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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 10 mai 1871

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Président de M. Thibaut, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1175) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les président et secrétaire d'une société flamande à Anvers demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le lieutenant général comte Duval de Beaulieu, président, et le capitaine Wagenaerc, secrétaire de la société générale des officiers pensionnés, prient la Chambre d'inviter le gouvernement à présenter sans retard un projet de loi sur les pensions militaires. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'une commune non dénommée demandent que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement obligatoire.


« Le conseil communal de Meerhout demande que le chemin de fer projeté par le sieur Maréchal soit modifié pour que la ligne d'Herenthals passe au sud de Gheel pour se rendre directement au camp de Beverloo. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Liénart, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi de réforme électorale

Discussion des articles

Chapitre IV. Dispositions communes aux élections pour les Chambres et pour les conseils provinciaux et communaux

Article additionnel (nouveau)

M. le président. - L'article 7 a été voté ; après cet article, M. Demeur propose d'intercaler un article nouveau ainsi conçu :

« Article nouveau. Les articles 1 et 4 de la loi du 8 septembre 1865 sont remplacés par les dispositions suivantes :

« Art. 1er. Le double des rôles des contributions directes, dont l'envoi aux autorités communales est prescrit par l'article 2 de la loi du 5 mai 1869, doit renseigner, outre les cotisations pour l'année courante, celles de l'année antérieure et, en regard de ces dernières cotisations, pour autant qu'elles ne soient pas apurées, la somme réellement acquittée par le contribuable ou la mention qu'il n'a rien payé.

« Art. 4. Nul ne peut être inscrit ou maintenu sur les listes électorales, s'il conste des documents fournis en exécution des articles 1er et 2, qu'il n'a pas payé le cens pour l'année antérieure à celle de la révision. »

La parole est à M. Demeur pour développer sa proposition.

M. Demeur. - La proposition n'a guère besoin de commentaires ; elle est la conséquence du dernier vote de la Chambre.

Désormais, pour être électeur, il suffira du payement du cens pendant l'année antérieure à la révision des listes électorales ; dès lors il n'y a plus lieu de maintenir la loi du 8 septembre 1865, en tant qu'elle oblige les receveurs des contributions à envoyer aux autorités communales le double des rôles des contributions directes pour les deux années qui précèdent la révision.

L'article 4 de la loi de 1865 a été aussi édicté en conséquence de l'obligation d'avoir payé le cens pendant deux ans ; Il y a donc lieu de le réviser aussi à ce point de vue.

- La proposition de M. Demeur est appuyée, elle fait partie de la discussion.

M. le président. - Je suppose que, dans la pensée de M. Demeur, l'article premier deviendrait le paragraphe premier et l'article 4 le paragraphe 2 de l'article 8.

M. Demeur. - Oui, M. le président.

- L'article nouveau, proposé par M. Demeur, est mis aux voix et adopté.

Article 6 (article 8 du projet de la section centrale

« Art. 8 (6 du gouvernement). L'article 4 de la loi électorale est remplacé par la disposition suivante :

« La possession du cens électoral se justifie par tous moyens de droit. »

Art. 8 (projet de la section centrale). « La possession des bases et le payement du cens se justifient par tous les moyens de droit. »

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la rédaction de la section centrale ?

M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, M. le président.

-L'article 8, tel qu'il a été amendé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.

Article additionnel (nouveau)

M. le président. - Ici vient la proposition de M. Lelièvre tendante à ajouter, à la suite des articles 7 et 8, un article nouveau ainsi conçu :

a Les articles 7 et 8 qui précèdent sont applicables aux individus éligibles au sénat. »

Par suite du vote de l'article nouveau proposé par M. Demeur, il y aura lieu de modifier la rédaction de M. Lelièvre et de dire : « les articles 7 et 9, etc. »

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - L'honorable M. Lelièvre a proposé un amendement pour déclarer les articles 7 et 8 applicables aux éligibles au Sénat.

Il y a déjà eu dans les lois électorales différentes dérogations concernant les électeurs et qui n'ont pas été déclarées applicables aux éligibles au sénat.

Néanmoins comme les articles nouveaux étaient censés remplacer les articles anciens, ces nouveaux articles ont été considérés comme applicables de plein droit aux éligibles au Sénat.

C'est ainsi que la loi de 1843, qui a modifié le décret de 1851, porte qu'il faut, pour être électeur, posséder, pendant deux ans, les bases du cens quant à la contribution personnelle et quant à la patente. Et bien que cette loi de 1813 n'ait pas parlé des éligibles au Sénat, on a toujours admis, - et la jurisprudence de cette assemblée est constante à cet égard, - on a toujours admis cette disposition, comme étant applicable à l'éligibilité pour le Sénat.

En 1870, une nouvelle modification a été apportée à la loi électorale : l'article 2 a déclaré qu'il suffisait pour que la contribution des biens de la femme comptât au mari pour parfaire le cens d'éligibilité, qu'il n'y eût pas séparation de corps entre le mari et la femme, la loi a déclaré qu'il n'était pas nécessaire qu'il y eût communauté de biens entre eux. Or cet article de la loi de 1870, bien que n'ayant pas été déclaré, d'une manière explicite, applicable au sénat, a cependant toujours été considéré comme ayant cette portée.

Je pense donc que les nouvelles dispositions que nous allons voter entraîneraient évidemment les mêmes conséquences, c'est-à-dire qu'elles seraient censées substituées aux dispositions anciennes, et que, faites pour l'électoral, elles seraient également applicables à l'éligibilité.

Néanmoins, l'honorable M. Lelièvre a pensé qu'il était convenable et plus logique de le dire d'une manière expresse dans la loi, et il a proposé l'amendement qui vous est soumis. Le gouvernement, ne fait aucune difficulté d'adopter cet amendement qui établit en termes exprès ce qui a toujours été pratiqué jusqu'ici.

(page 1176) Mais si la proposition de l'honorable M. Lelièvre obtient l'adhésion de la Chambre, il faut la compléter et déclarer que, non seulement les articles 7 et 8 de la présente loi, mais encore l'article 2 de la loi du 30 mars 1870 sont applicables aux éligibles ; sans cette addition, si l'on se bornait à ne mentionner que les articles 7 et 8 de la présente loi, on pourrait en tirer la conséquence que ces articles seuls sont applicables aux éligibles et que cette applicabilité n'existe pas pour le cas prévu par l'article 2 de la loi de 1870.

Si donc la Chambre était disposée à traduire la pensée de l'honorable M. Lelièvre dans la loi nouvelle, il conviendrait de modifier comme suit sa proposition :

« L'article 2 de la loi du 30 mars 1870 et les articles 7 et 8 de la présente loi sont applicables aux éligibles au Sénat. »

M. Frère-Orban. - Il faudrait classer cet amendement parmi les dispositions générales.

M. Demeur. - Il serait bon, je pense, de donner lecture de l'article 2 de la loi du 30 mars 1870.

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Le voici : « Par dérogation à l'article 2 de la même loi, les contributions de la femme sont comptées au mari, sauf le cas de séparation de corps. »

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. le ministre des affaires étrangères.

M. Frère-Orban. - Sauf à le classer.

M. le président. - C'est entendu.

- L'amendement est mis aux voix et adopté.

Article 9 (du projet de la section centrale)

« Art. 9 (du projet de la section centrale). Nul n'est élu au premier tour de scrutin s'il ne réunit plus des deux cinquièmes des voix. »

M. Jottrand. - Je ne vois pas de raison sérieuse d'adopter l'innovation proposée par cet article.

La seule qui ait pu faire impression sur les membres de la section centrale, auxquels est due la paternité de cette proposition, c'est le désir d'éviter aux candidats des dépenses que pourraient leur imposer les ballottages, remis, par une disposition générale du projet de loi, la plupart du temps à un autre jour que celui auquel a lieu la première élection.

Eh bien, un pareil motif ne me paraît pas suffisant pour justifier une innovation qui présente le double inconvénient d'être absolument contraire aux principes sur lesquels repose notre système électoral actuel, et de tendre à rendre plus sensible encore une des conséquences illogiques de ce système.

Le premier inconvénient auquel je fais allusion, le voici : Notre système actuel repose sur la présomption que si l'on se livrait, non à une lutte pacifique dans l'élection, mais à une lutte ouverte, le plus grand nombre battrait le plus petit nombre et arriverait à faire triompher son candidat.

Il n'y a rien, je pense, a objecter à ce que je dis dans ce moment. Il est bien certain que l'élection n'est qu'une bataille a coups de votes, substituée à une bataille à coups de bâton ou de fusil qu'on veut empêcher ; et parce qu'il est vraisemblable que dans une lutte ouverte, violente, ce serait la moitié plus un des lutteurs qui l'emporterait, de même, on admet la présomption que, quand on se bat a coups de bulletins, c'est la moitié plus un qui a raison.

Mais si l'on substitue à cette majorité absolue : la moitié plus un, une majorité de fantaisie : les deux cinquièmes du nombre des lutteurs, ainsi que le propose la section centrale, on se place en dehors de toutes les présomptions rationnelles, de toutes les probabilités ; car celui qui ne réunit que les deux cinquièmes de voix, est censé avoir contre lui les trois autres cinquièmes, de telle sorte que si l'on procédait à une lutte violente autour de son nom, il aurait contre lui là plus grande force et succomberait.

Je passe maintenant au second inconvénient de la disposition qui nous occupe.

Dans le système actuellement pratiqué, il peut arriver et il arrive en fait que la majorité qui siège dans l'assemblée délibérante, résultat de l'élection, ne représente pas en réalité la majorité numérique de tous les citoyens ayant pris part à l'élection. En effet, les uns triomphent dans leur circonscription électorale au moyen d'une très grande majorité ; d'autres ne triomphent dans la circonscription voisine qu'à une très petite majorité.

Ainsi il peut arriver, et il arrive en fait que si l’on additionne le nombre des voix obtenues par tous les candidats du parti vaincu, ce nombre de voix est supérieur au nombre de voix obtenues par les candidats du parti vainqueur. Les candidats du parti définitivement vaincu dans une élection générale peuvent avoir triomphé dans leurs arrondissements à une très grande majorité numérique, tandis que les candidats du parti vainqueur peuvent avoir triomphé dans les leurs avec une très petite majorité numérique.

Eh bien, l'inconvénient que je viens de signaler va devenir beaucoup plus grave si la disposition de l'article 9 est adoptée.

Ce phénomène singulier d'une représentation contraire à l'opinion de la majorité des suffrages exprimés, ce phénomène acquerra beaucoup plus de chance de se réaliser ; plus vous diminuez la quantité de voix exigée pour être définitivement élu, plus vous vous exposez à voir les résultats illogiques que je viens d'indiquer se produire.

Or, qu'ils se produisent aujourd'hui, cela n'est pas douteux ; il résulte, en effet, de la computation des votes émis à l'élection du mois d'août dernier sur toute la surface de la Belgique que les candidats libéraux ont réuni 186,000 suffrages alors que les candidats catholiques n'en ont réuni que 181,000. Ce qui fait qu'en réalité la majorité qui siège, en ce moment, dans cette enceinte n'est pas du tout la représentation de la majorité numérique de tous les électeurs belges pris en masse.

Malheureusement dans le système actuel, pareil inconvénient est inévitable. Mais je ne crois pas qu'il soit de l'intérêt de législateurs consciencieux et soucieux de leurs œuvres de le faciliter, de favoriser sa réalisation.

S'il devait s'agir d'une réforme au système qui nous régit, ce ne serait pas du tout, d'après moi, dans le sens de la proposition que je combats en ce moment qu'il faudrait marcher. Si l'on veut changer quelque chose, c'est, selon moi, une réforme beaucoup plus large et tout autre qu'il faut introduire.

Je suis partisan, je le déclare, du système de la représentation proportionnelle. Je ne suis pas du tout adorateur du système qui consiste à reconnaître aux majorités numériques tous les mérites, toutes les vertus, tous les droits. C'est un des vices principaux de notre organisation politique que l'obligation qu'on impose aux intérêts, aux idées, aux tendances si diverses de notre société de s'incliner en tout sans possibilité de recours devant le verdict rendu par la majorité des électeurs du pays.

J'aurais donc, s'il y avait quelque chance de faire triompher dans cette enceinte autre chose que la pratique de ce que l'on a toujours fait jusqu'à présent, s'il y avait quelque chance de faire triompher des innovations sérieuses, j'aurais peut-être proposé un amendement dans le sens de ce qu'on a fait en Angleterre.

J'aurais entretenu la Chambre, plus longuement que je ne veux le faire, de la nécessité, selon moi, impérieuse, de veiller dorénavant à ce que les minorités soient assurées d'une représentation, ne soient pas toujours écrasées par les majorités.

Pour marcher dans cette voie, le choix est assez délicat entre divers moyens qui, en Angleterre notamment, sont récemment sortis du domaine de la théorie pour entrer dans le domaine de la pratique. Ainsi, lors de la réforme de 1867, il a été introduit dans la législation électorale de l'Angleterre un principe nouveau qui, jusqu'alors, n'avait fait l'objet que des préoccupations des publicistes ; c'est celui-ci : on a décidé que dans les collèges qui auraient à nommer trois mandataires, les électeurs ne pourraient voter que pour deux noms, de façon à garantir à tout candidat réunissant au moins les sympathies du tiers du corps électoral, son entrée dans l'assemblée délibérante qu'il s'agit de constituer.

Plus récemment encore, lors du vote de la loi organique des comités scolaires chargés de veiller aux besoins de l'instruction primaire publique sur toute la surface de l'Angleterre, on s'est efforcé d'atteindre le même but par un autre moyen.

On a permis à chaque électeur d'accumuler ses votes sur un seul et même candidat, s'il le jugeait à propos.

Enfin, vous avez tous reçu, ces jours derniers, un travail sorti de la plume d'un de nos anciens collègues et qui attirait votre attention sur un troisième procédé employé depuis assez longtemps en Danemark, pour arriver à garantir la représentation des minorités. C'est un procédé emprunté à un système qui a fait beaucoup de bruit il y a quelques années et qui en fera probablement encore dans l'avenir. Je veux parler du système Hare, ainsi nommé du nom de celui qui l'a vulgarisé.

Je ne sais auquel des trois moyens que je viens de faire connaître je me rallierais et j'engagerais mes amis à se rallier avec moi. Mais dans tous les cas, pour renoncer au système actuellement suivi en Belgique, ce n'est pas au principe que vous propose l'article 9 que j'aurais voué mes sympathies. J'aurais fait tout autre chose. J'aurais, je le répète, rendu hommage et j'aurais essayé d'entraîner la Chambre à rendre hommage avec moi à un principe qui est au moins le principe de l'avenir, s'il n'a pas été celui du passé, à un principe dont l'application deviendra plus urgente et (page 1177) plus nécessaire à mesure que le corps électoral deviendra plus nombreux ; je veux parler du principe de la représentation de tous les intérêts, de toutes les opinions, de toutes les idées, de toutes les tendances dans les assemblées délibérantes.

M. Royer de Behr, rapporteur. - Messieurs, la section centrale maintient son amendement.

Le but que la section centrale a eu principalement en vue est de diminuer les abus du ballottage. Dans le rapport de la section centrale, l'article présenté à la Chambre me semble absolument justifié. C'est déjà un grand progrès si le projet de loi atteint en partie le but que l'on a en vue.

Je ne puis pas comprendre que des hommes politiques et surtout des députés de Bruxelles qui ont été témoin des graves inconvénients du ballottage, puissent encore soutenir le système de l'ancienne législation ; nous avons rappelé ce fait qu'un ballottage a eu lieu à minuit dans la capitale. (Interruption.)

Dans l'intérêt de l'ordre, dans l'intérêt de la dignité des élections, je crois qu'il faut, autant que possible, rendre les ballottages aussi rares que possible. Quant à moi, je le déclare très franchement, mon opinion était pour la suppression pure et simple du ballottage et j'ai eu l'honneur de développer cette opinion en section centrale, mais celle-ci n'a pas cru devoir adopter un changement aussi radical, qui lui paraissait d'ailleurs n'avoir aucune chance d'être admis par la Chambre.

Une chose, messieurs, qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que toujours il y a moins de votants au ballottage qu'au premier scrutin ; de sorte que, chaque fois qu'il y a ballottage, l'élection est faussée dans son principe. (Interruption.)

L'honorable préopinant s'est étendu très longuement sur la représentation proportionnelle ; qu'il me soit permis de le lui dire, ce système n'a pas été, jusqu'à ce jour, suffisamment étudié.

Du reste, nous ne sommes en présence d'aucune proposition à cet égard. Je ne sais pas si l'honorable membre a l'intention de proposer un amendement.

M. Jottrand. - Je n'ai garde. Les amendements ont trop mauvaise chance.

M. Royer de Behr, rapporteur. - Ce système n'a été formulé ni en sections ni en section centrale et cela par cette excellente raison que le régime de la représentation proportionnelle n'a guère été préconisé jusqu'à ce jour, si ce n'est dans une pétition récente émanant de l'un de nos anciens collègues.

Je le répète, messieurs, la section centrale maintient son amendement et elle cherchera à le faire prévaloir.

M. De Fré. - Messieurs, je ne puis pas admettre l'innovation qui se trouve dans l'article 9. Cela revient à dire que c'est la minorité qui donne le mandat.

Il y a une chose élémentaire : dans toute assemblée, quelle qu'elle soit, c'est la majorité des votants qui juge, qui décide les questions ; ici, vous avez la minorité des votants, qui donne le mandat ; cela est contraire au bon sens, contraire à toutes les traditions.

Qu'est-ce que c'est que le vote ? Le vote c'est un jugement.

On décide entre deux politiques, entre deux administrations, entre deux systèmes.

Ces. systèmes, ces politiques, sont représentés par des candidats, et il arrive que c'est le système de la minorité qui triomphe !!!

Jamais, messieurs, un jugement ne se compose de la minorité des juges.

Je le répète, messieurs, c'est une innovation dangereuse.

M. Coomans. - La petite minorité de Bruxelles a nommé plus de vingt représentants et sénateurs.

M. Allard. - Vous n'avez pas la parole.

M. De Fré.- Si, dans l'état actuel, il y a moins de votants au ballottage, il n'en est pas moins vrai que c'est la majorité des votants qui donne le mandat.

L'honorable préopinant nous parle des dangers du ballottage et il produit cet argument qu'au ballottage il y a toujours un petit nombre de votants.

Oui, mais il n'en est pas moins vrai que c'est la majorité de ce petit nombre qui donne le mandat.

Dans tous les cas, il ne s'agit pas de ballottage dans l'article 9. Il s'agit du premier vote.

Vous inscrivez donc dans la loi une chose injuste. Il en résulterait que vous auriez, dans le conseil communal et dans le conseil provincial, deux espèces de mandataires, Vous aurez des conseillers qui auront la majorité absolue, c'est-à-dire la moitié plus un et d'autres qui n'auront que les deux cinquièmes.

Ceux qui n'auront que les deux cinquièmes de votants ne jouiront pas, à coté de ceux qui ont obtenu la majorité absolue, d'autant de considération et de prestige. Vous aurez deux espèces de mandataires.

Je me demande quelle est la machine de guerre que cache l'article 9. J'ai dit que je trouve l'innovation contraire à nos traditions, à la justice et au bon sens et j'ajoute qu'elle doit féconder des divisions dans les corps constitués. Un membre pourra reprocher à l'autre de ne pas être l'élu de la majorité. Je crois donc que la Chambre ne peut adopter cette disposition.

M. De Lehaye. - Si l'accès de l'urne était également facile pour tous les électeurs, je proposerais aussi de ne pas adopter l'article en discussion. Mais, vous le savez, pour le grand nombre, l'accès de l'urne ost difficile.

Et, pour répondre à l'honorable M. De Fré qui veut la majorité, je lui demanderai lequel des deux, dans le cas que je vais citer, avait la majorité.

Au mois de juin, des élections ont eu lieu à Gand. Un seul des candidats n'avait pas obtenu la majorité absolue des suffrages. Il était soumis au ballottage, dont le résultat a été celui-ci : celui qui avait obtenu le moins de voix a été élu ; or, le chiffre qu'il avait obtenu au ballottage était inférieur à celui que son concurrent avait obtenu au premier scrutin.

Eh bien, je le demande, dans ce cas peut-on dire que celui des deux concurrents qui a eu son entrée dans la Chambre avait la préférence des électeurs ?

Au premier tour de scrutin, le candidat qui a échoué avait obtenu un nombre de voix supérieur à celui obtenu par son concurrent, qui a réussi. Que faut-il en conclure ? C'est que, pour un grand nombre d'électeurs, la participation au ballottage est impossible.

Mais il y a plus : il a été constaté que dans plusieurs localités on avait spéculé sur cette difficulté, on avait fait tout ce qui était possible pour éloigner les électeurs des campagnes ; à Gand, par exemple, le ballottage a été commencé très tard et un grand nombre d'électeurs se sont trouvés ainsi empêchés d'exprimer leur opinion.

Quant à moi, j'avoue que si j'étais nommé au ballottage avec un nombre de voix inférieur à celui qu'aurait obtenu mon concurrent au premier tour, je ne croirais pas avoir un mandat bien enviable.

Lorsqu'on veut entrer dans cette Chambre et surtout y soutenir le système que vient de défendre M. De Fré, il faut ne pas être en situation de s'entendre dire que notre concurrent a obtenu plus de voix que nous.

Je n'oserais rien affirmer, car mes souvenirs ne sont pas très précis, mais si je ne me trompe, l'idée de suppression du ballottage a déjà été exprimée dans cette Chambre, par un homme haut placé et justement estimé dans l'opinion libérale.

Eh bien, que proposons-nous ? Nous proposons de décider que le candidat qui, au premier scrutin, aura obtenu les deux cinquièmes des voix pourra être proclamé membre de la Chambre.

Remarquez, messieurs, que cette proportion est considérable et qu'au ballottage dont j'ai parlé tout à l'heure le candidat qui a été nommé n'a obtenu que peu de voix au delà des deux cinquièmes des votants au premier tour de scrutin. A ce ballottage, le candidat qui avait triomphé au premier tour de scrutin a échoué. Eh bien, pour empêcher le retour de pareil fait, nous avons proposé la disposition qui est dans le projet. Les candidats qui entreront dans cette Chambre avec les deux cinquièmes des suffrages peuvent très bien invoquer en leur faveur la volonté de leurs arrondissements, d'autant plus que beaucoup d'arrondissements n'envoient aux élections qu'un nombre très restreint d'électeurs.

Ce sont là les considérations qui nous ont engagés à présenter cette proposition. M. Royer de Behr voulait la suppression complète du ballottage.

Nous avons cru concilier toutes les opinions en proposant de décider que celui qui aura obtenu les deux cinquièmes des voix pourra être élu.

M. Coomans. - Si nous sommes justes, sincères et quelque peu intelligents, nous reconnaîtrons que les ballottages sont une mystification presque toujours, j'ose dire toujours. Rien ne m'a autant choqué dans notre organisation électorale, comme dans tous les systèmes électoraux que j'ai vus fonctionner ou que j'ai lus, rien ne m'a autant choqué, dis-je, que le système du ballottage.

Il réalise non seulement une mystification, c'est le mot propre, mais un mensonge, je dis un mensonge et une iniquité. Les ballottages ne sont (page 1178) favorables qu'à la minorité ou qu'aux électeurs qui n'ont pas besoin de se déplacer.

Je conçois parfaitement que les Bruxellois soient partisans du ballottage : ils vont voter en pantoufles, à quelques pas de leurs portes, quand il leur convient de voter, ce qui n'arrive pas chaque fois, tandis qu'un grand nombre de citoyens sérieux, zélés, doivent faire sept à huit lieues pour exercer leur droit électoral, et sont parfois obligés de découcher.

Je dis, messieurs, que cela n'est pas juste ; je dis que le ballottage est un mensonge partout, et particulièrement a Bruxelles.

M. Bara. - Je demande la parole.

M. Coomans. - Nous avons eu ici des ballottages nocturnes commençant, si je ne me trompe, à dix heures du soir.

- Plusieurs voix. - A onze heures !

M. Coomans. - C'est encore mieux, ou plutôt c'est plus mauvais encore. Et le cas aurait pu se présenter où un troisième vote aurait pu avoir lieu... (Interruption.) Il en serait ainsi dans le cas de nullités absolues pendant le ballottage.

Je vous demande, messieurs, si c'est là un système que puissent défendre des hommes loyaux et sérieux.

Quant à moi, je n'hésite pas à le dire, la suppression du ballottage serait un acte de justice rationnelle. Dans l'hypothèse où je me place un instant- bien platoniquement, car je sais bien qu'on ne renoncera pas au ballottage, messieurs, - les minorités auraient du moins la chance de faire passer quelques-uns de leurs représentants.

Les candidats qui n'obtiennent pas le nombre de voix rigoureusement nécessaire pour être proclamés sont les candidats de minorités parfois très importantes et qui seraient dignes d'être représentées.

Et ici, je ne parle pas seulement de l'arrondissement de Bruxelles, où la minorité est officiellement cléricale, mais d'autres arrondissements où la minorité est officiellement libérale et où elle n'est pas représentée. Je ne trouve pas juste que les deux tiers du corps électoral puissent nommer sept représentants comme à Gand, par exemple, et que le tiers restant ne puisse pas faire passer un seul candidat. A Bruxelles, vous disposez de treize voix et vous n'avez certainement pas les deux tiers des suffrages. Cela est-il juste ?

Vous êtes assurés de vos treize voix à la faveur du ballottage, parce que vous empêchez la minorité, qui se compose de vos adversaires, de prendre part à ce second scrutin ; et je trouve fort étrange que l'honorable M. De Fré vienne nous parler de justice, d'équité, de bon sens dans une question où il n'y a ni justice, ni équité, ni bon sens de son côté.

Oui, messieurs, le ballottage est une mauvaise chose et non seulement je suis disposé à le simplifier, ce qui ne ferait que diminuer les abus, mais je déclare que je serais heureux de le supprimer net.

Examinez de près la question électorale, messieurs, et vous constaterez que vous aurez aussi souvent que nous à souffrir de l'iniquité que je signale. Dans certains arrondissements, vous auriez droit à des voix que vous n'avez pas aujourd'hui. De notre côté, nous obtiendrions à Bruxelles des voix que nous ne parvenons pas à conquérir, malgré le chiffre considérable de la minorité.

Examinons sérieusement la situation et nous reconnaîtrons qu'il faut simplifier le ballottage ; que si une seule opération électorale pouvait être décrétée, cela vaudrait infiniment mieux que notre système actuel.

Quant à moi, au point de vue de la raison, de la justice, du bon sens, je dis que le ballottage est injustifiable. Et ce qui s'est passé à Bruxelles est souverainement scandaleux. J'ai vu partir des milliers d'électeurs à une heure indue, à neuf heures du soir, parce qu'ils ne pouvaient pas convenablement rester coucher à Bruxelles.

L'inégalité est donc manifeste en faveur des grands chefs-lieux d'arrondissement ; et, encore une fois, je dis en finissant ce que j'ai dit en commençant : que le mécanisme de notre organisation électorale est à défaire et à refaire.

M. De Fré. - Messieurs, le ballottage n'est pas une mystification, le ballottage est une nécessité. Il est certain que le candidat élu au ballottage doit avoir la majorité des électeurs qui votent au ballottage. Il a plus des deux cinquièmes des votants.

L'honorable M. De Lehaye vient de dire : Je veux avoir un mandat réel. C'est précisément parce que je veux que les élus, appelés à siéger dans les corps constitués, aient un mandat réel, qu'ils obtiennent non les deux cinquièmes, mais la majorité des votants. Le mandat réel ne peut être donné que par la majorité.

Il arrive sans doute que dans tel arrondissement au ballottage un candidat ait moins de voix que son adversaire nommé au premier tour. Mais c'est le résultat des circonstances. Il y a moins de monde qui vient au ballottage qu'au premier tour de scrutin : il y a des électeurs qui ne viennent plus après le premier tour du scrutin ; le troupeau clérical est dispersé.

M. Coomans. - Vous aussi vous avez votre troupeau, maïs plus bête que le nôtre. (Interruption.)

M. De Fré. - L'honorable M. Coomans met toujours du sel dans ses discours ; mais ce n'est pas du sel attique, c'est du sel de cuisine. (Interruption.)

Je proteste pour ma part contre l'introduction, dans la loi, d'un principe nouveau, contraire à nos traditions, à notre législation, à la justice.

Il n'est pas juste que celui qui a le moins de voix ait la majorité, car c'est déclarer en dernière analyse que la minorité dominera la majorité.

Maintenant, remarquons qu'il s'agit ici de candidats à la commune et à la province comme de candidats aux Chambres. Dans tous les cas, il ne s'agit pas du ballottage ; il s'agit du premier tour de scrutin ; je comprends que, par suite du ballottage, il y ait des mandataires dont l'un a plus de voix que l'autre ; c'est le résultat des circonstances. Mais je ne puis admettre qu'on inscrive dans la loi ce principe que les deux cinquièmes des voix formeront la majorité.

M. Bara. - Messieurs, je ne puis me rallier à l'amendement de la section centrale, et j'espère que le gouvernement ne s'y ralliera pas ; il n'a pas encore fait connaître ses intentions.

Le principe proclamé- par l'article 9 est complètement faux ; il est contraire à tout ce qu'enseigne la science et il est contraire à la pratique sérieuse de nos institutions.

Avant de le démontrer, je me permets de faire observer à la Chambre que tout ce que les honorables MM. De Lehaye et Coomans ont dit n'a aucun rapport à l'article en discussion.

Ils ont parlé des ballottages qui ont lieu dans les grandes villes, et ils prétendent que l'article 9 proposé par la section centrale a pour but de remédier à ces inconvénients ; cela est inexact. Nous avons voté hier l'article relatif au ballottage : c'est l'article 8, dans lequel on a déclaré qu'il n'y aurait plus de ballottage le même jour lorsque le ballottage ne peut pas commencer avant cinq heures l'été et avant quatre heures l'hiver.

Vous êtes donc satisfaits. Mais il y a plus ; je dis que jamais ni à Bruxelles, ni à Gand, d'après votre système, il n'y aura ballottage le même jour, parce que pour qu'il y ait ballottage à Gand et à Bruxelles, il faut que les élections soient terminées avant 4 heures de l'après-midi et que le résultat du scrutin soit proclamé.

Eh bien, à Bruxelles ces opérations ne sont jamais terminées avant 8 heures. A Gand, je crois qu'il est bien rare qu'elles soient finies avant 4 heures.

M. Jacobs, ministre des finances. - A Anvers, les opérations sont terminées à 2 heures.

M. Bara. - Soit, mais, M. Jacobs, vous avez proposé l'article 8 ; vous l'avez jugé suffisant ; si vous n'en voulez plus, dites qu'il n'y aura pas de ballottage le même jour, mais n'introduisez pas dans la loi un principe qui est destructif de toute espèce de confiance dans une représentation.

Je dis que cela n'est pas possible, messieurs. Songez bien à ce que vous allez faire. Il ne s'agit pas du ballottage. Si l'article 8 ne vous plaît plus, revenez sur cet article ; c'est votre droit. Dites qu'il n'y aura plus de ballottage le même jour. Il s'agit de savoir si on peut être élu quand on n'a pas la moitié des votes plus un ; il s'agit de savoir s'il peut exister soit à la province, soit à la commune, soit à la Chambre, un homme qui ne représente pas la majorité des votants.

Voilà le principe en discussion : vous allez voir, messieurs, que votre proposition est contraire à la liberté de l'électeur ; je regrette de le dire, mais je crois que vous vous laissez entraîner par une appréciation de la situation des partis en Belgique et que la disposition que vous proposez a un cachet politique.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je demande la parole.

M. Bara. - Vous savez très bien que le parti libéral ne peut pas avoir une très grande discipline, que le libre examen qui le domine... (Interruption.)

M. Coomans. - Oh ! oh !

M. Bara. - Il est réellement étonnant de voir M. Coomans, qui vote et qui votera tout ce que le gouvernement actuel lui demandera, qui est élu par un arrondissement essentiellement clérical, venir parler ici de discipline et faire l'étonné quand on lui dit que le parti libéral est le parti du libre examen ! Mais vous le reconnaissiez vous-même il y a quelque (page 1179) temps ; vous vous félicitiez, M. Coomans, de nos divisons ; vous disiez l'autre jour encore : « Les radicaux ne nous ont jamais fait de mal. » Je le crois bien, vous avez profité de nos divisions. (Interruption.)

Est-ce que les divisions existent dans vos rangs ? Est-ce que vous vous présentez à Turnhout en mettant les capucins dans le tambour ? (Interruption.) Mais on ne voudrait plus de vous si vous le faisiez, on vous renverrait ; et du reste, personnellement, vous n'avez pas de racines dans l'arrondissement de Turnhout.

Ne venez donc pas prétendre que notre parti ne se divise pas à raison de son principe, le libre examen. Cela est clair, cela est démontré par toutes les élections.

Mais, messieurs, que faites-vous par votre système ? Vous empêchez les divisions et les libres manifestations de l'opinion. Ainsi un parti arrive à une situation où certains membres croient devoir risquer le terrain électoral, essayer de faire passer une liste. Et que faites-vous ? Mais vous dites aux électeurs :

« Vous pouvez vous diviser ; mais, nous, parti clérical, toujours uni, nous allons en profiter pour faire élire nos candidats. Ils ont la minorité du corps électoral, pour eux, mais ils seront élus. »

Voilà véritablement la portée de votre proposition.

Eh bien, quand vous aurez fait cela, croyez-vous que vous vous serez fortifiés ? En aucune manière. Libéraux et radicaux seront unis pour vous déclarer que vous ne représentez pas l'arrondissement, que vous n'êtes que les représentants de la minorité, puisque, si l'on additionne les suffrages de la fraction libérale et de la fraction radicale, vous n'avez pas obtenu la pluralité des voix.

Vous voyez donc bien que votre principe consistant à nommer des députés, des conseillers communaux et des conseillers provinciaux avec les deux cinquièmes des voix est un principe contraire au véritable système de la représentation nationale. Vous ne pouvez admettre qu'on représente un corps électoral, lorsqu'on n'a pas la moitié des suffrages plus un.

Vous arriveriez ainsi à former, avec les deux cinquièmes des voix, une représentation fictive, à fausser le sentiment de la nation. Est-ce juste ? Est-ce loyal ? N'y a-t-il pas déjà assez de difficultés dans le gouvernement représentatif pour introduire dans les Chambres, dans les conseils communaux et provinciaux, des représentants des intérêts de la minorité chargés de représenter la majorité ? Vous ne pouvez le faire.

Je crois donc que le gouvernement fera sagement en ne se ralliant pas à la proposition de la section centrale.

Cette proposition est le résultat d'une erreur chez ceux qui l'ont formulée et qui l'ont défendue. Ils se sont imaginé qu'il s'agissait du ballottage. Il n'en est rien. Vous avez réglé le ballottage. Si vous trouvez que le ballottage ne peut se faire le même jour, introduisez une disposition nouvelle ; dites que le ballottage n'aura pas lieu le même jour ; mais ne venez pas faire des députés avec les deux cinquièmes des voix. Cette disposition introduite dans la loi aurait dans l'avenir des résultats très fâcheux.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable M. Bara s'est placé tout à l'heure sur un terrain purement politique. Selon lui, le ballottage aura pour résultat de constater l'union de l'opinion conservatrice, et peut-être aussi la désunion du parti libéral, à moins qu'il ne résulte des dispositions nouvelles que l'opinion libérale comprenne la nécessité de s'unir. (Interruption.)

L'honorable M. Bara disait tout à l'heure que l'union existe à droite, mais qu'elle n'existe pas à gauche. Or, s'il doit résulter de la proposition de la section centrale que la gauche sente le besoin de marcher unie et compacte au premier scrutin, il est évident, ce me semble, que cette disposition aura un résultat dont l'honorable membre devra se féliciter, celui de rapprocher les membres de l'opinion libérale. (Interruption.)

Messieurs, je désire envisager cette question à un autre point de vue qui, selon moi, est le seul dont la Chambre ait se préoccuper ; je veux parler de la sincérité des élections. Il importe à tout le monde que celui qui a l'honneur de siéger dans les conseils de la nation représente, de la manière la plus complète possible, le corps électoral, ou tout au moins les membres de ce corps électoral qui ont pris part à l'élection, c'est-à-dire ceux qui ont compris leur devoir en s'approchant de l'urne. Nous n'avons pas à nous occuper de ceux qui, tout au moins coupables d'indifférence, ne remplissent pas ce devoir.

Si la question se pose ainsi, ceux qui sont élus dans un ballottage, non pas à la majorité absolue, mais à la pluralité des voix, ceux qui sont élus dans un ballottage auquel ont pris part un petit nombre d'électeurs, représentent-ils mieux le corps électoral que ceux qui, à un premier scrutin, ont obtenu un nombre beaucoup plus considérable de voix sans atteindre néanmoins la majorité absolue ? En d'autres termes, pour reproduire les expressions de l'honorable M. Bara, la question de confiance, la question d'autorité n'est-elle pas toujours en rapport avec le nombre d'électeurs qui se sont prononcés en faveur de tel ou tel candidat ? (Interruption.)

N'est-il pas évident que celui qui a l'honneur de siéger dans cette enceinte et qui s'appuie sur l'expression de la volonté du corps électoral, représentée par un plus grand nombre d'électeurs, jouit d'une confiance plus grande, possède une autorité plus étendue que celui qui serait sorti d'un ballottage auquel un petit nombre d'électeurs auraient pris part ? (Interruption.)

Le système de la section centrale est surtout favorable aux membres du corps électoral appartenant aux classes inférieures, à ceux que nous voulons rapprocher de l'urne électorale et qui, à raison de leurs occupations et de leurs travaux, trouveraient des difficultés considérables à exercer leur droit si l'on maintenait le système de l'ancienne législation. C'est pour ces électeurs surtout qu'il est utile d'éviter des déplacements difficiles et onéreux.

L'honorable M. Bara, s'élevant vivement contre l'amendement de la section centrale, a prétendu qu'il était contraire à toute pratique sérieuse du système parlementaire.

Ceci, messieurs, me conduit à rechercher quelle est, sous ce rapport, la pratique d'autres pays.

Le système de la majorité relative est admis en France depuis vingt-deux ans.

- Un membre. - Avec le suffrage universel !

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Les législations différentes qui se sont succédé ont seulement varié sur ce point, que tantôt on exigeait le quart et tantôt le huitième des électeurs inscrits, mais tout le système repose sur le principe de la majorité relative et dans la discussion de la loi de 1850, un orateur insistait sur cette considération que la première condition de la représentation parlementaire se trouve dans la facilité et dans la liberté avec lesquelles les suffrages sont exprimés.

Mais ce n'est pas seulement en France, sous le régime du suffrage universel, que ce système est suivi.

Il est un pays qui marche le premier entre toutes les nations parlementaires, qui, à toutes les époques, s'est placé au premier rang comme le constant défenseur des libertés publiques ; je veux parler de l'Angleterre.

Or, en Angleterre le système de la majorité relative a été sans cesse en vigueur, et jamais on n'a songé à le changer.

En Allemagne, il est un pays qui depuis 1819 possède des institutions constitutionnelles ; c'est le Wurtemberg, qui a ouvert la voie à tous les autres peuples de l'Allemagne.

Ici aussi, la loi du Wurtemberg, de 1819, consacre le système de la majorité relative.

Voici, messieurs, ce que portent les articles 143 et 144 de cette loi :

Les votes des deux tiers des électeurs suffit pour la validité de l'élection.

Le droit d'élection ne peut s'exercer par mandataire.

L'élection a lieu à la majorité relative. Cependant il faut que cette majorité soit formée au moins du tiers des voix exprimées :

En Suisse, la constitution fédérale a consacré le système de la majorité absolue, mais dans un des Etats les plus importants, dans l'Etat de Genève, la constitution cantonale admet le vote à la majorité relative.

Il suffit, messieurs, de citer l'exemple de ces diverses nations qui pratiquent le système parlementaire, pour faire disparaître l'objection de M. Bara qui voit dans le principe de la majorité relative la négation de toute pratique sérieuse du régime parlementaire.

M. Bara.- Vous ne citerez pas ce qui se passe en France comme la pratique sérieuse des institutions parlementaires.

M. Jacobs, ministre des finances. - Les dernières élections ont été très sérieuses.

M. Bara. - Je ne le crois pas.

M. Muller. - Dans tous les cas vous n'y ayez pas songé quand vous avez fait votre exposé des motifs.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il y a lieu de rechercher, en ce qui concerne la Belgique, où est la sincérité de l'élection ; il y a lieu de se demander où est chez nous la vérité de la représentation du corps électoral, si elle résulte des élections qui ont lieu au scrutin de ballottage ou si le système préconisé par la section centrale est mieux de nature à l'atteindre et à la réaliser.

Ici, messieurs, nous nous trouvons devant des renseignements statistiques, devant des chiffres dont l'éloquence, ce me semble, est souveraine, (page 1180) car ils ne peuvent donner lieu à aucune contestation. Je demande à la Chambre la permission d'en mettre quelques-uns sous ses yeux.

Pendant ces dix dernières années, il y a eu plusieurs ballottages.

A Bruxelles, les candidats élus au ballottage avaient eu la majorité au premier tour de scrutin, et le système de la section centrale ne leur eût point nui s'il avait été appliqué.

Je laisse de côté les élections de Bruxelles, et je constate que dans les autres parties du pays, de 1861 à 1871, pour 17 sièges à la Chambre, 54 candidats ont été soumis au ballottage.

Sur ces 17 candidats qui avaient obtenu la majorité au premier tour de scrutin, 5 seulement ont été élus,, 12 ont échoué au ballottage.

Or, veuillez remarquer, messieurs, que sur ces 12 candidats qui n'ont pas été élus au premier tour de scrutin, il y en avait trois auxquels il ne manquait que deux voix et un auquel il n'en manquait que trois.

Dans dix cas sur dix-sept, le chiffre des voix obtenu au premier tour de scrutin par les candidats non élus dépassait celui des voix qui, au scrutin de ballottage, ont conféré le mandat de représentant.

En analysant les chiffres de ces dix-sept élections, on arrive à ce résultat bien digne de la sérieuse attention de la Chambre, que le nombre des voix des candidats non élus, qui au premier tour de scrutin était de 27,110, est tombé au ballottage à 15,380, c'est-à-dire que nous constatons une réduction énorme, une réduction de 45 p. c.

Ces candidats, dans des circonstances qui sont connues de tout le monde, et que l'honorable M. De Lehaye indiquait tout à l'heure, n'ont pas été élus par suite de l'impossibilité où se sont trouvés un grand nombre d'électeurs de prendre part au ballottage.

Voici, messieurs, un dernier chiffre sur lequel j'appelle également toute l'attention de la Chambre.

Les dix-sept candidats qui n'ont pas été élus avaient réuni, dans les deux tours de scrutin, 54,692 suffrages et les dix-sept élus n'ont obtenu dans ces deux tours de scrutin que 43,020 suffrages, c'est-à-dire environ 12,000 de moins que les candidats non élus.

Ici je demanderai à l'honorable M. De Fré quelle était la valeur de ces mandats ? N'est-il pas évident que c'était la minorité qui avait conféré le mandat ? Or, pour me servir des expressions de l'honorable M. Bara, un semblable mandat ne peut ni garantir la confiance de l'électeur, ni assurer l'autorité de l'élu ; et nous avons bien le droit de nous demander si ces dix-sept élus dont je parle sont entrés dans cette enceinte investis de cette confiance et de cette autorité, inséparables du mandat conféré par le corps électoral.

M. De Fré. - C'est la majorité des votants.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Non pas. Ce n'est que l'expression de la minorité des électeurs et c'est là ce qui condamne votre système.

Quant à nous, nous voulons nous appuyer sur la majorité des électeurs qui prennent part au vote ; et lorsque nous constatons que cette majorité n'est pas représentée par l'élu, que c'est au contraire la minorité qui fait l'élection, nous n'hésitons pas à dire que le système qui consacre la domination de la minorité est en opposition avec les prescriptions constitutionnelles. (Interruption.)

On me dit qu'il ne s'agit pas de ballottage ici, mais il est évident qu'il s'agit de prévenir le ballottage, de l'écarter toutes les fois qu'il ne conduira pas à une expression plus sincère de l'opinion de la majorité du corps électoral.

Mais il y a une autre considération : c'est qu'en matière provinciale et communale nous augmentons considérablement le nombre des électeurs. Cette considération sera mûrement pesée par cette Chambre, où une forte majorité est convaincue que, selon les circonstances et dans les limites constitutionnelles, il faut tenir compte, dans l'extension du droit de suffrage, et du développement de l'instruction et du développement de la richesse publique ; eh bien, dans cet ordre d'idées, n'est-il pas évident que nous devons, autant que possible, abréger les formalités, supprimer tout ce qui peut rendre plus difficile l'accès de l'urne électorale ?

Telles sont les considérations qui portent le gouvernement à adhérer à l'amendement de la section centrale comme assurant davantage la sincérité du système électoral, c'est-à-dire, la représentation la plus complète possible de la majorité des électeurs prenant part à l'élection.

M. Bara. - Je propose à la Chambre l'amendement suivant :

« Remplacer l'article 9 par l'article suivant :

« En cas de ballottage, le scrutin sera remis au jour fixé par l'arrêté de convocation des électeurs. »

- Cet amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

M. Coomans. - J'ai demandé la parole pour répondre à M. De Fré ; mais j'aime autant répondre à M, Bara, l'une tâche étant aussi facile que l'autre.

On prétend, bien à tort, qu'en supprimant le ballottage on ferait toujours prévaloir la minorité ; c'est exactement le contraire qui arrive aujourd'hui ; le ballottage n'est jamais favorable qu'à la minorité, surtout dans les grands districts électoraux.

L'honorable M. Bara commet, du reste, une erreur de fait ; il dit qu'à Bruxelles la disposition ne serait jamais applicable, attendu qu'il y a treize représentants, sans compter les sénateurs, à élire, qu'en conséquence le scrutin ne pourra jamais être fermé à 3 ou 4 heures.

Mais pourquoi pas ? Vous avez vu le scrutin fermé à Bruxelles souvent à midi ; n'y a-t-il pas des cas où un ou deux représentants sont à élire ? Mais n'avons-nous pas vu M. De Fré, qui déclare que le candidat doit être nommé par la majorité, ne l'avons-nous pas vu nommé par un millier de votants sur 13,000 électeurs ? (Interruption.) Oui, M. De Fré,vous êtes l'élu de la minorité ; ainsi donc respectez la minorité.

M. De Fré. - J'avais la majorité des votants, sans quoi je n'aurais pas été élu.

M. Coomans.- Oui, mais cette majorité des votants ne représentait que la petite minorité des inscrits, et que faites-vous de la souveraineté nationale dans cette hypothèse ? A moins de supposer que tous ceux qui se sont abstenus étaient vos partisans.

Le supposer serait une inconséquence de ma part et une outrecuidance de la vôtre. (Interruption.)

L'honorable M. Bara, d'accord en ce point, comme en beaucoup d'autres, avec l'honorable M. De Fré, prétend que la droite est toujours unie comme un troupeau. C'est ce mot qui m'a fait prendre la parole ; j'y reviendrai tout à l'heure.

Et, messieurs, rien n'est plus faux que cette assertion. La droite me paraît moins unie que la gauche.

Dans une circonstance solennelle- ce souvenir, j'espère, ne fera pas bondir l'honorable M. Vleminckx- M. Vleminckx, repoussé par la majorité des électeurs libéraux, n'a-t-il pas été, à la suite d'un ballottage, nommé contre l'honorable et très honorable général Capiaumont, qui avait obtenu plus de voix que lui au premier tour de scrutin ?

M. Vleminckx. - Pas le moins du monde.

M. Coomans. - Et n'a-t-on pas dit : Nommons M. Vleminckx, pour ne pas laisser passer un clérical ? (Interruption.)

M. le président. - Vous êtes inscrit, M. Vleminckx ; veuillez ne plus interrompre.

M. Coomans. - Voilà ce qui s'est passé...

M. Orts. - M. Vleminckx avait obtenu trois cinquièmes des voix, et M. Capiaumont les deux autres cinquièmes. Voilà ce qui s'est passé.

M. Coomans. - Ce qui est incontestable, dans tous les cas, c'est que M. Vleminckx n'a pas été élu par la majorité au premier tour de scrutin et qu'il n'a été élu au second tour que par la minorité des inscrits et même des votants du jour.

Mais, messieurs, qu'ai-je à démontrer ? C'est que l'accord s'est établi sur le nom de M. Vleminckx ; et que l'accord était tellement dans les besoins de la situation qu'il s'est conclu contre la conscience d'un très grand nombre d'électeurs. J'en ai eu des témoignages trèsremarquables.

Puisqu'on a cité mon nom ; il doit bien m'être permis d'en désigner d'autres à mon tour.

M. Vleminckx. - Mais vous avez dit la chose qui n'est pas.

M. le président. - Vous êtes inscrit ; n'interrompez pas.

M. Coomans. - Peu importe, au fond, qui, de M. Vleminckx ou de M. Capiaumont, a obtenu le plus de voix au premier tour de scrutin ; ce qui est certain, c'est que, nommé à la suite d'un ballottage, vous n'avez pas été l'élu de la majorité.

Vous dites que je suis toujours d'accord avec mes amis de la droite. Or, je le suis si peu dans cette question-ci, que je voudrais la suppression radicale du ballottage, parce que je le considère comme un mensonge et une déloyauté ; un mensonge qui ne profite qu'aux minorités ou bien aux électeurs privilégiés des grands centres électoraux, ceux qui, comme je le disais tantôt, votent en pantoufles.

Oh ! je comprends très bien l'amendement que l'honorable M. Bara vient de vous présenter pour ajourner le ballottage. Qu'on l'ajourne de quelques heures ou de quelques jours, peu importe : c'est encore un moyen d'atteindre le but qu'on a exclusivement en vue : qui est d'écarter la moitié du corps électoral ; de l'empêcher matériellement de venir exercer le premier des droits politiques.

(page 1181) Vous savez parfaitement qu'il déplaît à la majorité des électeurs de se déplacer, de subir cette humiliation coûteuse de venir voter à plusieurs lieues de chez eux alors que les messieurs des grandes villes votent sans déplacement à l'heure indiquée.

Les observations doctrinales,- je ne dis pas doctrinaires, - que je viens de présenter sont dans l'intérêt de tous.

Car nous avons tous intérêt à réaliser la sincérité des élections, à avoir toujours l'expression de la volonté du plus grand nombre et à la respecter toujours, quoique je reconnaisse que cette volonté ne soit pas toujours la meilleure ; mais cette majorité s'exprime au premier vote mieux qu'au ballottage. C'est pour cela que je voudrais que, pour être élu, il fallût réunir les cinq sixièmes des suffrages.

Vous écarteriez, de cette façon, les hommes passionnés et même les indignes ; vous obligeriez les partis à s'entendre sur certains noms, et vous auriez une représentation meilleure que toutes celles que nous avons obtenues jusqu'ici. (Interruption.)

Vous vous récriez contre cette idée qui n'est pas nouvelle et qui a été soutenue par des esprits éminents et vous avez tort. N'avez-vous pas vu pratiquer dans le monde entier le droit de vote, droit qui est bien plus grave, bien plus exclusif, bien plus sévère ? N'avez-vous pas vu défendre de faire des lois qui n'auraient pas obtenu l'unanimité des suffrages ? Ce n'est pas une simple théorie ; c'est une idée qui a été expérimentée dans l'histoire et dont la pratique séculaire n’a pas donné lieu à de grandes difficultés.

Je voudrais qu'aucun vote ne fut définitif qu'à moins que les cinq sixièmes des suffrages ne fussent acquis ; et nous arriverions ainsi à ne faire que de bonnes lois et à n'en supprimer que de mauvaises. (Interruption.)

On me dit qu'en Angleterre il faut l'unanimité du jury pour condamner un homme, même à la prison, tandis qu'ici il suffit de la majorité absolue d'une seule voix pour perdre un peuple.

Messieurs, on a dit - et je crois que le mot m'était particulièrement applicable - que nous conduisions aux comices notre troupeau. Quant à moi, je m'honore de ne pas être le Guillot, le berger d'un troupeau électoral quelconque. Mais puisqu'on parle d'un troupeau, j'en connais un : c'est le troupeau maçonnique... (Interruption.) et le troupeau des électeurs assermentés.

Il n'est pas plus respectable que tout autre troupeau politique... N'avez-vous pas trouvé le moyen de partager vos coreligionnaires politiques en trente-trois degrés de l'intelligence ? N'avez-vous pas mis au bas de cette échelle les imbéciles ; un peu plus haut, ceux qui ne le sont pas tout à fait ; un peu plus haut, ceux qui ont quelque intelligence, et ainsi de suite, en vous réservant à vous les hauts degrés de l'intelligence ? Voilà les trente-trois degrés d'intelligence dans lesquels vous avez réparti vos coreligionnaires politiques. Eh bien, je serais très embarrassé de diviser les catholiques en trois ou quatre degrés d'intelligence.

Et puisque je parle du troupeau maçonnique opposé au troupeau clérical, laissez-moi vous dire ceci avec ma franchise habituelle ; vous m'excuserez, vu ma loyauté et mes bonnes intentions.

Vous avez attaqué les ouvriers belges, les bons ouvriers qui ne sont pas pauvres, qui payent 10 francs d'impôts directs, en dehors des 20 francs d'impôts indirects qu'ils payent aussi ; vous les avez attaqués, vous les avez présentés comme des communards, comme des communistes, comme des communeux, qui vont transformer la ville de Bruxelles et d'autres villes belges en autant de petits Paris. Voilà l'outrage que vous avez adressé à cette majorité véritable, vous qui invoquez aujourd'hui les droits de la majorité fictive.

Quand vous parlez des droits de la majorité, c'est des privilèges que vous parlez, tandis que moi je parle de la véritable majorité belge. Eh bien, cette majorité belge, vous l'avez outragée constamment, vous l'avez outragée, selon moi, en la dépeignant comme désireuse de pratiquer la commune parisienne à Bruxelles, à Liège, à Gand, peut-être ailleurs.

- Un membre à gauche. - C'est M. Dumortier qui a dit cela.

M. Coomans. - Nous avons vu, messieurs, le troupeau maçonnique parisien, qui certes n'est pas composé d'imbéciles, qui est formé de vrais contribuables, de professeurs et de gens possédant des capacités, nous avons vu tout ce troupeau dont vous avez exalté les lumières, venir adhérer presque unanimement, 120 loges à la fois, à la commune de Paris.

N'avons-nous donc pas le droit, nous catholiques, défenseurs du peuple belge, de dire que vous outragez les ouvriers en les accusant de socialisme rapace ?

N'avons-nous pas le droit de dire que le peuple belge, à qui vous avez fait un reproche odieux, inique, vaut cent fois mieux que le troupeau maçonnique de la ville la plus civilisée, la plus éclairée, selon vous ? C'est donc dans vos rangs que sont les révolutionnaires ; dans tous les cas, ils sont dans vos doctrines, ils les professent, ils les pratiquent et nous repoussons vos jugements partiaux.

- Voix à droite. - Très bien !

M. le président. - Avant de donner la parole à l'orateur qui est inscrit après M. Coomans, je dois avertir la Chambre que l'amendement que propose M. Bara ne me paraît pas pouvoir être maintenu dans la discussion ; il est contraire à l'article 8 qui a été voté hier et qui décide que le ballottage peut avoir lieu le même jour que le premier scrutin. Si M. Bara maintient son amendement, je lui donnerai la parole pour l'expliquer.

M. Bara. - Il me sera permis d'entrer dans certaines considérations sur l'article lui-même ? Il n'y a plus d'orateurs inscrits.

M. le président. - Pardon, il y a encore quatre orateurs inscrits.

M. Bara. - Dans ce cas, je parlerai à mon tour.

M. le président. - La parole est à M. De Lehaye.

M. De Lehaye. - Messieurs, des chiffres expliqueront à toute évidence ce que j'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure à la Chambre. J'ai dit que ce n'était pas toujours le candidat de la majorité qui réussissait au ballottage et, en effet, si je me reporte aux élections du 14 juin, je vois que le candidat élu définitivement au ballottage n'avait obtenu, au premier tour de scrutin, que 2,446 suffrages, tandis que son concurrent en avait obtenu 2,941 au premier scrutin. Il y avait donc entre eux un écart de 500 voix.

Or, je voudrais que l'honorable M. de Fré eût l'obligeance de me dire lequel de ces deux candidats était véritablement l'homme de la majorité : l'un obtient 2,941 voix, l'autre n'en obtient que 2,446, c'est-à-dire 500 de moins que son concurrent et il est élu.

Je crois, messieurs, que ces chiffres-là expliquent parfaitement ce que j'ai eu l'honneur de vous dire. C'est une réponse péremptoire à ce qu'a dit l'honorable M. De Fré.

Si donc vous voulez l'homme de la majorité et l'homme de la majorité tel que nous le demandons, il faut admettre la proposition de la section centrale, car avec les deux cinquièmes des suffrages, on obtient un nombre considérable de voix. Ce qui le prouve, c'est qu'à Gand pour atteindre cette proportion des deux cinquièmes, il fallait obtenir 2,410 voix.

Vous conviendrez que ce chiffre n'est que de fort peu de chose en dessous du chiffre obtenu au scrutin de ballottage puisqu'il n'est inférieur que de 30 voix au nombre de suffrages obtenus par le candidat élu définitivement.

Ces chiffres justifient donc la proposition de la section centrale et c'est ce qui m'engage à inviter mes honorables collègues à la voter.

M. Le Hardy de Beaulieu. - Messieurs, je ne puis pas me rallier au système de la section centrale. Nous ne devons pas oublier que le corps électoral qui nomme les membres de cette Chambre ne représente qu'un treizième de la population mâle et majeure. Or, donner aux deux cinquièmes de ce treizième le droit de nommer les représentants qui font les lois du pays, me paraît absolument impossible..

Comment ! pour citer un exemple dans un corps électoral qui serait composé de 500 électeurs, nommant un représentant, 300 électeurs se divisant sur deux candidats appartenant à la même opinion et 200 étant d'accord sur un seul candidat appartenant à une opinion opposée, ce seraient ces 200 voix, c'est-à-dire la minorité, qui nommeraient le représentant ?

Et ce serait ce représentant qui serait chargé de faire avec ses collègues les lois du pays ? Il me semble, messieurs, que cela n'est pas soutenable un seul instant et que si ce système pouvait passer dans la loi, il serait la ruine de nos institutions.

Le privilège des électeurs est déjà exorbitant. Un treizième de la population fait la loi pour les douze autres treizièmes. C'est un privilège trop grand pour ne pas le fortifier encore en donnant à la minorité de ce treizième le droit de faire des lois.

Messieurs, supposons le cas où la même situation se représenterait dans tous les collèges électoraux, ce seraient donc les deux cinquièmes de la population électorale du pays qui viendraient siéger sur ces bancs et faire les lois...

Mais la majorité réelle ne le supporterait pas un seul instant.

L'histoire, l'histoire récente même de notre pays le prouve ; une minorité ne peut faire la loi, ni imposer sa volonté, même par surprise. La loi alors n'est pas acceptée par la majorité, et celle-ci doit trouver le moyen de faire prévaloir son opinion.

(page 1182) Je vous en prie, messieurs, n'inscrivez pas dans la loi un principe mauvais en soi, illogique et insoutenable.

M. Vleminckx. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel.

L'honorable M. Coomans, à l'appui de l'opinion que les deux cinquièmes des électeurs peuvent être appelés a nommer des députés, m'a pris à partie et a cru convenable d'insinuer que si cette disposition avait existé, je n'aurais pas eu l'honneur de rester dans cette Chambre.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.

M. Vleminckx. - C'était la conclusion de votre insinuation.

M. Coomans. - Pas du tout.

M. Vleminckx. - Or, c'est précisément le contraire qui a eu lieu. Le très honorable ami de M. Coomans avait eu, comme l'a dit l'honorable M. Orts, les deux cinquièmes des voix quand j'en avais eu les trois cinquièmes.

Donc, en vertu de cet article même que l'honorable M. Coomans recommande à la Chambre, et qui pour moi est détestable, j'aurais été bien été dûment élu.

M. Guillery. - J'ai été fort surpris en entendant l'honorable ministre de l'intérieur et l'honorable M. De Lehaye dire que, pour arriver à ce résultat si désiré que les élus soient l'expression de la majorité du corps électoral, il faut qu'ils soient élus par les deux cinquièmes, car, en définitive, c'est le raisonnement sur lequel repose la défense de la proposition de la section centrale.

Je ne me dissimule pas que les ballottages, tels qu'ils se font aujourd'hui, ont été l'objet de très justes réclamations. Aussi j'applaudis, quant à moi, à l'amélioration que l'article voté hier a apportée à notre législation actuelle et si l'on veut même aller plus loin, si l'on veut dire que le ballottage aura lieu huit ou quinze jours après l'élection, je suis prêt à y donner les mains, parce que je reconnais que la situation actuelle constitue une certaine injustice pour une partie des électeurs.

Mais la disposition que nous discutons en ce moment n'a rien de commun avec le ballottage. On ne propose pas de supprimer le ballottage ; et de plus, l'article en question, d'après les développements qui ont été donnés, ne s'applique qu'aux élections parlementaires. Pour les élections à la commune et à la province, aucun des arguments qui ont été donnés ne peut se produire, puisque tous les électeurs votent sur place.

Ainsi donc il faudrait tout au moins, pour être logique, restreindre la proposition de la section centrale aux élections générales.

Quant à ces élections mêmes, il m'est impossible d'admettre que le système des deux cinquièmes des voix puisse assurer en quoi, que ce soit la sincérité de l'expression de la volonté de la majorité.

Supposons une élection générale et admettons, pour un instant, que tous les arrondissements du pays aient des élus aux deux cinquièmes des votants ; vous aurez une Chambre qui ne représentera pas la majorité du pays. Or, je ne puis pas admettre que la majorité s'incline devant la minorité.

Pour toutes les matières où la Constitution a parlé d'élections, le système suivi jusqu'à présent a toujours été la majorité absolue. Rien ne se décide que par la majorité absolue.

L'honorable M. Coomans a parlé du jury, mais pour la condamnation il faut non seulement la majorité de 7 voix contre 5 ; il faut encore que la cour se joigne à la majorité du jury.

M. Coomans. - J'ai parlé du jury anglais.

M. Guillery. - Vous avez parlé du jury anglais et vous avez ajouté qu'en Belgique il suffisait de la majorité d'une voix.

La sincérité des élections ne peut venir que de la majorité. On dit qu'au ballottage les électeurs ne se représentent plus ; tâchons d'assurer le plus grand nombre possible d'électeurs au ballottage, mais ce n'est pas en décidant qu'il suffit d'une majorité des deux cinquièmes que vous obtiendrez la sincérité des élections.

Pourquoi le ballottage a-t-il été introduit ? C'est parce que les électeurs n'ont pas seulement à se prononcer par oui ou par non ; il n'y a pas seulement deux partis, il peut y en avoir trois et il faut permettre aux électeurs, dont les voix se sont divisées au premier tour de scrutin, de reporter ensuite leurs suffrages sur l'un des deux candidats qui ont eu la majorité relative.

Si les électeurs ne viennent pas au ballottage, c'est sur eux que tombe le reproche ; mais si nous faisons une mauvaise loi, le reproche tombera sur nous.

Donnons aux électeurs toutes les facilités possibles pour venir au scrutin de ballottage ; modifions l'article 8 s'il le faut, mais ne prenons pas un système qui porte en lui-même un principe destructif de la représentation sincère de la majorité du pays.

M. Bara. - Qu'il me soit permis de répondre un mot à M. Coomans.

M. Coomans a dit que les membres de la gauche injuriaient les ouvriers, les traitaient de communeux, parlaient d'eux de la manière la plus outrageante.

Je voudrais bien savoir dans quelle bouche sur les bancs de la gauche l'honorable M. Coomans a surpris un pareil langage.

Supposons que les membres de la gauche, l'unanimité même, puisque personne d'entre eux n'a voulu le suffrage universel, ait refusé à l'ouvrier le droit de voter. Etait-il pour cela dans la pensée de quelqu'un d'outrager l'ouvrier ?

Outrage-t-on les femmes et les enfants parce qu'on ne leur donne pas le droit de suffrage ? (Interruption.)

Au surplus, vous feriez bien de vous occuper du langage de vos propres amis.

Des paroles bien plus vives pour la classe ouvrière ont été prononcées par un de vos voisins, par un des chefs de votre parti, l'honorable M. Dumortier.

M. Coomans. - Cela ne me regarde pas.

M. Bara. - Cela ne vous regarde pas, mais vous venez en profiter. M. Dumortier, que vous reniez, c'est à lui, à ses amis et à ses doctrines que vous devez votre place de député. (Interruption.)

Quant à nous, nous n'avons jamais parlé d'une manière outrageante pour la classe ouvrière, pour laquelle nous avons fait plus que vous, car ce n'est pas par des parades, des lazzis et des bons mots que l'on témoigne de l'intérêt aux ouvriers ; c'est en proposant des projets de lois qui leur sont utiles et non en amusant le public. (Interruption.)

M. Coomans. - Il faut les respecter.

M. Bara. - Nous les respectons plus que vous. Quand vous venez prétendre que nous outrageons les ouvriers, vous ne nous respectez pas et vous manquez aux égards dus à vos collègues.

J'ai entendu un député tenir un langage outrageant, je l'ai entendu dire que tout le corps électoral, depuis le haut jusqu'au bas, était pourri. Ce député, c'est M. Coomans. (Interruption.)

C'est ce corps pourri qui vous a envoyé à la Chambre, car il n'a pas été modifié depuis lors. (Interruption.)

Comme le font très bien remarquer des membres à côté de moi, vous devriez ne point parler de votre intérêt pour la classe ouvrière.

Il y a, dans le code civil, un article qui est injurieux pour la classe ouvrière.

Nous, libéraux, nous avons fait tous les efforts imaginables pour le faire supprimer.

M. Coomans. - Et moi aussi !

M. Bara. - C'est le chef du cabinet actuel qui a contribué à faire succomber la proposition au sénat.

M. De Lehaye.- Cela prouve que nous ne sommes pas d'accord.

M. Royer de Behr, rapporteur. - Cela prouve que la droite n'est pas un troupeau.

M. le président. - Revenons à la question.

M. Bara. - Cela prouve que l'amour de l'ouvrier n'est que sur les lèvres. Quant à la franc-maçonnerie, l'honorable M. Coomans s'est plu à attaquer les maçons, disant qu'il ne les connaissait pas.

il aurait fait mieux de ne pas les attaquer s'il ne les connaissait pas.

La franc-maçonnerie belge sait respecter ses devoirs, et elle dédaigne vos outrages.

Mais si M. Coomans veut des renseignements sur la franc-maçonnerie, qu'il s'adresse à M. Landeloos ; il est un de ceux qui se trouvent sur cette échelle si ignominieuse à cause de ses nombreux degrés et je crois même qu'il est plus haut qu'au milieu. (Interruption.)

Messieurs, l'article 9 du projet de loi ne parle que de l'élection par les 2/5 des voix et en ce point l'observation que faisait tout à l'heure M. le président, quant à mon amendement, pourrait être fondée. Mais, messieurs, je ferai d'abord remarquer que mon amendement s'applique aux élections provinciales et aux élections communales, tandis que l'article 8 ne s'occupe que des élections générales.

Mon amendement avait pour but de répondre aux observations faites relativement aux ballottages nocturnes. Au surplus j'ajouterai que c'est de bonne foi que nous avons voté l'article 8.

L'article 8 du projet du gouvernement et l'article 9 de la section centrale forment un tout et il est évident que si nous avions su que le gouvernement se ralliait à l'article 9, nous aurions pris une autre attitude à l'article 8. Le gouvernement ne s'était pas prononcé et ici je me permets d'appeler l'attention de la Chambre sur la conduite du gouvernement. (page 1183) M. Kervyn était tout préparé ; il semble que le gouvernement n'a pas voulu prendre l'initiative de cet article, mais il l'a laisse glisser dans le projet de loi ; le gouvernement paraît avoir été d'accord avec les honorables membres qui l'ont introduit ; voilà la vérité.

On y tient beaucoup comme à un article important et je reconnais qu'il est important. C'est une machine de guerre dirigée contre le parti libéral.

M. De Lehaye. - Contre les abus.

M. Bara. - Pas contre les abus, car vous devez reconnaître, dans votre loyauté, que du moment où nous vous concédons que le scrutin de ballottage n'a pas lieu le même jour dans les grandes villes, les abus ne peuvent plus exister.

M. De Lehaye. - Et les frais de déplacement ?

M. Bara. - Les frais de déplacement ! est-ce que pour éviter des frais de déplacement, qui seront insignifiants, vous allez outrer, fausser la représentation nationale et faire représenter le pays par la minorité. Messieurs, votre raison n'est qu'un prétexte ; la vérité est que vous avez étudié sur le terrain nos luttes électorales et vous voulez profiter de ce qu'il y a quelquefois plusieurs listes dans le parti libéral pour faire passer la liste catholique.

Eh bien, supposons une ville, Bruxelles, par exemple, où vous obtiendrez treize députés par votre système, mais vous provoqueriez dans la population bruxelloise des mécontentements les plus dangereux. Quand vous aurez dans une capitale les mandataires qui ne représenteront que les deux cinquièmes des électeurs votants, je vous demande si vous pourrez compter sur l'ordre. Non, la capitale ne resterait pas paisible en présence d'une manœuvre qui la dépouillerait de ses députés véritables. (Interruption.)

Mais vous, M. De Lehaye, accepteriez-vous un mandat que vous n'auriez obtenu qu'à la faveur des divisions de l'opinion libérale, quand vous savez que les radicaux vous sont opposés ? Accepteriez-vous de siéger alors que vous savez que si les libéraux avaient voté avec les radicaux, vous n'auriez pas été nommé ?

M. De Lehaye. - C'est ce qui a eu lieu à Gand.

M. Bara. - Vous parlez des ballottages du soir ; j’en admets les inconvénients, mais c'est autre chose.

Je vous concède que des abus ont eu lieu ; je ne prétends nullement que le système actuel soit irréprochable et je suis tout disposé à voter une disposition spéciale en vertu de laquelle le ballottage n'aurait plus lieu le jour même de l'élection dans les principales villes du pays : Bruxelles, Gand, Liège, Anvers.

Mais n'allez pas, pour corriger une imperfection que je reconnais, introduire dans la législation ce principe faux de la majorité des deux cinquièmes des voix.

Décréter un pareil principe serait faire acte d'une violence inouïe à l'égard du parti libéral ; ce serait semer des germes de mécontentement profond dans tout le pays ; car il est évident que la disposition proposée n'a d'autre but que d'escamoter les élections.

Il est, messieurs, un fait qu'on ne contestera certainement pas ; c'est qu'il est sans exemple que le parti conservateur ait jamais présenté deux listes concurrentes dans un même arrondissement ; tandis que, très fréquemment, dans le parti libéral, il y a des divisions qui se manifestent par des listes concurrentes de candidats.

En présence d'une pareille situation, n'est-il pas de toute évidence que la disposition proposée aura pour conséquence d'assurer l'élection de candidats nommés par une majorité fictive. Je vous demande si cela est juste. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur nous a parlé de la législation en vigueur en France et en Angleterre et il nous l'a citée comme modèle. A mon avis, messieurs, ce n'est pas précisément dans la législation française de 1849 que nous devons chercher un exemple à suivre.

Quant à la législation anglaise, M. le ministre a oublié un détail important ; c'est que là on commence par voter à main levée ; et ensuite les bureaux sont ouverts où les électeurs vont faire inscrire leur vote et ils ont pour cela la journée tout entière, De plus, le vote n'est pas secret. C'est donc un système tout différent du nôtre, puisque chez nous on vote par bulletin en répondant à l'appel ou au réappel des électeurs.

C'est donc encore une fois le cas de dire que comparaison n'est pas raison. J'ajoute que la législation anglaise n'a pas encore dit son dernier mot et qu'en ce moment même on recherche un nouveau moyen de voter.

Je pense donc, messieurs, que la Chambre ne peut pas voter cet article et qu'il y aurait tout au moins lieu de renvoyer la disposition à la section centrale pour qu'elle examine s'il n'y a pas quelque système préférable.

Pourquoi ne pourrait-on pas décider, par exemple, que pour les quatre ou cinq des principales villes du pays, le ballottage aura lieu un autre jour que celui de l'élection quand il s'agira de nommer plus d'un certain nombre de membres ?

Encore une fois, messieurs, parce que le système électoral est vicieux, ce n'est pas une raison pour introduire dans notre législation une disposition qui vicierait dans son essence le système électoral qui nous régit depuis 1830. Quand le Congrès a fait la première loi électorale, il a consacré le principe de la majorité absolue ; ce principe est également dans l'esprit de notre Constitution, et jamais on n'a songé à faire nommer des représentants à la majorité fictive de deux cinquièmes des voix.

Avec un pareil système vous aurez des représentants sans autorité, à qui l'on pourra toujours reprocher de n'avoir été élus que grâce à la division de leurs adversaires et de n'occuper leurs sièges que par usurpation.

Messieurs, vous avez la force du nombre ; n’en abusez pas pour introduire dans notre législation un principe nouveau et contraire à toutes nos traditions.

M. de Theux. - Messieurs, j'avais proposé, lors d'une discussion électorale, qu'on ordonnât toujours un ballottage à huit jours d'intervalle, mais que ce ballottage serait accompli au chef-lieu du canton, pour éviter la répétition des frais énormes que nécessite d'ordinaire une première élection. Je trouvais qu'imposer aux candidats les frais d'une seconde élection, au chef-lieu d'arrondissement, c'était par trop exorbitant.

Et cela est vrai. La grande plaie de notre système électoral, ce sont les frais électoraux. Les deux Chambres s'en sont occupées. On a cherché à y porter remède, en proposant d'indemniser les électeurs de leurs frais de déplacement. Ce système, qui avait cependant beaucoup d'adhérents, n'a pas réussi. Et voilà pourquoi cette plaie subsiste encore.

Il n'y a pas bien longtemps, un honorable membre de la gauche de cette Chambre me signalait les inconvénients graves qui étaient la conséquence de ce système ; il faisait connaître les frais énormes auxquels il avait été astreint, et il disait que ce système empêchait des candidats honorables d'aspirer à l'honneur de devenir représentants ou sénateurs ; mais l'inconvénient est moins grave pour les sénateurs ; car les sénateurs sont censés avoir une fortune suffisante,

Eh bien, si l'on adoptait la proposition de M. Bara, on substituerait un inconvénient à un autre.

Aujourd'hui, les ballottages ne sont pas sincères. Dans le système de M. Bara, la seconde élection donnerait lieu à une répétition de frais et d'embarras pour les électeurs qui devraient se déplacer de nouveau. Si, au moins, l'honorable membre avait ajouté à sa proposition que le ballottage serait accompli au chef-lieu du canton, les frais seraient moindres, ainsi que les embarras, et l'on ferait ainsi l'expérience d'un système qui a été souvent préconisé, celui des élections au chef-lieu du canton. Ce système me paraît présenter beaucoup d'avantages.

Mais il n'en est pas de même du système de M. Bara. Il est évident que, dans ce système, celui des deux candidats ballottés qui aura le plus de fortune aura aussi le plus de chance de réussir.

Eh bien, ce n'est pas là ce que nous devons chercher ; nous devons chercher la justice, autant qu'il est possible de l'atteindre. Or, il est universellement reconnu que le système des ballottages tardifs ou nocturnes n'est pas juste.

Qu'on ne pense pas que cela s'applique uniquement aux grandes villes. Je rappellerai un fait qui s'est présenté en 1857 à Louvain. Il y a eu là de très grands inconvénients ; il y a eu même des désordres, et le candidat qui avait obtenu le plus de voix au premier tour n'a pas été élu au ballottage.

Cela peut se présenter dans beaucoup de villes, pourquoi ? Parce que notre système c'est la concentration des élections dans les chefs-lieux d'arrondissement ; et de là naissent la plupart des difficultés de notre mécanisme électoral, les élections prolongées, les grands frais, les déplacements très onéreux. Telle est la source des inconvénients qu'on n'a cessé de signaler ici pendant un grand nombre d'années. Je comprends que les députés de Bruxelles soutiennent le système qui perpétue ces inconvénients et dont ils profitent ; car il faut le reconnaître, le nombre des représentants du district de Bruxelles est trop considérable : il n'y a personne qui puisse, soit en politique, soit en justice, contester la vérité de cette assertion.

Maintenant, puisqu'on n'a pas admis le système du scrutin de ballottage au chef-lieu du canton, j'appuierai le système des deux cinquièmes des voix pour être élu au premier tour de scrutin ; ce système a cet avantage, c'est que ceux qui auront été élus au premier tour de scrutin auront obtenu tout au moins un nombre aussi respectable de voix que s'ils avaient été élus au scrutin de ballottage ; ceci remédie au vote par un seul scrutin de (page 1184) liste, qui pourrait amener une élection à un nombre de voix peu considérable.

Maintenant, messieurs, cette disposition s'appliquera également aux élections provinciales et aux élections communales.

Le système de ballottage proposé par M. Bara, si l'on veut que les candidats réunissent une majorité absolue, présente aussi certaines difficultés même pour ces élections, car dans les grandes communes ce ne serait pas sans inconvénient qu'on devrait réunir deux fois le corps électoral communal. Cela constituerait un grand embarras. Vous voyez déjà aujourd'hui combien l'on a de peine à réunir une première fois les électeurs communaux.

La capitale nous en donne la preuve.

Croyez-vous que si l'on devait faire une seconde opération, ceux qui ont participé à la première se représenteraient tous ? Mais assurément non ; il s'en présenterait beaucoup moins.

Vous voyez donc que, quoi que vous fassiez, vous tombez toujours dans les mêmes inconvénients.

Aussi il ne faut pas s'arrêter à une théorie ; il faut s'arrêter surtout à la justice et aux convenances publiques. Or, je dis que l'article 9, combiné avec l'article 8, que nous avons déjà voté, forme un système plus équitable, plus juste, mieux approprié à nos mœurs, et qui présente moins d'inconvénients que tous les autres.

Aussi, je vois avec plaisir que beaucoup de nos honorables collègues soutiennent la motion que j'ai faite dans la quatrième section et qui a été transformée en projet de loi. Il va donc sans dire que je voterai la disposition de la section centrale qui a, je crois, en l'adoptant rendu un véritable service au pays.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, les auteurs de la proposition ont eu, si je ne me trompe, en vue de parer à un inconvénient : celui qui résulte des ballottages pour l'élection des membres de la Chambre dans les grands collèges électoraux. C'est ce but qu'on a voulu atteindre et pas d'autre. Toute la discussion a eu lieu à ce point de vue et on a cherché à établir que le ballottage donnait lieu à de très grands inconvénients. Je reconnais, quant à moi, qu'il y avait quelque chose à faire pour éviter les inconvénients du ballottage dans les grands collèges. Mais il me semble que la formule qu'on propose n'est pas la bonne. On me dira peut-être : Que faut-il mettre à la place ? Je vous dirai que je n'ai pas la prétention de proposer une solution ; elle ne serait d'ailleurs pas admise !

Mes honorables collègues ont assez démontré combien, au point de vue des élections législatives, serait injuste la disposition proposée, quels seraient les inconvénients qu'elle présente, pour que je me décide à ne pas admettre cette formule.

Maintenant, messieurs, il est un autre point qui semble complètement perdu de vue, et c'est pour le mettre en relief que j'ai demandé la parole.

Personne, sauf l'honorable M. de Theux, qui vient de s'asseoir, n'a fait remarquer que la disposition de l'article 9 s'applique non seulement aux élections générales, mais encore aux élections provinciales et communales.

Or, je demande à la Chambre si les inconvénients qu'on a signalés et auxquels on veut parer pour les élections générales peuvent se présenter, en général, du moins pour les élections communales ?

Nous avons 2,450 communes, mais dans ces 2,450 communes il y en a au moins 2,420 où de pareils inconvénients ne sont pas à craindre. Quand il y a quelques électeurs seulement, trente, cinquante, cent électeurs, ces électeurs quand il y a ballottage se réunissent une heure ou deux après le premier tour de scrutin et ils peuvent parfaitement procéder au ballottage. Ces ballottages n'ont donc rien de nocturne ; ils ne donnent lieu à aucun inconvénient et tout se passe régulièrement.. Je né vois donc pas, alors que dans la grande majorité de nos collèges électoraux pour la commune le ballottage ne peut donner lieu à aucun inconvénient, pourquoi il faudrait introduire ce principe très dangereux de l'élection de conseillers par la minorité.

Il y a ici, messieurs, dans cette Chambre, un grand nombre de bourgmestres de campagne. Eh bien, je leur demande si dans leurs communes ils croient que ces ballottages peuvent donner lieu à des difficultés, et je les prie de me dire s'ils ne verraient pas même quelques inconvénients à y voir leurs conseils communaux composés de conseillers élus par la minorité des électeurs.

Messieurs, il faut tenir compte des faits et de la pratique ; je me place en dehors de toute question politique, de toute question de clérical et de libéral. Mais, dans les communes rurales, souvent des partis se forment en dehors de toute politique, par exemple, pour la construction d'une église, d'un chemin, pour l'emplacement d'une école. Je suppose qu'il se forme trois partis dans une commune. Il pourra arriver que ce soit la minorité qui compose le conseil communal tout entier, ce sera un mal véritable et que rien ne peut excuser, car je ne vois pas pourquoi, dans une commune rurale, quand un ballottage doit avoir lieu, il ne pourrait pas se faire une heure après l'élection et pourquoi l'on ne suivrait pas la règle générale de l'élection à la majorité absolue ou, au besoin, après ballottage.

Si l'on ne veut pas cela, si, pour établir une règle plus générale, on veut remettre le ballottage ou avoir une nouvelle élection à huitaine ou à un autre jour, rien de plus facile. On peut remettre le ballottage sans inconvénients ; il n'y a pas de frais de déplacement. Il s'agit d'élections communales et provinciales. Pour la province, le déplacement est très peu coûteux ; pour la commune, il est nul. Or, pour obvier à un inconvénient qui peut se présenter dans trois, quatre ou cinq villes, qui s'est produit peut-être quinze à vingt fois depuis 1830, on va s'exposer à fausser le système communal de la Belgique entière et à introduire dans les conseils communaux les représentants de la minorité, qui pourront y former majorité.

Il y a là quelque chose à faire. Je ne propose pas d'amendement en ce moment. D'ailleurs, j'ai la conviction que, si j'en présentais un, il ne serait pas admis. Je crois donc inutile de formuler un amendement mort-né. Mais je soumets ces observations à M. le ministre de l'intérieur et à la section centrale, et je ne sais pas si j'ai chance de succès, mais je demande qu'on ait la bonté extrême de renvoyer l'amendement de l'honorable M. Bara à la section centrale, afin que celle-ci examine s'il n'est pas possible de faire quelque chose pour qu'au moins les élections communales et provinciales puissent avoir lieu d'après l'ancien système, c'est-à-dire que les élus de la commune et de la province soient les élus de la majorité du corps électoral, communal et provincial.

Je crois, messieurs, qu'il y a quelque chose de fondé dans les observations que je viens de faire. Je fais un appel à tous les bourgmestres des communes rurales ; ils me répondront qu'il n'y a pas d'inconvénient dans le le système actuel, que le ballottage ne donne lieu à aucune difficulté, et que si on le remettait même à huitaine, il n'y aurait pas à cela d'inconvénient.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, je n'ai jamais eu l'honneur d'être bourgmestre ; mais je pense que l'honorable M. Vandenpeereboom a perdu de vue deux considérations.

La première, c'est que c'est surtout en matière d'élection communale que le nombre d'électeurs, à la suite de la loi de réforme électorale, va se trouver considérablement augmenté.

M. Vandenpeereboom. - Pas dans les campagnes.

M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. – Pardon, d'une manière générale. Les chiffres qui ont été mis sous les yeux de la Chambre, ont pu donner à l'honorable préopinant la preuve que le corps électoral communal se trouvera considérablement accru ; et si l'honorable M. Vandenpeereboom s'appuie sur la situation actuelle, il perd de vue les modifications qu'introduira dans cette situation le projet soumis en ce moment aux délibérations de la Chambre.

Il y a une autre considération qui s'applique aussi bien aux élections communales qu'aux élections générales ; c'est qu'il est hors de doute qu'un nombre d'électeurs beaucoup plus restreint qu'à l'élection principale, prend part au ballottage ; de sorte que, pour les élections communales aussi bien que pour les élections générales, il arrive fréquemment que ceux qui sont élus au scrutin de ballottage ont obtenu moins de voix, que ceux qui, au premier tour de scrutin, n'ont pas pu se faire élire.

C'est là une considération que je soumets à l'appréciation de la Chambre, et elle engage le gouvernement à adhérer, même sur ce point, à la proposition de la section centrale.

M. Coomans. - Messieurs, voici le troisième discours que je prononce à l'improviste ; les deux premiers n'étaient peut-être pas nécessaires, mais le troisième est indispensable, car il répond à une sommation.

On me demande quand, sur les bancs de la gauche, on a outragé la majorité du pays.

C'est M. Bara qui ose m'adresser cette question ! Mais sur plusieurs bancs, par plusieurs membres, l'outrage a été lancé, répété et maintenu, M. Bara aurait beau dire : « Ce n'est pas moi. » Je pourrais répondre : « C'est au moins votre frère. » Mais c'est M. Bara aussi ; n'a-t-il pas dit qu'on allait appeler au scrutin la population des bataillons carrés qui est, à la vérité, la plus malheureuse, mais aussi la moins respectable ?

- Plusieurs membres. - C'est vrai.

M. Bara. - Prenez les Annales.

M. de Moerman d’Harlebeke. - Vous avez dit : la moins respectable. Lisez les journaux.

(page 1185) M. Coomans.- Ce n'est pas toujours dans les Annales qu'on trouve à plus grande exactitude, nous le savons par expérience et j'aime mieux m'en rapporter à mes oreilles et au souvenir de mes collègues qui m'affirment qu'ils ont entendu les paroles auxquelles je fais allusion. Mais le cas est mauvais et partant niable. Qu'ai-je à démontrer ? C'est que l'outrage a été prodigué à la majorité.

M. le président. - M. Coomans, vous n'avez pas la parole pour un fait personnel.

M. Coomans. - Il ne s'agit pas d'un fait personnel ; c'est une réponse à une argumentation.

Quant au fait personnel je n'y tiens guère, je laisse parler pour moi les souvenirs de l'assemblée. Mais je dis qu'on a lancé à l'immense majorité de la nation cet outrage qu'elle ferait du communisme, du socialisme ravageur si on lui ouvrait les comices.

N'a-t-on pas dit que, le jour où les électeurs à 10 francs et, à coup sûr, tous les citoyens seraient appelés au vote, nous aurions des troubles dans le sens des troubles de Paris ?

M. Allard. - C'est M. Dumortier qui a dit cela.

M. Coomans. – Soit, vous l'avez imité. Il s'agissait de renverser toutes nos institutions, la propriété et le reste. (Interruption.) Mais si tel n'est pas le sens de vos discours, pourquoi votre opposition contre le droit électoral donné au plus grand nombre ? Vous êtes fâchés d'avoir à supporter les conséquences de vos prémisses. (Interruption.)

L'honorable M. Frère, l'honorable M. Sainctelette, l'honorable M. Bara et d'autres, ont été encore plus loin et je trouve l'orateur très imprudent de réveiller ces souvenirs.

Maintenant on se récrie contre la représentation de la minorité dans un conseil communal. J'avoue que c'est mon idéal, je voudrais que la minorité, d'une manière quelconque, fût toujours représentée au sein du conseil communal.

Comment ! est-ce que la Chambre ne représente pas la minorité du pays ; est-ce que le conseil provincial ne représente pas la minorité de la province ?

Pourquoi n'y aurait-il pas une minorité dans le conseil communal ? Donc cet argument ne me touche pas.

L'honorable M. Bara, qui aime les personnalités, lesquelles sont souvent confondues par lui avec les arguments absents, croit avoir répondu à mes observations sur la franc-maçonnerie parisienne en me disant : Il y a des francs-maçons parmi vous.

L'honorable M. Landeloos est franc-maçon.

Qu'est-ce que cela prouve ?

Si j'avais été franc-maçon, je n'en serais pas honteux, et je me vanterais à présent de ne plus l'être, surtout depuis quelques jours, car vous marchez sur des charbons ardents depuis que la majorité de la franc-maçonnerie a adhéré à la Commune. La franc-maçonnerie parisienne a fait preuve ainsi de moins de moralité et d'intelligence que la classe ouvrière belge que vous outragez. (Interruption.)

Est-ce que cela est nié ?

M. Couvreur. -Oui, cela est nié.

Voix à gauche. - Certainement.

M. le président. - M. Coomans, laissez de côté ces considérations étrangères à la question.

M. Coomans3. - M. le président, vous n'êtes pas franc-maçon, je pense ? Je n'attaque pas, j'argumente.

Si l'honorable M. Landeloos avait été ici, je n'aurais pas parlé pour lui ; mais comme il est absent, je crois devoir répondre à l'honorable M. Bara que cela ne prouve rien.

Qu'il y ait des francs-maçons à droite, je ne le nie pas. Qu'il y en ait beaucoup à gauche, je le pense, je le constate, mais je dis que vous n'avez pas le droit d'attaquer l'immense majorité des catholiques belges dans leur moralité et leurs lumières, quand vos frères font juste le contraire de ce que vous voulez et vous donnent un démenti éclatant, révolutionnaire, anarchique.

M. Couvreur. - Je demande la parole.

M. Coomans. - Un mot encore. L'honorable M. Bara me reproche d'avoir dit un jour, et même plusieurs fois, que le corps électoral était pourri. Les souvenirs de l'honorable membre ne l'ont pas trompé cette fois. J'ai dit cela certainement et je maintiens. Il est même étrange que l'honorable M. Bara révoque l'assertion en doute, car lui et ses amis ont présenté et fait voter une loi sur les fraudes électorales. Or si le corps électoral était si parfait, pourquoi avez-vous fait voter cette loi et pourquoi avez-tous dit quelquefois que les élus ne représentaient pas la nation ?

.'ai dit que le corps électoral était pourri, mais je ne l'ai cependant pas dit d'une manière aussi absolue que veut le faire croire l'honorable membre. J'en fais partie et lui aussi, et nous ne sommes pas pourris certes.

J'ai dit que le corps électoral était pourri, parce que les frais électoraux avaient atteint des proportions scandaleuses, parce que très souvent la minorité y dominait, parce que les associations assermentées y régnaient, et parce qu'on y avait introduit un élément incompatible avec la justice et le bon sens et même avec le cens à 42 francs. vos petits cabaretiers, en effet, ne sont pas de vrais censitaires et c'est par une fiction menteuse que vous les avez introduits dans le corps électoral, à titre de propriétaires pavant l'impôt direct.

Voilà pourquoi j'ai dit que le corps électoral était pourri.

Je vous déclare encore que ce corps électoral n'est pas mon idéal, que j'en poursuis un autre, et que quand je pourrai le noyer dans un million d'électeurs, je serai heureux.

Je ne dis pas que ce million sera infaillible ; le droit n'est pas toujours du côté du nombre, mais il n'est pas, à coup sûr, du côté de la minorité privilégiée, dont vous êtes les défenseurs exclusifs.

M. Bara. - Messieurs, je laisse de côté les questions oiseuses que l'honorable M. Coomans mêle à la discussion et qui ne mènent à rien.

L'honorable membre a prétendu que j'avais traité les habitants des bataillons carrés de partie la moins respectable de la population.

Voici le passage des Annales :

« Eh bien, que se passera-t-il à Bruxelles ? Mais pour la plupart des bataillons carrés, pour les grandes maisons occupées par des ouvriers, c'est le propriétaire lui-même qui loue directement à chacun de ses locataires telle ou telle partie de maison, et dans ces maisons habite précisément la partie la moins apte à voter de la population. Ce sont ceux qui sont constamment exposés à l'expulsion, ceux qui sont, pour ainsi dire, nomades. »

Voilà ce que j'ai dit, tandis que votre mot : le corps électoral est pourri, il se trouve tout au long aux Annales parlementaires et il n'en sortira pas, malgré tous les tours de voltige que vous essayez de faire.

M. Couvreur. - Je ne sais dans quel but on a mêlé la maçonnerie à la question de savoir si les représentants, les conseillers provinciaux, les conseillers communaux seront élus aux deux cinquièmes des voix ou à la majorité.

Je cherche en vain l'utilité de l'introduction de cet élément dans le débat, mais puisqu'on l'y a fait entrer, puisqu'on a parlé du rôle que la maçonnerie a joué dans la commune de Paris et dans les malheureux événement dont la France est le théâtre, je tiens à déclarer que je suis maçon, que je m'honore de l'être et que j'ai le devoir de repousser les accusations dirigées contre mes coreligionnaires.

M. le président. - Ce point est tout à fait en dehors du débat (Interruption.) Si la Chambre veut entendre M. Couvreur, je ne m'y oppose pas.

M. Couvreur. - Je n'entends pas demander la parole pour un fait personnel, mais défendre une institution à laquelle j'appartiens et qui a été injustement attaquée.

II me suffira d'ailleurs de dire qu'il ne nous est pas possible d'apprécier aujourd'hui avec équité les causes des dissentions entre Paris et Versailles, qu'il ne nous est pas possible de juger les torts réciproques, qu'il nous appartient encore moins de flétrir la conduite d'une fraction de la maçonnerie française.

Ce qui ne sera pas contesté, c'est qu'il y a des maçons dans les deux camps et que ceux de Paris n'ont fait que leur devoir en se jetant entre les combattants pour arrêter l'effusion du sang. En agissant ainsi, ils se sont montrés fidèles aux principes de l'ordre qui prescrit à tous la fraternité et repousse les luttes sanglantes entre les hommes, quelle que soit leur patrie. C'est là ce qu'ils ont fait, et ce rôle personne ne peut le condamner.

M. le président. - L'incident maçonnique est clos.

J'ai reçu de M. Vandenpeereboom un amendement à l'article 9 ainsi conçu :

« Ajouter après : « nul n'est élu » les mots « représentants ou sénateur. »

La parole est à M. Vandenpeereboom pour développer son amendement.

M. Vandenpeereboom. - Je crois ne pas avoir besoin de développer l'amendement. Je ne demande donc la parole que pour répondre deux mois à M. le ministre de l'intérieur.

L'honorable ministre a présenté deux objections contre les observations que j'ai faites : il a dit que je perdais de vue la loi qui a pour objet d'augmenter dans une proportion notable le nombre des électeurs.

(page 1186) Je ferai remarquer que cette augmentation en général sera assez insignifiante dans un grand nombre de communes. (Interruption.) Elle pourra avoir une certaine importance dans les villes et dans quelques grandes communes, mais il n'en restera pas moins 2,300 communes où cette augmentation sera à peu près insignifiante et où par votre disposition vous allez risquer de jeter une véritable perturbation dans le système communal simplement pour obvier a des abus qui, selon toute probabilité, ne se présenteront jamais.

Je pense avoir détruit la première objection de M. le ministre de l'intérieur ; la seconde objection qu'il m'oppose est qu'il y a toujours moins d'électeurs au scrutin de ballottage qu'au premier vote.

Remettez, si vous le voulez, le scrutin de ballottage à un autre jour et vous serez certains d'avoir à ce scrutin autant, si pas plus, d'électeurs qu'au premier : chacun se piquera au jeu et les partisans des candidats en présence feront nécessairement plus d'efforts encore pour les faire réussir.

Maintenant, messieurs, je vous demande en quoi les objections de M. le ministre de l'intérieur pourraient vous faire renoncer au principe si important de la majorité qui a toujours prévalu dans toutes nos institutions ?

Pour renoncer à ce principe, il faudrait des motifs bien graves. Or, s'il est possible qu'il en existe, en ce qui concerne les élections législatives, il est bien évident qu'il n'y en a aucun pour les élections communales et provinciales.

Qu'on examine donc avant de prendre une décision définitive : je n'ai présenté mon amendement que pour provoquer cet examen qui me parait indispensable ; et je prie le gouvernement et la majorité de consentir au renvoi à la section centrale.

M. le président. - J'ai reçu de M. De Lehaye un sous-amendement à celui de M. Vandenpeereboom qui consiste à ajouter à celui-ci les mots « ou conseiller provincial ».

M. De Lehaye. - Par suite de ma proposition combinée avec celle de M. Vandenpeereboom, le système actuel serait maintenu pour les élections communales ; mais les deux cinquièmes des voix suffiraient dans les élections pour le Sénat, pour la Chambre et pour les conseils provinciaux.

M. Vandenpeereboom. - J'insiste de nouveau, en présence de la proposition que vient de faire l'honorable M. De Lehaye, pour que la section centrale soit invitée à examiner mûrement la question. Je n'ai pas, comme le ministre, la prétention d'improviser des dispositions irréprochables ; c'est pourquoi je demande que la section centrale examine celles qui viennent d'être faites.

Maintenant, je dois faire une réserve : Parce que je présente un amendement, il n'en résulte nullement que je m'engage à voter l'article auquel il s'applique, attendu que cet article consacre un principe que je repousse. Mais en présence d'une chose que je crois mauvaise, je cherche à l'améliorer autant que possible. Voilà mon unique but en présentant mon amendement, et je réserve absolument mon vote sur l'article 9.

M. Royer de Behr, rapporteur. - Je ne connais pas l'opinion de mes collègues de la section centrale ; je ne puis donc stipuler que pour moi et dire que je ne vois personnellement aucun inconvénient au renvoi des amendements à la section centrale, qui pourrait présenter son rapport au début de la séance de demain.

M. de Theux. - Il est évident qu'il ne peut y avoir aucun inconvénient a ce que deux ou trois candidats de la minorité de la commune fassent partie d'un conseil communal. Je crois, au contraire, que cela offrirait cet avantage de calmer les luttes des partis en fournissant à tous les moyens de défendre leurs intérêts au sein du conseil.

- Le renvoi à la section centrale est ordonné.

La séance est levée à 5 heures et un quart.