(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 545) M. de Vrintsµ fait l'appel nominal à 2 heures et un quart et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Reynaert présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Jean Paquay, négociant à Bilsen, né à Lysden (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Dufour prie la Chambre de régulariser la position des commissaires de police faisant fonctions d'officiers du ministère public et d'accorder le bénéfice de 10 années en plus pour la pension aux fonctionnaires qui ont pris part aux combats de 1830. »
M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de la requête à la commission des pétitions qui sera invitée à faire un prompt rapport. La réclamation a un caractère d’urgence.
- Adopté.
« L'administration communale de Schaerbeek déclare appuyer la pétition des membres de la Réunion électorale de cette commune, ayant pour objet une modification à l'article 59 de la loi communale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Pussemange prie la Chambre d'autoriser M. le ministre des travaux publics à accorder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d’Athus à la frontière française dans la direction de Givet. »
- Même renvoi.
« Les membres des administrations communales de Noiseux, Baillonville et Heure déclarent appuyer la demande du conseil communal de Fronville tendante ce que cette commune soit reliée à la station de Melreux par un raccordement de route prenant naissance à Monteuville. »
- Même renvoi.
« Les instituteurs du canton de Gembloux proposent des meures pour améliorer leur position. »
- Même renvoi.
Le sieur Chalon, ancien facteur rural, demande une augmentation de pension.
- Même renvoi.
« Le sieur Anthoine prie la Chambre d'améliorer la position des receveurs communaux. »
- Même renvoi.
« Les administrations communales de Renaix, Ellezelles, Wodecq, Flobecq. Everbecq, Ogy, Ghoy et Lessines demandent l'achèvement du chemin de fer de Braine-le-Comte à Courtrai. »
- Même renvoi.
« Les membres du bureau de bienfaisance de Westroosebeke proposent des modifications au projet de loi sur le domicile de secours. »
« Même pétition des membres des administrations de Saint-Laurent, Westroosebeke, Bornhem, Wieze, Nazareth, Meldert, Vichte, Velsique-Ruddershove, Denderwindeke, Beveren, Heurne, Winckel, Tamise, Bassevelde, Hamme, Nederbrakel, Baesrode, Derlyk, Thielrode, Wavre-Notre-Dame, Bouchaute, Watervliet, Hulste, Waerbeke, Aerseele, Vieux-Turnhout, Caprycke, Loochristy, Erembodegem, Buggenhout, Langemarck. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« La députation permanente du conseil provincial du Limbourg demande un nouveau crédit extraordinaire en faveur de l'amélioration de la voirie vicinale. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Par dépêche du 5 mars, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l’instruction, la demande en naturalisation ordinaire du sieur Bernays (G.). »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
Il est fait hommage à la Chambre :
« Par M. le gouverneur de la Banque Nationale, de 130 exemplaires du compte-rendu des opérations de cet établissement pendant l'année 1869 ;
« 2° Par le sieur Vermeersch, d'un même nombre d'exemplaires du Mémoire à l'appui de la pétition contre la loi sur le domicile de secours. »
- Distribution aux membres de l’assemblée et dépôt à la bibliothèque.
« M. De Breyne-Dubois demande un congé de quelques jours par suite d'indisposition. »
- Accordé.
« M. Broustin demande un congé de quelques jours pour cause d’indisposition. »
- Accordé.
« M. Louis Crombez demande un congé pour cause d’indisposition. »
M. le président. - La discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement et sur les amendements présentés par M. le ministre de la justice.
M. Thonissenµ. - Messieurs, à la fin de son rapport, l'honorable M. Guillery a manifesté le vœu de nous voir bientôt saisis d'un projet de révision du code de procédure militaire ; je m'associe à ce vœu de toutes mes forces et, pour hâter sa réalisation, j'indiquerai quelques-uns des motifs qui me guident.
Le code de procédure militaire est à peu près complètement dépourvu des garanties exigées par la science moderne.
Nous n'en avons pas même une traduction officielle ; nous ne possédons qu'une traduction officieuse, faite par je ne sais quel fonctionnaire hollandais, ignorant les premiers éléments de la langue française.
Que dirait-on si, devant les tribunaux correctionnels ou devant les cours d'assises, le même magistrat était à la fois procureur du roi, juge d’instruction et greffer ; que dirait-on surtout si le même fonctionnaire qui a requis la condamnation venait ensuite assister aux délibérations et rédiger lui-même la sentence ?
Eh bien, messieurs, tout cela se pratique devant les conseils de guerre : l'auditeur militaire est en même temps greffer, procureur du roi et juge d'instruction.
Je sais bien que, dans l’instruction préliminaire, deux officiers-commissaires sout chargés de procéder aux interrogatoires ; mais, en fait. c'est là une garantie illusoire ; car, aux termes de l’article 45 du code, c'est l'auditeur qui dicte les questions à poser. De plus, il assiste à l'interrogatoire et c'est lui qui dresse le procès-verbal. Evidemment il y a là absence de garanties suffisantes.
Mais le code de procédure militaire ne pèche pas seulement sous ce (page 546) rapport ; dans certaines parties, il est ridicule ; dans d'autres parties, il est odieux.
Par exemple, il est ridicule dans les articles 180 et suivants, où il prévoit le cas d'un officier fugitif qui a commis ne fût-ce qu'un simple délit correctionnel.
Il faut alors que l'auditeur fasse convoquer le conseil de guerre, et qu'il lui expose que tel inculpé a pris la fuite. A la suite de cette communication, le conseil autorise l'auditeur à faire assigner le fugitif, et voici comment cette assignation doit se faire.
L'article 195 porte :
« L'acte sera publié au son du tambour ou de la trompette par le concierge de la prison militaire du chef-lieu de l'arrondissement militaire, ou par telle autre personne qualifiée à l'effet d'exploiter militairement. »
Après cela, si l'inculpé ne comparaît pas, nouvelle convocation du conseil de guerre, nouvelle autorisation d'assigner, nouvelle publication au son du tambour et de la trompette. S'il ne comparaît pas encore, troisième convocation du conseil de guerre, troisième autorisation, troisième ajournement avec tambour et trompette.
Si le fugitif persiste à ne pas venir, il y a une quatrième assignation, toujours avec tambour et trompette ! Enfin, si à la suite de tout ce bruit, l’accusé demeure toujours récalcitrant, on n'examine pas s'il est coupable ou innocent ; on ne recherche pas même quelle peine il a méritée. On le condamne purement et simplement à l'exil, c'est-à-dire à une peine qui n'existe plus dans le code pénal belge, et on l'y condamne... jusqu'au jour où il lui plaira de se représenter !
Evidemment, toutes ces formalités, aussi surannées que ridicules, doivent disparaître.
Dans d'autres parties, le code de procédure militaire est odieux. Croirait-on qu'il existe encore en Belgique, dans la procédure militaire, une espèce de torture à laquelle on peut avoir légalement recours contre le soldat prévenu qui ne répond pas assez lestement, ni assez complètement aux questions qui lui sont posées.
Voici ce que dit l'article 81 :
« Lorsque l'accusé, sans soutenir l'incompétence du juge, ou après que cette exception a été rejetée, refuse de répondre à toutes les questions qui lui ont été proposées, ou à quelques-unes d'entre elles, ou qu'il donne des réponses tellement peu convenables, qu'il soit palpable qu'il a dessein de se soustraire à son obligation de répondre, et qu'enfin il ne revienne pas de cette irrévérence après des admonitions réitérées, l'auditeur militaire en tiendra note dans son procès-verbal, ou dans la conclusion du procès-verbal de l'audience ; et rapport en sera fait par les commissaires à l'officier commandant. »
C'est-à-dire que, si l'individu ne répond ni assez lestement ni assez complètement, l'auditeur en prend acte et que les officiers-commissaires en donnent avis au commandant de la place.
Maintenant que peut faire ce commandant ? Le voici :
« L'officier commandant devra alors, après en avoir conféré avec les commissaires et l'auditeur militaire, déterminer tels moyens de correction qui pourront servir à persuader l'accusé de satisfaire à son obligation. »
Evidemment, messieurs, de pareilles dispositions ne peuvent plus figurer dans la législation d'un peuple libre !
Je m'associe, encore une fois, au vœu émis par l'honorable rapporteur et j'espère que le gouvernement fera procéder, le plus tôt possible, à un travail de révision devenu indispensable.
Je vais maintenant, messieurs, dire quelques mots du code pénal militaire ou, pour mieux dire, du projet qui est soumis à vos délibérations.
Dans ce projet, on rencontre souvent le mot « ennemi ». Est-ce que ce mot s'applique seulement aux soldats d'une armée envahissante, d'une armée appartenant à une nation avec laquelle la Belgique se trouve en guerre, on s'applique-t-il aussi à ceux qui font partie d'une bande de rebelles armés ?
La question a été longuement discutée en France et l'on y a fini par mettre sur la même ligne, dans le code militaire, l'ennemi et les rebelles armés.
Le cas est extrêmement important.
A l'article 18, on prévoit le fait d’un officier qui abandonne son poste et l'on dit :
« Sera puni de mort, tout officier qui, en présence de l'ennemi, aura abandonné, sans y être contraint par des forces supérieures, le poste ou la position qui lui était assigné. »
Cet article a été emprunté au code militaire français de 1857 ; mais, dans ce dernier, à la suite des mots « de l'ennemi », a ajouté ceux-ci « ou de rebelles armés ».
A l'article 20, punissant le militaire qui, étant en faction, abandonne lâchement son poste, on trouve l'expression suivante :
« Sera puni de la peine de mort, s'il était en présence de l'ennemi. »
Le code militaire français ajoute : « ou de ruelles armés ».
A l'article 21, on punit le factionnaire trouvé ivre ou endormi à son poste. La loi belge ne parle, encore une fois, que de l'ennemi. Le code français, au contraire, porte : « d'ennemis et de rebelles armés ».
L'article 25, qui réprime l'insubordination en temps de guerre, renferme un paragraphe final ainsi conçu :
« Si le fait a eu lieu en présence de l'ennemi, le coupable sera puni de mort. »
Le code français dit de nouveau : « en présence de l'ennemi ou de rebelles armés ».
Je crois que ce système vaut mieux que le nôtre.
J'espère que nous ne verrons jamais la guerre civile en Belgique. J'espère vivement que nous ne serons jamais réduits à la triste nécessité d'éteindre l'émeute dans une répression sanglante ; mais, enfin, la chose est possible, et dès lors il faut la prévoir, non seulement pour la défense de l'ordre, mais encore et surtout pour la défense de la liberté. Ses ennemis les plus dangereux sont les fauteurs d'anarchie, et c'est surtout dans les pays libres que l'ordre doit donc être vigoureusement maintenu en toutes circonstances.
Du reste, messieurs, en principe, il n'est pas possible de mettre sur la même ligne le soldat qui délinque en temps de paix et le soldat qui agit devant des rebelles armés ou dans l'intérêt de ces rebelles. Supposons qu'un soldat déserte en temps de paix pour rentrer dans sa famille ; il sera coupable sans doute, mais il le sera beaucoup moins que s'il déserte pour passer du côté de l'émeute. Supposons un soldat mis en faction dans une ville paisible ; il abandonne son poste, il est coupable. Mais s'il est placé en faction ou en vedette en face d’une bande de rebelles armés et qu'il abandonne son poste, sa culpabilité sera de beaucoup aggravée.
Je crois donc que le système français est préférable au nôtre, et quand nous serons arrivés aux articles 18, 20 et 25, je proposerai de mettre à côté du mot « ennemi », les mots « rebelles armés ».
M. le président. - M. Thonissen, vous ne présentez pas d'amendements pour le moment ?
M. Thonissenµ. - Je les présenterai plus tard, M. le président.
M. Moncheurµ. - Je n'ai nulle intention de faire un discours sur le code pénal militaire ; j'en serais d'ailleurs, en ce moment, dans l'impossibilité physique, à cause d'une forte irritation des bronches ; mais je voudrais dire, en quelques mots, à la Chambre, ma manière de voir sur le projet qui est offert à ses délibérations.
Je le trouve recommandable à son adoption immédiate et ce à trois points de vue différents : d'abord parce qu'il définit mieux les crimes et délits militaires.
Ensuite parce qu'il introduit un adoucissement considérable dans les peines.
Enfin et surtout, messieurs, parce qu'il substitue, dans les cas les plus nombreux, la peine de l'emprisonnement, une peine que j'appellerai plus militaire et qui sera plus morale et plus efficace : je veux parler de l'incorporation dans une compagnie de punition ou de correction.
Le code hollandais est d'une prolixité remarquable et très inutile. Il prévoit une foule d'infractions qui sont déjà prévues et punies par le code pénal ordinaire. Le projet, au contraire, se borne à définir les crimes et délits qui ne peuvent se commettre que par les militaires. Quant aux autres infractions, les tribunaux militaires appliqueront les lois pénales ordinaires.
Seulement, dans certains cas, comme dans le cas de trahison, la peine sera élevée d'un degré envers les militaires et cela se conçoit sans peine : le militaire est astreint à un devoir de fidélité et de dévouement plus strict envers le pays qu'un simple particulier. D'après ce plan, une cinquantaine d'articles ont suffi pour former le code pénal militaire nouveau, tandis que l'ancien en contient deux cent quinze.
Il est vrai que le projet laisse à l'écart les questions les plus délicates, qui sont celles de compétence soit à raison de la matière, soit à raison des personnes.
Il n'innove rien sous ces rapports et il laisse l'examen de ces questions très intéressantes et très graves pour le code de procédure militaire qui restera encore à refaire ou à amender.
Je loue les auteurs du projet de cette réserve, car ce qui est urgent avant tout, c'est de changer la nature des peines appliquées aux soldats, c'est de les soustraire la peine démoralisante de la détention en commun.
(page 547) Ce qui est urgent aussi, c’est de faire disparaître du code pénal militaire qui nous régit la série de peines soit surannées, soit d'une sévérité excessive qui s'y trouvent écrites. La peine de mort y est prodiguée ; on y trouve à chaque pas la peine de la brouette avec déchéance de l’état militaire, ou le bannissement.
La bastonnade y figurait avant que, le 7 octobre 1830, le gouvernement provisoire, dans un de ses premiers élans réparateurs eût écrit ceci :
« Considérant que la bastonnade est insultante aux guerriers belges et attentatoire à la liberté de l'homme, arrête :
« Article unique. La peine susdite est abolie.
« (Signé) de Potter, comte Félix de Mérode, Ch. Rogier, Sylvain Vande Weyer. »
Et cependant, messieurs, il faut dire à la décharge du code hollandais, qu'à côté de cette sévérité excessive, de ce draconisme si souvent signalé, il contient la disposition la plus douce, la plus indulgente peut-être qui se trouve dans aucun code pénal du monde.
Cette disposition, on peut la critiquer, il est vrai, au point de vue théorique, au point de vue d'une savante codification ; mais elle a été excellente dans la pratique.
C'est elle qui depuis quarante ans a introduit, dans la jurisprudence pénale militaire, une indulgence remarquable et une parfaite impartialité. Vous serez peut-être curieux de la connaître, messieurs, cette disposition ? Elle est d'une rédaction véritablement hollandaise, mais le fond en est digne de remarque et d'éloge, surtout à côté de tant de rigueur.
Les articles 53 et 54 portent ceci :
« A l'égard de l'espèce de peine statuée contre chaque délit, ainsi qu'à l'égard du temps, du lieu, du degré et de la manière, les juges militaires se conformeront exactement à ce qui est prescrit par les lois, sans pouvoir les aggraver au delà de ce que la loi prescrit ou permet, et sans aussi pouvoir jamais les mitiger que pour autant, que des raisons légitimes d'excuse ou de disculpation pourraient évidemment l'exiger en bonne justice.
« Dans ce dernier cas, ils pourront substituer à la peine fixée telle autre plus douce, qui s'accorde le plus avec la nature du délit, et qui s'écarte le moins du genre prescrit par la loi. »
Cette disposition a été connue d'un auteur français qui a écrit ex professo sur le droit pénal militaire, et dont l'ouvrage m'est tombé sous la main il y a plus de trente-cinq ans, et elle était fort admirée de lui.
Il disait, si j'ai bonne mémoire, que la sévérité des peines en droit militaire est sans inconvénient et a même des avantages, du moment où la loi elle-même donne pleins pouvoirs aux juges militaires l'effet d'adoucir ces peines ; car ce sont les mœurs qui font les lois et les arrêts.
Or, nous arriverons aux mêmes résultats au moyen du système des circonstances atténuantes, système admis par le projet de code pénal militaire, comme pour le code pénal ordinaire,
Enfin, j'arrive à l'immense avantage que je trouve dans le projet dont vous êtes saisis, avantage qui me fait même profondément regretter qu'il n'ait pas été présenté depuis un grand nombre d'années ; c'est celui de dégorger, si je puis m'exprimer ainsi, les prisons de la foule de militaires qui les encombrent, ces prisons qui sont pour eux une école de vice. Souvent ces militaires n'y sont entrés que pour des faits qui n'ont rien de grave et qui ne décèlent ni corruption, ni perversité.
Là sont enfermés en masse des militaires, notamment tous ceux qui sont condamnés pour désertion.
Il y a seize ans déjà que la commission, qui avait été désignée par cette Chambre, avait proposé de punir le délit de désertion par la peine du talion, c'est-à-dire par une prolongation du terme de service militaire pour les soustraire à la prison. Rien n'est plus pernicieux, disait alors le rapport de cette commission, dont le projet est tombé par suite de la dissolution des Chambres, rien de plus pernicieux pour nos jeunes soldats que leur séjour dans les prisons. «
Enfermés, dans toute la force et l'effervescence de la jeunesse ; dans ces lieux où il est impossible de donner à leur activité un aliment suffisant, où ils se trouvent souvent en contact avec des vétérans du vice, ils n'y puisent que trop généralement des principes de corruption, ou tout au moins, ils n'y contractent que des habitudes de paresse. Aussi, l'expérience a-t-elle malheureusement prouvé que tout soldat qui a séjourné un temps plus ou moins long dans les prisons est un soldat perdu pour l'armée. »
Pour vous donner une idée de l'étendue du mal, je suis tenté, messieurs, de vous faire entendre un cri d’indignation sorti du sein d’un brave et digne général, ministre de la guerre. Voici une note entièrement écrite de la main du général Evain et qu’il m’a fait passer lorsque, il y a de nombreuses années, j’ai à m’occuper de ces matières.
Vous y verrez, en même temps, quelle haute idée ce général avait du véritable esprit militaire de notre brave armée.
Voici ce qu'il écrivait :
« Une des choses les plus déplorables que j'ai vues, dans la visite que j'ai faite des maisons de détention est le grand nombre de militaires se trouvent dans celles de Vilvorde et de Saint-Bernard, indépendamment de la prison d'Alost, entièrement consacrée à la détention des militaires et qui en renferme une masse considérable.
« Le manque d'emplacement et de distribution convenable ne permet pas, à Saint-Bernard, de séparer les détenus militaires des détenus civils, et il en résulte de graves inconvénients.
« Plus de la moitié des militaires détenus pour six mois, un, deux, trois, cinq et même huit ans ont été condamnés à cette peine pour fait de désertion ; un sixième pour celui d'insubordination ; un autre sixième pour celui de vente ou de détournement d'effets militaires et le dernier sixième pour délits divers d'infidélité de gestion et autres prévus par code pénal commun.
« Et il est remarquer que les deux tiers de tous les délits commis par ces militaires proviennent d'excès de boisson et des suites d'ivresse.
« Je ne donne pas le chiffre de ces détenus, parce qu'il est hors de toute proportion avec celui de l'effectif de notre armée présent sous les armes, et je me hâte de déclarer qu'on doit surtout l'attribuer :
« 1° A ce que le code hollandais, qui régit encore l'armée, a prodigué la peine d'emprisonnement ;
2° A ce que d'autres punitions qu'il prescrivait ont été justement abolies par l'arrêté du gouvernement provisoire en date du 1 octobre 1830 et remplacées par celle de la détention ;
« 3° A ce que le code dont il est question a renvoyé au jugement des conseils de guerre beaucoup de fautes ou manquements au service qui ne devraient être punis que disciplinairement.
« La peine de détention infligée aux soldats en récidive de désertion à l'intérieur est celle qui peuple le plus nos prisons.
« L'abandon de leurs drapeaux par nos soldats, dont le lieu de naissance est à proximité de celui de leur garnison, n'est que trop commun dans notre armée en temps de paix : mais dès qu'il est question de préparatifs de guerre, de réunion de troupes, cet abandon cesse à l'instant, et les circonstances actuelles en offrent un exemple frappant.
« C'est au désir de revoir leur famille, d'assister aux fêtes du village ou bien c'est à quelques excès produits par l'ivresse qu'il faut généralement attribuer la cause de l'abandon des drapeaux.
« Les soldats qui veulent se soustraire au service militaire vendent une partie de leurs effets ou de ceux mêmes de leurs camarades ; ils encourent, par ce dernier fait, la déchéance du rang militaire : ils sont renvoyés chez eux à l'expiration du temps de la détention à laquelle ils sont condamnés. »
L'idée de punir la désertion par la peine en quelque sorte du talion est reproduite dans le projet qui vous est soumis, et se trouve considérablement étendue.
D'après l'article 9, la durée de l’emprisonnement et de l'incorporation passée dans une compagnie de punition ne comptera plus comme temps de service.
Je ne doute pas, quant à moi, de l'efficacité de cette peine, et elle aura, quand il s'agira uniquement de l'incorporation dans une compagnie de punition, elle aura, dis-je, pour mérite immense de soustraire les jeunes soldats à l'atmosphère délétère des prisons.
J'espère donc que cette fois le projet aboutira et sera bientôt, du moins quant à son principe, converti en loi.
M. Lelièvreµ. - Je dois applaudir en général au projet de loi en discussion, qui apporte des améliorations considérables à la législation militaire en vigueur.
Les lois actuelles en cette matière sont surannées et n'ont plus rien de commun avec les progrès qu'on a réalisés en ce qui concerne la législation criminelle.
Toutefois, nous devons regretter qu'on n'ait pas encore révisé la législation relative à la procédure à suivre dans les affaires militaires.
C'est là surtout que se trouvent les défectuosités qu'il importe de faire disparaître.
Indépendamment des vices signalés par l'honorable M. Thonissen, aujourd'hui l'auditeur militaire assiste à la délibération du conseil de guerre et en réalité de le prévenu est livré à l'arbitraire de cet officier poursuivant.
Du reste, la mise en prévention n'est décrétée par aucun corps judiciaire, de sorte que le militaire est privé de cette garantie importante.
(page 548) A cette occasion, j'appelle l'attention du gouvernement sur la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de faire présider les conseils de guerre par un juge civil.
Cette disposition, admise en 1849 relativement à la cour militaire, a produit les meilleurs résultats et nous devons dire qu'en aucun temps, la justice supérieure militaire n'a mieux fonctionné que depuis l'introduction de ce régime.
C'est à l'occasion de la procédure militaire qu'il s'agira d'examiner quels faits commis par des militaires seront déférés aux tribunaux d'exception, car j'estime qu'en général les délits du droit commun doivent être réservés à la juridiction ordinaire.
Ce principe était sanctionné dans un document remarquable intitulé : « Règlements et articles de guerre provisionnels pour le militaire au service des provinces belgiques unies, dispositions décrétées le 24 mars 1790 par les états généraux et congrès souverain, après la révolution brabançonne. »
L'article premier portait :
« Les militaires resteront soumis aux mêmes lois et aux mêmes juges que les autres citoyens tant en matière civile que criminelle, sauf en ce qui dépend du service. »
L'article 43 était ainsi conçu :
« Quant aux délits ou crimes communs, c'est-à-dire qui ne concernent ni la discipline ni le service, les officiers seront, tant en temps de paix qu'en temps de guerre, traités et jugés par les juges ordinaires comme les autres citoyens. »
J'émets le vœu que l'instruction criminelle en vigueur en matière militaire soit remplacée le plus tôt possible par un régime en harmonie avec nos institutions.
Quant au projet en discussion, je présenterai quelques observations sur lesquelles j'appelle l'attention de la Chambre.
J'estime que le projet impose aux tribunaux l'obligation de prononcer la destitution d'un officier dans des hypothèses où cette pénalité serait imméritée.
Ainsi, contrairement à ce que prescrit l'article du projet, je n'admets pas la destitution dans les cas prévus par las articles 495 et 501 du code pénal commun.
D'un autre coté, cette peine devrait être prononcée dans d'autres cas ayant un caractère formel de gravité énoncés au même code, par exemple, dans l'hypothèse des articles 379 et suivants du code pénal en vigueur.
Je fais aussi remarquer que la commission a quelquefois été plus sévère que le gouvernement, elle est allée jusqu'à comminer la peine capitale dans le cas prévu par l'article 20.
Je suis d'avis qu'il ne faut pas excéder les limites des pénalités proposées par le gouvernement, surtout lorsqu'il s'agit de l'application de la peine capitale.
Enfin je pense qu'on ne laisse pas aux juges militaires une latitude suffisante pour l'appréciation des circonstances atténuantes et la réduction des pénalités. En cette occurrence, les tribunaux devraient pouvoir modérer les diverses peines et je ne vois aucun motif sérieux pour qu'on ne suive pas la marche tracée l'égard des crimes et délits du droit commun.
Il est vrai que l'article 85 du code pénal révisé n'admet pas les circonstances atténuantes en ce qui concerne les lois spéciales, lorsque celles-ci n'énoncent pas cet égard une disposition formelle, mais le code militaire formant une loi générale pour les personnes attachées à l'armée, il me semble que la justice exige qu'il soit, dans tous les cas, pris égard aux circonstances atténuantes.
Il est essentiel, à cet égard, de faire remarquer que le pouvoir conféré aux tribunaux ordinaires de modérer les pénalités, en cas de circonstances atténuantes, n'a jamais donné lieu à des inconvénients. Au contraire, l'expérience démontre que cette faculté a toujours eu pour conséquence de proportionner les peines à la nature des faits commis.
Pourquoi donc ne pas introduire ce système dans tous les cas prévus par le code en discussion ?
Je pense donc que le projet n'est pas assez large sur ce point et qu'il faut revenir à des notions plus saines.
Telles sont les considérations que je bornerai à proposer pour le moment.
Je n'hésite pas, du reste, à reconnaître les améliorations que réalise le projet de loi respectivement à la législation existante dont la révision est réclamée depuis si longtemps, mais il existe des défectuosités que la Chambre, je l'espère, fera disparaître.
M. Rogierµ. - Je voudrais soumettre une observation au gouvernement et à la section centrale. Si je ne me trompe, il y a une lacune assez grave dans le projet de loi. On punit de peines spéciales les plus sévères certaines infractions du subordonné vis-à-vis de son supérieur. Mais je ne remarque pas qu'il y ait dans le projet aucune stipulation qui prévoie les infractions du supérieur vis-à-vis de son subordonné. Or, messieurs, si l'on exige avec raison une sévère discipline dans l'armée, si le militaire subordonné a à redouter des peines plus rigoureuses que dans l'ordre civil en cas d'infraction vis-à-vis de son supérieur, il importe, semble-t-il, que le supérieur ne jouisse pas en quelque sorte vis-à-vis de son subordonné du privilège de l'insulte et de la violence.
Je lis, messieurs, l'opinion d'anciens militaires, reproduite dans le remarquable rapport de la section centrale. On y dit qu'on obtient une discipline meilleure par la bonté, par la douceur, par les égards, que par la brutalité.
Je reconnais que, dans l'armée belge, les supérieurs, en général, se conduisent avec convenance vis-à-vis de leurs subordonnés ; mais il peut arriver qu'un sous-officier, un caporal brutal traite fort mal un milicien bien élevé, qu'il l’outrage, qu'il le soumette. Pourquoi ce cas-là n'estil pas prévu par le nouveau code ?
Ce que je dis des sous-officiers à l'égard du soldat, je puis le dire aussi, hypothétiquement sans doute, mais cela peut arriver, de l'officier à l'égard du sous-officier et de l'officier supérieur vis-à-vis de l'inférieur. Ce cas-là ne devrait-il pas prévu et réprimé par le code ?
Je soumets cette observation à M. le ministre de la guerre, comme je l'ai soumise déjà à l'honorable rapporteur de la section centrale, qui a paru partager mon opinion sur la nécessité qu'il y aurait de combler la lacune que je signale à la Chambre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Une seule observation ayant un caractère général a été présentée jusqu'à présent dans la discussion ; c'est celle qui est relative au code de procédure criminelle.
Un honorable préopinant a demandé quand le gouvernement déposerait un projet de loi sur l'instruction criminelle militaire.
Messieurs, le gouvernement n'a pas perdu de vue cet objet important ; mais il était impossible de rédiger un code d'instruction criminelle militaire avant d'avoir procédé à la réforme de l'instruction criminelle ordinaire.
Il y a, en effet, un grand nombre d'écrivains, de publicistes, de jurisconsultes qui ont demandé d'attribuer aux juges ordinaires le jugement des infractions punies par le code pénal ordinaire et commises par des militaires.
Or, il est évident que si l'on adoptait cette opinion, il faudrait faire précéder la réforme du code d'instruction criminelle militaire de la réforme du code d'instruction criminelle ordinaire. La commission chargée de la révision de ce dernier code réunit les éléments de son travail, et aussitôt que le premier projet aura pu être déposé, on s'occupera de la révision du code d'instruction criminelle militaire.
L'honorable M. Rogier a présenté aussi une observation générale quant aux pénalités qui pourraient être infligées aux supérieurs coupables de délits envers leurs inférieurs. Mais je dois lui faire remarquer que ces faits sont déjà prévus par les règlements militaires.
Les supérieurs qui se livrent à l'égard de leurs inférieurs à des actes de violence, des voies de fait, sont punis de peines assez graves par le code de discipline militaire. Mais lorsqu'il s'agit d'infractions de droit commun, ces faits sont déjà punis de peines très fortes et il n'y a aucune nécessité d'augmenter encore ces peines. Tandis que lorsqu'un inférieur frappe son supérieur, ce n'est pas tant le fait lui-même que l'on punit que l'acte d'insubordination, à cause du danger que des actes de ce genre peuvent présenter pour la discipline. La même raison n'existe pas quand il s'agit d'actes commis par un supérieur à l'égard de son inférieur et quant à ces actes ils sont suffisamment réprimés comme délits de droit commun.
L'honorable M. Rogier dit : « Je voudrais augmenter la durée de l'emprisonnement. » Mais quoi cela servirait-il ? C'est déjà une peine très sévère que l'emprisonnement comminé par le droit commun. Je comprends que vous l'augmentiez pour l'inférieur et pourquoi ? C'est que si vous permettez à des soldats de se livrer à des violences envers leur chef, sans réprimer par des peines spéciales de pareils actes, il n'y a plus de discipline, il n'y a plus d'armée.
M. Rogierµ. - M. le ministre de la justice me dit que les supérieurs ne se livreront pas à des outrages ou à des violences envers leurs subordonnés. J'aime à le croire ; mais le cas peut se présenter et le projet ne le frappe pas de peines spéciales ; tandis que la même infraction de la part du subordonné, qui pourra y avoir été provoqué, peut s'élever aux proportions d’un crime. Il faudrait, semble-t-il, plus d'égalité dans les peines.
(page 549- Mes observations sur ce point viendraient d’une manière plus opportune dans la discussion des articles.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, au chapitre des violences.
M. Rogierµ. - Je me borne à dire qu'il y a, à mon sens, quelque chose de blessant pour la dignité des subordonnés d'être atteints par une loi spéciale à laquelle échappent les supérieurs pour des cas absolument identiques.
Je demandces'il n'est pas juste que, pour les mêmes délits, le code pénal militaire mette sur la même ligne les supérieurs et les subordonnés.
Le code pénal ordinaire ne place-t-il pas sur la même ligne les grands et les petits, les chefs et les subordonnés, pour la punition des délits identiques ?
Pourquoi n'introduirait-on pas le même système dans le code pénal militaire ?
M. le ministre de la justice (M. Bara) - L'honorable M. Rogier se trompe sur la position faite, au point de vue pénal, à l'inférieur et au supérieur. Les obligations sont tout à fait différentes. La violence de l'inférieur envers le supérieur est non seulement une voie de fait ordinaire, mais c'est un manquement grave à la discipline. Voilà pourquoi le code pénal militaire punit d'une peine plus grave les violences commises par l'inférieur envers le supérieur, que les violences commises par le supérieur envers l'inférieur.
Le code pénal ordinaire commine aussi, dans certains cas, des peines différentes pour les mêmes délits.
Ainsi, par exemple, l'adultère commis par la femme est puni dans tous les cas et il n'en est pas de même pour l'adultère commis par le mari.
Pourquoi fait-on une distinction entre l'inférieur et le supérieur quant aux violences commises ? C'est que les conséquences sociales des violences commises par les inférieurs à l'égard des supérieurs sont bien plus graves que les violences commises par les supérieurs à l'égard des inférieurs ; les premières peuvent amener la débandade de l'armée.
L'honorable M. Rogier a dit avec raison : Il ne faut pas qu'un chef vienne, par des outrages immérités, provoquer l'inférieur à des violences qui peuvent prendre les proportions d'un crime. La justice appréciera.
Il m'est arrivé, messieurs, de plaider devant la cour militaire et de faire acquitter des soldats prévenus de violences qui avaient été provoquées par des actes de leurs supérieurs.
Mais il est une chose que l'honorable membre ne peut pas nier : c'est que la position de l'inférieur qui commet des violences à l'égard de son supérieur est toute différente de celle du supérieur qui s'oublie vis-à-vis de son inférieur quant aux conséquences sociales.
Maintenant, l'honorable membre veut-il aggraver la peine du supérieur qui commet une violence à l'égard de son inférieur, uniquement pour dire qu'il y a égalité entre eux ?
Evidemment non, car il ne s'agit pas ici d'aggraver des peines pour faire plaisir à telles ou telles catégories de délinquants, mais bien de pourvoir à certaines nécessités sociales.
Pour ma part, messieurs, je crois que les peines comminées par le code pénal ordinaire sont suffisantes pour prévenir les délits qui sont commis par les chefs à l'égard de leurs inférieurs.
J'ajoute de plus que si dans le code de discipline militaire, il n'existait pas de peine pour punir les violences dont il s'agit, il faudrait l'y ajouter ; mais nous avons à cet égard une garantie de répression suffisante, qui peut aller jusqu'à la mise au traitement de réforme et qui peut atteindre l'officier qui manque d’égards vis-à-vis de son inférieur.
MgRµ. - Je demande d'ajouter un mot aux considérations puissantes que vient de présenter l'honorable ministre de la justice. J'aurai l'honneur de dire à l'honorable M. Rogier que l'on apporte la plus grande sollicitude dans l'armée à empêcher les sévices, outrages ou mauvais traitements de la part des supérieurs envers leurs inférieurs ; ces fautes sont punies avec la plus grande rigueur.
L'article 9 du code de discipline déclare coupable de transgression : « quiconque, placé dans un grade supérieur, se permet des voies de fait ou des expressions injurieuses envers son subordonné, ou qui lui inflige ou fait infliger une correction non convenable. De plus, l'article 7 de la loi sur l'état et la position des officiers porte que ceux-ci pourront être mis au traitement de réforme pour sévices graves envers leurs inférieurs. »
Vous voyez, messieurs, que la loi prévoit les inconvénients signalés par l'honorable M. Rogier ; elle commine des peines contre les supérieurs qui abusent de leurs position pour infliger ou faire infliger à leurs inférieurs des peines qu'ils ne méritent pas.
M. Bouvierµ. - De quelle date est cette loi ?
MgRµ. - C'est une loi du 16 juin 1836.
Quant au règlement de discipline, il a été voté par les états généraux des Provinces-Unies le 15 mars 1815 et mis en vigueur en Belgique, par arrêté du prince souverain du 17 avril suivant.
M. de Theuxµ. - Messieurs, Je remercie l'honorable ministre de la guerre de nous avoir donné lecture de l'article du code de discipline militaire.
Malheureusement ce code de discipline, qui est excellent, a été autrefois extrêmement négligé. En effet, je crois qu'il n'y a personne dans cette Chambre qui n'ait été souvent témoin d'excessives brutalités exercées par des sous-officiers instructeurs envers les militaires arrivés nouvellement au régiment et commençant à apprendre une profession extrêmement difficile.
Déjà, ces jeunes militaires ont eu le chagrin de quitter leur famille, leurs habitudes ; s'ils rencontrent chez leurs instructeurs des brutalités en paroles et en action, ils prennent le service militaire en aversion et ils sont disposés à commettre des délits que le code pénal militaire punit sévèrement.
Leur rendre ainsi quelquefois la vie militaire insupportable par ce profond dégoût qu’ils ont contracté à leur entrée au service, c'est les prédisposer à déserter à la première occasion qui se présentera.
J'engage donc M. le ministre de la guerre à faire tout ce qu'il est humainement possible de faire pour introduire dans l'apprentissage des conscrits la douceur, la politesse, la convenance que les supérieurs doivent à leurs inférieurs, et je dirai même que, dans l'armée, plus que partout ailleurs, l'homme doit avoir le sentiment de sa dignité et il convient qu'il soit profondément blessé des outrages auxquels il pourrait être exposé.
Une amélioration a été apportée l'état de choses précédent par la nouvelle loi sur la milice : celle loi a réduit le temps de service. une mesure très utile pour empêcher la désertion. Car il est certain qu'il y a quelquefois une répugnance pour ainsi dire invincible pour le service militaire, et plus ce service est prolongé, plus cette répugnance angmente et conduit jusqu'au délit de la désertion.
Une autre mesure avantageuse qui a été introduite dans l'armée, c'est l'établissement des écoles régimentaires. Ces écoles doivent introduire un régime de politesse et d'égards et augmenter le sentiment de dignité dans tous les rangs de l'armée.
Je n'en dirai pas davantage. Mais j'ai cru ne pas pouvoir me dispenser de soumettre quelques considérations à la Chambre au sujet de mesures que je considère comme des moyens préventifs d’une quantité de délits qui sont prévus par le code pénal militaire.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, les remarques si justes qui nous ont été présentées à la fin de cette discussion m'ont engagé à me lever pour vous soumettre quelques réflexions.
Le code militaire qui vous est proposé semble s'appliquer à une armée composée exclusivement de volontaires. Il semblerait que les soldats entrent de leur plein gré dans l'armée, sachant à quelles lois et à quelle discipline ils vont être soumis et consentant, par le fait de leur engagement, à se soumettre à ces lois, quelque sévères qu'elles soient.
Mais, messieurs, il est loin d'en être ainsi. Notre armée ne se compose pas de volontaires ; elle se compose en majeure partie de gens qui y entrent malgré eux, et qui, contre leur gré, sont soumis à ces lois et à ces règlements militaires dont ils se passeraient très volontiers.
Je trouve donc que, surtout en temps de paix, l'on est beaucoup trop sévère dans beaucoup de dispositions de cette loi, envers des jeunes gens qui, enlevés à leurs occupations habituelles et à leur vocation, devraient au contraire être traités avec douceur, avec politesse et avec considération.
Nous voyons dans cette loi une suite de cinquante et des articles comminant, pour des fautes souvent très légères, les peines les plus sévères. Nous pourrions peut-être passer sur cette remarque par cette considération que du moment où l’on veut une armée, il est de toute nécessité de la soumettre à une discipline très sévère. Mais à côté de cette nécessité, je voudrais, surtout pour les miliciens qui sont appelés malgré eux à faire partie de l'armée, les moyens d'assurer à leur égard tout au moins la juste exécution de la loi.
Notons bien, messieurs, que ces lois ne sont ni faites ni consenties par les délégués de la grande majorité de la population d'où soit l'armée ; celle-ci n'entre pour rien dans la confection des lois, on ne peut donc pas (page 550) dire que les miliciens ont consenti indirectement à ces lois ; ils subissent la loi que nous faisons pour eux.
D’autre part, on ne trouve dans la loi aucun moyen d'assurer aux soldats la juste et équitable application de ses règles d'en contrôler l'exécution.
Dans l'armée américaine, les conseils de guerre sont de véritables jurys, dans lesquels tous les rangs sont représentés ; ici, au contraire, une seule classe est représentée dans les conseils de guerre.
La masse de l'armée, volontaire ou non, doit subir la loi, telle que nous la faisons ; mais elle doit également subir, sans y prendre aucune part quelconque, les jugements qui sont rendus, je le veux bien, avec impartialité, justice, mais qui très souvent présentent une sévérité que ne peuvent comporter des actes répréhensibles à un certain degré, mais qui, peut-être, s'ils étaient envisagés au point de vue de l'intérêt de toute l'armée, s'ils étaient jugés par les pairs de ceux qui les ont commis, ne seraient pas punis avec cette sévérité à laquelle sont disposés très souvent des chefs qui trouvent beaucoup plus facile de soumettre l'armée à leurs lois sans contradiction.
Je demanderai donc, messieurs, (et c'est en grande partie pour cela que j'ai demandé la parole), que lorsqu'il s'agira de faire la loi sur la procédure et sur l'organisation des tribunaux militaires, on donne une part dans les conseils de guerre à l'élément démocratique de l'armée, et qu'on ne se borne pas seulement à faire appliquer la peine uniquement par l'élément aristocratique.
MgRµ. - Messieurs, l'honorable membre croit qu'on peut conduire une armée de la même manière qu'on gouverne les populations. La rigueur des lois doit répondre à l'importance des sacrifices exigés. Lorsqu'on enrégimente des hommes, qu'on les expose à se faire tuer, souvent malgré eux, il faut, pour les retenir, frapper leur esprit par la crainte si on ne peut l'exalter par le sentiment de l'honneur.
Un capitaine doit conduire 150 hommes : si on ne lui donne pas un grand pouvoir, si on laisse à ses subordonnés le droit de faire à peu près ce qu'ils veulent, comment voulez-vous qu'il se fasse obéir ?
Je demanderai si l'armée suisse, que l'honorable membre admire, n'a pas adopté les mêmes principes ? Lorsque les Suisses sont dans leurs foyers, ils sont soumis aux lois ordinaires ; mais une fois sous les armes, même pour les manœuvres d'automne, ils sont passibles des lois militaires comme les troupes de toutes les autres nations.
Il est une armée populaire qui, pendant quelque temps, a prétendu' marcher sans un code de discipline sévère ; c'est l'armée française au début de la révolution.
Vous connaissez, messieurs, la triste histoire de ces troupes révolutionnaires, les massacres des généraux, et les désastres qui en furent la suite.
Des clubs s'étaient établis dans le sein des régiments. On y convoquait les chefs pour les interroger sur leurs desseins. On les sommait de dire comment ils voulaient combattre. Les défaites se succédèrent. Les grades étaient à l'élection. Si vous relisiez les écrits de l'époque, vous verrez les choses les plus bizarres.
Eh bien, c'est de cette armée qu'est sorti ce code draconien contre lequel nous nous récrions aujourd'hui. Et c'est ce code qui a ramené la discipline dans les armées de la république et, avec la discipline, la victoire.
Je prie les honorables membres qui ont étudié ces questions de comparer le projet en discussion avec les codes des autres puissances. Ils verront combien notre code est simplifié et adouci. Je suis persuadé que les mesures que nous présentons auront néanmoins sur l'armée l'influence la plus heureuse. J'espère voir diminuer de beaucoup les travaux des conseils de guerre.
Dans certains cas, ceux des premières désertions et des ventes d'effets, par exemple, ce n'est pas la gravité, mais plutôt la nature de la peine qui doit servir de frein.
En votant le projet qui lui est soumis, la Chambre fera une chose utile et bonne.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Les peines militaires sont :
« En matière criminelle :
La mort par les armes.
« En matière correctionnelle :
« L'incorporation dans une compagnie de punition ;
« En matière criminelle et correctionnelle :
« La dégradation militaire ;
« La destitution. »
M. le président. - La commission propose un amendement ainsi conçu :
« Les peines applicables aux infractions militaires sont, outre les peines portées à l'article 7 du code pénal ordinaire :
« En matière criminelle : (Le reste comme au projet.) »
M. Hagemansµ. - Messieurs, je lis dans le rapport de l'honorable M. Guillery le passage suivant, au sujet de l'article :
« Comme cet article commine la mort par les armes, sans distinction entre le temps de paix et le temps de guerre, des membres de la commission déclarent qu'ils en auraient voté le rejet, si un vote récent de la législature leur donnait la conviction qu'il serait inopportun de soulever aujourd'hui une nouvelle discussion au sujet de la peine de mort. »
Je suis heureux de voir qu'il y ait des membres de la commission qui se sont retranchés derrière le bénéfice de cette déclaration avant de procéder à l'examen du projet.
Seulement, je crois qu'il n'est jamais inopportun de revenir sur certaines questions.
Il est toujours bon de battre en brèche ce que l'on mauvais.
Je crois que le moment est d'autant plus opportun que l'exemple nous est donné par plusieurs Etats qui ont aboli ou qui sont sur le point d'abolir la peine de mort.
Chez nous, elle est abolie en fait, me direz-vous. C'est vrai, mais elle existe encore dans notre code, et c'est trop.
Pour moi, je voudrais le droit commun pour tous et ce n'est pas parce qu'un individu est revêtu d'un costume, qu'il porte souvent malgré lui, comme le faisait remarquer tout l'heure l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, que je voudrais le traiter autrement que ceux qui ne portent pas de costume.
Je voudrais que la peine de mort fût abolie, au moins en temps de paix.
En temps de guerre, c'est différent : la guerre est une chose si anomale, si injuste, si inique, qu'elle ne peut produire que des effets anomaux, iniques, injustes.
Aussi serai-je au regret de ne pouvoir voter, malgré les véritables améliorations qu'elle présente, la loi nouvelle qui consacre un principe contraire à mes convictions. Je serais heureux toutefois de la voter, si l'on voulait accueillie favorablement un amendement qui aux mots : « la mort par les armes », ajouterait « en temps de guerre ».
Si l'on voulait admettre un semblable amendement, je serai fort heureux, je le répète, de voter le projet qui nous est présenté et que je trouve excellent dans beaucoup de ses dispositions.
M. Guillery, rapporteur. - Si la Chambre était disposée à aborder de nouveau la discussion de la grave question de la peine de mort, quant à moi, je m’y prêterais volontiers. Il est certain que cette question a fait de grands progrès depuis le jour où la Chambre l'a résolue. Et cependant, lorsque en 1867 nous l'avons discutée pour la dernière fois, la peine de mort n'a été maintenue que par 55 voix contre 43. Quatre membres absents ont depuis fait connaître leur opinion favorable à l'abolition, ce qui amènerait le vote à 55 contre 47. Ce n'est donc qu'à 8 voix de majorité que la peine de mort a été maintenue.
Depuis la décision de la Chambre, un fait considérable s'est produit, la Prusse ou du moins la seconde Chambre prussienne a prononcé l'abolition de la peine de mort. C'est là un fait qui vient corroborer la doctrine des abolitionistes. On trouve même, parmi les abolitionistes en Prusse, des magistrats, des hommes qui, par la nature de leurs fonctions, sont appelés à requérir l'application de la peine, des hommes enfin qui joignent à des études profondes l'expérience de la pratique.
Je le répète donc, si la Chambre était disposée à revenir sur la discussion de la question de l'abolition de la peine de mort, quant à moi je serais d'autant plus heureux de la renouveler que peut-être aujourd'hui les abolitionistes auraient chance de triompher. La commission n'a pas cru devoir soulever la question, mais la minorité de la commission serait heureuse, j'en suis convaincu, de la voir discuter à nouveau.
M. le président. - Aucune proposition n'étant faite, je dois mettre simplement l'article aux voix.
M. Hagemansµ. - Monsieur le président, je fais la proposition.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne crois pas que la Chambre (page 551) soit disposée à ouvrir en ce moment une nouvelle discussion sur la question de la peine de mort.
D'ailleurs, je ne comprendrais pas qu'on abolît cette peine dans l'armée, alors qu'on ne l’a pas supprimée dans l'ordre civil. M. Hagemans lui-même reculerait devant cette conséquence de sa proposition. Si l'on voulait abolir la peine de mort, il faudrait le faire d'une manière générale.
Au surplus, il est remarquer que, dans les pays où l'on a aboli la peine de mort, on l'a maintenue en matière militaire. (Interruption.) Le parlement de l'Allemagne du Nord ne s'est prononcé qu'en matière ordinaire ; quant au projet de loi déposé en Hollande, il ne supprime la peine de mort qu'en temps de paix ; mais il commence par l'abolir pour les non-militaires, tandis qu'ici nous commencerions par les militaires.
Je pense donc que, dans l'intérêt même des idées dont je suis partisan, dans l'intérêt même de l'abolition de la peine de mort, il vaut mieux ne pas soulever la question ici, car ce serait la placer sur le plus mauvais terrain où elle puisse se produire.
Si les abolitionistes, au nombre desquels Jj me range, veulent soulever de nouveau un débat, ce n'est pas à propos du code pénal militaire qu'ils doivent l'engager, parce qu'ils s'exposeraient à se voir opposer une foule d'arguments que l'on ne pourrait produire en d'autres circonstances.
M. Hagemansµ. - Je reconnais la justesse de l'observation de M. le ministre de la Justice ; aussi ma proposition aura-t-elle un caractère général ; je proposerai un article unique, disant : « La peine de mort est abolie. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est tout un nouveau projet. L'honorable membre ne peut évidemment pas introduire dans le code pénal militaire un article qui modifie une disposition du code pénal ordinaire. Le code pénal militaire est un code d'exception et ce n'est pas là qu'on peut introduire le principe de la suppression de la peine de mort.
M. le président. - M. Hagemans ne trouverait-il pas convenable de faire une proposition spéciale ?
M. Hagemansµ. - Je n'insiste pas pour le moment ; j'attendrai une occasion plus favorable.
M. le président. - Nous restons donc en présence du projet du gouvernement et de l'amendement de la section centrale, auquel le gouvernement ne se rallie pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois, messieurs, que la rédaction du gouvernement est préférable ; en voici la raison.
Nous sommes d'accord quand au fond ; mais il est à remarquer que nous ne nous occupons pas, dans le chapitre premier, des peines ordinaires ; nous les laissons de coté, ces peines étant énumérées par le code pénal ordinaire.
Ici nous voulons seulement indiquer quelles sont les peines qui ont un caractère militaire ; nous les énumérons dans l'article premier, et des lors, il vaut mieux dire « les peines militaires sont » que « les peines applicables aux infractions militaires sont ».
Ces dernières expressions ne sont, d'ailleurs, pas tout fait exactes, parce qu'il y a des infractions militaires qui ne sont pas punies par des peines ordinaires et auxquelles on n'applique que la peine de l'incorporation dans une compagnie de correction.
Je crois donc devoir insister la rédaction du projet du gouvernement.
M. Guillery, rapporteur. - L’intention de la commission vient d'être indiquée par M. le. ministre de la justice. L'article du projet du gouvernement ne me paraît pas complet, attendu que les infractions militaires semblent devoir être punies de peines qui s'appliquent aux infractions militaires ; par conséquent, les peines de droit commun, en tant qu'elles s'appliquent aux infractions militaires, devraient être comprises dans l'énumération de l'article premier. D'un autre côté, il y a des peines de droit commun qui ne se trouvent pas spécialement prévues par le code pénal militaire.
De manière que l'énumération proposée par la commission n'est pas non plus irréprochable. Au fond, cet article n'a pas une très grande importance, il pourrait même être supprimé, car il ne fait qu'énumérer des peines ; ce qui est important, ce sont les articles dans lesquels les peines elles-mêmes sont déterminées. Je crois donc ne pas devoir insister.
- L'article du projet du gouvernement est mis aux et adopté.
« Art. 2 (du projet du gouvernement). Tout condamné à la peine de mort, en vertu du code pénal militaire, sera fusillé. »
M. le président. - La commission propose d'ajouter :
« Il pourra porter les insignes et l'uniforme de son grade lorsque la dégradation militaire n'aura pas été prononcée contre lui. »
Le gouvernement propose de rédiger, comme suit, le second paragraphe du projet de la commission :
« Si la dégradation militaire n'a pas été prononcée contre lui, il pourra porter, lors de l'exécution, les insignes et l'uniforme de son grade ».
- La rédaction proposée par la commission est mise aux voix et adoptée.
« Art. 3. Le militaire qui a encouru une peille criminelle par application du code pénal ordinaire sera condamné à la dégradation militaire.
« S'il a encouru une peine criminelle en vertu du code pénal militaire. il ne sera condamné à la dégradation que dans les cas déterminés par la loi. »
- Adopté.
« Art. 4. La dégradation militaire pourra aussi prononcée contre tout militaire condamné à plus de trois années d'emprisonnement du chef des délits prévus au chapitre V, titre VII, livre II, au chapitre Ier et aux sections Il et III du chapitre II, titre IX, livre II du code pénal ordinaire. »
- Adopté.
« Art. 5. Les effets de la dégradation militaire sont :
« La privation du grade et du droit d'en porter les insignes et l'uniforme ;
« L'incapacité de servir dans l'armée, à quelque titre que ce soit ;
« La privation du droit de porter aucune décoration ou autre signe distinction honorifique. »
- Adopté.
« Art. 6. La peine de la destitution me s'applique qu'aux officiers. Elle a pour effet de priver le condamné de son grade et du droit d'en porter les insignes et l'uniforme. »
- Adopté.
M. le président. - La Chambre passe à l'article 7 ; la rédaction primitive du gouvernement est ainsi conçue :
« Les tribunaux prononceront la peine de la destitution :
« Contre tout officier condamné, en vertu du code pénal militaire, à une peine criminelle autre que la peine de mort et laquelle la loi n'attache pas la dégradation militaire ;
« Contre tout officier condamné du chef des infractions prévues au chapitre V, titre VII, livre II, et au chapitre premier et au sections II et III du chapitre II, titre IX, livre II du code pénal ordinaire. »
La commission propose de rédiger le second alinéa de la manière suivante :
« Contre tout officier condamné, en vertu du code pénal militaire, une peine criminelle à laquelle la loi n'attache pas la dégradation militaire. »
M. le ministre de la justice se rallie à cette rédaction.
- L'article 7, ainsi modifié, est adopté.
« Art. 8. L'incorporation dans une compagnie de correction s'applique aux sous-officiers, caporaux, brigadiers et soldats.
« Elle emporte pour les sous-officiers, caporaux et brigadiers, la privation de leur grade. »
- Adopté.
« Art. 9. La durée de l'incorporation dans une compagnie de correction sera d'un an au moins et de cinq ans au plus.
« Le temps passé dans une compagnie de correction ne comptera pas comme temps de service. »
- La commission propose de rédiger l'article de la manière suivante :
« La durée de l'incorporation dans une compagnie de correction sera d'un an au moins et de cinq ans au plus.
« La durée de l'emprisonnement et de l'incorporation passée dans une compagnie de correction ne comptera pas comme temps de service. »
Le gouvernement propose la nouvelle rédaction suivante pour l’article 9 :
Le premier paragraphe serait ainsi conçu :
« La durée de l'incorporation dans une compagnie de correction est d'un an au moins et de cinq ans au plus. »
On supprimerait le deuxième paragraphe qui deviendrait l'article 10ter.
Le troisième paragraphe serait ainsi conçu : « Tout sous-officier, caporal, brigadier ou soldat condamné du chef de délits prévus au chapitre V, titre VII, livre II, au chapitre Ier et aux sections II et III du chapitre II, titre IX, livre du code ordinaire, sera, à l'expiration de sa peine, incorporé dans une compagnie de correction, s'il n'a pas été condamné à raison de ces délits à la dégradation militaire. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a omission dans le (page 552) troisième alinéa, après les mots : « dans une compagnie de correction », mettre les mots : « pour trois ans au plus ».
M. le président. - La commission se rallie-t-elle à la proposition de M. le ministre de la justice ?
- L'article ainsi amendé est adopté.
« Art. 10. Lorsque, dans les cas déterminés par le présent code, le coupable a été condamné à l'emprisonnement et à l'incorporation dans une compagnie de correction, la peine d'emprisonnement sera subie la première.
- Adopté.
MPDµ. - Le gouvernement propose par amendement l'article 10bis suivant :
« Art. 10bis. En cas de concours de plusieurs délits punis de l'emprisonnement et de l'incorporation dans une compagnie de correction, l'emprisonnement seul sera prononcé s'il atteint, par le cumul des peines, le maximum fixé par l'article 60 du code pénal ordinaire.
« S'il atteint le terme de sept années, l'incorporation dans une compagnie de correction ne sera pas prononcée.
« S'il n'atteint pas ce terme, l'incorporation sera prononcée, mais seulement pour compléter le terme de sept années. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande à la Chambre de lui proposer un nouvel amendement ainsi conçu : « Lorsque plusieurs délits punis de l'emprisonnement concourent avec un ou plusieurs délits punis de l'incorporation dans une compagnie de correction ou lorsque plusieurs délits punis de l'emprisonnement et de l'incorporation concourent entre eux, cette dernière peine ne sera prononcée que si la durée des peines d'emprisonnement cumulées n'excède pas le terme de dix années, et, dans ce cas, elle ne pourra être prononcée que pour le temps qui complète ce terme. »
Voici, messieurs, quel est le système que le gouvernement voudrait voir adopter.
Lorsqu'il y a concours de délits et que par conséquent il y a plusieurs condamnations à l'emprisonnement en même temps qu'à l'incorporation, la peine de l'emprisonnement doit être seule prononcée lorsque les condamnations d'emprisonnement vont jusqu'à dix ans, mais ce cumul ne peut jamais exister pour un terme qui excède dix années. Si, par le cumul des peines, l'emprisonnement n'atteint pas dix années, l'incorporation dans une compagnie de correction peut être prononcée, mais seulement pour compléter le terme de dix années.
C'est toujours la peine de l'emprisonnement qui doit avoir le pas sur la peine de l'incorporation.
- L'article ainsi amendé est adopté.
« Art. 10ter. S'il y a lieu, à raison d'un de ces délits, de prononcer la dégradation militaire, l'incorporation dans une compagnie de correction sera remplacée par la peine d'emprisonnement. »
- Adopté.
« Art. 10quater. En cas de concours de plusieurs délits punis seulement de l'incorporation dans une compagnie de correction, la durée de la peine ne pourra excéder sept années. »
- Adopté.
« Art. 10quinquies. La durée de l'emprisonnement subi par le condamné et le temps qu'il a passé dans une compagnie de correction ne comptent pas comme temps de service.
- Adopté.
« Art. 11. L'organisation, l'administration et le régime intérieur des compagnies de punition seront réglés par arrêté royal. »
« Art. 12. Sera coupable de trahison, tout militaire qui aura commis un des crimes ou des délits prévus au chapitre II, titre premier, livre II du code pénal ordinaire. »
- Adopté.
« Art. 13. Les peines portées par le chapitre précité de ce code seront remplacées :
« L'emprisonnement par la détention de cinq à dix ans.
« La détention de cinq ans à dix ans par la détention de dix ans à quinze ans.
« La réclusion par les travaux forcés de dix ans à quinze ans.
« La détention de dix ans à quinze ans par la détention extraordinaire.
« Les travaux forcés de dix ans à quinze ans par les travaux forcés de quinze ans à vingt ans.
« La détention extraordinaire par la détention perpétuelle.
« Les travaux forcés de quinze ans à vingt ans par les travaux forcés à perpétuité.
« La détention perpétuelle et les travaux forcés à perpétuité par la mort.
« Le coupable sera, en outre, condamné la dégradation militaire. »
- Adopté.
« Art. 14. Est considéré comme espion et sera puni de mort avec dégradation militaire, tout militaire qui se sera introduit dans une place de guerre, dans un poste ou établissement militaire, dans les travaux, camps, bivacs ou cantonnements d'une armée, pour s'y procurer des documents ou renseignements dans l'intérêt de l'ennemi. »
- Adopté.
« Art. 15. Est aussi considéré comme espion et sera puni de mort, tout individu qui se sera introduit déguisé dans un des lieux désignés dans le but indiqué à l'article précédent. »
M. le président. - Le gouvernement propose, par amendement, de dire :
« Est aussi considéré comme espion et sera puni de la détention de dix ans à quinze ans, etc. »
La commission, de son côté, propose de dire :
« Est aussi considéré comme espion et sera puni de la détention de cinq ans à dix ans... (le reste comme au projet). »
La commission insiste-t-elle sur sa rédaction ?
M. Guillery, rapporteur. - Nous avions fixé le chiffre de 5 à 10 ans comme étant plus en rapport, nous paraissait-il, avec les peines comminées contre les délits prévus par le code pénal ordinaire. Néanmoins je ne crois pas qu'il y ait lieu d'établir un débat à cet égard. Il s'agit d'un fait qui se produit en temps de guerre et qui doit être puni sévèrement.
M. le président. - La commission n'insistant pas sur son amendement, je mets aux voix la rédaction de M. le ministre.
- Cette rédaction est adoptée.
« Art. 16. Sera puni de mort, le général, gouverneur ou commandant, qui aura capitulé avec l'ennemi ou rendu la place qui lui était confiée, sans avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait. »
- Adopté.
« Art. 17. Tout général, tout commandant d'une troupe armée, qui aura capitulé en rase campagne, sera puni de mort, si la capitulation a eu pour résultat de faire poser les armes à sa troupe, ou si, avant de traiter, il n'a pas fait tout ce que prescrivaient le devoir et l'honneur. »
M. le président. - La commission propose la rédaction suivante, à laquelle se rallie M. le ministre de la justice :
« Tout général, tout commandant d'une troupe armée, qui aura capitulé en rase campagne sera puni de mort si, avant de traiter ou dans le traité même, il n'a pas fait ou stipulé tout ce que prescrivent le devoir et l'honneur. »
- L'article, ainsi amendé, est adopté.
« Art. 18. Sera puni de mort tout officier qui, en présence de l'ennemi, aura abandonné, sans y être contraint par des forces supérieures, le poste ou la position qui lui était assigné. »
M. Thonissenµ. - Messieurs, je dois présenter ici l'un des amendements que j'ai annoncés ; je propose d'ajouter après les mots : « de l'ennemi », » ceux-ci : « ou des rebelles armés ».
Des militaires m'ont dit à diverses reprises que, par le mot « ennemi », on entend non seulement l'ennemi du dehors, mais aussi l'ennemi du dedans ; mais cette interprétation ne peut pas suffire, parce que la disposition a été empruntée au code pénal français et qu'on a supprimé les mots : « rebelles armés » qui se trouvent dans le texte de ce code. De cette suppression on ne manquerait pas de conclure que la disposition ne s'applique pas à l'officier qui abandonne son poste en présence de bandes armées.
Il me semble, messieurs, que quand il s'agit de déterminer le devoir militaire, il faut assimiler l'ennemi de l'intérieur à l'ennemi du dehors.
M. Guillery, rapporteur. - Messieurs, ce n'est pas par distraction que la commission n'a pas inséré dans l'article que nous discutons les mots : « rebelles armés » et je suis convaincu que ce n'est pas non plus par distraction que le gouvernement ne les a pas introduits dans son projet. Les auteurs du projet avaient sous les yeux la loi française et il était naturel de consulter une loi qui, par sa rédaction, par sa netteté peut servir de modèle. Mais le projet s'est écarté de la loi française dans beaucoup de circonstances et notre loi est très loin d'en être la reproduction.
S'il y avait un point sur lequel il devait y avoir une différence entre les deux lois, c'est bien celui que vient de signaler l'honorable M. Thonissen.
En 1857, six ans après le coup d'Etat, on a jugé à propos, dans une loi française, d'assimiler des concitoyens à l'ennemi extérieur qui menace le pays ; on a jugé à propos de traiter les « rebelles » armés comme les ennemis de la patrie.
(page 553) C'est une idée qui, j’en suis convaincu, ne trouvera jamais en Belgique de sanction et je suis véritablement au regret qu'elle ait pour parrain un honorable membre de la commission, qui, du reste, ne l'a adoptée que bien récemment, puisque, dans la commission, il n'avait pas soulevé cette question.
Qu'on ait voulu, sous un gouvernement personnel qui n'existe plus même aujourd'hui dans le pays où l'on a fait la loi qui nous est citée comme modèle ; que l'on ait voulu, lorsque le gouvernement, la dynastie, l'ordre des choses était menacé chaque jour, lorsque l’on avait les lois de police et de sûreté générale qui permettaient de déporter les citoyens ; que l'on ait, lorsqu'il y avait une armée de Paris, que l'on ait alors assimilé les rebelles armés l'ennemi du pays de la nation, cela se comprend. Mais, en Belgique, dans le pays le plus pacifique, le plus tranquille, le plus heureux du monde, je me demande comment nous irons introduire une disposition semblable !
Traitons avec sévérité tous les faits qui se produisent en temps de guerre. Considérons le temps de guerre comme une circonstance tout à fait exceptionnelle, dans laquelle les règles ordinaires du droit viennent à céder le pas à des nécessités impérieuses, à des nécessités de conservation nationale, je le comprends, mais il ne doit pas en être de même en temps de paix.
Nous sommes assez heureux pour discuter un projet qui n'a maintenu la peine de mort que pour un seul cas en temps de paix et qui, à peu de chose près, réalise les vœux des abolitionistes.
N'allons donc pas en changer le caractère et surtout n'allons pas prendre pour modèle une loi faite pour un ordre de choses qui est antipathique à nos mœurs comme à nos traditions.
M. Thonissenµ. - Messieurs, mon amendement n'a aucune tendance despotique ; il n'a en vue que le maintien de l'ordre. Là où l'ordre fait défaut, la liberté ne tarde pas à se trouver en péril. Loin de porter atteinte aux principes vraiment libéraux, ma proposition tend, au contraire, à les raffermir contre les tentatives de leurs ennemis les plus dangereux. L'avenir de nos institutions exige que l'ordre soit toujours et partout énergiquement maintenu.
JC poserai à l'honorable M. Guillery une simple question.
Un officier abandonne son poste en temps de paix. Il est coupable ; mais n'est-il pas infiniment moins coupable qu'un autre officier, qui commande une compagnie devant une bande d'émeutiers armés, et qui abandonne le poste qu'on lui a confié pour sauvegarder le maintien de l'ordre public ?
Mettrez-vous sur la ligne l'officier qui quitte son poste en temps paix et de calme, et l'officier qui, abandonnant ses soldats en présence de bandes armées, laisse le champ libre à l'émeute ?
Il me paraît impossible, messieurs, d'assimiler ces deux hypothèses si profondément dissemblables.
Il est vrai qu'au sein de la commission je n'ai pas soulevé cette controverse ; mais, examinant, il y a deux jours, le code militaire français, j'y ai trouvé le système que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui. C'est en lisant ce code que j'ai acquis la conviction qu'il serait contraire à la raison de mettre sur la même ligne l'officier qui abandonne son poste en temps de calme et l'officier qui quitte son poste en temps d'émeute et en face de bandes armées.
Vous voulez les mettre sur la même ligne. au non de la liberté ; mais je vous l'ai déjà répété, la liberté a besoin d'ordre. Il n'est pas de vérité mieux attestée par l'histoire.
L'article 18 n'est pas seul en cause. Il y en a plusieurs autres où l’on trouve le mot « ennemi » et non les mots « rebelles armés ».
L'honorable M. Guillery nous disait tout l'heure qu'il n'y avait aucune espèce de doute sur la question. Eh bien, il n'y a pas une heure, je me suis adressé à l'un de nos généraux, qui m'a répondu qu'à ses yeux les bandes armées n'étaient autre chose que l'ennemi à l'intérieur. Voilà l'opinion des chefs de l'armée.
Je persiste dans mon amendement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - La jurisprudence n'a pas tranché la question que soulève l'honorable M. Thonissen, on pourrait donc défendre devant les tribunaux l’opinion que les rebelles armés sont compris dans le mot : « ennemi », mais quant à moi je ne suis pas de cet avis et ce qui me fait croire qu'il n'en est pas ainsi, c'est que le législateur français a cru nécessaire d'ajouter après le mot « ennemi » les mots « rebelles armés ».
Je reconnais, avec M. Thonissen, que dans certains cas les rebelles armés pourraient être assimilés à l'ennemi, mais je demande à l'honorable membre si c'est dans cas de l'article en question.
Voici cet article :
« Sera puni de mort tout officier qui, en présence de l'ennemi, aura abandonné, sans y être contraint par des forces supérieures, le poste ou la position qui lui était assigné. »
Il y a plus là que l'obligation de repousser ou d'avoir raison du désordre ; il y a l'honneur militaire qui oblige à ne pas déserter le poste dont la défense est confiée à l'officier. Mais il peut très bien se faire qu'un officier chargé de tenir un poste, attaqué par des gens égarés, l’abandonne pour ne pas verser inutilement le sang.
M. Thonissenµ. - L'article prévoit le cas ; s'il est contraint, il pas coupable.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'est pas contraint, il a des forces supérieures et, s'il le voulait, il pourrait massacrer ses adversaires. Mais il se dit qu'en se retirant il ne fera pas couler le sang et évitera peut-être une aggravation du désordre. Sans doute, cet officier désobéira, mais la loi punit cette désobéissance de peines suffisantes, il ne faut pas prononcer la mort contre de pareils actes. Des troupes se sont souvent retirées pour ne pas entrer en lutte avec la population. Cela peut donc arriver encore. Dans ces circonstances, c'est le tact et la prudence qui doivent prévaloir.
Or, je me demande si, dans le système de M. Thonissen, l'officier chargé d'un poste et qui verra arriver à lui des émeutiers, ne se croira pas obligé de lutter jusqu'à extermination. Ils devront se prémunir contre une condamnation à mort.
Ce système serait dangereux. On ne peut évidemment traiter ses compatriotes comme on traiterait un ennemi véritable.
Si l'officier n'exécute pas les ordres qu'il a reçus, il peut être puni de la destitution.
Le projet le dit à l'article 25 : « Le militaire qui refusera d'obéir aux ordres de son supérieur ou s'abstiendra à dessein de les exécuter, lorsqu'il est commandé pour un service, sera puni de la destitution s'il est officier... »
Voilà certes une peine assez forte.
Mais je n'admets pas qu'on puisse condamner à la peine de mort l’officier qui, par faiblesse pour des concitoyens, par humanité, pour ne pas faire couler le sang belge, se sera retiré devant une bande de rebelles.
Autre chose est d'agir ainsi devant une bande d'émeutiers et devant l'ennemi : l'officier qui reculera devant l'ennemi fera acte de lâcheté, tandis que l'officier qui reculera devant des rebelles, des hommes égarés, sera le plus souvent guidé par un sentiment d'humanité.
Je ne me prononce pas sur l'opportunité de l'amendement de l'honorable M. Thonissen, appliqué à d'autres articles, mais quant à celui-ci, je crois qu'il ne le comporte pas.
Je dois faire remarquer au surplus que l’honorable membre a déjà laissé passer l'article 14, où l'on prévoit le cas d'un espion cherchant à se procurer des renseignements dans l'intérêt de l'ennemi. Pour être conséquent, l'honorable aurait dû ajouter ici déjà les mots « et rebelles armés ».
Le cas est évidemment aussi grave que celui de l’abandon d’un poste devant une bande d'émeutiers.
Or, l’honorable membre ayant laissé passer l'article sans y proposer son amendement, je crois qu'il fera bien de laisser passer également l'article 18.
M. Thonissenµ. - Messieurs, tout à l’heure j'ai dû défendre mon amendement d'une prétendue tendance au despotisme ; Je dois maintenant le défendre d'une prétendue tendance de cruauté.
Je ne prétends certainement pas qu’un officier belge, qui se trouve en présence d'émeutiers armés, doive toujours verser le sang plutôt que de reculer. Mais là n'est pas la. question. Le cas qui se trouve prévu à l’article 18 est celui-ci. On dit à un officier : « Voici un poste que je vous ordonne d'occuper et vous ne le quitterez sous aucun prétexte. » Il évident que, si cet officier enfreint un pareil ordre, il sera coupable et devra être sévèrement puni.
Mais, évidemment, la question sera tout autre si, envoyé en reconnaissance, un officier rencontre une force considérable et croit devoir se retirer par des sentiments de prudence ou d'humanité. Alors personne ne prétendra qu'il ait commis une faute.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il n'y a aucune espèce entre ces deux cas. Il est incontestable que le second cas est parfaitement excusable, tandis que le premier est un acte incontestable de désobéissance ou de lâcheté.
Or, c'est ce dernier cas seulement que prévoit l'article en discussion et j'ai raison, par conséquent, de demander que l'officier soit également puni (page 554) lorsqu'il abandonne son poste devant des rebelles armés, comme lorsqu'il l'abandonne devant l'ennemi de l'extérieur. µM. le ministre de la justice (M. Bara). - Il sera puni de destitution.
M. Thonissenµ. - Ceci est une autre question.
L'article 18 commine la peine de mort contre l'officier qui abandonne son poste devant l'ennemi et il est muet à l'égard de l'officier qui abandonne son poste devant des rebelles armés. Voilà l'inconséquence que je voudrais faire disparaître.
Quant à la peine de mort, vous savez très bien que j'en suis l'adversaire convaincu. Je ne demande pas mieux que de voir introduire ici telle autre peine qu'on voudra ; mais je demande que l'on mette sur la même ligne, au point de vue de la répression, deux faits qui, selon moi, renferment le même degré de criminalité.
MgRµ. - Je saurais admettre que l'officier qui a reçu l'ordre formel d'occuper un poste et de le défendre énergiquement puisse prendre sur soi de l'abandonner.
Par contre, j'admets qu’un officier qui n'a pas reçu des ordres précis, agisse selon les circonstances et comme il le jugera le plus utile dans l'intérêt du but qu'il doit atteindre. Il n'y a aucun déshonneur à se replier devant des forces extrêmement supérieures, si la position qu'on occupe est sans importance, ou si la retraite est plus utile que nuisible.
Combattre sans résultat, faire massacrer des hommes sans nécessité, est un acte de démence et non de courage.
Quand un chef n'a pas d'instructions positives, il doit rester libre d'agir, sous sa responsabilité ; mais je le répète, quand il a reçu l'ordre formel de tenir devant l'ennemi ou des émeutiers, quand un poste lui a été confié, il ne lui appartient plus d'apprécier les faits, les circonstances ; quoi qu'il arrive, quelles que soient les forces opposées, il doit se défendre à toute extrémité.
M. Guillery, rapporteur. - Je laisse de côté la question de discipline qui est plus spécialement de la compétence de M. le ministre de la guerre. Il est évident que quand un officier reçoit un ordre, il doit l'exécuter. Quand celui qui commande n'a pas reçu d'ordre, il s'inspire des circonstances et il fera toujours bien d'éviter l'effusion du sang et de préférer les moyens de persuasion aux moyens rigoureux.
Messieurs, je m'étonne que l'honorable M. Thonissen, adversaire de la peine de mort, s'indigne de ce qu'on ne condamne pas à mort l'officier qui fait preuve de modération devant des rebelles armés. (Interruption.)
Il n'y a pas autre chose dans votre amendement, M. Thonissen. D'après l'article 25, l'officier qui refuse d'obéir est condamné à la destitution. Cela ne vous suffit pas ! Vous dites qu'il n'y a aucune différence dans la culpabilité de l'officier qui abandonne son poste devant des émeutiers et un officier qui abandonne le sien devant l'ennemi.
Mais il y a, pour le premier, un maximum et un minimum ; il y a les circonstances atténuantes qui, dans certains cas, peuvent faire réduire la peine à un simple emprisonnement.
Nous ne pouvons pas prévoir toutes les hypothèses, toutes les nuances dans le nouveau code.
C'est pour cela qu'on laisse aux juges une certaine latitude. Mais ce qui m'étonne, c'est de voir l'honorable membre assimiler l'officier qui, dans des temps calmes, agissant dans son pays, en présence d'émeutiers, souvent plus égarés que coupables, recule devant des rigueurs qui ne sont pas nécessaires ; de le voir, dis-je, assimiler cet officier à celui qui aura lâchement abandonné son poste, en présence de l'ennemi qui vient envahir le pays et lui ravir son indépendance ; l'honorable membre veut que ces deux faits soient assimilés dans le même article ! Je ne puis pas comprendre cette assimilation qui, je ne puis le cacher, me paraît odieuse.
Mais ce qui me surprend encore davantage, car tout me surprend ici étrangement, c'est qu'alors que le gouvernement, qui a la responsabilité du maintien de l'ordre dans le pays et qui avait sous les yeux la loi française, n'a pas cru devoir lui emprunter cette disposition, l'honorable membre trouve cette lacune regrettable et engage le gouvernement à s'armer d'une manière plus puissante pour maintenir l'ordre à l'intérieur.
Je suis étonné que l'honorable membre, qui faisait partie de la commission n’ait pas pris l'initiative de cette proposition. C'est pour la première rois qu'il en parle aujourd'hui. Si j'avais été prévenu, nous aurions pu en parler officieusement ; mais cela nous arrive l'improviste, au milieu d'une séance.
Tout le code pénal repose sur la distinction entre le temps de paix et le temps de guerre.
Les militaires en temps de paix sont moins sévèrement punis, parce qu'en temps de paix l'atteinte à la discipline a des conséquences beaucoup moins graves.
En temps de guerre, on a le code pénal, qui a été différemment dans une série d'articles.
Irez-vous prétendre, comme l'a très bien dit l'honorable ministre de la justice, qu'un général qui se trouve en présence d'émeutiers et qui a capitulé doit être condamné à mort ?
Evidemment si nous entrions dans ce système, nous devrions refondre complètement tout le code pénal militaire. Le code qui est soumis à nos délibérations a un grand mérite, c'est qu'il réduit les peines, c'est qu'il est inspiré par des sentiments d'humanité très louables. Il est cependant encore très sévère parce qu'un code pénal militaire doit très sévère ; n'y ajoutons pas plus de sévérité que le gouvernement n'a cru devoir en mettre et surtout n'allons pas introduire dans le code pénal un principe qui n'a jamais existé dans nos lois et qui, Je l'espère, ne sera jamais introduit dans un code belge.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je crois que le mieux serait de voter l'article tel qu'il est rédigé au projet. L'honorable M. Thonissen pourra voir plaider sa thèse devant les conseils de guerre et la cour militaire, mais il me paraît difficile d'adopter le texte proposé par l'honorable membre.
En effet, qu'est-ce que des rebelles armés ? Mais, messieurs, des gens armés qui ont un conflit avec l'armée pour n'importe quel prétexte peuvent être des rebelles armés ; vous n'avez défini nulle part ce que vous entendez par ces expressions. Avez-vous en vue la rébellion, telle qu'elle est dans le code pénal ordinaire, ou bien une autre rébellion ?
Quand, en France, on a introduit la modification que rappelait tantôt l'honorable membre, c'était dans un tout autre but.
Mais ici, messieurs, comme l'a très bien dit l'honorable rapporteur, nous prévoyons des faits qui n'ont lieu qu'en cas de guerre : or, vous voulez qu'un officier appelé avec sa troupe pour réprimer un mouvement qui se produit dans la rue soit considéré comme étant en présence de l'ennemi. Je sais très bien qu'une guerre civile peut éclater. Mais, messieurs, il est arrivé souvent dans la guerre civile que les rebelles armés étaient ceux qui n'avaient pas triomphé, et que les vainqueurs étaient ceux qui étaient hors du droit. Voilà l'affaire de la guerre civile. On a vu des gens qui étaient rebelles au commencement de la guerre civile ne plus l'être à la fin et des gens qui étaient parfaitement dans leur droit, être devenus rebelles après l'événement. En conséquence il y aura encore l'a une grande difficulté d'appréciation.
Maintenant, messieurs, je crois que jamais l'armée n'a manqué d'esprit de conservation et, comme nous le disait l'honorable ministre de la guerre, il est très vraisemblable que jamais, à l'occasion d’une émeute, nous ne verrons le spectacle d'un officier quittant son poste pour combattre dans les rangs des rebelles. Je pense que précisément par notre position et nos mœurs, nous n'avons pas besoin de nous occuper de ce cas et de le prévoir dans le code pénal. Ce serait soulever une foule de difficultés, car si nous admettons ce principe, une foule d'amendements en seront la conséquence.
Il faudrait définir ce qu'on entend par rebelles armés ; il faudrait diminuer les peines, car je ne puis admettre que l'officier qui aurait déserté devant une bande d'émeutiers et qui aurait été poussé, en agissant ainsi, par un sentiment d'humanité soit puni de la même peine que celui qui, en temps de guerre et en présence de l'ennemi, aurait lâchement abandonné son poste.
Je veux bien admettre que la discipline militaire n'a pas été observée, mais l'honneur peut être saut, l'officier peut avoir posé cet acte par des considérations d'humanité qui sont blâmables, sans doute, au point de vue disciplinaire, mais qui n'entraînent pour lui aucune flétrissure.
Je crois donc que si nous avons fait, pendant de longues années, avec le code pénal tel que nous l'avons, il est inutile d'adopter une disposition qui, en définitive, n'a été faite que pour les insurrections françaises. Nous avons le bonheur de ne pas nous trouver dans les mêmes conditions. Nous sommes persuadés que l'armée fera son devoir devant toute espèce d'émeute, quelle qu'elle soit. Eh bien, laissons l'article tel qu'il est et ne prévoyons pas des cas qui n'ont, jusqu'ici, occupé ni les tribunaux ni le pays.
M. Thonissenµ. - Dans les considérations qui ont été présentées par l'honorable M. Guillery, il y en a quelques-unes qui me sont personnelles.
Il a rappelé que, quoique membre de la commission, je n'avais pas soulevé cette question dans son sein. L'honorable membre doit savoir que, quoique membre de la commission, je n'ai pas abdiqué mon libre arbitre, et que si, depuis le jour où la commission s'est séparée, de nouvelles idées (page 555) me sont venues, j'ai le droit de les produire devant la Chambre sans les soumettre à l'avis de cette commission. J'ai expliqué tout à l'heure comment ces idées m'étaient venues ; c'est en lisant avant-hier le code militaire français que je me suis convaincu qu'il était impossible de mettre sur la même ligne l'officier qui abandonne son poste en temps de calme et l'officier qui abandonne son poste devant l'émeute armée. Je suis arrivé aujourd'hui vers midi à Bruxelles, et je n'ai pas pu songer à demander une réunion de la commission. Je n'ai fait qu'user de mon droit en demandant ce que je crois être conforme à la justice et la vérité.
L'honorable M. Guillery a marché d'étonnement en étonnement. Il a été très surpris, dit-il, de me voir, moi adversaire de la peine de mort, demander l'application d'un cas de peine de mort. Mais l'honorable membre, qui a siégé avec moi au sein de la commission, ne peut pas ignorer que je suis l'un de ceux qui ont fait des réserves au sujet de la peine de mort. La peine de mort est ici hors de cause. Mon seul but est de mettre sur la même ligne l'officier qui quitte son poste en présence de l'ennemi et l’officier qui abandonne son poste en présence de l'émeute armée.
Laissons donc de côté la grande question de la peine de mort. Quand on voudra la discuter, je serai prêt à le faire avec toute l'ardeur que j'ai mise, il y a deux ans, à demander le renversement de l'échafaud en Belgique.
L'honorable M. Bara m'a étrangement étonné, lui ministre de la justice, avec sa théorie sur les rébellions et sur les rebelles. Il m'a dit ; Les rebelles sont ceux qui ne triomphent pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas parlé en droit ; j'ai parlé en fait.
M. Thonissenµ. - Je voudrais bien savoir ce que répondrait l'honorable ministre de la justice à deux ou trois mille ouvriers ameutés qui lui diraient : Nous sommes aujourd'hui des rebelles ; mais laissez-nous faire. Si demain nous triomphons, nous ne serons plus des rebelles, nous serons des vainqueurs !
C'est là une théorie qui n'est pas soutenable. Nous sommes dans un pays libre, dans un pays à grandes et larges institutions. Nous avons un gouvernement qui pourrait bien difficilement faire un coup et se maintenir par le despotisme militaire. Je regarde même cette éventualité comme impossible à réaliser. Aussi n'ai-je songé qu'à des individus qui n'acceptent pas le libre jeu de nos institutions, qui ne veulent pas, pour faire triompher leurs idées, user de la presse, de la liberté de la parole, de la propagande légitime, mais qui prennent le fusil et viennent combattre l'armée nationale. A ces individus, même s'ils triomphaient demain, personne ne pourrait dire : Vous n'avez pas commis un crime !
Le succès peut effacer bien des choses ; mais il n'efface pas le crime. Voilà la doctrine que je ne cesserai jamais de défendre.
L'honorable M. Guillery a parlé avec indignation de certaines assimilations. Pouvons-nous, dit-il, assimiler des ennemis qui envahissent le pays et veulent l'asservir, de pauvres ouvriers égarés qui prennent en main un fusil, qui commettent des désordres, mais qui veulent pas anéantir l'indépendance nationale.
Je ne rais aucune espèce d'assimilation. Il ne s'agit pas d'assimilation ; il s'agit uniquement de savoir quel est le devoir de l'officier en présence de combattants qui attaquent ses soldats et contre lesquels il doit combattre. Eh bien, qu'il soit devant des combattants étrangers ou devant des combattants indigènes, à mon avis, il a les mêmes devoirs à remplir.
Je n'aurais pas, messieurs, présenté mon amendement pour le seul cas prévu à 18 ; mais il y a d'autres hypothèses, par exemple le cas ou le soldat se rend coupable d'insubordination en présence de l'ennemi, le cas où il passe à l'ennemi, le cas où il s'enivre à son poste devant l'ennemi, et je crois que, dans tous ces cas, il faut assimiler l'ennemi intérieur à l'ennemi étranger.
M. Lelièvreµ. - Je pense que l'honorable M. Thonissen, s'il veut faire réussir son système, devrait proposer une disposition spéciale relative à l'hypothèse dont il parle.
En effet, il me semble impossible d'assimiler l'hypothèse énoncée à l'amendement à celle prévue par l'article en discussion. L'officier qui abandonne son poste devant l'ennemi extérieur commet une lâcheté, et l'on comprend l'application de la peine capitale, parce que la sûreté et l'indépendance de la patrie sont mises en question.
Mais en cas d'émeute, il est possible qu'il n'y ait pas lâcheté. L'officier a pu être mû par une pensée d'humanité mal entendue, il a reculé devant l'effusion du sang des citoyens qu'il ne croyait pas nécessaire.
Donc les deux hypothèses sont loin d'avoir la même gravité et par conséquent il est impossible de les comprendre dans la même disposition. Ce serait confondre dans une seule et même pénalité des faits entièrement différents et d'une gravité toute diverse.
Ce serait, en un mot, violer tous les principes relatifs la juste proportion qui doit toujours exister entre les délits et les peines ; il me semble donc évident que l'amendement, tel qu'il est formulé, ne peut être adopté.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. Guillery, rapporteur. - Je n'ai que deux mots dire. L'honorable Thonissen croit que j'ai voulu porter atteinte à sa liberté ; il n'en est absolument rien ; mais je croyais que quand il avait approuvé par son vote un rapport et qu'il changeait ensuite d'avis, il aurait pu prévenir le rapporteur. (Interruption.)
Quant à ces rebelles armés, je tiens à dire à la Chambre combien l'expression laisse à désirer,
En effet, si consulte le code pénal ordinaire, j'y trouve ceci :
« Art. 269. Est qualifiée rébellion, toute attaque, toute résistance violence ou menaces envers les officiers ministériels, les gardes champêtres, les porteurs de contrainte, les préposés des douanes, etc. »
Voilà les rebelles.
L'amendement de l'honorable M. Thonissen demanderait un sous-amendement par lequel, usant une seconde fois de son libre arbitre, il expliquerait le sens qu'il donne aux mots : « rebelles armés ».
MfFOµ présente :
1° Un projet de loi qui alloue au département des finances un crédit de 17,249 tr. 63 c. pour frais de transformation d'anciennes monnaies divisionnaires ;
2°0 Un projet de loi qui alloue divers crédits complémentaires jusqu'à concurrence de 681,158 fr. 34 c. aux budgets de la dette publique et du ministère des finances.
M. le président procède au tirage au sort des sections.
- La séance est levée à heures.