(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIII.)
(page 220) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Wouters présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Carlsbourg demandent l'exécution du chemin de fer d'Athus à Givet, dont la concession a été sollicitée par l'ingénieur Brassine. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même chemin de fer.
« Les secrétaires communaux du canton de Puers demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré, que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciales et générale. »
« Même demande du secrétaire communal de La Hestre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Vanden Steen, retenu par un deuil de famille, et M. Mascart, retenu par une indisposition, demandent un congé de quelques jours.
- Ces congés sont accordés.
- Il est procédé au tirage au sort des sections de décembre.
M. le président. - J'ai reçu de M. le ministre de la justice la lettre suivante :
« Bruxelles, le 1er décembre 1870.
« Monsieur le président,
« D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur d'annoncer à la Chambre l'heureuse délivrance de S. A. R. la Comtesse de Flandre, qui a donné le jour à deux princesses hier, 30 novembre.
« La première, née à 8 h. 25 m. du matin, a reçu les prénoms d'Henriette-Marie-Charlotte-Antoinette.
« La seconde, née à 8 h. 45 m. du matin, a reçu les prénoms de Joséphine-Marie-Stéphanie-Victoire.
« Agréez, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.
« Le ministre de la justice.
« Prosper Cornesse. »
D’après les précédents de la Chambre, j’ai l’honneur de proposer qu’une députation de onze membres soit tirée au sort en envoyée au Roi pour féliciter Sa Majesté.
- Cette proposition est adoptée.
Il est procédé au tirage au sort de la députation.
Elle se compose, outre M. le président de la Chambre, de MM. Visart (Amédée), Thienpont, Bricoult, Royer de Behr, Allard, Dumortier, De Fré, d'Andrimont, Dansaert et de Montblanc.
M. Magherman. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit supplémentaire de 47,097 fr. 8 c. au département des finances pour l'exercice 1870.
M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du ministère des affaires étrangères pour l'exercice 1871.
- Ces rapports seront imprimés et distribués, et les projets auxquels ils se rapportent mis à la suite de l'ordre du jour.
« Droits d'entrée : fr. 13,500,000. »
- Adopté.
« Sel : fr. 1,760,000. »
- Adopté.
« Vins étrangers : fr. 2,300,000. »
- Adopté.
« Eaux-de-vie indigènes : fr. 5,410,000. »
- Adopté.
« Bières et vinaigres : fr. 9,100,000. »
- Adopté.
« Sucres de canne et de betterave : fr. 3,640,000. »
- Adopté.
« Glucoses et autres sucres non cristallisables : fr. 30,000. »
- Adopté.
« Frais d'essai des matières d'or et d'argent : fr. 100,000. »
- Adopté.
« Recettes extraordinaires et accidentelles, loyers des aliments, droits de magasin des entrepôts de l'Etat, et rétributions du chef des extraits du cadastre, etc. : fr. 60,000. »
- Adopté.
« Enregistrement (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 18,000,000. »
- Adopté.
« Greffe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 350,000. »
- Adopté.
« Hypothèques (principal et 25 centimes additionnels) : fr. 3,000,000. »
- Adopté.
« Successions (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 12,000,000. »
- Adopté.
« Droit de mutation en ligne directe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 2,300,000. »
- Adopté.
« Droit dû par les époux survivants (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 200,000. »
- Adopté.
« Timbre : fr. 4,300,000. »
- Adopté.
« Naturalisations : fr. 5,000. »
- Adopté.
(page 221) « Amendes en matière d'impôts : fr. 230,000. »
- Adopté.
« Amendes de condamnations en matières diverses : fr. 400,000. »
- Adopté.
« Rivières et canaux : fr. 1,800,000. »
M. De Lehaye. - Messieurs, comme l'a fait le rapporteur de la section centrale, je dois appeler l'attention du gouvernement sur le canal de Terneuzen. Ce canal est un canal international et, comme tel, il n'a pu jouir du bénéfice de la loi de 1865, mais il y a des dispositions qu'il dépend, ce me semble, du gouvernement de modifier.
Ainsi le péage est établi non seulement sur le jaugeage du navire, mais encore sur la qualité des marchandises qu'il transporte, et cette disposition donne lieu aux difficultés les plus grandes et à des pertes de temps considérables pour les bateliers.
Une disposition tout aussi mauvaise, c'est la différence qui existe entre les péages d'hiver et les péages d'été. La navigation est beaucoup plus difficile en hiver qu'en été et c'est précisément en hiver que le péage est plus élevé.
Ces deux inconvénients sont très graves, mais il en est un qui est encore beaucoup plus onéreux et j'espère que le gouvernement fera tout ce qui est en lui pour le faire cesser.
Vous savez, messieurs, qu'il existe un droit destiné à couvrir la main-d'œuvre des écluses. L'arrêté qui règle la perception de ce droit sur le canai de Terneuzen date de 1850 ; d'après cet arrêté, les navires qui remontent le canal et qui déchargent leurs marchandises à mille mètres de l'écluse de Gand, payent ce droit d'écluse et ils sont obligés de payer de nouveau ce droit lorsqu'ils retournent vers Terneuzen, alors qu'aucune manœuvre d'écluse n'a été faite.
J'appelle l'attention sérieuse du gouvernement sur ces trois points :
D'abord le droit différentiel de navigation pour l'hiver et pour l'été.
En second lieu, le droit différentiel de jaugeage.
Et en troisième lieu, le droit d'écluse perçu alors même que l'écluse n'a pas été manœuvrée.
Je crois que le caractère international du canal ne fait pas obstacle à ce qu'on fasse cesser ces inconvénients. Ils existent sur le territoire belge ; le gouvernement hollandais n'a donc aucun intérêt à ce qu'ils soient maintenus et j'espère que, lors de la discussion du prochain budget, ces griefs fondés signalés par le commerce auront disparu.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, ainsi qu'il a été répondu à la section centrale, une négociation est entamée avec le gouvernement des Pays-Bas, au sujet des modifications à apporter dans les droits perçus sur deux canaux internationaux : celui dont vient de parler l'honorable député de Gand et celui de Maestricht à Bois-le-Duc.
L'honorable membre laisse entendre que le gouvernement, avant de conclure un traité nouveau avec la Hollande, pourrait faire cesser un certain nombre d'anomalies qui évidemment doivent disparaître.
Je crois que cela n'est pas possible. Les divers points relatifs à la perception des droits sur les canaux sont réglés par un traité. Il n'appartient pas au gouvernement d'apporter isolément des modifications, même sur son territoire, aux stipulations de conventions internationales.
Mais nous activerons autant que possible l'accord à conclure avec le gouvernement des Pays-Bas qui a autant d'intérêt que nous à ce que les droits sur ce canal soient ramenés à un taux raisonnable.
M. De Lehaye. - Je crois que M. le ministre se trompe.
Il y a, en effet, entre la Hollande et la Belgique un traité relativement à la navigation, mais les trois dispositions que j'ai signalées ont été réglées par un arrêté royal antérieur à la révolution et ne concernent plus en rien la Hollande.
Le traité avec la Hollande ne touche ni aux droits différentiels pour les marchandises, ni à la question des écluses., Pour les écluses, c'est la rétribution de la main-d'œuvre. Or, il va de soi que lorsque les écluses restent fermées, on ne devrait rien payer.
C'est sur ces points que j'appelle l'attention de M. le ministre des finances.
M. Jacobs, ministre des finances. - Assurément, messieurs, s'il est certaines dispositions qui sont appliquées en vertu d'un simple arrêté royal, il dépend de nous de donner satisfaction aux observations qui nous sont faites. Mais je crois que tout ce qui se rapporte au péage, même le tarif différentiel d'après la nature des marchandises, est réglé par le traité et qu'il ne nous est pas permis d'y toucher, sans un accord préalable.
- L'article est adopté.
« Routes appartenant à l'Etat : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Taxe des correspondances en général : fr. 3,581,500. »
- Adopté.
« Droits sur les articles d'argent : fr. 64,900. »
- Adopté.
« Emoluments perçus en vertu de la loi du 19 juin 1842 : fr. 70,800. »
- Adopté.
« Produit du service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres : fr. 500,000. »
M. Coomans. - Messieurs, on m'a donné l'assurance qu'il est fait abus du parcours gratuit sur les bateaux à vapeur de l'Etat comme sur le chemin de fer de l'Etat.
J'appelle l'attention du gouvernement sur ce point.
Il est reconnu que le produit du service des bateaux à vapeur est insuffisant relativement au coût.
Quant à moi, j'ai toujours été adversaire de cette entreprise ; mais, puisque le gouvernement en est chargé, il faut qu'il en subisse le moins de dommage possible.
Il faut donc que l'on n'accorde le parcours gratis que pour service rendu à l'Etat, de même qu'il faut que l'on n'accorde le parcours gratuit sur le chemin de fer de l'Etat. que pour des services publics.
Je sais bien qu'une loi de 1852, je pense, loi dont j'ai pris l'initiative, a réglé le transport gratuit, mais je sais aussi que cette loi n'a jamais été observée. Il en résulte un véritable dommage pour l'Etat, c'est-à-dire une diminution de recettes, ce qui est la même chose.
Je prie les divers ministres qui ont à s'occuper de cet état de choses et le ministre des finances en particulier, de ne pas perdre de vue cette observation que je fais dans un intérêt purement public.
M. Le Hardy de Beaulieu. - J'avais demandé dans ma section au rapporteur de vouloir bien s'enquérir du coût réel et total du service des bateaux à vapeur. La question, si je m'en rapporte au rapport, a été posée à la section centrale, et cependant aucune réponse n'y a été faite.
J'ai cherché à diverses reprises à me rendre un compte exact du coût du service des bateaux à vapeur pour le mettre en rapport avec le produit, mais ces dépenses sont disséminées dans divers budgets et je n'ai jamais été bien certain d'être arrivé à un résultat exact.
Je demande donc à M. le ministre des affaires étrangères de faire dresser un état du coût réel de ce service pour nous servir de renseignement à l’avenir.
M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - J'aurai l'honneur, lors de la discussion de mon budget, de fournir à M. Le Hardy le compte qu'il désire obtenir relativement au service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres. Je crois que cet état est dressé et que je pourrais le fournir immédiatement, mais je me réserve de le soumettre à la Chambre lors de la discussion de mon budget.
Il sera ainsi satisfait à la demande de l'honorable membre.
Au moment où. j'entrais dans la salle, l'honorable M. Coomans parlait d'abus qui se commettaient en ce qui concerne le transport gratuit sur les paquebots faisant le service entre Ostende et Douvres.
Je ne pense pas que cet abus existe. Depuis que je suis au département des affaires étrangères, une réduction de prix a été accordée, si mes souvenirs me servent bien, pour le transport à Ostende de différents colis destinés aux blessés et contenant soit de la charpie, soit des instruments de chirurgie, soit d'autres objets nécessaires au traitement des malades.
C'est le seul transport, je le répète, qui, à ma connaissance, ait été fait gratis ou à prix réduit.
Quant aux personnes, je ne crois pas qu'il leur soit accordé le transport gratuit si ce n'est pour service public : si le transport gratuit a été accordé dans d'autres circonstances, c'est un abus auquel il faut remédier.
M. Coomans. - Je suis heureux d'apprendre que, depuis l'arrivée de l'honorable baron d'Anethan au pouvoir, il n'y a plus eu de transports gratuits indûment effectués.
Mais je dois déclarer à l'honorable ministre et à la Chambre que je (page 222) crois être très bien informé, en disant que, depuis nombre d'années, il y a eu beaucoup de transports gratuits abusivement délivrés.
Je ne parle pas des marchandises, mais des personnes. Du reste, nous le savons tous, nous n'avons qu'à aller sur un bateau à vapeur ou monter dans une voiture de première classe du chemin de fer de l'Etat pour constater que, chaque fois, il s'y trouve quelqu'un qui ne paye pas. Et ce qu'il y a de plus fort, c'est que ce quelqu'un, cette quelqu'une parfois, occupe à lui ou à elle seule tout un compartiment ; et, cela pour... service public. (Interruption.)
Messieurs, remarquez-le bien, ce n'est pas seulement dans l'intérêt du trésor que je parle, - quoique ce motif fût bien suffisant, - mais c'est aussi dans l'intérêt de la justice distributive. J'ai vu, vous avez tous vu que parfois de pauvres diables, de pauvres femmes ont été écartées du chemin de fer parce qu'il leur manquait quelques centimes pour payer leur coupon.
Je n'en fais pas un grief aux employés de l'Etat : ils exécutaient le règlement et ils avaient raison ; ils ne sont pas, ces employés inférieurs, assez richement rémunérés pour parfaire l'appoint nécessaire. Mais je suis persuadé que dans les mêmes convois d'où l'on a écarté, sous mes yeux, de pauvres gens, faute de quelques centimes, il y avait des gens qui n'étaient pas pauvres et qui voyageaient gratuitement.
Eh bien, c'est là un abus. Quand le gouvernement, par ses agents, renonce à la perception de quelques francs, c'est absolument comme s'il donnait quelques francs. Or, de même qu'il ne peut pas puiser indûment dans le trésor, de même aussi il ne peut pas se priver indûment d'une recette.
Je désire donc qu'on en revienne à l'exécution ponctuelle de la loi de 1852, qui exige que tous les transports gratuits soient justifiés ; et qu'on ne voyage que moyennant un billet qui soit contrôlé par les autorités compétentes.
Mais on se passe même de billets et quelquefois même un seul billet sert à plusieurs personnes. Et quand même il n'en résulterait qu'une perte de 300,000 à 400,000 francs (et je suis persuadé qu'elle est plus considérable) il resterait toujours l'iniquité dont je parlais tout à l'heure. Je désire que l'on respecte la justice distributive.
- La discussion est close.
Le chiffre est adopté.
« Chemin de fer : fr. 47,500,000. »
M. Braconier. - Les journaux ont annoncé, et le bruit s'est répandu dans le public, que le gouvernement était d'intention de remanier les tarifs du chemin de fer, tant pour les voyageurs que pour les marchandises.
Cette nouvelle, a jeté quelque émotion dans le commerce et l'industrie parce qu'on sait d'avance dans quel sens ces tarifs seraient remaniés. On connaît sur ce point l'opinion de l'honorable M. Malou, qui exerce dans les différents départements ministériels une influence prépondérante : on connaît son opinion, par les lettres publiées sur cette question, dans le Moniteur des intérêts matériels, lettres dans lesquelles la réforme introduite par M. Vanderstichelen a été assez malmenée.
La conclusion de ces articles était qu'il y avait lieu d'augmenter les prix de transport.
Je ne veux pas ici discuter la question des tarifs ; ce n'en est pas le moment ; j'ajournerai les observations que je pourrais avoir à présenter, à la discussion du budget des travaux publics. Mais je viens demander au gouvernement si réellement il a l'intention d'apporter des modifications sérieuses aux tarifs du chemin de fer, tant pour les marchandises que pour les voyageurs.
Je fais cette demande pour que le public soit averti, pour que le commerce et l'industrie ne soient pas pris au dépourvu, pour que la presse ait le temps d'examiner la question et pour que les chambres de commerce puissent émettre leur avis,.
Je crois que le gouvernement ne verra aucun inconvénient à répondre à la demande que j'ai l'honneur de lui adresser.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, je ne fais aucune difficulté de répondre à la question que l'honorable député de Liège vient d'adresser au gouvernement. Le cabinet n'a pris, jusqu'à présent, aucune résolution à cet égard.
Quant aux marchandises, la question, je pense, n'est pas même à l'étude jusqu'à présent. Mais M. le ministre des travaux publics, qui entre en ce moment dans cette enceinte, pourra donner des éclaircissements plus amples que je ne serais à même de le faire sur la question du tarif des voyageurs qui est à l'étude.
A cet égard, je cède très volontiers la parole à mon honorable collègue.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Je prie l'honorable M. Braconier de vouloir bien répéter la demande qu'il a adressée au gouvernement; je regrette seulement qu'il n'ait pas cru devoir me prévenir de son interpellation ; si j'avais été prévenu, je me serais fait un devoir d'être à mon poste pour l'entendre et pour lui répondre.
M. Braconier. - Je reproduis volontiers l'observation que j'ai présentée tout à l'heure ; je désire savoir s'il entre dans les intentions du gouvernement de modifier les tarifs du chemin de fer tant pour les voyageurs que pour les marchandises, et, en cas d'affirmative, si ces modifications doivent être introduites dans un délai assez rapproché.
M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, je ne puis que répéter ce qu'a dit mon honorable collègue, M. le ministre des finances : ces deux questions sont de la plus grande importance, elles méritent un examen sérieux et approfondi, examen auquel je n'ai pas encore eu le temps de me livrer d'une manière complète.
J'ajoute que la question relative aux voyageurs est plus facile et sera probablement l'objet d'une solution plus prompte. Quant au tarif des marchandises, je le répète, c'est là une question excessivement sérieuse et des plus graves, dont je me préoccupe vivement avec le désir d'arriver à une solution qui puisse satisfaire les sérieux intérêts qui sont en jeu, mais, en tout cas, cet examen ne pourra pas être utilement commencé avant la discussion du budget des travaux publics.
M. Braconier. - Je demande que si le gouvernement se décide à modifier le tarif des voyageurs et celui des marchandises, il veuille bien annoncer son intention un certain temps à l'avance, afin que la question puisse être examinée par la presse ainsi que par les chambres de commerce.
- Personne ne demandant plus la parole, le chiffre est adopté.
« Télégraphes électriques : fr. 1,350,000. »
- Adopté.
« Domaines (valeurs capitales) : fr. 1,200,000. »
- Adopté.
« Forêts : fr. 900,000. »
- Adopté.
« Dépendances des chemins de fer : fr. 140,000. »
- Adopté.
« Etablissements et services régis par l'Etat : fr. 250,000. »
- Adopté.
« Produits divers et accidentels, y compris ceux des examens universitaires : fr. 500,000. »
- Adopté.
« Revenus des domaines : fr. 600,000. »
- Adopté.
« Abonnements au Moniteur, etc., perçus par l'administration des postes : fr. 40,000. »
- Adopté.
« Produits divers des prisons (pistoles, cantines, vente de vieux effets) : fr. 75,000. »
- Adopté.
« Produit de l'emploi des fonds de cautionnements et de consignations : fr. 1,100,000. »
- Adopté.
« Produit des actes des commissariats maritimes : fr. 70,000. »
- Adopté.
« Produit des droits de chancellerie : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Produit des droits de pilotage : fr. 1,000,000. »
- Adopté.
« Produit des droits de fanal : fr. 270,000. »
- Adopté.
« Produit de la fabrication des monnaies de cuivre : fr. 200,000. »
- Adopté.
(page 223) « Produit de la régie du Moniteur (arrêté royal du 21 juin 1868) : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Part réservée à l'Etat, par la loi du 5 mai 1850, dans les bénéfices annuels réalisés par la Banque Nationale : fr. 400,000. »
- Adopté.
« Frais de perception des centimes provinciaux et communaux : fr. 200,000. »
- Adopté.
« Remboursement, par les communes, des centimes additionnels sur les non-valeurs des contributions directes : fr. 50,000. »
- Adopté.
« Reliquats de comptes arrêtés par la cour des comptes. Déficit des comptables : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Recouvrements d'avances faites par les divers départements : fr. 600,000. »
- Adopté.
« Recouvrements d'avances faites par le ministère de la justice aux ateliers des prisons, pour achat de matières premières : fr. 693,000. »
- Adopté.
« Abonnement des provinces pour réparations d'entretien des maisons d'arrêt et de justice, achat et entretien de leur mobilier : fr. 25,000. »
- Adopté.
« Remboursement, par les provinces, des centimes additionnels sur les non-valeurs des contributions directes : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Recettes accidentelles : fr. 200,000. »
- Adopté.
« Abonnement des provinces pour le service des ponts et chaussées : fr. 76,000. »
- Adopté.
« Prélèvement sur les fonds de la masse d'habillement de la douane, à titre de remboursement d'avances : fr. 9,000. »
- Adopté.
« Prélèvement sur les fonds de la masse d'habillement du département des travaux publics, à titre de remboursement de frais d'administration : fr. 9,000. »
- Adopté.
« Prélèvement sur les fonds de la caisse générale de retraite, à titre de remboursement d'avances : fr. 1,000. »
- Adopté.
« Recette du chef d'ordonnances prescrites : fr. 25,000. »
- Adopté.
M. le président. - Messieurs, nous avons ici deux nouvelles propositions de M. le ministre des finances qui n'ont pas été imprimées dans l'exemplaire que vous avez sous les yeux :
« 1° Prélèvement sur les fonds de la caisse tontinière de la milice à titre de remboursement d'avances : fr. 30,000. »
- Adopté.
« 2° Part d'intervention de la Banque Nationale dans les frais de la trésorerie : fr. 175,000. »
- Adopté.
M. le président. - Nous arrivons maintenant au vote delà loi du budget.
M. Delaet. - Avant que la Chambre procède au vote du budget, je désire adresser à M. le ministre des finances une simple question que je n'ai pu lui faire tout à l'heure, au chapitre des douanes. Vous savez tous, messieurs, que dans le service de la douane les employés sont autorisés a contracter mariage du moment qu'ils ont atteint le grade de sous-brigadier ou un grade équivalent, mais que le mariage est interdit aux simples douaniers de toutes catégories. Je crois qu'il y a là une situation pénible pour un grand nombre de ces employés.
En effet, ils sont traités d'une façon beaucoup moins favorable que les soldats, qui, après quatre années de service, peuvent se marier sans en demander l'autorisation à leurs chefs, tandis que nos douaniers sont condamnés à un célibat perpétuel, à moins d'en sortir par autorisation spéciale du ministre.
Je désire appeler l'attention de l'honorable ministre des finances sur cette situation et je l'engage à la modifier profondément le plus tôt possible ; car elle est à peu près sinon tout à fait intolérable et donne naissance à beaucoup d'abus.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, l'observation qui vient d'être présentée par mon honorable collègue d'Anvers m'avait déjà été présentée par lui et par d'autres membres de cette Chambre avant la discussion. J'ai donc pu en faire l'objet d'un examen et voici ce que j'ai constaté.
Les préposés des douanes et les commis des accises de 3ème et de 4ème classe, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas au delà de 1,000 francs de traitement, ne peuvent se marier que moyennant une autorisation ministérielle subordonnée à la justification de certaines ressources. Dès qu'on devient commis des accises de 2ème classe à 1,100 francs de traitement ou sous-brigadier de douanes également à 1,100 francs, on peut se marier sans aucune espèce d'autorisation ni de justification de fortune de la part du futur ou de la future.
J'ai cru, messieurs, que l'on pouvait, comme transition, prendre une mesure allant plus loin que ce qui existe et ne détruisant pas complètement ce qui a été jugé une garantie nécessaire jusqu'à présent.
Je sais que cette garantie n'existe dans aucune autre administration civile. Elle n'existe pas aux travaux publics, ni dans les postes, ni dans les chemins de fer, ni ailleurs. Mais les douaniers sont dans une position à part, parce qu'ils sont plus souvent déplacés d'une partie du pays à l'autre et que des célibataires se transportent, se déplacent mieux que les gens ayant une famille qui doit les suivre.
J'ai donc tenu quelque compte de cette raison et j'ai soumis à la signature du Roi un arrêté royal qui prend les mesures suivantes : Les commis des accises de 3ème classe dont le traitement est de 1,000 francs, et les préposés des douanes ayant un traitement de 1,000 francs, c'est-à-dire les préposés de première classe, pourront à l'avenir se marier sans autorisation.
Quant aux commis des accises de 4ème classe à 900 francs, et aux préposés de 2ème et de 3ème classe n'ayant que 900 francs et 800 francs de traitement, ils pourront se marier librement lorsqu'ils auront quatre années de service. Ils se trouveront dans la même situation que les militaires, c'est-à-dire que, dans leur cinquième année de service, ils pourront contracter mariage sans aucune justification de fortune. Comme on entre généralement de bonne heure dans la douane, il n'y aura pas grande privation par suite de la prohibition de mariage, à moins de justification de fortune, pendant les quatre premières années de la carrière.
M. Lelièvre. - Je dois également adresser une demande à M. le ministre des finances. Parmi les impôts perçus au profit du gouvernement, se trouvent les amendes prononcées par les tribunaux de simple police. Ces amendes étaient ci-devant perçues par les communes. Cet état de choses étant venu à cesser, je pense qu'il serait de toute justice que l'Etat contribuât dans une certaine mesure aux dépenses des tribunaux de simple police, notamment dans le payement du traitement du commissaire de police, etc. Aujourd'hui, ce fonctionnaire n'est plus un simple agent communal, c'est un substitut du procureur du roi, agissant dans l'intérêt de l'Etat qui profite des condamnations pécuniaires.
La position des communes étant ainsi changée en ce qui concerne l'avantage, doit également subir des modifications en ce qui concerne les charges.
J'appelle donc l'attention de M. le ministre sur cette question, qui exige une solution équitable dans l'intérêt de certaines communes.
M. Coomans. - Messieurs, toute atteinte à la liberté me choque, me répugne et me paraît devoir être complètement justifiée. Je sais donc gré à l'honorable ministre des finances de la résolution qu'il a prise de diminuer un peu la rigueur des dispositions auxquelles on soumet les douaniers.
Mais il me paraît que les restrictions encore très sévères qu'il maintient ne sont pas expliquées. L'honorable ministre ne nous a donné qu'une seule raison de l'interdiction du mariage des douaniers : c'est qu'ils sont soumis à de nombreux déplacements et qu'il est plus difficile, cela est clair, de déplacer un homme marié avec sa famille qu'un célibataire. Mais il me paraît que cette raison s'applique aussi bien au douanier à 1,000 francs de traitement qu'au douanier à 900 francs, à moins que l'honorable ministre ne nous déclare qu'il ne déplacera plus les douaniers à 1,000 francs de traitement. Mais s'il continue à les déplacer, à avoir le droit de les (page 224) déplacer, et je pense qu'on ne peut le priver de ce droit, cette raison n'est pas bonne.
Si l'on déplace les douaniers à 1,000 francs comme ceux à 900 francs, tt n'y a pas plus de raison d'interdire le mariage aux douaniers à 900 francs qu'aux douaniers à 1,000 francs.
La justification de cette sévérité ne me paraît pas faite. Or, toute atteinte à la liberté, je le répète, surtout à l'exercice d'un droit naturel, aussi naturel que celui du mariage, doit être justifiés.
J'ai été l'adversaire constant de l'interdiction du mariage des miliciens. J'ai même dit, moi homme incompétent, à des gens qui paraissaient plus compétents que moi, qu'il ne m'était-pas démontré qu'un homme marié dût faire un mauvais soldat et il me semble que les Prussiens viennent de me donner raison.
J'ai donc toujours attaqué cette iniquité commise envers les miliciens. J'avoue que l'iniquité est moins grande envers le douanier, puisque le douanier est un serviteur volontaire, tandis que le milicien est un serviteur forcé ; mais enfin c'est toujours une iniquité, et puisque M. le ministre avoue qu'il n'y a pas d'inconvénient à la faire disparaître pour les douaniers à 1,000 francs, je ne vois pas pourquoi il la maintient pour les douaniers à 900 francs. C'est une différence de 100 francs qui me paraît bien faible au point de vue de la morale et de la liberté.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, comme le fait observer l'honorable membre, d'échelon en échelon, il n'y a jamais qu'une différence de 100 francs.
Le sous-brigadier, qui peut se marier, touche 1,100 francs ; le douanier, qui va être autorisé à se marier, touche 1,000 francs ; la catégorie suivante, qui ne pourra pas contracter mariage, est celle de 900 francs ; enfin, la dernière catégorie est celle de 800 francs.
Il n'y a donc pas de raison décisive pour s'arrêter à un point plutôt qu'à un autre, mais, que l'honorable membre le remarque, je fais déjà un grand pas en descendant jusqu'à 1,000 francs.
Une partie au moins des douaniers doit pouvoir être déplacée facilement ; or, si les agents à 800 et 900 francs sont célibataires, il en reste un nombre suffisant pour les déplacements exigés par le service.
J'y regarderai à deux fois avant de déplacer un homme marié, s'il n'a que 1,000 francs d'appointements. Or, si tous les douaniers peuvent contracter mariage, les considérations d'humanité me pousseront à ne plus déplacer personne, alors même que l'intérêt du service exigerait des déplacements.
Il a été reconnu, messieurs, que, tandis que les employés des autres administrations peuvent, sans grands inconvénients, exercer un commerce par l'intermédiaire de leur femme, les douaniers ne peuvent pas le faire.
Ils sont constamment en rapport avec les importateurs et les exportateurs de marchandises et il serait très dangereux, par suite de ces rapports, de les autoriser à exercer un commerce. Il en résulte que les douaniers sont dans une position qui n'est pas celle des autres employés.
Quant à l'observation de l'honorable M. Lelièvre, je là transmettrai à mes collègues de l'intérieur et de la justice, dont elle concerne les attributions.
- La discussion est close.
« Art. 1er. Les impôts directs et indirects existant au 31 décembre 1870, en principal et centimes additionnels ordinaires et extraordinaires au profit de l'Etat, ainsi que la taxe des barrières non supprimées, seront recouvrés, pendant l'année 1871, d'après les lois et les tarifs qui en règlent l'assiette et la perception. »
- Adopté.
« Art. 2. D'après les dispositions qui précèdent, le budget des recettes de l'Etat pour l'exercice 1871 est évalué à la somme de cent soixante-dix-huit millions cent vingt-quatre mille francs (fr. 178,124,000).
- Adopté.
M. le président. - C'est ici que vient l'article 3 nouveau, proposé par M. Thonissen.
M. Gerrits. - Je présume que, dans la pensée de l'honorable M. Thonissen, son amendement s'applique non seulement aux lettres de voiture, mais aussi aux connaissements.
Ce sont des documents commerciaux de même nature.
Le connaissement, c'est la lettre de voiture pour les expéditions par mer. Aussi, l'assimilation est déjà reconnue par la loi.
L'article 9 de la loi du 18 août 1857 porte que les connaissements peuvent être écrits sur le timbre de 10 centimes, créé par la loi du 20 décembre 1848 pour les lettres de voiture.
C'est donc un impôt identique pour les deux espèces de documents. Je propose un sous-amendement ainsi conçu :
« Le timbre des lettres de voiture et des connaissements est supprimé. »
M. Thonissen. - Messieurs, l'honorable M. Gerrits a rendu parfaitement ma pensée. J'ai entendu que la suppression du timbre s'appliquerait également aux lettres de voiture et aux connaissements. Le connaissement n'est, en effet autre chose qu'une lettre de voiture maritime, cela est tellement évident que la loi du 18 août 1857 met le connaissement sur la même ligne que la lettre de voiture, sous le rapport du timbre.
Si cependant la Chambre croit convenable d'ajouter à mon amendement le mot « connaissements », je ne m'y oppose pas le moins du monde.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je crois qu'il vaut mieux, en effet, ajouter le mot : « connaissements. »
Il a fallu une loi spéciale, en 1857, pour étendre aux connaissements l'abaissement du droit de timbre de 45 à 10 centimes. Il est donc utile d'ajouter ici le mot : « connaissements. »
Je ferai remarquer à la Chambre que la recette d'environ 20,000 francs dont j'ai parlé antérieurement, comprend à la fois le produit des lettres de voiture et des connaissements qui, en général, ne sont pas timbrés.
- L'amendement sous-amendé par M. Gerrits est mis aux voix et adopté.
Il formera l'article 3 du projet.
« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1871. »
- Adopté.
En vertu de la décision de la Chambre, il est procédé immédiatement au second vote.
L'amendement, formant l'article 3 nouveau, est définitivement adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal.
87 membres y prennent part.
85 répondent oui.
2 répondent non.
En conséquence, le projet est adopté.
Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Jamar, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Magherman, Moncheur, Mouton, Mulle de Terschueren, Muller, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Reynaert, Rogier, Sainctelette, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Berge, Biebuyck, Boucquéau, Boulenger, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Brasseur, Coremans, Cornesse, Cruyt, Dansaert, David, de Baets, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, Defuisseaux, de Haerne, Delaet, Delcour, De Le Haye, de Montblanc, de Naeyer, Descamps, de Smet, de Theux, de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Dumortier, Frère-Orban, Funck, Gerrits et Vilain XIIII.
Ont répondu non : MM. Coomans et Demeur.
La discussion générale est ouverte.
M. Brasseur. - Je lis dans le rapport de la section centrale qu'un membre de cette section a demandé que le gouvernement veuille faire en sorte que la Banque Nationale distingue, dans sa publication de chaque dizaine, le relevé de l'encaisse du trésor et des autres comptes débiteurs.
Le gouvernement a répondu qu'il y avait à cela certaines difficultés ; que cette publication pouvait, notamment, nuire au crédit de l'Etat, surtout dans l'hypothèse d'un emprunt.
Je ne partage pas la manière de voir de M. le ministre des finances et je pense qu'il serait de la plus haute utilité de faire figurer, dans les publications de la Banque, les trois postes de l'encaisse : d'abord, la part du trésor, ensuite, la part des particuliers, et enfin, la part de la Banque Nationale.
C'est là un point de la dernière importance, parce que l'émission des billets est en rapport avec l'encaisse, d'après le système admis par notre loi.
(page 225) Pour le moment, la question n'est pas de savoir si c'est la un bien ou un mal ; nous verrons cela plus tard, et nous examinerons la question de savoir si l'émission des billets doit être ou non en rapport avec l'encaisse en général, y compris les fonds du trésor. Mais aussi longtemps que vous ne connaîtrez pas ce qui appartient en propre à la Banque Nationale, vous ne pourrez jamais dire si la situation de la Banque Nationale est solide ou non.
Je suppose, comme cela est arrivé le 15 juillet, que la Banque Nationale ait 100 millions d'encaisse ; de ces 100 millions 85 millions appartiennent au trésor, 9 aux particuliers ; en réalité il ne reste que 6 millions à la Banque Nationale pour faire face à une émission de 200 millions de billets de banque.
Croyez-vous qu'il n'importe pas au public et au monde financier de connaître au juste la situation exacte de la Banque Nationale et celle du trésor public ? Je ne pense pas que l'honorable ministre des finances puisse s'opposer à cette publicité, parce qu'en définitive on pourrait l'obtenir indirectement ; il suffirait à un membre de cette Chambre de demander tous les dix jours à M. le ministre des finances quelle est la situation du trésor à la Banque Nationale : M. le ministre ne pourrait pas s'y refuser. Or, ce qu'on peut obtenir indirectement doit pouvoir être accordé sans inconvénient directement.
Quant au crédit public, il n'a rien à voir avec l'encaisse que nous avons à la Banque Nationale ; le crédit public dépend de tout autre chose que de deux, trois ou quatre millions que nous pourrions avoir déposés à la Banque Nationale. Le crédit public dépend de l'équilibre de nos budgets, Si notre situation est prospère, si nous faisons tous les ans des économies, l'Etat aura du crédit et beaucoup de crédit.
Si, au contraire, nous faisions tous les ans dix à quinze millions de dettes, par exemple, nous irions infailliblement à la ruine et notre crédit évidemment s'en ressentirait.
Le crédit public dépend donc essentiellement de la balance entre nos recettes et nos dépenses. La question de savoir s'il y a un million ou deux dans les caisses de la Banque n'a rien de commun avec cette question. Je suppose, par exemple, qu'aujourd'hui le trésor n'ait que 500,000 francs d'encaisse à la Banque Nationale, cela n'empêcherait nullement le gouvernement belge d'emprunter, dans d'excellentes conditions, 10, 20, 30 millions et il les obtiendrait facilement qu'il ait ou qu'il n'ait pas de fonds déposés à la Banque Nationale.
Il y a même une certaine contradiction dans la réponse de M. le ministre des finances à la section centrale. Au moment de contracter un emprunt, dit-il, cela pourrait présenter des inconvénients. Mais, messieurs, de deux choses l'une : ou bien notre encaisse à la Banque Nationale est élevé ; ou bien il ne l'est pas. Dans le premier cas, le gouvernement n'empruntera pas, par la raison fort simple qu'on n'emprunte pas d'argent quand on en a de déposé à la Banque Nationale où il ne rapporte rien. Dans le second cas, le public constatera facilement l'absence d'un encaisse du trésor à la Banque, précisément parce que le gouvernement est obligé de recourir à l'emprunt.
Ne vous faites pas d'illusions, d'ailleurs, messieurs ; chaque fois que le gouvernement fait un emprunt, tout le monde financier sait parfaitement quelle est notre situation à la Banque Nationale, car la discrétion n'est pas tellement grande et le nombre des administrateurs n'est pas tellement restreint pour que, d'un moment à l'autre, on ne parvienne à connaître immédiatement la situation du trésor.
J'insiste donc pour que cette publication ait lieu : le monde commercial, industriel et financier désire qu'elle ait lieu à l'avenir.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je ne refuse certainement pas d'examiner à nouveau la question qu'a soulevée l'honorable M. Brasseur. Il y a, sur ce point, des exemples à citer dans un sens et dans un autre. C'est ainsi que la Banque d'Angleterre renseigne, dans un poste à part, l'encaisse du trésor.
M. Brasseur. - Et en France ?
M. Jacobs, ministre des finances. - En France, il en est ainsi. Mais je ne cite pas cet exemple parce qu'il n'a aucun rapport avec notre situation. En France, la plus grande partie de l'encaisse du trésor est dans les caisses des receveurs généraux et la Banque de France n'en possède qu'une minime fraction.
En Prusse, il en est de même : la Banque n'y possède qu'une partie infinitésimale du trésor de l'Etat ; la plus grande partie s'en trouve dans les caisses de l'Etat.
Ii n'y a donc que deux exemples à citer en sens inverse : l'Angleterre et la Hollande.
En Hollande, il n'y a pas d'indication spéciale. En Angleterre, au contraire, la situation du compte courant du trésor est indiquée spécialement et d'une manière distincte des autres comptes courants.
Je me sers à dessein de l'expression de compte courant, parce qu'elle répond à la réalité des faits. On parle souvent de l'encaisse du trésor ; mais c'est évidemment de compte courant qu'il faut parler ; la Banque Nationale n'a pas deux caisses séparées : une caisse contenant les fonds du trésor, une autre caisse contenant l'avoir de la banque et les dépôts des autres créanciers. L'argent étant une chose fongible devient la propriété da possesseur ; ceux qui le versent dans cette caisse unique où tout se confond sont de simples créanciers en compte courant.
L'Etat, il est vrai, d'après la loi, a un privilège sur l'avoir de la Banque comme sur celui de ses comptables et de ce chef toute garantie lui est donnée.
En réalité, donc, il s'agit de compte courant et non d'encaisse.
Maintenant, y a-t-il des avantages ou des inconvénients à ce que, dans la publication décadaire de la Banque, on mentionne séparément le compte courant du trésor et les différents comptes courants des particuliers ? Selon moi, il peut y avoir à cela des avantages et des inconvénients.
Il peut y avoir avantage à connaître toujours la situation exacte du trésor et de la Banque. Mais, d'un autre côté, il ne faut pas se dissimuler que ce qui peut être excellent en temps ordinaire, peut offrir des inconvénients dans des temps exceptionnels.
Je ne me suis pas trouvé dans une pareille situation jusqu'à présent ; mais vous avez entendu, il n'y a pas longtemps, l'un de mes prédécesseurs, M. Frère-Orban, rappeler que, dans la crise de 1867, il s'était trouvé dans un grand embarras, ayant un faible encaisse et ne trouvant pas à emprunter.
Dans de pareilles circonstances, on trouve difficilement à emprunter ; chacun conserve ses ressources. Eh bien, ne croyez-vous pas que l'Etat trouve plus facilement prêteur lorsque son mince solde de compte-courant à la Banque Nationale n'est pas jeté en pâture à tout le monde ?
Les financiers qui concluent l'emprunt n'ignorent pas ce solde et il n'impressionne pas quiconque est expert en finances, mais une partie du public, qui prend, en définitive, l'emprunt, se laisse souvent guider par des apparences de ce genre.
Dans des circonstances difficiles, la publication de la situation de l’Etat, faite tous les dix jours, peut offrir certains inconvénients.
Mais je déclare à l'honorable membre et à la Chambre que je suis prêt à examiner à nouveau et à fond la question. Je tiendrai compte des observations qui ont été présentées et, dans une discussion prochaine, nous pourrons reprendre la question si elle n'est pas résolue à la satisfaction de tous.
M. Dumortier. - Messieurs, je viens appuyer les observations qui ont été présentées par l'honorable M. Brasseur.
Depuis de longues années, j'ai entretenu la Chambre de cet objet ; j'ai vu avec plaisir que l'honorable membre a soulevé cette question si grave dans la Chambre ; les explications données par M. le ministre des finances ne répondent pas du tout à la question.
La Banque a un compte courant ; mais elle n'a pas eu réellement d'encaisse ; l'encaisse de la Banque a un nom, qui est connu dans le monde financier : c'est l'encaisse de l'Etat.
Eh bien, il faut que l'encaisse de l'Etat soit connu du public. Mais, dit M. le ministre des finances, si vous avez un emprunt à faire, il n'est pas avantageux qu'on connaisse la situation dans laquelle vous vous trouvez. L'honorable M. Brasseur a déjà répondu d'avance à cette objection. Si vous avez des millions en caisse et que vous n'ayez pas besoin d'emprunter, évidemment vous ne ferez pas d'emprunt ; le jour où vous ferez un emprunt, c'est que l'argent vous manque.
Or, ce qui seul facilite les emprunts, c'est le crédit ; et le crédit d'un pays est bien plus certain quand on connaît nettement et positivement sa situation financière. Tout Etat emprunte à raison de sa solvabilité et non pas à raison de la question de savoir s'il a ou n'a pas un fort encaisse. Si un Etat emprunte avantageusement, c'est que son crédit est bon ; si au contraire il emprunte à des conditions défavorables, c'est que son crédit est en souffrance, est mauvais.
Il n'y a donc aucun inconvénient, il y a au contraire tout avantage à ne pas cacher la vérité.
Je pense, en conséquence, qu'il est indispensable que la Belgique imite ce qui se fait à cet égard en Angleterre et en France, et indique désormais dans les publications ce qui appartient à l'Etat et ce qui ne lui appartient pas.
Qu'on mette ce qu'on veut dans les comptes courants, qu'on les sépare de l'encaisse de l'Etat et du reste des fonds de la Banque, mais qu'on fasse (page 226) un poste spécial dans les comptes rendus pour l'encaisse de la Banque : cela est indispensable, car, comme M. Brasseur vient de le dire, c'est l'encaisse qui doit servir de garantie à l'émission des billets de banque.
Comment, vous aviez pour 200 millions de billets en circulation, alors que l'encaisse de la Banque se composait, pour les neuf dixièmes, du capital de l'Etat ?
Mais c'était là un abus épouvantable ! L'émission du papier, en aussi grande abondance, a un grand privilège : c'est de faire fuir le numéraire du pays. Or, c'est là un tort et un très grand tort, car il faut, dans le pays, de la monnaie pour les échanges.
Je veux bien reconnaître que l'émission d'un certain nombre de billets de banque est nécessaire ; mais il n'en faut pas exagérer le chiffre et il ne faut point surtout que ce chiffre ne soit pas couvert par une valeur représentative appartenant à l'établissement qui met les billets de banque en circulation.
Le président des Etats-Unis d'Amérique, lors de la dernière grande crise, attribuait les crises successives qui se produisaient aux émissions trop nombreuses de papier qui n'étaient pas couvertes par une somme suffisante de numéraire dans les caisses.
Voilà ce qui a été reconnu aux Etats-Unis comme étant la source de toutes les crises financières.
Je voudrais donc, pour ma part, qu'on connût positivement quel est le capital que possède la Banque et qui couvre ses émissions de billets. Ce serait le moyen d'empêcher les émissions exagérées.
M. Demeur. - M. le ministre des finances voit un inconvénient à faire publier dans les bilans de la Banque le chiffre de l'encaisse du trésor public ; mais l'inconvénient qu'il signale n'existerait qu'au futur et au moment de la publication.
Pour ma part, messieurs, je voudrais connaître d'abord l'encaisse du trésor public à des dates diverses, dans le passé.
Croiriez-vous, messieurs, qu'on cherche vainement ces chiffres dans les nombreux documents publiés par le ministère des finances ?
Nous avons reçu récemment un volume intitulé : Situation du trésor public ; eh bien, j'ai cherché en vain dans ce volume, le chiffre de l'encaisse du trésor public. Il semblerait donc que ce doit être un mystère.
Je crois cependant que si M. le ministre des finances trouve un inconvénient pour l'avenir, il n'en trouvera certainement pas pour le passé.
M. Jacobs, ministre des finances. - Je n'en trouve aucun.
M. Demeur. - J'ai eu l'occasion de me présenter aujourd'hui au département des finances pour avoir ce renseignement, et le fonctionnaire auquel je me suis adressé m'a déclaré que, moyennant l'autorisation du ministre, il me donnerait ce renseignement. Je suis donc charmé d'avoir l'assentiment de M. le ministre des finances. Ces renseignements sont nécessaires pour l'examen de différentes questions que j'ai posées dans ma section et qui ont été adressées à M. le ministre des finances par le rapporteur de la section centrale, ainsi que le constate le rapport. Je n'entends pas traiter en ce moment ces diverses questions ; il y a du reste une raison qui m'en empêche ; c'est que l'impression de la correspondance entre la Banque Nationale et le gouvernement pendant la dernière crise n'est pas achevée.
Nous devons y trouver des éléments importants pour la solution des questions posées.
Je me bornerai donc à parler de celle de ces question qui a été rappelée par M. Brasseur et je n'hésite pas à dire qu'après réflexion, M. le ministre des finances trouvera comme nous qu'il est indispensable de rendre public, en tout temps, le chiffre de l'encaisse du trésor.
En vérité, il est étrange qu'aujourd'hui nous ayons à plaider, dans une Chambre belge, la cause de la publicité ! La publicité en matière de finances, la publicité en toutes choses, n'est-elle pas indispensable ? Et lorsque nous acceptons la publicité sous tous les autres rapports, la repousserons-nous, lorsqu'il s'agit de savoir quelle somme nous avons dans la caisse ?
Je cherche en vain une raison pour dissimuler au public l'état de l'encaisse du trésor.
Dans le passé, on avait un principe diamétralement opposé tant au point de vue de l'administration des finances de l'Etat que de l'administration des banques : on redoutait la publicité. Qu'il me soit permis de rappeler un simple exemple : les statuts de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale, fondée en 1823, qui a été caissière de l'Etat, qui a eu longtemps plus d'importance que la Banque Nationale, portaient, dans un de leurs articles, que le gouverneur, en entrant en fonctions, prêterait serment, entre les mains du Roi, de ne divulguer aucune opération de la société et chacun des employés de la Banque était tenu de prêter le même serment entre les mains de son gouverneur.
A cette époque et jusqu'en 1848, il n'y avait aucune espèce de publicité. Il n'y avait aucune espèce d'imprimés donnant les rapports de l'administration, les bilans. Les actionnaires eux-mêmes ne pouvaient voir les pièces qu'une fois par an, et encore M. De Pouhon, qui a fait partie de cette Chambre, s'est plaint amèrement, dans une brochure, de n'avoir pu, quoique actionnaire de la société, examiner à loisir les documents constatant sa situation et soumis annuellement à l'inspection des actionnaires.
Voilà le principe que l'on suivait ; on avait peur de la publicité, et c'est en grande partie dans le mystère qui entourait alors ses opérations que l'on trouvera la cause de la crise financière subie par la Société Générale en 1848. C'est surtout parce que la Société Générale n'avait aucune espèce de contrôle public qu'elle a fait des opérations qui l'ont obligée de réclamer le cours forcé immédiatement après la révolution de 1848.
Selon nous, le principe de la publicité est acquis, il n'y a aucune raison pour ne pas l'appliquer et en faisant connaître à tous la situation de l'encaisse du trésor.
On dit : En temps ordinaire, il n'y a pas de mal, mais dans les circonstances graves, dans les moments exceptionnels !
Dans ces moments, je remarque que vous suivez, pour toutes les autres questions, la règle de la publicité. Le ministère, par exemple, publie depuis quelque temps, tous les trois mois, dans le Moniteur, le produit des impôts, la statistique détaillée de chacun des impôts directs et indirects. Est-ce qu'on cessera cette publication dans les moments difficiles ? Cependant cette situation indique bien mieux le crédit que mérite l'Etat que la situation de l'encaisse du trésor.
Mais, on l'avoue, dans le fait, ce secret, pour les intéressés, pour ceux qui sont intéressés particulièrement dans les questions d'emprunt, est le secret de Polichinelle. Vous ne voulez pas que les prêteurs connaissent votre situation ? Mais à qui empruntez-vous ? D'abord à la Banque Nationale elle-même qui est-votre caissier et qui assurément connaît le chiffre de votre encaisse. C'est ensuite la Société Générale qui est un des prêteurs habituels de l'Etat. L'honorable M. Malou, qui est ministre, ne lui cachera sans doute rien de la situation.
A qui veut-on donc cacher cette situation ? A nous ? Non, ce ne sera pas aux représentants du pays que l'on cachera cette situation. C'est donc au public ? L'honorable M. Jacobs a eu là une mauvaise idée. Il a dit tout à l'heure : Pour les banques, c'est sans importance ; mais le public peut mal apprécier, il peut se tromper sur l'importance d'un chiffre.
Eh bien, je crois que nous devons avoir plus de confiance dans le public. Il doit connaître la vérité.
Nous ne devons pas avoir l'intention de l'induire en erreur, il a le droit de connaître la vérité ici comme en toutes choses.
En résumé, je pense que nous devons faire en cette matière ce qu'on fait en France, en Angleterre, aux Etats-Unis d'Amérique et dans beaucoup d'autres pays, sans qu'aucun inconvénient ait jamais été signalé.
M. Vermeire. - Je crois, aussi, messieurs, que plus la publicité faite par la Banque Nationale est grande, plus le crédit est solidement établi.
J'avais demandé la parole lorsque mon honorable ami M. Dumortier a voulu faire une comparaison entre la Société Générale telle qu'elle existait avant la création de la Banque Nationale...
M. Dumortier. - Je n'ai pas parlé de cela.
M. Vermeire.-Vous avez dit que la Société Générale, avant la création de la Banque Nationale, ne se trouvait pas dans les conditions de ce dernier établissement financier.
Je dis, messieurs, qu'il y a une grande distinction à faire entre le crédit tel qu'il était établi avant la création de la Banque Nationale et le crédit tel qu'il est établi depuis la création de cette banque.
Savez-vous, messieurs, ce qui faisait autrefois beaucoup de tort au crédit des établissements financiers, c'est que le crédit de circulation était confondu avec le crédit immobilisé.
Or, le crédit appartenant autrefois à l'Etat ne pouvait certainement pas être comparé avec ce même crédit, qui se trouve aujourd'hui à la Banque Nationale.
Maintenant, messieurs, la Banque Nationale existe déjà depuis plusieurs années ; et nécessairement on doit trouver qu'elle n'a pas toujours satisfait à tout ce que l'on pouvait exiger d'elle.
Cependant, messieurs, quand on parle crédit public, on doit examiner de près, et de plus près que ne le font ordinairement ceux qui se posent en adversaires de la Banque Nationale.
(page 227) Quel est le premier service que la Banque Nationale a rendu au pays ? C'est de maintenir l'escompte non seulement au pair d'autres établissements semblables, dans d'autres pays, mais de l'établir à un taux moins élevé.
Pour exemples, je citerai la Banque d'Amsterdam, la Banque de France et la Banque d'Angleterre.
Si vous faisiez la comparaison entre le papier escompté en Belgique et celui qui a été escompté dans les pays étrangers, il y aurait, en faveur de la Belgique, une différence considérable.
D'autres avantages résultent encore de l'établissement de la Banque Nationale. Elle a des comptoirs dans toutes les provinces et presque dans tous les chefs-lieux d'arrondissement, de façon que l'on n'a plus besoin, aujourd'hui, de disposer d'une ville où il y a un agent de la banque sur une autre ville où il y a également un agent de cette espèce.
On peut très facilement se payer réciproquement au moyen d'accréditifs.
Quand j'ai un payement à faire à Arlon, je vais chez l'agent de la Banque Nationale à Termonde ou à Saint-Nicolas, je dépose mon argent en échange d'un accréditif, avec lequel j'acquitte ma dette à Arlon.
Si cette facilité n'existait pas, ne devrais-je pas payer la taxe du transport ou la perte de place ?
Vous voyez donc bien que la Banque Nationale n'est pas, à beaucoup près, cette ennemie acharnée du commerce et de l'industrie, telle qu'on a voulu nous la dépeindre.
M. Brasseur. - Personne n'est l'ennemi de la Banque.
M. Bouvier. - Elle rend des services que personne ne conteste.
M. Vermeire. - Je demande alors à quoi servent les observations que vous avez faites ?
Je crois, messieurs, qu'il est inutile de poursuivre cette dissertation.
Pris au dépourvu, je ne pourrais rencontrer tous les arguments qui ont été produits, mais je tiens à établir en fait que l'on ne pourrait soulever des difficultés de ce genre qu'à péril de nuire considérablement au crédit.
M. Frère-Orban. - Je ne comprends pas trop l'importance que l'on paraît attacher à cette affaire.
La question de savoir si l'on publiera ou si l'on ne publiera pas l'état de l'encaisse du trésor ne me paraît offrir qu'un médiocre intérêt.
Je ne verrais pas grand inconvénient à ce que toutes les semaines le gouvernement fit connaître quel est l'encaisse dont il peut disposer ; mais je ne vois pas quel avantage il y aurait à le faire.
La Chambre peut, en interpellant chaque semaine le gouvernement sur ce point, faire déclarer l'encaisse, mais on sait bien qu'en lisant la publication que fait la Banque, on peut se renseigner à cet égard.
Sous le titre de compte courant, se trouve le compte courant du trésor qui est de tous le plus considérable.
Tout le monde sait parfaitement que la Banque ne payant aucun intérêt pour les sommes déposées, il ne peut y avoir de très grandes sommes déposées par des particuliers.
On a vu dans d'autres pays des sommes considérables déposés sans perception d'intérêt.
Chez nous, il n'en est pas ainsi. La Banque ne reçoit que des dépôts relativement peu importants ; le compte créditeur du trésor, tout le monde le sait, est le plus considérable de ses comptes courants. En déduisant quelques millions, on a, d'ordinaire, très approximativement l'encaisse du trésor.
Il n'y aurait donc aucun inconvénient sérieux à préciser le chiffre dans une publication spéciale ; mais, je le répète, il n'y a non plus, d'après moi, aucun avantage à le faire.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclare la discussion générale close.
M. Frère-Orban. - Je désire présenter une observation sur un autre objet.
Par la loi du 3 septembre 1870, la convention passée entre l'Etat, la société des Bassins houillers et la Société générale d'exploitation a été ratifiée. Aux termes de cette convention, la société qui a remis à l'Etat un certain nombre de chemins de fer a droit à un prélèvement sur la recette brute de 7,000 francs par kilomètre.
Par un arrêté royal du 13 septembre 1870, une société anonyme a été autorisée sous le titre de Caisse d'annuités dues par l'Etat ; cette société s'est constituée évidemment pour faire le rachat et la capitalisation de ces annuités avec la faculté d'émettre des titres en remplacement des annuités dont le transfert serait opéré à son profit.
Les questions que soulève cette capitalisation des annuités, tant au point de vue de l'Etat qu'au point de vue de tiers, sont considérables.
Je désire savoir si le gouvernement a pris des garanties en ce qui concerne les porteurs d'obligations des sociétés originairement créées pour la construction des chemins de fer qui se trouvaient réunis soit dans les mains de la société des Bassins houillers, soit dans les mains de la Société d'exploitation.
Je n'ai pas aperçu dans les statuts la moindre garantie prise en faveur des obligataires ; cependant personne ne peut se dissimuler qu'il peut se présenter à ce sujet des questions très graves et de nature à engager singulièrement la responsabilité du gouvernement.
M. Jacobs, ministre des finances. - En effet l'honorable membre chercherait en vain dans les statuts de la caisse des annuités une garantie, en faveur des porteurs d'obligations des sociétés de chemins de fer qui ont cédé leurs lignes à la société des Bassins houillers ; mais il chercherait en vain aussi une stipulation quelconque en faveur de ces obligataires dans la convention du 25 avril 1870 qui est devenue une loi.
Les intérêts des obligataires n'ont pas été garantis dans cette convention ; on a reconnu vraisemblablement qu'il n'y avait moyen de recourir à aucune stipulation de nature à leur accorder une protection nouvelle en sus de celle qu'ils puisent dans les contrats.
Quand on nous a soumis les statuts de la caisse des annuités, nous avons examiné s'il y avait moyen d'imposer aux Bassins houillers quelques garanties qu'il aurait été plus facile de leur imposer dans la convention du 25 avril, alors qu'on traitait directement avec eux.
Après avoir examiné différentes combinaisons, nous avons reconnu qua nous ne pouvions aboutir à ce résultat. On nous les aurait données peut-être en échange d'une estampille de l'Etat, garantissant ces annuités d'une façon toute spéciale. Mais nous avons cru que nous ne pouvions pas, pour venir en aide aux obligataires, engager même moralement le crédit de l'Etat.
Nous nous trouvions, messieurs, en présence de l'article 59 de la convention du 25 avril ainsi conçu :
Art. 59. Transfert des annuités et émission de titres. 1 « Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat et les titres, en nom ou au porteur, qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toucher ces annuités, seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. Ceux de ces actes qui seront présentés à l'enregistrement seront enregistrés au droit fixe de 2 fr. 20 c. »
En présence d'un article de la convention, spécial au transfert des annuités, déclarant que ce transfert pourrait se faire sans même devoir payer à l'Etat un droit de timbre et d'enregistrement, nous avons cru que nous n'avions pas le moyen de nous opposer au transfert. Nous avons crut que. lorsque le gouvernement, dans l'article 59, déclarait que le transfert serait gratuit, il avait reconnu par là même le droit de transférer. Naturellement, les droits des obligataires et de l'Etat restaient saufs.
Avant de prendre une décision cependant, nous avons cherché à pénétrer la pensée de ceux qui avaient conclu la convention. Nous nous sommes mis en rapport avec les fonctionnaires qui y avaient participé le plus et les déclarations qu'ils nous ont faites concordaient avec les déclarations de la société des Bassins houillers du Hainaut, en ce sens que nous ne pouvions nous opposer aux transferts qui étaient déclarés gratuits par l'article 59 de la convention.
Du moment que la faculté de transférer ces annuités (on a celle du transférer n'importe quelle créance) existait dans le chef de la société des Bassins houillers, nous avions intérêt à ce que le transfert ne fît pas passer ces annuités entre les mains de personnes d'une solvabilité douteuse. Nous avions intérêt à les concentrer autant que possible entre les mains d'une société ou d'une personne dont la solvabilité fût incontestable. C'est, messieurs, ce qui nous a déterminés à négocier avec la société des Bassins houillers, ou du moins avec les principaux intéressés de cette société, pour élaborer les statuts de la caisse des annuités.
Nous ne pouvions ni ne voulions faire une société spéciale pour une opération déterminée ; mais nous avons cru pouvoir accorder l'anonymat à une société constituée dans le but d'acquérir des annuités dues par l'Etat et offrir ainsi aux obligataires des différents chemins de fer le moyen de liquider à des conditions sinon belles au moins équitables.
C'est, messieurs, ce résultat que nous avons cherché à atteindre ; si nous n'avons pas pu faire plus pour les obligataires, je le regrette ; mais nous avons craint que, la cession étant faite soit à un étranger, soit même à une société belge, mais peu solvable, les porteurs d'obligations ne vissent leur gage considérablement diminué. Nous ayons donc cru, eu accordant l'anonymat à la caisse des annuités, rendre service aux porteurs (page 228) d'obligations, dans la mesure où la convention du 25 avril nous permettait encore de le faire.
M. Frère-Orban. - Messieurs, il résulte des explications du gouvernement qu'il ne lui avait pas été permis de mettre certaines conditions au transfert ; je ne suis pas de cet avis ; je crois qu'il pouvait stipuler des conditions de nature à sauvegarder les intérêts des tiers. Je n'ai pas à rechercher quelles devaient être ces conditions ; mais j'ai à constater que nous n'avons pas consenti à constituer une société dans les conditions de celle qui a été fondée ; j'ai à constater que l'interprétation donnée par M. le ministre des finances à l'article 59 de la convention est erronée.
Il résulte des négociations et des documents du dossier que le gouvernement, en stipulant par l'article 59 de la convention comme il l'a fait, n'a entendu préjuger en rien ce qui pourrait être décidé ultérieurement ; il résulte des documents du dossier que des propositions ont été faites par les intéressés et que nous les avons écartées, à raison de la gravité des questions que ces propositions soulevaient ; elles ont été résolues sans aucune espèce de garantie par l'arrêté royal du 15 septembre 1870.
Immédiatement après l'approbation de la convention, les intéressés ont adressé à M. le ministre des affaires étrangères des projets de statuts pour une société ayant l'objet dont nous venons de parler.
Ces projets de statuts ont été envoyés au département des finances ; l'administration de la trésorerie, qui a la chose dans ses attributions, a examiné les propositions qui étaient faites, et elle a présenté des observations ; mais elle a donné à l'article 59 de la convention une interprétation analogue à celle que vient de donner M. le ministre des finances. L'administration de la trésorerie n'avait pas été appelée à suivre toutes les phases de la négociation de la convention ; la convention a été négociée au ministère des travaux publics, et c'est au sein du conseil des ministres que la question soulevée a reçu une solution.
Les observations présentées par l'administration de la trésorerie sont du 17 juin ; je me suis empressé de consigner au bas de ces observations la note suivante :
« Il y aurait d'abord à examiner, disais-je, si l'institution d'une simple caisse d'administration de rentes publiques, telle qu'elle est indiquée dans les projets de statuts annexés à la dépêche du département des affaires étrangères du 17 juin 1870, peut être établie sous la forme anonyme.
« Les administrations de rentes publiques sont régies, je pense, par une législation spéciale et il semble douteux, à première vue, qu'elles constituent des actes de commerce.
« Quoi qu'il en soit, je dois relever une erreur d'appréciation que renferme la note de la trésorerie. « Il résulte, » dit-on, « de la convention conclue entre la compagnie des Bassins houillers et le ministre des travaux publics, que le gouvernement a prévu la capitalisation de l'annuité et y a, en quelque sorte, donné son adhésion. »
« Le gouvernement a fait une seule chose : il a exempté les transferts éventuels des droits de timbre et d'enregistrement. Il n'a voulu préjuger ni le droit de transférer, ni les conditions auxquelles des transferts pourraient ou devraient être subordonnés dans l'intérêt des tiers. Il n'a pas voulu concourir d'une manière quelconque à modifier les droits des obligataires, à supposer qu'il le pût. La société des Bassins houillers a-t-elle le pouvoir de transférer les annuités qui lui sont dues par l'Etat ? Le peut-elle avec l'autorisation des sociétés qu'elle représente ? Les transferts ne seront-ils pas affectés par les clauses résolutoires insérées dans le titre même de la- ociété des Bassins houillers ? Le sous-bailleur, en un mot, peut-il transférer plus de droits qu'il n'en a lui-même ? Quels sont les droits des obligataires, et le gouvernement peut-il prêter les mains à des mesures qui pourraient leur être préjudiciables, sans obtenir des garanties en leur faveur ?
« Ce sont là tout autant de questions que soulevaient les formules qui ont été proposées par la société des Bassins houillers en négociant le traité avec le département des travaux publics et les formules qui semblaient résoudre les questions en faveur de la société, ont été écartées d'une manière absolue par le conseil des ministres.
« Une formule a été soumise le 18 avril et a été l'objet le lendemain d'une note sommaire de M. le directeur général de la trésorerie. (La note est au dossier.)
« Elle stipulait, dans le contrat même, l'autorisation de transférer.
« Elle faisait viser les titres par la trésorerie, chargée, par la même disposition, de veiller à la stricte exécution des engagements qui auraient été pris dans le même article par la société, pour donner une garantie aux porteurs des titres représentant les transferts opérés.
« Cette intervention du gouvernement aussi bien que l'autorisation de transférer ont été unanimement repoussées par le conseil.
« La compagnie n'a plus insisté sur l'intervention de la trésorerie, comme le constate, en son article 59, le projet de contrat annexé à la note de la trésorerie du 25 avril ; mais elle persistait à demander d'être autorisée par le contrat à transférer l'annuité à une société agréée par le gouvernement.
« Ainsi restreinte, la stipulation a encore été rejetée.
« On a enfin proposé de retrancher l'autorisation de transférer et l'agréation d'un établissement par le gouvernement et de se borner à stipuler que, si la société transférait - ce qui excluait toute adhésion et toute participation de la part du gouvernement - les titres émis en représentation des transferts seraient exemptés des droits d'enregistrement.
« On ajoutait que cette exemption s'appliquerait également aux actions « d'une société anonyme, dans le cas où l’on en créerait une à laquelle les annuités seraient apportées. »
« M. le directeur général de l'enregistrement a été entendu sur cette proposition (voir sa note au dossier) et, bien qu'elle ne fût pas écartée par lui au point de vue fiscal, elle a été également rejetée par le conseil des ministres. On ne voulait pas même préjuger la question de l'existence d'une société anonyme à laquelle les transferts pourraient être opérés. Le sens de l'article 59, tel qu'il a été enfin adopté, est donc clair et évident. Il ne préjuge rien. C'est là la vraie pensée du conseil. Loin de renfermer une adhésion implicite soit à un transfert, soit à toute autre combinaison relative aux annuités, il est établi, au contraire, que, par cet article 59, le gouvernement n'a voulu prendre aucun engagement à cet égard. Il va de soi, d'ailleurs, que, comme le dit la note de la trésorerie, les droits des obligataires doivent, avant tout, être sauvegardés. »
Telle fut ma réponse, consignée au dossier à la date du 20 juin 1870. Ainsi donc la question était parfaitement intacte ; elle était tout entière soumise au gouvernement, il avait à l'examiner dans toutes ses parties, avec toutes ses conséquences, tant pour les intérêts de l'Etat qui peuvent être engagés dans le transfert de l'annuité, annuité qui est une garantie de l'exécution des engagements qui ont été contractés vis-à-vis de lui, que pour sauvegarder les droits des obligataires des chemins de fer dont l'exploitation a été reprise par l'Etat.
Je dois donc exprimer mes regrets qu'on ait purement et simplement, par l'arrêté royal du 15 septembre 1870, accepté ce qui avait été formellement refusé dans le cours des négociations avec les Bassins houillers et la Société générale d'exploitation.
M. Jacobs, ministre des finances. - Messieurs, quand nous sommes arrivés au pouvoir, la convention du 25 avril était devenue une loi.
Le chemin de fer de l'Etat avait reçu une extension considérable par l'union du vote de la gauche, à peu près unanime, et d'une fraction de la droite.
S'il y a eu une opposition à cette convention, c'est pour ainsi dire exclusivement sur les bancs de la droite qu'elle s'est manifestée. On eût pu croire que, cédant à un sentiment de rancune, nous n'aurions pas été favorables à cette convention.
Nous avons pensé, au contraire, que précisément parce qu'un certain nombre de nos amis s'étaient prononcés en sens opposé, nous devions y mettre plus encore de délicatesse. (Interruption.) Nous avons voulu nous mettre au-dessus de toute espèce de soupçon de céder, dans l'exécution de la loi, à l'opposition qu'un certain nombre de nos amis avaient pu faire au principe de cette loi.
Nous nous trouvions, en outre, en présence des déclarations très formelles de la société des Bassins houillers d'après lesquelles s'opposer à la cession des annuités, c'était la rupture du contrat. C'était la rupture du contrat qui contient plusieurs éléments : il contient différentes constructions de sections de voies ferrées et pour les exécuter il fallait des capitaux considérables ; si la société n'avait pu faire argent de ses annuités, les céder, elle se déclarait dans l'impossibilité de donner à notre voie ferrée l'extension considérable que comportait la loi toute récente. En outre, il fallait encore la ratification des diverses sociétés intéressées.
Qu'avons-nous fait dans cette situation ?
Nous connaissions la note dont l'honorable M. Frère-Orban vient de donner lecture, note qui déclarait que la question de cession restait entière, que l'article 59 n'avait pas voulu la trancher ; mais à côté de ce commentaire, ignoré de la législature, résumé de conversations en conseil des ministres, nous avions le texte de cet article et nous devions l'interpréter. En présence d'un article déclarant que les transferts d'annuités auront lieu gratuitement, il nous a paru que le droit de transférer résultait d'un pareil article.
Nous étions, d'ailleurs, en présence de ce principe général que toutes les propriétés sont cessibles, que toutes les propriétés peuvent se transmettre et se céder, à moins qu'une loi ne les ait déclarées incessibles.et insaisissables. Nous avions l'opinion de la trésorerie, contraire à (page 229) celle du cabinet précédent. J'ai consulté l'avocat du département des travaux publics spécialement chargé de l'étude de pareilles questions. Il m'a répondu : L'affaire est claire comme le jour ; la société a le droit de céder et de transférer ses annuités. (Interruption.)
- Un membre. - C'est une consultation,
M. Jacobs, ministre des finances. - Les avocats du département des travaux publics, comme ceux des autres administrations, ne signent pas des consultations de complaisance.
En présence de ces avis, après avoir fait appel aux souvenirs des fonctionnaires du département des travaux publics, qui avaient pris part à la négociation, nous avons jugé que la société avait le droit de transférer ses annuités.
Dès lors, que devions-nous faire ?
Vous deviez, tout au moins, nous dit l'honorable M. Frère, subordonner l'autorisation de transférer, à certaines conditions. Mais, comment ! nous reconnaissions que nous n'avions pas d'autorisation à donner, que la cession était un droit, sans préjudice, il est vrai, pour les droits des tiers. Du moment que la cession est un droit, nous n'avions pas à l'autoriser, ni à subordonner une autorisation à des conditions.
- Un membre. - Pourquoi l'avez-vous fait ?
M. Jacobs, ministre des finances. - Pourquoi l'avons-nous fait ? Nous n'avons pas autorisé les transferts. Nous avons fait tout autre chose : nous avons autorisé l'établissement de la caisse des annuités. Cela est tout à fait étranger à la question des transferts. Nous n'aurions pas accordé l'anonymat à la caisse des annuités que la société des Bassins houillers aurait eu le même droit de transférer soit à la Société Générale, soit à la Banque de Belgique, soit à une société étrangère, soit à la maison Rothschild, les annuités qui lui étaient dues par l'Etat.
N'ayant pas d'autorisation à donner, la création de la caisse des annuités est complètement indifférente à cette partie du débat.
Nous ayons su, en effet, qu'on avait soumis au cabinet précédent la proposition d'autoriser une caisse d'administration publique des rentes.
Dans la forme où la proposition était faite, le cabinet précédent a eu raison de ne pas l'accepter et nous l'avons repoussée nous-mêmes. Ces caisses d'administration de rentes, telles qu'elles sont établies, n'ont évidemment pas le caractère commercial et dès lors l'on ne pouvait leur accorder l'anonymat ; c'est pour ce motif que les fondateurs ont apporté aux statuts une foule de modifications qui lui ont donné le caractère commercial ; c'est à raison de ces modifications que nous lui avons accordé l'anonymat.
Mais cela ne touche en rien à la cessibilité des annuités.
Si les Bassins houillers ont le droit de céder les annuités, ils peuvent les céder n'importe à qui ; s'ils n'ont pas ce droit, ils ne peuvent pas plus les céder à la nouvelle caisse des annuité qu'à tout autre.
Il est donc constant que si les Bassins houillers ont le droit de céder leurs annuités et si les intérêts des obligataires sont par là compromis, c'est l'œuvre des signataires de la convention du 25 avril et non la nôtre.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je n'ai pas fait l'injure au gouvernement de supposer un seul instant que, dans l'appréciation des faits d'une extrême gravité qui dominent cette affaire, il ait pu se déterminer soit par une pensée hostile à ses prédécesseurs, en n'acceptant pas loyalement la convention qui a été faite, soit par la peur de se montrer hostile à ses prédécesseurs, de faire des concessions non justifiées à des intérêts particuliers, et qu'il se soit ainsi 'engagé dans cette affaire au risque de compromettre les intérêts de l'Etat et les intérêts des tiers. M. le ministre des finances s'est placé sur un très mauvais terrain en se défendant d'une supposition qui n'a pas été faite.
La question commence, je crois, à être un peu élucidée. On est parti de l'idée qu'on n'avait fait, en autorisant la société constituée par l'arrêté royal du 15 septembre 1870, qu'exécuter la convention ; j'ai établi de la manière la plus évidente que, bien loin que ce soit l'exécution de la convention, il y a eu, dans la négociation de cette convention, des propositions qui impliquaient la création d'une société de ce genre et qui ont été formellement repoussées par le gouvernement.
Maintenant que ces points sont établis, que nous dit M. le ministre des finances ? M. le ministre des finances nous dit : Nous avons consulté, nous avons entendu l'avocat du département des travaux publics, il a été d'avis que le transfert ne pouvait pas être interdit, qu'on ne pouvait pas s'opposer au transfert. Et qui prétend, y a-t-il nécessité de prétendre qu'il y avait lieu de s'opposer au transfert ? Est-ce que, par hasard, le transfert s'opère en vertu de la convention ? Evidemment non, le transfert, s'il peut avoir lieu, s'opère en vertu du droit commun.
Les participants à la convention du 25 avril n'ont pas acquis, par la convention même, le droit d'opérer un transfert. Les conditions, sous ce rapport, n'ont pas été changées. Pouvait-on, ne pouvait-on pas transférer ? C'est une question que le contrat laisse intacte. La convention était utile à l'Etat, plus utile encore aux sociétés contractantes et très favorable aux obligataires. Ceux-ci l'ont ainsi compris. Des actes ultérieurs viennent changer leur condition.
Mais, dit M. le ministre des finances, ou la société avait le droit de transférer ou elle ne l'avait pas. Si elle n'avait point ce pouvoir, on peut attaquer ce qu'elle a fait et faire tomber les actes qui causeraient préjudice aux tiers.
Ce que vous pouviez faire et ce que je vous reproche de n'avoir pas fait, ce n'est pas de ne vous être point opposé au transfert, c'est d'avoir constitué une société anonyme pour le rachat des annuités sans garantir les intérêts des tiers.
Etiez-vous obligé de donner l'anonymat à cette société ?
Veuillez m'expliquer comment la société des Bassins houillers et la Société générale d'exploitation auraient pu espérer des transferts de ce genre si vous n'aviez pas constitué la société anonyme pour acheter les annuités.
Où était l'acheteur ?
Il était absolument introuvable. Vous avez créé l'acheteur en créant la société et comme, en créant la société, vous lui avez accordé une faveur, vous eussiez pu stipuler dans l'intérêt des tiers et même dans l'intérêt de l'Etat. Il était facile de poser des conditions.
Vous avez beau dire que l'on vous déclarait que si le transfert n'était pas autorisé, tout était rompu.
Rien n'était rompu ; la convention existait. L'acte était consommé.
Ce que vous pouviez faire, c'était d'empêcher que la société, avec laquelle l'Etat a traité, ne fît un bénéfice au détriment des créanciers des anciennes sociétés.
Est-ce que l'équité, est-ce que la justice n'obligeait pas, en pareil cas, à stipuler tout au moins : Vous ne ferez pas de bénéfice au détriment de vos créanciers.
Or, la combinaison que vous avez autorisée donne le moyen aux sociétés contractantes de faire un bénéfice illégitime au préjudice de leurs créanciers.
M. Jacobs, ministre des finances. - Si quelqu'un avait la faculté de sauvegarder les droits des obligataires, ce sont évidemment ceux qui ont signé la convention du 25 avril.
Dans cette convention l'on pouvait insérer une stipulation défendant la cession des annuités ou la subordonnant aux conditions que le gouvernement, dans l'intérêt des obligataires, croirait devoir y imposer.
C'est à ce moment que la situation des obligataires a été fixée.
Du moment qu'aucune réserve n'avait été faite, il n'y avait plus pour le gouvernement aucun moyen de s'opposer au transfert.
Mais, dit-on, vous pouviez tout au moins, en accordant l'anonymat à la Caisse des annuités, combler cette lacune de la convention du 25 avril et établir à ce moment des garanties.
Messieurs, j'ai tenté ce que j'ai pu. Mais que m'a-t-on répondu ? On m'a répondu que l'on préférait renoncer à l'anonymat plutôt que d'accorder des garanties telles que j'aurais pu en désirer.
En présence de l'attitude que l'on prenait, j'ai dû me dire : Dans l'intérêt des obligataires, vaut-il mieux accorder l'anonymat à la société telle qu'elle est, ou ne rien faire du tout ?
Tel était le dilemme qui était posé.
J'ai cru que je satisfaisais dans la mesure du possible aux intérêts des obligataires en créant la caisse des annuités. Vous avez créé l'acheteur, me dit-on.
En aucune façon. Croit-on que le vendeur d'annuités dues par l'Etat belge ne trouverait pas vingt-cinq acheteurs pour un ?
Croit-on qu'aucune société belge, qu'aucun banquier belge, qu'aucun financier étranger ne serait venu acheter ces annuités ? Oui, on les aurait achetées, mais peut-être à un taux inférieur à celui qu'en a donné la caisse des annuités. Qu'en serait-il résulté ? C'est que les obligataires auraient eu encore moins qu'ils n'ont aujourd'hui.
Au moins, dit-on, fallait-il tâcher que la caisse des annuités ne prélevât pas un bénéfice illégitime au détriment des obligataires.
Messieurs, la société des Bassins houillers peut gaspiller son actif ; comme elle le laisse absorber par la caisse des annuités, elle peut le perdre par de mauvaises opérations de chemins de fer ; il y a cette différence cependant que, dans le cas actuel, elle retrouve dans la cession un nouveau capital pour de nouvelles entreprises, tandis que, dans l'autre, elle ne conserverait rien.
Les créanciers d'une société de ce genre, quelque solvable qu'elle soit aujourd'hui, peuvent avoir un jour un débiteur insolvable.
(page 230) J'ai cru que j'agissais dans leur intérêt, dans l'intérêt des obligataires, en leur donnant la faculté de choisir entre deux débiteurs.
Ces obligataires comprennent qu'il est juste qu'il y ait un bénéfice en faveur de la caisse des annuités qui substitue un débiteur dont la solvabilité est incontestable à un débiteur dont la solvabilité peut être contestée dans l'avenir, comme peut l'être celle de tout industriel.
Ce bénéfice est-il trop considérable, l'est-il trop peu ? Ce sont là des questions qu'il est difficile de résoudre et je crois que le gouvernement n'a pas à les discuter.
M. Bara. - Tout à l'heure, à une observation que je présentais à l'honorable ministre des finances, l'honorable ministre m'a répondu que les avocats du département des travaux publics ne donnaient pas de consultations de complaisance.
Comme on pourrait inférer de là que j'aurais accusé l'honorable avocat du département des travaux publics de donner des consultations de complaisance, je tiens à protester contre l'interprétation que M. le ministre des finances a donnée à mon interruption.
J'ai dit que l'honorable avocat du département des travaux publics avait donné une consultation sur la matière en question et que par conséquent son opinion était engagée ; je n'ai entendu contester ni l'honorabilité de l'avocat du département des travaux publics ni les raisons sur lesquelles il a pu baser son opinion.
J'ai voulu uniquement constater que cet avocat avait son opinion engagée lorsqu'il a été consulté par M. le ministre. J'ajouterai que la consultation dépend, en outre, de la manière dont la question est posée.
Ceci dit pour que l'on ne m'attribue pas des intentions que je n'ai pas eues, qu'il me soit permis de présenter une observation sur le fond du débat.
Je ne veux pas qu'on puisse déduire de cette discussion que l'article de la convention du mois d'avril 1870, sur lequel l'honorable ministre des finances a prétendu baser la constitution de la Caisse des annuités, doit être interprété dans le sens qu'il lui a donné.
Lisons cet article et nous verrons si jamais il a pu autoriser la société des Bassins houillers à céder, comme elle l'a fait, les annuités qu'elle acquerrait de l'Etat ; si jamais l'Etat a laissé croire que ce transfert au détriment des obligataires était légal ; si, au contraire, l'Etat n'a pas laissé complètement cette question dans le domaine du droit civil, où elle devait rester.
Que dit l'article ?
« Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat et les tiers, en nom ou au porteur, qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toutes les annuités, seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement, etc. »
Que signifie cette stipulation ? Rien autre chose que ceci :
Si la société des Bassins houillers fait un transfert, l'Etat l'exempte des droits d'enregistrement. Mais cette disposition n'a pas pour but de décréter l'obligation et la légalité d'un transfert au détriment des tiers. L'article n'avait pas d'autre portée et l'honorable ministre des finances devait le savoir, puisqu'il avait une note écrite par son prédécesseur d'après laquelle on avait refusé la constitution d'une caisse d'annuités.
L'article pouvait, dans certains cas, recevoir une explication juste et inattaquable.
Je suppose que tous les créanciers de la société des Bassins houillers se soient réunis et entendus pour convertir en annuités leurs créances à charge de cette société ; évidemment il n'y avait à cela aucune objection, parce que le transfert se faisait sans lésion d'aucun intérêt. Voilà donc un cas dans lequel le transfert pouvait s'opérer et en vertu de l'article 59 de la convention, il n'y avait à percevoir aucun droit d'enregistrement.
Mais, en présence du traitement assez malheureux déjà que la compagnie des Bassins houillers inflige aux obligataires, ne venez pas dire que l'article 59 de la convention prévoyait, légitimait et imposait l'obligation de constituer une société pour qu'un transfert préjudiciable à leurs intérêts pût s'effectuer.
Maintenant, messieurs, l'honorable ministre des finances trouve que mon honorable collègue M. Frère-Orban a tort de lui reprocher d'avoir autorisé la constitution de la Caisse des annuités... Je trouve, moi, que mon honorable collègue a eu parfaitement raison, - et comment pourrait-on nier ? Le gouvernement, en donnant l'anonymat à la Caisse des annuités, a fait un avantage considérable à la société des Bassins houillers. En agissant ainsi, il devait exiger des garanties pour les obligataires.
il y a plus et je demanderai à l'honorable ministre des affaires étrangères s'il a fait respecter les contrats des sociétés anonymes qui ont, contrairement à leurs statuts, vendu leurs concessions et si, par suite de la création de la caisse des annuités, il n'a pas laissé violer les statuts qu'il avait le devoir de maintenir, tant dans l'intérêt des obligataires que dans celui de l'Etat.
A l'heure qu'il est - et j'appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement et du pays- une grande partie de la fortune privée est engagée dans des entreprises de chemins de fer. Or, messieurs, si de pareils procédés pouvaient se renouveler, si le gouvernement pouvait faciliter encore de pareilles combinaisons, je dis que tous les porteurs d'obligations de chemins de fer seraient désormais à la merci de leurs débiteurs. Ils croiraient avoir en mains des valeurs sérieuses, appuyées sur des lignes ferrées et leurs produits variables, il est vrai, mais certains dans une mesure déterminée, et, en réalité, ils n'auraient que du papier sur une maison de commerce qui, riche aujourd'hui, peut être ruinée demain. (Interruption.)
Quelle va être la position des porteurs d'obligations des chemins de fer du Centre, de Beaume à Marchienne, de Hainaut et Flandre et de tant d'autres ?
Notez, messieurs, que je ne veux rien dire de désobligeant pour la société des Bassins houillers ; elle défend ses intérêts, c'est son droit. Mais je m'adresse au gouvernement, qui a d'autres devoirs, qui avait le moyen d'empêcher une combinaison désastreuse pour certains obligataires et je cherche à le convaincre pour l'avenir du danger de la mesure que nous examinons en ce moment.
Eh bien, messieurs, voici quelle est la position de ces porteurs d'obligations si, par suite de contestations judiciaires, leur position n'est pas sauvegardée : ils ont pris ces obligations croyant avoir, pour garantie de leur capital et du payement des intérêts, un chemin de fer donnant un produit déterminé, un chemin de fer qui peut rapporter moins, je le veux bien, mais qui constitue toujours une valeur assurée, une valeur en quelque sorte hypothécaire, une valeur qu'elle ne peut pas faire disparaître, et qui existera toujours au soleil.
Eh bien, qu'arrive-t-il ? La première société cède son exploitation à une autre ; cette seconde à une troisième qui revend la ligne et ses produits. Que reste-t-il aux porteurs d'obligations ? Il ne leur reste plus, assure t-on, qu'une action contre un tiers qui n'a plus en sa possession ni le chemin de fer ni ses produits.
De telle sorte qu'au lieu d'être créanciers d'une société anonyme ayant un chemin de fer, ils deviennent créanciers de messieurs tels ou tels qui n'ont plus à offrir comme garantie que leur valeur commerciale.
Eh bien, je le demande, irait-on prêter de l'argent à 4 ou 5 p. c. à une société d'exploitation de chemin de fer si l'on pouvait croire qu'on n'aurait bientôt plus devant soi qu'un simple commerçant faisant des affaires chanceuses ?
Je suis convaincu, messieurs, que les sociétés anonymes qui ont pour objet la construction et l'exploitation de chemins de fer et à qui toute autre opération est interdite ne peuvent point faire disparaître de leur avoir l'objet de leur entreprise à raison duquel l'anonymat leur a été accordé. C'est là modifier l'essence de leur constitution, c'est la destruction, la dissolution de la société.
Je crois fermement qu'en droit elles ne peuvent pas remplacer la gestion d'un chemin de fer par la gestion d'une simple créance, et que leur existence cesse avec l'aliénation de leur concession.
Je dis que, dans cette circonstance, les statuts ont été formellement violés.
Messieurs, quand une demande semblable, dont les conséquences devaient être si graves, a été faite au gouvernement, comment le gouvernement n'a-t-il pas dit à la société des Bassins houillers : « Je ne vous accorde pas l'anonymat ; si vous croyez avoir le droit de faire le transfert des annuités, faites-le ; mais je ne veux pas vous aider à nuire aux obligataires, à les spolier d'une partie du revenu que leur assurent leurs obligations. »
Si toutes les sociétés de chemin de fer peuvent aliéner leurs concessions, substituer à leur avoir sérieux, à leurs voies ferrées et à leurs produits, une créance sur le premier venu, je dis que les obligataires ont été trompés, qu'il n'y a plus pour eux de sécurité et que leur fortune est sérieusement compromise.
Le gouvernement a donc été mal inspiré en prenant une mesure qui porte l'atteinte la plus grave à des intérêts respectables que le bien général obligeait au contraire à sauvegarder.
- La discussion générale du budget du ministère des finances est close.
M. le président. - Je pense que la Chambre n'est pas disposée à aborder aujourd'hui la discussion des articles. (A demain ! à demain !)
- La séance est levée à 5 heures.