(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)
(Présidence de M. Van Humbeeck, vice-présidentµ.)
(page 873) M. de Vrintsµ procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrintsµ présence l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des industriels, négociants et bateliers demandent la réduction des péages sur les canaux embranchements du canal de Charleroi. »
M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de la pétition à la commission d'industrie avec prière de faire un prompt rapport. Je ne puis qu'appuyer la réclamation dont il s'agit.
- Adopté.
« Le sieur Belete, cultivateur à Bertrix, prie la Chambre de statuer sur sa pétition par laquelle il se plaint d'être exclu du droit d'affouage. »
- Même renvoi.
« Les membres d'une société d'agriculture, établie à Eecloo, demandent une modification l'article de la loi du 28 janvier 1850 sur les vices rédhibitoires et l'arrêté royal du 18 février 1862, pris en exécution de cette loi. »
M. Kervyn de Lettenhove. - Je demande que la Chambre veuille bien ordonner le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Des instituteurs présentent un projet de loi de révision de la loi de 1842 sur l'instruction. »
- Même renvoi.
« Des militaires pensionnés présentent des observations pour faire augmenter le chiffre des pensions accordées aux sous-officiers, caporaux et soldats. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Belcele proposent des modifications au projet de loi sur le domicile de secours. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le conseil communal d'Eeeloo prie la Chambre d'autoriser la concession d’un chemin de fer d'Eecloo à Lichtervelde. »
M. de Lettenhoveµ. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. »
- Adopté.
« Des habitants et propriétaires à Zoersel prient la Chambre d'accorder à la Banque générale des travaux publics la concession d'un chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout avec prolongement vers la frontière hollandaise, dans la direction d'Eindhoven. »
« Même demande d'habitants et propriétaires à Oostmalle, Westmalle et des membres de l'administration communale de Vlimmeren. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Chiny prient la Chambre d'accorder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d’Athus à Givet. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Contich demande que l'ancien tracé du chemin de fer d'Anvers à Douai soit maintenu tout au moins jusqu'à la station de Contich. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi approuvant la convention relative à divers chemins de fer concédés.
M. Kervyn de Lettenhove. - M. le président, modifiant ma proposition de tout à l'heure, je demande que la Chambre veuille bien ordonner le renvoi de la pétition relative à la concession d'un chemin de fer d'Eccloo à Lichtervelde à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de chemins de fer.
MpVanHumbeeckµ. - Cette section centrale vient de terminer travaux ; vous ferez donc bien, je crois, de persister dans votre proposition première.
- Le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions est prononcé.
« M. le ministre des finances adresse la Chambre le compte rendu présenté au conseil d'administration de la caisse générale d'épargne et de retraite par le directeur général de cette institution pour l'année 1869. »
- Impression et distribution.
M. Lelièvreµ (pour une motion d’ordre). - Le gouvernement a déposé, dans la séance du 7 de ce mois, un projet de loi ayant pour objet des concessions de chemins de fer. Comme il s'agit d'objets très urgents et qu'il importe que le projet dont il s'agit soit voté avant la clôture de la session actuelle, je demande que les sections, puis la section centrale, soient convoquées d'urgence pour demain à l'effet de s'en occuper. Il s'agit de voies ferrées qui sont réclamées avec instance depuis nombre d'années.
MpVanHumbeeckµ. - Le renvoi est inutile ; la commission vient de terminer ses travaux. Elle déposera incessamment son rapport.
M. Saincteletteµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la création de la commune du Flénu (Hainaut).
- Impression, distribution et mise à l'ordre du jour.
MfFOµ. - Messieurs, au nom de mon collègue, M. le ministre de la justice, j'ai l’honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ajoutant le recel aux cas dans lesquels l'extradition est autorisée.
MpVanHumbeeckµ. - Il est donné acte M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué, ainsi que l'exposé demnotifs qui l'accompagne.
J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de renvoyer ce projet de loi à la section centrale qui a été chargée d'examiner la loi sur les extraditions et qui serait, à cette fin, érigée en commission spéciale.
- Cette proposition est adoptée.
Demande de grande naturalisation du sieur Jacques-Joseph Haus
Le scrutin est ouvert :
Nombre de votants, 73.
Boules blanches, 71. Boules noires, 2.
En conséquence, la proposition est prise en considération. Elle sera transmise au Sénat.
MpVanHumbeeckµ. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la rémunération des miliciens.
La section centrale a apporté au projet diverses modifications de commun accord avec le gouvernement. C'est sur le projet ainsi amendé que la discussion est ouverte.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, j'ai été au nombre de ces membres de l'opposition dont parle l'exposé des motifs, qui ont appelé, de leurs vœux les plus persévérants, la discussion de ce projet de loi et qui l'ont considéré à la fois comme un acte de justice pour l'armée et comme un bienfait pour la nation.
Est-ce là, comme le porte l'exposé des motifs, un fait remarquable et presque sans exemple dans les annales parlementaires ? Je ne le crois pas, messieurs, et, pour emprunter encore le langage du gouvernement, il suffit, pour justifier cette faveur unanime, que nous rencontrions un principe de justice auquel nous voulons tous rendre hommage.
Qu'il me soit permis de le dire, sur nos bancs plus qu'ailleurs, nous avons toujours proclamé bien haut le principe de la rémunération.
Ici plus qu'ailleurs nous avons toujours vivement insisté pour qu'il reçût le plus promptement possible une sérieuse application en passant dans nos lois.
J'ajouterai, messieurs, et c’est un triste aveu, qu'après avoir, pendant un grand nombre d'années, participé par une collaboration assidue à tous les travaux qui se rapportent à notre organisation militaire, je regrette de n'avoir vu se placer à côté de principes entourés de toutes mes sympathies, aucune de ces mesures d'application que mes vœux appelaient et qui me semblaient les plus propres à atteindre un but si désirable.
M'étant imposé comme point de départ cet axiome en dehors de toute contestation, qu'il fallait arriver la plus grande somme de forces dans l'armée avec la moindre somme de charges pour les populations, je n'ai pu néanmoins faire triompher aucune des idées principales conçues dans ce but et destinées, selon moi, à en assurer la réalisation.
Ainsi je demandais le système de l'exonération parce qu'il me semblait pouvoir concilier à la fois la réduction du service obligatoire et l'extension du service volontaire ; et lorsque ce système, parvenu à maturité. a traversé l'épreuve de nos débats, il n'a pas même eu l'appui de ceux de nos collègues qui l'avaient, en quelque sorte, protégé dans son berceau.
Lorsque, plus tard, j'ai combattu l'accroissement du contingent, j'ai cherché à démontrer que les armements énormes qui existaient en Europe ne constituaient qu'un fait passager et transitoire, écrasant pour les grandes monarchies militaires, plus difficile à justifier pour les neutralités pacifiques.
Quelques mois se sont écoulés, messieurs, et le gouvernement français a fait connaître son intention de réduire de 10 p. c. son contingent.
Je me demande si le cabinet, qui nous citait naguère l'exemple de la France pour justifier l'accroissement de notre contingent, viendra, dans cette situation, citer aussi l'exemple qu'elle a récemment donné, en nous conviant à permettre à une partie de notre contingent de rentrer dans ces foyers.
J'avoue qu'à l'heure présente, il y a certains nuages qui pèsent sur cette question, et je me borne à former le vœu que toutes les nations comprennent que les véritables progrès sont ceux qui s'opèrent, par le mouvement des intelligences, dans la sphère calme et sereine où règnent ensemble la liberté et la paix.
Nous arrivons, messieurs, à la seconde partie du problème à résoudre et, après avoir défendu hier contre le gouvernement ce que je considérais comme l'intérêt des populations, je viens aujourd'hui, par un sort assez étrange, défendre de nouveau contre le gouvernement ce que j'appellerai volontiers l'intérêt de l'armée.
Selon moi, messieurs, le gouvernement subissant deux positions entourées de difficultés, l'une résultant de l'extension trop grande du contingent, l'autre née d'une exagération beaucoup plus considérable (je veux parler des fortifications que l'on a établies sur les deux rives de l'Escaut), s'est vu, en présence du chiffre du budget de la guerre, entraîné, malgré lui, je le veux bien, à ne pas rendre justice aux éléments divers qui composent notre armée.
Selon moi, messieurs, le gouvernement n'est juste ni pour les officiers ni pour les soldats.
Depuis combien d'années n'entendons-nous pas retentir dans cette enceinte les plaintes des officiers pensionnés ? Nous n'avons pu oublier que, l'année dernière, M. le ministre de la guerre apportait ici un aveu qu'il importe de recueillir.
Dans la séance du 21 février 1868, M. le général Renard s'exprimait en ces termes :
« La solde qu'on nous donne est la représentation des dépenses nécessaires pour remplir la mission qui nous est confiée. Je n'ai jamais connu un officier qui épargné deux sous0 »
Il est donc évident pour tout le monde qu’après de longs et honorables services, les officiers n'ont pu réaliser ces économies qu'on obtient dans toutes les carrières, et c'est dans cet état de choses qu'on donne à un capitaine, après quarante ans de services, 1,700 francs. Et si par suite d'infirmités contractées sous les drapeaux, ce capitaine rentre dans ses foyers après avoir servi moins de vingt ans, cette pension est réduite de moitié, c'est-à-dire qu'elle n'est plus que de 850 francs, environ deux francs par jour.
Et l'on veut que cet officier vive d'une manière honorable ! Cela lui est impossible, même quand il est isolé ; mais quelle sera sa position s'il a une famille ? Ah ! je comprends en ce cas les douleurs et les angoisses qui l'assiègent, car il peut se faire que les occupations qu'il chercherait pour utiliser ce qui lui reste de forces et de zèle, se dérobaient à lui ; il pourrait se faire qu'aucun allégement ne fût porté à ses privations, et quand on a eu l'honneur de porter l'épée et de revêtir les insignes d'un grade militaire, on ne saurait jamais se résoudre à tendre la main à l'aumône.
Et c'est dans cette situation impérieuse, urgente et à laquelle nous ne saurions, ce me semble, apporter des remèdes trop prompts, que le gouvernement nous entretient de rapports de commissions, ces limbes administratives et législatives, où la lumière descend bien lentement et d'où nous ne verrons pas sans doute de bien longtemps encore sortir ces ressources si légitimement et si vivement réclamées en faveur d'intérêts si dignes de toute notre sympathie.
Et cependant le gouvernement qui semble si peu empressé à répondre aux griefs de ces officiers pensionnés, dont j'ai parlé tout à l'heure, nous convie aujourd'hui à voter un système de pensions militaires, non pas au profit des officiers, mais au profit des soldats.
Cette question, messieurs, je la comprenais tout autrement. Lorsqu'un homme a pendant longtemps consacré ses services au pays, lorsqu'il est arrivé un âge où il ne peut plus en rendre, il est juste que la société lui assure, pour ses dernières années, un état honorable et un repos après tant de fatigues.
Mais lorsque le soldat quitte son régiment à 25, 27 ou 30 ans, nous ne devons pas souhaiter pour lui le repos, nous ne devons pas le vouer à l’inactivité. Nous n'avons qu'une seule chose à rechercher ; c'est de faire en sorte que, rentré chez lui, il puisse prendre part à ce mouvement de travail et d'activité qui doit assurer le développement de notre prospérité.
Ainsi donc, d'une part, je voudrais que l'on fît quelque chose de plus pour la pension de l'officier, et d'autre part, je repousse le système qui tend à assurer la pension du soldat.
J'avais l'honneur de dire tout à l'heure que je ne pouvais reconnaitre dans le système du gouvernement le véritable principe de la rémunération. Et cependant, non seulement le gouvernement le revendique pour son projet, mais il semble même s'en attribuer le monopole. Nous lisons dans l'exposé des motifs que c'est la première fois qu'un gouvernement a songé à la rémunération du service militaire.
Je ne veux pas, messieurs, remonter trop haut ; mais, à coup sûr, la rémunération n'est pas une invention moderne, et le pécule, qui en est la forme la plus simple, n’appartient à un langage très ancien. On le retrouve dans toutes les lois romaines.
Ces concessions qui étaient faites aux soldats ne constituaient-elles pas un système de rémunération, et quel est le conquérant, depuis Charlemagne jusqu'à Charles-Quint et depuis Charles-Quint jusqu'à Napoléon, qui ait jamais oublié de promettre à ses soldats la récompense de leurs services et de leurs efforts ?
Dans les législations modernes, la rémunération militaire existe dans je ne sais combien de pays : on la trouve en Russie, en Suède, sous forme de concessions agricoles et, si je ne me trompe, elle a été introduite depuis 1860 dans la législation d'Espagne, sous forme de rémunération pécuniaire.
On ne saurait s'étonner de ces nombreux exemples, car c'est une idée de justice qui place la rémunération à côté du service rendu.
En me bornant à la Belgique, je retrouve l'idée de la rémunération dès 1841, au milieu des discussions de cette Chambre, lorsque l'honorable M. Nothomb déclara qu'en établissant une caisse de dotation pour l'armée, on atteindrait ce résultat d'améliorer et d'honorer la carrière militaire.
Quelques années avant qu'on constituât une commission (page 875) qui consacra de nombreuses séances à l'examen de toutes les questions relatives à notre système d'organisation militaire ; je veux parler de ce qu'on appelle souvent la commission de 1858.
Cette commission, composée d'anciens ministres, de sénateurs, de représentants, de plusieurs militaires distingués, comptant dans son sein tous les éléments qui pouvaient contribuer au bon résultat de ses travaux, se hâta d’inscrire la rémunération dans son projet. Il y eut à cet égard à peu près unanimité ; il y eut surtout unanimité, quant au mode de la rémunération.
La partie du rapport où la commission traite spécialement cette question est trop remarquable pour que je ne demande pas à la Chambre la permission d'en citer quelques passages.
« La loi, pouvant imposer cette obligation à tous les hommes d'un même contingent, a dû les soumettre à une opération qui n'est, au fond, que la mise en loterie de leur personne.
« 10,000 miliciens seulement sont incorporés dans l'armée ; les 35,000 autres sont dispensés pour diverses causes. Ceux-ci demeurent dans leur famille, profitant de tous les avantages de la société ; ceux-là sont la disposition du gouvernement pendant huit ans : il y a là inégalité personnelle. Il y a aussi inégalité matérielle : le soldat sous les armes perd le prix de sa journée ; le milicien dispensé jouit paisiblement du fruit de son travail. L'un paye le tribut militaire de sa personne et fait un sacrifice d'argent, l'autre n'apporte à l'Etat ni concours personnel ni prestation
« Le tirage au sort a donc pour conséquence de faire acquitter par un seul la part d'impôts dont trois autres sont exonérés :
« La rémunération est le moyen de réparer cette inévitable injustice.
« Nous devons trouver au cœur de la population ouvrière les éléments de notre force militaire. Pour que cette classe de la société accepte cette charge sans répugnance et remplisse dignement ce devoir national, il faut y attacher un résultat positif, des bénéfices certains. Suivant nous, la solution pratique de la question du recrutement est dans l'amélioration du sort des miliciens appelés à l'armée ; et ici, nous ne séparons pas ces jeunes gens de leur famille.
« En droit rigoureux, au soldat revient la rémunération, puisqu'elle est accordée en compensation de son propre fait ; mais, en général, le fils confond ses intérêts avec ceux de ses parents ; il voudra souvent reporter sur sa famille une partie du pécule qu'il aura obtenu. Notre foi dans la moralité du pays est assez grande pour oser compter que ce sera un des principaux bienfaits de la loi nouvelle.
« Un premier point sur lequel nous avons été unanimes, c'est que la rémunération doit suivre le service d'aussi près que possible. Un avantage, même beaucoup plus grand, mais éloigné et éventuel, par exemple, une rente viagère accordée à l'âge de 55 ans.. » (Ceci est le système du gouvernement.)
MfFOµ. - C'est parce que la commission en avait connaissance.
M. Kervyn de Lettenhove. - La commission, appréciant le système du gouvernement, ne l'approuvait pas et elle faisait connaître les motifs pour lesquels elle ne pouvait pas l'admettre.
MfFOµ. - Elle ne l'avait pas inventé.
M. Kervyn de Lettenhove. - Elle le combattait, elle le repoussait, elle s'exprimait en ces termes :
« Un avantage même beaucoup plus grand, mais éloigné et éventuel, par exemple, une rente viagère accordée à l’âge de 55 ans ne répondrait point au but que nous désirons atteindre. Si l'on veut apporter au système actuel de recrutement un adoucissement qui soit généralement ressenti et goûté par la population, il faut que tous ceux qui ont honorablement servi reçoivent la rémunération qui lui est réservée et qu'ils puissent en jouir sans retard ; il faut qu'au service personnel se lie pour chaque milicien une compensation certaine et en quelque sorte immédiate.
Ce rapport, messieurs, était l'œuvre de M. Van Damme, aujourd'hui gouverneur du Luxembourg ; il fut lu et approuvé par la commission dans la séance du 6 juin 1860.
C'est à ce projet que se rapportait la déclaration solennelle insérée dans le discours du Trône du 12 novembre 1861 :
« Nos lois de milice appellent depuis longtemps une réforme ; un projet vous sera soumis, qui en corrigeant, au point de vue administratif, les vices du système actuel, aura pour but d'assurer une équitable compensation à ceux qui consacrent une partie de leur jeunesse au noble métier des armes pour le service de l'Etat.
« Cette réforme aura, je n'en doute pas, les conséquences les plus heureuses pour la bonne constitution de l'armée, si digne de notre sollicitude. »
MfFOµ. - C'était la rente viagère que l'on annonçait.
M. Kervyn de Lettenhove. - Pardon.
MfFOµ. - Comment ! Pardon ? c'est nous qui avons fait cela et avons annoncé cela.
M. Kervyn de Lettenhove. - Il n'est pas le moins du monde question de la rente viagère dans le discours du trône, et à mon avis les termes mêmes de ce passage du discours du tronc excluent par leur généralité la rente viagère réservée à quelques-uns.
MfFOµ. - Mais, monsieur, vous ne pouvez nous apprendre ce que nous ayons voulu dire.
MpVanHumbeeckµ. - M. le ministre, vous répondrez. Laissez continuer l'orateur.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je comprends d'autant moins l'interruption de M. le ministre des finances, que ce fut, si je ne me trompe, trois ans après, au mois de novembre 1864, que le gouvernement déposa sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui renfermait la constitution de rentes viagères.
MfFOµ. - Vous êtes dans l'erreur. Le projet a été déposé en 1862 comme conséquence de cette déclaration.
MiPµ. - Le 13 novembre 1862.
M. Mullerµ. - II a été déposé deux fois par suite de la dissolution de la Chambre ; la première fois en 1862, la seconde fois en 1864.
MpVanHumbeeckµ. - Je demande qu'on n'interrompe plus l'orateur.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je craindrais d'être trop long dans cette revue rétrospective. Je me bornerai à rappeler que le système que le gouvernement déposa, assez longtemps après le discours du trône, soit en 1862, soit en 1864, fut l'objet d'un long et sérieux examen au sein de la section centrale, et l'honorable M. Muller qui a fait, de ses délibérations, un exposé si lucide et si complet, les résumait en ces termes à la page 219 de son rapport :
« L'unanimité de la section centrale repoussait le système d'une rente viagère annuelle sans autre rémunération ; une majorité incontestable ne voulut pas d'une combinaison mixte entre ces deux modes et se prononçait pour une indemnité calculée à raison de dix francs par mois de présence sous les drapeaux en temps de paix et payable un an après le congé définitif. »
L'honorable M. Muller rappelait d'abord, dans son rapport, que, dès le mois de novembre 1868, le gouvernement avait déclaré retirer le chapitre relatif à la rémunération. Le gouvernement alléguait en ce moment, pour expliquer cette détermination, qu'il devait comprendre dans un même ordre d'idées des mesures probablement analogues en ce qui se rapportait à la réserve et la garde civique, et néanmoins, d'après le dernier exposé des motifs, il semble que le gouvernement n'a jamais songé à accorder le pécule ni la rente viagère à la garde civique.
Je n'insiste pas sur ce point, qui n'a pas grand intérêt. Je rappellerai seulement à la Chambre que, lorsque la loi sur la milice fut votée, un grand nombre de nos collègues déclarèrent qu'ils eussent surtout désiré voir le projet complété par le système de la rémunération, interprétée d'une manière quelconque, et M. le ministre de l'intérieur, se rendant au vœu unanime de l'assemblée, déclara que, dans un délai très prochain, la Chambre serait saisie d'un projet cet égard.
Cela se passait, si je ne me trompe, à la fin de novembre. Quelques mois s'écoulèrent avant que le projet fût présenté. Ce fut, je pense, dans les derniers jours du mois de mars que M. le ministre de l'intérieur déposa le projet dont nous nous occupons actuellement, projet qui reproduit le système de la rente viagère, en y introduisant, je le veux bien, certaines améliorations. (Interruption.)
Je m'occuperai tout à l'heure de ces améliorations.
Je ne les nie pas, mais je me borne, pour le moment, à faire remarquer qu'elles constituent surtout des améliorations, parce qu'elles sont en dehors du système du gouvernement et même parce qu'elles forment une contradiction avec ce système.
Je me borne, pour le moment, à rechercher quelles doivent être les bases des mesures que nous allons prendre pour introduire dans nos lois le meilleur système de rémunération.
(page 876) Je trouve dans l’exposé des motifs quelques lignes auxquelles je donne mon adhésion la plus complète et la plus entière ; ce sont celles où le gouvernement détermine quel doit être le caractère de la rémunération.
Voici, messieurs, ces lignes :
« La rémunération des miliciens va imposer au trésor une charge très considérable ; ce sacrifice ne peut être consenti que pour autant, qu'il procure un résultat social important, qu'il réalise une amélioration sérieuse du sort du milicien ; qu'elle fasse que le passage du milicien à l'armée laisse une trace dans sa vie ; et, enfin, que les sacrifices imposés consacrent une institution susceptible d'exercer même une influence moralisatrice.
Voilà, messieurs, des paroles excellentes, je suis heureux de le reconnaître, mais je m'étonne profondément de voir comment le gouvernement développe cette idée. En effet, dans les paragraphes qui suivent, il cherche à prouver qu'il faut craindre chez le jeune homme l'imprévoyance de la jeunesse ; que compter sur un emploi utile du pécule serait une fâcheuse illusion ; qu'il serait aussitôt dissipé dans des excès de tout genre.
Le gouvernement insiste vivement sur ce point, et si je ne me trompe, dans une discussion qui eut lieu au Sénat, M. le ministre des finances reproduisit à peu près les mêmes considérations.
J'avoue, messieurs, qu’il me semble étrange qu'on nous demande de voter la loi de rémunération sous les auspices de semblables déclarations.
J'avais toujours compris que le milicien était un homme honorable, que le gouvernement. par les mesures qu'il allait prendre, comptait épurer les éléments de l'armée, qu'il voulait éloigner de l'armée ceux qui la dégradent aujourd'hui, qu'il voulait, au contraire, en développer par la discipline et par l'instruction ses bons éléments. C'est en me plaçant ce point de vue, que j'apporte mon concours le plus empressé aux mesures législatives déférées à notre examen.
Si le milicien, sortant des rangs de l'armée, devait être tel que le dépeint l'exposé des motifs du gouvernement, je comprendrais bien moins qu'il devînt l'objet de la loi de rémunération.
Un mot encore sur le système du gouvernement.
Je pense que le gouvernement, lorsque je développais ici la théorie de la rémunération et lorsque des discussions se sont élevées à ce sujet dans cette enceinte, s'est toujours vivement appuyé sur les considérations d'économie financière.
Aujourd'hui, le gouvernement annonce l'intention de prélever annuellement une somme qui sera au moins de deux millions et probablement plus élevée et qui, dans un laps de temps fort éloigné, permettra de payer des rentes viagères considérables.
Quelles sont, à côté de ces idées principales, les améliorations que le gouvernement a introduites dans ce nouveau projet de loi, améliorations que je ne conteste pas, mais qui me paraissent insuffisantes ?
Il faut bien le dire, messieurs : à côté de l'âge de 55 ans qui donne le droit à la pension, il n'y a que deux moyens de l'obtenir, moyens qui ne ressemblent guère l'un à l'autre et qui cependant produisent le même résultat : c'est l'accident et c'est le mariage.
Quand le milicien qui a quitté l'armée et qui est devenu ouvrier, maçon, par exemple, tombe de son échelle, quand, dans l'exercice de sa profession, il subit quelque accident grave, l'infirmité, l'accident le font immédiatement vieillir ; il est placé sur le même rang que ceux qui ont 5 ans.
C'est toujours, messieurs, le système que j'indiquerai tout à l'heure, le système de l'aumône.
MiPµ. - C'est le contraire. L'aumône ne se gagne pas.
M. Coomans. - Si c'est gagné, il faut le payer à tous.
M. Eliasµ. - On le fait.
M. Coomans. - Du tout. Vous supprimez la moitié !
M. Kervyn de Lettenhove. - Mais il y a un autre moyen : c'est le mariage. Dans ce cas, on peut assurer la réversibilité de cet avantage à sa femme, à ses fils, même au fils que l'on n'a point, à celui que l'on espère.
Il en résulte que si le milicien s'est marié à l'âge de 19 ans, par exemple, il se trouve dans une position tout exceptionnelle, et je me demande comment, au moment ou nous votons une loi qui doit avoir pour effet d'améliorer l'armée, le gouvernement songe à encourager le mariage prématuré, ce qui ferait entrer dans l'armée un grand nombre d'hommes mariés, alors que les ministres de la guerre ont toujours déclaré que c'était là un détestable élément militaire.
Il est encore dans ces améliorations quelque chose que je ne puis m'expliquer au point de vue de la justice que le gouvernement prétend respecter.
Le gouvernement dit quelque part dans l'exposé des motifs :
« Un séjour plus long au corps est une aggravation de la charge militaire.
« Si l'on admet qu'il y a équité à rémunérer le service parce qu'il cause un certain préjudice, il est juste que l'indemnité soit plus forte lorsque le service a été plus long. »
Et, immédiatement après, se place une étrange contradiction.
Il y a, en effet, entre le milicien qui a servi vingt-sept mois et celui qui a servi quarante-cinq mois une différence à laquelle personne ne peut s'attendre : c'est que celui qui a servi le plus longtemps, reçoit proportionnellement moins.
Le gouvernement a cherché à expliquer que, moins la durée du service était considérable, plus le sacrifice était grand.
C'est ce que personne ne comprendra.
Tout le monde, au contraire, sera d'avis que plus le milicien est attaché à sa carrière, à sa profession, à sa famille, plus le sacrifice qu'il subit est considérable ; et si l'on devait établir une différence, ce devrait être au profit de celui qui a fait le service le plus long,
La véritable justice, messieurs, reste la base proportionnelle, la rémunération d'après la durée réelle de présence au corps.
Si je m'arrêtais devant tout ce que le projet de loi présente de difficile et quelquefois de confus dans son application, j'abuserais, à coup sûr, des moments de la Chambre.
J'aime mieux, en ce moment, revenir à ce qui tout à l'heure formait mon point de départ, et je demande à la Chambre la permission de rechercher devant elle si le projet de loi qui est soumis à ses délibérations, présente véritablement le caractère d'une rémunération.
Il y a, messieurs, dans la rémunération un double caractère qui est indiqué dans le passage de l'exposé des motifs que je citais tout à l'heure. Il y a deux intérêts, l'intérêt du rémunéré et l'intérêt de la société.
Après avoir enlevé à un homme, au nom de l'intérêt public, son temps, sa liberté, le libre usage de ses facultés et ses plus belles années, après avoir rompu sa carrière, la rémunération constitue selon moi, une espèce d'indemnité d'expropriation. Or, messieurs, lorsqu'il s'agit d'un champ ou d'une habitation, l'indemnité doit être préalable ; lorsqu'il s'agit de la liberté, de la carrière d'un homme, je ne la comprends pas autrement qu'immédiate.
D'autre part, il est admis d'une manière générale que tout service rendu comporte un salaire qui ne doit pas représenter seulement les exigences de la situation présente, mais une légitime réserve pour les besoins de l'avenir.
Or, dans l'armée, pour l'officier comme pour le soldat, la solde ne répond guère qu'aux besoins de tous les jours.
Eh bien, messieurs, selon moi, la rémunération constitue le supplément de solde qui permet d'établir une réserve. Et jamais, je le répète, on n'a songé à soutenir que le salaire ne devait pas suivre immédiatement le travail.
Enfin, toujours au point de vue du rémunérés il y a une question d'organisation militaire. On a souvent répété que l'homme qui sert le mieux est celui qui, sous les drapeaux, est le plus content de son sort.
A ce point de vue, il importe que l'homme, au lieu de regretter son foyer, aperçoive d'un œil satisfait, après son service, une juste rémunération. Obtiendrez-vous ce résultat par le système du gouvernement ? Il y a quelques jours à peine, M. le ministre de la guerre, prenant la parole au Sénat, s'exprimait en ces termes :
« Celui qui connaît l'esprit du soldat sait qu'une rémunération éloignée n'est pas de nature à le séduire. Le soldat veut toucher immédiatement l'argent auquel il croit avoir droit. »
M. ministre de la guerre s'occupait, en ce moment, des encouragements à donner au service volontaire ; mais il est évident que ces observations offraient un caractère absolu de vérité.
Voilà ce que doit être la rémunération des miliciens à l'égard du rémunéré ; voyons maintenant ce que doit être la rémunération vis-à-vis de la société.
Au moment où le service commencé, la rémunération apparait comme un remède à une situation pénible, elle réconcilie l'homme désigné par le sort avec le service qu'il subit dans des conditions d'inégalité qui ressemblent toujours à l'injustice.
Au moment le service s'achève, la rémunération doit avoir ce grand résultat de renouer la carrière brisée, de créer des agents de production ; et si, comme nous l'espérons, l'épuration des éléments de l'armée, (page 877) l'instruction qu'on veut y donner, la discipline qu'on s’efforce d'y introduire doivent avoir pour résultat d'améliorer ceux qui se rangent sous les drapeaux, il est permis d’espérer que si, en rentrant chez eux, ils y trouvent un pécule, ils deviendront, dans un délai peu éloigné, ou des propriétaires ou des industriels, et qu'après avoir, sous les armes, contribué l'honneur du pays, ils réussiront par la mène activité, par la même persévérance, à développer sa prospérité.
Voilà, messieurs, le résultat à atteindre.
Il s'agit, ne l'oublions pas, de placer à côté du travail le capital. L'alliance du capital et du travail est la solution de toutes les grandes questions qui pèsent aujourd'hui sur l'agriculture et sur l'industrie.
Tout à l'heure je me suis servi d'un mot que MM. les ministres ont paru trouver exagéré, j'ai parlé d'aumône.
Il me semble, messieurs, que si le mot est trop fort, il faut cependant reconnaitre dans le projet quelque chose qui répond assez exactement à cette idée.
La préoccupation du gouvernement est que ceux qui ont servi le pays ne puissent pas, dans les derniers jours de leur carrière, se trouver dans une situation de détresse ou de misère, dont le pays pourrait avoir à rougir.
C'est là un sentiment très sympathique contre lequel je ne m'élèverai pas. Je crois qu'il y a dans certains cas un devoir social à intervenir en faveur d'anciens serviteurs de l'Etat, s'ils se sont honorés par de longs services, mais je ne puis pas admettre qu'il y ait là un intérêt social.
L'intérêt social, selon moi, c'est de favoriser et de favoriser uniquement la rentrée du milicien dans la vie sociale, où il doit reprendre ses habitudes de labeur et d'activité.
Je ne pense pas, messieurs, qu'il soit équitable de dire à un milicien dont on a en quelque sorte brisé la carrière : « Vous n'emporterez de l'armée aucun pécule qui vous permette de refaire votre position, ni de reprendre le métier que vous avez quitté. Ce pécule, qui vous aurait permis de reprendre votre travail, de reconstituer votre carrière, attendez-le trente années, alors le gouvernement viendra à votre secours. »
C'est là, messieurs, une position que je ne saurais admettre ; et lorsque je remarque, à côté de ce milicien, sa famille qui attend légitimement son retour, pour retrouver un certain degré d'aisance, il me semble qu'il y a un oubli plus complet et plus coupable encore de la part du gouvernement. N'accorder la rémunération des services militaires au milicien que lorsque sa famille aura disparu, me semble contraire à la justice et aux principes bien entendus de l'ordre social.
Il faut, je ne saurais assez le répéter, encourager le travail et faire comprendre à chaque homme que c'est par son activité dans la vigueur de l'âge qu'il doit préparer lui-même la réserve de l'avenir ; et lorsque l'âge où il ne pourra travailler arrivera, il ne faut pas que ce soit sur le gouvernement qu'il compte. Il faut qu'autour de lui ses enfants, nourris dans les mêmes habitudes d'honnêteté, de travail et d'activité, comprennent que leur plus beau rôle, que leur plus sainte mission est de venir en aide au père de famille.
Voyez d'ailleurs, messieurs, quel a été le rôle du pécule dans l'histoire de l'antiquité. Lorsque Rome accordait à ses légionnaires les terres qu'ils avaient conquises afin qu'ils les fertilisassent par leurs sueurs, Rome s'élevait en grandeur et rangeait sous son sceptre les provinces assujetties et cultivées par les mêmes mains.
A une autre époque, lorsque Louis XIV fondait l'hôtel des Invalides, il y avait là une noble pensée ; il y avait là l'éclat d'un grand règne ; eh bien, la création de l'hôpital des Invalides a pu glorifier le nom de Louis XIV, mais au point de vue social, ce fut une œuvre stérile, et la France moderne se demande s'il y a lieu de la conserver.
L'erreur du gouvernement est de croire qu'au moment où les miliciens rentrent dans leurs foyers, ils ne sont pas dignes de posséder un pécule, et, qu'en traversant l'armée, ils oublient toutes les traditions de la famille.
Si ma parole n'a pas l'autorité nécessaire pour réfuter les allégations du gouvernement, je puis demander encore à la commission de 1858 ce qu'elle pensait de ce reproche, et comment, alors que les miliciens étaient corrompus par le remplacement porté à son plus haut degré, elle jugeai les jeunes gens qui rentrent dans leurs foyers.
La commission de 1858 protestait, messieurs, au nom de la moralité publique contre les affirmations du gouvernement. Voici ce que disait dans son rapport l'honorable M. Van Damme :
« Nous ne séparons pas les jeunes gens da leur famille. En général le fils confond ses intérêts avec ceux de ses parents ; il voudra souvent reporter sur sa famille une partie du pécule qu'il aura obtenu. Notre foi dans la moralité du pays est assez grande pour oser compter que ce sera un des principaux bienfaits de la loi nouvelle. »
Eh bien, Je le répète, dans les conditions où j'espère que l'armée se placera par son instruction et par le développement de sa discipline, je crois que le milicien rentrant dans ses foyers sera de plus en plus digne de recevoir un pécule des mains de la nation.
Messieurs, je ne m'arrêterai pas plus longtemps à traiter cette question de principe, et j'examinerai aussi rapidement que je le pourrai l'application que le gouvernement veut lui donner.
Le gouvernement, dans les documents qui nous ont été distribués, a inséré des calculs sur la durée de vie probable des miliciens. Nous y voyons que, sur 7,367 miliciens, 4,573 seulement arrivent à l'âge de 55 ans ; ces chiffres représentent assez exactement la proportion des six dixièmes.
Il y a donc deux parts : une part qui sera favorisée, une autre qui ne le sera pas.
Voyons d'abord quelle sera la position des six dixièmes.
Par des calculs auxquels je reviendrai tout à l'heure, il est, je pense, établi que la durée de la vie de ceux qui auront atteint l'âge de 55 ans, sera de 18 ans. Supposons que les hommes dont je m'occupe en ce moment, appartenant à la catégorie la plus nombreuse, c'est-à-dire sortant de l'infanterie, aient servi pendant vingt-sept mois,
En vertu de cette chance moyenne de vivre pendant dix-huit ans, chacun recevra 2,340 francs. 2,340 francs pour un service de vingt-sept mois, ce n'est pas 10 francs, comme le proposait la section centrale en 1869 ; c'est environ 100 francs par mois ; cela me paraît d'une évidente exagération !
Il y a d'un autre côté quatre dixièmes qui n'arriveront pas à l'âge de 55 ans ; et ceux-là, messieurs, quelle sera leur position ? Ils auront rendu les mêmes services, peut-être même des services plus prolongés, et ils n'obtiendront rien.
Ce sera exclusivement au profit de quelques-uns que vous aurez créé une nouvelle catégorie de pensionnaires et par les règles les plus anormales.
Il faut aujourd'hui, pour mériter la pension, lorsqu'on est douanier, garde champé(re ou. gendarme, lorsqu'on occupe une position quelconque, un très grand nombre d'années ; et dans le système du gouvernement, un service bien court, bien insignifiant, quelquefois bien peu rude, un service de 27 mois, par exemple, suffira pour acquérir un droit à la pension, et à côté de cela, vous aurez, je le répète, des hommes ayant rendu les mêmes services, qui n'obtiendront absolument rien.
Il y a, messieurs, un reproche que l'on a fait souvent au système militaire, à la base du recrutement, c'est qu’il constitue une loterie. La commission de 1858 elle-même a fait cette observation. Eh bien, aujourd'hui, je n'hésite pas à le dire, après la loterie de l'incorporation, vous créez la loterie de la rémunération.
Le uns ont eu un bon numéro au sort ; ils échappent à l'obligation du service militaire. Parmi ceux qui marcheront, quelques-uns auront une pension à 55 ans. Ceux-là auront tout, ceux qui mourront à 54 ans n'auront rien.
Ce n'est pas ainsi que je comprends l'intervention du législateur. Dans des mesures de ce genre, il me semble qu'il doit avant tout rechercher ce caractère d'égalité, d'uniformité, qui n'est pas autre chose que le signe extérieur de la justice.
Ce système qui, selon moi, ne doit pas encourager le milicien, qui, selon moi, ne doit produire aucune utilité sociale, qui sera injuste, c’est-à-dire inégal dans son application, aura des conséquences financières sur lesquelles je demande à ajouter quelques mots, parce que je les considère comme véritablement désastreuses.
Je disais tout à l'heure que la durée moyenne de la vie, après 55 ans était de 18 ans. Les calculs qui ont été faits par les savants anglais Farr et Finlaison, portent que, dans la Grande-Bretagne, la durée moyenne de la vie est de 17 ans ou 17 ans 2 mois, l'âge de 55 ans étant atteint. En Hollande, des calculs du même genre ont été faits, mais ils n'atteignent pas l'âge de 17 ans.
Il est ici une observation importante qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que les hommes qui sont entrés dans l'armée ont déjà subi une épuration ; que les infirmes, les plus faibles, ont été complètement écartés, et si l'on s'attache à cette considération, que ce sont seulement les hommes robustes à un degré quelconque qui ont été admis dans l'armée, on arrive nécessairement à cette conséquence que la durée probable de la moyenne de la vie, après 55 ans, ne peut pas être au-dessous de 18 ans.
Or, dans le projet du gouvernement, on nous fait connaître que chaque classe donnera lieu à une dépense de 648,000 francs. 648,000 francs étant multipliés par 18, vous arrivez à un total de 11,664,000 francs.
Lorsque le Sénat s’est occupé de cette question, M. le ministre des (page 878 finances, évaluant la quotité de la rente annuelle à payer aux miliciens, ne la portait guère qu'à 6 ou 8 millions. Depuis lors, les choses ont bien changé, et dans l'exposé des motifs, que vous a soumis M. le ministre de l'intérieur, il n'a pas hésité à inscrire le chiffre de 10,500,000 francs, ce qui fait une différence de 3 ou 4 millions depuis la discussion du Sénat. Je crois que ce chiffre sera encore inférieur à la vérité.
Pour faire face à cette dépense considérable, le gouvernement a introduit un système tout nouveau : c'est celui de frapper chaque année le contribuable d'un impôt qui sera de 2 millions environ, probablement de plus de 2 millions, et qui servira à constituer un fonds qui, s'accumulant avec les intérêts, formera cette somme énorme que devra payer le trésor, quand la loi fonctionnera.
Cela me paraît un système contraire toutes les théories économiques. Il a été présenté une seule fois dans cette enceinte, et je rappellerai dans quelles circonstances un honorable membre, frappé de la position qui serait faite la Belgique, dans le cas d'une invasion inopinée, insista vivement pour qu'on établît ce qu'il appelait « une réserve de guerre ».
Vous savez, messieurs, qu'il y a au-dessus de tous les principes un principe qui en tient lieu : « salus populi, suprema lex ».
Lorsque l'honorable M. Dumortier développa ce système au sein de la grande commission d'organisation militaire, il y trouva de nombreux contradicteurs.
M. Van Schoor, notamment, répondit que si, en 1840, on avait formé un fonds de réserve de 50 millions, on aurait déjà perdu 150 millions d'intérêts, et l'honorable M. Malou s'exprimait ainsi : « La véritable réserve de guerre doit être dans les bourses des contribuables. Pour la former, il faut en temps de paix la modération des impôts et des dépenses ». Il ajoutait : « Ne stérilisons pas nos ressources. »
Eh bien, messieurs, le système du gouvernement n'est pas autre chose ; on nous demande de stériliser nos ressources.
Il y a bien longtemps, messieurs, que Montesquieu a écrit cette maxime qui règle d'une manière souveraine la matière de la perception de l'impôt : « Il n'y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler que cette portion qu'on ôte et cette portion qu'on laisse aux sujets. »
Depuis lors, messieurs, les économistes ont été unanimement d'accord que la véritable base de la prospérité publique n'est pas autre chose que la quotité du capital productif et circulant ; ils sont même allés jusqu'à soutenir que le produit-capital passant de main en main représentait dix fois plus que celui que quelques particuliers placent à hauts intérêts. Ils affirment que, si dans la société, il n'y avait pas de capitaux inertes, la richesse publique serait doublée après un petit nombre d'années.
A ce point de vue, je demande s'il est sage, s'il est habile de demander chaque année deux ou trois millions aux contribuables, alors que la dépense ne doit avoir lieu que dans un tiers de siècle !
Je suis convaincu, au contraire, qu'il vaudrait infiniment mieux demander en 1900 onze ou douze millions aux contribuables, que de retirer dès aujourd'hui deux millions de la circulation agricole et industrielle.
Ah ! si le système que veut inaugurer le gouvernement était bon, il faudrait l'étendre à bien d'autres dépenses. Il est certain que dans trente ou quarante ans il y aura encore des budgets, qu'il y aura encore des crédits auxquels il faudra faire face.
Mais jamais personne n'a songé jusqu'ici à créer actuellement des impôts afin de pourvoir à des éventualités éloignées, et les contribuables à qui l'on demanderait un million comprendraient difficilement que c'est le meilleur moyen d'épargner à ceux qui viendront après eux, la rude nécessité d'avoir à verser au trésor dans un siècle dont nous ne toucherons pas le seuil, vingt ou trente fois plus.
Ajouterai-je, messieurs, qu'une rémunération aussi éloignée paraîtra toujours peu sérieuse au milicien, quelque considérable que doive en être le chiffre ? Vous ne pourrez faire disparaître ce qu'elle a de vague, d'incertain, car au payement de cette rémunération se lieront inévitablement des questions sur lesquelles nous ne serons jamais complètement rassurés.
Nous ignorons les événements que nous réserve l'avenir. Il y a eu beaucoup de bouleversements dans ces quarante dernières années. Nous ne savons pas quels sont les nouvelles commotions que des circonstances fortuites peuvent produire et, en dehors de ces bouleversements, il peut y avoir des nécessités imprévues où le gouvernement, au nom du salut du peuple, qui est toujours la suprême loi, se trouverait réduit, malgré lui, à mettre la main sur la caisse de dotation. Il est donc évident, messieurs, que, pour les miliciens, la loi que le gouvernement vous engage à voter, ne présentera jamais un caractère satisfaisant de garantie et de sécurité.
Je termine, et je crains d'avoir trop longtemps examiné le système du gouvernement, sans faire connaître les idées que je voudrais voir prendre la place de celles qui se trouvent exprimées dans le projet de loi.
Selon moi, messieurs, il s'agit ici d'une question de justice.
Le gouvernement l'a proclamé quand il a dit qu'il était équitable d'accorder une rémunération aux miliciens. La commission de 1858 1'avait proclamé également.
Eh bien, messieurs, s'il s'agit d'une question de justice, la justice exige que nous rémunérions tous ceux qui ont acquitté le même service.
Ce n'est pas un fait postérieur au service qui peut en modifier la nature ou la valeur. Il faut que, le service étant rendu, la rémunération en soit la conséquence immédiate.
Je crois encore qu'au point de vue social, il faut, autant que possible, mettre le pécule dans les mains du milicien, afin que, revenu chez lui, il puisse reprendre sa carrière et contribuer, par l'alliance du capital et du travail, à ce mouvement de la prospérité publique dans lequel il importe de le faire rentrer.
J'insisterai donc pour que les idées de la commission de 1858 soient reprises.
Il faut que la législature, au lieu d'une échéance vague, incertaine, fixe une époque certaine, en accordant le prix du service dès que le service est terminé.
J'aurai l'honneur de déposer des amendements dans ce sens. Il est bien entendu que si ces amendements devaient être adoptés, il y aurait lieu de les compléter par des mesures additionnelles, qui se trouvent déjà dans le projet loi.
Ainsi, il est bien entendu que le pécule, aussi bien que la pension, doit se perdre par des faits délictueux d'une certaine gravité.
C'est là l'intérêt évident du service militaire. La rémunération ne doit être attribuée qu'à ceux qui la méritent ; elle est le prix d'un bon service. Reste, messieurs, la question financière et, ici, je désirerais répondre à d'anciens reproches de l'honorable ministre des finances en plaçant, à côté des dépenses auxquelles on arriverait par le projet du gouvernement, les dépenses beaucoup plus modérées qui seraient la conséquence du pécule payé immédiatement après le service.
La section centrale avait proposé 10 francs par mois.
Ce chiffre peut être convenable, mais, comme il s'agit d'une matière nouvelle, je crois qu'il faut procéder avec infiniment de prudence.
Dans la section centrale à laquelle j'avais l'honneur d'appartenir, d'autres membres avaient proposé 5 francs.
J'avais songé à un chiffre intermédiaire qui représentait exactement 25 centimes par jour, ce qui à coup sûr n'avait rien de trop élevé.
Selon moi, messieurs, la rémunération ne peut représenter ni un chiffre trop exagéré, parce qu'il ne faut pas oublier l'intérêt des contribuables, ni un chiffre trop bas, parce qu'il s'agit d'un acte de justice vis-à-vis des miliciens. Il faut donc adopter un chiffre intermédiaire.
Je proposerai, messieurs, un chiffre qui n'est pas élevé, celui de 20 centimes par jour, ou 6 francs par mois et, s'il paraît trop faible, j'ajouterai qu'il peut être notablement accru par deux dispositions que je joindrai à mon amendement.
La commission de 1858 avait proposé que, dans tous les cas où un milicien viendrait à décéder au service sans laisser ni ascendants, ni descendants, ni femme, ni frères, ni sœurs, la rémunération déjà acquise accroîtrait le fonds spécial.
Je demanderai également que lorsqu'un milicien jouissant d'une certaine aisance ne retire pas la rémunération, elle soit également attribuée au fonds spécial et accroisse ainsi la masse à partager.
Ce système, messieurs, présenterait des conséquences financières bien modérées, bien réduites.
En voici les chiffres : On assurerait au milicien qui sert 45 mois, 270 francs ; à celui qui sert 35 mois, 210 francs ; et à celui qui sert 27 mois, 162 francs ; et il en résulterait seulement pour le trésor public une charge annuelle de 1,431,000 francs, au lieu de 11 ou 12 millions qu'on payerait plus tard.
D'un côté un résultat immédiat, de l'autre côté un résultat incertain. D'un côté, le service militaire encouragé ; de l'autre coté, des promesses dont l'échéance est tellement éloignée, tellement aléatoire qu'elle n'exercera aucune influence ni dans l'intérêt de l'armée ni dans l'intérêt de nos populations.
J'ai donc l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un amendement qui se rapporterait directement à l'article 3. Il est conçu en ces termes :
« Le fonds spécial servira à payer aux miliciens une rémunération (page 879) calculée à raison de six francs par mois complet de présence sous les armes, qui leur sera remise trois mois après leur envoi en congé illimité, par les soins de l'administration communale de leur domicile.
« Les rémunérations acquises par des miliciens décédés sous les drapeaux, qui ne laissent ni femme, ni descendants légitimes, ni ascendants, ni frères, ni sœurs, et celles qui ne sont pas réclamées dans l'année qui suit l'envoi en congé illimité, seront attribuées au fonds spécial et réparties entre les miliciens de la classe à laquelle appartenaient ceux qui seront décédés sous les drapeaux ou qui n'auront pas touché la rémunération.
« Dans le cas où le milicien a des ascendants sexagénaires ou des frères et sœurs, orphelins et mineurs, une somme qui ne dépassera point la moitié de la rémunération acquise, pourra chaque année leur être remise à la demande du milicien et sur l'avis conforme de l'autorité communale du lieu où habitent les ascendants, ou les frères et sœurs du milicien. »
- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. Lelièvreµ. - Je me bornerai à motiver en peu de mots mon vote qui sera favorable au projet de loi.
Le système d'accorder une rémunération pécuniaire à ceux qui, dans l’intérêt national, sont obligés de remplir les devoirs du militaire, a été accueilli avec la faveur qu'il mérite. Il est fondé sur un principe de justice qu'il est impossible de méconnaitre et il fait droit à des réclamations qui se sont produites depuis longtemps.
Tandis qu'une partie de la nation échappe aux obligations du service, il est certes équitable que les citoyens qui, dans un intérêt public, sont enlevés leurs foyers et entravés dans leur carrière, qui subissent ainsi une véritable expropriation de leur travail, reçoivent une indemnité sous l'empire des lois protectrices da la propriété et de la liberté individuelle.
A ce point de vue, j'adhère au projet présenté par le gouvernement comme réalisant un véritable progrès. On aurait certainement pu désirer que le projet accordât une indemnité plus complète et plus sérieuse ; toutefois, je l'accepte comme un premier pas dans une voie équitable qui, je l'espère, ouvrira en cette matière une ère nouvelle.
C'est surtout à raison du principe qu'elles consacrent que je me rallie aux propositions du gouvernement.
Les difficultés qui peuvent se présenter dans l'exécution sont déduites dans l'excellent rapport de l'honorable M. Muller. La section centrale a soumis cet égard diverses questions au gouvernement et dois déclarer qu'en ce qui me concerne, j'adhère pleinement, en général, aux solutions qui ont été données. Toutefois, j'estime qu’en ce qui concerne la perte du droit à l'obtention des rentes viagères, on aurait dû la comminer non seulement quand le milicien est frappé d'une condamnation à une peine criminelle, mais aussi à raison de certains délits ayant un caractère prononcé de gravité, alors surtout qu'une peine sévère aurait été appliquée.
C’est ainsi que du chef de condamnation pour vol, escroquerie, attentat aux mœurs, etc.. à un emprisonnement de plus d'une année, la privation du droit à la rente me semble commandée par les nécessités d'une répression légitime.
Je pense aussi que, quand il est énoncé dans le projet de loi que les rentes sont incessibles et insaisissables, il en est ainsi même de la partie de cette rente reposant sur la tête de la femme du milicien, conformément à l'article 8 du projet.
La conséquence du caractère insaisissable et incessible de la rente, c'est aussi que l'on ne pourra atteindre la prestation par aucun moyen quelconque, compensation et rétention quelconque, de sorte que le service de la rente ne pourra éprouver la moindre entrave.
Cette rente restera la propriété personnelle du milicien et ne tomberait pas même dans une communauté ultérieure, qui serait contractée postérieurement à l'époque énoncée au projet.
Telles sont, à mon avis, les conséquences des dispositions de la loi en discussion.
Tout en adhérant au projet de loi, j'émets un vœu sur lequel j’appelle l'attention de M. le ministre de la guerre : c'cst celui de voir le gouvernement user largement de la faculté qui lui est laissée par la loi d'accorder aux miliciens l'autorisation de contracter mariage.
Dans des intérêts de moralité et d'ordre supérieur, il convient de faire disparaitre, le plus possible, les restrictions admises en cette matière. Il s’agit d'une atteinte à la liberté naturelle, dont il faut s'attacher à atténuer les conséquences. J'engage donc le ministère à se montrer facile sur ce point, l'expérience ayant révélé les fâcheux résultats du système opposé.
Il en est de même des demandes de congé formées par les miliciens dans l’intérêt de leurs familles. Je désire que le gouvernement les accueille avec la plus grande faveur et ne les écarte que dans le cas ou les nécessités du service y sont absolument obstatives. C'est ainsi que l'on allégera autant que possible les obligations de la milice, si onéreuses pour les classes qui en sont frappées et dont le sort est si digne de notre sollicitude.
Telles sont les considérations sur lesquelles j'appelle l'attention particulière du gouvernement.
Quant au projet de loi, je le considère comme une amélioration ; il consacre un principe réparateur qui, j'espère, recevra des développements dans un avenir peu éloigné. On comprendra la nécessité d'accorder une rémunération plus ample, en rapport avec ce qu'exigent la justice et l'équité. C'est dans cet espoir que je donnerai mon assentiment au projet actuellement soumis à nos délibérations.
M. de Theuxµ. - L'annonce du projet de loi sur la rémunération du service militaire était de nature causer une grande satisfaction parmi les familles qui doivent livrer leurs enfants au service de l'Etat et qui ne sont pas assez aisées pour les faire remplacer.
En réalité, c'est aux classes les plus infimes de la population que le projet de loi sur la rémunération s'adresse, car les classes élevées peuvent aisément s'affranchir du service en fournissant un remplaçant.
Mais, messieurs, je crains beaucoup que cette satisfaction ne soit en grande partie une illusion en ce sens que le milicien entrant au service l'âge de 20 ans aura la perspective de rester 35 ans sans récompense. 35 ans, messieurs, c’est bien long à notre époque ou tout marche à la vapeur.
D'après tables de mortalité, on a la conviction qu’après 35 ans, la moitié de ceux qui out rendu des services au pays ne recevra aucune récompense. Pourquoi accumuler les récompenses sur ceux qui ont le bonheur d'atteindre l'âge de 55 ans et pourquoi priver d’une récompense ceux qui ont le malheur de perdre la vie avant cet âge ? Cela n'est pas juste.
D'un autre côté, je dois dire que je conviens qu’une somme globale donnée aux miliciens au sortir du service militaire sera très souvent dissipée sans grande utilité.
A mon avis, il y aurait donc une moyenne à prendre.
L'âge de 55 ans est trop reculé, les inconvénients d'une somme donnée au sortir sont manifestes. On avait proposé un autre système : c'était de donner une petite récompense pécuniaire au sortir du service et une petite pension viagère plus tard. Mais ce système a cet inconvénient de ne pas fournir au milicien qui sort de l'armée un moyen d'établissement convenable et de ne pas lui donner plus tard une pension viagère suffisante.
On devrait, me semble-t-il, adopter un système intermédiaire qui consisterait à donner à tous les miliciens indistinctement une pension de 100 francs, mais à condition d'en jouir beaucoup plus tôt et de baser cette pension de 100 francs sur les dispositions financières du projet. Il a quelques calculs à faire à cet égard, mais si la Chambre entrait dans cet ordre d'idées, il serait très facile de modifier l'article 4, et tout l'ensemble de la loi pourrait être adopté...
MfFOµ. - A partir de quel âge ?
M. de Theuxµ. - L'âge doit être fixé d'après les tables de mortalité. (Interruption.)
Je vais vous expliquer le système.
Le milicien qui a servi pendant quatre ans a droit à une pension de 180 francs ; comme il ne jouirait pas d'une pension de 100 francs, ainsi que tous les autres miliciens, il en jouirait beaucoup plus tôt que les autres miliciens.
De la même manière, l'artilleur qui a servi pendant trois ans en, jouirait moins vite que le cavalier qui a servi pendant quatre ans, mais il en jouirait plus vite que le fantassin qui a servi que pendant 27 mois.
L'âge d'entrée en jouissance serait variable. Voilà l'explication toute simple du système.
Ce système présente de très grands avantages.
D'abord les miliciens qui sortent du service se marient bien plus avant 40 ans qu'après cette époque.
Or, il est certain que le cavalier pourrait déjà jouir de sa pension de 100 francs vers 40 ans. (Interruption.) Il faut faire des calculs ; je ne les ai pas faits ; je voulais m'assurer d'abord si la Chambre était disposée à entrer dans cet ordre d'idées.
Le cavalier, à l'âge de 40 ans aura une pension de 100 francs ; l'artilleur, un peu plus tard, et le fantassin encore un peu plus tard.
(page 880) Voici maintenant les avantages pratiques du système : le milicien aurait une pension de 100 francs après quelques années. C'est une belle perspective pour faire un bon mariage, il a du crédit ; avec cette petite pension, il peut plus facilement élever sa famille et se créer un petit établissement. Ce n'est pas peu de chose qu'une pension de 100 francs pour un paysan, un simple ouvrier. C'est, à la campagne, cent journées de travail.
Nous voyons aujourd'hui des militaires qui sont sortis de l'armée et qui y ont perdu un membre, un œil, par exemple, et qui sont considérés comme pensionnaires ; eh bien, les autres paysans qui voient de ces hommes, disent : Voilà un homme pensionné, qui est à l'aise. » Telle est l'impression générale des populations rurales.
Or, je dis que si de 40 à.45 ans le milicien pouvait commencer à jouir de 100 francs de pension, ce serait un grand adoucissement pour lui, un grand bonheur pour la famille et un encouragement pour les familles en général qui seraient beaucoup moins tentées de faire remplacer leurs enfants, ou pour les fils de famille qui seraient beaucoup moins désireux d'être remplacés.
L'application de ce système procurerait donc une satisfaction réelle à la classe inférieure de la population et lui assurerait une récompense assez rapprochée et par là d'autant plus certaine. En même temps, l'idée qui a inspiré la loi, qui est une idée de justice et d'indemnité, recevrait une application plus générale ; vous auriez peut-être les trois cinquièmes ou même les quatre cinquièmes des miliciens qui jouiraient de cette récompense.
Et effet, de 20 à ou 45 ans, les hommes assez forts pour entrer à l'armée, ne sont guère exposés à la mort.
Je dis, messieurs, que ceci contribuerait à répandre l'émulation dans l'armée elle-même. Chacun se dirait : Je serai récompensé.
Messieurs, à côté de cette loi il ne manque que peu de chose ou plutôt je crois qu'il est dans la force des choses que ce qui manque encore se réalise.
Déjà l'on promet l'instruction primaire qui aura de grands avantages. Il est probable que le gouvernement sera amené aussi à multiplier le nombre de jours de congé, par deux motifs : parce que le soldat sera plus instruit et sera moins exposé à l'immoralité, un grand nombre de mauvais remplaçants n'étant plus admis, et ensuite par les idées que l'on a aujourd'hui. Les officiers eux-mêmes sentent qu'il est de leur devoir de protéger le soldat autant que possible, d'empêcher qu'il ne soit maltraité, qu'il ne se livre à l'ivrognerie. à la débauche, et de lui permettre l'accomplissement de ses devoirs religieux, toutes choses qui inquiètent beaucoup les familles.
Si elles trouvaient dans les chefs militaires, dans le gouvernement, une protection vraiment fraternelle, et, en outre, une récompense, il est certain que l'aversion du service militaire serait bien moins grande dans les familles.
Je dis, messieurs, qu'il est très probable que l'instruction militaire sera abrégée par les divers motifs que j'ai énoncés ; j'en ajouterai encore un : c'est que l'on tâchera, dans la suite, dans les temps de calme, de diminuer les charges militaires, précisément parce que le gouvernement assume sur lui une dépense de deux millions par an, et que c'est au moyen de congés plus prolongés, d'une instruction militaire abrégée qu'on arrivera probablement à atténuer un jour cette charge que le gouvernement assume.
J'ai d'autant plus cet espoir, cette confiance, que je vois que, dans toute l'Europe, il y a une réaction générale contre les charges exorbitantes des armées. Déjà la France, qui était certainement une des plus avancées dans cette voie, commence à reculer. En Allemagne, l'esprit public se manifeste de toutes parts et il est probable que dans peu d'années et peut-être très prochainement, les charges militaires diminueront partout, et alors ce sera une satisfaction générale.
En effet, messieurs, si nous introduisons la rémunération militaire, il est difficile que, par la propagande des idées et des exemples, les autres Etats, surtout là où existe le suffrage presque universel, comme cela existe déjà dans une grande partie de l'Europe, on ne soit amené à accorder également la rémunération du service militaire. Cela étant, les grandes nations que nous aurons entraînées à notre exemple nous donneront à leur tour l'exemple de la réduction du service militaire, parce que leur budget ne pourra pas supporter les charges de la rémunération.
Je dis donc que je suis grand partisan de la loi de rémunération, mais je voudrais un système de conciliation entre les diverses opinions qui se sont produites.
Il y a encore une autre idée que l'on pourrait mettre en avant, si la majorité de la Chambre préfère le système de l'indemnité unique au sortir de l'armée : ce serait de n'accorder cette indemnité qu'à de 35 ans. Alors les idées sont bien modifiées. Les militaires rentrés dans leurs foyers depuis quelques années ont repris la vie de famille et comprendront la nécessité de conserver le petit capital qu'ils auront gagné.
Ainsi, à mon avis, il y a un moyen terme à prendre entre ces deux idées ; ou une rémunération unique à l'âge de 35 ans, ou bien l'avancement de l’époque de l'entrée en jouissance.
Messieurs, pour mieux faire comprendre ma pensée, j'ai rédigé un amendement qui est ainsi conçu :
« Art. 4. La somme allouée aux miliciens est affectée à la création d'une rente viagère de cent francs, prenant cours le 1err janvier qui suit l'âge auquel le milicien aura droit à cette pension suivant les bases de la rémunération qui lui est attribuée par la présente loi. »
Avec ce simple amendement toute la loi pourrait fonctionner, et je pense que ce serait une grande satisfaction pour les nombreuses familles qui doivent contribuer au service militaire.
M. Coremansµ. - Messieurs, le recrutement de l'armée, par la voie du tirage au sort, est un des restes les plus déplorables, le plus mauvais, le plus inique de tous, de notre dernière annexion à la France.
Dès son introduction dans notre pays, la loterie militaire y a soulevé, surtout dans le pays flamand, les répugnances les plus vives, une opposition ardente, poussée jusqu'à la résistance à main armée.
Le nom de « loi du sang » (bloedwet), dont le peuple flétrit encore aujourd'hui nos lois de milice, prouve assez que l'opinion populaire persiste dans son hostilité.
Messieurs, on connaît le mot de cette bonne femme : « Les anguilles étant écorchées depuis toujours, elles sont habituées à cette opération, qui ne leur fait plus guère de mal. »
C'est par un raisonnement tout aussi fort que certaines gens, de ceux qui recueillent en Belgique tous les avantages du système gouvernemental dominant, affirment que la loterie militaire, déjà vieille, chez nous, de plus de 70 ans, a poussé racine dans nos institutions ; que l'opinion, que les mœurs publiques y sont faites ; que l'habitude en est prise, que tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Les anguilles écorchées... je veux dire le peuple, victime de la loterie militaire, n'est pas de cet avis ; sa répugnance est aussi vive qu'aux premiers jours ; son opposition, si elle ne se produit plus les armes à la main, est aussi générale. Permettez-lui, ne fût-ce qu'un seul jour, de nommer la législature, et vous verrez imposé partout le mandat impératif d'abolir la loi du sang.
Le gouvernement n'ignore pas que telle est la situation ; et c'est dans l'espoir de modifier les sentiments hostiles des masses qu'il propose son projet de loi.
On veut donc indemniser le milicien du tort, du dommage que lui inflige le service militaire forcé. Tel est le but à atteindre.
Une commission spéciale, nommée, en 1858, pour élaborer un nouveau projet de loi de milice, avait introduit dans son travail une proposition nouvelle pour nos sphères officielles, et dont la formule fut généralement accueillie comme minimum d'une réparation équitable.
Elle proposait d'allouer au milicien 100 francs par année de présence sous les armes.
L'indemnité serait payée : 9/10 lors de l'envoi en congé illimité ; 1/10 restant, au moment de la libération définitive.
Le travail de cette commission fut présenté par le gouvernement à la Chambre des représentants dans la séance du 15 novembre 1862.
Sans combattre le principe de l'indemnité, le gouvernement avait totalement modifié le système de rémunération formulé par la commission de 1858.
Au projet de la commission il en substituait un autre, allouant une rente viagère de 150 francs, maximum, à partir de l'âge de 55 ans révolus, au milicien qui aurait accompli, comme tel et par lui-même, son temps de service.
Vous voyez, messieurs, l'énorme différence des deux projets.
Celui de la commission admettait une rémunération réelle, prompte, applicable à tous ; celui du gouvernement, une rémunération hypothétique. illusoire, tardive et dont plus de la moitié des miliciens ne jouiraient jamais pour cause de prédécès ; en effet, les décès à survenir avant l'âge de 55 ans révolus doivent être, d'après le rapport de la section centrale, de 4,528 sur un chiffre de 7,367 miliciens, c'est-à-dire bien au delà de la moitié.
C'était cependant à l'unanimité que la commission de 1858 avait adopté son système de rémunération
(page 881) Les deux sections centrales successivement chargées de l'étude des propositions du gouvernement s'y montrèrent radicalement hostiles.
La seconde de ces sections centrales, et je crois, mais sans rien affirmer à cet égard, qu'il en est de même de la première, rejeta à l'unanimité le système du gouvernement de faire consister la rémunération des miliciens en une pension viagère ; et décida, par 4 voix et 2 abstentions, que l’indemnité consisterait en une somme que le milicien toucherait un an après avoir obtenu son congé définitif, et cette rémunération serait calculée à raison de 10 francs par mois de présence, en temps de paix, sous les drapeaux.
Telle était la situation quand, à la date da 28 novembre 1868, M. le ministre de l'intérieur, s'adressant la section centrale, demanda de scinder le projet de loi sur la milice ; de laisser là, provisoirement, le chapitre relatif à la rémunération, promettant d'en faire, à bref délai, l'objet d'un projet de loi spécial.
Le 25 mars 1870, il y a six semaines, le gouvernement, en exécution des promesses itérativement faites et plus souvent rappelées, saisit la Chambre du projet soumis, en ce moment, à nos délibérations.
En présence de l'hostilité radicale et unanime que les propositions de l'honorable M. Frère avaient itérativement rencontrée de la part de deux sections centrales composées, cependant, en majorité d'amis politiques de l'honorable ministre, on aurait pu s'attendre que M. Frère, cédant à des instances qui semblaient devoir se confirmer par des votes non moins unanimes, aurait, abandonnant son projet primitif, tenu compte, d'une manière sérieuse, des vœux, non seulement de l'opinion publique, mais de notables fractions de cette Chambre, mais de ses plus fidèles amis politiques.
Il n'en est rien.
L'honorable M. Frère maintient son système de la rente viagère comme seule et unique rémunération du milicien ; il continue à repousser d'une manière absolue toute indemnité plus ou moins immédiate.
Et, chose étrange, ln section centrale qui avait repoussé, à l’unanimité, le système de la pension viagère, et préconisé celui de l'indemnité immédiate, applicable à tous, cette même section centrale se trouve aujourd'hui, en majorité, convertie aux idées de M. Frère, et adopte, par 5 voix et 2 abstentions, un système répudié naguère par elle à l'unanimité.
La conversion qui s'est produite chez les honorables membres de la section centrale appartenant au parti ministériel, aura évidemment son contre-coup sur l'opinion de la majorité de la Chambre ; dès aujourd'hui on peut dire, sans crainte de se tromper, que les propositions de l'honorable M. Frère, puis qu'il le veut, seront votées par sa majorité. (Interruption.)
Dans son projet primitif (celui de 1862), l'honorable M. Frère proposait d'allouer uniformément une pension viagère de 150 francs maximum, sans établir entre les miliciens aucune différence quant à la durée de leur service.
Dans le projet actuel, la pension viagère n'est plus uniforme. Elle sera de 130 francs maximum pour le milicien qui aura eu deux ans de service ; de 135 maximum, pour celui qui aura eu trois ans de service ; et de 180 maximum, pour le milicien qui aura eu quatre années de service.
Dans le projet de 1862, la pension viagère prenait cours le 1er du mois qui suit celui où le milicien aurait atteint l'âge de 55 ans : dans le projet actuel, elle ne prend cours que le 1er janvier qui suit l'âge de 55 ans révolus.
Dans le projet de 1862, la rente de 150 francs était réductible de 5 francs pour chaque mois de séjour du milicien envoyé, par punition, à la compagnie de discipline.
Dans le projet actuel la pension est réduite de 30 centimes pour chaque journée passée en état de punition.
Dans le projet de 1862, la jouissance de la rente était, en cas de condamnation à une peine criminelle, suspendue jusqu'à l'expiration de la peine.
Dans le projet actuel, une condamnation à une peine criminelle enlève tous droits à une rémunération et aux rentes déjà acquises.
Dans les deux projets, le droit à l'obtention des rentes se perd en outre :
1° Par la désertion ;
2° Par le renvoi de l'armée pour inconduite habituelle ; punition administrative, arbitraire dont on peut user et abuser ;
3° Par une condamnation qui entraîne la déchéance du rang militaire.
Enfin le premier projet est de 1862 ; c'est-à-dire que, voté alors, tous les miliciens incorporés ces huit dernières années auraient profité des avantages du projet.
Le projet actuel ne s'appliquera, dans l'hypothèse la plus favorable, qu'aux miliciens de la classe de 1871.
Vous le voyez, messieurs, il suffit de mettre en parallèle les dispositions des deux projets pour rendre palpable, manifeste que le second projet n'est guère préférable au premier ; que le système est le mème ; que, dans beaucoup de dispositions secondaires, le projet de 1862 était plus favorable au milicien que le projet actuel.
Il est vrai que le second projet admet l'application de tout ou partie de la somme portée au crédit du milicien, à la libération de ses enfants légitimes du service militaire ; ainsi que le droit pour le milicien de reporter dans l'année de son mariage et avant 45 ans révolus, une partie de la rente viagère sur la tête de sa femme.
Mais le système de la rente viagère après 55 ans révolus, le système de la rémunération hypothétique, illusoire, échappant à plus de la moitié des miliciens, ce système que l'honorable M. Frère était seul à soutenir et que condamnait tout le monde : ce système est le même dans l'un et l’autre projet.
Le principe de l'indemnité, d'une réparation équitable à allouer au milicien, on ne le conteste plus ; mais l'application qu'en présente le gouvernement est réellement dérisoire.
C'est quand le travail est fait, le service rendu ; que le salaire, que la rémunération doit être payée.
Le milicien ne croira pas à votre rente viagère, et le moyen d'y croire, quand il lui faut passer 55 ans, à partir de son renvoi en congé illimité, c'est-à-dire plus d'un tiers de siècle, dans l'attente, dans l'incertitude, avant de savoir si, enfin, une pension de quelques centimes par jour l'aidera à ne pas mourir de faim !
Car ne l'oublions pas, messieurs, les premières pensions que l'honorable M. Frère propose de payer au milicien le seront, au plus tôt, en l'an de grâce 1905.
En l'an 1905, dans trente-cinq ans ! que sera-ce alors de nous ?
Rappelez-vous, messieurs, que le charlatan dont parle Lafontaine ne demandait que dix ans pour se croire certain d'échapper aux conséquences de ses belles promesses, disant : « Avant l'affaire, le roi, l’âne ou moi, nous mourrons ».
Le travail fait : le salaire est dû ; il faut le payer.
Et notez, messieurs, que c'est, en général, à l'âge de 24, 25 ans que l'homme du peuple, que le milicien se marie ; qu'il s'établit ; qu'il pourrait s'établir comme patron, si alors vous mettiez à sa disposition le salaire auquel il a droit et que vous avez tenu en réserve pour lui.
Je sais qu'un certain nombre gaspilleront cet argent, en feront un usage inutile ou blâmable, ainsi que le soutient le gouvernement dans son exposé des motifs.
Mais cela serait vrai, que ces abus, dont quelques-uns se rendraient coupables, ne vous donneraient pas le droit de retenir un salaire acquis.
C'est pour le bien du milicien, dites-vous, que ne lui donnez rien avant l'âge de 55 ans révolus.
Aucun milicien ne vous croira !
Mais la fin sanctifie donc les moyens dans la politique doctrinaire ! Nous le savions depuis longtemps ; mais rarement le gouvernement en avait fourni une preuve plus flagrante. C’est donc à l'époque de son congé illimité qu'il faut remettre au milicien sa rémunération : c'est alors qu'il l'a gagnée, c'est alors qu'il faut la payer.
Une somme de 270 francs, de 360 francs, de 480 francs, lui remise à cette époque, peut constituer le point de départ d'une position qui, s'améliorant petit à petit, deviendrait celle d'un citoyen aisé.
Une pension viagère de quelques centimes par jour, payée à quelques miliciens, la grande moitié ne recevant rien, ne saurait avoir aucune influence réelle sur l'amélioration du sort des classes ouvrières, ni sur leur émancipation.
A titre de salaire, de rémunération, votre pension est une dérision.
Elle ne saurait donc constituer qu'une aumône. Mais, à ce titre, elle est inutile : à l'ouvrier vieux et infirme, sa famille ne fait pas défaut ; et si elle lui fait défaut, la charité publique le recueille.
Je voterai donc le principe d'une juste indemnité à allouer aux miliciens
Je voterai l'application qui en a été adoptée naguère par la section (page 882) centrale : 10 francs par mois de service, payable à l'époque du renvoi en congé illimité, si une proposition dans ce sens est reproduite.
Mais je ne saurais me déclarer satisfait de l’application dérisoire proposée par l'honorable M. Frère.
- Plusieurs membres. - A demain !
- D’autres membres. - Non ! non ! continuons.
M. Coomans. - Plusieurs membres viennent de proposer de remettre la suite de la discussion à demain ; c'est aussi mon avis. Il n'est pas présumable qu’on pourrait finir aujourd'hui et, ensuite, je désirerais que quelques partisans da projet daignassent répondre aux observations produites dans cette séance et dont j'aurai à en reproduire quelques-unes.
Il me paraît d'autant plus nécessaire qu'on réponde à ces observations, que le principe proposé par le gouvernement a été fort malmené par la section centrale et dans nos débats, qu'il a même été repoussé à la presque unanimité. Il serait affligeant que ce système pût être voté silencieusement.
- La remise à demain est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.