(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)
(page 271) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Reynaert donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les secrétaires communaux de Casterlé, Thielen et Lichtaert demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré, que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »
« Même demande des secrétaires communaux du canton de Rochefort. »
M. Thibaut. - Hier des pétitions de la même nature que celles qui viennent d'être analysées ont été renvoyées à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
Je prie la Chambre de prendre la même décision quant à celles dont il s'agit en ce moment.
- Adopté.
« Le sieur des Rosières demande que la Chambre s'occupe d'urgence des intérêts des obligataires de la compagnie du Matériel de chemin de fer instituée sous le patronage du gouvernement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le comte Antoine-Charles Hennequin de Villermont, membre de la députation permanente du conseil provincial de Namur, né à Rouen (France), domicilié à Couvin, ayant obtenu la naturalisation ordinaire par la loi du 8 juillet 1849, demande la grande naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
M. Royer de Behr, retenu par une affaire urgente, demande un congé d'un jour.
- Accordé.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Liège, le 2 décembre 1870, des militaires français, qui, s'étant échappés des mains des Prussiens dont ils étaient prisonniers de guerre, sont arrivés sans armes en Belgique où on les dtlient dans des forteresses, demandent d'être expulsés du royaume et de pouvoir désigner la frontière de sortie.
Par pétition datée de Liège, le 2 décembre 1870, des blessés français, amenés sur le territoire belge et détenus, depuis leur guérison, à titre de prisonniers de guerre, demandent d'être autorisés à se rendre dans leur pays.
Par pétition datée de Liège, le 2 décembre 1870, des militaires français, amenés sur le territoire belge où ils ont déposé leurs armes, demandent de ne pas être retenus comme prisonniers de guerre et de pouvoir retourner sans armes dans leur pays.
Messieurs, la Chambre voudra bien prendre en considération le peu de temps accordé à la commission et à son rapporteur pour examiner ces pétitions et élaborer son rapport, qui doit se ressentir plus ou moins de l'empressement qu'on y a mis, je réclame donc l'indulgence de la Chambre.
Ces pétitions renferment non seulement une simple question d'étrangers résidant en Belgique, mais elle se complique par une question internationale que votre commission n'a pas cru devoir résoudre. Ces trois pétitions sont écrites de la même main, elles sont datées de Liège, le 2 décembre dernier.
Les pétitionnaires disent que les blessés (erratum, page 282) amenés sur le territoire belge ont été autorisés à le traverser et à se rendre dans leur pays. Si cette assertion est vraie, elle militerait en faveur de leur demande. Votre commission, sans rien préjuger, a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à MM, les ministres des affaires étrangères et de la justice.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, la neutralité impose des devoirs qui sont établis par le droit des gens.
Ces devoirs sont d'autant plus stricts pour la Belgique que la neutralité de notre pays a été consacrée par des traités solennels qui sont en quelque sorte la loi fondamentale de notre existence comme nation.
C'est cette loi que nous devons appliquer en recherchant avec la plus scrupuleuse attention quelles sont les conséquences qui en découlent.
Dès l'instant où la guerre a été déclarée entre deux puissances voisines, le gouvernement s'est attaché à faire examiner de la manière la plus attentive et la plus scrupuleuse ce que prescrivait le droit des gens.
II ne s'est pas borné à cet examen théorique, mais il s'est également enquis de la pratique suivie par d'autres Etats neutres, ayant, sous ce rapport, une grande similitude avec la Belgique ; il a notamment recherché quelles étaient les règles observées en Suisse, et voici, d'après les rapports qui m'ont été faits et d'après les ordonnances du conseil fédéral qui m'ont été adressées, la manière dont la question est résolue, dans ce pays.
Je donne la partie essentielle du rapport que j'ai reçu :
« La La Confédération suisse a toujours agi de la même manière chaque fois que l'occasion s'est présentée de devoir s'occuper de soldats des puissances en guerre. Aussitôt qu'un soldat étranger pénètre sur le territoire de la Confédération suisse à la suite d'un fait de guerre quelconque, il est immédiatement désarmé, puis interné dans une partie du territoire suisse, la plus éloignée possible du théâtre de la guerre et du pays auquel ces soldats appartiennent.
« Des exemples de soldats isolés, se réfugiant en Suisse, se sont présentés fréquemment ; il n'en est pas ainsi pour des corps de troupes.
« Telle a été jusqu'ici la conduite de l'autorité fédérale en pareille circonstance, telle serait-elle certainement aujourd'hui si le cas se présentait de nouveau. Il est inutile d'ajouter que dans l'hypothèse où un corps de troupes réfugié sur le territoire suisse refuserait de se laisser désarmer, il y serait contraint ou serait expulsé de vive force et traité en ennemi. »
Ce rapport donne le résumé de l'ordonnance du 16 juillet 1870, portée par le conseil fédéral suisse, à propos des circonstances qui viennent de se produire.
Le théâtre des hostilités s'étant rapproché de nos frontières, le gouvernement, vous le savez, n'hésita pas à prendre toutes les mesures que commandaient les circonstances pour maintenir nos droits, notre indépendance et notre neutralité.
Il envoya en même temps des instructions aux autorités pour les guider dans la conduite qu'elles auraient à tenir. Ces instructions vous ont été communiquées lorsque j'ai eu pour la première fois l'honneur de parler dans cette enceinte.
Je demande à la Chambre la permission de lui relire l'instruction du 6 août parce qu'elle contient la base du système qu'a suivi le gouvernement et que les instructions qui ont suivi n'en sont que le développement et le complément. Voici cette instruction-principe ; c'est une lettre adressée par moi à M. le ministre de la guerre et sur laquelle nous sommes tombés d'accord, mon honorable collègue et moi.
« La guerre qui se poursuit entre deux Etats voisins de nos frontières pourrait donner lieu à des éventualités qu'il convient de prévoir.
« Le territoire de la Belgique est inviolable de droit ; aucune force étrangère ne peut prétendre à y pénétrer ou à le traverser malgré nous et si une tentative de ce genre était faite, notre armée se trouvant en état de (page 272) légitime défense, aurait à repousser l'agresseur par tous les moyens en son pouvoir.
« Mais en dehors de ce cas qui, j'aime à le croire, ne se réalisera point, il faut peut-être s'attendre à voir soit des soldats isolés, soit des corps de troupes refoulés par l'ennemi jusque sur notre sol.
« Laisser ces soldats ou ces troupes regagner leur patrie serait leur permettre de recommencer la lutte, alors que si notre territoire ne leur avait pas servi d'asile ils eussent été faits prisonniers ; ce serait donc indirectement augmenter l'armée de l'un ou de l'autre belligérant, contrairement aux obligations qui découlent de la neutralité.
« En semblable occurrence, il faudrait désarmer, même par la force, les bandes qui chercheraient un refuge chez nous, interner les soldats et sous-officiers et ne laisser circuler les officiers que s'ils donnent par écrit leur parole d'honneur qu'ils ne passeront point la frontière.
« Quant aux armes, elles ne pourraient être restituées qu'après la conclusion de la paix.
« Je vous prie de vouloir bien donner aux chefs de corps des instructions dans le sens des principes qui viennent d'être exposés et qui sont du reste conformes au droit des gens. »
Cette instruction a reçu la plus grande publicité ; elle a été envoyée à nos ministres à l'étranger, et loin qu'aucune observation, aucune critique se soit élevée sur les principes qu'elle exposait, nous pensons qu'elle a rencontré une approbation générale ; j'ajoute que le gouvernement britannique, qui a toujours montré la plus grande bienveillance pour la Belgique, a reconnu que cette instruction était irréprochable.
La lettre du 6 août qui, comme je le disais tout à l'heure, a été lue à la Chambre des représentants, y a été également accueillie sans la moindre critique, sans la moindre observation.
Le gouvernement a donc cru et dû croire qu'il était parfaitement d'accord avec la représentation nationale, relativement aux principes indiqués dans cette circulaire et dont nous avons fait plus tard l'application.
D'autres instructions ont été ultérieurement données ; ces instructions, je le répète, ne sont en quelque sorte que le complément de cette première instruction et se bornent à donner des explications nouvelles, à raison de faits qui s’étaient produits depuis les premiers événements de la guerre. Ces instructions complémentaires se résument dans ces quelques lignes insérées au Moniteur :
« Les journaux ont analysé d'une manière inexacte les instructions données par le département de la guerre au sujet des militaires appartenant aux armées belligérantes.
« Les autorités de la frontière ont pour instructions de ne laisser entrer les militaires étrangers qu'à la condition, s'ils sont officiers, de s'engager par écrit à ne pas quitter la Belgique, et, s'ils sont simples soldats, d'être internés. »
Vous connaissez maintenant, messieurs, les instructions que le département de la guerre, d'accord avec le département des affaires étrangères, a données aux différentes autorités chargées d'appliquer les règles reconnues conformes au droit, des gens.
D'après ces instructions, résumons les principes que nous avons cru devoir observer. Ils sont excessivement simples.
Nous ne permettons pas aux militaires appartenant à l'une ou l'autre des armées belligérantes de traverser la Belgique pour rentrer dans leur pays et aller ainsi renforcer l'armée de ce pays.
Voilà les principes que nous croyons devoir appliquer et maintenir. Peu importent les causes qui amènent ces militaires en Belgique, ces causes sont indifférentes à la question de neutralité, car quelles que soient ces causes, les conséquences du passage sont les mêmes ; ces conséquences seraient toujours, grâce à notre tolérance et aux facilités que nous donnerions pour le passage, de procurer un avantage à un des belligérants, avantage que notre neutralité, loyalement exercée, ne nous permet d'accorder à l'un ni à l'autre.
Nous offrons aux militaires un asile sur notre sol hospitalier ; nous leur donnons le moyen d'échapper ainsi soit à la mort, soit à la captivité en pays ennemi.
Ils sont libres de ne pas entrer en Belgique ; mais, s'ils y entrent, s'ils tiennent à jouir du bienfait qu'on leur offre, il faut qu'ils se soumettent aux conditions que nous sommes forcés de leur imposer, conformément aux principes admis par toutes les nations neutres.
Nous n'aurions pu agir autrement sans encourir les reproches les plus mérités et sans même exposer peut-être le sol belge à n'être pas respecté ! J'en appelle aux déclarations échangées avant la guerre.
On nous demande en vertu de quelle loi nous agissons, en vertu de quelle loi nous privons de la liberté, en les internant, les militaires étrangers, qui n'ont commis aucun méfait en Belgique.
Eh bien, à mon tour, je demande en vertu de quelle loi on veut empêcher le gouvernement belge d'exécuter une loi internationale, une loi qui a consacré notre neutralité, une loi qui est inscrite dans des traités solennels, et qui, ayant été votée par la Chambre, est devenue une loi du pays.
Une loi pareille, une loi incompatible avec l'existence d'une nation neutre, on ne la découvrira pas dans notre législation.
On parle de la loi sur l'expulsion des étrangers.
Mais, cette loi n'a rien à faire ici ; dans l'occurrence actuelle, elle serait d'une application impossible ; je me trompe : l'application de cette loi au cas qui nous occupe serait la négation complète du principe que nous avons soutenu.
En effet, si l'on appliquait aux militaires qui arrivent en Belgique la loi sur les expulsions, il en résulterait qu'ils seraient maîtres de nous désigner la frontière par laquelle ils voudraient être ramenés dans leur pays ; que conséquemment, par leur volonté, et contrairement aux devoirs que la neutralité nous impose, ils pourraient rentrer dans leur pays, où ils iraient par notre fait renforcer l'armée d'un des belligérants.
Donc, comme l'a très bien dit l'honorable rapporteur de la commission, il n'est pas possible d'appliquer à une matière internationale la loi sur les expulsions, loi qui a été faite pour des cas tout différents.
Ce n'est pas seulement en Belgique qu'on agit comme nous le faisons ; dans les Pays-Bas, on agit de même, et en Suisse, pays neutre, pays de liberté, on agit même avec une rigueur plus grande.
Je vous ai déjà fait connaître l'ordonnance du conseil fédéral. Voici maintenant ce qui se pratique en Suisse, au sujet des personnes appartenant, je ne dis pas aux armées, mais aux nations belligérantes, et vous verrez que nous n'allons pas jusque-là.
« Depuis quelque temps de nombreux groupes d'émigrants français entraient en Suisse par Bâle et se rendaient de là sur Genève. Ces hommes venaient non seulement de l'Alsace, mais de tous les départements envahis du nord-est de la France et se rendaient à Lyon pour se mettre à la disposition des autorités militaires : la plupart d'entre eux obéissaient à la levée en masse ordonnée par le gouvernement de la défense nationale. Le conseil fédéral avait d'abord fermé les yeux sur ces passages d'enrôlés et affecté de n'y voir qu'une émigration purement civile, mais lorsque les convois finirent par s'élever à 500 et à 600 hommes et lorsque les organisateurs de cette émigration gardèrent assez peu de ménagements pour faire escorter leurs hommes par des officiers français, vêtus, il est vrai, d'un costume civil, mais qui allaient jusqu'à faire des appels nominaux dans les gares, le conseil fédéral ne crut plus pouvoir tolérer une violation aussi flagrante de la neutralité suisse, d'autant plus qu'au début de la guerre le passage sur le territoire avait été également refusé aux conscrits badois rejoignant leurs drapeaux. Une enquête faite par la police a amené la découverte, à Bâle, d'un bureau d'enrôlement qui était en communication directe et journalière avec la délégation gouvernementale de Tours et dont les opérations étaient facilitées par les fabricants de Mulhouse, qui y voyaient un moyen facile de se débarrasser d'une population ouvrière devenue, par suite de la stagnation du travail, un objet d'inquiétude pour ses patrons. Les papiers de ce bureau d'enrôlement ont été saisis et son chef expulsé de Suisse. Les ordres les plus sévères ont été donnés pour empêcher le passage sur le territoire suisse de pareils convois d'hommes en état de porter les armes, et un cordon militaire sera établi le long de la frontière pour mieux assurer l'exécution de ces mesures. »
Vous voyez par ce rapport de notre chargé d'affaires, jusqu'où, en Suisse, on a porté le scrupule en ce qui concerne la neutralité, puisque non seulement on empêche les militaires de passer à travers le territoire, mais qu'on empêche même les bourgeois de passer, alors qu'on suppose par leur attitude, par leur nombre, que leur intention est d'aller s'enrôler dans une partie de la France qui n'est pas occupée par les armées allemandes.
Je pense que les explications que je viens de vous donner, et les pièces que j'ai eu l'honneur de faire connaître à la Chambre, suffiront pour justifier le gouvernement en ce qui concerne sa conduite envers les internés.
II me reste maintenant à dire un mot relativement aux blessés, et je compte, quant à ce point, pouvoir établir que la conduite du gouvernement a été tout aussi correcte, tout aussi régulière. Les blessés ont été recueillis en Belgique par un sentiment d'humanité qui fait honneur à notre pays. Nous avons donné asile à ces victimes de la guerre, mais nous l'avons fait à certaines conditions qui ont été indiquées et qui ont été acceptées avec reconnaissance des deux côtés.
Voici ces conditions : Les blessés seront recueillis, soignés et gardés jusqu'à la fin de la guerre ou bien jusqu'à une époque à convenir (page 273) ultérieurement entre les gouvernants. Ainsi il est bien établi que les blessés n'ont été admis en Belgique, n'ont été soignés par nous qu'à la condition qui avait été proposée par nous-mêmes et acceptée par les belligérants, que ces blessés seraient gardés chez nous jusqu'à la fin de la guerre.
Voici, messieurs, ce que j'écrivais le 16 octobre, relativement à ces blessés, à M. le ministre de la guerre :
« Monsieur le ministre,
« En réponse à votre lettre d'hier, cabinet, j'ai l'honneur de vous faire connaître que les blessés soignés en Belgique sont, comme les autres internés, soumis à l'autorité militaire et considérés comme prisonniers, jusqu'à ce que les négociations que nous poursuivons avec le cabinet de Berlin aient abouti.
« L'autorité militaire a donc le devoir de constater l'état des blessés convalescents et d'agir à leur égard comme l'exigent les règles de la neutralité.
« Je vous prie, M. le ministre, de vouloir bien informer l'administration communale que le département de la guerre fera les constatations dont il s'agit conformément aux arrangements internationaux. »
Dans cette lettre, il est parlé de négociations entamées avec le cabinet de Berlin. C'était en effet avec ce cabinet que nous devions traiter, attendu que les blessés français qui se trouvaient en Belgique étaient des prisonniers des armées allemandes et ne nous avaient été livrés qu'aux trois conditions que je vous ai mentionnées. Nous devions nécessairement nous entendre avec le cabinet de Berlin pour savoir la conduite ultérieure à tenir à l'égard de ces blessés.
Cette négociation a amené pour résultat l'application, partielle au moins, des principes de la convention de Genève ; c'est-à-dire la faculté, pour les blessés, reconnus, par suite de blessures, impropres au service, de retourner dans leur patrie, et la même faculté pour les blessés dont la convalescence était présumée devoir durer jusqu'à la fin de la guerre. Quant aux blessés reconnus, après leur guérison, propres au service, ils devaient être internés ou échangés contre des soldats de l'autre puissance belligérante C'est ce qui a eu lieu ; et des blessés des deux nations ont été, par suit d'échange, rendus à leur patrie.
Messieurs, voilà les explications que je puis donner à la Chambre relativement à la conduite du gouvernement ; j'espère que la Chambre les considérera comme satisfaisantes et suffisantes et ne croira pas nécessaire de renvoyer ultérieurement les pétitions à aucun des ministres.
Je fais, dans cette circonstance, un appel au patriotisme de la Chambre tout entière. Ce n'est pas ici une question de parti, c'est une question nationale et je prie la Chambre de vouloir seconder le gouvernement dans la mission qu'il a à remplir pour maintenir, dans les circonstances difficiles où nous sommes, nos bonnes relations avec nos deux puissants voisins.
Quant à moi, je considère comme un devoir impérieux de continuer à marcher dans la voie que nous avons suivie jusqu'ici. Toute déviation pourrait amener des conséquences que chacun peut facilement prévoir et apprécier. Et ces dangers que je signale ne sont pas des dangers imaginaires. Une communication récente, faite au grand-duché de Luxembourg, nous en fournit la preuve évidente. J'appelle sur cette communication l'attention la plus sérieuse de la Chambre. Nous devons donc, au lieu de nous relâcher dans notre surveillance, redoubler de prudence et de vigilance dans l'accomplissement de nos devoirs internationaux. Ne pas les remplir ou les remplir d'une manière incomplète serait une faute, une faute grave, qui ferait peser sur le gouvernement une lourde responsabilité et qui coûterait peut-être bien cher à la Belgique. Eh bien 'cette responsabilité, je ne l'assumerai pas ; cette faute, je ne la commettrai pas.
- Des membres. - Très bien !
M. Bouvier. - Est-ce l'ordre du jour que vous proposez ?
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Oui.
M. Demeur. - Je crois que l'appel fait par M. le ministre des affaires étrangères aux sentiments de cette Chambre était superflu. Tous nous sommes pénétrés de la nécessité de maintenir la neutralité de la Belgique, qui est essentiellement inhérente à notre nationalité, à notre indépendance.
En venant ici appuyer les pétitions, mon intention n'est pas de prétendre que le gouvernement ait agi de mauvaise foi ou dans un intérêt contraire à la neutralité de notre pays ; je suis parfaitement convaincu, au contraire, qu'il a agi en toute loyauté, dans l'intention d'accomplir le plus scrupuleusement les devoirs qui nous incombent. Je ne viens pas l'attaquer. Seulement, je viens émettre des appréciations sur la solution de la question, différentes de celles que vous venez d'entendre.
Il faut le reconnaître, si notre neutralité est un principe incontestable, sur lequel il ne peut y avoir de discussion, il n'en est pas de même des conséquences de notre neutralité. Il y a là des règles à appliquer. Quelles sont-elles ? Des appréciations diverses se présentent.
Dans un ouvrage remarquable écrit par un Allemand distingué, qui a été professeur à l'université de Louvain et dont je m'honore d'avoir été l'élève, on indiquait, il y a vingt-cinq ans, les difficultés qui se présentent pour nous aujourd'hui et l'on disait : « Préparez le terrain ; un jour viendra où il s'agira de savoir quelles sont les conséquences de la neutralité belge. Il importe de profiter des temps de paix pour déterminer les règles à suivre en cas de guerre entre nos voisins et même pour fixer ces règles, d'accord avec les puissances qui ont garanti la neutralité. »
Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis que M. Arendt nous donnait ce conseil d'un ton pressant.
Depuis vingt-cinq ans on n'a rien fait et aujourd'hui, au moment où les périls de la situation viennent s'ajouter aux difficultés inhérentes à la question elle-même, aujourd'hui nous sommes condamnés à faire cet examen.
Nous le ferons, inspirés à la fois par le sentiment de la justice et par les intérêts de notre pays.
Trois pétitions nous sont soumises. Elles portent sur trois cas parfaitement distincts ; car je ne puis pas admettre la prétention élevée tout à l'heure par M. le ministre des affaires étrangères d'établir un niveau sur tous les étrangers, appartenant aux parties belligérantes, qui se trouveraient sur le sol belge.
D'après lui, notre devoir, comme nation neutre, serait de traiter tous ces étrangers de la même manière, quelle que soit la cause de leur arrivée en Belgique, quel que soit le temps pendant lequel ils y ont séjourné. Mais cette règle uniforme, l'honorable ministre des affaires étrangères ne peut l'appliquer.
Il n'y a jamais songé, car, dès le début de la guerre, vous auriez dû interner des milliers d'Allemands et de Français qui se trouvaient sur le sol belge et qui étaient appelés chez eux pour s'armer et aller en guerre.
C'est après la déclaration de la guerre qu'on a appelé ces hommes et vous n'avez pas songé à les empêcher de partir.
Vous ne songez pas aujourd'hui à arrêter le nombre plus ou moins considérable de Français et d'Allemands qui sont ici, chez nous, et qui sont obligés par les lois de leur pays de prendre les armes.
Il y a donc des distinctions à faire relativement aux étrangers appartenant aux parties belligérantes et qui sont sur le sol belge. Vous ne pouvez les traiter tous de la même façon.
Nous en avons trois catégories qui pétitionnent et c'est de celles-là que je me borne à parler.
Il y a d'abord des hommes qui ont été faits prisonniers par les armées allemandes et qui se sont évadés. Ils sont arrivés sur un sol neutre, désireux de rentrer dans leur pays.
Ils nous demandaient l'asile et la protection ou tout au moins le passage. Qu'a-t-on fait ?
On les a arrêtés, on les a incarcérés, on les détient ; ils demandent leur mise en liberté.
Cette demande est-elle juste ? Avez-vous le droit, vous, gouvernement belge, de garder ces hommes ?
Ils n'ont commis aucun crime, aucun délit. Nous sommes d'accord sur ce point.
Mais, dites-vous, le droit des gens vous fait un devoir de les détenir !
Je demande où est écrit ce droit des gens ? Je demande que vous me montriez, dans un traité conclu par des nations européennes, dans un des nombreux règlements publiés par les gouvernements neutres sur leur neutralité, dans un auteur qui a écrit sur la matière, ce principe qu'un prisonnier évadé, sorti des mains de l'ennemi, arrivant sur le territoire neutre, doit être retenu et incarcéré par ce neutre.
Je laisse de côté la France et la Prusse ; il ne s'agit pas, pour moi, de telle ou telle nationalité.
Je demande que vous me citiez, dans l'histoire, ce fait d'un prisonnier qui fuit l'ennemi et qui trouve un geôlier dans le neutre ?
M. Thonissen. - On l'a fait, en Suisse, en 1859,
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères.- On l'a fait partout.
M. Van Overloop.- La Prusse et l'Autriche l'ont fait en 1831 pour les Polonais.
M. Demeur. - On n'a pas fait cela. La Prusse et l'Autriche n'ont pas fait cela en 1831.
J'attendrai qu'on me cite des exemples. J'ai sans doute mal cherché, (page 274) j'ai cherché consciencieusement partout, je n'ai pas trouvé un seul exemple.
J'espère que l'honorable M. Thonissen et les orateurs qui m'interrompent m'éclaireront.
Il y a une confusion que M. le ministre des affaires étrangères a faite tout à l'heure sur un point capital.
Evidemment s'il s'agissait de Français voulant se rendre en Prusse, sur le territoire de leur ennemi, s'il s'agissait de Prussiens voulant se rendre en France, sur le territoire de leur ennemi, fussent-ils non armés, vous auriez le droit de leur barrer le passage. Mais il ne s'agit pas de cela ; il s'agit simplement de gens qui demandent à rentrer chez eux, qui vous demandent d'avoir l'obligeance de les expulser, qui vous demandent en vertu de quel droit vous les retenez. Pour moi, je ne vous vois pas d'autre titre que celui de mandataire et de représentant de la Prusse.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Et de la France aussi alors ?
M. Demeur. - Je dis que je ne vois pas d'autre titre.
On a parlé de convention, les conventions ne se sont jamais occupées de ce point. (Interruption.) M. le ministre des affaires étrangères n'alléguera pas qu'une convention s'en soit jamais occupée. On dit qu'il y a eu des conventions relatives aux blessés, mais il n'y en a pas eu relativement aux prisonniers de guerre évadés des mains de l'ennemi.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Il ne fallait pas de convention pour cela.-
M. Demeur. - Que l'on ne dise pas alors qu'on a agi avec le consentement de la France.
Je dis donc que vous rendez service à la Prusse.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Et réciproquement.
M. Demeur. - Si votre principe est conforme au droit des gens, il doit être imposé non seulement à la Belgique, mais à la Suisse, mais à la Hollande, mais à l'Italie, mais à l'Autriche, mais à l'Angleterre, mais au monde entier, et la Prusse aurait le droit de dire à n'importe quelle nation : II y a chez vous un prisonnier français qui s'est évadé de chez moi ; vous allez le garder. Ce n'est pas parce que nous sommes limitrophes de la France que la Prusse aurait ce droit à notre égard ; on peut aller de l'Allemagne en France par l'Angleterre : que l'Allemagne s'avise donc de prendre la même attitude vis-à-vis de l'Angleterre ! L'Allemagne n'a pas ce droit, car si un prisonnier s'évade, à qui la faute ? C'est à elle à garder ses prisonniers, à prendre des précautions pour empêcher leur évasion. Quant à nous, les soins que nous prenons pour garder ces hommes lorsqu'ils arrivent sur notre territoire, nous ne pouvons les prendre que comme mandataires ou représentants de la Prusse.
Voilà pour une des parties belligérantes.
Mais je demande quel est notre devoir vis-à-vis de l'autre partie belligérante ? Les Français que vous retenez ici n'ont commis ni crime, ni délit : pensez-vous que la France, le cas échéant, trouvera que vous avez maintenu la balance égale entre les deux parties ?
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Evidemment.
M. Demeur. - Je ne le crois pas. Je crois que la France trouverait mauvais, que toute nation trouverait mauvais de voir ses sujets dans un pays neutre arrêtés sans avoir commis ni crime ni délit, sans avoir enfreint...
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Il y a eu des Prussiens arrêtés comme des Français.
M. Demeur. - Je ne dis pas non, mais je dis que les règles que vous suivez sont mauvaises, qu'elles ne sont pas conformes au droit des gens.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Ne dites donc pas qu'il y a eu de la partialité de notre part. (Interruption.)
M. Demeur. - Je passe à un autre point de vue de la question.
Je suppose que nous ayons le droit, d'après le droit des gens, de détenir ces hommes. Eh bien, je dis encore ici que le gouvernement se serait mis dans une situation illégale. Je dis qu'en admettant que la Belgique ait le droit de détenir des prisonniers évadés qui arrivent sur son territoire, ce droit le gouvernement ne peut pas l'exercer comme il le fait.
Les droits qui appartiennent à la Belgique n'appartiennent pas tous au gouvernement. D'après notre Constitution, le pouvoir législatif a quelque chose à dire dans notre pays ; il y a des choses que le pouvoir législatif a, seul, le droit de faire ; il y en a d'autres qui rentrent dans les attributions du pouvoir exécutif.
Eh bien, je suppose que la Belgique ait le droit de faire ce que vous faites ; je dis que ce droit ce n'est pas vous qui pouvez l'exercer. Qui êtes-vous ? Vous êtes le pouvoir exécutif. Quel est votre droit ? Vous avez le droit d'exécuter les lois ; vous n'avez pas le droit d'en suspendre l'exécution.
Tout à l'heure, vous avez dit que vous ne connaissiez pas de loi qui vous permette de faire ce que vous faites. Voyez notre législation sur les étrangers ; elle est assez détaillée ; elle confère au gouvernement des droits assez nombreux. On a eu l'occasion à maintes reprises de les exposer ici, chaque fois que la loi a été prorogée.
Vous avez, si j'en crois l'appréciation de l'administration de la sûreté publique, une loi de messidor an III qui vous permet d'empêcher un étranger d'entrer sur notre territoire lorsqu'il n'a pas de passeport, et qui vous donne le moyen de l'expulser s'il est parvenu à franchir la frontière. Cette loi a été appliquée assez souvent, même à des étrangers établis chez nous. Vous avez encore l'arrêté du 5 octobre 1830 dont un des articles vous permet d'expulser les indigents étrangers. Vous avez enfin la loi de 1835 qui vous donne des droits spéciaux pour expulser les étrangers, pour les interner. Il s'agit là d'étrangers résidant en Belgique et qui, par leur conduite, troublent la tranquillité publique.
Voilà un arsenal de lois, on y trouve énormément d'armes ; mais, nous en avons l'aveu de M. le ministre des affaires étrangères, il n'y a rien dans cette législation qui permette de faire ce qu'on fait.
En 1835, quand M. Ernst, alors ministre de la justice, vint présenter cette loi sur les étrangers, il a dit : Nous n'avons que la loi de messidor an III et l'arrêté de 1830 ; cela ne suffit pas pour notre sécurité, il faut que nous ayons une loi pour permettre l'expulsion des étrangers résidant en Belgique et qui troublent la tranquillité publique. Et cette loi a été votée.
Eh bien, je veux admettre, au point de vue du droit des gens, la thèse que le gouvernement a soutenue. Je demande ce que devait faire le gouvernement ? Qu'aurait-on dû faire depuis longtemps, étant donnée l'exactitude de la thèse du gouvernement ? On aurait dû présenter une loi donnant au gouvernement les pouvoirs qu'il s'attribue aujourd'hui ; car, remarquez-le, messieurs, nous avons dans notre Constitution ce principe que la liberté individuelle est garantie.
Nous avons cet autre principe que les étrangers jouissent en Belgique des mêmes droits que les Belges, sauf les exceptions déterminées par la loi. Et le gouvernement n'a pas le droit de créer des exceptions qui ne sont pas établies par une loi.
J'arrive à une autre catégorie de détenus, aux blessés. Ici les circonstances se présentent d'une manière un peu différente. Ces blessés se trouvaient sur le champ de bataille, ils ont été recueillis et amenés en Belgique.
Il est de ces blessés qui sont actuellement guéris, et ceux-là demandent leur mise en liberté. On leur répond : « Non, vous êtes nos prisonniers. »
Et je demande, moi, en vertu de quel droit nous gardons ces hommes en Belgique.
On nous parle d'une convention ; et, en vertu de cette convention, nous serions tenus de garder les prisonniers jusqu'à la fin de la guerre.
Mais cette convention où est-elle ? Qui l'a signée pour la Prusse ? Qui l'a signée pour la France ? Qui l'a signée pour la Belgique ? Où est le texte ? Quelle est la durée de cette convention ? Si la guerre doit durer plusieurs années - ce qui n'est pas absolument impossible, - la Belgique sera-t-elle liée par la convention pendant tout ce temps-là ? Je ne pense pas que quelqu'un en Belgique osât assumer la responsabilité d'une pareille convention.
Pareille convention, d'ailleurs, ne pourrait être exécutée sans nous avoir été soumise.
Elle ne peut avoir d'effet qu'après avoir été ratifiée par le pouvoir législatif.
L'article 68 de la Constitution est formel. Il ne permet pas de donner effet à des traités, qui pourraient grever l'Etat, sans notre assentiment. Cet assentiment, on ne nous l'a pas demandé ; et je puis donc dire que si la convention existe, elle n'a aucun caractère légal.
J'arrive à une troisième catégorie de détenus, c'est celle des hommes qui se sont réfugiés en armes sur le territoire ; ils y ont été désarmés ; ils ont rendu leurs armes à nos soldats, et depuis lors ils ont été internés, et on leur interdit la sortie du pays.
Ici l'incarcération est-elle légitime ? On peut nous dire, que si nous laissons ces hommes retourner en France nous aurons favorisé les armées françaises, car s'ils n'étaient pas entrés sur notre territoire ils devenaient (page 275) les prisonniers des Prussiens ou ils étaient tués, et nous aurions ainsi, en les recueillant, favorisé l'une des armées belligérantes.
Un premier point qui ne peut être méconnu par personne, puisque nous avons mis nous-mêmes en pratique le principe, c'est que le neutre a le droit de recevoir chez lui un corps d'armée, poursuivi par l'ennemi, qui arrive sur son territoire, à la condition que ce corps désarme ; et l'ennemi qui le poursuit ne peut pas pénétrer sur le territoire du neutre. En recevant les soldats français dans ces conditions, nous avons accompli notre devoir, nous avons usé de notre droit souverain.
Est-ce tout notre devoir ? Non. Nous devions empêcher qu'aucun acte hostile ne fût commis sur notre territoire par les belligérants ; nous devions aussi empêcher qu'un belligérant ne préparât sur notre territoire un acte hostile quelconque à l'égard de son ennemi. Nous devions donc interner, au besoin, les soldats ainsi réfugiés chez nous. Notre devoir était, en un mot, de faire respecter notre neutralité, c'est-à-dire de faire que notre territoire restât le territoire de la paix à côté du territoire de la guerre. Ce devoir, nous l'avons rempli. Mais, sommes-nous tenus, avons-nous le droit de conserver pendant toute la durée de la guerre ce corps qui s'est rendu sur notre territoire dans les circonstances que j'ai indiquées ? Voilà la question.
Voici, messieurs, un auteur allemand qui indique les principes qui sont suivis en cette matière.
M. Bluntschli s'exprime, à ce sujet, en ces termes : « Un Etat neutre peut, sans compromettre sa neutralité, accueillir en tout temps, sur son territoire, les détachements de troupes poursuivis par l'ennemi, leur fournir des vivres et tous les secours commandés par l'humanité. »
L'auteur, annotant ce principe, ajoute : « On parle ici encore de droit d'asile. La poursuite de l'ennemi doit s'arrêter à la frontière de l'Etat neutre, sur le territoire duquel le combat ne peut continuer. Les soldats poursuivis ne sont en sûreté qu'après avoir franchi la frontière. En les accueillant et leur accordant sa protection, l'Etat neutre use de son droit, et cette protection ne constitue point une assistance illicite donnée à l'un des belligérants. »
Voilà un premier principe sur lequel, je l'ai dit, nous sommes d'accord.
En voici un autre :
« L'Etat neutre doit veiller, par contre, à ce que les belligérant auxquels il accorde un asile par humanité n'abusent pas du territoire neutre pour recommencer ou continuer la guerre.
« Les navires et leurs équipages devront, dans la règle, être désarmés et les troupes être internées, si les circonstances l'exigent. » (Interruption.)
Mais, messieurs, j'examine la question ; je ne me suis pas même encore prononcé sur sa solution. Je ne vois pas pourquoi l'on m'interrompt.
M. le président. - Je prie la Chambre de ne pas interrompre l'orateur.
M. Demeur. - Voici comment M. Bluntschli explique le principe qui précède :
« Si les troupes pouvaient se rassembler sur le territoire neutre, et se rendre ensuite sur le théâtre de la guerre pour y prendre une position meilleure, elles exploiteraient à leur profit le territoire neutre, ce que ce dernier ne peut tolérer. Il protège les soldats poursuivis, mais il ne favorise pas les parties belligérantes. De là la règle qu'il faut désarmer les troupes et, suivant les cas, procéder à leur internement, à cause des dangers que leur présence à la frontière pourrait présenter. Les soldats internés ne sont pas prisonniers de guerre, les belligérants pouvant seuls faire des prisonniers ; on les interne par simple mesure de police politique. »
Voilà, messieurs, tout ce que j'ai trouvé de plus précis dans un auteur allemand, un savant très distingué, très connu, professeur à l'université de Heidelberg.
Je demande si, un des hommes ainsi internés voulant quitter la Belgique et se rendre, par exemple, en Angleterre, vous avez le droit de l'en empêcher ? Je ne vois rien, dans les règles que trace M. Bluntschli, qui puisse vous y autoriser.
L'internement a pour but d'empêcher que des hostilités ne prennent naissance sur notre territoire ; dans le cas actuel, il a pour but d'interdire aux internés l'accès des frontières des parties belligérantes. Vous avez le droit de l'ordonner ; mais votre droit ne va pas au delà, et vous ne pouvez traiter les internés comme vos prisonniers.
L'honorable M. Van Overloop m'interrompait tout à l'heure en parlant des mesures prises en 1831 par la Prusse et par l'Autriche. Qu'ont fait alors la Prusse et l'Autriche à l'égard des Polonais ? Elles ont reçu les Polonais sur leur territoire et les ont empêchés d'aller à la frontière de Pologne. Mais, je vous le demande, est-ce que la Prusse, est-ce que l'Autriche se sont avisées d'empêcher les Polonais de se rendre dans d'autres pays ? Elles les ont internés, elles les ont empêchés de se rendre vers la frontière polonaise, parce que là était le siège de la lutte avec l'ennemi. Voilà ce qu'admet M. Bluntschli. Voilà notre droit, le droit que j'entends, pour ma part, faire respecter de la manière la plus complète : empêcher d'une manière absolue que notre territoire ne soit le théâtre ou le point de départ d'hostilités.
Nous sommes d'accord là-dessus. Vous avez le droit d'empêcher les militaires français de rester sur la frontière ; mais un droit que je vous refuse, c'est de les incarcérer, c'est de les détenir comme prisonniers de guerre, ainsi qu'on les appelle partout. Ce droit je ne le trouve pas dans le droit des gens et j'ai démontré, vous le reconnaissez vous-même, que nos lois ne vous l'accordent pas.
J'ajoute, comme dernière considération, que la thèse que j'indique me paraît beaucoup plus favorable aux intérêts de notre pays que celle qui est suivie par le gouvernement. Je veux faire une hypothèse qui me sera bien permise, quoiqu'elle soit invraisemblable : c'est celle où les armes seraient, dans un temps plus ou moins éloigné, favorables à la France. Il est bien permis de poser cette hypothèse. Il s'agit des hasards de la guerre.
Nous pouvons supposer que demain les armées prussiennes soient refoulées du côté de la Prusse, que la lutte se passant encore sur nos frontières se présente dans des conditions diamétralement opposées au point de vue des vainqueurs et de vaincus. Eh bien, voici des corps prussiens qui se rendent en Belgique. Nous les désarmons, nous les arrêtons et nous les internons aussi ; de manière que nous sommes, nous, dans ces conditions, un entrepôt de prisonniers des deux armées belligérantes.
Voilà notre situation, d'après le gouvernement. Eh bien, je demande quelle serait la situation de la Belgique si les principes que je défends étaient appliqués.
Nous voulons, l'un et l'autre, suivre une ligne de conduite identique, absolument identique à l'égard des militaires des deux parties belligérantes qui arrivent ici. Mais vous, vous les gardez tous ; moi je préférerais n'en garder aucun.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - On les échange.
M. Demeur. - Je veux empêcher que notre territoire ne serve de théâtre ou de point de départ à des manœuvres hostiles au profit de l'un ou de l'autre de belligérants, mais je ne crois ni de notre intérêt, ni de notre devoir de garder tous ces prisonniers.
Je pense que, parmi les observations que je viens de présenter, il en est au moins plusieurs que la Chambre et M. le ministre des affaires étrangères prendront en considération.
M. Thonissen. - Je ne suis pas, messieurs, de l'avis de l'honorable préopinant. A mon sens, le gouvernement a fait ce qu'il devait faire.
L'honorable M. Demeur a raison de dire que les controverses appartenant au droit des gens sont très difficiles à résoudre. Aussi, en étudiant ce droit, ai-je vivement regretté que les nations européennes, si souvent représentées par des congrès composés de l'élite de leurs diplomates, n'aient pas réclamé, depuis longtemps, la rédaction d'un code international réglant au moins les droits et les obligations des neutres, en temps de guerre. Aujourd'hui on invoque des opinions d'auteurs, des fragments de traités, des décisions de cours maritimes, des exemples, des précédents, des usages plus ou moins universels ; en un mot, une multitude d'autorités purement doctrinales. Des règles précises et nettement obligatoires, que réclame l'honorable M, Demeur, n'existent pas. Il en résulte nécessairement des doutes et des controverses, que les uns résolvent dans un sens et les autres dans un sens différent.
Nous en avons un exemple dans le cas qui nous occupe en ce moment.
A mon avis, ce qu'on peut faire de mieux pour les cas plus ou moins douteux, c'est de prendre une règle dont l'application n'est pas contestée, d'en rechercher les motifs, et de voir ensuite si ces motifs se présentent ou ne se présentent pas pour le cas sujet à controverse.
Une règle incontestable et incontestée, c'est celle-ci : les puissances neutres doivent désarmer et interner les belligérants armés qui se présentent sur leur territoire.
Quels sont les motifs allégués à l'appui de cette règle ?
Les soldats, dit-on, qui se réfugient sur votre territoire sont poursuivis par l'ennemi, et ils échappent à cet ennemi, parce que celui-ci respecte l'inviolabilité de votre territoire. Par conséquent, si vous leur laissiez une liberté entière, ces soldats, momentanément abrités par votre neutralité, iraient bientôt rejoindre leurs compatriotes et se représenteraient sur les champs de bataille. Votre neutralité deviendrait de la sorte un désavantage et même un danger pour l'un des belligérants. Le seul moyen de rendre cette neutralité en même temps généreuse et inoffensive, c'est l'internement des soldats arrivés sur le territoire neutre.
(page 276) N'est-il pas évident, messieurs, que ces motifs existent pour les soldats qui arrivent désarmés aussi bien que pour ceux qui sont encore porteurs de leurs armes ?
Des soldats français s'échappent des mains des soldats prussiens dont ils sont les prisonniers. Ils arrivent sur le sol belge. Les Prussiens, qui recherchent et poursuivent les fugitifs, s'arrêtent à notre frontière. Les prisonniers leur échappent définitivement, parce que ces prisonniers ont atteint notre territoire neutre. N'est-il pas incontestable que, si nous les laissions librement passer sur notre sol, si nous leur permettions de regagner leur pays sous la protection du drapeau belge, notre neutralité serait, dans ce cas, nuisible à l'Allemagne qui, bientôt, retrouverait les fugitifs, armés et enrégimentés, sur les champs de bataille ? Les soldats qui arrivent désarmés appartiennent aux armées belligérantes aussi bien que ceux qui nous arrivent porteurs de leurs armes. Les uns et les autres doivent être internés et, s'ils veulent s'échapper, enfermés.
Je puis citer un précédent, sinon identique, au moins analogue au cas actuel.
En 1859, pendant la guerre d'Italie, des déserteurs autrichiens arrivèrent sans armes sur le territoire suisse et prétendirent que, n'appartenant plus à l'une des armées belligérantes, ils ne devaient pas être internés. Les autorités suisses n'accueillirent pas ce système. Elles répondirent que la puissance neutre est obligée d'interner tous les soldats, armés ou désarmés, qui se réfugient sur son territoire. Les déserteurs ne furent mis en liberté qu'après la conclusion de la paix.
Je suis donc d'avis que le gouvernement belge était obligé d'interner tous les soldats, armés, désarmés et même malades ou blessés, qui sont venus se réfugier sur notre territoire. Quant aux blessés qui ne sont pas venus s'y réfugier, que nos ambulances sont allées chercher sur le territoire étranger, pour les soigner et les guérir chez nous, tout dépend des circonstances, en d'autres termes, des conditions dans lesquelles on les a autorisés à venir en Belgique.
Nous ne devons pas, messieurs, envisager ces questions du seul point de vue de l'humanité. Nous ne devons pas oublier qu'elles sont aussi et principalement des questions de droit international et des questions de neutralité. Nous ne devons pas oublier surtout que nous manquerions singulièrement de prudence, de prévoyance et de patriotisme, si nous allions fournir à l'un des belligérants des motifs légitimes de plaintes ou de mécontentement.
M. de Theux. - La commission des pétitions propose le renvoi au gouvernement. M. le ministre des affaires étrangères vous a exposé les motifs qui s'opposent à ce renvoi, et je les approuve. Je.ne le voterai donc pas parce que, sans rien décider contre le gouvernement, ce renvoi lui créerait des embarras inutiles ; d'autre part, je ne veux pas proposer l'ordre du jour, parce qu'il est dans les usages parlementaires de ne prononcer l'ordre du jour que contre des pétitions inconvenantes soit au fond, soit dans la forme.
Je crois qu'il suffit de décider le dépôt au bureau des renseignements. C'est la décision qui convient le mieux dans les circonstances actuelles.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Je ne m'oppose pas au dépôt des pétitions au bureau des renseignements ; tout ce que je demande, c'est que la Chambre ne les renvoie pas au gouvernement.
M. Bergé. - La Chambre semble impatiente de terminer cette discussion ; je serai donc bref.
Certes, messieurs, les devoirs de la neutralité sont bien imposants et comportent de grandes précautions, mais la question est de savoir de quelle façon la neutralité doit être sauvegardée, et c'est, quant à l'application, que je diffère de la manière de voir de M. le ministre des affaires étrangères.
Nous avons le droit, cela n'est pas douteux, de désarmer tout soldat qui pénètre sur notre territoire, et même de l'interner, c'est-à-dire de l'envoyer le plus loin possible de la frontière des belligérants.
En Suisse, ce principe a été appliqué, mais il a été appliqué d'une manière régulière, claire, précise et légale. Les décisions sont toutes rendues publiques, et l'on sait parfaitement à quoi s'en tenir sur la conduite du gouvernement.
Ici, au contraire, il y a eu une circulaire. Cette circulaire est très incomplète, elle ne traitait la question qu'à certains points de vue et ne pouvait, en aucune façon, être considérée comme l'équivalent d'une loi.
Dans cette circulaire, nous ne voyons rien d'applicable aux blessés.
Cependant, il résulte des faits que des blessés allemands rentrés sur le territoire belge sont retournés en Allemagne et c'est là un fait que l'on ne pourra contester.
L'honorable ministre de la guerre a reçu, du reste, de l'administration communale de Bruxelles une lettre qui établit le fait. Voici le passage de la lettre :
« Je finis en faisant observer que les blessés prussiens qui ont traversé notre territoire, après y avoir été soignés durant quelques heures, n'ont été ni internés, ni arrêtés au passage ; qu'il paraît dès lors naturel et juste de ne pas retenir, malgré eux, les blessés français qui traversent le même territoire après un séjour plus prolongé... »
Voilà un fait sur lequel je désire quelques explications de l'honorable ministre des affaires étrangères, car ce point n'a pas été touché.
Les prisonniers internés se trouvent véritablement emprisonnés dans des casemates ; ils sont traités dans les conditions les plus dures. Leur internement est beaucoup plus rigoureux que l'internement des prisonniers français en Prusse où ils trouvent la possibilité de s'occuper et de gagner même de l'argent en travaillant pour des fabricants prussiens.
Ils y ont donc une liberté relative, des égards et même des soins que l'on n'a pas pour eux en Belgique.
Garder les prisonniers et les enfermer est, d'après l'honorable M. Thonissen, le devoir d'un Etat neutre. Je lui demande donc, si nous avions eu en Belgique la capitulation d'une armée considérable, comme celle de Sedan, de quelle façon aurait-on exercé cet internement ?
En gardant ainsi, pour le compte de la Prusse, les prisonniers français, ne violions-nous pas, par le fait même, la neutralité, puisque nous aurions rendu service à l'un des belligérants ?
L'application des principes du cabinet a amené des arrestations illégales de Français qui, en traversant notre territoire isolément, ont été arrêtés bien qu'ils n'eussent jamais fait partie de l'armée française.
Un journal de Bruxelles a relaté un fait de ce genre. Le gouvernement n'a pas répondu au sujet de ce fait, qui n'est pas isolé.
L'honorable ministre des affaires étrangères nous dit que les officiers ou soldats d'une armée belligérante, rencontrés dans notre pays, sont tous soumis aux règles tracées par le gouvernement, quelles que soient les raisons qui les amènent sur notre territoire et que le gouvernement ignore même la cause de leur présence chez nous.
Il est évident que le gouvernement sait parfaitement pour quelles raisons ils s'y trouvent et qu'il n'a pas appliqué son principe en toute circonstance. La preuve, c'est que quand l'ex-empereur des Français a passé par Bruxelles, il ne l'a pas interné. Et cela parce qu'il connaissait parfaitement les conditions dans lesquelles il se trouvait en traversant notre territoire.
En vertu de quelle loi, disait l'honorable ministre des affaires étrangères, pourrait-on faire des observations sur la conduite du gouvernement ?
En disant cela, il constatait lui-même l'absence de tout texte lui permettant d'agir et c'est contre cette absence de texte que je réclame.
Les devoirs internationaux sont grands, mais ils ont été observés par d'autres nations.
La Suisse a prouvé qu'elle savait parfaitement la respecter, ce qui ne l'empêchait pas de se montrer juste envers toutes les nations étrangères, et si on lui tenait un langage amical et ferme, elle savait répondre aussi par un même langage amical et ferme et sauvegarder sa dignité.
La neutralité, tout en imposant des devoirs, laisse cependant une certaine latitude. Ainsi, quand le cabinet est venu nous proposer, encore au point de vue des devoirs de la neutralité, l'interdiction de la sortie des avoines et d'autres matières, il est évident qu'il outrepassait les devoirs qui lui étaient imposés.
Que n'a-t-il interdit également la sortie du froment, du pain ? Que n'a-t-il empêché toute espèce de communication postale, puisque, par notre position, nous pouvons évidemment rendre service aux belligérants ?
Il est bien vrai que le gouvernement déclare que si les Prussiens avaient été battus, il se serait comporté exactement de la même manière à leur égard ; mais prenez-y garde, une explication semblable pourrait être mal interprétée, on pourrait y voir une certaine tendance à s'incliner toujours devant le vainqueur.
Ce qu'il fallait faire, c'était de tracer, dès le début de la crise, les règles à suivre à l'égard de tous les belligérants, de soumettre à la Chambre la conduite qu'on avait l'intention de tenir ; alors le cabinet, agissant avec l'approbation des Chambres, aurait été irréprochable. Aujourd'hui il y a des interprétations différentes, et ce désaccord provient de ce que la conduite du cabinet n'a pas été telle qu'elle devait être, dans une circonstance grave, où il s'agissait d'établir les bases du droit international des nations neutres.
(page 277) M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Je dois répondre quelques mots à l'honorable membre. Il accuse le gouvernement d'avoir manqué de sincérité. Je ne comprends pas ce reproche en présence des documents que j'ai produits à la Chambre et que j'ai déjà fait connaître dans une séance précédente.
M. Bergé. - Ces documents sont incomplets.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Ils sont parfaitement complets. La lettre du 6 août établissait les principes et indiquait de quelle manière nous agirions dans telles et telles circonstances données.
Dès que les principes étaient posés, nous devions en déduire les conséquences pratiques et c'est ce que nous avons fait à chacun des événements qui se sont présentés.
Le gouvernement a donc agi avec la plus grande loyauté, avec la plus grande sincérité vis-à-vis de la Chambre et la Chambre, en s'abstenant de toute critique, lors des communications qui lui ont été faites, a implicitement sanctionné la conduite que le gouvernement se proposait de suivre.
Nous avons montré la plus grande impartialité. Et quoi qu'en ait dit l'honorable M. Bergé, nous avons appliqué les mêmes règles aux soldats des deux armées belligérantes ; aucune différence n'a été faite entre eux.
L'honorable M. Bergé mentionne le passage de soldats prussiens qui, sans opposition de notre part, ont traversé notre territoire pour rentrer dans leur pays.
Il y a, relativement à ce passage, une observation importante à faire. La Chambre se rappellera qu'à la suite d'une interpellation qui m'avait été adressée, j'ai dit que le gouvernement prussien avait demandé, au commencement de la guerre, l'autorisation de laisser passer par notre territoire ses compatriotes blessés.
Mus par des motifs d'humanité, nous avions cru pouvoir accéder à cette demande. Mais la France s'y est opposée ; sa résolution était dictée par des raisons stratégiques. La France supposait que les voies prussiennes étaient encombrées par suite du grand nombre de blessés et elle ne voulait pas en permettre le dégagement en autorisant le passage des blessés par notre territoire. Force nous a donc été de refuser la demande du gouvernement prussien. Plus tard, les armées belligérantes ayant changé leurs positions et les motifs du refus que la France avait d'abord opposé à la Prusse n'existant plus, nous n'avons pas cru devoir maintenir notre opposition au passage qui nous avait été demandé.
Nous avons été déterminés à agir ainsi surtout par cette considération, qu'il y avait à nos frontières un encombrement considérable de blessés qui devait faire craindre l'invasion de maladies contagieuses dont les symptômes se révélaient déjà.
En définitive, nous n'avions à faire qu'une des trois choses que voici :
Ou bien, faire ce que nous avons fait, ce qui, sans violer les règles de la neutralité, satisfaisait aux devoirs de l'humanité ;
Où bien empêcher tout passage sur notre territoire, au risque de voir se répandre chez nous l'épidémie qui sévissait à nos frontières ;
Ou bien enfin recevoir les blessés prussiens chez nous, les traiter et les soigner dans nos ambulances. Or, ils étaient tellement nombreux qu'il eût été bien difficile de les placer et de les soigner convenablement ; rien n'était prêt pour les recevoir en si grand nombre ; de sorte qu'il était impossible de leur donner les soins réclamés par leur état.
En agissant comme nous l'avons fait, nous avons rendu service non seulement aux blessés prussiens, mais aussi aux blessés français eux-mêmes ; il est évident, en effet, que l'évacuation des blessés prussiens vers l'Allemagne a permis de donner aux blessés français des soins dont ils eussent été vraisemblablement privés si les blessés prussiens avaient été conservés dans les ambulances prussiennes.
Ce prétendu grief n'a donc pas de fondement et ne justifie nullement les reproches qui nous sont adressés.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
- D'autres membres. - L'appel nominal !
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, puisque le gouvernement n'accepte pas le renvoi proposé par votre commission, la commission n'a d'autre option qu'entre l'ordre du jour et le dépôt au bureau des renseignements. Je me rallie donc à la proposition de l'honorable M. de Theux.
M. Vleminckx. - Messieurs, dans son premier discours, M. le ministre des affaires étrangères, parlant de ce qui s'est passé dans le grand-duché de Luxembourg, a fait allusion à des menaces dont ce pays aurait été l'objet. Je demanderai à l'honorable ministre si le gouvernement belge a reçu un document officiel à cet égard, et en cas d'affirmative, s'il verrait de l'inconvénient à le communiquer à la Chambre.
M. Rogier. - Messieurs, la pétition sur laquelle on a fait rapport soulève des questions nouvelles pour nous et d'une assez haute importance.
A cet égard, je crois que la discussion n'aura pas été inutile. Aussi, si le renvoi à M. le ministre des affaires étrangères n'est pas ordonné, attendu qu'il n'avait pour but que d'obtenir des explications que le gouvernement a données aujourd'hui même, j'appuierai la proposition de l'honorable M. de Theux pour le dépôt au bureau des renseignements ; mais, par des motifs autres que ceux de l'honorable M. de Theux. L'honorable M. de Theux se borne à dire que la pétition ne renfermant aucun terme injurieux ou inconvenant, peut, sans inconvénient, être déposée au bureau des renseignements.
Mais la pétition n'est pas seulement, paraît-il, correcte dans la forme, elle soulève en principe des questions importantes qui auraient besoin d'être examinées et résolues plus tard ; et ce motif seul suffirait pour justifier ce dépôt.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - L'honorable M. Vleminckx me demande si je verrais de l'inconvénient à faire connaître à la Chambre la communication que j'ai reçue au sujet du Grand-Duché de Luxembourg.
Le gouvernement de l'Allemagne du Nord croit avoir à se plaindre de la manière dont les règles de la neutralité ont été observées dans le Grand-Duché de Luxembourg. Une notification a été faite à ce sujet, j'ignore quelle suite il y sera donné. L'affaire étant pendante, je ne crois pas devoir faire connaître le document auquel il a été fait allusion.
-<- La discussion est close.
M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. de Theux, qui demande que les pétitions soient déposées au bureau des renseignements.
- Voix nombreuses. - L'appel nominal !
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. de Theux.
79 membres y prennent part.
72 répondent oui.
7 répondent non.
En conséquence, la proposition de M. de Theux est adoptée.
Ont répondu oui :
MM. de Vrints, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hayez, Hermant, Jacobs, Jamar, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Liénart, Magherman, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Pety de Thozée, Pirmez, Rembry, Reynaert, Rogier, Santkin, Schollaert,. Simonis, Tack, Tesch, Thibaut, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx,- Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Biebuyck, Boucquéau, Bouvier, Braconier, Brasseur, Cornesse, d'Andrimont, David, de Baillet-Latour, de Clercq, De Fré, Delaet, de 3Iuelenaere, de Rossius, Descamps, de Theux, Dethuin et de Naeyer.
Ont répondu non : MM. Jottrand, Le Hardy de Beaulieu, Berge, Couvreur, Dansaert, Defuisseaux et Demeur.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Merckem, le 31 octobre 1870, le conseil communal de Merckem prie la Chambré d'autoriser les concessionnaires du chemin de fer d'Ostende à Armentières à modifier le tracé de manière à substituer la direction par Dixmude à celle par Thourout.
Même demande des membres du conseil communal de Dixmude et d'Oostkerke et de l'administration communale de Nieuport.
Messieurs, les pétitionnaires disent qu'il y a six ans, lors du dépôt de la demande en concession du chemin de fer d'Ostende à Armentières, ils (page 278) ont fait valoir des considérations en faveur d'un tracé par Dixmude ; qu'à cette époque, ces considérations n'ont pas été adoptées, mais qu'aujourd'hui les concessionnaires de ce chemin de fer, reconnaissant la justesse des observations émises à cette époque, demandent eux-mêmes les modifications qu'ils ont taché de faire valoir. Ils croiraient faillir à leur devoir en n'insistant pas de nouveau pour les faire adopter et rappellent que les avantages du tracé par Dixmude ont été longuement développés dans de nombreuses pétitions dont ils ont l'honneur de joindre une copie à la présente.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Rembry. - Messieurs, je suis heureux de saisir cette occasion pour appuyer vivement la demande des concessionnaires du chemin de fer d'Ostende à Armentières. Quel est l'objet de cette demande ?
Le changement du tracé primitif, en ce sens que la ligne au lieu de passer par Thourout passerait par Dixmude.
La raison et l'intérêt général semblent ici d'accord pour exiger ce changement, et c'est pourquoi je prends la confiance de le recommander d'une manière toute spéciale à la bienveillante sollicitude de M. le ministre des travaux publics.
Un simple coup d'œil jeté sur la carte de la Flandre occidentale vous convaincra, messieurs, que la modification sollicitée aurait pour effet de compléter fort heureusement le réseau des chemins de fer de cette province.
En effet, dans toute la partie occidentale de notre Flandre, depuis la frontière française jusqu'à Roulers et depuis Ypres jusqu'à Ostende, il n'y a jusqu'à ce moment qu'une seule ligne qui suive la direction de l'est à l'ouest, c'est celle de Lichtervelde à Furnes, si l'on fait abstraction du tronçon de Dixmude à Nieuport.
Or, à côté de cette ligne, à une distance qui les tient en dehors de son service, il y a un grand nombre de communes très populeuses et très importantes qui, pour devenir plus prospères, attendent qu'elles soient desservies par une voie ferrée.
Il y a là, vers le nord surtout, des terres et des prairies d'une grande richesse, ainsi que des exploitations industrielles et agricoles sur lesquelles le tracé que j'ai l'honneur de préconiser aurait la plus salutaire influence.
La ligne de Lichtervelde à Furnes se trouverait ainsi coupée par une autre ligne presque perpendiculaire de manière que les grands intérêts qui se trouvent des deux côtés de la première soient desservis.
Cet immense avantage n'est pas le seul.
Que l'on consulte la carte et l'on verra que le tracé de Ghistelles à Ypres par Dixmude serait une véritable ligne internationale ayant pour effet de raccourcir la distance non seulement entre Ostende et Armentières, mais entre Ostende et Paris, par Lens.
Sous ce rapport, il est incontestable que le tracé de Ghistelles à Thourout ne peut supporter la comparaison.
Du reste, outre que l'est de la Flandre occidentale est déjà assez bien doté de chemins de fer, il est aisé de voir que le tracé par Thourout serait parallèle à bien petite distance à la ligne existante de Roulers à Ypres.
Ce serait un luxe véritablement injuste, alors que dans l'ouest de cette même province il y a pénurie de chemins de fer, alors que l'on trouve là, comme j'ai eu l'honneur de le dire, des centres populeux et industriels qui sont éloignés de plusieurs lieues de toute station.
Ces quelques considérations suffiront, j'espère, pour engager l'honorable ministre des travaux publics à examiner avec bienveillance la' demande des concessionnaires, ainsi que les pétitions qui lui ont été adressées à ce sujet, et notamment celles des conseils communaux de Dixmude, Merckem, Oostkerke et Nieuport.
M. Van Renynghe. - Messieurs, j'espère que M. le ministre des travaux publics ne proposera pas, au tracé du chemin de fer d'Ostende à Armentières, des modifications qui pourraient nuire aux communes importantes de Langhemarcq et de Boesinghe et qu'il ne demandera pas non plus que la section de ce chemin de fer, d'Ypres par Messines vers Armentières, soit supprimée.
La suppression de cette section ferait un tort irréparable à différentes communes de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.
Ce haut fonctionnaire, j'en ai la conviction intime, ne prêtera pas la main à une mesure qu'aurait pour conséquence d'enlever à une contrée étendue et très fertile, parsemée de communes populeuses, des droits qu'elle peut considérer comme étant acquis.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, je crois devoir intervenir dans ce débat auquel je ne m'attendais pas, je l'avoue. J'ignorais que rapport serait fait aujourd'hui sur ces pétitions. Mais la question soulevée intéresse vivement l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, je dirai donc quelques mots.
Je n'examinerai pas à fond la question de savoir s'il faut, oui ou non, changer la direction du chemin de fer d'Ypres vers Ostende, s'il faut le diriger par Langemarck et Dixmude ou par Langemarck et Thourout.
D'autres collègues ont plus que moi mission de traiter ce point. Mais je demande que, dans tous les cas, la ligne passe par l'aggloméré de Langemarck, dont la population, si ma mémoire est fidèle, est de plus de huit mille âmes ; je ferai remarquer aussi à la Chambre, et j'appellerai sur ce point l'attention toute spéciale de M. le ministre des travaux publics, que, pour modifier un tracé adopté et voté par une loi qui a créé ainsi des droits acquis à des localités, il faut des motifs très sérieux et qu'on ne peut modifier un tracé admis par une loi sans qu'il y ait des nécessités d'une gravité extrême.
Or, ces nécessités n'existent pas ici, tout au contraire.
Voilà ce que j'avais à dire, quant à présent, à propos de la ligne d'Ypres à Ostende.
Mais il est un autre point qui est d'une importance beaucoup plus grande. On propose, paraît-il, de supprimer une partie de la ligne concédée et de déshériter ainsi complètement des localités populeuses du canton de Messines, qui ont droit à être reliées au réseau de nos chemins de fer.
Cette section est celle d'Armentiôres à Ypres, par Messines ; elle est la plus importante de toute la concession, puisqu'elle sera la tête d'une ligne internationale reliant le chemin de fer du Nord français à la mer, à Ostende, et l'on veut, dit-on, la supprimer ou tout au moins en modifier, le tracé au point de la rendre sans objet !
J'insiste sur ce point fortement. Je considérerais comme un déni de justice de refuser à des localités importantes, comme Messines, chef-lieu de canton, siège d'une institution royale et autres communes populeuses de ce canton, un chemin de fer qui leur a été garanti par un acte législatif ; elles ont pour ainsi dire un droit acquis, et je crois que, sur ce point, il n'y a pas à transiger. J'appelle donc, sur cette question, l'attention la plus bienveillante et la plus énergique de M. le ministre des travaux publics.
On me dira peut-être que la compagnie se trouve dans une position difficile et qu'elle ne peut pas exécuter toute sa ligne. Mais, messieurs, une compagnie qui ne peut pas exécuter ses obligations se trouve dans la position d'un particulier qui ne les remplit pas ou qui ne paye pas ses dettes. On exproprie ce particulier ; ici il y a aussi des biens à saisir. Des sections de la ligne sont achevées. Il existe une ligne d'Ostende à Thourout, une autre d'Armentières à Comines. Ces gages, on peut les saisir, réadjuger la concession, si la compagnie n'exécute pas loyalement et honnêtement ses obligations ; en ce cas, elle ne pourra s'en prendre qu'à elle-même des mesures sévères, mais justes, que l'on prendra contre elle.
Puisque j'ai la parole, je demanderai la permission à la Chambre d'adresser une question à M. le ministre des travaux publics, à propos de nos chemins de fer de la Flandre occidentale. J'ai lu avec un profond regret et un grand étonnement un avis inséré ces jours-ci dans les journaux et par lequel la compagnie générale d'exploitation fait savoir qu'elle a dénoncé le traité qu'elle avait fait avec le prédécesseur de M. le ministre des travaux publics, M. Jamar.
Une convention de service avait été conclue alors, cette convention avait été pour les Flandres une espèce de compensation, en attendant que l'on pût également, et à de bonnes conditions, reprendre la ligne de la Flandre occidentale comme on avait repris les autres lignes de la société. Aujourd'hui la compagnie dénonce cette convention.
Elle va donc soumettre toute une partie importante et riche du pays à une véritable exploitation, à des changements de train, à de longs retards, à des taxes exorbitantes, à des frais doubles, à des tarifs usuraires, à que sais-je encore ? Voilà la magnifique perspective qui attend la population de nos provinces flamandes !
Messieurs, je ne conteste pas le droit de la compagnie, mais il n'est pas toujours prudent d'user rigoureusement de son droit ; il est, d'après moi, du devoir de l'honorable ministre des travaux publics de suivre l'exemple de son honorable prédécesseur : de chercher à arriver par un moyen quelconque à déterminer la compagnie à maintenir la convention qui a été faite avec M. Jamar.
Si je n'avais en vue qu'une tactique, si je voulais tirer de cet incident un avantage pour la lutte politique, je n'insisterais pas si vivement, car je pourrais dire un jour aux populations lésées : « Vous savez ce que vous avez obtenu du cabinet libéral ; voyez ce que vous donne le ministère clérical. »
(page 279) Mais je tiens plus à l'intérêt de mon arrondissement qu'à un intérêt de parti. Voilà pourquoi j'insiste et espère réussir.
J'ai dit, messieurs, que la compagnie use de son droit ; le gouvernement me répondra peut-être dans le même sens. Je ferai remarquer qu'en ce moment M. le ministre des travaux publics a un excellent moyen d'obtenir
- Un membre. - Ce projet n'est pas adopté.
M. Vandenpeereboom. - Je le sais ; mais avant de le présenter, on aurait pu exiger ce que je demande.
Je ne sais si le projet sera adopté, et, sans me prononcer sur le fond, je déclare que j'ai l'intention bien arrêtée de proposer l'ajournement de la discussion de ce projet de loi jusqu'à ce que la question que je viens de traiter soit résolue définitivement. Je suis convaincu que tous les représentants de notre province et bien d'autres se joindront à moi pour obtenir l'ajournement de cette discussion, sinon pour voter contre ce projet de loi.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je parlerai d'abord du chemin de fer d'Ostende à Armentières. Je ne suis saisi, jusqu'à ce jour, d'aucune demande officielle de changement de tracé, quoique ce changement soit dans l'air et que j'aie reçu diverses pétitions à ce sujet. Je ne dissimulerai pas à la Chambre que je suis, en principe, du même avis que l'honorable M. Vandenpeereboom. Je suis d'avis que les droits acquis, résultant d'un vote des Chambres, doivent être respectés et je pense qu'il faut des raisons d'intérêt général bien évidentes pour changer le tracé d'un chemin de fer qui a été décrété.
Si, donc, je suis saisi d'une demande, je l'examinerai dans cet ordre d'idées et les honorables membres peuvent être certains que je pèserai très scrupuleusement les intérêts et les droits des localités en cause.
Quant à la deuxième question traitée par l'honorable M. Vandenpeereboom, la dénonciation des anciens tarifs appliqués au réseau des chemins de fer de la Flandre occidentale, le gouvernement a été aussi surpris et aussi peiné que l'honorable préopinant de cet acte de la société générale d'exploitation et je n'ai pas attendu l'interpellation de l'honorable membre pour engager la compagnie à revenir sur sa décision, que je considère comme très nuisible au commerce et à l'industrie des Flandres. Les négociations sont poursuivies de la manière la plus active et je ne suis pas sans espoir d'aboutir à une solution satisfaisante.
Si mon espoir devait être déçu, la faute ne pourrait, en tous cas, être imputée au gouvernement ; ainsi, que l'a dit l'honorable M. Vandenpeereboom, le strict droit paraît être du côté de la compagnie ; cependant je suis décidé à employer, à son égard, tous les moyens d'influence que je puis avoir.
Je ne regrette qu'une chose, c'est que l'honorable M. Vandenpeereboom ait cru devoir mêler à une question de justice et d'intérêt général une petite question de catholique et de libéral.
Car si, en ne consultant que l'intérêt de son parti, l'honorable membre croit pouvoir dire à ses électeurs que c'est un ministère catholique qui les a mis dans la situation que leur créerait le relèvement du tarif, je pourrais leur dire avec bien plus de raison : Si vous êtes exposés au nouveau tarif de la compagnie d'exploitation, c'est parce que le ministère libéral n'a pas compris les lignes de la Flandre occidentale dans son traité du 25 avril, parce qu'il les trouvait trop catholiques ; et j'ai la conviction que je serais cru avant mon honorable contradicteur.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, je suis très étonné de voir que l'honorable ministre des travaux publics se montre si chatouilleux ! Il prétend que je mêle la politique à ce débat ; j'ai dit, au contraire, que je voulais laisser la politique à l'écart, et que je mettais l'intérêt de mon arrondissement au-dessus de l'intérêt de parti.
Du reste, quand le moment d'engager un débat politique sera venu, M. le ministre peut être certain de me trouver à mon poste.
Quant à la question de savoir pourquoi les chemins de fer de la Flandre occidentale n'ont pas été repris en même temps que les autres lignes de la compagnie d'exploitation, je dirai que j'ai été fort peiné et fort mécontent de ce déni de justice, et qu'à cette occasion j'ai manifesté un mécontentement très vif à mes amis politiques.
Malheureusement, je n'ai pas réussi et je rendrais grâce à l'honorable ministre des travaux publics actuel, malgré le dissentiment politique qui nous sépare, s'il parvenait à faire reprendre les chemins de fer de la Flandre occidentale et le restant du réseau de la compagnie d'exploitation par le gouvernement, ainsi que son prédécesseur, M. Jamar, nous l'avait sinon formellement promis, du moins très sérieusement fait espérer.
- Adopté.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruges, le 15 novembre 1870, des propriétaires, cultivateurs et éleveurs dans la Flandre occidentale demandent la construction d'une éclusette de garde à l'embouchure du petit canal de Blankenberghe et derrière le port de refuge.
Messieurs, les pétitionnaires se plaignent de ce que le plateau qui sépare Blankenberghe des communes voisines se trouve périodiquement inondé d'une eau saumâtre qui fait un tort considérable à l'agriculture.
Votre commission, messieurs, a examiné cette question.. Il y a une wateringue établie dans ces parages ; il y a environ 6,000 hectares qui sont exposés à ces inondations.
Les pétitionnaires demandent la construction d'une éclusette, dont le coût serait de 12,000 francs, ce qui ferait une affaire de 2 francs par hectare.
Votre commission, messieurs, s'est posé la question de savoir si cette dépense n'était pas une charge incombant à ces wateringues.
La construction de cette éclusette ne constitue pas un travail d'utilité générale, mais un ouvrage d'utilité locale, dont les habitants propriétaires sont appelés à recueillir les avantages, à l'exclusion de tous les autres habitants du pays. La commission appelle sur ce point l'attention du gouvernement. Elle a l'honneur de proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
M. de Clercq. - Comme vous venez de l'entendre, messieurs, cette pétition est très importante. La qualité des signataires le prouve surabondamment.
Je me joins à l'honorable rapporteur pour en demander le renvoi à M. le ministre des travaux publics, en le priant instamment de vouloir faire étudier la question aussi promptement que possible, de telle sorte que, dans un bref délai, il puisse faire porter dans son budget un crédit suffisant à l'établissement de cet ouvrage indispensable.
Je regrette d'être en désaccord avec l'honorable rapporteur, quant au point de savoir à qui incomberaient les frais de construction.
Je pense que le doute n'est pas possible, car c'est par suite de la construction d'une écluse à la bouche du canal de Blankenberghe dans le port de refuge que des infiltrations se sont produites. Il est vrai qu'on avait réclamé l'évacuation des eaux surabondantes par le canal de Blankenberghe en le raccordant avec le port de refuge ; mais en exécutant ce travail on ne faisait que remplir une première obligation, résultant et de la destruction de l'ancienne écluse autrefois existante, et de l'augmentation des dimensions du siphon qui sous le canal d'Ostende amène les eaux du plateau supérieur dans le ruisseau le Nord Eede, servant également, à cette époque, à l'écoulement des eaux du plateau inférieur ; de cette façon, le ruisseau est devenu insuffisant, la masse d'eau à écouler ayant augmenté dans la proportion de la plus grande puissance, portée de 4 à 6, du susdit siphon.
Ces infiltrations d'eau saumâtre durent déjà depuis trois années, elles causent les plus grands ravages dans les pâtures da Nord ; les abreuvoirs de ces pâtures sont alimentés par les eaux du petit canal de Blankenberghe et les cultivateurs qui ont conservé leur bétail dans ces pâtures se sont trouvés exposés à le perdre en tout ou en partie et à subir ainsi de grands dommages.
La nécessité du travail réclamé est bien établie en principe ; point de canal d'évacuation, correspondant avec la mer, sans écluse de garde. C'est ainsi que les choses sont établies à Ostende.
Je recommande donc de nouveau cette importante pétition à M. le ministre des travaux publics, en le priant de vouloir inscrire à son budget le crédit nécessaire pour la construction d'une éclusette de garde dans le petit canal de Blankenberghe. Il suffira, je pense, d'une douzaine de mille francs.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je ne puis que dire que j'aurai le plus grand égard aux recommandations qui viennent de m'être faites par M. de Clercq.
J'examinerai la pétition avec le désir de faire ce qu'il a si bien démontré être utile à son arrondissement.
- Les conclusions sont adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Cherscamp, le 21 novembre 1870, des habitants de Cherscamp prient la Chambre de faire donner suite à leur demande ayant pour objet une enquête sur les actes du bourgmestre de cette commune et se plaignent que plusieurs enfants se trouvent privés de l'instruction primaire.
(page 280) Messieurs, cette pétition a une importance qu'on ne saurait contester, puisqu'elle intéresse non seulement la gestion financière des communes, mais l'intéressante question de l'instruction publique dans nos campagnes.
Les pétitionnaires vous rappellent une première pétition sans date, sur laquelle la Chambre a adopté, dans la séance du 18 février 1870, des conclusions qui étaient le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice.
Pour que vous soyez à même de juger de cette affaire en connaissance de cause, je vais vous donner lecture du rapport :
« Cette affaire, messieurs, est d'une haute importance. Les pétitionnaires signalent plusieurs griefs, très graves s'ils sont fondés. Ou bien il y a malversation de la part de l'administration communale de Cherscamp, ou bien il y a calomnie de la part des pétitionnaires.
« Evidemment, MM. les ministres de l'intérieur et de la justice ne pourront se dispenser de faire une enquête sur les faits allégués.
« Les pétitionnaires s'expriment dans les termes suivants :
« 1° Il y a plusieurs années, une somme de 3,000 francs, appartenant à la commune, a été placée chez un notaire des environs, à 4 p. c, et les intérêts produits jusqu'au remboursement n'ont pas été versés à la caisse communale et ne figurent dans aucun compte. Ils s'élèvent à 321 fr. 36 c. ;
« 2° Un certain Pierre Broukaert a payé un fermage de 17 francs, revenant à la commune. Cette somme n'a pas été versée dans la caisse communale ;
« 3° En février 1865, M. le bourgmestre de la commune de Cherscamp a, sans autorisation soit du conseil, soit de la députation permanente, vendu des arbres appartenant à la commune. Le produit s'en est élevé à 105 francs et n'a pas été versé à la caisse communale ;
« 4° En 1864 ou 1865, une petite parcelle de terrain communal a été vendue par le même à un nommé Joseph Van Durme, propriétaire du terrain limitrophe. D'après les bruits qui circulent, le prix aurait été de 35 à 40 francs et n'a pas été versé à la caisse communale ;
« 5° Il a été constaté, par un jugement du tribunal correctionnel de « Termonde, du 12 février 1869, que M. le bourgmestre de Cherscamp avait émis des mandats que ce jugement a qualifiés de faux, ce durant les années 1862, 1863, 1864, 1865, 1866, et s'il a été établi à l'audience que partie de ces mandats ont servi à couvrir des dépenses non autorisées, on n'a pu, jusqu'à présent, justifier l'emploi du restant.
« En ce qui concerne le bureau de bienfaisance :
« 1° L'adjudication totale du fermage des biens, opérée le 10 août 1864, s'élève à 1,091 fr. 25 c. et cependant les comptes de ce bureau prouvent qu'il est reçu annuellement 15 francs de moins. Cette diminution provient de remises arbitraires et illégales, savoir : de 6 francs sur le fermage dû par le garde champêtre, de 4 francs sur le fermage dû par le sieur Godefroid Daens et de 5 francs sur le fermage dû par le sieur Van Leuven ;
« 2° Des arbres appartenant au bureau ont été vendus de la main à la main au sieur Godefroid Daens pour le prix de 80 francs ; le bureau n'avait pas autorisé cette vente, ni le conseil communal, ni la députation permanente ; la valeur marchande de ces arbres était de loin supérieure à ce prix de 80 francs.
« Si les sommes dont il s'agit sont petites, elles ont une grande importance pour une commune dont les ressources sont faibles ; mais ce qui est plus important, c'est la manière dont les lois et les principes d'administration ont été violés. A tous ces titres, les soussignés vous prient, messieurs, d'interposer vos bons offices pour faire redresser ces justes griefs et en empêcher le retour. »
« Ainsi, messieurs, de deux choses l'une : ou il y a malversation de la part des administrateurs de la commune de Cherscamp, ou il y a calomnie de la part des pétitionnaires qui dénoncent l'autorité communale. On ne peut sortir de ce dilemme. Il faut donc que les administrateurs soient punis du chef de malversation ou que les pétitionnaires soient punis du chef de calomnie.
« Dans ce sens, votre commission a conclu au renvoi de la pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice. »
M. Bouvier. - Quelle est la date de cette pétition ?
M. Vander Donckt, rapporteur. - Elle est de 1869, je suppose, et la nouvelle est datée du 29 novembre 1870. Les pétitionnaires reviennent à la charge, parce qu'on n'a pas donné suite à leur première réclamation et, dans leur deuxième pétition, ils ajoutent :
« Aussi croyons-nous devoir vous mettre respectueusement sous les yeux ce qui suit :
« Le 31 octobre dernier, le nommé Pante, de Wichelen, surveillant ou sous-surveillant des propriétés de M. de Eerchove-de Limon-de Looze, bourgmestre de Gand, s'est rendu ici chez les fermiers de ce monsieur, accompagné du garde champêtre de Cherscamp, qui lui indiquait les maisons des fermiers qui ont des enfants, mais sans y entrer ; le sieur Pante défendait à ces fermiers d'envoyer encore leurs enfants à l'école communale, sous peine de devoir quitter les terres qu'ils tiennent en location de M. de Kerchove.
« Le bourgmestre de Cherscamp en personne a fait aussi interdiction, chez quelques-uns, sous les mêmes menaces. Trente-cinq enfants jouissant cette année encore de l'instruction gratuite et admis comme tels par le conseil communal, ont été rayés de la liste, ceux justement sur lesquels le bourgmestre n'a pas d'influence, tandis que tous ceux qu'il est parvenu à faire quitter l'école par la menace de leur reprendre leurs terres sont restés sur la liste.
« Il est évident que la manière de faire du bourgmestre n'a d'autre but que de nuire à l'instituteur, tandis que l'enseignement ne laisse rien à désirer, puisque au concours de cette année deux élèves ont obtenu un 1er et un 3e prix..
« Les cinquante à soixante élèves privés de tout enseignement par cette manière de faire sont, en partie, payants ; mais le plus grand nombre appartient aux insolvables.
« Dans l'espoir fondé que vous daignerez prendre des mesures pour que l'enseignement primaire ne soit pas entravé ainsi dans la commune, ils ont l'honneur d'être, avec le plus profond respect, etc. » (Suivent 40 signatures.)
Vous comprenez, messieurs, toute la gravité des abus reprochés au bourgmestre de Cherscamp, non seulement sous le rapport des finances de la commune, mais encore au point de vue de l'instruction primaire, pour laquelle les Chambres et le gouvernement font tant de sacrifices, que nous-mêmes nous encourageons de tout notre pouvoir et que nous cherchons à propager le plus possible.
Dans cette situation, votre commission vous propose, messieurs, le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice avec demande d'explications.
De deux choses l'une : ou bien il y a eu malversation, et dans ce cas le bourgmestre est coupable ; ou bien, il n'y a pas eu faute commise par lui et alors il y a calomnie de la part des pétitionnaires et il importe qu'une enquête sévère fasse connaître ce qui s'est passé dans la commune de Cherscamp.
M. Bouvier. - Les faits révélés dans ces deux pétitions sont tellement graves que je m'associe entièrement aux observations présentées avec beaucoup de force par l'honorable rapporteur de la commission.
Je demande qu'une enquête soit ouverte sur ces deux pétitions et que, s'il y a lieu, des poursuites soient exercées contre le coupable.
M. Vanden Steen. - Je viens appuyer les conclusions du rapport de l'honorable M. Vander Donckt. Ce n'est pas la première fois que des habitants de Cherscamp viennent devant la Chambre déposer leurs plaintes et lui signaler des faits et gestes de leur bourgmestre.
Les développements dans lesquels l'honorable rapporteur vient d'entrer me permettent d'être bref.
Il s'agissait, dans la première pétition, d'irrégularités graves dans la gestion des intérêts de la commune.
Après une enquête qui n'a pas donné les résultats auxquels on s'attendait, qui peut-être n'a pas eu lieu, le bourgmestre, se croyant sûr de l'impunité, a continué la série de ses tristes exploits. Ce n'est plus seulement au point de vue de la gestion des intérêts de la commune, mais encore et surtout au point de vue de l'instruction à donner aux enfants pauvres que les faits signalés à la Chambre sont odieux et répréhensibles.
Je m'associe donc aux conclusions de la commission ; et puisque M. le ministre de l'intérieur est présent et que c'est une affaire déjà ancienne, je lui demanderai si, séance tenante, il ne pourrait pas nous donner quelques explications ; nous espérons qu'une enquête prompte et sévère viendra élucider des faits aussi odieux et qui ne peuvent pas rester plus longtemps sans répression.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Messieurs, les faits, il ne faut pas se le dissimuler, sont d'une gravité extrême.
Lorsque j'ai pris possession du ministère de l'intérieur, j'ai trouvé une pétition du mois de février, adressée par des habitants de Cherscamp à cette Chambre et que l'assemblée avait renvoyée au ministre de l'intérieur. Je me suis hâté de provoquer des rapports administratifs sur cette pétition, et les rapports que j'ai reçus, ont établi la gravité que je constatais tout à l'heure. La Chambre me permettra de donner quelques détails à cet égard.
(page 281) Le bourgmestre de Cherscamp est cité dans les rapports administratifs comme un homme d'une grande violence ; il a eu successivement des luttes avec le bureau de bienfaisance, avec les anciens échevins, avec le receveur communal et surtout avec l'instituteur ; il s'est montré envers celui-ci d'une animosité telle que lorsqu'un nouveau bâtiment d'école a été construit dans la commune, l'instituteur, pendant une année entière, n'a pu en prendre possession ; il a fallu un commissaire spécial pour l'y installer.
Qu'est-il arrivé ? C'est qu'à ce moment même les faits les plus graves étaient révélés à charge du bourgmestre ; on disait qu'il s'était rendu coupable de faux dans son administration, et il a été réduit à intenter une action en calomnie devant le tribunal de Termonde.
Ce tribunal rendit un jugement admettant le prévenu à subministrer la preuve des faits allégués.
A la suite de cette preuve, intervint un jugement qui renvoya l'inculpé des fins de la plainte. Voici les considérants de ce jugement :
« Attendu que les mandats en question énoncent faussement la cause pour laquelle ils étaient ordonnancés ; qu'ils constatent comme vrais des faits qui ne l'étaient pas, et qu'abstraction faite de toute intention frauduleuse de la part de ceux qui les ont signés, ils constituent de faux mandats ;
« Attendu qu'il résulte de cé qui précède que les faits dont le prévenu a été admis à subministrer la preuve sont établis. »
En même temps le bourgmestre de Cherscamp continuait les persécutions les plus odieuses contre l'instituteur ; il se rendait dans l'école communale où il l'accablait d'outrages et d'injures.
Quel remède fut porté à cette situation ? Je regrette de devoir le dire : grâce aux protections qui étaient acquises au bourgmestre, ce fut l'instituteur qu'on invita à donner sa démission, en le prévenant que s'il ne la donnait pas, il serait immédiatement révoqué.
Le 20 juin dernier, le gouverneur de la Flandre orientale reçut une dépêche qui l'invitait à transmettre cette information à l'instituteur.
Quelques jours après, j'entrais au ministère de l'intérieur, je me faisais rendre compte des faits et je maintenais l'instituteur dans ses fonctions.
Malgré mes avertissements, le bourgmestre ne modifia en rien sa conduite. A la fin du mois d'octobre dernier, il chargea le garde champêtre de conduire l'agent d'un grand propriétaire chez tous les cultivateurs ayant des terres en location de celui-ci pour les prévenir que s'ils continuaient à envoyer leurs enfants à l'école communale, ils seraient privés de leurs terres.
Cela ne suffit pas. Le bourgmestre alla lui-même chez ses fermiers et fit entendre les mêmes menaces. Mais ce qui mérite davantage une énergique flétrissure, c'est que le bourgmestre et le conseil communal prononcèrent la radiation des enfants pauvres qui fréquentaient l'école, afin de priver l'instituteur de la rétribution scolaire.
M. Anspach. - D'après vous, le conseil communal se serait donc rendu complice du bourgmestre ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il en résulta que vingt-cinq ou trente enfants pauvres furent dans l'impossibilité de continuer à recevoir l'enseignement primaire. Il en fut de même de vingt-cinq ou trente enfants, appartenant à des classes plus aisées, ce qui amena une diminution de soixante enfants environ dans le personnel de l'école.
Cette mesure avait encore un autre but : c'était d'empêcher l'instituteur de prendre part à un concours où il s'était toujours signalé ; et ce qui fait le plus grand éloge de cet instituteur, c'est qu'étant réduit à n'envoyer que trois enfants à ce concours, il en a eu deux de couronnés ; l'un obtint le premier prix, l'autre le troisième.
Du reste, messieurs, l'instituteur dont il est question est, d'après les rapports des autorités, d'après le rapport de l'inspecteur provincial, un des instituteurs les plus méritants et les plus distingués de la Flandre orientale.
M. Rogier. - Quels sont les motifs des mesures prises par le conseil communal ?
M. Pirmez. •- N'y a-t-il aucune pièce qui puisse renseigner la Chambre à ce sujet ?
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Il y en a plusieurs qui sont défavorables au bourgmestre ; mais elles ont un caractère confidentiel qui ne me permet pas d'en donner lecture à la Chambre. Cependant je les mettrai volontiers sous les yeux de l'honorable M. Pirmez, s'il le désire.
Un dernier mot, messieurs. Au mois de novembre dernier, il y a quelques jours à peine, le bourgmestre se rendit de nouveau à l'école communale pour y insulter l'instituteur en présence des élèves. Quelques jours après, sous un prétexte futile, sous le prétexte le plus futile, le conseil communal prononçait pour trois mois la suspension de l'instituteur.
M. Anspach. - Le conseil communal tout entier ? Il y avait donc des motifs sérieux.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Un rapport de M. l'inspecteur provincial constate qu'il n'y avait aucun motif sérieux, Le motif allégué par le conseil communal était que l'instituteur se trouvait dans la cour des filles, alors qu'un échevin s'était rendu dans la cour des garçons pour le chercher. (Interruption.)
Dans cet état de choses, j'ai cru remplir mon devoir en informant le gouverneur qu'il avait à suspendre l'exécution de la mesure prise par l'autorité communale, et je me réserve de proposer d'autres mesures qui, en atteignant le bourgmestre lui-même, maintiendront à l'enseignement primaire la protection que nous voulons tous lui assurer.
M. Pirmez. - Messieurs, il est assez étrange que M. le ministre de l'intérieur apporte dans cette Chambre une accusation contre un acte de mon administration sans m'en prévenir. L'honorable ministre est venu critiquer un acte de suspension d'un instituteur en nous montrant l'instituteur qui en avait été la victime comme absolument innocent et le gouvernement comme ayant cédé aux motifs les plus blâmables, en prononçant cette suspension.
Je crois que son premier devoir était de me prévenir.
Il y a six mois au moins que le fait s'est passé. J'avoue ne pas me souvenir des détails que vient de donner l'honorable M. Kervyn. Les contestations entre instituteurs et bourgmestres ne sont pas rares. J'ai eu au département de l'intérieur de nombreuses affaires de ce genre. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que je n'aie nul souvenir d'une de ces affaires qui se serait passée dans une commune dont je ne me rappelle pas même le nom.
Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir me communiquer le dossier et je ne fais pas de doute que je ne puisse parfaitement, dans l'intérêt de l'enseignement primaire, justifier l'acte que j'ai posé, parce que, dans tous les cas, j'ai statué impartialement, je n'ai jamais eu en vue qu'une seule chose : la bonne administration et la bonne direction de l'enseignement. Je n'ai donc pas la moindre crainte de ne pouvoir justifier de la manière la plus complète ma conduite dans cette affaire.
Vous avez déjà pu vous convaincre que les faits, tels qu'ils étaient présentés par M. le ministre de l'intérieur, n'ont pas été admis par le conseil communal. Voilà un conseil communal tout entier qui se prononce contre l'instituteur. Il a dû avoir des motifs. On dit que l'on n'a eu aucun prétexte, qu'il y a là une iniquité révoltante, et le conseil communal demande la révocation de cet homme.
Je le répète, je n'ai aucun souvenir de cette affaire, mais j'apprécie les faits d'après ce que vient d'en dire M. le ministre de l'intérieur et je trouve qu'il y a là des choses extrêmement étranges.
Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, qui a les pièces sous les yeux, si l'autorité provinciale n'a pas demandé aussi la révocation de cet instituteur.
Si j'avais pu examiner le dossier, j'aurais certainement disculpé mes actes, et j'en demande communication.
M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - Je regrette que l'honorable M. Pirmez me force à donner cette explication ; mais je dois dire que, dans un rapport ancien, M. le gouverneur de la province, insistant pour qu'on sévisse contre l'instituteur, donne à cette mesure un caractère exclusivement politique.
Je ne demande pas mieux, du reste, que de communiquer toutes les pièces à l'honorable M. Pirmez ; mais il y en a (je l'ai déjà dit) qui ont un caractère confidentiel. J'espère que, pour celles dont il fera usage, il apportera la même réserve que moi-même.
M. Pirmez. - J'apprécierai ce que réclame ma défense. Je ne sortirai certainement pas des règles que commande la délicatesse ; mais je suis attaqué et j'userai des pièces dont je dois user pour ma défense.
Mais je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, qui prend tant de plaisir à rechercher dans les dossiers des sujets d'accusation contre mon administration... (Interruption.)
Messieurs, M. le ministre de l'intérieur n'est-il pas venu, il y a deux jours, me chercher grief parce que des rapports sur l'instruction moyenne et sur l'instruction primaire, que, d'après un usage constant j'avais déposés, n'étaient pas terminés ?
(page 282) M. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur. - J'ai donné cette explication en réponse à une interpellation de M. de Rossius.
M. Pirmez. - Et pour révéler ce fait, il a fallu soulever un incident., M. de Rossius avait demandé depuis plusieurs jours un renseignement. M. le ministre avait répondu et on n’y était plus revenu. Aujourd'hui on vient parler de faits qui me seraient personnels. Eh bien, il me semble des règles de la convenance, que quand on attaque quelqu'un on le prévienne.
Il y a des centaines d'affaires dont j'ai eu à m'occuper, et quand on vient inopinément entretenir la Chambre de l'une de ces affaires, j'avoue, que je n'ai pas la mémoire assez vaste pour me la rappeler.
- Plusieurs membres. - A mardi !
- La Chambre renvoie la suite de la discussion à mardi.
M. Jacobs, ministre des finances. – On a distribué avant-hier aux membres de la Chambre le document contenant la correspondance échangée, entre le gouvernement, et la Banque Nationale ainsi que les procès-verbaux de la commission consultative.
Ce matin, j'ai reçu de la Banque Nationale un mémoire accompagné d'annexés, avec prière de comprendre ces pièces dans la publication déjà distribuée.
Je demande à la Chambre l'autorisation de publier ces pièces à part comme suite à celles déjà imprimées.
J'ajoute que, pour mettre un terme à la série des pièces à publier, je n'ai pas l'intention de répondre à ce mémoire ; sinon, nous n’en verrions jamais la fin.
- L’impression est ordonnée.
La séance est levée à 5 heures.