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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 novembre 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)

(Présidence de M. Vilain XIIII)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 141) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Wouters lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Reynaert présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Quarré, Van Elslande et autres membres de la Ligue de l'enseignement, à Menin, demandent une loi réglementant le travail des enfants dans l'industrie. »

M. Lelièvre. - Cette requête concerne un objet urgent. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, qui sera invitée à faire un prompt rapport. La question est digne d'examen et doit recevoir une solution le plus tôt possible.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Masquelin prie la Chambre de s'occuper de toutes les pétitions qu'il lui a présentées concernant la nécessité d'une prompte réforme électorale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Lokeren prie la Chambre d'accorder aux sieurs Lefèvre et de Rechter la concession d'un chemin de fer de Gand à Anvers par Lokeren et la vallée de la Durme. »

- Même renvoi.


« Le sienr Group, tailleur, à Saint-Nicolas, demande le congé de son fils Emile, milicien de 1864, servant comme soldat tailleur au dépôt du régiment des guides à Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Rochefort prient la Chambre de discuter la question de savoir si la fondation Jacquet est une fondation belge ou romaine et de prendre des mesures pour que l'argent détourné soit remis et employé conformément à la loi sur les bourses d'étude. ».

- Même renvoi.


« Le sieur Feuillite réclame contre son expulsion de Belgique. »

- Même renvoi.


« Des membres d'une société d'agriculture à Eecloo prient la Chambre d'adopter le projet de code rural qui lui sera prochainement présenté et demandent que la loi contienne des dispositions relatives au congé à donner au fermier. »

- Même renvoi.


« Par quatre pétitions, des habitants de Bruxelles demandent la révision des lois d'impôts, la suppression de l'armée et des droits de douanes. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Gouy demande l'abrogation des dispositions du décret du 24 messidor an XII relatives à l'assistance des corps constitués à des cérémonies religieuses et prie la Chambre de décider si les honneurs à rendre aux autorités dans les temples du culte catholique constituent un service obligatoire pour les citoyens belges qui appartiennent à la garde civique ou à l'armée. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Keyem prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer d'Armentières vers Ostende par Ypres et Dixmude. »

- Même renvoi.


« Par lettre du 14 novembre 1870, M. le ministre des finances adresse à la Chambre, en exécution de l'article 46 de la loi sur la comptabilité, les états sommaires des adjudications, contrats et marchés, passés par les divers départements ministériels, pendant l'année 1869. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Par dépêche, en date du à 11 novembre, M. le ministre des finances propose des modifications au budget de son département et au budget des voies et moyens. »

- Impression, distribution et renvoi aux sections.


Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. le procureur général près la cour d'appel de Gand, de 125 exemplaires du discours qu'il a prononcé cette année, à l'audience de rentrée de la cour ;

« 2° Par M. le recteur de l'université de Liège, de 127 exemplaires de la brochure contenant :

« A. Le discours inaugural et le rapport du recteur sur la situation de l'université en 1869-1870 ;

' « B. Le programme des cours pour l'année académique 1870-187I ;

« 3° Par M. Nypels, de la 14ème livraison de la Législation criminelle de la Belgique, qui termine le code pénal ;

« 4° Par M. Rodenbach, d'un exemplaire de l'ouvrage posthume de son oncle Alex. Rodenbach ;

« 5° Par M. Vanhuffel, de 100 exemplaires d'une romance intitulée : Invocation à la Paix ;

« 6° Par M. Alfred de La Guéronnière, de 2 exemplaires d'une brochure intitulée : l’Homme de Metz.

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Eug. de Kerkhovc, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé illimité. »

« M. de Vrints, oblige de s'absenter, demande un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Proposition de loi rendant obligatoire l’instruction primaire des enfants âgés de sept à treize ans

Lecture

M. le président. - Messieurs, je suis profondément touché de la confiance que vous me témoignez. Je mets au service de la Chambre tout ce que je puis avoir de force, de facultés et de dévouement. (Applaudissements.)

M. Funck a déposé une proposition de loi ; cinq sections en autorisent la lecture.

M. Funck veut-il donner lecture de sa proposition ?

M. Funck. - « Art. 1er. Tous les enfants habitant la Belgique recevront l'instruction primaire dans une école publique ou dans une école privée, ou à leur domicile pendant six années consécutives, depuis l'âge de sept ans jusqu'à celui de treize ans accomplis.

« Les parents ou tuteurs des enfants sont responsables de l'exécution de la présente disposition.

« Art. 2. Les administrations communales dresseront chaque année, pendant le mois de janvier, une liste contenant les noms, prénoms et domiciles des enfants ayant atteint l'âge de sept ans ou devant atteindre cet âge dans le courant de l'année.

« Les parents ou tuteurs seront invités à les envoyer à une école primaire à partir du 1er mai suivant.

(page 142) « Art. 3. La fréquentation régulière et continue d'une école publique pendant six années consécutives constitue une présomption de capacité relativement à l'enseignement primaire.

« Cette présomption résultera aussi pour tous les enfants de leur admission dans un établissement d'enseignement moyen.

« Art. 4. La capacité des enfants qui fréquentent les écoles privées ou de ceux qui voudraient exceptionnellement quitter l'école publique avant l'âge de treize ans accomplis sera constatée par une commission d'examen.

« Art. 5. Cette commission s'assurera si les enfants, désirant sortir de l'école possèdent parfaitement l'enseignement primaire, tel qu'il est établi par l'article 6 de la loi du 23 septembre 1842, ainsi que toutes les autres connaissances élémentaires que le gouvernement croirait devoir ajouter au programme contenu dans cet article.

« Art. 6. La commission d'examen sera nommée par le conseil communal. Elle se composera nécessairement de deux membres du conseil communal, de l'inspecteur cantonal, d'un instituteur communal et d'un instituteur privé.

« Art. 7. Les parents ou tuteurs qui, sans pouvoir invoquer des motifs d'excuse légitime, n'enverraient pas à l'école leurs enfants âgés de 7 à 13 ans, ou qui ne les y enverraient pas régulièrement, recevront un avertissement d'avoir à se conformer à la présente loi.

« Cet avertissement sera renouvelé chaque fois que les enfants s'absenteront de l'école.

« Art. 8. Huit jours après cet avertissement, si les parents persistent dans leur refus ou dans leur abstention, il en sera dressé procès-verbal et ils encourront une amende de 1 à 10 francs.

« En cas de récidive, l'amende sera portée de 10 à 25 francs et les contrevenants pourront être condamnés en outre, selon la gravité des cas, à un emprisonnement d'un à cinq jours.

« Art. 9. Les parents ou tuteurs qui, pendant les six années de la durée de l'obligation scolaire, auront subi trois condamnations du chef de contraventions à la présente loi, seront en outre privés de tout droit aux secours publics.

« Art. 10. Les motifs légitimes d'exception temporaire de fréquenter l'école seront les suivants : 1° La maladie constatée de l'enfant ; 2° Son absence du pays ; 3° L'instruction donnée à domicile.

« Art. 11. L'autorité communale pourra astreindre les parents ou tuteurs, qui invoquent l'excuse indiquée au n°3 de l'article précédent, à faire subir à la fin de chaque année scolaire un examen partiel à leurs enfants, afin de s'assurer qu'ils ont reçu l'instruction primaire dans le cours de cette année.

« Art. 12. S'il résulte de cet examen que les enfants n'ont pas reçu l'instruction à domicile, ou si les parents ou tuteurs se refusent à les soumettre à cet examen, ceux-ci encourront les pénalités prévues par l'article 8.

« Art. 13. Dans chaque école, l'instituteur en chef tiendra note des absences de plus de deux jours faites par chaque enfant, même pour cause de maladie, pendant les six années affectées à l'enseignement primaire. Si l'ensemble de ces absences dépasse quatre mois, l'enfant sera obligé de fréquenter l'école primaire pendant un laps de temps égal à ces absences, après l'âge de treize ans accomplis.

« Art. 14. La fréquentation régulière de l'école publique pendant six années consécutives se constatera par un certificat délivré par l'instituteur en chef de l'école.

« Art. 15. Le chef d'école convaincu d'avoir délivré un certificat relatant des faits faux ou inexacts ou qui seraient de nature à soustraire un enfant, un père de famille ou un tuteur aux obligations que leur impose la présente loi, sera condamné de ce chef à une amende de 500 francs et à un emprisonnement d'un à trois mois, séparément ou cumulativement.

« En cas de récidive, le jugement de condamnation le déclarera en outre incapable de diriger une école, et il cessera immédiatement ses fonctions.

« Art. 16. Il est défendu à tous chefs d'industrie, fabricants, artisans ou ouvriers de recevoir dans leurs mines, usines, fabriques ou ateliers des enfants âgés de moins de 13 ans, pendant les heures consacrées au service scolaire dans les écoles publiques, sous peine d'encourir l'application des dispositions contenues dans l'article 8.

« Art. 17. Dans les localités où les besoins de l'industrie nécessitent le travail des enfants âgés de moins de 13 ans, le gouvernement pourra, sur l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial, autoriser les administrations communales à organiser des écoles d'après le système du demi-temps, de manière à combiner l'exécution de l'obligation scolaire avec les nécessités de l'industrie.

« Art. 18. Un arrêté royal déterminera les mesures d'exécution destinées à assurer l'application des principes contenus dans les dispositions qui précèdent.

« Dispositions transitoires.

« Pendant le mois de février qui suivra la publication de la présente loi, les administrations communales dresseront une liste de tous les enfants de 7 à 13 ans auxquels seront appliquées toutes les dispositions qui précèdent.

« Les communes qui n'auraient pas d'écoles suffisantes prendront les mesures nécessaires pour satisfaire aux obligations qui leur incombent du chef de l'enseignement primaire.

« En cas de refus ou d'abstention, les sommes nécessaires à cette fin seront portées d'office à leur budget. »

M. le président. - Quand M. Funck désire-t-il développer sa proposition ?

M. Funck. - Après les interpellations de M. Brasseur.

- Plusieurs membres. - Demain.

M. le président. - Nous pourrions fixer la séance de demain à trois heures. Les sections particulières et les sections centrales pourraient travailler et, à l'ouverture de, la séance publique, M. Funck présenterait les développements de. sa proposition.

- La proposition de M. le président est adoptée.

Proposition de loi proposant de déclarer qu’il y a lieu à réviser les articles 47, 53 et 56 de la Constitution

Lecture

M. le président. - Une deuxième proposition a été déposée sur le bureau. Cinq sections sur six en autorisent la lecture. Quel est celui de ces messieurs qui veut donner lecture de la proposition ?

M. Demeur donne lecture de la proposition ; elle est ainsi conçue :

« Considérant que les articles 47 et 53 de la Constitution ne permettent pas de reconnaître le droit de suffrage pour l'élection des représentants et pour l'élection des sénateurs, aux citoyens qui payent moins de vingt florins d'impôt direct ;

« Considérant que la loi du 12 mars 1848 a fixé le cens, pour ces élections, au minimum établi par la Constitution et que l'application de cette loi a pour résultat d'appeler à l'exercice du droit de suffrage moins de 110,000 citoyens belges, tandis qu'il y a en Belgique, sur une population de 5,000,000 d'âmes, environ 1,400,000 citoyens majeurs ;

« Considérant que le pouvoir législatif doit être à même de maintenir la loi électorale au niveau du progrès des lumières et, par suite, d'y apporter, quand il le juge opportun, les modifications nécessaires à cette fin ;

« Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 56 de la Constitution, pour être élu et rester sénateur, il faut notamment payer, en Belgique, au moins 1,000 florins d'impôt direct, avec ce seul tempérament : « Dans les provinces où la liste des citoyens payant 1,000 florins d'impôt direct n'atteint pas la proportion de 1 sur 6,000 âmes de population, elle est complétée par les plus imposés de la province, jusqu'à concurrence de cette proportion de 1 sur 6,000 ; »

« Considérant que la liste des éligibles au Sénat dans toutes les provinces, dressée en exécution de l'article 56 de la Constitution, comprend seulement 481 noms et que les éligibles au Sénat dans la seule province de leur domicile ne sont qu'au nombre d'environ 300 ; qu'en outre, parmi les citoyens qui réunissent les conditions constitutionnelles d'éligibilité, il y en a un grand nombre qui, pour des raisons diverses, ne peuvent ou ne veulent pas être candidats ; qu'ainsi, en réalité, le choix n'existe pas, pour les électeurs, dans la formation du Sénat ;

« Les soussignés proposent à la Chambre la résolution suivante :

« Il y a lieu à la révision des articles 47, 53 et 56 de la Constitution.

« Ont signé :

« Demeur, Balisaux, Gustave Jottrand, Boulenger, Berge, J. Guillery, Al. Dethuin, Houtart, Hagemans, Antoine Dansaert, Auguste Couvreur. »

M. le président. - Quand désirez-vous donner les développements de cette proposition ?

M. Demeur. - Plusieurs signataires de la proposition ont bien voulu me proposer d'en donner les motifs ; je suis aux ordres de la Chambre et pour me conformer au règlement je proposerai mardi prochain.

- Adopté.

Projet de loi approuvant un acte additionnel au traite de commerce conclu entre la Belgique etl’Espagne

Dépôt

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères présente un projet de (page 143) loi tendant à autoriser le gouvernement à signer un acte additionnel au traité de commerce entre la Belgique et l'Espagne.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet de loi et le renvoie à l'examen des sections.

Interpellation relative aux réclamations diplomatiques de la Prusse à l’égard de la presse belge

M. Brasseur. - Messieurs, il y a environ quatre semaines, la presse belge et la presse étrangère se sont beaucoup préoccupées d'une réclamation diplomatique faite par le cabinet de Berlin auprès du gouvernement belge.

L'existence d'une note fut niée par les uns, affirmée par les autres ; cette note, disaient les derniers, avait pour objet l'attitude de notre presse envers l'Allemagne ; on se plaignait surtout de l’Indépendance et de l’Etoile belge.

Dans le Moniteur du 22 octobre dernier, j'ai lu un communiqué du gouvernement que j'ai dû considérer comme une réponse aux discussions de la presse. Ce communiqué m'a vivement frappé. Il y est dit que notre gouvernement n'a reçu de la part de l'Allemagne aucune communication réclamant l'adoption de mesures restrictives en matière de presse. De là j'ai tiré la conséquence qu'il y a cependant eu une réclamation quelconque, sans cela le gouvernement se serait borné à opposer une dénégation pure et simple aux allégations de la presse. Tout ce que le communiqué prouve, c'est que la réclamation du cabinet de Berlin n'a pas été aussi loin qu'on le pensait ; elle n'a pas été jusqu'à demander des modifications à notre législation sur la presse. Mais il y a eu une note diplomatique.

C'est ce qui motive mon interpellation, à laquelle j'attache une immense importance, parce qu'il s'agit ici du droit le plus précieux dont puisse jouir un peuple libre, et qui se trouve inscrit de la manière la plus large et la plus formelle dans notre pacte fondamental.

Messieurs, je pense qu'il ne peut y avoir qu'une voix en Europe sur le rôle qu'a joué la Belgique pendant cette guerre désastreuse qui marquera dans les annales de l'histoire comme l'une des plus sanglantes qu'ait eu à enregistrer l'humanité. La Belgique a loyalement rempli les devoirs que lui impose sa neutralité ; déplorant vivement l'explosion de la guerre, elle n'a plus eu qu'un seul sentiment le jouir où elle s'est produite, celui de tendre ses bras hospitaliers à toutes les victimes de la guerre, sous quelque drapeau qu'elles aient combattu.

Je suis convaincu que la France et l'Allemagne garderont un pieux souvenir de l'hospitalité large et généreuse qu'y ont reçue leurs enfants, et si quelques plaintes isolées ont été formulées par quelques organes de la presse allemande à l'endroit de la Belgique, je constate avec bonheur que ces plaintes, peu fondées, n'ont pas été assez nombreuses pour que nous puissions taxer l'Allemagne d'ingratitude.

D'ailleurs, la Belgique aurait même en un léger sentiment de préférence pour les blessés français, il n'y aurait là rien d'étrange.

N'est-ce pas, en définitive, au peuple français que nous devons en grande partie notre indépendance nationale ? Ne sont-ce pas les enfants de la France qui ont versé leur sang sur le champ de bataille pour la liberté belge ? Pourrait-on nous reprocher l'expression d'un sentiment de gratitude envers nos bienfaiteurs, aujourd'hui qu'ils sont dans le malheur ? Il en est des peuples comme des individus. Les dettes de reconnaissance sont sacrées, et, en les payant, on ne saurait jamais froisser la susceptibilité de personne.

Quant à la presse belge, je n'hésite pas à le dire, nous devons tous être fiers de l'attitude qu'elle a prise dans les moments difficiles que nous venons de traverser. Au point de vue de l'intérieur, elle s'est bornée à faire appel à tous les dévouements, à toutes les sources de la charité, et sa voix a été entendue de la nation tout entière. Au point de vue de l'extérieur, elle a pratiqué avec la plus grande loyauté les devoirs que lui impose notre neutralité, et ses appréciations ont toujours été marquées au coin de la plus grande modération et de la plus grande réserve.

Et, veuillez remarquer, messieurs, que cette impartialité de la part de notre presse a un grand mérite. C'est qu'elle est absolument libre chez nous ; elle ne dépend en aucune façon des pouvoirs publics, qui n'ont aucune action sur elle. Il lui serait donc facile, à un moment donné, de prendre une situation telle, dans un débat sur la politique étrangère, que les puissances pourraient croire à une violation de neutralité de notre part. Car on a beau faire et beau dire à l'étranger, l'opinion publique d'un pays est toujours plus ou moins représentée par les grands organes de la presse de ce pays. Eh bien, je le constate avec fierté, notre presse n'est pas entrée dans une fausse voie ; elle a prouvé par là qu'elle est à la hauteur de sa mission, elle a bien mérité du pays.

Aussi, quel ne fut pas mon étonnement d'apprendre que l'attitude de l'Indépendance et de l'Etoile belge a donné lieu à une réclamation diplomatique, en ce sens que leur langage pouvait altérer les sympathies de l'Allemagne pour la Belgique, sympathies des plus vives avant la guerre.

Qu'a-t-on donc à reprocher à ces deux journaux ? Examinons.

Messieurs, je suis lecteur assidu de l’Indépendance et de l’Etoile belge et, je l'affirme hautement, je n'ai pas trouvé, dans les derniers temps, une seule ligne qui pût donner lieu à une réclamation de la part du gouvernement le plus ombrageux.

Je rends cette justice, et d'autres l'ont dit ailleurs, que, depuis le début de la guerre. ces journaux se sont fidèlement attachés à ne présenter à leurs lecteurs que le tableau, aussi exact que possible et toujours consciencieux, des événements extraordinaires qui, au milieu du sang et des ruines, préparent à l'Europe un nouvel avenir. Ils ont tenu la balance égale entre les deux belligérants.

Ils ont publié les nouvelles qui leur venaient du théâtre de la guerre, les versions françaises comme les versions allemandes. C'étaient de véritables bureaux d'enregistrement.

Ils publiaient les faits de guerre an fur et à mesure qu'ils leur parvenaient, cherchant la vérité au milieu de récits souvent contradictoires, et laissant le plus souvent au public le soin de la débrouiller, tant les nouvelles se succédaient avec rapidité.

Lorsqu'ils ont cru devoir émettre une opinion, ils ont usé de leur liberté avec mesure, modération et sagesse, et j'ai pu me convaincre qu'ils ont dit la vérité à la France comme à l'Allemagne, même lorsqu'elle pouvait être désagréable à l'une ou à l'autre.

C'est ainsi qu'avant la guerre, l'Indépendance a été la première à en blâmer le principe ; l'Indépendance et l'Etoile ont été les premières à accuser la France de provoquer le combat terrible et à lui en laisser la responsabilité aux yeux du monde civilisé. Pas de note diplomatique alors ! Plus tard, lorsque la guerre eut éclaté, ces journaux, mieux renseignés que la presse impériale, trouvant que les Français ne marchaient pas précisément de victoires en victoires et que ses victoires ressemblaient, à ne pas s'y tromper, à des défaites, comment a-t-on jugé leurs appréciations ? Mais, messieurs, on les a accusés, du moins l’Indépendance, d'avoir été gagnés par la Prusse.

Plus tard surgirent de nouveaux faits et nos journaux, par la nature même des choses, ont été appelés à les apprécier. Les journées de Sedan vinrent ternir à jamais la gloire militaire de la France ; la République fut proclamée à Paris, et l'Allemagne, victorieuse, parla pour la première fois de prendre l'Alsace et la Lorraine.

L'Indépendance et l'Etoile belge trouvèrent que le régime républicain vaut mieux que le régime impérial. C'est là évidemment une opinion qui, peut être librement manifestée dans notre pays : c'est une appréciation à laquelle personne n'a rien à redire.

D'un autre côté, les deux journaux - et c'est là, je suppose, leur crime - ont protesté contre le morcellement de la France, notamment contre l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine, parce qu'ils trouvent que c'est là une nouvelle source de guerres dans l'avenir, parce qu'ils pensent que la France ne manquera pas de saisir la première occasion pour reconquérir ces deux départements, mais surtout parce qu'ils estiment qu'on ne peut disposer d'un peuple comme d'un vil troupeau de bétail, et qu'il faut au moins le consentement librement exprimé des Lorrains et des Alsaciens, avant d'en faire des sujets de la Confédération germanique.

C'est encore une thèse très soutenable et qui est défendue par les esprits les plus éminents, même en Allemagne.

Il y a beaucoup de personnes qui pensent que les peuples ont seuls le droit de disposer de leur sort comme bon leur semble ; et si la conquête présente un caractère moins odieux que la vente pure et simple, elle n'en constitue pas moins un abus de la force brutale, qui pourrait tout au plus devenir légitime, s'il recevait ultérieurement la sanction et la ratification des peuples ou des habitants dont on convoite l'annexion.

Eh bien, voilà les faits ; voilà le langage tenu par l'Indépendance et l'Etoile belge.

Mais ne sommes-nous donc plus libres de proférer de pareilles paroles ? Ne serait-il plus permis à notre presse de se prononcer contre les annexions et les conquêtes, sans s'exposer au reproche de sortir des limites de la modération et de violer notre neutralité ?

Comment ! tous les jours, certains journaux belges publient la thèse de l'annexion, disant que la France ferait bien de céder, et lui conseillent de donner l'Alsace et la Lorraine à la Confédération germanique ! et il ne serait pas permis à d'autres journaux de soutenir la thèse contraire ! de défendre une opinion qui trouve en Allemagne même de chaleureux défenseurs !

(page 144) Je me demande donc ce qui a pu légitimer la note diplomatique du gouvernement prussien.

Veuillez remarquer, messieurs, que je me préoccupe fort peu de la forme dans laquelle cette note a été conçue ; peu m'importe encore qu'elle ait été lue avec toutes les prévenances de langage qu'ait pu inventer le style diplomatique ; le côté grave de la question est, a mes yeux, l'existence même d'une note diplomatique réclamant contre l'usage d'une de nos libertés, alors que nous nous sommes bornés à user, dans des termes modérés et convenables, d'un droit constitutionnel.

Les journaux anglais se sont livrés aux mêmes appréciations que nous ; je voudrais bien savoir si la même note diplomatique a été adressée à l'Angleterre. Je dois le croire, car il serait pour le moins étrange qu'on se fût adressé de préférence à un peuple relativement plus faible que l'Angleterre.

Chez nous, cette réclamation diplomatique a déjà produit deux effets : l'un regrettable et l'autre blâmable. Il y a d'abord eu certaines remontrances faites par certains journaux aux deux feuilles incriminées. Je n'ai pas à m'en occuper. Elles ne peuvent avoir pour nous d'autre intérêt que celui qu'on peut accorder à des polémiques de journaux. Du reste, messieurs, ces remontrances ne sont elles-mêmes que des effets ; la cause est ailleurs.

Il y a eu ensuite une intervention officieuse de la part du gouvernement par la reproduction d'articles au Moniteur et surtout d'un article à l'adresse d'un confrère, qui conseillait l'emploi d'une mesure extrêmement violente, pour ne pas me servir d'autres termes. C'est là une faute commise par le gouvernement.

Le gouvernement ne doit prendre la parole que quand il a le droit de parler et que les citoyens ont le devoir d'obéir ; car parler sans autorité, c'est s'exposer à s'affaiblir moralement vis-à-vis des masses. Or, chez nous, la presse est libre ; elle a donc le droit de repousser les conseils, même sages du gouvernement. Il est à espérer que pareil incident ne se renouvellera plus.

Du reste, messieurs, quand nous serons arrivés à la discussion du budget de la justice, il me sera facile d'établir que toute la partie non officielle du Moniteur est complètement inutile et pour éviter de nouveaux abus, j'aurai l'honneur de proposer la suppression de cette partie non officielle. Mais ce sont là pour moi des questions accessoires. Le fait capital de ce débat, c'est la réclamation diplomatique du gouvernement prussien, et surtout la manière vague et générale dans laquelle cette réclamation a été conçue.

Ah ! messieurs, je comprends les exigences de la France impériale en 1856, au sujet de notre législation sur la presse. Nous avions alors quelques journaux de bas étage qui prêchaient tous les jours l'assassinat politique et notamment l'assassinat de l'empereur Napoléon III.

Je comprends très bien que la France, à cette époque, nous ait dit : Vous n'avez pas le droit d'incendier notre maison. Nous sommes libres chez nous de faire ce que nous voulons, de nous donner telle forme de gouvernement qu'il nous plaît et de placer à la tête de nos institutions un homme de notre choix.

Nous ne pouvons pas vous permettre de prêcher l'assassinat de notre empereur, et nous vous prions de régler en conséquence votre législation sur la presse. Et je comprends encore très bien la liberté pleine et entière de notre presse, même quand il lui est défendu de prôner l'assassinat. Là, au moins, l'objet de la demande était nettement déterminé : nous savions ce que nous donnions, mais aussi nous savions ce que nous gardions.

Tandis qu'aujourd'hui le cabinet de Berlin vient nous dire, d'une manière officielle, que le langage de la presse de notre pays est de nature à altérer les sympathies de l'Allemagne pour la Belgique.

C'est précisément ce vague qui constitue pour moi le danger dans l'avenir. Il y a là quelque chose d'insaisissable qui ne permet pas même de se défendre ; il y a là une tentative d'intimidation et de pression d'autant plus étrange que le gouvernement de Berlin sait parfaitement bien que notre gouvernement est désarmé vis-à-vis de la presse et qu'il n'a aucune action sur elle.

Pourquoi donc s'est-il adressé à lui ? Que lui réclame-t-il ? Que lui veut-il ? Une attitude autre de la part de nos journaux vis-à-vis de l'Allemagne ? Eh bien, voilà précisément ce que nous ne pourrons jamais lui accorder.

En effet, messieurs, une pareille demande implique l'idée que nos appréciations sur la politique étrangère doivent toujours être favorables à l'Allemagne ; vaut autant dire que nous n'avons plus le droit de discuter les questions de politique étrangère, car là où manque la liberté d'appréciation, là. aussi manque la vie normale et régulière d'une presse indépendante. Et par voie de conséquence, il sera également défendu de nous livrer à des appréciations sur la politique étrangère dans des revues, dans des brochures ! Et comme toutes les grandes puissances ont vis-a vis de la Belgique les mêmes droits, elles pourraient toutes formuler les mêmes prétentions à notre adresse. Autant vaudrait dire que nous sommes exclus du commerce intellectuel avec l'Europe entière.

Ce n'est pas tout. A un autre point de vue, la discussion libre sur la politique extérieure intéresse très souvent nos relations commerciales et industrielles. Le devoir de la presse est évidemment de défendre partout et en toute circonstance les intérêts matériels de notre pays, là où ces intérêts peuvent se trouver engagés. Eh bien, peut-elle remplir cette mission patriotique, si à priori elle doit recevoir l'appréciation ou demander l'approbation d'une cour étrangère pour ne pas perdre ses sympathies !

Et voulez-vous une preuve que vous ne pouvez pas détacher les questions de la politique extérieure de nos intérêts matériels ? Elle est toute fraîche ; je la trouve dans les journaux d'aujourd'hui.

Voici le fait :

L'Indépendance, qui a d'excellents correspondants en France, comme tout le monde sait, a reçu un jour, à l'époque où les tentatives de paix et d'amnistie s'étaient évanouies, une correspondance affirmant que la France se battrait maintenant jusqu'au dernier homme, que ce serait une guerre d'extermination, et que la guerre, au lieu de se terminer, ne faisait que commencer. Veuillez noter que ce n'était pas même une appréciation de la part du journal : c'était simplement la relation d'un fait dont il n'entendait nullement assumer la responsabilité. Eh bien, cette articulation a donné lieu à des récriminations violentes de l'Allemagne.

Lisez la presse allemande officielle ou quasi officielle, et vous verrez qu'on reproche à l'Indépendance de pousser la France à une guerre à outrance ! Croyez-vous que nos intérêts matériels ne soient pas ici directement en jeu ? Pensez-vous qu'il n'importe pas beaucoup à nos industriels et à nos commerçants de savoir au juste à quoi s'en tenir de la paix prochaine ou éloignée ? Est ce que la reprise et le moment de la reprise de leurs affaires ne dépend pas de ce point ? Et si, pour plaire à un gouvernement étranger, notre presse était obligée de dire que la guerre va finir, à quelles conséquences désastreuses un pareil langage ne pourrait-il pas conduire, si les faits venaient démentir une pareille assertion ?

Ce n'est pas tout encore.

Si l'on entrait dans la voie de ne plus permettre à la presse de faire de la politique étrangère, mais il ne nous resterait plus même notre liberté d'appréciation de la politique intérieure ! C'est qu'en effet notre Constitution, dont nous sommes si fiers et que l'Europe entière nous envie, repose sur une base éminemment démocratique ; elle a pour fondement le gouvernement du peuple par lui-même, elle consacre le principe de la souveraineté nationale ; supposons qu'il surgisse un jour des discussions sur les grandes libertés qu'elle consacre ; il est évident que la presse vigilante et attentive à tous les grands intérêts du pays, ne manquera pas de prendre part aux débats.

Il est possible que la discussion plus ou moins vive réagisse sur les esprits en Allemagne et y cause une certaine émotion ; admettrez-vous que le gouvernement prussien vienne nous dire que les débats de notre presse sont de nature à lui créer des embarras et à diminuer les sympathies qu'il a pour nous, lorsque, en définitive, nous ne faisons que discuter des questions d'ordre purement intérieur ?

Vous le voyez, messieurs, les réclamations vagues et indéfinies du cabinet de Berlin peuvent conduire à l'anéantissement complet de notre vie intellectuelle et de nos libertés publiques. Elles peuvent de plus causer un dommage considérable à nos intérêts matériels.

Je désire savoir dans cette circonstance, beaucoup plus grave qu'on ne pourrait le penser, car il pourrait y avoir là un symptôme, je désire savoir si le gouvernement a tenu haut et ferme le drapeau national, s'il a dignement et virilement défendu nos libertés publiques et s'il, a opposé à des prétentions impossibles le célèbre « jamais » de 1856, qui doit rester gravé dans la mémoire de tous ceux qui ont l'honneur de diriger les affaires du pays.

Quant à moi, messieurs, j'ai la conviction d'avoir rempli un devoir en faisant cette interpellation. A mes yeux, toutes nos libertés inscrites dans notre Constitution sont solidaires entre elles ; en attaquer une, c'est les attaquer toutes, c'est saper par sa base notre édifice politique. Et si je dois choisir entre notre régime et l'affection allemande, je préfère, messieurs, à l'asservissement de notre presse, la liberté pleine et entière avec ses abus et un peu d'affection en moins de la Prusse, dont je suis du reste le plus grand admirateur, au point de vue scientifique et administratif. Je vais plus loin, je désire vivement que le souffle vivifiant de l'Allemagne s'étende aux autres pays, mais à une condition, c'est qu'on nous laisse intactes nos (page 145) libertés et surtout notre liberté de la presse, car sans notre presse libre il n'y a plus de Belgique ; ne l'oublions pas,

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Messieurs, le Moniteur du 22 octobre répond déjà en grande partie a l'interpellation que l'honorable M. Brasseur me fait l'honneur de m'adresser. Le Moniteur dit, en effet :

« Nous avons reproduit, sous la rubrique Allemagne, un télégramme de Berlin déclarant que la Prusse n'a pas porté plainte contre les journaux belges et qu'elle a seulement fait constater que leur langage pouvait altérer les sympathies de l'Allemagne pour la Belgique, sympathies qui étaient des plus vives avant la guerre actuelle.

« Notre gouvernement n'a reçu, de la part de l'Allemagne, aucune communication réclamant l'adoption de mesures restrictives en matière de presse.

« Ce que certains journaux ont dit et supposé à cet égard n'est pas plus exact que l'allégation relative aux rapports peu agréables qui existeraient entre M. de Balan et le ministre des affaires étrangères. Ces rapports ont toujours été, des deux côtés, aussi bienveillants et aussi amicaux que possible. »

Ces courtes paroles répondent, je le répète, en grande partie à l'interpellation qui nous a été adressée et font justice des dernières considérations présentées par l'honorable M. Brasseur, qui considère la démarche faite par le gouvernement de la Confédération de l'Allemagne du Nord comme étant une atteinte portée à nos droits et à nos libertés.

Je vais toutefois compléter la réponse donnée dans l'organe officiel, en faisant connaître à la Chambre, aussi succinctement que possible, comment les choses se sont passées.

Je dirai d'abord qu'il n'y a pas eu de note remise au gouvernement belge par le gouvernement de l'Allemagne du Nord et que, conséquemment, je n'ai aucun document à déposer sur le bureau de la Chambre.

Le 8 octobre, le ministre de la Confédération de l'Allemagne du Nord est venu, de la part de son gouvernement, me communiquer quelques observations que je vais faire connaître à la Chambre, autant que mes souvenirs peuvent me les rappeler, puisque, comme je l'ai dit, il ne m'a pas été remis de note écrite.

M. de Balan, d'après les ordres de son gouvernement, signalait au gouvernement belge l'attitude hostile de la presse belge à l'égard de l'Allemagne ; il y voyait un encouragement à la résistance de la France et conséquemment une excitation à la prolongation de la guerre. Le chancelier fédéral demandait si cette attitude était bien conforme aux principes de la neutralité ; il ne voulait pas approfondir cette question, mais il appelait sur ce point l'attention du gouvernement belge.

Il faisait remarquer, comme l'a fait également M. Brasseur, que les sentiments si bienveillants de l'Allemagne envers la Belgique au début de la guerre courraient risque de s'altérer, comme le prouvait du reste le langage même de la presse allemande répondant à la presse belge. Enfin on nous demandait si nous ne pensions pas qu'il était peu conforme à l'intérêt de la Belgique de s'aliéner les sympathies de l'Allemagne. Il terminait en disant que cette communication était faite sans la moindre apparence de menace et qu'il était chargé de la présenter dans un langage calme et amical, mais sérieux et décidé. Je crois me rappeler exactement les expressions comme étant celles dont s'est servi M. de Balan en me donnant lecture de la lettre de M. le comte de Bismarck.

J'ai répondu qu'on se méprenait singulièrement sur les sentiments de la Belgique qui, par sa conduite et par ses actes, avait montré qu'elle voulait pratiquer de la manière la plus rigoureuse les devoirs de la neutralité. La presse, lui ai-je dit, est complètement libre en Belgique, le gouvernement n'a sur elle aucune action et il serait souverainement injuste de rendre soit la nation, soit le gouvernement, responsable de certains articles de journaux qui ont pu adopter une ligne de conduite que d'autres journaux, en beaucoup plus grand nombre, désapprouvent et ne suivent pas.

Quant à la question de savoir jusqu'où s'étendent les droits et les devoirs de la presse, quels sont ses devoirs dans un pays neutre et, alors que la guerre a éclaté sur ses frontières, quelles sont les limites qu'il faut assigner à ses droits et quelles obligations résultent de notre position de neutre ; cette question, tout le monde le reconnaîtra, est excessivement délicate et il est bien difficile de déterminer, d'une manière complète et pour toutes les circonstances, la solution à y donner. Mais on doit, me paraît-il, être d'accord sur ce point que, si la neutralité ne condamne pas au mutisme, elle oblige au moins à une grande réserve, à une grande modération et qu'il y aurait une grave responsabilité pour ceux qui, par un langage agressif, pousseraient à la continuation de la guerre qui désole des contrées voisines, ou qui, par des sympathies exclusives, compromettraient les relations de la Belgique avec l'un ou l'autre des belligérants.

Voilà, en résumé, ma conversation avec M. de Balan, lorsqu'il m'a communiqué les observations de M. le comte de Bismarck.

J'ai, d'une part, rappelé le principe de la liberté de la presse, qui est entière en Belgique ; et, d'autre part, reconnu qu'il était convenable et désirable qu'une grande réserve, une grande modération fût apportée par nos journaux dans l'examen des questions se rattachant à la guerre actuelle.

Les questions se rattachant aux devoirs de la neutralité ont préoccupé tous les gouvernements, non seulement en ce qui concerne la liberté de la presse, mais encore en ce qui concerne la liberté du commerce.

Il suffit de lire les discours prononcés récemment en Angleterre par le lord chancelier et par lord Granville, pour voir comment ces ministres d'une grande nation apprécient les devoirs de la neutralité. Le lord chancelier disait dernièrement :

« Comme neutres, nous ne pouvons exprimer notre sympathie aux deux belligérants selon le désir de chacun ; nous devons éviter de faire quoi que ce soit qui pourrait paraître une faveur, si légère qu'elle fût, au profit de l'un ou de l'autre. »

Voilà, messieurs, jusqu'où l'on pousse les précautions en Angleterre.

Lord Granville disait, de son côté :

« La presse de ce pays, je suis fier de le reconnaître, n'a eu cependant que l'intention invariable d'exprimer le sentiment de la nation et le désir de faire quelque chose pour favoriser la terminaison pacifique de la grande lutte. »

Il y a loin de là, messieurs, à l'excitation à la guerre que l'Allemagne a cru rencontrer dans les articles de quelques journaux publiés dans notre pays.

Non seulement les ministres anglais, mais le gouvernement de la Suisse, nation neutre comme nous de par les traités, le gouvernement de la Suisse a pris soin de recommander l'observation des règles que la neutralité commande ; le conseil fédéral a adressé à tous les cantons confédérés une circulaire dont je demande la permission à la Chambre de lire quelques lignes. Cette circulaire porte, entre autres :

« Si les autorités suisses, dans la conscience de remplir fidèlement leur devoir, ont pu, dans les temps ordinaires, opposer le silence du mépris à des mesures aussi déloyales, il ne leur serait plus permis de conserver une attitude passive dans des temps d'agitation. Nous estimons, par conséquent, qu'il est de notre devoir d'engager les hauts gouvernements cantonaux à exercer une surveillance plus active pendant la durée de la guerre et à intervenir avec énergie et immédiatement contre des tentatives de compromettre soit verbalement, soit par écrit ou par tout autre acte, la neutralité de la Suisse. Nous devons tout particulièrement insister pour qu'il soit recommandé à la presse de votre canton de ne pas prendre ostensiblement parti et de refuser l'insertion d'articles qui ne viennent pas de source bien connue, ainsi que celle d'articles provocateurs ou d'insinuations mensongères. »

Voilà ce que la Suisse républicaine et libre croit devoir faire ; voilà les conseils que le gouvernement de ce pays se croit autorisé à donner, en matière de presse, aux autorités cantonales.

M. Rogier. - La Suisse a-t-elle reçu les mêmes observations que la Belgique ?

M. d'Anethan, ministre des affaires étrangères. - Je l'ignore, je n'ai reçu aucune indication à cet égard. Le gouvernement n'ayant, en Belgique, aucune action sur la presse, ne pouvait évidemment pas faire ce qu'a fait le conseil fédéral suisse.

Il n'avait pas de surveillance à prescrire, pas d'ordre à donner. Le gouvernement n'a donc pas pu recourir à ce moyen. Quant à faire une déclaration de principe, il a pensé qu'il était préférable de répondre à la presse par la presse, et de faire insérer au Moniteur, pour leur donner une grande publicité, des articles de journaux qui répondaient à sa pensée et qui conseillaient la ligne de prudence et de modération qui lui semblait devoir être suivie dans l'intérêt de la Belgique.

Nous avons pensé que la reproduction de ces articles et la publicité qui leur serait donnée devaient avoir infiniment plus d'effet comme expression de l'opinion publique, qu'une simple déclaration du gouvernement.

Cette reproduction que l'honorable M. Brasseur appelle une faute, je la regarde comme l'exécution d'un devoir et j'en revendique toute la responsabilité.

(page 146) Différents articles écrits dans le sens que je viens d'indiquer et extraits de journaux appartenant à toutes les opinions du pays, ont donc été reproduits dans le Moniteur.

Dans un de ces articles, une phrase a passé inaperçue ; c'est celle à laquelle l'honorable M. Brasseur a fait allusion.

Cette phrase qui conseillait un désabonnement de l’Etoile n'avait aucun rapport avec le fond même de l'article, la seule chose qui nous préoccupait. Cette phrase, je ne fais pas de difficulté de l'avouer, n'aurait pas dû être reproduite, mais enfin, cette inadvertance, qui a été expliquée le lendemain au Moniteur, laisse intacte l'utilité de la reproduction de tous les articles qui ont été insérés au journal officiel.

Je soutiens que le gouvernement, dans les circonstances où nous nous trouvons, avait un grand devoir à remplir.

Le gouvernement devait attirer l'attention sur la situation du pays, situation imparfaitement connue, situation jusqu'à un certain point périlleuse et dont la gravité nous était révélée par nos agents à l'étranger.

L'impression causée en Allemagne par l'attitude de la presse belge est un fait incontestable.

Je n'incrimine les intentions de personne, mais je crois pouvoir dire que ce fait est profondément regrettable et que le gouvernement aurait manqué à tous ses devoirs s'il ne s'était pas efforcé d'en amortir les causes et d'en arrêter les conséquences.

Il résulte du récit que je viens de faire qu'il n'a été fait allusion ni directement, ni indirectement à aucune modification à apporter, soit à nos lois sur la presse, soit à nos institutions.

Et qui pourrait songer à demander une modification à des institutions qui, depuis près de 40 ans, font notre bonheur et notre sécurité et qui ont prouvé à l'Europe, dans les temps les plus difficiles et les plus critiques, qu'une sage liberté, loin d'être incompatible avec la stabilité et l'ordre, en est, au contraire, le plus solide fondement ?

Il ne s'est donc pas agi de modifications à apporter à notre Constitution. Il ne s'est pas agi de porter la moindre atteinte à nos libertés ; il ne s'est pas agi d'attaquer, en quoi que ce soit, les institutions à l'ombre desquelles nous avons prospéré et grandi.

Il s'est agi uniquement d'une question de neutralité, de rechercher conséquemment les devoirs qu'elle impose, et dont la presse, pas plus que le pays, ne peut s'affranchir.

Le droit de la presse n'est pas contesté, mais il faut, en bon citoyen, examiner l'usage qu'il convient d'en faire et ne pas franchir les limites une fois reconnues.

En terminant, je dois dire que les observations qui nous ont été faites l'ont été dans d'excellentes intentions et qu'elles ont été présentées avec cette bienveillance qui a caractérisé tous mes rapports avec M. de Balan ; elles sont donc loin d'avoir le but et la portée que leur suppose l'honorable M. Brasseur. Elles ont été faites avec le désir de faire cesser une situation qui ne pouvait se prolonger sans de graves préjudices pour la Belgique, et le gouvernement, de son côté, a, dans sa sphère d'action, fait tout ce qu'il a pu pour y porter remède. J'ajouterai, sans crainte d'être démenti, qu'il a été en cela le fidèle interprète des sentiments du pays, qui sait tout le prix que nous devons attacher au maintien de nos bonnes relations avec l'Allemagne.

La presse elle-même, au patriotisme de laquelle je fais appel, peut nous aider efficacement dans cette tâche que nous avons à remplir en acquit de notre devoir et dans l'intérêt du pays.

M. le président. - La parole est à M. Brasseur.

M. Brasseur. - J'y renonce.

- L'incident est clos.

Projet de loi ouvrant un crédit de 2,000,000 de francs au budget de la dette publique

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

« Article unique. Un crédit de deux millions de francs (fr. 2,000,000) est ouvert au budget de la dette publique de l'exercice 1871, article 18, sous la rubrique : Subvention au fonds spécial de rémunération des miliciens.

« Il sera couvert par les voies et moyens ordinaires. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal.

86 membres y prennent part.

85 répondent oui.

1 répond non.

En conséquence la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Rembry, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Outryve dYdewalle, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Amédée Visart, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Beeckman, Bergé, Biebuyck, Boulenger, Brasseur, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d’Andrimont, Dansaert, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, Delaet, Delcour, De Le Haye, de Montblanc, de Naeyer, Descamps, de Smet, Dethuin, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Drion, Drubbel, Dumortier, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Houtart, Jacobs, Jamar, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Lelièvre, Lescarts, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Nothomb, Orts, Puissant et Vilain XIIII.

A répondu non :

M. Demeur.

Projet de loi portant le budget des recettes et des dépenses pour ordre pour l'exercice 1871

Discussion du tableau des crédits

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe aux articles.

Chapitre premier. Fonds de tiers déposés au trésor et dont le remboursement a lieu avec l’intervention du ministre des finances

Articles 1 à 27

« Art. 1er. Cautionnements versés en numéraire dans les caisses du trésor, par les comptables de l'Etat, les receveurs communaux et les receveurs des hospices et des bureaux de bienfaisance, pour sûreté de leur gestion, et par des contribuables, négociants ou commissionnaires, en garantie du payement de droits de douane, d'accise, etc. : fr. 1,200,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Cautionnements versés en numéraire par les entrepreneurs, adjudicataires, concessionnaires de travaux publics, et par les agents commerciaux : fr. 1,000,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Cautionnements versés en numéraire par des remplaçants (article 72 de la loi du 3 juin 1870 sur la milice) : fr. 1,200,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Fonds provinciaux.

« Versements faits directement dans la caisse de l'Etat : fr. 1,500,000 »

« Impôts recouvrés par les comptables de l'administration des contributions directes, douanes et accises, déduction faite des frais de perception : fr. 4,500,000.

« Revenus recouvrés par les comptables de l'administration de l'enregistrement et des domaines, déduction faite des frais de perception : fr. 500,000.

« Total : fr. 6,500,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Fonds communal institué par la loi du 18 juillet 1860 : fr. 17,894,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Réserve du fonds communal : fr. 110,000. »

- Adopté.


« Art. 7. Fonds locaux. Versements faits par les communes pour être affectés, par l'autorité provinciale, à des dépenses locales : fr. 300,000. »

- Adopté.


« Art. 8. Dépôts effectués chez les receveurs des contributions directes, pour le compte de la caisse générale d'épargne : fr. 400,000. »

- Adopté.


« Art. 9. Dépôts effectués chez les percepteurs des postes, pour le compte de la caisse générale d'épargne : fr. 1,000,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Caisse de retraite instituée par la loi du 13 mars 1865 : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 11. Caisse des veuves et orphelins du département de la justice : fr. 100,000. »

- Adopté.


(page 147) « Art. 12. Caisse des veuves et orphelins de l'ordre judiciaire : fr. 250,000. »

- Adopté.


« Art. 13. Caisse des veuves et orphelins du département des affaires étrangères : fr. 60,000. »

- Adopté.


« Art. 14. Caisse des veuves et orphelins des officiers de la marine de l'Etat : fr. 15,000. »

- Adopté.


« Art. 15. Caisse des veuves et orphelins des pilotes : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 16. Caisse des veuves et orphelins du département de l'intérieur : fr. 110,000. »

- Adopté.


Art. 17. Caisse des veuves et orphelins des professeurs de l'enseignement supérieur : fr. 75,000. »

- Adopté.


« Art. 18. Caisse des veuves et orphelins des membres du corps administratif et enseignant des établissements d'instruction moyenne régis par l'Etat : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 19. Caisse centrale de prévoyance des instituteurs et professeurs urbains : fr. 145,000. »

- Adopté.


« Art. 20. Caisses provinciales de prévoyance des instituteurs primaires : fr. 320,000. »

- Adopté.


« Art. 21. Caisse centrale de prévoyance des secrétaires communaux : fr. 150,000. »

- Adopté.


« Art. 22. Caisse des veuves et orphelins du département des travaux publics : fr. 550,000. »

- Adopté.


« Art. 25. Caisse de retraite et de secours des ouvriers du chemin de fer : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 24. Caisse tontinière pour faciliter le remplacement dans la milice : fr. 500,000. »

- Adopté.


« Art. 25.. Caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée : fr. 500,000. »

- Adopté.


« Art. 26. Caisse spéciale de pensions en faveur des militaires rengagés par l'entremise du département de la guerre : fr. 900,000. »

- Adopté.


« Art. 27. Caisse des veuves et orphelins du département des finances : fr. 1,000,000. »

- Adopté.

Article 28

« Art. 28. Masse d'habillement des employés du département des travaux publics : fr. 200,000. »

M. Delaet. - Messieurs, depuis très longtemps la masse d'habillement du département des travaux publics a donné lieu, parmi le personnel de ce département, à des plaintes nombreuses, je puis dire unanimes. Je n'entends pas me faire ici l'organe de toutes ces plaintes ; mais il en est une qui me paraît très fondée et que le gouvernement pourrait faire cesser du jour au lendemain, sans nuire en aucune façon à l'économie du fonds d'habillements.

La section centrale a demandé au gouvernement pourquoi on opérait une retenue de 10 p. c. au détriment des employés des travaux publics (chefs de station, sous-chefs, gardes-convois et facteurs), alors qu'ils ont un boni à leur masse et qu'ils en réclament le remboursement.

Le gouvernement a fait une réponse. J'ai lu cette réponse avec une très grande attention ; mais je ne la trouve, j'ai le regret de le dire, en aucune façon satisfaisante. Il y est dit, en effet, que la retenue du boni se fait pour pourvoir aux frais d'administration de la caisse ; mais d'autre part, il faut qu'il y ait un fonds spécial ou d'autres moyens de pourvoir aux frais de cette administration, puisque la caisse renonce à la retenue lorsque les employés consentent à verser le boni soit à la caisse de retraite, soit à la caisse d'épargne.

On avoue, du reste, que là n'est pas le but principal de la retenue. L'administration, dit-on, a surtout en vue d'obliger les agents à se pourvoir d'un uniforme lorsque, par la nature de leurs fondions, ils y sont tenus en exécution des règlements sur la matière ; et l'on justifie cette obligation par la nécessité dans laquelle peuvent se trouver ces agents de devoir poser des actes dont l'accomplissement exige un caractère officiel.

Je regrette, messieurs, que depuis quelques années on semble un peu trop s'attacher en Belgique à ne reconnaître de caractère officiel qu'aux porteurs d'uniformes.

Il y a réellement quelques abus d'uniforme en Belgique et je me permettrai de faire observer d'ailleurs que cette raison donnée par le gouvernement n'est pas générale, attendu que les facteurs de la poste, qui ne sont jamais dans le cas de devoir agir comme agents officiels, sont cependant astreints par les règlements à se pourvoir d'un uniforme.

De plus la réponse du gouvernement jette en quelque sorte un blâme sur les employés qui réclament leur boni ; il y est dit en toutes lettres que les seuls agents qui parviennent à réaliser un boni remboursable sont ceux qui se soustraient à l'obligation de se pourvoir d'un uniforme.

Je ne crois pas, messieurs, qu'il en soit ainsi. En tous cas, si je me trompais sur ce point, le gouvernement aurait grand tort d'encourager les employés dans une voie mauvaise en reconnaissant leur boni et en consentant à supprimer la retenue lorsque le boni est versé à la caisse de retraite ou d'épargne.

Je ne crois donc pas que les explications données à cet égard soient satisfaisantes ; je ne pense pas que la retenue se fasse à bon droit et j'espère que dans la révision du règlement que le gouvernement nous annonce dans le rapport de la section centrale, il sera fait droit à la réclamation, je le répète, générale et souvent renouvelée des employés du département des travaux publics.

M. Wasseige, ministre des travaux publics. - Messieurs, dans la réponse qui a été communiquée par le gouvernement à la section centrale, le gouvernement termine par annoncer que les règlements en vigueur sur l'organisation de la masse d'habillement dont l'honorable M. Delaet vient d'entretenir la Chambre sont en ce moment soumis à un nouvel examen.

Lorsque le moment sera venu, j'aurai le plus grand égard aux observations qui nous ont été présentées, et si les critiques qui viennent d'être produites devant la Chambre sont reconnues fondées, il y sera fait droit.

Je ne prends cependant aucun engagement sur le fond. Je m'engage seulement à examiner.

- L'article est adopté.

Articles 29 à 32

« Art. 29. Recettes effectuées par l'administration des chemins de fer, postes et télégraphes, pour le compte des sociétés concessionnaires, des administrations postales étrangères et des offices télégraphiques avec lesquels elle est en relation : fr. 13,000,000. »

- Adopté.


« Art. 30. Recettes effectuées par l'administration de la marine (service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres), pour le compte des autres services de transport belges et étrangers avec lesquels elle est en relation : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 31. Fonds pour l'encouragement du service militaire : fr. 16,000. »

- Adopté.


« Art. 32. Fonds de toute autre nature versés dans les caisses du trésor public pour le compte de tiers : fr. 10,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Fonds de tiers déposés au trésor et dont le remboursement a lieu directement par les comptables qui en ont opéré la recette

Administration des contributions directes, douanes et accises
Articles 33 à 39

« Art. 33. Répartition du produit des amendes, saisies et confiscations en matière de contributions directes, douanes et accises (caisse du contentieux) : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 34. Fonds réservé dans le produit des amendes, saisies et confiscations : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 35. Fonds spécial des préemptions : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 36. Impôts et produits recouvrés au profit des communes : fr. 6,700,000. »

- Adopté.


« Art. 37. Masse d'habillement et d'équipement de la douane : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Art. 38. Sommes versées pour garantie de droits et d'amendes éventuellement dus : fr. 300,000. »

- Adopté.


(page 148) « Art. 39. Travaux d'irrigation dans la Campine : fr. 1,000. »

- Adopté.

Administration de l'enregistrement et des domaines
Articles 40 à 42

« Art. 40. Amendes diverses et autres recettes soumises et non soumises aux frais de régie : fr. 400,000. »

- Adopté.


« Art. 41. Amendes et frais de justice en matière forestière : fr. 25,000. »

- Adopté.


« Art. 42. Consignations de toute nature : fr. 7.000,000. »

- Adopté.

Administration des chemins de fer, postes et télégraphes
Articles 43 à 46

« Art. 45. Primes ou remises, en cas d'exportation, sur les prix des tarifs pour le transport des marchandises : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 44. Encaissements et payements pour le compte de tiers : fr. 16,000,000. »

- Adopté.


« Art. 45. Prix de transport afférent au parcours en dehors des limites des chemins de fer, dans l'intérieur du pays (ports au delà) : fr. 112,000. »

- Adopté.


« Art. 46. Articles d'argent confiés à la poste et rendus payables sur mandats à vue : fr. 14,000,000. »

- Adopté.

Ministère de la justice
Article 47

« Art. 47. Masse des détenus : fr. 215,000. »

- Adopté.

Ministère des affaires étrangères
Articles 48 et 49

« Art. 48. Remboursement des droits de pilotage à l'administration néerlandaise : fr. 12,000. »

.- Adopté.

Ministère de l'intérieur
Article 49

« Art. 49. Pensions payées par les élèves de l'institut agricole de l'Etat : fr. 30,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Fonds spéciaux rattachés aux fonds des tiers et dont il n'est disposé qu'en vertu d'ordonnances visées par la cour des comptes

Articles 50 à 53

« Art. 50. Subsides offerts pour construction de routes (loi du 10 mars 1838) : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 51. Subsides divers pour travaux d'utilité publique : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 52. Cautionnements des entrepreneurs défaillants : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 53. Prix de médicaments provenant de la pharmacie centrale de l'armée et fournis à d'autres départements : fr. 30,000. »

- Adopté.

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Les recettes et les dépenses pour ordre de l'exercice 1871 sont évaluées respectivement à la somme de quatre-vingt-treize millions deux cent soixante et dix mille francs (fr. 93,270,000). »

- Cet article est adopté.


II est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget ; il est adopté à l'unanimité des 70 membres présents.

Ce sont :

MM. Rembry, Reynaert, Rogier, Santkin, Schollaert, Snoy, Tack, Tesch, Thonissen, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Léon Visart, Vleminckx, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Balisaux, Bara, Berge, Biebuyck, Boulenger, Brasseur, Cornesse, Couvreur, Cruyt, d'Andrimont, Dansaert, de Borchgrave, de Clercq, de Dorlodot, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, Delaet, Delcour, Demeur, de Naeyer, Descamps, de Smet, Dethuin, Drion, Drubbel, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Hermant, Jacobs, Jamar, Jottrand, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Lescarts, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Orts, Pety de Thozée, Puissant et Vilain XIIII.

Pièces adressées à la Chambre

M. Jacobs, ministre des finances. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la. Chambre la correspondance échangée entre le département des finances et la Banque Nationale pendant la crise financière, ainsi que les procès-verbaux de la commission consultative établie au département des finances.

Ces documents sont assez volumineux ; la Chambre, après que la plupart des membres en auront pris connaissance, pourra décider s'il y a lieu de les imprimer en tout ou en partie.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le président. - Dans la séance de demain, la Chambre doit procéder à la nomination d'un membre de la commission de surveillance de la caisse d'amortissement ; nous pourrons faire cette nomination après avoir entendu les développements de la proposition de M. Funck.

- Adopté.

Interpellation relative à la décision prise de gracier un falsificateur d’aliments

M. Vleminckx. - Messieurs, la presse a révélé récemment un fait qui est, à mon avis, d'une haute gravité. Il a produit dans le public une certaine émotion ; je crois donc devoir en faire l'objet d'une interpellation à l'honorable ministre ; il est présent à la séance, et il sera, j'en suis sûr, en mesure de me répondre immédiatement. Dans le cas contraire, la Chambre pourra remettre la réponse à demain si l'honorable ministre le juge convenable.

Voici, messieurs, ce que je lis dans un journal :

« Le gouvernement vient de nous donner un pendant à l'affaire Retsin, en commuant en une légère amende la peine de l'emprisonnement prononcée contre le boulanger Hessels qui avait mêlé du sulfate de cuivre à sa pâte dans une proportion si considérable qu'une aiguille enfoncée dans le pain était oxydée en une ou deux minutes. Des médecins s'étant aperçus qu'une affection dont ils ne se rendirent pas compte régnait dans le quartier, finirent par procéder à l'examen du pain et, à la suite de cette analyse, Hessels fut poursuivi sur une plainte de la commission médicale.

« On se demandera comment une commutation de peine équivalente à une grâce a pu être accordée en de telles circonstances.

« C'est que le boulanger Hessels est le neveu du R. P. Hessels de la Compagnie de Jésus, l'un des héros de l'affaire de Buck, l'un des clients de M. le ministre Victor Jacobs, enfin une des puissances du cléricalisme anversois. »

Eh bien, messieurs, ce fait est tellement grave, que je ne conçois pas que l'honorable ministre ait pu soumettre à la signature du Roi un arrêté de grâce en faveur du boulanger Hessels.

Je dis un arrêté de grâce, car quand on est un véritable empoisonneur public et qu'on en est quitte pour quelques écus, cela peut bien être considéré comme une grâce complète.

Je prie l'honorable ministre de vouloir bien déposer sur le bureau de la Chambre le rapport qu'il a dû recevoir sur cette affaire de M. le procureur général, afin que nous puissions constater l'exactitude des faits.

Si les boulangers peuvent impunément ou à peu près ajouter du sulfate de cuivre à leur pâte, il est évident qu'il n'y a plus de sécurité pour le public.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Je ne m'attendais pas à l'interpellation que m'adresse l'honorable M. Vleminckx. Je suis nouveau venu dans cette Chambre, mais je crois qu'il est d'usage d'avertir le ministre des interpellations que l'on se propose de lui adresser.

Quoi qu'il en soit, je puis, dès à présent, fournir à la Chambre quelques explications sur la commutation de peine qui a été accordée au sieur Hessels.

Le sieur Hessels, messieurs, a 25 ans ; récemment établi, il venait de reprendre à Anvers un commerce de boulangerie.

On a constaté, en effet, que des pains contenant une certaine quantité de sulfate de cuivre et sortant de son établissement, avaient été livrés à la consommation.

Le rapport dont a parlé l'honorable M. Vleminckx affirmait que des désordres auraient été produits chez les personnes qui se seraient servies de ces pains, que des indispositions auraient été constatées.

Mais la requête en grâce, formulée par les conseils qui ont assisté le prévenu Hessels devant le tribunal, disait précisément que l'instruction n'avait révélé aucune indisposition quelconque résultant de l'usage des pains fournis par le prévenu à ses nombreux clients. (Interruption.)

(page 149) Ne vous hâtez pas trop, messieurs, de récuser ce que j'avance, j'ai tenu à vérifier, par moi-même, l'exactitude de ces énonciations.

J'ai demandé le dossier au parquet d'Anvers et de l'examen des pièces est résultée pour moi la preuve complète qu'aucune espèce de maladie, occasionnée par la vente de ce pain, n'a été constatée dans le cours de l'instance judiciaire.

Ni devant le magistrat instructeur, ni devant le tribunal, aucun témoin n'a parlé d'accidents provenant de la consommation de ces pains.

Dans ces conditions, messieurs, j'ai cru pouvoir proposer au roi de commuer la peine d'emprisonnement en une amende de 400 francs qui, réunie à une autre amende de 600 francs prononcée contre le prévenu, constitue, avec les pénalités accessoires et les frais considérables qu'il devra payer, une peine excessivement forte.

J'avoue que ce qui m'a déterminé à proposer à Sa Majesté, dans ces circonstances, la commutation de peine, c'est la conviction que l'emprisonnement serait la ruine complète du malheureux boulanger. C'était le retrait de sa patente, la fermeture de son établissement, en un mot, la mort de son industrie.

J'ai cédé à une considération d'humanité, j'ai pensé que la condamnation sévère prononcée contre le délinquant suffirait pour mettre en garde ceux qui seraient tentés de l'imiter.

J'ai cru que la peine, réduite dans la mesure que je viens d'indiquer, était proportionnée à la faute et je livre avec confiance à l'appréciation de la Chambre l'acte que j'ai proposé à la clémence royale.

M. Vleminckx. - Quoi qu'en dise l'honorable ministre de la justice, quel qu'ait été le résultat de ses informations, j'affirme que s'il y a eu du sulfate de cuivre en assez grande abondance pour qu'on pût en constater la présence, ce poison a dû y causer des altérations.

Il ne suffit pas de savoir, pour qu'un délit soit grave, qu'il n'en est pas résulté des accidents déplorables. Il suffit que le délit ait été consommé.

C'est, selon moi, un empoisonnement odieux que celui d'introduire du sulfate de cuivre dans le pain.

La loi qui punit de la perte de la patente le boulanger qui commet ce délit n'a pas été faite en vain. C'est faire le procès à la loi que de gracier cet industriel pour ne pas lui faire perdre sa patente.

M. Cornesse, ministre de la justice. - C'est l'abolition du droit de grâce que vous voulez.

M. Vleminckx.. - Vous êtes responsable de l'usage qui est fait de ce droit.

M. Delcour. - Que fait-on pour la peine de mort ?

M. Vleminckx. - Dans tous les cas, les explications de l'honorable ministre ne me satisfont pas et j'insiste sur la demande que j'ai faite de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de M. le procureur général.

M. Guillery. - Tout le dossier.

M. Vleminckx. - Nous saurons ainsi quelle a été la gravité des faits qui ont été affirmés devant le tribunal.e

M. Bara. - Je ne m'attendais pas à voir se produire cette affaire, mais je dois en dire quelques mots parce qu'elle m'a été soumise, les faits s'étant passés sous l'ancien cabinet.

La grâce du condamné m'a été demandée par beaucoup de personnes influentes, mais j'ai cru devoir la refuser parce que les faits étaient d'une trop haute gravité et parce que les autorités judiciaires réclamaient l'exécution de la peine d'emprisonnement comme une chose nécessaire. Je le répète, les faits sont de la plus haute gravité et la Chambre pourra s'en convaincre si M. le ministre de la justice veut déposer le dossier.

Mais il est un point du discours de M. le ministre de la justice que je ne puis pas laisser passer et contre lequel je dois prémunir le pays,

L'honorable ministre de la justice a certainement le droit de faire au roi des propositions de grâce, mais l'honorable ministre de la justice n'a pas le droit de réformer les faits judiciaires dans son cabinet. Eh bien, messieurs, le rapport déclare qu'il y a eu des altérations de santé et M. le ministre, qui n'a pas assisté aux débats, qui n'a pas suivi toutes les péripéties de l'affaire, vient en quelque sorte accuser d'erreur le magistrat qui a fait le rapport et qui a déclaré qu'il y a eu des empoisonnements à la suite de la vente du pain du boulanger dont il s'agit.

On ne peut admettre qu'il puisse y avoir au ministère de la justice un bureau où l'on réforme les décisions et les rapports judiciaires et où l'on détruise les allégations des autorités, sans même les entendre.

Si M. le ministre de la justice a pu croire que le dossier ne renfermait pas la preuve qu'il y avait eu des altérations de santé, il devait en référer à l'auteur du rapport, discuter ce point avec lui et lui demander un autre rapport. Voilà comment les choses doivent se passer.

Certainement le roi a le droit de grâce ; mais est-il un cas où le droit de grâce doive s'exercer avec plus de circonspection que celui du délit de falsification des denrées alimentaires ? Comment ! pour un lucre facile à réaliser, un homme empoisonne toute une population, il trouble les sources de la vie, et cet homme sera assez puni par une amende de 1,000 francs ? Cela n'est pas admissible. Il est permis au gouvernement d'user du droit de grâce dans un grand nombre de circonstances et dans une large mesure, mais je dis qu'il ne doit pas en user quand il s'agit de la vie et de la santé du peuple.

A moins de nous donner le droit de croire aux assertions de journaux, que le boulanger dont il s'agit n'a été gracié que parce qu'il est le neveu d'un jésuite, vous devez produire le dossier de l'affaire et prouver que votre arrêté de grâce s'appuie sur d'autres raisons que des raisons politiques.

Je demande donc formellement à M. le ministre de la justice le dépôt du dossier sur le bureau de la Chambre.

M. Cornesse, ministre de la justice. - Le dossier n'est pas actuellement en ma possession ; il a été renvoyé au parquet. Mais je n'hésite pas le moins du monde à en promettre le dépôt, si la Chambre le désire.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. Cornesse, ministre de la justice. - Je désire moi-même que la Chambre prenne connaissance du dossier ; elle pourra se convaincre ainsi de la parfaite exactitude de ce que j'affirme, à savoir que, dans l'information préalable devant le magistrat instructeur et dans l'instruction qui a eu lieu devant le tribunal correctionnel d'Anvers, aucun témoin, absolument aucun, n'est venu déclarer quoi que ce soit au sujet des prétendus empoisonnements dont ont parlé les deux honorables préopinants et qu'ils ont invoqués pour prétendre que le ministre de la justice aurait abusé, du droit de grâce dans un intérêt politique. (Interruption.)

Eh bien, j'affirme une fois de plus ne m’être inspiré, dans cette affaire, que de considérations d'humanité. Voyant, dans les rapports, qu'il y avait eu des désordres affectant la santé des consommateurs, j'ai voulu vérifier si ces allégations avaient subi l'épreuve contradictoire de l'instruction. Tel était mon devoir, puisque deux des membres les plus honorables du barreau d'Anvers affirmaient nettement le contraire.

On n'a pas répondu, au surplus, à cet argument que la peine de l'emprisonnement c'était une ruine complète pour un malheureux jeune homme de 25 ans.

- Voix à gauche. - Et l'empoisonnement ?

M. Cornesse, ministre de la justice. - Mais, messieurs, rien n'est moins prouvé que l'empoisonnement. D'ailleurs, dans votre système, que devient le droit de grâce ? Autant vaut dire alors qu'en matière de falsification de denrées alimentaires la prérogative royale ne pourra plus s'exercer.

Et, messieurs, n'est-ce rien qu'une peine pécuniaire de 1,000 francs a laquelle s'ajoutent encore des frais considérables que le condamné devra payer, et l'affiche du jugement à cinquante exemplaires ? Je demande, messieurs, si le coupable n'aura pas été suffisamment frappé, s'il n'aura pas payé sa dette à la société, s'il n'aura pas subi, dans une juste mesure, les conséquences de sa faute.

M. Bergé. - M. le ministre de la justice s'appuie beaucoup, pour défendre la résolution qu'il a prise, sur ce fait qu'il n'y aurait pas eu de victimes. Cette circonstance me paraît, au contraire, assez indifférente : il suffit, selon moi, qu'il y ait eu dans ce pain une addition de sulfate de cuivre, si minime qu'en ait été la quantité, pour que la falsification existe et que la culpabilité soit parfaitement établie.

Il y a lieu de se montrer très sévère a l'égard des auteurs de pareilles falsifications ; car ce ne sont pas là des faits isolés.

Depuis un nombre d'années malheureusement très grand, nous voyons réapparaître de temps à autre ces falsifications à l'aide de sulfate de cuivre. A l'origine on a pu se montrer moins sévère ; mais la fréquence chaque année plus grande de ces faits commande une sévérité plus grande aussi.

M. le ministre de la justice nous a dit qu'il avait cédé à un sentiment d'humanité en proposant au Roi une réduction de la peine infligée au coupable.

Cela est fort louable sans doute ; mais il me semble que ce même sentiment devrait se manifester de préférence pour la santé du peuple et la salubrité publique ; et qu'il est de toute nécessité de poursuivre sévèrement les auteurs de falsifications de nature à nuire à la santé.

Mais, dit l'honorable ministre de la justice, il n'y aura plus possibilité d'user du droit de grâce en fait de falsification de denrées alimentaires. (page 150) Pas le moins du monde ; il y a de ces falsifications qui ne sont nullement démontrées, qui sont très contestables, et sur lesquelles on peut être en désaccord ; on comprend parfaitement que, dans ces cas-là, on use du droit de grâce ; mais les falsifications de la nature de celles dont il s'agit sont trop grossières ; elles s'exercent depuis trop longtemps pour qu'il puisse y avoir le moindre doute, et qu'il y ait lieu, dès lors, d'user du droit de grâce.'

Je ne saurais donc approuver en aucune façon l'acte qui a été posé par M. le ministre de justice, quels que soient les motifs d'humanité ou autres qui l'aient guidé.

M. Bara. - M. le ministre de la justice pense que le droit de grâce a pu convenablement s'exercer, si la denrée vendue n'a pas produit d'accident, C'est là une erreur complète. Je ne puis comprendre comment M. le ministre de la justice, qui doit connaître le droit, vient prétendre qu'on peut gracier parce qu'il n'y a pas eu d'accident. Mais est-ce le fait du boulanger, s'il n'y a pas eu d'empoisonnement ?

Est-ce que l'intention n'est pas toujours la même ?

Peu importe donc qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas eu des altérations de santé parmi les consommateurs du pain falsifié !

Si j'ai parlé de ces empoisonnements, c'est parce que M. le ministre de la justice s'est permis de dire qu'il n'y en avait pas eu, alors que le rapport des autorités judiciaires dit le contraire, et que M. le ministre récuse ainsi ce rapport sans s'être donné la peine d'en conférer avec son auteur. J'ai dit que c'était là un procédé des plus dangereux.

Si M. le ministre n'a pas d'autres raisons à donner que celles qu'il vient de faire connaître à la Chambre, je dis que la grâce accordée au boulanger Hessels est un acte excessif.

Je demande la production du dossier, comprenant non seulement le dossier judiciaire, mais encore et surtout le dossier relatif à la grade.

Je répète que l'affaire m'a été soumise, quand j'avais l'honneur de diriger le département de la justice, et qu'il m'a été impossible, en présence du rapport de l'autorité judiciaire, de proposer au Roi de faire grâce au boulanger Hessels ; M. le ministre a dû sans doute prendre connaissance de ce qui s'était passé à cet égard avant son entrée aux affaires, ainsi que des graves motifs qui avaient empêché son prédécesseur de faire gracier le sieur Hessels.

Ces circonstances étaient de nature à le rendre circonspect ; s'il a soumis la grâce au Roi, c'est après mûre réflexion et de propos délibéré. Dans de pareilles circonstances, la Chambre a le droit et le devoir de lui demander des explications sur un acte qui, s'il n'était justifié, aurait les conséquences les plus déplorables au point de vue de la santé publique.

- Il est pris acte de la déclaration de M. le ministre de la justice qu'il déposerait sur le bureau de la Chambre le dossier complet de cette affaire.

- La séance est levée à 4 heures et demie.