(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 883) M. Dethuinµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
(page 883) M. Dethuinµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la .
« La dame de Ceuleneer demande une enquête sur la gestion des liquidateurs de la masse créancière de son auteur. »
M. Thonissenµ. - Comme cette pétition présente un caractère d'urgence, je demande que la Chambre ordonne qu'elle fasse l'objet d'un préalables prompt rapport.
- Adopté.
« Des membres de la ligue de l'enseignement demandent une loi qui règle le travail des enfants dans l'industrie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Ansay, portefaix à Liége, combattant de la révolution, demande un secours. »
- Même renvoi.
« Les conseils communaux de Bolhey et de Tongrinne demandent que la convention relative à la concession de chemins de fer comprenne l'exécution, dans un bref délai, de la ligne entière de chemin de fer de Gembloux à la Meuse. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi approuvant la convention. »
« Le sieur Michel Van Aubel, brasseur et distillateur à Lanaeken, né à Maestricht, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Joseph Marion, hôtelier, à Ostende, né dans cette ville, demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Boussu, Saint-Ghislain, Quaregnon, Wasmes, Jemmapes et autres communes du Borinage demandent l'exécution en ligne directe du chemin de fer de Saint-Ghislain à Ath. »
M. Saincteletteµ. - Je demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi approuvant la convention relative à divers chemins de fer concédés.
- Adopté.
« Par messages en date du mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi contenant : le code pénal militaire, le budget de la dette publique pour l'exercice 1867. »
- Pris pour notification.
« M. Preud'homme, retenu par indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Saincteletteµ. - J’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer.
- Impression, distribution et mise à la suite de l’ordre du jour.
M. le président. - La parole est à M. Coomans.
M. Coomans. - Je suis affligé du dénouement que va recevoir le problème, si longtemps agité et toujours ajourné, de la rémunération des miliciens.
Après trente-neuf ans de déni de justice, après trente-neuf ans d’attente sous une loi fondamentale qui proclame le principe de l'indemnité juste et préalable, on reconnaît enfin qu'une indemnité est due à la classe la plus méritante de tous les fonctionnaires publics de Belgique ; je dis la plus méritante, puisque ce sont les seuls fonctionnaires forcés et non payés. On reconnait donc qu'il est impossible de continuer l'injustice criante dont beaucoup d'entre nous se sont plaints tant de reprises ; on proclame le principe de l'indemnité, mais on ne l’applique que très inefficacement, je puis dire très incomplètement, à ce point que l'application du système, tel qu'on nous le propose, est généralement considérée comme une mystification.
En effet, hier encore un ministre déclarait que le capital affecté aux miliciens qui ont accompli leur temps de service n'est pas une aumône, pas un don, mais qu'il est bien un salaire et un salaire légitimement gagné. Ce sont les expressions du ministre de l'intérieur et c'est également mon opinion ; mais si c'est un salaire gagné, de quel droit le refusez-vous à la moitié des miliciens, de quel droit les privez-vous de ce que vous reconnaissez leur être dû ? Et quelle est cette moitié à laquelle vous refusez la justice ? C’est la moitié la plus malheureuse, celle qui est morte prématurément, tandis que vous accordez une récompense quelquefois exagérée à ceux qui ont été moins malheureux, qui auront eu le plaisir de vivre peut-être jusqu'à cent ans.
Chose étrange, on avoue, et on est bien obligé de le faire, que la loterie militaire offre de graves inconvénients qui blessent la justice distributive.
Il est impossible de ne pas en convenir et il est étrange, je le dis en passant, que le gouvernement se montre scandalisé des moindres loteries, qu'il se réserve le droit d'empêcher les loteries les plus anodines, les moins immorales et qu'il maintienne cette grande et immorale loterie militaire, dans laquelle nos jeunes gens jouent non seulement leur superflu, mais leur nécessaire, leur travail et même leur vie.
Eh ! messieurs, cette loterie militaire, vous l'aggravez considérablement par votre projet de loi. Vous y ajoutez une seconde loterie moins importante que la première, mais tout aussi inique. Après avoir mis en loterie la question de savoir qui sera soldat, vous mettez encore en loterie celle de savoir qui sera rémunéré. Car enfin la tontine, c'est une loterie ; c'est une loterie dont Dieu tire les numéros, mais c'est une vraie loterie.
Donc vous entez une loterie sur une loterie et vous empirez votre système de milice, déjà si mauvais.
(page 884) Le gouvernement était si persuadé naguère que son système n'avait aucune chance de succès, qu'il nous a empêchés de l'examiner opportunément lors de la révision de la loi de milice.
Le retrait du chapitre concernant la rémunération des miliciens n'a pas d'autre cause que celle-là : la certitude qu'avait le ministère que son système serait rejeté.
En effet, il l'ont été à la presque unanimité des suffrages à cette époque-là ; à ma connaissance, il n'y a jamais eu que deux ou trois personnes qui l'aient approuvé.
Messieurs, cela est si vrai que les raisons, du reste très vagues, données par le ministère pour justifier l'ajournement du chapitre, ont cessé d'exister. Je crois même qu'elles n'ont jamais existé. En effet, il n'a pas pu être question de modifier le système au point de vue de la réserve et de la garde civique puisque, aujourd'hui encore, on garde le silence sur ces deux côtés du problème.
Ce n'est pas sans motifs que j'insiste sur tous ces ajournements de l'examen du projet de loi, parce qu'il en est résulté un grand dommage, je puis dire une grande injustice, pour une foule de citoyens.
Si la rémunération avait été décrétée en 1862, lorsqu'elle fut proposée, en 1864, lorsqu'elle fut reproduite, ou l'année dernière, lorsqu’elle devait être votée, des milliers de citoyens n'auraient pas à vous accuser d'avoir été injustes à leur égard.
Vous excluez du bénéfice de la loi non seulement des milliers de citoyens qui ont été depuis 39 ans victimes de l'impôt du sang, mais les citoyens qui, depuis 1862 au moins, avaient le droit de compter sur votre justice tardive.
Sur quoi se base la rétractation de la section centrale ? J'ai de la peine à me rendre compte des motifs qui ont pu lui dicter cette attitude si humiliante pour elle et pour la Chambre. Il y a des amendements, Oui, il y en a quelques-uns, il n'y en a pas assez à beaucoup près, mais les amendements que le ministère nous a proposés sont tellement insignifiants qu'ils ne peuvent, je pense, exercer aucune influence sur les esprits non déterminés d'avance à se contenter de prétextes aussi légers.
Ainsi, le ministère veut nous faire considérer comme des dispositions importantes celles qui concernent la femme et le fils du milicien.
Je viens de les traiter d'insignifiantes ; permettez-moi de vous prouver qu'elles méritent cette épithète ; je serai court.
Le milicien peut faire participer, à un certain âge, sa femme bénéfice de la rente, mais à la condition qu'il atteigne l'âge de 55 ans. S'il meurt avant cet âge, sa femme n'aura rien. S'il vit plus longtemps, l'avantage est insensible, car la rente sera réduite, étant basée sur deux tètes au lieu d'une.
Quant au fils, l'avantage de la disposition légale qu'on nous offre me paraît insaisissable ; je ne sais même si elle a quelque réalité. Le milicien, à un certain âge, peut reporter sur un fils légitime tout ou partie du capital qui lui est éventuellement acquis ; mais si le fils vient mourir avant l'âge de milice et si le père lui survit, tout est perdu ; tout est perdu à ce point que je doute fort que l'intérêt du milicien soit d'accepter l'avantage apparent que vous lui offrez. Quant à moi, je n'oserais jamais lui donner le conseil de l'accepter.
En insistant davantage sur les amendements, je pourrais achever d'en démontrer l'inefficacité, mais j'espère que ce soin paraîtra inutile.
Messieurs, quelles étaient les raisons fondamentales que la section centrale faisait valoir à si bon droit contre la conception ministérielle.
C'était d'abord le trop long retard apporté à la rémunération. C’était ensuite l'absence de rémunération pour les miliciens décédés avant l'âge de 55 ans. V
Voilà les raisons fondamentales, du reste très fortes, que la section centrale faisait valoir contre la conception ministérielle.
Or, ces deux raisons restent debout. C’étaient les deux grands vices du projet de loi. Ce sont encore les vices du projet de loi amendé.
Et, en vérité, je ne conçois pas qu'après la rhétorique éloquente que l'on a déployée contre l'idée de M. Frère, on vienne aujourd'hui y adhérer sous ce prétexte que des modifications y ont été apportées.
Quant à moi, je ne change pas de convictions aussi lestement. Je mûris celles qui me viennent et quand je les trouve justes, rien au monde ne m’en fait départir.
J'ai toujours cru qu'il était inique de refuser aux miliciens une indemnité aussi forte que possible pour les sacrifices qui leur sont imposés.
Aucune justification de cet état de choses ne m'a été présentée. Je dois donc persister dans ma manière de voir.
Vous commettez une grave inconséquence. Vous dites que le milicien a droit à la récompense que vous lui offrez et, d’autre part, vous retirez cette récompense à la moitié des miliciens pour en faire jouir ceux qui y auraient, en réalité, le moins de droit.
L'expropriation de la liberté homme est une chose tout aussi grave que l'expropriation de son champ (interruption), peut-être plus grave, comme l'a dit mon honorable ami Vermeire.
En effet, tous les hommes sensés, tous les citoyens dignes de ce nom tiennent à leur liberté autant qu'à leur propriété.
Or, quand on exproprie un bout de votre parc, vous avez bien soin de vous faire payer largement et d’avance la valeur de ce qui est exproprié, et quand il s'agit non seulement de la liberté, du travail, mais de la vie du milicien, vous osez dire qu'une indemnité ne lui est pas due ! C'est là une inconséquence grave.
Prenez-y garde ! Si vous traitez ainsi la dignité humaine, la justice, les vrais principes du droit, vous donnerez des arguments dangereux à ceux qui attaquent les indemnités pour les propriétés expropriées.
Selon moi, l'indemnité doit être aussi juste que la situation du trésor le permet et aussi prompte que possible. Elle aurait peu près ce double caractère si vous acceptiez les amendements que je rédigerais, au cas où je ne serais pas certain de les voir repousser, si vous donniez une partie du capital dont vous disposez aujourd'hui, à la famille le premier mois de l'appel du milicien sous les armes, puis le reste à la famille encore ou au milicien, à la fin de chaque année de service. Déjà, selon moi, ce serait une concession très forte que d'ajourner de deux ou trois ans l'acquittement de la dette, mais je le reconnais, si vous donniez à la famille à laquelle vous arrachez un homme qui lui est cher et qui, souvent est son soutien, son gagne-pain, si vous donniez à cette famille, le jour où vous lui imposez ce sacrifice, devant lequel nous reculons tous, nous autres, si vous lui donniez une somme de 75 francs, elle pourrait au moins prendre un peu de patience, se consoler un tantinet et ne pas subir les premières atteintes de la faim, dont vous êtes les auteurs. Car combien de fois n'arrive-t-il pas que le départ du fils et surtout du fils ainé, qui est un autre père de famille, plonge tout un ménage dans la misère. J'ai vu cela, je l'ai vu maintes fois, et quand je ne l'aurais vu qu'une fois, ce serait assez pour flétrir votre loi de milice comme monstruosité, comme la honte du siècle. (Interruption.)
Mais non ; vous voulez bien reconnaître que quelque chose est dû à ces victimes de la conscription, mais vous retenez ce quelque chose pour le donner aux moins malheureuses, à la condition qu'elles ne se fassent pas condamner même pour des délits militaires d'une immoralité parfois douteuse et qu'elles vivent jusqu'à l'âge de 55 ans. Mais la moitié est privée, je dis pas de la récompense, mais de l'indemnité.
Si votre conscience et votre logique se contentent de ce régime, j'en éprouverai un regret plus vif encore que celui que j'exprimais en commençant mon discours.
Quant à l'efficacité du système, MM. les ministres se trompent encore énormément ; l'honorable M. Frère nous a dit plusieurs fois et l'honorable M. Pirmez l'a répété l'autre jour à Charleroi, que cette rente de milice exercera un appât tel sur les. miliciens, qu’ils seront satisfaits d'être appelés sous les armes. Car, ont-ils dit, si l'on inscrivait au frontispice d'une usine ces mots : « A 55 ans, les ouvriers seront pensionnés », on ferait queue à la porte de cette usine, pour s'y faire inscrire comme travailleur.
Messieurs, je n'en crois rien.
Ah ! si vous offriez supplémentairement une pension aux ouvriers sans leur retenir la moindre partie de leur salaire, si on leur offrait en perspective cet avantage éventuel, je ne dis pas non ; mais essayez de retenir quelque part de leur salaire, même en leur promettant 10 p. c. et même un placement à 20 p. c. et vous verrez que vous n'en attirerez aucun dans votre tontine.
Du reste, j'ai un argument plus décisif à présenter aux honorables ministres. Puisque vous croyez, leur dirai-je, que l'appât de la rente est si grand, puisque vous avez cette idée, ce dont je suis charmé, je vous prierai de doubler la rente pour les volontaires. Au lieu de 150 à 180 francs donnez 300, 400 ou 500 francs de pension aux volontaires, et, d'après vous, vous aurez ainsi une grande armée de volontaires, car on fera queue aux casernes comme on fait déjà queue à l'hôtel des finances, pour obtenir des emplois de douanier ou de commis des accises.
Je ne sais si MM. les ministres me comprennent bien, mais je trouve l'argument très fort ; ou l'appât d'une pension existe ou il n'existe pas ; s'il existe, il faut s'en servir pour supprimer la conscription qui, on l’avoue enfin, est une chose inique et odieuse en elle-même.
Supprimez la conscription et offrez des rentes aux volontaires qui ont accompli leur cinquante-cinquième année, je voterai pour cela non seulement (page 885) • tous les chiffres de pensions que l’on proposerait, mais encore une forte augmentation d’impôts.
Mais vous n'en ferez rien, parce que vous êtes convaincus que votre rente viagère dans ce lointain infiniment nébuleux de 36 ans n'attirera pas un seul volontaire. de même qu'elle n'attirerait pas un seul ouvrier dans l'hypothèse que j'ai déterminée.
Messieurs, je viens de dire, après d'honorables collègues, que le payement dont il s'agit ne s'effectuera qu'après 35 ans. Pour la plupart des cas, c'est 36 ans que je devrais dire. En effet, le dommage occasionné au milicien se produit la première année. Du moins, c'est alors qu'il est le plus dur ! La première année, c'est la vingtième. Or, comme la pension ne sera payée que le 1er janvier qui suivra l'année dans laquelle le milicien aura atteint 55 ans, il est clair que dans beaucoup de cas, dans ceux notamment où les miliciens sont nés en janvier ou en février, la rente ne sera payée qu'au bout de 36 ans. Eh bien, cet ajournement d'une dette équivaut à un déni de justice et j'aime mieux un refus net de payer que cette façon-là de payer ou de ne pas payer.
Qui vous dit que cette loi existera dans 36 ans ? J'espère bien que non. Si jamais j'ai quelque chose à dire dans le monde officiel, j'insisterai de toutes mes forces pour la prompte suppression d'une loi que je considère comme injuste.
Qui vous dit que d'autres éventualités, que je ne veux pas préciser parce que je les redoute autant que vous, n’empêcheront pas la réalisation de vos promesses ?
Un débiteur qui ajourne son créancier à trente-six ans est un mauvais débiteur, surtout quand la responsabilité personnelle fait défaut. Le dommage est immédiat ; la réparation doit l'être. Toute autre réparation sera considérée non seulement comme insuffisante, mais comme insignifiante, comme n'étant pas sérieuse.
Encore une fois, ma conviction est que pas un seul milicien ne se déclarera satisfait de la vaine promesse qu'on lui fait.
Et quel moment choisit-on pour refuser toute indemnité quelconque à la moitié des victimes de la conscription, comme on a eu soin d'en refuser à toutes les victimes qu'elle a faites depuis 1830 ? Celui où l'on se montre disposé à augmenter la pension des officiers, non seulement des officiers qui seront pensionnés cette année et les années suivantes, mais des officiers pensionnés depuis longtemps, c'est-à-dire des officiers qui, au point de vue de la justice élémentaire, sont dans une situation exactement pareille à celle de nos miliciens depuis 1831 jusqu'en 1870.
Vous voulez donner un effet rétroactif à l'augmentation de pension des officiers. Je sais bien que les influences qui pèsent sur cette assemblée rendent presque inévitable le vote de cette augmentation de pension. Je m'y opposerai ; mais je suis si habitué à n'avoir aucun succès dans cette Chambre, que je fais mon deuil d'avance du rejet de l'amendement que je présenterai alors.
Messieurs, est-il possible que l'on songe sérieusement à augmenter la pension des officiers, alors qu'on refuse, malgré la justice la plus évidente, une indemnité très modique à la moitié de nos miliciens ? Il y a là un manque de logique et d'équité qui me frappe.
L'honorable M. de Theux a présenté hier un système qui améliore celui du gouvernement ; mais je ne puis pas me tenir pour satisfait des considérations présentées par l'honorable membre, parce que les deux vices du système se retrouvent dans l'idée, d'ailleurs ingénieuse, exprimée par l'honorable député de Hasselt. Ces deux vices sont le trop long retard apporté à la rémunération et l'exclusion du bénéfice de la rémunération, de la moitié des miliciens ; ces deux vices sont fondamentaux, radicaux et, aussi longtemps qu'ils ne disparaitront pas du projet de loi, il me sera impossible d'y donner mon assentiment.
M. Thibautµ. - Messieurs, il est regrettable qu'une loi importante et dans laquelle il s'agit de régler une matière presque neuve soit discutée à la fin d'une session.
Je regrette aussi que le gouvernement, avant de produire la dernière formule des dispositions auxquelles il s'est arrêté pour la rémunération, ait laissé s'écouler un aussi long intervalle depuis le vote de la loi de milice. Il est difficile, maintenant, pressés comme nous le sommes, de renouer à des idées déjà un peu oubliées, celles que fait naître l'examen du projet de loi.
Cet inconvénient est d'autant plus grand que, si le projet de loi est voté, on n'en connaîtra les résultats qu'après un grand nombre d'années ; de sorte que si nous faisons fausse route, trente-cinq classes de milice en souffriront.
Je me bornerai, messieurs, à indiquer comment je comprends la question et comment, selon moi, en conservant le fond du projet de loi, on peut l'améliorer.
La rémunération du service militaire, à l'égal de tout autre service, ne me paraît pas une obligation stricte de l'Etat. C'est, au contraire, le service militaire, c'est-à-dire le concours nécessaire des forces individuelles dans un but de conservation et de préservation nationale, qui est dû à l'Etat, à la nation, par les jeunes citoyens en état de porter les armes.
Messieurs, la législation sur le service militaire varie dans les différents pays. La majorité des deux Chambres, d'accord le gouvernement, a pensé qu'en Belgique, d'une part, on ne pourrait réunir un nombre de volontaires suffisant pour composer une armée, et, d'autre part, qu'on ne pouvait, sans compromettre la défense du pays ou sans imposer de trop lourds sacrifices à l'Etat, appeler les classes de milice tout entières sous les armes.
Le service obligatoire a donc été maintenu et l'on maintenu aussi le tirage au sort pour réduire le contingent au chiffre fixé par les autorités militaires.
Il en résulte que sous la loi nouvelle, comme sous la loi de 1817, les charges de la milice sont inégalement réparties entre les hommes qui appartiennent à la même classe.
Ceux que le sort désigne acquittent, non seulement leur dette, mais la dette de plusieurs autres.
C’est pour corriger les conséquences de ce système de recrutement que le gouvernement, pressé par des instances qui ne cessaient de grandir, a présenté le pro}ct de loi que nous discutons.
Répond-il, messieurs, à ses causes et à son origine ? Y répond-il exactement ?
Je ne le crois pas.
D'après le projet de loi, le fonds spécial de la rémunération sera alimenté par le trésor public seul ; de sorte que les miliciens servant en personne y contribueront autant que les autres.
Les miliciens exemptés par le sort n'auront aucune charge à supporter du chef de la milice.
Sous ce rapport, on ne fait rien pour ramener leur situation à l'égalité que l'on cherche cependant à rétablir.
J'aurais voulu que tous les miliciens exemptés par le sort fussent astreints à verser une certaine somme dans la caisse de la rémunération.
On aurait ainsi attaché à chaque numéro sorti de l'urne une charge et un avantage.
D'un côté la libération est une somme d'argent à verser. De l'autre, le service est une somme d'argent à recevoir.
Le tirage au sort cesserait dès lors d'être une loterie pour devenir un véritable partage.
Il arrive souvent, comme vous le savez, messieurs, que des familles peu aisées fournissent, en s'imposant de durs sacrifices, des remplaçants à ceux de leurs membres que le sort appelle à l'armée.
Qui aurait le courage, dans une foule de circonstances, de les blâmer ?
Cependant le projet de loi dénie, refuse au milicien remplacé le droit à l'indemnité et ne l'accorde qu'à ceux qui servent en personne.
Cette exclusion me paraît injustifiable.
Dans les classes ouvrières, les miliciens remplacés travaillent pour la famille. Ils n'économisent en général rien pour eux-mêmes. Leur position n'est pas différente, après 2 ou 3 années, de la position des jeunes gens de la même classe qui ont servi en personne.
Les uns et les autres ont acquitté non seulement leur dette, mais la dette de plusieurs autres.
Pourquoi sont-ils traités différemment ?
Les miliciens appartenant à des familles qui ne sont pas dans l'aisance et servent par remplaçant devraient, selon moi, être admis à participer aux avantages que le projet de loi promet à tous ceux qui servent en personne.
La charge de la milice pèse, fréquemment, d'une manière plus lourde sur la famille du milicien que sur le milicien lui-même.
Et combien de ramilles sont réduites à la misère parce que le sort leur a enlevé le fils dont le travail les nourrissait !
A côté d'elles, d'autres familles échappent à cette cruelle situation.
C'est le sort qui l'a ainsi décidé.
Le projet de loi, qui fait rien pour les miliciens remplacés, ne fait rien non plus pour les familles des miliciens qui servent en personne. N'y a-t-il pas, en présence de cette lacune, quelque chose d'immoral dans l’amélioration de position que le projet de loi promet au milicien, parce (page 886) qu'on a exigé de lui un service qui a peut-être réduit ses père et mère à la mendicité ?
L'honorable M. Kervyn s'est préoccupé de cette situation. Le dernier paragraphe de son amendement permet au milicien de disposer d'une partie de son pécule soit en faveur de ses père et mère âgés ou infirmes, soit en faveur de ses frères ou sœurs mineurs ou orphelins. Je voudrais que cette idée trouvât place dans la loi qui sera votée.
La rémunération consiste, d'après le projet de loi, en une pension à laquelle les miliciens n'auront droit que lorsqu’ils auront atteint l’âge de 55 ans. On a dit, et cela n'est pas contesté, que les quatre dixièmes n'atteindront pas l'âge fixé ; pour eux, rien ne sera changé à ce qui existe ; seulement leur mort profitera aux survivants.
Cette combinaison financière est peut-être savante, mais je ne la crois pas équitable ; je pense qu'on devrait tout au moins accorder aux miliciens qui ont accompli leur temps de service, l'option entre la pension à échéance éloignée et conditionnelle et un pécule délivré en même temps que le congé définitif. Ce droit d'option présente à mes yeux deux avantages considérables.
D'abord le milicien, prenant possession du pécule, pourrait, soit soulager des parents vieux et infirmes, soit avancer l'époque de son mariage et entrer en ménage avec un petit capital, soit enfin se procurer les instruments de travail qui lui manquent.
Le mauvais emploi du pécule resterait, j'en suis convaincu, une exception très rare !
Si le milicien opte pour la pension, il accepte par cela même, de son plein gré, les chances aléatoires auxquelles elle est soumise ; l'un des reproches les plus graves qu'on puisse diriger contre le projet de loi, celui de frustrer impitoyablement de la rémunération les miliciens qui atteignent pas l'âge de 55 ans, viendrait à disparaitre.
Ce droit d'option serait certainement accueilli avec faveur par les classes peu favorisées de la fortune, par les classes d'ou sortent presque tous les miliciens. Un succès populaire n'est pas, ce me semble, à dédaigner en pareille matière.
Messieurs, je ne veux pas prolonger cet examen des dispositions du projet de loi. La suite de la discussion me montrera si je puis déposer, avec quelque chance de succès, un amendement. Je me propose, en tous cas, de me rallier à ceux qui seraient présentés par d'honorables collègues et qui se rapprocheraient des observations que viens d'avoir l’honneur de présenter.
MfFOµ. - Je rends toute justice à l'honorable orateur que vous avez entendu le premier dans la séance d'hier ; je reconnais qu'il a fait, à diverses époques, de grands efforts pour essayer d'améliorer, par des moyens sur l'efficacité desquels il croit pouvoir compter, soit la constitution de l'armée, soit le sort des miliciens.
Mais il a éprouvé un malheur, qui arrive parfois aux hommes qui ont une confiance absolue dans les systèmes dont ils sont les auteurs : c'est de ne pouvoir rallier à ses idées, non pas seulement le gouvernement, mais, on peut le dire, la plupart des membres de cette assemblée.
Il n'est pas juste, messieurs, de nous faire un grief des déceptions qu'a essuyées en cette circonstance l'honorable M. Kervyn. L'honorable membre a eu une passion malheureuse pour l'exonération ; il a cru qu'il y avait là une véritable panacée ; il s'est épris de cette idée à une époque où elle avait, je le reconnais, obtenu une grande faveur, à une époque où elle avait reçu son application dans un pays voisin, au moins sous une de ses formes.
Mais, soumise à l'épreuve de l'expérience, cette idée a complètement échoué, et il a fallu l'abandonner. Pourquoi se plaindre que nous n'ayons jamais partagé l'engouement qui se manifestait pour cette idée ? Pourquoi se plaindre que nous ne l'ayons pas défendue alors qu'elle était abandonnée par tout le monde, excepté par M. Kervyn ? Il y avait même dans l'idée telle qu'elle a été produite ici une aggravation considérable du système qui a été appliqué ailleurs. Le résultat auquel on aboutissait, en réalité, par le système dit d'exonération, c'était d'avoir des miliciens comme remplaçants forcés ! C'est-à-dire que c'est le système le plus inique qui ait jamais été produit devant une assemblée.
M. Rogierµ. - Je demande la parole.
MfFOµ. - Il ne faut pas, en effet, en ces matières s'attacher aux mots, dire qu'on pourra s'exonérer en versant une certaine somme dans les caisses de l'Etat. Il s'agit de savoir qui l'on trouvera pour remplaçant dans cette hypothèse ; la nécessité d'une armée étant démontrée, il s'agit de savoir où l'on prendra les éléments de cette armée.
Or, il a été prouvé qu'à défaut de pouvoir trouver des remplaçants en nombre suffisant, ce qui peut se produire dans bien des circonstances, il fallait nécessairement arriver à prendre comme tels les miliciens qui ne pouvaient pas s'exonérer, pour tenir compte de ceux qui avaient pu se racheter à prix d'argent.
Est-ce avec plus de raison que l'honorable M. Kervyn a introduit dans ce débat la question des pensions militaires, pour élever de ce chef encore un grief contre nous ? Car, à ses yeux, si nous négligeons les intérêts des miliciens, si nous les comprenons mal tout au moins, nous méconnaissons aussi les intérêts des officiers pensionnés.
Messieurs, il est très facile de se montrer large et généreux avec l'argent d'autrui ; il est facile, il est commode de reprocher au gouvernement de ne pas traiter convenablement les officiers pensionnés : on a un thème très agréable à soutenir, en venant prétendre qu'il faut leur donner une rémunération plus considérable que celle qu'ils ont obtenue jusqu'à présent.
Certes, messieurs, ce n'est pas nous, qui avons passé à peu près un quart de siècle à la tête de l'administration, ce n'est pas nous qu'on pourra accuser d'avoir jamais méconnu les intérêts des fonctionnaires publics, soit militaires soit civils. Nous les avons défendus en toutes circonstances. Quand un souffle d'économies à outrance inspirait un grand nombre de membres de cette Chambre, nous avons énergiquement défendu leur position. Nous avons donné encore une preuve éclatante de nos sentiments bienveillants à leur égard lorsque nous ayons proposé à cette Chambre, qui a sanctionné notre proposition, d'augmenter d'une rente annuelle de 6 millions de francs le traitement de tous les agents de l'Etat.
Mais, messieurs, nous n'avons pas que cet intérêt à considérer : le gouvernement et la Chambre surtout ont la mission de représenter et de défendre d'autres intérêts, qui sont ceux des contribuables.
Il faut, dans ces questions, considérer les uns et les autres ; et avant de se prononcer aussi facilement que faisait l'honorable membre sur la position des officiers pensionnés, il aurait fallu examiner attentivement cette situation. L’honorable membre a-t-il fait cet examen ? Connaît-il cette situation ? Sait-il quelle est cette situation, comparée à celle des autres fonctionnaires publics ? (Interruption.) Il l'ignore complètement, et je crois pouvoir dire que tous les membres de la Chambre l'ignorent également. Un examen nous a été demandé sur ce point ; nous l'avons promis, il sera fait et il sera communiqué à la Chambre dans un délai très rapproché. Alors seulement elle sera à même d'apprécier si les plaintes qu'on fait entendre sont fondées, dans quelles limites et pour quelles catégories d'officiers elles peuvent l'être.
Si ces plaintes peuvent se justifier pour certaines catégories de fonctionnaires publics appartenant à l'armée, il y aura lieu de vérifier s'il n'y a pas, au même titre, à prendre des mesures en faveur d'autres catégories de fonctionnaires publics appartenant à l'administration générale, mais qui n'ont pas élevé les mêmes réclamations. Vous aurez alors à apprécier quelle serait éventuellement la charge qu'il serait nécessaire d'imposer au trésor pour faire ce qui est considéré, fort à tort aujourd'hui, comme la réparation d'une injustice, et qui ne pourrait être considéré que comme une rémunération plus rationnelle à l'égard de vieux fonctionnaires de l'Etat.
Nous n'avons donc négligé ni les intérêts des officiers, ni ceux des miliciens ; depuis un grand nombre d'années, nous avons recherché tout ce qui pourrait être équitablement fait en faveur des miliciens. C'est nous qui avons pris l'initiative en cette matière. Mais c'est à tort que l'honorable Kervyn nous accuse de revendiquer le monopole de l'idée de la rémunération à l'égard des miliciens.
Il se trompe, messieurs ; nous ne revendiquons en aucune façon le monopole de cette idée, et l'honorable membre s'est singulièrement mépris s'il a cru, pour nous humilier à ce point de vue, devoir dire que la rémunération remonte à l'antiquité, qu'elle existait autrefois, qu'elle existe encore aujourd'hui et que, par conséquent, ni le gouvernement, ni la Chambre, n'auront un grand mérite à avoir constitué la rémunération telle qu'elle vous est proposée.
A ce sujet, il a invoqué le pécule du soldat romain ; et ici, notre honorable et savant collègue a commis une singulière erreur. Il existait, en effet, en faveur du soldat romain, un pécule. Mais qu'était-ce que ce pécule ?
D’après le droit romain primitif de la république, les fils de famille ne pouvaient rien posséder en propre. Après quelque temps, on remarqua qu'il y avait quelque chose d'extrêmement rigoureux dans l'application de ce principe qui était une des bases constitutives de la famille chez les Romains, et on s'est demandé pourquoi les soldats, qui avaient pris part aux combats, ne pouvaient pas même disposer de leur butin. Alors, comme (page 887) exception au droit primitif, on introduisit une disposition spéciale en faveur des gens de guerre pour leur accorder la faculté de jouir en propre de leur butin. C'est ce qui fut nommé « peculium castrense ».
Ce droit a subsisté sous la république et sous les consuls sans autre exception ; c’est seulement sous l'empire qu'on a étendu cette exception aux fils de famille, et ce pécule fut connu sous le nom de : « peculium quasi castrense ».
Mais ce pécule était-il donné aux soldats pour rémunérer le service militaire ? Cela n'avait rien de commun avec la rémunération, qui était la solde da soldat, comme elle l'est encore aujourd'hui.
Ce n'est pas, messieurs, que dans divers pays, soit pour encourager le service militaire, soit pour récompenser les vieux serviteurs qui comp taient trente ou quarante ans de service, soit pour constituer une armée sur des confins militaires comme on l'a vu en Autriche, et comme cela a existé dans d'autres pays, des dotations n'aient été accordées à ceux qui avaient servi dans l'armée. Mais cela n'a aucun rapport avec le système de rémunération que nous proposons. Ce qui est nouveau dans ce projet, ce qui n'a pas d'analogie ailleurs, comme cela a été signalé, c'est la rémunération spéciale accordée dans les pays l'armée se trouve constituée par voie de recrutement, dans les pays où la charge militaire est déclarée personnelle et obligatoire ; c'est la rémunération accordée à ceux qui ont cette charge militaire, et qui n'existe dans aucune législation connue. C'est celle-là que nous vous proposons. Nous proposons d'accorder une rémunération, non pas pour le temps de guerre, mais, au contraire, pour le service exceptionnel du temps de paix.
C'est le principe fondamental du projet ; c'est celui qui donne la solution de toutes les questions qui ont été posées par la section centrale, solution qui serait peut-être différente, si la rémunération était applicable à raison du cas de guerre.
Messieurs, cette idée, nous l'avons poursuivie, il est vrai, depuis longtemps. Nous avons essayé, en maintes circonstances, de la faire prévaloir. Elle a été proposée par nous à la commission instituée en 1858 ; et l'honorable M. Kervyn a supposé à tort que cette commission avait combattu le projet avant qu'il eût été formulé. Il n'en est rien. L'idée avait été communiquée à la commission, et celle-ci, je le reconnais, l'a écartée. Le gouvernement n'y a pas moins persévéré.
Dans le discours du trône de 1861, il a été annoncé qu'on proposerait cette rémunération pour les miliciens, et en 1862, le gouvernement tout entier, persévérant dans cette idée, l’a formulée dans un projet de loi qui a été présenté à la Chambre. Soumis à l'épreuve des sections, ce projet de loi a été combattu.
Le système de la rémunération, non pas tel qu'il se trouve formulé dans le projet actuel, mais dans la forme qui lui avait été donnée primitivement, a rencontré des objections considérables.
Ces objections, messieurs, ont été examinées, scrutées, et nous croyons que nous y avons fait droit, par les modifications que nous avons introduites dans mode la rémunération. Le projet a subi l'épreuve du feu, il a été épuré dans cet examen. Voyons quelles sont les différences.
Le projet primitif, c'était la rente de 150 francs à de 55 ans, quelle que la durée du temps de service. Il y avait de grandes difficultés à vouloir proportionner la rente au temps de service, parce que le dommage que l'on voulait réparer par l'indemnité était essuyé, en grande partie, aussi bien pour un service moindre que pour un service plus considérable.
Eh bien, après de longs débats, après beaucoup d'objections émanées de la section centrale, mon honorable ami M. le ministre de l’intérieur, appelé cette fois à s'occuper de cette question, comme l'avait été son prédécesseur, a trouvé une formule qui a donné satisfaction à l'objection. Le principe de la rente viagère a été maintenu, mais a fait une part à la durée du service. La rente a été décomposée. Une somme fixe de 150 fr. est allouée à tout milicien et on y ajoute une espèce de paye de 12 centimes par jour de présence sous les drapeaux, faisant ainsi qu'à raison d'une durée plus longue de service, une rémunération plus considérable soit acquise au milicien. Or, la grande objection qui a été faite par la section centrale à cette époque, reposait précisément sur ce point que la rente était uniforme quelle que fût la durée du service. Cette première objection a donc été levée.
Il en avait été fait une autre. On était frappé (et nous ne dissimulons pas que c'est là, assurément, un des vices, si vous voulez, de la proposition que vous êtes appelés à examiner), on était frappé de la circonstance que la rémunération était reportée à un temps éloigné. N'était-il pas possible de trouver entre l’idée d’une jouissance rapprochée et celle d'une jouissance éloignée, un terme moyen qui pût également donner satisfaction aux objectons qui étaient présentées ?
Sur ce point encore, messieurs, une idée a été émise par mon honorable ami, qui permet d’accorder aux miliciens la disposition anticipée de la somme destinée la création de la rente viagère, à la condition de l'appliquer à l'exonération de ses enfants. C'est là une jouissance rapprochée ; ce n'est pas la jouissance éloignée d'une rente à 55 ans ; c'est une disponibilité presque immédiate.
Au moment où il lui nait un enfant, il peut immédiatement obtenir le moyen d’exonérer son fils et, comme vous l'aurez vu par les développements que nous avons donnés à la proposition, mon honorable collègue et moi, avec la somme mise à la disposition du milicien, le père de famille pourrait ainsi arriver à exonérer jusqu'à trois de ses enfants. Ce résultat est assez important, au point de vue de l'argument sur lequel on appuie toujours, celui de l'éloignement de la rémunération.
Enfin, une troisième amélioration non moins importante a été apportée au projet primitif. C’est la disposition qui permet de faire participer la femme à la jouissance de la rente acquise par le milicien.
Est-il étonnant, messieurs, que le projet de loi qui, à certaine époque, rencontrait des objections sérieuses, ait cessé de soulever ces objections, du moment que l'on y a fait droit ? On nous dit : Il y a quelque temps, le projet n'aurait pas été accepté par la Chambre, et cependant il le sera aujourd'hui ! Quelle contradiction ! Eh bien, il n'y aura pas la moindre contradiction. L'opposition faite au projet reposait sur des motifs que l'on a fait disparaître. On s'est ingénié faire droit, dans la mesure du possible, aux différentes objections qui avaient été formulées, tout en conservant le principe de la rente viagère.
Messieurs, lorsqu'il s'agit d'opérer sur des masses, on fait très facilement illusion sur les avantages que l'on peut obtenir à l'aide de sommes que l'on croit assez minimes. On veut accorder immédiatement une certaine somme au milicien, c’est-à-dire lorsqu'il obtient son congé définitif. Mais pour lui accorder très peu de chose, il faut des millions, et ces millions se trouveront dépensés en pure perte, pour le plus grand nombre ; ils seront réellement gaspillés. (Interruption.)
Non ! dit l'honorable M. Kervyn. L'honorable membre paraît convaincu que si l'on remet aux jeunes gens une somme plus ou moins importante, quelques centaines de francs, ils vont en faire l'application la plus utile soit à eux, soit à leurs familles.
M. Kervyn de Lettenhove. - Quand ils sont rentrés dans leur famille.
MfFOµ. - Eh bien, l'expérience prouve contre vous. Si cet esprit de prévoyance auquel vous paraissez croire existait réellement dans les classes ouvrières, vous ne verriez pas la misère qui règne dans une partie de ces classes.
Il est incontestable que si l'ouvrier était animé de l'esprit de prévoyance que vous lui supposez, il économiserait pour les jours mauvais et, avec les salaires élevés d'aujourd'hui, il est certain que l'économie est possible dans une certaine mesure pour un grand nombre d'ouvriers.
Mais, je le répète, l'expérience est contre vous. Elle a été faite en France. En France, avec le système d'exonération qui a été pratiqué, qu'a-t-on constaté ? Lorsqu'arrivait le moment où les miliciens recevaient les mille francs auxquels chacun avait droit, et quand il y avait cent individus à payer, il y avait une somme de 100,000 francs entre les mains de ces hommes.
Or, on a constaté que ces 100,000 francs étaient presque immédiatement dépensés avec les anciens camarades du régiment ! Les choses ont été à ce point, comme me le disait tantôt mon honorable collègue M. le ministre de la guerre, qu'il fallut interdire l'approche du régiment à ceux qui venaient de recevoir la prime d'exonération. On fut obligé de les envoyer au loin pendant trois mois, pour les soustraire aux influences que l'on croyait de nature à leur faire dissiper l'argent reçu. Après ces trois mois, néanmoins, ils revenaient au régiment, le pécule ayant été dépensé ailleurs. Voilà la vérité.
Notre projet, messieurs, fait de la prévoyance au profit des individus. Il y a erreur à prétendre que, dans le système de ce projet, la rémunération n'est pas immédiate.
Elle est en réalité immédiate. Tous les miliciens qui ont servi obtiennent la somme qui leur est promise. Seulement, il y a un emploi déterminé de cet argent. Supposez que nous disions aujourd'hui aux fonctionnaires publics que nous leur donnons chacun une somme de 500 francs, à charge de l'employer à l’achat d'une rente viagère au profit de leurs femmes : n'aurons- nous pas donné la somme parce que nous l'aurons donnée sous une condition que nous croyons juste, équitable, favorable au but que nous voulons atteindre ?
(page 888) C'est ce que nous faisons dans le cas particulier qui nous occupe. Nous donnons au milicien une certaine somme, sous condition d'un emploi déterminé. Notez qu'il n'y a pas, de la part de l'Etat, une obligation stricte. Ce n'est qu’une libéralité à laquelle il met une condition équitable, celle de faire une chose qui sera à la fois profitable à l'individu et à la société.
L'avantage social sera immense, messieurs. et voilà surtout ce qu'il faut considérer. Au lieu d'une classe de personnes qui, arrivées à 55 ans, se trouvent en général la charge de leurs familles ou de la société, qui vivent dans les hospices et dans les dépôts de mendicité, vous aurez des individus ayant acquis une rente parce qu'ils auront servi l'Etat, pendant un temps très court.
Voilà le bienfait social. Et pour en mesurer toute l'étendue, il suffit de supputer le chiffre auquel s'élèveront les rentes à payer chaque année. Eh bien, lorsque le fonds sera complet, normal, lorsque le fonds des entrants sera balancé par le fonds des sortants, il s’élèvera à plus de 10 millions, c'est-à-dire au double du revenu de tous les bureaux de bienfaisance de la Belgique accumulé depuis de siècles. (Interruption.)
Dix à onze millions seront distribués à titre d'indemnité, et non plus d'une manière que j'appellerai corruptrice et démoralisatrice. Cette somme sera répartie sur toute la surface du pays entre les mains de ceux qui l'auront conquise par un service rendu à l'Etat.
Je dis que vous aurez ainsi relevé à la fois leur dignité et leur position matérielle. (Interruption.)
Mais, dit-on, la position que l'on ferait aux miliciens serait injuste, puisque les survivants seuls jouiraient de la rente qui a été promise à tous. Messieurs, formuler une objection de cette nature, c'est attaquer le principe même des tontines, des caisses de retraite, des rentes viagères combinées. Sans doute, il serait, à la rigueur, préférable que l'on pût donner à tous les miliciens, pour en faire profiter leurs familles, une certaine somme, qui serait d'ailleurs suffisante. Mais comme nous l'avons démontré, comme tout le monde est obligé de reconnaitre, les sommes à donner dans cette hypothèse deviennent insignifiantes pour l'individu, tout en représentant des millions à payer par l'Etat.
Il faut donc chercher une autre combinaison ; et quelle autre combinaison plus satisfaisante que celle que nous proposons ? En quoi consiste-t-elle ? A dire à un groupe d'hommes : Associez-vous, unissez-vous : individuellement, chacun de vous ne pourra retirer grand profit de la somme modique qui lui est attribuée. Eh, bien, mettez en commun ces sommes et que les survivants aient un sort plus heureux, que leur situation soit ainsi améliorée.
Voilà quel est l'objet des tontines et dos caisses de retraites que vous avez fondées avec l'espoir, malheureusement trompé, de voir les classes laborieuses y participer pour assurer leur existence dans leurs vieux jours ; voilà aussi ce que vous pouvez obtenir par la loi que nous vous convions à voter.
Et vous obtiendrez encore par cette loi un autre résultat très important qui mérite d'être pris en sérieuse considération : c'est de contribuer dans une très large mesure à l'éducation de la classe populaire, sous le rapport où il est le plus intéressant de l'éclairer, sous le rapport de la prévoyance. Chaque milicien ayant fait son temps de service, recevra le brevet de sa pension, pour en jouir à l'âge déterminé par la loi. Mais il lui sera enseigné en même temps, et par cela même, qu'à l'aide d'une petite épargne, il pourra contribuer à accroitre sa rente, à augmenter son bien-être ; il lui sera enseigné qu'avec des économies très minimes. il pourra porter sa pension à 200, à 250 francs ; c'est-à-dire se créer une véritable aisance relative pour le moment où ses forces épuisées ne lui permettront plus de se suffire par son travail, moment toujours si pénible et si plein d'angoisse pour l'homme qui n'a pas su le prévoir et s'y préparer.
Ne sera-ce pas encore un bienfait, ne sera-ce pas encore un service immense rendu à la société ?
Tout considéré, messieurs, qu'oppose-t-on à notre système ?
L'honorable M. Kervyn, dont je ne saurais trop louer les excellentes intentions, qui a le désir de faire bien, à quoi aboutit-il ? Il aboutit à vous proposer de donner 6 francs par mois au milicien et à grever ainsi l'Etat d'une manière tout à fait stérile, sans profit pour l'individu ni pour la société, d'une charge de 1.400,000 francs par an.
Voilà le système. Je demande qu'on le juge et qu'on décide lequel de celui-là ou de celui que nous proposons est le meilleur et le plus avantageux pour tous : 1,400,000 francs dépensés d'une manière stérile, sans avantage pour l'individu et sans intérêt social, ou 2 millions portés annuellement au budget et qui serviront à constituer 10 millions de rentes dans un temps donné, au profit de certaine classe de la société.
M. Kervyn, à propos de l'élévation du chiffre que nous proposons, nous a fait un reproche ; il nous critique parce que nous manquons aux principes économiques, en immobilisant annuellement an capital de deux millions destinés constituer des rentes viagères.
Nous pourrions, si cette objection était fondée, satisfaire immédiatement M. Kervyn. Nous ne porterions rien au budget : nous inscririons seulement l'obligation, et nos successeurs, à l'époque des échéances des rentes, les acquitteraient. (Interruption.) Eh bien, nous ne nous trouvons pas ce système sage, nous ne le trouvons pas conforme à une bonne politique, Nous croyons que toutes les générations ont leurs charges et que c'est un abus, un véritable abus de pouvoir que de grever les générations futures de toutes les charges ou d'une partie des charges que devrait supporter la génération présente.
C’est pourquoi nous faisons figurer au budget la part qui revient légitimement aux générations actuelles. Pour acquitter cette charge, nous constituons la rente ; mais l'obligation serait la même si nous n'inscrivions rien au budget. Ultérieurement on aurait à ouvrir des crédits.
Si vous vouliez, du reste, messieurs, donner plus de popularité à la mesure qui vous est soumise, vous pourriez anticiper, vous pourriez faire une application rétroactive du système qui vous est proposé ! On pourrait réaliser l'idée de l'honorable M. Kervyn en l'appliquant actuellement.
Il propose de mettre à charge de nos successeurs, de nos enfants, le payement des rentes. Mais, messieurs, appliquons-nous cette mesure à nous-mêmes : inscrivons aujourd'hui 10 millions de rente au budget et rémunérons ceux qui ont fait un service de milice dans des temps passés.
M. Coomans. - Ce serait juste.
MfFOµ. - Faisons-nous à nous-mêmes l'application immédiate de la loi : ce sera ce que désire l'honorable M. Kervyn pour nos successeurs. Je ne pense pas qu'on soit disposé précisément à appliquer un pareil système. Il est regrettable qu'il ne l'ait pas été autrefois, que nous n'ayons pas aujourd'hui des personnes jouissance de leur rente. Il est regrettable qu'il faille attendre si longtemps avant que ces pensions viennent à être payées ; mais ce n’est pas précisément une raison pour que nous imposions aujourd'hui 10 millions de charges aux contribuables, afin d'acquitter ces rente et de réparer, si vous voulez, l'erreur ou l'oubli des temps passés.
A côté de cette proposition de l'honorable M. Kervyn, il y en a une antre : c'est celle de M. de Theux.
L'honorable M. de Theux admet le principe de la loi ; mais il cherche à la modifier en un point, afin de hâter l'époque de l'entrée en jouissance de la pension.
L'idée qu'émettait l'honorable membre avait, au premier abord, quelque chose de très séduisant ; au lieu, disait-il, de payer une rente plus élevée à ceux qui auront fait un temps de plus long, payez plus promptement une rente moins forte. Mais, examen fait, les résultats auxquels on aboutit ne permettent pas de se rallier à cette idée. La différence de l'entrée en jouissance pour la rente de 100 francs, ayant pour base une annuité de deux millions, différerait très peu de l'entrée en jouissance de la rente actuelle, beaucoup plus élevée.
Nous avons fait distribuer, pendant la séance, une note qui indique l'application du système de l'honorable M. de Theux. Il en résulterait que la rente de 100 francs au profit des miliciens qui auraient servi quatre années, ne pourrait commencer qu'à l’âge de 49 ans 10 mois, soit à 50 ans ; celui qui aurait servi pendant trois ans ne toucherait sa pension qu'à 52 ans, et celui qui n'aurait servi que deux ans serait pensionné à 53 ans ; de telle sorte que, pour une différence de cinq, trois ou deux ans, il y aurait une différence de 80 francs au maximum et de 30 francs au minimum dans le montant de la rente.
Dans cette hypothèse, les futurs rentiers aimeraient beaucoup mieux attendre deux, trois ou cinq ans de plus, pour avoir une rente beaucoup plus considérable.
Il y aurait en outre cet inconvénient, par suite des modifications introduites dans le projet primitif, que la vente se trouverait considérablement réduite lorsqu'elle devrait être établie sur deux têtes.
Je ne pense donc pas que l'honorable M. de Theux persistera dans son amendement, car il ne présente guère d'avantages.
J'ai recherché si, au moyen d'un certain accroissement du fonds, on ne pourrait pas tout au moins obtenir des résultats favorables par l'amendement de M. de Theux ; mais les calculs auxquels on s'est livré à cet égard démontrent d'une manière péremptoire que, pour avoir un résultat insignifiant, il faudrait un accroissement extrêmement considérable.
(page 889) Pour assurer à 1,200 cavaliers une rente annuelle viagère de 100 francs à l'âge de 40 ans, il faut une dotation de 812,000 francs.
Pour assurer à 1,800 fantassins une pareille rente à 45 ans il faudrait 823,200 fr., et pour 4,500 fantassins, à 48 ans, il faudrait 1,655,778 fr.
Il y aurait donc à porter la dotation à 3,288,978 francs, et les résultats que l'on obtiendrait ne seraient pas en rapport avec les sacrifices qu'il faudrait s'imposer.
Il est à remarquer que, lorsqu'il s'agit de la constitution de ces pensions, il y a trois éléments qui concourent au résultat final et qui deviennent plus puissants à mesure que l'âge s'élève, que le nombre des participants diminue, et que l'accumulation des intérêts s'accroît.
Ainsi que je viens de le démontrer, on ne saurait obtenir, par l'amendement de M. de Theux, que des résultats minimes pour une différence de quelques années.
Je pense donc, messieurs, qu'après avoir examiné attentivement toutes les propositions dont elle est saisie, la Chambre reconnaitra que le système présenté par le gouvernement est celui qui doit être admis comme le plus favorable pour la société, pour les miliciens et pour le trésor public.
M. Rogierµ. - Messieurs, lorsque M. le ministre des finances a fait tantôt l’oraison funèbre de la proposition d'un honorable représentant en ce qui concerne l'exonération, j'ai cru comprendre que l'honorable ministre adressait aussi ses compliments de condoléance à d'autres membres qui soutenu le système de l'exonération.
MfFOµ - Il y a dix systèmes.
M. Rogierµ. - Oui, il y a d'autres systèmes que celui de l'honorable N. Kervyn. Quant au principe de l'exonération, je me suis trouvé d'accord avec l'honorable membre, mais nous avons différé au point de vue pratique. Le principe de l'exonération compte beaucoup d'adhérents dans cette Chambre et même sur le banc ministériel. En effet, qu'est-ce que le principe de l'exonération ? Mais il est mis en pratique chaque jour par des entrepreneurs qui, moyennant une somme versée avant le tirage au sort, se chargent de fournir un remplaçant pour celui qui est désigné par le sort.
Seulement, ici ce principe est exercé par des associations qui n'ont en vue que leurs intérêts propres et non l'intérêt des miliciens et des remplaçants, qui viennent en seconde ou en troisième ligne.
Messieurs, voici comment je comprends le système d'exonération.
MfFOµ. - Nous l'avons admis dans la loi. Le système de tontine y a été inscrit.
M. Rogierµ. - Donc le système d'exonération a du bon, mais il n'est pas encore mis en pratique, et c'est là-dessus que je voudrais aussi produire quelques-unes de mes idées.
Si nous sommes d'accord avec le gouvernement sur ce principe, je lui demanderai de quelle manière on entend le mettre à exécution.
Sur 45,000 individus au moins (et ce nombre doit augmenter chaque année avec la population) inscrits pour la milice, il en est 10,000 à 12,000 qui doivent le service. Restent 34,000 qui ont des chances de ne pas servir, si le sort ne les désigne pas ou s’ils ont des causes d'exemption personnelle.
Mais il est un grand nombre de ces miliciens qui sont en état de fournir une somme modérée pour s'exempter, en tout cas, du service. Seulement au lieu de faire leur versement dans telle ou telle société ou entreprise particulière, je demande qu'ils fassent leurs versements dans une caisse de l'Etat et que l'Etat se charge de fournir les remplaçants.
Voilà tout le système. Il existe jusqu'à un certain point en germe aujourd'hui. Déjà, en effet, M. le ministre de la guerre fournit des remplaçants autant qu'il peut en fournir aux individus qui désirent se libérer du service et font un versement qui va de 1,200 1,500 francs. Il n'est parvenu à en fournir qu'un nombre restreint, parce que l'industrie particulière lui fait une grande et désastreuse concurrence. M. le ministre de la guerre n'admet comme remplaçants que les hommes qu'il choisit lui-même dans les rangs de l'armée ; les sociétés particulières vont rechercher les hommes qu'ils peuvent se procurer aux meilleures conditions. Ils cherchent à se procurer la marchandise qu'ils doivent livrer au meilleur prix possible et se la font payer le plus cher possible.
Eh bien, je suppose que, sur les 45,000 individus inscrits et au delà, 15,000 veuillent s'exonérer par le versement préalable d'une somme de 1,000 francs. Voilà 15 millions dans les caisses de l'Etat.
Avec ces 15 millions, le gouvernement va faire face à combien ? Sur les 15,000 individus qui s'exonèrent par un versement préalable, il y en a les deux tiers qui ne seront pas désignés par le sort, dont les versements seront acquis à la caisse. Il y aura au remplacement du tiers que le sort aura désigné.
En supposant que vous donniez aux remplaçants 1,200 francs, avec 6 millions, vous pourvoirez au remplacement de ceux que le sort aura désignés. II vous restera 9 millions dans votre caisse d'exonération. Si vous le voulez, je puis augmenter le nombre des remplaçants. Mais il vous restera encore un bénéfice très considérable, bénéfice très loyal qui se fait dans l'intérêt général, et ce bénéfice, je vous dirai tout à l'heure ce que vous en ferez.
Ce système, j'ai essayé de le faire prévaloir depuis bien des années. Je demande que le gouvernement se charge lui-même de fournir l'armée les hommes dont il a besoin ; au lieu d'avoir dans l'armée des remplaçants qui vont servir comme serviteurs d'un particulier, on aura des serviteurs de l’Etat, on aura des soldats de l’Etat qui serviront honorablement, pour de l'argent, comme on sert dans d'autres fonctions.
Après tout ce qu'on a écrit à cet égard, après tout ce qui a été dit par le ministre de la guerre lui-même, je m'étonne qu'on ne soit pas plus frappé de la nécessité de réformer le mode de remplacement.
Si vous voulez avoir de bons soldats, il faut les choisir vous-mêmes, et si vous les payez convenablement, vous en aurez.
Ils arriveront à l'armée la tête haute, ils ne seront plus désignés comme mauvais remplaçants, comme des gens qui ont vendu leur corps et leur âme.
De cette façon, vous trouverez dans l'armée même beaucoup de remplaçants, mais vous les aurez épurés et relevés à leurs propres yeux, tandis que les soldats qui y rentrent comme remplaçant tel ou tel, n'y rentrent qu'avec une sorte de marque de déshonneur.
Le mot de « remplaçant » disparaitra ; ce seront des engagés, des soldats qui ont le goût de l'état militaire et qui ne sont pas fâchés de recevoir leur récompense en même temps qu'ils remplissent leur devoir.
Je crois, messieurs, que c'est là une réforme possible, une réforme qu'il faut rechercher par tous les moyens. Ou bien tout ce qui a été dit des remplaçants est une fable, un roman, ou bien, si les remplaçants sont, dans l'armée, cet élément délétère, dont on nous a parlé, il faut les supprimer à tout prix.
Eh bien, messieurs, avec cette caisse d'exonération, il y aura des ressources considérables et ce sont ces ressources-là que je voudrais consacrer aux miliciens qui n'ont pas été remplacés, qui ont servi pour leur propre compte. Avec les fonds de la caisse d'exonération, on ferait face aux dépenses de la caisse des pensions.
Messieurs, il faut y prendre garde ; je suis, moi, pour le système du gouvernement. J'approuve beaucoup le système des pensions ; l'honorable ministre des finances a donné d'excellentes raisons et je ne veux pas insister ; mais il ne faut pas se dissimuler que nous imposons là un sacrifice considérable au budget.
Je suis de l'avis de l’honorable ministre des finances : c'est une mauvaise politique de reporter sur l'avenir des charges qui incombent au présent, mais enfin ce sont deux millions dont on grève le budget des dépenses militaires, et, prenons-y garde, beaucoup d'entre nous aiment l'institution de l'armée, la défendent chaque fois que l'occasion s'en présente, mais il faut craindre les réactions ; il ne faut pas que le budget de la guerre reçoive tous les ans des augmentations. Or, messieurs, il s'agit ici de deux millions.
Je ne parte pas des 10 millions qui seront accumulés plus tard. C'est autre chose.
Mais nous avons augmenté le budget des dépenses militaires de 2 millions par an.
J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre des finances. Je voudrais lui voir trouver le moyen de couvrir ces 2 millions par la caisse d'exonération dont je viens de tracer l’esquisse.
Messieurs, j’aurai quelques questions à faire à MM. les ministres sur la loi.
Le principe de la pension est maintenu : c'est 150 francs à 55 ans d'âge.
MfFOµ. - Elle est variable.
MiPµ. - 150 francs, c'est la moyenne.
M. Rogierµ. - On a tenu compte d’une observation très juste : c'est que les services sont récompensés selon leur durée.
C'est très équitable, mais on ne peut se dissimuler qu'il y aura, dans l’application, des difficultés assez grandes.
Vous imputez à chaque soldat le nombre de jours qu'il a passés sous les armes, il y aura une comptabilité très compliquée dans chaque compagnie.
Il faudra, par exemple, déduire les jours de permission et de maladie provenant du fait de l'individu.
MfFOµ. - Tout cela existe aujourd'hui pour la solde.
M. Rogierµ. - Cela me paraît difficile, mais ce n'est là qu'un détail, je n'y insiste pas.
Voilà donc une amélioration.
Il est une seconde proposition que l'on nous donne comme une amélioration et que je ne puis, en conscience, accepter comme telle.
A ceux qui voudraient que le milicien pût, immédiatement après le service, disposer du capital qu'il a acquis, on répond que, dans un cas donné, le milicien veut, par exemple, disposer de son capital pour préparer l’exemption de son fils, il pourra le faire.
Je n’approuve pas cela. Il me semble qu'il y a là quelque chose qui est contraire à l'esprit militaire.
Je préférerais voir le soldat continuer, jusqu'à un certain point, les traditions de l'armée et dire : J'ai servi mon pays, mes enfants serviront le pays.
J'aime mieux ce sentiment-là que la préoccupation qui consiste, chez le soldat, à racheter ses enfants du service militaire.
C’est un côté moral de la question que je me permets de soumettre à la Chambre. J'espère qu'elle comprendra mes intentions.
Et maintenant, dans quelle caisse sera-t-il permis de faire cette opération ? Qui sera chargé d'y procéder pour ce milicien, pour ce soldat, qui dira : Moi je ne veux pas que mon fils fasse mon métier. Il aura verser dans une caisse tontinière une certaine somme ! Que sera cette caisse, par qui sera-t-elle gérée ?
MfFOµ. - Par le gouvernement.
M. Rogierµ. - C'est une garantie ; mais qui fournira le remplaçant ? M. Rogier. La tontine se chargera-t-elle de donner le remplaçant ou donnera-t-elle seulement une somme au milicien au moment son fils devra servir ? C'est ici que je reviens ma thèse de l'exonération. (Interruption.) A mon avis, la caisse tontinière ne sera complètement bonne que lorsque ayant reçu les fonds de l'exonération, elle fournira en même temps les remplaçants.
On m'objectera peut-être que le ministre de la guerre ne sera pas toujours en état de fournir le nombre de remplaçants voulu, que les demandes pourraient dépasser le nombre d'hommes disponibles. Mais qu'est-ce qui empêcherait M. le ministre de la guerre de faire chaque année le relevé dans les communes de tous les hommes disposés à prendre du service ? Qu'est-ce qui l'empêcherait de faire dans l'armée même concurrence à tons ces coureurs qui viennent recruter les soldats pour le compte des sociétés ? (Interruption.)
Il serait certainement très facile, dans chaque commune un peu importante, de relever le nombre d'hommes disposés à prendre du service dans l'armée et de ceux qui sont disposés à se faire remplacer. On pourrait employer à ce travail un assez grand nombre d'officiers qui se plaignent aujourd'hui de l'insuffisance de leur pension.
Vient la troisième amélioration, et ici encore j'ai besoin d'une explication. Il s'agit de l'extension de la pension à la femme.
Dans le principe, c'était l'homme seul qui jouissait d'une pension à l'âge de 55 ans ; aujourd’hui l’homme pourra reverser sa pension sur sa femme. Il y aura donc, au lieu d'une tête, deux têtes ; au lieu d'un décès, deux décès. Mais la loi ne dit pas très clairement à quel âge la femme pourra jouir de la pension ; pourra-t-elle jouir à tout âge ou devra-t-elle attendre l'âge de 55 ans ? (Interruption.)
Si la femme ne doit pas avoir l'âge de 55 ans pour jouir de la pension, le milicien à l'âge de 45 ans, par exemple, ayant en perspective une pension de 150 francs, trouvera, quand il le voudra, des amateurs pour le mariage ; il aura le choix. (Interruption.)
Ne riez pas, messieurs, 150 francs de rente à la campagne et même dans beaucoup de petites villes, c'est une petite fortune.
C'est, je suppose, M. le ministre de l'intérieur qui est l'inventeur de cette idée : je ne sais s'il est conforme à ses principes de pousser au mariage.
Eh bien, admettez que ces candidats pensionnaires, ayant la perspective d'offrir une rente de 150 francs et plus peut-être, trouvent des femmes da 50 ans. Celles-là ne mourront pas à 55 ans, elle vivront plus longtemps que leur mari et continueront leur pension.
MfFOµ. - Pas la même ; elle sera en raison de l'âge.
M. Rogierµ. - La pension sera diminuée, mais il restera toujours une partie de la pension continuée ; la pension ne s'éteindra pas complètement. Il en restera une partie au profit de la femme, qui continuera à vivre jusqu'à 80 ans, peut-être. Il y a donc là une aggravation de dépense ; je ne sais, messieurs, si on l’a calculée d'une manière exacte.
Ainsi, avec vos 2 millions par an, vous allez payer une pension à tous les anciens militaires et puis la continuer en partie sur les femmes survivantes, alors même qu'elles n'auraient pas atteint 55 ans, Est-est bien cela ?
MiPµ. - La pension est mise sur les deux têtes ; dans le cas de décès du mari, la pension tout entière est continuée à la veuve.
M. Rogierµ. - Quel que soit l'âge de la femme ?
M. le président. - Mieux vaudrait que M. le ministre vous donnât immédiatement l'explication M. Rogier, car il y a un point de dissentiment entre vous.
M. Rogierµ. - Je n'ai plus que quelques mots à ajouter, M. le président.
Messieurs, dans la loi on parle toujours da « milicien »; je voudrais savoir comment il faut entendre ce mot. Un volontaire qui a été désigné par le sort comme milicien, est-il milicien ?
MiPµ. - Il devient milicien ; cela est décidé par la loi.
M. Rogierµ. - Un officier qui a été milicien, qui a commencé par là, sera-t-il traité comme milicien relativement la pension ?
MfFOµ. - C'est dit dans la loi.
M. Rogierµ. - Cela n'est pas clair. La loi ne dit pas que l'officier continuera à être considéré comme milicien.
Maintenant, messieurs, ceci est important. Le milicien peut-il, après sa libération, continuer à faire des versements à la caisse de pensions ?
MfFOµ. - Voyez l'article 9 ; cela indiqué.
M. Rogierµ. - Je trouve, messieurs, que cette caisse de pensions dans laquelle se versent des ressources précieuses aux miliciens prévoyants et économes, il faut rechercher les moyens de t'alimenter.
Je voudrais que les miliciens pussent faire des versements même après leur exonération ; je voudrais que M. le ministre de la guerre, alors qu'il admet le remplacement moyennant de verser 1,200 francs, retienne une partie de cette somme pour la placer dans la caisse de pensions et assurer ainsi un sort pour les miliciens qui ont remplacé, de manière à ne pas remettre entre leurs mains toute la somme destinée au remplacement.
En résumé, j'approuve le principe de la loi ; je le voterai avec grand plaisir et les observations de détail que je viens présenter n’ont pas pour but de détourner des votes approbatifs.
Je reviendrai peut-être encore des détails lors de discussion des articles
M. Woutersµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport sur le projet de loi portant des dispositions additionnelles à la loi du avril 1868 sur les extraditions.
M. le président. - Je propose à la Chambre de porter cet objet à l’ordre du jour à la suite de la discussion qui occupe la Chambre ce moment.
- Adopté.
M. Lelièvreµ (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau une pétition concernant le projet de chemin de fer de Tamines ou Auvelais jusqu'à la Meuse.
La pétition demande que le gouvernement soit autorisé à prendre Gembloux pour point de départ, ainsi que cela a été arrêté primitivement.
Je prie le gouvernement de faire en sorte qu'il en soit ainsi et d’introduire en ce sens un amendement au projet de loi. J'ai fait une motion d'ordre, afin de mettre le gouvernement à même d'examiner la question ayant le commencement de la discussion ; il ne s'agit que de donner au ministère une autorisation à l'effet de traiter l'objet en question.
MiPµ. - Si la Chambre ne veut pas m'entendre aujourd'hui, je suis prêt à ne prendre la parole que demain ; mais je n'ai que quelques observations à présenter en réponse aux demandes faites par l'honorable M. Rogier. Je n'ai pas à faire un discours, j'ai quelques explications à donner ; je serai donc très court.
L'honorable M. Rogier nous demandé quel serait le système à adopter pour permettre au mari de faire profiter sa femme de la rente.
(page 891) Voici quel serait le système :
Le mari peut, non pas transférer une partie de la rente sur la tête de sa femme, mais il peut faire que la rente repose entière sur deux tètes, c'est-à-dire qu'elle se paye entière pendant la vie des époux et qu'elle se continue toute entière après la mort de l'un d'eux.
La réduction de la rente sera plus considérable lorsque la différence d'âge entre les deux époux sera plus grande : si la femme a 40 ans, la rente sera plus torte ; si, au contraire, elle n'a que 30 ans, elle sera moins forte.
L'honorable M. Rogier a demandé si le volontaire devenu milicien jouirait de la rente. Oui. dès l'instant où il est milicien, il a droit, comme les autres miliciens. au bénéfice de la loi.
S'il devient officier, il est de même. Pourvu qu'il ait rempli son temps de service, il a droit à la rente.
Quant aux versements ultérieurs, Il n'y a aucune difficulté à les admettre. La caisse de retraite, du reste, existe aujourd'hui et il est assez indifférent qu'on fasse ces versements à la caisse de retraite ou à la caisse tontinière.
Messieurs, j'aurais voulu répondre quelques mots à l'honorable Rogier sur la question de l'exonération. Mais la Chambre désire lever la séance.
- La séance est levée à 4 heures et demie.