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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 16 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 481) M. Reynaertµ procède l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres de l'administration et les habitants de Neerpelt demandent la construction d’un barrage en maçonnerie l'origine de la dérivation du Dommel. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale d'Etalle prie la Chambre d'autoriser M. le ministre des travaux publics à accorder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d'Athus à la frontière française, dans la direction de Givet. »

- Même renvoi.


« Le sieur Joseph-Henri Van Laee, agent de police à Anvers, né à Maas (partie cédée du Luxembourg), demande la grande naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Par message en date du 15 février, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi relatif au droit d'appel en matière fiscale. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de la guerre adresse à la Chambre deux exemplaires de l’Annuaire militaire officiel de 1870. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. le secrétaire de l'Académie royale de médecine adresse à la Chambre 126 exemplaires du volume contenant la discussion du rapport de la commission qui a été chargée de l'examen des questions relatives à l'admission des femmes dans les travaux souterrains des mines. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


« M. Orts, retenu chez lui par une indisposition demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Règlement de la chambre

Rapport de la commission

M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai l’honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission spéciale qui s'est occupée de la question du règlement pour le compte rendu des séances de la Chambre.

- Impression et distribution.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des Sociétés)

Discussion des articles

Section IV. Des société anonymes

Paragraphe 3. Des actions et de leur transmission
Article 36

« Art. 36. L’action au porteur est signée par deux administrateurs au moins.

« Elle indique :

« La date de l'acte constitutif de la société ;

« Le montant du capital social et le nombre des actions ;

« Les apports et leur prix ;

« Les avantages particuliers attribués aux fondateurs ;

« Les versements auxquels l'action peut être soumise ;

« La durée de la société ;

« Le jour et l'heure de l'assemblée générale annuelle »

M. Dewandreµ. - Je crois, messieurs, qu'il faut introduire dans cet article la modification qui a été faite à l'article 30 et dire au cinquième paragraphe :

« Les apports et les conditions auxquelles ils sont faits. »

Je propose un amendement en ce sens.

- L'amendement est appuyé.

M. de Macarµ. - J'ai une observation de détail à faire relativement au dernier paragraphe.

On comprend à la rigueur que le jour de l'assemblée générale soit indiqué sur l'action. Mais est-il bien nécessaire de mentionner l'heure de l’assemblée ? Cette heure pourra changer selon les occurrences. Je crois que l'indication est surabondante.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'on fixe l'heure. C’est un moment déterminé pour toute la durée de la société. C'est ainsi que le règlement de la Chambre fixe deux heures pour toutes les séances. Si l'on trouve que l’heure indiquée n'est pas convenable, on pourra la changer dans une assemblée générale. Si l'heure n'était pas fixée, on devrait faire des convocations spéciales.

M. de Macarµ. - L'honorable ministre vient de reconnaître que, dans certaines circonstances, il pourrait y avoir des avantages à changer l'heure de la réunion. Je ne vois pas dès lors pourquoi on exige comme une chose essentielle l'indication, sur l'action au porteur, d'une heure qui pourrait ne pas être la même pendant toute la durée de la société. Il y des moyens de publication suffisants : le Moniteur, les journaux, etc., pour que l'heure des assemblées soit parfaitement connue.

M. Dewandreµ. - On exige cette mention dans l'action pour que chaque porteur d'action sache, sans avoir à faire aucune recherche, le jour où se tient l'assemblée générale et ou il pourra entendre le compte rendu des opérations et faire ses observations.

Si l'on indiquait le jour et non l'heure, on mettrait l'actionnaire dans l'impossibilité de se rendre à l'assemblée générale.

- L'article est adopté avec l'amendement proposé par Dewandre.

Article 37

« Art. 37. La cession de l’action au porteur s'opère par la seule tradition du titre. »

- Adopté.

Article 38

« Art. 38. Les cessions d'actions ne sont valables qu'après la constitution définitive de la société ; elles ne peuvent être inscrites sur le registre d'actionnaires qu'après le versement du cinquième de leur import.

« Les actions sont nominatives jusqu'à leur entière libération.

« Les statuts peuvent cependant établir qu'elles pourront être converties en titres au porteur après libération de moitié ; mais dans ce cas les versements ultérieurs, jusqu'à ce qu'ils aient été effectués, ne seront pas compris dans le chiffre du capital, qui doit être indiqué dans toutes les pièces émanant de la société, et ils ne seront exigibles, même des actionnaires en nom, qu'à peine de déchéance des versements déjà faits. »

M. Delcourµ. - Je n'ai aucune observation à présenter sur les paragraphes premier et deuxième. Mais il y a une partie du paragraphe 3 dont je ne saisis pas bien la portée ; ce sont les derniers mots de ce paragraphe. Voici ce paragraphe :

« Les statuts peuvent cependant établir qu'elles pourront être converties en titres au porteur après libération de moitié ; mais, dans cas, les versements ultérieurs, jusqu'à ce qu'ils aient été effectués, ne seront pas compris dans le chiffre du capital, qui doit être indiqué dans toutes les pièces émanant de la société, et ils ne seront exigibles, même des actionnaires en nom, qu’à peine de déchéance des versements déjà faits. »

La partie de ce paragraphe qui me laisse des doutes est celle-ci : « et ils ne seront exigibles, même des actionnaires en nom, qu'à peine de déchéance des versements déjà faits. »

Cette rédaction est défectueuse. La pensée de la commission est (page 482) celle-ci : elle a voulu dire qu'il n'y aura pas d'autre peine encourue par celui qui refuserait le payement des versements ultérieurs, que la déchéance des versements qu'il a faits précédemment. Si le gouvernement adhère à cette interprétation, il est évident que la rédaction doit être modifiée. On pourrait le rédiger en ces termes :

« Les statuts peuvent cependant établir qu'elles pourront être converties en titres au porteur après libération de moitié ; mais, dans ce cas, les versements ultérieurs, jusqu'à ce qu'ils aient été effectués, ne seront pas compris dans le chiffre du capital à indiquer dans toutes les pièces émanant de la société, et il n'y aura pas d'autre moyen de contraindre au payement, même les actionnaires en nom, que de faire prononcer contre les retardataires la déchéance des versements déjà faits. »

Cette rédaction répondrait aux explications développées dans le rapport de la commission.

Le vice de rédaction de l'article proposé par la commission m'a été signalé par M. le professeur Namur, qui, comme je l'ai fait remarquer déjà dans une séance précédente, a fait une étude si complète de nos lois commerciales.

Au moins cette rédaction rend clairement la pensée de la commission et la pensée de la loi.

Je voudrais demander à l'honorable ministre de la justice quelles sont les intentions du gouvernement : si le gouvernement se propose de modifier la rédaction ou bien s'il accepterait la rédaction nouvelle de M. Namur.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le gouvernement est d'avis que tous les souscripteurs d'actions devront verser complètement leur mise. Dès lors, je crois qu'il y a lieu de supprimer le paragraphe 3. Lorsque nous arriverons à l’article 40, nous dirons que les personnes qui ont souscrit des actions seront engagées jusqu'à complet versement.

M. Delcourµ. - Le gouvernement abandonne donc ce dernier paragraphe.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce paragraphe sera abandonné si la Chambre revient à l'article du gouvernement. L'article 38, en effet, n'est que la conséquence de l'article 40, modifié par la commission. La commission avait admis le système que les actions pouvaient être cédées et les souscripteurs déchargés.

Le projet du gouvernement disposait, à l'article 42 : « Les souscripteurs sont, nonobstant toute stipulation contraire, responsables du montant total des actions par eux souscrites. » La commission admettait un système contraire et alors elle devait admettre, à l'article 38, que lorsqu’il était stipulé qu'après versement de moitié l'action était convertie au porteur, ils ne devaient plus verser. Du moment que ce paragraphe disparaît, il ne restera plus pour les souscripteurs que l'obligation de verser le montant de leurs souscriptions.

M. Delcourµ. - Il est donc entendu que l'action ne pourra devenir porteur qu'après que le versement total de l'action aura été fait.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Jusqu'à leur entière libération.

M. Delcourµ. - Dans ce sens, je comprends la suppression du dernier paragraphe.

M. le président. - M. le ministre de la justice propose la suppression du dernier paragraphe de l’article 38.

- Les deux premiers paragraphes de l'article 38 sont mis aux voix et adoptés.

M. Thibautµ. - Il me semble qu'il devrait y avoir d'abord une question préalable. Si j'ai bien compris M. le ministre, il fait dépendre la suppression du paragraphe 3 de la modification à introduire dans l'article 40.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si la Chambre prononce la suppression du paragraphe 3 de l'article 38, c'est qu'elle est disposée à adopter la modification proposée à l'article 40.

- La suppression du paragraphe 5, mise aux voix, est prononcée.

Article 39

« Art. 39. La situation du capital social sera publiée au moins une fois par année, à la suite du bilan.

« Elle comprendra :

« L'indication des versements effectués ;

« La liste des propriétaires d'actions non encore convertibles en titres au porteur et l'indication des sommes à fournir par chacun d'eux avant que la conversion puisse être effectuée ;

« Le montant des versements éventuels obtenir des actions converties ou convertibles en titres au porteur, sans que, dans ce cas, le nom des actionnaires débiteurs puisse être mentionné. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a, au paragraphe 3 de cet article, une faute d'impression ; il faut « converties » au lieu de « convertibles ».

M. Dewandreµ. - Je dois demander une explication à M. le ministre. Est-ce qu’en présence de la suppression du dernier paragraphe de l'article 38, il faut encore maintenir la fin du quatrième paragraphe de l’article 39 : « Avant que la conversion puisse être effectuée ».

Il me paraît évident que non ; la conversion ne pourra plus être effectuée que lorsque l'action sera complètement libérée.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'y a pas d'inconvénient à cette suppression. versements ultérieurs, jusqu'à ce qu'ils aient été effectués,

L'action ne sera convertible qu'après libération complète.

M. Dewandreµ. - Je propose de supprimer, dans le quatrième alinéa de l'article 39, les mots : « avant que la conversion puisse être effectuée. »

M. Reynaertµ. - Il me semble que le dernier paragraphe de l’article 39 devient complètement inutile.

Quand les actions nominatives seront-elles converties ou convertibles en actions au porteur ?

Lors de leur entière libération.

Par conséquent il est impossible de publier encore le montant des versements à faire, puisqu'il n'y a plus de débiteur. L

L'honorable ministre me dit que l'on pourra y revenir au second vote ; soit.

- L'article 39, tel qu'il a été amendé par M. le ministre de la justice et par M. Dewandre, est mis aux voix et adopté.

Article 40

« Art. 40. Après la dissolution de la société, toute personne qui a été propriétaire d'une action depuis l'avant-dernière publication annuelle du capital social, peut être réputée en avoir encore la propriété, quant aux versements à faire.

« L'ancien propriétaire, qui a payé la dette d'autrui, aura un recours solidaire contre celui auquel il a cédé son titre et contre les cessionnaires ultérieurs. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande que le premier paragraphe de l'article 40 soit remplacé par le paragraphe final de l'article 42 primitif du projet du gouvernement, paragraphe ainsi conçu :

« Les souscripteurs sont, nonobstant toute stipulation contraire, responsables du montant total des actions par eux souscrites. »

De cette manière, nous restons conséquents avec le principe que la Chambre a adopté pour les sociétés en commandite, à savoir que chaque propriétaire d'actions reste responsable jusqu'à libération complète.

M. Bruneau. - Messieurs, je crois qu’avec ce système, il sera bien difficile, sinon impossible, de constituer des sociétés anonymes pour la construction de chemins de fer.

Je comprends fort bien qu'il n'y a pas d'inconvénients dans ce système pour les sociétés anonymes qui ont pour objet une exploitation industrielle quelconque dans laquelle le capital doit être fait immédiatement, dans laquelle la valeur des apports est immédiatement réalisable. Les souscripteurs qui s'engagent dans une société semblable se libèrent et peuvent se libérer immédiatement de leurs engagements ; mais il n'en est pas de même des sociétés qui ont pour objet la construction de chemins de fer ; là les versements ne peuvent se faire immédiatement, parce que la dépense ne peut s'effectuer que successivement.

Nous avons plusieurs expériences de sociétés formées pour la construction de chemins de fer, dont les premiers souscripteurs ont été incapables de produire leur capital entier. Si ces sociétés avaient dû s'en tenir aux souscripteurs primitifs, les chemins de fer ne se seraient pas faits.

J'appelle sur ce point l'attention de la Chambre.

Je ne pense pas que la commission ait modifié, à cet égard, les propositions primitives du gouvernement sans de très bons motifs ; à mon avis, ces motifs n'ont pas été réfutés jusqu'à présent, et je ne pense pas que la commission fasse l'abandon des propositions qu'elle a substituées au projet du gouvernement.

J’appelle donc sur ce point l'attention sérieuse de la Chambre. Je lui signale ce fait, qu'avec la disposition que propose le gouvernement, la constitution des grandes sociétés de chemins de fer devient impossible.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, évidemment les deux systèmes peuvent se soutenir. Le système développé par l'honorable M. Pirmez, dans le rapport, est celui de la loi anglaise. On a admis qu'après le versement de la moitié de la souscription, les souscripteurs n'étaient plus tenus.

Mais l'objection de l'honorable Bruneau subsiste en partie avec système de la commission ; car les souscripteurs sont tenus jusqu'à concurrence de moitié. Eh bien, pour arriver au même résultat, il suffira de diminuer lés actions de moitié ou de ne prendre que la moitié des actions que l'on aurait voulu prendre.

(page 483) M. Bruneau. - La différence est immense.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne trouve pas que la différence est immense. Ainsi voilà un particulier qui a 20,000 francs à mettre dans une affaire. On lui dit qu'il ne sera libéré qu’après payement des actions qu’il souscrit ; il ne prendra, si le système du gouvernement est admis, que la moitié des actions qu’il aurait prises avec le système de la commission.

Un membre. - Il y a le fait du payement immédiat.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le fait du payement immédiat ne répond nullement à l'argument de l'honorable M. Bruneau, car le payement de moitié des actions ne sera pas non plus immédiat. On exigera, d’bord, un dixième, puis un second dixième, puis un troisième dixième. Vous aurez ainsi des payements successifs. Donc l'objection de l'honorable M. Bruneau subsiste contre le système de la commission comme contre le système du gouvernement.

Mais voici la différence. On a voulu que les souscripteurs fussent sérieux, que les personnes qui souscrivent payent au moins le montant de leur souscription. Il n'en résultera aucun embarras. La plupart des preneurs d'actions apportent quelque chose et obtiennent des actions à raison de leur apport. La plupart des chemins de fer, on le sait, ont été construits avec le capital obligations.

M. Bruneau. - C'est un fait fâcheux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est un fait fâcheux, c'est possible, mais c'est un fait certain. Le capital actions n'était presque rien.

M. Bruneau. - Je blâme ces abus comme vous, et dans les sociétés que j'ai aidé à constituer, j’ai toujours écarté les obligations et inscrit la responsabilité du payement entier des actions pour les souscripteurs.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Eh bien, dans ce cas, les porteurs d'actions auront des actions complètement libérées, moyennant les apports faits à la société.

Mais en supposant qu'il s'agisse de sociétés où il faut verser réellement le prix des actions, y a-t-il quelque chose de plus moral que d'obliger les souscripteurs à payer toute l'action ? Pourquoi libéreriez-vous les souscripteurs avant qu'ils n'aient fait le versement complet de leur souscription ?

Ce serait favoriser l'agiotage. Immédiatement, sur la moindre nouvelle, on va à la Bourse, on vend à n'importe qui ; on vend même à des insolvables et vous ne pouvez plus obtenir le versement des actions.

M. Bruneau. - On les fait déchoir.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On les fait déchoir, c'est très bien. Mais lorsque vous ne pouvez plus obtenir les versements, l'affaire est entravée, vous ne pouvez plus la faire marcher.

Je crois que, dans l'intérêt des sociétés, il faut que la loi impose aux souscripteurs l'obligation de verser le capital souscrit. C'est le principe qui a été admis pour la société en commandite, c'est la justice. Chacun doit être tenu à raison des engagements qu'il a pris et je ne vois pas pourquoi nous dérogerions à ce principe dans la loi.

M. Tack. - Si l'on veut qu'il n'y ait pas de contradiction formelle dans la loi même, il faut, comme le propose l'honorable ministre de la justice, revenir au texte primitif du projet de loi, et rendre les souscripteurs des actions émises par des sociétés anonymes responsables du montant total de leurs actions, tout aussi bien que les souscripteurs des actions des sociétés en commandite ; il n'y a pas de motif sérieux pour admettre des principes différents selon qu'il s’agit de sociétés en commandite ou de sociétés anonymes.

Je sais parfaitement que l'honorable ministre de l'intérieur, dans le rapport qu'il a fait au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi, a défendu une thèse contraire ; mais l'honorable M. Pirmez est implicitement revenu lui-même de sa manière de voir.

Et en effet, dans la séance du 2 février dernier, se plaçant au point de vue des principes du droit et des règles de la justiceett de l'honnêteté, l'honorable M. Pirmez a déclaré que décharger les actionnaires d'une société en commandite, en tout ou en partie des engagements qu'ils ont contractés, parce qu'ils auront fait cession de leurs actions, c’est autoriser des actes qui ne sont pas honnêtes, des actes que la morale réprouve, c'est méconnaître les principes les plus élémentaires du droit.

L'honorable ministre en donne pour raison que c'est permettre aux fondateurs d'une société en commandite de manquer de vérité, d'induire les tiers en erreur par de fausses allégations.

Or, messieurs, si ce que disait l'honorable ministre de l’intérieur, des souscriptions d’actions en matière de société en commandite est vrai, il en est de même des souscriptions d’actions en fait de sociétés anonymes.

Voici au reste comment l'honorable ministre s’exprimait dans la séance à laquelle je viens de faire allusion :

« On a soulevé deux questions :

« La première est celle de savoir s'il a lieu d'autoriser les actionnaires d'une société en commandite à céder leurs actions avant qu'elles soient complètement libérées et à se décharger ainsi, en tout ou en partie, des engagements qu'ils ont pris.

« D'abord, je dois dire que je repousse de toute mon énergie l'amendement déposé par l'honorable M. Moncheur et par l'honorable M. Reynaert. Je crois non seulement que le système exposé dans cet amendement est contraire aux principes du droit, mais que son introduction dans la loi aurait pour conséquence d'autoriser des actes qui ne seraient pas honnêtes, des actes que la morale repousse et contre lesquels le projet que nous faisons est surtout destiné à réagir.

« Or, si vous adoptiez l'amendement qui vous est présenté, vous autoriseriez, par une disposition formelle de la loi, les fondateurs des sociétés en commandite à manquer de vérité, à induire les tiers en erreur par de fausses allégations.

« Vous ne pouvez à aucun prix introduire un principe aussi démoralisateur dans la loi que vous êtes appelés à voter. »

Si tels sont les motifs qui ont déterminé le vote de la Chambre pour engager indéfiniment les souscripteurs d'actions émises par des actions en commandite, comment serait-il possible de permettre aux souscripteurs des actions d'une société anonyme de se soustraire par une cession de titres non libérés entièrement, aux obligations qu'ils ont contractées ?

M. Dupontµ. - Je crois aussi qu'il n'y a pas à hésiter et qu'il faut en revenir au texte primitif du gouvernement.

Cependant il y a dans l'article 40 un paragraphe 2 qui consacre le droit du souscripteur qui a payé à la décharge de son cessionnaire et lui donne un recours solidaire contre tous les cessionnaires ultérieurs.

Je crois, messieurs, que ce paragraphe 2 doit être conservé. L'article 39 a été introduit par la commission précisément pour faciliter ce recours du souscripteur contre les cessionnaires en faisant connaître par quelles mains le titre a passé.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela est de plein droit.

M. Dupontµ. - Le paragraphe introduit un recours solidaire qui n'existe pas (de plein droit.

M. Saincteletteµ. - Je désire avoir de M. le ministre de la justice une explication sur la portée du paragraphe final de l'article 40. Ce paragraphe est ainsi conçu :

« L'ancien propriétaire, qui a payé la dette d'autrui, aura un recours solidaire contre celui auquel il a cédé son titre et contre les cessionnaires ultérieurs. »

J'en tire cette conséquence qu'en cas de faillite d'un détenteur d'actions le souscripteur primitif sera tenu de payer le montant de sa souscription et que cependant il n'aura contre le détenteur actuel qu'un simple recours. Il viendra au passif de la faillite au centime le franc et cependant le titre restera la propriété de la masse. Je pense que c'est bien ainsi que la disposition doit être entendue ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui.

M. Saincteletteµ. - Il est bon que la portée de cette disposition soit bien connue du public.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, voici comment je comprends l'article.

Un propriétaire d'actions cède ses actions à une autre personne, celle-ci les cède à une troisième.

Plus tard il s'agit de faire un versement. L'action n'est pas libérée. Le propriétaire primitif est obligé de faire le complément. Il a une action contre les cessionnaires solidaires absolument comme dans le cas de la lettre de change.

L'honorable M. Sainctelette semble vouloir un privilège en cas de faillite pour les porteurs d'actions de sociétés anonymes.

Mais pourquoi ? Il s'agit là d'obligations commerciales. Celui qui aurait vendu du bois, du charbon doit être mis sur la même ligne que le cédant d'actions.

M. Dupontµ. - Les observations que vient de présenter l'honorable M. Sainctelette démontrent l’utilité du deuxième paragraphe de l'article 40.

D'après le droit commun, le souscripteur d'une action n'aurait d'action directe que contre celui auquel il aurait cédé son action et s’il était tombé en faillite, ce serait la masse créancière qui pourrait s'adresser aux cessionnaires ultérieures en ne payant qu'un prorata au souscripteur primitif.

(page 484) Le paragraphe 2 de l’article 40 donne à ce dernier une action solidaire contre tous les cessionnaires ultérieurs qui le mettra à l’abri de cette fâcheuse éventualité.

M. Reynaertµ. - Il me semble que dans tous les cas le dernier paragraphe de l'article 40 devra être modifié et qu’il faudra en faire disparaître les mots : « qui aura payé la dette d’autre. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il est évident que nous devons introduire au second vote les modifications qui sont la conséquence nécessaire des amendements adoptés par l'assemblée, mais il est impossible d'improviser ces rédactions nouvelles en séance.

- Le paragraphe premier de l’article 40 est mis aux voix et adopté.

Le paragraphe 2 est adopté.

L'ensemble de l'article est adopté.

Paragraphe 4. De l'administration et de la surveillance des sociétés anonymes
Article 39bis

« Art. 39bis. Les sociétés anonymes sont administrées par des mandataires à temps, révocables, salariés ou gratuits. »

- Adopté.

Article 40bis

« Art. 40bis. A défaut de disposition contraire dans les statuts, ces mandataires ont le pouvoir de faire tous actes d'administration et de soutenir toutes actions au nom de la société, soit en demandant, soit en défendant. »

- Adopté.

Article 41

« Art. 41. Les administrateurs doivent être au nombre de trois au moins.

« Ils sont nommés par l'assemblée générale des actionnaires ; ils peuvent cependant, pour la première fois, être nommés par l'acte de constitution de la société.

« Le terme de leur mandat ne peut excéder six ans ; ils sont toujours révocables par l'assemblée générale. »

M. le président. - Il y a un amendement de l'honorable M. Sainctelette consistant à remplacer le troisième paragraphe par celui-ci : « Les administrateurs sont élus pour quatre ans ; ils sont renouvelés par moitié tous les deux ans. »

M. Saincteletteµ. - Vous avez deviné les motifs de l'amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre. Aujourd'hui les conseils d'administration sont renouvelés à raison d'un administrateur sortant par année ; ils ne sont donc renouvelés intégralement qu'en cinq ans, si, comme c'est le cas ordinaire, ils sont composés de 5 administrateurs ; en six ans, s’ils sont composés de 6 membres ; on sept ans, s'ils sont composés de 7 membres.

Il suit de là que, pour modifier la majorité d'un conseil d'administration, il faut à une assemblée générale en désaccord avec lui, trois ans et même quelquefois quatre ans.

Or, en trois ans, en quatre ans, une affaire peut être grandement compromise, sans qu'il y ait fraude de la part des administrateurs, mais par suite de leur fait.

On dira qu'il y a un correctif dans la disposition qui déclare que les administrateurs sont toujours révocables et peuvent toujours être révoqués par l’assemblée générale des actionnaires. Mais, messieurs, la révocation est un acte extrêmement grave, qui ne sera jamais posé par une assemblée générale que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles et pour des cas de fraude.

Or, il se peut qu'une affaire soit mal menée par un conseil d'administration sans qu'on ait aucune fraude à lui reprocher, sans qu'on ait d'autres griefs à faire valoir contre la majorité du conseil que le défaut de connaissances techniques, une trop grande facilité à subir l'influence des subalternes, une trop grande affection pour les vieilles méthodes, sans qu'il y ait, enfin, rien de grave à articuler contre aucun des administrateurs en particulier.

Or, dans tous ces cas, vous ne trouverez pas, dans la proportion d'un cinquième, des actionnaires disposés à provoquer la convocation d'une assemblée générale ; encore moins une majorité disposée à révoquer des hommes honorables.

Il faut que le conseil puisse être promptement modifié par voie d’élimination.

Je vous propose donc de constituer la petite société à l'image de la grande et de décider que le conseil ne sera élu que pour un terme assez court. On pourrait prendre, soit le terme de quatre ans avec le renouvellement par moitié, soit le terme de trois ans avec le nouvellement annuel par tiers.

- L'amendement de Sainctelette est appuyé ; il fait partie la discussion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois pas la nécessité de limiter la volonté des actionnaires en cette matière. (Interruption.)

Je comprend qu’on puisse poser une limite à la durée du mandat des administrateurs parce que c’est là une garantie pour les actionnaires que les mêmes administrateurs ne s’implanteront pas pour toujours au pouvoir, mais ce que propose M. Sainctelette est tout autre chose et je ne vois pas bien, pour mon compte, l’utilité de sa proposition. (Interruption.) Vous voulez que les conseils d'administration puissent être renouvelés tous les deux ans ; pourquoi pas tous les ans ? (Interruption.) Je crois qu’il n'y aurait d'observation à faire que si la durée du mandat était trop longue, mais je crois que le terme de six ans est très convenable. C’est le maximum de la durée du mandat de l'administrateur et je crois que dans ce maximum il faut laisser l'actionnaire se mouvoir comme il l'entend et régler par les statuts la manière dont les administrateurs sortiront.

M. Delcourµ. - J'appuie les observations de l’honorable ministre de la justice.

L'amendement de M. Sainctelette pourrait, dans la pratique, donner lieu à des inconvénients réels. Je les indiquerai tout à l'heure. Mais avant, je désire demander à l'honorable ministre de la justice s'il n'y aurait pas lieu d'apporter une légère modification au paragraphe premier de l’article 41.

La Chambre a voté un amendement de l'honorable M. Jacobs qui supprime, comme condition essentielle de la formation des sociétés anonymes, le nombre de sept associés.

Je me demande s'il ne vaudrait pas mieux s'en rapporter aux statuts. Les associés sont-ils pas les mieux à même de régler tous ces points de détail ? Je ne fais aucune proposition ; je me borne à appeler l'attention du gouvernement sur ce point.

Je reviens à l'amendement de l'honorable M. Sainctelette.

L'honorable membre vous propose de remplacer le paragraphe 5 de l'article 41 en ces termes : « Les administrateurs sont élus pour quatre ans ; ils sont renouvelés par moitié tous les deux ans. »

Nous possédons en Belgique une foule de sociétés anonymes qui fonctionnent extrêmement bien et dans lesquelles nous avons cinq ou un plus grand nombre d'administrateurs. Chaque année, un des membres sort du conseil d'administration, et l'assemblée générale pourvoit à son remplacement.

Je demande à l'honorable M. Sainctelette si ce système a donné lieu des inconvénients réels ? Quant à moi, je ne les connais pas ; je crains au contraire que l'amendement que nous discutons ne vienne contrarier une pratique généralement admise et qui n'a pas présenté d'inconvénients, Je fais un appel tous mes honorables qui ont fait partie d'un conseil d'administration d'une société anonyme, et je les convie de me dire s’ils ont été témoins d'un véritable abus ?

J'ajoute un dernier mot : Il faut, messieurs, pour bien gérer une société anonyme, une certaine expérience qui ne peut s’acquérir que par un certain laps de temps ; il faut maintenir un esprit de suite dans l'administration, et je crains que l'amendement de l'honorable membre ne vienne renverser un état de choses reconnu et qui, jusqu'à ce jour, n'a pas présenté d'inconvénients. Je me rallie donc aux observations de M. le ministre de la justice, et je voterai contre l'amendement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'article fait en partie droit aux observations de l'honorable M. Delcour. Les sociétés sont libres de fixer par leurs statuts le nombre des administrateurs ; seulement la loi fìxe le minimum à trois.

Evidemment on peut longtemps discuter sur le point de savoir s'il faut deux, trois ou un administrateur.

Mais, messieurs, dans une société anonyme qui a des privilèges, qui a des avantages, il faut certaines garanties, je crois que le chiffre de trois administrateurs n'a rien d'exagéré. Je pense d'ailleurs qu'il serait fort difficile de citer des sociétés anonymes où l’on a pu désirer avoir moins de trois administrateurs.

Je crois même que très souvent il y a plus de trois administrateurs.

M. Saincteletteµ. - Je ne m'explique pas comment, aux yeux de l'honorable M. Delcour, l’amendement que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre pourrait, dans la pratique, avoir des inconvénients.

Je ferai remarquer que mon amendement respecte la disposition de l’article suivant, qui permet la réélection indéfinie des administrateurs.

Donc, de deux choses l'une : ou la majorité de l'assemblée sera satisfaite de la direction imprimée aux affaires par la majorité du conseil d’administration, et, dans ce cas, il y aura réélection : bien, il y aura désaccord, et, dans ce cas, le dernier mot doit rester à l'assemblée (page 485) générale, parce que, dans les sociétés anonymes, le principe est que les maîtres de l'affaire sont les actionnaires.

Maintenant, à l'objection toute théorique de M. le ministre de la justice, je répondrai ceci : Si l'honorable ministre veut laisser aux fondateurs et aux actionnaires des sociétés anonymes une entière liberté, je suis prêt à me rallier à tous les amendements par lesquels il fera disparaître de son projet de loi les dispositions qui constituent de véritables entraves au développement de l'esprit d'association.

J'applaudirais de toutes mes forces à un projet de loi qui se rapprocherait du contre-projet déposé en 1867 devant le corps législatif par M. Emile Ollivier.

En 1867, on a dû, en France, revenir sur beaucoup de dispositions par trop restrictives de la loi de 1863 et, par parenthèse, cette expérience n'a pas empêché le gouvernement d'emprunter au texte de 1863 plusieurs des principales dispositions de son projet. En 1867 donc, une nouvelle discussion a eu lieu sur les sociétés anonymes.

M. Emile Ollivier a déposé un contre-projet que je suis prêt à voter des deux mains ; voici ce projet :

« La loi ne régit les sociétés de commerce qu'à défaut de conventions spéciales. Toutes les conventions sont valables entre les parties, à la seule condition de n'être pas contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Pour être opposables aux tiers, elles doivent être rendues publiques. »

Mais du moment que l'on se lance dans un système tout opposé, je crois qu'il faut tout au moins prendre conseil de l'expérience et des enseignements de la pratique. Eh bien, la pratique a établi qu'en fait la faculté de révocation inscrite dans les statuts est nulle.

Il n'y a pas d'exemple d'administrateurs de sociétés anonymes révoqués par une assemblée générale convoquée ad hoc ; il y a, au contraire, beaucoup d'exemples de sociétés anonymes dans lesquelles la majorité d'un conseil d'administration aurait pu être heureusement modifiée, et on serait parvenu la modifier si l'on avait pu procéder par voie d'élimination.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Sainctelette s'exagère les avantages que son amendement à l'article doit présenter dans la pratique. Prenons un conseil d'administration composé de six membres : dans le système de l'honorable M. Sainctelette, il y aura trois membres qui sortiront au bout de trois ans ; dans le système du gouvernement, trois membres seront aussi soumis à réélection au bout de trois ans, avec cette différence que dans le système du gouvernement un administrateur sera sorti après la première année, tandis que dans le système de l'honorable membre, il ne le serait que la seconde.

Au surplus, je suis convaincu que si des administrateurs ne remplissent pas leurs devoirs, s'ils négligent les intérêts de la société, les actionnaires ne reculeront pas devant la révocation de ces administrateurs.

L'honorable M. Sainctelette nous a cité le projet de M. Emile Ollivier, qu'il approuve. D'après ce système, les conventions sont valables du moment qu'elles ne sont pas contraires à la loi.

Mais alors vous n'avez plus les avantages de la société. Vous n'aurez plus tous les avantages que la société anonyme, que la société en commandite et que la société nom collectif assurent à la société. Ce serait la suppression de la société commerciale. Si l'on donne des privilèges, il faut, à côté de ces avantages, avoir certaines garanties.

M. Teschµ. - Je me demande si cet article ne laisse pas une lacune. Il est dit que les administrateurs doivent être au nombre de trois au moins ; ils doivent être nommés par l'assemblée des actionnaires.

Si l'un des administrateurs venait à décéder, il n'en resterait plus que deux. En cas de division, il ne pourrait se former une majorité, et l'administration de la société serait paralysée pendant tout le temps qui s'écoulerait entre le décès et la prochaine assemblée générale.

Je demande si, en cas de décès d'un des administrateurs, il n'y aurait pas lieu de donner aux deux administrateurs restants et aux commissaires le droit de nommer provisoirement, sauf à la prochaine assemblée générale à faire la nomination définitive.

C'est une disposition qui se rencontre dans la plupart des statuts et qui a une utilité pratique. J'appelle l'attention de M. le ministre de justice sar cette question.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne me refuse pas à examiner la proposition qu'indique l'honorable M. Tesch. Cela devra faire partie d'un article supplémentaire ou d'une addition à l'article en discussion. Mais cela pourra se faire au second vote.

M. Teschµ. - Voici une rédaction qui me paraît pouvoir être adoptée et que je propose comme amendement :

« L'acte de société peut stipuler qu'en cas de vacance d'une place d'administrateur, les administrateurs restants et les commissaires réunis auront le droit d'y pourvoir provisoirement ; dans ce cas, l'assemblée générale, lors de sa première réunion, procède à l'élection définitive.

M. Reynaertµ. - J'appellerai l'attention de M. le ministre sur une autre question de détail.

D'après le paragraphe 2 de l'article les administrateurs peuvent être nommés la première fois par l'acte de constitution de la société.

Quand la société anonyme se constituera par un seul acte, il n'y aura certainement pas de difficulté. Mais quand la société sera établie par souscription publique, il y aura deux actes différents : l'acte de fondation et l'acte de constitution définitive.

Je voudrais savoir par lequel de ces deux actes les administrateurs pourront être nommés.

La question est très grave.

Car si vous la décidez dans le premier sens, c'est-à-dire que les administrateurs peuvent être nommés par l'acte de fondation, les souscripteurs n'auront plus à intervenir. Si, au contraire, vous tranchez la question dans un autre sens, il faudra que la nomination des administrateurs soit ratifiée par l'assemblée générale des souscripteurs.

La question me paraît d'autant plus douteuse, qu'à l'article 48, où il s'agit de la nomination des commissaires, on s'exprime dans des termes différents.

Les commissaires, dit le second paragraphe de cet article, pourront être nommés par l'acte qui constitue définitivement la société.

Je voudrais savoir si cette différence de texte correspond à une différence de sens dans les deux articles.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Reynaert me fait une question qui me paraît se résoudre parfaitement par les principes de la constitution de la société anonyme.

L'honorable membre croit toujours que le deuxième acte qui suit la souscription peut être différent du premier. Il n'en est rien. Le second acte n'est que la ratification du premier, chaque souscription devant être conforme à l'acte de constitution de la société. Seulement si, à la première assemblée générale, tous les actionnaires sont d'accord pour modifier les statuts, le premier acte disparaît. Mais, comme je l'ai dit précédemment, s'il y a une seule opposition, la société ne peut se constituer sans approuver le premier acte.

Par conséquent, il n'y a qu'un seul et même acte, et s'il n'y a rien de contraire dans les derniers éléments qui constituent la société, ce sont les administrateurs qui sont dans l'acte primitif qui sont nommés.

M. Dewandreµ. - Je désirerais un simple éclaircissement.

Dans le projet du gouvernement, il y a un paragraphe ainsi conçu :

« Ils sont rééligibles, sauf stipulation contraire. »

Ce paragraphe a disparu. Je crois cependant que cette suppression ne doit pas être entendue en ce sens que les administrateurs ne seraient pas rééligibles.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On a supprimé la disposition comme inutile.

- Les paragraphes 1 et 2 sont successivement mis aux voix et adoptés.

L'amendement de M. Sainctelette est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le paragraphe 3 est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Vient maintenant l'amendement de M. Tesch.

M. Teschµ. - Il doit former un article nouveau.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On pourrait le voter comme amendement. pour ne pas déranger l'ordre des articles ; au second vote on rétablira cet ordre définitivement.

- L'amendement de M. Tesch est mis aux voix et adopté.

Article 42

« Art. 42. Sauf disposition contraire dans l'acte de société, les administrateurs sont rééligibles ; en cas de vacance avant l'expiration du terme d'un mandat, l'administrateur nommé achève le terme de celui qu'il remplace. »

- Adopté.

Article 43

« Art. 43. Chaque administrateur doit être propriétaire d'un nombre d'actions représentant la cinquantième partie du capital social, sans que cette part doive s'élever au delà de cinquante mille francs.

« L'administrateur nommé devra affirmer par une déclaration signée de lui qu'il est réellement propriétaire de ces actions et, si elles sont au porteur, les déposer dans les caisses de la société ou d'un tiers désigné par les statuts ou par l'assemblée générale.

« Ces actions seront affectées par privilège à la garantie de la gestion de l'administrateur ; mention de cette garantie sera faite par le propriétaire sur le registre d'actionnaires pour les actions nominatives et, sur le titre, pour les actions au porteur. »

(page 486) M. Vander Maesenµ. - Messieurs, cet article peut être considéré comme le couronnement de l’œuvre de réglementation à outrance que le gouvernement a entreprise dans le projet de loi qui nous est soumis en ce moment.

Si je suivais mes inspirations, je vous proposerais, messieurs, de supprimer l'article tout entier ; car ce n'est qu'une clause de statuts que nous pourrions laisser aux parties le soin de rédiger ; mais n'espérant pas arriver à le faire disparaître, je vous proposerai au moins de l'améliorer.

Cette amélioration consiste dans la suppression d'une proposition que je considère comme contraire au droit et qui, de toute façon, doit disparaître.

Ce principe est consacré dans la disposition suivante.

L'administrateur nommé devra affirmer, par une déclaration signée de lui, qu'il est réellement propriétaire de ces actions.

Dans les dispositions que nous discutions naguère, nous avons, messieurs, déterminé les moyens par lesquels l'action se transmet :

C'est l'inscription sur le registre à ce destiné ; c'est la simple transmission de la main à la main lorsqu'il s'agit d'actions att porteur.

Je me demande si le gouvernement peut juridiquement ajouter aux conditions de la loi le droit de demander à l'actionnaire nommé administrateur à quel titre il est devenu propriétaire de ces actions. I

Du moment où celui-ci se présente comme propriétaire avec un titre de légal, de quel droit lui demander une affirmation quelconque ?

Il me semble que nous agirions son égard comme dans le cas d'un plaideur que l'on juge de mauvaise foi et auquel on défère le serment pour savoir si les pièces qu'il produit sont sincères.

Notez qu'en se fondant sur le principe inscrit dans la loi, si l'on en déduit les conséquences, on pourra ne pas venir prétendre que la transmission des actions au porteur n'est pas un titre suffisant pour constituer la propriété et l’on pourra venir revendiquer dans les caisses de la société les actions déposées comme appartenant à un tiers.

Je crois donc que cette exigence doit disparaître et je n'y vois pas le moindre inconvénient, car que demande-t)on ? Une garantie. Cette garantie est fournie, que l'on soit réellement propriétaire, que l'on ait emprunté les actions ou qu’on les ait achetées sans les payer, et les actionnaires sont en droit de mettre la main sur les actions pour couvrir la responsabilité des administrateurs.

Je propose en conséquence de supprimer les mots : « affirmer par une déclaration écrite signée de lui, qu'il est réellement propriétaire de ces actions. »

- L'amendement est appuyé.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le projet du gouvernement ne contenait pas l'obligation de cette affirmation et je la considère comme excessivement rigoureuse. C’est comme l'affirmation sous serment exigée par la loi des successions. Je pense qu'on peut la supprimer.

Je propose donc de rédiger me deuxième paragraphe comme suit :

« Si les actions sont au porteur, l'administrateur doit les déposer dans les caisses de la société ou d'un tiers désigné par les statuts ou par l’assemblée générale. »

M. de Macarµ. - Messieurs, les explications qu'a données hier l'honorable ministre de la justice semblent démontrer que l'assemblée générale pourra, quand elle le voudra, dispenser non pas un mais plusieurs administrateurs de l'obligation de posséder 50,000 francs d'actions ou la cinquantième partie de la valeur de la société.

Dans ces conditions, qui ne sont pas celles du rapport de la commission spéciale, je crois qu'il y a moins d'inconvénients à maintenir la disposition du paragraphe premier de l'article 45.

Bien que je sois partisan de la plus grande liberté possible pour les actionnaires, je ne demande pas cependant que cette liberté soit absolue.

Je crois qu'il faut limiter la possibilité de l'exemption du versement à la moitié moins un des administrateurs. Il importe, en effet, que les administrateurs aient un intérêt sérieux dans l'affaire ; je propose un amendement dans ce sens.

Je limite au reste cette exemption aux seuls membres du conseil nommés par l’assemblée, non aux administrateurs désignés par les statuts. Quand il s'agit de ces administrateurs fondateurs, j'admets parfaitement avec M. le ministre de la justice que l'on exige une forte caution. En ce cas, ce n'est pas la volonté des actionnaires qui agit et alors j'accepte l'obligation imposée de fournir un capital témoignant que l'on a un intérêt sérieux dans l'affaire, donnant donc garantie réelle aux souscripteurs.

C'est seulement quand la société aura été constituée et quand l'assemblée générale aura pu se prononcer que je demande qu'il puisse être dérogé au paragraphe premier de l’article 45.

M. Jacobsµ. - Il me semble qu'exiger de chacun des administrateurs une somme de 50,000 francs, c’est dépasser de beaucoup ce que comporte la nécessité des choses.

Le gouvernement a autorisé un grand nombre de sociétés anonymes et, dans la plupart, je crois qu'il n'a pas fait dépasser pour le cautionnement le chiffre de 20,000 à 25,000 francs.

Il me semble que le cautionnement réduit à ce chiffre offrirait encore des garanties sérieuses et ne réduirait pas, d'une façon trop grande, la liberté de choix des actionnaires. Elles sont peu nombreuses dans nos sociétés les personnes qui ont 50,000 francs à verser. C'est donc restreindre le choix des assemblées générales que d'exiger ce chiffre. 20,000 à 25,000 francs me semblent suffisants.

M. Techµ. Le paragraphe premier porte :

« Chaque administrateur doit être propriétaire d'un nombre d'actions représentant la cinquantième partie du capital social, sans que cette part doive s'élever au delà de 50,000 francs. »

Je demande comment cette disposition doit être entendue et comment on calculera. Je suppose un administrateur entrant dans une société dont les actions valent, par exemple, le double du taux de l'émission primitive ; ces actions avaient été émises à 1,000 francs ; ultérieurement, par suite de réserves ou de bonnes opérations, ces actions se cotent en Bourse à 2,000 francs. Est-ce qu’il suffira, dans ce cas, d'acheter pour 50,000 francs d'actions au taux de la Bourse ou faudra-t-il avoir cinquante actions de 1,000 francs, ce qui représenterait alors 100,000 francs ?

J'ai un doute à cet égard et je désirerais que ce doute pût être levé.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il m'est impossible de répondre à la question que vient de poser l'honorable M. Tesch. C'est une question d'interprétation, sur laquelle je ne voudrais pas me prononcer sans l’avoir examinée sérieusement.

M. Teschµ. - C'est pour que vous l'examiniez que j'ai présenté mon observation.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'examinerai si on doit prendre le taux de la bourse ou s'il faut prendre le prix de l'action tel qu'il est fixé par le titre.

Un mot de réponse à M. Jacobs.

M. Jacobs a demandé que l'on réduise le chiffre de 50,000 francs à 25,000 francs.

Le projet du gouvernement avait fixé le chiffre à 100,000 francs, la commission a réduit ce chiffre à 50,000 francs. Dans ces matières il est fort difficile de se prononcer. (Interruption.)

- Une voix. - C'est aristocratique.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nullement, puisqu'on peut accorder des dispenses.

- Une voix. - Qui les demandera ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les hommes qui n'ont pas de fortune et qui ont des capacités.

Pour ma part, je ne suis pas assez au courant de ce qui se passe dans les sociétés anonymes pour savoir si le chiffre de 25,000 francs représente un intérêt suffisant.

Les personnes qui ont préparé le projet paraissent ne pas avoir été de cet avis. M. Tesch proposait 100,000 francs ; M. Pirmez, 50,000 francs. Maintenant, l'honorable M. Jacobs propose 25,000 francs.

M. le président. - Voici, messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Macar ; il se rattache à l'article 43bis :

« Elle pourra aussi dispenser la moitié, moins un, des administrateurs de la garantie ci-dessus prescrite. »

- Cet amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. Vander Maesenµ. - La discussion à laquelle on se livre démontre que le législateur est absolument incompétent pour déterminer le taux de la garantie dont les actionnaires peuvent avoir besoin. M. le ministre de la justice nous fait connaître son appréciation et nous révèle en même temps que dans la commission on a proposé des chiffres plus ou moins élevés. Eh bien, de toutes ces circonstances, je ne puis tirer qu'un enseignement : c'est qu’il vaut infiniment mieux que nous ne déterminions pas le nombre d'actions ou le montant de la garantie qu'il y a lieu d'exiger des administrateurs. Bornons-nous à imiter la prudence de la loi française de 1867, qui porte un article ainsi conçu : « Les administrateurs doivent être propriétaires d'un certain nombre d'actions déterminé par les statuts. »

Il vaut donc infiniment mieux s'en rapporter aux actionnaires, aux fondateurs de la société sur le point de savoir quelles garanties ils veulent exiger.

En effet, il ne nous appartient pas de dire que la garantie de l'administrateur sera de 50,000 francs, ou de 25,000 francs, comme le propose (page 487) M. Jacobs. Tout cela de la nature de l'entreprise et des nécessités des opérations.

Je propose donc pas amendement de remplacer la disposition de l'article 43bis par la suivante :

« Les administrateurs doivent être propriétaires d’un certain nombre d'actions déterminé par les statuts. »

M. Braconier. - Je suis complètement de l’avis de mon honorable collègue, M. Vander Maesen. En fait de réglementation, lorsqu'on veut trop en faire, on arrive à des impossibilités. Il y a cependant une observation que je veux présenter au sujet de l'article qui est en discussion.

On doit laisser aux statuts le soin de fixer les conditions que doivent posséder les administrateurs, lorsqu'ils sont nommés par une assemblée générale.

D'un autre côté, je veux que lorsque les administrateurs sont les fondateurs de la société, ils y aient un intérêt sérieux, direct ; je ne veux pas qu'on puisse mettre en avant les noms de certaines personnes dans des affaires où ces personnes n'ont pas un intérêt réel, où on les attire uniquement pour captiver la confiance du public ; à cet égard, je rentre dans le système des garanties efficaces qu'on veut exiger des sociétés anonymes.

Je proposerai donc un amendement en ce sens que les dispositions de l'article 43, en tant qu'elles concernent les administrateurs, ne s'appliquent qu'aux administrateurs fondateurs, non nommés par une assemblé générale ; que quant aux autres administrateurs les statuts fixeront eux-mêmes le nombre d'actions qu'ils devront posséder.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il ne faut pas d'amendement ; c'est le système de la commission et du gouvernement. Il est évident que les administrateurs fondateurs, aux termes de l'article 43, doivent avoir la somme indiquée ; mais je ne vois pas pourquoi les administrateurs fondateur ne pourraient pas être déchargés de cette garantie par l'assemblée générale, si l'assemblée générale le veut bien.

Du reste, on pourrait, dans le dernier paragraphe de l'article 43, dire : Elle (l'assemblée générale) pourra aussi dispenser un ou plusieurs des administrateurs de la garantie prescrite ci-dessus.

M. Braconier. - Je demande si, en fait, la nomination d'un administrateur par l'assemblée générale suffit pour le dispenser de remplir la condition stipulée dans l'article 43 ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La question que me pose l’honorable M. Braconier est une question d'interprétation ; il désire savoir si dans la nomination d'un administrateur qui n'a pas d'actions est implicitement comprise la dispense d'avoir des actions. Eh bien, s'il est évident qu'il ressort de la nomination que cette personne, à la connaissance de l’assemblée générale, ne possédait pas d'actions, elle sera dispensé par là de remplir la condition prescrite par l'article. Il n'y a pas de forme sacramentelle pour la dispense.

Il suffit qu'il n'y ait pas de doute sur la volonté de l’assemblée.

M. Dewandreµ. - Je crois que nous sommes généralement d'accord pour imposer des garanties très sérieuses aux administrateurs lors de la fondation de la société et pour les garanties moins sévères des administrateurs élus par l'assemblée générale.

Mais ici se présente une question : Faut-il laisser à l'assemblée générale le soin de régler ces garanties ? ou faut-il dire dans la loi qu'elles seront déterminées par les statuts ?

Je crois qu'il faut décider que les statuts eux-mêmes fixeront ces garanties.

L'honorable M. Tesch a demandé ce qu’il fallait entendre par l'évaluation à 50,000 francs, portée dans le dernier paragraphe de l'article 43.

Est-ce la valeur nominale des actions ? Est-ce leur valeur d'après la cote de la bourse ? Est-ce la valeur à raison d'autres circonstances, des réserves, par exemple, qui auraient été effectuées par la société ? Je crois qu'il conviendrait d'interpréter cette disposition en ce sens que c'est la valeur nominale qu'il faut prendre ; sans cela, on se trouverait devant de grandes difficultés d'appréciation. Du reste la question est réservée. M. le ministre l'examinera.

Mais voici une autre phase de la question : Des sociétés peuvent se former sans indication de la valeur des actions. Lorsqu'une société aura été constituée dans ces conditions, quelle sera la valeur que l'on prendra pour base pour fixer cette somme de 50,000 francs ?

J’appelle encore sur ce point l'attention de M. ministre de la justice. C'est une question qui doit être résolue.

- La discussion est close.

M. le président. - Le paragraphe premier de l'article est ainsi conçu :

« Chaque administrateur doit être propriétaire d'un nombre d'actions représentant la cinquantième partie du capital social, sans que cette part doive s'élever au delà de 50,000 francs. »

M. Vander Maesen a proposé de remplacer ce paragraphe par la disposition suivante : « Les administrateurs doivent être propriétaires d’un certain nombre d'actions déterminé par les statuts. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). -Bien que la discussion ait été close, la Chambre me permettra de donner une explication sur la position de la question.

Voici les conséquences de l'amendement de l'honorable M. Vander Maesen : Il permet à des statuts de dire que les administrateurs pourront ne donner aucune espèce de garantie. Les statuts pourront fixer la garantie à 1 franc. Voilà le système. Or, l'honorable M. Braconier disait qu'il fallait une garantie sérieuse pour les fondateurs et qu'il ne demandait l'absence de garantie que lorsque les administrateurs avaient été nommés par l'assemblée générale. Or, cette proposition, qui est celle du gouvernement, est complètement en contradiction avec celle de l'honorable M. Vander Maesen.

M. Vander Maesenµ. - L'objection de M. le ministre consiste à dire qu'il se rencontrera des actionnaires qui ne sentiront pas le besoin d'une garantie vis-à-vis des administrateurs.

Eh bien, le cas, quelque extraordinaire qu'il paraisse, se présentant, ne m'effraye pas. Je crois les actionnaires meilleurs juges que nous de leurs intérêts, et s'ils ont une entière confiance dans les administrateurs, je ne vois pas pourquoi nous ne dispenserions pas ceux-ci de donner aucune espèce de garantie.

Mais c'est là hypothèse faite à plaisir. Le but de l'article est d'attirer l'attention des actionnaires sur la nécessité de demander des garanties, et certainement ils n'iront pas confier des intérêts très graves, très importants, sans faire ce qu'on fait jusqu'à ce jour dans toute société anonyme, bien que jusqu'ici la loi n'ait porté aucune stipulation à cet égard.

Avec de semblables considérations, on en vient à constituer la Chambre en société anonyme et lui faire confectionner des statuts.

M. Lambertµ. - Je crois, messieurs, qu'il faut adopter le système préconisé par l'honorable M. Braconier. Il y a deux périodes dans la formation des sociétés ; il y a une période d'enfantement et cet enfantement est l'œuvre de quelques personnes seulement ; ce sont les fondateurs et ils ont soin de se partager les avantages à titre d'indemnité et de rémunération ; ils s'attribuent les places d’administrateurs et toutes celles qui procurent des avantages immédiats et sonnants ; ils se soucient peu de stipuler des garanties en faveur de ceux qui viendront ultérieurement prendre part à l'affaire.

Dans cet état de choses, il importe d’obliger les fondateurs, devenant administrateurs, à donner des garanties par un dépôt d'actions entièrement libérées ou par un dépôt d’autres valeurs, que l'on fixer à 100,000 francs, à 50,000 francs ou à tout autre chiffre.

Lorsque cette première période est accomplie, ce ne sont plus les fondateurs qui créent les administrateurs ; ce soin appartient alors aux actionnaires réunis en assemblée générale, qui choisissent des personnes dignes de leur confiance.

Quant à celles-ci, il est parfaitement inutile qu'elles déposent un cautionnement statutaire ; elles sont connues, et c'est à l'assemblée à déterminer la nature et la hauteur de la garantie à laquelle elles ont droit.

Je crois donc que la loi doit stipuler les garanties à donner par les administrateurs fondateurs, mais qu'elle doit laisser aux assemblées générales le soin de déterminer les garanties à fournir par les administrateurs non statutaires.

M. Dupontµ. - Je crois que la Chambre est fixée sur le nouvel article 43 et il me semble que l'opinion de l'honorable M. Braconier doit rallier tous les suffrages. La distinction qu'il a faite est très judicieuse et très pratique.

Je proposerai donc de rédiger l'article 43 de la manière suivante :

« Chaque administrateur nommé par les statuts doit être propriétaire, etc. » On supprimerait les articles 43bis et 43ter et on les remplacerait par ces mots :

« Il est interdit aux administrateurs de conclure, soit directement, soit indirectement, un marché ou un contrat quelconque avec la société, à moins d'en donner connaissance à la plus prochaine assemblée générale annuelle. »

M. Vander Maesenµ. - Je me rallie à l'amendement de M. Dupont.

M. de Macarµ. - Je retire mon amendement et me rallie à celui de M. Dupont.

M. le président. - M. Jacobs a déposé un amendement consistant à remplacer, dans le premier paragraphe, le chiffre de cinquante mille francs par celui de vingt-cinq mille francs.

(page 488) Je mets cet amendement aux voix.

- L'amendement n'est pas adopté.

M. le président. - Nous passons maintenant à l'amendement de M. Dupont ; il consiste à rédiger le premier paragraphe comme suit :

« Chaque administrateur, nommé par les statuts, doit être propriétaire d'un nombre d'actions représentant la cinquantième partie du capital social, sans que cette part doive s'élever au delà de cinquante mille francs. »

- Le premier paragraphe, ainsi rédigé, est mis aux voix et adopté.

M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé, pour le paragraphe 92, la rédaction suivante :

« Si les actions sont au porteur, l'administrateur devra les déposer dans les caisses de la société ou d'un tiers désigné par les statuts ou par l'assemblée générale. »

- Le paragraphe 2, ainsi rédigé, est adopté.

M. le président. - Nous abordons le paragraphe 3.

M. Dupontµ. - Si la Chambre n'y voit pas d'inconvénient, je crois que l'on pourrait supprimer les mots : « et sur le titre pour les actions au porteur ».

En effet, il s'attache un certain discrédit à une action lorsqu'elle contient des indications qui peuvent en faire reconnaître l'origine.

M. Bruneau. - Messieurs, je crois que, dans la pratique, les inconvénients que l'honorable M. Dupont vient de signaler n'existent pas.

Dans beaucoup de sociétés, les actions au porteur peuvent être changées en actions nominatives et les actions nominatives en actions au porteur par une simple inscription au dos de l'action.

Ces transferts peuvent se faire successivement selon le désir des propriétaires, sans que cela offre aucun inconvénient.

- Le dernier paragraphe de l'article 43 est mis aux voix et adopté.

L'article 43 est mis aux voix et adopté.

Articles 43bis et 43ter

M. le président. - Viennent maintenant les articles 43bls et 43ter qui sont ainsi conçus :

« Art. 43bis. L'assemblée générale pourra cependant autoriser des actionnaires nominativement désignés à faire ce dépôt et cette déclaration pour un administrateur, sans que la même personne puisse le faire pour plusieurs administrateurs ; elle pourra aussi dispenser un des administrateurs de la garantie ci-dessus prescrite.

« Art. 43ter. A défaut d'avoir rempli ces formalités dans le mois de sa nomination ou de la notification qui lui en serait faite, si elle avait eu lien en son absence, l'administrateur nommé sera réputé démissionnaire, et il sera procédé une nouvelle élection.

« Si, à cette seconde élection, il n'existait aucun actionnaire connu possédant le nombre d'actions prescrites et consentant à accepter la place vacante, l'assemblée pourrait dispenser l'élu des conditions ci-dessus indiquées. »

M. Dupont propose de remplacer ces deux articles par la rédaction suivante :

« Les statuts fixent l'intérêt que chaque administrateur nommé par l’assemblée générale doit posséder dans la société. «

- L'amendement de M. Dupont est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je comprends que l’honorable membre substitue cette rédaction à l'article 43bis, mais, quant à l'article 43ter, il doit être maintenu, car il pourrait arriver qu'un administrateur nommé et qui doit déposer des actions en nombre déterminé ne le fasse pas. (Interruption.) Nous avons admis tout à l'heure un amendement de M. Tesch qui portait qu'en cas de vacance les administrateurs restant dans le conseil d'administration nommaient l'administrateur. Je suppose qu'il n'y ait pas dans les statuts de clause prévoyant le cas où l'administrateur devant une somme ne le fait pas ; qu'arriverait-il ? Il faut bien prévoir le cas.

M. Dupontµ. - Ne pourrait-on laisser aux statuts le soin de régler ce point ?

M. de Naeyerµ. - Occupons-nous d'abord de l'article 43bis.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que la rédaction de N. Dupont doit être restreinte à l'article 43bis ; j'en fais la proposition.

M. Dupontµ. - Ma pensée était de laisser aux statuts le soin de régler ce qui doit arriver dans le cas de l'article 43ter. Si l'honorable ministre pense qu'il est bon de le déterminer dans la loi, on pourrait' ajouter l'article 43ter à l'amendement que j'ai proposé.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Certainement.

M. Dupontµ. - Mais il me semble qu'on pourrait laisser aux actionnaires le sein de régler ce point.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et s'ils ne le règlent pas ?

M. le président. - On paraît d'accord pour substituer la rédaction de M. Dupont à l'article 43bis.

L'article 43ter serait ainsi maintenu, sauf à être mis en harmonie avec l'article 43bis.

- L'amendement de M. Dupont, remplaçant l'article 43bis, est mis aux voix et adopté.

L'article 43ter est ensuite mis aux voix et adopté.

M. de Macarµ. - A l'article 43ter, paragraphe 2, il est dit : Si, à cet seconde élection, il n'existait aucun actionnaire connu possédant le nombre d’actions prescrites et consentant à accepter la place vacante, l'assemblée pourrait dispenser l'élu des conditions ci-dessus indiquées. »

M. le président. - Cet article est déjà voté.

M. de Macarµ. - Il est entendu que cet article ne s'applique qu'aux administrateurs qui auront été nommés par l'assemblée générale et non ceux nommés par les statuts.

M. le président. - L'article 43ter sera mis en harmonie avec les articles précédents.

Article 44

« Art. 44. Il leur est également interdit de prendre ou de conserver un intérêt direct ou indirect dans une opération quelconque faite avec la société ou pour son compte, à moins qu'ils n'y soient autorisés par l'assemblée générale pour certaines opérations spécialement déterminées. »

M. le président. - A cet article, M. Sainctelette propose de supprimer les mots « ou indirect » et ceux-ci : « pour certaines opérations spécialement déterminées. »

La parole est à M. Sainctelette pour développer son amendement.

M. Saincteletteµ. - Je considère la question que soulève l'article comme l'une des plus graves par ses conséquences pratiques que l'on puisse agiter en pareille matière. Je vous demande la permission d'examiner d'abord la portée pratique du principe de l'interdiction et ensuite la valeur du tempérament qu'on a cru y apporter.

Messieurs, l'interdiction formulée par l'article semble n'être dirigée que contre les administrateurs, mais, en réalité, elle atteint les sociétés beaucoup plus que les administrateurs. II résulte de ce texte qu'une société anonyme ne pourra plus ni vendre ses produits ni acheter aucune matière première, ni négocier son papier toutes les maisons de commerce ou d'industrie dont l'un de ses administrateurs sera ou le chef, ou l'administrateur, ou même simplement l'actionnaire.

Une entreprise de chemin de fer ayant de grandes quantités de rails à acheter ne pourra plus traiter avec la forge la plus renommée du pays si elle a eu le bon sens de s'assurer le concours très utile d’un des administrateurs de cet établissement métallurgique, et une société houillère ne pourra plus vendre ses houilles à une forge si parmi les administrateurs de la houillère il y a un administrateur ou même un simple actionnaire de la forge.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela est inexact.

M. Saincteletteµ. - Comment cela ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment, puisque l'assemblée pourra autoriser ces opérations.

M. Saincteletteµ. - Laissez-moi développer ma pensée ; je vous montrerai tout à l'heure quelle est la valeur de votre correctif. Je dis, messieurs, que le principe est celui-ci : Une société industrielle ne peut ni vendre ses produits, ni acheter ses matériaux, ni négocier son papier à toute maison d'industrie ou de commerce dont l'un de ses administrateurs est le chef, l'administrateur ou le simple actionnaire, et je vous défie de prouver que ce ne soit pas là la portée pratique de la première partie de votre article.

Or je dis qu'une semblable interdiction va à l'encontre de toutes les idées généralement reçues en matière de commerce.

Le mouvement possible des affaires d'une société sera d'autant plus restreint que les administrateurs de cette société auront une situation industrielle ou commerciale plus considérable.

Les relations de la société seront en raison inverse des relations des administrateurs.

Il semble que, dans la pensée des honorables auteurs du projet de loi, ce soit une bonne fortune pour une société que d'être administrée par des hommes complètement inconnus dans les affaires industrielles et commerciales.

Eh bien, jusqu'à présent, on a toujours cru que, pour faire de grandes affaires, il fallait avoir une grande clientèle, et, que le moyen d'avoir une grande clientèle, c'était de choisir des mandataires accrédités, des correspondants répandus.

Le projet de loi semble inspiré par cette idée que, sous ce rapport, il (page 489) en est autrement pour les sociétés anonymes que pour les affaires faites par les individus. La théorie du projet de loi est en opposition avec tous les enseignements de la pratique.

Messieurs, pourquoi la plupart des sociétés industrielles honnêtes trouvent-elles aujourd'hui à escompter directement leur papier dans les sociétés financières de premier ordre ? Parce qu'elles peuvent donner à ces sociétés la plus efficace de toutes les garanties, parce qu'elles ont la faculté de leur dire : « Faites-vous représenter dans nos conseils d'administration par l'un des vôtres, et, de cette façon, vous serez toujours assurés d’être exactement informés de la situation. »

Rendez impossible cette garantie, dont la pratique des affaires a introduit l'usage, et vous contraindrez les sociétés industrielles qui, aujourd’hui, obtiennent, dans des conditions modérées, le concours des sociétés financières, vous les obligerez, pour se procurer ce concours, à subir des conditions onéreuses, à passer par l'entremise d'escompteurs de deuxième ou de troisième ordre, c'est-à-dire à payer des commissions plus élevées.

On a cru remédier à cette situation par l'intervention de l'assemblée générale, en stipulant que l'assemblée générale pourra, pour certaines opérations spécialement déterminées, autoriser une société industrielle à traiter avec les maisons dans lesquels les administrateurs ont un intérêt. Il ne faut pas se faire illusion sur l'efficacité de ce tempérament. D'abord il n’en peut être question pour certaines opérations.

Ainsi, en matière d'escompte, peut-on songer à réunir une assemblée générale toutes les fois qu'il s'agit de négocier un bordereau d'effets ? Evidemment non ; c'est là la considération qui a porté la chambre française à modifier la loi de 1863. Le texte de l'article 44 en discussion est littéralement emprunté à l'article 23 la loi française de 1863.

Ce texte est ainsi conçu :

« Il est interdit aux administrateurs de prendre ou de conserver un intérêt direct ou indirect dans une opération quelconque, faite avec la société ou pour son compte, à moins qu'ils n'y soient autorisés par l’assemblée générale pour certaines opérations spécialement déterminées. »

Les mots « pour certaines opérations déterminées » sont littéralement reproduits dans le texte belge.

Or, voici comment au corps législatif, en 1867, on appréciait la portée de cette faculté d'autoriser réservée à 1'assemblée générale.

L'exposé des motifs disait : « La faculté de demander et d'obtenir l'autorisation de l'assemblée générale n'était qu'une ressource inutile. Il fallait, en effet, que l'autorisation fût accordée pour l’opération spécialement déterminée. Or, cela était impossible, par exemple, pour des opérations d'escompte pouvant se renouveler chaque jour. »

Et c'est à la suite de ces observations si justes que l'on a modifié le texte de la loi de 1863 et qu'on a restreint l'interdiction aux marchés ou entreprises.

Messieurs, je crois que, même dans ces termes, le principe que l'on veut appliquer aura, en pratique, les inconvénients les plus graves. Quand on fait une loi commerciale, il faut tenir grand compte de la célérité et de la discrétion qu'exige aujourd'hui la négociation des transactions commerciales et industrielles. Il faut pas oublier que nous vivons à une époque où le commerce fait un emploi considérable non seulement des télégrammes, mais même des télégrammes urgents et que subordonner des transactions à la ratification d'une assemblée générale qui ne peut être réunie qu'à quinze jours de distance, c'est, de fait, les rendre impossibles.

Vous savez avec quelle soudaineté se déclarent les grands événements commerciaux, avec quelle rapidité s'en exaspèrent les effets. Vous savez, par exemple, combien subitement s'ouvrent les périodes de prospérité et combien tout mouvement de hausse grandit rapidement.

Voici une grande entreprise de chemins de fer qui a besoin d'une quantité considérable de rails. Les fers sont en hausse ; ils montent d'un franc par semaine, quelque fois plus vite encore. Il est évident que l'entreprise voudra traiter le plus tôt possible et mettre immédiatement un contrat en poche. N'est.cc pas mettre les sociétés industrielles dans l'impossibilité de traiter avec elle que de subordonner la conclusion du traité à la ratification d'une assemblée générale ?

J'ai entendu des administrateurs éprouvés faire à leurs subordonnés le reproche de ne pas consommer assez de télégrammes. Ils disaient qu’il ne faut pas trailer les affaires par écrit, qu'il faut aller soi-même, voir le client, et aussitôt l'accord fait, le constater par un acte ; que si l’agent avait besoin d'instructions, c'était par télégramme qu'il devait les demander au président du conseil d'administration.

Ces hommes expérimentes considéraient l'intervention même des conseils d'administration dans ce cas, comme une grande difficulté. Jugez de ce qu'ils doivent penser de l’intervention obligatoire de l'assemblée générale !

Et maintenant, au point de vue du secret des affaires, n'oubliez pas qu’avec des actions au porteur, négociables en bourse, il suffit à un concurrent de faire les frais assez minces d'un double courtage et d'une différence de quelques jours pour acquérir le droit d'assister une assemblée générale, d'y entendre discuter les conditions d'un marché et de pouvoir, avant que la décision de l'assemblée générale ait été notifiée, aller enlever l'affaire.

En résumé, je vous propose de modifier l'article 44 à deux points de vue.

Je demande la suppression des mots : « ou indirect ». Il me paraît qu'il y a une grande différence à faire entre l'intérêt direct et l’intérêt indirect. Je comprends le conflit entre l'intérêt de la société et l'intérêt direct du banquier, du métallurgiste, du charbonnier qui traite seul pour sa maison, pour son compte exclusif, qui d'un côté a tous les profits de l'affaire, qui, de l'autre, n'est engagée que pour une part réduite.

Je comprends que dans ce cas l'intérêt individuel puisse être prépondérant, qu'il puisse dominer l'intérêt social. Mais quand il s'agit tout simplement de l'intérêt indirect, de l'intérêt qu'un industriel peut avoir comme administrateur ou comme actionnaire dans une société, la plupart du temps il y aura équilibre entre les deux intérêts qui se présentent pour lui dans la question.

Si l'administrateur dont nous parlons a un cinquantième de l'avoir social dans une société et un cinquantième de l'avoir social dans l'autre société, en favorisant une société au détriment de l'autre, il prendrait de sa main droite pour donner à sa main gauche.

Et puis, dans tous les cas, il y a contrôle des deux cotés, il y a des collègues des deux côtés.

Je crois donc que le mot « indirect » devrait disparaître.

Que si vous maintenez la nécessité de l'autorisation de l'assemblée générale, je demande que cette autorisation puisse être donnée d'avance, au besoin, par les statuts et en termes généraux.

Laissez aux parties le soin d'apprécier ce que conseille la situation, ce qu'exigent les circonstances, laissez-leur régler ces points-là par leurs conventions particulières.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, nous avons voulu faire une loi qui présentât quelques garanties pour les actionnaires et nous sommes en train, maintenant, de réagir contre toutes les propositions déposées. L'article que nous discutons maintenant est une des principales dispositions du projet de loi. Combien n'y a-t-il pas de personnes qui se trouvent à la tête dc grands établissements, et qui, pour écouler leurs produits, se mettent dans les sociétés ! (Interruption.)

On a vu des quantités d'actions données à des propriétaires de hauts fourneaux comme privés de livraison des rails de chemins de fer.

L'honorable membre dit : vous allez porter atteinte à un principe d'économie politique, vous allez diminuer le nombre des concurrents. Eh bien. messieurs, c'est tout le contraire ; nous augmentons le nombre des concurrents et vous les raréfiez. Ainsi je suppose que vous ayez dans un conseil d'administration deux administrateurs qui ont des produits à écouler. Croyez-vous que les autres administrateurs ne subiront pas l'influence de leurs collègues ? Il me semble qu'il n'y a aucun doute à cet égard.

La nature humaine est ainsi faite. Eh bien, il en résulte que vous n'avez, pour ces sortes de marchés, qu'un seul fournisseur ; c'est ce que nous ne voulons pas. Nous avons dit : Il faut que le conseil d'administration soit libre.

Maintenant si l'on veut traiter avec un administrateur, nous ne nous y opposons pas le moins du monde, mais nous disons : Convoquez une assemblée générale.

- Un membre. - C'est impossible.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela a fonctionné en France pendant plusieurs années.

- Un membre. - On a supprimé la disposition.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On ne l'a pas supprimée pour les marchés et les entreprises ; on ne l'a supprimée que pour les affaires de banque.

Ce que nous n'avons pas voulu, c'est que les administrateurs pussent faire des affaires avec leurs propres établissements sans avoir obtenu l'autorisation de l'assemblée générale. Sans cela il n'y a pas de garanties pour les actionnaires. Il est certain que la société payera plus cher parce qu'on ne fera pas aussi bien les recherches pour savoir quels sont les prix les plus bas.

Au surplus, messieurs, quelles entraves trouve-t-on là ? On parle (page 490) toujours de la loyauté des affaires. La loi n’est pas faite contre toutes les sociétés. Nous savons qu'il y a en Belgique un grand nombre de sociétés honnêtes.

La loi ne prouve pas plus qu’il n’y a de mauvaises sociétés e Belgique que le code pénal qui punit le vol et l'assassinat ne prouve qu'il n'y a des voleurs et des assassins.

La loi est faite pour empêcher des fraudes possibles.

Les administrateurs honnêtes, et c’est le plus grand nombre, ne seront pas gênés par la loi.

Je prends un des cas indiqués par l'honorable M. Sainctelette.

Il y a dans l'administration un propriétaire de hauts fourneaux.

Pourra-t-on lui acheter des rails ? Je dis oui.

On me répondra que cela ne sera pas possible, parce que chaque fois qu'il y aura lieu d'acheter des rails, il faudra convoquer l'assemblée générale. On dit qu'on ne pourra escompter chez un banquier administrateur, parce que, à chaque escompte, il faudra être autorisé.

Mais cette thèse n'est pas la nôtre.

M. Saincteletteµ. - C'est l'interprétation donnée à la loi française.

MjB. - C'est possible, mais ce n'est pas l'interprétation que j’ai donnée à l’article. Le bon sens y répugne.

Il est impossible de consulter l'assemblée générale chaque fois qu'il s'agit d'escompter une traite. Mais on conçoit qu'il faille une autorisation préalable et générale pour traiter avec tel ou tel banquier. Je ne vois à cela qu'une garantie de plus.

M. Saincteletteµ. - Messieurs, je voudrais faire une courte réponse aux observations qui ont été produites par l'honorable ministre de la justice.

L'interprétation que j'ai donnée des mots : « certaines opérations spécialement déterminées » est celle qui a été fournie au corps législatif de France, par le gouvernement, auteur de la loi de 1863, c'est-à-dire par ceux-là mêmes qui ont introduit ces mots dans la loi.

Ces mots ont évidemment une valeur et une portée.

Si le texte disait que l’assemblée générale peut donner l'autorisation pour toute une catégorie d'affaires, ce serait bien différent ; mais les mots : « spécialement déterminées » empêchent qu'on ne donne une interprétation extensive à la disposition.

Ils supposent l'examen, la délibération, le vote en pleine connaissance de cause de chaque opération.

Ils ont pour but d'individualiser l'autorisation et je ne comprendrais pas que sous l'empire de cette rédaction on pût s'approvisionner toujours de rails dans la même usine, escompter toujours chez le même banquier, acheter toujours du charbon la même houillère.

Si l'honorable ministre de la justice veut mettre le texte de la loi en harmonie avec les explications qu'il a données tout à l'heure, il faut évidemment modifier la rédaction de cette dernière partie de l'article.

Je crois, messieurs, que la nécessité d'une autorisation générale même, aurait de inconvénients. Il n'en faudra pas moins que l'assemblée générale soit réunie dans des circonstances où il peut être indispensable de prendre un parti sur l'heure.

Je suppose qu'une assemblée générale puisse autoriser un conseil d'administration à négocier son papier chez un administrateur banquier.

Encore faut-il qu’il y ait convocation et délibération.

Or, messieurs, rappelez-vous la crise de fin février 1848 et demandez-vous ce que seraient devenues la plupart des sociétés anonymes s'il leur avait alors fallu attendre la réunion de leurs assemblés générales, c'est-à- dire passer quinze jours à trois semaines sans savoir où elles pouvaient négocier leur papier.

Le portefeuille français n'avait pour ainsi dire plus de valeur, il était très difficile de faire de l'argent du portefeuille belge, les banquiers étaient très gênés ; beaucoup de sociétés ont été sauvées grâce à la promptitude avec laquelle leurs conseils d'administration ont pu parer aux événements.

Des crises analogues peuvent se reproduire, il faut donc que les conseils d'administration puissent prendre des mesures d'urgence, sans s'exposer aux conséquences énormes de la responsabilité qui découlerait du texte d'une interdiction formelle.

Je vais citer un autre exemple de l'exagération de l’interdiction formulée par le projet.

En province, il arrive souvent que deux affaires, par exemple, une forge et une houillère ont beaucoup d’actionnaires communs. Je pourrais citer des affaires où sur 3,000 actions il y en a 2,500 dans les mains des actionnaires d'un établissement voisin, charbonnage, forge, verrerie. Faudra-t-il réunir une assemblée générale chaque fois qu'il y aura lieu de modifier les conditions des rapports entre les deux établissements ?

Cela ne serait pas possible en pratique. Je persiste dans les amendements que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre.

M. de Macarµ. - Je crois qu'on pourrait supprimer sans inconvénient tout l’article 42.

- Des voix. - Le paragraphe 2.

M. de Macarµ. - Le paragraphe 2, ce serait déjà quelque choses, mais je crois qu'il vaudrait mieux supprimer tout l'article.

On pourrait le remplacer par une disposition conçue à peu près en ces termes :

« Il sera défendu à tout administrateur de faire des entreprises avec la société, ou de traiter directement avec elle. »

C'est-à-dire que l'administrateur ne pourrait pas poser des actes où son intérêt direct serait en jeu, concurremment avec celui de la société, sans une autorisation spéciale de l'assemblée.

Les explications du gouvernement ne me satisfont pas. C'est trop ou c’est inutile.

Je suppose un conseil d'administration où se trouvent un propriétaire, un banquier, un industriel, un charbonnier, par exemple ; il faudra qu'il y ait chaque année, à l’assemblée générale ordinaire, une résolution à prendre pour autoriser le conseil d'administration à traiter avec un tel pour acheter du charbon, avec tel banquier pour assurer le service financier, avec le propriétaire pour le cas où il y aurait lieu à acheter un terrain pour les besoins ou l'agrandissement d'une usine. Eh bien, savez-vous ce qui arrivera ? On votera tous les ans un article stéréotypé : « Le conseil est autorisé à traiter avec les administrateurs quand et comme il le jugera utile aux de la société. » Ce sera le pendant de telles antres résolutions de certaines assemblées générales qui décident que l'administration fera les ventes et les achats au mieux des intérêts de la société, etc., etc. » Il y aurait une chose de plus à l'ordre du jour, une formalité à remplir et tout sera dit.

Si au contraire vous exigez des assemblées spéciales, alors c'est beaucoup trop, on vient de le démontrer, tout négoce est rendu presque impossible.

Edictez des dispositions spéciales pour indiquer les opérations que l'on ne pourra pas faire, j'y consens ; mais, dans les termes où il est formulé, l'article est inutile ou nuisible et je crois qu'il vaut mieux le supprimer complètement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable membre. ce serait une réaction même contre la loi française de 1867. Cette loi défend toute espèce de marché et d'entreprise entre la société et les administrateurs.

Voici, messieurs, ce qui se passe en d'autres matières :

Le tuteur ne peut pas faire d'opérations avec son pupille ; un membre du collège échevinal ne peut pas faire d'opérations en ce qui concerne l'administration de la ville, et vous voulez qu'un administrateur puisse faire des opérations sans l'autorisation de l’assemblée générale ! (Interruption.)

L'honorable membre me dit que ce sera inefficace ; mais vous êtes dans l'erreur ; quand on saura qu'il faut l'autorisation, on se gardera bien de faire des opérations sans être certain que les prix auxquels on les fait sont bien ceux du marché, car il est évident que si, vérification faite, la société s'aperçoit qu'on a fait des affaires à des prix avantageux, l'année suivante elle n'accordera plus l'autorisation.

C'est un moyen d'empêcher de faire des affaires contraires aux intérêts de la société, et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait maintenir la disposition dans la loi puisque, comme vous le dites, elle n'a d'autre inconvénient que d'être inutile et qu'elle paraît être une garantie pour les actionnaires.

Je ne m'oppose pas à la suppression de la fin de l'article qui aurait donné lieu en France, d'après ce que vient de dire l'honorable M. Sainctelette, à des interprétations erronées. Cela résulte, dit-il, de l'exposé des motifs de la loi de 1867, mais cet exposé ne cite pas de jurisprudence. Je dois le déclarer, messieurs, si dans la loi française de 1867 on a dit qu'il fallait une autorisation pour chaque escompte, je ne comprends pas comment on a pu l'appliquer. C'est un mystère pour moi. Je crois donc qu'on peut voter l'article en adoptant la suppression de la fin de l'article.

M. Jacquemynsµ. - Je crois, messieurs, que la suppression du mot « indirect » n'atteindrait pas le bau que se propose l'honorable M. Sainctelette.

Soit donnée une société anonyme pour l'exploitation d'un chemin de fer. Un des administrateurs de cette société a une seule action dans une houillère. L'administration de la société du chemin de fer traite avec cette houillère ; il évident que l'administrateur a un intérêt, très faible, c'est (page 491) possible, mais direct, à ce que la société anonyme traite avec la houillère.

Donc, que vous supprimiez le mot « indirect » ou que vous le laissiez subsister, dans tous les cas, il sera interdit à une administration de conclure un marché quelconque avec une société dans laquelle l'un des administrateurs a une seule action.

M. Saincteletteµ. - J'ai entendu par intérêt indirect l'intérêt qui existe lorsque l'administrateur de la société anonyme n'est, de l'autre côté, qu'administrateur ou actionnaire.

Car, ne perdez pas de vue que l'affaire se fait alors entre deux êtres moraux ; que ce sont ces deux êtres moraux qui sont les parties contractantes ; que c'est, par conséquent, entre eux qu'existe l'opposition d'intérêts.

Les administrateurs ou les actionnaires ne me paraissent avoir qu'un intérêt par relation, parce qu'ils sont membres d'une personne morale et dans la mesure où ils le sont. Je crois donc qu'en supprimant le mot « indirect », on ne ferait tomber sous le coup de l'interdiction que les affaires où l'administrateur serait personnellement et directement partie contractante.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne puis accepter l'interprétation que donne l'honorable M. Sainctelette, attendu que je ne vois pas la différence qu'il y a dans le cas par lui posé. Il est évident que si un administrateur d'une société peut acheter du charbon dans une houillère où il a des actions, il a un intérêt direct. (Interruption.) C’est comme cela, voilà précisément qu'on a voulu proscrire dans la loi française, et voilà aussi quel est le but de la loi qui est soumise à vos délibérations.

M. Jacquemynsµ. - Je propose la suppression complète de l'article 44. Evidemment on évitera les inconvénients des sociétés anonymes en les supprimant complètement, mais il faudra se résigner à ne plus avoir des sociétés anonymes. J'affirme que, par l'article 44, vous allez au delà du but qu'il est permis de se proposer, car tel est l'enchevêtrement des entreprises industrielles dans notre pays que tout sera paralysé.

Ainsi, je suppose une entreprise de chemin de fer. Il y a donc des administrateurs. L'un des administrateurs a des actions dans une banque. Cette banque a elle-même quelques intérêts dans certaines houillères.

Eh bien, cet administrateur, parce qu'il aurait des actions dans la banque, ne pourra pas traiter avec les houillères dans lesquelles la banque a un intérêt quelconque, soit qu'elle ait des actions ou qu'elle les patronne.

Il a en effet intérêt comme actionnaire à faire valoir les intérêts de cette banque ; si la houillère dans laquelle la banque est intéressée prospère, le taux des actions de la banque s'en ressentira ; donc l'administrateur du chemin de fer est, à raison d'une action de la banque, directement intéressé à la prospérité de diverses houillères. Adopter l'article 44, c'est en quelque sorte décider que l'administrateur d’une société quelconque ne possédera aucune action d’une autre société et il sera même prudent pour lui de n’avoir aucune autre propriété quelconque.

Je propose la proposition complète de l’article en discussion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me bornerai à faire observer que l'article dont l'honorable M. Jacquemyns demande la suppression a été proposé par le gouvernement et que la commission ra accepté sans difficulté. Si vous le supprimiez, vous laisseriez subsister tous les abus à la répression desquels les dispositions de la loi française sont venues pourvoir, dispositions qui ont été maintenues en partie dans la loi de 1867. La Chambre décidera. La question est très grave. Il s'agit de savoir si les administrateurs pourront traiter entre eux comme ils voudront.

M. Dupontµ. - Il y a évidemment dans la Chambre deux courants. Une partie des membres désirent la suppression complète de l'article 44 et l'opinion sur laquelle ils se fondent, c'est qu'il y a entre certaines sociétés anonymes un tel enchevêtrement qu'il serait impossible de trouver des administrateurs, si l'on devait observer les dispositions de l'article.

Cependant je crois que les observations présentées par l’honorable ministre de la justice ont frappé plusieurs membres de la Chambre. C'est ainsi que M. le ministre de la justice vous a représenté des membres d'un conseil d’administration traitant avec leur société dans un intérêt personnel, faisant des contrats dans une position tout à fait privilégiée et sans aucune espèce de contrôle. C’est une situation qui, à coup sûr, présente aussi des inconvénients auxquels il faut remédier. Car vous ne trouveriez pas dans les dispositions du projet de loi et peut-être ne trouveriez-vous pas dans les statuts une clause qui arme les actionnaires contre un semblable état de choses.

Je crois qu'on pourrait, si l’on persiste dans la pensée de faire disparaître l'article 44, de le remplacer par une disposition conçue dans termes que voici ;

« Il leur est interdit de conclure soit directement soit indirectement des marchés ou des contrats quelconques avec la société, à moins d'en donner connaissance à la plus prochaine assemblée générale. »

Il me paraît que dans ces termes il y aurait tout au moins un certain frein moral. En supposant l'hypothèse qui a été prévue par M. le ministre de la justice, celle d'un contrat qui se ferait dans l'ombre, à la sourdine entre un des administrateurs et la société, ce contrat devrait nécessairement venir à la connaissance de tous les membres de l’assemblée générale.

Il faudrait qu'on s'expliquât sur ce point.

Je crois que cette disposition empêcherait la conclusion de contrats défavorables à la société. Il me paraît que, dans ces termes, personne ne peut s'opposer à ce que cette disposition soit insérée dans la loi.

Les inconvénients que l'on signalait ne se présenteront pas : vous n'aurez plus cette difficulté de trouver des administrateurs ; et il dépendra de ceux-ci de ne pas faire des contrats avec la société. S’ils veulent en faire, ils devront en donner connaissance à l'assemblée générale et nous resterons fidèles à ce principe qui est la base fondamentale du projet : la publicité complète, la connaissance donnée aux membres de la société de tout ce qui se passe.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quelques objections me viennent contre l'amendement. D'abord quand donnera-t-on connaissance à l’assemblée générale d'un pareil contrat ? Est-ce après son exécution complète ?

M. Dupontµ. - A la prochaine assemblée générale.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La question est de savoir si c'est après l'exécution complète du contrat. Si c'est après l'exécution complète, cela ne signifie plus rien.

M. de Brouckere. - Ce sera à la première assemblée générale qui suivra le contrat.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le contrat pourra ne pas avoir été complètement exécuté alors. Ainsi je suppose un marché de rails. Les rails n'auront pas été complètement livrés ; mais le contrat aura reçu en partie son exécution. On trouve le marché désastreux pour la société.

M. de Brouckere. - Qu’y aura-t-il à faire

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'y aura plus rien faire, c'est évident.

L'honorable M. Braconier, qui paraît approuver cette proposition, disait, il y a quelques jours : Il ne faut pas mettre les contrats entre les mains des actionnaires ; il ne faut pas livrer les secrets de la société aux actionnaires et l'honorable M. Sainctelette a présenté un amendement pour que les contrats ne soient pas mis à la disposition des actionnaires.

Voilà maintenant que l'on veut que les contrats faits avec les administrateurs soient révélés.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à cinq heures.