(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 1161) M. Wouters procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Bruxelles demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »
« Même demande d'habitants de Lommel. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Dierickx, facteur rural à Gavre, demande une amélioration de position. »
M. Lelièvre. - Je demande que cette requête soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics ; j'appuie, du reste, toute demande d'amélioration de la position des facteurs ruraux.
- Adopté.
« La veuve Baar réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la restitution partielle des droits de succession qu'elle a payés au bureau de bienfaisance de Verviers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Froidmont présente des observations contre l'arrêté royal du 15 janvier 1871 annulant sa délibération du 23 novembre 1870 et le règlement de police communale voté le même jour, et prie la Chambre d'examiner : 1° s'il entre dans les attributions de l'Etat de posséder et d'administrer par lui-même un établissement d'aliénés ; 2° en cas affirmatif, s'il peut, par un règlement, porter atteinte à un pouvoir que le conseil communal tient de la loi. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Wellen demandent la création d'un chemin de fer d'Ans à Hasselt, par Wellen, Herlen et Looz. »
- Même renvoi.
« Des cultivateurs et propriétaires à Malonne demandent que la fabrication des produits chimiques dans la vallée de la Sambre soit suspendue pendant six mois du 1er avril au 30 septembre. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le sieur Wilmart prie la Chambre de mettre sans retard en délibération la proposition de loi relative aux dommages-intérêts et visites domiciliaires en matière de presse. ».
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.
« Le conseil communal de Liège présente des observations contre le projet de loi qui apporte des modifications aux lois d'impôts. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Charles-Guillaume-Hubert Canoy, élève ingénieur à Liège, né à Maestricht, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« La commission administrative de la caisse de prévoyance établie à Charleroi en faveur des ouvriers mineurs adresse 125 exemplaires du compte rendu de ses opérations pendant l'exercice dernier. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. de Naeyer demande un congé de huit jours pour cause d'indisposition. »
« MM.de Liedekerke et Van Humbeeck demandent un congé d'un jour.»
- Ces congés sont accordés.
M. Royer de Behr. - Messieurs, une circonstance douloureuse, que la Chambre connaît, ne m'a pas permis d'assister à nos séances la semaine dernière.
J'aurais vivement désiré cependant exposer à l'assemblée mon opinion sur les divers amendements qui ont été proposés a l'article premier du projet de loi, et justifier le vote négatif que j'aurais émis sur chacun de ces amendements, à l'exception toutefois de celui présenté par l'honorable M. Tack.
En deux mots, je dirai que de la discussion il me paraît résulter que la formule tant cherchée pour constater ce que l'on nomme la capacité de l'électeur, est encore à découvrir. Je suis presque tenté de croire qu'on ne la découvrira pas.
Au fond, le double étalon électoral, c'est-à-dire la capacité alliée au cens, me semble inacceptable.
Je n'ai nullement l'intention de rouvrir le débat, le règlement s'y oppose. Tout ou à peu près tout a été dit.
Mais, en ma qualité de rapporteur de la section centrale, j'ai cru qu'il était de mon devoir, et vis-à-vis du pays et vis-à-vis de la Chambre, de ne pas me retrancher dans un silence absolu, quoique involontaire, qui aurait pu être mal interprété.
J'ai donc tenu à me prononcer aujourd'hui, puisqu'il m'a été impossible, malheureusement impossible, d'assister à la séance pendant laquelle ces votes importants ont été exprimés.
- M. Vander Donckt, doyen d'âge, remplace M. Vilain XIIII au fauteuil de la présidence.
M. le président. - Nous sommes arrivés à l'article 4, ainsi conçu :
« L'article 7 de la présente loi et le paragraphe 3 de l'article 21 de la loi électorale, modifié par la loi du 20 mai 1848, sont applicables à la formation des bureaux pour les élections provinciales. »
M. Jacobs, ministre des finances. - Je propose à la Chambre de postposer l'article 4 après l'article 7 du projet du gouvernement qui est l'article 5 du projet de la section centrale.
En effet, l'article 4 se borne à appliquer aux élections provinciales les règles nouvelles qui vont être établies pour la composition des bureaux en matière d'élections générales. Il faut que ces règles nouvelles soient discutées et votées avant qu'on décide qu'elles seront appliquées aux élections provinciales. Je pense donc que nous pourrions tenir en suspens la discussion de l'article 4 jusqu'à ce que l'article 5 du projet de la section centrale soit voté.
Le gouvernement se rallie à l'interversion d'articles proposée par la section centrale. Ainsi les articles 5 et 6 du projet du gouvernement deviendront les articles 7 et 8 ; par contre, les articles 7 et 8 du projet du gouvernement deviendront les articles 5 et 6.
La discussion s'ouvrira utilement sur l'article 7 du projet du gouvernement, qui devient l'article 5 dans le projet de la section centrale.
M. Lelièvre. - Je ne m'oppose pas à ce que les articles 5 et 6 du projet du gouvernement soient renvoyés au chapitre IV ; mais, dès maintenant, je fais observer qu'en présence de la disposition finale de l'article 44 de la loi électorale, se référant au paragraphe premier de l'article 3 et à l'article 4 de la même loi que le projet en discussion abroge, il importe d'énoncer que (page 1162) les articles 7 et 8 (du projet de la section centrale) sont applicables aux individus éligibles au Sénat.
En conséquence, je dépose un amendement ainsi conçu ;
« Les articles 7 et 8 qui précèdent sont applicables aux individus éligibles au sénat. »
Il fuit, en effet, déclarer formellement que les éligibles au sénat devront seulement avoir payé le cens pour l'année antérieure à celle de leur inscription sur la liste. Ci-devant pour être éligible au sénat, il fallait avoir payé, pendant deux années ayant celle de l'inscription, le cens fixé par la Constitution.
Evidemment, la loi actuelle doit énoncer expressément que le projet change cet état de choses, et tel est le but de, mon amendement.
Celui-ci tend aussi à rendre applicable aux éligibles au sénat la disposition du projet qui permet de justifier du payement du cens par tous moyens de droit.
Cette disposition est la conséquence des article 44, article 3, paragraphe premier, et article 4 de la loi électorale et des modifications que leur fait subir le projet en discussion.
L'amendement que j'ai l'honneur de déposer prévient tout doute que l'exécution de la loi en discussion pourrait faire naître. Il est, d'ailleurs, conforme à la pensée qui a présidé au projet, ainsi que le déclare formellement l'exposé des motifs.
M. Muller. - Messieurs, si le gouvernement et la Chambre ne s'y opposent pas, je me permettrai de demander une. explication sur la portée du vote de l'article 31, en ce qui concerne l'amendement de l'honorable M. Tack. L'honorable membre a proposé que les personnes qui auront été secourues par les bureaux de bienfaisance, depuis un temps déterminé, ne peuvent pas être admises au droit électoral. Or, il est à remarquer, messieurs, que cette disposition, telle qu'elle a été votée, ne s'appliquera pas aux élections provinciales.
Je demande si, par suite de la différence de cens entre 10 et 20 francs, il est bien dans l'intention de l'auteur de l'amendement et dans celle du gouvernement de ne pas appliquer aux élections provinciales la restriction apportée au droit électoral, quant aux personnes secourues par une administration de bienfaisance. Je ne puis croire qu'il en soit ainsi.
M. Tack. - Messieurs, évidemment cette disposition ne s'applique qu'aux élections communales. Il suffit pour s'en convaincre d'en lire le texte. Si l'on veut appliquer mon amendement aux élections provinciales et même aux élections générales, il faudrait le reporter a la fin de la loi ; je crois devoir observer qu'on s'est passablement mépris sur la portée de mon amendement et sur les intentions que j'ai eues en le proposant. Samedi dernier, l'honorable M. Rogier a soutenu que ma proposition était une critique au moins implicite de la loi. Cela n'est point ; elle n'a nullement pour but de critiquer la loi, mais de faire disparaître les abus constatés même sous l'empire de la loi existante, de combler une lacune de la législation ; elle a eu en vue surtout d'empêcher la corruption électorale de la part de certaines administrations qui n'ont pas reculé devant cette pratique mauvaise de disposer des deniers du pauvre pour se faire bien venir de certains censitaires inscrits sur la liste électorale. (Interruption.)
Pourquoi ne pas les dénoncer ? me dit-on. Je ne suis pas chargé de faire des dénonciations, mais je dirai que ces abus, je ne les ai pas rencontrés dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte ; ils ont été signalés à la Chambre comme s'étant passés dans d'autres arrondissements. On en a indiqué des exemples, et des exemples frappants.
Quand on en a parlé ici dernièrement, quand l'honorable M. Couvreur a fait l'observation qu'il se pourrait fort bien que maintenant que le cens était abaissé à 10 francs, beaucoup de censitaires qui payeraient 10 francs pourraient bien en même temps figurer sur les listes des bureaux de bienfaisance et sur les listes électorales ; il était naturel qu'il vînt à l'esprit que nous avions une bonne occasion de faire cesser les abus dont on avait parlé d'autres fois dans cette enceinte.
Voilà la seule portée de l'amendement. Comme je le disais tantôt, il comble une lacune qui existe sous l'empire de la loi actuelle. Si l'on veut le généraliser, rien de plus facile ; on n'a qu'à le convertir en disposition générale, que l'on placerait à la fin du projet. De cette façon, il s'appliquerait à toutes les élections, aux élections générales, provinciales et communales
M. Moncheur. - Messieurs, je pense, comme M. Muller, que l'amendement de M. Tack, s'il est maintenu au second vote, devrait s'appliquer aux électeurs pour la province comme aux électeurs pour la commune. Mais quant à moi, je suis d'avis que cet amendement ne devrait pas être adepte au second vote.
En effet, cet amendement, qui a été fait dans d'excellentes intentions, aurait beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages. Si, d'une part, on veut éviter une sorte de corruption au moyen des fonds des bureaux de bienfaisance, on pourrait, d'autre part, au moyen de cette disposition, parvenir à éliminer facilement des listes électorales un certain nombre d'électeurs qui seraient contraires à l'opinion des membres des bureaux de bienfaisance.
Ce côté de la question n'a pas été envisagé jusqu'à présent et il mérite de l'être.
La discussion, au fond, serait prématurée aujourd'hui, puisqu'il y a eu un premier vote sur l'amendement à l'occasion de l'article 3, et que ce premier vote ne peut être modifié qu'au second. Or, je déclare que, lors du second vote, j'aurai l'honneur de proposer à la Chambre d'abandonner complètement l'amendement dont il s'agit, et pour la commune, et pour la province, et pour les Chambres.
M. Muller. - Je crois avoir fait chose utile en appelant l'attention de la Chambre sur la disparate qui existait entre l'une et l'autre disposition. Quand à l'amendement en lui-même, je n'entends pas apprécier sa valeur. J'ai seulement voulu constater qu'il y aurait nécessité de coordonner la législation provinciale et communale, qu'on révise, en ce qui concerne les personnes secourues par les institutions de bienfaisance.
M. le président. - Je crois qu'il serait plus régulier de remettre cette discussion jusqu'au second vote et de nous occuper de l'article 7.
M. le président. - Nous passons donc maintenant, messieurs, à l'article 7 ; M. Lelièvre propose un amendement qui se réfère aux articles 7 et 8 du projet de la section centrale ; il est ainsi conçu :
« Les articles 7 et 8 qui précèdent sont applicables aux individus éligibles au sénat. »
- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. Muller. - Il serait désirable que M. Lelièvre voulût bien entrer dans quelques développements sur son amendement, qui nous est présenté inopinément. Je ne sais pas jusqu'ici quelle en est la portée.
M. Jacobs, ministre des finances. - A l'article 7.
M. le président. - L'article 7 est ainsi conçu :
« Art. 7. L'article 20 de la loi électorale, modifié par les lois du 1er avril 1843 et du 20 mai 1848, est remplacé par les dispositions suivantes :
« Le président du tribunal de première instance ou, à son défaut, celui qui le remplace, préside le bureau principal.
« S'il y a plusieurs sections, la deuxième et les suivantes sont présidées par l'un des juges ou juges suppléants, suivant le rang d'ancienneté, et, au besoin, par les personnes que le président du bureau principal désigne parmi les électeurs qui ne sont pas fonctionnaires amovibles.
« Le président du bureau principal tire au sort, parmi les membres des conseils communaux des communes formant chaque section, quatre scrutateurs et quatre suppléants pour chacune des sections. Si le nombre de conseillers communaux est inférieur à 20, le président complète ce nombre au moyen des électeurs les plus fortement imposés de la section.
« Quinze jours au moins avant l'élection, le gouverneur transmet au président du tribunal de première instance une liste indiquant, pour chaque section électorale, le nom et le domicile des bourgmestres et membres des conseils communaux faisant partie de cette section.
« Nul ne peut remplir les fonctions de scrutateur ou de secrétaire s'il n'est électeur. Le président du tribunal, dix jours au moins avant l'élection, convoque les présidents des sections et procède, en leur présence, au tirage au sort des scrutateurs et des suppléants ; les présidents de sections invitent sans délai les scrutateurs et suppléants désignés a venir, au jour de l'élection, remplir leurs fonctions.
« Les scrutateurs et les suppléants sont tenus, en cas d'empêchement, d'en informer, dans les quarante-huit heures, le président de la section.
« La composition des bureaux est rendue publique trois jours au moins avant l'élection.
« Si, à l'heure fixée pour l'élection, les scrutateurs et les suppléants font défaut, le président complète le bureau d'office parmi les électeurs présents.
« Le secrétaire est nommé par le bureau parmi les électeurs présents.»
M. Royer de Behr, rapporteur. - Je ne veux pas parler sur l'article. Mais j'aurai l'honneur de proposer une simple transposition de paragraphes. Le paragraphe 5 commençant par les mots : a Quinze jours au moins avant l'élection, etc. » deviendrait le paragraphe 4 commençant par les mots : « Le président du bureau principal tire au sort ; » et le paragraphe 4 deviendrait le paragraphe 5. (page 1163) Je crois qu'il suffit de lire les deux paragraphes pour se rendre, compte de cette transposition.
M. le président. - M. De Lehaye a proposé l'amendement suivant à l'avant-dernier paragraphe : Substituer aux mots : « Le président complète le bureau d'office parmi les électeurs présents » par ceux-ci : « Le président complète le bureau d'office au moyen des électeurs les plus imposés. »
M. De Lehaye. - La Chambre comprendra l'utilité de l'adoption de cet amendement ; il ne faut pas que le bureau soit composé exclusivement par la volonté du président. Je pense que, pour donner pleine et entière garantie aux électeurs, il faut admettre la disposition prise antérieurement dans la loi communale et encore répétée au paragraphe 6. Je demande donc que les scrutateurs et les suppléants qui font défaut soient pris parmi les plus imposés des électeurs présents. Je substitue à la décision exclusive la président une disposition formelle qui exclut tout arbitraire et donne une complète garantie.
M. Lelièvre. - Il est à remarquer que, pour l'exécution de la proposition de M. De Lehaye, il importe que les listes concernant les électeurs ruraux, et qui seront remises aux présidents de chaque section, énoncent la quotité de contributions payées par chacun des électeurs des communes rurales, afin qu'on puisse s'assurer quels sont les individus les plus imposés. Il faudra donc soigner tout particulièrement cet objet dans l’exécution de la loi et mettre ainsi le président de chaque section à même de statuer conformément à l'amendement proposé. Il est quelque fois arrivé que cet objet a été négligé. A l'avenir, on devra s'en occuper tout particulièrement.
M. Jacobs, ministre des finances. - La liste est déposée dans la salle.
M. De Lehaye. - Ainsi que l'a fait observer M. le ministre des finances, la liste est déposée dans la salle. Lorsqu'on procédait aux élections communales, il y avait, dans chaque salle, une liste indiquant les vingt ou trente électeurs les plus imposés ; cette disposition est devenue inutile, attendu que la liste générale indiquant les contributions payées par chaque électeur est affichée dans toutes les salles.
- L'article est mis aux voix et adopté.
M. Thibaut remplace M. Vander Donckt au fauteuil.
« Art. 4. L'article 7 de la présente loi et le paragraphe 3 de l'article 21 de la loi électorale, modifié par la loi du 20 mai 1848, sont applicables à la formation des bureaux pour les élections provinciales. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« L'article 5 de la présente loi et le paragraphe 3 de l'article 21 de la loi électorale... » (Le reste comme dans l'article ci-dessus.)
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, M. le président.-
M. Demeur. - L'article qui vient d'être adopté s'applique uniquement au cas où le bureau est présidé par le président du tribunal de première instance. Il y a dans la loi électorale un article spécial, l'article 21, pour le cas où le juge de paix remplace le président du tribunal de première instance. Dans la loi provinciale, il y a également deux articles correspondant à ceux que je viens de citer, ce sont les articles 13 et 14. (erratum, page 1186) Par la proposition qui est faite en ce moment, on applique aux élections provinciales la disposition de l'article 7, que nous venons de voter et le paragraphe 3 de l'article 21 de la loi électorale ; mais on ne dit rien de l'article 14 de la loi provinciale, on ne dit rien pour le cas où de l'article 14 de la loi provinciale ni de l'article 21 de la loi électorale, on ne dit rien pour le cas où le président du tribunal de première instance ne préside pas le bureau électoral.
Il y a donc lieu d'introduire une disposition additionnelle, qui consisterait à rendre applicable aux élections provinciales le paragraphe 4 de l'article 21 de la loi électorale.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable M. Demeur à perdu de vue l'article final de la loi. Cet article abroge l'article 13 de la loi provinciale en entier et seulement les derniers paragraphes de l'article 14. Il laisse subsister le premier paragraphe de cet article, qui détermine ce qui a lieu lorsqu'il n'y a pas, au chef-lieu de canton, un tribunal de première instance.
« Dans les chefs-lieux, dit ce paragraphe, où il n'y a pas de tribunal de première instance, le juge de paix ou, s'il y a plusieurs juges de paix au même chef-lieu, le plus ancien d'entre eux, et, en cas d'empêchement, le plus ancien suppléant, est de droit président. »
Il n'y a donc pas de lacune, nous maintenons le paragraphe premier de l'article 14, de même que nous maintenons, pour les élections générales, les paragraphes de l'article 21 de la loi électorale qui sont conçus dans les mêmes termes.
Notre article n'a qu'un seul but, c'est d'adopter, dans la composition des bureaux pour les élections provinciales, la même règle que pour les élections générales ; jusqu'ici il existait des anomalies entre ce qui se pratiquait pour les élections provinciales et ce qui avait lieu dans les élections générales et communales.
Dans les élections provinciales seules, c'est le bureau principal qui nomme les membres des autres bureaux ; pour les Chambres et pour la commune, ce sont les présidents des bureaux accessoires qui composent eux-mêmes leur bureau. Désormais, tous les bureaux pour l'élection provinciale vont se trouver composés suivant le procédé de l'article 7 que nous venons de voter.
Il n'y a donc aucune lacune dans la loi ; nous nous bornons à étendre, en matière provinciale, les règles qui existent en matière d'élections générales.
M. Demeur. - Il ne peut y avoir aucun doute ; telle est bien l'intention des auteurs du projet, mais la loi ne le dit pas.
M. Jacobs, ministre des finances. - Nous n'abrogeons pas le paragraphe premier de l'article 14.
M. Demeur. - Ce paragraphe se borne à dire que le juge de paix remplacera le président du tribunal de première instance : mais il ne dit rien quant aux scrutateurs, quant à la composition du bureau.
Vous arriveriez au résultat que j'indique en rendant applicable à (erratum, page 1186) la loi provnciale le dernier paragraphe de l'article 21 de la loi électorale. Ce paragraphe est ainsi conçu :
« Seront en outre observées les dispositions de l'article précédent relatives à la formation des bureaux, les obligations imposées au président. du tribunal de première instance devant être remplies par le juge de paix ou par celui qui le remplace, en qualité de président du bureau principal, et les obligations de présidents de section par ceux qui sont appelés ou désignés pour remplir ces fonctions. »
Si vous n'ajoutez pas cette disposition, vous aurez bien décidé que, dans les localités où il n'y a pas de tribunal de première instance, le juge de paix remplacera le président ; mais vous n'aurez rien décidé quant à la formation du surplus du bureau.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable membre se trompe ; l'article 7 que nous venons de voter se rapporte, à part la présidence, à tous les cas qui peuvent se rencontrer. Il détermine quels seront les scrutateurs tant au bureau principal que des bureaux accessoires dans tous les cas.
Il n'y a qu'une seule lacune dans cet article, elle est relative à la question de la présidence, lorsqu'il n'y a pas de tribunal de première instance dans la localité.
Or, nous maintenons le paragraphe premier de l'article 14 de la loi provinciale qui désigne dans ce cas le président du bureau principal et nous étendons à la province le paragraphe 3 de l'article 21 de la loi électorale qui désigne les présidents des autres bureaux.
M. le président. - Faites-vous une proposition, M. Demeur ?
M. Demeur. - Non, M. le président.
- L'article 4, tel qu'il a été amendé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
M. Royer de Behr, rapporteur. - Tantôt, notre président, l'honorable M. Vander Donckt, a omis, je pense, de mettre aux voix une modification proposée par la section centrale à l'article 7 du projet du gouvernement. La section centrale proposait de dire, au second paragraphe : « Le président du tribunal de première instance, ou, à son défaut, celui qui le remplace dans ses fonctions. » L'amendement, qui consistait dans l'addition de ces mots : « dans ses fonctions », n'a pas été mis aux voix. Il serait utile, je pense, d'ajouter ces mois, qui tendent à réparer une véritable omission.
M. Jacobs, ministre des finances. - Au second vote.
M. le président. - Il est à remarquer qu'il n'y aurait à revenir sur l'article 7 du projet du gouvernement que si un amendement y avait été introduit au premier vote.
M. Lelièvre. - Il me semble qu'on peut maintenir la rédaction proposée par le gouvernement : « le président du tribunal etc. ou à son défaut celui qui le remplace. » Ces expressions sont parfaitement claires. Les mots « celui qui le remplace » signifient celui qui remplace le président, c'est-à-dire, le vice-président et, à défaut de celui-ci, le juge le plus ancien et ainsi de suite à l'égard dès autres juges. Du reste, les expressions énoncées au projet du gouvernement sont (page 1164) conformes au style législatif. Elles sont employées dans diverses parties de notre législation. Je pense qu'il faut les maintenir dans le projet.
M. le président. - M. Royer de Behr maintient-il sa proposition ?
M. Royer de Behr, rapporteur. - Je n'insiste pas.
«Art. 8. La disposition suivante est ajoutée à l'article 36 de la loi électorale :
« Le ballottage commence une heure après la proclamation du résultat du premier scrutin. S'il ne peut commencer au plus tard a 5 heures, du 1er mars au 1er septembre, et à 3 heures pendant les autres mois, il aura lieu, sans convocation nouvelle des électeurs, le jour et à l'heure qui seront fixés par l'arrêté royal de convocation du collège.
M. le président. - La section centrale propose à cet article l'amendement suivant, qui forme l'article 6 de son projet :
« Art. 6. La disposition suivante est ajoutée à l'article 36 de la loi électorale :
« Le ballottage commence à 6 heures, du 1er mars au 1er septembre, et à 4 heures, pendant les autres mois. S'il ne peut commencer au plus tard à ces heures, il aura lieu, sans convocation nouvelle des électeurs, le jour et à l'heure qui seront fixés par l'arrêté royal de convocation du collège.
« L'arrêté de convocation fixe, en tout cas, le jour et l'heure du ballottage pour les arrondissements qui concourent ensemble à l'élection d'un sénateur. »
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à l'amendement de la section centrale ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Non, M. le président. Nous croyons que les heures que nous proposons rendent les opérations électorales plus faciles et répondent mieux aux convenances des électeurs.
M. Royer de Behr, rapporteur. La section centrale se rallie à l'opinion du gouvernement sur ce point.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il n'y a donc plus en discussion que l'article 8 du projet du gouvernement.
M. Jottrand. - Je crois que le délai d'une heure laissé entre la proclamation du résultat du premier scrutin et le commencement du ballottage est trop court. Il sera tout à fait insuffisant surtout dans les grandes villes comme Bruxelles. Il est impossible, en effet, quand les opérations se prolongent comme on le constate fréquemment ici, de tenir tous les électeurs réunis jusqu'au dépouillement complet, du premier scrutin. Or, si les électeurs ne restent pas réunis au bureau électoral ou tout au moins aux abords de ce bureau, il est presque impossible de les réunir en nombre suffisant en une heure. Il y aurait donc lieu de porter le délai à deux heures.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - L'honorable préopinant s'est placé sur un terrain tout à fait exceptionnel. La Chambre doit surtout s'occuper des cas généraux.
Or, dans la généralité des cas, il est évidemment à désirer que le ballottage puisse commencer dans, un délai assez rapproché des premières opérations.
D'ailleurs, l'honorable préopinant ne peut pas perdre de vue que si quelques électeurs se trouvent en retard, ils pourront toujours prendre part au vote lors du réappel. Nous croyons donc devoir maintenir notre proposition.
M. le président. - Faites-vous une proposition, M. Jottrand ?
M. Jottrand. - Non, M. le président.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article est adopté.
« Art. 7 (art. 5 du projet du gouvernement). Les contributions et les patentes ne sont comptées à l'électeur que pour autant qu'il ait payé le cens pendant l'année antérieure à celle de son inscription sur la liste électorale. »
M. Magherman. - Cet article ne reproduit pas le paragraphe premier de l'article 5 du projet du gouvernement. Ce paragraphe est ainsi conçu :
« Le paragraphe premier de l'article 5 de la loi électorale est remplacé par la disposition suivante. »
L'article 7, tel qu'il est conçu maintenant,, me paraît l'être d'une manière trop absolue ; il semble proscrire les exceptions consacrées par nos lois électorales antérieures en faveur du possesseur à titre successif et en faveur de l'acquéreur d'immeuble à partir du jour où la mutation a acquis date certaine.
Pour enlever tout doute, je pense qu'il convient que la disposition que je viens de rappeler soit reproduite dans l'article 7, où elle ne se trouve pas ; ou mieux encore que les exceptions indiquées soient consacrées de nouveau par le texte de la loi.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'observation de l'honorable M. Magherman n'est pas sans fondement ; mieux vaudrait en revenir à la rédaction du gouvernement.
M. Demeur. - Messieurs, l'observation de l'honorable M. Magherman est évidemment juste, mais je prie la Chambre de remarquer que la disposition dont il s'agit ne s'applique pas seulement aux élections générales. Ce qui a déterminé l'amendement de la section centrale, c'est la pensée de modifier non seulement le paragraphe premier de l'article 3 de la loi électorale, ainsi que le proposait le gouvernement, mais aussi le paragraphe premier de l'article 10 de la loi communale et en outre de rendre la nouvelle règle applicable aux élections provinciales.
Ceci, messieurs, m'amène à faire une observation relative tant à l'article en discussion qu'aux articles suivants du projet de la section centrale.
Je ne parle pas des principes qui sont renfermés dans ces articles ; je ne m'occupe ici que de la méthode suivie par la section centrale pour la réformation des lois existantes.
Vous avez remarqué que le gouvernement avait suivi, dans l'ensemble de son projet, une méthode qui a déjà été suivie dans la loi électorale de 1843 et qui consiste à dire : Telle disposition de la loi sera remplacée par la disposition suivante.
Cette méthode présente ce grand avantage de conserver à nos lois organiques leur unité, leur ordre. On peut, dès lors, dans une nouvelle édition de la loi, former un tout, maintenir une véritable codification.
Si l'on ne suit pas cette méthode, les commentateurs, les professeurs, tous ceux qui sont appelés à faire l'application des dispositions de la loi, éprouvent les plus grandes difficultés. Je crois que, comme législateurs, nous devons chercher non seulement à avoir un texte précis et clair, mais à mettre de l'unité, de l'ordre dans l'ensemble de nos lois. C'est ce que ne fait pas la section centrale dans les dispositions qu'elle ajoute au projet de loi. Ces dispositions ne sont rattachées à aucun des articles des lois actuelles.
Le vice que j'indique ici, on peut le signaler dans la loi de 1865 relatif au payement effectif du cens électoral ; on peut également le signaler dans la loi sur les fraudes électorales et dans la loi sur la révision des listes électorales. Ces lois modifient de nombreuses dispositions de nos lois électorales antérieures, sans tenir compte en quelque sorte de la rédaction de celles-ci, sans coordonner l'ensemble. Lorsqu'ils se trouvent dans la nécessité de constater l'état actuel de la législation sur la matière, l'avocat, le juge, le particulier sont obligés de faire eux-mêmes ce travail de coordination. C'est là une chose regrettable.
J'ai été amené à le constater tout particulièrement lorsque, l'année dernière, j'ai voulu publier une collection de nos lois politiques ; je n'hésite pas à dire qu'elles forment, à l'heure qu'il est, un gâchis tel qu'il faut avoir sous les yeux l'ensemble de nos lois communales, provinciales et électorales pour se rendre un compte exact de l'état de la législation.
Cela n'arriverait pas si l'on avait suivi la méthode qui a été employée dans la loi électorale de 1843, si l'on s'était attaché à remplacer les dispositions de loi existantes par d'autres dispositions correspondantes.
L'observation que je présente ici est relative non seulement à l'article en discussion, mais aux dispositions qui vont venir et qui sont introduites par la section centrale.
Je n'entreprendrai pas, messieurs, de présenter un amendement pour arriver à une coordination rationnelle de ces articles nouveaux avec les lois en vigueur ; cela doit être fait à tête reposée ; si l'observation que je viens de faire était prise en considération par la Chambre, ce travail Incomberait à la section centrale. Je reviens maintenant à l'article 7 qui est en discussion. D'après le projet du gouvernement, le paragraphe premier de l'article 5 de la loi électorale est remplacé par une disposition aux termes de laquelle, pour être électeur aux Chambres, au lieu d'être tenu d'avoir payé le cens pendant deux ans, il suffit de l'avoir payé pendant l'année antérieure à la révision des listes électorales.
La section centrale veut généraliser. Elle dit : Pour les élections communales, pour les élections provinciales et pour les élections générales, les contributions et les patentes ne seront comptées à l'électeur que pour autant qui ait payé le cens pendant l'année antérieure à la révision. Eh (page 1165) bien, dans ma pensée cette disposition nouvelle devrait être coordonnée avec les dispositions des différentes lois qu'elle vient modifier, et j'appelle l'attention de la Chambre sur cette nécessité.
M. de Theux. - L'honorable M. Magherman a demandé si les paragraphes 2 et 3 de l'article 3 de la réforme électorale étaient abrogés par l'article 3 du projet nouveau.
Je ne' le pense pas. Le gouvernement n'a modifié que le premier paragraphe en ce qu'elle a réduit le payement du cens pendant deux années, jugées nécessaires parla législation actuelle à une année.
Mais les paragraphes 2 et 3 ne sont pas abrogés. Ces paragraphes qui sont ainsi conçus :
« Le possesseur à titre exclusif est seul excepté de ces conditions.
« En cas de mutation d'immeubles, les contributions dues à partir du jour où la mutation a acquis date certaine, sont comptées à l'acquéreur pour la formation des listes électorales. »
Ces paragraphes, dis-je, continueront, selon moi, à subsister après l'adoption de la loi actuelle.
M. Jacobs, ministre des finances. - Pour faire cesser tout doute et pour faire droit aux observations de l'honorable M. Demeur, maintenons la rédaction de la section centrale, en y ajoutant les deux derniers paragraphes de l'article 3 de la loi électorale.
« Le possesseur à titre successif est seul excepté de ces conditions.
« En cas de mutation d'immeubles, les contributions, dues à partir du jour où la mutation a acquis date certaine, sont comptées à l'acquéreur pour la formation du cens électoral. »
Le doute sera dissipé.
Quant à l'idée de l'honorable membre de, toujours, comme dans un jeu de patience, en quelque sorte, remplacer chaque article abrogé par un nouvel article qui s'adapte et s'incruste à sa place, nous avons essayé de la réaliser. D'autres l'ont essayé avant nous sans plus de succès. Nos dernières lois politiques, comme l'a fait observer l'honorable membre, n'ont pas même cherché à réaliser ce but.
Nous l'avons fait au moins dans quelques cas, mais ici, il me paraît qu'il y aurait des inconvénients à s'en tenir à cette règle, car nous devrions, pour chacun de ces articles communs aux trois sphères électorales, multiplier par trois chaque disposition.
Sans donc méconnaître les avantages que le système indiqué par l'honorable membre peut avoir en thèse générale, il me semble que, quand une disposition s'applique aux trois sphères d'élection, il vaut mieux rédiger une seule disposition applicable aux trois cas, quand même cela devrait quelque peu rompre l'uniformité de notre législation.
M. Bara. - Si l'on adopte le système de M. le ministre des finances, on va encore compliquer la rédaction de la loi.
Le gouvernement a essayé d'adopter le système consistant à dire que tel article est remplacé par un autre. Mais on n'a pu le faire dans tous les cas, car, dans l'article 9, on est obligé de déclarer abrogés certains articles qui seraient en contradiction avec les dispositions nouvelles.
La section centrale a mis dans la loi les dispositions qu'elle voulait y voir introduire et, par un article dernier, elle a signalé les dispositions qui vont être remplacées par celles que l'on proposait.
M. le ministre des finances veut faire admettre un troisième système, consistant à reproduire les dispositions de la loi précédente qui ne sont pas modifiées. Je ne crois pas ce système admissible. Mieux vaut celui de la section centrale.
L'observation de l'honorable M. Magherman n'est pas fondée, puisque l'article 12 de la section centrale n'abroge que le paragraphe premier de l'article 3. Le paragraphe premier étant seul abrogé, les autres paragraphes subsistent ; il est donc inutile de les reproduire dans la loi. Il suffit de voter l'article tel que la section centrale l'a présenté et l'article 12 amendé par elle et abrogeant le paragraphe premier de l'article 3, pour que tout le monde soit satisfait.
M. Frère-Orban. - Messieurs, l'article qui est en ce moment en discussion introduit une innovation des plus graves dans notre régime électoral.
Les luttes de partis sont surtout devenues vives et générales à partir de l'époque où fut renversé le ministère libéral en 1841. Dès ce moment aussi, des fraudes considérables furent signalées dans la confection des listes électorales. L'opposition les dénonça a la tribune. Les faits avaient un tel caractère de gravité, ils étaient assez nombreux et assez généraux pour que le gouvernement ait été mis dans la nécessité de présenter un projet de loi.
Ces fraudes consistaient en ce que des personnes s'attribuaient la qualité d'électeur à l'aide de déclarations fausses, inexactes, et sans posséder ainsi les bases du cens qui devaient leur donner le droit électoral.
De là, messieurs, est née la loi du 1er avril 1843. On examina à cette époque quel était le système qui paraissait le mieux devoir faire atteindre ce but d'assurer la sincérité des listes électorales et on reconnut que le moyen le plus efficace était d'exiger une possession non plus simplement annale du cens, comme l'indiquait la loi de 1831, mais une possession plus prolongée parce que, en général, les partis faisant des sacrifices pour conférer la qualité d'électeur a ceux qui n'y ont pas droit, on rendait la chose beaucoup plus difficile en leur imposant l'obligation de payer plus longtemps.
Cette disposition n'a jamais soulevé la moindre réclamation depuis qu'elle a passé dans la législation, on a admis sans difficulté, sans conteste, qu'il fallait, selon la nature des impôts, posséder pendant un certain temps les bases du cens.
Ce système a été reconnu parfaitement en harmonie avec la Constitution et l'honorable M. Malou, qui défendait la loi, a déclaré que si le payement d'une certaine quotité d'impôt était constitutif du droit, le législateur avait le pouvoir de déterminer les conditions de l'exercice du droit et que l'une de ces conditions pouvait être la possession des bases du cens pendant un temps déterminé.
Depuis lors, d'autres fraudes ont été signalées ; nous avions eu le cas d'impôts tombés en non-valeurs et qui n'avaient pas moins servi à conférer le droit électoral. Une proposition due à l'initiative des honorables MM. d'Anethan et Malou avait pour objet d'empêcher que ceux dont les cotes devenaient irrecouvrables pussent, à l'aide de ces cotes qu'ils n'avaient pas acquittées, obtenir le droit électoral.
Cette proposition, admise par le Sénat, fut soumise ici a un examen approfondi, et l'on reconnut que la proposition faite n'était pas de nature à atteindre le but que l'on avait en vue. La section centrale examina mûrement ces questions, elle demanda l'avis, du gouvernement ; le gouvernement fit remarquer qu'il ne suffisait pas d'atteindre les cotes qui tombaient en non-valeurs, qu'il y avait encore d'autres cas à l'aide desquels on pouvait arriver et on arrivait, en effet, à conserver le droit électoral, même lorsqu'on n'acquittait pas l'impôt.
Ainsi, une imposition est faite, elle donne lieu à l'inscription au rôle des contributions ; elle sert à former le cens électoral. Le contribuable est inscrit sur la liste des électeurs. Ultérieurement il se pourvoit régulièrement pour obtenir une réduction ou une décharge. Sa réclamation est reconnue fondée ; il y a restitution d'impôt et il en résulte qu'il ne paye plus le cens. Cependant il reste inscrit sur la liste électorale.
Pour obvier à cet abus qui avait alors été constaté, on fit la loi du 10 septembre 1865 relative au payement effectif du cens électoral.
On s'aperçut bientôt qu'on n'avait pas encore prévenu toutes les fraude» ; certains impôts ne doivent pas être nécessairement établis et payés pour une année entière ; en ne payant qu'une fraction, un trimestre, et en renonçant au commerce déclaré, on n'est pas tenu d'acquitter la cote entière ; or, cette cote avait pu servir à former le cens électoral.
D'un autre côté, les mesures qui avaient été prescrites pour les élections générales n'étaient pas applicables aux élections communales, et en 1867, lorsque nous présentâmes le projet qui est devenu la loi du 30 mars 1870, nous avons proposé, par les articles 6 et 7 de cette loi, de mettre la loi communale en harmonie avec la loi générale, d'exiger également pour la commune le payement des impôts pendant une certaine durée et de ne compter que les impôts établis et payés pour une année entière. La Chambre a voté ces dispositions et je pense même à l'unanimité.
Eh bien, messieurs, d'un trait de plume, par la disposition qui vous est soumise, on efface d'une manière absolue toutes ces garanties ; on permet le retour aux fraudes, qui ont été bien et dûment constatées, qui ont été condamnées et réprouvées par le législateur, nous revenons purement et simplement à la loi de 1831.
Je ne sais si l'on s'est bien rendu compte des conséquences de cette proposition ; on aura évidemment la fraude sur une large échelle ; dans l'état actuel d'excitation des partis et surtout pour les élections communales, vous allez voir fabriquer les électeurs et on donne le moyen de les fabriquer au meilleur marché possible. Il ne s'agit plus que du payement annuel du cens ; moyennant une dépense minime, avec un cens peu élevé, on va faire des électeurs à volonté. Ainsi plus est grande la nécessité de veiller à ce qu'il n'y ait pas de fraudes commises à raison de l'abaissement du cens, et plus de facilité on donne pour que ces fraudes puissent être commises.
Et quelle raison donne-t-on de cette innovation ? On n'en donne pas d'autre que celle-ci : c'est que, par suite de la loi de 1869, relative à la compétence en matière électorale pour la formation de la liste électorale, les délais sont devenus plus longs et qu'ainsi il ne s'agit plus seulement du (page 1166) payement biennal de la loi de 1843, mais il pourra arriver, en certains cas, que ce ne soit qu'à la troisième, à la quatrième année, qu'on pourra exercer le droit électoral,
Cette objection, messieurs, est, en réalité, beaucoup plus théorique que pratique ; elle a fort peu de valeur, si vous voulez bien considérer combien sont restreintes les mutations de listes électorales, combien peu il y a d'électeurs nouveaux qui entrent dans le corps électoral, abstraction faite de ceux qui y arrivent à titre successif ou par l'acquisition d'immeubles.
Ce n'est qu'à un nombre très restreint de personnes que cette objection peut s'appliquer ; mais, au surplus, quelle valeur a cette objection si l'on considère que les élections ne sont pas annuelles, que nous n'avons des élections que tous les quatre ans pour la Chambre et tous les six ans pour les conseils communaux et que, par conséquent, dans cet intervalle l'objection n'a aucune espèce de force ; elle se réduit donc à ceux qui acquièrent le droit électoral dans l'année qui précède l'élection, c'est-à-dire à un nombre extrêmement restreint d'électeurs.
Voilà la seule raison que l'on donne ! On dit bien encore, dans l'exposé des motifs, que l'on a aggravé les conditions exigées par la loi du 1er avril 1843, et voici comment : c'est que, prétendument d'après les articles 6 et 7 de la loi du 30 mars 1870, « d'après les termes absolus de ces dispositions, nonobstant les explications données, l'impôt foncier, l'impôt foncier même, s'il n'a pas été payé pour l'année entière, ne compte plus ; les droits du possesseur à titre successif et du propriétaire, par suite de mutation authentique, sont contestables, sinon détruits. »
Il y a là autant d'erreurs que de mots. II a été clairement établi, dans la discussion des articles 6 et 7, que le premier ne modifiait que le premier paragraphe de l'article 10 de la loi communale et que le second concernait exclusivement ces impôts (erratum, page 1186) qui ne sont pas établis ou payés pour l'année entière, ce qui exclut nécessairement l'impôt foncier qui, de sa nature, est établi et payé pour l'année entière.
Je m'étonne au plus haut point qu'on ait pu inscrire de pareilles raisons dans l'exposé des motifs. La discussion qui vient de s'élever tout à l'heure à propos des observations présentées par l'honorable M. Magherman et qui ont été admises par tout le monde, en a fait complètement justice. M. le ministre des finances lui-même n'a pas reconnu que, d'une manière absolue, l'objection de l'honorable M. Magherman fût fondée.
On a admis l'observation de l'honorable comte de Theux et celle de l'honorable M. Bara que les dispositions de la loi, ne s'appliquant qu'au premier paragraphe de l'article 10 de la loi communale, ne dérogeaient en aucune façon à la loi de 1843 en ce qui concerne le possesseur à titre successif et en ce qui concerne celui qui acquiert un immeuble et qui succède également aux droits du propriétaire antérieur.
Ce qui est plus extraordinaire et plus incroyable encore, c'est qu'on ait mentionné que les articles 6 et 7 de la loi de 1870 avaient pour effet de porter atteinte aux droits de l'acquéreur dont le titre est authentique, alors que la disposition de la loi communale que l'article 6 modifie ne parle même pas de l'acquéreur, que c'est uniquement dans la loi de 1843 qu'il en est fait mention ; que l'article 7 est tout à fait étranger à l'acquéreur, tout aussi bien qu'au possesseur à titre successif et qu'il est évident que ces dispositions n'ont pu déroger à des prescriptions légales dont elles ne s'occupent point.
Messieurs, cela n'est pas un seul instant soutenable.
Je pense donc, pour ma part, qu'il y a lieu, puisque aucune objection sérieuse ne peut y être faite, de maintenir, dans l'intérêt de la sincérité des listes électorales, le système qui a été en vigueur jusqu'à présent et qui n'a jamais soulevé d'objections. Il n'en est venu ni de droite ni de gauche.
Messieurs, je ne veux assurément pas supposer que le gouvernement aurait eu l'intention de donner des facilités pour arriver à altérer la sincérité des listes électorales. Mais, sans le vouloir, il y arrive.
Et, messieurs, je n'en trouve pas la preuve uniquement dans la disposition dont je viens de parler. Dans le projet de loi qui a pour objet des modifications à nos lois d'impôts, on a introduit une disposition qui modifie essentiellement ce qui se pratique en matière de répartition de certains impôts. Le mot « répartition » est impropre ici, car il ne s'agit pas en réalité d'impôts de répartition ; mais de personnes qui sont chargées de classer les contribuables en certaines catégories déterminées.
Non seulement on a introduit là une innovation considérable, en ce que l'on charge les conseils communaux de désigner les répartiteurs de ces impôts, sans aucune intervention de l'administration des finances, et partant sans agents responsables ; mais, par la disposition de l'article 11 du projet dont nous nous occupons, on a introduit encore une autre disposition, portant que les déclarations en matière de contribution personnelle et de patente ne peuvent être réduites sans l'assentiment du contribuable.
Vous allez comprendre, messieurs, en quelques mots, l'importance de ces modifications. Je commence par la dernière.
Dans le système qui nous régit actuellement, les particuliers doivent faire, en matière de contribution personnelle, des déclarations exactes.
Sans doute, le législateur de 1822 s'est occupé fort peu de la garantie électorale.
C'était en vue d'atteindre le plus haut chiffre de l'impôt qu'on avait introduit les dispositions qui se trouvent dans la loi de 1822.
Néanmoins, la loi de 1822 offrait des garanties contre les abus possibles. Voici ce qui est arrivé : dans les deux Flandres, à la suite de la révision des opérations cadastrales, un certain nombre de particuliers qui étaient électeurs ont cessé de l'être, par suite de la réduction de leur cote foncière. On s'est ingénié par tous les moyens possibles à rétablir ces électeurs, à l'aide de déclarations de contributions personnelles ou de patentes par arriver de nouveau au chiffre de 42 fr. 32 c.
La fraude était des plus manifeste. J'ai cité ce qui s'était passé dans l'une des deux provinces :
Deux contribuables, entre autres, avaient, en 1867, déclaré un nombre de portes et de fenêtres supérieur à celui qui avait servi de base à leurs cotisations de l'année précédente. L'un, qui avait déclaré jusque-là que sa maison avait cinq portes et fenêtres en comptait tout à coup neuf, à peu près le double ; l'autre, qui n'avait compté toujours que quatre portes et fenêtres et deux foyers, découvrait que sa maison avait cinq portes et fenêtres et trois foyers ; et le hasard faisait que ces changements arrivaient tout juste à faire le cens électoral.
L'administration, usant d'un droit que lui confère la loi de 1822, contesta l'exactitude de ces déclarations faites dans un but manifestement frauduleux. Une expertise régulière fut faite qui constata que ces déclarations étaient fausses. Ces réclamations ayant été portées devant la députation permanente de la Flandre occidentale, celle-ci ordonna, à son tour, une enquête qu'elle fit faire par un de ses membres qui, pour le dire en passant, était un des chefs du parti catholique dans la localité ; à la suite de cette enquête, la députation permanente décida que les déclarations étaient régulières, nonobstant l'expertise faite par des experts qui avaient prêté serment.
L'administration se pourvut en cassation. La cour de cassation a cassé l'arrêt de la députation permanente de la Flandre occidentale ; la cour de cassation a renvoyé devant la députation permanente de la Flandre orientale.
La députation permanente de la Flandre orientale a jugé comme la députation permanente de la Flandre occidentale. Nouveau pourvoi en cassation, et la cour de cassation, toutes chambres réunies, a cassé de nouveau par arrêt du 22 février 1868, rendu sur les conclusions de M. le procureur général Leclercq, et ainsi consacré des principes qui offrent certaines garanties en cette matière. (Pasicrisie, 1868, pages 206 et suivantes.)
Je dis qu'il y a là certaines garanties contre des fraudes possibles.
Elles existent parce que c'est un agent responsable, c'est le gouvernement qui, en réalité, agit dans cette circonstance. On a le droit de s'adresser à lui, de se plaindre s'il ne réprime pas ces fraudes, Ce peut n'être pas le meilleur système ; mais je constate une chose : c'est qu'en l'absence de ces garanties on n'en trouvera aucune autre dans la législation.
Eh bien, messieurs, on vous propose d'abroger cette jurisprudence et de ne rien mettre à la place, absolument rien ; on vous propose de dire par l'article 11 du projet de la section centrale que la déclaration du contribuable ne peut être réduite sans le consentement de ce dernier.
A la vérité on dit qu'on pourra réclamer et que celui qui se prévaut de l'impôt pour la formation du cens est tenu de justifier qu'il en possède les bases.
Mais, messieurs, ce n'est pas là une innovation ; toujours on a pu constater la possession des bases du cens.
Je vois M. le ministre de l'intérieur faire un signe de dénégation. On n'a pas toujours pu contester ? Mais, messieurs, comment un système électoral qui reposerait sur le cens, ce qui suppose nécessairement la possession d'une certaine chose, n'aurait-il pas admis qu'on pût contester à celui qui prétend qu'il a le droit électoral, qu'il possède les bases du cens ! Cela n'est pas sérieux.
Je sais bien que dans la discussion de 1843 quelques personnes ont émis cette idée, ont soutenu que la déclaration pouvait suffire ; mais ce (page 1167) système n'a jamais été admis et il a été condamné dès qu'il a été produit en justice. La cour de cassation depuis 1846 ou 1847 a invariablement et constamment jugé qu'il fallait posséder les bases du cens, que c'était là la condition essentielle du droit électoral.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Certainement.
M. Frère-Orban. - Donc on peut toujours être admis à contester. On ne change donc rien à ce qui existe déjà par l'article 11 et l'on peut supprimer la garantie, si faible qu'elle fût, résultant de l'intervention possible des agents responsables de l'administration.
Il y a une autre innovation en ce qui touche les répartiteurs de patentes, elle existe dans le projet relatif aux modifications aux lois d'impôt.
« Les répartiteurs, porte l'article 11, sont nommés ou démissionnes par le conseil communal. Ils sont au nombre de trois dans les communes de moins de 5,000 âmes et au nombre de cinq dans les autres...
« Les répartiteurs procèdent à la classification des patentables à la date fixée par le contrôleur des contributions. »
Eh bien, messieurs, cette disposition fait passer à des corps irresponsables la nomination des répartiteurs qui appartient aujourd'hui aux gouverneurs, dont le ministre doit répondre, mais, en outre, elle semble avoir pour but et pour effet d'exclure l'action des agents de l'administration, telle qu'elle est aujourd'hui déterminée par l'article 22 de la loi de 1819. Cette loi est ainsi conçue :
« Les déclarations des patentables étant rentrées, le contenu en sera examiné par les répartiteurs nommés dans chaque commune, pour la répartition des contributions directes, qui les consigneront sur un registre à ce destiné, le tout à l'intervention, autant que possible, des contrôleurs des contributions directes, chargés de diriger toutes leurs opérations.
« Les contrôleurs et répartiteurs procéderont ensuite à la classification des contribuables, ou à la fixation du droit, d'après les règles prescrites par là présente loi.
« Quant aux contribuables dont la cotisation dérive de principes fixes, consacrés par la loi, ou de circonstances qu'elle a prévues, leur déclaration sera prise pour base de cette cotisation ; néanmoins les contrôleurs et répartiteurs devront s'en écarter, toutes les fois qu'ils jugeront que la notoriété publique donne lieu à des doutes sur l'exactitude des déclarations, d'après les règles établies par la présente loi.
« Les contrôleurs et les répartiteurs sont en outre chargés de faire l'application des articles 5 et 10 de la présente loi, concernant l'analogie et l'affinité entre les professions.
« Ils auront la faculté de faire appeler devant eux ceux des contribuables dont ils auraient besoin d'obtenir des éclaircissements relativement à la nature et à l'étendue de leur profession.
« Ils pourront inscrire d'office au registre les personnes que la notoriété publique désignerait comme passibles du droit, dans le cas où ces personnes auraient omis de faire leur déclaration aux fins d'obtenir patente, ou ne l'auraient point dûment faite ; le tout sans préjudice des amendes que pourraient avoir encourues ceux qui auraient négligé de faire leur déclaration, ou dont la déclaration serait reconnue fausse ou inexacte. »
Eh bien, à ce système qui offre, je le répète, une certaine garantie en ce que nous avons devant nous un ministre responsable, en ce que nous avons devant nous des agents qui peuvent être discutés, attaqués, qui devraient être nécessairement réprimés, dont la position est engagée, dans de pareils actes, nous allons avoir, d'après le système nouveau, des répartiteurs élus par le conseil communal, même dans les plus petites communes, et faisant exactement ce qu'ils veulent en ce qui concerne les listes électorales.
En vain me dira-t-on : On peut appeler devant la députation permanente. Les députations sont composées, aujourd'hui plus que jamais, non de magistrats, non de juges, mais d'hommes politiques, d'hommes qui sont imprégnés de l'esprit de parti, et qui se décideront, en règle générale, - l'expérience l'a prouvé, la législature l'a reconnu souvent, - suivant leurs opinions politiques. Or, ce n'est pas là un système que l'on puisse admettre dans l'intérêt des uns et des autres.
M. Coomans. - Vos agents l'ont fait aussi.
M. Frère-Orban. - Je vous demande pardon. Mes agents, puisque mes agents il y a, n'ont pas fait cela, ou s'ils l'ont fait, et si des actes ont été portés à ma connaissance, j'ai toujours su réprimer avec énergie tout ce qui constituait un abus en cette matière. Il y a des actes qui le prouvent. J'ai réprimé les fraudes sans acception de parti et d'opinion. MM. les députés d'Alost pouvant le dire.
Je recherche, en cette matière, la vérité, le droit, l'équité, ce qui est conforme aux règles de la bonne justice administrative, ce qui promet une garantie complète du droit des citoyens. Je ne réclame rien pour un parti plutôt que pour un autre.
Je ne prétends pas que le système actuel soit le meilleur. Je dis qu'il offre certaines garanties. Ce qu'il aurait fallu faire, c'était en chercher un autre, et à défaut d'un autre, offrant plus de garanties, de la sincérité des listes électorales, il fallait s'en tenir à ce qui existe aujourd'hui.
Je ne saurais donc me rallier aux propositions du gouvernement.
M. Lelièvre. - Il y aurait un grand inconvénient à adopter l'amendement de l'honorable M. Magherman.
L'article 5 du projet du gouvernement ne s'appliquait qu'aux élections générales, ainsi que l'atteste la rubrique. Il en est de même de l'article 6 du même projet.
Dans ce système, il était naturel d'énoncer que les dispositions 5 et 6 remplacent certains articles de la loi électorale.
Mais les nouvelles dispositions présentées par la section centrale (articles 7 et 8 du projet de celle-ci) ont une autre portée.
Elles s'étendent à toutes les élections. On ne peut donc plus parler exclusivement de la loi électorale.
Il faut des dispositions générales, applicables à toutes les élections quelconques pour les Chambres et pour les conseils provinciaux et communaux.
Il y a un autre avantage à suivre cette voie : c'est celui résultant du maintien des dispositions diverses des lois électorale, provinciale et communale auxquelles ne dérogent pas les articles 7 et 8 de la section centrale, circonstance qui permet de ne pas répéter, dans la loi actuelle, les prescriptions de ces lois qui ne sont pas abrogées. Il sera ainsi bien entendu que les dispositions des lois, auxquelles ne dérogent pas les articles 7 et 8 de la section centrale, continuent d'être en vigueur.
M. de Theux. - L'honorable M. Frère a cumulé dans son discours deux articles : l'article 7 et l'article 11 relatif à la formation du rôle des patentes.
Je crois, messieurs, qu'il n'y a pas grande connexité entre ces deux articles.
Je crois donc qu'il vaut mieux réserver à toute fin la discussion de l'article 11 qui est en effet compliqué et nécessairement il faut une disposition qui garantisse non seulement contre les abus possibles que l'honorable M. Frère a signalés, mais aussi contre les abus qui se sont pratiqués lorsque les répartiteurs des patentes ont forcé ou diminué la cotisation en vue de la politique. Il faut nécessairement une disposition qui obvie aux deux inconvénients possibles.
Quant à l'article 7 seulement, je crois que la. réduction de la possession à une année, d'après le mode que l'on adopte pour la confection des listes électorales pour la province et pour la Chambre, ne sera pas opérante quant à ces deux élections, mais elle pourrait être opérante quant aux élections communales.
Quand on a beaucoup abaissé le cens communal, je ne vois pas nécessité d'abréger le temps de la possession.
Aucun parti n'a intérêt aux fraudes, car si un parti peut les commettre, l'autre peut les commettre à son tour. Il faut donc, dans l'intérêt des deux partis, éviter la possibilité des fraudes.
Je pense donc, messieurs, qu'on peut maintenir la possession de deux années.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable M. Frère-Orban s'est étendu longuement, non seulement sur plusieurs articles de la loi en discussion, mais même sur plusieurs dispositions d'une autre loi, qui sera soumise sous peu aux délibérations de la Chambre ; je ne répondrai pas à cette deuxième partie de ses observations ; la discussion est déjà assez importante et assez délicate pour qu'on n'y mêle pas une loi qui y est étrangère.
L'honorable membre a discuté anticipativement l'article 11 de la section centrale. Le gouvernement ne se rallie pas à cet article ; il ne se rallie pas plus à l'article 11 qu'à l'article 10. Tel qu'il est conçu, l'article 11 n'aurait pas d'effet. Il veut que les déclarations en matière de contribution personnelle et de patentes ne puissent être réduites sans l'assentiment du contribuable.
Or, il n'y a qu'en matière de contribution personnelle que le contribuable fait une déclaration complète. Pour la patente, il ne demande pas à être dans telle classe ; il se borne à demander une patente pour telle profession, puis les répartiteurs le classent ; s'il n'est pas satisfait de son classement, l'article 11 ne lui donne aucun droit de réclamation, car on n'a (page 1168) pas réduit sa déclaration. Le texte de la section centrale ne remédierait à rien.
Nous avons introduit un autre article dans le projet de loi de modifications d'impôts, pour donner au contribuable le droit de réclamer contre une cotisation qu'il juge insuffisante, d'en appeler à la députation permanente. II faut que le contribuable puisse se défendre contre le mauvais vouloir d'un répartiteur, d'un expert de la contribution personnelle, d'un fonctionnaire de l'administration.
Le pourvoi disciplinaire au ministre ne suffit pas ; le ministre peut faire un exemple, mais il ne peut réparer le mal.
Quant à l'article 7, messieurs, il nous semble et il a semblé à la section centrale que la réduction des deux années antérieures à une année était une conséquence logique et nécessaire de la loi du 5 mai 1869 sur la révision des listes électorales.
Quel était le système primitif ?
Les listes électorales se formaient au mois d'avril et elles servaient dès le mois de mai pour les élections provinciales, en juin pour les élections générales, en octobre pour les élections communales.
Pour voter en 1871, par exemple, il fallait avoir payé le cens en impôt foncier en 1870 ou bien en patente en 1869 et 1870.
Celui qui payait le cens deux années avant l'élection était électeur ; mais, d'après la loi nouvelle, la révision ne commence qu'au mois d'août et ses fruits ne se produisent qu'au mois de mai de l'année suivante, de telle sorte que, si la disposition actuelle est maintenue, pour pouvoir voter en 1872 il faudra avoir été redevable du cens en 1871, en 1870 et en 1869, c'est-à-dire que l'on ne pourra voter que la quatrième année.
Le cabinet précédent a abaissé de 25 à 21 ans l'âge requis pour participer aux élections législatives ; il a voulu faire chose sérieuse.
Or, il en serait autrement si l'on exigeait trois années de payement du cens avant celle où l'on aura le droit de voter.
Quel est le jeune homme qui, à l'âge de 21 ans, aura payé pendant trois ans le cens électoral ?
Ce sont réellement là des exigences excessives.
Il n'y a pas de craintes à avoir au point de vue de la fraude. On n'ira pas payer indûment le cens en 1870 pour être électeur en 1872. On ne le faisait pas sous la loi précédente, d'après laquelle il suffisait d'avoir payé le cens deux ans avant l'élection, on ne le fera pas plus sous l'empire de la législation actuelle.
Remarquez d'ailleurs qu'une pareille fraude ne peut réussir qu'une fois, car si l'on ne paye pas avec continuité le cens électoral, on est biffé des listes.
En exigeant le payement pendant l'année antérieure à la révision et pendant l'année de la révision pour accorder le droit de vote pendant l'année qui suit la révision, nous atteignons la limite des exigences raisonnables ; demander plus, c'est écarter des électeurs qui ont tous les droits possibles.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je ne crois pas avoir fait un hors-d'œuvre en présentant l'ensemble du système qui se dessine pour la formation des listes électorales.
Je crois qu'il était indispensable de signaler dès à présent les conséquences de l'article 11 du projet de loi et les conséquences de la disposition proposée par l'honorable ministre des finances dans la loi de révision des impôts, pour expliquer comment l'article 7 allait avoir des résultats excessivement graves.
Dans le système de la loi actuelle, lorsqu'il faut posséder pendant deux ans ou, si l'on veut, pendant trois ans en donnant cette interprétation à la loi de 1870, il faut une longue prévision pour se préparer à la fraude, tandis que quand il suffira de la possession annale et lorsque vous aurez conféré aux conseils communaux le droit de nommer les répartiteurs qui feront ce qu'ils voudront, d'accord, si vous voulez, avec les députations permanentes vous aurez un régime qui offrira peu de sécurité pour les droits des citoyens.
A la veille des élections on préparera ces listes électorales et l'on créera des électeurs.
Voilà ce qui arrivera inévitablement et je puis le dire parce que cela est arrivé.
Ah ! si je disais cela d'un projet de loi présenté pour la première fois, on pourrait prétendre que j'exagère et que je me livre à des écarts d'imagination, mais j'invoque l'expérience du législateur. Nous avons eu cette situation par la loi de 1831.
La législature a dû y porter remède en 1843. On n'avait pas pourvu à tout. Il a fallu modifier la législation en 1865. On n'avait pas encore tout prévu ; des dispositions complémentaires ont paru nécessaires en 1867.
Aujourd'hui, l'on vient proposer d'effacer tout cela d'un trait de plume et de retourner à la loi de 1851, qui a soulevé tant de réclamations et exigé des corrections législatives.
Je crois qu'il vaut mieux maintenir une situation qui n'a donné lieu à aucun inconvénient. La seule objection, c'est que l'on prolonge quelque peu l'ouverture de l'exercice du droit. Théoriquement, cela vous paraît important ; mais pratiquement, ce n'est rien. Vous constatez vous-mêmes qu'il y a très peu de mouvement dans les listes électorales.
Rappelez-vous que l'accroissement annuel du nombre des électeurs est peu considérable.
La plupart des électeurs arrivent à titre successif, ou comme acquéreurs de biens-fonds et pour eux le retard n'existe pas. C'est le moindre nombre qui arrive autrement.
En outre les élections ont lieu au bout de quatre, de six, de huit ans et par conséquent la condition qui soulève notre objection ne peut s'appliquer qu'à ceux qui arrivent dans le cours de l'année qui précède une élection.
C'est donc pour quelques individualités que vous introduisez une disposition nouvelle qui ouvre la porte toute large à des abus. Vous faites donc un mal considérable pour éviter un mal peu important.
Je prie la Chambre de maintenir les lois en vigueur sur cette matière.
Ces lois ont été faites en vue d'éviter la fraude et l'une des dernières a été faite à la demande de l'opposition d'alors, devenue aujourd'hui majorité, et cette majorité irait faire disparaître ainsi les garanties qu'elle a réclamée» autrefois.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable membre part d'un point de départ erroné. Il pense qu'un petit nombre d'électeurs arrive par la patente ou la contribution personnelle et que le grand nombre arrive à titre successif ou par des acquisitions de propriétés immobilières.
C'est là une erreur.
La petite moitié devient électeur par l'impôt foncier, la grande moitié le devient par la contribution personnelle, la patente ou le débit de boissons.
M. Frère-Orban. - Voyez les chiffres.
M. Jacobs, ministre des finances. - Si vous prenez chacun des cinq impôts séparément, vous aurez une plus forte part d'électeurs produite par la contribution foncière que par chacun des autres impôts ; mais si vous réunissez les autres, vous aurez plus de ce côté que du côté de l'impôt foncier.
Donc pour la grosse moitié des électeurs, la disposition a un côté pratique. Si elle ne s'appliquait qu'à un petit nombre d'individus, le gouvernement n'y tiendrait pas plus que l'honorable M. Frère-Orban.
Mais ce serait, au contraire, retarder d'un an l'avènement politique d'un grand nombre d'individus que de rejeter la proposition du gouvernement.
M. Tack. - Messieurs, je n'attache pas plus d'importance que l'honorable M. Frère-Orban et l'honorable comte de Theux à l'article en discussion. Je pense cependant qu'il ne faut pas exagérer la portée des modifications que cet article apporte à la législation actuelle.
L'honorable M. Frère-Orban disait tout à l'heure : Il suffira qu'un individu prenne ses mesures une année d'avance pour pratiquer la fraude et devenir électeur l'année suivante.
C'est une erreur.
Supposez celui qui vise à se faire par fraude électeur en 1873. Il devra y songer dès l'année 1870 et payer toute la cote pour 1871 et 1872. Voilà ce qui me semble évident.
Si je pouvais croire que les appréhensions de l'honorable M. Frère-Orban sont fondées, j'abandonnerais volontiers l'article 7.
En prenant la parole, j'ai voulu faire une question à l'honorable ministre des finances.
Est-il bien entendu qu'il faut payer, pour être électeur, la contribution entière pour toute l'année antérieure et être inscrit sur les rôles pour l'année entière dans laquelle se fait l'élection ?
Il pourrait y avoir doute sur ce point. La section centrale s'est expliquée, mais il est désirable que MM. les ministres à leur tour nous disent qu'il s'agit de la contribution pour l'année entière.
Ainsi, celui qui prendrait une patente à la fin de l'année et qui payerait ainsi le montant du cens voulu, ne serait pas pour cela électeur.
Il ne peut y avoir d'exceptions que celles que l'honorable ministre des finances vient d'introduire par voie d'amendement en ce qui touche le possesseur à titre successif et l'acquéreur d'un immeuble.
M. Jacobs, ministre des finances. - La question que me fait l'honorable M. Tack est résolue par l'article 7 de la loi du 30 mars 1870.
(page 1169) Cet article porte : « Ne sont comptées à l'électeur que les contributions dont le montant est établi et acquitté pour l'année entière. »
Cet article sera maintenu après le vote de la loi et par conséquent l'on ne pourra prendre, dans le courant de l'année, une contribution de nature à se procurer le droit électoral. Il faudra que le cens soit complet au moyen des impôts établis et acquittés pour l'année entière.
M. Frère-Orban. - Messieurs, diverses erreurs ont été commises tout à l'heure. M. le ministre des finances suppose que c'est principalement à l'aide des impôts autres que l'impôt foncier que l'on arrive au cens électoral. Or, la somme de ces divers impôts est inférieure à celle de l'impôt foncier, qui est de 20 millions. (Interruption.)
Personne ne connaît la proportion d'électeurs que donnent les divers impôts. Votre assertion suppose que la somme des impôts autres que l'impôt foncier est supérieure a l'impôt foncier, cette assertion est inexacte.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je n'ai pas dit cela.
M. Frère-Orban. - L'honorable M. Tack commet une autre erreur. Il suppose que la fraude ne sera pas possible, parce que, pour être électeur en 1872, il faudra avoir payé en 1870 et être porté au rôle en1871.
Eh bien, on peut ne rien payer en 1870 et être électeur ; si la cote est réduite ou effacée par suite de réclamation reconnue fondée, l'individu sera dégrevé et il sera électeur.
L'observation que vous venez de faire à M. le ministre des finances prouve que vous l'avez bien supposé ; vous vous êtes dit : Celui qui aura figuré au rôle et qui, à ce titre, sera porté sur la liste électorale, pourra bien avoir obtenu un dégrèvement, avoir vu sa cote tomber en non-valeurs. Ceux qui sont chargés de la formation de la liste électorale ne le sauront pas, car il faut un temps plus long pour pouvoir constater les cotes tombées en non-valeurs ou pour obtenir les ordonnances de décharge. Et c'est ce que j'ai eu l'honneur de faire remarquer à la section centrale en 1865, lorsqu'elle s'occupait du projet relatif au payement effectif du cens électoral.
Voilà la situation légale, voilà la situation vraie qui prouve, qu'avec votre système on peut être électeur sans payer le cens électoral, lorsque, par exemple, on obtient un dégrèvement, parce qu'il est impossible de constater ce fait avant la formation des listes électorales.
Que dit maintenant M. le ministre des finances, croyant répondre à l'objection faite par M. Tack ? Il est bien entendu, dit M. Tack, qu'il faut avoir payé l'impôt intégralement pour pouvoir être maintenu sur la liste électorale ; l'honorable ministre des finances répond : Cela a été décidé par la loi de 1870 et l'article 7 de la loi de 1870 est maintenu. Mais pas du tout. C'est qu'il est abrogé.
M. Jacobs, ministre des finances. Nous nous rallions à la rédaction de la section centrale.
M. Frère-Orban. - L'article ne s'applique pas d'ailleurs à cette hypothèse ; il s'applique uniquement à ceci : il y a certains impôts qui peuvent n'être acquittés que pour une partie de l'année et l'article 7 de la loi de 1870 a dit qu'on ne pouvait compter que les impôts qui sont établis et payés pour toute une année. Mais cela ne s'applique pas au cas dont s'est occupé M. Tack.
Le cas dont s’est occupé l'honorable membre est, par exemple, le cas de celui qui a obtenu un dégrèvement, qui a obtenu restitution ; il n'a pas payé et il sera maintenu sur la liste et ceux qui seront chargés de la révision de la liste ne seront pas à même de contrôler parce qu'à cette époque les ordonnances de décharge ne seront pas émises.
Il est donc absolument impossible, si l'on veut éviter des fraudes, de ne pas maintenir la législation actuelle.
M. Cornesse, ministre de la justice. - Je demande à dire quelques mots en réponse aux observations de M. Frère à l'effet de calmer, si possible, les inquiétudes de l'honorable membre.
Avant la loi du 19 mai 1867 sur les fraudes électorales, il n'y avait pas de pénalités contre ceux qui, pour se faire inscrire sur les listes électorales, s'attribuent frauduleusement une contribution dont ils ne possèdent pas les bases, ou font sciemment de fausses déclarations, ou produisent des actes simulés.
Aujourd'hui, en vertu de l'article premier de cette loi, est puni d'une amende de 26 à 200 francs : « Celui qui se sera attribué frauduleusement une contribution dont il ne possède pas les bases ou aura fait sciemment de fausses déclarations, ou produit des actes qu'il savait être simulés. »
La même peine est applicable à celui qui aura pratiqué les mêmes manœuvres dans le but de faire inscrire un citoyen sur les listes.
Il y a donc aujourd'hui une sanction pénale contre ceux qui se font indûment inscrire sur les listes. C'est un délit de vouloir être électeur sans posséder les bases du cens. En présence de cette sanction, les dangers de fraude sont évidemment moindres que sous la législation antérieure, où la radiation était le seul châtiment du faux électeur. Les pénalités de la loi de 1867 sont une garantie contre la fraude. Elles la préviennent en la réprimant efficacement.
L'honorable M. Frère a reconnu que personne ne veut introduire des moyens de fraude dans la loi ; il a reconnu que le gouvernement, comme l'opposition, désire que la sincérité et la moralité règnent dans cette matière.
Or, il est évident qu'à la suite de la modification introduite quant à l'époque de la révision des listes électorales, un changement dans le temps requis pour la possession de l'impôt personnel et des patentes présente une utilité réelle. Cette modification justifie le retour à la règle établie à l'origine par la loi électorale de 1831.
La position sera à peu près la même aujourd'hui qu'elle était précédemment ; pour être électeur, il faudra avoir payé le cens pendant l'année antérieure à la révision des listes.
Cette révision est fixée au mois d'août ; il faudra, de plus, être inscrit aux rôles pour l'année courante et ceux qui sont portés sur les listes révisées au mois d'août n'exerceront leur droit que l'année suivante, au mois de mai. La fraude devrait donc être combinée plus de deux ans avant de pouvoir produire ses fruits.
Le gouvernement n'a été inspiré, en formulant ses propositions, que par la pensée de ne pas laisser trop longtemps sans exercer leur droit électoral, des citoyens qui remplissent les conditions de cens exigées par la loi. Il est convaincu que ce système ne favorise pas les fraudes et que les dispositions sur la matière sont efficaces pour les prévenir et les réprimer.
M. Jottrand. - L'argument que vient de produire M. le ministre de la justice est sans valeur aucune à ce moment de la discussion. Je crois, en effet, que l'honorable M. Frère a surtout en vue les fraudes qui réussissent, c'est-à-dire les personnes qui sont parvenues à se faire porter sur la liste électorale et à s'y maintenir, quoique ne possédant pas effectivement la base du cens. Or, la pénalité dont vient de parler M. le ministre de la justice ne s'appliquerait pas à ces personnes. En effet, le troisième paragraphe de l'article premier de la loi sur les fraudes électorales dit ceci :
« Toutefois, la poursuite ne pourra avoir lieu que dans le cas où la demande d'inscription aura été rejetée par une décision devenue définitive et motivée sur des faits impliquant la fraude. » (Interruption.)
Ainsi, la pénalité que vous avez invoquée comme un argument péremptoire annulant les craintes de l'honorable M. Frère est sans effet pour les cas dont il s'occupe.
M. de Theux. - Si je comprends bien la disposition, voici quelle en sera la conséquence quant aux élections communales. Il suffira d'avoir payé l'impôt prescrit en 1870 et en 1871 pour avoir le droit de participer aux élections qui se feraient en 1871 d'après les listes nouvelles.
M. Jacobs, ministre des finances. - Ce n'est qu'en 1872 que les listes nouvelles dressées en 1871 pourront servir.
M. de Theux. - Je croyais que les élections pourraient se faire en 1871 sur les listes dressées pendant cette année.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Non ! non !
M. Lelièvre. - II n'en est pas ainsi. Il suffira d'avoir payé le cens en 1870 et 1871. Les listes qui seront dressées en août prochain n'auront effet qu'à partir du 1er mai de l'année 1872.
M. de Theux. - Il faudra donc avoir payé le cens pendant les deux années antérieures à celle où a lieu l'élection. Cependant il pourra se faire qu'un citoyen ait payé le cens en 1870 et en 1871, et qu'il ne le possède plus en 1872, année pendant laquelle il serait néanmoins appelé à voter.
M. Jacobs, ministre des finances. - Cette conséquence se retrouve dans tous les systèmes.
M. de Theux. - Je le sais ; mais c'est, je pense, un inconvénient.
Mais il y a plus : c'est que si l'électeur ne payait plus aucun impôt, il n'en serait pas moins électeur.
M. De Lehaye. - Messieurs, je n'ai qu'un seul mot à dire. Pour être inscrit en 1871, il faut que vous ayez payé le cens en 1870. Donc, pour prendre part aux élections en 1872, il faut avoir payé le cens en 1870 et en 1871. (Interruption.)
Si vous ne payez pas le cens en 1871, vous êtes rayé de la liste en 1872.
- Un membre. - La liste sera dressée en 1871.
(page 1170) M. De Lehaye. - Si vous êtes inscrit sur la liste en 1871, il faut, que vous ayez payé le cens en 1870.
Voilà quelle est la pensée du gouvernement et celle de la section centrale.
M. Frère-Orban. - Voici un cas qui peut se présenter, et avec la disposition que vous proposez, on peut être électeur sans rien payer.
Je suppose un batelier qui fait la déclaration de patente pour un bateau qu'il possède. Il atteint le cens électoral à l'aide de sa déclaration ; mais son bateau n'a pas navigué, et il a dès lors droit, aux termes de la loi, au dégrèvement ou à la restitution de l'impôt dont il est frappé.
Il a pu agir ainsi sans fraude ; il a été réellement empêché de naviguer. Il est, néanmoins, inscrit sur les listes électorales, conformément aux rôles transmis à l'administration communale et l'ordonnance de dégrèvement, qui n'arrive que plus tard, est inconnue à ceux qui sont chargés de la révision des listes électorales. (Interruption.)
Non, ce n'est pas la même chose maintenant. D'après les dispositions qui sont en vigueur, et à raison de la durée de la possession du cens qui est exigée, on peut vérifier les faits L’abus était possible quant aux listes communales ; la loi de 1870 y a pourvu en y appliquant les mêmes règles que pour les listes d’électeurs généraux.
Si l'on maintenait les dispositions actuellement en vigueur, qui exigent le payement biennal pour les contributions autres que l'impôt foncier, des ordonnances de décharge seraient alors rendues, communiquées aux administrations communales, les particuliers en auraient connaissance et pourraient faire rayer des listes électorales celui qui aurait été dégrevé de l'impôt, en tout ou en partie.
Voilà ce qui ne sera plus possible dans votre système ; voilà ce qui prouve que des fraudes seront praticables et seront nécessairement pratiquées, du moment que vous n'y apportez pas de remède.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je ne crois pas, messieurs, que des lois doivent être faites pour des cas exceptionnels. L'exemple cité par M. Frère, je puis l'appliquer avec autant de vérité à l'impôt foncier. Or pour l'impôt foncier il ne faut payer qu'une année antérieure à l'année de la révision.
Là également, si la grêle a causé des ravages, si des inondations ont noyé les récoltes, le cultivateur obtient des dégrèvements et, grâce à cet impôt foncier qu'il ne paye pas, il est électeur, comme le batelier est électeur grâce au bateau dont il ne s'est pas servi. Ce cas exceptionnel peut se présenter pour l'impôt foncier comme pour tous les autres impôts.
Il s'ensuivrait que vous devriez étendre à l'impôt foncier une disposition déclarée par vous nécessaire pour tous les autres impôts. (Interruption.)
M. Frère-Orban. - Il faut posséder la base de l'impôt.
M. Jacobs, ministre des finances. - Du moment que le batelier possède un bateau, il possède la base de l'impôt. Le bateau est la base comme la terre est la base.
M. Frère-Orban. - Pas du tout : c'est le commerce qui est la base.
M. Jacobs, ministre des finances. - Comme c'est le revenu cadastral qui constitue la base de l'impôt foncier : c'est pourquoi vous accordez un dégrèvement quand il n'y a pas de revenu.
Bien plus, le cas qui nous occupe pouvait se produire pour tous les impôts depuis 1843 jusqu'en 1869, malgré la loi de 1843. Si les ordonnances de décharge ne sont pas connues au mois d'août, à l'époque où se fait à présent la révision des listes électorales qui se poursuit jusqu'au mois de mai de l'année suivante, on pouvait également les ignorer jadis au mois de mars et au mois d'avril de la seconde année, époque de la révision alors.
Malgré cela, on ne s'est pas arrêté devant des cas exceptionnels. Sans doute il peut arriver que, dans certains cas de décharge, il y aura des électeurs inscrits sur les listes sans avoir payé l'impôt. Mais, pour ces cas exceptionnels, on ne doit pas retarder d'une année le droit des cent mille Belges qui payent le cens et ont qualité pour être électeurs.
Exiger deux années avant l'année de l'élection, c'est pousser les exigences aussi loin qu'on peut raisonnablement les pousser.
M. Tack. - Ainsi que vient de le dire l'honorable ministre des finances, l'exemple du batelier dont se prévaut l'honorable M. Frère-Orban ne saurait être qu'une rare exception, et ce n'est point pour des exceptions de cette nature que nous faisons la loi. Au surplus le cas que l'honorable M. Frère-Orban a supposé peut se présenter sous la législation actuellement en vigueur.
Effectivement, placez-vous dans l'hypothèse de la formation des listes électorales pour 1871, et admettez un instant que les lois électorales sous l'empire desquelles nous vivons en ce moment ne subissent aucune modification.
Le batelier dont il vous a été parlé tout à l'heure aura payé le cens pour 1869, il aura fait déclaration de patente pour 1870 et pour 1871, mais il aura chômé en 1870 et aura demandé son dégrèvement, il aura également chômé en 1871 ; au moment de la formation des listes de 1871, aucune décision n'aura été prise sur sa requête en dégrèvement, il pourra être porté indûment sur les listes électorales de 1871, il votera en 1872 et même au commencement de 1873 et cependant, tout compte fait, il n'aura payé aucun impôt ni en 1870, ni en 1871, ni en 1872, ni en 1873.
Je reviens encore à ce que je faisais observer il y a un instant. Pour être électeur, il faudra, d'après l'article 7 proposé par la section centrale, que la contribution ait été payée pour toute l'année antérieure et non pas seulement pour une fraction de l'année ; ainsi alors même qu'on aurait payé 10 francs pour un trimestre, cela ne suffirait pas pour être inscrit sur les listes concernant les élections communales.
L'honorable M. Frère-Orban disait tantôt que l'article 7 de la loi du 30 mars 1870 étant abrogé par le projet du gouvernement ; cela est exact, mais il y a lieu de remarquer que la section centrale dans. son article 12, sur lequel la Chambre aura à voter, maintient formellement l'article de la loi du 30 mars 1870.
M. Magherman. - Quel que soit le système que nous adoptions, que l'on décide que la contribution personnelle et la patente devront être payées pendant deux années ou pendant l'année antérieure seulement à la confection des listes ; le droit de surveiller la révision de ces listes doit être sérieuse et efficace. Or, pour qu'il en soit ainsi, il faut qu'en regard du nom de chaque citoyen inscrit sur les listes électorales soient portées les cotes des contributions payées pendant chacune des années exigées par la loi pour être électeur.
L'année dernière, au contraire, on n'a porté sur les listes électorales que les contributions payées pendant l'année courante. Or, si l'on veut que l'on puisse efficacement vérifier les listes, il ne faut pas que l'on oblige les citoyens qui se chargent de cette besogne d'aller fouiller dans les rôles déposés aux archives communales pour voir si les inscrits ont payé la contribution pendant une année ou pendant les deux années antérieures ; car l'accès à ces rôles est souvent très difficile lorsque le secrétaire n'habite pas la commune et même lorsqu'il y a sa demeure. Ces entraves sont de nature à rebuter les citoyens et à leur faire négliger l'exercice de leur droit.
Je prierai donc M. le ministre de l'intérieur, dans les attributions duquel cette matière tombe plus spécialement, de vouloir soigner à l'avenir que les listes électorales affichées contiennent l'indication complète des contributions, non seulement pour l'année actuelle, mais aussi pour l'année ou les deux années antérieures, suivant qu'il en sera décidé par les Chambres. C'est le seul moyen de rendre efficace la surveillance des listes.
M. Vandenpeereboom. - L'honorable M. Magherman prie M. le ministre de vouloir dresser un état indiquant que les contributions ont été payées pendant les deux années antérieures à la confection des listes.
Mais la loi que nous faisons a précisément pour objet de dire que l'on ne devra plus payer que pendant une année. Ce sera là l'effet de la loi, si je comprends bien.
Qu'est-ce qui aura lieu ? L'administration communale dressera la liste ; pour cela elle verra si l'on a payé le cens pendant une année, pendant l'année 1870, par exemple, et tout sera dit. On aura payé pendant l'année 1870, on figurera sur la cote de 1871. On ne devra pas prouver qu'on a payé le cens en 1871 et l'on ne devra pas même le payer. Il suffira d'avoir payé pendant une seule année pour figurer sur les listes électorales l'année suivante. Mais, je le répète, pour l'année pendant laquelle on votera, on pourra parfaitement ne rien payer.
Voilà pourquoi il me semble que l'ancien système offrait plus de garantie que le nouveau. Il fallait payer le cens pendant deux ans ; on ne devra plus le payer que pendant un an. Voilà la différence.
M. Magherman. - Je crois que l'honorable préopinant n'a pas saisi la portée de mes observations. Je ne me suis pas prononcé entre les deux systèmes ; je n'ai indiqué aucune préférence soit pour le système du gouvernement adopté par la section centrale, soit pour le système de l'honorable M. Frère, qui est le système actuel. Voici ce que j'ai dit : L'année dernière, on n'a porté sur les listes électorales que les contributions payées pendant l'année de la confection des listes. Or, pour qu'on puisse contrôler les listes, il faut qu'on y fasse figurer les contributions payées (page 1171) pendant les années pour lesquelles le cens est exigé, et qu'on n'oblige pas de recourir aux rôles déposés aux secrétariats.
Donc, que la Chambre exige que le cens soit payé pendant deux années on pendant une année antérieurement à la confection des listes, je demande que toutes les contributions dont la justification est requise soient portées sur les listes électorales.
M. Bara. - Messieurs, il m'est impossible de ne pas faire quelques courtes observations au sujet de l'article en discussion, et de l'avenir réservé au corps électoral belge par les nouvelles dispositions de la loi dont nous sommes saisis.
La réforme nouvelle réduit le cens à 10 francs pour la commune et à 20 francs pour la province. Par la disposition que nous discutons, il suffit d'avoir payé 10 francs pendant une année pour être électeur.
Et notez qu'il ne faudra pas même le sacrifice de 10 francs pendant un an pour créer de faux électeurs. Car on prendra des contribuables qui payent un peu moins de 10 francs, qui payent 6 francs, 5 francs, 4 francs et on n'aura qu'à parfaire la différence. Donc pour 500 à 600 francs, on créera 100 électeurs ; pour 1,200 à 1,300 francs, on créera 200 électeurs, et il n'y a pas beaucoup de communes en Belgique où, à l'aide de 200 électeurs, on ne puisse obtenir une majorité.
C'est encore un des beaux côtés du projet que nous discutons.
Mais j'ai un fait beaucoup plus grave à signaler à la Chambre : c'est que nous allons nous trouver sans aucune espèce de garantie pour la formation des listes électorales.
La justice peut bien être saisie de la réclamation, mais quand il s'agit de l'examen de la quotité du cens, la justice n'a pas à intervenir ; c'est la députation permanente qui, comme chargée d'attributions spéciales en matière de contribution personnelle, décide si les citoyens sont imposés comme ils doivent l'être. Il n'y a pas contre leurs décisions de réclamation auprès du pouvoir judiciaire. Ainsi la députation permanente décide que tel individu doit être imposé à 10 francs du chef de sa patente, il n'y a rien à faire, la cour d'appel n'a pas à statuer. Il en est de même si elle diminue l'imposition.
M. Jacobs, ministre des finances. - La cour de cassation a décidé le contraire.
M. Bara. - La cour de cassation n'a pas eu à décider en matière électorale si un individu est bien taxé à 8 francs, à 9 francs ou à 10 francs.
M. Jacobs, ministre des finances. - C'est une erreur complète.
M. Orts. - Le pouvoir judiciaire est incompétent.
M. Bara. - Je ne crois donc pas que le chiffre de la patente puisse être l'objet d'une discussion devant la cour d'appel ; de telle sorte que ce sont des corps politiques qui vont former le corps électoral.
Vous avez entendu, messieurs, comment on appréciait naguère ce pouvoir donné aux députations permanentes qui sont, en définitive, des corps politiques ; eh bien, le sort de nos communes et de nos provinces va être abandonné à ces corps politiques et je demande si nous ne sommes pas à la veille d'une nouvelle loi conférant à la cour d'appel le droit d'examiner toute les questions d'impôt, le droit d'examiner si un individu n'est pas imposé plus ou moins qu'il ne doit l'être.
Nos adversaires ont cinq députations permanentes dans le pays ; ils espèrent en avoir davantage ; ils vont livrer de grands assauts ; c'est pour cela qu'ils font la loi. Au moyen de quelques centaines de francs, ceux qui font de fausses élections s'assureront la majorité. On se demandera si à de pareils abus il ne vaut pas mieux substituer le suffrage universel. Cela ne se fera pas longtemps attendre.
Un pareil régime est complètement faux et il détruira nos institutions. (Interruption.)
M. Jacobs, ministre des finances. - Tout le discours de M. Bara est basé sur une erreur. D'après lui, les cours d'appel n'auraient pas compétence pour décider, en matière électorale, comment un patentable doit être classé et pour juger s'il possède les bases de la classe d'impôt qu'il paye.
Il est certain (et c'est ce qui explique l'erreur de M. Bara) que ces contestations se présentent rarement devant les cours d'appel, parce qu'elles sont difficiles à résoudre, et qu'à la classification du fisc s'attache une certaine présomption de fait ; mais voici quelques décisions qui le détromperont.
Je lis dans le recueil de M. Scheyven (1869, première livraison, n°93) : « Il n'y a pas lieu de distinguer entre l'absence complète de possession des bases du cens et une simple exagération. L'une comme l'autre peut faire l'objet du droit d'appréciation des juridictions chargées de réviser les listes électorales. Ainsi, de même qu'on peut refuser de compter à un citoyen la patente qu'il paye pour une industrie qu'il n'exerce pas, de même l'on peut, pour la formation de son cens, réduire le chiffre de cette patente, si la classe dans laquelle il s'est rangé n'est pas celle à laquelle il appartient réellement. (Cass. 23 octobre 1863, p. 101, et 8 septembre 1848, p. 497.) »
La cour de cassation, la grande régulatrice des droits, a décidé que les juridictions chargées d'apprécier la révision des listes électorales sont compétentes pour décider en fait non seulement si vous payez la patente, mais si vous êtes bien classé.
Dans la seconde livraison de 1869 du même recueil page 53, se trouve un arrêt de la cour d'appel de Gand du 11 septembre 1869 où il est dit que « à la classification des patentables faite par les agents délégués par la loi ainsi qu'à l'inscription sur les rôles des contributions, s'attache, non pas, il est vrai, une présomption juris et de jure, mais une présomption de sincérité qui ne doit céder que devant des faits ou circonstances graves, précises et concordantes. »
Enfin, un second arrêt de la cour de Gand du 27 janvier 1870 s'exprime ainsi :
« Attendu que l'intimé ne conteste pas que l'appelant exerce la profession de cabaretier, qu'il soutient simplement que c'est par exagération que l'appelant a été rangé dans la 11ème classe, tandis que des cabaretiers dont le débit serait supérieur au sien se trouveraient rangés dans la 12ème classe ;
« … Attendu que lesdites allégations ne sont pas pertinentes ; qu'en effet, de ce que ces cabaretiers auraient eu un débit plus important que celui de l'appelant, il ne résulterait pas nécessairement que le droit de patente payé par ce dernier était exagéré, mais il pourrait s'ensuivre que le droit qui a été payé par lesdits cabaretiers n'était pas assez élevé. »
Vous le voyez donc, les cours discutent et décident la question de savoir si les contribuables doivent être rangés dans telle ou telle classe ; la cour de Gand a déclaré le fait posé impertinent parce qu'il ne suffit pas de prouver qu'on a exercé un commerce moins important que tel concurrent ; il eût fallu offrir de prouver en outre que ce concurrent n'était pas classé trop bas.
Les cours d'appel ont eu à se prononcer sur le droit des juridictions électorales, d'examiner la classe dans laquelle sont rangés les patentables ; elles ont reconnu leur compétence à cet égard. Cela est indiscutable et cela écarte complètement l'objection de M. Bara.
M. Bara. - Je ne trouve pas la solution de M. le ministre des finances aussi claire qu'il veut bien le dire et la Chambre comprendra tout de suite que cette appréciation est exacte. En effet, au lieu d'un individu taxé d'une manière trop élevée, supposons un citoyen à qui on n'impose pas la taxe à laquelle il a droit. A-t-il le droit d'aller devant la cour d'appel demander à être taxé davantage ? (Interruption.) Non ! Et cependant c'est la question que j'ai posée tantôt.
Il faut donc examiner ce que vaut la jurisprudence invoquée par M. le ministre des finances. Je réclame devant la députation permanente disant : J'ai les bases de tel cens, on ne m'impose qu'à telle somme, je demande à être placé dans une classe supérieure ; la cour d'appel a-t-elle le droit de juger sur ce point ? (Interruption.)
Avez-vous un arrêt à invoquer ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Non, mais c'est un tout autre cas.
M. Bara. - C'est le cas le plus intéressant, car par le fait des députations, des citoyens qui ont les bases du droit électoral peuvent en être privés.
Vous voyez donc bien que mes observations subsistent et sont importantes, que, même si la jurisprudence citée est fondée, il faut ajouter à la loi.
Je demande, en conséquence, à pouvoir présenter un amendement pour conférer aux cours d'appel l'examen de toutes les taxations en matière d'impôts.
L'honorable ministre des finances a cité des arrêts ; il importe de les lire pour savoir s'ils ont toute la portée signalée. Mais en tous cas il faut qu'il n'y ait pas de doute et la loi doit être très explicite à cet égard.
Le gouvernement devrait nous présenter un article disposant que toutes les réclamations en matière d'impôt pouvant donner lieu à un droit électoral pourront être soumises aux cours d'appel.
M. Jacobs, ministre des finances. - L'honorable membre s'échappe par la tangente.
Il est constaté par la jurisprudence que j'ai citée que, même lorsque vous êtes cotisé à telle classe, on peut prétendre que vous n'avez pas les bases de cette cotisation ; on le peut non seulement pour la profession, base de l'impôt, mais pour la classification, base de la cotisation,
(page 1172) Au moins, répond l'honorable membre, si vous avez été taxé au-dessous de ce vous devriez payer, vous n'avez pas le droit de contester devant la cour d'appel contre cette taxation insuffisante.
Non, vous n'avez pas ce droit et voici pourquoi. Il ne suffit pas de possède les hases du cens pour être inscrit sur les listes électorales, il faut encore payer ce cens ; or, vous aurez beau prouver à la cour que vous possédez les bases, comme définitivement vous avez été inscrit pour une somme inférieure, vous ne pouvez faire en sorte que vous payiez davantage.
C'est pour donner aux contribuables le moyen de se garer contre cette conséquence. d'une taxation insuffisante que nous insérons dans notre projet de modification des lois d'impôts une disposition qui leur permet de se pourvoir devant la députation permanente contre ces cotisations. Nous remédions par là à l'inconvénient que citait l'honorable membre et qui n'a rien de commun avec la première question qu'il avait soulevée.
M. Jottrand. - J'ai demandé la parole pour exprimer un regret. C'est d'avoir présenté trop tôt ma proposition concluant à la suppression du cens ; c'est seulement à ce moment-ci du débat que cette proposition aurait dû être faite.
Il est évident que, si le cens n'existait pas et si quelqu'un proposait en ce moment de l'établir, jamais, après la discussion qui vient d'avoir lieu, il ne réussirait à faire passer une pareille nouveauté dans la législation.
Je ne crois pas aller trop loin en affirmant que toutes les difficultés qu'on s'est plu à accumuler sur le chemin de notre condition favorite, la connaissance de la lecture et de l'écriture ne sont que de la saint Jean, comparées à celles que nous voyons se produire quand il s'agit d'appliquer cette base si simple, si naturelle, si facile à apprécier, si invulnérable à la fraude et à l'arbitraire, qui s'appelle le cens électoral.
M. Frère-Orban. - Je fais la proposition de renvoyer l'article à la section centrale.
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Frère-Orban. - Après la discussion qui vient d'avoir lieu, il me semble que la lumière n'est pas encore faite ; et si la majorité ne veut pas du renvoi à la section centrale, je demanderai tout au moins que la suite de la discussion soit renvoyée à demain, afin que nous puissions examiner les questions qui viennent de se présenter. (Interruption.)
Remarquez, messieurs, que ce qui vient d'être dit en dernier lieu par M. le ministre des finances prouve invinciblement que les administrations communales chargées de la répartition des impôts ou les agents chargés de les établir sur les déclarations des contribuables, pourront, à leur gré, effacer qui ils voudront des listes électorales sans autre recours que celui qu'on a vis-à-vis d'un corps politique, la députation permanente. Avec un pareil système, on est maître de la formation des listes électorales.
Il me semble donc que cela vaut la peine d'être examiné.
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Frère-Orban. - Vous ne voulez pas qu’on examine lorsque M. le ministre des finances, lui-même, a confessé que nos objectifs étaient fondées.
M. Jacobs, ministre des finances. - Pas du tout !
M. Frère-Orban. - Vous l'avez confessé en répondant à une autre hypothèse posée par l'honorable M. Bara : vous avez reconnu qu'on ne peut pas se pourvoir autrement que devant la députation lorsque le cens électoral aura été enlevé à un électeur.
Il n'y a pas d'autre recours. C'est devant un corps essentiellement politique qu'on aura à se pourvoir de ce chef ; et vous êtes d'avis que cela ne vaut pas la peine d'être examiné ; qu'il n'y a pas lieu de rechercher s'il n'y a pas de remède possible, point de garantie contre la situation que je signale !
Croyez-moi, messieurs, si vous introduisez de pareilles dispositions dans la législation, sans même vouloir que l'on puisse les méditer, votre loi sera frappée d'une telle suspicion aux yeux du pays, que le régime électoral en recevra une grave atteinte.
M. Royer de Behr, rapporteur. - Je dois m'opposer au renvoi à la section centrale ; je le crois parfaitement inutile. Si l'on trouve incomplet le rapport de la section centrale, la discussion qui vient d'avoir lieu en formera le meilleur complément.
Maintenant, si la Chambre le jugeait opportun, on pourrait renvoyer à demain la suite de la discussion... (Interruption.) Mais je ne le crois pas nécessaire et je suis persuadé qu'au fond l'honorable M. Frère est de mon avis.
M. Frère-Orban. - Mais pas du tout !
M. Royer de Behr, rapporteur, - Quoi qu'il en soit, je ne pourrai que résumer, dans un nouveau rapport, la discussion qui vient d'avoir lieu, et je crois que ce travail serait sans utilité aucune.
M. Tack. - Un examen plus approfondi de la question, ne serait pas inutile peut-être ; mais je ferai remarquer que cet examen pourra avoir lieu lors du second vote. (Interruption.) II y a, je pense, un amendement proposé à cet article.
M. le président - I1 y en aura peut-être un. On demande la clôture de la discussion.
- Des membres. - A demain ! à demain.
M. Bara. - Je propose l'amendement suivant :
« Les cours d'appel pourront être saisies de réclamations contre les décisions des députations permanentes, diminuant les impôts d'un citoyen. »
- L'amendement est appuyé.
M. le président. - Plusieurs membres ont demandé la clôture de la discussion ; je vais la mettre aux voix.
M. Demeur (contre la clôture). - Messieurs, il est absolument impossible qu'on vote l'article de la section centrale. L'article, tel qu'il est rédigé, ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. Magherman, modifie complètement et sans raison une disposition de la loi communale et de la loi électorale. Je veux parler de la disposition qui fait une position à part au possesseur à titre successif, qui ne l'oblige pas, pour être électeur, d'avoir payé personnellement le cens antérieurement à l'année de la révision des listes. (Interruption.)
Sans doute, messieurs, cette modification n'est pas dans vos intentions, mais elle est assurément dans le texte qui nous est soumis. En effet...
- Des membres. - Non ! non !
M. le président. - M. Demeur, un amendement que M. le ministre des finances a déposé sur le bureau fait droit à cette observation. Voici cet amendement :
« Art. 7. § 2. Le possesseur à titre successif est seul excepté de ces conditions.
« En cas de mutation d'immeubles, les contributions dues à partir du jour où la mutation a acquis date certaine sont comptées à l'acquéreur pour la formation du cens électoral. »
Quelqu'un demande-t-il encore la parole contre la clôture ?
M. Bara (contre la clôture). - M. le ministre des finances a dit tout à l'heure que, d'après la jurisprudence, on peut aller devant la cour d'appel lorsqu'il s'agit de créer un électeur ; mais vous ne pouvez pas...
M. le président. - Vous ne parlez pas contre la clôture.
M. Bara. - Soit. Mais, dans de pareilles conditions, est-il possible à la Chambre de clore la discussion ? Un amendement est présenté ; on ne l'a pas examiné. On en a même demandé l'impression. Comment, dès lors, la Chambre pourrait-elle voter ?
M. De Lehaye. - Je dois faire remarquer que la proposition de l'honorable M. Bara ne s'applique pas à l'article en discussion. Nous pouvons donc voter l'article, et nous occuper ensuite de l'amendement de l'honorable M. Bara.
Cet amendement est beaucoup plus applicable à l'article 11 qu'à l'article en discussion, et si l'on ne veut pas le rattacher à l'article 11, il peut former un article à part.
M. Vandenpeereboom. - L'amendement présenté par M. le ministre mérite d'être imprimé. Je déclare, quant à moi, que je ne l'ai pas compris à une première lecture.
Je demande donc l'impression, et j'espère que la droite aura assez de respect pour l'amendement de M. le ministre des finances pour nous permettre de l'apprécier.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, dans mon discours, j'ai indiqué ce qu'était mon amendement : ce sont les paragraphes 2 et 3 de l'article 3 de la loi électorale. On a émis des doutes au sujet du maintien de ces paragraphes, que tout le monde a l'intention de maintenir. Je les maintiens expressément pour trancher un doute et, à cet égard, il n'y a aucune contestation dans la Chambre ; tout le monde est d'accord pour maintenir ces deux paragraphes ; c'est exclusivement pour qu'il n'y ait pas d'erreur qua je les ai indiqués dans la loi.
M. Muller. - Vous y ajoutez.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je n'y ajoute absolument rien.
- Voix nombreuses. - Aux voix !
(page 1173) M. le président. - La clôture est demandée ; je vais la mettre aux voix.
- Voix nombreuses. - L'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la clôture.
92 membres y prennent part.
50 membres répondent oui.
42 membres répondent non.
En conséquence la clôture est prononcée.
Ont répondu oui :
MM. de Baets, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d’Hane-Steenhuyse, Drion, Dumortier,. Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Royer de Behr, Simonis, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Coremans, Cornesse et Thibaut.
Ont répondu non :
MM. Crombez, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, De Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Drubbel, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Janssens1, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Mascart, Muller, Orts, Rogier, Sainctelette, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Overloop, Vleminckx, Allard, Anspach, Bara, Bergé, Boucquéau, Boulenger, Bricoult et Couvreur.
M. le président. - Nous passons maintenant à l'article 7 ; M. Magherman fait-il une proposition pour le paragraphe premier ?
M. Magherman. - Je maintiens mes observations, M. le président.
M. le président. - Je vais donc mettre aux voix l'article 7. Le gouvernement se rallie-t-il à l'amendement présenté par la section centrale au paragraphe premier ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Oui, M. le président.
M. le président. - Ce premier paragraphe est donc ainsi conçu :
« Les contributions et les patentes ne sont comptées a l'électeur que pour autant qu'il ait payé le cens pendant l'année antérieure à celle de son inscription sur la liste électorale. »
Le paragraphe 2 serait formé de l'amendement présenté par M. le ministre des finances.
C'est l'article ainsi rédigé que je mets aux voix.
- Des membres. - L'appel nominal !
- L'article est mis aux voix par appel nominal.
86 membres prennent part au vote.
53 votent l'adoption.
35 votent le rejet. L'article est adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. de Baets, de Clercq, de Dorlodot, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour, De Lehaye, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Smet, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Gerrits, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Royer de Behr, Simonis, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Verwilghen, Léon Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Boucquéau, Coremans, Cornesse et Thibaut.
Ont voté le rejet :
MM. Crombez, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, de Lexhy, de Macar, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin, Drubbel, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Jamar, Mascart, Muller, Orts, Rogier, Sainctelette, Van Iseghem, Amédée Visart, Vleminckx, Allard, Anspach, Bara, Bergé, Boulenger et Bricoult.
M. le président. - Le bureau a reçu un article nouveau de M. Demeur et un article nouveau de M. Bara.
Ces articles seront imprimés et distribués.
- La séance est levée à cinq heures et un quart.