(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)
(Présidence de M. Van Humbeeck, vice-présidentµ.)
(page 225) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Rossiusµ donne lecture du procès-verbal de, la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Plusieurs bourgmestres, dans l'arrondissement de Tongres, demandent que la concession d'un chemin de fer direct de Hal à Maestricht soit accordée à la compagnie Rosart. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur J. Jacobs demande que le gouvernement soit invité a rapporter l'arrêté royal qui a nommé aux fonctions de bourgmestre un dignitaire d'une loge maçonnique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. de Borchgrave, retenu par des affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
« M. de Montblanc, retenu par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
« M. de Baillet-Latour, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. de Brouckere. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet de loi ayant pour objet d'autoriser le gouvernement à faire la cession des terrains de la citadelle du Sud a Anvers.
MpVanHumbeeckµ. - Ce rapport sera imprimé et distribué.
Je propose à la Chambre de mettre cet objet a l'ordre du jour a la suite du projet de loi relatif à la cession des entrepôts d'Anvers.
- Adopté.
M. Lelièvreµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de loi apportant des modifications aux limites séparatives des provinces de Brabant et de Flandre orientale, ainsi qu'à différentes communes par suite des travaux de canalisation de la Dendre.
- Ce projet sera mis à la suite de l'ordre du jour.
MpVanHumbeeckµ. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il aux amendements qui sont proposés ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai proposé des amendements, mais il y a des amendements de la section centrale que j'admets.
MpVanHumbeeckµ. - La discussion générale doit donc être ouverte sur votre projet amendé.
La discussion est ouverte.
M. Reynaertµ. - J'ai pris la parole, messieurs, dans la discussion générale parce que les observations et les amendements que j'aurai l'honneur de présenter se rapportent à toute l'économie de la loi.
Messieurs, que la distinction entre l'acte commercial et l'acte civil soit d'une importance capitale, c'est une chose incontestable.
Une juridiction exceptionnelle, une procédure spéciale, plus expéditive et moins onéreuse, la tenue obligatoire des livres, la publication du contrat de mariage, le déshonneur de la faillite et, le cas échéant, la banqueroute, les sévérités de la contrainte par corps : telles sont, en résumé, les avantages et les désavantages qui se rattachent à cette distinction et qui sont exclusivement propres à l'acte commercial.
L'importance de cette question primordiale n'avait pas échappé au législateur de 1807.
La cour d'appel d'Aix, dans ses observations sur le projet du code de commerce, disait :
« Le fait de commerce fait perdre au mineur le privilège de son âge, à la femme les prérogatives de son sexe, à tous les citoyens le droit d'être jugés par les tribunaux ordinaires ; il les soumet à la juridiction des tribunaux de commerce, à la contrainte par corps et à la contrainte dégagée des lenteurs et des formes protectrices de la liberté : il est nécessaire de bien prévoir ce qu'on entend par ce mot qui doit prendre de pareils effets. Il ne doit rien y avoir de vague dans son sens, afin qu’il n’y ait ni surprise ni arbitraire dans son application.
Mais où trouver le moyen d'éviter l'erreur et comment, dans la multiplicité des faits qui peuvent servir d'objet aux transactions privées, distinguer à coup sûr ce qui est civil de ce qui est commercial ? La démarcation est-elle si nettement posée, si profonde que des contrats dont le but est le même ne puissent en aucun cas revêtir les mêmes apparences et que le caractère légal des stipulations soit constamment reconnaissable ?
A ce propos, messieurs, plusieurs questions sont soulevées.
Est-il nécessaire de définir l'acte de commerce, de le renfermer dans le cercle étroit et rigoureux d'une formule comprenant les éléments essentiels et constitutifs de l'acte ?
Ou bien faut-il suivre les errements du code de 1808 et s'en tenir à une nomenclature plus ou moins exacte, plus ou moins étendue, sauf à la compléter chaque fois que, dans la suite des temps, la nécessité s'en fera sentir ?
Et si l'on suit ce dernier procédé, si l'on adopte le système des articles 632 et 633 du code de commerce, la nomenclature légale doit-elle être limitative ou démonstrative ?
Je me propose, messieurs, d'examiner chacune de ces questions et de vous soumettre la solution que je voudrais voir prévaloir.
Quant au premier point, le point de savoir s'il est possible, utile ou nécessaire de poser dans la loi le type de la commercialité, en définissant d'une manière rigoureusement exacte ce qu'il faut entendre par l'acte de commerce, je partage, sous tous les rapports, l'opinion de la commission.
Tout en rendant hommage à la haute utilité, à l'importance majeure d'une pareille définition, je suis d'avis que rien n'est plus difficile à réaliser, que rien ne serait plus illusoire que l'espoir d'arriver jamais à condenser dans une formule brève et absolue les notes caractéristiques de l'acte de commerce.
La commission a reculé devant cette difficulté et, à mon sens, elle a eu raison. Pour se faire une conviction à cet égard, il suffit d'interroger un instant les controverses des auteurs et les fluctuations de la jurisprudence ; on est obligé de constater, au milieu des divergences les plus extrêmes, l'impuissance la plus radicale.
Voici, messieurs, comment s'exprime, à cet égard, M. Dalloz. Après avoir passé en revue la législation de la plupart des Etats modernes de l'Europe, (page 226) de l'Italie, du Wurtemberg, de la Hongrie, de la Russie, de la Prusse, ce savant jurisconsulte ajoute :
« Le coup d'œil rapide que je viens de jeter sur la législation étrangère fait de plus en plus ressortir la difficulté extrême, pour ne pas dire l'impossibilité d'offrir une définition rigoureuse et complète des actes de commerce ; car tous ou presque tous l'ont essayé, sans pouvoir parvenir à autre chose qu'a une nomenclature plus ou moins étendue de certains faits qui offrent évidemment le caractère commercial. L'énumération que renferme les articles 632 et 633 de notre code est plus satisfaisante et celle qui approche le plus du but sans néanmoins l'atteindre. »
La définition étant écartée, on en arrive nécessairement à adopter le procédé du code de commerce de 1808.
Ne pas rechercher la nature intime et abstraite de l'acte de commerce ; garder, sur cette question aussi délicate qu'épineuse, un silence prudent ; abandonner la difficile tâche de discerner la limite entre l'acte de commerce et l'acte civil, aux travaux de la science et aux lumières de la jurisprudence ; se borner, par conséquent, à saisir la vie commerciale dans ses manifestations les plus générales et les plus importantes ; en reconnaître en quelque sorte les grands courants, les directions usuelles, permanentes et pour ainsi dire nécessaires ; en un mot, faire ce que le législateur de 1808 a si sagement fait : déclarer dans une nomenclature aussi exacte que possible que tels actes, aux yeux de la loi, sont des actes commerciaux.
Sans doute la mobilité de la vie commerciale est grande ; sans doute ses directions générales ne sont pas toujours nettement dessinées, ni ses limites rigoureusement déterminées. C'est un vaste champ qui s'élargit, s'agrandit chaque jour grâce aux inventions nouvelles, grâce aux procédés nouveaux, grâce au développement incessant de toutes les puissances de l'homme et de la nature, et, sous ce rapport, je le confesse avec l'honorable rapporteur de la commission, l'on est exposé à ne jamais avoir une nomenclature qui réponde fidèlement à la réalité des choses. C'est un travail en quelque sorte toujours achevé et néanmoins toujours à reprendre.
L'expérience la plus incontestable a démontré cette vérité.
L'énumération de 1808 est devenue totalement incomplète et nous avons pour mission en ce moment d'en combler les lacunes ; eh bien, dans un avenir plus ou moins éloigné, nous en avons la certitude, pareilles lacunes se manifesteront encore.
Mais malgré ce défaut, je vois dans la nomenclature commerciale des avantages tellement supérieurs que nous devrions la préférer alors même qu'il nous serait facile d'insérer dans la loi une définition absolue.
J'y vois, pour ma part, un double avantage :
D'abord, celui d'offrir au public, au commerçant, une règle positivé et facilement saisissable ; de l'éclairer, sans trop d'effort de sa part, sur la nature des actes qu'il pose, sur leurs conséquences juridiques, sur le traitement que les conventions auront à subir en cas de conflit, sur le tribunal dont il sera justiciable, sur la procédure et sur les effets qu'entraîneront ses procès gagnés ou perdus. En un mot, le public peut se convaincre avec aisance, sinon avec certitude, dans la généralité des cas, si l'acte posé est commercial ou civil et les transactions ne peuvent qu'y gagner en confiance et en sécurité.
A cette occasion, je rappellerai à la Chambre ce judicieux conseil de Montesquieu : « Les lois ne doivent pas être subtiles ; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement ; elles ne sont pas un art de logique, mis la raison simple d'un bon père de famille. »
Un second avantage, c'est que la nomenclature sert de point de ralliement entre les diverses juridictions qui sont appelées à l'appliquer. La jurisprudence sera naturellement moins divisée, moins divergente, moins exposée aux contradictions, quand elle aura à s'exercer sur un certain nombre de règles tracées avec clarté et avec précision, que. si elle avait à interpréter une formule générale et absolue, à cause de cela même vague et abstraite, ayant la prétention de renfermer dans sa brièveté toutes les hypothèses et tous les cas possibles.
La nomenclature révélera la pensée du législateur par les exemples qu'elle renferme. Elle donnera au juge une connaissance plus adéquate et plus facile de la volonté qui a présidé à la rédaction de la loi et par conséquent plus de lumière, plus d'assurance, plus de certitude dans ses décisions.
La justice y gagnera donc en dignité et en prestige.
La nomenclature exigera aussi moins d'études préliminaires, moins de pénétration juridique, et si l'on y songe bien, c'est là un mérite inappréciable en présence de. la composition actuelle des tribunaux de commerce dont le personnel est constitué d'hommes en général peu familiarisés avec l'étude du droit.
Ainsi un grand nombre de raisons concourent pour écarter irrévocablement la définition et pour y substituer une nomenclature des actes de commerce.
Je sais bien que cette nomenclature, et je l'ai déjà dit, sera nécessairement un travail imparfait et incomplet, et qu'il faudra y remettre la main périodiquement ; mais que l'on veuille bien songer que ce travail périodique, imposé au législateur, n'offrira jamais de bien grandes difficultés.
Quand cette nécessité se produira, elle sera toujours l'œuvre du temps ; elle ne se manifestera pas du jour au lendemain ; il faudra qu'un grand nombre de faits nouveaux se soient produits, qu'un grand nombre de relations nouvelles aient été créées et que la réalité de ces faits et de ces relations ait été préalablement reconnue par les décisions plus ou moins constantes des tribunaux.
Alors seulement il sera vrai de dire que le remaniement de la nomenclature existante, désormais jugée insuffisante, est devenue nécessaire, et alors aussi le législateur pourra asseoir son œuvre sur des données certaines, positives, consacrées par l'autorité du temps et de la justice.
C'est précisément dans ces conditions de certitude et de stabilité, qu'après une existence de soixante années du code de commerce, la commission, d'accord avec le gouvernement, propose aujourd'hui de ranger au nombre des actes commerciaux la revente ou location en nature ou mise en œuvre des marchandises achetées pour être revendues ou louées, l'entreprise d'usines, de travaux publics ou privés, d'assurances terrestres et les billets à ordre.
Il me reste, messieurs, à m'expliquer sur un troisième point.
La nomenclature doit-elle avoir un caractère limitatif ou démonstratif ?
C'est une question qui de tout temps a fait grand bruit dans les écoles de droit et devant les tribunaux ; elle se présente devant nous pour recevoir une solution, avec une importance qui n'échappera à personne.
La commission s'est prononcée, avec une certaine timidité, il est vrai, pour le caractère limitatif de l'énumération.
Le gouvernement n'a pas émis d'une manière expresse son avis à cet égard ; mais le changement de rédaction qu'il propose à l'article premier me semble renfermer et consacrer par un texte positif la même opinion.
Comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, messieurs, la question est vivement agitée, sous le code actuel, par la doctrine et par la jurisprudence. De nombreuses et imposantes autorités se rencontrent de part et d'autre.
Le système limitatif est professé par MM. Delamarre et Lepoitevin, Orillard, Alauzet, Carré, Troplong, Malepeyre et Jourdain, Merlin et Delangle.
Le système énonciatif compte parmi ses nombreux partisans : Pardessus, Dalloz, Massé, Nouguier et un professeur distingué de l'université de Liège, M. Namur.
Il est un point, je pense, sur lequel tout le monde sera d'accord ; c'est qu'il est intéressant au plus haut degré de trancher une bonne fois cette importante question.
Nous n'avons plus à nous occuper des controverses du passé, ni à prendre parti doctrinalement pour l'un ou l'autre système ; nous avons à disposer pour l'avenir, nous devons dire comment nous voulons que cette matière, si féconde en conséquences juridiques, soit entendue dans la suite.
Je suis d'avis, quant à moi, que les indications de la loi ne peuvent avoir d'autre valeur qu'une valeur énonciative, exemplative. Il se présente une seule alternative rationnelle, logique et juste : Ou bien, il faut définir l'acte de commerce et abandonner cette définition, avec ses défectuosités inévitables, aux disputes de la doctrine et de la jurisprudence ;
Ou bien, il faut indiquer, décrire dans une nomenclature légale les principaux actes de commerce, mais cette nomenclature doit être essentiellement démonstrative.
A coté des désignations de la loi, il faut qu'il y ait un champ ouvert aux opérations du public et aux interprétations des tribunaux.
La raison en est simple.
Ce n'est pas la loi qui établit entre les personnes les rapports juridiques ; sa puissance naturelle n'atteint pas jusque-là. Elle peut définir ces rapports, en déterminer les caractères, en régler dans une certaine mesure la portée, Mais elle ne peut ni supprimer ces rapports là où ils existent, ni en créer là où il n'en existe pas, ni changer leur nature.
En d'autres termes, dans la nature des choses et antérieurement à la loi, il existe un ordre commercial et un ordre civil. L'acte civil et l'acte commercial sont tels par la force des choses, et de même que les (page 227) conventions de l'homme ne peuvent pas faire qu'un acte commercial devienne un acte civil ni réciproquement, de même les dénominations et les nomenclatures légales sont impuissantes à imprimer à un acte un caractère autre que celui qui lui est intégralement et intrinsèquement propre.
Or, nous l'avons vu, et tout le monde est d'accord sur ce point, les nomenclatures, avec quelque soin qu'elles soient faites, seront nécessairement incomplètes et insuffisantes. A côté des faits commerciaux prévus par le législateur, il en est d'autres, et en grand nombre, que l'immense variété des relations humaines crée chaque jour.
Eh bien, donner aux prévisions, aux indications de la loi une valeur limitative, c'est exagérer la puissance de la loi, c'est mettre ses prescriptions en contradiction flagrante avec les faits, avec la nature des choses.
Rien plus, c'est faire brèche à l'égalité et par conséquent à la justice ; c'est avoir deux poids et deux mesures pour des faits de même nature ; c'est exclure les uns des bénéfices, des immunités de la loi commerciale, c'est arracher les autres aux sévérités de cette même loi ; c'est en quelque sorte punir les premiers au profit des seconds, à cause de l'impuissance du législateur à insérer dans la loi une définition précise et catégorique.
Il en résulte que c'est enrayer autant qu'on peut le faire, que c'est entraver la création et le développement de nouveaux faits commerciaux, que c'est mettre une barrière à l'expansion indéfinie des actes de la vie commerciale ; car une chose est certainement incontestable, c'est qu'il importe à l'intérêt général que le plus grand nombre possible de faits commerciaux soient régis par la loi commerciale, et que si tous les actes commerciaux, dans leur universalité la plus complète, pouvaient être renfermés dans une définition absolument exacte, ce serait véritablement, à ce point de vue, la réalisation d'un idéal législatif.
Ce que la loi ne peut faire, il faut évidemment le laisser dans le domaine de la pratique. Cet idéal irréalisable dans le texte de la loi, à cause de l'infinie mobilité des faits, il faut le laisser se développer et se réaliser graduellement, dans les actes de la vie commerciale, dans la doctrine des auteurs, dans les arrêts de la jurisprudence.
La loi ne doit pas assigner de limite arbitraire ; qu'il lui suffise, à l'aide de ses exemples, d'éclairer la pratique et d'y faire pénétrer la connaissance intime de l'acte de commerce.
Du reste, messieurs, qu'on veuille bien y réfléchir, assigner à la nomenclature des actes de commerce une portée limitative, c'est, d'après moi, prendre un soin inutile.
Que l'exemple du passé nous serve de leçon pour l'avenir.
D'après un grand nombre d'autorités considérables, les indications de la loi devraient être entendues stricto sensu. Et voyez cependant combien de faits nouveaux ont été introduits clandestinement dans la loi, combien la loi a été élargie et accommodée aux faits.
Sous ce rapport, il est réellement curieux et instructif de constater combien, pendant cet intervalle de soixante années qui nous séparent de la confection du code de commerce, le progrès des faits a poussé le progrès des idées.
Il en sera de même dans la suite.
Les bornes que vous aurez posées arbitrairement au mouvement commercial ne commanderont pas plus le respect que dans le passé ; le texte restreint de la loi sera élargi par les besoins des temps et des mœurs.
La législation commerciale offre des avantages précieux : des magistrats choisis par l'opinion publique, des formes accélérées et peu coûteuses, des garanties sérieuses, la contrainte par corps, la faillite. En voilà bien assez pour provoquer le renouvellement de cette interprétation large et envahissante des juridictions consulaires.
Sans doute, la loi doit être observée, et c'est le devoir des magistrats de veiller à son exécution ; mais lorsqu'elle ne touche qu'à des intérêts privés, la saine intelligence de ces intérêts, surtout en matière commerciale, peut la faire fléchir dans certains cas : Provisio hominis«facil cessare provisionem legis.
Cet ordre d'idées, messieurs, m'amène à un argument qui demande quelques développements.
En donnant à la nomenclature de la loi un caractère simplement démonstratif, nous conserverons le système qui existe aujourd'hui généralement en pratique ; tous les jours, les procédés de l'analogie et de l'induction sont invoqués avec avantage devant les tribunaux de commerce ; on peut dire que sous ce rapport il existe une jurisprudence permanente et universelle.
En ce qui concerne les juridictions supérieures, il suffit de jeter un regard attentif sur cette longue série d'arrêts qui remplissent les annales de la Pasicrisie pour se convaincre que, dans le plus grand nombre de cas, ce qui a dirigé les décisions de la justice, c'est cet esprit d'induction et d'analogie qui est inhérent au système que j'ai l'honneur de défendre.
Pour appuyer mon opinion par des exemples, serait-il besoin d'invoquer autre chose que les additions que la commission et le gouvernement nous proposent ? La plupart de ces additions n'ont-elles pas reçu déjà la consécration des tribunaux ?
Passons en revue quelques-uns de ces arrêts :
Le marchand fait acte de commerce quand il revend aussi bien que lorsqu'il achète. Liège, 10 juillet 1847.
Et cependant l'article 632 réputé acte de commerce simplement l'achat pour revendre.
Le mandat par lequel on confie à un individu l'administration d'une maison de commerce doit être regardé comme relatif à des intérêts commerciaux ; les actions qui en dérivent doivent être portées devant les tribunaux de commerce. La Haye, 25 juillet 1824.
Et cependant, je ne sache pas que le mandat soit rangé parmi les actes de commerce.
Est commerciale une société formée par des particuliers à l'effet de se porter adjudicataire d'une route décrétée par le gouvernement, pour laquelle un subside est concédé outre le droit de percevoir un péage pendant un temps limité. Bruxelles, 17 avril 1841.
Est réputé commerçant celui qui fait sa profession habituelle d'acheter des terrains pour y bâtir des maisons et les revendre après s'être procuré à prix d'argent les matériaux nécessaires pour ces constructions. Bruxelles, 1er juin 1857. Liège, 28 février 1852.
Et cependant sous le code actuel ni les travaux privés, ni les travaux publics ne figurent parmi les actes commerciaux.
Les sociétés anonymes d'assurance terrestre dont le but est de faire des bénéfices, ont le caractère d'établissements commerciaux. Liège, 11 mai 1861.
Les sociétés d'assurance contre l'incendie sont justiciables des tribunaux de commerce. Liège, 7 avril 1855. Cour de cassation de France, 8 avril 1828.
Et, cependant, on nous propose seulement aujourd'hui de déclarer que les assurances terrestres sont des faits de commerce.
Je pourrais, messieurs, allonger cette liste ; mais à quoi bon ? Il est suffisamment reconnu que la jurisprudence a toujours incliné vers une interprétation large.
Eh bien, conservons ce qui existe en fait et sanctionnons, par une volonté nettement exprimée, la constante pratique de la justice.
J'arrive, messieurs, à un dernier argument, qui se lie étroitement à celui que je viens de développer ; c'est qu'en laissant, à côté des actes déclarés ou réputés commerciaux par la loi, une marge à l'interprétation de la doctrine et de la jurisprudence, les données, les éléments qui proviendront de ce double travail serviront un jour de base, exactement comme aujourd'hui, à l'œuvre du législateur, quand celui-ci croira le moment venu de compléter le cadre de sa nomenclature par des additions nouvelles.
Dans ce système, le législateur aura à déterminer les actes qui, usuellement, se produisent avec le caractère de commercialité. Ces déterminations légales, j'ai eu l'honneur de le démontrer, réaliseront un double avantage : celui d'éclairer le public sur les conséquences de ses actes et celui de diriger la conscience du juge consulaire. Mais le commerce et la justice auront pour se mouvoir un terrain plus vaste que celui qui est circonscrit par les déterminations de la loi.
Cette œuvre collective, quand elle aura acquis un degré suffisant de stabilité et de constance, d'une part par la pratique du commerce, d'autre part par les décisions des tribunaux, servira de guide et de boussole au travail du législateur.
De nouveaux besoins se seront fait jour ; ces besoins auront été constatés avec certitude ; la loi n'aura plus qu'à les proclamer, qu'à les consacrer par ses prescriptions.
Je sais bien qu'on dit que la juridiction civile est la juridiction universelle, et que les lois commerciales ont le droit civil pour base et ne soin que des exceptions exigées par l'intérêt du commerce, tellement que là où ces exceptions s'arrêtent, le droit civil reprend son empire.
L'argument, qui est sérieux quand il s'agit d'interpréter la loi existante n'a plus aucune valeur quand il s'agit d'imprimer à une loi nouvelle le sens que le législateur veut lui donner.
Il est évident que, sans heurter en quoi que ce soit les principes généraux, nous pouvons disposer que l'exception des lois commerciales s'appliquera à tous les faits commerciaux, qu'ils soient ou non prévus par la loi.
Cela me semble même et plus logique et plus rationnel.
Il est une autre objection que j'entends faire. En dehors des déclarations légales, me dira-t-on, vous allez abandonner cette matière si délicate, (page 228) qui met en jeu chaque jour la fortune et la liberté des citoyens, à l'inconstante et capricieuse mobilité de l'induction et de l'analogie.
Je pourrais me borner à répondre qu'il existe dans le code civil un mode de preuve qui repose tout entier sur des éléments et qui s'appelle la présomption.
Mais ces craintes sont, d'après moi, chimériques.
L'induction, l'analogie, les présomptions, les probabilités auxquelles l'interprétation aura besoin de recourir, auront une base certaine et solide, elles se dirigeront d'un pas sûr à la lumière des exemples de la loi et des principes généraux ; elles s'inspireront de l'esprit de la loi.
Il faudra pour que l'interprétation extensive ait sa raison d'être, en premier lieu, comme le dit Nouguier, que la volonté des contractante concorde avec la loi qui accorde ou refuse le caractère de commercialité. Il faudra que les conditions que trace la loi se retrouvent exactement ou qu'il existe des points de contact tellement identiques que l'on ne puisse craindre de sortir de son esprit.
En second lieu, le fait principal auquel on reconnaîtra un acte de commerce, c'est l'intention de celui qui le produit. S'il a spéculé, s'il s'est livré aux hasards d'un bénéfice, s'il a acquis à bon marché pour revendre plus cher, s'il a vendu pour acheter à un meilleur prix, si, en un mot, il a eu pour but de se procurer par la spéculation un bénéfice, il est entré dans une voie exceptionnelle et ses engagements se sont colorés d'une teinte commerciale.
Je me résume en peu de mots : Le commerce n'existe qu'à la condition que ses contestations soient jugées avec célérité et à peu de frais ; il s'accommode mal des procès longs et dispendieux.
L'intérêt évident du commerce est donc que tous les actes de commerce soient régis par la loi commerciale.
Mais une définition absolument exacte et une nomenclature absolument complète sont deux choses impossibles à réaliser.
Il existe un remède au mal qui résulte de cette double impossibilité ; c'est d'imprimer aux indications de la loi un caractère franchement extensif ; c'est de rendre la nomenclature légale susceptible d'une interprétation large, de manière que dans la pratique tous les actes de commerce indistinctement soient virtuellement soumis à la juridiction consulaire.
Le juge recherchera la nature de l'acte dans ses éléments constitutifs ; il scrutera l'intention des parties, la volonté des contractants pour discerner si l'acte est commercial ou civil. C'est l'intention, en effet, c'est la manière d'être de la volonté qui est le fond, qui est l'essence du contrat. Il se préoccupera sans doute de la nomenclature légale, mais à titre de présomption seulement, à titre d'exemple ; dans l'étude de ces exemples et de ces présomptions, il cherchera à pénétrer l'esprit de la loi et de cette étude aussi jaillira la lumière des principes généraux.
Eu conséquence, messieurs, tenons-nous-en à ce qui existe actuellement, complétons la nomenclature devenue insuffisante, mais que cette nomenclature, pas plus que l'ancienne, ne soit une borne infranchissable ; donnons-lui, d'une manière certaine et incontestable pour l'avenir, un caractère démonstratif.
En finissant, messieurs, j'aurai l'honneur de vous proposer l'amendement suivant : « Supprimer les modifications proposées par le gouvernement à l'article premier et en revenir à l'ancien texte. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cet amendement serait insuffisant.
M. Reynaertµ. - M. le ministre de la justice me dit que mon amendement serait insuffisant. Je crois qu'il a raison et voilà pourquoi je proposerai, par un second amendement, d'ajouter au texte du paragraphe premier de l'article 2 ces mots : « entre autres. »
Le paragraphe serait ainsi conçu :
« La loi réputé actes de commerce, entre autres, etc. »
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Reynaert convient que la commission a bien fait de reculer devant la difficulté qu'aurait présentée une définition générale. Je crois en effet que pareille définition était impossible et l'insuccès des législations étrangères qui ont tenté cette tâche justifie cette conviction.
Partant de l'impossibilité d'arriver à cette définition exacte et de l'impossibilité, d'autre part, d'avoir une énonciation complète de tous les actes de commerce dans la loi, l'honorable M. Reynaert nous dit que pareille énonciation doit avoir nécessairement un caractère démonstratif.
Il en donne pour preuve que les modifications que nous cherchons aujourd'hui à introduire dans la loi ont déjà été consacrées en grande partie par la jurisprudence ; il invoque l'aveu de la commission, que l'énumération que nous entreprenons sera nécessairement incomplète dans un temps donné, comme l'est actuellement celle du code de commerce de 1808.
L'honorable membre, je le reconnais, arrive à la conséquence logique des prémisses qu'il a posées. Il veut revenir à l'ancien texte, en précisant dans la loi même qu'il est énonciatif.
Il est certain que si la jurisprudence a le pouvoir de compléter l'énumération des actes de commerce, il est parfaitement inutile que le législateur cherche à améliorer son œuvre en ce qui concerne ce point.
Dans le discours prononcé par l'honorable M. Reynaert, la question a été examinée par lui avec beaucoup de soin et sous beaucoup de faces ; mais il y a un argument qu'il a laissé de côté, c'est justement celui que la commission a invoqué et que je veux simplement reproduire ici.
Quelle sera l'importance de la qualification commerciale donnée à un acte par la loi ?
Je laisse de côté la question de preuve testimoniale et d'autres conséquences auxquelles l'honorable membre s'est arrêté pour ne m'attacher qu'à une seule ; l'influence de cette détermination sur la compétence, et, notons-le bien, sur une compétence exceptionnelle.
Je me demande s'il est possible d'admettre que la compétence exceptionnelle soit déterminée autrement que par la loi. D'après l'honorable membre cependant, elle serait déterminée par la jurisprudence ; elle serait variable ; elle aurait tous les jours des limites diverses.
Il me paraît évident que c'est là une conséquence inadmissible. Il est certain, d'un autre côté, qu'il y a des inconvénients à devoir insérer dans la loi une énonciation qui sera presque toujours incomplète et destinée à le devenir de plus en plus.
Mais la commission, me semble-t-il, a tenu compte de ces inconvénients dans la mesure du possible.
Nous voulons que l’émunération soit limitative, mais nous ne voulons pas entendre ce mot dans un sens trop absolu.
Nous voulons proscrire toute extension des termes par analogie ou par induction.
Mais nous permettons d'interpréter les termes aussi largement que possible ; rien ne l'empêche ; c'est même désirable ; mais que l'on reste dans les termes. Sinon on consacre à la fois une hérésie juridique et une abdication législative, en laissant à la jurisprudence la détermination d'une compétence exceptionnelle.
M. Delcourµ. - Messieurs, je n'interviendrai dans la discussion générale que pour faire une seule remarque.
Il est absolument nécessaire que l'on s'explique sur le caractère de la disposition qui déterminera les actes de commerce. Cette disposition est-elle énonciative ou limitative ?
Il est d'autant plus important que la Chambre s'explique, que, dans les divers documents que nous avons sous les yeux, je rencontre une opinion contradictoire.
Ainsi la commission chargée de préparer l’avant-projet de loi décide en termes formels que l’énonciation faite par la loi est démonstrative ; voici comment elle s'est exprimée :
« Passant à la dernière question relative aux actes de commerce, la commission décide, à l'unanimité des membres présents, que la nomenclature de ces actes ne peut être envisagée comme limitative, et qu'elle n'est que démonstrative. Etant admis qu'une définition des actes de commerce n'est pas possible et qu'on doit se borner à une simple énumération, il faut également reconnaître que cette énumération ne peut jamais être tellement complète que de nouveaux actes ne puissent plus surgir en dehors de ceux qui y sont indiqués ; le travail même auquel la commission vient de se livrer à ce sujet prouve que l'énumération qui avait été faite il y a cinquante ans, était devenue incomplète et insuffisante aujourd'hui ; la même chose peut se reproduire et se reproduira sans doute dans un avenir plus ou moins éloigné ; il est donc impossible, vu l'extrême mobilité des actes de commerce, d'attribuer à leur énumération un caractère restrictif. »
Ces quelques mots que vous venez d'entendre sont le résumé du discours de mon honorable ami, M. Reynaert, discours si nourri de faits et si parfaitement conçu.
Permettez-moi, messieurs, de vous donner lecture du rapport de la commission de la Chambre ; le rapport développe une doctrine toute différente.
« Néanmoins, il ne faut pas oublier que l'importance de l’énumération résidera surtout dans ses effets sur la détermination de la compétence. Comme il n'est pas possible d'abandonner celle-ci aux hasards des inductions et des analogies, il faudra reconnaître à l’énumération un caractère limitatif. Toutefois, ne donnons pas à ce mot une signification trop absolue : s'il est interdit au juge de s'écarter des termes de cette (page 229) nomenclature, il lui est permis de donner à chacun d'eux une interprétation large et étendue. »
Nous voila, donc en présence de deux déclarations : celle de la commission qui a rédigé le projet de loi et celle de la section centrale. Il faut, messieurs, qu'il intervienne une décision formelle de la Chambre.
Je demande au gouvernement de s'expliquer et que la Chambre adopte une décision formelle. Si nous laissons un doute dans la loi, on s'en emparera, de nouvelles difficultés surgiront et les tribunaux de commerce n'auront plus de régie fixe.
M. le président. - Il y a un amendement, M. Delcour.
M. Delcourµ. - Je le sais, M. le président, mais je désire que le gouvernement s'explique.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, la question soulevée par l'honorable M. Reynaert est très importante, et voici comment elle se pose devant la Chambre.
Sous le régime du code de commerce, une grande discussion s'est élevée sur le point de savoir si l'article 632 du code de commerce énumérant les actes de commerce était démonstratif ou limitatif, c'est-à-dire si l'on pouvait considérer comme actes de commerce d'autres actes que ceux indiqués par l'article 632.
L'honorable M. Reynaert a dit tout à l'heure que la jurisprudence était fixée et que l’on pouvait considérer l'article 632 comme purement indicatif. L'honorable M. Reynaert a raison sous un certain rapport. Le grand nombre des autorités judiciaires est évidemment favorable à l'opinion qu'il soutient ; mais il n'en est pas moins vrai qu'il y a un certain nombre de jugements et d'arrêts qui sont contrait es à cette interprétation. Je pourrais citer notamment des arrêts de la cour d'appel de Bruxelles.
Il est évident que la législature se trouve devant une difficulté qu'elle doit résoudre dans un sens ou dans un autre.
La commission qui a été chargée d'élaborer le code de commerce a reproduit purement et simplement les articles 632 et suivants.
Elle n'a pas mis fin au débat ; seulement, elle s'est prononcée, dans son rapport, en faveur de l'opinion admise par la jurisprudence, mais, comme elle ne change pas le texte, ce n'est encore qu'une appréciation de sa part, et la question reste la même devant les tribunaux.
La commission de la Chambre n'a pas non plus proposé de modification au texte de la loi, bien qu'elle ne partage pas l'opinion de la commission d'élaboration, de telle sorte qu'il y a toujours deux opinions contraires sur le sens que l'article pourrait avoir.
Après avoir examiné cette question, le gouvernement a cru devoir se prononcer, et j'en donnerai les motifs, pour le sens limitatif de l'article 632, il croit qu'il ne doit plus y avoir d'autres actes de commerce que ceux indiqués dans l'article 2 du projet que vous avez sous les yeux, et pour qu'il n'y ait pas de doute à cet égard, le gouvernement a modifié l'article premier de la manière suivante :
« Sont commerçants ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi et qui en font leur profession habituelle. »
Cette ajoute faite à l'article premier modifie le sens de l'article 2 et lui donne un caractère limitatif. Par suite de cette addition, il ne peut plus y avoir de doute ; l'article 2 n'est plus simplement démonstratif, il indique quels sont les actes de commerce et il n'y en a plus d'autres que ceux qu'il énumère.
Maintenant se présente la question de savoir si l'opinion de la commission de la Chambre et l'opinion du gouvernement doivent être admises.
Ici, messieurs, je le reconnais, il y a des arguments sérieux qui se présentent pour l'une et l'autre thèse. Comme l'a dit l'honorable M. Reynaert, la vie commerciale est très mobile et susceptible d'extensions nombreuses. Il peut chaque jour se présenter de nouveaux faits qui aient le caractère commercial et auxquels il peut être utile d'accorder les garanties qui sont spécialement affectées aux affaires commerciales.
D'un autre côté, il ne faut pas oublier que la juridiction des tribunaux de commerce est une juridiction exceptionnelle. Les tribunaux civils doivent rester juges de tous les actes de la vie des citoyens à moins qu'il y ait une exception formellement exprimée dans la loi.
Quant aux actes qualifiés de commerciaux je ferai remarquer qu'il n'y a pas de limitation quand il s'agit de commerçants et d'obligations entre commerçants, quelles qu'elles soient ; aux termes de la loi, ce sont des actes de commerce, et elles ne perdront ce caractère que lorsque l'on aura fourni la preuve qu'elles ont une cause étrangère au commerce.
Il ne reste donc plus que les actes posés par les non-commerçants. Eh bien, dans cette hypothèse évidemment, c'est la juridiction civile qui doit l'emporter. Lorsqu'il y a le moindre doute sur le caractère d'un acte qui est le fait d'un particulier non commerçant, il est bien certain que c'est le caractère civil qui doit l'emporter sur le caractère commercial. De plus, il est à remarquer que tous les actes que la jurisprudence a fait rentrer dans l'article 632 du code de commerce ont été ajoutés à l’énumération de l'article 2. L'honorable membre ne pourrait indiquer de lacune dans cet article, et s'il nous en indiquait, nous serions prêts à les combler.
Or, si après soixante ans, et soixante ans où la vie commerciale et industrielle s'est singulièrement agrandie et développée, on peut comprendre, dans une énumération qu'on peut dire complète, tous les actes de la vie commerciale, je crois qu'on peut s'arrêter à cette limitation. Si des faits nouveaux se produisent, on fera comme on a fait pour les chemins de fer ; on a fait, en 1854, une loi spéciale pour dire que les actes de l'Etat en matière de chemins de fer tombent sous la juridiction commerciale. de même on pourra ajouter à la nomenclature les actes commerciaux qui ne seraient pas compris dans l'énumération de l'article 2 et que la pratique fera connaître.
Mais mieux vaut suivre une règle que de laisser les tribunaux sans boussole, que de leur dire : Nous ne pouvons indiquer quel est le véritable caractère des actes de commerce. Car l'honorable M. Reynaert a dû le reconnaître lui-même dès le début de son discours, il vous a dit qu'il était impossible de définir l'acte commercial, et en effet cela est impossible. On a dit : L'acte commercial est tout acte qui a pour but le lucre et la spéculation, mais les actes civils peuvent aussi avoir pour but le lucre et la spéculation. Dans la vie civile, on fait une foule d'opérations qui ont pour but de spéculer.
Dans les sociétés charbonnières, c'est le lucre et la spéculation ; et cependant, ce ne sont pas des actes commerciaux. Un particulier qui vend son immeuble et qui a pour but un profit fait acte de lucre et de spéculation.
Un fermier qui vend son blé, c'est le lucre et la spéculation. Et cependant, on n'appellera pas ces actes des actes commerciaux.
Il est donc radicalement impossible de définir l'acte commercial et il n'y a que les fails qu'on a reconnus rentrer réellement dans le commerce, et qu'on peut énumérer, qui doivent constituer des actes de commerce.
Eh bien, s'il est impossible de donner cette définition, je demande quel est le rôle du législateur qui dit au juge : Je ne puis définir telle chose, je vous laisse le soin de la définir. Vous rencontrerez, comme cela arrive aujourd'hui, les plus grandes anomalies dans la jurisprudence. Les uns disent que les assurances à primes sont des opérations civiles, d'autres disent que ce sont des opérations commerciales. Vous aurez ainsi la plus grande diversité dans la jurisprudence et vous ferez naître une foule de procès préjudiciables au commerce et aux intérêts particuliers.
Je pense donc que c'est avec raison que le gouvernement s'est rallié à l'avis de la commission que l'article 2 doit être limitatif, et que l'on peut avec confiance voter cet article, puisqu'il contient toutes les grandes directions du commerce, tous les actes les plus importants de la vie commerciale.
M. Jacobsµ. - Messieurs, la question qui occupe la Chambre est excessivement grave, non seulement pour les non-commerçants, mais surtout pour les commerçants. Car, quoique, d'après l'article 2, tout acte posé par un commerçant soit réputé acte de commerce, on peut toujours faire la preuve contraire et cette preuve consistera précisément dans le point de savoir s'il se trouve dans l'un des cas de l’énumération de l'article 2, si celle-ci est limitative.
L'honorable M. Van Humbeeck tout à l'heure, reconnaissant qu'une énumération a nécessairement à peu près les mêmes défauts qu'une définition, l'honorable M. Van Humbeeck n'invoque qu'une raison pour préférer attribuer à l'article un caractère limitatif plutôt que démonstratif ; cette raison, reproduite par M. le ministre de la justice, est la suivante :
Il ne peut appartenir aux tribunaux de commerce de fixer leur compétence exceptionnelle ; la loi seule le peut. Mais, messieurs, la loi n'abdique pas dans cette circonstance ; en déclarant que les tribunaux de commerce sont juges de tous les actes de commerce, la loi ne leur laisse pas une latitude absolue en matière de compétence ; la nature des choses les guidera.
La loi les déclare compétents pour juger les actes de commerce, et, à côté de cela, la loi indique une série d'actes qu'elle répute commerciaux par une présomption juris et de jure, d'actes dont on ne peut discuter la commercialité.
Lorsqu'un tribunal de commerce se déclarera compétent, il ne le fera pas en vertu d'un pouvoir discrétionnaire, mais parce qu'il aura constaté en fait qu'il s'agit d'un acte de commerce.
Je disais, messieurs, que la voie dans laquelle nous entrons est excessivement grave, car la jurisprudence est généralement fixée dans ce sens, que l'énumération du code de 1807 a un caractère énonciatif. M. le (page 230) ministre de la justice a invoqué en sens inverse la jurisprudence de la Cour de Bruxelles, et il a prétendu, d'un autre côté, que toutes les extensions admises par la jurisprudence sont intercalées dans la nouvelle énumération.
Il se trompe. Je vais lui citer à l'instant une lacune, qui le convaincra en même temps de son erreur au sujet de la jurisprudence de la Cour de' Bruxelles.
Une des questions qui ont le plus divisé la jurisprudence française est celle de savoir si la souscription d'actions d'une société anonyme ou en commandite est un acte de commerce lorsqu'elle a pour but, non la revente, mais un placement.
La cour de cassation de France y a vu un acte de commerce dans son arrêt du 13 août 1856 sous lequel MM. Devilleneuve et Carrelle rapportent toutes les autorités antérieures dans les deux sens (1856, 1. 769).
La première chambre de la Cour de Bruxelles, dans un arrêt d'avant-hier a décidé la même chose. Or, messieurs, c'est là sortir du cadre restrictif de l'ancien article 632. La question était de savoir si celui qui achète des actions non pour les revendre, mais comme placement, pose un acte de commerce. Or, il est évident qu'il ne rentre pas dans l’énumération comme y rentre celui qui achète pour revendre.
C'est une extension donnée, par la Cour de cassation de France et par la Cour d'appel de Bruxelles, à cette nomenclature.
Je pourrais citer nombre de faits où la jurisprudence française comme la jurisprudence belge l'a complétée.
En présence de cette jurisprudence, favorable au caractère énonciatif de l'énumération, il y a des inconvénients sérieux à se prononcer en sens inverse et à se priver des résultats obtenus par une jurisprudence de soixante années.
Nous n'abdiquerons pas ; nous fixerons les attributions des tribunaux de commerce, juges des actes de commerce ; ils ne pourront que déterminer, d'après la nature des choses, ce qui est acte de commerce, en dehors de ceux que la loi définit.
J'appuie les amendements de M. Reynaert.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable M. Jacobs invoque la jurisprudence pour maintenir le code de commerce tel qu'il existe ou plutôt pour se rallier à l'amendement de M. Reynaert qui représenterait l'opinion la plus généralement adoptée.
L'honorable membre se méprend s'il s'imagine que la jurisprudence a fait œuvre de législateur. La jurisprudence a simplement décidé un point de droit.
Elle a dit que le législateur de 1808 avait entendu ne point limiter les actes de commerce, mais elle n'a pas dit, elle n'a pas pu dire que c'était là le système auquel le législateur devait s'arrêter.
Il y a, messieurs, bien des jugements contradictoires sur le sens des articles 632 et 633. L'honorable membre a lui-même donné une preuve du danger qu'il y avait à ne pas donner un sens limitatif à ces articles.
Ainsi il nous a dit que la cour de cassation de France avait décidé que la souscription d'actions était un acte de commerce.
Je n'ai pas, messieurs, à discuter ici ce point en droit, mais il m'est difficile comme législateur d'admettre cette manière de voir. . Je dis donc que c'est le législateur qui doit limiter l'application des articles 632 et 633. Il doit régler toute la vie commerciale.
Or ceux qui posent habituellement les actes de commerce indiqués à l'article 2 sont commerçants.
Voilà le plus important.
L'habitude est une question de fait que nous ne pouvons définir et qui doit être laissée à l'appréciation des tribunaux.
Maintenant, il s'agit d'actes douteux posés par les non-commerçants.
Je me demande s'il faut que le législateur abdique et vienne dire au juge : Je ne puis définir ; définissez vous-même.
Venir dire ainsi, après soixante ans : Nous ne pouvons définir l'acte de commerce, cela nous paraît impossible.
C'est cependant la règle que l'honorable M. Reynaert veut faire triompher.
On est parvenu aujourd'hui à énumérer l'ensemble des actes de commerce, de telle sorte qu'il serait difficile d'en indiquer d'autres.
Il est bon de remarquer, du reste, que tous ces paragraphes sont susceptibles d'une large interprétation sans sortir du caractère limitatif de l'article, et la jurisprudence interprétera.
Eh bien, quand on est parvenu à une pareille énumération et que l'on n'arrive pas à constater de lacune, je crois que le plus simple est de dire : Voilà des actes auxquels je trouve le caractère commercial et je ne veux pas étendre au delà les règles qui sont attachées à la vie commerciale. Dès lors, lorsqu'il s'agira d'autres actes, ce sera la juridiction ordinaire qui aura à les examiner.
M. Lambertµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole avant le discours que vous venez d'entendre.
Une partie de ma tâche est accomplie, et je n'ai plus qu'une réflexion à présenter à la Chambre.
Personne, messieurs, n'ignore les grands inconvénients du mode qui a paru prévaloir pendant quelque temps, celui de l'extension.
Tons les jours, on voit paraître de nouveaux systèmes quant à la compétence commerciale.
Pas un auteur n'apporte une règle nouvelle.
Il en résulte un gâchis tel, qu'il y a déjà beaucoup de difficulté à s'y reconnaître et à en sortir.
Si le système préconisé par M. Reynaert et appuyé par M. Jacobs venait à triompher, je crois que l'inconvénient grandirait encore.
Cette jurisprudence qui varie chaque jour, qui tantôt se prononce dans un sens, tantôt se prononce dans un autre, crée un état d'incertitude qui ne doit pas se perpétuer, et il ne manquerait pas de se perpétuer avec le système des honorables membres.
Regardez ce.qui se passe : la Cour de Liège adopte un système, la Cour de Bruxelles en adopte un autre, la Cour de Gand en adopte un troisième. Je le demande : n'est-il pas indispensable d'arrêter un tel écart ?
J'ajouterai que nous avons des exemples fréquents d'inconvénients très graves résultant de ce système libre-penseur en matière commerciale.
Vous souscrivez un engagement qui, devant tel tribunal, sera considéré comme un acte civil et qui, devant un autre tribunal, sera tenu pour un acte commercial. Ainsi il pourra arriver qu'un simple particulier souscrivant un acte de cautionnement en faveur d'un commerçant pourra être contraint par corps et subir tous les désastres de la vie commerciale qui n'a pas réussi, et cela selon l'aventure.
Ce que je dis du cautionnement s'applique également à d'autres matières encore. Il y a des tribunaux qui décident que l'extraction des minerais constitue un acte de commerce ; il en est d'autres qui décident qu'il n'en constitue point.
Vous allez donc, comme le disait tout à l'heure M. le ministre de la justice, accorder aux tribunaux le droit de créer une loi dont les conséquences sont extrêmes, c'est-à-dire qu'il y aura le décrètement de la contrainte par corps, le décrètement de la faillite. Cela n'est pas possible !
Mes observations s'appliquent encore aux entreprises de routes, aux entreprises de constructions ; à chaque instant nous voyons la bigarrure la plus grande sur ces matières ; tels arrêts disent que l'entreprise est commerciale, tels autres qu'elle n'est pas commerciale, d'autres que l'entreprise est commerciale si l'entrepreneur fournit les marchandises.
Eh bien, à mon avis, il est plus simple, plus rationnel de suivre le système préconisé par le gouvernement et par la commission et de dire : Nous sommes en matière commerciale, c'est-à-dire dans une matière d'exception ; les actes de la vie civile ne sont pas réputés commerciaux ; il est prudent et sage que les tribunaux s'en tiennent aux principes posés par le législateur pour décréter qu'il y a ou non un acte de commerce, Aller plus loin serait s'exposer à des dangers que je désire écarter.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Sont commerçants ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi, et qui en font leur profession habituelle. »
M. le président. - M. Reynaert propose de revenir à la rédaction du code de commerce.
- La proposition de M. Reynaert est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
L'article premier est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 2. La loi répute actes de commerce :
« Tout achat de denrées et marchandises pour les revendre soit en nature, soit après les avoir travaillées et mises en œuvre, ou même pour en louer simplement l'usage ; toute vente ou location qui est la suite d'un tel achat ; toute location de meubles pour sous-louer, et toute sous-location qui en est la suite.
« Toute entreprise de manufactures ou d'usines, de travaux publics ou privés, de commission de transport par eau ou par terre.
« Toute entreprise de fournitures, d'agences, bureaux d'affaires, établissements de ventes à l'encan, de spectacles publics et d'assurances à primes.
a Toute opération de banque, change ou courtage.
« Toutes les opérations de banques publiques.
(page 231) « Les lettres de change, mandats, billets ou autres effets à ordre ou au porteur.
« Toutes obligations des commerçants, à moins qu'il ne soit prouvé qu'elles aient une cause étrangère au commerce. »
M. le président. - La modification proposée par M. Reynaert au premier paragraphe disparaît par suite du vote qui vient d'être émis sur l'article premier.
Quelqu'un demande-t-il la parole ?
M. Jacobsµ. - J'ai une observation à présenter à propos des mots : « Les lettres de change, mandats, billets ou autres effets à ordre ou au porteur. » Je comprends que les effets à ordre soient considérés comme actes commerciaux ; l'endossement est le mode de transfert essentiellement commercial. Mais les billets au porteur doivent-ils être rangés dans la même catégorie ? Il est un genre de billets qui s'introduit dans nos mœurs ; les banques de dépôt remettent des livrets de chèques à des particuliers et ces particuliers qui s'en servent pour payer leurs fournisseurs posent-ils un acte de commerce en se servant de titres pareils ? Je ne puis l'admettre.
Je crois donc qu'il faudrait se borner à mentionner comme des actes de commerce les effets à ordre et non les effets au porteur.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Je viens me rallier aux amendements présentés par le gouvernement. Ces amendements sont pour la plupart de simples changements de rédaction.
Il est un point cependant sur lequel je tiens à attirer l'attention de la Chambre, et à propos duquel une erreur s'est glissée dans le rapport.
Le gouvernement propose aujourd'hui de comprendre parmi les actes de commerce les entreprises d'assurances à primes ; la rédaction de la commission, comme celle du premier projet du gouvernement, parlait des entreprises d'assurances en général.
Votre commission avait fait remarquer que les assurances mutuelles n'étaient pas, de leur nature, des actes de commerce. Elle avait cependant voulu que la même juridiction qui aurait à connaître des assurances à primes fût appelée à connaître des assurances mutuelles.
Mais la rédaction même que nous avions adoptée ne nous donne pas ce résultat, comme nous l'a démontré un examen nouveau. En effet, ce qui est réputé acte de commerce, ce n'est pas une opération isolée d'assurance, c'est l'entreprise d'assurances, ce qui suppose spéculation suivie et en grand.
Or, l'assurance mutuelle ne peut constituer une entreprise ; elle est contractée une fois pour toutes et ne suppose pas une suite d'opérations. La commission n'atteignant pas le but qu'elle se proposait, je me rallie purement et simplement à la rédaction proposée aujourd'hui par le gouvernement.
J'arrive à l'observation faite par M. Jacobs qui demande que l'on ne considère pas comme acte de commerce le fait de se servir de billets ou d'effets au porteur.
L'honorable membre donne à l'article une portée qu'il n'a pas. Faire usage de pareilles valeurs ne peut être un acte de commerce, mais leur création doit être réputée telle, puisque, par leur nature même, ces valeurs sont émises dans des intérêts commerciaux.
Si cependant on me démontre d'une manière plus précise qu'il pourrait être utile de modifier la rédaction de cet alinéa, je m'y prêterais très volontiers. Jusqu'ici je n'en vois pas la nécessité.
M. Jacobsµ. - Pour faire droit à mon observation, il y aurait lieu de modifier la rédaction du paragraphe.
Il est dit : « La loi répute actes de commerce : les lettres de change, mandats, billets ou autres effets à ordre ou au porteur. »
Ce que l'on répute acte de commerce, ce n'est pas un fait, mais une chose : les lettres de change, mandats, billets ou autres effets à ordre ou au porteur.
Il faudrait indiquer que ce qui constitue l'acte de commerce, c'est la souscription ou l'émission d'une valeur de ce genre, de façon que l'on sache bien en quoi consiste l'acte de commerce.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai quelques mots à dire relativement aux assurances. La controverse existait, sous l'ancien code, sur la question de savoir si les assurances terrestres étaient des actes de commerce.
La Cour de Bruxelles avait résolu la question négativement et la commission de la Chambre a décidé de mettre ces actes au nombre des actes de commerce.
Nous en avons cependant exclu les assurances mutuelles qui n'ont pas un but de lucre.
Cependant si l'assurance a lieu entre commerçants, elle tombe sous le dernier paragraphe parce que, dans ce cas, l'assurance n'est pas étrangère au commerce.
Ainsi, par exemple, des propriétaires se réunissent pour se garantir, moyennant une certaine somme, contre les risques d'incendie. Il n'y a pas là un acte de commerce.
S'ils se réunissent pour former une société d'assurance, afin de se prémunir contre la grêle, il n'y a pas non plus là un acte de commerce ; mais si des courtiers, par exemple, se réunissent pour éviter les risques de pertes de navires en mer, ce sont là des opérations commerciales, car il s'agit d'actes qui ne sont pas étrangers au commerce et qui doivent, par conséquent être compris dans le dernier paragraphe de l'article.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Cela est compris dans le mot « obligation ».
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, cela est compris dans le mot « obligation ».
L'honorable M. Jacobs a demandé de modifier le dernier paragraphe.
Il dit que l'on ne peut pas réputer acte de commerce les lettres de change, mandats, billets ou autres effets à ordre ou au porteur et que des actes de commerce ce sont des faits et non pas des titres, et qu'il faudrait dire : l'émission ou la création d'une lettre de change, etc.
Je ne crois pas, messieurs, que cela soit dangereux et je suis d'avis qu'il vaut mieux conserver la rédaction de l'article.
Quand on parle de la lettre de change, il ne s'agit pas seulement de la lettre de change proprement dite, mais encore de toutes les opérations qui ont lieu à cette occasion ; tel est, par exemple, l'endossement, l'aval, etc.
Cela constitue des actes de commerce, et si nous devions énumérer tous les faits qui peuvent se produire au sujet de la lettre de change, je crois que l'énumération serait très imparfaite et que l'honorable membre, pour gagner au point de vue académique, perdrait énormément au point de vue des conséquences juridiques qu'on peut tirer de cette définition.
L'honorable M. Jacobs a demandé si le chèque serait un acte de commerce, Cela dépend. Les chèques peuvent être des actes de commerce. La lettre de change supprime la remise de place en place. Eh bien, il est évident que, si un banquier remet à un particulier un billet ainsi conçu : Je payerai à telle date la somme de 100 francs à votre ordre, c'est un véritable billet à ordre.
M. Jacobsµ. - Mais le chèque n'est pas à ordre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il peut y en avoir à ordre. Le chèque n'est pas défini. Il y a, en Angleterre, des chèques qui sont à ordre. Il en circule aussi en France.
Les chèques peuvent être de deux espèces, ils peuvent être de véritables lettres de change. Ainsi un particulier a déposé une somme chez un banquier. Il dispose sur ce banquier. II dit : Veuillez payer à mon ordre la somme d'autant. C'est une lettre de change. Ou bien ce banquier peut remettre des livrets, comme dit l'honorable M. Jacobs. Il dit : Je payerai à vue telle somme d'argent ; c'est un véritable billet à ordre.
Il y a une autre espèce de chèque : Reçu de monsieur un tel la somme de... Ce n'est là qu'une véritable indication de payement, c'est un acte de la vie civile. Si je remets à mon créancier un billet sur mon banquier ainsi conçu : Reçu de... la somme de cent francs, et si je lui dis de se présenter chez le banquier, ce n'est qu'une simple indication de payement. Il n'y a pas là d'aliénation de la provision. Il n'y a qu'une simple indication pour le créancier de se présenter chez le banquier, ou. il sera payé.
M. Jacobsµ. - Même lorsque la quittance est au porteur ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le reçu est au porteur, mais il ne peut être endossé ; il est remis de la main à la main. Si je remets à mon créancier un reçu sur mon banquier et si je lui dis de se présenter chez ce même banquier, ce reçu n'est pas un effet endossable, n'est pas un effet négociable, c'est une simple indication du lieu où le payement se fera, et l'opération ne sera terminée que lorsque le créancier sera payé.
Mais, je tiens à dire ceci : c'est que quand le chèque revêtira la forme du billet à ordre ou de la lettre de change, ce sera un effet de commerce.
M. Lambertµ. - Je demande la suppression, au dernier paragraphe de l'article en discussion, des mots : « à ordre ou ».
Je demande la suppression de ces mots et en voici le motif.
D'après le code de commerce qui nous régit depuis soixante ans, les billets à ordre n'étaient pas, par eux-mêmes, reconnus comme des actes de commerce. Or, messieurs, beaucoup de personnes non commerçantes créent des billets à ordre pour la rentrée des sommes qui peuvent leur être dues. C'est un fait qui est entré dans les mœurs, et le faire disparaître, ce serait créer des inconvénients réels.
Les articles 636 et 637 portaient que les billets à ordre non souscrits par (page 232) des non-commerçants, n'appartenaient pas à la compétence commerciale ; que lorsque la signature du non-commerçant était accompagnée de la signature de commerçants, la juridiction consulaire devait statuer, mais sans prononcer la contrainte par corps contre le non-commerçant.
Je demande quels sont les inconvénients qui sont résultés de ce système et qui ont amené la modification proposée ?
La discussion actuelle a déjà été soulevée dans la commission chargée de faire le rapport sur le projet de loi, et le membre qui partageait les idées que j'émets aujourd'hui défendait l'ancien système dans les termes que voici : (L'honorable membre lit une partie du rapport de la commission.)
Mais c'est vrai, messieurs ; quel fruit le commerce aura-t-il à retirer du nouveau texte ? Je le répète, a-t-on signalé des inconvénients ? Le commerce s'est-il plaint ? En aucune façon. Voilà donc des innovations qui n'ont d'autre motif que d'être des innovations.
Attacher à des engagements comme ceux dont il s'agit la contrainte par corps, c'est une conséquence que nous devons écarter avec beaucoup de soin.
Encore une fois, je dis qu'il est entré dans les mœurs de créer des billets à ordre pour rentrer dans des créances qui n'ont aucun caractère commercial. Le rentier dispose sur son débiteur, le notaire dispose sur son client, l'avocat dispose aussi sur son client.
Et parce qu'il aura créé une disposition de cette espèce, non seulement il sera traduit devant la juridiction consulaire, mais encore il pourra encourir la contrainte par corps. C'est évidemment aller trop loin.
Poussez les conséquences jusqu'au bout et il en résultera que vous pourrez mettre en faillite ce rentier, ce notaire, cet avocat.
Je dis que ce sont là des conséquences excessivement rigoureuses et que nous ne pouvons admettre.
Je ne dis pas, messieurs, qu'il n'y a pas quelques abus dans le système du code de 1807 ; mais, à côté de ces abus que, pour ma part, je n'ai pas aperçus, je demande si nous devons jeter la perturbation que j'ai déjà signalée ?
Il y a, messieurs, une. autre considération sur laquelle je dois attirer l'attention de la Chambre, la voici. C'est que le système du code de commerce va jusqu'à frapper de sa courte prescription certains droits.
Voilà une créance qui, d'origine, est purement civile. Le créancier se borne à disposer sur son débiteur. Il avait, avant la disposition, trente ans pour se garer de la prescription. Par cela même qu'il aura disposé sur son créancier, sa créance pourra être périmée par le laps de cinq ans.
C'est encore là une perturbation très grande que vous allez apporter dans les habitudes.
Je crois que nous pouvons, sans créer le moindre embarras, sans constituer le moindre abus, continuer à faire régir le billet à ordre par les articles 636 et 637 du code civil.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Messieurs, l'innovation que critique l'honorable M. Lambert ne vient pas de l'initiative de votre commission. Elle se trouvait dans la disposition du projet du gouvernement et en formait le dernier paragraphe.
Dans la commission, une discussion assez vive s'est engagée entre les partisans de l'innovation et ceux qui voulaient le maintien dans l'état de choses consacré par le code de 1808.
Le rapport a donné in extenso les motifs émis à l'appui de l'une et de l'autre de ces opinions.
L'innovation a réuni, dans la commission, la majorité des suffrages.
Le rapporteur, messieurs, appartenait à la minorité, il n'a donc pas à appuyer ici les conclusions de la commission.
M. Jacobsµ. - Messieurs, je ne sais si l'on se fait une idée bien exacte de la différence qui existe entre le billet à ordre et la lettre de change.
Aujourd'hui le billet à ordre et la lettre de change sont placés sur la même ligne. Qu'est-ce qui constitue le billet à ordre ?
C'est un débiteur qui écrit sur une feuille de papier : « Je m'engage à payer à un tel ou à son ordre une somme d'autant. »
Ce n'est pas le créancier, mais le débiteur qui écrit, signe et remet la promesse.
S'il s'agit d'une lettre de change, au contraire, c'est le créancier qui écrit : « Veuillez payer à l'ordre de . .. la somme de.....»
Désormais la remise de place en place n'est plus de l'essence de la lettre de change ; cela permet de supprimer complètement les billets à ordre et de les remplacer par des traites acceptées. Au lieu que le débiteur remette au créancier un billet sur lequel il inscrit : « Je m'engage a payer, » c'est le créancier qui écrira : « Veuillez payer » et le débiteur écrira en marge : « Accepté » ; en sorte qu'aujourd'hui il n'y a plus aucune espèce de différence entre le billet à ordre et la lettre de change acceptée. Dès lors, les traiter d'une manière différente, considérer l'un de ces effets comme acte de commerce et l'autre comme acte civil, c'est aller à l’encontre et de la nature des choses et des intérêts du commerce.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Lambert a dirigé contre le projet des critiques qu'il pouvait adresser à l'ancien code de commerce.
L'honorable membre nous dit : Mais les avocats disposent sur leurs clients ; ils vont donc être exposés à aller devant le tribunal de commerce pour ces dispositions ?
Si l'honorable membre avait disposé sur un autre lieu que celui où il se trouve, il aurait fait une véritable lettre de change. Or, l'ancien code de commerce, disait, article 631 :
« Les tribunaux de commerce connaîtront : entre toutes personnes, des lettres de change et remises d'argent faites de place en place. »
Nous avons étendu la prescription à la lettre de change sans remise de place en place.
M. Teschµ. - Et au billet à ordre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, mais c'était une des conséquences de la suppression de la remise de place en place. Comme l'a dit M. Jacobs, dans la situation actuelle, le billet à ordre est l'équivalent de la lettre de change ; je ne vois donc pas de raison de créer un régime spécial pour le billet à ordre.
M. Lambertµ. - Je demande la suppression, dans l'avant-dernier paragraphe, des mots : « à ordre ou... »
M. Bouvierµ. - Votons par division.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - La Chambre ne peut pas admettre la suppression que propose M. Lambert. Nous venons de voter une loi où le billet à ordre est assimilé à la lettre de change...
M. Bouvierµ. - On peut faire une proposition.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, mais je dois faire remarquer que cette proposition tend à faire revenir la Chambre sur un vote récent.
M. Lambertµ. - Le code de commerce ne qualifie pas acte de commerce le billet à ordre, mais il qualifie acte de commerce toutes les lettres de change.
M. le président. - La division ayant été demandée, je vais mettre aux voix l'article par paragraphes.
« La loi répute actes de commerce :
« Tout achat de denrées et marchandises pour les revendre soit en nature, soit après les avoir travaillées et mises en œuvre, ou même pour en louer simplement l'usage ; toute vente ou location qui est la suite d'un tel achat ; toute location de meubles pour sous-louer, et toute sous-location qui en est la suite. »
- Adopté.
« Toute entreprise de manufactures ou d'usines, de travaux publics ou privés, de commission de transport par eau ou par mer ; »
- Adopté.
« Toute entreprise de fournitures, d'agences, bureaux d'affaires, établissements de ventes à l'encan, de spectacles publics et d'assurances à primes. »
- Adopté.
« Toute opération de banque, change ou courtage. »
- Adopté.
« Toutes les opérations de banques publiques. »
—-Adopté.
« Les lettres de change, mandats, billets ou autres effets à ordre ou au porteur. »
M. le président. - Ici se présente l'amendement de M. Lambert, qui demande la suppression des mots : « à ordre ou... »
- Cette suppression est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée ; le paragraphe, tel qu'il est proposé par le gouvernement, est ensuite mis aux voix et adopté.
« Toutes obligations des commerçants, à moins qu'il ne soit prouvé qu'elles aient une cause étrangère au commerce. »
- Adopté.
« Art. 3. La loi répute pareillement actes de commerce :
« Toute entreprise de construction et tous achats, ventes et reventes volontaires de bâtiments pour la navigation intérieure et extérieure ;
« Toutes expéditions maritimes ;
« Tout achat ou vente d'agrès, apparaux et avitaillements ;
(page 233) « Tout affrètement ou nolissement, emprunt ou prêt à la grosse ;
« Toutes assurances et autres contrats concernant le commerce de mer ;
« Tous accords et conventions pour salaires et loyers d'équipage ;
« Tous engagements de gens de mer, pour le service de bâtiments de commerce. »
M. Van Iseghem. - Cet article soulève un doute dans mon esprit.
L'article 333 ancien dit :
« La loi répute pareillement actes de commerce :
« Toute entreprise de construction et tous achats, ventes et reventes de bâtiments pour la navigation intérieure et extérieure. »
L'article proposé par le gouvernement s'exprime ainsi :
« La loi répute pareillement actes de commerce :
« Toute entreprise de construction et tous achats, ventes et reventes volontaires de bâtiments pour la navigation intérieure et extérieure. »
C'est le mot « volontaires » sur lequel porte mon doute.
Je suppose un navire qui s'échoue sur notre littoral ou qui entre dans un de nos ports avec des avaries majeures ; dans l'un et l'autre cas, le capitaine s'adresse au tribunal de commerce pour faire constater par des experts l'état dans lequel son navire se trouve et ce qu'on doit en faire.
Les experts déclarent, par exemple, qu'il doit être vendu pour cause d'innavigabilité ou pour toute autre cause, et sur le rapport desdits experts, le tribunal de commerce ordonne la vente du navire, ce qui se fait sous l'empire dû code actuel et qui doit, dans l'intérêt de la navigation, être maintenu.
Je demande à M. le rapporteur si, dans le projet actuellement en discussion, cette position sera changée et si le mot « volontaires » qui est ajouté à l'article 3 s'applique aussi bien aux navires qui seraient déclarés par les experts en état d'innavigabilité et seraient vendus par jugement du tribunal de commerce qu'aux navires qui seraient saisis pour dettes et vendus par ordonnance du tribunal civil ? Je n'ai aucune observation à présenter sur ce dernier cas.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Messieurs, le but de l'addition proposée par la commission est indiqué dans le rapport.
La commission a voulu faire passer dans la loi une doctrine admise par un avis du conseil d'Etat du 29 avril 1809, et d'après laquelle la vente des navires sur saisie n'entre pas dans l'énumération de l'article 633 du code de commerce.
M. Van Iseghem nous entretient d'un cas qui n'est pas celui dont s'est occupé alors le conseil d'Etat.
La vente dont parle l'honorable membre n'est évidemment pas un acte de commerce ; c'est une vente à laquelle il faut procéder par suite de nécessité urgente.
Si le tribunal de commerce est aujourd'hui compétent pour l'ordonner, ce n'est pas en vertu de l'article 633 du Code, mais en vertu des dispositions spéciales au commerce maritime, que nous aurons à examiner lorsque nous en viendrons à la révision du livre II, mais auxquelles l'article que nous discutons en ce moment n'apporte aucune dérogation.
M. Van Iseghem. - Du moment qu'il n'y a rien d'innové à ce qui existe aujourd'hui, je me déclare satisfait.
- L'article 3 est adopté.
« Art. 4. Tout mineur émancipé de l'un ou de l'autre sexe, âgé de dix-huit ans accomplis, qui voudra profiter de la faculté que lui accorde l'article 487 du code civil, de faire le commerce, ne pourra en commencer les opérations, ni être réputé majeur, quant aux engagements par lui contractés pour faits de commerce : 1° s'il n'y a été préalablement autorisé par son père ou par sa mère, en cas d'interdiction, décès ou absence du père ou à défaut du père et de la mère, par une délibération du conseil de famille homologuée par le tribunal civil ; 2° si, en outre, l'acte d'autorisation n'a été enregistré et affiche au tribunal de commerce du lieu où le mineur veut établir son domicile.
« L'autorisation du père ou de la mère sera accordée par une déclaration faite devant le juge de paix, ou devant notaire, ou devant le greffier du tribunal de commerce. »
M. Jacobsµ. - Une simple observation de rédaction. Je propose de substituer le temps présent au temps futur, c'est-à-dire au lieu de « voudra » mettre « veut », et au lieu de « pourra » le mot « peut ».
Cela me paraît d'autant plus nécessaire que le temps présent se trouve à la fin de l'article.
Quant à l'article additionnel, il faudrait, au lieu de : « sera accordée », mettre « est accordée ».
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois donner une explication à la Chambre au sujet du changement de rédaction proposé par le gouvernement.
La commission de la Chambre et le projet du gouvernement admettent que l'autorisation du père ou des personnes intéressées, d'après l'article 2, soit accordée devant notaire.
L'amendement du gouvernement a pour but de dire que l'autorisation est accordée, mais il vient alors un article 4 bis, qui est ainsi conçu :
« L'autorisation du père ou de la mère sera accordée par une déclaration faite devant le juge de paix ou devant notaire, ou devant le greffier du tribunal de commerce. »
Le but de cet article est d'empêcher que les parents ou le conseil da famille ne vienne inconsidérément faire cesser le commerce d'un mineur. Si l'on a donné l'autorisation, il ne faut pas que, du jour au lendemain, on vienne empêcher le commerce que l'on a autorisé, alors que ce commerce peut avoir pris une grande extension, une grande importance.
On a donc spécifié dans l'article afin de donner une garantie de plus au mineur.
- L'article 4, amendé par M. le ministre de la justice, est mis aux voix et adopté.
« Art. 4bis (nouveau). Le père, la mère ou le conseil de famille qui a accordé l'autorisation pourra en demander le retrait au tribunal civil du domicile du mineur.
« Le tribunal ne statuera qu'après avoir entendu ou appelé ce dernier. »
M. Jacobsµ. - Je comprends le futur pour le second paragraphe, mais non pour le premier paragraphe.
faut dire : Le père peut en demander le retrait. »
Au second paragraphe, autant vaut maintenir le futur.
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 5 (correspondant à l'article 5 du projet). Les actes de commerce indiqués dans les articles 2 et 3 ne seront valables comme tels à l'égard des mineurs non commerçants que s'ils ont été faits avec toutes les conditions requises par l'article 4 pour qu'un mineur puisse exercer le commerce. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'amendement introduit par le gouvernement a ce but :
D'après la jurisprudence les actes de commerce faits par le mineur qui ne sont pas conformes a la disposition indiquée plus haut, étaient nuls vis-à-vis d'un mineur et tout en n'étant pas valables vis-à-vis de lui, il ne perdait pas la juridiction des tribunaux de commerce.
L'acte aujourd'hui sera nul dans tous ses effets, c'est pourquoi nous disons ne seront pas valables comme tels, c'est-à-dire comme actes commerciaux.
M. Jacobsµ. - Je ne sais pas si l'idée exprimée par M. le ministre est rendue très clairement par la rédaction qu'il nous propose.
Pour moi, je n'avais pas compris l'article nouveau comme se rapportant à cette question de compétence.
Il me semble que si l'on ajoutait à l'article 5 du code actuel un second paragraphe tranchant textuellement la question de compétence, celle-ci serait plus clairement résolue.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'article est très clair. Il dit :
« Les actes de commerce indiqués dans les articles 2 et 3 ne seront valables comme tels, » c'est-à-dire comme actes de commerce. Il est évident que ces actes ne seront pas de la compétence des tribunaux de commerce. Ils ne seront valables que s'ils ont été faits avec toutes les conditions requises par l'article 4 pour qu'un mineur puisse exercer le commerce.
L'article 5 de l'ancien projet proposé par la commission était ainsi conçu : « Les mineurs non commerçants seront réputés majeurs à l'égard des actes de commerce faits par eux, s'ils se sont conformés à la disposition de l'article précédent. » On en déduisait a contrario que les actes des mineurs n'étaient pas valables en l'absence des formalités requises ; mais ces actes n'en conservaient pas moins intrinsèquement leur caractère commercial, de sorte que les mineurs pouvaient, à raison de ces actes, être cités devant les tribunaux de commerce. Or, actuellement nous disons de plus que ces actes ne sont pas valables comme actes de commerce, que ce sont des actes de la vie civile.
- L'article est adopté.
« Art. 5bis (9 du projet). Les mineurs commerçants autorisés, comme il est dit ci-dessus, peuvent engager et hypothéquer leurs immeubles.
« Ils peuvent même les aliéner, en suivant les formalités prescrites pour la vente des biens immobiliers des mineurs. »
- Adopté.
(page 234) « Art. 6. Le commerce des parents du mineur sera continué par son tuteur, si le conseil de famille le juge utile, et sous les conditions qu'il déterminera.
« La direction pourra en être confiée à un administrateur spécial, sous la surveillance du tuteur.
« La délibération du conseil de famille sera soumise à l'homologation du tribunal.
« Le conseil, sous réserve de la même formalité, pourra toujours révoquer son consentement. »
M. Jacobsµ. - Je propose de substituer le présent au futur.
- Cette modification est adoptée.
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Je viens demander à la Chambre, en ce qui concerne l'article 6, de permettre qu'on y revienne au second vote.
Cette disposition est une des plus importantes du projet.
La commission n'avait demandé que l'autorisation du conseil de famille pour que le commerce des parents pût être continué par le tuteur dans l'intérêt du mineur. Le gouvernement veut que la délibération du conseil de famille soit soumise à l'homologation du tribunal.
J'en conviens, remettre à un conseil de famille seul le soin de décider si le commerce des parents pourra être continué par le tuteur dans l'intérêt du mineur, donner ainsi au tuteur le droit d'engager les biens du mineur, avec ce seul contrôle, c'est peut-être un inconvénient, une imprudence. Mais, d'un autre côté, si nous voulons que le commerce des parents puisse être continué par le tuteur, c'est que souvent toute la fortune du mineur peut être compromise par une liquidation intempestive. Or, dans ce cas, l'interruption quelque peu prolongée du commerce peut avoir des conséquences aussi graves que la cessation entière.
Il y a tel commerce qui ne peut être interrompu, même pendant peu de temps, sans qu'il en résulte des dommages irréparables. Prenons comme exemple une boulangerie bien achalandée ; si les clients sont obligés de se fournir ailleurs pendant quinze jours, évidemment la boulangerie perdra une partie de sa clientèle, sinon sa clientèle entière.
Que sera cependant l'homologation dont parle la disposition proposée par le gouvernement ? Ou bien elle devra se faire à la hâte, elle sera peu sérieuse, et alors elle n'ajoutera rien aux garanties que présente la délibération du conseil de famille ; ou bien elle devra être précédée d'une sorte d'enquête, d'une information, et alors il y aura une interruption du commerce probablement assez longue et, par suite, défavorable aux mineurs.
Je crois, messieurs, qu'il y a moyen de trouver une formule intermédiaire : La délibération du conseil de famille devrait permettre au tuteur de continuer le commerce provisoirement ; mais l'autorisation ne serait définitive qu'après l'homologation. Je n'ai pas trouvé une rédaction qui me satisfît ; je demande à pouvoir y revenir au second vote.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je comprends toute la portée pratique de l'observation de l'honorable membre, mais je ferai remarquer que l'inconvénient qu'il signale existera aussi avant qu'on ait obtenu la délibération du conseil de famille. On pourrait dire, toutefois :
« La délibération du conseil de famille sortira ses effets sauf homologation dans la huitaine ou dans la quinzaine, etc. »
M. le président. - On pourra y revenir au second vote.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 7. La femme ne peut être marchande publique sans le consentement de son mari.
« En cas d'absence, de minorité ou d'interdiction du mari, la justice peut autoriser la femme à faire le commerce.
« Cette autorisation sera rendue publique dans les formes prescrites par l'article A. Son effet cessera avec la cause qui y a donné lieu.
« Si les deux époux sont mineurs, les conditions de l'article 4 suffiront pour habiliter la femme à devenir marchande publique. »
M. Van Humbeeck, rapporteur. - Messieurs, je n'ai à présenter, en ce qui concerne cet article, qu'une observation de rédaction ; elle se rapporte au paragraphe 2.
La première proposition du gouvernement portait :
« En cas d'absence ou d'interdiction du mari, la femme peut faire le commerce avec l'autorisation du tribunal de première instance. »
La proposition qui nous est soumise actuellement, porte :
« En cas d'absence, de minorité ou d'interdiction du mari, la justice peut autoriser la femme à faire le commerce. »
J'admets parfaitement l'addition des mots : « de minorité », mais je ne crois pas que la rédaction gagne à ce qu'on mette « la justice » au lieu du « tribunal de première instance ».
M. Jacobsµ. - Messieurs, dans cet article encore, le présent et le futur se trouvent entremêlés. Dans les deux premiers paragraphes, on emploie le présent ; au paragraphe 3, c'est le futur : « ... sera rendue publique... » et : « son effet cessera... » Au paragraphe 4, on les entremêle.
Je propose qu'on mette le tout au présent.
- L'article est adopté avec cette rectification.
« Art. 8. La femme, si elle est marchande publique, peut, sans l'autorisation de son mari, s'obliger pour ce qui concerne son négoce ; et, audit cas, elle oblige aussi son mari, s'il y a communauté entre eux.
« Elle n'est pas réputée marchande publique, si elle ne fait que détailler les marchandises du commerce de son mari ; elle n'est réputée telle que lorsqu'elle fait un commerce séparé. »
- Adopté.
« Art. 9. Les mineurs marchands, autorisés comme il est dit ci-dessus, peuvent engager et hypothéquer leurs immeubles.
« Ils peuvent même les aliéner, en suivant les formalités prescrites par les articles 457 et suivants du code civil. »
M. le président. - M. le ministre de la justice propose la suppression de cet article.
- L'article est supprimé.
« Art. 10. Les femmes marchandes publiques peuvent engager, hypothéquer et aliéner leurs immeubles.
« Toutefois leurs biens stipulés dotaux, quand elles sont mariées sous le régime dotal, ne peuvent être hypothéqués ni aliénés que dans les cas déterminés et avec les formes réglées par le code civil. »
- Adopté,
« Art. 11. Tout commerçant est tenu d'avoir un livre-journal qui présente, jour par jour, ses dettes actives et passives, les opérations de son commerce, ses négociations, acceptations ou endossements d'effets, et généralement tout ce qu'il reçoit et paye, à quelque titre que ce soit ; et qui énonce, mois par mois, les sommes employées à la dépense de sa maison : le tout indépendamment des autres livres usités dans le commerce, mais qui ne sont pas indispensables.
« Il est tenu de mettre en liasse les lettres missives qu'il reçoit et de copier sur un registre celles qu'il envoie. »
- Adopté.
« Art. 12. Il est tenu de faire, tous les ans, sous seing privé, un inventaire de ses effets mobiliers et immobiliers et de ses dettes actives et passives, et de le copier, année par année, sur un registre spécial a eu destiné. »
- Adopté.
« Art. 13. Les livres, dont la tenue est ordonnée par les articles 11 et 12, seront cotés et parafés, soit par un des juges des tribunaux de commerce, soit par le bourgmestre ou un échevin, dans la forme ordinaire et sans frais.
« Le livre-journal et le livre des inventaires seront, en outre, soumis à un visa et à un parafe annuels. Le livre de copie de lettres ne sera pas soumis à cette formalité. »
M. Jacobsµ. - Messieurs, l'article 13 contient une double disposition.
D'une part, les livres de commerce doivent être cotés et parafés. D'autre part, le livre-journal et le livre des inventaires doivent être visés chaque année.
L'obligation de la cote et du parafe des feuillets des livres de commerce ne soulève aucune difficulté, mais y a-t-il utilité réelle à ce que le journal et le livre des inventaires soient visés chaque année ?
Remarquez, messieurs, que ces visas seront donnés par des juges au tribunal de commerce et que ces juges sont des négociants concurrents de ceux dont ils visent les livres. Or, l'inventaire permet à celui qui vise de se faire une idée parfaitement exacte de la situation du négociant.
Le parafe se met à la dernière ligne, juste sous le total de l'actif et du passif, là où l'inventaire est clos par un solde actif qui représente l'avoir du négociant. Celui qui vise peut d'un coup d'œil voir quel est l'actif du négociant ; c'est mettre ce dernier à la discrétion de son concurrent.
Je propose à la Chambre de se contenter de maintenir le premier paragraphe et de supprimer le second qui ordonne une formalité inutile et dangereuse.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, au premier abord, on pourrait croire que cette disposition n'a pas d'importante. Cependant, en y réfléchissant un peu, on reconnaît que l'obligation du visa et du parafe annuels déterminera les négociants à faire leur inventaire.
(page 235) On remarque souvent dans les faillites qu'il n'y a pas d'inventaire et que les livres-journaux ne sont pas tenus au courant.
L'obligation du visa et du parafe est un moyen de forcer les négociants à tenir les principaux livres prescrits par le code de commerce.
On dit que le juge connaîtra la situation active et passive du commerçant.
Je crois que c'est une erreur.
Le commerçant n'est pas tenu de faire connaître ses affaires ; il peut recouvrir la partie de ses livres qu'il ne veut pas montrer.
J'ajouterai que l'absence des livres dont il est ici question constitue une infraction qui, en cas de faillite, expose le négociant aux peines de la banqueroute.
M. Jacobsµ. - Je ne vois pas grand inconvénient au visa du livre-journal paru qu'il ne permet pas à celui qui appose le visa de se faire une idée des affaires du négociant. Je n'y vois pas non plus d'avantages.
Pour le livre d'inventaires, le visa offre tant d'inconvénients que la plupart des négociants ne se soumettent pas a cette formalité.
M. le ministre indique un moyen d'empêcher celui qui appose le visa de connaître l'état des affaires que l'inventaire résume. Le négociant couvrira d'une feuille la dernière page de l'inventaire, celle où doit être apposé le visa.
Je fais remarquer que, de cette façon, le visa ne présente plus aucune espèce de garantie. On pourra couvrir d'une feuille de papier un feuillet blanc qu'on remplira plus tard, suivant les circonstances.
J'insiste pour que cette obligation de faire viser les inventaires annuels, tombée en désuétude, ne soit pas reproduite dans le code de commerce révisé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois faire remarquer que, dans l'espèce invoquée par M. Jacobs, le négociant commet une fraude indigne qui, en cas de faillite, pourrait être sévèrement punie.
Qu'est-ce qui entraîne souvent la ruine du commerçant ? C'est l'absence d'inventaire ; il ne sait dans quelle situation il se trouve, il ignore ses pertes, il ne se rend pas un compte exact de sa position, et par suite il dissipe l'avoir de ses créanciers.
Je ne vois pas de raison pour ne pas accepter le moyen que nous proposons, pour engager le commerçant à faire annuellement son inventaire, d'autant plus, qu'à mon avis, il ne doit point, pour cela, faire connaître ses opérations au juge chargé de viser et de parafer ses livres.
M. le président. - M. Jacobs insiste-t-il ?
M. Jacobsµ. - Je demande la division.
M. le président. - La division étant demandée, je mets aux voix le premier paragraphe ; il est ainsi conçu :
« Les livres dont la tenue est ordonnée par les articles 11 et 12 seront cotés et parafés, soit par un des juges des tribunaux de commerce, soit par le bourgmestre ou un échevin, dans la forme ordinaire et sans frais. »
- Adopté.
M. le président. - Le second paragraphe est ainsi conçu :
« Le livre-journal et le livre des inventaires seront, en outre, soumis à un visa et à un parafe annuels. Le livre de copie de lettres ne sera pas soumis à cette formalité. »
- Ce paragraphe est mis aux voix et n'est pas adopté.
« Art. 14. Les livres dont la tenue est ordonnée par les articles 8 et 9 ci-dessus seront cotés, parafés et visés, soit par un des juges des tribunaux de commerce, soit par le bourgmestre ou un échevin, dans la forme ordinaire et sans frais. Les commerçants seront tenus de conserver ces livres pendant dix ans. »
- Adopté.
« Art. 15. Les livres de commerce, régulièrement tenus, peuvent être admis par le juge pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce. »
- Adopté.
« Art. 16. Les livres que les individus faisant commerce sont obligés de tenir et pour lesquels ils n'auront pas observé les formalités ci-dessus prescrites, ne pourront être représentés ni faire foi en justice, au profit de ceux qui les auront tenus ; sans préjudice de ce qui sera réglé au livre des faillites, banqueroutes et sursis. »
- Supprimé.
« Art. 17. La communication des livres et inventaires ne peut être ordonnée en justice que dans les affaires de succession, communauté, partage de société et en cas de faillite. »
- Adopté.
« Art. 18. Dans le cours d'une contestation, la représentation des livres peut être ordonnée par le juge, même d'office, à l'effet d'en extraire ce qui concerne le différend. »
- Adopté.
« Art. 19. En cas que les livres, dont la représentation est offerte, requise ou ordonnée, soient dans des lieux éloignés du tribunal saisi de l'affaire, les juges peuvent adresser une commission rogatoire au tribunal de commerce du lieu, ou déléguer un juge de paix pour en prendre connaissance, dresser un procès-verbal du contenu et l'envoyer au tribunal saisi de l'affaire. »
- Adopté.
« Art. 20. Si la partie aux livres de laquelle on offre d'ajouter foi refuse de les représenter, le juge peut déférer le serment à l'autre partie. »
- Adopté.
M. le président. - Des amendements ayant été présentés, il y a lieu à un second vote. La Chambre entend-elle y procéder séance tenante ou bien, sur la demande de M. Van Humbeeck, le remettre à demain ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il reste encore deux titres ; nous pourrions, si cela convient à la Chambre, les discuter avant de procéder au second vote des deux premiers titres.
M. le président. - Oui, mais plus aujourd'hui.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - On pourrait faire un projet spécial de ces deux titres et des deux titres qui vont suivre et le titre IV pourrait devenir le titre III et le titre VII le titre IV.
En effet, il s'agit, dans le titre IV, des conventions matrimoniales ; le titre III concerne les sociétés ; il semble plus rationnel de régler d'abord la situation des personnes. A la suite du titre IV, devenu le titre III, nous placerons le titre qui s'occupe de la preuve des conventions commerciales ; nous aurions ainsi quatre titres dont nous ferions un projet de loi spécial.
M. le président. - Le second vote des deux titres que nous venons de discuter aura donc lieu après le premier vote des deux titres qui restent encore à l'ordre du jour.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.