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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 3 décembre 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Van Humbeeck, vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 149) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Rossiusµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Clément demande que la commune de Quenast soit rangée dans la catégorie des communes de 1,000 à 3,000 habitants. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires communaux de Ciney, Emplinne, Schaltin et Hamoir demandent que l'avenir des secrétaires communaux soit assuré et que leur traitement soit mis en rapport avec l'importance de leur travail et des services qu'ils rendent aux administrations communales, provinciale et générale. »

- Même renvoi.


« M. Hymans, empêché, par une affaire urgente, de se rendre à la séance d'aujourd'hui, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi modifiant le titre VIII, livre I, du code de commerce : De la Lettre de change

Discussion des articles

MpVanHumbeeckµ. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il aux amendements de la commission ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non, M. le président.

MpVanHumbeeckµ. - La discussion s'ouvre donc sur le projet du gouvernement.

- Personne ne demandant la parole sur l'ensemble du projet, la Chambre passe à la discussion des articles.

Article 93

« Art. 110 (93 du projet du gouvernement).

« La lettre de change est tirée d'un lieu sur un autre.

« Elle est datée.

« Elle énonce :

« La somme à payer.

« Le nom de celui qui doit payer.

« L'époque et le lieu où le payement doit s'effectuer.

« La valeur fournie en espèces, en marchandises, en compte ou de toute autre manière.

« Elle est à l'ordre d'un tiers ou à l'ordre du tireur lui-même.

« Si elle est par première, deuxième, troisième, quatrième, etc., elle l'exprime. »

La commission propose l'amendement suivant :

« La lettre de change ou mandat à ordre est datée.

« Elle énonce :

« La somme à payer.

« Le nom de celui qui doit payer.

« L'époque et le lieu où le payement doit s'effectuer.

« Elle est à l'ordre d'un tiers ou à l'ordre du tireur lui-même.

« Si elle est par première, deuxième, troisième, quatrième, etc., elle l'exprime, »

M. le ministre de la justice a proposé de rédiger l'article comme suit :

« La lettre de change ou mandat à ordre est datée :

« Elle énonce :

« La somme à payer.

« Le nom de celui qui doit payer.

« L'époque et le lieu de payement.

« Le nom de celui à l'ordre de qui la lettre est tirée, soit un tiers, soit le tireur lui-même.

« Si elle est par première, deuxième, troisième, quatrième, elle l'exprime. »

M. Jacobs a proposé de supprimer le paragraphe : « Elle est à l'ordre, etc. »

M. Dupont, rapporteurµ. - M. le ministre de la justice, comme vient de le dire notre honorable président, a amendé l'article 93 du projet de la commission ; je me rallie à son amendement. Nous discuterons, par conséquent, le texte nouveau de M. le ministre de la justice.

Vous aurez remarqué que l'article 93 de la commission, tel qu'il est amendé par M. le ministre de la justice, présente deux modifications essentielles de l'article 110 de l'ancien code de commerce. La commission avait, en effet, proposé de supprimer deux conditions requises à peine de nullité de la lettre de change par l'ancienne législation : la valeur fournie et l'obligation que la lettre de change fût tirée d'un lieu sur un autre. Nous avons été unanimes pour faire disparaître les deux conditions, à l'exemple des législations de l'Allemagne, de l'Angleterre et de l'Amérique, c'est-à-dire des peuples commerçants par excellence.

J'espère que la Chambre qui a pu apprécier, par le rapport, les motifs de ces modifications, voudra bien les appuyer de son vote. Elle réalisera ainsi un progrès considérable, donnera à la circulation des valeurs une plus grande sécurité et mettra fin à l'antagonisme qui existe aujourd'hui entre les usages du commerce et une législation surannée que nos tribunaux appliquent avec une très grande rigueur.

Le rapport entre, à ce sujet, dans les détails les plus circonstanciés. Je crois pouvoir me borner à m'y référer.

M. Jacobsµ. - Si l'amendement proposé par M. le ministre de la justice fait droit, dans une certaine mesure, aux critiques élevées contre l'amendement de la commission, il n'énonce plus deux fois que la lettre de change est à ordre.

Cependant, en exigeant qu'elle soit à l'ordre du tireur lui-même ou d'un tiers, il s'ensuit que, quoique l'endossement puisse être en blanc, néanmoins le premier nom ne pourra jamais rester en blanc. C'est ainsi, tout au moins, que je comprends l'amendement de M. le ministre de la justice.

En tous cas on pourrait supprimer les mots, soit un tiers, soit le tireur lui-même. Ces mots n'ajoutent rien à la première ligne de l'amendement. En indiquant qu'une des énonciations doit être le nom de la personne au profit de qui la lettre est tirée, il est inutile d'ajouter que cette personne peut être le tireur lui-même ou un tiers. Je demande donc la suppression de ces derniers mois : « soit un tiers, soit le tireur lui-même. »

Moyennant cela, je renonce à mon amendement et je me rallie à celui du gouvernement.

MpVanHumbeeckµ. - M. Jacobs modifie donc son amendement primitif, il ne demande plus que la suppression de la fin du paragraphe.

M. Jacobsµ. - Oui, M. le président, avec cette différence que mon premier amendement portait sur le projet de la commission, tandis que mon nouvel amendement porte sur le projet du gouvernement.

M. Dupontµ. - Je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Jacobs sur les motifs qui ont amené l'introduction du nouvel amendement de M. le ministre de la justice. Au contraire, nous pensons sur ce point, M. le ministre et moi, que pour que la lettre de change soit parfaite, pour qu'il ne manque rien à sa régularité, il faudra nécessairement qu'elle contienne le nom de celui à l'ordre de qui elle est tirée.

Je maintiens, cependant, ce qui a été dit à la page 6 du rapport, c'est-à-dire que la lettre de change pourra circuler provisoirement avec le nom de celui à l'ordre de qui elle est tirée en blanc, et qu'il sera loisible au (page 150) porteur, pour la rendre parfaite, de remplir sans fraude ce blanc en y inscrivant soit son nom, soit celui d'un tiers.

La jurisprudence française n'hésite pas à reconnaître, sous le code actuel, la validité de cette transaction.

M. Jacobsµ. - Il est donc entendu que le nom de la personne au profit de qui la lettre de change est tirée pourra rester en blanc, que dès lors il ne sera pas essentiel que la lettre de change contienne le nom de la personne au profit de qui elle est tirée. Mais, s'il en est ainsi, le texte ne rend pas fidèlement cette idée, et il ne faudrait pas indiquer comme un des éléments de la lettre de change le nom de celui au profit de qui la lettre de change est tirée.

Il y a contradiction entre le texte et les développements qui viennent d'y être donnés.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'article premier du projet de loi indique ce qu'est la lettre de change type. Les conditions qu'il stipule sont essentielles pour que le titre constitue une véritable lettre de change. Mais il y est admis des exceptions. (Interruption.)

Il est évident qu'en principe la lettre de change doit contenir le nom de la personne au profit de qui elle est tirée ; or, comme la lettre de change peut être tirée au nom d'un tiers, il faut bien que nous le disions.

M. Jacobs nous objecte qu'on pourra créer une lettre de change sans indiquer le nom de celui au profit de qui elle est tirée.

M. Jacobsµ. - C'est le rapporteur qui dit cela.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais que feriez-vous d'une lettre de change qui ne contiendrait pas l'indication du nom de la personne au profit de qui elle est tirée. C'est un titre sans valeur. Au premier endossement que vous ferez, vous devrez indiquer le nom de la personne au profit de qui la lettre est tirée, car le signataire de l'endossement sera cette personne.

Si l'endossement est en blanc, la lettre sera tirée à l'ordre du tireur ; ce n'est donc qu'après cet endossement que la lettre de change pourra utilement circuler.

En supposant même que les mots : « soit le tiers, soit le tireur lui-même », ne soient pas absolument nécessaires, ce que je reconnais, encore n'y a-t-il aucun inconvénient à les maintenir à titre d'éclaircissement, car nous allons supprimer l'article 411 portant que la lettre de change peut être tirée par ordre et pour le compte d'un tiers. Dès l'instant où nous supprimons ces mots, il n'est pas superflu de dire dans l'article 93 que la lettre de change porte le nom de celui à l'ordre duquel elle est tirée et qu'elle peut être, soit à l'ordre d'un tiers, soit à l'ordre du tireur lui-même.

M. Jacobsµ. - Je n'insiste pas sur la suppression des mots : « soit un tiers, soit le tireur lui-même », puisqu'on est d'accord que ce n'est qu'une explication destinée à éclaircir ce qui va de soi. Mais il me paraît toujours qu'on n'est pas parfaitement d'accord sur le point de savoir si la lettre de change pourra circuler sans que le nom de celui au profit de qui elle est tirée y figure. En d'autres termes, la lettre de change en blanc pourra-t-elle circuler de la main à la main ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - A quoi bon ? Personne ne pourrait s'en servir.

M. Jacobsµ. - C'est une erreur. Vous me remettez une lettre de change sans y indiquer qu'elle est créée à mon profit ; s'il me plaît de la passer à un tiers et ainsi de main en main, il suffira au porteur définitif d'intercaler son nom dans le blanc. C'est un point qu'il importe d'éclaircir.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous ne nous entendons pas. La lettre de change, dans l'hypothèse indiquée par l'honorable membre, sera ainsi conçue : Veuillez payer la somme de... à l'ordre de... Eh bien, cette lettre de change ne pourra pas circuler utilement, personne, ne pourra s'en servir. Il faut nécessairement que l'on sache si elle est créée à l'ordre du tireur ou d'un tiers ; sinon, elle n'a aucune valeur. Elle ne deviendra valable qu'avec un endossement. Il faut donc que la lettre de change porte qu'elle est créée à l'ordre d'une personne déterminée, soit le tireur, soit un tiers, pour qu'on puisse s'en servir. En effet, messieurs, la traite porte que l'on doit payer à l'ordre de... Or, pour que cette traite puisse circuler, il faut que, tout au moins, le tireur mette sa signature au dos de l'effet. Sinon on ne pourra pas s'en servir. L'honorable M. Jacobs s'occupe donc d'un cas dans lequel il n'y a pas de véritable lettre de change.

M. Jacobsµ. - Il s'agit d'éclaircir le point suivant : M. le ministre de la justice me demande comment une lettre de change qui ne porte pas le nom de celui au profit de qui elle est tirée, pourra circuler. Je lui réponds qu'elle circulera de la même manière que circule une lettre de change qui ne porte pas le nom de la personne au profit de laquelle elle est endossée. De même qu'une lettre de change, quoique ne portant pas le nom d'un second ou d'un troisième endosseur, circule de main en main, de place en place, de même elle pourrait circuler sans porter le nom du bénéficiaire primitif, de celui au profit de qui elle est tirée.

Le mode sera le même ; le porteur qui voudra combler la lacune, le blanc, y insérera son nom. Cette circulation est donc parfaitement possible. Le tout est de savoir si on le permettra, oui ou non. La seule différence entre les deux cas consistera en ce que ce sera dès le premier porteur que commencera la série des transferts en blanc.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable membre se trompe, en assimilant le cas où la lettre de change ne porte pas le nom de la personne au profit de qui elle est tirée à celui d'un endossement en blanc. Ce sont deux cas tout différents. Dans le second, il y a quelqu'un qui profite de la lettre de change ; dans le premier, personne n'en profite ; personne ne peut s'en prévaloir. (Interruption.)

Un effet qui n'est au profit de personne n'est pas une lettre de change ; il n'y a de lettre de change réelle et valable que celle qui est créée au profit d'un tiers ou du tireur.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.

MpVanHumbeeckµ. - Nous sommes en présence du texte proposé par M. le ministre de la justice, et des amendements de M. Jacobs.

M. Jacobsµ. - J'y renonce.

- L'article 93, tel qu'il est proposé par le gouvernement, est adopté.

Article 94

« Art. 94 (projet du gouvernement). Une lettre de change peut être tirée sur un individu, et payable au domicile d'un tiers.

« Elle peut être tirée par ordre et pour le compte d'un tiers. »

MpVanHumbeeckµ. - Le gouvernement, dans ses nouveaux amendements, propose la suppression de cet article.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable rapporteur et moi sommes d'accord pour supprimer cet article ; les principes formulés à l'article 94 sont des principes de droit commun. Il est évident qu'on peut indiquer le domicile élu du tiré. De même il est évident que la traite peut être tirée par ordre et au profit d'un tiers. Ce sont des principes de droit commun.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je suis d'accord avec M. le ministre pour demander la suppression de l'article 94.

- La suppression de l'article 94 est mise aux voix et adoptée.

Article 95

« Art. 112 (95 du projet du gouvernement). Sont réputées simples promesses toutes les lettres de change contenant supposition, soit de nom, soit de qualité, soit de domicile, soit des lieux d'où elles sont tirées ou dans lesquels elles sont payables. »

La section centrale, d'accord avec le gouvernement, propose la suppression de cet article.

- Cette suppression est prononcée.

Article 95 (projet de la commission

MpVanHumbeeckµ. - Je lis le texte de l'article 95 proposé par la commission.

« Si l'époque ou le lieu de payement ne sont pas indiqués dans la lettre, elle est présumée payable à vue au domicile du tiré.

« Si la lettre n'a pas de date, c'est à celui qui s'en prévaut à établir quelle est cette date. »

M. Dupont, rapporteurµ. - Nous avons proposé un second paragraphe à l'article 95.

D'accord avec M. le ministre de la justice, je suis d'avis de supprimer le second paragraphe de l'article que nous avons proposé et il consent à supprimer le second paragraphe de sa rédaction.

Nous conservons la date comme un élément essentiel de la lettre de change, : c'est là une modification à ce que la commission avait d'abord admis ; mais, après un nouvel examen, nous avons craint de voir surgir de nombreux procès sur cette question de date et nous avons préféré laisser subsister le système actuel.

M. Jacobsµ. - Je voulais proposer, à mon tour, la suppression du second paragraphe de l'article 95 du projet du gouvernement. Il laisse aux tribunaux un pouvoir arbitraire. Quant au paragraphe premier, je préfère, dans un certain sens, la rédaction de la commission. Le gouvernement emploie deux phrases, la commission les condense en une. La commission n'emploie que le présent, le gouvernement emploie alternativement le présent et le futur.

Si on supprimait le mot « présumée » dans l'article proposé par la commission, sa rédaction vaudrait mieux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'amendement de l'honorable M. Jacobs ne peut être admis. Il y a deux cas différents.

L'article de la commission porte : « Si l'époque ou le lieu de payement ne sont pas indiqués, etc. »

(page 151) Il y a « ou ». Il peut se faire qu'une seule des deux hypothèses se présente.

Quant à l'emploi du futur ou du présent, je demande que la Chambre réserve ce point ; il pourra être réglé d'une manière générale au second vote.

Je pense donc que la rédaction du gouvernement est préférable. Le mot « présumée » ne pourrait pas non plus être admis. On ne sait de quelles présomption il s'agit.

Si une lettre de change n'indique pas l'époque du payement, elle sera à vue ; si elle n'indique pas de domicile, elle sera payable au domicile du tiré.

M. Delcourµ. - Messieurs, j'avais demandé la parole précisément pour présenter les observations que vient de faire l'honorable ministre de la justice.

Je trouve avec lui que le changement apporté au paragraphe premier du projet de la section centrale est très raisonnable.

L'article de la section centrale laissait un doute incontestable. On y établit une présomption, mais quelle en était la nature ?

Peut-elle être contredite ou était-elle juris et de jure ? L'amendement lève tous les doutes. Nous pouvons donc le voter avec une pleine sécurité.

M. Jacobsµ. - J'avais fait remarquer déjà qu'il fallait biffer le mot « présumée » du texte proposé par la commission. Si l'on préfère deux phrases pour les deux cas différents prévus par l'article, je n'insiste pas sur ce point.

Au moins faut-il employer le présent, comme aux articles précédents et suivants. En le décidant dès maintenant, nous simplifierions notre besogne de révision au second vote.

M. Dupont, rapporteurµ. - J'ai demandé la parole pour insister sur un point important du débat qui semble un peu perdu de vue en ce moment ; je veux appeler l'attention de la Chambre sur la proposition que nous lui avons soumise, M. le ministre de la justice et moi, de faire de la date un élément essentiel de la lettre de change. La suppression du paragraphe 2, proposée par la commission, atteint ce but en faisant disparaître la modification que nous apportions au code actuel.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comme la Chambre a pu le voir, le gouvernement a hésité à se prononcer sur cette question. On s'est demandé quelle était la valeur d'une lettre de change non datée. Fallait-il la considérer comme une simple promesse, comme un engagement pur et simple, ou bien fallait-il lui donner la valeur d'une lettre de change et lui permettre de circuler ? Après mûre réflexion, nous avons pensé qu'il valait mieux considérer comme essentielle et indispensable la date de la lettre de change. C'est aux tiers à ne pas accepter des effets non datés. .

C'eût été ouvrir la porte à de nombreux procès que de laisser faire, par les moyens ordinaires, la preuve de la date de la lettre de change. Il est important que la lettre de change puisse sûrement circuler. Pour arriver à ce résultat, il faut empêcher que des procès puissent naître au sujet de la question de savoir quelle était la date de la lettre de change.

Il est donc bien entendu que toute lettre de change non datée doit être considérée comme une simple promesse et n'a pas d'autre valeur.

MpVanHumbeeckµ. - M. le rapporteur et M. le ministre de la justice sont d'accord pour proposer la même rédaction et pour supprimer le second paragraphe de l'article du gouvernement.

M. Jacobs propose de remplacer dans le premier paragraphe le mot « sera » par le mot « est ».

Je mets cet amendement aux voix.

- Adopté.

MpVanHumbeeckµ. - Je mets maintenant aux voix la suppression du paragraphe 2 du projet du gouvernement.

- Adopté.

Articles 96 et 97

« Art. 96. La signature des femmes et des filles non négociantes ou marchandes publiques sur lettre de change ne vaut, à leur égard, que comme simple promesse. »

— Adopté.


« Art. 97. Les lettres de change souscrites par des mineurs non négociants sont nulles à leur égard, sauf les droits respectifs des parties, conformément à l'article 1312 du code civil. »

- Adopté.

Article 98

« Art. 113 (98 du projet du gouvernement). La provision doit être faite par le tireur ou par celui pour le compte de qui la lettre de change sera tirée, sans que le tireur cesse d'être personnellement obligé. »

M. le président. - La commission propose la rédaction suivante :

« La provision doit être faite par le tireur ou par celui pour le compte de qui la lettre de change sera tirée, sans que le tireur cesse d'être personnellement obligé envers les endosseurs et le porteur, et même envers le tiré, si celui-ci a déclaré ne payer ou n'accepter que pour lui.

« Le donneur d'ordre n'est personnellement tenu, ni vis-à-vis des endosseurs, ni vis-à-vis du porteur. »

M. Jacobs a proposé la rédaction suivante :

« Art. 98. Le tireur pour compte est personnellement obligé envers les endosseurs et le porteur ; il l'est même envers le tiré, si celui-ci a déclaré payer ou n'accepter que pour lui.

« Le donneur d'ordre n'est personnellement tenu, ni vis-à-vis des endosseurs, ni vis-à-vis du porteur. »

Cet article ainsi modifié ferait suite à l'article 94.

M. Jacobsµ. - Messieurs, cet article devait faire suite à l'article 94 qui vient d'être supprimé. Sa disparition entraîne celle de mon article.

Quant au commencement de l'article maintenu par M. le ministre de la justice, je persiste à en demander aussi la suppression. Je n'en vois pas l'utilité. J'attendrai qu'on me donne une bonne raison pour le maintenir, avant de m'y rallier.

M. Dupont, rapporteurµ. - D'accord avec M. le ministre de la justice, nous supprimons l'article rédigé par la commission et nous vous proposons de voter simplement l'article amendé tel qu'il vous a été soumis par le gouvernement, dans le projet distribué hier soir.

Voici ce qui avait guidé la commission lorsqu'elle avait proposé sa rédaction primitive. Elle avait pensé qu'il était utile de trancher la controverse qui s'était élevée sur le point de savoir quelle était la position du donneur d'ordre.

Elle avait cru également devoir admettre la jurisprudence de la cour de cassation de France, sur le droit du tiré, lorsqu'il se trouve en présence d'un tireur pour compte dans la solvabilité duquel il a confiance et d'un donneur d'ordre dont il ne veut pas remplir le mandat.

Nous avions proposé de lui accorder un recours contre le tireur pour compte quand il a déclaré payer pour le tireur et non. pour le donneur d'ordre.

M. le ministre de la justice m'a fait observer dans la réunion que nous avons eue pour nous mettre autant que possible d'accord sur le texte de la loi à soumettre à la Chambre que le deuxième paragraphe de la commission ne faisait que consacrer les principes du droit commun et qu'il pouvait être supprimé.

Nous avons renoncé également au premier amendement pour rester dans les principes généraux du droit qui permettent au tiré d'exercer un recours contre le tireur pour compte s'il remplit d'abord les formalités du protêt et du payement par intervention. Le tireur pour compte doit être considéré vis-à-vis du tiré comme un véritable endosseur.

Quant à la proposition de l'honorable M. Jacobs, qui veut supprimer complètement l'article, je ne puis m'y rallier. En effet, il n'est pas sans intérêt d'indiquer qui doit, en règle générale, faire la provision. Sans doute la provision n'est pas d'essence dans la lettre de change. Le tiré peut faire l'avance de la somme. Cependant il est utile d'indiquer par qui cette provision doit être faite, spécialement quand il y a un donneur d'ordre.

M. Jacobsµ. - M. le rapporteur vient de faire observer que la seule partie maintenue de l'article 98 n'est en réalité que l'application des principes généraux du droit. Cette même raison a fait disparaître le finale de cet article et l'article 94. Dès lors pourquoi ne pas supprimer aussi, le commencement ? D'autant plus que, comme on l'a dit, la provision n'est pas de l'essence de la lettre de change.

Je maintiens donc la proposition de supprimer complètement cet article.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si l'on veut se placer au point de vue absolu des principes, l'article peut être supprimé. Il est certain que la provision doit être faite par la personne qui a donné naissance à l'effet et qui en a profité le premier.

Mais en pareille matière, il peut aussi être dangereux d'être trop bref. Nous énonçons un principe dont l'évidence saute aux yeux des hommes versés dans la science du droit, mais qui n'est pas aussi bien connu de tout le monde et je trouve qu'il n'est pas inutile de dire dans la loi :

« La provision doit être faite par le tireur ou, si la lettre est tirée pour le compte d'autrui, par le mandant ou donneur d'ordre. »

Celle phrase sera même fort peu comprise par ceux qui ne connaissent pas les termes juridiques. Notre article a, du reste, un autre but ; il fait voir que la lettre peut être tirée pour compte d'autrui. Je ne pense pas qu'il faille pousser le laconisme jusqu'à supprimer tous les textes qui ne sont pas absolument indispensables.

- La rédaction proposée par M. le ministre de la justice est mise aux voix et adoptée.

Article 99

(page 152) « Art. 116 (99 du projet du gouvernement). Il y a provision si, à l'échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d'une somme au moins égale au montant de la lettre de change. »

M. Jacobs a proposé la suppression de cet article.

L'article est mis aux voix et adopté.

Article 100

« Art. 117 (100 projet du gouvernement). L'acceptation suppose la provision.

« Elle en établit la preuve à l'égard des endosseurs.

« Soit qu'il y ait ou non acceptation, le tireur seul est tenu de prouver, en cas de dénégation, que ceux sur qui la lettre était tirée avaient provision à l'échéances, sinon il est tenu de la garantir, quoique le protêt ait été fait après les délais fixés. »

La commission propose l'amendement suivant :

« Art. 100. Le porteur a, vis-à-vis des créanciers du tireur, un droit exclusif à la provision qui existe dans les mains du tiré, lors de l'exigibilité de la traite, sans préjudice à l'application de l'article 445 de ce code.

« Si plusieurs lettres de change ont été émises par le même tireur sur la même personne, et qu'il n'existe entre les mains du tiré qu'une provision insuffisante, les traites au payement desquelles la provision aura été affectée d'une manière spéciale avant l'acceptation, seront acquittées avant toutes autres. A défaut d'affectation spéciale, les traites acceptées seront payées par préférence.

« Si elles sont toutes acceptées, ou qu'aucune d'elles ne le soit, la provision appartiendra à celles qui échoient les premières ; si elles ont la même échéance, elle sera distribuée, au marc le franc, entre tous les porteurs. »

M. Teschµ. - Je demanderai une explication à M. le ministre de la justice sur le second paragraphe de l'article 100 qui porte :

« A défaut d'affectation spéciale, les traites acceptées seront payées par préférence à celles qui ne le sont point et suivant l'ordre des acceptations. »

Je pense que ce paragraphe ne sera applicable que lorsque le tireur et le tiré seront en faillite, parce que si le tiré a accepté, toutes les traites doivent être payées.

Ce second paragraphe ne peut être applicable que quand tous les deux sont en faillite.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'article dit : « A défaut d'affectation spéciale, les traites acceptées seront payées par préférence à celles qui ne le sont point et suivant l'ordre des acceptations. »

L'honorable membre l'a très bien dit, lorsque le tiré accepte, il doit payer le tout.

Mais il peut se présenter que la valeur de la lettre de change soit un corps certain et déterminé. Alors il y a une préférence et c'est celui dont l'affectation est spéciale qui sera payé préférablement.

M. Teschµ. - Nous sommes d'accord, mais cela suppose que le tiré est en faillite.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela peut aussi arriver lorsque le tiré n'est pas commerçant.

M. Teschµ. - S'il a accepté, il doit payer.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et s'il est en déconfiture ?

M. Teschµ. - C'est la même chose. Ce paragraphe suppose que le tiré ne peut payer.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Lorsque le tiré a accepté, il est toujours obligé de payer. Mais nous nous plaçons dans l'hypothèse où le tiré ne peut satisfaire à son acceptation.

M. Teschµ. - Nous sommes d'accord. Je voulais seulement éclaircir un doute.

MpVanHumbeeckµ. - La parole est à l'honorable M. Van Iseghem.

M. Van Iseghem. - Je voulais faire l'observation que vient de faire l'honorable M. Tesch. Je renonce à la parole.

MpVanHumbeeckµ. - Je dois faire remarquer que l'article 100, que le viens de lire, ne correspond pas à l'article 100 du projet primitif. L'article amendé correspond à l'article 100 nouveau.

Il en résulte donc la suppression de l'article 100 primitif, qui était l'article 107 du code de commerce.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'admets la suppression.

MpVanHumbeeckµ. - On est d'accord pour la suppression de l'article 100 primitif.

Nous avons donc à nous occuper de l'amendement que propose l'honorable M. Jacobs à l'article 100 nouveau.

M. Jacobsµ. - Les modifications apportées par le gouvernement au projet de la section centrale ne sont que des modifications de détail. Il adopte l'opinion admise par la commission sur le fond de la question, opinion contraire à celle que j'ai longuement développée hier.

Avant de revenir sur cette question, il est une observation que me suggère la rédaction du gouvernement.

Il y est dit que le porteur a, vis-à-vis des créanciers du tireur en faillite, un droit exclusif à la provision qui existe entre les mains du tiré ; on ne précise pas à quelle époque.

Le projet de la commission disait : « Lors de l'exigibilité de la traite. » Or, il s'agit d'insérer dans la loi si c'est à l'époque de l'échéance ou à la date de la déclaration de faillite.

Il importe de préciser ce point, car la provision peut varier beaucoup de l'une à l'autre de ces dates.

Pour en revenir à la controverse qui nous divise et qui a eu l'effet de mettre en conflit les deux cours de cassation de France et de Belgique, il est incontestable que le droit exclusif dont parle l'article, sans en définir la nature, est un droit de privilège et non un droit de propriété.

On ne peut soutenir que le porteur soit propriétaire de la provision, je l'ai démontré hier.

Le contraire est établi en cas de faillite du tiré, et le droit du tireur de disposer de la provision jusqu'au moment de l'acceptation consacre son droit de propriété.

Il est incontestable que la lettre de change n'opère ni une vente de la provision, ni une cession de créance, qu'elle est un simple mandat à. ordre.

Importe-t-il de donner à ce mandat à ordre, qui n'est ni une vente de provision, ni une cession de créance, un privilège sur la provision dans le cas de faillite du tireur ? Y a-t-il avantage à créer cette exception aux effets naturels de la lettre de change ? Je n'en vois pas. Je ne comprends un privilège, une exception au droit commun que pour autant qu'on réalise un avantage sérieux au point de vue du commerce.

Je me demande si ce privilège accordé au porteur en vue de faciliter la circulation des lettres de change non acceptées, car pour les lettres acceptées mon amendement suffit, je me demande si ce privilège facilitera en réalité cette circulation ?

Je suis amené à en douter ; le porteur de ces traites, le banquier à qui on les a remises, ne va pas se fier au hasard qui fera qu'au moment donné de la faillite ou de l'échéance il y aura provision. Le banquier comptera pour rien cet heureux hasard, cette bonne fortune ; au contraire, il se dira qu'en règle générale le tireur, à la veille de faire faillite, disposera de toutes ses ressources et qu'après avoir fait traite sur le tiré, il cherchera encore par mille moyens à lui retirer la provision ; il ira chez lui, il disposera d'une autre façon et, si la provision est un corps certain, ou un warrant de marchandises en entrepôt ou un connaissement de marchandises sous voiles, il cédera son connaissement pour faire de l'argent.

La nécessité poussant le débiteur à user de toutes ses ressources et à dérober la provision du porteur de la lettre de change, je suis persuadé qu'aucun porteur n'attachera la moindre importance à ce droit exclusif que lui confère l'article 100.

Vous ne faciliterez en aucune façon la circulation de la lettre de change non acceptée et vous aurez établi un privilège qui ne se justifie en rien. Laissez le porteur dans le droit commun, laissez-lui les avantages attachés naturellement à la lettre de change ; s'il veut s'en procurer d'autres, qu'il demande un titre nouveau lui conférant la propriété même de la provision, soit connaissement, soit warrant.

Je persiste à penser que le code de commerce, tel que l'interprète la cour de cassation de Belgique, donne une sécurité suffisante au commerce, la seule qu'on puisse lui accorder. Tout le reste n'est qu'illusion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre est d'accord avec le projet de loi quant aux traites acceptées. Seulement, il dit : L'acceptation donne au tiré un droit sur la provision.

Messieurs, nous ne nous occupons, dans le paragraphe premier, que de la situation du porteur de l'effet vis-à-vis de créanciers du tireur ; et voici ce que nous disons : Que la traite ait été acceptée ou qu'elle ne l'ait pas été, le porteur de l'effet a préférence vis-à-vis les créanciers du tireur.

L'honorable membre nous dit : Mais quel avantage y a-t-il à cela ? D'abord, messieurs, je crois qu'il est très dangereux de déterminer en théorie ce que c'est que l'endossement d'une lettre de change ; de décider que c'est une cession de la créance ou une cession de la propriété de la provision.

Nous ne voulons pas faire de théorie. Nous entendons régler la situation au moment de l'échéance ; car jusque-là le tireur a le droit de disposer de ses (page 153) fonds. C'est pourquoi nous ne disons pas dans l'article : Au moment de l'exigibilité de la traite, car il ne peut s'agir que de ce moment.

Maintenant, quelle est la situation au moment de l'échéance ? Que la traite soit acceptée ou qu'elle ne le soit pas, c'est le porteur de l'effet qui a préférence sur la somme vis-à-vis des créanciers du tireur.

L'honorable membre me dit : Quelle utilité y a-t-il à cela ? Croyez-vous que vous allez faciliter la circulation des effets de commerce et donner une plus grande valeur à la lettre de change ? Je réponds affirmativement. Je suis convaincu que nous obtiendrons ce résultat ; et je crois pouvoir le prouver.

Je suppose que je sois négociant à Bruxelles ; je sais que mon banquier est en possession de sommes importantes déposées au profit d'un négociant d'Anvers. Je vais à Anvers ; je fais une affaire avec ce négociant et lui demande une traite sur mon banquier de Bruxelles.

Il est bien évident que la connaissance que j'avais de la position a été un élément de la négociation.

L'honorable membre me dit : Le tireur pourra, en vue de la faillite, retirer tout son argent. Mais cela ne se fait pas toujours ainsi.

Les faillis ne vont pas, dix jours avant la cessation de leurs payements, retirer les fonds qu'ils ont dans toutes les banques, et, au surplus, je ne vois pas, lorsque la provision existe, pourquoi vous ne donneriez pas, même en l'absence d'une acceptation, un droit de préférence au porteur.

Je crois donc qu'il y a utilité pour le commerce à maintenir ce droit de préférence pour le porteur vis-à-vis des créanciers du tireur.

Maintenant quels sont les autres cas qui sont réglés par les paragraphes suivants de l'article 100 ?

Nous supposons le cas où il y a plusieurs lettres de change émises sur la même personne et où il n'existe pas une provision suffisante entre les mains du tireur. Il s'agit d'une lettre de change non acceptée. Dans ce cas, la règle que nous suivons est encore rationnelle.

Quand il y a une affectation spéciale, les traites au profit desquelles la provision aura été affectée seront payées avant toutes les autres.

Le troisième paragraphe de l'amendement du gouvernement prévoit les cas où le tiré est en faillite.

Le dernier paragraphe dispose que les traites non acceptées seront payées selon l'ordre de leur émission ; si elles ont la même date, elles seront payées selon l'ordre des échéances, et, enfin, s'il n'y a pas de différence entre les traites, elles seront payées au marc le franc. Ce sont là des règles fort rationnelles.

Un seul point n'est pas traité dans l'article ; je proposerai de combler la lacune par un amendement.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je me rallie à l'amendement proposé par M. le ministre de la justice.

M. Jacobsµ. - M. le ministre de la justice est d'avis que, dans sa rédaction, il est inutile d'indiquer à quelle époque il faut se reporter pour déterminer la provision sur laquelle le porteur de la lettre de change a un droit exclusif.

Pour faire comprendre combien est illusoire l'avantage accordé au porteur de la lettre de change non acceptée, je suppose que l'échéance de la traite est postérieure à la déclaration de faillite du tireur. Au moment de cette déclaration, un curateur est nommé, il réclame la provision, le tiré, qui n'a pas accepté, s'en dessaisit entre ses mains, il doit le faire, puisque le curateur représente le failli.

Le porteur de la lettre de change, qui comptait sur la garantie de la provision, n'en trouve plus au jour de l'échéance de la traite. (Interruption.)

Je suppose le tireur en faillite avant l'échéance. Le porteur, qui a compté sur le droit exclusif que lui promet l'article 100, est victime de cette illusion.

Ne le lui promettez pas et il veillera mieux sur ses intérêts ; il ne se bercera pas d'illusions.

L'exemple cité par M. le ministre de la justice, de ce banquier qui ne reçoit, en effet, que parce qu'il sait que son confrère le tiré a des fonds entre les mains appartenant au tireur, ne me paraît pas pratique.

Il en serait ainsi, si en général les lettres de change étaient tirées à vingt-quatre heures d'échéance.

L'échéance est d'ordinaire lointaine, la situation du commerçant chez son banquier varie dans l'intervalle, surtout à la veille d'une faillite, au moment où il a besoin de disposer de tous ses fonds ; la provision, le gage espéré disparaît.

En réalité les curateurs de faillite ne trouvent d'ordinaire dans l'actif que la ressource dont le failli n'a pas pu disposer.

A part cela, tout ce qui est réalisable est réalisé par le failli et le porteur, qui compterait en cas de faillite trouver un solde chez un banquier, se bercerait de trompeuses illusions.

Ne donnons pas ces illusions au porteur, n'affectons pas de lui donner une garantie sur laquelle il ne peut compter ; maintenons une situation qui a toujours suffi en Belgique et que la cour suprême a constamment appliquée.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je reconnais volontiers que l'opinion qui a été consacrée, sur la question que nous discutons en ce moment, par la cour de cassation de Belgique est peut-être une opinion plus juridique que celle qui a été adoptée par la cour de cassation de France.

Mais pourquoi les cours impériales, pourquoi la cour de cassation de France a-t-elle fini par se rallier à l'avis unanime des tribunaux de commerce ? Et ici nous pouvons nous assurer immédiatement que l'opinion de M. Jacobs sur l'importance de la réforme est complètement erronée.

La cour de cassation de France a été forcée par l'opinion publique, forcée par les usages et les besoins du commerce, forcée par les avis unanimes des tribunaux et des chambres de commerce de se rallier à l'opinion moins juridique peut-être, mais plus pratique, qui a été repoussée par notre cour de cassation.

Messieurs, c'est une erreur profonde de soutenir que la réforme dont nous nous occupons en ce moment est sans intérêt réel et je m'étonne que l'honorable M. Jacobs, qui est député d'une place de commerce si importante, n'ait pas recueilli dans sa ville natale la fréquente expression du désir de voir introduire cette réforme dans le plus bref délai.

Pour ma part, je n'ai pas vu un seul banquier, un seul négociant éclairé qui ne m'ait dit que le commerce attachait un grand prix à la révision de cet article du code actuel.

Lorsque M. Jacobs vous a cité un exemple qui, selon lui, devait vous démontrer que cette réforme n'est point importante, il vous a dit : Je suppose le tireur en faillite ; on lui nomme un curateur ; je suppose, d'autre part, un effet qui ne soit pas arrivé à échéance au moment où la faillite éclate. Le curateur s'adressera au tiré et le tiré devra payer. Le porteur ne recevra donc rien et la mesure est tout à fait illusoire.

Mais l'honorable membre suppose que son opinion a triomphé, quand il nous donne cette solution : si l'opinion de la commission et du gouvernement est, au contraire, adoptée par la Chambre, c'est l'inverse qui se produira et dans le cas qu'il a cité, le porteur recevra le montant de la provision... Peu importe que le curateur l'ait touché à son insu ; en cas de refus de sa part, le tribunal le forcera à remettre la provision au porteur.

En effet, c'est précisément au point de vue de la faillite qu'a été fait l'article que nous discutons. La provision qui se trouve entre les mains dit tiré reviendra au porteur. Voilà le but que nous nous proposons, et l'exemple que l'honorable M. Jacobs a développé démontre précisément l'intérêt que le commerce doit trouver à la réforme qui nous est soumise.

La lettre de change deviendra ainsi, dans la mesure du possible, un billet de banque, une monnaie fiduciaire, le signe représentatif de la provision qui est aux mains du tiré. Je m'en réfère, sur ce point, aux développements de mon rapport.

J'ajouterai cependant un mot pour justifier encore cette disposition nouvelle, qui n'est devenue nécessaire que par une interprétation trop rigoureuse de la loi, pour appuyer cette solution qui est admise en France par suite de la jurisprudence de la cour suprême sans que le législateur ait dû intervenir.

L'honorable ministre, de la justice vous a donné tout à l'heure les motifs principaux à l'appui du texte nouveau. Permettez-moi d'en ajouter deux autres.

Le premier est tiré de l'équité, l'équité dont il faut toujours tenir grand compte, lorsqu'il s'agit de réformes à apporter dans la législation. Eh bien, est-il équitable que le créancier du tireur, qui a déjà reçu une première fois le prix de la lettre, le perçoive en quelque sorte une seconde fois entre les mains du tiré ? Remarquez que le tireur, lorsqu'il a remis la lettre de change à l'endosseur, a reçu le prix de cette lettre de change. Et vous (page 154) voulez qu'il le reçoive une seconde fois par l'intermédiaire de ses créanciers en prenant entre les mains du tiré la provision dont la lettre était le signe transmissible ?

J'ajoute une seconde observation : c'est que la jurisprudence de la cour de cassation de Belgique peut être critiquée au point de vue de sa base fondamentale. Elle s'est rattachée, par une espèce de transaction, à l'acceptation, pour en faire la condition du transfert de la propriété de la provision.

Or, il me paraît irrégulier de faire dépendre des relations qui peuvent exister postérieurement entre le tiré et l'un des endosseurs ou le porteur, les effets d'une convention entre le tireur et le porteur.

Il y a là une idée qui ne paraît pas juridique. Les conséquences de la convention entre le porteur et le tireur ne peuvent être régies par des transactions ultérieures qui ont eu lieu entre le tiré et le porteur. C'est là un élément qui doit rester complètement étranger aux relations entre l'endosseur et le tireur. Les effets des conventions doivent être restreints aux parties qui les ont formées. Le fondement juridique de la jurisprudence belge est donc loin d'être inattaquable.

M. Jacobsµ. - Je n'abuserai pas des moments de la Chambre, mais il est un point qui doit être éclairci.

L'honorable rapporteur nous a dit tout à l'heure : La faillite rend toutes ces dettes exigibles ; dès lors, c'est au moment de la faillite qu'il faut se rapporter pour déterminer la provision, gage du porteur.

Encore importerait-il de le dire. Remarquez que le porteur de la lettre de change peut avoir compté sur des rentrées à faire par le tiré pour compte du tireur, à une époque postérieure. L'échéance de la lettre de change a lieu quinze jours après la déclaration de faillite. Je suppose que le porteur sait que, dans l'intervalle de cette quinzaine, le tiré doit recevoir, pour compte du tireur, des sommes assez importantes ; c'est sur cela qu'il a compté.

Or, s'il faut s'en rapporter uniquement au moment de la faillite, parce qu'il rend la traite exigible, remarquez que le porteur ne perdra point droit sur les encaissements postérieurs faits par le tiré.

Il faut choisir une date : ou la date de la faillite eu celle de l'échéance de l'effet, abstraction faite de la faillite. Le porteur ne peut cumuler les avantages des deux.

Il ne peut profiter d'une part de ce qui se trouve entre les mains du tiré au moment de la déclaration de la faillite, et, d'autre part, profiter encore de ce qui rentrera dans ses mains dans l'intervalle de la faillite à l'échéance. Il faut choisir entre ces deux dates pour déterminer la provision sur laquelle vous donnez un droit exclusif.

Si vous prenez la date de l'échéance, vous n'atteignez pas votre but, et si vous prenez la date de la déclaration de la faillite, vous n'atteignez pas non plus votre but, puisque, dans l'intervalle entre la faillite et l'échéance, le tiré peut avoir reçu, pour compte du tireur, des sommes considérables, dont la prévision a précisément déterminé le porteur à accepter l'effet.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre confond le cas dont nous nous occupons avec d'autres cas non prévus par l'article. Qu'arrivera-t-il ? Ou la traite sera exigible au moment de la faillite ou elle sera exigible postérieurement.

Dans le premier cas, avec le projet du gouvernement, il n'y a pas de difficulté. C'est le porteur de l'effet qui, vis-à-vis des créanciers de la faillite, aura la préférence. L'honorable membre dit : Le curateur viendra prendre l'argent. Mais le curateur ne représente-t-il pas les créanciers ? Il sera évincé.

M. Jacobsµ. - L'objection ne porte que sur le second cas.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Eh bien, le deuxième cas est tout à fait étranger au débat. Vous êtes obligé de faire tomber la traite au jour de l'échéance et c'est à la provision qui existe au jour de l'échéance, que vous avez droit. Celui qui vous a cédé l'effet, vous a dit : Allez chez un tel à tel jour, il y aura telle somme à votre disposition. En cas de faillite toutefois, l'échéance est avancée et c'est à la date de la faillite qu'il faut que la provision existe. Si elle n'est faite qu'après, le porteur n'y a plus droit Vous n'avez donc aucun droit sur la provision qui n'existe pas à cette date. Mais la provision qui existe à l'échéance appartient incontestablement au porteur de l'effet car le montant de l'effet a déjà été touché ; l'effet a été escompté par le failli ; celui-ci en a reçu l'import. La faillite ne peut pas le recevoir une seconde fois.

M. Watteeuµ. - Messieurs, les dispositions du projet de loi qui tendent à attribuer un droit exclusif au porteur de la lettre de change non acceptée, constituent, au profit de ce dernier, un véritable privilège. Les privilèges en général ne peuvent être admis que lorsqu'ils se justifient par des raisons majeures ; ici, au contraire, ce privilège engendrera incontestablement les conséquences les plus injustes et surtout une multitude de contestations judiciaires.

Pour moi, au lieu d'avoir fait pour communes une chose utile, je crois que vous lui aurez rendu un déplorable service.

Je ne parle, bien entendu, que de la lettre de change non acceptée. Nous savons tous ce qui se passe lorsqu'un négociant est gêné dans ses affaires et qu'il prévoit une débâcle plus ou moins éloignée : les créanciers qui sont sur les lieux l'obsèdent immédiatement, et, pour les contenter, se faisant allusion comme toujours, il s'empressera de leur donner des effets. De cette manière, la majeure partie de son actif passera à quelques-uns de ses créanciers au détriment de tous les autres, qui se trouveront devant le néant.

Cela est inévitable, d'autant plus que, d'après la loi de 1851 sur les faillites, on ne peut attaquer les payements faits par le failli à une époque rapprochée de sa chute, qu'autant qu'ils n'aient point été faits en effets de commerce et pour dettes échues.

Or, le débiteur malheureux lutte autant qu'il le peut et dans l'intervalle toutes ses dettes sont arrivées à échéance. Tous ses payements par traites auront donc été faits pour dettes échues et seront parfaitement valables. C'est là, messieurs, un danger réel.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela existe dans le code actuel.

M. Watteeu. — Je vous demande pardon. Sous la législation actuelle, la traite non acceptée ne donne aucun droit de préférence sur la provision.

L'acceptation n'est pas dans les habitudes du commerce belge et l'honorable ministre de la justice l'a si bien compris qu'il propose une disposition nouvelle d'après laquelle le créancier aurait le droit de disposer sur son débiteur, qui serait obligé d'accepter.

Si cela était dans les mœurs du commerce, cette disposition nouvelle ne devrait pas être introduite dans le projet de loi.

Là encore vous vous heurterez contre des difficultés telles, que vous ne parviendrez pas à vaincre les répugnances ni les difficultés que vous rencontrerez dans la pratique.

Mais ceci est une digression. Mon observation principale avait pour but d'attirer l'attention de la Chambre sur cette espèce de privilège que vous créez par la loi nouvelle au profit du porteur de la lettre de change non acceptée.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je récuserai ma compétence quant à la question de savoir ce qui peut plaire au commerce en cette matière. Mais je m'étonne de l'observation de l'honorable membre en présence de réclamations constantes des chambres de commerce.

Nous avons déféré aux vœux du commerce.

Un des grands défauts de la lettre de change, c'est qu'elle n'assurait pas au porteur la provision en cas de faillite ; on s'en plaignait avec raison, et le gouvernement, d'accord avec la commission de la Chambre, vous propose de trancher la question en faveur du porteur.

L'honorable membre dit : Cela va donner lieu à de grandes difficultés.

Mais, en matière de commerce, tout peut donner lieu à de grandes difficultés, et certainement la loi sur les faillites prévoit la possibilité de très grandes fraudes.

L'honorable membre objecte qu'un débiteur aux abois fera des lettres de change et payera certains créanciers au détriment des autres. Mais cela dépend du délai dans lequel ces payements se feront. S'ils s'effectuent dans les dix jours qui précèdent la cessation de payement, ils sont nuls, et le créancier sera tenu de rapporter les sommes qu'il aura reçues.

Si c'est en dehors de ce délai, le tireur en disposant de la provision a usé de son droit.

Nous demandons quels inconvénients il peut y avoir à décider que le porteur aura la provision préférablement aux créanciers de la faillite ?

Vous parlez de fraudes. Mais de quelles fraudes ?

Nous nous plaçons dans l'hypothèse où le tiré aura une provision en mains. N'est-il pas juste qu'il la donne au porteur de l'effet ?

Il peut arriver, direz-vous, que le tiré nie l'existence de la provision. Soit, mais cela peut arriver tous les jours, même sous le code actuel.

Au surplus, une disposition semblable à celle que nous proposons est en vigueur dans plusieurs pays et elle ne produit pas les inconvénients que l'on redoute.

L'honorable membre trouve des difficultés parce qu'il imagine des cas qui ne sont pas ceux du projet.

(page 155) Nous ne parlons que du cas où, le tireur étant en faillite, le tiré reconnaît avoir la provision.

Le porteur de la lettre de change n'a-t-il pas un véritable droit de préférence sur la provision ?

MPµ. - Je voudrais ajouter une observation au point de vue des faits plutôt qu'au point de vue du droit que mon collègue de la justice a examiné d'une manière complète.

Pourquoi la disposition dont nous nous occupons est-elle un progrès ? Parce qu'elle augmente la sécurité du moyen de crédit qui est aujourd'hui le plus efficace.

Nous avons fait un assez grand nombre de lois pour chercher à augmenter la facilité d'obtenir des fonds en donnant des garanties ; la loi hypothécaire n'a pas d'autre but ; la loi sur les warrants a aussi pour objet de permettre au commerçant d'obtenir plus facilement des fonds.

On sait qu'en Angleterre c'est au moyen de cette affectation spéciale de certaines marchandises à l'existence d'une dette que les plus grandes affaires se font aujourd'hui.

Ici quel est le moyen auquel on recourt le plus généralement pour employer des rentrées futures ? La remise d'effets de commerce, soit en payement, soit à l'escompte. Quel est le progrès à introduire ? L'accroissement de la sécurité de ces valeurs. C'est la confiance. C'est progresser dans la voie des facilités qu'il convient d'accorder au commerce.

La réforme, que réalise le projet présente précisément ce caractère.

M. Watteeu doit reconnaître que le nouveau système qui affecte la provision à la garantie de l'effet, augmente la garantie que donne cet effet et par conséquent donne un moyen de crédit plus efficace. Il y a donc là au point de vue pratique un avantage incontestable.

Puisque j'ai la parole, je ferai maintenant une observation en réponse à ce qu'a dit tout à l'heure M. Tesch. Je crois que l'honorable membre s'est mépris sur la portée de l'article en discussion.

Le projet porte que la provision appartient d'abord à celui à qui on l'a affectée spécialement ; il n'y a pas de difficulté sur ce point. Vient ensuite le cas des traites acceptées auxquelles on donne la priorité sur les traites non acceptées.

Le projet ajoute qu'en cas de plusieurs acceptations la préférence se détermine par l'ordre de l'acceptation.

Je voudrais provoquer une explication de M. le rapporteur qui me semble nécessaire.

Il me paraît que, sauf un cas que j'indiquerai tantôt, les traites acceptées doivent venir sur la même ligne.

De deux choses l'une : ou le tiré paye ou il est en faillite.

S'il est solvable, il doit payer toutes les acceptations et nous n'avons pas à nous en occuper ; c'est ce qu'a reconnu M. Tesch.

Je suppose, au contraire, le tiré en faillite ; il est évident que, dans ce cas, il ne peut pas y avoir de préférence non plus et qu'il doit payer toutes les acceptations au marc le franc.

Ainsi donc, soit dans le cas où le tiré est solvable, soit dans le cas où il est en faillite, il est inutile d'indiquer qu'on pourra suivre l'ordre des acceptations, puisqu'il doit payer intégralement s'il est solvable...

M. Teschµ. - Où est donc mon erreur ? C'est précisément ce que je voulais faire dire.

MiPµ. - J'avais compris que vous admettiez l'ordre des acceptations en cas de faillite comme une cause de préférence ; nous sommes donc d'accord ; mais alors les mots : « suivant l'ordre des acceptations doivent disparaître ».

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas le moins du monde.

M. Teschµ. - Je voulais faire constater que l'article ne trouve son application que quand le tireur et le tiré sont en faillite, car lorsqu'ils sont solvables toutes les traites doivent être payées.

MiPµ. - Permettez : même dans ce cas, il n'y a pas lieu à établir de rang d'après l'ordre des acceptations.

Je suppose que les traites aient été tirées par un individu tombé depuis en faillite sur un individu qui est aussi tombé en faillite, et que les acceptations excèdent le montant de la provision.

Comment allez-vous payer ces acceptations ? Evidemment au marc le franc au profit de toutes les traites acceptées. Sur ce point, nous sommes d'accord. Dans ce cas même donc, le payement ne pourra pas être fait dans l'ordre des acceptations.

M. Teschµ. - Je prie M. le ministre de l'intérieur de se mettre d'accord avec son collègue de la justice. Je me suis borné à demander une explication pour éclaircir un doute.

MiPµ. - Je partage le même doute et je crois qu'il faut l'éclaircir.

Aussi, voici ma conclusion : Je crois qu'il y a là une très grande difficulté et je pense que ces mots « en suivant l'ordre des acceptations » ne peuvent être maintenus avec la généralité qu'ils ont dans le texte du projet. Ils soulèveront de très graves difficultés qui me paraissent mériter d'être examinées par la section centrale et mon collègue M. le ministre de la justice.

Le seul cas où le texte qui me donne ces doutes soit applicable est le cas, fort rare, où il y a, dans les mains du tiré, un corps certain constituant la provision, et je suppose dans ce cas la faillite du tireur et du tiré.

Il peut y avoir là intérêt à savoir à qui ce corps déterminé appartiendra, s'il deviendra la propriété des différents porteurs de traites qui ont toutes été acceptées ou si un seul l'obtiendra. Peut-être dans ce cas pourrait-on suivre l'ordre des acceptations, mais dans ce cas seulement.

Mais si le premier est une dette de choses fongibles, il est incontestable qu'il ne peut pas être question de l'ordre des acceptations. Il faudrait donc qu'il fût clair que le texte ne peut s'appliquer à d'autres cas.

Je crois que l'honorable M. Dupont ferait chose utile s'il nous soumettait un rapport spécial sur cette matière difficile.

M. Teschµ. - Cela prouve qu'il n'est pas prudent de discuter des lois du jour au lendemain.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois dire à mon honorable collègue qu'il n'a pas exactement lu le projet de loi.

L'article est très clair : « A défaut d'acceptation spéciale, dit-il, les traites acceptées seront payées par préférence à celles qui ne le sont point et suivant l'ordre des acceptations. » Or, il ne s'agit pas ici du cas où le tireur est solvable, car alors il paye tout ce qu'il doit ; mais quand le tireur n'est pas solvable, l'article ne peut pas toujours recevoir son application. Il n'a de raison d'être que quand l'objet de la lettre de change est un corps certain et déterminé.

Je soumettrai à n'importe quel tribunal l'article tel qu'il est rédigé, et je suis bien certain que pas un seul ne sera d'avis qu'il doit recevoir son exécution quand il ne s'agit pas d'un corps certain.

Les amendements que je propose ont été très étudiés. L'honorable M. Namur, dont la compétence sera reconnue par tout le monde, a bien voulu me prêter à cet effet le concours de ses lumières.

M. Watteeuµ. - La réponse que M. le ministre de la justice a bien voulu faire à mes observations démontre, ce qui d'ailleurs n'est douteux pour personne, que le projet de loi est favorable au commerce de banque.

Mais je ne me préoccupe pas du commerce de banque, je me préoccupe du commerce en général ; s'il est vrai que l'escompte deviendra plus facile, d'un autre côté il est à craindre que l'industrie n'ait gravement à souffrir dans ses rapports de crédit pour le commerce.

Voilà donc à quel point de vue général je me place, et nullement à celui où l'on paraît s'être placé en rédigeant cet article du projet de loi.

J'attire encore votre attention sur le paragraphe 4 de l'article 100 nouveau, proposé comme amendement par le gouvernement.

Je vous disais tantôt que je n'aimais pas les privilèges ; c'est assez vous dire que je ne pourrais pas me rallier à la disposition que contient ce quatrième paragraphe, parce que j'y trouve un privilège greffé sur un privilège. J'ai dit tout à l'heure que c'était une préférence que rien ne me paraissait justifier au profit du porteur de la traite, mais maintenant j'y vois un second droit de préférence accordé à certains porteurs d'une traite.

D'après le paragraphe, celui qui sera porteur d'une traite émise quelques jours avant, aura la préférence sur le porteur d'une autre traite tirée quelques jours après ; celui-ci sera donc évincé par le porteur d'une traite antérieure ; par conséquent, cette sécurité que vous prétendez donner au commerce de banque, que vous prétendez devoir faciliter l'escompte, ce droit de préférence sera une chimère, à moins que celui qui escompte une traite ne se soit assuré qu'il n'y en a pas eu d'autre tirée avant celle dont il est porteur ; mais s'il y a une traite avant la sienne, si cette traite est antérieure de quelques jours, le porteur de la seconde sera victime de sa confiance, d'autant plus que la loi en discussion tend à augmenter sa confiance.

Jusqu'ici il connaissait le danger qu'il courait, il prenait ses précautions en conséquence ; par la loi, vous lui faites espérer un moyen de sécurité que jusqu'ici il n'avait pas.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable M. Watteeu me paraît être en contradiction dans les arguments par lesquels il (page 156) combat la proposition du gouvernement. Tout à l'heure il a dit que cette disposition ne produirait aucun effet, qu'elle ne donnerait aucune garantie nouvelle. Maintenant on crée un privilège...

M. Watteeuµ. - J'ai dit que vous entendiez favoriser l'escompte et le commerce de banque.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si je favorise le commerce de banque, la disposition n'est donc pas illusoire ; si vous augmentez la confiance des banques, vous favorisez l'industriel qui pourra se procurer de l'argent plus facilement et à meilleur compte.

Maintenant l'honorable membre dit : Pourquoi donner un privilège à celui qui aura une première disposition non acceptée ?

Je puis parfaitement dire au tireur : Avez-vous déjà tiré d'autres lettres de change et s'il me répond négativement, je puis m'assurer de l'exactitude de sa réponse par plusieurs moyens.

Dès le moment où j'ai la première lettre de change, j'ai une garantie ; je suis payé le premier, dans le cas de faillite du tireur, préférablement à tous les créanciers.

Vous avez, messieurs, à choisir entre deux systèmes, celui du code de commerce actuel qui ne donne aucune espèce de garantie et celui que nous proposons, qui existe en Allemagne et en France et qui donne des garanties à la première disposition.

M. Watteeuµ. - Messieurs, je regrette de n'avoir pas eu le bonheur d'être parfaitement compris de l'honorable ministre de la justice.

J'ai dit tout à l'heure que le projet de loi avait pour but essentiel, pour but évident de favoriser le commerce de banque ; mais que, selon moi, cette faveur se faisait au détriment de l'industrie, et par conséquent du commerce en général.

Mais enfin, en supposant que la réforme soit acceptée par la Chambre, je signalerai le paragraphe qui donne un privilège à la première traite sur les autres. (Interruption.)

D'abord celui d'affectation spéciale et déterminée. Voilà, je crois, une définition qui demande à être définie et qui, dans la pratique, pourra donner lieu à bien des contestations.

Voici sur quoi portent mes observations : Je comprendrais très bien que, puisque vous voulez favoriser le commerce de banque, en lui octroyant un droit de préférence sur la provision, que vous placiez tous les porteurs sur la même ligne. Mais ce n'est pas ce que vous faites. Vous prétendez que les traites, même acceptées, doivent être payées dans l'ordre des acceptations.

Je vous ai présenté déjà cette objection : Comment celui qui a une seconde disposition pourra-t-il s'assurer qu'une première n'ait pas déjà été tracée ? Et ne confondons pas ce qu'il faut entendre par première ou seconde quand il s'agit d'un seul et même escompte.

Vous me répondez qu'il peut écrire au tiré pour savoir si on n'a pas déjà disposé de la provision. Mais cela ne se fera pas, parce que rien que cette espèce d'inquisition serait déjà une preuve de la défiance qu'inspire celui avec lequel il s'agit de traiter.

Comment ! un négociant honorable viendra chez un banquier présenter une traite à l'escompte, et avant que le banquier consente à l'escompter, il devra faire une espèce d'enquête sur la moralité de ce négociant ; il ira jusqu'à pousser ses investigations, peut-être injurieuses, jusqu'au point d'aller demander chez le tiré lui-même s'il n'a pas frauduleusement, mensongèrement, allégué l'existence de la provision ! Sont-ce là des moyens pratiques ? Evidemment non. Lorsqu'il doit recourir à de pareils moyens, ce banquier s'abstient de traiter. Il refuse le crédit et l'industriel prudent en agirait de même.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous ne nous comprenons pas. Toutes les traites acceptées doivent être payées par le tiré. Si le tiré est en faillite, les traites doivent être payées dans l'ordre des acceptations. Mais, dans ce cas alors, il ne s'agit que de corps certain et déterminé.

Voici comment est conçu l'article :

« A défaut d'acceptation spéciale, les traites acceptées seront payées par préférence à celles qui ne le sont point et suivant l'ordre des acceptations. »

Cela ne peut point exister lorsque le tiré est solvable, puisque alors il doit payer toutes les traites.

Cela ne peut exister que lorsqu'il y a un corps certain et déterminé ; mais lorsqu'il s'agit de choses fongibles, il ne peut y avoir de préférence.

Je comprends votre observation quant au quatrième paragraphe.

Mais je ne pense pas qu'il y ait grand danger à admettre la règle qu'il consacre.

Si la provision n'est pas suffisante, les porteurs ne seront pas payés. N’est-ce pas le cas d'aujourd'hui ? Le tireur peut toujours disposer de sa provision jusqu'au dernier jour. En conséquence, l'effet de commerce que l'on reçoit est un effet précaire. Le payement de la lettre de change dépend d'une foule d'événements. On n'a pas d'autre garantie que le crédit de l'individu. Mais voici un cas qui peut se présenter et pour lequel le projet de loi sera utile.

Il peut se faire que l'individu qui ne voudrait rien prêter sans cela, sachant qu'il y a provision et qu'il n'a pas encore été tiré sur cette provision, dise : Je veux prêter de l'argent parce que je suis certain d'être payé, moyennant cette provision, préférablement à d'autres. C'est une facilité nouvelle pour le commerce Je ne dis pas que le cas se présentera souvent ; mais il peut se présenter, et au surplus on ne porte pas préjudice aux porteurs d'autres traites. Ils n'ont accepté que sur la foi que le tireur pourrait payer. Ils n'ont pas pu compter sur la provision. Elle ne leur était pas connue et le plus souvent elle n'existe pas. Dès lors je ne vois pas pourquoi vous n'admettriez pas une disposition qui existe dans les autres pays.

M. Guillery. - Je vois avec peine créer un privilège, je. vois avec peine introduire dans la loi le décret pour un négociant gêné, de créer un privilège par une simple lettre de change. Si un négociant emprunte au moyen de ce fait que vient de faire miroiter M. le ministre de la justice, qu'il y a une provision chez un banquier, par exemple, il expose celui avec lequel il contractera et auprès de qui il aura fait valoir ce cautionnement, à être trompé, parce qu'évidemment, cette provision peut être retirée et je ne crois pas que l'on ait jamais vu un failli ayant des provisions chez un banquier.

II peut y avoir des débiteurs et sous ce rapport, il peut y avoir des provisions ; mais quant aux sommes déposées chez un banquier, elles auront cessé d'exister longtemps avant la faillite.

Quant à la question en elle-même, je vois un danger à introduire un privilège pour une espèce de créance sans aucune espèce de garantie. En général, il est un principe de droit qui me paraît d'une vérité incontestable c'est que le privilège est odieux. Il faut le restreindre autant que possible ; et quand on l'introduit dans la loi, il faut l'accompagner de certaines garanties, comme cela se fait pour les hypothèques et autres privilèges.

Ici l'on donne à un débiteur dans l'embarras le moyen de créer des privilèges au préjudice, comme l'a très bien dit l'honorable M. Watteeu, du commerce qui n'est pas banquier et qui n'a pas de lettre de change, et il faut aussi tenir compte de ces créanciers-là.

On a fait valoir un argument qui m'avait séduit d'abord, je. l'avoue. Mais après réflexion, il ne m'a plus séduit du tout.

On a dit : Comment le créancier aurait-il doit à la valeur de la lettre de change, puisque cette valeur a déjà été touchée ? On ne peut la payer deux fois. Mais il en est de même de toutes les créances. Tous les créanciers ont donné la valeur de leur créance. On est créancier pour avoir donné au débiteur sa marchandise.

On lui a donné une valeur.

On est créancier pour avoir prêté de l'argent et on lui a donné une valeur comme le porteur de la lettre de change. Il faudrait donc que tous les créanciers fussent dans la même position.

Si les chambres de commerce ont réclamé contre la législation actuelle en ce qui concerne le point dont nous nous occupons, je crois qu'elles se sont placées au point de vue d'une partie du commerce et qu'elles ont perdu de vue le commerce en général et les usages qui ont toujours présidé au commerce en Belgique.

M. Dupont, rapporteurµ. - L'honorable membre semble supposer qu'il est une seule catégorie de personnes intéressées à la réforme que nous discutons en ce moment. D'après lui, il n'y a que les banquiers qui y aient intérêt. C'est là, messieurs, une erreur complète : l'effet a passé par un grand nombre de mains et il est évident que si vous assurez le payement, tous les endosseurs se verront débarrassés de la responsabilité qui pèse sur eux. Ce ne sont donc pas seulement les banquiers, mais ce sont tous les petits intermédiaires qui profiteront de la disposition.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai une seule chose à dire sur la dernière observation de M. Guillery. Si le porteur de la lettre de change devait être assimilé à tous les autres créanciers, c'est la destruction de la lettre de change.

Le code de commerce donne des avantages à la lettre de change ; ces avantages, le projet actuel les augmente. Nous sommes dans l'esprit de la lettre de change. Il ne faut pas que par la faillite on vienne perdre tout ce qu'on a donné en vertu de la confiance qu'on avait dans la lettre de change. Si vous ne voulez pas accorder des avantages à la lettre de change, elle ne signifie plus rien.

Il s'agit, en cas de faillite, d'assurer au porteur de la lettre de change des avantages que n'ont pas les créanciers ordinaires. Vous prévoyez des (page 157) difficultés, soit, mais en donnant un privilège au porteur, nous ne nous écartons pas des principes de la lettre de change.

Les commerçants sont les premiers à réclamer le changement que nous proposons et il n'est pas exact de dire qu'il ne profitera qu'aux banquiers. Car si nous facilitons l'escompte de la lettre de change en l'entourant de nouvelles garanties, nous rendons service à tous les négociants.

M. Guillery. - Je ne comprends pas que mon système détruise la lettre de change, puisque je défends le système actuel ; je crois d'ailleurs que. ce que j'ai dit était dans le rapport de la commission.

Voici ce que je trouve dans le rapport, à la page 10 :

« Nous ne croyons pas devoir régler par un texte spécial les droits du porteur, en cas de faillite du tiré, sur la provision qui se trouve entre les mains de ce dernier. Cette question ne donne lieu à aucune difficulté : on est aujourd'hui d'accord sur les principes à suivre. Quelle que soit la faveur due à la lettre de change, on tient également compte des intérêts des créanciers du tiré. Si la provision consiste en valeurs, qui sont confondues dans l'actif du failli ou en sont inséparables, elle se partagera au marc le franc entre le porteur et les autres créanciers. »

C'est là un principe qui ne me paraît pas incompatible avec celui que j'ai indiqué tout à l'heure.

Je ne trouve rien de destructif pour la lettre de change à défendre dans un cas ce que l'on défend dans l'autre.

M. Dolezµ. - Messieurs, je n'entends pas prendre part au débat qui vient d'être élevé, mais je crois que l'on a à voter sur un article tout entier.

Or, le dernier paragraphe me paraît plein de dangers.

J'y lis : « Les traites non acceptées seront payées suivant l'ordre de leur émission ; si elles ont la même date, suivant l'ordre des échéances ; enfin, si toutes choses sont égales, au marc le franc. »

Voilà donc un privilège qui va naître d'une simple priorité de date sur la traite.

Il me semble que c'est là donner des facilités à la fraude.

J'admets, après les explications qui ont été données, le privilège du porteur de la lettre de change sur la provision ; j'admets le privilège de celui qui a une lettre de change acceptée sur celui qui a une lettre de change non acceptée, mais, ce privilège résultant d'une simple date, j'avoue que je ne le comprends pas.

Toutes les traites non acceptées sont en concurrence. Vous donnez la préférence, à l'une d'elles parce qu'elle porte une date antérieure.

Il est évident qu'au moyen d'une antidate on pourra créer un privilège et que les créanciers loyaux pourront être lésés.

Il me semble donc, à moins d'explications qui me démontrent mon erreur, que ce dernier paragraphe devrait disparaître.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le tireur est en faillite, il existe plusieurs traites non acceptées et une provision.

Nous voulons accorder un avantage au profit des porteurs de ces traites.

Si l'honorable M. Dolez obtient la suppression du dernier paragraphe, il n'aura pas amélioré la position de ces créanciers. Ils deviendront tout bonnement créanciers chirographaires. Ils entreront dans la masse faillie et vous les aurez privés de la provision.

Le projet alloue la provision à tous les créanciers en vertu des lettres de change. Seulement, voici ce qu'il dit :

Si vous êtes premier par ordre d'émission, vous serez payé le premier ; si la date est la même, vous serez payé au marc le franc.

L'honorable membre demande pourquoi nous attachons la préférence à l'ordre d'émission.

Nous le faisons parce que nous y trouvons une nouvelle garantie en faveur du porteur.

Dans le code actuel, le porteur de la lettre de change est un simple créancier chirographaire.

La suppression du dernier paragraphe de notre amendement le laissera comme aujourd'hui dans le droit commun.

M. Dolezµ. - Je crois n'avoir pas été bien compris par l'honorable ministre.

J'admets sans hésiter le privilège sur la provision en faveur du porteur de la lettre de change ; j'admets encore la priorité dans ce privilège en faveur de celui qui a une lettre de change acceptée relativement à celui qui a une lettre de change non acceptée, mais voici trois porteurs de lettres de change non acceptées, ayant tous trois privilège sur la provision ; la provision est insuffisante pour couvrir notre privilège ; le marc le franc doit s'établir entre nous.

Eh bien, vous donnez privilège dans ce privilège à celui qui possède une lettre de change plus ancienne que la mienne. C'est là ce que je combats, parce que c'est une porte béante ouverte à la fraude.

Maintenez le privilège pour la lettre de change en général, maintenez-la encore pour la lettre de change qui est acceptée ; mais entre trois lettres de change non acceptées ni l'une ni l'autre, donner le privilège sur la provision, qui est le gage commun, à l'une de ces lettres parce qu'elle est la plus ancienne, je ne puis l'admettre.

Je ne comprends pas qu'un privilège puisse résulter d'une simple question de date. (Interruption.)

M. le ministre me disait : Vous anéantissez par là le privilège dû au porteur de la lettre de change, il va devenir simplement créancier chirographaire ; il aura toujours son privilège sur la provision, mais il l'exercera au marc le franc avec tous les créanciers privilégiés au même titre que, lui.

Voilà ce que l'équité commande et il y aurait péril, selon moi, à maintenir le dernier paragraphe de l'article.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je comprends bien l'honorable membre. Il veut faire partager également les porteurs de lettres de change non acceptées sans s'inquiéter de l'ordre d'émission. L'honorable membre me dit : Votre système est injuste parce qu'il doit donner lieu à la fraude. Je crois que c'est une erreur. Nous avons adopté le système que nous vous proposons, parce qu'il est basé sur l'équité. Traitant avec un individu, je lui demande quelle est sa position : il me dit : Je suis créancier de telle somme. - Eh bien, faites-moi une lettre de change : je suis le premier en date, j'ai toute garantie, je dois être payé le premier.

Si l'on adoptait le système de l'honorable membre de faire payer au prorata, toute ma garantie disparaîtrait, car le tireur va créer autant de lettres de change qu'il voudra.

C'est ainsi que vous aurez la fraude.

Avec mon système, cet inconvénient ne pourra pas se produire ; en effet, on se dira : Je ne suis garanti de rien si je ne suis pas le premier, et on ne fera pas l'opération.

Donc, il est évident que, dans des hypothèses nombreuses et déterminées, l'article que l'on critique peut recevoir son application et qu'il est conforme aux véritables principes, car celui qui a traité le premier, croyant avoir une provision, celui-là doit l'avoir, nous devrions la lui assurer.

M. Dolezµ. - Il me semble que les observations de l'honorable ministre sont applicables à tous les porteurs de lettres de change.

Ainsi, j'arrive, moi second croyant être premier ; je reçois une lettre de change d'un tireur déloyal qui me dit : J'ai une provision chez telle personne ; je vous la transmets par la lettre de change que voilà ; j'accepte, croyant être premier.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Tant pis pour vous, si vous ne prenez pas vos précautions.

M. Dolezµ. - Permettez. Aucun moyen ne pouvait me faire connaître si le tireur avait déjà disposé ; je vais chez le tiré et je lui demande : A-t-on tiré sur vous pour telle provision ? S'il a accepté, il dira non ; s'il n'a pas accepté, il ne pourra répondre qu'une chose ? Je n'en sais rien.

Le tireur me disant : Je n'ai pas encore disposé de la provision ; le tiré me disant : On n'a pas encore disposé sur moi ; la provision est libre entre mes mains. J'accepte en toute sécurité ; et cependant il existe un privilège, et il n'y a pour moi aucun moyen de m'en assurer, ni chez le tireur ni chez le tiré. Voilà ce qui m'effraye.

Je vois deux situations également intéressantes, deux situations couvertes par les mêmes précautions, et je ne puis pas admettre qu'une simple question de priorité puisse créer un privilège au profit d'un individu sur l'autre.

Suivant moi, les deux situations sont identiques et partant la provision doit se partager au marc le franc et sans privilège. Jusqu'à présent on ne m'a encore donné aucune raison pour justifier le privilège au profit de l'un et au préjudice de l'autre.

MjB. - Comme je comprends la loi, voici l'opération. La lettre de change portera si elle constitue une première, une seconde disposition, etc., ce sera une innovation ; ce sera une conséquence nouvelle de la législation. Or, si la lettre de change porte ; qu'elle est une première disposition, tandis qu'en réalité elle en constitue une seconde, celui qui l'aura créée aura fait un faux. On pourrait proposer un article dans ce sens.

M. Jacobsµ. - L'explication de M. le ministre de la justice est une confusion entre deux cas différents. C'est lorsqu'on tire plusieurs exemplaires d'une même traite qu'on met sur l'effet première, seconde, troisième, etc. ; mais quand on tire plusieurs traites sur la même personne (page 158) pour des sommes différentes, on ne met pas première, seconde ou troisième, parce que ce ne sont pas autant de copies d'une même traite.

Le tireur peut n'avoir pas disposé chaque fois pour la même somme.

Je suppose un négociant ayant une provision de 5,000 francs chez son banquier ; il tire trois traites, l'une de 2,000, l'autre de 4,000, l'autre de 5,000, qu'il remet à trois personnes différentes ; il ne devra pas indiquer que c'est une première, une seconde ou une troisième disposition. Il ne devra le faire que dans le cas où il remettrait plusieurs exemplaires d'une même lettre de change et où, pour éviter que le tiré ne paye deux fois la même disposition, il indiquera que l'un est le premier, l'autre le second, l'autre le troisième exemplaire d'une même lettre de change.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si l'on trouve que la disposition est indispensable pour dire qu'on peut mettre « première disposition », on peut l'insérer dans la loi. Si vous avez reçu une seconde disposition, croyant que c'était une première, vous serez victime d'un escroc. Et je ne vois pas de raison pour faire la distribution au marc le franc alors que la première personne qui a eu la traite a pu prendre les renseignements nécessaires pour s'assurer si c'était une première disposition et n'a prêté qu'à raison de cette circonstance.

M. Tack. - Il me semble que je n'aurai pas une garantie bien sérieuse par cela seul que je suis porteur de la première disposition, si celui qui est second parvient à faire accepter sa lettre de change par le tiré. Evidemment, ce privilège, qui semble devoir donner toute sécurité au porteur, disparaît complètement. Il suffira de la complaisance du tiré pour que mon privilège disparaisse complètement.

M. Bouvierµ. - Je crois que nous devrions réserver cet article.

- Un membre. - Et le renvoyer à la section centrale. (Appuyé.)

M. Dupont, rapporteurµ. - Messieurs, je ne sais pas pourquoi on renverrait l'article à la commission. Nous avons discuté longuement une question de principe.

Le renvoi à la commission impliquerait-il que cette question de principe doit être de nouveau discutée dans le sein de la commission qui l'a déjà étudiée sous toutes ses faces et qui, veuillez-le croire, en a fait l'objet d'un examen approfondi ?

Il me paraît qu'il ne reste qu'une chose à faire, c'est de choisir entre l'opinion de MM. Watteeu, Jacobs et celle du gouvernement et de la commission.

Après la question de principe, on a discuté la question de préférence entre les différents porteurs de traites acceptées ou non acceptées ; des critiques ont été formulées contre le projet du gouvernement qui fait de la date une cause de préférence entre les créanciers du porteur qui ont des droits sur la provision.

On a dit que les dates peuvent être altérées ; on craint les antidates.

C'est sur ce point que l'honorable M. Dolez a tout particulièrement appuyé ; mais remarquez que dans la matière de la lettre de change, et ici je fais appel à la longue expérience de notre honorable président, la date joue toujours un rôle considérable et les antidates sont toujours possibles : mais aussi la loi les punit de la peine du faux. Au surplus, cette cause de préférence, qui n'existait pas dans le projet de la commission pourrait être abandonnée s'il est seulement démontré qu'elle n'est pas juste ou qu'elle présente des inconvénients graves.

Je désire donc savoir si le désir de la Chambre est de modifier l'article ; en d'autres termes, dans quelle forme le renvoi à la commission serait-il ordonné ?

Je dois dire que dans l'esprit de la commission, comme dans celui de M. le ministre de la justice, il y a lieu de maintenir énergiquement le principe déposé dans l'article nouveau, comme un des points essentiels de la révision de la loi sur la lettre de change.

M. Thibautµ. - Je crois avec l'honorable rapporteur qu'il n'y a pas lieu de renvoyer l'article à la commission ; l'honorable rapporteur persistera sans doute dans l'opinion qu'il a défendue ; le renvoi est donc inutile.

Je ne m'oppose même pas à la clôture de la discussion.

Je me borne seulement à demander que l'article ne soit pas voté aujourd'hui. Il y a sans doute beaucoup de membres de cette assemblée qui, comme moi, sont assez embarrassés après la discussion un peu confuse à laquelle nous venons d'assister.

En ce qui me concerne, j'hésite à me prononcer entre l'opinion de MM. les ministres et de l'honorable rapporteur et celle de MM. Jacobs, Watteeu et Guillery ; je désire donc que le vote soit ajourné. J'ajoute que sur les bancs où je siège nous n'avons pu saisir toutes les raisons qui ont été alléguées de part et d'autre ; cette observation s'applique surtout au discours de l'honorable M. Pirmez.

Je demande qu'avant de passer au vote, on nous donne le temps de lire la discussion aux Annales parlementaires.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On peut réserver. J'examinerai avec l'honorable rapporteur s'il y a moyen de proposer une nouvelle rédaction ; mais cela n'empêche pas d'aborder les autres articles du projet de loi.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je me borne à une seule observation : c'est qu'il ne s'agit pas d'une réforme irréfléchie, d'un bouleversement de la législation actuelle ; la cour de cassation de France juge, avec les cours impériales, que la disposition que nous proposons d'introduire dans le projet en discussion est la véritable interprétation de la loi actuelle du code de commerce de 1808.

En France, les commerçants approuvent unanimement cette jurisprudence, et jamais aucune plainte ne s'est élevée chez nos voisins. Chez nous, au contraire, les plaintes ont été continuelles et, suivant nous, légitimes.

C'est là un enseignement dont nous devons faire notre profit.

M. Thibautµ. - C'est déjà très grave de dire que la cour de cassation de Belgique s'est trompée.

MpVanHumbeeckµ. - Personne ne demandant plus la parole, je mets aux voix la proposition de M. le ministre de la justice de réserver entièrement l'article, sauf à continuer la discussion du projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.

- Plusieurs membres. - A demain !

Projet de loi cédant l’entrepôt public d’Anvers à la compagnie anonyme des Docks

Dépôt

MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi autorisant le gouvernement à céder l'entrepôt public d'Anvers à la Compagnie anonyme des Docks établie en cette ville.

- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé, distribué et renvoyé aux sections.

M. le président. - La Chambre me paraît désireuse de se séparer ; entend-elle, comme samedi dernier, fixer l'heure de sa séance de demain à 2 heures ? (Adhésion.)

- La séance est levée à 5 heures.