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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 30 mars 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 663) M. de Rossiusµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« La sieur Guesnet demande une enquête sur l'administration de l'hospice communal d'Ingelmunster. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Wasmes, Fosse, Coo, La Gleize, Stoumont, Rahier, Chevron, Basse-Bodeux, Bra et Lierneux demandent que la station de Trois-Ponts soit ouverte au trafic des marchandises pondéreuses. »

M. Davidµ. - Messieurs, l'objet de cette pétition est d’une haute importance pour les communes de mon arrondissement qui réclament. Je prie donc la Chambre de vouloir bien inviter la commission des pétitions à présenter un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Delaruelle réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement de ce qui lui revient à titre de rémunération des travaux du recensement général en 1866/ »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Loo-ten-Hulle prient la Chambre d'accorder au sieur Villequet la concession d'un chemin de fer de Thielt à Langerbrogge, par Ruysselede, Poucques, Loo-ten-Hulle, Meerendré, Lovendegem et Eyergem. »

- Même renvoi.


« Des entrepreneurs et des ouvriers à Audenarde demandent le rejet du projet de loi portant augmentation des droits sur les eaux-de-vie. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« La chambre de commerce et des fabriques de Gand demande le maintien temporaire et à titre d'essai d'un droit modéré sur le sel raffiné. »

- Renvoi la section centrale chargée d’examiner le projet de loi portant abolition du droit sur le sel.


« Les membres du conseil communal de Lowaige demandent la suppression du paragraphe 2 n°4 de l'article 47 de la loi communale, surtout en tant qu'il concerne les communes d'une population supérieure à 400 habitants. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi modifiant la loi communale.

Projets de loi de naturalisation

M. de Brouckere dépose 25 projets de lois ayant pour objet d'accorder la naturalisation à 25 personnes, dont les demandes ont été prises en considération par la Chambre et le Sénat.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1871

Discussion générale

M. Wasseige. - Messieurs, vous avez probablement remarqué comme moi que l'honorable ministre de la justice n'a pas combattu mes allégations. L'honorable ministre a trouvé plus simple, plus commode de déplacer la question. J'ai cherché à vous établir, à l'aide de documents que je considère comme très sérieux, que tout un système existait au département de la justice, que l'on voulait, à l'aide de nominations faites toujours dans un même sens, libéraliser la magistrature.

Ce système, Je l'ai établi à l'aide de renseignements que j'ai recueillis avec le plus grand soin. On a cherché à nier que ces renseignements pussent être obtenus d'une façon certaine. Et pourquoi pas, messieurs ? Ces renseignements, j'ai pu les obtenir bien plus facilement que l’honorable ministre des finances n'a pu obtenir ceux à l'aide desquels il classait les cabaretiers en cabaretiers catholiques et en cabaretiers libéraux.

MfFOµ. - Je n'ai jamais fait cela.

M. Wasseige. - Un jour, lorsque l'on discutait la question de l'impôt sur le débit des boissons distillées pour la formation du cens électoral, vous avez dit : Vous y perdriez bien plus que nous, messieurs, car il résulte des statistiques de mon département qu'il y a plus de cabaretiers catholiques que de cabaretiers libéraux.

D'ailleurs, messieurs, le rapport de M. Sabatier confirme cette assertion, page 14 du rapport de cet honorable collègue, où vous verrez les débitants de boissons classés en libéraux et catholiques ; vous y trouverez même les douteux, qui vous ont tant indignés hier ; seulement, M. Sabatier les appelle des inconnus.

Eh bien, messieurs, si ces pauvres cabaretiers, qui ont bien peu d'occasions de manifester leurs opinions politiques, ont pu être classés par l'honorable ministre des finances, à plus forte raison ai-je pu trouver à classer des citoyens qui, par leur position sociale, la nature de leurs fonctions, ont dû avoir des occasions bien plus fréquentes de manifester leur opinion. L

D’ailleurs, je l'ai dit déjà hier, les choix de l'honorable ministre de la justice sont tellement colorés, que la notoriété publique, à défaut d'autres renseignements, les aurait désignés presque tous.

Messieurs, qu'a dit à cela l'honorable ministre ? Dans le but évident de détourner votre attention de la véritable question, il a dit : Mais, mon Dieu, les griefs que l'honorable M. Wasseige fait valoir contre moi ne sont pas nouveaux. Toujours on a accusé les ministres de la justice libéraux d'avoir fait de mauvaises nominations. L'honorable M. Lebeau n'a pas été épargné. L'honorable M. Wasseige lui-même, le procureur général des accusations contre tous les ministres de la justice présents, passés et futurs, a attaqué plusieurs fois l'honorable M. Tesch ; il m'a attaqué moi-même.

Qu'est-ce que cela prouve, messieurs ? Cela prouve que tous les ministres libéraux ont fait de mauvaises nominations, en plus ou moins grand nombre.

Mais au moins si nous avons pu critiquer certaines nominations comme entachées de partialité, au moins nous n'avons jamais prétendu que ces nominations fussent la conséquence d'un système tel que celui que nous reprochons à l'honorable M. Bara.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez dit la même chose pour l'honorable M. Tesch.

M. Wasseige. - J'ajoute maintenant que la présence de l'honorable M. Bara sur le banc ministériel et son système exclusif me font regretter vivement l'honorable M. Tesch.

A mes yeux, l'honorable ministre de la justice actuel est une exception malheureuse parmi tous les ministres de la justice libéraux. Je crois même pouvoir affirmer qu'il est une exception même dans le ministère dont il fait partie.

Mais enfin dans l'impossibilité où il se trouve de me combattre avec quelque apparence de vérité, l'honorable ministre se lance dans la discussion de faits particuliers. C’est complètement déplacer la question, j'ai déjà eu l'honneur de vous le faire observer.

Et comment l'honorable ministre arrive-t-il ces faits ? Il a en son pouvoir les archives de son département. Il a pu les fouiller et les faire fouiller, et il ne s'en est pas fait faute.

(page 664) Ces archives, comprennent une période de trente ans, et, pendant ces trente années, les catholiques, a-t-il dit, ont été au pouvoir pendant vingt ans environ.

A quoi est-il parvenu, à l’aide de tous ses efforts ? A exhumer sept ou huit faits fossiles.

Voilà à quoi il a abouti.

Ce peu de faits qu'il est arrivé à reprocher à l'opinion catholique, et soyez convaincus qu'il n'en a omis aucun , prouvent, à la dernière évidence, que les nominations ont été, en général, irréprochables.

J'appuie sur cette considération. Ces faits qui ont paru faire une si vive impression sur vos bancs, MM. de la gauche, ces faits ont été expliqués complètement plusieurs reprises par l'honorable M. d'Anethan lui-même dans les séances du 13 au 16 janvier 1847. Si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, je relirais toute cette discussion, qui ne laisserait subsister aucun doute dans vos esprits, car, je le répète, les explications de l'honorable M. d'Anethan ont été catégoriques, et ceux qui voudront les relire en seront convaincus.

Si l'honorable M. Bara ne se trouve pas satisfait encore, qu'il s'en explique au Sénat où, depuis un certain temps, il a si peu l'habitude de se faire entendre et il y trouvera à qui parler ; je suis convaincu que l'honorable M. d'Anethan ne laissera rien debout de ce qu'il a affirmé hier.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je m'en suis déjà expliqué.

M. Wasseige. - Recommencez. Mais on a été plus loin ; on vous a fait connaître un exposé de principes que l'on a cru excessivement compromettant, une déclaration signée de l'honorable M. d'Anethan. déclaration que l'on nous a opposée en disant : L'acceptez-vous ? Eh bien, cette citation a été écourtée, dénaturée ; je vais vous la lire complètement, in extenso et vous jugerez. Voici ce que disait M. d'Anethan dans la séance du 15 janvier 1847 :

« Vous aurez sans doute remarqué, messieurs, le système qu'on semble vouloir faire prévaloir. Il suffit qu'un candidat soit appuyé par un membre de la majorité, pour qu'à l'instant même il devienne indigne, incapable d'exercer aucune fonction publique. Dès qu'un membre de la majorité approuve une nomination faite, on crie au favoritisme ; doit-on par hasard considérer toutes les personnes qui ont des opinions conformes à celles des membres de la majorité, comme des parias dans le pays ?

« Qu'avons-nous vu en effet ? Lorsque mes honorables amis, MM. de Smet et Clep, sont venus déclarer que les nominations qui avaient été faites dans les arrondissements dont ils connaissent un peu mieux les besoins que l'honorable M. Verhaegen, ont été accueillies avec une faveur marquée, cet honorable membre n’a-t-il pas dit que l'appui que trouvaient ces nominations sur les bancs de la droite justifiait toutes les accusations ?

« Songez-y donc, messieurs, il suffit d'être appuyé par un seul d'entre vous, pour que ce soit un titre de réprobation aux yeux de l'opposition. Voilà le rôle que jouait alors l'opposition ; nous sommes bien loin de ce temps-là.

« Elle reste fidèle à son système d'exclusion ; elle voudrait que l'on ne nommât que des candidats suivant son cœur et partageant toutes ses doctrines. Cela vous donne l'avant-goût de ce que ferait la minorité si elle avait le pouvoir. Simple minorité, elle veut déjà exclure des candidats qu'elle considère connue favorables à la majorité ; que ferait-elle donc si jamais elle devenait majorité ? »

Ces paroles ne sont-elles pas prophétiques ? (Interruption.) et la prophétie n'est-elle pas dépassée encore par les faits ?

« Ce que le gouvernement doit faire, c'est de rechercher des personnes capables et honorables pour remplir les fonctions publiques, mais ce qu'un gouvernement ne doit pas faire, ce que, pour ma part, je ne ferai jamais, c'est d'appeler aux fonctions publiques des personnes qui ont posé des actes ouvertement et ostensiblement hostiles au gouvernement. Quant à ces personnes, tant que je serai à ce banc, je ne proposerai jamais leur nomination. Aucun ministère passé n'a agi autrement, aucun ministère futur n'agira d'après d'autres principes. Adopter une autre conduite, ce serait enlever au gouvernement toute force, ce serait lui enlever toute considération. »

Voilà la déclaration de principes complète. Eh bien, je vous le demande ; que trouvez-vous à y redire ; quel changement y avez-vous fait ? Ahl oui, vous en avez fait des changements, mais c'est plutôt pour aggraver la déclaration faite par M. d'Anethan.

Ces principes d'ailleurs ont été appliqués en tout temps et par tous les ministères ; voulez-vous connaître, à ce point de vue, l'opinion d'un des hommes que nous respectons tous dans cette Chambre, de l'honorable M. Rogier ? Je vais vous la faire connaître ; voici ce que disait Rogier dans la séance du 10 novembre 1847, c'est-à-dire dix mois après la déclaration de M. d'Anethan.

« Les destitutions politiques sont dans tous les temps, dans tous les pays constitutionnels, la conséquence nécessaire de l'arrivée au pouvoir d'hommes nouveaux et de principes nouveaux. »

Et certes il appliquait largement sa déclaration de principes. Vous vous rappelez tous l’autodafé qui fut fait alors de gouverneurs et de commissaires d'arrondissement.

Voilà par parenthèse ce qui répond à la déclaration de M. Dechamps que l'honorable ministre de la justice citait lui-même hier.

Voyons maintenant pour le système de M. d'Anethan ce que disait également M. Rogier .

« Si, dans l'exercice de tel ou tel droit, un fonctionnaire de l'ordre civil vient à poser des actes ouvertement hostiles au gouvernement, vient à se séparer de lui par des actes patents, le gouvernement a le droit de se séparer de ce fonctionnaire. »

Vous voyez, messieurs, que le principe dont vous faisiez un grief à l'honorable baron d'Anethan est un principe qui a été pratiqué par tous les ministères et j'affirme que l'honorable M. Bara l'a pratiqué plus que personne en y donnant une extension inconnue jusqu'à lui.

L'honorable baron d'Anethan se bornait à déclarer qu'il ne nommerait pas, en qualité de fonctionnaires publics, des adversaires déclarés du gouvernement, des gens ayant posé des actes ouvertement hostiles au cabinet. Est-ce dans ces limites que l'honorable M. Bara renferme son ostracisme ? Pour lui, il ne suffit pas d'être hostile au gouvernement, d'être neutre ou seulement douteux, pour me servir d'une expression employée hier.

Pour lui il faut être complètement asservi au gouvernement pour obtenir une nomination. Hors de l'Eglise libérale point de salut. Quant à ceux qui sont les adversaires déclarés du gouvernement, quant à ceux qui ont trop d'indépendance de caractère pour faire acte de soumission, ceux-là s'abstiennent de solliciter. Quant aux destitutions, messieurs, mais c'est une véritable plaisanterie que de se prévaloir de ce qu'on n'on prononce plus ; on ne destitue plus personne parce qu'on n'a plus d'adversaires à destituer ; on n'ose plus se déclarer ouvertement adversaire du gouvernement, il n'y a plus pour cela assez d'indépendance dans la magistrature.

Je crois, messieurs, vous l'avoir prouvé hier, Je parle, bien entendu, de cette magistrature nommée par l'honorable M. Bara, car, Dieu merci !, il y reste encore bon nombre de magistrats qui n'ont pas été nommés par lui et chez lesquels s'est conservé intact le sentiment de la dignité, antique apanage du magistrat belge.

On a parlé de la pénurie de candidats catholiques, Si, nous a dit hier l'honorable M. Bara, si je ne nomme pas plus de candidats catholiques, c'est qu'il ne s'en présente pas davantage. Mais, messieurs, les jeunes gens capables ne manquent pas plus dans le camp catholique que dans le camp libéral ; nous en avons un exemple incontestable dans les résultats des examens de sortie de nos diverses universités ; nous en avons un autre exemple dans la composition du personnel du barreau de nos villes de province, qui compte une foule de jeunes avocats catholiques parmi les plus intelligents et parmi ceux qui jouissent de toute la confiance du public.

Mais les conditions de succès sont si dures pour les jeunes gens catholiques qu'ils préfèrent s'abstenir plutôt que de tenter d'inutiles sollicitations. Mais tout le monde n'a pas 25,000 livres de rente ; il faut bien gagner sa vie, et pour cela il faut malheureusement, sous le régime que nous subissons, faire abnégation de ses principes. Ces cas cependant sont assez raies, et il faut une nécessité absolue, car, en général, on se sent trop de courage pour courber la tête sous la pression morale et l'inquisition de l'honorable M. Bara et de son secrétaire particulier, ou plutôt de son secrétaire intime d'abord, car il faut, dit-on, avoir reçu de lui son certificat de moralité pour pouvoir arriver jusqu'au ministre.

Messieurs, on m'a presque mis au défi de citer des faits. J'étais décidé à ne pas me laisser entraîner sur ce terrain, je vous l'avais dit hier, c'est une discussion difficile, d'ailleurs, et nous ne combattons pas à armes égales, car je n'ai pas les mêmes moyens que M. le ministre de me renseigner. Il a des dossiers, lui, il peut les examiner, les compulser. Peut- être nous dira-t-il que nous aussi nous pouvons consulter les dossiers. Mais, messieurs, les dossiers ne contiennent pas toujours la partie la plus intéressante de l'instruction : ils ne comprennent pas la pression des associations, les démarches personnelles, les recommandations verbales, les raisons vraies, mais dont il n'est pas toujours prudent de laisser des traces.

Vous voyez donc qu'alors même que ces dossiers seraient mis à ma disposition, la partie ne serait pas égale entre nous. Comment faire d'ailleurs ? Dans des discussions précédentes, j'avais cité des faits, et on m'a (page 665) reproché de ne parler que de faits particuliers qui n'avaient pas d'importance et dont on pouvait faire un grief à tous les ministres ; on disait qu'il fallait d'autres raisons de nature à établir qu'il y avait un système général.

Eh bien, j’ai fait la statistique de ce système ; je l'ai exposée hier, et maintenant on me dit que cette statistique ne signifie rien, qu'il faut l'appuyer par des faits.

J'avoue que j'éprouve beaucoup de peine à vous satisfaire. Mes honorables adversaires, vous n'êtes contents de moi ni dans un sens ni dans l'autre.

Je vais cependant vous poser quelques faits particuliers que j'ai pu recueilli•, mais avant d'en arriver là, je dirai que M. ministre de la justice, toujours dans un intérêt de parti, use non seulement des nominations, mais des non-nominations et des promotions.

Quant aux non-nominations, je citerai un seul fait.

Il existe devant la cour d'appel de Gand, là où, comme je le disais hier, se prépare la grande lutte électorale et où les influences doivent être ménagées plus que partout ailleurs, il existe, dis-je, une place de substitut du procureur général qui est vacante ; deux grandes influences sont en présence ; il faut mécontenter l'une des deux, que faire ?

L'honorable ministre est bien embarrassé ; il s'abstient, et ce au grand détriment de l'intérêt général, d'autant plus que cette vacature en laisse subsister plusieurs autres.

Plusieurs journaux se sont fait les échos de ces plaintes ; une feuille que M. le ministre ne répudiera pas, l'Echo du Luxembourg, journal qui passe pour recevoir les inspirations de M. Tesch, lui en faisait dernièrement un grief.

Quant aux promotions, qu'arrive-t-il ? Il existait, dans un arrondissement de la province de Liége, un juge de paix, homme parfaitement capable, parfaitement honorable, à tel point que, dans sa modeste position, il avait été choisi par le conseil provincial de Namur comme candidat de la cour d'appel. Comme il appartenait notoirement à l'opinion catholique, il serait, malgré tous ses titres et ses demandes, les mieux justifiées, toujours resté dans sa justice de paix ; mais, grâce aux sollicitations de mon honorable collègue, M. De Lexhy, et de M. le sénateur de Sélys-Longchamps, ce juge de paix fut promu à d'autres fonctions ; il fallait là une influence libérale ; celui-là ne faisait que remplir consciencieusement son devoir de juge de paix, cela ne suffisait pas pour assurer le succès de nos honorables collègues. Que fait-on ? On le nomme à Dinant. (Interruption.) On le nomme juge à Dinant !

On m'a demandé de citer quelques faits ; il y en a un auquel j'ai fait allusion hier : c'est le choix de M. Lamaye, qui a été nommé récemment à la cour d'appel de Liége. Eh bien, je vais dire quelques mots de cette nomination.

Je n'ai pas l'honneur de connaître M. Lamaye, je ne veux pas parler de sa vie privée ; mais il m'est permis de parler de ses actes publics. Je sais que dans sa vie privée, M. Lamaye passe pour être un excellent garçon, un bon vivant, cultivant même la muse wallonne ; et je comprends que cette qualité, fort appréciée dans la province de Liége, lui ait créé là de nombreux amis, et que, cultivant cette muse wallonne, il ait pu se permettre de dire sous le couvert de la poésie :

C'est à la boutonnière que reconnaît les plats pieds.

Vous comprenez, messieurs, ce que cette allusion a de délicat et de charmant ; je la livre à l'appréciation de ceux qui ont l'honneur de porter la décoration de l'Ordre de Léopold.

Quant à sa vie politique, M. Lamaye n'était connu que comme un libéral excessivement accentué. Ses opinions ne faisaient de doute pour personne : c'était un radical carré. (Interruption.)

Un fait le prouve suffisamment, c'était à l'occasion d'une adresse à envoyer, par le conseil provincial de Liége, au Roi pour le féliciter du mariage du duc de Drabant ; tous les membres du conseil la signèrent ; M. Lamaye seul refusa de le faire. Pour étayer mon opinion à cet égard, je vous citerai encore sa façon de s'exprimer dans une circonstance assez grave. Il y avait eu des émeutes Verviers ; l'honorable M. Lamaye était l'avocat des émeutiers et voici ce qu'il disait :

« La cause de l'émeute, c'est l'abus du capital. De quel droit la cupidité de quelques avides a-t-elle voulu opposer les exigences de l'art à la puissance du travail ? »

Que doivent se dire les grands industriels verviétois, en pensant que leurs intérêts peuvent dépendre du jugement d'un homme professant de semblables doctrines ?

Il ajoutait :

« On conçoit donc maintenant le motif de cette haine profonde dont la population verviétoise est animée contre le jésuitisme. Que deux loups affamés viennent se jeter au milieu d'une société de citoyens paisibles, et les ministère public, aujourd'hui si prompt à poursuivre... sera le premier qui vous aidera à vous garantir des morsures de ces animaux malfaisants... Si le rassemblement qui aurait eu lieu pour se préserver des loups aurait été légitime, celui qui tendait à éloigner d'une population paisible les jésuites doit être également légitime, moral et constitutionnel. »

« Le peuple de Verviers est descendu dans la rue pour protester. » Etc. Voilà, messieurs, les opinions que professait celui que l'honorable ministre a trouvé parfaitement digne d'être conseiller à la cour d'appel de Liége.

Et bien, messieurs, cet avocat, je ne crois pas le blesser en lui disant qu'il occupait, parmi les membres du barreau de Liége, une position fort modeste et qu'il ne brillait, certes, pas au premier rang.

Cet avocat avait déjà une longue carrière, car il faut que vous sachiez que M. Lamaye est âgé de 65 ans, bien près par conséquent de l'éméritat que vous avez voté il n'y a pas longtemps.

Il se dit qu'il avait rendu tant de services à l'opinion actuellement au pouvoir, que cette opinion était en général si reconnaissante, qu'il ne voyait pas pourquoi il ne demanderait pas, lui aussi la récompense de ses services : otium cum dignitate.

Il fit donc des démarches auprès de la cour. Ces démarches n'aboutirent point et il sut bientôt que la cour n'était pas disposée à ouvrir ses rangs à un homme qui n'avait d'autres titres pour y pénétrer que des services politiques et électoraux.

Pour peser davantage sur la cour, il fit une chose que bien peu d'hommes à sa place se seraient senti le courage de faire. Il ne dédaigna pas de solliciter, je dirai de mendier l'appui de ses confrères, avec une persistance à laquelle il était difficile de résister.

Et je le répète, quel homme de valeur pourrait se décider à solliciter ainsi un certificat de capacité de ceux auxquels il était presque impossible de le refuser, sans blesser les sentiments de confraternité.

Malgré cela, messieurs, M. Lamaye n'aboutit point. La cour fit ses présentations et nomma trois libéraux et un catholique:

De là grande colère du conseil provincial de Liége.

Il crut voir dans ce fait un défi posé par la cour, et dans un moment d'indignation, il décida ab irato que les présentations de la cour d'appel étaient devenues suspectes à ses yeux et qu'il en ferait complètement justice. Je me trompe ; le conseil fit deux exceptions, entre autres une pour fils de l'honorable ministre des finances.

Qu'arriva-t-il, messieurs ? Après les présentations de la cour, dans un dîner, car vous savez qu'on dîne beaucoup pendant les sessions des conseils provinciaux... (Interruption.)

Franchement, vous n'êtes pas content. Mais je n'ai pas envie de vous satisfaire non plus ; par conséquent, votre mécontentement est de très bonne mise.

Il fut décidé qu'une satisfaction était due à M. Lamaye et que cette satisfaction ne pouvait être autre qu'une candidature et une première candidature pour la place vacante à la cour.

Il y avait bien un petit obstacle ; il y avait un obstacle légal. Mais bah ! une considération légale, cela est vite franchi, et quand il s'agit de faire triompher un libéral, on n'y regarde pas de si près. L'article 3, paragraphe 2 de la loi du 26 mai1848 porte :

« Les conseillers provinciaux ne peuvent, pendant la durée de leur mandat, être présentés comme candidats pour les places de l'ordre judiciaire par le conseil dont ils sont membres. »

Jusqu'à présent, on avait toujours interprété cet article en ce sens qu'il ne suffisait pas de donner sa démission l'avant-veille d'une présentation, pour qu'il fût applicable. En effet, qu'a voulu l'article ? Il a voulu que l'influence du conseiller sur ses collègues ne pas telle, qu'elle agit sur les choix. Eh bien, je demande si l'on atteint ce but, alors que, l'avant- veille d'une candidature déjà décidée, on donne sa démission ? Je crois qu'il est impossible de soutenir sérieusement que le texte et surtout l'esprit de la loi ait permis une pareille présentation.

Aussi, je l'affirme, l'opinion publique ne faisait pas de doute sur le résultat et elle se disait : Il est impossible que, dans une pareille situation, le ministre de la justice, passant sur cet article de la loi, manque à ce point à la cour d'appel de Liége. Eh bien, l'on se trompait. Malgré les répugnances manifestées par la cour pour les antécédents du candidat, malgré le texte et l'esprit de la loi provinciale, malgré toutes ces raisons péremptoires, M. le ministre passa outre et M. Lamayc fut nommé.

On me dira peut-être : Pourquoi ne nommerais-je pas les candidats présentées par les conseils provinciaux ? Mais si les conseils provinciaux ont le droit de présenter, j'ai bien le droit de nommer. C'est vrai ; si cela se faisait équitablement et si M. le ministre n'avait pas deux poids et deux (page 666) mesures. Mais dans l'affaire Lamaye les circonstances étaient telles que rien ne pouvait justifier cette manière de faire. Mais, je vous l’ai dit, M. le ministre de la justice a toujours deux poids et deux mesures. Quand le conseil provincial est catholique, on ne fait pas le moindre cas de ses présentations ; quand il est libéral, il a tout à dire.

Voici ce qui prouve l'assertion que j'émets.

Dans la Flandre occidentale, M. Sartel, juge au tribunal d'Ypres, a été nommé trois fois premier candidat du conseil provincial. Vous avez persisté à ne pas le nommer. Pourquoi ? Parce que le conseil provincial de la Flandre occidentale est catholique. Parce que M. Sartel est un homme trop indépendant pour obtenir votre choix. Je le sais, il n'avait pu obtenir une présentation de la cour d'appel, mais c'est depuis que vous avez rempli cette cour d'hommes de votre parti, car antérieurement, quand cette cour avait encore son prestige d'autrefois, M. Sartel avait été un jour le second candidat de la cour.

On avait reconnu alors en M. Sartel les qualités qui le distinguent, son intelligence élevée, son caractère indépendant, la dignité de sa conduite et l’ancienneté de ses titres ; car M. Sartel a été nommé juge suppléant au tribunal d'Ypres le 19 juillet 1841, et juge effectif au même tribunal, le 2 novembre 1846.

C'est cet homme, M. Bara, qui se voit systématiquement exclu de la cour d'appel, où il a vu arriver à sa place de jeunes magistrats qui avaient fait devant lui leurs débuts comme avocats et que rien ne distinguait, sinon la fougue politique, tempérée par la souplesse du caractère.

Je vous parlerai, messieurs, d'un fait qui est plus spécialement à ma connaissance. Une place de juge de paix était vacante dans le canton de Fosse, arrondissement de Namur. Il y existait un juge de paix suppléant, ce juge de paix suppléant était en fonctions depuis douze années ; il avait rempli pendant dix-huit mois les fonctions effectives de juge de paix ; il était bourgmestre de la commune la plus populeuse du canton ; il était conseiller provincial ; il inspirait la confiance et le respect à tous ceux qui le connaissaient ; il était recommandé par toutes les autorités et recommandable tous les titres ; mais il était catholique et avait un concurrent libéral ; il avait pour concurrent un conseiller provincial de fraîche date qui, dès la première année de sa nomination, avait donné des preuves de son libéralisme échevelé. Cela suffisait et il fut nommé juge de paix du canton de Fosse quoique habitant Gembloux, qui ne fait pas partie du canton.

On a défié l'honorable M. Lelièvre de citer des noms ; je regrette de ne pas le voir à son banc pour affirmer ce que je vais dire.

Parmi les candidats dont les droits furent méconnus de la façon la plus scandaleuse, je citerai M. Capelle, gendre de l'ancien président du tribunal de Namur, homme d'une position parfaitement honorable. jouissant d'une grande fortune, et par conséquent aussi indépendant par position que par caractère, c'est peut-être ce qui lui a nui le plus aux yeux de l'honorable ministre ; il avait exercé comme avocat devant le tribunat de Namur et s'y était acquis une brillante réputation. Il sollicita une place de juge, mais ô horreur ! il était président d'une société de Saint-Vincent de Paul ; il fut écarté.

Je vous ai cité hier, messieurs, le fait d'un vétérinaire nommé suppléant de justice de paix. Voici comment la chose s'est passée.

Il y avait une place de juge suppléant vacante à Messines. Deux concurrents étaient en présence, le vétérinaire dont j'ai parlé et un docteur en droit appartenant à l'opinion libérale, mais d'un libéralisme indépendant ; il était en opposition avec l'association et avec MM. Carton et compagnie. Cela suffit pour le faire écarter, et le vétérinaire fut nommé.

Une seconde vacature se produisit à la même justice de paix, le même docteur en droit se remit sur les rangs, il avait pour concurrent un fruit sec ; le fruit sec obtint la préférence.

On nous a parlé hier, messieurs, des nominations de greffiers. On nous a dit qu'il y avait des nominations de greffiers qui étaient réellement scandaleuses.

J'en rapporterai une que l'honorable ministre doit parfaitement connaître, car, si mes renseignements sont exacts, il s'agit d'un de ses amis intimes.

M. De Breyne était employé au bureau des hypothèques de Bruxelles. Tout en travaillant dans ce bureau, il était parvenu à se faire inscrire en qualité de commis grenier de la justice de paix du deuxième canton de Bruxelles.

Cette inscription, dit-on, lui aurait été d’abord refusée, mais il est parvenu à l'obtenir par suite de l'influence de son ami.

On ajoute encore que cette inscription n’a été accordée que postérieurement au décès du greffier qui devait être remplacé. Dans tous les cas, elle n'a pas été postérieure. elle n'a été antérieure que de quelques mois à la nomination de ce dernier.

Quoi qu'il en soit, le greffier de la justice de paix de Molenbeek-Saint-Jean étant venu à décéder, M. De Breyne a été nommé en sa place, bien qu'il jamais travaillé comme commis greffier et qu'il se trouvât en concurrence, non seulement avec plusieurs anciens commis greffiers, mais encore avec plusieurs greffiers en fonctions depuis dix années et plus. La nomination de M. De Breyne à Molenbeek-Saint-Jean ne doit dater que depuis deux ans au plus, ce qui n'empêche pas que lorsque le greffier de la justice de paix du deuxième canton de Bruxelles est mort, il y a quelques semaines. M. De Breyne a encore été nommé en remplacement de ce dernier, bien qu'il ait eu ici pour concurrents des greffiers qui étaient en fonction peut-être depuis vingt ans et plus.

Voilà, messieurs, à quoi sert d'avoir été l’ami de l'honorable M. Bara avant son entrée au ministère.

Un autre fait encore : vous vous rappelez un rapport qui vous fut présenté par l'honorable M. Bouvier sur une pétition d'Iseghem, pétition qui réclamait la mise à l'ordre du jour, le plus promptement possible, de la loi sur le temporel des cultes.

L'honorable M. Bouvier fit cette pétition au nom de l'administration communale d'Iseghem (il se trompait très consciencieusement, j'en suis convaincu). Mais enfin, l'administration communale d'Iseghem protesta contre le fait et elle déclara que plusieurs signatures étaient fausses.

L'honorable M. Vandcr Donckt, faisant rapport sur cette pétition, en demanda le renvoi à M. le ministre aux fins de poursuites. M. le ministre accepta le renvoi dans ces termes et nous n'avons jamais entendu parler de poursuites. Mais il y a une chose assez singulière, et c’est pour cela que j’en parle, deux des signataires de cette pétition ont été nommés depuis à des fonctions judiciaires.

M. Bouvierµ. - Où est mon crime dans tout cela ?

M. Wasseige. - Il était question à Moorsele d'une place de juge suppléant à la justice de paix.

L'honorable ministre vous a parlé hier d'un marchand de chicorée. En voici un autre. Il y avait à Moorsele un marchand de chicorée libéral qui se trouvait sur les rangs, un notaire et un candidat notaire. Ces deux derniers appartenaient à l'opinion catholique.

Malgré les services que pouvaient rendre les deux candidats les plus aptes à ces fonctions. ce fut le marchand de chicorée qui fut nommé.

Il y a une couple d'années, je vous ai parlé d'un fait qui s'était passé Cruyshautem. Un jeune avocat qui a les qualités les plus sérieuses, qui est dans la position la plus convenable pour faire un excellent juge de paix, qui était le fils de l'ancien juge de paix, demanda la place devenue vacante par le décès de celui-ci.

Ce jeune homme n'avait jamais émis d'opinion politique, mais il était soupçonné de cléricalisme. C'était encore un douteux. Eh bien, ce jeune avocat s'est vu éliminé la place est devenue vacante encore depuis lors, et ce jeune homme a été victime d'une seconde injustice ; et remplacé une première fois par un candidat d'Audenarde, il l'a été une seconde fois par un candidat de Bruxelles.

Enfin, à Courtrai, la place de greffier au tribunal de commerce devient vacante au moment ou le gouvernement avait déjà présenté la Chambre un projet de loi exigeant, comme condition pour obtention de cette place, le titre de docteur en droit. Plusieurs candidats étaient en présence, entre autres deux avocats de Courtrai, par conséquent, docteurs en droit et un commis greffier du tribunal civil, secrétaire de l'association libérale. C'est le commis greffer qui l'a emporté à un moment, je le répète, où le gouvernement sollicitait de la Chambre une loi posant, comme condition sine qua non, le diplôme de docteur en droit pour l'obtention de la place de greffier.

J'arrive à un autre fait qui a produit dans tout le pays une vive sensation.

M. Scheyven est, depuis six à sept ans, greffier à la cour de cassation. Ce jeune homme est auteur de plusieurs publications juridiques remarquables ; il a été, à raison de ses capacités, nommé secrétaire de la commission chargée de la révision des Codes de procédure civile et d’instruction criminelle. C'est, semble-t-il, une bonne note. Eh bien, ce jeune homme demande une place de juge au tribunal de Bruxelles, ce qui lui conserve sa résidence et son traitement actuel, mais lui donne une position plus digne de lui. La cour de cassation est si pénétrée de son mérite qu'elle charge son président d'appuyer le candidat auprès du. ministre. Peine perdue !

M. Scheyven ne s'était jamais occupé de politique. Mais il était catholique, cela suffit. Et si mes renseignements sont exacts, une réponse (page 667) écrasante a été faite par l'honorable président de la cour de cassation à M. le ministre de la justice. Cet honorable magistrat doit avoir répondu à M. Bara ; Eh bien, monsieur, si vos prédécesseurs et vos adversaires avaient pensé et agi comme vous, je ne serais pas premier président de la cour de cassation.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'a rien dit de semblable.

M. Wasseige. - Tout mauvais cas est niable. D'ailleurs la réponse était tellement en situation qu'elle est tout au moins vraisemblable.

A Anvers, M'. Jacobs demandait dernièrement à l'honorable ministre de l’intérieur comment il n'avait pas fait poursuivre ces malheureux conseillers communaux qui avaient poussé l'esprit de révolte jusqu'à solliciter des adhésions de tous les autres conseils communaux. Eh bien, loin de les punir, le gouvernement les a récompensés. Lorsqu'il a eu à sa disposition la place la plus lucrative dont il puisse disposer, celle de greffier du tribunal de commerce d'Anvers, il la donna au promoteur de la manifestation du conseil communal. Il est vrai que, depuis lors, l'auteur de la motion a adoré ce qu'il brûlait et brûlé ce qu'il adorait. Il avait pour concurrent un jurisconsulte éminent qui avait le malheur d'être empêché, par sa nombreuse clientèle, de s'occuper de politique.

Autre fait. Un membre de la députation permanente d'Anvers avait un frère qui autrefois avait passé son examen de candidat notaire. Ce frère s'était expatrié depuis quinze ans pour aller s'établir au Havre dans une sucrerie.

Lors des élections provinciales de 1868, le membre de la députation dont il s'agit, porté jusque-là par les adversaires du gouvernement, passa dans le camp de ses amis et échoua avec eux.

Trois mois après. le gouvernement mettait, en guise de baume sur cette blessure encore fraîche, la nomination du frère comme notaire aux portes d'Anvers.

De nombreux candidats notaires qui n'avaient abandonné ni le pays, ni la carrière, comptant de longues années de stage, se voyaient distancés par un homme qu'ils étaient autorisés à ne plus considérer comme un concurrent, tout au moins comme un compatriote.

Passons à une nomination plus récente, datant seulement de quelques jours.

Deux candidats se disputaient la place de juge de paix à Turnhout.

Le juge de paix de Duffel nommé le 13 avril 1860. alors que son concurrent était encore sur les bancs universitaires, où il a passé plus de dix ans, a eu le tort, avant sa nomination, de remplacer au conseil provincial d'Anvers le bourgmestre de Lierre, dont la famille est liée avec le chef du département de la justice. Il a le second tort d’être parent de l'ancien recteur de l'université de Louvain.

On lui a préféré le fruit sec nommé en 1863 à la justice de paix d'Arendonck, quoiqu'il fût beaucoup moins ancien et infiniment moins capable.

On a, messieurs, fait un grand grief à l'honorable baron d'Anethan des nominations qu'il a faites. On a prétendu qu'il avait nommé magistrats des gens qui avaient subi des condamnations. Eh, mon Dieu ! est-ce le seul ministre à qui ce reproche ait pu être adressé ? Mais avez-vous donc oublié la nomination de M. De Soer, condamné à deux mois de prison ; et ignorez-vous que, depuis sa nomination, il a encore été promu avec une rapidité inouïe ? Il y a plus : deux témoins de son duel qui avaient comparu avec lui devant les tribunaux lors de sa condamnation ont été, depuis lors, nommés à des emplois judiciaires.

Et M. Dubois, déclaré indigne de conserver son emploi par la cour d'appel de Bruxelles, M. Dubois est resté ce qu'il était, malgré la condamnation qui l'avait frappé.

Et si je passais aux greffiers, n'en trouverais-je pas qui aient été condamnés ? Si je l'avais voulu, je n'avais qu'à ouvrir le dossier que j'ai sous la main. J'aurais pu citer, entre autres, le greffier d'un tribunal du Luxembourg qui, après avoir été condamné par ce même tribunal à plusieurs jours de prison pour attentat aux mœurs, a été investi de ces fonctions.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C’est inexact.

M. Wasseige. - J'affirme que c'est exact.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et moi je vous dis que cela n'est pas.

M. Wasseige. - Et moi, je vous dis que cela est parfaitement vrai, J'en ai la preuve, et ma parole vaut bien la vôtre.

Messieurs, on m'a demandé des faits ; je. viens de vous en citer quelques)uns. Si n'en cite pas c'est que, sur ce terrain, la partie n'est pas égale entre M. le ministre et moi.

Les faits que j’ai cités valent bien, d’ailleurs, ceux qu'il m'a cités lui-même, et auxquels il a été suffisamment répondu à diverses reprises.

Quant aux chiffres que j'ai cités, ils restent en leur entier, sans avoir été ni démentis, ni amoindris par l'honorable ministre. Il reste acquis que les nominations de candidats libéraux se sont faites dans des proportions exorbitantes ; que, dans le ressort de la cour d'appel de Liége, le nombre des candidatures catholiques n'a atteint que 15 p. c. ; que, dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles, cette proportion descend à 12 ou 13 p. c. ; et, qu'enfin, elle n'est plus que de 4 p. c. dans le ressort de la cour d'appel de Gand.

Il reste acquis que, parmi les nominations les plus politiques, celles des juges de paix et des greffiers, la proportion descend encore, parce que ces agents sont en mesure d'exercer une plus grande influence dans les élections. Ainsi, pour les greffiers il n'y a que 2 p. c. de nominations catholiques. Il reste acquis enfin que c'est surtout dans les arrondissements où les luttes politiques sont les plus vives que les nominations libérales sont les plus nombreuses et les plus significatives.

Ainsi, dans l'arrondissement d'Audenarde, par exemple, il n'y a plus de nominations catholiques.

Tous ces faits, messieurs, restent éclatants de vérité et je les maintiens dans toute leur intégrité, et je persiste à déclarer que celui qui les a posés ne mérite pas la confiance de la Chambre ni du pays.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je pensais, messieurs, que la statistique de l'honorable membre avait été faite sérieusement ; mais vous reconnaîtrez sans doute, après les explications qu'il vient lui-même de fournir, qu'il est absolument impossible d'y ajouter la moindre foi.

C'est une œuvre d'imagination ; je dirai même que c'est une mystification ; l'honorable membre aura probablement été trompé par d'aimables farceurs qui auront voulu rire avec lui.

Vous allez voir, messieurs, par l'examen des différents griefs qu’il vous a présentés, ce qu'on doit penser de cette statistique.

J'ai dit que je suivrais pas à pas tous les faits et toutes les nominations dont l'honorable membre a parlé.

Le premier grief qu'il a articulé pour prouver que le gouvernement fait de la politique dans ses nominations judiciaires, c'est l'abstention du gouvernement quant à la nomination du substitut du procureur général à Gand.

L'honorable membre qui sait tout, qui voit tout, absolument comme le Solitaire. s'imagine que ce sont des influences libérales, luttant entre elles, qui empêchent le gouvernement de faire cette nomination.

Mais l'honorable membre est-il bien venu à dire que le gouvernement fait ici de la politique ? Puisque, d'après ce qu'il dit, il est en présence da deux influences libérales, il n'y a pas là de catholiques, pourquoi l'honorable membre est-il froissé ? Il n'y a que deux libéraux, et le gouvernement s'abstient.

Mais le gouvernement s'abstient souvent, quand il a en face plusieurs candidats ; le gouvernement doit réfléchir ; les candidats ont des titres égaux ; nous cherchons, par des moyens qui sont admis en administration, à satisfaire l'intérêt et les justes droits de toutes les personnes. Il n'y a pas de politique ; ce n'est que de la bonne administration.

Quant au service public qui, au dire de l'honorable membre, souffrirait à Gand par suite de cette abstention du gouvernement, il n'en est rien ; le personnel du parquet de la cour de Gand est suffisant pour que l'absence momentanée d'un substitut du procureur général ne laisse pas le service en souffrance.

Autre grief. A Gand, je m'abstiens de nommer un libéral ; donc je fais de la politique. A Dinant, je nomme un catholique, c'est pour le convertir ; je donne de l'avancement au juge de paix de Waremme ; je le fais nommer juge à Dinant ; c'est pour arriver à nommer un libéral à Waremme.

Ainsi, dans le système de l'honorable membre, il n'aurait été satisfait que si, en nommant le juge de paix de Waremme aux fonctions de juge de paix à Dinant. j'avais en même temps nommé un catholique à Waremme. Voilà les exigences !

L'honorable membre aurait-il été plus satisfait si j'avais laissé Waremme la personne dont il parle ? Il serait 'venu dire : Ce magistrat demandait de l'avancement ; il sollicitait la place de juge à Dinant ; il ne l'a pas obtenue... de la politique ; il l'a obtenue... de la politique ; et toujours de la politique. Comment ! je nommerais tous les séminaristes du pays, l'honorable membre dirait encore que je fais de la politique ! (Interruption.)

L'honorable membre a articulé encore comme un grief à ma charge la nomination de M. Lamaye ; il a beaucoup parlé de ses opinions libérales, et c'est à raison de ces opinions qu'on me fait un grief de cette nomination. (page 668) Mais devons-nous écarter un candidat, par cela seul qu'il appartient à l'opinion libérale ?

L'honorable membre dit que le candidat sur lequel le choix est tombé était inférieur en titres à son concurrent. Voilà ce que l'honorable membre doit prouver ; c’est ce qu'il ne fera pas. Moi je dis que le candidat nommé était supérieur en titres. et si l'honorable membre veut aller à Liége, il lui sera très facile d'en acquérir la preuve.

Entre le candidat de la cour et le candidat du conseil provincial, je n'hésite pas à dire qu'il y avait une différence de capacité qui était en faveur de M. Lamaye.

M. Dumortier. - Est-il vrai que M. Lamaye avait près de 63 ans ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une autre affaire ; l'affaire de la pension n'est pour rien dans cette question, puisqu'il n'a pas le droit l'éméritat.

Mais, messieurs, si l'honorable M. Wasseige combat cette nomination, ce n'est pas parce que M. Lamaye a été nommé, c'est parce que M. Lamaye est contraire au parti catholique.

Et la preuve, c'est que M. Wasseige vient de donner lecture d'un passage d'une plaidoirie que M. Lamaye aurait prononcée et dans laquelle il aurait parlé « des loups » à propos des jésuites.

Je crois, messieurs, que l'honorable M. Wasseige attache une portée trop grande à cette plaidoirie. En effet, cette comparaison des loups, nous la retrouvons tous les jours dans les mandements des évêques qui disent que les libéraux qui se mettent en rapport avec les catholiques sont absolument comme les loups qui entrent dans les bergeries. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Nous sommes des loups.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est donc vraisemblable que cette partie de la plaidoirie n'est qu'une simple plaisanterie qui ne doit pas empêcher l'honorable avocat qui l'a prononcée d'obtenir une place de conseiller. Je crois, messieurs, que s'il fallait tenir compte des plaisanteries, très spirituelles du reste, de l'honorable M. Wasseige, on pourrait aussi lui interdire l'entrée de cette enceinte.

Pour ma part, je crois qu'on n'est pas indigne d'être fonctionnaire public parce qu'on fait de la poésie, parce qu'on se livre à quelques plaisanteries ou à quelques exagérations de langage.

M. Wasseige. - On peut même devenir excellent ministre et avoir fait une charmante comédie.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Maintenant, messieurs, M. Sartel n'a pas été nommé à la cour d'appel de Gand. Cela est vrai, mais je n'en puis rien.

M. Sartel n'a pas été présenté, en aucune circonstance, par la cour de Gand ni comme premier, ni comme second candidat. La cour de Gand a refusé de le mettre sur sa liste.

Il n'y avait pas, pour le gouvernement, de raison de le nommer. L'hono-able M. Wasseige fait naturellement de M. Sartel une sorte de magistrat illustre ; sans attaquer cet honorable magistrat, je ne puis m'associer aux éloges pompeux que, dans l'intérêt de sa cause, il lui prodigue.

Je dis que les motifs pour lesquels la cour d'appel ne l'a pas admis sont parfaitement connus et justifient complètement la conduite du gouvernement qui n'a pas accepté la présentation du conseil provincial de la Flandre occidentale.

Et, messieurs, il faut bien le dire, pourquoi le conseil provincial de Bruges a-t-il présenté M. Sartel ?

Mais pour faire de la politique... (Interruption.) Ce n'est un mystère pour personne.

Le conseil provincial de la Flandre occidentale ne s'en est pas caché ; jusque dans les commissions d'agriculture, il a éliminé les membres libéraux qui en faisaient partie.

L'honorable bourgmestre de Thourout, un homme distingué qui faisait partie de la commission, en a été éliminé parce qu'il était libéral.

Et vous voulez que moi j'aille préférer le candidat du conseil provincial de la Flandre occidentale au candidat de la cour d'appel ! En aucune manière. Et l'honorable baron d'Anethan, dont je ne professe pas les doctrines, eût-il nommé M. Sartel ? Evidemment non ; puisqu'il déclarait que jamais il ne nommerait des personnes ayant posé des actes hostiles au gouvernement.

Or, messieurs, qu'a fait M. Sartel, que M. Wasseige aurait voulu voir nommer ? Il s'est mis sur les rangs pour la Chambre des représentants, en opposition à notre honorable collègue, M. Alphonse Vandenpeereboom. C'est donc certainement un des hommes les plus actifs, les plus ardents de parti.

M. Reynaertµ. - Ce n'est pas un homme passionné.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pour qu'un magistrat descende de son siège et vienne combattre un ministre, l'honorable M. Vandenpeereboom, dont nous connaissons tous la modération, je dis qu'il faut que cet homme soit un homme de parti et un homme de parti très prononcé.

M. de Kerchove de Denterghemµ. - Il l'est.

- Un membre. - Vous êtes donc de l'avis de M. d'Anethan

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne suis pas de l'avis de M. d'Anethan. Je nr l'ai pas nommé, parce qu'il n'est jamais parvenu à obtenir une présentation de la cour.

M. Reynaertµ. - Il a été nommé second candidat par la cour.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne crois pas qu'il l'ait été sous mon ministère.

L'honorable M. Wasseige me reproche de ne pas avoir nommé juge de paix à Fosses un juge suppléant de la justice de paix. Je ne l'ai pas nommé par une raison bien simple : c'est que ce juge suppléant avait dépassé l'âge que j'ai dû prendre pour limite.

Ce juge suppléant avait, je crois, près de cinquante ans et nous venions de faire une loi qui mettait à la retraite les fonctionnaires à l'âge de soixante et dix ans. J'avais été assiégé de sollicitations de personnes âgées voulant se reposer dans un siège de magistrat et je les ai toutes repoussées, sauf une ou deux exceptions, nécessitées par les circonstances.

Presque partout, surtout pour les fonctions inférieures, pour les fonctions de juges de paix, qui nécessitent des démarches, des appositions de scellés, faire de longues distances, j'ai dû repousser toutes ces candidatures et je les ai repoussées notamment à Arlon, pour une candidature qui avait été très bien accueillie de la part de mes amis ; j'ai résisté avec la plus grande énergie.

Sauf pour les cours d'appel où j'étais obligé, dans certains cas, parce qu'il manquait des candidats, j'ai tenu compte de l'âge des candidats, et en agissant ainsi, je ne faisais qu'obéir à l'esprit de la loi.

Il en est de même de M. Capelle, juge suppléant, à la tête d'une grande fortune et qui voulait trouver une retraite dans la magistrature. Il était très riche ; il voulait prendre la position que son beau-père avait occupée dans le tribunal de Namur. Je m'y suis opposé. Les fonctions ne sont pas héréditaires, ne passent pas du père au gendre. M. Capelle avait cinquante ans.

M. Wasseige. - Quarante ans.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il avait plus de quarante ans, il a de cela trois ans. L'honorable M, Wasseige se trompe, s'il croit que les rapports de tous les magistrats étaient favorables à ce candidat. Je n'en dis pas davantage, mais si l'honorable M. Wasseige le désire, je lui dirai ce qu'on pensait de ce candidat, je lui montrerai certain rapport.

N. Wasseigeµ. - Je serais bien curieux de le savoir.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Une nomination d'un greffer a été faite à Bruxelles. Ce greffier était à Molenbeek-St-Jean et M. Wasseige trouve que la nomination a été faite contrairement à toutes les règles, qu'il y avait notamment des greffiers depuis vingt ans, qui demandaient la position.

Je ne connais pas ces candidats. Il y avait des greffiers de cantons ruraux qui demandaient cette position et subsidiairement la place qui deviendrait vacante par la nomination d'un greffer de faubourg et il y avait un greffier de Bruges, qui était aussi postulant. En dehors de ce candidat, la candidature du titulaire actuel n'a pas été combattue.

M. Wasseige. - On est beaucoup trop politique pour combattre les candidatures de vos amis.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est toujours le même système. On a vu M. Wasseige découvrant que c'était dans un banquet que le conseil provincial de Liége avait décidé la candidature de M. Lamaye. On le voit pénétrer dans toutes les relations et apprécier tous les motifs qui font agir, Il est impossible de discuter avec un pareil système. M. Wasseige aura toujours raison du moment qu'il admet comme fondées toutes ses suppositions.

M. Wasseige a critiqué la nomination de M. Dethy à Thon-Samsn. Or, M. Dethy l'emportait de beaucoup sur ses concurrents. Il était docteur en droit, candidat notaire et conseiller communal à Namur, et si l'on tient compte de ses diplômes, qui l'ont conduit au grade de docteur en droit, ce qui n'est que juste, il était, à part quelques candidats devenus agents d'affaires, le plus ancien diplômé.

M. Wasseige conteste sa capacité, mais je préfère l'avis des autorités judiciaires, qui lui étaient favorables, à celui de M. Wasseige, qui est son adversaire politique.

(page 669) A Morsel, le gouvernement a eu tort de nommer juge suppléant un négociant. Le gouvernement n'a fait que de la bonne administration en nommant ce candidat. J'ai nommé le sieur Van Es..., négociant et échevin à Wynkel-Saint-Eloi. Et savez-vous quels étaient les candidats ? Un notaire et un candidat notaire. Le notaire était un libéral.

M. Reynaertµ. - Du tout.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est renseigné comme tel dans tout le dossier. Voici ce que j'y lis :

« M. A. Lagae, notaire et bourgmestre à Heule, homme instruit et capable, écrit M. le commissaire de l'arrondissement de Courtrai ; il jouit d'une grande considération dans sa commune et appartient à l'opinion libérale modérée. »

M. Reynaertµ. - On vous a trompé.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous vous trompez peut-être vous-même sur son compte. (Interruption.)

Voilà donc, messieurs, ce candidat, et pourquoi n'a-t-il pas été nommé ? D'abord, il a été nommé notaire par l'opinion libérale, mais pourquoi n'a-t-il pas été nommé juge suppléant ? C'est en vertu d'un principe le plus souvent suivi : deux notaires du même canton demandaient la place ; eh bien, nous ne nommons pas, quand nous pouvons faire autrement, des notaires juges suppléants, parce que nous ne voulons pas que les liquidations et les affaires dans lesquelles leurs confrères sont intéressés, soient contrôlées par des notaires.

Voici messieurs, les rapports relatifs à ce point :

« Comme M. Buydens se destine au notariat et qu'il succédera probablement à son père, je crois devoir conseiller, ainsi que je le ferai pour M. Lagae, d'écarter cette candidature.

« M. Lagae présente toutes les garanties de moralité et de capacité désirables, mais je suis d'avis qu'il ne faut recourir à des notaires pour remplir les places de juge suppléant qu'en cas d'absolue nécessité.

« M. Van Nesle possède, avec ses frères à Wynkel-Saint-Eloi, une importante fabrique de chicorée ; il traite ses affaires d'une manière très honorable et est très considéré. Il a du jugement et un caractère indépendant ; de plus, il a acquis une certaine expérience par suite de l'exercice de ses fonctions d'échevin. Je le crois capable de remplir très convenablement les fonctions de juge suppléant à la justice de paix de Moorseele. »

Dans cette nomination, nous n'ayons donc pas fait de politique : nous avons suivi les meilleures règles administratives.

Il paraît, messieurs, que je n'ai pas assez de mes propres iniquités, il faut qu'on m'endosse celles des autres. Vous avez vu quel rôle a joué un vétérinaire dans le discours de l'honorable M. Wasseige ; or, ce vétérinaire ce n'est pas moi qui l'ai nommé. Sa nomination est du 11 novembre 1865, elle est de mon honorable prédécesseur, M. Tesch. (Interruption.)

Le fait n'est pas blâmable du tout et vous allez voir que votre critique n'est pas plus fondée que si elle était dirigée contre moi.

L'honorable M. Wasseige se figure toujours que toutes les nominations sont dictées par l'esprit politique ; eh bien, voici les faits.

M. Demeester, le médecin vétérinaire en question, est, d'abord, un homme très honorable, instruit, mais il avait pour concurrent un M. Desimpel, avocat à Ypres, et le procureur général fit remarquer qu'on ne pouvait pas nommer juge suppléant à Messines un candidat qui demeurait à Ypres.

Voici le rapport du procureur général :

« M. Desimpel ne me paraissant pas réunir les conditions indispensables pour occuper le poste dont il s'agit, attendu qu'il est domicilié à Warneton et qu'il demeure en réalité à Ypres, j'ai, conformément aux instructions existantes, engagé M. le procureur du roi d'Ypres à faire une présentation d'office.

« Ce magistrat vient de m'adresser son rapport par lequel il présente M. Demeester, médecin vétérinaire du gouvernement, à Messines.

« Je joins à la présente un rapport de M. le juge de paix de Messines, d'où il résulte que M. Demeester possède les qualités requises pour les fonctions de suppléant, ainsi qu'une lettre de ce dernier par laquelle il s'engage à accepter ces fonctions, si elles lui étaient confiées. » C

'est donc une présentation d'office de la part du parquet.

Et voilà ce que l'on élève à la hauteur d'une accusation contre le gouvernement.

Juge de paix à Cruyshautem. L'honorable M. Wasseige me reproche de ne pas avoir nommé à Cruyshautem le fils du juge de paix qui venait d'y décéder.

Nous avons agi ainsi et nous continuerons à agir ainsi. Ce candidat voulait succéder à son père.

Nous avons déjà l'hérédité du notariat, nous n'introduirons pas l’hérédité de la magistrature.

Nous n'admettons pas, messieurs, un pareil système.

Nous ne voyons pas en quoi la politique a agi en cela, puisque vous dites vous-même qu'il n'avait pas d'opinion.

Gremer à Courtrai. Nous avons nommé le commis greffier qui y était. Mais ce n'est pas la première fois que nous agissons ainsi. Nous l'avons fait en vertu de la loi.

La loi sur l'organisation judiciaire dit, à la vérité, qu'il faut être docteur en droit ; mais elle dispense de cette obligation les commis greffiers qui ont un certain nombre d'années d'exercice.

J'aurais commis une injustice si, ayant sous la main un ancien fonctionnaire capable, je l'avais exclu pour nommer un avocat novice.

Nous ne pouvons faire de l'administration de cette manière.

Enfin, messieurs, le dernier grief présenté, c'est que je n'aurais pas nommé à Bruxelles M. Scheyven, greffer à la cour de cassation.

J'apprécie le mérite de ce candidat ; mais je dis qu'il n'a pas à se plaindre de la situation que lui a faite le gouvernement. Sa place de greffier vaut à peu près celle de juge ; il a choisi librement cette carrière.

De plus, il a été désigné comme secrétaire de la commission du Code de procédure et comme secrétaire de la commission du Code d'instruction criminelle. Mais parce qu'il veut être nommé au tribunal de Bruxelles, faut-il, de toute nécessité, lui donner satisfaction ?

Mais ce serait là un système destructif de toute règle gouvernementale. Parce qu'on est catholique, on aurait le droit de prendre la place que l'on voudrait et où l'on voudrait dans la magistrature ?

Quant à l'appui qui lui a été donné par des membres de la cour de cassation, je l'ai apprécié ; mais, messieurs, il n'est pas toujours possible au gouvernement de placer tous les candidats que d'honorables magistrats lui recommandent. Et si des catholiques ne sont pas nommés, bien des libéraux attendent qui leur sont certes égaux et quelquefois supérieurs en titres.

Et quant au propos que l'honorable M. Wasseige attribue à l'honorable président de la cour de cassation, il n'a pas été tenu.

M. Wasseige. - Il était tellement en situation qu'il est fort probable...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ainsi, il est probable, parce qu'il était en situation. Voilà qui fait juger votre système. Tout ce qui, d'après votre esprit, est en situation, est réel et vous l'affirmez. Vous avancez ainsi une foule de faits dont vous n'avez aucune espèce de preuve. (Interruption.)

Messieurs, j'ai nommé à Anvers un notaire qui avait été consul au Havre.

C'était un bon candidat notaire qui avait fait son stage.

Après avoir été consul au Havre, il est revenu à Anvers et a fait encore deux années de stage. Il était appuyé par les personnes les plus honorables et, sous le rapport de la capacité, il avait les meilleurs certificats du département des affaires étrangères et notamment, si je ne me trompe, de M ? Vilain XIIII.

Si j'avais à prendre les nominations faites par mes honorables adversaires, que verrais-je ? Je verrais l'honorable M. d'Anethan nommer notaire un officier de cavalerie, et cela à la demande de l'honorable M. Van Bockel, l'un des chefs du parti catholique.

- Une voix à droite. - C’était un libéral.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Qu'est-ce que cela rait ? Ce n'était pas pour plaire aux libéraux que cette nomination a été faite. J'ajouterai, du reste, que ce candidat est devenu un excellent notaire.

Je ne parlerai pas de M. De Soer, condamné pour duel.

L'honorable M. Wasseige dirait que je fais une question personnelle. (Interruption.)

C'est évident. M. Wasseige, qui est juge suppléant, a lui-même commis le délit de duel.

M. Wasseige. - Je n'ai pas été condamné.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Soit ; mais le délit est certain.

M. Wasseige. - Vous l'avez déjà dit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, et il est probable que si je reste ministre, j'aurai encore occasion de le redire, car vous ne manquerez pas, vous, de rappeler les mêmes faits.

Un dernier fait, c'est la nomination du juge de paix de Turnhout. L'honorable membre me reproche de n'avoir pas nommé le juge de paix de Duffel au lieu de celui d'Arendonck. Voilà le grief. J'ai préféré le juge de paix d'Arendonck, qui est plus près de Turnhout, à celui de Duffel ; jugez !

Mais si je disais à l'honorable membre que j'ai des motifs de capacité (page 670) pour avoir nommé le juge de paix d'Arendonck, que dirait-il ? Il dirait que non ! (Interruption.)

J'ai deux jugements du tribunal de Duffel qui ont fait parler du juge de paix de Duffel dans tout le pays, et je déclare que je ne suis nullement disposé à donner de l'avancement à ce magistrat.

Voilà donc les griefs qu'on dirige contre mon administration ! (Interruption.)

Ah ! pardon, j'oublie le greffier du tribunal d'Anvers J'ai nommé greffier du tribunal d'Anvers un des avocats les plus distingués et les plus honorables du barreau d'Anvers, un homme à qui tout votre parti a rendu hommage. Vous dites que je l'ai nommé contrairement à l’avis des autorités ; vous êtes dans l'erreur. Il y a eu une démarche faite au nom du tribunal de commerce pour la nomination de ce magistrat.

- Une voix. - Il avait changé d'opinion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'a pas changé d'opinion ; vous voulez parler de cette affaire et vous n'en connaissez rien. Le tribunal de commerce m'a demandé sa nomination de la manière la plus pressante. (Interruption.) Vous aviez parfaitement découvert ses mérites quand il luttait avec vous et vous l'aviez comblé d'honneurs et de dignités.

Et, messieurs, en même temps que je faisais cette nomination, je nommais également un greffier adjoint, un catholique. C'est toujours la preuve que je fais de la politique en matière de nominations.

Enfin, messieurs, on me reproche de n'avoir rien fait contre un juge suppléant qui a été condamné à 100 francs d'amende pour une voie de fait. Mais, messieurs, je n'ai rien fait, pour une bonne raison, c'est que je n'avais rien à faire. La loi ne me donne aucune sorte de droit dans l'espèce. Le magistrat doit être traduit devant la cour de cassation, et il faut que le ministre de la justice préside l'audience de la cour. Voilà la procédure à suivre en pareille matière, mais elle n'a pas été suivie depuis 1830, et je crois que le peu le gravité de l'affaire ne valait pas une pareille solennité.

M. Wasseige. - Je n'ai pas parlé de cela.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez parlé de M. Dubois, Juge suppléant à Nivelles, qui a été maintenu dans ses fonctions.

M. Bouvierµ. - L'honorable membre ne sait plus de quoi il a parlé.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - En effet, et cela excuse bien des choses. L'honorable membre a été chargé de faire rapport sur des griefs venant de part et d'autre, mais il vient de prouver, par son aveu naïf, qu'il ne sait pas même de quoi il s'agit. (Interruption.)

Eh bien, j'apprendrai à l'honorable M. Wasseige que les juges suppléants sont inamovibles ; que je ne puis rien contre eux, si ce n'est de les traduire devant la cour de cassation. (Interruption.)

Je crois, messieurs, avoir rencontré tous les faits cités aujourd'hui par l'honorable M. Wasseige ; je vous demande pardon de l'aridité du sujet. Il me restoeà vous parler de quelques griefs que je n'ai pas pu rencontrer hier.

L'honorable M. Wasseige prétend que la politique est partout, jusque dans les questions d'hygiène. Il y a l'hygiène libérale et l'hygiène catholique ; les terrains sont plus ou moins insalubres selon que les catholiques les déclarent salubres ou insalubres. Cette thèse a été soutenue hier au sujet de l'orphelinat de Namur.

Effectivement, messieurs, le gouvernement a autorisé l'érection d'un orphelinat à Namur sur l'emplacement d'un ancien bastion, à peu près en face d'une nouvelle église qu'on a construite au boulevard ; et je crois, messieurs, que le gouvernement a eu raison de prendre cette décision.

Voici mes motifs.

Cet emplacement a été examiné en 1831 pour savoir s'il ne convenait pas pour l'établissement d'une maison de sûreté et toutes les opinions ont été favorables au point de vue de la salubrité.

En 1864, le gouvernement cède ce terrain à la ville de Namur à la condition d'y établir une école de filles ou une école normale. Ici, encore une fois, toutes les opinions sont favorables au point de vue de l’hygiène et de la salubrité.

Mais arrive la construction de l'église dont je viens de parler et aussitôt les opinions changent : ce qui avait été considéré comme salubre en 1861 et en 1864 est déclaré insalubre en 1869.

On est venu nous dire qu'il y a eu, dans cette affaire, des médecins d'avis différents. En effet, messieurs, mais cela arrive souvent ; nous savons parfaitement que quand Galien dit oui, Hippocrate dit non.

M. Wasseige. - Ici, ils sont du même avis.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas du tout. Le conseil d'hygiène, qui n'est pas seulement composé de médecins, dit qu'il vaudrait évidemment mieux mettre l'orphelinat dans un autre endroit ; mais où le trouver ? Là est la difficulté et cette difficulté est inhérente à la situation même de la ville de Namur, qui présente presque partout les mêmes conditions de salubrité. Et la preuve qu'il en est ainsi, c'est qu'à quelques pas plus loin, également (erratum page 684) le long de la Sambre, vous avez l'établissement du Bon Pasteur pour les filles et le séminaire. Les orphelins seront donc parfaitement dans l'établissement qu'il s'agit d'ériger, puisque ceux que je viens de citer, et qui sont très salubres, se trouvent encore à l'aval.

Maintenant on nous dit qu'il n'y a pas eu d'avis de médecins. C’est une erreur complète, messieurs ; voici les personnes qui ont été consultées :

Le président de la commission médicale provinciale et médecin en chef de l'hospice des Orphelins ;

Le président de la commission médicale locale ;

Les médecins de l'hôpital civil ;

L'administration du bureau de bienfaisance ;

Les cinq médecins attachés à cet établissement ;

Les inspecteurs provincial et cantonal de l'enseignement primaire ;

Deux médecins experts auteurs du premier mémoire ;

La section des travaux publics du conseil communal de Namur.

Voilà tous les hommes compétents qui ont approuvé la mesure, et l'on vient prétendre qu'elle n'a obtenu aucun avis favorable ! Il me paraît que quand l'administration supérieure est couverte par de telles autorités, elle n'a aucune critique sérieuse à redouter.

Dans le cas présent, du reste, la mesure qui a été prise était conforme à l'avis de l'administration communale, qui est le meilleur juge du point de savoir si la situation convenait ou ne convenait pas.

Et qu'est-ce que nous avons fait ? Nous avons suivi la majorité du conseil communal.

L'honorable M. Wasseige ne votera pas pour le budget de la justice à cause du système pratiqué par le gouvernement en matière de fondations. Mais, messieurs, ce système n'est pas nouveau ; il est bien connu ; il date du ministère de 1847 ; nous ne l'avons pas changé : il repose sur des principes qui n'ont pas cessé un instant d'être appliqués. S

avez-vous, messieurs, quel est le grief que l'honorable membre articule ici contre moi ? Le voici.

Une personne fait à une fabrique d’église un legs de deux maisons sous la condition qu'elles serviront de logement aux vicaires moyennant un loyer de 100 francs. Dans un codicille, la personne dit que si la condition n'est pas acceptée, elle lègue les deux maisons à un vicaire dont le nom m'échappe en ce moment. Que fait le gouvernement ? Aux termes des lois, on ne peut pas créer une mainmorte pour le logement des vicaires. Cela est reconnu, et la députation permanente de la Flandre orientale, que l'honorable membre ne récusera pas, le reconnaît elle-même dans son avis

: « Considérant que la maison et les deux parcelles de terre sus-indiquées sont estimées à une valeur de 7,500 francs et que les quatre messes chantées de l'anniversaire que la fabrique de l'église d'Asper doit faire célébrer à raison de ce legs ne donneront lieu qu'à une dépense de 20 francs par an ; que quant à la condition d'affecter cette maison à l'habitation des vicaires de ladite paroisse, moyennant payement par ceux-ci d'un loyer de 100 francs, cette clause a pour résultat de vinculer à perpétuité le droit de propriété de la fabrique au profit d'un titulaire envers lequel cette fabrique n'a pas, à cet égard, de charge légale à remplir et que ladite clause est ainsi en opposition avec l'article de la loi du 18 germinal an X et les articles 537 et 544 du Code civil. »

L'honorable membre me demande pourquoi j'ai fait annuler cette clause ; c'est parce qu'aux termes de l'article 900 du Code civil les conditions qui sont contraires aux lois sont réputées non écrites. Qu'eût dit l'honorable membre si l'on n'avait pas autorisé la fabrique d'église accepter le legs ? Il nous eût accusé de persécuter les fabriques d'église.

J'ai terminé la réfutation des faits articulés à ma charge par l'honorable membre ; je pense qu'il n'en restera rien et que l'honorable membre en sera pour ses frais.

En parlant des testaments, l'honorable membre nous a cité l'opinion de M. de Lamennais à propos de l'administration de M. de Corbières.

M. de Lamennais n'est pas pour vous une bien grande autorité : il s'est tant trompé ! Mais ce que je ne comprends pas, c'est qu'un membre de la droite vienne nous parler de M. de Corbières.

Mais nous sommes les antipodes deC0rbières ; M. de Corbières est le ministre le plus catholique qu'il y ait eu sous la restauration ; il favorisait la congrégation ; il a publié une ordonnance qui plaçait tous les lycées sous la surveillance des évêques.

(page 671) Et voilà que l’honorable membre ne se contentera pas de l'administration de M. de Corbières ; il faudra aller plus loin ; le ministère de M. de Villèle ne lui suffira pas. Mais je pense que l’honorable membre duit se résigner ; il ne verra jamais plus un M. de Corbières en Belgique ; et si vous estimez que nous agissons comme lui, remerciez-nous, tâchez de nous conserver, et rendez-nous grâce de notre générosité. Vous n'aurez jamais mieux. (Interruption.) C'est une véritable générosité de notre part de n'être pas plus anticlérical que nous ne le sommes.

M. de Theuxµ. - Messieurs, j'ai déjà signalé dans une autre circonstance les dangers d'un gouvernement de parti fortement organisé et longtemps prolongé. J'ai dit que ses tendances étaient toujours d'étendre ses prérogatives et de restreindre les chances de la minorité d'arriver à son tour au pouvoir.

Un tel gouvernement est contraire aux principes du Congrès national, lequel a été formé dans l'union et s'est perpétué dans l'union.

Il crée une situation dangereuse en ce sens que le gouvernement, assuré de sa majorité, n'a plus de contrôle à craindre et que les griefs de la minorité sont systématiquement écartés.

Ce gouvernement a maintenant vingt ans d'existence, existence extraordinaire et qui ne peut être due qu'à l'organisation forte d'un parti.

C'est là l'objet des plaintes si justement relevées dans le tableau que vous a produit l'honorable. M. Wasseige dans la séance d'hier. Il est impossible à tout homme impartial de ne pas découvrir dans ce tableau la preuve manifeste, irrécusable de nominations de parti.

Un semblable tableau a été produit sous le gouvernement des Pays-Bas, et nous, qui avons vécu à cette époque, nous n'avons pas perdu le souvenir de l'impression qu'il a produite dans le pays.

On peut dire que cela a été l’un des points de départ de la forte opposition faite au ministère de cette époque.

On a dit tout à l'heure, messieurs, que le parti catholique a aussi gouverné le pays pendant vingt ans. Mais c'est là une erreur manifeste, et je suis étonné qu'un homme aussi intelligent que l'honorable M. Bara ait pu produire cet argument.

Il a donc oublié l'histoire nationale contemporaine ? Jamais un ministère catholique n'â duré vingt ans. Pendant la période de vingt ans dont a parlé l'honorable ministre de la justice, l'opinion qui a gouverné le pays était l'opinion libérale unioniste, homogène, ou des ministères mixtes.

Le système qui nous gouverne aujourd'hui est donc contraire à celui qui a gouverné le pays pendant les vingt premières années de son indépendance.

Messieurs, je n'entrerai point dans la discussion relative à l'exclusion des candidats catholiques conservateurs. Cependant je puis me dispenser de signaler un fait : un jeune homme, fils d'un magistrat très honorable, considéré par son propre mérite, a sollicité en vain, à plusieurs reprises, un emploi dans la magistrature.

Il est des membres, dans cette Chambre, même appartenant à l'opinion libérale, qui connaissent le candidat dont je parle et qui certainement ne dénieront en aucune manière mes assertions. Il vient même de m'être rappelé à l'instant par un membre éminent de la gauche.

L'honorable M. Bara, répondant à l'honorable M. Wasseige, a exhumé des faits de nominations anciennes et deux faits de destitution, l'une d'un procureur du roi à Gand, l'autre d'un procureur du roi à Nivelles.

Je n'ai pas les faits assez présents à l’esprit pour entrer dans les détails de ces deux destitutions. Elles ont d'ailleurs été expliquées à l'instant même ; car il faut bien remarquer qu'à cette époque des ministères mixtes, aucun fait n'était passé sous silence, s'il avait les apparences d'un acte de parti. Et l'on comprend que dans la situation d'un ministère mixte, les critiques instantanées devaient avoir pour résultat d'appeler l'attention de tous les membres du cabinet et ensuite celle des membres de la représentation nationale du centre, qui n'appuyait jamais aveuglément un cabinet.

On comprend très bien quelle importance les discussions avaient alors. Aussi, dans maintes circonstances, les critiques ont été portées (on m'excusera de me servir de ce mot) jusqu'au ridicule par leur ténacité et leur durée.

Quant à la destitution du procureur du roi de Gand, le fait s'est passé en 1839. C'est l'honorable M. Nothomb, ayant par intérim le ministère de la justice, qui l'a présentée à la signature du Roi. Cette destitution avait été provoquée et était vivement sollicitée par le gouverneur de la province, parce qu'il était en dissentiment profond avec ce fonctionnaire.

Quant au procureur du roi de Nivelles, le gouvernement a usé envers lui des meilleurs procédés. Il s'est enquis auprès de lui si sa candidature avait pour objet ou simplement pour motif le désir d'entrer dans la vie parlementaire, ou s’il était lié envers une opinion qui cherchait à renverser le cabinet.

Cet honorable magistrat n'a pas hésité à répondre qu'il voterait contre le ministère. Ces circonstances expliquent le fait de la destitution, malgré une situation personnelle favorable, et certainement s'il n'y avait pas eu des considérations aussi graves, la destitution n'aurait pas eu lieu.

On a donc reproché au cabinet de 1839 d’avoir destitué le procureur du roi, à Gand. Je demanderai si plusieurs années plus tard, sous l'administration libérale que nous combattons, on n'a pas destitué son successeur, M. De Saegher ? On l'a envoyé, contre sa volonté, au greffe de la cour d'appel de Liége. Il a dû accepter, parce que sa position de fortune ne lui permettait pas de rester sans emploi. Chacun comprendra qu'envoyer un procureur du roi de la ville de Gand au greffe de la cour de Liége équivaut à une véritable destitution.

Donc, la destitution reprochée à l'honorable M. Nothomb vient à tomber.

Messieurs, le gouvernement actuel n'a guère eu besoin de recourir à des destitutions ; la raison en est simple : à son arrivée aux affaires, il a organisé, pour la première fois sous le gouvernement belge, le système que l'honorable comte Félix de Mérode appelait le système destitutionnel.

MfFOµ. - Vous l'avez pratiqué sur une large échelle.

M. de Theuxµ. - Je ne nie pas qu'il y a eu des destitutions, même sur ma proposition ; mais ces destitutions ont été parfaitement justifiées. Ici, c'est un système tout nouveau, c'est un système préventif de destitutions. Voilà ce qu'il ne faut pas perdre de vue. Et ce système a été pratiqué en grand, car trois gouverneurs ont été destitués et deux autres furent mis dans une position telle, qu'ils n'avaient plus d'influence dans leur province et qu'ils ont dû finir par donner leur démission.

Ce n'est pas tout, dix-sept commissaires d'arrondissement ont été destitués en même temps. Ce sont là des faits sans précédent. Quel est donc le fonctionnaire qui aurait osé se mettre en opposition avec les vues du gouvernement, même dans les luttes électorales ? Le fonctionnaire qui aurait voulu se mettre sur les rangs pour la représentation nationale aurait dû commencer par déposer son mandat de fonctionnaire, car sa destitution aurait suivi immédiatement.

Un de nos honorables collègues, qui avait fourni une carrière honorable aux états généraux et sous le gouvernement belge, a dû donner sa démission pour ne pas être destitué propos d'un refus de combattre d'anciens amis dans une lutte électorale dans laquelle il voulait simplement s'abstenir.

Un fait que personne ne niera, c'est que le parti libéral est moins tolérant que le parti conservateur.

Un ministère libéral unioniste était en butte à une forte opposition dans cette Chambre, de la part de deux commissaires d'arrondissement ; eh bien, ces deux commissaires d'arrondissement furent destitués. C'étaient les honorables MM. Desmedt et Doignon.

Aujourd'hui, ces destitutions ne sont plus nécessaires, parce qu'il n'y a plus de fonctionnaires dans la Chambre. Mais je défie de citer un seul député, qui, à raison de ses votes ou de ses discours dans la Chambre ou dans le Sénat, ait été destitué par un ministère catholique.

Au contraire, j'ai toujours proclamé la liberté absolue de vote et de discussion, mais à la suite de destitutions opérées en grand et préventivement lors de l'avénement du ministère libéral de parti, j'ai interrogé le gouvernement et j’ai demandé si les députés conservaient leur liberté de vote et de discussion.

Je n'ai pas obtenu d'autre réponse que celle-ci : C'est à eux de voir ce qu'ils ont à faire.

Quelque temps après, arrive la révolution de 1848 en France, et alors le gouvernement passe à un autre ordre de destitutions. Il propose la loi sur les incompatibilités.

Qu'en est-il résulté ? C'est que les fonctionnaires qui, en majorité, étaient dans la droite, ont dû renoncer à leurs fonctions ou à leur mandat de député.

Par suite de ce projet de loi, les fonctionnaires de la droite devaient donc être systématiquement écartés.

M. de Brouckere. - Ils l'ont été par l'amendement de la droite.

M. de Theuxµ. - La droite a complété le projet, elle en a fait une loi générale et je l'ai votée.

(page 672) Voyant le danger de la situation des fonctionnaires députés, voyant disparaître toute garantie pour leur indépendance, toute la droite a voté pour le système d'incompatibilité.

M. Rogierµ. - C’est vous qui avez éliminé les magistrats inamovibles.

M. de Theuxµ. - Si la loi était représentée aujourd’hui, je voterais encore cette élimination.

J'avais eu souvent lutter contre les commissaires d'arrondissement qui voulaient se faire élire membres de la Chambre

MfFOµ. - Vous les destituiez dans ce cas.

M. de Theuxµ. - J'ai engagé des commissaires d'arrondissement, qui voulaient se porter, à renoncer à leur projet et, dans un cas, j'ai dû faire prononcer par le Roi la révocation d'un de ces agents.

C'était le vœu de la Chambre et c'était mon opinion personnelle qu'il ne fallait pas laisser augmenter le nombre de ces fonctionnaires dans le parlement.

Messieurs, les conséquences d'un système de nominations politiques dans la magistrature sont plus graves que dans tout autre ordre de fonctions, parce que le candidat nommé peut n'avoir plus la liberté d'esprit nécessaire pour appliquer les lois en toute circonstance, en matière politique ou autre, avec cette impartialité qui commande la confiance du pays.

Rappelons-nous ce qui s'est passé sous le gouvernement des Pays-Bas. La magistrature était devenue politique et, en 1830, on a dû procéder à une grande épuration de la magistrature.

Je ne veux certes porter aucune atteinte au caractère de la magistrature. Je ne veux lui faire perdre en aucune manière de sa considération, mais il est bon de rappeler les faits historiques.

Nous nous rappelons fort bien que, sous l'Empire, il y avait bon nombre de magistrats dont la probité même était suspecte et il a fallu faire une grande épuration en 1815.

Messieurs, on a cité un certain nombre de nominations qu'il ne m'cst pas possible de justifier en ce moment.

Je dirai franchement que je ne me suis pas donné la peine d'examiner les discussions parlementaires.

Mais, je dois le répéter, ces nominations ont été discutées au moment où elles ont été faites et elles ont été discutées encore en 1847, à l'avénement du nouveau cabinet.

On comprendra qu'il ne m'est pas possible de répondre au sujet de faits qui remontent à 35 ou 40 ans. Tout ministre qui aurait posé des actes à cette époque serait bien en peine de reproduire aujourd'hui les motifs qui les justifiaient ; lui en faire un grief ne serait ni juste, ni convenable.

Il faut reconnaître que, loin d'imiter l'opposition des temps passés, la droite apporte dans son opposition une grande modération. Je ne veux pas, pour chaque fait, susciter une discussion ; cela n'est pas dans les convenances parlementaires, et c'est même une chose contraire aux vrais intérêts du pays.

En terminant, je reproduis un argument fondamental : c'est qu'il y a grande différence entre un gouvernement basé sur l'union et un gouvernement de parti.

M. Wasseige. - Deux mots seulement sur un fait spécial, le fait de l'emplacement de l'orphelinat à Namur. Il est positif que, sur quatre autorités médicales consultées à propos de cet orphelinat, une s'est partagée par moitié et les trois autres ont. adhéré complètement et à l'unanimité à la moitié qui avait décidé l'emplacement insalubre ; et dans sa moitié déclarant la situation insalubre se trouvait l'auteur même de la proposition, je l'ai déjà fait remarquer.

Les autres médecins que l'honorable ministre fait manœuvrer sous vos yeux, ceux du bureau de bienfaisance et des hospices, entre autres, sont toujours les mêmes que ceux formant la moitié de la commission locale, qui, comme des marionnettes au théâtre, repassent plusieurs fois sous vos yeux. On vous a cité le séminaire et les sœurs du Bon-pasteur, mais ces établissements sont des établissements où le gouvernement n'a rien à voir ; sont-ils salubres ? c'est une question ; mais enfin, ils existent et ne peuvent être supprimés sans grande dépense ; la grande cause de l'insalubrité signalée n'existe d'ailleurs pas pour eux, c'est le voisinage du port dc refuge, où l'eau est stagnante.

J'avais donc bien raison de dire, dans cet état de choses, que c'était la question cléricale, c'est-à-dire l'érection de la chapelle, qui avait obscurci le jugement de l'honorable ministre.

- Des voix. - A demain.

La séance est levée quatre heures trois quarts.