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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 1 avril 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 685) M. de Rossiusµ procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre ;

« Les membres de l'administration communale de Caneghem prient la Chambre d'autoriser la concession, au sieur Willequet, d’un chemin de fer de Thielt à Langerbrugge. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur De Lathuy demande le maintien du droit à l’entrée du sel raffiné. »

- Renvoi la section centrale chargée d'examiner le projet de loi portant abolition du droit sur le sel.


« Le conseil communal de Châtillon prie la Chambre d'autoriser la concession d’un chemin de fer de Givet à Athus, demandée par le sieur Brassine. »

- Renvoi la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Les membres du conseil communal de Moerzeke proposent des modifications au projet de loi sur le domicile de secours. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Des habitants de Villers-Sainte-Gertrude demandent le rejet du projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie et abaissement de la taxe des lettres. »

M. Moreauµ. - J'ai demandé lâ parole pour faire remarquer que la section centrale a terminé ses travaux. Il n'y a donc plus qu'à déposer cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi. Il doit en être de même pour une pétition analysée précédemment.

- Adopté.


« Des distillateurs à Gand présentent des observations relatives au projet de loi portant augmentation des droits sur les distilleries. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil et de la société centrale d'Agriculture présentent des observations contre le projet de loi sur les cours d'eau. »

M. de Theuxµ. - Je demanderai également le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

- Adopté.


« Des négociants et commerçants à Tournai demandent l'annulation ou la révision de la convention Van Gend qui assure à cette compagnie le monopole, par le chemin de fer, du transport des petits paquets de messageries »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

M. Crombez. - Messieurs, cette pétition renferme des réclamations contre la convention intervenue entre le département des travaux publics et la maison Van Gend pour le transport des petits colis par chemin de fer. Je propose le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics pour l'exercice 1871, avec prière d'en faire l'objet d'un sérieux examen.

- Adopté.


« M. le gouverneur de la province d'Anvers transmet des exemplaires d'une lettre par laquelle la députation permanente demande l'achèvement des travaux d'amélioration de la Grande-Nèthe et l'allocation par la législature des ressources nécessaires à cette fin. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Ploumers. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« MM. de Haerne et de Montblanc demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi relatif à la causse des veuves et orphelins des officiers de l’armée

MgRµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi relatif à la caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée.

Cette loi présente certain caractère d'urgence : en effet, la caisse est en déficit et il est indispensable qu'elle trouve le plus tôt possible le moyen de remplir ses engagements.

- Le projet de loi sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne sera mis à la suite de l'ordre du jour.

M. le président. - La Chambre entend-elle renvoyer ce projet de loi aux sections ou à une commission ?

- Voix nombreuses. - Aux Sections !

- Le renvoi aux sections est prononcé. M. président.


M. le président. - L'ordre du jour appelle un prompt rapport de pétitions.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande qu'on continue la discussion du budget de la justice.

M. le président. - Si la Chambre ne s'y oppose pas, il en sera ainsi.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1871

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, j'ai quelques observations à présenter à l'assemblée. L'honorable M. Wasseige, dans la séance d'avant-hier, a dit que M. Cappelle, avocat à Namur, candidat aux fonctions de juge au tribunal de cette ville, n'avait que 40 ans.

Je dois dire à l'honorable M. Wasseige, qui est de Namur et qui compte M. Cappelle parmi ses connaissances, qu'il s'est trompé et que j'avais parfaitement raison de dire qu'il avait au moins 50 ans, puisque, lorsque M. Cappelle a demandé la place de juge, il avait 51 ans.

Il en est de même du candidat pour juge de paix de Fosses, dont M. Wasseige a parlé ; il avait également plus de 50 ans.

J'aborde un autre point. Le Journal de Bruxelles de ce matin publie une lettre que lui adresse M. le baron d'Anethan.

Je demande à la Chambre la permission d'en donner lecture :

« Bruxelles, 31 mars 1870.

« Monsieur le rédacteur,

« Je reçois ce matin les Annales parlementaires (séances des 29 et 30 courant de la Chambre des représentants), et je vois que M. le ministre de la justice a bien voulu s'occuper de quelques actes de mon administration.

« La plupart de ces actes, je les ai défendus à la Chambre des représentants en 1846 et 1847, et j'accepte avec une entière confiance le jugement des personnes impartiales qui voudront bien prendre la peine de relire les débats de cette époque.

(page 686) « Quant aux autres faits, au nombre de quatre, cités pour la première fois, on doit reconnaitre qu'après vingt-trois ans, il m'est bien permis de n'en avoir guère conservé le souvenir, et cette revue rétrospective de quelques actes isolés d’une administration qui a duré plus de quatre années, ne me semble pouvoir présenter aucun intérêt pour personne.

« Je me borne à faire observer, quant à la nomination d'un juge de paix à Seraing, que M. le ministre invoque une lettre de M. Dechamps, alors gouverneur du Luxembourg, ce qui me fait penser qu'il doit y avoir erreur, M. Dechamps n'ayant pas pu me donner des renseignements comme gouverneur, puisqu'il était mon collègue comme ministre des travaux publics.

« En ce qui concerne un journaliste libéral qui aurait été nommé notaire pour prix de sa trahison, je ne sais à qui M. Bara veut faire allusion.

« Pour la nomination d'un substitut à Gand et l'historiette d'un arrêté déchiré après avoir été signé, et ce la suite d'une lettre de M. Desmaisières, gouverneur de la Flandre orientale, il me suffira, sans reconnaitre le moins du monde le fait allégué, de signaler le procédé de M. Bara qui trouve bon de lire en séance publique une lettre très confidentielle adressée avec cette indication à un de ses prédécesseurs.

« La nomination d'un officier en qualité de notaire, nomination qui m'est également reprochée, ne pouvait rien avoir de politique, vu les opinions bien connues de cet honorable officier. Cette nomination, da reste parfaitement régulière, était soutenue au point de vue de la légalité et au point de vue de la justice, par un des membres les plus éminents de l'opposition d'alors.

« M. Bara m'attribue ensuite et la destitution de M. Delehaye et son remplacement par M. De Saegher. Or ces faits se sont passés trois ans avant mon entrée au ministère.

« En terminant, j'exprime le désir que M. le ministre, quand il citera encore mes paroles, veuille m’en indiquer les séances où elles ont été prononcées, afin que je puisse vérifier les citations et, le cas échéant, combler les lacunes et vérifier les erreurs involontaires qui pourraient s'y être glissées. La rectification faite à la séance du 30 mars par mon ami M. Wasseige, et dont je le remercie, prouve que cette précaution n'est pas inutile.

« D'Anethan.

« Agréez, etc. »

La Chambre voudra bien me laisser répondre quelques mots aux articulations de la lettre de l'honorable sénateur de Thielt. Je ne rencontrerai que les faits, je ne discuterai pas les appréciations. Ce débat pourra avoir lieu ailleurs.

L'honorable sénateur me demande d'abord de lui signaler passages des Annales parlementaires où se trouvaient les citations que j'ai produites devant la Chambre. Je vais m'empresser de déférer à ce désir, quoique l'expression de ce vœu soit bien tardive. En effet, dans la séance du 9 mars 1869, au Sénat, en présence de l'honorable sénateur de Thielt, j'ai exposé les théories qu'il professait au ministère. L'honorable sénateur les a entendues ; il a entendu les trois citations que j'ai faites et, depuis lors évidemment, il a eu le temps d'examiner parfaitement si ces citations étaient exactes. L'honorable sénateur a parlé cette époque, et il n'a rien démenti de ce que j'avais avancé, par la raison fort simple que les allégations que j'ai produites ne peuvent pas être démenties : En effet, elles sont textuellement empruntées aux Annales parlementaires.

Au surplus, messieurs, voici ces citations :

La première, relative aux destitutions, est extraite d'un discours prononcé au Sénat le 25 février 1847 (page 890 des Annales parlementaires, session de 1846-1847) que ce langage a été tenu.

La deuxième citation, celle dans laquelle l'honorable baron M. d'Anetthan déclare que jamais un ministère catholique n'a nommé un candidat hostile sa politique, que jamais, tant qu'il sera au ministère, de pareilles nominations ne se feront, se trouve aux Annales parlementaires, séance de la Chambre du 15 janvier 1847, page 493.

Dans la troisième citation, l'honorable M. d'Anethan répète qu'il ne consentira jamais à proposer pour des fonctions publiques des personnes qui auront posé des actes hostiles au cabinet.

C'est au Sénat dans la séance du 24 février, Annales parlementaires), session 1846-1847, page 909, que ce langage a été tenu.

Quant à la réfutation de l'honorable M. Wasseige, elle n'a entamé en rien les paroles de l'honorable M. d'Anethan, qui a déclaré, de la manière la plus formelle, que tous les ministères passés, et il parle des ministères catholiques, ont toujours exclu de leurs nominations les personnes ouvertement hostiles à la politique catholique ; et il a répondu pour les ministères futurs catholiques en disant qu'ils ne feraient jamais d'autres nominations.

La deuxième observation de l'honorable M. d'Anethan est relative à la destitution de MM. Delehaye et Trémouroux. Effectivement, J'ai confondu dans une même phrase Delehaye et Trémouroux, mais la destitution de M. Delehaye, datée du 6 juin 1839, n'émane pas de M. d'Anethan, elle a été contresignée par M. Nothomb, et la nomination de M. de Saegher, qui est du 10 octobre 1839, a été signée par M. Raikem. Cela prouve que tous les ministères catholiques agissaient de la même manière.

Mais M. d'Anethan, interpellé sur ces destitutions faites par le parti catholique, a répondu que le gouvernement avait le droit de les faire et il a appliqué cette théorie en destituant M. Trémouroux, qui s'était mis sur les rangs pour la Chambre.

Voici comment s'exprimait, à cet égard, l'honorable M. d'Anethan dans la séance du Sénat du 25 février 1847 :

« Dans aucune circonstance on ne nous reprochera d'avoir fait naître la lutte, mais lorsqu'on s'est présenté aux élections sous un drapeau hostile avec l'intention de combattre notre système, nous aurions essentiellement manqué notre devoir si nous avions permis aux fonctionnaires d'appuyer des candidats que nous devions considérer comme contraires à notre politique.

« Voilà la ligne de conduite qu'a suivie le ministère dans les élections : cette ligne de conduite, je suis prêt à la défendre et nous sommes décidés à ne pas l'abandonner. »

Il approuvait donc la destitution de M. Delehaye et la nomination de M. de Saegher, et il pratiquait le même système en destituant M. Trémouroux :

« Quant aux nominations des fonctionnaires, je pourrais facilement les justifier comme je l’ai fait dans une autre enceinte ; j'en dirai autant des destitutions que le ministère a dû prononcer.

« Je pense qu’un gouvernement qui se respecte, qui veut avoir la force morale indispensable à son action, ne doit pas tolérer que des fonctionnaires qui ont reçu de lui leur mandat, travaillent à le miner et à le renverser, et aillent le soir dans les réunions publiques déverser le blâme sur des actes auxquels ils se sont associés le matin. »

Et notez, messieurs, que, hier, on nous faisait un grief de ne pas nommer des candidats parce qu'ils étaient affiliés à la société de Saint-Vincent de Paul ; et M. d'Anethan déclarait qu'il ne nommerait pas des candidats affiliés aux associations libérales.

« Eh bien, ces destitutions n'ont porté que sur les fonctionnaires, qui d'une manière patente, ouverte, étaient affiliés des sociétés qui s'étaient constituées dans le but avoué de renverser le système suivi par le gouvernement, adopté par la majorité des Chambres, le système que nous croyons le meilleur dans l'intérêt du pays.

« Je ne crains pas de le dire, un ministère qui tolérerait de semblables abus, qui n'aurait pas la force de les réprimer, n'aurait pas la force nécessaire pour gérer les intérêts du pays. »

C'est donc, messieurs, aussi clair que le jour ; les nominations et les destitutions servaient, sous le ministère de M. d'Anethan, à faire réussir la politique catholique d'alors.

M. Dumortier. - Cela n'est pas exact.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ce n'est pas exact !

« Messieurs, disait M. d'Anethan, on n'est pas ministre pour le plaisir de l'être ; on est au ministère pour faire prévaloir un système que l'on croit bon, que l'on croit utile au pays, et dès lors, un ministère manquerait à son devoir s'il n'employait pas tous les moyens légitimes qu'il a à sa disposition pour faire triompher ce système, et s'il tolérait contre ce système l'hostilité des fonctionnaires publics.

« Je pense donc que les mesures employées par le gouvernement, que les avis qu'il a donnés d'abord et les destitutions qui ont frappé ceux qui n'ont pas suivi ces avis, sont parfaitement justifiés. »

On ne saurait être plus clair.

Il est à remarquer, messieurs, que M. De Saegher, qui s'était mis sur les rangs contre M. Delehaye, a été nommé procureur du roi, d'emblée, à Gand, par l'honorable M. Raikem, qui était un homme modéré de la droite. Vous voyez, messieurs, combien le système des destitutions devait être ancré dans le parti catholique.

J'ai parlé de la nomination, comme notaire, d'un officier de cavalerie, lorsque l'honorable M. Wasseige m'a reproché d'avoir nommé notaire dans la banlieue d'Anvers un ancien consul au Havre ; comment, lui ai-je dit pouvez-vous trouver la nomination d'un ancien consul irrégulière alors que vous n'avez rien trouvé redire à la nomination d'un ancien officier de cavalerie ?

M. Wasseige. - C'était le fils d'un notaire.

(page 687) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Qu'est-ce que cela fait ? Il n’avait pas même passé son examen lorsque la place s’est ouverte. Je vais vous en donner la preuve.

Le père de ce notaire est mort en mars 1846 Le fils servait Afrique, avec le grade d'officier, et il a subi son examen devant la chambre des notaires de Louvain, le 14 septembre 1846, donc six mois après décès de son père.

On a laissé la place vacante parce que ce candidat était parent de M. Van Dockel, l'un des chefs du parti catholique. Il n'avait pas ses années de stage et il a fallu admettre que les fonctions qu'il avait remplies quelquefois comme membre du conseil de guerre ou comme officier rapporteur, constituaient des fonctions judiciaires qui permettaient au gouvernement de dispenser de la justification du temps de stage. (Interruption.) Mais, au surplus, je n'attaque que la nomination, je n'attaque pas le fonctionnaire, qui est honorable. Je réponds à vos attaques.

M. Thonissenµ. - C’est l'un des vôtres.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - S'il a été nommé, c'est à cause de la protection de l'un des vôtres dont il était le parent.

M. Thonissenµ. - Tous les libéraux de Louvain l'appuyaient.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous attaquez la légalité de mes nominations. Je vous oppose les vôtres.

Au surplus, l'appui d'un membre de l'opposition ne changerait rien à la chose.

Je ne vois pas que l'appui d'un membre de la droite justifierait les actes que j'aurais posés.

Le troisième point, messieurs, concerne la nomination d'un journaliste libéral qui a été nommé notaire pour prix de sa défection. Il s'agit, messieurs, de l'éditeur de l'Echo tournaisien nommé notaire par M. Nothomb.

Quant au fait relatif au substitut de Gand, il est parfaitement exact. Un arrêté signé de M. d'Anethan nommait substitut à Gand un honorable substitut du tribunal de Bruges. Un rapport de M. Desmaisières arrive, l'arrêté est annulé et M. C… est nommé substitut à Gand.

Voyons le dernier fait : Je me borne, dit M. d'Anethan, à faire observer, quant la nomination d'un juge de paix à Seraing, que M. le ministre invoque une lettre de M. Dechamps, alors gouverneur du Luxembourg, ce qui me fait penser qu'il doit y avoir erreur : M. Dechamps n'ayant pas pu me donner des renseignements comme gouverneur, puisqu’il était mon collègue comme ministre des travaux publics.

Eh bien, c'cst l'honorableM. Dechamps qui a donné à l'honorable M. Nothomb les renseignements dont il s'agit. Vous allez en être convaincus.

La personne dont je parle avait demandé la place de juge de paix à Philippeville. A cette époque, l'honorable M. Dechamps était gouverneur du Luxembourg. Il a adressé à son collègue de la province de Namur, le rapport dont j'ai donné lecture.

Ce candidat fut pas nommé à Philippeville, malgré tous les appuis qu'il avait dans le parti catholique. La place de Seraing était devenue vacante, il la postula, et c'est alors que le gouverneur de la province de Liége prit des renseignements auprès de son collègue de Namur qui lui envoya le rapport de M. Dechamps, et le gouverneur de Liége le transmit au ministre de la justice, par une lettre du 3 janvier 1845, afin de faire connaître au ministre quel était le candidat qui était sur les rangs.

M. Dechamps disait dans son rapport : « Le candidat est, dans mon opinion, d'une moralité si équivoque, d'un caractère si malheureux, qu'en admettant volontiers qu'il ait les connaissances nécessaires, il est à repousser sous tous les autres rapports. »

Eh bien, messieurs, malgré ce rapport, l'honorable M. d'Anethan fit la nomination et l'auteur du rapport se trouvait être le collègue de M. le ministre de la justice. Je crois donc qu'il ne reste absolument rien de la lettre de l'honorable M. d'Anethan.

M. Dumortier. - Il faut que l'honorable ministre de la justice soit bien faible dans sa défense, pour rejeter sur nos honorables amis les fautes qui lui sont reprochées, pour oser prétendre que nos amis qui ont passé au ministère, tous, tant qu'ils étaient, ne faisaient dans les nominations autre chose que des actes politiques. C'est là, messieurs, la plus audacieuse contre-vérité qu'il soit possible d'émettre. (Interruption.) C'est là, je le répète, la plus audacieuse contre-vérité qu'il soit possible d'émettre. Et vais en fournir la preuve, et cette preuve, vos rires inconvenants ne parviendront pas à la réfuter.

Que disait M. Devaux, dont vous ne contesterez pas le témoignage, que disait M. Devaux, dans la Revue nationale, à propos de la nomination des magistrats ? Voyons : M. Devaux, énumérant toutes les conquêtes faites par l'opinion libérale, s'écriait :

« Les cadres de l'armée lui appartiennent presque tout entiers ; elle est en grande majorité dans les rangs de la magistrature et dans ceux de l'administration. »

Ainsi, alors qu'il n'y avait eu encore que des ministres conservateurs. M. Devaux déclarait dans la Revue nationale...

M. Davidµ. - Quand ?

M. Dumortier. - En 1842.

M. Thonissenµ. - En 1841.

M. Dumortier. - Oui, en 1841 ; M. Devaux déclarait en 1842 que l'opinion libérale était en majorité dans les rangs de la magistrature.

Eh bien, qui donc avait nommé cette magistrature, sinon des ministères conservateurs ? Quand M. Bara vient nous dire que les ministres de notre opinion faisaient tous des nominations politiques, il disait donc une contre-vérité audacieuse, contre laquelle proteste la citation de M. Devaux. Mais jusqu'en 1841 il n'y avait eu, sauf une légère interruption, que des conservateurs au ministère.

M. Rogierµ. - Je revendique le titre de libéral.

M. Dumortier. - Il y a eu des libéraux momentanément.

M. Rogierµ. - Nous avons eu le ministère pendant deux années.

M. Dumortier. - Vous n'avez été que passagèrement aux affaires et vous ne pouvez pas avoir la prétention d'avoir fait toutes les nominations dans la magistrature pendant les deux années que vous avez été au ministère.

C’est M. Raikem qui a fait toute la réorganisation judiciaire, C'est M. Raikem qui a nommé l'immense majorité de ces hommes auxquels fait allusion M. Devaux. Et qui donc a nommé M. Defacqz, le digne premier président de la cour de cassation, qui n'appartient pas à mon opinion, mais que je respecte à cause de son mérite, de sa noble indépendance et de son excessive loyauté ; qui donc a nommé à la cour de cassation M. Defacqz, très libéral, puisqu’il a été grand maître des loges maçonniques da la Belgique, n'est-ce pas un ministre catholique, n'est-ce pas M. Raikem ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il a été nommé secrétaire général par M. Gendebien. (Interruption.)

M. Dumortier. - Ah ça, est-ce que les fonctions de secrétaire général d'un ministère sont l'entrée dans l'ordre judiciaire ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Certainement.

M. Mullerµ. - Est-ce que M. le baron de Crassier, aujourd'hui conseiller à la cour de cassation, n'était pas secrétaire général au ministère de la justice, avant d'être investi de ces fonctions ?

M. Dumortier. - Il faut, messieurs, que l'honorable M. Bara sente que sa cause est bien mauvaise, pour qu'il ait recours à une pareille défense. Franchement, messieurs, cela ne mérite pas une réfutation.

N’oubliez pas que quand l'honorable M. Defacqz s'est rendu chez vous pour vous recommander la candidature du savant M. Scheyven, il vous a dit, en réponse au motif de votre refus : Je suis bien heureux que vos prédécesseurs n'aient point professé le même exclusivisme que vous, car s'ils l'avaient fait, je ne serais pas aujourd'hui premier président de la Cour de cassation.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous ai déjà dit que c'était une invention.

M. Dumortier. - Oh ! je le sais bien ; mais je sais aussi que tout mauvais cas est niable, et je répète qu'il faut que vous sachiez que votre cause est bien mauvaise pour que vous ayez recours de pareils moyens.

Quant aux faits relatifs à l'honorable M. d'Anethan, je ne les connais pas et je ne suis pas en mesure de prendre la défense de mon honorable ami. Mais j'engagc M. Ic ministre à répéter devant le Sénat ce qu'il vient de dire ici ; il y rencontrera l'honorable baron d'Anethan, qui saura parfaitement lui répondre et défendre ses actes.

Vous reprochez à M. d’Anethan d’avoir dit qu'il n'aurait point nommé des personnes hostiles à sa politique, des personnes faisant des actes ou ayant fait des actes hostiles à sa politique.

Mais je conçois parfaitement cela, et si nous n'avions pas autre chose à vous reprocher, nous garderions le silence. Ce n'est pas à dire cependant que j'approuve toutes les exclusions. Je voudrais que la liberté fût garantie aux fonctionnaires publics ; mais je conçois qu'un ministre ne nomme pas à des fonctions publiques des personnes ouvertement hostiles à sa politique.

Quand l'honorable M. de Theux a fait venir M. Trémouroux, il lui a dit : Si vous arrivez à la Chambre et que la question de confiance soit posée à l'égard du ministère, que ferez-vous ?

Et M. Trémouroux lui a loyalement répondu ; Je voterai contre vous. page 688) Eh bien, messieurs, la conduite de l'honorable M. de Theux était toute tracée. Je comprends ce qu'il a fait en cette circonstance ; mais ce que je conçois pas, ce qui ne s'est jamais fait depuis la révolution, c'est l'élimination en masse de tout un parti des fonctions publiques ; c'est la division des Belges en vainqueurs et vaincus ; c'est l'exclusion systématique des fonctions publiques de tous les hommes appartenant à l'opinion conservatrice.

Je combats ce système d'abord parce qu'il est injuste, inique à l'égard de l'opinion conservatrice, parce qu'il inflige à tous les hommes appartenant à cette opinion une véritable flétrissure ; je le combats encore pour un autre motif ; parce que c'est la déconsidération d'un des premiers ordres de l'Etat. En agissant comme vous le faites, vous affaiblissez la magistrature, vous exercez un prestige et vous autorisez les calomnies, les soupçons dom elle est parfois l'objet.

Vous n'avez rien répondu et vous ne répondrez rien à la statistique de l'honorable M. Wasseige. Comment ! dans nos deux provinces des Flandres, dans ces provinces qui envoient dans cette enceinte presque tous conservateurs, on ne trouve que 4 p. c. de nominations prises dans nos rangs.

Et vous direz que c'est là de la justice ! Mais cette justice est la plus souveraine des injustices. Le pays ne peut pas supporter un pareil régime. Un régime si révoltant n'a jamais été belge, il est d'origine étrangère.

Nous ayons dû le subir sous la Hollande ; mais il serait étrange que nous eussions le subir de la part d'un ministère belge.

Ce système est antinational et ne peut avoir d'autre effet que d'amener des catastrophes dans le pays.

Et vous viendrez dire que les catholiques que vous avez exclus de l'ordre judiciaire doivent avoir encore confiance dans la magistrature ! Ce serait contraire à la nature que d'être disposé à avoir confiance dans un corps d'où l'on est systématiquement exclu.

Je comprends que quand vous êtes en présence de deux candidats d'une égale capacité, d'un mérite égal, votre cœur balance et qu'il donne la préférence au candidat de votre opinion. Mais ici vous écartez systématiquement toute une opinion des fonctions du sacerdoce judiciaire. Je dis que c'est une iniquité sans nom.

Il y a des tribunaux, au dire de M. Bara, qui se composent en grande majorité de juges catholiques ; il a cité le tribunal de Tournai où, sur 7 juges, il y avait 6 catholiques.

Le tribunal de Tournai était composé de 7 juges ; le président était l’honorable M. Dubus ; cet homme, d'un mérite si éminent, a été connu de tous ceux qui ont eu l'honneur de siéger dans cette enceinte ; ce jurisconsulte, qui était une des grandes lumières du droit et que nous avions élevé à la vice-présidence de cette assemblée ; venaient ensuite l'honorable Broquet, M, Dereine, M. Derasse, M. Duquesnoy et M. Heughebaert. Parmi ces 7 juges, il y avait 3 libéraux et 4 conservateurs ; il y avait donc partage d'opinion dans le personnel du tribunal de Tournai, et vous venez dire que sur 7 juges il y avait 6 conservateurs. Voilà encore une contre-vérité, et votre cause doit être bien mauvaise pour que vous soyez réduit à la défendre par de tels moyens.

Messieurs, je dois dire encore quelques mots relativement aux institutions que j'ai soutenues ; je veux parler des institutions de charité qui ont été fondées à Tournai, il y a 200 ans et qu'un arrêté royal inséré au Moniteur du 20, a enlevées à l'administration des hospices. Je rappellerai encore ce que j'ai dit relativement à la maîtrise de Tournai. Eh bien, si vous prenez le Moniteur, vous verrez que ces diverses institutions sont qualifiées d'écoles primaires ; ce qui signifie que toutes les institutions où l'on apprend à lire et à écrire deviennent, aux yeux de M. Bara, des écoles primaires. Il n'existe donc plus d'hospices ni pour orphelins ni pour les classes malheureuses de la société : dès l'instant qu'on y apprend à lire et à écrire, c'est une école primaire.

Pour que les hospices puissent conserver la gestion de leurs établissements, il faut qu'ils suppriment l'instruction primaire donnée aux orphelins et aux malheureux. Voilà le système que je combats ; mais, ce que vous ne pouvez contester, c'est que ce sont de véritables établissements de bienfaisance. Quoi ! des établissements où l'on reçoit de pauvres filles à l'âge de 9 ans, où on les entretient, où on les nourrit, les habille, on les conserve jusqu'à l'âge de 19 ans, vous direz que ce sont des établissements primaires !

Ce sont de véritables hospices et vous avez dit le contraire de la vérité en soumettant à la signature du Roi un projet de loi portant : Ecoles primaires.

Vous avez encore en cela violé la loi communale, celle à laquelle vous avez fait voter une modification.

En effet, que porte l'article 84 au paragraphe modifié par la loi du 3 janvier 1859 ?

Vous savez qu'anciennement la loi communale autorisait les administrateurs communaux ; en 1859, le gouvernement est venu proposer de supprimer cette disposition de la loi communale et il l'a remplacée par celle dont je vais vous donner lecture :

« Les fondations autorisées en vertu de l'article 84, paragraphe 2 de la loi communale, antérieurement à la promulgation de la présente loi, continueront à être administrées conformément aux actes d'autorisation, sauf au gouvernement à prescrire, s'il y a lieu, par arrêté royal, les mesures propres à assurer le contrôle de la gestion des biens donnés ou légués et leur conservation. »

Ainsi la loi communale est formelle, les fondations autorisées en vertu de l'article 84, antérieurement à la promulgation de la présente loi, c'est-à-dire la loi du 3 janvier 1859, continueront à être administrées conformément aux actes d'autorisation.

Et c'est en présence d'un texte aussi formel qu'on enlevait ces institutions aux administrateurs qui ont été établis par la loi, pour les donner aux administrations communales.

Vous prêchez tous les jours la décentralisation et vous venez opérer ici la pire de toutes les centralisations ; vous prêchez la division du travail et vous venez opérer la confusion du travail.

Vous voulez tout réunir entre les mains des administrateurs communaux.

Mais, messieurs, les administrateurs communaux ont autre chose faire que de s'occuper des hospices : c'est une affaire tout à fait à part qui doit être confiée à d'autres mains.

C'est là, messieurs, la confusion de toutes les autorités, la confusion de tous les pouvoirs qu'on veut opérer ici, et cela pourquoi ? Pour enlever à l'administration des hospices une fondation de bienfaisance, qui est chère à tous les habitants de la ville de Tournai, qui la respectent, l'honorent, la vénèrent et qui verraient avec une peine infinie supprimer une institution dont on apprécie tous les jours les bienfaits.

Je rends hommage, messieurs, à l'administration des hospices ; elle a dirigé cette institution avec une rare bienveillance et avec un grand succès.

Eh bien, messieurs, les habitants de la ville de Tournai n'auront plus de garanties si l'institution passe entre les mains des administrations communales, qui ne sont que trop souvent les instruments des passions politiques.

C'est donc encore une fois la loi qui maintient les orphelinats qui est mise de côté, car c'est bien un orphelinat, je pense, que l'établissement où on reçoit les orphelins, où on les nourrit, où on les vêt. (Interruption.)

Je suis d'accord avec le Dictionnaire de l'Académie et quand la loi est douteuse, vous savez que, d'après les principes du droit romain, vous devez l'interpréter de la manière la plus large.

MiPµ. - Mais pas d'après le Dictionnaire de l'Académie.

M. Dumortier. - C'était donc bien une institution de charité, car il est évident que l'établissement où l'on reçoit, nourrit, vêt les orphelins, n'est pas une école primaire.

Voilà donc ou vous avez violé la loi, car vous avez voulu faire de cet établissement un instrument de vos mauvaises passions.

Vous voulez enlever cela à l'administration des hospices et pourquoi ? Pour transformer ces écoles, pour transformer les principes religieux qui s'y enseignent et que vous devriez respecter, si vous ne voulez pas en faire de ces écoles que le pays aura beaucoup à regretter un jour.

Qu'allez-vous faire maintenant pour Anvers ? Allez-vous confisquer à son tour l'établissement de Terninck ? Car il est absolument dans les mêmes conditions. L'honorable M. Tesch a dit qu'il ne tombait pas sous le coup de la loi, attendu que l'établissement était principalement un établissement de bienfaisance. Les établissements de Tournai sont aussi des établissements de bienfaisance. On y donne l'instruction, comme on le fait partout, quand il y a des enfants, parce que le devoir de tous les administrateurs est de donner l'instruction aux enfants. Mais l'accomplissement de ce devoir ne change pas la nature de l'établissement.

Les établissements où les enfants sont nourris, sont élevés, sont entretenus jusqu'à 19 ans, ne sont pas des établissements d'instruction, ce sont des établissements de charité ; ils ne sont pas, ils n'ont jamais été et ne seront jamais de la compétence des communes. C'est la confusion des compétences, c'est la confusion des autorités, c'est la confusion des pouvoirs que vous établissez. Il en est de même de la maîtrise de Tournai. La maîtrise de Tournai, qu'est-ce que c'est ? On vient de le dire, on y apprend (page 689) à lire et à écrire, on y apprend même un peu le latin. Mais dans toutes ces maîtrises, on apprend un peu de latin. Les enfants qui doivent chanter les prières de l'église ne doivent-ils pas savoir lire le latin ? C'est une nécessité inhérente à l'institution et à l'esprit des maîtrises. Allez voir à la maîtrise de Liége, à la maîtrise de Gand, à la maîtrise de Bruges, à la maîtrise de toutes nos cathédrales, si elles en ont ; partout on apprend aux enfants à lire un peu de latin pour qu'ils sachent lire convenablement, lorsqu'ils sont au chœur.

Mais encore une fois les maîtrises des cathédrales doivent être données aux villes. Supposez que ces établissements doivent être donnés à quelqu'un ! Depuis quand les cathédrales dépendent-elles des communes ? Mais vous savez qu'en vertu de la loi, les cathédrales sont des églises des diocèses, des églises des départements ; vous savez que les communes n'entrent pas pour un sou dans les frais d'entretien et de réparation des cathédrales et que tout ce qui touche au culte incombe, non à la commune, mais à la province. Mais cela ne vous empêche pas de confisquer ces établissements, parce qu'il y a probablement des revenus dont vous voulez gratifier les communes. On dira aux enfants de la maîtrise : Vous irez à l'école de musique de la ville, et la ville, avec les deniers qu'elle prendra à la fabrique de l'église, payera cette école.

Eh bien, c'est là la subversion de tous les principes, de tout ce qui est droit, de tout ce qui est juste, de tout ce qui est honnête. C'est le despotisme élevé à la centième puissance. (Interruption.)

Voilà le régime que nous combattons.

Comment ! l'honorable chef du cabinet vient dire, et je l'en loue, qu'il est temps de pacifier le pays, qu'il est nécessaire d'apporter des tempéraments dans le pays. Paroles magnifiques ! mais les actes sont diamétralement contraires aux paroles. Appliquez les intentions que vous annoncez, cherchez à pacifier le pays et nous vous laisserons vos portefeuille, que nous n'envions pas. Mais quand vous venez parler de pacifier le pays et que vous déclarez la guerre à la moitié du pays, pensez-vous que notre conscience ne soit pas révoltée en présence pareils actes ? Nous sommes envoyés dans cette enceinte pour défendre la liberté et la justice. Nous sommes envoyés plus encore par nos commettants pour les défendre contre les injustices qui se commettent.

Eh bien, je dis qu'il n'existe point d'injustice plus grande que celle que mon honorable ami M. Wasseige a signalée. Et je ne sais assez le remercier d'avoir eu le courage de le faire, parce qu'un jour viendra l'on verra cesser ce régime odieux qui ne peut amener sur la Belgique que des désastres.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois répondre quelques mots à l'honorable Dumortier.

L'honorable membre ne tient aucun compte des observations que j'ai présentées dans la séance d'hier. J'ai dit à l'honorable membre qu'il ne s'agissait pas d'un orphelinat dans le sons du décret de 1811.

M. Dumortier. - Alors c'est un hospice.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Donnez-vous au moins la peine d'étudier la législation sur les hospices, alors nous pourrons discuter sérieusement. Les hospices ne peuvent pas sortir de leurs attributions ; ils ont pour mission de créer des hôpitaux pour les malades et les infirmes et des établissements pour les orphelins, mais ils ne peuvent créer toutes espèces d'établissements, il ne leur est même pas permis d'avoir des établissements de sourds-muets et d'aveugles, et l'honorable M. Tesch, interpellé au Sénat par N. d'Anethan sur la question de savoir si les administrations des hospices pouvaient avoir des établissements de sourds-muets, a répondu : Non.

Or, l'institution des Monnelles a pour but de donner l'entretien et de fournir l'instruction à un certain nombre de jeunes filles pauvres orphelines ou non.

C'était donc bien une maison d'éducation et non un orphelinat, et nous avons été obligés d'appliquer la loi qui place les établissements d'instruction dans les attributions de la commune.

Il en est de même de la prétendue maîtrise de la cathédrale de Tournai. C'est une fondation d'instruction faite en l'année 1243 en faveur des enfants pauvres de Tournai.

C'est la commune qui est instituée par la loi pour donner l'enseignement.

Ici encore nous n'avons donc fait qu'observer la loi en remettant à la commune la gestion de cette fondation.

L'honorable membre a dit qu'il y avait au tribunal Tournai trois libéraux, c'est une erreur ; l'époque dont j'ai parlé, il y avait cinq catholiques et deux libéraux et je pourrais produire les noms des catholiques, car ils ont signé tous les cinq une circulaire contre l'honorable M. Rogier.

M. Wasseige. - Dans le même cas, il y en aurait sept contre M. Nothomb.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne le crois pas. Ils seraient moins passionnés.

L'honorable M. Defacqz a été nommé membre de la cour supérieure de justice par le gouvernement provisoire. Sa nomination est signée de M. de Potter (libre penseur), de M. Rogier, etc. ; il a été nommé secrétaire général du ministère de la Justice par M. Gendebien, également libre penseur. C'est-à-dire que deux libres penseurs ont concouru à le nommer et que dès lors il ne doit pas son entrée dans la magistrature à l'opinion catholique.

Et le propos que j'ai déjà dénié de la manière la plus formelle et que l'honorable M. Defacqz déniait encore hier devant un de mes amis, ne reposerait donc sur rien !

Permettez-moi, messieurs, de m'expliquer un peu vis-à-vis du parti catholique. Il nous reproche constamment d'être intolérants. A l'en croire, c'est nous qui aurions inauguré l'intolérance ; quant à lui, il accepte tous les hommes, tous les dévouements, toutes les capacités, toutes les intelligences. Il ne demande à personne quelle est la couleur de ses principes. Je dis que c'est là une affirmation complètement démentie par les faits. Non seulement, je vous ai montré les catholiques au pouvoir, excluant constamment des fonctions publiques les membres appartenant à notre opinion se faisant gloire de cette proscription...

M. Dumortier. - Cela est très inexact.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais, même dans l'opposition, montrez-vous ces qualités de tolérance que vous voudriez voir chez vos adversaires et dans le gouvernement ? En aucune manière. Chaque fois que vous pouvez éliminer des fonctions publiques des hommes appartenant à l'opinion libérale, vous le faites ; les hommes les plus modérés ne trouvent pas grâce devant vous.

Là où vous avez presque l'unanimité dans les députations permanentes, là où il ne reste qu'un seul libéral, vous l'éliminez.

Voyez ce que vous avez fait dans la députation permanente du Limbourg.

Pendant que le gouvernement maintenait un gouverneur catholique, vous éliminiez impitoyablement le seul libéral qui se trouvât dans la députation, le seul jurisconsulte qu'elle possédât et vous donniez sa place à un tout jeune homme. (Interruption.)

Quand nous avons discuté la loi sur les bourses d'étude, nous vous avons montrés exerçant la pression la plus violente par l'intermédiaire des administrateurs spéciaux sur les jeunes gens, pour les forcer à suivre tel enseignement, plutôt que tel autre.

Vous disiez : Pas de bourse si vous ne vous rendez à telle université, Vous violentiez la conscience des citoyens. Vous leur disiez : Si vous ne suivez pas notre enseignement, vous resterez pauvres, vous n'aurez pas de quoi vous instruire.

A Gand, en 1864, une élection importante se préparait, vous vous êtes réunis à plus de cent riches propriétaires fonciers et vous êtes venus dire aux pauvres paysans : II ne s'agit pas de voter selon votre conscience ; si vous ne votez pas pour les catholiques, vous vous en repentirez.

Voilà ce que vous avez signé et l'un des vôtres écrivait à l'un de ses fermiers : Je ne veux pas que vous votiez pour les voleurs de bourses, car si vous le faites, je vous retire vos terres. (Interruption.)

En agissant ainsi vous suiviez une ligne de conduite invariable et vous ne vous en cachiez pas.

Vous avez formulé ces principes et vous les avez établis à l'état de doctrine.

Au congrès de Malines vous disiez : Il faut même des sociétés séparées ; il faut séparer des catholiques, il faut créer des cercles où les loups ne seront pas mêlés aux brebis. Et cette résolution a été mise à exécution. Dans la plupart des villes, vous avez créé des cercles exclusivement politiques, vous avez troublé l’accord qui existait entre les catholiques et les libéraux. Vous avez ainsi amené l'intolérance dans les relations ordinaires de la vie.

Dans la question des cimetières, vous avez des prétentions du même genre, vous voulez que des gens qui ont vécu ensemble toute leur vie ne puissent pas reposer l'un près de l'autre dans la tombe.

Vous avez été plus loin.

Vous avez dit qu'il fallait christianiser les capitaux ; que, dans les affaires commerciales et industrielles, il fallait séparer les catholiques des libéraux.

Mais qu'est-il arrivé ? Au lieu de christianiser les bourses catholiques, c'est le diable qui s’y est mis. (Interruption.)

Voilà le résultat de l'intolérance.

(page 690) L'intolérance ne peut mener à rien et quand vous viendrez dire que le parti libéral est intolérant, je vous répondrai. Je vous résisterai et je vous prouverai que vous êtes l'intolérance même, que vous n'avez pas le droit de nous accuser. Oui, chaque fois que vous viendrez m'attaquer dans cette Chambre, comme prêchant l'exclusivisme, je montrerai vos actes au pays et je suis convaincu que le pays me donnera raison. (Interruption.)

M. Delcourµ. - Le débat prend de singulières proportions. (Interruption.)

M. le président. - J'invite la Chambre à rester dans le calme.

M. Delcourµ. - Je suivrai, pour mon compte, le conseil de l'honorable président ; je ne sortirai pas du budget de la justice et je ferai pas d'excursion dans un domaine qui n’est pas en discussion en ce moment.

Comment ! on viendra nous dire sérieusement que nous cherchons à christianiser les capitaux ! Cette parole ne mérite pas de réfutation, je la renvoie à celui qui l'a prononcée ; ce sera sa seule condamnation. (Interruption.)

Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans ce débat ; j'y suis appelé par une observation de M. le ministre de la justice, qui a reproché à mon honorable ami, M. d'Anethan, un acte des plus graves.

Je n'avais pas l'honneur d'être mêlé à. la vie politique à l'époque où M. d'Anethan siégeait au ministère de la justice. Mais, connaissant spécialement l'acte auquel il a été fait allusion, je puis dire que jamais dans un parlement on n'a dénaturé avec tant d'audace un fait aussi simple et aussi innocent. L'honorable ministre s'est prévalu de ce fait comme s'il s'agissait d'une nomination en faveur du parti auquel appartenait M. d'Anethan : Il n'en est rien, messieurs.

Le père du notaire en question appartenait au parti libéral à Louvain ; il était à la tête du mouvement libéral et toujours, à toutes les époques, nous l'avons rencontré parmi nos adversaires. Ce notaire était mort en laissant une nombreuse famille ; tous ses amis désiraient qu'il fût remplacé par un de ses fils, et le fils auquel on a pensé était un jeune homme qui avait fait de brillantes études, ce jeune homme qui avait suivi d'abord la carrière du notariat, carrière qu'il avait interrompue en prenant volontairement du service à l'armée.

Je n'ai aucune relation intime avec cet honorable notaire ; il n'est pas mon ami politique, et je suis persuadé qu'il n'a jamais accordé son appui au parti catholique.

Mais je dis qu'il est un parfait honnête homme. J'ajoute que sa nomination est due surtout à des influences libérales.

Une question s'est élevée à l'occasion de cette nomination ; c'est celle de savoir si le fils possédait les conditions voulues pour pouvoir être nommé notaire.

M. d'Anethan hésitait, et ce n'était pas sans raison. Il a demandé qu'on lui produisît des témoignages d'hommes compétents, de jurisconsultes, dans lesquels il pût avoir confiance. Ces témoignages lui ont été fournis, et l'honorable M. d'Anethan, éclairé sur ce point, a cru pouvoir passer outre.

Mais je tiens à déclarer que mon honorable ami n'a point cédé aux instances de M. Van Bockel. C'cst un fait de notoriété publique à Louvain.

La nomination a eu lieu à la demande des libéraux, à la demande de l'Association libérale.

Les conditions légales d'aptitude ont été établies par un de nos jurisconsultes les plus éminents du pays, un jurisconsulte que nous avons le bonheur de posséder dans cette enceinte. Cet honorable collègue, qui ne siège pas sur nos bancs, n'a pas hésité d'appuyer cette nomination. Voilà la vérité. Eh bien, lorsque je vois qu'un ministre du Roi s'empare d’un fait de cette nature dans but de faire dévier la discussion, j'ai le droit de dire au moins que le ministre s'est trompé.

Je ne comptais pas, messieurs, entrer dans ce débat qui soulève tant de questions de personnes, questions qui ne sont ni dans ma nature, ni dans mon caractère ; j'ai voulu seulement mettre la Chambre à même d'apprécier un fait.

M. le ministre disait, dans la séance de mercredi, qu'il n'est point étonnant qu'il ne nomme pas plus de jeunes gens appartenant à l'opinion catholique, puisque la plupart ne sollicitent pas de places dans la magistrature.

Je ne m'explique pas, messieurs, cette assertion de l'honorable ministre. Je sais, moi, qu'un grand nombre de demandes existent dans les archives du département de la justice, mais qu'elles sont systématiquement écartées.

Permettez-moi de vous citer, non pas des noms propres, mais des faits. Je connais des jeunes gens qui ont terminé brillamment leurs études, qui ont obtenu la plus grande distinction dans tous leurs examens de droit, qui ont obtenu le grade de docteur en sciences politiques et administratives, également avec la plus grande distinction, et qui ne peuvent rien avoir. Cependant ils ne demandent qu'une simple place de juge, un modeste emploi dans la magistrature, et M. le ministre a préféré, à ces jeunes gens capables, des candidats qui, sous le rapport du talent et des connaissances, sont bien inférieurs.

Maintenant, je m'associerai à mes honorables amis non pas pour adresser un reproche à la magistrature ; j’ai pour l'ordre judiciaire le plus profond respect ; je suis habitué à étudier les lois ; je suis habitué à me trouver en communication permanente avec les tribunaux. Cependant, je ne puis me dispenser de reconnaitre que, depuis le ministère de l'honorable M. Bara, la considération dont les tribunaux jouissent s'est affaiblie dans certains sièges. Allez où vous voulez et vous rencontrerez des hommes appartenant à tous les partis qui vous diront : Il y a de nombreuses et de malheureuses nominations. (Interruption.)

Cela ne saurait être nié. Je connais des tribunaux qui ont été presque complètement renouvelés sous le ministère de l'honorable M. Bara et dont les jugements laissent beaucoup à désirer. (Interruption.)

Ne croyez pas, messieurs, que je veuille affaiblir l'autorité du pouvoir judiciaire. (Interruption.)

Je la respecte trop pour chercher à diminuer son prestige et son autorité ; mais j'ai le droit de dire que vous avez fait de mauvaises nominations ; que vous pratiquez un système général d'exclusion qui doit avoir nécessairement pour effet de compromettre la haute considération qui doit s'attacher à la magistrature.

Je passe maintenant à la question soulevée par l'honorable M. Dumortier ; je désire ajouter un mot sur l'exécution donnée à la loi sur les fondations.

L'honorable M. Dumortier nous a parlé de fondations que je ne connais pas ; mais en voici une sur laquelle la Chambre voudra bien me permettre de lui donner quelques renseignements ; je veux parler de la fondation Renard à Liége.

Cette fondation n'est point une fondation d'instruction, mais une fondation de charité.

Oui, je me demande comment M. le ministre de la justice a pu considérer cette fondation comme une fondation d'instruction ? Il devait, je le sais bien, la considérer comme telle, pour lui appliquer la loi de sur les fondations de bourses et pour pouvoir attribuer les biens de cette fondation à l'administration communale de Liége.

Laissez-moi, messieurs, vous lire les considérants de l'arrêté royal du 9 mars 1870, inséré au Moniteur du 20 mars ; je vous donnerai lecture ensuite de l'arrêté royal qui a autorisé la fondation, et vous verrez que l'arrêté de confiscation ou de réorganisation de 1870 n'a pas reproduit exactement les conditions de la fondation.

L'arrêté royal de 1870 est conçu en ces termes :

« Vu l'acte sous seing privé, en date du juin 1839, par lequel Charles Renard et sa sœur Emmée Renard s'engagent à créer une maison d'éducation, d'instruction et de travail manuel en faveur des filles pauvres de la ville de Liége et des environs, dotent cette fondation d'une propriété sise Cornillon et délèguent l'administration à une commission composée du président du séminaire, du cuvé de l'église de Saint-Nicolas, du curé dc l'église de Saint-Remacle, en ladite ville, et de deux autres membres à nommer par le président ;

« Vu l'arrêté royal du 27 décembre 1839, qui a autorisé l'établissement de cette fondation, et l'acte passé le 17 février par-devant le notaire Pâque, de Liége, par lequel les administrateurs prénommés ont accepté la donation. »

D'après ces termes, vous devez penser, messieurs, que la fondation a pour objet principal l'instruction des pauvres ; qu'elle a été créée dans ce but, que c'est une maison d'instruction, d'éducation et de travail manuel en faveur des pauvres.

Eh bien, il n'en est rien. La fondation Renard est une fondation de charité, destinée à recueillir des jeunes filles pauvres, à les instruire, leur procurer un état. C'est un établissement où les jeunes filles passent plusieurs années ; elles y logent, y sont entretenues pour être rendues à la vie ordinaire après y avoir appris un métier.

Ecoutons maintenant l'arrêté royal du 27 décembre 1839 qui a autorisé la fondation. Vous y verrez que l'arrêté du 9 mars 1870 ne reproduit pas exactement ni complètement l'objet de la fondation.

« Le sieur Ch. Renard et la demoiselle Emmée Renard, sa sœur, s'engagent à créer une fondation pour l'instruction, l'éducation, la nourriture, le logement et l'entretien gratuits des filles pauvres de la ville de Liége et des environs ; ils dotaient cette fondation de bâtiments, jardins et prés, (page 691) sis près de Cornillon sur la route de Jupille, en délégant l'administration à une commission composée de M. le président du séminaire de Liége, de M. le curé de l’église de Saint-Nicolas, de M. le curé de de Saint-Remacle en ladite ville, et des deux autres membres à nommer par les précédents, appelant comme institutrices dans cet établissement les religieuses dites filles de Saint-Joseph, établies au béguinage de Saint-Julien audit Liége. »

La fondation est donc une fondation de charité ; aucun doute n'est possible.

La fondation avait un but exclusivement religieux. J'ai eu l'honneur de connaitre particulièrement la famille des fondateurs, je suis à même, par conséquent, de rappeler à la Chambre quelles ont été les intentions de ces honorables bienfaiteurs des pauvres. Eh bien, j'affirme que la fondation de M. et de Mlle Renard n'a jamais été qu'une fondation éminemment religieuse.

Pour employer l'expression usuelle et généralement reçue, les fondateurs ont voulu créer un orphelinat, c'est-à-dire une maison où il sera donné aux jeunes filles pauvres le logement, l'entretien et l'instruction nécessaire pour apprendre un métier.

Le caractère religieux de la fondation ressort de toutes les conditions de l'acte.

M. et Mlle Renard ont confié la gestion de la fondation à une commission spéciale composée du président du séminaire, de deux curés de la ville et de deux autres membres à nommer par les premiers.

L'instruction doit donné par les religieuses de Saint-Joseph. Toutes ces conditions sont écrites dans les statuts de la fondation, approuvés par l'arrêté royal de 1839. (Interruption.)

Je discute, je pense, avec beaucoup de calme ; c'est une question de droit ; nous avons à nous mettre d'accord ; je n’espère pas convertir mes honorables adversaires ; mais si je ne les convertis pas, ils reconnaitront, du moins, que je présente mes arguments avec loyauté et bonne foi.

Il a été donné suite à l'arrêté royal de 1839, par un acte notarié du 18 février 1840. Je reproduis ici littéralement les conditions de cet acte :

« L'instruction consistera dans la lecture, l'écriture, la broderie et couture, de manière que les filles pauvres apprendront un état qui leur procurera une honnête existence dans le monde ; lorsque ce but sera convenablement atteint, elles seront successivement rendues à la société et remplacées par d'autres. Il sera pourvu aux frais par le produit du travail des élèves et le secours des personnes charitables ;

« 2° Cette fondation sera administrée par. une commission composée de : MM. le président du séminaire, le curé de Saint-Nicolas, le curé de Saint-Remacle, qui en acceptent les fonctions, et de deux autres membres avec voix délibérative, qui seront choisis par les trois dénommés à la pluralité des voix ;

« 3° L'instruction et l'éducation seront données et lesdits bâtiments occupés, de concert avec les enfants qui y seront recueillis, par les religieuses dites : Filles de Saint-Joseph, etc. »

Les fondateurs, pour le cas où il serait impossible que l'instruction fût donnée par les sœurs de Saint-Joseph, ont chargé la commission d'appeler d'autres instituteurs provisoirement.

MiPµ. - C'est donc un établissement d'enseignement.

M. Delcourµ. - Ce n'est pas un établissement d'enseignement ; vous le verrez tout à l’heure.

« 4° Si, par un événement quelconque, l’immeuble était exproprié, détruit ou enlevé à sa destination, la commission emploiera le produit à son remplacement, sous l'approbation de l'ordinaire du diocèse, et si la fondation elle-même ne pouvait conserver son existence, le produit de la dotation en meubles et immeubles sera employé, sous la même approbation, à en créer une du même genre, soit dans la ville de Liége, soit dans autre commune. »

La question est celle-ci : a-t-il là une fondation relative à l’enseignement ?

Si la fondation est un établissement d'enseignement, elle tombe sous l'application de la loi de 1864, mais si au contraire, elle présente les caractères d'un établissement de charité, la loi de 1684 cesse d'être applicable.

En effet, aux termes de l'article 84 de la loi communale, il n'est point dérogé aux dispositions des actes de fondation.

Je répète que la question est celle-ci : Est-ce un établissement d'instruction primaire ou la fondation ne crée-t-elle pas un établissement de charité ?

Messieurs, il ne faut pas exagérer la portée de la loi de i1864. La loi de 1864 n'est mes yeux qu'une loi odieuse. (Interruption.) Par conséquent, il faut l'interpréter dans un sens restreint plutôt que dans un sens large.

Je dis que la loi de 1864 méconnaît tous les principes généraux du droit, ct qu'à ce titre c’est une loi odieuse.

M. Bouvierµ. - Voilà de la modération !

M. le président. - Je vous engage à modérer vos expressions, M. Delcour.

M. Delcourµ. - Je crois ne rien dire de trop quand je dis que la loi de 1846 est une loi odieuse. (Interruption.)

M. le président. - Permettez...

M. Delcourµ. - Non.

M. le président. - M. Delcour, j'ai le droit de faire une observation et je vous prie de l'écouter. Je considère qu'il est profondément déplorable que dans cette Chambre on puisse ainsi porter atteinte à la dignité de magistrature et à la dignité de la loi elle-même. Je m'étonne qu'un homme de la gravité de M. Delcour ne se rende pas à mon premier appel. Je l'engage donc de nouveau à être plus modéré.

M. Delcourµ. - J'ai dit tout à l'heure que j'avais pour la magistrature le plus profond respect. (Interruption.) Mais il m'est bien permis de qualifier une loi. La loi sur les fondations, qu'est-elle à mes yeux ?

J’ai eu l'honneur de le dire et je ne me crois pas obligé de rétracter une seule de mes paroles, malgré l'observation de M. le président.

M. le président. - Je vous invite de nouveau à rentrer dans votre caractère habituel et à ne pas persévérer dans un regrettable langage.

M. Delcourµ. - Je dis que cette loi est une loi odieuse dans le sens juridique, et voici pourquoi. Qu'entend-on, dans le langage du droit, par « loi odieuse » ? Mais la loi qui est contraire aux principes généraux du droit. Eh bien, la loi de 1864 a ce caractère. Elle apporte une première exception au droit de tester, qu'elle limite. (Interruption.)

En second lieu, elle modifie la législation existante ; elle renverse des conditions approuvées par les fondateurs, sur la foi desquelles les fondations s'étaient formées. Elle présente donc un caractère de rétroactivité, et je n'ai jamais entendu dire que la loi qui rétroagit, ne soit point une loi odieuse.

En troisième lieu, la loi de 1864, en changeant le mode de gestion, privé les administrateurs existants des droits qu'ils tenaient des actes de fondation.

En quatrième lieu, elle a enlevé à la plupart des collateurs des droits qui avaient été maintenus, même par le gouvernement déchu.

Je dis, en cinquième lieu, que la loi de 1864 est une loi odieuse, suivant les expressions juridiques, parce qu'elle a détruit les obligations imposées par les fondateurs aux boursiers eux-mêmes.

Telle est l'analyse de la loi de 1864 ; elle consacre bien, je pense, des principes exceptionnels. Je vous le demande maintenant, ne suis-je pas autorisé à dire qu'une loi qui repose sur de pareils principes est toujours, selon l’expression juridique employée par tous les jurisconsultes, une loi odieuse ?

MfFOµ. - Vous jouez sur les mots !

MiPµ. - Ce sont des calembours juridiques.

M. Delcourµ. - Je crois être dans la vérité. Voyons maintenant ce qui s'est passé lors de la discussion de la loi de 1864 ? La loi est claire ; elle parle que des fondations d'instruction.

Je n'aurais aucun reproche à adresser à l'honorable ministre de la justice s'il s'était renfermé dans les termes de la loi de 1864. Mais il est allé au delà en appliquant la loi à la fondation Renard, qui est une fondation de charité.

Lorsque je consulte les discussions de la Chambre, je vois qu'il a été reconnu sur tous les bancs que la loi n'était point applicable aux fondations de charité. Cette question a été agitée à l'occasion de l'article premier et de l'article 45 de la loi ; et il n'y a eu qu'une interprétation sur ce point.

Mon ami, M. Dumortier, vous a rappelé les paroles de l'honorable M. Tesch au sujet d'une fondation à Anvers dont le nom m'échappe. Je ne les rappellerai pas. Mais il est manifeste pour tout esprit impartial que la loi ne concerne que les fondations relatives à l'instruction publique à tous les degrés.

Il ne s'agissait pas de fondations de charité, parce que ce point avait été réglé, au moins provisoirement, et pour les fondations existantes à cette époque, par une loi de 1859, qui a interprété l'article 84 de la loi communale.

(page 692) C’est le Sénat qui a introduit la réserve dont je parle, réserve qui a été acceptée ensuite par la Chambre.

Ainsi tout se borne cette simple question : la fondation Renard à Liége est-elle une fondation d'instruction ou bien une fondation de charité ?

MiPµ. - Il n'y a pas de doute.

M. Delcourµ. - Il n'y a pas de doute, dit l'honorable ministre. Mais je voudrais bien savoir si lorsqu'on fait une fondation de la manière suivante : l'instruction sera donnée aux enfants qui seront reçus dans mon établissement ; je les nourrirai, je les élèverai, je leur apprendrai un métier ; je les rendrai à la société lorsqu'ils seront en état de gagner leur vie ; Je vous demande si ce n'est pas là une fondation de charité ? En quoi peut-elle être une fondation d'instruction ? Apprendre un état à des jeunes filles, les retenir dans un établissement où il est pourvu à tous leurs besoins jusqu'au moment où elles en sortent, comment pouvez-vous soutenir qu'une telle fondation soit une fondation d'instruction ?

Non, je ne veux pas rouvrir aujourd'hui une discussion sur la loi de 1864. Mais je ne puis laisser sans réponse une observation qui vient d'être présentée par M. le ministre de la justice.

Si, dit-il, le gouvernement a proposé cette loi aux Chambres, c'est pour mettre un terme à de graves abus. N'avons-nous pas vu, a-t-il dit, des collateurs abuser de leur position et obliger les boursiers à étudier dans tel ou tel établissement ?

Je suis étonné que ce prétendu grief reparaisse encore. Ne savez-vous donc pas que déjà, en 1832, le ministère de l'honorable comte de Theux, une circulaire avait laissé aux boursiers la plus grande liberté sous ce rapport ; les boursiers avaient le choix de faire leurs études ou ils le voulaient.

Cette circulaire était respectée par les collateurs. (Interruption.) Pas un ne l'a enfreinte dans le sens indiqué par M. le ministre.

J'ai fait partie pendant quinze ans de la commission des bourses de Louvain ; J'ai examiné toutes les demandes qui nous ont été adressées pendant cette longue période.

Eh bien, j'affirme, la main sur la conscience, que jamais la commission de Louvain n'a imposé un jeune homme, auquel une bourse était conférée, l'obligation de fréquenter un établissement déterminé, et spécialement l'université de Louvain. Je repousse de toutes mes forces le motif invoqué par M. le ministre, et pourtant c'est contre Louvain que la loi de 1864 a été faite.

Messieurs, j'ai tenu à établir deux choses : j'ai voulu, en premier lieu, justifier mon honorable ami, M. d'Anethan, d'avoir fait, comme l'a dit M. le ministre, toujours et en toutes circonstances, des nominations de parti. Quant à la nomination d'un notaire à Louvain, reprochée à l'honorable sénateur, j'ai établi que la nomination était tombée sur un homme des plus honorables, sur un homme que j'estime personnellement, quoiqu'il appartienne ostensiblement et activement au parti libéral. Si M. d'Anethan n'avait pris en considération que des intérêts de parti, il se serait bien gardé de nommer un adversaire politique. Il l'a cependant fait.

Puisque la loi de 1864 sur les fondations existe, elle doit recevoir son exécution. J'ai tâché d'établir, en second lieu, que, comme loi exceptionnelle et contraire aux principes généraux de droit, il convient d'en restreindre l’application au lieu de l'étendre ; dans le doute, il faut se prononcer pour la liberté, qui est le droit commun.

J’ai dit, en troisième lieu, que la fondation Renard, à Liége, n'est pas une fondation d'instruction. Sans doute, l'acte de fondation parle de l'instruction à donner aux jeunes filles reçues dans l'établissement, mais pour juger la fondation, il faut l'apprécier dans son ensemble et rechercher le but du fondateur ; or, ce but ne saurait être douteux pour personne. Les fondateurs ont voulu créer une maison hospitalière où sont reçues les jeunes filles pauvres, pour apprendre un métier et gagner ensuite honorablement leur vie.

J'ai reproché à l'honorable ministre de la justice de ne pas avoir reproduit exactement et complètement dans l'arrêté du 9 mars 1870, qui a réorganisé la fondation, les termes de l’arrêté de 1839 qui l'avait autorisée.

J'ai critiqué enfin l'extension qu'il a donnée à la loi de 1864, en l'appliquant à une fondation qui n'est point une fondation d'instruction.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Delcour s'est trompé étrangement lorsqu'il a prétendu que j'avais attaqué le notaire qui a été nommé à Louvain. C'est une erreur complète, et je comprends parfaitement que l'honorable membre veuille déplacer le débat.

M. Wasseige m'ayant attaqué au sujet d'un candidat nommé notaire à Anvers après été consul au Havre, j'ai dit ceci :

« Si j'avais prendre les nominations faites par mes honorables adversaires, que verrais-je ? Je verrais l’honorable M. d’Anethan nommer notaire un officier de cavalerie, et cela à la demande de l'honorable M. Van Bockel, l'un des chers du parti catholique.

« - Une voix à droite. - C'était un libéral.

« M. le ministre de la justice (M. Bara). - Qu'est-ce que cela fait ? Ce n'était pas pour plaire aux libéraux que cette nomination a été faite. J'ajouterai, du reste, que ce candidat est devenu un excellent notaire.

Je n'attaquais donc pas la personnalité du notaire. Je disais : Vous avez bien nommé un officier de cavalerie, à qui me reprochait une nomination de consul.

L'honorable M. Delcour se trompe quand il dit que l'honorable M. Van Bockel n’a pas réclamé cette nomination. Il a fait les plus grandes instances pour l'obtenir.

J'arrive à la fondation Renard.

Je n'ai pas le dossier sous les yeux, mais c'est, comme l'a dit l'honorable membre, une question pour laquelle on ne peut se passionner.

D'après l'honorable M. Delcour, il s'agit d'une fondation de bienfaisance. On prend les jeunes filles pauvres, on les élève, on les instruit, on leur apprend un métier.

L'honorable membre oublie de nous dire quels sont les établissements de bienfaisance que la loi autorise. Il s'imagine qu'on peut prendre la première personne venue et créer une mainmorte à son profit.

La loi dit que vous ne pouvez faire cela qu'au profit des orphelins et l'article 6 du décret de 1811 définit ce qu'il faut entendre par orphelins.

« Les orphelins sont ceux qui, n'ayant ni père ni mère, n'ont aucun moyen d'existence. »

Les hospices ont la charge des orphelins, mais non des enfants qui ont père ou mère. Pour ceux-là la charge n'existe pas.

Vous ne pouvez, par conséquent, créer des établissements de bienfaisance pour recevoir les enfants pauvres. De pareils établissements sont des établissements d'instruction et appartiennent la commune.

Voulez-vous la preuve que la loi a été interprétée ainsi ? Ecoutez.

L'honorable M. d'Anclhan. prévoyant cette discussion au Sénat, avait demandé de rayer le mot « orphelins » de l'article 9 de la loi de 1864.

Il voulait qu'on pût appliquer la disposition à toutes les maisons où les enfants reçoivent l'instruction.

Voici comment il s'exprimait dans la séance du 23 novembre 1864 :

« L'article 9 parle de l'enseignement primaire qui se donne dans hospices d'orphelins. Dans l'amendement, nous avons supprimé le mot « d'orphelins », et nous y avons substitué en termes généraux l'enseignement primaire qui se donne dans les hospices.

« Nous ne comprenons pas pourquoi on s'est borné à parler des hospices d'orphelins.

« Nous ne nous occupons pas des hospices particuliers, nous ne parlons que des hospices communaux, et nous disons que si, dans ces hospices, il se trouve non seulement des orphelins, mais aussi des sourds-muets et des aveugles, il est utile qu'on permette aussi aux hospices se trouvent de ces malheureux de recevoir des libéralités pour leur enseignement. Pourquoi restreindre cette faculté aux seuls orphelins ? Je comprends pas... »

M. Tesch a répondu :

« Les hospices reçoivent l'autorisation d'accepter dans les limites de leurs attributions. Je ne puis pas admettre que les hospices puissent ouvrir des écoles pour les aveugles et les sourds-muets. Cela ne rentre pas dans les attributions de ces administrations. »

Il en est de même des établissements ou sont admis les enfants pauvres qui ne sont pas orphelins. Les attributions des hospices, des bureaux de bienfaisance sont limitées, et vous ne pouvez aller au delà de leurs attributions.

Voilà ce que M. Delcour a perdu de vue et c'est pour cela qu'il n'a pas compris l'arrêté royal. (Interruption.) Mais montrez-moi un texte de loi qui permette aux hospices de créer des établissements pour d'autres enfants que les orphelins. (Interruption.) Un orphelinat, oui ; les hospices peuvent un orphelinat, parce que la loi le dit, mais ils ne peuvent pas créer les établissements dont vous parlez ; si pareils établissements pouvaient exister, il y aurait confusion dans les services publics. L'instruction publique des pauvres appartiendrait aux hospices et à la commune.

J'en ai fini de ces observations ; quant à ce que M. Delcour a dit et de la magistrature et de la manière dont je dirige mon département, je n'ai qu'un mot à répondre : Il m'a fait le reproche de n'avoir pas été modéré ; je demanderai à l'assemblée si l'honorable membre l'a été !

M. de Brouckere. - Si, aux accusations formulées contre M. la ministre de la justice, si aux critiques dirigées contre ses actes on n’avait pas mêlé d'autres accusations, d'autres critiques, Je ne serais pas (page 693) intervenu dans ces débats. M. le ministre de la justice, en effet, nous a depuis longtemps prouvé qu'il suffisait de tenir tête à ses adversaires et pour les réfuter victorieusement. Mais on a trouvé bon de mêler à ces accusations et à ces critiques des accusations violentes et répétées contre la magistrature.

M. Delcour, que nous aimons à considérer comme un homme modéré (interruption), l'honorable M. Delcour lui-même, est venu nous dire que la magistrature ne jouit plus de la considération qu'on lui portait autrefois ; un moment après, le même honorable membre a déclaré ici, devant nous et devant le pays, qu’une loi récemment votée était une loi odieuse. Et, cependant, tout le monde le sait, cette loi est appliquée plutôt avec bienveillance qu'avec vigueur, et il y a, selon moi, au moins imprudence, pour ne pas dire plus, à déclarer que cette loi est odieuse et à se rendre en quelque sorte responsable de la désobéissance qu'on rencontrerait de la part de quelques personnes dans l'exécution de cette loi.

Mais, messieurs, c'est, depuis quelques années, un parti pris dans la droite de profiter de toutes les circonstances pour déverser du blâme sur la magistrature, pour la représenter comme n'étant plus digne de la considération publique.

Ceux qui, soit en Belgique, soit l'étranger, lisent les comptes rendus de nos séances, doivent croire, surtout s'ils se bornent à lire les journaux du parti catholique, doivent croire qu'en effet, en Belgique, la magistrature n'est plus digne d'inspirer la confiance ; que ce qu'elle doit faire naître dans l'esprit de tous les justiciables, c'est le soupçon, c'est la méfiance.

M. le ministre de la justice a énergiquement répondu à ces injustes accusations ; mais sa protestation ne doit pas rester isolée et j'ai cru qu'il était de mon devoir de ne pas laisser clore la discussion du budget de la justice avant d'avoir joint ma protestation à la sienne ; et quant à la mienne, je suis certain qu'elle sera appuyée de cœur par tous les membres qui siègent de ce coté de la Chambre.

- Voix à gauche. - Oui ! Oui ! très bien !

M. de Brouckere. - Messieurs, j'ai commencé ma carrière par la magistrature. Pendant dix-huit ans j'ai fait partie de ce corps éminent, et quand je m'en suis séparé, j'ai emporté avec moi un sentiment de profond respect pour tous les magistrats auxquels j'avais été associé, ce sentiment de respect que l'on porte toujours à la science, quand la science est jointe à la probité, l'honnêteté, à la délicatesse et au désintéressement.

Et voilà, messieurs, les qualités qui sont l'apanage de la magistrature belge.

Je sais très bien qu'on a pris pour système de reconnaître qu'à l'époque dont je viens de parler, la magistrature était véritablement honorable, qu'elle n'a cessé de l'être, qu'elle n'a dégénéré que depuis l'avènement de l'honorable M. Tesch et surtout depuis l'avènement de l'honorable M. Bara.

Eh bien, je déclare hautement que, dans ma conviction, la magistrature d'aujourd'hui vaut, à tous égards, la magistrature de toutes les époques. Et j'ajoute que, s'il y a une différence entre la magistrature d'aujourd'hui et celle qui l'a précédée, c'est que celle-là l'emporte encore sur l'autre par la science.

Jamais, par exemple, jamais je n'ai vu un parquet composé d'autant d'hommes distingués que le parquet belge d'aujourd'hui. Je vous dis dans ma conviction.

C'est donc, messieurs, une chose bien fâcheuse que ce système qu'on met en œuvre uniquement en vue d'accabler M. le ministre de la justice qui n'en est pas trop accablé, je pense, de parler en si mauvais termes d'une magistrature éminemment respectable.

Mais, messieurs, cela n'est pas seulement regrettable au point de vue des convenances ; cela constitue encore un véritable danger. Que diraient les honorables membres de la droite si leur opinion allait être partagée dans le pays ? Ne comprennent-ils pas que ce serait un jour fatal pour tous les partis, pour toutes les opinions, pour tous les individus, que le jour où l'on n'aurait plus de confiance dans la justice ? Mais, messieurs, le jour où le pays n'aurait plus de confiance dans la justice, il n'y aurait plus ni sécurité, ni intérêts assurés ; plus personne ne serait certain ni de sa liberté, ni de sa fortune.

Voilà ce qui arriverait si, par malheur, votre voix avait assez de retentissement dans le pays pour qu'on crût à vos paroles ; mais on n'y croira pas.

Je me contente aujourd'hui, permettez-moi de vous le dire. Je me contente d'une protestation. Mais si, l’année prochaine, il se produisait le même système de dénigrement contre la magistrature ; si, l'année prochaine, les efforts de la droite tendaient de nouveau à jeter sup elle la déconsidération et le dédain, je rédigerais un ordre du jour que je soumettrais à mes honorables collègues assis sur ces bancs et qui aurait pour but de déclarer que le pays tient sa magistrature comme honorable et qu'il continue à avoir en elle la confiance qu'elle lui a toujours inspirée.

Messieurs, dans les choses les plus sérieuses il y a toujours le coté plaisant ; vous avez entendu dans la séance d'hier, si je ne me trompe, un honorable membre vous dire très sérieusement : Aujourd'hui, quand on a un grand intérêt à défendre devant les tribunaux, on a bien soin de faire choix d'un avocat appartenant à l'opinion libérale et même à l'opinion libérale avancée. Et l'honorable membre a trouvé que cela était fort adroit. je doute que les avocats appartenant son opinion soient de cet avis. Si les paroles de l'honorable membre obtenaient créance dans le pays, savez- vous ce qui arriverait ? C'est que tous les avocats du parti catholique pourraient fermer leur cabinet.

L'honorable membre proclame ici que les tribunaux sont tellement constitués que quand une affaire est plaidée par un avocat appartenant à l'opinion libérale, on trouve chez les magistrats plus de bienveillance que quand on a un autre avocat pour interprète...

- Un membre. - Un avocat doctrinaire.

M. de Brouckere. - Oui, aux yeux de certaines personnes, mais, selon l'honorable membre, il faut un avocat appartenant à l'opinion libérale avancée.

Mais tout cela, messieurs, n'est que de l'exagération. Indirectement, on veut arriver à M. le ministre de la justice, et l'on marche sur tout ce qu'il y a de plus respectable et de plus respecté, les lois et la magistrature, sans y faire attention, uniquement pour arriver à M. Bara.

Mais, messieurs, je vous en prie, bornez-vous à attaquer M. Bara ; M. Bara ne redoute pas vos attaques. C'est un lutteur très distingué et je crois même qu'il aime la lutte. (Interruption.)

Il n'y a rien d'étonnant à cela : il lutte parfaitement et on aime toujours à faire ce qu'on fait bien.

Luttez donc contre lui, mais laissez en dehors de nos débats ce qui doit rester en dehors ; les lois et la magistrature.

Au lieu de les traiter sans égards, avec dédain même, nous devrions donner l'exemple du respect auquel il n'est permis à personne de manquer. Le jour où le respect pour la magistrature et pour les lois sera perdu, je vous le répète, il n'y aura plus dans le pays ni ordre, ni sécurité, ni tranquillité pour personne.

M. Dumortier. - Les paroles par lesquelles l'honorable orateur qui vient de se rasseoir a terminé son discours reviennent à ceci : Soumettez-vous à tout ce que nous avons fait ; adorez tout ce que nous avons fait ; soumettez-vous à la loi ; adorez les actes du ministère et les nominations des magistrats : voilà les paroles de l'honorable membre.

En résumant ainsi ses dernières expressions, j'expose complètement toute sa pensée. L'honorable membre est dans l'admiration de ce qui a été fait. Il trouve que la magistrature actuelle est supérieure à toutes celles qui ont existé à aucune époque ; il trouve que tout ce qui a été fait par M. Bara est parfaitement bien, parfaitement juste.

L'honorable membre a dit que nous avions cherché à jeter la déconsidération sur la magistrature. Mais, messieurs, en est-il un parmi nous qui ait cherché à poser un acte semblable ? (Interruption.)

Qui ? Il y a évidemment quelqu'un qui a jeté la déconsidération sur la magistrature : c'est celui qui a fait des nominations de parti ; c'est celui qui a fait de mauvaises nominations. (Interruption.) Voilà le seul coupable. En nous attaquant, est-ce que vous croyez par là que vous avez justifié vos actes ? Est-ce que le pays enlier n'est pas là pour réclamer contre toutes les nominations injustes qui ont été faites en éliminant d'une façon systématique la moitié de nos jeunes gens des fonctions judiciaires ?

Vous voulez vous emparer du budget, eh bien, asseyez-vous seuls à la table du budget, mais pas en qui concerne la magistrature. Quand il s'agit d'une institution qui doit prononcer sur ce qui est tien et mien, je dis que cette institution ne doit pas être prise parmi les hommes d'une seule opinion ; je dis que les nominations ne doivent pas être faites en vue de récompenser des services électoraux.

Et cependant, messieurs, l'enquête parlementaire qui a été faite au sujet de l'élection de Bastogne nous a démontré que le gouvernement a fait des nominations de parti.

En effet, nous avons vu un juge de paix tenir pendant tout un mois sans prononcer les jugements qu'il avait rendre, et pendant tout le cours de ce mois aller trouver les électeurs qui avaient comparu devant lui pour leur imposer leur vote. (Interruption)

(page 694) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Est-ce exact ?

M. Dumortier. - C’est parfaitement exact, mais ce qui n'est pas vrai, ce sont les mots que vous mettez dans vos arrêtés royaux, quand vous dites que les hospices sont des écoles primaires. Voilà ce qui n'est pas vrai !

Maintenant, je le demande, nous ne pouvons donc plus critiquer les actes ministériels ? Nous devrons nous agenouiller devant tout ce qui se fait, et nous devrions dire que la loi des bourses d'étude est une bonne loi. Comment ! cette loi qui a spolié les anciennes fondations, c'est une loi qui est bonne ? Et quand nous parlons des fondations, quand nous parlons des arrêtes que nous avons critiqués et qui se trouvent dans le Moniteur du 20 mars dernier, avez-vous oublié que lorsque vous avez apporté à l'article 84 de la loi communale l'amendement qui s'y trouve, vous avez déclaré et le gouvernement a déclaré que l'on ne voulait pas de rétroactivité, que l'on voulait conserver tout ce qui était fait ? Vous avez pris l'engagement de ne pas faire de rétroactivité, et si vous n'aviez pas pris cet engagement, vous n'auriez pas obtenu votre loi, parce qu'il y avait alors, comme il y a encore aujourd'hui dans la gauche, des hommes honnêtes qui ne veulent pas de la rétroactivité. Eh bien, c'est de la rétroactivité qu'on emploie. On foule aux pieds les engagements pris dans cette enceinte, et vous voudriez qu'on s'agenouillât devant de pareils actes !

Et cette loi des bourses d'étude, quel est son but ? Son but n'a-t-il pas été d'enlever à vos anciens bienfaiteurs toutes les fondations qu'ils avaient créées de leurs deniers ? Son but n'a-t-il pas été, comme l'a dit M.. Bara, de refaire les testaments ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Moi, j'ai dit cela ?

M. Dumortier. - Comment ! Il paraît que vous n'avez plus de mémoire ! Vous avez déclaré, devant la section centrale, qu'il fallait refaire les testaments ; vous l'avez déclaré dans la discussion, et nous devons nous agenouiller devant une pareille déclaration, qui est le renversement de tous les principes de droit et de justice ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas dit cela.

M. Dumortier. - Vous avez dit qu'il fallait rajeunir les testaments. Or, rajeunir, c'est refaire ; et vous n'êtes occupés qu'à une seule chose : à rajeunir les testaments.

Eh bien, voilà contre quoi nous nous révoltons. Quand des bienfaiteurs de l'humanité ont fondé des institutions humanitaires, vous n'avez pas le droit de rajeunir leurs dispositions et de prendre des mesures diamétralement opposées. Vous n'avez pas le droit de le faire en mettant dans des arrêtés royaux le contraire de la vérité. Vous n'avez pas le droit de le faire en violant la loi communale, en violant la loi des bourses elle-même, en violant tous les principes.

Et vous avez beau dire que les hospices n'ont été fondés que pour des distributions et certains actes de bienfaisance spéciaux. Vous perdez de vue, vous mettez de côté toute la période qui s'est écoulée depuis 1814 jusqu'à 1830, dans laquelle le roi Guillaume, agissant dans la plénitude du droit qui lui était conféré par la loi fondamentale, a porté des décrets que vous ne pouvez pas violer. Les institutions fondées alors l'ont été en vertu de décrets ayant force de loi et vous ne pouvez, par des arrêtés, violer un décret ayant force de loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Qu'ils aillent devant la cour de cassation.

M. Dumortier. - Ah ! voilà votre langage ! Je commence par prendre votre bien, je commence par prendre le bien d'autrui et puis je dis ; Allez devant les tribunaux. Je connais ce langage chez les partageux, chez ceux qui veulent s'emparer du bien d'autrui ; mais je ne l'admets pas dans un gouvernement honnête. Vous commencez par prendre les fondations, et après les avoir prises, vous dites : Plaidez maintenant contre moi.

Voilà une belle doctrine ! Et vous parlez de l'opinion publique ! Eh bien, cette doctrine, je la livre à l'opinion publique : rajeunir les testaments, prendre les biens des fondations, et puis dire : Maintenant plaidez ; allez en cassation.

L'honorable ministre s'est livré à des attaques très violentes contre l'opinion à laquelle j’appartiens ; il a prétendu établir qu'à l'époque où notre opinion était au pouvoir, les libéraux étaient écartés partout. Eh bien, je proteste de toute l’énergie de mes convictions contre une pareille assertion. Quand l'opinion catholique était en majorité, il y a eu presque toujours des ministères mixtes, des ministères composés de libéraux et de catholiques.

Mais l'honorable ministre n'a rien à dire pour sa défense ; il a posé des actes qui crient vengeance au Ciel et voilà pourquoi il nous attaque. Je livre ses accusations au pays, et le pays en fera justice.

M. de Theuxµ. - Il est une chose, messieurs, qui m'étonne au plus degré, c'est l'attaque que M. le ministre de la justice a dirigée contre le conseil provincial du Limbourg, qui, dans tous les cas, a usé de la plénitude de ses droits et qui n'a de leçons à recevoir de personne.

Comment l'honorable ministre a-t-il pu en venir à cette extrémité ? S'il est un conseil provincial qui a fait en tout temps preuve de la plus grande impartialité, c'est, à coup sûr, le conseil provincial da Limbourg.

Dans toutes les provinces où la majorité était libérale, jamais un membre de la députation n'a été nommé dans le sein de la minorité, et jamais les membres de la députation, pris antérieurement dans l'opinion catholique, n'ont été maintenus ; jamais un conseil provincial libéral n'a eu un président catholique ; à l'heure qu'il est, le conseil provincial du Limbourg, composé presque en totalité de catholiques, a un président qui appartient l'opinion libérale et à la haute impartialité duquel je me plais à rendre hommage.

Ce même conseil provincial maintient dans sa députation permanente une minorité libérale.

Un membre da cette minorité a été, il est vrai, remplacé ; mais c'est parce qu'il avait prononcé un discours en faveur de la réforme de la loi de 1842 à laquelle le conseil provincial porte avec raison le plus grand intérêt.

L'honorable ministre s'est lancé dans un champ dangereux... il a dit que le parti catholique avait voulu christianiser les capitaux et les opérations financières.

Messieurs, ces paroles sont dangereuses en présence de tant de faveurs accordées aux établissements libéraux.

N'est-il pas vrai que le gouvernement a accordé exclusivement son attache et ses faveurs aux institutions de crédit qu'il considérait comme libérales ?

N'est-il pas vrai que ICS journaux ministériels ont eu recours tous les moyens possibles pour discréditer la seule institution qui était gérée par des personnes jouissant de la confiance des catholiques ?

Mais n'est-ce pas là la cause principale de la chute de ces établissements ? (Interruption.)

Je l'ai encore entendu dire pas plus loin qu'avant-hier.

On a cherché, par tous les moyens possibles, à faire tomber ces établissements.

N'en disons pas davantage.

Il y a dans cette matière une partialité évidente.

Des faveurs pour les institutions financières libérales ; attaques souvent odieuses pour les entreprises d'une nuance catholique.

Messieurs, je ne dirai qu'un mot sur la question des bourses.

Nous tous, nous maintenons fermement toutes les opinions que nous avons exprimées dans la discussion de cette loi. Nous la considérons encore comme injuste, comme ayant spolié les fondations faites dans un esprit opposé celui de la loi de 1864.

Et que l'on ne dise pas que nous n'avons pas le droit de déverser le blâme sur une loi que nous désapprouvions et que nous avons combattue.

Le droit de blâmer peut être exercé par tout jurisconsulte et par quiconque repousse une loi.

Ce n'est pas parce qu'une loi est votée, qu'on doit dire qu'elle est juste.

Ne voyons-nous pas très souvent des lois très anciennes attaquées à l'origine par un seul homme qui, à force de persévérance, parvient à la faire considérer comme injuste et la faire réformer ?

J'ai l'habitude de lire, dans mes loisirs, les discussions des divers parlements et je n'ai jamais vu faire autrement.

On me fait remarquer que l'honorable ministre de la justice n'a cessé de signaler la loi sur la contrainte par corps comme odieuse. Cependant elle est fort ancienne et elle a existé chez tous les peuples civilisés.

Messieurs, la liberté de la parole n'existerait plus dans le parlement si l'on pouvait empêcher la manifestation des opinions.

L'honorable M. de Brouckere a fait un grand éloge des magistrats.

Je n'ai jamais dit que la magistrature était déshonorée, mais j'ai dit que les nominations de parti tendaient affaiblir la confiance du pays dans la magistrature, et cette opinion, je la maintiens.

Pourquoi la Constitution et nos lois organiques ont-elles pris tant de précautions pour mettre les nominations à l'abri de l'esprit de parti ?

Pourquoi le Code de procédure a-t-il pris tant de précautions pour assurer l'impartialité des jugements ?

Messieurs, si l'on avait le malheur de ne pas critiquer le gouvernement quand on croit qu'il commet des injustices, le gouvernement pourrait (page 695) donner libre carrière à toutes les plus mauvaises nominations et la magistrature tomberait dans le plus grand discrédit, comme cela est arrivé sous le gouvernement impérial, lorsque nous étions réunis à la France, et sous le gouvernement des Pays-Bas.

L'honorable M. de Brouckere nous menace d'un ordre du jour pour la session prochaine.

Qu'il me permette de le lui dire : soit qu'il propose son ordre du jour aujourd'hui, soit qu'il le propose l'an prochain, l'opinion du pays restera cc qu'elle est.

L'ordre du jour ne sera qu'un acquiescement de la majorité à la politique du ministre. Que l'on multiplie ces mesures dans le parlement si l'on veut. Elles n'auront qu'un seul résultat, la déconsidération de la majorité.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On a beaucoup parlé de la loi de 1864, de l’injustice qui préside la collation des bourses ; or, voici un petit relevé qui vous permettra d'apprécier si le parti catholique a le droit de se plaindre.

La commission des bourses du Brabant, la principale, celle qui administre plus de la moitié des fondations, avait, à la date du 4 février 1869, distribué les revenus de la manière suivante :

Bourses aux élèves d'établissements religieux, 254.

Bourses aux élèves d'établissements laïques, 194. Et notez qu'il y a trois universités laïques. (Interruption.)

Savez-vous combien l'université de Louvain a de bourses ? 116.

M. de Theuxµ. - Il y a là condition de lieu et de résidence.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a la parenté ; quant à la condition de lieu, elle n'existe pas.

M. de Theuxµ. - Les bourses doivent parfois être distribuées à des jeunes gens nés dans telle ou telle commune.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, mais les dispositions de cette nature ne profiteraient pas beaucoup aux jeunes gens nés à Louvain. (Interruption.)

Voilà donc l'effet de la loi sur les bourses d'étude : l'université de Louvain a eu 116 bourses, tandis que celle de Bruxelles n'en a eu que 44, celle de Liége 25 et celle de Gand 18.

Peut-on dire dès lors que la loi des bourses a été interprétée contre le parti catholique ? Et je prie la Chambre de remarquer que la commission des bourses du Brabant est représentée comme libérale par nos adversaires.

Un mot à M. de Theux. L'honorable membre s'est imaginé que c'est moi qui ai inventé le mot « christianiser les capitaux »...

M. de Theuxµ. - Vous l'avez produit ici.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui ; mais je ne faisais pas allusion à telle ou telle institution. Au congrès de Malines, des orateurs sont venus....

M. E. de Kerckhoveµ. - Un orateur.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Un orateur, soit ; mais il a été très applaudi et il y a eu ensuite un bref du pape.

M. E. de Kerckhoveµ. - Pas du tout.

M. Bouvierµ. - Il y des lettres du pape.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Au congrès de Malines donc, un orateur est venu prêcher qu'il fallait faire toute espèce d'opérations en dehors des libéraux, réunir de l'argent provenant de source catholique. Je ne suis pas d'avis que dans la vie des affaires, dans la vie commerciale, il faille diviser les citoyens : eh bien, j'ai protesté contre cette théorie ; j'ai protesté contre ce qu'on appelle « la christianisation des capitaux. » .

M. E. de Kerckhoveµ. - Je proteste également.

MfFOµ. - Vous blâmez cela ?

M. E. de Kerckhoveµ. - Oui certainement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voilà ce que j'ai dit ; qu'on ne prétende pas que c'est moi qui suis l'inventeur de ce mot. Il appartient tout entier au congrès de Malines.

M. E. de Kerckhoveµ. - Je demande la permission de répondre un mot à une attaque blessante qui vient d'être dirigée contre une assemblée dont j'ai eu l'honneur de faire partie.

On a rappelé certaine parole prononcée au congrès de Malines : cette parole je n'ai pas à la défendre, mais je proteste, je dois protester quand on veut en rendre le congrès responsable. C'est la parole d'un orateur, d’un seul orateur, et cette parole a été immédiatement blâmée. (Interruption

J'affirme que je l'ai entendu blâmer autour de moi et je l'ai énergiquement blâmée moi-même.

Vous n'avez pas le droit de rendre une grande assemblée, tout un parti, responsable d'une expression exagérée, malheureuse, si vous voulez, échappée à un orateur trop enthousiaste. Encore une fois, cela ne nous regarde pas.

M. Hymans. - Il y a quelques jours, j'ai consulté le compte rendu du congrès catholique de Malines que vous pouvez trouver à la bibliothèque de la Chambre et j'y ai constaté que l'orateur qui a proposé la christianisation des capitaux a été vivement applaudi.

M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole dans la discussion générale ?

M. Coomans. - Oui, M. le président, Je demande à dire encore un mot. J

e n'étais pas au congrès de Malines le jour et à l'heure où le mot a été prononcé ; j'y ai été à d'autres jours et à d'autres heures. Ce n'est donc pas pour m'expliquer sur ce fait que je prends la parole. C'est pour m'étonner qu'un gouvernement réponde solennellement à un mot, à un seul mot d'un seul orateur. Quand même une décision aurait été prise par l'assemblée dans laquelle ce mot a été prononcé, je ne sais encore jusqu'à quel point il eût été décent, de la part de M. le ministre de la justice, d'en faire le prétexte de la discussion à laquelle nous venons d'assister, mais quand un seul mot a été prononcé par un seul homme, faire de ce mot un sujet de récriminations contre tout un grand parti, je trouve cela exorbitant ; j'allais dire puéril. C'est rapetisser étrangement nos débats.

D'ailleurs, messieurs, il s'en dit bien d'autres dans les rangs da nos adversaires, et je doute que M. le président me permît de relever ici tout ce qu'on peut entendre dans certaines assemblées. Quoi qu'il en soit, quand il y a une décision, plus ou moins générale, prise par des associations, par des réunions quelconques, je comprends, la rigueur, qu'on s'en occupe ; mais relever un mot entre dix mille, cela me paraît vraiment extraordinaire.

M. Hymans. - Je demande la parole.

M. le président. - Y a-t-il lieu de prolonger cet incident ?

M. Hymans. - Je tiens, M. le président, à dire encore un mot. Il s'agit ici, non pas d'un mot, mais d'un fait important et dont le pays s'est vivement préoccupé. On ne s'est pas borné à dire qu'il fallait christianiser les capitaux ; on les a réellement christianisés, et on les a si bien christianisés ou baptisés qu'il n'en reste absolument plus rien. (Longue interruption.)

M. Dumortier. - Vous nous reprochez un mot ridicule, puéril, stupide, prononcé dans une réunion à laquelle je n'avais pas l'honneur d'assister. Mais que diriez-vous si je voulais vous rendre responsables de ces paroles, mises dans la bouche de jeunes enfants et chantées publiquement, lors de l'inauguration de la statue élevée à Verhaegen :

« Plus de dogmes, aveugles liens, »

« Plus de joug : tyran ou Messie. »

Et l'on ajoutait que la paix de l'âme était dans la négation de Dieu.

Voilà bien autre chose, je pense, qu'une boutade isolée et restée sans écho ! Il ne s'agit pas ici de christianiser les capitaux, mais de déchristianiser les populations.

Je ne vous rends pas responsables de ces aberrations et, par conséquent, vous n'avez pas le droit de faire remonter jusqu'à nous la responsabilité d'un mot ou d'une opinion dépourvue de toute autorité.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Hymans. - Un mot seulement, ce ne sera pas long. Les paroles qui ont été chantées en chœur lors de l'inauguration de la statue de Verhaegen, et que vient de rappeler l'honorable M. Dumortier, n'engageaient la responsabilité, la garantie de personne. La christianisation des capitaux a été décrétée dans un but politique par une assemblée politique, et solennellement, officiellement bénie par le pape. (Bruyante interruption.)

M. E. de Kerckhoveµ. - Je proteste de nouveau contre l'assertion de M. Hymans. Je dis encore une fois qu'on n'a pas le droit de rendre le congrès de Malines responsable d'une parole isolée, que j'ai blâmée immédiatement et que tous les amis qui m'entouraient ont blâmée avec la même énergie. M. Hymans dit qu'il y a eu des applaudissements ; je ne sais dans quel compte rendu M, Hymans a cela ; à moins de supposer que (page 696) l’orateur du congrès, en revoyant son discours pour l’impression, n'y ait mis lui-même les applaudissements.

Du reste, qu'importe ? Ce que j’affirme, en réponse à l'honorable M. Hymans, c'est qu'il n'y a pas eu d'approbation, de décision de l'assemblée sur ce point. Je dis « de l'assemblée » et j'invite M. Hymans à rechercher dans les annales du congrès de Malines la décision dont il vient de parler. (Interruption.)

Vous avez parlé d'une décision...

- Un membre. - Et d'une ratification par le pape.

M. E. de Kerckhoveµ. - Il n'y a pas eu ratification par le pape de la décision que suppose l'honorable M. Hymans, ni d'aucune des résolutions du congrès.

Le congrès de Malines, je le déclare hautement, est resté parfaitement indépendant et n'a demandé de ratification à personne.

Mais quoi qu'on puisse penser du congrès, il est, je le répète, souverainement injuste, il est inconvenant de vouloir faire peser sur une grande assemblée, sur tout un parti, la responsabilité d'un mot perdu au milieu d'une foule de discours et de rapports ; d'un mot que beaucoup de personnes n'avaient pas même remarqué, mais qui a été, alors et depuis, vivement blâmé par les membres qui l'avaient entendu.

- La discussion générale du budget de la justice est close.


M. le président. - Je demande la Chambre l'autorisation de faire imprimer deux amendements qui sont parvenus au bureau et qui concernent le titre des Sociétés. L'un de ces amendements a été présenté par M. Broustin ; l'autre par M. Guillery.

- Cette proposition est adoptée.


M. le président procède au tirage des sections pour le mois d'avril.

- La séance est levée à cinq heures.