(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 1114) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Turnhout prie la Chambre d'accorder au sieur Maréchal la concession d'un chemin de fer d'Ans à Bréda avec embranchement de Moll vers Herenthals. »
« Même demande du conseil communal de Meir. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jacobs propose des mesures dans le but de sauvegarder l'ordre public contre les entreprises coupables de sociétés dangereuses. »
- Même renvoi.
« Le sieur Colson réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la jouissance de sa pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lemaire, ancien employé à l'administration de chemins de fer concédés, demande une place au contrôle des marchandises aux chemins de fer de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Rebecq-Rognon demandent que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.
M. de Vrints.- Vu l'intérêt de cette pétition, je prierai la Chambre de vouloir bien ordonner qu'elle fasse l'objet d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Des habitants de Gand demandent que la langue flamande soit, en tout, mise sur le même rang que la langue française. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions identiques.
« Des habitants de Rongy demandent le vote à la commune, pour toutes les élections et la division du pays en circonscriptions électorales de 80,000 âmes. »
_Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la réforme électorale.
« Le sieur de Smedt fait hommage à la Chambre de 150 exemplaires d'une pétition par laquelle il soumet à la Chambre un système de votation, qui réaliserait l'application, à toutes les élections, du principe de la représentation proportionnelle. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la réforme électorale et distribution aux membres de la Chambre.
« M. Sainctelette, retenu à Mons pour affaires urgentes, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
Les sections du moi de mao se sont constituées comme suit.
Première section
Président : M. Delcour
Vice-président : M. Delaet
Secrétaire : M. Magherman
Rapporteur de pétitions : M. Van Cromphaut
Deuxième section
Président : M. Pety de Thozée
Vice-président : M. Biebuyck
Secrétaire : M. Hermant
Rapporteur de pétitions : M. de Clercq
Troisième section
Président : M. De Lehaye
Vice-président : M. Vermeire
Secrétaire : M. Mull de Terschueren
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Quatrième section
Président : M. De Smet
Vice-président : M. Cruyt
Secrétaire : M. de Vrints
Rapporteur de pétitions : M. Brasseur
Cinquième section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Van Wambeke
Secrétaire : M. Vanden Steen
Rapporteur de pétitions : M. Drion
Sixième section
Président : M. Moncheur
Vice-président : M. Lelièvre
Secrétaire : M. Van Outryve d’Ydewalle
Rapporteur de pétitions : M. Visart (Amédée)
(page 1119) M. Couvreur. - La nécessité de rectifier des appréciations erronées sur le rôle que joue la taxe des pauvres dans l'organisation du système électoral en Angleterre, m'a amené à entretenir la Chambre, plus longuement que je ne l'aurais voulu, de l'historique de la réforme électorale dans ce pays. Néanmoins, puisque j'ai commencé, je demanderai à terminer cette partie de mon discours par une citation qui résume l'esprit de ce mouvement et les résistances qu'il a rencontrées.
Elle contient plus d'une vérité utile qui peut trouver son application en Belgique.
Voici, messieurs, ce que disait, dans un meeting à Glascow, à la fin de 1858 un illustre orateur qui a été, en Angleterre, l'âme de ce grand mouvement réformiste qui a épargné à l'Angleterre les convulsions révolutionnaires qui désolent actuellement la France.
« De grandes tentatives se font pour effrayer les classes moyennes. On leur dit que l'ouvrier refusera d'écouter l'avis de ceux qui sont placés au-dessus de lui par leur état, leur position, leur éducation.
« Quelques-uns d'entre vous se rappellent qu'il y a quarante ans un meeting politique public n'était pas possible en Ecosse. Les classes en possession du gouvernement à cette époque considéraient ces assemblées comme dangereuses. Elles disaient que les réunir était un acte de trahison, que le repos public et la sécurité du gouvernement devenaient impossibles si l'on permettait à des Anglais et à des Ecossais de se réunir pour discuter les affaires publiques. Mais la réforme électorale fut votée et après une longue expérience, nous pouvons constater que le repos public est plus fortement établi qu'il ne l'a jamais été à aucune autre époque de notre histoire.
« Le Reform bill a été voté il y a 27 ans. Que disaient alors ces grands pairs dont quelques-uns semblent avoir été réveillés récemment de leur somnolente sécurité ? Que disaient-ils ? Ils disaient que le gouvernement tomberait ; ils disaient que le vote de cette mesure si grande, mais si modérée de la réforme serait aussi le signal de la dernière heure de la grandeur et de la gloire de notre puissante nation. »
Or, qu'est-il arrivé ? C'est que tous ces prédictions ont été démenties.
Et plus loin, après avoir fait ressortir les menaces et les pronostics sinistres qui avaient précédé également l'abolition des lois sur les céréales, il ajoute :
« C'est là un genre d'arguments que Bentham appelle l'argument cauchemar - grande manœuvre fort en vogue pour effrayer de braves gens, et les empêcher de faire quelque bien.
« Aux classes moyennes, à vous qu'il y a vingt-sept ans ils déclaraient indignes du droit électoral, à vous ils disent aujourd'hui : Vous êtes le boulevard de notre Constitution. Vous pouvez habiter une maison de 10 livres ; mais, si vous descendez jusqu'à 9 livres, jusqu'à 8 livres, jusqu'à 7 livres, le cas devient mauvais. A 6 et à 5 livres, il devient désespéré. Le droit électoral, basé uniquement sur la taxe des pauvres est ultra-révolutionnaire. Pour moi, je n'en crois rien. »
Plus loin encore l'orateur disait :
« Un journal m'a reproché de n'avoir pas démontré en quoi le droit de suffrage pourrait être avantageux aux classes ouvrières. Je crois que ce droit aurait pour premier résultat de relever le respect qu'ils se doivent à eux-mêmes.
« J'ai vu des milliers d'hommes ne possédant pas le droit de vote assister à la proclamation des candidats, aux opérations du poll avec une anxieuse curiosité et une attitude souvent peu convenable. Je crois que si la majorité de ces hommes était en possession du droit de suffrage, le sentiment de ce droit et de cette responsabilité aurait sur leur esprit, leur moral, leur condition d'être en général, les meilleurs effets. Le grand secret pour relever un homme qui a grandi dans ce que l'on peut appeler les occupations inférieures de la vie, c'est de trouver ce qui peut augmenter le respect qu'il a de lui-même.
« Si un homme éprouve une fois ce sentiment, s'il voit sa route, au milieu de ses compagnons, pour se rendre utile, vous ne tarderez pas à constater le changement qui s'opère dans son caractère. Ce qui dans sa nature était jadis stupidité et bassesse semble avoir disparu ou s'être sensiblement atténué. Vous retrouvez un homme devenu plus sage, plus noble, plus heureux.
« Je crois que si vous admettiez le corps entier de nos artisans sur la liste des électeurs, si au lieu d'assister à la nomination des candidats en simples spectateurs et avec le seul droit d'acclamer l'élu heureux et populaire, ils pouvaient passer homme par homme devant l'urne électorale et voir enregistrer leur vote en faveur du citoyen qui représentera leurs intérêts, je crois, dis-je, et c'est mon opinion sincère et consciencieuse, que nous ferions autant et plus pour relever chez l'ouvrier le respect de. lui-même que nous pouvons espérer atteindre maintenant par tous les moyens mis en pratique jusqu'ici en vue d'augmenter le bien-être des classes laborieuses. »
Voilà, messieurs, d'excellentes vérités et qu'on ne saurait trop méditer. Dans ma bouche elles eussent perdu de leur valeur. J'ai préféré vous les présenter sous les auspices de celui qui les a exposées le premier, de ce grand ministre de la reine d'Angleterre, qui s'appelle l'illustre Bright.
Les honorables membres qui nous ont reproché d'aller chercher nos exemples en Angleterre en défigurant la réforme électorale et les institutions de ce pays, reproche auquel je crois avoir répondu d'une façon satisfaisante, ont été plus dans la vérité lorsqu'ils ont fait valoir qu'il était imprudent d'emprunter à un pays étranger ses institutions sans tenir compte des différences d'organisation qui existent entre ce pays et celui dans lequel on veut importer les institutions nouvelles.
Oui, il est vrai, l'Angleterre possède une aristocratie puissante et respectée, tenant toutes les avenues du pouvoir par l'armée, par l'Eglise, par la magistrature. C'est un contre-poids puissant, mais c'est aussi pour l'Angleterre un danger et un danger plus grand qu'aucun de ceux qui peuvent nous menacer dans notre pays.
Tous les privilèges de cette aristocratie reposent sur la primogéniture et la possession exclusive de la terre, deux principes fortement battus en brèche. Le jour où, par un cataclysme industriel, les grandes fortunes mobilières et l'émigration viendraient à disparaître, l'Angleterre serait aux bords d'un abîme. Ce qui sauvera toujours la France, c'est la petite propriété rurale. La situation est la même chez nous. La division extrême de la propriété, voilà notre sauvegarde contre la démagogie et le communisme. Elle peut bien, en France, s'emparer momentanément de quelque ville. Elle sera toujours contenue et vaincue par les campagnes, essentiellement conservatrices. En Angleterre, il n'en serait pas de même. Là à côté des grands propriétaires et des fermiers tenus dans leur dépendance, il n'y a que des ouvriers agricoles, plus ignorants, plus abrutis, plus immoraux que les derniers ouvriers des villes. La petite bourgeoisie rurale fait défaut. Elle a disparu. Il y a là pour l'Angleterre, à mesure que la démocratie grandit dans les villes, un immense danger et une constante source de préoccupations pour son gouvernement.
L'Angleterre échappera-t-elle à ce danger ? Parviendra-t-elle à diviser la propriété rurale par la suppression des privilèges de l'aristocratie, parviendra-t-elle à créer une classe intermédiaire de petits propriétaires agricoles ? Je n'hésite pas à répondre affirmativement, parce que l'Angleterre possède une aristocratie lettrée, intelligente, amie du progrès, qui comprend ses intérêts et ceux du peuple, qui sait faire à temps les concessions nécessaires, qui ne résiste pas à outrance aux légitimes volontés de l'opinion publique.
Ce sont des membres de l'aristocratie qui ont fait l'émancipation des catholiques, la réforme de la loi sur les céréales, la réforme électorale de 1832 et celle de 1867. C'est un tory converti au radicalisme qui a aboli l'Eglise d'Irlande. Ce seront les aristocrates qui les premiers porteront la main sur les privilèges de leur caste.
Ce que l'aristocratie a osé faire en Angleterre pour le peuple, nous pouvons l'imiter avec moins de dangers et moins de craintes. Ce qui est à créer en Angleterre existe chez nous, grâce à notre code civil, grâce à l'extrême division de la propriété.
Ce que l'aristocratie est pour l'Angleterre, notre bourgeoisie l'est pour la Belgique.
Dans une séance antérieure, on a fait d'elle un éloquent et légitime éloge.
Je m'associe à cet éloge, non pour tout le bien que la bourgeoisie a fait aux classes populaires dans le domaine matériel, non pour le bien qu'elle fera encore, mais pour une raison morale plus haute et plus puissante, pour le profond sentiment de justice qui inspire tous ses actes.
C'est parce qu'elle a ce sentiment de justice, qu'elle ne veut d'aucun privilège, ni pour elle ni pour autrui.
Il a suffi de lui montrer cette vérité, pour qu'elle écartât du Parlement les hommes qui lui prêchaient la peur, l'égoïsme et l'immobilité.
Et nous serions bien ingrats, si nous venions calomnier cette bourgeoisie ; si nous pouvions oublier que nous sommes sortis de ses rangs (page 1120) que nous sommes ses enfants, que nous sommes ses élus, les élus du suffrage censitaire. Elle nous a pris par la main, et elle nous a envoyés dans cette enceinte, parce que nous lui avons dit : à y a là des droits légitimes qui veulent être satisfaits. Le temps des atermoiements est passé.
Ceux qui ont méconnu cette nécessité ont été renversés, ceux qui l'ont proclamé ont été élevés ; voilà pourquoi l'honorable M. Demeur siège dans cette enceinte, malgré les calomnies dirigées contre lui ; voilà pourquoi la députation de Mons a été rajeunie et renouvelée ; voilà pourquoi l’opinion libérale a dû, par un programme nouveau, se retremper aux sources vices de la démocratie ; voilà pourquoi il y a sur ces bancs aujourd’hui, non plus quelques hommes dont on pouvait étouffer la voix et méconnaître les conseils bien intentionnés, mais un groupe d’esprits convaincus, bien déterminés à faire triompher leurs opinions dans l’intérêt du pays, avec vous et par vous, si vous le voulez ; sans vous et malgré vous, si c’est nécessaire.
On a, messieurs, présenté contre notre système quelques objections de détail ; elles ont déjà été rencontrées en partie par l'honorable M. Demeur, et je ne veux pas m'y arrêter longuement. On a craint que les représentants de la nation, si notre système fonctionnait, seraient privés du droit électoral.
Il y a été répondu par le texte même de notre contre-projet. L'établissement permanent suffit pour donner le droit électoral, la présence réelle n'est pas exigée.
On nous a dit également, et cette observation, en apparence plus fondée, a semblé produire un certain effet sur quelques esprits, que nous aurions dû, comme la loi anglaise, fixer un minimum de loyer.
Si nous n'avons rien fait, c'est parce qu'en réalité la disposition de la loi anglaise est remplacée, dans notre contre-projet, par l'exclusion prononcée contre les indigents.
Qu'est-ce en Angleterre qu'un loyer de 10 livres, un loyer de 250 francs pour une maison ou une partie de maison non meublée ? Il n'y a guère que les indigents qui soient logés à un plus bas taux.
Il en serait de même chez nous pour nos villes. Le moindre ouvrier établi, possédant ses meubles, ayant une famille, paye un loyer de 12 à 15 francs par mois ; chiffre correspondant aux 250 francs de loyer anglais.
Et puis comment eussions-nous pu constater le prix du loyer alors qu'on nous oppose déjà de si grandes objections pour la constatation d'un fait beaucoup plus simple et plus élémentaire : la connaissance de la lecture et de l’écriture ?
Il eût fallu prendre alors pour base la valeur locative, soit un tiers de la valeur réelle. Cela nous ramenait, aux maisons qui sont exemptes de l'impôt, c'est-à-dire de celles qui sont occupées par les indigents.
J'en conclus, messieurs, qu'en réalité il n'y a pas de différence entre la loi anglaise et notre proposition sous ce rapport.
D'ailleurs, si la Chambre avait été disposée, je ne dis pas à voter notre contre-projet, mais seulement à l'examiner sérieusement, à le faire examiner en section centrale, nous aurions mieux expliqué les raisons des différences signalées. Ce ne sont là, en réalité, que des questions de détail et d'application, non des questions de principe. Or, ce que nous avons voulu surtout, c'est faire triompher ici la cause de la capacité, combinée avec les intérêts créés par la résidence réelle, l'occupation réelle et prolongée.
Je crois, messieurs, avoir accompli la première partie de ma tâche ; je crois avoir démontré que notre contre-projet est bien le décalque de la législation anglaise, que les différences n'ont pas l'importance qui leur a été attribuée, que le législateur anglais est allé plus loin que nous, que nous pourrions le suivre sans nous exposer aux mêmes dangers que lui.
Il me reste maintenant une seconde démonstration à faire, c'est que nous ne sommes pas sans le vouloir et sans le savoir les importateurs dans notre pays du suffrage universel, en d'autres termes que nous ne confondons pas le household suffrage avec le manhood suffrage. L'honorable M. Royer de Behr portant à 1,400,000 citoyens mâles, âgés de 21 ans, le chiffre, de la population dans laquelle peuvent se recruter les électeurs belges, vous a dit : « Le nombre des ignorants atteint à peu près 25 p. c, notre réforme va faire entrer dans le corps électoral un million d'électeurs ; un million d'électeurs, c'est le suffrage universel, » et l'argument a été repris et développé par les honorables MM. Sainctelette et Frère-Orban.
L'honorable M. Demeur, en faisant valoir les causes d'exclusion inscrites dans notre projet, causes qui portent sur les assistés, sur les non-domiciliés, sur les serviteurs à gages, sur les incapables, sur les indignes, a déjà réduit ce chiffre de 1 million à 600 mille électeurs.
Nous voilà bien loin déjà du suffrage universel.
Les calculs auxquels je me suis livré en parlant d'une autre base que l'honorable M. Demeur, m'ont fait arriver à peu près au même résultat de 600 mille électeurs nouveaux qui entreraient dans le corps électoral. Mais il ne suffit pas d'indiquer quel est le chiffre total des nouveaux électeurs ; il faut aussi examiner quelle en sera la répartition.
Or, et j'étonnerai peut-être mes honorables contradicteurs en leur apprenant que dans un grand nombre de localités industrielles, précisément là où l'introduction de la loi peut présenter des inconvénients, surtout si on laisse entrer dans le corps électoral l'élément ignorant, non préparé au mandat auquel on l'appelle, je dis que, dans bon nombre de localités industrielles, le total des nouveaux électeurs d'après notre système serait moins considérable qu'il ne l'est d'après le système du gouvernement et que là où les chiffres se balancent, les électeurs créés par nous occupent incontestablement un niveau social supérieur.
Cet état de choses s'explique facilement et je m'étonne qu'il ait échappé, je ne dis pas à ceux dont le siège était fait, mais à des esprits consciencieux et réfléchis qui ne se payent pas de mots, mais veulent aller au fond des choses et scruter les faits. L'honorable M. Royer de Behr a dit de notre système qu'il n'était pas suffisamment mûri. J'espère lui prouver, au contraire, que nous l'avons étudié de très près et que ce sont ses appréciations qui ont été trop hâtives.
J'ai été frappé de l'augmentation prodigieuse du corps électoral dans certaines communes industrielles. Ainsi à Gilly, au lieu de 261 électeurs inscrits actuellement sur les registres, il y en aura 1,166, pour les élections communales, bien entendu. A Jumet, le nombre est porté de 246 à 1,049 ; à Jemmapes, il monte de 226 à 1,025 ; à Lokeren, de 429 à 1,264 ; à Molenbeek-Saint-Jean, de 648 à 1,300.
Vous voyez que, dans ces localités industrielles, le nombre des électeurs est quadruple pour les unes et double pour les autres.
Voulant ne rendre compte du nombre des électeurs que notre système créerait dans ces mêmes localités, j'ai pris pour base de mes calculs le recensement qui a été fait sur la population en 1866. Vous n'ignorez pas comment ce travail a été effectué : des feuilles, qu'il fallait remplir, ont été envoyées par les administrations communales aux intéressés. Ceux-ci les ont remplies eux-mêmes.
Les questions étaient très simples. De tous les travaux statistiques faits dans le pays, je crois que c'est un de ceux qui peuvent nous inspirer le plus de confiance.
Or, que nous apprend ce recensement ?
Je trouve d'abord les chiffres suivants :
(successivement : nom de la commune – total – sachant lire et écrire – sachant ni lire ni écrire – âge de 21 ans et plus
Gilly : 8,044 – 2,253 – 5,521 – 4,322
Jumet : 7,713 – 3,200 – 5,513 – 3,877
Jemmappes : 5,040 – 1,677 – 3,963 – 2,987
Lokeren : 8,549 – 3,466 - 5,083 – 5,035
Molenbeek-Saint-Jean : 12,179 – 5,412 – 6,766 – 5,768
Les chiffres de la dernière colonne nous donnent le nombre des électeurs dont nous serions dotés par le suffrage universel.
Voyons, maintenant, quels déchets nous donne le suffrage universel éclairé.
D'après les conseils de milice, il y a, dans le pays, de 25 à 30 p. c. d'ignorance absolue. D'après le recensement de 1866, où les intéressés ont statué eux-mêmes sur leur capacité, le chiffre est bien plus élevé. La statistique ne renseigne pas quels sont les habitants âgés de plus de vingt et un ans sachant lire et écrire ; mais si l'on tient compte que les enfants d'un à cinq ans forment dans cette population un groupe très considérable, on peut admettre sans se tromper beaucoup que la proportion d'ignorance renseignée pour la population mâle totale est aussi celle de la population mâle sachant lice et écrire. Sur cette base, le tableau se complète comme suit : (successivement : nom de la commune – Proportion d’ignorance – Habitants mâles âgés de 21 ans sachant lire et écrire)
Gilly : 31 p. c. – 1,340
Jumet : 42 p. c. – 1,628
Jemmappes : 30 p. c. – 896
Lokeren : 41 p. c. – 2,039
Molenbeek-Saint-Jean : 45 p. c. – 2,595.
De ces derniers chiffres qui représentent le suffrage universel éclairé, il faut défalquer les indigents sachant lire et écrire, les nomades qui logent en garni, les domestiques, les étrangers, les individus qui n'ont pas le temps de résidence voulu, ceux qui négligent de se faire inscrire, les indignes et (page 1121) les incapables. Pour des communes industrielles où il y a un grand mouvement de population, l'écart peut être porté à 60 p. c. Il nous laisserait : (successivement : nom de la commune – électeurs d’après le contre-projet – électeurs d’après la loi – nombre actuel des électeurs)
Gilly : 654 – 1,166 – 261
Jumet : 812 – 1,049 – 246
Jemmapes : 438 – 1,025 – 226
Lokeren : 1,020 – 1,264 – 420
Molenbeek-Saint-Jean : 1,300 – 1,280 – 648
On peut tirer de ces données les conclusions suivantes, lesquelles s'accordent avec la réalité des choses.
C'est surtout dans les communes rurales que le nombre des électeurs serait augmenté. Toute famille indépendante, vivant du fruit de son travail, participerait à la puissance publique, pourvu que ses membres sussent lire et écrire. Le corps électoral serait d'autant plus nombreux qu'il y aurait, dans la commune, moins d'indigents, moins de gens à gages, moins d'illettrés, moins de nomades. Est-ce que, dans ces communes-là, le corps électoral, quoique très nombreux, ne donnerait pas plus de garanties d'ordre que celui issu d'un cens à 10 francs, lequel laisse en dehors de sa composition et l'homme lettré qui habite chez autrui, et le fils travaillant pour son père, mais qui y fait entrer l'exploitant d'un cabaret de bas étage, parce qu'il débite du genièvre, et le contribuable indigent qui compense sa cote par les secours de la bienfaisance ?
Dans les communes industrielles, en revanche, le corps électoral deviendrait moins nombreux à mesure que l'ignorance, l'indigence secourue, la domesticité, les déplacements, l'immigration des logeurs et des étrangers, l'indifférence aussi pour l'exercice du droit électoral y feraient mieux sentir leur puissance.
Ces causes diverses s'exerceraient avec bien plus d'effet dans notre système que dans le système du gouvernement, et contribueraient ainsi à épurer le corps électoral. Nous nous rapprocherions de l'idéal d'un bon système de représentation : une base très large, des restrictions rationnelles ne reposant que sur l'intérêt social en dehors de toute idée de caste ou de privilège. Que les indigents s'élèvent d'un degré et deviennent des travailleurs utiles et instruits, que les nomades s'établissent à demeure, que les illettrés s'instruisent, et les portes des comices s'ouvriront devant eux bien plus facilement et bien plus logiquement que dans le système du cens.
J'espère, messieurs, que sur le second point, l'introduction du suffrage universel, ma démonstration n'est pas moins satisfaisante que sur le premier. J'espère avoir réussi, en partie du moins, à faire naître dans vos esprits la conviction qui anime le mien ; c'est que non seulement notre réforme est bien calquée sur la législation anglaise, mais qu'elle n'est pas le suffrage universel, quoiqu'elle permette l'introduction successive dans le corps électoral des éléments dignes d'y entrer, au fur et à mesure que, par le travail, par l'étude, par les intérêts créés, ils acquerraient les conditions indispensables pour jouir de ce droit.
Il me resterait, messieurs, à traiter un dernier point : l'obligation de savoir lire et écrire ; je devrais, par la même occasion, répondre aux reproches qui nous ont été adressés, à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et a moi, par l'honorable M. Frère, d'avoir changé d'opinion sur le mérite de la loi de 1870 et d'avoir fait, en 1867, une opposition systématique au gouvernement.
Mais à quoi bon entrer dans ces considérations ? Je ne voudrais pas qu'on pût interpréter mon silence comme un mea culpa ou le considérer comme une preuve d'impuissance ; mais quand les questions de principe ne sont pas en jeu, j'éprouve tant de répugnance à démontrer que je ne me suis pas trompé, cela me semble si peu intéressant pour la Chambre et pour le pays, qu'à moins de nécessité absolue je ne répondrai pas sur ce point.
Quant à la question de savoir lire et écrire, je ne veux pas abuser plus longtemps des moments de la Chambre. Le contre-projet que nous avons présenté devra, par l'ordre même de nos délibérations, être mis aux voix le premier. Les amendements relatifs au lire et écrire ne viendront qu'en dernier lieu. Peut-être pourrai-je alors prendre la parole pour défendre quelques-unes de nés idées. J'espère être assez heureux pour démontrer que, quoi qu'on en dise, les différences entre les divers amendements ne sont pas aussi radicales qu'on veut bien le dire. Je crois pouvoir établir aussi que la constatation de la capacité ne présente pas réellement les difficultés qu'on a voulu y rencontrer.
Je me borne, pour le moment, à signaler à l'attention des membres de cette Chambre, et particulièrement à ceux qui siègent sur les bancs de la gauche, dont plusieurs ont attaqué notre système avec beaucoup de vivacité, qu'il y a, pour l'opinion libérale, pour le pays tout entier, un grand intérêt à ce que la loi qui nous est présentée ne soit pas sanctionnée sans qu'il y soit joint une garantie de capacité.
J'admets que les conditions de capacité puissent être différentes selon qu'on les combine avec le cens ou que l'on supprime le cens.
Mais une fois la base du cens adoptée, je crois que, sous une forme quelconque, par un amendement quelconque, nous devons y joindre la condition de capacité. Cela est nécessaire pour nos grandes villes et pour nos communes industrielles ; cela est nécessaire surtout pour la loi elle-même, si l'on veut qu'elle soit une œuvre de transaction exprimant les aspirations de tous les hommes de la génération contemporaine.
M. le président. - Voici un article additionnel proposé par MM. Anspach, Orts et Funck :
« Article additionnel. Les conseils communaux seront renouvelés intégralement dans les six mois qui suivront la promulgation de la présente loi. Le Roi déterminera l'époque de la réunion des collèges électoraux à l'effet de procéder à ce renouvellement et celle de l'installation des nouveaux conseils. Les dispositions des articles 2, 3 et 4 de la loi du 1er mai 1848 seront appliquées au renouvellement des conseils communaux. »
M. Anspach aura plus tard la parole pour développer son amendement.
M. Frère-Orban. - Messieurs, le spectacle de nos divisions réjouit nos adversaires. Ils nous les opposent et ils en triomphent. Nous pourrions user quelque peu de représailles ; mais ce serait là une faible consolation et la satisfaction de nos adversaires n'en serait pas moins parfaitement légitimer.
Je n'y aurais pas fait allusion ; j'aurais laissé l'honorable ministre de la justice se complaire à nous railler, si l'on ne m'avait fait le reproche d'avoir dévoilé dans cette Chambre une situation que l'on déclare déplorer. Les honorables membres dans la bouche desquels je ne m'attendais pas à trouver un pareil langage, m'ont fait un crime d'avoir osé constater que nous n'étions pas unis.
J'aurais dû garder le silence, jeter un voile discret sur nos discordes, n'en point faire confidence au public, n'en point parler surtout devant nos adversaires.
Est-ce que, par hasard, la droite ignorait cette situation ? Lui ai-je appris quelque chose qu'elle ne sût déjà ? Est-ce que ces divisions sont récentes ? N'ont-elles pas existé à l'époque même où nous étions en majorité dans cette Chambre ?
Lorsque, suivant le rapport de l'honorable M. de Baets, des membres de la gauche, faisant des confidences à leurs amis de la droite, disaient tout bas dans les couloirs de cette Chambre, à ceux que le public croyait nos communs adversaires : « Aidez-nous donc à renverser ce ministère, » la droite ignorait-elle nos divisions ?
Lorsque l'honorable M. Couvreur, convaincu sans doute que nous étions engagés dans une fausse voie, fulminait ici même un acte d'accusation contre l'opinion libérale et ceux qui la représentaient au pouvoir ; lorsque, le même jour où il prenait la parole pour dénoncer ses amis de la veille comme ayant trahi la cause qu'ils étaient chargés de défendre, il faisait acte d'adhésion aux meetings formés par les radicaux et les cléricaux coalisés pour livrer bataille à l'opinion libérale, représentée par la majorité, la droite ignorait-elle nos divisions ?
Lorsque, encouragé du geste et de la voix par nos adversaires, applaudi par eux avec d'autant plus de vivacité que ses attaques étaient plus injustes et plus violentes contre nous, l'honorable M. Coomans, croyant M. Couvreur menacé dans son collège électoral, le prenait hautement sous sa protection et l'engageait à aller de porte en porte chez les électeurs de Bruxelles et chez les curés de l'arrondissement pour solliciter des voix en sa faveur, la droite ignorait-elle nos divisions ?
M. Coomans. - Je disais cela de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, mais j'en dis autant pour l'honorable M. Couvreur.
M. Frère-Orban. - Votre dévouement était égal pour tous les deux. Lorsque, dans la séance d'hier, rappelant ce qui s'était passé au mois de juin, au mois d'août dernier, l'honorable préopinant nous désignait comme les vaincus de cette campagne et semblait ainsi se ranger au nombre des vainqueurs, constatait-il par hasard notre union ?
Lorsque, aujourd'hui même, l'honorable membre vient de nous dire : « Nous suivrons le programme que nous avons arrêté, nous l'accomplirons sans vous, malgré vous, contre vous, si c'est nécessaire... »
M. Couvreur. - Avec vous et par vous, si vous le voulez.
M. Frère-Orban. - Oui, mais vous savez déjà que nous ne le voulons pas, et ce n'est apparemment ni pour montrer notre accord ni pour y convier que vous parlez ainsi.
(page 1122) Trêve donc à ces puérilités qui, sous prétexte d'un intérêt commun et supérieur, réclament une discrétion de commande sur des choses que tout le monde connaît. Trêve à ces habiletés qui demandent la paix et le silence là seulement où la contradiction peut se faire entendre et éclairer sur la guerre qui se fait ailleurs.
Je crois, en effet, qu'il est de l'intérêt de tous, qu'il est de la dignité de tous, que la franchise règne dans ce débat ; je crois qu'il est de l'intérêt du pays, comme de l'intérêt de l'opinion libérale, que les pensées des uns et des autres se produisent, que l'on connaisse les causes de nos divisions, que l'on sache à qui incombe la responsabilité et que le pays en soit constitué juge.
Qu'ai-je fait, après tout ? J'ai constaté que, pour avoir proposé l'adjonction des capacités au cens, pour avoir proposé de conférer le droit électoral à des magistrats, à des fonctionnaires, à des instituteurs, j'ai été combattu par vous et que vous êtes réduits à proposer aujourd'hui mon système, en l'affaiblissant et en le dénaturant. Voilà vos œuvres sur lesquelles vous trouvez prudent de vous taire maintenant.
Je n'attaque pas les intentions, je reconnais, que c'est votre droit de ne pas rester liés à une politique du moment que vous la croyez funeste au pays ; c'est votre devoir de vous séparer plutôt que de vous égarer, pour rappeler un mot qui eut du retentissement quand il fut prononcé. Mais ne prétendez pas que l'on a tort de parler ensuite de ces divisions et de s'expliquer.
Vous voulez autre chose que ce que nous voulons ; vous ne le disiez pas d'abord ; ce programme que vous vouliez formuler, nous vous l'avions vainement demandé ; lorsque nous avons contredit, dans cette Chambre, vos accusations, ce programme vous ne l'avez pas alors formulé ; il a été fait à la veille des élections ; et, il faut bien le confesser aujourd'hui, il n'a été qu'une triste et déplorable équivoque. (Interruption.)
A vous entendre, vous aviez un magnifique programme à accomplir ; nul ne le connaissait ; mais vous le laissiez toujours espérer. Vous vous mettez enfin à l'œuvre pour le formuler ; vous réunissez toutes vos forces et tous vos efforts d'imagination, et c'est pour aboutir à copier le programme même de l'opinion libérale, sauf à y inscrire une réforme électorale sur laquelle vous n'êtes pas d'accord !
Ne pouvant vous entendre, ne pouvant vous réunir dans une idée commune et pratique, vous vous êtes enveloppés dans les mystères de la substitution de la capacité au cens, qui n'ont servi un instant, à la veille des élections, qu'à cacher la pauvreté et la divergence de vos projets.
Lorsque vous étiez sur les bancs de la majorité, vous vous retranchiez, je le sais, derrière l'impossibilité d'expliquer complètement vos idées ; on disait que votre initiative était enchaînée, que vous ne pouviez agir à votre gré, que votre liberté était paralysée, que vous ne pouviez rien produire parce que prétendument tout ce qui n'émanait pas de nous était impitoyablement repoussé. Mais depuis votre triomphe électoral, vous avez eu une liberté complète ; depuis lors vous avez pu user de votre droit d'initiative, vous avez pu préparer vos plans pour la bonne direction des affaires publiques, vous avez pu tout au moins exposer vos idées, et qu'avez-vous fait connaître au pays ? Il ne connaît que vos idées confuses, contradictoires et impraticables en matière de réforme électorale ! N'est-ce pas un spectacle lamentable à offrir au pays que celui d'une aussi radicale impuissance en pareille matière, après avoir pris le prétexte de cette réforme pour fomenter, au sein du parti libéral, des divisions qui l'ont perdu ?
Mais pour différer d'opinion, pour être en désaccord sur certains points, sur certains principes, en résulte-t-il que je vais signaler comme des démagogues, des serpents, des intrigants, ceux qui ne partagent pas mes convictions ? Ce sont cependant les expressions dont on n'a pas craint de se servir dans la séance d'hier en essayant de laisser croire, par un calcul que l'on croit habile, qu'elles étaient tout au moins dans ma pensée.
Je suis plein de respect pour les opinions d'autrui dès qu'elles sont honnêtes et consciencieuses ; mais je revendique un droit que je n'abdiquerai, pas, c'est celui de les discuter.
Certes, on peut défendre toute espèce de système électoral, on peut défendre le suffrage universel, on n'est pas nécessairement pour cela un mauvais citoyen. Si, pour exprimer des opinions en cette matière, on devait tomber dans la catégorie des démagogues ou des intrigants, combien y en aurait-il dans le pays et jusque sur les bancs de cette Chambre !
Est-ce que, à droite, ces opinions n'ont pas été suffisamment préconisées ? N'avons-nous pas entendu autrefois assez de dithyrambes sur les bancs de la droite à la louange du suffrage universel ?
Le zèle est aujourd'hui attiédi et c'est pour ne point paraître tomber en contradiction trop flagrante, que l'on soutient que le pays a réclamé une réforme électorale... quelconque,
Afin de prouver cette assertion, l'honorable ministre de la justice, dans la séance d'hier, a longuement exposé tout ce qui s'était passé à la veille des élections ; il a remonté même beaucoup plus haut, pour établir que l'on avait beaucoup parlé de réforme électorale.
Eh, grand Dieu ! qui l'a contesté ? Nous ne le savons que trop. Oui, l'on a beaucoup parlé de la réforme électorale, Oui, dans les associations libérales on s'en est occupé. Oui, vous en avez discouru vous-mêmes. Mais ce que vous avez oublié de démontrer, c'est qu'il y eût dans la nation un besoin réel, sérieusement manifesté, d'une réforme électorale.
Elle était nécessaire, dites-vous, et vous établissez cette nécessité par des déclarations qui ont été faites plus spécialement au sein des associations soit catholiques soit libérales.
L'argument est dangereux.
Beaucoup de choses ont été dites dans ces associations et surtout dans celles dont vous faisiez partie ; on s'est engagé à obtenir la réduction des charges militaires et la réduction des impôts.
Et, si je demande de quels objets se serait le plus particulièrement occupé le pays, de la réduction des charges militaires et des impôts ou de la réforme électorale, qui de vous osera me répondre loyalement, consciencieusement, que c'est la réforme électorale qu'il aurait mise au premier rang ?
Et cependant, de réduction des charges militaires et des impôts, il n'est pas question ; et il n'en sera pas question.
M. Coomans. - Si ! si !
M. de Kerckhove. - Cela viendra.
M. Frère-Orban. - Oui, cela viendra... un jour ou l'autre. On y prélude, on s'y prépare. Tout annonce que vos vœux vont être réalisés... Les commissions sont instituées. (Interruption.) Quoi qu'il en soit, l'honorable ministre de la justice, pour justifier le projet du gouvernement, s'est attaché particulièrement à défendre le cens.
D'abord, le cens est constitutionnel ; mais le cens, le cens élevé n'a jamais rien sauvé. C'est pourquoi il faut avoir un cens bas.
En France, on avait avant 1830 un cens très élevé ; Charles X a été envoyé en exil. Sous Louis-Philippe, on avait un cens moins élevé, mais encore très considérable ; Louis-Philippe, a été envoyé en exil. Et dans ses déductions, l'honorable ministre ne pouvait s'arrêter là ; il devait faire un pas de plus : on a supprimé le cens en France ; il n'y en a plus.
M. Cornesse, ministre de la justice. - C'est ce que j'ai dit.
M. Frère-Orban. - Permettez. Est-ce qu'on a été sauvé grâce à ce moyen ? Non, n'est-ce pas. D'où votre conclusion qu'il y a un expédient qui met à l'abri des troubles et des révolutions.
Ce n'est pas le cens élevé ; ce n'est pas non plus l'absence de cens. Mais il y a un cens qui sauve : c'est le cens qui flotte de 10 à 40 francs. Avec ce cens-là, on sauve les Etats. Ce n'est pas cher.
Je vous le demande, messieurs, peut-on apporter, dans une discussion de ce genre, des arguments aussi peu sérieux que ceux-là ? Que l'on dise si l'Espagne et tant d'autres Etats qui ont passé par tous les régimes électoraux, ont trouvé la situation calme et libre qu'ils cherchaient. On n'a pas encore découvert une organisation politique, un régime politique, un régime électoral à l'aide duquel on supprime définitivement tous les troubles, toutes les révolutions dans le monde.
Hélas, non ! Nous n'en sommes pas là. Ce que nous savons, c'est que le mieux est l'ennemi du bien ; c'est que lorsque l'on a le bonheur de vivre dans un Etat libre et prospère, il est toujours périlleux de courir les aventures politiques.
Mais ce que propose le gouvernement, a dit M. le ministre de la justice, c'est peu de chose : une réduction qui sera presque insignifiante pour la grande majorité des communes du pays. Elle n'a d'importance que pour un certain nombre de villes ; et encore pour les villes, cela ne mérite pas même d'être pris en considération. Et puis, a encore ajouté M. le ministre de la justice, j'avais toujours ouï dire par les libéraux que les villes étaient de grands foyers de lumière ; vous les avez constamment opposées aux campagnes : aux unes le privilège de l'intelligence ; aux autres le monopole de l'ignorance. Donc, vous avez tort de vous plaindre quand nous abaissons le cens dans les villes.
Voilà l'objection. Mais comment l'honorable ministre de la justice n'a-t-il pas vu les faits réels et qui frappent tout le monde ? Les villes sont des foyers d'intelligence, sans doute ; mais dans les villes il y a aussi beaucoup d'ignorance ; et, au-dessous du degré de l'ignorance, il y a parfois beaucoup de perversité. Est-ce que Paris ne nous dit pas assez ce qu'il faut considérer sous ce rapport ? Certes, Paris est un grand foyer d'intelligence ; certes il s'y rencontre plus qu'ailleurs un grand développement (page 1123) d'instruction et d'esprit ; mais cela empêche-t-il qu'il n'y ait à Paris une masse considérable d'hommes qui sont un véritable péril pour la société ?
M. Coomans. - Et cependant, ils savent parfaitement lire et écrire.
M. Frère-Orban. - C'est possible. Mais ce qu'il y a dans les villes aussi, ce sont des classes moins indépendantes ; ce sont des classes qui, à la fois plus ignorantes et plus dépendantes, sont beaucoup plus facilement soumises à l'influence d'autrui. Et voilà celles que vous recherchez par votre réforme.
Vous ne vous occupez guère de la campagne, parce que vous savez parfaitement que ces influences dont nous parlons, vous les possédez déjà en très grande partie. Vous avez espéré atteindre le même résultat dans les villes qui, jusqu'à présent, vous ont échappé. Vous vous êtes dit : Dans les conditions actuelles, c'est l'esprit libéral qui continue à dominer dans les villes. Nous pourrions trouver, par un grand abaissement du cens, des couches de populations sur lesquelles, exerçant notre influence, nous arriverions au résultat que nous poursuivons, celui d'être là aussi complètement les maîtres. Et vous l'espérez, surtout pour les villes flamandes.
Mais ce que l'honorable ministre de la justice a passé sous silence, et ce qui avait plus particulièrement appelé l'attention des adversaires du projet de loi, c'est la situation qui va être faite aux grandes communes industrielles. De cela, pas un mot ; le silence le plus absolu. C'est là que la réforme qui est projetée opérera vraisemblablement à une heure donnée, d'une manière compromettante pour les vrais intérêts du pays.
Déjà aujourd'hui les autorités de certaines communes vous avertissent ; elles se sont adressées à vous, et elles vous ont déclaré qu'en abaissant très notablement le cens dans les localités qu'elles administrent, on s'expose à un véritable danger. Assurément il y a, parmi ceux qu'un abaissement de cens amènera à l'électorat, des hommes très dignes d'être électeurs ; mais il y en a d'autres qui ne sont pas capables d'exercer ce droit avec intelligence et liberté.
Enfin il est un élément que néglige encore complètement M. le ministre de la justice ; l'honorable ministre, qui ne voit dans toutes les communes que la petite bourgeoisie, les petits commerçants, les petits industriels, les petits artisans qui vont être appelés au droit de suffrage, tout en affirmant qu'à Bruxelles même, on aurait à peine 2,000 électeurs de plus, l'honorable ministre a oublié de compter 95,000 cabaretiers..
Or, il est assez étrange - on ne peut assez le répéter - que les honorables membres qui déposent un projet de loi pour supprimer, dans le corps électoral, 11,000 à 12,000 cabaretiers et débitants de boissons qui s'y trouvent pour les élections générales, grâce au droit de débit, il est assez étrange que ces honorables membres, qui se montrent si effrayés de voir ces 11,000 à 12,000 cabaretiers dans le corps électoral général, en introduisent un nombre beaucoup plus considérable dans le corps électoral communal et provincial. (Interruption.)
Ils y sont, me dit-on. Non, ils n'y sont pas tous, et loin de là, et la réforme y en fera entrer un nombre considérable.
M. le ministre des finances le reconnaît lui-même. (Interruption.)
L'honorable ministre des finances a concédé qu'il y aurait 5,000 à 6,000 cabaretiers de plus dans le corps électoral...
M. Jacobs, ministre des finances ; - C'est un maximum.
M. Frère-Orban. - Je ne l'admets pas ; mais, soit, cela s'ajoute au chiffre qui existe déjà ; vous l'augmentez donc et si, ce que vous ne faites pas, je tiens compte de l'imputation du tiers de la contribution foncière, le nombre des cabaretiers pourra s'élever au chiffre de 100,000.
Eh bien, cet élément vous ne le comptez pas.
II est, à vos yeux, extrêmement redoutable dans le corps électoral général. Il faut une loi spéciale pour l'en exclure. Vous l'avez dénoncé pendant des années comme un péril. Et aujourd'hui, faisant une réforme électorale communale, là où cet élément est beaucoup plus compromettant, vous allez l'augmenter considérablement dans le corps électoral. Voilà votre système.
« Les cabaretiers y sont déjà, » nous a-t-on dit et nous dit-on encore. Mais ils sont aussi dans le corps électoral général et vous les en faites sortir !...
M. Coomans. - Ils n'ont pas le droit d'y être.
M. Frère-Orban. - Ils ont le même droit d'y être ; et d'ailleurs, ce que je vous oppose maintenant, c'est votre étrange contradiction. Vous avez dénoncé le débitant de boissons comme viciant notre régime électoral et vous lui faites la plus grande place dans votre régime réformé. Vous supprimez le droit de débit pour enlever le droit électoral à quelques-uns ; comment maintenez-vous le droit de patente pour le conserver à un plus grand nombre ? Je n'ai qu'un but en parlant ainsi : c'est de montrer que vous agissez exclusivement dans des vues politiques.
Au surplus, messieurs, ce qui constitue le caractère dominant de ce débat, c'est la répudiation du suffrage universel. C'est un fait dont nous avons certainement, quant à nous, le droit de nous réjouir. Naguère, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, on faisait les éloges les plus pompeux du suffrage universel. C'était la loi du monde.
On devait se préparer à son avènement ; il fallait y marcher résolument. « Vivifié, disait-on, par la liberté de conscience, par la liberté de la presse, par la liberté d'association et de réunion, c'était le seul système juste ; » il fallait le faire prévaloir.
Voilà ce qu'on disait, voilà ce que nous faisaient entendre les progressistes de la droite. A cette époque, nous combattions ces idées ; nous avons eu le malheur de prononcer cette parole : « Ni en un acte, ni en deux actes, nous ne voulons du suffrage universel, » et nous avons pour cela été traînés aux gémonies ! Ni en un acte, ni en deux actes, pas de suffrage universel, répétait-on, quand on ne travestissait pas la pensée pour me faire dire : pas de réforme électorale, comme l'a fait M. le ministre de la justice dans un discours qu'il a rappelé hier et qu'il prononçait à la veille des élections. Et maintenant il paraît que personne n'en veut plus ; il n'y a plus, ni à droite, ni à gauche, personne qui demande le suffrage universel ni en un acte, ni en deux actes.
M. Coomans. - Mais parce que nous ne pouvons pas l'obtenir ; aidez-nous.
M. Frère-Orban. - Je parle, pour le moment, de ceux qui ont fait les déclarations et les protestations que vous avez entendues. Vous avez gardé le silence ; vous voulez faire entendre maintenant que vous voulez encore le suffrage universel ; eh bien, si aujourd'hui vous croyez encore que ce système serait le plus juste et le meilleur, formulez une proposition non équivoque, nette et précise. Vous avez déclaré dans le temps que vous attendiez qu'il y eût quatre membres dans cette Chambre disposés à signer cette proposition avec vous ; depuis les élections, n'auriez-vous pas reçu ces auxiliaires sur lesquels vous comptiez ? Vous avez prétendu que les élections dernières vous avaient donné complètement raison, que c'était votre pensée, votre système qui avait prévalu. Les élections dernières ont été prétendument le triomphe des progressistes de la droite unis aux progressistes de la gauche. Montrez-nous donc les effets de ces élections ! Formulez votre proposition.
Jusqu'à présent donc, à l'exception de l'honorable interrupteur qui persévère platoniquement, comme on sait, dans ses idées, je n'ai pas entendu autre chose que la répudiation du suffrage universel. Bien plus, on s'est considéré comme calomnié lorsque j'ai osé dire que telle proposition qui nous était soumise constituait en réalité le suffrage universel. C'était une calomnie !
Ainsi personne n'en veut plus. Eh bien, j'ai assurément le droit de triompher. Mais je demande une chose : c'est que nous ne soyons pas seulement d'accord sur les mots ; c'est que nous soyons aussi d'accord sur les actes, car si les actes sont contraires aux paroles, cela ne signifie absolument rien.
Eh bien, parmi ceux qui protestent avec le plus d'énergie contre la pensée d'aller au suffrage universel, nous rencontrons tout d'abord les honorables ministres défenseurs du projet de loi. Mais la logique a ses droits, la logique est impérieuse ; elle vous conduit à des résultats malgré
vous.
Ne parlons pas de l'hypothèse où il s'agit de la force qui est substituée au droit, où l'ordre régulier est renversé et où, par un mouvement révolutionnaire quelconque, on viendrait à proclamer le suffrage universel. En pareille hypothèse, les barrières législatives sont absolument sans valeur. Ce ne sont ni de belles doctrines, ni de beaux principes écrits dans les lois qui arrêteront le mouvement. Mais ce n'est pas non plus ce dont nous avons à raisonner. Examinons les théories, les principes et leurs conséquences obligées.
Eh bien, en principe, qu'est-ce que vous faites ? Vous dites : Le pays a grandi en richesse, en intelligence, en instruction, depuis dix ans, vingt ans, trente ans. Il s'est développé à ce point qu'il faut mettre le cens électoral en harmonie avec le degré d'aisance et d'instruction auquel il est parvenu.
En conséquence, on passe de 40 à 10 francs d'un seul coup.
Mais nous n'allons pas nous arrêter, j'imagine ? Le pays ne va pas devenir stationnaire. Lorsque vous aurez fait votre réforme électorale, il va, je l'espère bien, grandir encore en intelligence, en instruction, en richesse, et alors on nous dira : Rabattons 5 francs pour mettre les choses en harmonie. Et puis, après ces 5 francs, on rabattra encore 5 francs, et alors (page 1124) on sera à zéro, on sera au suffrage universel. Aussi, je comprends parfaitement que ceux qui poursuivent le suffrage universel votent le projet du gouvernement comme une étape. On vous a même adressé une pétition dans laquelle on vous convie à voter en faveur de la loi, parce qu'elle doit conduire assez rapidement au suffrage universel.
Messieurs, c'est que votre principe est faux.
L'honorable ministre de la justice me dit : Mais la Constitution est là ; le cens est là. Je m'attache au cens et du moment que je maintiens le cens, tout est dit. Mais quel cens ? Vous descendrez jusqu'à 1 franc et vous croirez être constitutionnels ? Lorsque vous ferez votre dernier abaissement du cens, vous resterez avec 1 franc de cens pour être électeur ! C'est ainsi que vous serez en harmonie avec le texte et l'esprit de la Constitution ! Cela n'est pas sérieux. Vous aurez, d'ailleurs, d'autres logiciens qui vous diront : Ce qui est vrai pour les élections générales n'est pas vrai pour les élections communales et provinciales. Pour les élections communales et provinciales, nous pouvons proclamer le suffrage universel. L'article 108 de la Constitution n'y fait pas obstacle.
Et qui parlera ainsi ? Quoique l'honorable ministre de la justice appelle cette opinion une absurdité, c'est son collègue, c'est le chef du cabinet qui va lui dire que rien ne fait obstacle, dans la Constitution, à ce qu'on proclame le suffrage universel pour les élections provinciales et communales.
Je croyais hier, quand j'ai interrompu et en me fiant à mes souvenirs, que c'était dans la discussion de la loi de 1870 que cette opinion avait été exprimée. Mais ce n'est pas dans la discussion de la loi de 1870, c'est à une époque plus solennelle. Nous avons eu occasion, après la crise ministérielle de 1864, d'engager un débat politique dans cette Chambre et ensuite au Sénat. Le programme qu'avait formulé l'honorable M. Dechamps a cette époque était défendu par l'honorable baron d'Anethan, et l'honorable M. d'Anethan l'expliquant et le justifiant, disait ceci en propres termes :
« Nous avons pensé qu'il était sage et politique d'appeler un plus grand nombre de citoyens à l'exercice des droits civiques. Sur quoi nous fondions-nous ? La Constitution, dans son article 108, établit le principe de l'élection directe des conseillers communaux et provinciaux ; mais cet article n'établit la nécessité d'aucun cens ; conséquemment le suffrage universel appliqué aux communes et aux provinces serait parfaitement constitutionnel.
« Nous développions donc l'esprit de la Constitution en proposant un abaissement du cens communal et provincial et en appelant ainsi un nombre plus considérable de citoyens à prendre part aux affaires du pays. »
Voilà donc le principe et son application. Voilà le principe et ses conséquences et grâce au point de départ, qui est faux selon moi, il implique le suffrage universel. C'est manifestement, une fois le principe posé, une question de temps dans notre pays pour le voir réalisé.
M. Coomans. - Cela prouve que nos six ministres ont six bonnets au lieu d'un seul.
M. Frère-Orban. - L'honorable membre ne fait pas assez d'honneur aux membres du cabinet.
M. Coomans. - Au contraire, je les honore ; je dis qu'ils ont chacun leurs opinions consciencieuses.
M. Frère-Orban. - Mais ils en ont beaucoup ; ils en changent fréquemment. Voilà pourquoi vous ne leur faites pas assez d'honneur.
Le principe de la loi est donc maintenant clair devant vos yeux : il conduit droit au suffrage universel. C'est à quoi visent aussi les auteurs du principal amendement. Ils s'en défendent.
L'honorable préopinant a essayé encore de démontrer, aujourd'hui, les erreurs de notre appréciation sur ce rapport. Ce n'est pas le suffrage universel ; ils n'en veulent pas. Messieurs, il faut que nous cherchions à ne pas rester sous l'influence d'une logomachie perpétuelle ; et pour y échapper, commençons par définir les termes dont nous nous servons. On appelle « suffrage universel » le suffrage direct et égalitaire.
Voilà ce qu'est, dans le langage usuel et dans le langage des lois « le suffrage universel. » Le système principal qui a été exposé tombe-t-il sous cette définition ? Il admet la participation de tous et d'une manière égale au droit de suffrage, sauf certaines exceptions que nous examinerons dans un instant. Le principe est là, c'est le suffrage direct et égalitaire, c'est le plus grand nombre possible admis à ce suffrage.
En France, on proclama le suffrage universel en 1848 ; en 1849, on a exigé six mois de domicile, et on a exclu les indigents ; par une loi de 1850, on exige trois ans de domicile, on a imposé certaines autres conditions restrictives ; on a voulu obtenir ainsi un certain nombre d'exclusion, mais, sous l’empire de la législation de 1848, de la législation de 1849 ou de la législation de 1850, c’est toujours, de l’aveu de tous, le suffrage universel qui est resté en vigueur. Telle est donc la formule usuelle et la formule légale pour exprimer ce que l’on entend par suffrage universel.
Cela posé, quelle est la proposition des honorables membres ? Ils admettent tout le monde au scrutin, sauf les indigents, les domestiques, les miliciens et les illettrés. Voilà la proposition.
Elle s'applique à tous ceux qui occupent une habitation quelconque, ou une chambre, un réduit quel qu'il soit dans une maison. Elle n'est pas limitée aux habitants d'une maison d'une certaine valeur locative, comme le fait la loi anglaise, et l'on n'a donné d'autre raison de la suppression de cette restriction, qui a la plus haute importance, que la difficulté d'estimer le loyer. Il n'y a là, en réalité, aucune difficulté ; la loi anglaise a su la résoudre, et chez nous, il suffisait de se référer à une base fixe, certaine, à l'abri de toute fraude et de toute contestation, l'évaluation du revenu cadastral. Mais, sauf les restrictions que je viens d'indiquer, on n'a voulu exclure personne.
L'honorable M. Couvreur essaye d'établir par des calculs auxquels il s'est livré que cela n'est pas aussi étendu qu'on pourrait le croire. On n'ira pas jusqu'au million ; qu'on se rassure, on n'aura peut-être que 600,000 ou 700,000 électeurs. Eh bien, messieurs, ces calculs ne sont pas exacts et rien n'est plus facile que d'établir que nous aurions un million d'électeurs.
Nous avons en Belgique 700,000 individus qui reçoivent des secours du bureau de bienfaisance, en tenant même compte des secours temporaires qui ne devraient point faire état... (Interruption.)
On comprend tous ceux qui reçoivent, même accidentellement, un secours. Il y en a beaucoup dans ces conditions ; mais je ne fais pas de difficulté d'admettre le chiffre de 700,000.
Il est évident que cette population secourue par les bureaux de bienfaisance comprend en immense majorité des femmes, des enfants, des orphelins, des vieillards.
Ce ne sont pas précisément les individus valides qui sont secourus par les bureaux de bienfaisance.
Eh bien, je ne fais pas encore état de cette circonstance. Je vais appliquer à cette population de 700,000 la règle qu'on applique à la masse de la population, pour trouver le nombre d'individus majeurs et capables d'exercer le droit électoral.
De ce nombre nous en aurons 175,000 à déduire.
Les domestiques sont au nombre de 25,000.
M. Demeur. - D'après la statistique de 1866, il y en a 52,000 du sexe masculin.
M. Frère-Orban. - Soit, je mettrai 52,000, je n'y tiens pas. Les, miliciens sont au nombre de 30,000.
Nous arrivons ainsi à 257,000 individus qui doivent être défalqués.
C'est la catégorie la plus ignorante de la population, celle des illettrés. Et comme vous voulez exclure les illettrés, nous ajouterons encore 163,000 individus..
Nous obtenons ainsi un chiffre total de 420,000 individus qui représentent 30 p. c. des 1,400,000 mâles et majeurs.
M. Demeur. - Il y a 40,000 étrangers parmi les habitants mâles majeurs.
M. Frère-Orban. - Je l'admets, mais il n'en reste pas moins vrai que vous excluez au maximum de vos listes 420,000 individus.
Vous arrivez donc à un million d'électeurs.
Mais, dites-vous, j'exige la condition du domicile et il va en résulter un certain nombre d'exclusions.
Cela ne signifie absolument rien. Il est vrai que, dans certaines communes, vous trouvez des individus qui n'y résident pas toute la semaine, qui séjournent chez des logeurs. Mais ces gens ont leur domicile dans la commune, où ils retournent le samedi, où ils auront leur habitation consécutive pendant douze mois, d'après votre proposition.
Vous n'excluez donc pas la population prétendument nomade dont vous avez parlé. Donc, il y aura, d'après votre proposition, environ un million d'électeurs. En voulez-vous rabattre encore 100,000 ? Il vous restera dès lors 900,000 électeurs. C'est ce que l'on nomme, dans toutes les langues de l'Europe aujourd'hui, le suffrage universel.
Messieurs, nous ne nions pas du tout qu'il ne soit éminemment désirable que tout homme suffisamment capable prenne part à la gestion des affaires de la commune, de la province et même de l'Etat.
Tout homme qui ne prend pas part aux affaires, tout homme qui en est exclu est aisément persuadé qu'il est opprimé ou dégradé. Au temps où (page 1125) nous vivons plus qu'à aucune autre époque, je reconnais qu'il y a là un moyen d'exciter les passions populaires. Mais entre le système qui admettrait le plus grand nombre possible à prendre part aux affaires publiques et le système qui donne la puissance au nombre, qui faut dominer une classe sur toutes les autres, le système qui donne l’empire à la classe la plus ignorante, la plus malheureuse pour régler les destinées de la société, il y a toute la distance qui sépare l’erreur de la vérité.
Aujourd'hui le monde est en travail ; les classes laborieuses aspirent très légitimement à des conditions meilleures ; les améliorations très grandes qui ont été faites, depuis un demi-siècle surtout, n'ont fait qu'accroître leurs désirs et leurs aspirations. Mais dans ces régions, les illusions sont faciles, les erreurs sont dangereuses ; dans ces régions on peut facilement tromper et égarer.
Tous, tant que nous sommes, nous conspirons en faveur de l'amélioration du sort des classes laborieuses ; ce serait pour nous tous une joie ineffable et un honneur impérissable d'avoir pu faire quelque chose qui pût améliorer leur condition. Mais croire qu'on a préparé pour elles de nouvelles destinées parce qu'on aura donné un bulletin de vote à l'ouvrier, c'est là une de ces aberrations qu'il m'est impossible de comprendre.
Ne nous complaisons pas à poursuivre des chimères, messieurs ; le droit de suffrage c'est quelque chose ; mais il a d'autant moins de valeur qu'un pays est libre. Dans les pays où l'on jouit de la liberté de la presse, de la liberté d'association, de la liberté d'exprimer ses pensées, de la liberté de réunion, où l'on peut faire entendre sa voix et ses réclamations, il est incontestable qu'on prend aussi par là part aux affaires publiques ; on a des moyens de défendre ses droits.
Dans les pays qui ne sont pas libres au même degré, le droit de suffrage est plus important, parce qu'il est presque tout.
Ne croyons pas davantage, messieurs, que le bulletin de vote va nous préserver du fusil. Le suffrage universel semble avoir en Europe pour corollaire l'armement universel. On compte bientôt autant de baïonnettes qu'on compte de bulletins. Ce qui se passe à Paris ne le dit-il pas suffisamment ? A Paris, où le suffrage universel est en action, où l'armement universel est aussi en action, c'est la guerre civile organisée.
Et d'où viennent, messieurs, tant d'erreurs répandues à ce sujet, tant de fausses idées ? D'un principe essentiellement dangereux et faux : c'est que le droit de suffrage est un droit naturel ; c'est qu'il appartient à tout homme.
Et, dans la séance d'hier, l'honorable préopinant a fait des efforts nouveaux pour établir cette même doctrine, déjà défendue à nos côtés.
Eh bien, je m'élève contre cette doctrine ; et j'ajoute que c'est une erreur d'avoir dit que ni en Angleterre, ni aux Etats-Unis cette doctrine n'est contestée. (Interruption.) Vous avez dit que c'était un droit incontestable de chaque citoyen.
M. Couvreur. - J'ai dit que les institutions fondamentales des pays libres repoussent la théorie de la fonction base du suffrage. Le droit individuel est inscrit dans toutes les constitutions américaines.
M. Frère-Orban. - Comment pouvez-vous énoncer de pareilles propositions ? s.
Autrefois le cens était la base du droit aux Etats-Unis. Jusque dans ces derniers temps, jusqu'en 1864, et peut-être encore à l'heure présente, un certain nombre d'Etats américains ont exigé le payement d'une certaine quotité d'impôts pour jouir du droit de suffrage.
Comment pouvez-vous dire une pareille chose quand, en Angleterre, le principe fondamental est l'impôt ; lorsque, pour ce qui regarde la commune, le vestry dont vous avez parlé, sans ajouter ce qui était essentiel pour les caractériser, c'est également l'impôt qui est la base du droit électoral. Oui, c'est à l'aide de la taxe des pauvres qu'on est électeur dans la paroisse ; mais on y vient comme participant à cette taxe et en raison de ce qu'on paye. Et vous appelez cela le droit naturel ! On a d'autant plus de voix qu'on paye davantage. Voilà le droit naturel ; voilà le droit consacré par la législation anglaise.
Mais voici qui vous détrompera, je pense. Un radical anglais, mais penseur éminent, qui veut le suffrage de tous, mais qui repousse le suffrage universel, l'illustre Stuart Mill a aussi examiné cette question ; et voici comment il a jugé la question du droit de suffrage :
« M. Bright et son école de démocrates se croient fortement intéressés a soutenir que le privilège électoral est ce qu'ils appellent un droit et non une charge. Or, cette idée, en prenant racine dans l'esprit général, fait un mal moral qui l'emporte sur tout le bien que pourrait faire le scrutin secret, en mettant tout au mieux. De quelque façon que l'on définisse ou que l'on comprenne l'idée d'un droit, personne ne peut avoir droit (si ce n'est dans le sens légal) ou pouvoir sur autrui : toutes les fois qu'on permet à un homme de posséder un semblable pouvoir, il a là moralement une charge dans toute la force du terme.
« Or, l'exercice de toute fonction politique, soit comme électeur, soit comme représentant, c'est le pouvoir sur autrui. Ceux qui disent que le suffrage n'est pas une charge, mais un droit, n'ont pas sûrement examiné les conséquences auxquelles mène leur doctrine.
« Si le suffrage est un droit, s'il appartient au votant pour lui-même, comment le blâmer parce qu'il le vend ou parce qu'il l'emploie de façon à se faire bien venir d'une personne à laquelle il veut plaire pour quelque motif intéressé ?
« Son vote n'est pas une chose laissée à son caprice. Les désirs personnels n'ont rien à y voir, pas plus qu'au verdict d'un juré. C'est, strictement, une affaire de devoir ; il est obligé de voter suivant son opinion la plus éclairée et la plus consciencieuse du bien public. Quiconque se fait une autre idée du suffrage n'est pas capable de le posséder ; son esprit en est perverti et non point élevé. Au lieu d'ouvrir son cœur à un noble patriotisme et à l'obligation du devoir public, le suffrage éveille et nourrit chez un semblable individu la disposition à se servir d'une fonction publique suivant son intérêt, son plaisir ou son caprice : ce sont, sur une petite échelle, les sentiments et les vues qui guident un despote et un oppresseur. »
Ce n'est donc pas, messieurs, un droit naturel ; c'est une fonction qu'on exerce dans l'Etat ; ce n'est pas une fonction dans le sens qui a été discuté par un honorable orateur ;cet honorable membre nous a dit qu'il ne voyait pas qui nommait ce fonctionnaire ; mais il ne s'est pas aperçu qu'il en était de cette fonction comme de celle de juré : c'est la loi qui nomme. C'est une fonction dans son sens général ; c'est l'utilité, l’emploi, dans l'Etat, d'une force qui s'y trouve. Cette fonction, ainsi que je l'ai dit, il est désirable qu'elle soit exercée par tous.
Mais faut-il que la société soit dirigée par les classes souffrantes et les plus ignorantes, qui sont nécessairement en majorité, et qui, par malheur, le resteront sans doute longtemps encore ?
Il y a des riches et des pauvres et entre eux une classe intermédiaire qui grandit à mesure que la civilisation se perfectionne.
Ce sont là les trois éléments de la société que nous retrouvons à toutes les époques de l'histoire.
Or, faut-il charger la classe la moins éclairée de diriger les autres ; les classes souffrantes doivent-elles devenir les classes gouvernantes ? Voilà la question fondamentale qu'il faut, avant tout, examiner lorsqu'il s'agit d'une réforme électorale.
C'est pour cela qu'après avoir étudié mûrement ces questions, nous avons formulé, en 1866, un système électoral reposant sur un principe différent qui, poussé à ses dernières conséquences, ne peut pas amener un pareil résultat.
Assurément, il n'était pas présenté comme une perfection ; c'était un principe nouveau, sans précédent dans aucune autre législation, et qui était formulé dans des conditions évidemment pratiques ; il pouvait être successivement amélioré, et nous y conviions nos adversaires comme nos amis. Il semblait, tout au moins, qu'en face d'une question dont on avait pu apercevoir déjà toutes les difficultés, il était prudent de s'arrêter et de réfléchir avant de prendre un parti.
Nous disions au Sénat : Que l'on substitue l'étude et la réflexion aux entraînements auxquels quelques-uns s'abandonnent en ce moment ; qu'on cherche, non pas en s'enfermant dans une formule unique et fatale, mais en faisant appel à la science et à l'expérience, les meilleurs moyens d'investir un plus grand nombre d'hommes des droits politiques, sans livrer la société à l'empire du nombre qui a été funeste, en tous temps, aux institutions libres.
C'était là certainement pour l'opinion libérale une entreprise beaucoup plus glorieuse que celle de courir à la suppression du cens remplacé par la condition de savoir lire et écrire.
Quelle science que celle de savoir lire et écrire ! Et l'on nous a raconté que cette découverte merveilleuse avait été faite dans je ne sais quel cabaret de Bruxelles, où pour la première fois l'idée était apparue.
Je regrette beaucoup d'enlever à ce cabaret, que je ne connais point, la gloire qu'on voulait lui attribuer, mais l'idée est bien plus vieille. Il y a 40 ans, pour ne pas remonter plus haut, il y a 40 ans il y avait également des amateurs du suffrage universel, et il y avait aussi des amateurs qui y mettaient cet important correctif pour en faire le suffrage universel éclairé.
Un républicain, M. de Sismondi s'exprimait ainsi à ce sujet : « Le but des vrais amis de la liberté doit être d'y infuser (dam les assemblées politiques et, partant, dans les corps électoraux) une bien plus (page 1126) forte dose de connaissances, de ces pensées et de ces sentiments élevés qui constituent le vrai citoyen. Le contre-révolutionnaire doit désirer, au contraire, d'y faire entrer une plus forte dose d'ignorance, d'intérêt personnel et de passions basses ; et, pour cela, de faire descendre le niveau du juste-milieu entre tous les électeurs. Il désire le suffrage universel et il a de bonnes raisons pour le faire ; car il sait que, tandis que nous voulons avancer, les masses sont rétrogrades ; il sait que chaque passion, à son tour, ferait faire un pas en arrière ; il sait enfin que, si la liberté civile et religieuse en France pouvait se jouer au suffrage universel, les prêtres et les rois auraient beau jeu, et cette liberté serait bientôt perdue. »
Et on lui répondait : Nous ne voulons pas des ignorants ; nous voulons ceux qui savent lire et écrire et il répliquait à son tour :
« Quelle que soit la mesure d'autorité que la nation confie à la commune, la nation doit vouloir que cette autorité soit exercée avec sagesse. Dès lors la difficulté que nous avons déjà examinée, en parlant du suffrage universel, se présente au législateur pour la commune aussi bien que pour la nation entière. Comment s'y prendre pour que tous participent à l'autorité, et que la direction de toutes les affaires ne passe pas aux plus ignorants, aux plus irréfléchis, aux plus incapables de les bien conduire ? »
(M. Demeur, grâce à son mode d'argumentation, n'hésiterait pas à faire de Sismondi un partisan du suffrage universel, par cela seul qu'il désire que « tous participent à l'autorité », phrase équivalente à celle qu'il a empruntée à un de mes discours.)
« Le premier regard sur la table que nous avons insérée plus haut, continue Sismondi, suffit pour convaincre qu'à Paris, dans la ville de la richesse et de l'intelligence, une majorité accablante appartiendrait à ceux qui travaillent de leurs bras douze heures, quatorze heures par jour, et qui sont, en conséquence, obligés de s'interdire le travail de la pensée. Peu importe qu'ils sachent lire ou non, car s'ils savent lire, ils ne peuvent en faire usage pour aucune vraie étude, pour aucune vraie instruction : la lecture leur donnera tout au plus quelques opinions d'emprunt, qui ne vaudront pas celles que l'expérience leur aurait suggérées ; peu importe encore qu'ils délibèrent par eux-mêmes sur la place publique ou par leurs délégués ; car, si la représentation est vraie, les députés auront l'esprit de ceux qui les députent ; si elle est fausse, la nomination de députés n'est qu'une vaine parade et le peuple cesse de s'intéresser à des affaires sur lesquelles il n'exerce aucune influence. »
Vous voyez donc, messieurs, que cette idée est beaucoup plus ancienne que ne l'avait supposé les honorables orateurs ; elle a été produite il y a quarante ans ; elle a été contredite à cette époque et non sans raison, l'expérience nous l'a prouvé.
Et puis comment constatera-t-on ce savoir lire et écrire ? Chose bien extraordinaire et laissée inexpliquée dans tout le cours de cette discussion !
D'honorables membres se trouvent avoir signé deux propositions dans lesquelles la condition de savoir lire est inscrite et ils entendent tous les propositions d'une manière différente.
L'honorable M. Couvreur, dont le nom se trouve sur les deux propositions, applique sa condition du savoir lire et écrire telle qu'il l'explique dans sa proposition subsidiaire à l'amendement principal. Les honorables MM. Demeur et Jottrand ne l'entendent pas ainsi.
M. Demeur. - J'ai signé le second amendement.
M. Frère-Orban. - Ah ! vous admettez la condition exprimée dans la proposition subsidiaire ?
M. Demeur. - Je l'ai assurément signée en connaissance de cause.
M. Frère-Orban. - Vous ne vous êtes pas expliqué jusqu'ici. Je l'ai en vain demandé ; ce n'est pas la première fois que je demande qu'on explique comment on entend ces deux conditions.
Qu'est-ce donc que votre proposition, s'il faut y appliquer la condition d'études moyennes ? Ce sera une condition restrictive ; vous aurez moins d'électeurs qu'avec le cens actuel ; et voilà ce que vous proposez comme une réforme ! Du moment que vous exigez plus que l'école primaire, évidemment vous restreignez le nombre des électeurs bien plus que nous. Vous allez en avoir la preuve.
La preuve se trouve dans les chiffres.
M. Demeur. - L'amendement n'exige pas la condition d'études moyennes.
M. Frère-Orban. - Il s'agit d'études moyennes dans l'amendement de M. Couvreur.
M. Demeur. - Il faut savoir comment.
M. Frère-Orban. - L'honorable M. Couvreur exige la condition de savoir lire et écrire et il explique cette condition.
Il a reconnu que savoir lire et écrire comme il l'a défini supposait au moins la fréquentation d'une école d'adultes.
Voici, messieurs, la preuve que du moment que l'on s'élève au-dessus de l'école primaire, on est plus restrictif que dans le système actuel.
Combien y a-t-il d'élèves dans les écoles moyennes du pays, dans toutes, dans celles de l'Etat, dans celles des communes, dans celles du clergé, dans celles des particuliers ? Il y en a 25,000.
Descendons aux écoles d'adultes ; presque toutes ne sont maintenant que des écoles primaires ou des écoles dominicales. Nous ne savons pas le chiffre de la division supérieure. Il sera longtemps avant qu'on y compte 50,000 élèves. Mais combien avons-nous d'adultes ? Nous en avons 500,000 ou 600,000, 300,000 mâles. Voilà la situation. Il ne faut pas sortir de la réalité ni des faits.
Mais vous avez, au surplus, été arrêté par l'impossibilité de nous dire comment on constatera le savoir lire et écrire. De tous les systèmes, celui d'un jury ou d'un fonctionnaire quelconque est assurément le moins admissible en pareille matière. Il vaut mieux, dit M. Stuart Mill, accorder le suffrage sans distinction ou même le refuser sans distinction, que de laisser l'arbitraire d'autrui l'accorder aux uns et le refuser aux autres. Il faut des règles fixes, les mêmes pour tous. Il examine quelles sont les conditions qu'il faudrait prescrire. Et je m'étonne qu'on n'ait pas proposé le système du radical M. Stuart Mill. M. Stuart Mill ne veut pas du suffrage universel, mais il veut le suffrage éclairé. Il n'admet pas au suffrage ceux qui ne savent pas lire et écrire.
M. Jottrand. - Mais il admet ceux qui savent lire et écrire.
M. Frère-Orban. - Oui, mais nous allons voir si vous approuverez son système. Il est très simple : comparaître devant celui qui est chargé d'enregistrer les électeurs et y copier une ligne d'un livre qui est présenté à l'individu. Mais faire ensuite une règle de trois, adoptez-vous ce système ?
Ceci est ingénieux : la règle de trois est la même pour tout le monde. Il n'y a pas de préférence possible, pas d'arbitraire,
M. Jottrand. - Il n'y a pas de paysan qui ne fasse tous les jours une règle de trois ; seulement il ignore que cela s'appelle ainsi.
M. Frère-Orban. - Et comment se fait-il que, restant dans un vague dont on n'a pas réussi à vous faire sortir, vous n'ayez pas inséré cette formule dans votre amendement ?
Je n'examine pas quelles seraient les conséquences pratiques de ce système ; mais je soupçonne qu'il ne vous conduirait pas à votre but.
A défaut de la proposition principale que j'ai caractérisée et dont j'ai montré les conséquences, on a un amendement subsidiaire que l'honorable préopinant nous a conviés à voter.
Il faut le voter, cet amendement, a-t-il dit, car sans cela nous allons laisser passer la loi sans le moindre correctif. Nous devons tout au moins nous unir pour voter ce correctif de savoir lire et écrire. Le système proposé serait pratique, il ne serait pas l'arbitraire érigé en loi, il ne reposerait pas sur un jury impossible ; il réunirait, en un mot, toutes les conditions qui me permettraient de l'adopter, que je repousserais encore l'amendement comme étant extrêmement rétrograde.
Je repousserais cet amendement comme étant de beaucoup inférieur à la loi de 1870 et surtout à la proposition primitive que nous avions faite et qui est reproduite par l'honorable M. Sainctelelle.
En repoussant l'amendement, je vote le maintien de la loi de 1870 ; en adoptant le système proposé, j'aurais moins que la loi de 1870.
La loi de 1870 abaisse le cens à 7 fr. 50 c., vous le portez à 10 francs. (Interruption.) Vous le portez à 10 francs dans plus de 2,000 communes.
Cet amendement n'est pas seulement en arrière de la loi de 1870, il n'est pas seulement rétrograde ; mais il est injuste et odieux ; on n'y a pas réfléchi ; il n'y a pas, à mon sens, un libéral qui puisse le voter.
Dans le système de la loi de 1870, nous admettons à être inscrit sur les listes électorales quiconque, payant un cens qui, dans les plus grandes communes, ne peut pas excéder 15 francs, produit un certificat constatant qu'il a fréquenté, pendant un temps déterminé, une école moyenne ou la division supérieure d'une simple école d'adultes.
Que fait l'amendement ? L'amendement dit : Moyennant le payement d'un cens de 10 francs, vous serez inscrit sur la liste électorale si vous avez fréquenté au moins une école primaire supérieure ; et si vous ne pouvez justifier de cette fréquentation vous serez soumis à un examen devant un jury.
Or, messieurs, voici les résultats, auxquels on n'a certainement pas pensé, d'un pareil amendement. On introduirait dans la législation quelque chose qui serait plus déplorable que cet article 1781 du code civil contre lequel on s'est élevé.
(page 1127) On y introduirait ce principe que les bourgeois qui pourront aller à une école primaire supérieure viendront avec leur certificat et seront inscrits comme électeurs ; l'artisan, au contraire, l'ouvrier laborieux, qui aura fini par conquérir sa petite maison et son jardin, le contre-maître qui se sera élevé à une certaine aisance, mais qui, condamnés au travail au sortir de l'école primaire, n'auraient complété leur instruction qu'en suivant le soir les cours d'une école d'adultes, ceux-là et ceux-là seuls seront soumis à l'examen et renvoyés devant le jury. Voilà l'œuvre des progressistes et des radicaux !
Et si, reculant devant cette situation, vous inscrivez dans la loi l'école d'adultes, comme je viens de l'indiquer, vous aurez simplement réédité la loi de 1870, et alors votre amendement est inutile.
Ainsi, messieurs, vous le comprenez parfaitement, nous n'avons aucune raison de nous rallier à l'amendement proposé par l'honorable préopinant, sous prétexte d'empêcher les mauvais effets que produirait la loi par le simple abaissement du cens ; car, dans cette hypothèse, il nous suffit de repousser l'amendement pour déclarer par notre vote que nous entendons maintenir la loi de 1870.
(page 1114) - Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - Il ne sert à rien de crier aux voix. La clôture est demandée.
M. Rogier. - Je suis inscrit depuis trois jours, j'attends pour prendre la parole.
Mon premier discours n'a pour ainsi dire pas été complet.
Je m'étais réservé de-donner mon opinion sur les diverses propositions qui nous sont soumises.
J'espère que la Chambre voudra bien m'entendre.
- Plusieurs voix à droite. - La clôture !
M. Dumortier (contre la clôture). - Messieurs, dans le cours du débat, l'honorable ministre de l'intérieur a dit qu'il était étonné que, défenseur des libertés communales, je vinsse me mettre en opposition avec mes principes. Je demande la permission de répondre.
- Plusieurs voix à droite. - Non ! non !
M. le président. - Je ne puis vous laisser la parole, M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je ne demande pas à parler maintenant sur le fond. Il dépend de la majorité de me l'accorder. Je désire seulement faire connaître les motifs sur lesquels je fonde ma demande.
- Voix nombreuses, à droite. - Non ! non !
M. Dumortier. - Ayez donc la patience de m'entendre. Vous m'entendez bien quand je vous défends. Laissez-moi aussi parler aujourd'hui.
Une lutte s'est établie entre les deux fractions de la gauche. Cette lutte est tout à fait étrangère au projet de loi. Je demande, moi, à parler sur le projet.
- Voix à droite. - Non ! non !
(page 1115) M. Defuisseaux. - Je demande la parole contre la clôture, parce que je suis d'avis que l'amendement de M. Jottrand n'a pas encore été suffisamment développé. On a entendu plusieurs fois le même orateur, tandis que moi, inscrit depuis quelque temps déjà, je n'ai pas encore pu prendre la parole.
L'opinion que je professe est peu représentée dans cette enceinte et je crois que me refuser la parole serait un véritable acte d'intolérance.
- Voix nombreuses à droite. - La clôture !
M. Rogier. - Je fais appel à la loyauté de la majorité.
M. le président. - La clôture est régulièrement demandée, M. Rogier ; je dois la mettre aux voix.
- Voix à gauche. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
107 membres y prennent part.
60 membres répondent oui.
47 membres répondent non.
En conséquence la clôture est prononcée sur l'article premier et les amendements qui s'y rattachent.
Ont répondu oui :
MM. De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman,. Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Visart (Amédée), Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delaet et Delcour.
Ont répondu non :
MM. De Lexhy, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Drubbel, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans Houtart, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Mouton, Nothomb, Orts, Rogier, Tesch, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Boulenger, Braconier, Brasseur, Couvreur, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux et Vilain XIIII.
M. le président. - J'ai divisé les amendements en trois groupes :
Le premier comprend les amendements qui n'admettent pas le cens. Ce sont ceux de MM. Jottrand, Van Humbeeck, Dupont et Sainctelette ; le deuxième groupe comprend les amendements des membres qui combinent le cens avec la capacité. Ce sont ceux de MM. Couvreur, Nothomb, Funck et David. Enfin, le troisième groupe se compose des amendements de MM. Dumortier et Tack qui se bornent à proposer des changements au projet en discussion.
M. Rogier. - L'amendement de M. Dumortier n'a pas été discuté.
- Voix à droite. - Si ! si !
M. le président. - Si la Chambre adopte l'ordre que je viens d'indiquer, je mettrai aux voix en premier lieu l'amendement de MM. Jottrand et consorts.
M. Dumortier. - Je demande à dire un mot sur la position de la question. Ne serait-il pas plus simple de procéder par position de questions ?
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Dumortier.- On mettrait d'abord aux voix la question de savoir s'il n'y aura plus de cens. Si la Chambre admet ce principe, on votera sur les amendements qui le consacrent ; dans le cas contraire, il n'en serait plus question.
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Dumortier. - Cela se fait tous les jours.
M. le président. - Pour procéder par questions de principe, il faut que tout le monde soit d'accord ; attendu que cela est contraire au règlement.
M. Rogier. - Dans le discours tout pratique que je complais prononcer., j'aurais proposé de procéder au vote par questions de principe.
Je crois que le vote serait, de cette façon, plus facile et plus clair pour tout le monde.
En résumé, il y a trois principes en présence : l'impôt formera-t-il la base exclusive de la capacité électorale ? (C'est le projet du gouvernement.)
L'instruction formera-t-elle la base exclusive de la capacité électorale ? (C'est le système présenté par plusieurs membres.) Enfin, le cens réduit combiné avec l'instruction formera-t-il la base de la capacité électorale ?
Voilà, messieurs, les trois questions fondamentales sur lesquelles nous avons à nous prononcer. Eh bien, je demande qu'on veuille bien poser successivement ces questions.
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Rogier - L'impôt formera-t-il la base exclusive de la capacité électorale ? Voilà la première question. Si elle est résolue affirmativement, les deux autres tomberont par cela même. (Voix à droite : Non ! non !) Si, au contraire, la question est résolue négativement, on passera à la seconde et, si celle-ci est rejetée, on votera sur la troisième. (Voix à droite : Non ! non !)
M. le président. - Je fais remarquer de nouveau que la Chambre doit être unanime pour procéder par question de principe.
M. Guillery. - Je viens appuyer le mode proposé par M. le président ; c'est, selon moi, le plus pratique, le plus clair, le plus simple. Voter sur des questions abstraites, c'est s'exposer à donner des votes qui n'ont pas d'application immédiate.
En votant, au contraire, sur les amendements, nous agissons d'une manière pratique, et nous nous conformons au règlement en commençant par les amendements qui s'éloignent le plus du projet de loi.
La répartition proposée par M. le président me paraît la meilleure et la plus impartiale, et la Chambre fera bien, je pense, de l'adopter.
M. Coomans. - Il me semble impossible de voter ici sur des questions de principe, attendu que le vote ne serait ni libre, ni efficace, ni loyal. Tous les membres qui ont proposé des amendements ont droit à un vote de la Chambre sur ces amendements. C'est bien là l'esprit de notre règlement, dicté par la raison ; tandis que, en adoptant la proposition de l'honorable M. Rogier, si l'on décidait, par exemple, que la base de l'instruction ne sera pas prise en considération, on écarterait du coup tous les amendements basés sur le principe de l'instruction, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'on ne nous permettrait pas de nous prononcer sur les divers systèmes proposés.
Je dis qu'une pareille votation ne serait ni efficace ni loyale. Il faut que chacun puisse librement émettre son vote.
- Voix à droite. - Oui ! Aux voix ! aux voix !
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. le président. - M. Rogier, votre proposition est contraire au règlement ; il suffit qu'un seul membre s'y oppose, pour que je ne puisse pas la mettre aux voix. Il faudrait non seulement l'assentiment des auteurs des divers amendements, mieux encore l'assentiment de toute la Chambre pour que le vole par questions de principe ait lieu, comme vous la demandez.
M. Rogier. - J'emprunte à chaque amendement son principe qui sera mis aux voix. Il n'y a pas de marche plus simple.
M. le président. - Je le répète, je ne puis pas mettre aux voix les questions de principe, puisqu'on s'y oppose dans la Chambre. Le règlement est formel.
Je vais mettre aux voix l'amendement qui a été présenté par MM. Jottrand et collègues ; il est ainsi conçu :
«Art. 1er. Les paragraphes 2 et 3 de l'article 7 de la loi communale sont remplacés par les dispositions suivantes :
« 2° Avoir son domicile réel dans la commune, et y avoir occupé, dans le cours des deux années qui précèdent la révision des listes électorales, à titre de propriétaire, d'usufruitier ou de locataire distinct, là même maison ou partie de maison pendant douze mois consécutifs ;
« 3° Savoir lire et écrire ;
« 4° Ne pas être assisté par une institution de bienfaisance.
« Sont assimilés au locataire distinct :
« 1° Celui qui habite chez ses parents ou alliés en ligne directe ;
« 2° Celui qui, à raison de ses fonctions, jouit d'une habitation particulière à laquelle il a droit, indépendamment de son traitement.
« Art. 2. L'article 10, paragraphe premier, de la loi communale est remplacé par la disposition suivante :
« Le contribuable en défaut de payer ses contributions, taxes ou patentes, pour l'année antérieure à celle de l'élection, ne pourra exercer son droit électoral.
« Art. 3. Seront maintenus sur les listes électorales ceux qui y sont actuellement inscrits, pourvu qu'ils continuent à réunir les conditions prescrites à cette fin avant la promulgation de la présente loi.
(page 1116) « Art. 4. L'article 5 de la loi provinciale est remplacé par la disposition suivante ;
« Sont électeurs ceux qui réunissent les conditions prescrites par la loi communale.
« Les listes électorales formées en exécution de cette loi serviront pour l'élection des conseils provinciaux. »
- On demande l'appel nominal sur cet amendement.
Il est procédé à cette opération.
108 membres ont répondu à l'appel nominal.
16 membres ont répondu oui.
90 membres ont répondu non.
2 membres (MML Coomans et Vilain XIIII) se sont abstenus.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu oui :
MM. Demeur, de Moerman d'Harlebeke, Dethuin, de Vrints, Guillery, Hagemans, Houtart, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Bergé, Boulenger, Couvreur, Dansaert, David et Defuisseaux.
Ont répondu non :
MM. De Lehaye, de Lexhy, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Rayez, Hermant, Jacobs, Jamar, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Mascart, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Rogier, Santkin, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vautrer Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bara, Beeckman, Biebuyck, Braconier, Brasseur, Coremans, Cornesse, Crombez, Cruyt, d'Andrimont, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, De Fré, de Haerne, de Kerckhove, Delaet et Delcour.
M. le président. - La parole est à M. Coomans pour faire connaître les motifs de son abstention.
M. Coomans. - Messieurs, j'étais sympathique à l'amendement parce qu'il supprimait le cens, mais, je n'ai pu le voter parce qu'il me semble créer trop de difficultés arbitraires pour l'admission à l'électorat.
M. le président. - Je n'ai pas voté pour l'amendement parce que je ne veux à aucun prix de la condition de savoir lire et écrire ; je n'ai pas voté contre, parce que je suis sympathique aux autres dispositions qu'il renferme.
M. le président. - Nous passons maintenant à l'amendement de M. Van Humbeeck ; il est ainsi conçu :
« Remplacer l'article premier du projet de loi par les deux articles suivants :
« Art. 1er. La disposition suivante est ajoutée à l'article 7 de la loi communale :
« Sont aussi électeurs, sans devoir justifier du payement d'aucun cens, les habitants réunissant les conditions d'âge, de domicile et d'indigénat ci-dessus mentionnées, qui auront suivi pendant cinq ans les cours d'un établissement complet d'enseignement primaire.
« Art. 1bis (nouveau). Est réputé établissement complet d'enseignement primaire, dans le sens de la disposition précédente, tout établissement dont le programme, en rapport avec des cours d'une durée de cinq ans au moins, comprend, outre les matières mentionnées à l'article 6 de la loi du 23 septembre 1842, deux ou un plus grand nombre des branches indiquées aux n°1, 2, 3, 4 et 6 de l'article 34 de la même loi. »
- Voix nombreuses. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
109 membres y prennent part.
82 répondent non.
26 répondent oui.
1 s'abstient.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu non :
MM. De Lehaye, de Lexhy, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Mascart, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Bara, Beeckman, Biebuyck, Braconier, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Crombez, Cruyt, du Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour et Vilain XIIII.
Ont répondu oui :
MM. de Macar, Demeur, Descamps, Dethuin, de Vrints, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Orts, Van Humbeeck, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bergé, Boulenger, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, De Fré et Defuisseaux. S'est abstenu :
M. Rogier.
M. le président. - La parole est à M. Rogier pour donner les motifs de son abstention.
M. Rogier. - Je n'ai pas voulu voter contre l'amendement parce qu'il consacre un principe que je trouve excellent : c'est l'instruction admise comme élément de la capacité électorale. C'est le principe de la loi de 1870, qui n'est pas encore abrogé. L'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck élève l'enseignement primaire à la hauteur de l'enseignement moyen tel qu'il était compris dans le système de la loi de 1870.
D'un autre côté, je n'ai pas voulu voter pour l'amendement, parce qu'il supprime d'un trait, pour les électeurs dont il s'agit, tout cens électoral et que, sous ce rapport, il me paraît aller trop loin.
M. de Macar. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
M. le président. - Vous ne pouvez interrompre le vote.
M. le président. - Nous passons à l'amendement présenté par M. Dupont.
M. Dupont. - Je désire épargner les moments de la Chambre.
Elle vient de décider à deux reprises qu'elle ne veut pas du principe de la capacité comme base du droit de suffrage. Je retire mon amendement.
M. le président. - Nous passons à l'amendement de M. Sainctelette.
Il est ainsi conçu :
« Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale, et au n°3 de l'article 7 de la loi communale, sont électeurs provinciaux et communaux :
« 1° Les employés privés jouissant de 1,500 francs d'appointements et patentés comme tels depuis deux ans au moins.
« 2° Les personnes ci-après désignées que l'article 3 de la loi du 21 mai 1819 exempte du droit de patente, savoir :
« Les magistrats, les fonctionnaires et employés de l'Etat, de la province et de la commune, et des établissements publics qui en dépendent, jouissant de 1,500 francs de traitement ; les avocats, médecins et pharmaciens, les ministres des cultes, lorsque ces ministres sont rétribués par l'Etat, et les instituteurs primaires diplômés. »
- L'appel nominal est demandé.
En voici le résultat :
108 membres répondent à l'appel nominal.
66 votent contre l'amendement.
41 votent pour.
1 membre (M. Tesch) s'abstient.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté pour l'amendement :
MM. De Lexhy, de Macar, Demeur, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Mascart, Mouton, Orts, Rogier, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Ansiau, Anspach, Balisaux, Bara, Bergé, Boulenger, Braconier, Couvreur, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré et Defuisseaux.
Ont voté contre l'amendement : MM. De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d’Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, (page 1117) A. Visart, Wasseige, Wouters, Beeckman, Biebuyck, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour et Vilain XIIII,
M. Tesch. - Messieurs, je suis partisan de l'adjonction des capacités, non pas du système qui fait résulter la capacité de savoir lire et écrire, mais du système qui fait résulter la capacité de la possession d'un diplôme et d'un certain intérêt dans la société ; je n'ai donc pu voter contre l'amendement.
Mais, d'un autre côté, cet amendement supprime toute espèce de cens et si l'on n'avait pas clos la discussion, j'aurais dit pourquoi je ne puis pas admettre cette suppression et pourquoi, par conséquent, je ne pouvais pas voter pour l'amendement.
M. le président. - Nous arrivons au groupe, des amendements qui combinent le cens et la capacité.
Il va être donné lecture de l'amendement de M. Couvreur.
M. Reynaert lit cet amendement, qui est ainsi conçu :
« Art. 1er. Ajouter au projet de loi du gouvernement :
« Paragraphe 4 : Savoir lire et écrire.
« Art. 2. Savent lire et écrire ceux qui peuvent comprendre la pensée d'autrui dans un texte imprimé et rendre par écrit leur propre pensée.
« Art. 3. La justification de cette connaissance se fera par l'intéressé, dans la quinzaine qui précédera la formation des listes électorales, par une épreuve, publique, subie devant un jury de trois membres tirés au sort, pour chaque commune, l'un parmi les conseillers communaux du canton, un deuxième parmi les instituteurs communaux de la province, un troisième parmi le personnel enseignant des écoles normales et moyennes de l'Etat.
« Dans les communes urbaines, il y a un jury par section.
« Les jurys désignent leur président et leur secrétaire. Le procès-verbal de leurs opérations est transmis à l'autorité communale.
« Les frais sont à la charge de l'Etat.
« Art. 4. Sont inscrits d'office et dispensés de toute épreuve devant le jury les citoyens pourvus : 1° d'un diplôme scientifique ou professionnel délivré par un établissement d'instruction reconnu par la loi ; 2° d'un certificat de fréquentation d'un établissement d'enseignement moyen ou primaire supérieur, public ou privé, délivré à la sortie de l'établissement. Le double de ce certificat sera conservé dans un registre tenu ad hoc dans l'établissement.
« Art. 5. Les personnes rejetées par le jury pourront interjeter appel de cette décision devant la députation permanente.
« Art. 6. Sont maintenus sur les listes électorales, ceux qui y sont inscrits, pourvu qu'ils continuent à réunir les conditions prescrites à cette fin, avant la promulgation de la présente loi. »
- L'amendement de M. Couvreur est mis aux voix ;' il n'est pas adopté.
Amendement de M. Nothomb :
« Ajouter à l'article premier, après le n°3, ce qui suit :
« 4° Savoir lire et écrire. Cette disposition n'est pas applicable aux citoyens qui ont été inscrits sur les listes antérieures, ni à ceux qui payent le cens prescrit par la composition des Chambres législatives.
« Art... (nouveau). La justification préalable de la condition indiquée au n°4 n'est pas requise pour l'inscription sur la liste provisoire dressée en vertu de l'article 1er de la loi du 5 mai 1869.
« Toutefois, les réclamations de ce chef contre toute omission ou inscription indue sont admises, et seulement lors de la révision, où celui contre qui l'on réclame figure pour la première fois sur la liste ; elles sont instruites et jugées conformément aux règles établies en matière électorale. »
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
M. le président. - Nous passons à l'amendement présenté par M. Funck.
« Remplacer l'article premier du projet de loi par les dispositions suivantes :
« !• Par dérogation à l'article 7, n°3 de la loi communale, sont, en outre, électeurs communaux, sous la condition de justifier qu'ils possèdent l'instruction primaire telle qu'elle est organisée par la loi du 23 septembre 1842 : ceux qui versent à l'Etat, en contributions directes, patentes comprises, la somme de 10 francs par an.
« 2° La justification mentionnée dans l'article précédent résultera : 1° du fait de remplir des fonctions publiques ou privées qui présupposent la connaissance des matières comprises dans le programme de l'enseignement primaire ; 2° ou d'un certificat constatant que l'électeur a suivi pendant six années consécutives les classes d’une école primaire régulièrement organisée ; 3° ou d’une requête rédigée et écrite en entier par l’électeur, en présence de trois membres de l’administration communale ou de ses délégués, et tendante à obtenir son inscription sur la liste électorale.
« Cette justification pourra résulter aussi d'un examen passé devant un jury de trois membres désignés par l'administration communale. »
- Il est procédé à l'appel nominal.
108 membres y prennent part.
72 répondent non.
36 répondent oui.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu oui :
MM. de Lexhy, de Macar, Demeur, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dupont, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Mascart, Mouton, Rogier, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Allard, Ansiau, Anspach, Bergé, Boulenger, Braconier, Couvreur, Crombez, d'Andrimonl, Dansaert, David, de Dorlodot, De Fré et Defuisseaux.
Ont répondu non :
MM. De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Frère-Orban, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Wasseige, Wouters, Balisaux, Bara, Beeckman, Biebuyck, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour et Vilain XIIII.
M. David. - Messieurs, le parti clérical veut amener à l'urne électorale le plus d'ignorants possible.
Je dois donc retirer mon amendement.
M. le président. - Nous passons à l'amendement de M. Dumortier.
« Dans les communes de plus de 20,000 habitants, le corps électoral se compose de trois collèges, nommant chacun le tiers des membres du conseil communal, savoir :
« Le premier formé des électeurs payant plus de 300 francs d'impôt ;
« Le second, des électeurs payant de 50 à 300 francs ;
« Le troisième, des électeurs payant de 10 à 50 francs. »
- Voix à gauche. - L'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal.
107 membres y prennent part.
101 membres répondent non.
2 membres répondent oui.
4 membres s'abstiennent.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu non :
MM. De Lehaye, de Lexhy, de Liedekerke, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, de Vrints, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Jamar, Janssens, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lescarts, Liénart, Magherman, Mascart, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Rogier, Santkin, Simonis, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Balisaux, Beeckman, Bergé, Biebuyck, Boulenger, Braconier, Brasseur, Coomans, Coremans, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour et Vilain XIIII.
Ont répondu oui :
MM. Dumortier et Vander Donckt.
Se sont abstenus : MM. Van Humbeeck, Vleminckx, Bara et Crombez.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.
(page 1118) M. Van Humbeeck. - Je ne suis aucunement sympathique aux idées formulées dans l'amendement de M. Dumortier, et j'étais tout prêt à le repousser par mon vote ; mais l'honorable membre avait demandé à faire valoir en faveur de son amendement quelques idées nouvelles ; il eut été, à mon avis, juste et convenable de le lui permettre. On ne l'a pas voulu ; dès lors j'ai voulu à mon tour, par mon abstention, protester contre un de ces actes de violence dont la majorité est si prodigue.
- Voix à droite. - Oh ! oh !
- Voix à gauche. - Oui, oui ! Très bien.
M. Vleminckx. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.
M. Bara. - Pour les mêmes motifs.
M. Crombez. - Pour les mêmes motifs.
M. le président. - Vient maintenant l'amendement de M. Tack. Il est ainsi conçu :
« Ajouter à l'article premier le paragraphe suivant :
a Cependant, quiconque aura été secouru par le bureau de bienfaisance, pendant l'année de la révision ou pendant l'année antérieure, ne pourra être inscrit sur la liste des électeurs communaux. »
- Cet amendement est mis aux voix par assis et levé et adopté.
« Chapitre premier. Elections communales.
« Art. 1er. Les paragraphes 2 et 3 de l'article 7 de la loi communale sont remplacés par les dispositions suivantes :
« 2° Avoir son domicile réel dans la commune avant l'époque fixée pour la révision des listes électorales ;
« 3' Verser au trésor de l'Etat, en contributions directes, patentes comprises, la somme de 10 francs. »
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
M. le président. - Il va être procédé à l'appel nominal sur l'article premier complété par l'amendement de M. Tack.
107 membres prennent part à l'appel.
64 membres répondent oui.
34 membres répondent non.
9 membres s'abstiennent.
En conséquence, l'article premier est adopté.
Ont répondu oui :
MM. De Lehaye, de Liedekerke, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Gerrits, Hayez, Hermant, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Lelièvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Rembry, Reynaert, Santkin, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verwilghen, Amédée Visart, Wasseige, Wouters, Balisaux, Beeckman, Biebuyck, Coomans, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, de Haerne, de Kerckhove, Delaet, Delcour et Vilain XIIII. Ont répondu non :
MM. de Lexhy, de Macar, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Houtart, Jamar, Lescarts, Mascart, Mouton, Rogier, Tesch, Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vermeire, Vleminckx, Allard, Anspach, Bara, Boulenger, Braconier, Brasseur, Crombez, d'Andrimont, de Baillet-Latour et De Fré.
Se sont abstenus :
MM. Demeur, Guillery, Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Bergé, Couvreur, Dansaert, David et Defuisseaux.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Demeur. - Je n'ai pas voulu voter contre l'article premier du projet de loi, parce qu'il attribue le droit de suffrage à un grand nombre de citoyens capables, qui en sont actuellement privés et qui en sont parfaitement dignes.
Je n'ai pas pu néanmoins voter pour cet article, parce que, parmi ceux auxquels le droit de suffrage va être reconnu, il en est un certain nombre qui ne possèdent assurément pas la capacité désirable et que la majorité de cette Chambre a rejeté systématiquement tous les amendements tendants à garantir un minimum de capacité chez l'électeur.
M. Guillery. - Je suis profondément convaincu qu'une réforme électorale, pour être durable, pour donner satisfaction à l'opinion publique, devrait être non un acte de parti, mais le résultat d'une action commune des partis, comme l'a été la réforme électorale faite en Angleterre. Il faudrait que toutes les opinions pussent trouver leur satisfaction dans l'extension du droit de suffrage pour que cette réforme constituât un progrès réel et durable. Le projet ne me paraît pas réaliser cette condition.
D'un autre côté, je n'ai pas voulu, par mon vote, priver du droit de suffrage des citoyens qui, à mon avis, y ont incontestablement droit.
M. Jottrand. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter pour l'article premier du projet de loi, parce que je considère comme détestable le système pratiqué en Belgique, en matière de collation de droit de suffrage, système qui n'ouvre qu'une seule porte pour l'accès à l'urne électorale et qui est maintenu par le projet de loi ; d'un autre côté, je me suis fait scrupule d'émettre un vote négatif qui aurait pu être interprété dans le sens d'une décision absolue contraire à toute extension du droit de suffrage.
J'estime que, parmi les citoyens que le projet de loi appelle à l'acte électoral, le plus grand nombre seront des citoyens instruits, indépendants, mais il suffit que quelques-uns soient illettrés ou dépendants, pour que je ne puisse pas consacrer par mon vote la faveur que va leur conférer l'article premier du projet de loi.
M. Le Hardy de Beaulieu. - Je me suis abstenu pour les motifs développés par l'honorable M. Guillery.
M. Bergé. - Messieurs, je me suis abstenu pour des motifs analogues à ceux qui ont été déjà développés. Je n'ai pas pu voter contre l'article premier, parce que le projet appelle à l'électorat un certain nombre de personnes parfaitement dignes et capables d'émettre un vote ; d'un autre côté, je n'ai pu donner un vote favorable à l'article qui est la consécration du cens et l'exclusion d'une catégorie importante de citoyens parfaitement intelligents et instruits.
J'ai cru devoir donner d'autant moins un vote favorable à l'article premier, que l'amendement de l'honorable M. Tack, amendement que la Chambre a adopté, prouve tout le danger du projet ministériel, qui peut aller jusqu'à accorder le droit de vole à des gens qui n'en seraient pas dignes.
M. Couvreur. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable préopinant.
M. Dansaert. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.
M. David. - Messieurs, je n'ai pas voté contre l'article premier du projet de loi, parce que je suis, moi-même, partisan d'une large extension de suffrage, mais je n'ai pas voulu voter pour, parce que l'article n'est pas venu consacrer l'obligation, de la part de l'électeur, de prouver qu'il possède un certain degré d'instruction.
M. le président. - La parole est à M. Defuisseaux pour donner les motifs de son abstention.
M. Defuisseaux. - M. le président, il n'y a plus personne dans la salle.
M. le président. - Ce n'est pas ma faute. Je suis ici pour vous entendre.
M. Defuisseaux. - Il me serait dès lors impossible de développer sérieusement les motifs de mon abstention. Je me garderai bien de prendre part à un vote, alors que la discussion n'a pas été libre.
M. le président. - Je ne puis pas vous laisser dire que la discussion n'a pas été libre.
Il y a plus de quinze jours que la Chambre discute. Vous vous êtes seulement fait inscrire aujourd'hui, vous auriez pu parler la semaine dernière. Je ne vous reproche pas de ne pas avoir parlé alors et de ne vous être pas fait inscrire ; mais, je le répète, je ne puis pas vous laisser dire que la discussion n'a pas été libre.
M. Defuisseaux. - Représentant d'une opinion qui est en minorité dans cette Chambre, je crois qu'il était du devoir de la majorité de nous entendre. J'aurais voulu faire connaître à ceux qui m'ont envoyé dans cette enceinte ce que je pense sur une matière aussi importante que la matière électorale.
D'ailleurs, j'espère pouvoir revenir sur cette question plus tard.
M. de Macar. - M. le président, je déclare que si j'avais été présent tout à l'heure, j'aurais voté contre l'amendement de l'honorable M. Jottrand.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à cinq heures trois quarts.