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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 décembre 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 348) M. de Borchgrave procède à l'appel nominal a 2 heures et un quart.

M. Wouters donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Borchgrave présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Beaumont prient la Chambre d'accorder au sieur Colson la concession d'un chemin de fer de Bonne-Espérance à Beaumont, Romedenne et Givet. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres du conseil communal de Harzé réclament contre la vente faite à leur insu, au mois de novembre dernier, de diverses parcelles de terrains communaux. »

- Même renvoi.


« Des huissiers de l'arrondissement de Bruges demandent une augmentation de 5 p. c. sur les tarifs des actes de leur ministère. »

M. Lelièvre. - Une pétition ayant le même objet ayant été renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport, je demande qu'il soit pris la même décision a l'égard de la requête qui vient d'être analysée et que j'appuie tout particulièrement.

- Adopté.


« Le sieur Laurys demande une récompense honorifique pour acte de dévouement. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des membres de l'administration communale et des habitants de Langemarck demandent qu'il soit pris des mesures pour que le concessionnaire de la ligne internationale d'Ostende à Armentières exécute ses engagements. »

M. Vandenpeereboom. - Je demande un prompt rapport sur cette pétition.

M. Van Renynghe. - J'appuie cette demande.

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Leemans, obligé de faire partie de la garde civique, prie la Chambre de lui conférer le droit électoral. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Opwyck demandent le vote à la commune pour toutes les élections et le fractionnement des collèges électoraux en circonscriptions de 80,000 âmes. »

- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.


« Des habitants de Boorsheim demandent, pour toutes les élections, le vote à la commune ou du moins au chef-lieu de canton. »

- Même renvoi.


« Le sieur Quarré-Debruyn, brasseur à Louvain, demande une loi donnant aux brasseurs la faculté de payer l'impôt sur le poids des matières farineuses employées dans la fabrication de la bière. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants de Menin proposent des modifications à la loi électorale. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme électorale.


« Le sieur Vande Walle propose des mesures pour améliorer la position des instituteurs primaires. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi établissant une caisse générale de prévoyance des instituteurs primaires.


« Par vingt-deux messages en date du 20 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de lois de naturalisation. »

- Pris pour notification.


« Par messages en date du 21 décembre 1870, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de lois suivants :

« Contenant la budget des recettes et des dépenses pour ordre de l'exercice 1871 ;

« Qui ouvre au budget du ministère des finances pour l'exercice 1870, un crédit supplémentaire de 47,097 fr. 8 c. ;

« Contenant le budget du ministère des affaires étrangères pour l'exercice 1871 ;

« Qui autorise le gouvernement à signer avec l'Espagne un acte additionnel au traité de commerce et de navigation du 12 février 1870. »

- Pris pour notification.


« M. Reynaert, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour 1871

Discussion générale

M. Defuisseaux. - Messieurs, s'il est une chose qui a dû vous frapper tous, dans cette discussion qui s'est élevée hier et qui continue aujourd'hui, c'est à coup sûr, me semble-t-il, le langage si différent des candidats et des députés.

Lorsque nous nous présentons devant l'opinion publique, qui est notre maître et notre juge, nous sommes antimilitaristes, à de très rares exceptions près.

Presque tous, nous promettons ou plutôt, pour admettre une distinction subtile, nous désirons la diminution des gros contingents, et le public de nous applaudir et de nous envoyer à cette Chambre.

Quant à moi, je n'entrerai pas dans des considérations personnelles qui amoindrissent toujours le débat et dont vous avez presque été fatigués hier ; je ne me demanderai pas pourquoi MM. les ministres des finances et de la justice, qui étaient antimilitaristes au mois de juin, sont devenus militaristes au mois d'août.

Je ne chercherai pas à savoir si l'honorable M. Frère désirait seulement la réduction du budget à 25 millions, ou bien s'il faisait plus, s'il promettait cette réduction.

Je laisse cette distinction. Je ne rechercherai pas davantage pourquoi les trois honorables présidents de cette Chambre (sauf M. Vandenpeereboom) après avoir pendant longtemps lutté contre le flot envahissant des militaristes, après avoir refusé de voter le budget de la guerre, entraînés par la parole autoritaire et convaincante de l'ancien chef du cabinet, se sont, suivant l'expression si heureuse de l'honorable M. Coomans, retirés dans les fortifications d'Anvers avec lui.

(page 349) Je ne veux, messieurs, tirer de tous ces faits qu'une conclusion : c'est qu'une fois entrés dans cette Chambre, les députés qui ont des idées antimilitaristes perdent, par je ne sais quel charme ou quelle fatalité, toutes leurs convictions.

On a dit qu'il fallait aller chercher le mal bien haut. On a dit qu'à côté de la volonté publique, à côté du désir des candidats se plaçait une autre volonté supérieure ; que le roi, qui voyait dans les forts budgets de la guerre et dans le développement du militarisme, le maintien de son autorité et de sa dynastie, inspirait les décisions de cette assemblée.

Je n'hésite pas à le dire, car nous devons toute notre pensée au pays, s'il en est ainsi, il faut que le pays le sache, car alors il se rappellera que les pouvoirs émanent de la nation et il saura faire respecter sa volonté.

Messieurs, j'abandonne ces idées générales pour aborder le cœur même du débat.

Il s'agit, pour ceux qui veulent voter le contingent, de prouver deux choses : il s'agit d'abord de prouver que les armées permanentes sont des armées utiles, sont les seules qui peuvent sauver le pays en cas de danger ; il s'agit ensuite de prouver que les armées permanentes doivent être recrutées par la forme de la conscription. Eh bien, je suis peiné de voir qu'au moment même où nous assistons à la destruction des plus belles armées permanentes, qu'au moment où les armées dans lesquelles la France avait mis toute sa confiance sont détruites et faites prisonnières, on vienne encore soutenir devant vous que c'est dans les armées permanentes que nous devons placer notre salut.

Comment ! tous ces généraux, tous ces maréchaux, tous ces hommes qui seuls passaient pour compétents en matière de guerre, ont prouvé, de la manière la plus éclatante, leur incompétence ; ces armées permanentes qui paraissaient invincibles, qui semblaient ne pas devoir connaître d'obstacles, en quelques mois elles ont disparu ! Et c'est alors que l'on vient nous dire : Nous demandons encore à la Belgique de maintenir les armées permanentes !

La seconde chose qu'il faudrait prouver, c'est que le mode de recrutement doit être la conscription. Ce mode de recrutement, j'en ai la conviction, nous déplaît à tous. Il est inefficace, mais il est une chose qui, dans les cœurs honnêtes, prime encore la question d'utilité, c'est la question de justice.

Eh bien, messieurs, j'ose le dire, moi qui n'appartiens à aucune religion positive, j'ose le dire en présence d'un grand parti qui fait de la religion son principal point de départ, ma religion consiste à ne jamais voter une loi que je considère comme injuste. Cette religion est celle de tous les cœurs honnêtes, c'est la religion de la conscience.

Eh bien, que se passe-t-il lors de la conscription ? On arrache riches et pauvres à leur famille pour les conduire dans une salle où ils sont tous rassemblés devant une urne qui doit décider de leur sort.

Pour le riche, pour nous, nos enfants et nos frères, la conscription n'a rien d'effrayant.

Le riche est confondu momentanément avec le pauvre dans cette salle fatale, mais pour lui la chose est indifférente ; un mauvais numéro c'est une partie perdue ; c'est à peine un accident qui ne peut troubler son bonheur.

Pour l'ouvrier, c'est la perte de son temps, c'est la perte de sa liberté ; c'est sa séparation d'avec sa famille ; c'est la vie de garnison ; c'est tout un avenir malheureux. Voilà ce qu'est la conscription pour lui, voilà ce qu'elle est pour nous, et nous, qui sommes issus du suffrage censitaire, nous qui profitons de ce privilège, nous à qui on le signale, pouvons-nous, oserons-nous consacrer une injustice qui nous profile à nous seuls ?

Il est avéré que la conscription constitue une injustice ; c'est, comme l'a très bien dit, dans d'autres circonstances, l'honorable M. Coomans, qui a conquis par là une si juste popularité dans le pays ; c'est un impôt égal pour tous les Belges, un impôt de 1,500 francs.

Savez-vous payer 1,500 francs ? Vous êtes libéré de tout service ; la patrie n'a rien à vous demander. N'avez-vous pas 1,500 francs ? Etes-vous un malheureux ouvrier ? êtes-vous indispensable, non seulement à l'affection, mais à l'existence de votre famille ? Alors on vous dira : « Allez sous les drapeaux. » On vous contraindra de marcher.

Et, messieurs, à ce sujet il vous sera présenté bientôt un projet de loi demandant l'instruction obligatoire. Quelques-uns d'entre vous diront qu'ils ne veulent pas envoyer forcément l'enfant à l'école, parce que c'est froisser, non pas la liberté de l'enfant, mais celle de son père.

Et vous vous arrêterez devant ce scrupule ; et vous direz : Cette liberté doit être entière ; laissons le père faire tout ce qu'il veut, nous n'avons pas le droit, même dans l'intérêt sacré de l'enfant, de faire de cet enfant un homme, au lieu d'en faire un être malheureux qui ne sera pas en rapport intellectuel avec ses compatriotes ; vous n'avez pas le droit, pour atteindre ce résultat si désirable, d'attenter à la liberté du père.

Eh bien, je le demande, comment concilier cette exigence avec cette obligation forcée d'envoyer le milicien dans la caserne ? Où est sa liberté ? Il tire un mauvais numéro ; vous le faites marcher. Il a beau dire : Je ne veux pas de cette corvée ; je veux nourrir ma famille ; je veux rester dans mes foyers. Vous le forcez d'en sortir. Sa liberté, qu'est-elle devenue ?

Prenez garde que le pays ne dise : Ce grand mot de liberté a donc deux sens ; le père de famille est libre de laisser son enfant ignorant ; mais il ne lui est pas libre de le conserver pour pourvoir à sa subsistance !

Encore une fois, ces vérités sont si simples, si logiques, qu'elles passent au-dessus de tous les partis et que tous les gens sensés et honnêtes doivent les juger de la même façon.

Par conséquent, je puis vous déclarer sans être démenti que la conscription est une mesure injuste, parce qu'elle pèse sur une classe de la société et qu'elle laisse l'autre classe absolument indifférente au malheur qui frappe la première.

J'ajouterai que la conscription qui crée des soldats forcés est en même temps le plus triste moyen de se défendre.

Et encore une fois l'histoire contemporaine, l'histoire d'il y a quelques jours est là qui nous l'enseigne : les soldats forcés, les soldats contraints ont été dispersés, ont été anéantis, ont été impuissants à défendre leur patrie, et ce n'est que depuis que la France s'organise d'une autre façon, ce n'est que depuis le moment où elle a fait appel au patriotisme de tous ses enfants, ce n'est que depuis lors qu'elle a reconquis l'espoir de chasser l'envahisseur.

Eh bien, si au lieu de cette organisation première elle avait eu d'abord ces soldats volontaires, qui ne sont pas forcés de courir à l'ennemi et qui le font cependant avec cœur parce qu'ils le font volontairement, si, dis-je, elle avait trouvé immédiatement ces forces considérables, sa défense eût été bien plus efficace encore.

Messieurs, j'insiste autant que possible, car depuis quelques mois la Chambre a été presque renouvelée. Le vote du contingent est une chose capitale pour tous les nouveaux députés ; le premier vote entraîne malheureusement un second vote ; un second vote en entraîne un troisième, et dès lors le député, qui mérite sous tous les autres rapports la confiance de ses mandataires, continue à voter ce triste contingent. Je fais donc appel à tous les députés nouveaux qui vont avoir pour la première fois à se prononcer sur la question du contingent.

Je fais appel à ces nouveaux membres avec d'autant plus de certitude d'être entendu que déjà plusieurs fois dans cette Chambre les plus fermes appuis du ministère se sont séparés, sur cette question, de leurs amis politiques.

C'est là, encore une fois, une question de conscience sur laquelle il n'est pas possible de fléchir, de faire des transactions même avec ses amis.

Je n'ai pas l'habitude, messieurs, ce n'est pas ma spécialité, de soulever des questions clérico-doctrinaires. Cependant, s'il m'est permis de m'adresser spécialement à la majorité de cette Chambre, je lui dirai que je ne comprends pas qu'elle puisse allier ces principes d'égalité fraternelle qu'un homme ou un Dieu, il y a 2,000 ans, a prononcés en fondant leur religion, avec une loi qui est aussi peu humanitaire que celle de la conscription.

Je lui demanderai comment elle peut allier le système d'égalité avec une loi d'inégalité, aussi flagrante que celle qu'on vous convie à voter.

Je leur demanderai s'ils croient que le jour de la conscription, alors qu'ils voient rassemblés tous les citoyens d'un même pays et qu'ils voient des riches indifférents à une chose qui doit faire le malheur des pauvres, s'ils croient qu'en votant une pareille loi, ils suivent bien ce principe qu'il faut surtout aimer, soutenir, encourager les faibles, les humbles et les petits.

Je leur demanderai s'ils croient que le fondateur de leur religion, qui aimait tant ces humbles, ces petits et ces faibles, n'aurait pas frémi à l'idée d'un pareil spectacle, que de voir tous ces malheureux livrés au militarisme, parce qu'ils n'ont commis d'autre crime que celui de n'avoir pas d'argent.

Eh bien, messieurs, vous poser la question, c'est évidemment la résoudre.

Quoi qu'il en soit, si vous les abandonniez dans ces circonstances ; si vous laissiez voir à cette grande partie du peuple, si bas peuple, qui croit encore à la religion, parce qu'il veut croire à autre chose qu'à ses douleurs, à ses misères, que vous n'êtes pas ses soutiens, ses tuteurs naturels, si vous lui permettiez de croire que vous vous appuyez plutôt sur la richesse et sur le pouvoir que sur la faiblesse qui est en même temps la justice, il ne (page 350) resterait à cette grande partie du peuple qu'à s'appuyer sur la démocratie qui, elle, quelles que soient les séductions du pouvoir, quelles que soient les prétendues nécessités du moment, quels que soient les dévouements auxquels on fait appel, a et aura toujours pour principes de lutter pour la revendication de tous ses droits et l'abolition de toutes les injustices.

M. De Lehaye. - Messieurs, dans le conseil communal qui s'est réuni hier à Gand, un membre a déclaré qu'il était parfaitement inutile que la ville de Gand demandât l'exécution de la convention relative à la citadelle.

« Ce membre, dit un journal, base son opinion sur cette considération que M. le général Guillaume, actuellement ministre de la guerre, faisant partie d'une commission spéciale instituée par le gouvernement pour examiner les questions qui se rattachent à l'organisation de l'armée et à la défense nationale, a déclaré, dans le sein de cette commission, que la citadelle de Gand ne pouvait être démolie parce que, dans son opinion, elle devait servir de dépôt général de poudre. »

Si, messieurs, cela était vrai, il y aurait un danger permanent contre lequel nous devrions protester énergiquement.

Je demanderai à M. le ministre de la guerre si c'est là son opinion et si une telle opinion a jamais été exprimée par lui au sein d'une commission quelconque ?

Je lui adresserai une seconde question. Dans la même séance, un autre membre a déclaré que la citadelle de Gand, où l'on a envoyé un grand nombre de militaires étrangers, se trouvait actuellement encombrée de poudre. On comprend que si cela est vrai, un pareil état de choses doit inspirer de légitimes craintes.

- Des membres. - la question !

M. De Lehaye. - Je suis étonné que l'on me fasse cette observation. C'est parce que je veux respecter le règlement que je n'ai pas fait de mes observations l'objet d'une interpellation directe. Nous examinons en ce moment le budget de la guerre. (Interruption.)

- Des membres. - Non ! non ! La loi du contingent.

M. De Lehaye. - C'est là un jeu de mots. Nous examinons le contingent de l'armée.

Le contingent de l'armée entre dans les attributions du département de la guerre et je crois qu'il doit m'être permis, à ce sujet, d'interpeller M. le ministre de la guerre. Je suis étonné que lorsqu'on a, contrairement au règlement, passé un temps très long à des interpellations qui ne se rapportaient pas au projet en discussion, on me fasse un reproche de rentrer dans l'esprit réel du règlement.

Je demande donc à M. le ministre de la guerre s'il a exprimé une opinion quelconque justifiant le fait signalé à Gand et s'il est vrai que la citadelle de Gand soit encombrée de poudres.

M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - Je ne me rappelle pas qu'en aucune circonstance et dans aucune commission, j'aie exprimé l'opinion qu'on m'a prêtée dans le conseil communal de Gand. Il n'entre pas dans mes intentions, d'ailleurs, d'établir des dépôts permanents de poudre soit à Gand, soit dans toute autre ville ouverte.

Au mois de juillet dernier, lorsqu'on a dû prendre des précautions pour la défense du pays, la citadelle de Gand était complètement désarmée, mais intacte.

Le gouvernement, ne pouvant la laisser à l'abandon, lui a donné un armement de sûreté, et comme conséquence, il y a placé la quantité de poudre strictement correspondante à cet armement. Je déclare qu'il ne se trouve pas à la citadelle de Gand le dixième de la quantité de poudre que l'on pourrait placer dans les locaux destinés à en recevoir.

C'est vous dire, messieurs, que les locaux ne sont pas bourrés de poudre, comme on l'a prétendu dans le conseil communal de Gand.

Je dois ajouter qu'on a séquestré dans la citadelle de Gand le matériel de guerre qui a été recueilli en Belgique après la bataille de Sedan.

J'ai visité ce matériel avec quelques officiers d'artillerie et nous avons pu constater qu'il ne renferme aucun projectile muni de fusée à percussion. Il n'existe donc de ce chef aucun danger ni pour la citadelle ni pour la ville de Gand.

M. Hagemans. - Messieurs, quelques paroles suffiront pour motiver mon vote négatif.

Les graves événements qui se sont passés et ceux qui se passent encore, loin de modifier les idées que j'ai déjà eu l'honneur d'exprimer à diverses reprises dans cette enceinte, les ont, au contraire, fortifiées.

Plus que jamais je suis partisan du système suisse ou de tout autre système qui apprenne à la nation entière à savoir se défendre en cas de danger.

Si donc je ne vote pas le projet qui nous est présenté, c'est que tout en voulant que la Belgique soit vigoureusement armée pour la défense, je me suis toujours déclaré et je continue à me déclarer l'adversaire d'un système fondé sur une base inique, la conscription, comme vient une fois de plus de le démontrer si éloquemment l'honorable M. Defuisseaux.

L'armée, et je tiens à lui rendre hautement justice, s'est admirablement montrée dans les graves événements par lesquels nous passons ; mais si courageuse qu'elle soit, son dévouement et les longs sacrifices qu'elle a coûtés au pays depuis quarante ans ne nous ont pas épargné les craintes et les soucis ; ces craintes et ces soucis, nous ne les aurions pas eus si le système que nous réclamons depuis longtemps avait été adopté. Ceci est ma profonde conviction. Un pays dont tous les citoyens sont prêts à le défendre sera toujours plus garanti contre toute idée d'invasion, contre toute convoitise que celui où les citoyens abandonnent à quelques milliers d'hommes tires au sort le soin de les protéger.

M. Jottrand. - Messieurs, je serai obligé de m'abstenir sur la loi qui est soumise à vos délibérations.

J'imiterai en cela l'exemple donné jusqu'à présent par deux des honorables ministres que vous voyez devant vous, je veux parler de MM. Wasseige et Kervyn qui, s'abstenant l'année dernière sur la question du contingent, nous proposent aujourd'hui d'adopter une loi dont l'excellence ne leur était nullement démontrée avant qu'ils se fussent assis au banc ministériel.

Si je m'étais décidé à voter contre, j'aurais imité en cela l'exemple de l'honorable M. Jacobs, que je regrette de voir absent aujourd'hui.

- Une voix. - Il est au Sénat.

M. Jottrand. - Je ne recherche pas les motifs pour lesquels il n'assiste pas à la discussion.

Je m'abstiendrai, messieurs, parce que, d'une part, je suis convaincu que quelles que soient sur ce point les idées soutenues, à diverses occasions, par des membres de cette assemblée, je suis convaincu que nous ne pouvons nous passer d'une force militaire sérieuse et, comme nous n'avons à nous prononcer actuellement sur aucun autre moyen d'organiser l'armée que celui qui existe, si je votais contre et si la loi était rejetée, nous nous trouverions dépourvus d'un instrument dont je crois l'existence nécessaire.

Je ne crois pas, en effet, et je me permettrai de traiter de rêveries les idées contraires que nous ne pouvons, nous fondant exclusivement sur les traités et le respect qu'on devrait leur porter, défendre notre neutralité rien qu'avec ces contrats que l'on déchire tous les jours.

Il nous faut quelque chose de plus.

D'autre part, je ne puis consacrer par mon vote une organisation que je crois à la fois injuste, coûteuse et inefficace. Injuste parce qu'aucun des arguments que jusqu'à présent j'ai examinés n'a pu me convaincre qu'il fût juste de permettre à une partie de la nation de se racheter à prix d'argent de l'accomplissement d'un devoir sacré, alors qu'on impose à l'autre partie de la nation, à raison de sa misère, le seul poids de ce devoir que tous les citoyens devraient être fiers de remplir ; inefficace, parce que je ne crois pas que notre armée réduite au chiffre de 100,000 hommes sans que nous puissions, alors qu'elle serait épuisée ou entamée, trouver dans le pays les éléments pour combler les vides, je ne crois pas qu'une armée, de 100,000 hommes soit le nombre maximum de citoyens armés que nous devons pouvoir opposer à une agression.

Sous ce rapport, messieurs, je suis partisan du système défensif adopté par la Suisse, sauf quelques modifications nécessitées par la différence des mœurs, des habitudes et de la configuration topographique. Le moment n'est pas venu de vous développer, sur ce point, des idées que vous avez déjà pu apprécier et qui, j'en suis convaincu, finiront par triompher dans notre pays ; nous serons obligés d'en arriver au système qui appelle à la défense nationale tous les citoyens majeurs et qui, à côté de l'obligation qu'on leur imposera ainsi, leur donnera les moyens d'acquérir, dès l'enfance, les. connaissances nécessaires pour faire un bon soldat.

Cette nécessité nous presse et nous n'aurons un jour le choix qu'entre deux systèmes : le système prussien avec un casernement étendu, appelant au service permanent une trop grande partie de la nation, et jamais notre population ne consentira à se soumettre à ce régime, ou le système suisse qui appelle également tous les citoyens, mais qui les laisse chez eux la plus grande partie de l'année et ne les convoque qu'à des intervalles périodiques à des réunions de corps.

Le troisième motif de mon hésitation, le troisième motif qui m'empêchera de consacrer, par un vote approbatif, notre système militaire actuel, c'est qu'il est trop coûteux. Sous ce rapport, je dois m'expliquer.

(page 351) Je ne suis pas convaincu que nous puissions diminuer d'une manière importante les charges, soit en temps, soit en argent, que la préparation de la défense nationale doit imposer aux citoyens ; mais je suis convaincu que, sans nous imposer des sacrifices supérieurs à ceux que nous supportons aujourd'hui, nous pourrions arriver a des résultats plus certains que ceux que nous avons aujourd'hui, nous pourrions établir une organisation militaire qui nous permît de nourrir l'espoir de continuer la lutte et de nous relever quand même une première fois le sort des armes nous aurait été défavorable.

C'est donc relativement, et au point de vue surtout de la contribution pécuniaire, que notre système me semble trop coûteux.

Je ne sais, messieurs, si MM. les ministres ne se font pas une illusion quand ils croient que sur le point qui nous occupe comme sur les autres le pays tout entier, comme le disait hier l'honorable M. de Theux, approuve leur politique. Selon moi, le triste spectacle de ce qu'on a appelé hier des palinodies sur le point important de l'organisation militaire, le triste spectacle offert par quatre ministres n'est pas de nature à leur concilier l'approbation publique.

Les populations, les électeurs ont, il est vrai, l'habitude d'être trompée ; il y a longtemps qu'on a dit : Mundus vult decipi ; ergo decipiatur. Le monde veut être trompé ; eh bien, qu'il le soit ; et puisque les électeurs se bercent de belles promesses, jetons-leur-en à foison ; ils les ramasseront, nous nommeront et après, nous verrons.

Mais cette doctrine, pour être ancienne, n'en est pas moins hideuse. Cette observation m'amène à relever surtout un point du discours de l'honorable M. de Theux, qui, en ma qualité de représentant de Bruxelles, m'a été particulièrement sensible.

Tout le pays, et particulièrement les grandes villes, ont donné, suivant lui, un satisfecit complet au ministère catholique.

J'ai été étonné, mais charmé, de voir invoquer, par un membre de la droite, l'opinion des grandes villes.

Cela prouve qu'on y tient ; cela prouve que l'on comprend que, pour qu'une politique en Belgique soit réellement nationale, il ne suffit pas qu'elle soit acceptée par les électeurs campagnards, chez lesquels, à côté de grandes vertus privées, existe à un moindre degré l'esprit et surtout l'intelligence politique. (Interruption.)

Je n'ai jamais entendu dire qu'on pût se passer d'une façon absolue de l'approbation des campagnes ; mais je prétends que c'est, dans notre vieux monde, une malheur pour un pays de voir, eu égard au triste état de l'instruction dans les districts ruraux de la plupart des pays de l'Europe, de voir ses destinées dépendre exclusivement du vote des campagnes.

- Un membre. - Et vous voulez le suffrage universel !

M. Jottrand. - Je reviens à mon propos.

M. le président.-Il s'agit du contingent de l'armée ; je vous engage à rentrer dans la question.

M. Jottrand. - Permettez-moi, M. le président, de vous faire observer que M. de Theux, hier, et M. De Le Haye, aujourd'hui, ont traité des points très étrangers au contingent de l'armée.

M. le président. - Vous avez le droit de répondre aux observations qui ont été faites. Ce n'est qu'un simple conseil que je me permets de vous donner.

M. Jottrand. - Si c'est un conseil, je suis libre de le suivre ou de ne pas le suivre ; si c'est une injonction, je proteste...

M. le président. - Je viens de constater votre droit.

M. Jottrand. - J'en use.

L'honorable M. de Theux a donc rendu hommage à une vérité incontestable, quand il a implicitement avoué qu'il fallait, pour qu'un parti eût le droit de gouverner un pays, que les grands centres de population, et je dis les grands centres d'intelligence, fussent avec lui. (Interruption.)

Si c'est en dehors des villes que l'on veut trouver le maximum d'intelligence, je n'y comprends plus rien. Je croyais jusqu'à présent que là où se trouvaient les grandes écoles, là où se trouvaient agglomérées les professions libérales, là où s'élaborait cette grande voix de la presse qui est nécessaire, je dirai même indispensable à l'existence d'un pays constitutionnel, je croyais, dis-je, que c'était là qu'on pouvait dire que résidait le maximum d'intelligence de la nation. Les grandes villes sont au corps politique ce que le cerveau est au corps humain. Elles sont le laboratoire de l'intelligence. Voyez ce que souffre la France pour l'avoir oublié ! (Interruption.)

M. Dumortier. - Mais laissez dire cela par les doctrinaires ; vous protestez contre vous-même. (Interruption.)

M. Jottrand. - Je ne crois pas, messieurs de la droite, que les doctrinaires soient mes ennemis autant que vous-mêmes.

Entre les doctrinaires et moi, il y a, à côté de vives dissemblances, de nombreux points de contact, il y a des convictions communes. Entre votre parti et moi, il n'y en a point. (Interruption.) Je reviens maintenant à mon point de départ et j'espère que j'aboutirai, à moins que je ne rencontre encore une fois sur mon chemin des observations du genre de celles qui viennent de se produire.

Il y a quatre grandes villes dans le pays. Remarquez que je les prends comme villes et non point comme chefs-lieux d'arrondissement.

Pour les apprécier comme telles, je les sépare de l'élément rural qui les entoure.

De ces quatre grandes villes, combien y en a-t-il qu'on puisse dire marcher d'accord, par l'opinion, avec le ministère qui gouverne ? Vous ne revendiquerez pas Gand ; vous ne revendiquerez pas Liège ; peut-être à cause d'une circonstance locale, pouvez-vous encore momentanément revendiquer Anvers ?

Hier, vous vous êtes vantés de pouvoir revendiquer Bruxelles !

C'est une erreur, messieurs ; des arguments brutaux, quoique polis, des chiffres vont vous démontrer que rien n'est plus faux que l'appréciation faite par l'honorable M. de Theux dans la séance d'hier. (Interruption.)

Vous avez parlé du chiffre du contingent militaire ; laissez-moi parler des chiffres du contingent électoral. Je crois que j'ai le droit, à l'occasion de n'importe quelle loi, de dire pourquoi je ne vote pas avec le ministère, à propos de la loi du contingent comme à propos du budget des voies et moyens. J'ai le droit d'exprimer mon opinion, surtout quand, en sortant des limites strictes du débat, je né fais que suivre les exemples, exemples très respectables qui m'ont été donnés par d'anciens membres de cette Chambre.

La ville de Bruxelles et ses faubourgs, c'est-à-dire la partie urbaine de l'arrondissement de Bruxelles a donné à l'honorable candidat que soutenaient les journaux ministériels, dans les seize bureaux où elle vote, 1,535 suffrages et à son concurrent 2,048, de sorte que j'ai bien le droit de dire que, dans cette ville de Bruxelles et dans ses faubourgs, malgré l'abstention déplorable de l'immense majorité des électeurs, la majorité est restée acquise au candidat libéral. J'ai le droit, dès lors, de dire qu'il n'est pas vrai que la ville de Bruxelles et ses faubourgs approuvent, en quoi que ce soit, malgré les circonstances défavorables où l'épreuve s'est passée, la politique que j'appellerai ministérielle, pour ne froisser aucune susceptibilité.

Si je prends les chiffres des huit bureaux dans lesquels votent les électeurs ruraux, j'arrive à des résultats tout opposés. A la différence des seize bureaux dont je viens de résumer les votes, ces huit bureaux ont donné 1,906 voix à M. le comte de Mérode et seulement 588 voix à son concurrent. Ce sont donc les villages des environs de Bruxelles qui approuvent la politique ministérielle. Je ne l'ai jamais contesté ; personne ne l'a jamais contesté ; c'est notre grand tort à nous, libéraux bruxellois, d'avoir négligé cet élément rural et je vous promets qu'à l'avenir nous nous arrangerons de façon à y introduire le poison des doctrines libérales autant qu'il sera en notre pouvoir.

J'ai parlé tantôt de l'intensité inouïe jusqu'ici à laquelle avait atteint l'abstention qui est malheureusement dans l'habitude des électeurs bruxellois, surtout lorsqu'il s'agit d'une élection partielle. Cette abstention, ne l'oubliez pas, n'a affecté en rien la partie du corps électoral de l'arrondissement de Bruxelles qui donne son approbation et ses votes à la politique ministérielle. Ce qui le prouve, c'est que le plus grand chiffre de suffrages qu'un candidat catholique ait jamais obtenu dans notre arrondissement, le chiffre de 3,594 suffrages atteint par M. le général Capiaumont, il y a quatre mois, a été atteint, à 150 voix près, par M. le comte de Mérode. A côté des 3,594 suffrages obtenus par M. le général Capiaumont au mois d'août, l'honorable M. de Mérode a obtenu avant-hier 3,441 suffrages ; et il suffit de comparer les chiffres des votes dans les divers bureaux tels qu'ils existaient au mois d'août et tels qu'ils existaient mardi, pour se convaincre que pas un électeur ministériel n'a manqué avant-hier à son devoir et que les abstentions sont venues uniquement de l'élément libéral.

Cet élément, au mois d'août, donnait à notre honorable collègue, M. Bergé ; 4,999 suffrages, alors que ce même élément libéral n'a donné avant-hier à M. Maskens que 2,636 suffrages,

A quoi faut-il attribuer cette abstention ? A des causes multiples et variées que je n'examinerai pas en ce moment. Il y a là des questions de ménage qu'il n'est pas convenable de soulever ici. Ce sont des affaires qui nous regardent, nous, libéraux, et nous parviendrons à les arranger, soyez-en (page 352) sûrs, de manière que vous ne puissiez plus profiter à l'avenir de nos divisions.

Mais il y a un élément primordial dans les causes de cette abstention ; c'est l'extrême confiance des électeurs libéraux bruxellois dans leur toute-puissance. C'est un abus, je ne dirai pas séculaire, mais invétéré chez nos électeurs, de croire qu'ils sont invincibles. Ceux qui ont dirigé, à diverses époques, chez nous, la politique libérale leur ont répété à satiété qu'ils ne devaient pas s'endormir et qu'un jour cette petite minorité cléricale, ministérielle aujourd'hui, bien disciplinée et bien obéissante, leur jouerait le tour de leur enlever subrepticement, par accident, la majorité qu'ils savent leur être acquise.

Ils n'ont jamais voulu croire à cette prédiction. La leçon d'avant-hier leur apprendra à en tenir compte à l'avenir, et ils sont trop intelligents et trop fidèles à leurs principes pour négliger encore l'avis.

C'est donc principalement à un excès de confiance dans ses forces qu'il faut attribuer la défaite apparente du libéralisme à Bruxelles, avant-hier, et non point, comme le croyait, ou plutôt comme feignait de le croire l'honorable M. de Theux - car je le sais trop intelligent et trop expérimenté pour s'être trompé sur ce point - à une approbation donnée par la capitale de la Belgique à la politique ministérielle.

Je tenais à honneur pour mon arrondissement, pour la majorité libérale qui y est incontestable et dont je suis un des mandataires, de rétablir la vérité des faits.

Il ne faut pas que le pays, qui ne connaît pas les circonstances locales et qui ne fait point, comme nous, des études statistiques et historiques sur les événements électoraux à Bruxelles, soit trompé par l'affirmation imprudente d'un des chefs du parti actuellement au pouvoir.

J'affirme de plus que le candidat victorieux avait fort bien senti lui-même qu'il était de première nécessité, dans notre collège, de se laver du moindre soupçon d'une adhésion aux doctrines dominantes de votre parti, pour avoir quelque chance de réussite et ne pas trop attirer l'attention du lion qui dormait.

Un de vos organes, celui qui représente le plus fidèlement les doctrines que vous voudriez voir appliquer en politique et en religion, l'ayant revendiqué comme un des siens, il a cru devoir renier les opinions politiques et la polémique indigné de ce journal.

J'espère, pour l'honneur de M. le comte Louis de Mérode, que cette attitude, cette affirmation de principes n'était point semblable à celle de l'honorable ministre de la justice affectée devant les électeurs de Verviers, sur la question militaire, lors des élections du à juin.

Je dis plus, je suis convaincu que le comte Louis de Mérode n'a point eu recours à une manœuvre électorale, mais qu'en reniant, comme il l'a fait, le Bien public et ses doctrines, il était sourd au cri de son intérêt et n'obéissait qu'à celui de sa conscience.

M. Vander Donckt. - J'ai demandé la parole pour motiver, en peu de mots, le vote que je suis appelé à émettre.

Depuis que je suis à la Chambre, je n'ai jamais voté le budget de la guerre. J'ai voté successivement contre les fortifications d'Anvers, contre la grande et la petite enceinte et contre l'organisation de l'armée, enfin, j'ai voté constamment contre tous les subsides qui ont été alloués au département de la guerre parce que je les trouvais exagérés.

Mais, en présence des événements qui se passent en ce moment dans un pays voisin, j'ai cru qu'il ne convenait pas, au moment du danger, de priver le gouvernement des moyens de défense légitime de notre territoire ; j'ai cru ne pas pouvoir lui refuser mon concours pour le moment dans l'intérêt de la défense de notre patrie.

Mais je le déclare franchement, quand la paix sera rétablie, quand le danger sera passé, je me propose d'insister de nouveau pour obtenir des réductions considérables dans nos dépenses militaires et si, pour ce moment, le gouvernement n'a pas avisé, je lui refuserai des subsides pour le département de la guerre jusqu'à ce que j'aurai atteint mon but avec mes honorables collègues, à savoir la réduction des dépenses militaires que nous demandons.

J'ai voté, autrefois, avec les honorables présidents de la Chambre, MM. Delfosse et Vandenpeereboom, qui n'ont jamais, dans leur longue carrière parlementaire, voté un budget de la guerre, parce que nous croyions que les dépenses militaires étaient exagérées et hors de proportion avec les ressources du pays.

Je persiste dans cette opinion et si j'accorde aujourd'hui ce que le gouvernement nous demande dans un moment d'agitation et de troubles, je ne le lui accorde que pour cette fois et avec l'intention bien arrêtée de le lui refuser dans l'avenir si l'organisation militaire n'est pas profondément modifiée. Mais ce n'est pas à l'occasion du contingent de l'armée qu'on peut modifier cette organisation. Les mesures que l'on propose aujourd'hui seraient des mesures anarchiques ; elles conduiraient à la destruction de l'armée et ce n'est pas ce que je veux ; je crois que ce n'est pas le, moment de les appuyer.

Je voterai donc le projet de loi.

M. de Baets. - Je n'avais pas l'intention de prendre part à la discussion, je venais purement et simplement voter conte le projet. Mais, en présence des observations qui se produisent sur les bancs de l'extrême gauche, j'ai le droit et le devoir de dire pourquoi je voterai contre.

Je voterai contre parce que j'ai toujours voté contre, parce que je trouve que les charges militaires sont exagérées et qu'il y a des modifications à apporter à notre organisation militaire ; mais j'ai le devoir surtout de répéter à la Chambre une fois de plus, avec la réserve de le lui dire une deuxième et une troisième fois que lorsque nous votons, nous ne votons pas précisément comme n'étant que les représentants des « charrues qui croient en Dieu. »

Quoi ! vous députés de Bruxelles, vous êtes le soleil radieux, vous répandez vos flots de lumière autour de vous et répandez surtout les dépenses du budget, et vous dites à nous, députés des Flandres : Vous n'êtes que les représentants des manouvriers et des valets de ferme.

Eh bien, je proteste, et je proteste énergiquement, car votre tactique parlementaire, votre système électoral a conduit à exclure du poll, à mettre à la porte du scrutin les hommes indépendants et intelligents et à descendre jusqu'à des éléments crapuleux. (Interruption.) Si le mot « crapuleux » vous effarouche, je le retire tout de suite.

Les électeurs de Bruxelles ont été effarouchés, dites-vous, parce qu'un journal aurait parlé de farocratie. (Interruption.) Contesterez-vous le sens de l'élection de M. de Mérode qui vient achever votre défaite ?

On a dirigé des insinuations contre l'honorable M. de Theux qui a parlé hier ; l'honorable membre aurait feint de croire telle chose ou telle autre chose.

Je suis sûr que ces insinuations lui échapperont par dessus la tête comme la neige et la pluie s'écoulent sur un toit en zinc.

L'honorable comte de Theux est l'incarnation de la sincérité et de la probité politique. Il dit tout haut ce qu'il pense tout bas.

A propos du contingent de l'armée, on parle de tout, surtout de tout ce qui y est complètement étranger. On a parlé du Bien public, des cléricaux, des libéraux, des doctrinaires. Pour moi, je ne suis pas partisan des doctrines politiques du Bien public ; tout le monde le sait. (Interruption.)

Il y a bien des choses que vous ne savez pas. (Nouvelle interruption.)

Je déclare à l'honorable M. Bara que s'il m'attaque, je me défendrai unguibus et rostro, ce qui est traduit en flamand par un ami de l'honorable M. Bara : met handen en tanden.

A propos de tout, à propos de rien, on introduit les questions cléricales. Nous sommes à cet égard tout à l'aise. Nous n'arrivons pas ici avec un mandat impératif. Cela est tellement vrai que, sur toutes les questions d'intérêt matériel, les députés de Gand conservent leur liberté individuelle et absolue d'appréciation ; ils ne discutent pas avant d'arriver ici quel vote ils devront émettre ; ils ne sont pas ce que vous étiez, à l'état de majorité, il y a quelques mois ; ils ne présentent pas ce triste spectacle qui consiste à aller dans l'antichambre, dire à des adversaires : « Aidez-nous donc à renverser ce ministère », et à rentrer ensuite dans la salle pour voter en faveur du même ministère, leur élection future pouvant être compromise s'ils osaient ruer dans les rangs.

Nous répudions un pareil rôle. Nous nous permettrons de voter blanc, quand l'un ou l'autre de nos honorables collègues votera noir ; et nous n'irons pas dans les antichambres des ministres pour leur demander s'il faut voter blanc ou noir. Nous voterons comme nous l'entendrons.

M. Bouvier. - Vous irez chez les évêques.

M. de Baets. - Malgré tous les efforts que vous avez faits, malgré toute votre persistance à interrompre, M. Bouvier, vous êtes arrivés à ce résultat, que 4 ou 5 voix déplacées, nous n'aurions plus eu le plaisir d'être interrompu par vous.

Pourquoi ? Parce que toujours, dans toutes les circonstances, quand même, malgré tout, vous votiez doctrinairement, vous avez failli, permettez-moi l'expression, de faire un plongeon.

Il s'en est fallu de bien peu de chose.

Nous députés de Gand, nous arrivons ici unis par un seul lien. Nous réclamons pour nous la liberté absolue, la liberté religieuse avant tout.

Nous ne demandons ni pour les évêques, ni pour les cardinaux, aucun privilège, aucune faveur quelconque, mais nous ne voulons pas non plus (page 353) d'un système d'attaques, de tracasseries, de taquineries, érigé dans des conditions telles, qu'on aurait fini par rendre la mission sociale et religieuse des prêtres impossible. (Interruption.)

Oh ! nous ne sommes ici que les représentants des paysans des Flandres ! Mon Dieu, vous excluez, je l'ai déjà dit, dans la partie rurale, vous excluez systématiquement la partie intelligente et vous admettez, et dans la partie rurale et dans la partie urbaine, les électeurs les plus inintelligents.

Je puis, à cet égard, invoquer le témoignage, mon témoignage personnel, et celui de quelques-uns de mes collègues. Je connais à Gand un brasseur intelligent, capable et qui jouit de l'estime de tout le monde. Il est électeur et savez-vous quels sont les gens qui sont électeurs avec lui ? Six de ses ouvriers qui habitent dans des caves ou de petits cabarets et qui débitent là de l'intelligence et de la bière. (Interruption.)

Est-ce là, messieurs, discuter sérieusement les intérêts du pays ? Nous ne sommes pas appelés ici, messieurs, pour faire comme les soldats à la plaine des manœuvres, pour faire l'exercice et amuser les tribunes. Nous sommes appelés ici à faire les affaires du pays. (Interruption.)

Oh ! je le sais bien, vous allez sur une corde roide et le balancier vous manquant, vous faites la culbute. Cela n'est pas discutable.

Maintenant...

M. Bouvier. - Et le contingent.

M. Coomans. - Ils veulent en revenir au contingent.

M. de Baets. - Est-ce moi qui ai provoqué la discussion clérico-libérale ? Je me réserve de discuter, lorsque le moment sera venu, les actes du ministère passé et du ministère présent, car je ne ferai pas comme on faisait sur les bancs de la gauche ; je ne ferai pas une collection de billets blancs à jeter dans l'urne, sans examen et sans discussion. (Interruption.)

Lorsque votre chef de file avait décidé, il n'y avait plus d'appel, pas même de cassation.

Nous avons cassé tout cela nous. (Interruption.) Cela ne vous plaît pas, je le comprends parfaitement, mais ce n'est pas pour le plaisir de casser ni pour le plaisir d'être ici que nous avons cassé, mais parce que nous avons cru que, dans l'intérêt même de la nation, nous devions ramener le pays à ses véritables traditions nationales, ne plus faire ni de clérical ni de libéral et supprimer le doctrinarisme qui ne vivait que du clérico-libéral.

Oui, je serai toujours le soldat de la liberté. Mais laissez-nous donc, en définitive, vous démocrates, vous membres de la gauche avancée, demander pour nous ce que nous laissons aux autres. Laissez-nous la liberté. Discutez-nous, combattez-nous, mais laissez-nous la liberté que nous vous laissons, et du moment que le cabinet actuel porterait, par un coup de majorité, une atteinte aux prérogatives de la gauche, eh bien, je vous jure que je serai le premier à me mettre avec vous pour faire le coup de feu contre le ministère. Mais cessez de nous provoquer et de nous agacer.

Quoique nous connaissions personnellement un grand nombre de nos électeurs, nous n'allons pas solliciter leurs suffrages.

Il ne se fait pas dans les Flandres ce qui se fait dans d'autres provinces. Il ne se fait pas que nos représentants insèrent dans les journaux qu'il leur est impossible d'acquérir encore un siège à la Chambre, parce que cela coûte trop cher.

Il ne se fait pas dans les Flandres ce qu'indiquait une spirituelle caricature sous Louis-Philippe, la dépense avant et la dépense après.

Au moment opportun, je saurai faire justice d'autres observations.

Les Flamands, dit-on, sont en général moins bien partagés que les autres sous le rapport de l'instruction. Je demanderai au gouvernement la statistique de l'instruction et je prouverai par des pièces authentiques que, dans des districts essentiellement agricoles, les miliciens qui doivent prendre les armes sont instruits, tandis que ceux qui sortent de votre capitale ne le sont pas.

M. Balisaux. - Qu'il me soit permis, messieurs, après les éloquentes paroles que vous venez d'entendre sur les contingents électoraux, de revenir à la véritable question et de vous dire quelques mots sur le contingent militaire.

Je prends la parole pour expliquer, motiver et justifier, à mon point de vue du moins, le vote défavorable que je donnerai au projet du gouvernement sur le contingent de l'armée pour l'année 1871.

Partisan convaincu d'une réduction notable des dépenses militaires, dans un pays essentiellement neutre comme le nôtre, dépenses que je puis, jusqu'à certain point, qualifier d'improductive pour le bien-être moral et matériel de nos populations, j'ai néanmoins, dans la session extraordinaire du mois d'août dernier, donné des votes favorables à presque tous les projets de lois qui nous ont été présentés par le gouvernement, pour établir l'armée sur le pied de guerre et pour la mettre ainsi à même, sinon de défendre avec efficacité l'inviolabilité de notre territoire, au moins d'affirmer d'une manière solennelle que la Belgique était prête à défendre sa nationalité, son indépendance et cette neutralité qui est un de ses plus beaux apanages.

Mais, messieurs, ces votes favorables que j'ai donnés aux projets de lois du gouvernement n'ont trouvé leur excuse et leur justification, dans ma conscience, que par la situation exceptionnelle, accidentelle, dans laquelle se trouvait la Belgique par suite des tristes événements extérieurs que nous déplorons tous amèrement.

Aujourd'hui, messieurs, la question n'est pas la même. Il s'agit ici de voter un contingent militaire fixant annuellement à 12,000 hommes l'emprise faite dans nos populations pour ce service public de première importance.

Je n'examinerai pas, messieurs, la question de savoir si le régime actuellement en vigueur, pour le recrutement de l'armée, est juste et équitable, s'il est en harmonie avec les principes d'équité et d'égalité qui doivent toujours nous servir de guide lorsque nous procédons à la confection des lois.

C'est une question grave, messieurs ; qui a été soulevée dans cette Chambre par plusieurs de mes honorables collègues et qui vient d'être traitée et discutée avec éloquence par l'honorable M. Defuisseaux.

Mon opinion sur cette question n'est point encore faite. Je ne l'ai point encore examinée d'une manière assez sérieuse, assez approfondie pour oser me prononcer.

Je veux bien admettre, tout gratuitement et sans rien préjuger, que le régime actuellement en vigueur est bon, que la conscription doit être maintenue dans nos lois et que nous devons, en conséquence, fixer, pour nous conformer à ses prescriptions, un contingent militaire annuel.

Je n'ai donc pris la parole que pour contester le chiffre de ce contingent qui vous est proposé par M. le ministre de la guerre et qui est de 12,000 hommes.

Peut-être, comme je crois connaître les intentions de l'honorable ministre, nous présentera-t-il, pour 1872, un projet de contingent militaire de 14,000 hommes, car je crois me souvenir qu'il a indiqué dans un de ses écrits ce chiffre comme absolument nécessaire.

Ce contingent de 12,000 hommes par année constitue, messieurs, une armée sur le pied de guerre de 120,000 hommes, lorsque toutes les classes sont rappelées.

La Belgique est un pays neutre par excellence. cette neutralité est même la base de son existence. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire nos traités de 1831 et de 1839.

Nous sommes heureusement condamnés à respecter et à maintenir cette neutralité, c'est-à-dire que les puissances garantes de notre nationalité, de notre indépendance, exigent de nous une neutralité complète et absolue.

Nous avons à cet égard, messieurs, des garanties suffisantes si le droit et la justice ont encore quelque valeur en ce monde.

Nous avons les traités précités de 1831 et de 1839 et, dernièrement encore, un traité intervenu à Londres, entre les trois grandes puissances intéressées surtout au maintien de notre indépendance et de notre nationalité, l'Angleterre, la France et la Prusse, est venu donner à cette neutralité une consécration nouvelle.

La Belgique, messieurs, ne peut donc être attaquée par personne, pas plus qu'elle n'a elle-même le droit de déclarer la guerre à aucune autre puissance.

Doit-on, dans un pays essentiellement neutre, avoir une armée relativement supérieure à celles des plus grands Etats militaires du monde ?

La Belgique a une population d'environ cinq millions d'âmes et cette population fournit une armée régulière, une armée de véritables soldats, de 120,000 hommes, car je n'entends pas par soldats les hommes des landwehr, des landsturm, des gardes nationales et mobiles ; eh bien, si 5,000,000 d'habitants fournissent une armée de 120,000 hommes, quelles armées régulières et permanentes devraient avoir les grandes puissances, telles que la Confédération du Nord et la France ? Quel est l'effectif des armées de ces puissances ? En France, l'effectif n'est que de 650,000 hommes, et dans la Confédération du Nord, de 600,000 hommes, au plus.

Or, relativement au chiffre de leurs populations comparé au nôtre, leurs armées devraient pour chacune d'elles atteindre un million de soldats.

Quelle a été notre situation dans ces derniers mois, à l'époque où l'armée de Mac-Mahon se trouvait acculée à la frontière belge ? Nous pouvions alors (page 354) être envahis par 200,000 Français et Prussiens, et l'armée belge à nos frontières du Midi et de l'Est n'était que de 30,000 hommes environ. Elle suffit cependant pour faire respecter notre neutralité et l'inviolabilité de notre territoire.

M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - 50,000 hommes.

M. Balisauxù. - Et cette armée de 30,000 hommes laissait encore à désirer parce que les cadres d'officiers et sous-officiers n'étaient pas complets, parce que nous avions un service d'intendance défectueux.

Je puis donc, en présence de ces faits, affirmer qu'une armée de 50,000 à 60,000 hommes serait suffisante en Belgique pour l'accomplissement de la mission qui peut lui être confiée, mais je voudrais des cadres d'officiers et de sous-officiers toujours complets, même en temps de paix, un service d'intendance régulier, et les officiers inférieurs mieux rétribués qu'ils ne le sont, de manière à les attacher davantage à la carrière militaire.

Je soutiens même que 10,000 hommes eussent suffi pour remplir la tâche imposée à notre armée dans ces moments pénibles.

Nous ne pouvions avoir la prétention de défendre notre territoire contre une invasion de soldats français et prussiens de 200,000 à 300,000 hommes peut-être. Tout ce que nous pouvions faire, c'était de protester contre cette violation et de nous retirer. La prudence et l'humanité nous ordonnaient cette ligne de conduite.

10,000 hommes suffisaient, dis-je, pour recueillir, désarmer et interner quelques milliers de pauvres soldats qui, échappant au massacre, étaient heureux d'être arrêtés, désarmés et internés dans un pays aussi hospitalier que le nôtre.

On nous dit : « Vous êtes bien un pays neutre ; mais votre neutralité vous impose des devoirs. » C'est vrai, mais je suppose que nous constituons aussi un pays libre et indépendant ; je suppose que nous avons le droit d'administrer nous-mêmes nos affaires et nos propres intérêts et que ce n'est pas de l'extérieur que peut nous venir l'ordre d'avoir une armée de 120,000 hommes relativement supérieure à celles des grandes puissances qui pourraient avoir la prétention de nous donner des ordres.

Si nous constituons une nation indépendante et libre, il nous appartient de juger ce que nous avons à faire pour maintenir notre neutralité et assurer notre indépendance.

Eh bien, avez-vous jamais senti la nécessité d'avoir une armée de 120,000 hommes pour affermir notre existence et notre indépendance et pour maintenir notre neutralité ? Soutenir le contraire serait se mettre en contradiction flagrante avec la réalité des faits.

Je vais vous poser un dilemme.

De deux choses, l'une : notre neutralité, notre nationalité et notre indépendance reposant sur des traités signés par les grandes puissances de l'Europe, si le droit et la justice président encore aux relations internationales, nous devons être complètement rassurés et une armée de 60,000 hommes suffira toujours pour le maintien de l'ordre à l'intérieur du pays.

Si le droit et la justice ont disparu pour faire place à la force, alors une armée même de 120,000 hommes est insuffisante. Si nous devons retourner aux temps de barbarie où il n'y a plus ni droit, ni justice, alors il ne nous reste plus qu'une seule chose à faire : c'est de nous armer tous et de nous préparer à défendre tous les jours nos familles et nos foyers.

M. Van Hoorde. - Puisque la plupart des opposants expliquent leur vote, je vous demanderai la permission de dire deux mots pour motiver le mien, qui, contrairement à mes votes antérieurs, sera affirmatif.

J'adopterai, cette année, le projet de loi, parce que je suis d'avis, comme l'honorable ministre de la justice, comme la section centrale et un grand nombre d'autres membres de la Chambre, qu'il est impossible de modifier actuellement, en quoi que ce soit, notre organisation militaire.

Les événements extérieurs qui, à mes yeux, n'ont rien perdu de leur gravité, nous placent dans la nécessité absolue de ne rien remettre en question, d'être continuellement prêts, chaque jour et à tout instant, à repousser toute atteinte qui pourrait être dirigée contre notre neutralité et l'intégrité de notre territoire.

De même que, si j'habitais une maison entourée de personnes dont je devrais me défier, je ne songerais pas à l'abandonner pour aller au loin, et malgré les obstacles signalés sur la route, échanger, contre une arme que je croirais meilleure et d'un usage moins dispendieux, l'arme que j'aurais entre les mains pour me défendre, de même je ne saurais penser maintenant à ébranler un état militaire dont je ne suis pas partisan, mais que mon patriotisme m'oblige à maintenir intact dans les circonstances où nous nous trouvons.

Et si je n'en suis pas partisan, je tiens à le déclarer, ce n'est pas parce que je le trouve injuste. Quand j'ai repoussé ici son principe, qui est la conscription, ce n'est point parce que je partageais les idées qui viennent d'être développées, et dont la conclusion nécessaire est de faire passer sur toute la société le niveau égalitaire. Je le dis franchement, afin de ne pas avoir une popularité que je ne mérite pas.

Je l'ai repoussé parce que je faisais également, à l'organisation qu'on allait lui donner, les deux autres reproches qui viennent de lui être adressés. Je la trouvais trop coûteuse et trop peu efficace. Trop coûteuse c'est-à-dire hors de proportion avec les ressources du pays. Inefficace eu ce sens qu'elle ne répond pas à toutes les nécessités de la défense nationale. A cet égard, les dernières guerres sont une expérience décisive : elles nous ont donné cent fois raison.

J'ai voulu, messieurs, produire ces explications, à la fois pour écarter de moi ces reproches d'inconséquence et de palinodie dont on a été bien prodigue dans cette discussion, et pour conserver toute ma liberté dans l'avenir.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, j'ai demandé la parole après le discours de l'honorable M. de Baets, espérant pouvoir y répondre immédiatement. Je n'entends pas, messieurs, entreprendre la réfutation de ce discours.

L'honorable M. de Baets a quelquefois donné dans cette enceinte des preuves de tact et de talent. Lorsqu'on a de telles qualités, on doit tenir à honneur de les montrer toujours. Aussi suis-je convaincu que s'il était en mon pouvoir d'infliger une condamnation à l'honorable membre, la plus sévère que je pourrais prononcer serait de le condamner à relire, dans quelques jours, lorsque la passion et la colère qui l'inspiraient se seront dissipées, le discours qu'il a prononcé aujourd'hui.

Je ne puis cependant laisser passer sans protester les expressions dont M. de Baets s'est servi. Lorsqu'on a l'honneur de représenter le corps électoral le plus important du pays, on ne peut pas laisser dire que, dans ce corps électoral, on a laissé entrer tout ce qu'il y a de plus crapuleux.. (Interruption.)

M. le président. - L'expression a été retirée.

- Voix nombreuses à gauche. -Nous ne l'avons pas entendu.

M. Van Humbeeck. - Je ne l'ai pas entendu non plus.

M. le président. - L'expression a été retirée immédiatement ; je vous l'affirme.

M. Van Humbeeck. - M. le président m'affirme que l'expression a été retirée, je dois le croire ; je ferai cependant observer que M. de Baets n'a pas craint de l'apporter dans cette Chambre et qu'il est venu dire également, à la suite d'un journal appartenant à l'opinion cléricale, que le libéralisme bruxellois n'était pas autre chose qu'une « furocratie ».

Eh bien, c'est là encore, messieurs, une expression qui doit faire, de notre part l'objet des plus vives protestations.

Il ne doit jamais être permis de qualifier injurieusement le corps électoral ; que ce soit celui qui nous a élus ou celui qui a élu un adversaire politique, nous devons toujours être pleins de respect pour les organes de l'opinion populaire. Et il devrait être bien moins permis aux députés de Gand qu'à tous autres de se servir de pareilles qualifications, car ils devraient se souvenir de l'intervention, très active dans leur élection, des distillateurs et marchands de genièvre de leur arrondissement. Ils devraient se souvenir que cette élection a été en grande partie une protestation, que je ne veux pas qualifier, contre une loi accueillie avec sympathie par la Chambre à peu près tout entière et certainement favorable à la fois à l'hygiène et à la moralité publique.

M. de Baets (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne suis nullement embarrassé de répondre à la philippique de l'honorable M. Van Humbeeck. Lorsque j'ai pris la parole sous une émotion qui se légitime parfaitement... (Interruption.)

Croyez-vous par hasard que vos ricanements sont des raisons ? Ricanez tant qu'il vous plaira ; je parlerai après vos ricanements.

Lorsque, dis-je, tout à l'heure j'ai pris la parole sous une émotion qui se légitime parfaitement bien par le système d'attaques que vous dirigez toujours et quand même contre vos adversaires, je n'ai pas eu le temps de peser ni de mesurer mes paroles, et lorsque je suis descendu, en suivant l'échelle des termes que j'ai vu employer ici, jusqu'au mot « crapuleux » - c'était un degré au-dessus des valets de ferme et des manouvriers - je n'avais certes pas l'intention d'attaquer le petit électeur, l'électeur honnête, parce que je tiens de trop près à la petite bourgeoisie, pour ne pas me souvenir toujours et de mon origine et des devoirs qu'elle m'impose.

Mais quand j'ai dit que vous étiez descendus avec votre système électoral (page 355) jusqu'à englober, dans l'armée des électeurs, même la crapule, j'ai dit vrai. On a protesté contre le mot, je l'ai retiré immédiatement.

L'honorable M. Van Humbeeck me fait une seconde observation. Il me dit : Vous nous avez reproché d'être les représentants de la « farocratie. »

J'aime à croire que l'honorable M. Van Humbeeck ne m'a pas entendu, qu'il était absent, ou tout au moins qu'il n'a pas écouté. J'ai dit ceci : que lorsque le journal que l'on attaquait et que je ne suis pas obligé de défendre, ne fût-ce que par le simple motif que j'ai été souvent attaqué par lui, que lorsque ce journal avait parlé de « farocratie », il n'y avait ni dans l'esprit ni dans l'article du journal aucun blâme contre le corps électoral de Bruxelles, et que si l'honorable comte de Mérode avait lu à tête reposée l'article, il n'aurait certainement pas écrit la lettre qu'il a adressée au Bien public.

Oh ! je comprends la tactique, vous voulez faire croire que nous sommes tous enrôlés sous le drapeau du Bien public. Quant aux convictions religieuses, je n'ai pas à les discuter, cela ne vous regarde pas.

Si je suis catholique croyant et pratiquant, cela ne vous regarde pas. Dans cette enceinte, je ne dois compte et je ne demande compte à aucun de mes collègues des actes de sa vie privée. Nous sommes ici pour exécuter la Constitution et les lois. Je n'apparais ici ni à l'ombre du drapeau du Bien public ni à l'ombre du drapeau d'aucun journal, ce qui fait la différence entre nous et vous.

Vous avez vous-même arboré un drapeau et ce drapeau est significatif.

Vous avez fondé et soutenu un journal que vous appelez l'Echo du Parlement, et qui était surtout l'écho du ministère.

Ne parlez donc pas du Bien public, car nous avons cet avantage, nous, députés de Gand, c'est de pouvoir être attaqués par tout le monde, parce que nous osons dire à tout le monde son fait.

M. de Clercq. - Je me rallie complètement aux observations que l'honorable M. Van Hoorde a fait valoir pour motiver son vote.

Je déclare franchement que s'il s'agissait de voter une première fois le contingent de l'armée à 12,000 hommes, je ne pourrais le faire, mais cette situation nous a été léguée par l'ancien cabinet.

Dans les circonstances où nous nous trouvons, je crois qu'il serait impolitique de ne pas voter le contingent.

Il ne faut pas donner aux puissances belligérantes et garantes de notre neutralité, raison ou prétexte de nous envahir, ni à d'autres puissances, également garantes de cette neutralité, de motif plus ou moins fondé de ne pas venir nous défendre contre une invasion.

M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - Messieurs, j'ai promis à la Chambre, lors du vote des crédits extraordinaires, qu'après les événements, j'aurais l'honneur de déposer sur le bureau un travail dans lequel je rendrais compte de la manière dont aurait fonctionné l'organisation qui résulte de la loi en vigueur.

Il me semble qu'il y a lieu d'ajourner jusqu'au dépôt de ce rapport les débats sur le mode de recrutement et d'organisation de l'armée.

Il est cependant quelques faits avancés, entre autres, par l'honorable M. Balisaux, que je crois devoir rectifier parce qu'ils ne sont pas exacts.

L'honorable membre a annoncé qu'il votera contre le projet de loi parce qu'il trouve qu'un contingent de 12,000 hommes est trop élevé eu égard à la population du pays et qu'il constitue une charge trop lourde. Sous ce rapport, messieurs, l'honorable M. Balisaux est mal renseigné.

Je déclare de la manière la plus formelle que la Belgique est de tous les pays de l'Europe, y compris la Suisse, celui où le rapport entre le nombre de soldats et la population est le moins élevé.

On ne lève, chez nous, qu'un soldat sur 413 habitants.

De plus, la Belgique est le seul pays où l'on rémunère le service de la milice. Cette rémunération diminue singulièrement, me semble-t-il, la charge du service militaire.

D'un autre côté, l'honorable M. Balisaux, se basant sur le contingent de 12,000 hommes par an, a parlé d'une armée fantastique de 120,000 hommes que je n'ai jamais connue ; nos lois d'organisation ne comportent qu'une armée de 100,000 à hommes. (Interruption.)

On avait espéré, dans le temps, qu'avec un contingent de 12,000 hommes on pourrait peut-être obtenir un effectif de 100,000 hommes. Eh bien, messieurs, savez-vous ce que j'ai pu réaliser, malgré l'excessive sévérité que j'ai mise dans le rappel des miliciens de toutes les classes ? 83,000 hommes ! (Interruption.)

Je parle delà situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Nous n'avons pu disposer jusqu'ici que de deux contingents de 12,000 hommes ; lorsque nous aurons dix contingents de cette force, la situation s'améliorera ; mais, eu égard aux pertes et aux déchets, nous n'atteindrons jamais le chiffre de 100,000 hommes.

M. Bouvier. - Il faut parler de l'organisation.

M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - Je parle de l'organisation.

Mon devoir est d'exécuter la loi que vous avez votée. Eh bien, si j'avais voulu porter l'effectif à 100,000 hommes, comme l'exige la loi, j'aurais dû demander un contingent extraordinaire de 20,000 hommes environ, parce que le contingent de 12,000 hommes ne nous fournira pas, avec le temps, les 100,000 hommes sur lesquels nous croyons pouvoir compter.

M. Balisaux vous a dit aussi que la neutralité garantie à la Belgique devait lui donner toute sécurité et que 10,000 hommes auraient suffi pour conjurer les malheurs qui menaçaient la Belgique.

Permettez-moi à ce sujet une réflexion : Le 15 juillet, S. M. l'empereur des Français et S. M. le roi de Prusse ont demandé à la Belgique si elle voulait et si elle pouvait défendre sa neutralité. Le gouvernement a répondu que le pays voulait et qu'il pouvait défendre sa neutralité.

L'armée a été réunie ; vous savez comment elle s'est acquittée de sa mission ; le gouvernement de la Prusse et le gouvernement de la France se sont déclarés satisfaits des mesures prises par la Belgique ; notre territoire a été respecté par tout le monde et je crois pouvoir dire que nous avons accompli notre tâche aux applaudissements de l'Europe.

Si le 15 juillet lorsque l'empereur des Français et le roi de Prusse ont fait au gouvernement belge la demande dont je vous parlais tout à l'heure, il y avait eu pour ministres MM. Balisaux, David, Coomans et quelques autres honorables membres qui partagent leurs opinions en fait de défense nationale, je voudrais bien savoir ce qu'ils auraient répondu ? Ces messieurs ne vous l'ont pas dit. Mais si je me rappelle bien certains discours qui ont été prononcés précédemment, je crois qu'ils se seraient exprimés ainsi : Défendre notre neutralité ? Cela ne nous regarde pas ; les puissances européennes nous l'ont garantie, c'est à elles à y pourvoir. Quant à nous, nous attendons nos amis pour se battre à notre place.

Or, il est évident que la France ou la Prusse aurait pris le gouvernement au mot. L'une de ces deux puissances, celle qui eût été la première en marche, lui aurait dit : Eh bien, je vais sauvegarder votre neutralité ! et elle nous aurait envoyé 80,000 ou 100,000 hommes qui seraient très probablement encore dans le pays.

- Une voix. - Et qui y resteraient.

M. le général Guillaume, ministre de la guerre. - Et qui y resteraient.

M. Coomans vous dira que tout le pays se lèverait en masse pour repousser une pareille invasion. Je le veux bien ; je suis certain que toute la nation aurait répondu avec patriotisme à l'appel qui lui eût été fait. Mais qu'y auriez-vous gagné ? Vous auriez subi les malheurs qui, en ce moment, désolent la France, le carnage, l'incendie, toutes les horreurs possibles. Ces malheurs vous les avez évités en mettant 50,000 hommes à la frontière.

Messieurs, je crois que, dans la situation actuelle, il serait souverainement imprudent de refuser au gouvernement des moyens de défense. Je dirai même que si la Belgique amoindrissait son armée en ce moment, elle commettrait une faute ; elle s'exposerait à devenir la risée de l'Europe.

M. Frère-Orban. - Messieurs, l'honorable M. de Baets, qui s'est déclaré sous l'empire d'une émotion que rien ne semblait justifier, a cru devoir emprunter aux diatribes de la presse quelques mots travestis que j'ai prononcés dans cette enceinte.

Lorsque, remis probablement de son émotion, il a répété cette expression, j'ai pensé que mon devoir était de me lever et de protester contre l'injure qu'il suppose que j'aurais faite à une classe de la population.

Un jour, dans une discussion, à propos du suffrage universel, si je ne me trompe, j'ai dit en effet qu'en appelant au suffrage les manouvriers et les valets de ferme, on verrait bientôt si l'on réussirait à composer de bonne administration dans nos communes rurales. Personne, je pense, ne s'est mépris sur le sens de mes paroles. Je marquais en deux mots la puissance du nombre. Je constatais un fait qu'il était impossible de contester : c'est qu'il y a apparemment plus de manœuvres et de garçons de ferme que de propriétaires ou de fermiers dans les campagnes ; et qu'apparemment la plupart des personnes appartenant à la première de ces classes sont moins éclairées, moins intelligentes que la partie immédiatement supérieure de la population.

Dans la presse, dans les meetings, on est souvent revenu sur cette parole en altérant manifestement ma pensée, en représentant cette (page 356) expression isolée comme une expression méprisante ou dédaigneuse adressée à une partie du pays.

Messieurs, je n'ai pas coutume de relever les attaques de ce genre ; j'y suis fait depuis longtemps. Plus d'un mot de moi a été ainsi travesti. Mais je pouvais espérer qu'ayant été déjà obligé dans cette Chambre de rétablir ma véritable pensée, comme je viens de le faire de nouveau, l'honorable M. de Baets se serait abstenu de me faire une injure que je ne mérite pas. Et comme pour l'aggraver encore, pour mieux caractériser le sens qu'il attachait aux paroles qu'il relevait, l'honorable M. de Baets vous a dit qu'il n'était pas oublieux de son origine, qu'il n'en rougissait pas.

Qu'il le sache, moi non plus je ne suis pas oublieux de mon origine, et je n'en rougis pas : J'ai honoré mon père, j'ai honoré ma mère ; je n'ai pas demandé quels étaient leurs aïeux, je suis accoutumé à respecter tous les citoyens, quelle que soit la position infime dans laquelle ils se trouvent.

Personne plus que moi n'estime l'honnête et laborieux ouvrier fidèle à son devoir, travaillant courageusement pour élever sa famille, et souvent j'ai été profondément ému, en voyant le dévouement dont il donne chaque jour des preuves. Je proteste avec indignation contre la supposition que j'aurais voulu outrager cette classe honorable de la société.

L'honorable M. de Baets croyait nécessaire à la défense de sa cause non seulement de me blesser ainsi dans mes sentiments les plus intimes, mais de faire l'éloge et de lui-même et de son parti au détriment de ses adversaires.

M. de Baets et ses amis sont libres, ils sont indépendants, mais ils ont en face d'eux des gens méprisables et serviles.

M. de Baets. - Je n'ai pas dit cela.

M. Frère-Orban. - Je répète : méprisables et serviles. N'avez-vous pas osé dire que de ces bancs étaient descendus dans l'antichambre des membres de la majorité d'autrefois demandant qu'on les aidât à renverser le ministère et qui rentraient ensuite pour venir voter en sa faveur ! Quand on ose énoncer de pareilles choses, on désigne les personnes, on cite ceux qui ont commis cette indignité, on cite ceux qui sont descendus à ce degré de lâcheté !

Quoi ! vous accuserez sans désigner personne, sans mettre personne en mesure de se défendre ! vous accuserez d'une pareille infamie en faisant la réticence des noms qui fait peser sur tous un soupçon odieux !

Oh ! vous, vous êtes libres, indépendants, vous n'allez pas prendre conseil chez les ministres, vous n'obéissez pas aux ordres et aux injonctions des ministres !

Qui vous autorise à dire que les membres de l'ancienne majorité allaient prendre conseil chez les ministres et subissaient leurs injonctions ?

Ah ! vous pouvez faire des signes de dénégation, M. de Baets, mais je déclare, et je ne serai démenti par aucun membre de cette Chambre, que pendant mon administration jamais, jamais je ne suis descendu jusqu'à exercer une pression quelconque sur un membre de la Chambre pour le déterminer à voter dans tel ou tel sens.

Jamais je n'ai même eu la pensée d'exercer cette pression individuelle ; elle aurait révolté ceux qui en auraient été l'objet. C'est dans cette Chambre, en face de la nation, que j'ai défendu mes idées, en m'adressant à la conscience et à la raison de mes amis. Leurs votes ont été libres, indépendants ; ils ont été dictés par leurs convictions ; ils ont été dictés par leur devoir et envers leur propre opinion et envers le pays.

Et quel jour choisissez-vous pour adresser ces outrages à l'ancienne majorité ? Le jour ou l'un après l'autre on voit successivement se lever un grand nombre de membres de la majorité nouvelle qui viennent déclarer qu'ils voteront aujourd'hui le contraire de ce qu'ils ont voté autrefois.

Je n'examine pas les motifs qu'ils peuvent donner ; je ne les accuse pas de subir une pression ministérielle et de voter contre leur conscience. Je suppose, et je suis tout disposé à le faire, qu'ils ont des motifs justes et raisonnables pour le faire et parmi ces motifs justes et raisonnables qu'ils pourraient alléguer, je vais en indiquer un qui serait plausible à mes yeux.

Selon moi, s'ils croyaient que le cabinet qui représente leur opinion dût être compromis par un vote hostile au projet, leur devoir serait de voter en sa faveur.

M. Coomans. - Non ! non !

M. Frère-Orban. - C'est mon opinion.

M. Coomans. - Nous ne faisons pas cela !

M. Frère-Orban. - Vous ne faites pas cela ! Je vous attends à l'œuvre. Vous êtes ici au début d'une politique ministérielle nouvelle, nous verrons successivement vos actes, nous entendrons successivement vos discours.

Déjà, il n'en est plus de même qu'autrefois ; les plus absolus protestent encore, mais timidement ; ce ne sont plus ces discours véhéments que nous entendions jadis ; on ne se lève plus avec cette indignation qui a si souvent retenti dans cette Chambre contre des actes qu'on combattait lorsqu'ils émanaient de nous, mais qu'on est obligé d'approuver lorsqu'ils émanent de nos adversaires politiques.

Certes M. de Baets n'eût pu choisir un moment plus défavorable à la thèse qu'il a défendue et qui n'était qu'un prétexte pour déverser des outrages sans motifs et sans raison sur la majorité ancienne qui a marqué son passage ici par de grandes œuvres, qui a rendu d'immenses services et qui a fait honneur au pays.

M. de Baets. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, je demande deux minutes à la Chambre. J'ai eu l'honneur de siéger sur ces bancs pendant quatre ou cinq ans. Je puis me rendre cette justice, et mes adversaires de la gauche m'ont rendu cette justice, que jamais je ne me suis livré à une attaque personnelle contre un homme, fût-il ministre ou représentant. J'ai critiqué les actes. J'en avais le droit, j'en avais le devoir.

L'honorable M. Frère s'est trouvé blessé de ce que je disais que la majorité, quand il la conduisait, marchait comme un seul homme. Mais ce fait, je n'ai pas à le justifier ; les Annales parlementaires sont là.

Vous, monsieur, ancien ministre des finances, vous me dites que jamais vous n'avez exercé une influence quelconque pour déterminer un vote. Je l'admets. Mais votre puissance était assez grande, votre talent était assez éblouissant pour déterminer la gauche... (Interruption.)

Permettez, messieurs, je ne retranche rien ; je ne justifie rien ; ... pour en être le chef de file et la faire marcher à votre commandement.

Vous connaissez votre influence, celle de vos collègues, de vos employés : personnellement, vous n'avez pas pesé sur les électeurs, mais vous n'avez pas, comme Talleyrand, donné le bon conseil : Pas de zèle.

Et cependant vous et les vôtres disiez au pays et dans cette enceinte que vous étiez irrévocablement au pouvoir comme vous vous déclariez, auparavant, imperturbablement démissionnaire. Les employés, les candidats et tout ce qui s'y rattache, avait peur et en présence de ces faits irrécusables, nous n'aurions pas même le droit de riposter ! Combien de fois ne nous a-t-on pas lancé à la tête cette accusation et c'était la thèse de 1864 et de 1861 : Vous ! indépendants ! Mais vous êtes arrivés ici sous la mitre d'un évêque, sous le calicot des fabricants. On a répété, usé cette thèse jusqu'à ce qu'un beau jour j'ai fait un petit discours dans lequel j'ai démontré que nous n'étions pas sous la mitre d'un évêque, ni sous le calicot.

On disait, on répétait que nous n'étions que les représentants des évêques ; on a ajouté : des jésuites. Ajoutez donc : les capucins ! Mais permettez-moi de répondre.

L'honorable M. Frère me somme de nommer les membres de la gauche qui désiraient tout bas la chute de son ministère, et qui le soutenaient tout haut.

Vous ne citez pas de noms propres, dit-il. Je m'en garderai bien.

Je ne ferai pas la police de la gauche. Vous avez à soigner pour votre troupeau et à en chasser les brebis galeuses.

Je ne ferai pas de dénonciations. Je laisse cela à d'autres. J'affirme que. non pas un mais plusieurs des membres de la majorité d'alors se plaignaient amèrement et je rappellerai que l'Indépendance belge disait après les élections : Il y a un soulagement universel.

Qu'est-ce que cela veut dire ?

M. David. - Messieurs, en rappelant tantôt la demande que la Prusse et la France avaient faite au gouvernement belge, l'honorable ministre de la guerre demandait ce que les honorables MM. Coomans, Balisaux et moi nous aurions répondu.

L'honorable ministre de la guerre a oublié de nous donner, à ce propos, un renseignement intéressant. Il eût dû nous indiquer le nombre d'hommes dont ces puissances considéraient la présence comme nécessaire à nos frontières, pour le maintien de notre neutralité.

Nous ne pouvons avoir la prétention, comme l'a parfaitement démontré l'honorable M. Coomans, de tenir tête, avec 100,000 ou 120,000 hommes, au sud et au nord ; à ces armées de la France et de l'Allemagne que vous appelez vous-même innombrables.

Si j'avais été au ministère, j'aurais répondu : J'ai 200,000 hommes pour couvrir mes frontières. Ces 200,000 hommes, je les aurais obtenus par l'organisation suisse qui n'appelle les citoyens sous les armes que pendant 52 jours durant leur vie.

Ne rabaissez pas le mérite de l'armée suisse, je vais vous citer un cas dans lequel elle a tenu la Prusse en échec.

(page 357) La Prusse a voulu récupérer Neuchâtel, à une époque qui n'est pas très éloignée de nous. Qu'a fait la Suisse ?

En quinze jours, elle a mis 100,000 hommes sous les armes et elle les a groupés en avant de Bâle et prés du lac de Constance.

La Suisse a négocié et Neuchâtel lui est resté complètement.

Pourquoi ne suivrions-nous pas cet exemple ?

En Suisse, il y a un corps d'officiers instruits qui reste toujours en permanence et il y a des exercices annuels qui, comme je l'ai dit, ne prennent aux citoyens que cinquante-deux jours dans-toute leur existence.

J'aurais donc pu répondre que j'avais une armée suffisante pour garantir mes frontières, ramasser les fuyards et les bandes dispersées qui pénétreraient sur le territoire du pays.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. - La section centrale a proposé l'adoption du projet de loi sans modifications.

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Le contingent de l'armée pour 1871 est fixé à cent mille (100,000) hommes. »

- Adopté.


« Art. 2. Le contingent de la levée de milice pour 1871 est fixé au maximum de douze mille (12,000) hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »

- Adopté.


« Art. 3. Le contingent est divisé en deux parties : l'une, active, de onze mille (11,000) hommes ; l'autre, de réserve, de mille (1,000) hommes, assignée à l'infanterie. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

95 membres y prennent part.

71 répondent oui.

21 répondent non.

3 s'abstiennent.

En conséquence la Chambre adopte ; le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption :

MM. Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lelièvre, Liénart, Magherman, Mascart, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Pirmez, Rogier, Schollaert, Snoy, Tack, Tesch, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Vilain XIIII, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Beeckman, Biebuyck, Bouvier, Braconier, Brasseur, Bricoult, Cornesse, Cruyt, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, De Fré, de Haerne, Delcour, De Le Haye, de Liedekerke, de Macar, Descamps, de Smet, de Theux, Dethuin, Drubbel, Dumortier, Frère-Orban, Funck, Jacobs, Jamar, Julliot, Kervyn de Lettenhove et de Naeyer.

Ont voté le rejet :

MM. Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Simonis, Thibaut. Balisaux, Bergé, Coomans, Coremans, Couvreur, Dansaert, David, de Baets, Defuisseaux, Delaet, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Vrints, Gerrits, Hagemans, Hayez et Houtart.

Se sont abstenus :

MM. d'Andrimont, Drion et Jottrand.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. d'Andrimont. - Je me suis abstenu parce que je ne suis pas partisan de la conscription ; je me suis abstenu parce que, à mon avis, - les récents événements de guerre m'en ont donné la conviction, - notre organisation militaire est appelée à subir de profondes modifications et que malheureusement, il n'est pas possible, pour le moment, de discuter une question aussi grave.

M. Drion. - Je me suis abstenu pour les motifs énoncés par l'honorable M. d'Andrimont.

M. Jottrand. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai fait connaître dans le discours que j'ai prononcé.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le président. - Je ferai observer que, suivant les usages de la Chambre, nous devons nous occuper, dans la séance de demain vendredi, de prompts rapports, à moins qu'il n'y ait une décision contraire.

Je consulte donc la Chambre à cet égard : entend-elle s'occuper demain de prompts rapports ?

- Voix nombreuses. - Non ! non !

M. le président. - Je propose alors à la Chambre de mettre en tête de l'ordre du jour de sa séance de demain la discussion du projet de loi allouant un crédit au département de la guerre, ensuite la discussion du projet de loi allouant des crédits provisoires et les autres objets portés à l'ordre du jour.

- Adopté.

Projet de loi autorisant le gouvernement à utiliser le reliquat des crédits extraordinaires du budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Kervyn de Volkaersbeke. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur le projet de loi autorisant le département de la guerre à affecter aux dépenses extraordinaires de l'armée pour l'exercice 1871, le reliquat que présentent les crédits extraordinaires alloués à ce département pour l'exercice 1870, par la loi du 30 septembre 1870.

Projet de loi prorogeant l’autorisation accordée au gouvernement de prohiber l'exportation et le transit de certaines marchandises

Rapport de la section centrale

M. de Zerezo de Tejada. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la prorogation de la loi du 7 septembre 1870, autorisant le gouvernement à prohiber l'exportation et le transit de certaines marchandises.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et les objets qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi approuvant la convention consulaire conclue avec le royaume d'Italie

Dépôt

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi portant approbation de la convention consulaire conclue avec le royaume d'Italie.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.

- La séance est levée à 5 heures.