je doute fort même qu'on nous donne leurs noms ; on se bornera à dresser un tableau...
M. Cornesse, ministre de la justice. - En effet.
M. Bara. - L'honorable ministre dit que c'est bien ainsi que les choses se passeront ; mais s'il s'agit de publier les arrêtés d'expulsions politiques, ces arrêtés-là sont connus, c'est que les étrangers qui en sont l'objet n'ont pas voulu quitter le pays, c'est qu'ils protestent contre une décision qu'ils considèrent comme injuste et cette protestation sera certainement livrée à la publicité, elle peut même franchir le seuil de cette Chambre ; mais si l'étranger se résigne, s'il se tait, pourquoi voulez-vous faire connaître la décision qui le frappe ?
L'honorable M. Demeur nous dit que c'est dans un intérêt de moralité ; il oublie la nature de la question ; cette loi que nous discutons n'est pas une loi de principe ; quelquefois l'étranger doit être sacrifié à l'intérêt belge ; vous ne vous trouvez pas devant un coupable, vous êtes quelquefois dans la nécessité de frapper l'étranger dans votre propre intérêt. Je voudrais savoir de quel droit vous pouvez ajouter à la peine dont vous le frappez celle de la publicité ? La loi sur les étrangers est une loi de nécessité internationale, imposée non par le principe, mais par le droit international ; son principe, je l'ai combattu. (Interruption.)
Oui, j'ai combattu le principe de la loi, mais nous ne pouvons pas nous passer d'une loi. (Interruption.)
Est-ce que vous sacrifieriez votre pays et ses habitudes à un principe que vos voisins n'admettraient pas ? Est-ce que, pour conserver un étranger dans le pays, vous appellerez l'invasion et la destruction de tout ce qui est cher à la patrie ? Sans doute, nous supporterions ces sacrifices, s'il fallait arbitrairement frapper l'étranger. Mais nous le prévenons par une loi de la situation que lui fait la législation de son propre pays. C'est à lui de respecter cette situation. (Interruption.)
L'intérêt du pays n'est-il pas de sauvegarder notre indépendance et notre nationalité ?
Quand j'étais ministre de la justice et que des républicains français, réfugiés en Belgique, venaient réclamer auprès de moi contre la loi sur les étrangers, qu'est ce que je leur disais, même aux plus illustres : « Quand en France vous étiez les maîtres du pouvoir, que vous étiez les chefs de l'Assemblée nationale, pourquoi n'ayez-vous pas proposé en France l'abrogation de la loi sur les étrangers, bien plus rigoureuse que la loi belge, car elle livre le Belge au caprice d'un préfet. C'eût été un bon exemple donné par un grand peuple ; mais cet exemple, vous ne l'avez pas donné ! C'est aux grandes puissances à agir dans cette matière. Sans elles, nous ne pouvons rien. » (Interruption.)
Si nous ne le faisons pas, nous ne serions plus défendus par les puissances ; nous serions de nouveau exposés aux attaques dont nous avons été l'objet au Congrès de Paris, en 1856.
Je regrette que le gouvernement belge doive agir ainsi ; mais que la France, l'Autriche, l'Allemagne fassent disparaître de leurs codes les lois qui expulsent les étrangers, la Belgique sera heureuse de suivre cet exemple. (Interruption.)
Je dis donc que l'amendement de M. Demeur peut, dans des cas déterminés, ajouter une peine à la loi.
Si M. le ministre de la justice doit rendre compte des conversations qu'il a eues avec les étrangers qui doivent être expulsés, je vous demande quelle législation vous allez faire contre les étrangers.
Voilà un homme qui a écrit en Belgique un article dans un journal ; on l'expulse, du chef de ce fait politique ; cet étranger sera parti volontairement ; et vous allez exiger que le fait soit connu ; que le nom de cet étranger soit mentionné dans un document public. Mais vous allez donner à toutes les polices secrètes de l'Europe des armes pour frapper cet homme ; vous allez dire à la France, à la Hollande, à l'Allemagne, etc. ; « Voilà un homme qui a dû être expulsé de Belgique, parce qu'il a fait telle chose. »
C'est un grand inconvénient.
Messieurs, j'ai été ministre de la justice ; eh bien, une des premières choses que cherchent toutes les polices secrètes, c'est d'avoir des papiers imprimés sur tous les hommes politiques révolutionnaires.
Eh bien, si vous imprimez quelque chose sur les hommes qui quittent le pays, ces papiers vont tomber dans les mains des polices secrètes, et loin d'être utile à l'étranger, vous allez signaler à l'attention de tous les autres pays les faits qui sont mis à sa charge.
Puis, il y a un intérêt international. Je suppose qu'on découvre en Belgique un complot contre une puissance, l'étranger, auteur du complot, est expulsé.
Eh bien, croyez-vous qu'il soit utile de dire urbi et orbi : Nous avons découvert un complot. Vous allez éveiller l'attention de l'Europe sur nous, sur ce nid de révolutionnaires, vous allez provoquer contre nous des mesures plus graves de la part des puissances étrangères.
Donc, tant au point de vue de l'étranger qu'au point de vue belge, nous n'avons aucun intérêt direct à dire et à savoir ce qui se passe dans le cabinet du ministre de la justice, quand il expulse un étranger.
Si un étranger veut que les faits qui le concernent soient connus du public, il s'adressera soit à un journal, soit à un représentant qui fera une interpellation, soit à la Chambre, et de cette manière les faits seront connus.
D'un autre côté, on ne peut pas vouloir que le gouvernement fasse connaître les faits, quand l'étranger ne le veut pas, lorsque précisément pour éviter la publicité, pour éviter l'éclat, l'étranger quitte le pays. L'amendement du gouvernement ne signifie donc absolument rien. Il ne reste plus que la publication des arrêtés d'expulsion des individus qui ont été réellement expulsés du pays.
Mais, messieurs, cela est une plaisanterie, car ces arrêtés-là sont connus ; celui qui a résisté, celui qui est resté malgré la recommandation du gouvernement ne demande pas mieux que de faire connaître son expulsion et de ce chef nous n'aurons aucune espèce d'éclaircissement par le rapport de M. le ministre de la justice.
Il est donc évident que le projet de loi de M. le ministre data justice laisse la loi de 1835 absolument ce qu'elle était autrefois, qu'il ne lui fait subir aucune modification.
(page 1628) Je le voterai, mais je ne sais si tout le monde fera comme moi. (Interruption.)
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, vous venez d'entendre les regrets et les lamentations que provoque chez l'honorable M. Bara une, discussion de la loi des étrangers, beaucoup plus calme aujourd'hui que du temps où il était ministre. Il regrette profondément que le gouvernement actuel n'éprouve pas l'opposition que rencontrait le gouvernement précédent.
Il en fait d'amers reproches a l'honorable M. Demeur. Que vous êtes changé depuis lors ! lui dit-il. Cette opposition si vive est devenue excessivement anodine ; mettez-y donc un peu plus de violence ; mettez-y donc un peu plus de fiel ! Attaquez donc l egouvernement avec un peu plus d'énergie ! Si vous n'avez pas d'armes, je vous en passerai ; en voici. Attaquez M. le ministre des finances, attaquez M. Wasseige, attaquez M. Thibaut, attaquez tous les membres de la droite.
Le croirait-on ? l'honorable M. Demeur, au lieu de combattre le gouvernement, va jusqu'à lui faire des compliments au sujet des modifications qu'il propose d'introduire dans la loi de 1835 ! Au lieu de féliciter le gouvernement, ce sont des reproches qu'il fallait lui adresser ; toutes les modifications sont insignifiantes.
Messieurs, l'honorable M. Bara est le dernier qui devrait tenir ce langage, le dernier qui devrait adresser des reproches d'inconséquence à moi et à mes amis.
En 1865, comme encore aujourd'hui, l'honorable membre disait : La loi n'est pas bonne ; je la voterai sans enthousiasme. Je subis des nécessités. Aujourd'hui il va jusqu'à dire : Je la voterai sachant qu'elle est injuste.
Sous l'empire de ces idées, M. Bara, en 1865, a essayé d'apporter, lui aussi, sa petite amélioration à la loi de 1835. Il trouve les nôtres insignifiantes, mais la sienne a une importance capitale.
M. Bara. - Jamais de la vie je n'ai dit cela.
M. Jacobs, ministre des finances. - Enfin, il fallait présenter un amendement en adhérant à cette loi injuste ; l'amendement fut celui-ci : « Les expulsions basées sur un motif politique seront délibérés en conseil des ministres. » Et grâce à cela, la loi de 1835 est véritablement améliorée.
Jusque-là les arrêtés d'expulsion n'étaient l'œuvre que du ministre de la justice et du roi. Depuis, les collègues du ministre de la justice, qu'il consultait toujours, doivent en délibérer en conseil et voilà la loi améliorée.
M. Muller. - Evidemment.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, lorsqu'on compare cette petite modification, introduite alors, avec les trois ou quatre modifications que nous proposons aujourd'hui, tout homme impartial reconnaîtra que les modifications d'aujourd'hui sont infiniment plus importantes que celles d'alors, malgré les efforts qu'a faits M. Bara pour démontrer le contraire.
Pour en atténuer l'importance, il a soutenu qu'elles ne changent rien à la loi, que jamais on n'a appliqué la loi de 1835 à l'étranger qui a été poursuivi et acquitté.
C'est une erreur. L'honorable M. Tesch, dans la discussion de 1865, a soutenu, dans le discours dont on a fait l'éloge à diverses reprises, que l'étranger poursuivi et acquitté peut être expulsé en vertu de la loi de 1835.
Je sais que le contraire a été soutenu aussi ; c'est pourquoi nous avons cru utile de dissiper ce doute et de trancher la question dans le sens le plus favorable à l'étranger.
J'admets volontiers que lorsque la loi dit « des enfants », en pratique, on l'applique même à celui qui n'en a qu'un. Mais ici encore un texte de loi est infiniment préférable à toutes les pratiques du monde.
Vient enfin le rapport annuel.
Ah ! cela n'est rien ! mais c'est un des points qui ont été les plus réclamés dans les discussions précédentes. Cela a été réclamé par l'honorable Guillery, par l'honorable M. Coremans, par plusieurs autres membres, qui citaient l'exemple de la Hollande, où la loi sur les étrangers prescrit un rapport annuel.
Nous donnons satisfaction aux réclamations manifestées ici. Nous promettons un rapport comme on en fait en Hollande. Et le jour où nous accordons ce qu'on a tant réclamé, on vient nous dire : Cela n'a pas d'importance.
M. Bara. - Que contiendra ce rapport ?
M. Jacobs, ministre des finances. - M. le ministre de la justice, qui fera ce rapport, sera beaucoup plus à même de vous le dire que moi. Mais il est certain que ce rapport ne peut contenir des conversations qui auraient eu lieu et qui n'auraient pas été suivies d’exécution ; car où s'arrêterait-on ? S'arrêtera-t-on aux conversations de l'administrateur de la sûreté publique ? Ce serait une ligne de démarcation assez nette. Faut-il descendre plus bas ? Faut-il descendre jusqu'aux conversations du commissaire en chef de police, aux conversations du commissaire adjoint, aux conversations des simples agents de police ? Il est impossible de déterminer où il faudrait s'arrêter.
M. le ministre de la justice aura à faire un rapport sérieux, dans lequel il indiquera l'usage qu'il a fait de la loi. Si la Chambre juge que le rapport n'est pas suffisant, elle pourra lui demander des explications plus complètes pour l'année suivante, quand il fera son second rapport..
L'honorable M. Bara rappelle qu'à propos d'une proposition de l'honorable M. Van Humbeeck, j'ai demandé l'ajournement de la loi, et le renvoi à la section centrale de la loi et des amendements.
Je ne me suis jamais prononcé dans cette enceinte sur la question qui faisait le fond de l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck, sur l'intervention de la magistrature dans les expulsions. Mais j'ai cru qu'à une époque où la loi sur les étrangers n'existait plus depuis un an environ, il n'y avait pas très grand inconvénient à prolonger cette période et à en profiter pour aboutir à une loi nouvelle.
J'ai toujours été imbu de cette idée qu'au lieu de puiser, au fur et à mesure des besoins, dans le vieil arsenal des lois de la république et de l'empire, il serait préférable de faire une loi unique, comprenant tout ce qui concerne l'étranger ; c'est dans l'espoir d'arriver à cette loi que je demandais un nouvel examen de la question et le renvoi de l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck à la section centrale.
J'ai contesté à cette époque la validité de deux de ces lois, celle de messidor an III et l'arrêté-loi de 1830.
La Chambre comprend que je ne me suis pas livré, à propos de la discussion actuelle, à un nouvel examen approfondi de cette question de droit. Mais ce que j'ai dit à cette époque est soutenu encore aujourd'hui par de bons esprits, par l'honorable M. Demeur, par l'honorable M. Thonissen.
J'en conclus, comme lui, qu'il est utile que le gouvernement, quel qu'il soit, soumette aux Chambres un projet où toutes les questions relatives aux étrangers soient traitées de façon à ne plus laisser place au doute.
Je comprends que, tant que mon collègue de la justice n'a pas eu le temps d'élaborer une loi pareille, il applique les lois qui ont été appliquées par tous les gouvernements jusqu'à présent.
Je n'ai pas dans leur validité la même foi que mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, mais des querelles de ménage de ce genre ne sont pas de nature à entraîner des dislocations ministérielles. Je souhaite qu'il n'y en ait jamais de plus graves dans le cabinet dont nous faisons partie.
Je pense aujourd'hui ce que je pensais à cette époque, et ce que j'ai dit à différentes reprises, qu'il serait utile d'avoir une législation complète sur les étrangers, et je répète encore ce que je disais alors, que beaucoup de dispositions qui se trouvent dans la législation actuelle devraient disparaître, non pas seulement de la loi de 1835, à laquelle nous apportons différents amendements, mais encore de ces vieilles lois que l'on invoque successivement.
Je pense qu'il est impossible de maintenir ces lois telles qu'elles sont et qu'il faudra nécessairement y introduire des modifications pour les rajeunir.
Je m'attends bien, quand nous proposerons ces modifications, à ce que l'honorable M. Bara les traite d'insignifiantes, mais je n'en persiste pas moins à croire que quand le gouvernement en aura le loisir, il fera chose utile en codifiant toutes ces dispositions éparses. (Interruption.)
On me rappelle encore, messieurs, qu'à différentes reprises j'ai signé l'impossibilité de discuter la législation sur les étrangers à la fin d'une session ; c'est encore mon avis qu'il est impossible de discuter toutes ces questions d'une manière complète à la fin d'une session ; il est impossible qu'une discussion, à pareille époque, puisse aboutir à cette loi générale.
Je reste donc, messieurs, conséquent avec les opinions que j'ai défendues.
Si je vote aujourd'hui cette loi que j'ai combattue dans deux occasions précédentes, ce n'est ni que j'en sois le partisan absolu, ni que j'en fusse l'adversaire, irréconciliable auparavant ; nous demandions an gouvernement de se prêter à des améliorations et mes votes négatifs étaient une protestation contre son refus. Aujourd'hui que le gouvernement lui-même prend l'initiative des améliorations, je voterai la loi.
(page 1629) M. Guillery. - Messieurs, je crois que ni la Chambre ni le pays ne se plaindra que la discussion soit modérée, d’autant plus que la modération n'exclut pas la constance dans les opinions, et le dévouement aux principes, le dévouement à nos libertés et même à la liberté des étrangers qui résident parmi nous.
La loi de 1835 a toujours été votée à regret, elle a toujours été considérée comme exceptionnelle, comme exorbitante.
Si elle n'a pas toujours, à tous les renouvellements triennaux, donné lieu aux mêmes discussions, cela se comprend. La dernière grande discussion, la plus mémorable peut-être a été celle de 1865.
Cette fois, la Chambre avait été saisie en temps opportun ; la question a pu être discutée pendant plusieurs séances successives, de la manière la plus large, la plus complète, mais aussi, il faut bien le dire, tant de la part du gouvernement que de la part de l'opposition, de la manière la plus digne, la plus modérée.
Je crois que tout le monde nous rendra cette justice.
Différents systèmes se sont produits. Différents systèmes ont été discutés et leur présentation a prouvé, alors même qu'ils ne triomphaient pas, combien l'opinion publique se préoccupait des moyens de donner des garanties à l'étranger et, récemment encore, dans un débat de la plus haute importance, à l'occasion de l'expulsion d'un illustre étranger, la Chambre et le pays ont pu voir qu'il y a des hommes toujours prêts à défendre leurs convictions dans les circonstances les plus difficiles et les plus pénibles pour eux ; qu'alors même qu'ils se trouvent en infime minorité, qu'ils sentent qu'il y a contre eux un mouvement de l'opinion publique, qu'ils peuvent redouter, dans leur défiance d'eux-mêmes, de ne pas pouvoir lutter contre toutes les forces qu'on leur oppose, ils n'hésitent pas à soutenir leurs convictions et à défendre ceux qu'ils croient injustement poursuivis.
Je puis d'autant mieux, messieurs, revendiquer, pour mes honorables amis, la dignité et la noblesse de ce rôle que je me suis borné à admirer leur courage et leur talent en émettant un simple vote à l'appui de leurs discours.
L'événement même qui a donné lieu à cette discussion a renforcé cher moi la conviction que la loi contre les étrangers est un malheur et une inutilité, qu'elle est un danger pour le gouvernement bien plus qu'une protection pour le pays.
Je ne puis admettre que, sur une partie quelconque de notre droit public, il y ait des droits qui restent sans protection.
Je ne puis admettre l'arbitraire contre l'étranger pas plus que contre les nationaux.
Je ne puis admettre qu'un homme puisse être expulsé sans avoir de défenseur, sans avoir communication des pièces dirigées contre lui, des témoignages qui l'accusent, sans qu'il y ait publicité des débats.
M. Defuisseaux. - Très bien !
M. Guillery. - On parle de nécessité politique.
Quelle est, messieurs, la mesure arbitraire, tyrannique, oppressive qui fait été expliquée de cette manière ?
Depuis les mesures de circonstance, comme on disait sous la Restauration, jusqu'aux coups d'Etat, n'est-ce pas toujours la nécessité de maintenir l'ordre public, d'assurer la sécurité de la famille et de la nation qui a été invoquée ?
Tous les gouvernements ambitionnent le rôle de sauveurs de la société. C'est une faiblesse qui atteint tous les gouvernements à des degrés différents. La maladie est générale.
On expulsait récemment un étranger parce qu'il avait écrit une lettre.
Il me semblait, à moi, dans ma simplicité, qu'à une lettre on répond par une autre lettre ; que si cette lettre était mauvaise la réponse était d'autant plus facile et la victoire d'autant plus sûre.
On a préféré lui répondre en cassant ses carreaux à coups de pierres, par une manifestation bruyante et brutale...
M. Defuisseaux. - Et impunie.
M. Guillery. - ... et le gouvernement a sévi contre celui qui avait écrit la lettre.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Et la Chambre a approuvé cet acte.
M. Guillery. - M. le ministre, je n'ai pas dit un mot qui constitue une attaque contre le gouvernement actuel ; je sais parfaitement quel a été le vote de la Chambre.
Je parle contre la loi et je me permets de dire mon opinion sur le dernier acte dont il s'agit et qui me paraît rentrer complètement dans la discussion. Mais puisque vous m'interrompez, je dirai que la Chambre n'a pas en tout ratifié cet acte, elle n’a pas approuvé que les auteurs d’injures, d’outrages, de bris de carreaux restassent impunis.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Je n'ai pas dit cela,
M. Guillery. - Je cite cet exemple précisément parce qu'il me permet de traiter la question en théorie et en l'appuyant d'un fait éloquent par lui-même ; il me permet de traiter la question sans qu'on puisse croire qu'il y a dans mes paroles aucune espèce de passion politique : je me sépare de plusieurs de mes amis aussi bien que de mes adversaires politiques.
La Chambre a ratifié la conduite du gouvernement. Je dirai même que l'opinion publique a ratifié le vote de la Chambre ; la Chambre s'est montrée le fidèle interprète de l'opinion publique. Cela n'empêche pas que je ne puisse partager cette opinion et c'est sur ce point que je demande à m'expliquer.
Les gouvernements s'exagèrent les situations ; le gouvernement qui a expulse M. Victor Hugo voyait dans une lettre un danger pour la paix publique, une excitation à des troubles ; les malheurs de Paris surexcitant les imaginations, on a craint pour Bruxelles des manifestations semblables à celles qui ont éclaté dans la capitale de la France, on a craint des excitations à des crimes odieux et l'opinion publique a été entraînée par le gouvernement.
Mais je suis convaincu que, lorsque les passions seront calmées, on regrettera qu'un acte semblable ait pu émaner du gouvernement ; on verra là une faiblesse comme on verra une faiblesse dans la non-répression des délits commis contre un vieillard qui méritait au moins la protection des lois.
Je dis, messieurs, qu'à toutes les époques les gouvernements ont cru qu'un certain nombre de lois de circonstance, de lois exceptionnelles, d'actes arbitraires était nécessaire pour sauver la société. Depuis, la liberté a fait des progrès, on a cru que le droit pouvait être assuré à tous les citoyens et insensiblement il s'est trouvé que tous les droits ont été garantis, on a cessé de croire que les emprisonnements à la Bastille fussent nécessaires pour protéger l'ordre et la famille ; mais on croit, au contraire, que les emprisonnements arbitraires étaient des délits, et les lois ont puni sévèrement les arrestations arbitraires ; on a cessé de croire que la torture était nécessaire et il y a même aujourd'hui beaucoup de bons esprits qui croient que la peine de mort est plutôt nuisible qu'utile aux intérêts de la société.
Mais je m'écarte de mon sujet et je le regrette d'autant plus que. je reconnais qu'il est impossible, dans le moment actuel, de débattre les grandes questions soulevées par la loi de 1835 comme on les a débattues en 1865 ; il est impossible que nous passions en revue en ce moment les questions qui touchent à ce qu'il y a de plus délicat dans l'organisation des différents pouvoirs.
L'honorable ministre des finances disait tout à l'heure que c'est un mal de voir proposer des lois semblables à la fin d'une session ; à ce mal il y a un remède, c'est l'ajournement, non pas l'ajournement qui aurait pour conséquence de priver le gouvernement des pouvoirs nécessaires, mais un ajournement qui aurait pour conséquence de voter une loi qui ne serait en vigueur que pour peu de mois, afin de forcer le gouvernement à venir, dans le commencement de la session prochaine, nous présenter un projet que nous pourrons adopter après l'avoir mûrement examiné.
Je suis d'autant plus porté à proposer cet ajournement que je constate que, dans l'opinion de beaucoup de nos collègues, cette loi ne doit être votée qu'à raison des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons.
D'un autre côté, nous devons examiner la légalité d'un grand nombre de dispositions législatives qui concernent les étrangers ; il est nécessaire que nous ayons, à cet égard, non pas seulement une discussion publique, mais même un travail préparatoire dans les sections.
Je me rallie donc au vœu auquel on faisait allusion tout à l'heure de voir fondre en un seul corps de loi tout ce qui concerne les étrangers ; il importe qu'en une matière aussi délicate on sache s'il y a de l'arbitraire et quelles sont les limites de cet arbitraire.
Le, gouvernement peut-il expulser en vertu de telle ou telle loi ? Ne peut-il expulser qu'en matière politique ? Quelles sont les limites de son pouvoir ?
Voilà ce que nous ne savons pas. On a discuté la loi de 1835, on a discuté aussi la légalité d’autres dispositions qui sont appliquées par le gouvernement, mais la Chambre n'a jamais statué sur ce point, de sorte qu'aujourd'hui, la loi n'est pas consacrée législativement et d'une manière (page 1630) incontestable ; dans cette enceinte comme ailleurs, il y a bien des divergences d'opinions.
Il importe donc que nous sortions de cet état d'anarchie législative ; il importe qu'il y ait une certaine harmonie dans nos lois. Selon moi, si l'on cherche avec patience et persévérance, on trouvera le moyen de donner, même en matière politique, des garanties à l'étranger. Je ne vois pas pourquoi le pouvoir judiciaire, qui a pour mission de juger les ministres et les cas de responsabilité ministérielle, questions de l'ordre le plus élevé, qui statue en dernier ressort sur la mise en accusation proposée par les Chambres, je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas juger les intérêts qui se trouveraient en jeu par l'expulsion d'un étranger.
La question de savoir si, en expulsant un étranger, un ministre a compromis la responsabilité ministérielle, est-elle donc d'un ordre plus élevé que celle de décider si, dans la gestion des intérêts de L'Etat, il a également compromis cette responsabilité ?
Je pense, quant à moi, que le rôle du pouvoir judiciaire permettra de trouver une formule qui accordera une certaine protection à l'étranger. Si j'insiste autant sur ce point, c'est que je trouve qu'il existe un peu d'arbitraire en matière d'expulsion ; nous voyons non seulement des étrangers expulsés par des arrêtés royaux, mais d'autres qui partent soi-disant volontairement parce qu'on les menace d'un arrêté royal et d'autres encore auxquels on assigne une résidence dans le pays ou auxquels on interdit certaines professions.
Nous avons eu M. Versigny, à qui le gouvernement a interdit de donner un cours d'histoire de droit romain ; et malgré la défense de ses intérêts et des intérêts de la science et de la liberté présentés ici par les honorables MM. Orts et Verhaegen, M. Versigny n'a pas pu donner son cours.
Nous avons eu M. Labrousse, qui avait pendant un grand nombre d'années dirigé avec succès un grand établissement d'instruction moyenne. Il était rentré en France en 1848. Exilé de France, à la suite des événements de 1851, il est rentré en Belgique où il n'a pu pratiquer son honorable profession ; il s'est vu menacer d'expulsion s'il donnait de nouveau un enseignement qui ne pouvait qu'être utile au pays et profitable aux citoyens.
Il y a donc dans une loi semblable une large porte ouverte à l'arbitraire ; et lorsqu'on parle de responsabilité, de la garantie qu'on trouve dans les débats de la Chambre, voyons quelle est cette garantie.
Un membre de l'opposition critique une expulsion, le gouvernement se défend ; on passe au vote. Il s'agit de savoir si le ministre de la justice ou même le ministère sera renversé, ou si le malheureux dont on vient de parler sera définitivement expulsé.
Je demande à la Chambre ce qui arrivera de cet homme, que la majorité ne connaît pas, mis en présence du ministère qui a ordonné son expulsion et dont la majorité juge la présence au pouvoir nécessaire aux intérêts du pays ? Croyez-vous que, dans ces conditions, l'accusé jouisse de la liberté de la défense ?
Voilà ce qu'est, en définitive, la responsabilité devant un corps essentiellement politique. Je n'admets pas qu'on discute à la Chambre des intérêts purement individuels. Ces intérêts sont trop petits pour que celui qui vient lutter ici puisse soutenir la lutte contre le gouvernement.
Je me borne à rappeler ces principes, pour indiquer en gros à la Chambre combien les questions qu'il y a à résoudre dans cette loi sont grandes et susceptibles de développement.
Je crois donc, surtout en présence des paroles qu'a prononcées M. le ministre des finances, je crois que la Chambre ne trouvera aucun inconvénient à voter l'amendement que je propose au paragraphe premier de l'article premier, amendement qui tend à substituer les mots « jusqu'au 1er mars 1872 » aux mots : « jusqu'au 1er juillet 1874. »
La loi expirera le 1er mars 1872, et le gouvernement, au commencement de la session prochaine, nous présentera un projet de loi complet ; nous l'étudierons à loisir, ce qui ne serait pas possible à cette époque de l'année où nos honorables collègues éprouvent le besoin légitime de rentrer chez eux à la fin d'une session longue et laborieuse.
- L'amendement de M. Guillery est appuyé. Il fera partie de la discussion.
M. Pety de Thozée, rapporteur. - L'honorable M. Demeur voudra bien me céder son tour de paroles : j'en ai pour deux minutes seulement, et je désire précisément faire une très courte réponse aux observations critiques qu'a présentées l'honorable membre, après avoir cité dans son discours quelques lignes du rapport de la section centrale.
« D’après ce rapport, a-t-il dit, c’est dans l’intérêt de l’étranger qu’on ne lui permet pas d’aller devant les tribunaux. On pourrait raisonner de la même façon pour toutes les affaires correctionnelles ou criminelles.
« Ceux qui sont traduits devant les tribunaux préféreraient être condamnés à huis-clos lorsqu'ils sont coupables. »
Nous n'avons jamais dit que c'était dans l'intérêt de l'étranger que nous voulions conserver un caractère purement administratif aux affaires d'expulsion ; mais nous avons fait observer que les précautions réclamées par les adversaires de ce système se tourneraient souvent contre l'étranger que l'on prétend protéger.
Le rapport ajoute que les lenteurs d'une instruction judiciaire entraîneraient des dangers contre lesquels il n'y aurait d'autre remède que l'emprisonnement préventif.
Crainte puérile, dites-vous : « Qu'arez-vous à redouter ? Que l'étranger s'en aille ? Mais de quoi vous plaindrez-vous, puisque vous évites alors la nécessité de l'expulsion ? »
La riposte est spirituelle, peut-être ; mais franchement elle n'est pas sérieuse.
Il ne s'agit évidemment pas de mettre l'étranger sous les verrous, pour qu'il ne se rende pas à la frontière, où l'on prétend le conduire malgré lui ; mais, bien au contraire, pour l'empêcher de compromettre plus longtemps la tranquillité publique.
Voilà ce que nous avons à redouter ; et c'est pour parer à ce danger que l'honorable membre de la section centrale, qui a demandé, comme vous-même, honorable collègue, l'intervention de l'autorité judiciaire dans les affaires d'expulsion, ajoutait ce correctif : « Le gouvernement pourra exercer la contrainte préventive pendant l'instruction. »
La Chambre est fatiguée, messieurs, et le débat est épuisé ; je me bornerai donc à ces quelques paroles.
M. le président. - La parole est à M. Demeur.
- Voix nombreuses. - Non ! non !
M. Demeur. - J'ai demandé la parole et je la demanderais, au besoin, pour un fait personnel. L'honorable M. Bara m'a fait, dans son discours prononcé tout à l'heure, des reproches ; il a bien voulu me donner des leçons. A l'entendre, je n'aurais pas discuté convenablement le projet de loi ; je ne l'aurais pas discuté dans les points où il doit être discuté ; j'ai envisagé la question à des points de vue étroits, qui ont désorienté M. Bara. Ses paroles pourraient même faire croire que, tout en votant contre le projet, je suis le partisan du cabinet, alors que, votant le projet, M. Bara en serait l'adversaire.
M. Bara m'a fait un autre reproche auquel j'ai été plus sensible ; il m'a reproché de n'avoir pas discuté la question aujourd'hui comme je le faisais autrefois, de n'avoir pas discuté en présence du ministère catholique comme je discutais sous le ministère libéral.
C'est à ce reproche que je réponds.
Messieurs, est-il vrai que j'ai envisagé la loi sur l'expulsion des étrangers sous un point de vue qui ne soit pas convenable, au regard des intérêts et du pays et des étrangers qui en sont victimes, et souvent, très souvent victimes innocentes ?
Je dois dire d'abord que j'étudiais la question qui se discute aujourd'hui et que j'écrivais sur cette question avant que M. Bara fût sorti du collège. (Interruption.)
Je prétends que j'ai examiné la question des étrangers comme elle doit être examinée, au point de vue véritablement important, dans l'intérêt de la justice et dans l'intérêt des étrangers.
Et, en effet, messieurs, prenons les statistiques ; laissons-les parler. Qu'ai-je soutenu dans mon discours ? Que ce n'est pas de la loi de 1835 que les étrangers ont eu surtout à se plaindre ! Non ! l'expulsion de la grande majorité des étrangers a eu lieu en dehors de la loi de 1835. Il voulez-vous la preuve ?
Voici la liste produite par M. Tesch, en 1865, des étrangers expulsés du pays ; la liste est incomplète ; il y a des lacunes, mais enfin, je donne les totaux tels qu'ils sont, en y ajoutant la statistique produite par le ministère actuel pour les années 1865 à 1870.
1° Etrangers conduits à la frontière par la gendarmerie, pour défaut de papiers ou de moyens d'existence, de 1859 à 1864 ; 17,680
Id., de 1865 à 1870 : 7,589.
Total ; 25,239.
2° Etrangers conduits à la frontière par la gendarmerie, par suite de condamnations, de 1859 à 1864 : 6,074
Id. de 1865 à 1870 : 1,310
Total : 7,384.
(page 1631) 3° Etrangers renvoyés par feuilles de route, de 1830 à 1864 : 5,899
Id., de 1865 à 1870 : 82.
Total : 5,982
4° Etrangers auxquels l'accès du pays a été interdit à la frontière, de 1839 à 1860 : 9,781.
5° Etrangers expulsés par arrêtés royaux, en vertu de la loi de 1835, pour motifs politiques, de 1835 à 1861 : 75
Id., de 1864 à 1870 : 3
Total : 78
6° Etrangers expulsés par arrêté royal, en vertu de la loi de 1835, à la suite de condamnations ou pour conduite compromettant la tranquillité publique, de 1835 à 1864 : 2,178
Id., de 1865 à 1870. : 841
Total : 3,010
7° Etrangers renvoyés pour motifs politiques sans arrêté d'expulsion, notamment en 1848, 1851 et 1852 : 689
Nous arrivons donc à un total, jusqu'en 1864, de 42,346 et, de 1865 à 1870, de 9,826.
Ensemble, 52,172.
La loi de 1835 n'intervient donc, sur 52,172 étrangers expulsés, que pour 3,097, dont 78 expulsés politiques par arrêtés royaux.
La loi de 1835, vous le voyez donc, n'est que le côté étroit de la question des étrangers, d'autant plus que dans cette statistique vous n'avez pas le chiffre exact pour certaines catégories.
En 1852, il a passé en Belgique des centaines de proscrits, d'hommes qui s'étaient levés, dans leur pays, pour la défense de la loi et du droit, qui n'ont fait que traverser la Belgique, qui ont été expulsés et qui ne sont pas renseignés dans la statistique. Pourquoi ? Parce qu'on leur disait : Nous allons vous expulser. Et ils partaient volontairement. Ces menaces d'expulsion, on les faisait, non en vertu de la loi de 1835, car il eût fallu un arrêté royal et l'on n'eût osé abuser à ce point de la signature royale ; mais on les faisait sous le prétexte de la loi de messidor et de l'arrêté de 1830, dont l'honorable M. Thonissen a démontré l'abrogation.
Voilà ce que j'ai constaté depuis plus de quinze ans, et voilà ce que j'ai mis en relief, longtemps avant que l'honorable M. Bara entrât dans la vie politique. J'ai signalé ces faits à la tribune du meeting libéral et je suis tout étonné d'entendre l'honorable M. Bara me reprocher de ne pas parler aujourd'hui comme je parlais alors.
L'honorable M. Cornesse a commencé son discours en disant : M. Demeur n'a fait que reproduire les arguments qu'il avait développés à la tribune du meeting libéral.
Et, en effet, je disais alors, après avoir combattu les dispositions légales que j'ai combattues hier, je disais, en abordant l'examen de la loi de 1835 : « Cette loi a été souvent attaquée, mais vous le voyez dès à présent, qu'en cette matière, ce n'est pas dans cette loi qu'est la plaie principale. »
Je ne prétends pas avoir envisagé hier la question des étrangers à tous les points de vue, mais peut-on exiger cela de moi et ne devais-je pas laisser quelque matière à d'autres, à M. Bara, par exemple ?
Vous me reprochez de ne pas diriger d'attaques personnelles contre MM. Jacobs et Cornesse et d'avoir dirigé des attaques personnelles contre vous et vos amis. Sous ce dernier rapport, vous êtes dans l'erreur : Jamais je ne vous ai attaqué. Chacun a ses aptitudes et sa spécialité. Moi, j'ai en horreur les querelles de personnes. Je me suis toujours occupé de questions de principes ; c'est ce que j'ai fait lorsque je combattais votre politique, c'est ce que je fais encore aujourd'hui que je combats la politique du ministère.
Je n'entends pas, messieurs, revenir sur l'opposition que M. Cornesse a faite à mes amendements, et j'ai pour cela une raison particulière ; lorsque je rédigeais mes amendements, et lorsque je les développais devant vous, j'avais présent à l'esprit le discours de M. Tesch, de 1865 ; je me suis attaché à y répondre. Aujourd'hui, pour combattre mes amendements, l'honorable M. Cornesse s'est borné à relire à la Chambre le discours prononcé en 1865 par le même M. Tesch, il je ne pourrais dès lors, pour le répéter, que redire ce que j'ai dit hier.
Il y a cependant un point sur lequel je voudrais encore dire quelques mots, c'est celui de l'intervention des tribunaux. Cette intervention a été proposée en 1865 par l'honorable M. Van Humbeeck dans un amendement, par M. Guillery dans un autre amendement, par MM. Nothomb et plusieurs autres dans un troisième amendement.
L'intervention des tribunaux peut avoir lieu de différentes manières, mais il y a d'abord la question de principe ; faut-il que les tribunaux interviennent ?
Maintenant, est-ce la chambre du conseil, comme le proposait M. Nothomb ? Est-ce le président du tribunal en référé, comme le demandait M. Guillery ? Est-ce le tribunal correctionnel, comme je le demande par mon amendement ? Est-ce la chambre des mises en accusation, comme cela a lieu en matière d'extradition ?
Ce sont là des questions d'application, et à cet égard je suis prêt à faire toutes les concessions que l'on pourrait désirer, ce sont là des détails ; mais ce à quoi je tiens, c'est la question de principe.
J'ai toujours pensé et je pense encore aujourd'hui que l'intervention du pouvoir judiciaire est, en cette matière, d'une nécessité absolue. Et, messieurs, retenez bien ceci, on sera aussi étonné, dans quelques années, d'avoir résisté à l'application de ce principe que vous l'êtes, aujourd'hui d'avoir résisté, en 1865 et 1868, à la disposition en vertu de laquelle le gouvernement devra rendre compte tous les ans de l'exécution de la loi.
Cette disposition a été rejetée en 1865 et en 1868 ; aujourd'hui elle est proposée par le gouvernement lui-même. Prochainement vous allez voter la loi qui abolit la contrainte par corps, et vous demandez comment il est possible qu'elle ait été maintenue si longtemps.
Vous avez aboli, il y a quelques années, la loi contre les coalitions, qui a été défendue si longtemps par les hommes les plus éminents de cette Chambre, entre autres par M. Tesch, par M. de Brouckere.
Il en sera de même, dans un temps peu éloigné, pour les idées que vous semblez vouloir rejeter encore aujourd'hui.
L'intervention de la magistrature dans les expulsions est une condition de justice ; nous ne pouvons pas abandonner les étrangers, plus que las régnicoles à l'arbitraire du gouvernement.
Je savais que cette opinion ne serait pas accueillie par vous dans cette session. Le rapport de la section centrale était explicite sur ce point ; il disait : En matière d'extradition l'intervention des tribunaux se comprend ; il y a des faits précis ; mais en matière d'expulsion, il y a des questions d'appréciation gouvernementale ; la politique peut s'en mêler, les tribunaux n'ont rien à y voir.
En présence de cette objection et de l'opinion qui prévaut, à gauche, comme à droite, je ne pouvais espérer vous voir accueillir le principe de l'intervention des tribunaux dans l'expulsion des étrangers pour trouble de la tranquillité publique.
Mais je me suis dit qu'à côté des faits où la politique intervient, il y a des questions de droit, il y a des causes d'expulsion qui sont précisément les mêmes que celles pour lesquelles l'extradition peut être autorisé».
Je me suis dit alors : Portons la question de l'intervention judiciaire uniquement dans ces cas précis, formels, qui sont de beaucoup les plus nombreux et à l'égard desquels les objections mises en avant sont évidemment sans valeur. De là, mon second amendement.
Est-ce que pour cela j'ai répudié l'intérêt des réfugiés politique» ? ai-je abandonné mon drapeau ?
M. Bara. - Je n'ai pas dit cela.
M. Demeur. - Vous avez dit que j'avais désorienté mes amis, que je n'avais pas porté la question sur son véritable terrain.
Je me suis dit : Il y a un terrain où toutes les opinions peuvent se réunir.
Le gouvernement prend un arrêté d'expulsion contre un étranger poursuivi dans son pays et dont on ne demande pas l'extradition.
Actuellement l'étranger est obligé de partir dans les vingt-quatre heures après la signification de l'arrêté.
II peut cependant y avoir dans la décision du gouvernement des erreurs de droit et de fait et je demande qu'il soit possible à l'étranger d'aller devant le juge.
Ou a semblé dire que ma proposition est faite dans l'intérêt des criminels ; mais, loyalement, on ne peut m'attribuer une autre pensée que celle-ci : je voudrais que l'homme qui ne rentre pas dans les cas auxquels s'applique la loi ne soit pas expulsé.
Aujourd'hui, dit-on, on n'entend pas de plaintes.
Il y a bien des plaintes, en cette matière comme en d'autres, qui ne parviennent pas jusqu'ici !
Les expulsés n'ont pas toujours le temps, ni la possibilité le faire publier des lettres dans les journaux.
(page 1632) On dit que le plus grand nombre des expulsés sont des indigents, des malheureux. C'est vrai.
Eh bien, oui, je plaide ici la cause des malheureux.
Je demande que l'expulsé ait un recours contre votre décision. Vous prétendez que la justice n'a rien à faire en cette matière.
Je dis que cela est antihumain, anti-hospitalier. Je dis que la justice du pays est due à tout le monde.
L'honorable M. Thonissen a rappelé que, dans tous les pays, l'étranger est traité différemment des régnicoles.
Cela est vrai.
Mais il y a une chose que M. Thonissen admettra, c'est que la tendance de tous les pays est d'assimiler de plus en plus l'étranger au régnicole et d'assurer de plus en plus à l'étranger les garanties que la loi assure aux régnicoles...
M. Thonissen. - Autant que la sécurité publique le permet.
M. Demeur. - Je démontrerai, de manière que l'on ne puisse plus le nier, que la tendance évidente de tous les peuples est d'assimiler de plus en plus l'étranger aux régnicoles. Cela est si vrai que, dans des traités conclus par le gouvernement avec des gouvernements étrangers et sanctionnés par la loi, par des traités que j'ai signalés dans ma section et sur la portée desquels on a demandé des explications au gouvernement, nous avons dès à présent pris l'engagement de traiter certains étrangers comme les régnicoles au point de vue des droits de police.
M. Thonissen. - Il y en a deux ou trois.
M. Demeur. - Il y a des traités qui stipulent de la façon la plus formelle que dans tel pays les Belges seront traités comme les nationaux, qu'ils pourront voyager comme les nationaux, qu'ils seront, au point de vue des précautions de police, traités comme les nationaux. Or, en faisant ce» traités, vous avez pris l'engagement de considérer comme des Belges les habitants des pays auxquels ils s'appliquent. (Interruption.)
Il y a ainsi plusieurs traités. Le traité conclu en 1860 avec le Chili porte :
« Les citoyens des deux parties contractantes pourront, comme les nationaux, voyager ou résider sur les territoires respectifs. »
Voilà la convention qui a été approuvée par une loi et qui sauvegarde les droits des Belges au Chili, de même qu'elle sauvegarde les droits des Chiliens en Belgique.
Eh bien, je demande si, en présence de cette convention, vous pouvez appliquer à un Chilien la loi de messidor, l'arrêté de 1830 ou même la loi de 1835.
Voici le traité avec la Bolivie, celui que citait M. Jacobs en 1865. Il y est dit que « les citoyens de chacune des deux parties contractantes pourront librement, sur les territoires respectifs, voyager on séjourner comme il est permis actuellement de le faire ou comme il le sera par la suite aux citoyens eux-mêmes... sans que, pour toutes ces opérations ou pour chacune d'elles, lesdits citoyens soient assujettis à d'autres charges ou restrictions que celles qui sont imposées aux nationaux, sauf les précautions de police qui sont prises à l'égard de ceux-ci. »
Il y a une restriction : sauf les précautions de police qui sont prises à l'égard de ceux-ci, c'est-à-dire des nationaux.
Voilà le traité que vous avez conclu avec la Bolivie ; vous avez aussi des traités analogues avec la Suisse, avec le Pérou, avec le Honduras, avec la Sardaigne, avec le Maroc, etc. Par ces traités vous avez dit aux habitants de ces pays : vous ne serez soumis en Belgique qu'aux lois de police applicables aux nationaux.
Eh bien, je demande à M. Thonissen : n'est-ce pas là l'assimilation complète, au point de vue des lois de police, de l'étranger et du régnicole ?
Ce qui est stipulé ici pour certains pays deviendra, soyez-en assurés, un fait général, dans un temps plus ou moins prochain.
L'intérêt général des peuples est de ne plus considérer l'étranger comme un ennemi, mais comme le citoyen du pays lui-même.
Je maintiens donc mes amendements, je suis porté à croire qu'ils ne seront pas accueillis, mais ils serviront de jalons pour l'avenir.
M. Bara. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - La parole est à M. Bara.
M. Bara. - Je n'ai que quelques mots à dire pour répondre à l'honorable M. Demeur. L'honorable M. Demeur a cru que les paroles que j'ai prononcées tout à l'heure constituaient, à son égard, ce qu'on appelle une personnalité. Il s'est trompé ; si j'avais voulu soulever une question personnelle, j'aurais pu le faire dans la séance d'hier ; en effet, dans plusieurs parties de son discours, l'honorable membre n'a pas été précisément aussi bienveillant pour les anciens ministres libéraux qu'il l'a été aujourd'hui pour le cabinet clérical. L'honorable membre a dit, entre autres choses, relativement à la portée de la loi concernant les étrangers poursuivis et acquittés, que cette loi avait été appliquée de la manière la plus rigoureuse, la plus odieuse.
M. Demeur. - Je l'ai prouvé.
M. Bara. - Je ne sais quand, en ce qui me concerne. Je voudrais bien connaître vos faits. Dans d'autres parties de son discours, il n'a ménagé ni mon prédécesseur ni moi.
J'ai fait à l'honorable membre un reproche, c'est d'avoir abandonné le côté politique de la loi en discussion, je le maintiens ; l'honorable membre croit échapper à ce reproche on disant qu'il n'a pas de spécialité pour les questions personnelles, il se trompe ; il n'a pas toujours été aussi absorbé dans les questions de principes ; il fut un temps où, ailleurs que dans cette enceinte, il combattait, de la manière la plus énergique, certaines catégories de libéraux qu'on classait charitablement parmi les réactionnaires, résistant à tout progrès, et qu'on cherchait à discréditer de toutes les manières. L'occasion se présente de faire voir la grande différence qui existe entre les libéraux accusateurs et les libéraux accusés et je me suis empressé de montrer que les attaques dont nous avons été l'objet n'étaient pas fondées.
Nous ne faisons pas de questions personnelles, nous voulons montrer au pays que nous sommes de véritables libéraux et non des réactionnaires et que ceux qui ont voulu nous faire passer pour tels ne font pas plus que nous. (Interruption.)
Lorsque vous parliez dans les meetings, ce que vous aviez le droit de faire et ce que vous faisiez de la manière la plus convenable, je le reconnais, vous alliez plus loin que la critique des principes, vous demandiez de faire de l'agitation contre le gouvernement libéral.
Maintenant, vous venez nous parler d'une partie uniquement pénale de la loi que vous voulez modifier ; je vous fais observer avec MM. Van Humbeeck et Guillery que le débat politique ne porte, pour ainsi dire, pas sur cette partie-là ; ce qui fait le fond véritable du débat, ce sont les expulsions d'hommes politiques.
Il y a, dans le discours que vous avez prononcé au meeting, une partie que vous n'avez pas reproduite dans cette enceinte et qui concerne ce qui a fait, en 1865 et en 1868, l'objet de nos différends. C'est la critique de la loi en ce qui concerne les réfugiés politiques. Vous proposez des amendements pour les réfugiés du code pénal, vous n'en proposez pas pour les réfugiés politiques. Voilà ce que je vous reproche.
Lorsque le ministère libéral a été renversé, on a promis aussi de divers côtés la révision de la loi sur les étrangers, et cette révision, personne ne la propose quant au point de vue constituant nos divergences.
Vous devez donc reconnaître qu'il n'y a pas de questions personnelles ; et vous serez obligé d'avouer que ceux qui faisaient de l'agitation contre nous à propos de la loi sur les étrangers, qui nous présentaient comme des réactionnaires, ont aujourd'hui une autre attitude à l'égard de nos adversaires et à l'égard de leurs adversaires.
Ai-je le droit de me plaindre quand je rencontre des libéraux user à l'égard d'un ministère clérical de procédés dont on s'est abstenu envers nous ?
Non pas que je demande à l'honorable M. Demeur de faire des questions personnelles contre MM. Cornesse et Jacobs ; mais quand nous avons été si durement attaqués, quand on est venu dire que nous faisions des choses odieuses, n'est-il pas regrettable de voir M. Demeur complimenter le gouvernement pour des amendements qui sont de vraies futilités, sans portée pratique, et déclarer qu'il ne veut pas rappeler les opinions de M. Jacobs, quoique favorables à sa thèse, de crainte d'effleurer la personne de M. le ministre des finances ? Il aurait dû demander à MM, Cornesse et Jacobs de proposer ce qu'il nous reprochait de ne pas proposer. Vous dites que vous craignez un échec ; mais quand vous faisiez de l'agitation contre les libéraux, vous étiez certain de l'échec, et vous ne disiez pas moins : « Agitons-nous, pétitionnons, etc. »
Vous faisiez appel à l'opinion publique. Aujourd'hui tout est calme, et vous vous bornez à quelques amendements bien anodins relatifs à des parties de la loi ayant plutôt un caractère pénal qu'un caractère politique.
- Un membre à droite. - C'est assez !
M. Bara. - Pourquoi donc, c'est assez ? La droite va-t-elle défendre M. Demeur ? Nous avons été attaqués très durement...
- Un membre. - Quand ?
M. Bara. - Dans toutes les circonstances, vous nous avez présentés comme des réactionnaires, comme des ennemis du libéralisme ; et quand l'occasion se présente de remontrer ces attaques, on nous reproche de la saisir.
(page 1633) Nous n'aurions pas le droit de dire que ces attaques étaient injustes, puisque nos adversaires ne peuvent pas faire aujourd'hui autrement que nous n'avons fait. (Aux voix ! aux voix !)
M. Van Humbeeck. - Messieurs, je demande à dire quelques mots ; je voudrais éviter un malentendu.
L'honorable M. Demeur, en défendant son deuxième amendement, celui dans lequel il cherche des garanties pour l'étranger dans l'intervention du pouvoir judiciaire, a rappelé que moi aussi, dans mes amendements de 1865. - Je cherchais dans cette intervention des garanties pour l'étranger.
Cela est très exact ; aussi suis-je parfaitement d'accord en intention avec l'honorable M. Demeur.
Seulement, il m'est impossible d'approuver les moyens qu'il propose pour faire passer ses intentions dans la pratique ; ici je considère comme fondée l'objection de M. le ministre de la justice ; je pense, comme ce dernier, que les moyens indiqués dans l'amendement tendent à une confusion complète des pouvoirs.
Il m'est impossible d'admettre que celui contre lequel a été pris un arrêté royal, acte du pouvoir exécutif, aille discuter la valeur de cet acte devant le pouvoir judiciaire et fasse éventuellement décider par celui-ci qu'il n'y sera pas donné suite.
Qu'à l'occasion de sa mission ordinaire, lorsque l'application d'un arrêté lui est demandée, le pouvoir judiciaire soit juge de la légalité de cet acte et en refuse l'application, c'est ce que veut l'article 107 de la Constitution et ce que nous demandons avec lui. Mais il faut distinguer l'application, qui appartient au pouvoir judiciaire, de l'exécution, qui appartient au pouvoir exécutif seul, comme l'indiquent les termes. Or, l'amendement fait décider par les tribunaux que l'arrêté ne recevra pas son exécution ; il leur donne en quelque sorte le droit de statuer sur ce point par voie réglementaire. Cela me paraît sortir du texte et de l'esprit de l'article 107.
En 1865, quand j'ai cherché dans l'intervention du pouvoir judiciaire des garanties pour l'étranger, j'avais pris une toute autre voie. Et ici, il n'est peut-être pas hors de propos de faire remarquer que je n'avais pas absolument à créer ces garanties judicaires, mais seulement à les étendre, car déjà aujourd'hui elles existent, elles existent dans une mesure très restreinte, il est vrai, mais cependant elles existent.
L'intéressé pourrait saisir dès maintenant les tribunaux de la question de légalité de l'arrêté qui le frappe, soit dans le cas où il prétendrait n'être pas étranger, mais Belge, soit dans le cas encore où il prétendrait se trouver dans une des exceptions indiquées par le texte même de la loi dont on nous demande la prorogation.
En rentrant dans le pays après son expulsion, il pourrait saisir les tribunaux de ces questions, pour échapper à la peine décrétée contre son infraction. Les cas analogues, d'après mes amendements de 1865, devenaient beaucoup plus fréquents, d'abord parce que le droit d'expulsion n'était plus reconnu que dans des conditions légalement déterminées, et ensuite par une autre innovation qu'ils renfermaient et que je désire rappeler à la Chambre avec quelque précision.
D'après les lois de 1835 et de 1865, la sanction de l'arrêté d'expulsion consiste dans une peine qui frappe l'étranger s'il rentre dans le pays.
Mais il n'y a pas moyen, pour l'étranger, de saisir les tribunaux sans avoir préalablement satisfait à l'arrêté d'expulsion. Après son expulsion accomplie, il peut rentrer dans le pays s'il juge que l'arrêté soit illégal, et lorsqu'on veut le punir d'avoir enfreint l'arrêté, il a l'occasion de plaider l'illégalité de cet acte.
J'avais assimilé au délit consistant à rentrer dans le pays après expulsion, le simple fait du refus d'obtempérer à l'arrêté royal ; j'avais étendu à ce délit la loi de 1849, qui permettait de réduire la peine au taux des peines de simple police et aussi la loi de 1852, d'après laquelle il ne doit plus y avoir de détention préventive que dans des cas graves et exceptionnels.
De cette façon, dans presque tous les cas, l'étranger qui aurait refusé de se soumettre immédiatement à l'arrêté royal se serait trouvé en liberté dans le pays, en position de discuter ses droits dans un débat judiciaire et n'aurait pas eu à courir des chances excessives, alors même qu'il aurait perdu son procès. Tel était, messieurs, le moyen que j'avais proposé.
Je n'entends pas le reproduire et en discuter en ce moment le mérite.
Je ne crois pas le moment bien choisi pour débattre les questions importantes qui se rapportent à la loi en discussion. Je désirais seulement indiquer à la Chambre la différence entre mes propositions de 1865 et celles qui sont présentées aujourd'hui par M. Demeur et expliquer, comment, tout en partageant les intentions de cet honorable membre, je ne puis cependant pas me rallier à son deuxième amendement.
M. le président. - Je proposerai à la Chambre d'examiner successivement les différents paragraphes avec les amendements qui s'y rattachent.
M. Guillery. - Je pense que si la Chambre voulait voter d'abord sur mon amendement, et s'il était adopté, tout le monde renoncerait à la parole ; si au contraire le gouvernement ne se ralliait pas à cet amendement, et s'il n'était pas adopté, nous continuerions la discussion à propos de l'article premier.
M. le président. - Votre amendement se rapporte au paragraphe premier. Si personne ne demande la parole, je vais mettre cet amendement aux voix.
- Des membres.- L'appel nominal.
- Un membre. - Si M. le ministre de la justice se rallie à l'amendement, l'appel nominal est inutile.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je ne puis me rallier à l'amendement de l'honorable M. Guillery ; je le combats, au contraire, énergiquement.
Je crois que la Chambre ne peut pas se borner à proroger la loi pour huit mois.
Les critiques qui ont été formulées ont porté à côté de la loi elle-même. Comme j'ai déjà eu l'honneur de le faire observer tantôt, c'est moins la loi de 1835 que l'on a blâmée que les dispositions du 21 messidor an III et du 6 octobre 1830.
- Un membre : C'est l'ensemble.
M. Cornesse, ministre de la justice. - La Chambre n'est saisie en ce moment que d'une seule chose : la prorogation de la loi de 1835, relative aux étrangers résidants.
M. Demeur. - Du tout.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je ne parle pas des amendements que vous voulez y introduire et à l'aide desquels vous voulez dénaturer la loi de 1865. Il s'agit uniquement, dans cette loi, des étrangers résidants.
Eh bien, je dis que jamais les circonstances n'ont exigé plus impérieusement la prorogation de la loi pour un délai assez considérable.
La discussion actuelle n'a pas porté sur le terrain politique. (Interruption.) L'honorable M. Guillery seul a fait quelques observations à cet égard.
Messieurs, la loi de 1835 a été prorogée successivement douze fois. Chaque fois elle a été prorogée pour trois ans. Je demande si les circonstances actuelles sont telles, qu'il faille abréger le délai de la prorogation à huit mois. Jamais, au contraire, les circonstances n'ont été plus graves.
M. David. - Dites cela à M. Jacobs.
M. Cornesse, ministre de la justice. - L'honorable M. Jacobs n'a rien dit de contraire. La codification générale est une autre question. Il y a trois positions pour les étrangers.
Il y a les étrangers résidants qui font l'objet de la loi de 1835 ; il y a les étrangers sans moyens d'existence et les étrangers qui veulent pénétrer dans le pays.
Vous pouvez critiquer l'application que le gouvernement a faite des lois qu'il a à sa disposition vis-à-vis des non-résidents. Mais je dis que vis-à-vis des étrangers résidants il faut maintenir dans les mains du gouvernement l'arme dont il a toujours usé avec la plus grande modération ; les circonstances actuelles exigent que cette prorogation ait lieu pour trois ans.
La France, il faut bien le reconnaître, n'a pas, en ce moment, une situation intérieure bien fixe, bien déterminée et ce serait plus qu'une faute, ce serait une imprudence coupable de supprimer les garanties que nous possédons.
Je tiens du reste à dire que nous avons une législation extrêmement humaine vis-à-vis des étrangers. Il n'y a guère d'Etats où la législation soit plus clémente à cet égard que chez nous, et lorsque l'honorable M. Demeur s'est présenté en avocat des malheureux, il a eu tort, parce qu'en définitive notre législation n'est ni barbare, ni excessive. Tous les Etats qui nous avoisinent, les plus libéraux eux-mêmes, ont des dispositions extrêmement sévères envers les étrangers.
Il y a à sauvegarder autre chose que l'intérêt des étrangers. Nous devons nous défendre d'un sentimentalisme exagéré. Nous avons à sauvegarder notre nationalité elle-même ; nous avons à sauvegarder nos mœurs, nos populations, nos institutions nationales.
Ce n'est donc pas le moment de proroger la loi pour huit mois seulement. Il faut la proroger pour trois ans, comme on l'a fait depuis 1835. Je (page 1834) le répète, les circonstances exigent impérieusement qu'on laisse cette arme entre les mains du gouvernement ; c'est pourquoi le gouvernement combat l'amendement de l'honorable M. Guillery,
M. Guillery. - Il n'y a pas un seul argument de M. le ministre de la justice qui puisse s'appliquer à mon amendement ; mon amendement ne prive pas le gouvernement du pouvoir qu'il demande, c'est une simple question d'ordre dans nos travaux ; la Chambre ne peut pas écouter aujourd'hui une discussion complète sur la loi des étrangers et d'un autre côté nous avons le droit d'exiger cette discussion.
J'ai cru tout concilier en proposant de donner à la loi une courte durée, afin que dans la session prochaine nous puissions soumettre la loi à un examen approfondi.
M. Dumortier. - Messieurs, si cette loi était présentée pour la première fois, je comprendrais parfaitement qu'on proposât de ne la voter que pour huit mois, mais comme vient de le dire M. le ministre de la justice, elle a toujours été prorogée pour trois ans ; nous avons accordé cette prorogation de trois ans à tous les ministères qui se sont succédé, qu'ils fussent catholiques ou libéraux.
Remarquez, messieurs, que si jamais cette loi a été nécessaire, elle l'est surtout aujourd'hui, en présence de ce qui s'est passée à Paris et de ce que l'Internationale peut tenter de faire en Belgique.
Je voterai pour la prorogation de trois ans.
M. Bara. - Je n'aurais pas voté l'amendement de M. Guillery sans une déclaration qui nous a été faite par M. le ministre des finances ; l'honorable M. Jacobs a déclaré tout à l'heure qu'il considérait comme une nécessité de faire, dans le délai le plus bref, une loi générale, et cette loi générale le ministère croit de son honneur de la présenter à la prochaine session. Elle comprendra nécessairement la loi de 1835.
Eh bien, messieurs, nous ne devons pas refuser d'encourager le gouvernement à s'occuper le plus tôt possible de ce travail.
Voter l'amendement de M. Guillery, c'est aider le gouvernement dans son désir de présenter une loi générale sur la matière.
- La discussion du paragraphe premier de l'article premier est close.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de M. Guillery.
77 membres y prennent part.
45 répondent non.
32 répondent oui.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu non :
MM. Magherman, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Reynaert, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Snoy, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen. Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, De Lehaye, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Hayez, Hermant, Juillet, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre et Thibaut.
Ont répondu oui :
MM. Mouton, Muller, Orts, Rogier, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Boucquéau, Brasseur, Coomans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Rossius, Dethuin, de Vrints, Funck, Guillery, Hagemans et Jottrand.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le paragraphe premier.
M. Guillery. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. Dumortier. - On ne peut parler entre deux épreuves.
M. le président. - M. Guillery a la parole.
M. Guillery. - J'ai demandé que, si ma proposition était rejetée, il y eût délibération. Je demande donc que l'on aborde la discussion sur l'article premier qui n'a été ni ouverte ni close.
M. le président.- La Chambre a décidé qu'elle s'occuperait de l’article premier par paragraphe.
Le paragraphe premier, sur lequel vous avez proposé un amendement, a été mis en discussion.
Votre amendement a été rejeté, je dois donc soumettre le paragraphe au vote. Il n'y a pas de question de principe dans ce paragraphe. La discussion que vous demandez pourra avoir lieu sur les paragraphes suivants,
- Il est procédé au vote par assis et levé.
Le paragraphe premier est adopté.
- Plusieurs membres : A demain !
- La séance est levée à 5 heures et un quart.