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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 juin 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1079) M. Dethuin, secrétaireµ, procède a l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit ensuite le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Reppel prient la Chambre d'autoriser la construction d'un chemin de fer d'Anvers à Düsseldorf par Gladbach, sous la condition du maintien du tracé adopté en 1845, sauf, si une modification était jugée nécessaire, à la faire porter sur la partie du tracé partant de Brée vers la frontière néerlandaise, dans la direction de Brée vers Maeseyck, au lieu de Neeritter. »

« Même demande des membres des conseils communaux d'Opitter, Tongerloo. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur de Brauwer-Stock prie la Chambre de prendre des mesures pour sauvegarder les droits de la presse, compromis par un arrêt de la cour d'assises de Gand dans son interprétation de l'article 451 du code pénal. »

« Même demande de journalistes à Thourout, Bruges, Turnhout. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Des employés des jeux de Spa demandent qu'après la suppression des jeux on leur accorde un traitement d'attente ou une indemnité. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur De Senepart prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante a faire cesser son interdiction. »

- Même renvoi.


« Le sieur Julien Loquet, propriétaire à Calonne, né à Blaton (Hainaut), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« La commission administrative de la caisse de prévoyance du Couchant de Mons fait hommage à la Chambre de 4 exemplaires du compte rendu de ses opérations pendant l'année 1868. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Par message en date du 9 juin, le Sénat informe, la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi :

« 1° Qui ouvre au département de l'intérieur un crédit destiné au payement des frais relatifs aux obsèques de S. A. R. Mgr le Duc de Brabant ;

« 2° Contenant le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1870 ;

« 3° Contenant le budget des recettes et des dépenses pour ordre de l'exercice 1870 ;

« 4° Portant prorogation pour les années 1870 et 1871 du mode de nomination des jurys et du système d'examen établis par la loi du 1er mai 1857 ;

« 5° Contenant le budget des non-valeurs et des remboursements pour l'exercice 1870. »

- Pris pour notification.

Décès d’un membre de la chambre

M. le président. - Messieurs, j'ai à faire à la Chambre une triste communication. Un de nos excellents collègues, un de ceux que depuis un grand nombre d'années vos suffrages appelaient à l'honneur de siéger au bureau en qualité de secrétaire, M. de Moor a succombé, cette nuit, à un mal dont il avait senti les premiers symptômes, placé, a nos côtés, au bureau que nous occupons en ce moment.

Notre honorable collègue, j'en suis convaincu, emportera dans la tombe les regrets de la Chambre entière. (Oui ! oui !)

Je suis convaincu encore d'être votre organe, en vous demandant de charger votre président de faire connaître à Mme de Moor toute la part que nous prenons au malheur qui vient de la frapper. (Assentiment.)

Je propose à la Chambre de décider qu'une députation de onze membres, qui sera présidée par le président de la Chambre, assistera aux funérailles de notre honorable collègue.

Cette députation sera, conformément aux précédents, désignée par le sort. (Assentiment général.)

Il va être procédé immédiatement à cette désignation.

- Le sort désigne MM. Jouret, de Haerne, Rogier, Visart, Delcour, Vermeire, Jacquemyns, Braconier, Bieswal, Schmitz et Beeckman,

M. le président. - Il est bien entendu que les autres membres de la Chambre pourront se joindre a la députation.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Jouretµ et M. de Rossiusµ déposent des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi ouvrant un crédit au budget du ministère des affaires étrangères

Rapport de la commission

M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a pour objet d'ouvrir un crédit de fr. 20,004 80 au département des affaires étrangères.

- Même décision.

Projet de loi sur la milice

Discussion des articles

Chapitre IV. Des exemptions des dispenses d’incorporation et des exclusions

M. Hymans (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de décider qu'elle tiendra aujourd'hui et demain une séance du soir, dans l'espoir de pouvoir terminer samedi prochain la discussion du projet de loi sur la milice.

- Des membres. - Non ! non !

M. Hymans. - Je soumets cette proposition d'accord avec plusieurs membres de la Chambre qui m'ont tous dit qu'ils étaient d'avis qu'en ayant une séance du soir aujourd'hui et demain, on pourrait terminer l'examen de ce projet de loi.

Si la Chambre croit qu'il n'en est pas ainsi, je n'insisterai pas.

- La proposition d'avoir une séance du soir aujourd'hui et demain est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

Article 23bis

MiPµ. - L'honorable rapporteur du projet de loi sur la milice a été appelé à Liège par la maladie grave d'un de ses petits-fils. Il m'a chargé de l'annoncer à la Chambre en demandant pour lui un congé.

Il m'a demandé en même temps de rectifier une erreur typographique qui s'est glissée dans les Annales parlementaires. Il a dit dans une phrase de son discours d'hier, en parlant du travail de la section centrale : « Le travail actuellement soumis à la Chambre. » Les Annales lui ont fait dire : « Le travail excellent soumis à la Chambre. »

Je crois que le travail est excellent ; mais l'honorable M. Muller a de bonnes raisons pour ne pas en faire l'éloge (Note de bas de page : La feuille contenant la séance du 9 juin ayant dû être réimprimée, la rectification indiquée par M. le ministre de l'intérieur a été faite dans le texte.)

- Le congé est accordé.

M. Delcourµ. - Je ne reviendrai pas sur les observations que j'ai présentées hier : l’'amendement de l'honorable M. Orts, celui de M. De Fré vous sont connus.

Il me reste à discuter l'amendement du gouvernement, celui que je considère comme le principal.

Moins radical que celui de l'honorable M. de Fré, il consacre deux principes que ma conscience se refuse à admettre :

1° M. le ministre exige que les élèves en théologie, pour être admis à profiter de la dispense, fassent leurs études dans un établissement reconnu par la loi, s'il en existe un ;

2" Il exige encore, selon les explications qu'il a données à la Chambre, que l'élève déclare qu'il se destine au clergé séculier.

Il ne suffira donc plus, si l'amendement du gouvernement est adopté, que le jeune homme déclare qu'il se destine à l'état ecclésiastique, comme cela se pratique aujourd'hui.

Ce sont ces deux conditions que je combats. La première est contraire à l'égalité constitutionnelle des cultes ; elle est essentiellement dirigée contre le culte catholique, qui est celui de la presque unanimité des Belges.

(page 1080) La seconde conduit à des recherches, à des inquisitions incompatibles avec nos mœurs.

En exigeait que les élèves en théologie fassent leurs études dans un établissement reconnu par la loi, l'amendement établit une inégalité choquante entre le culte catholique et les autres cultes.

Ainsi, un jeune homme étudie la théologie protestante ou la théologie juive, vous lui accordez la dispense du service militaire sur la présentation d'un certificat délivré par le consistoire ou par le chef du culte, constatant qu'il étudie la théologie, n'importe où, dans un établissement public ou privé, sous la direction d'un simple particulier ou même dans un établissement étranger.

Mais tout cela change à l'égard du théologien catholique. Il ne suffit plus ici que l'ordinaire constate qu'il étudie une théologie qui le mène à la prêtrise ; on l'astreint encore à faire des études dans un séminaire reconnu par la loi.

Je vous le demande, cette différence est-elle équitable ? N'est-ce pas un acte de réaction ou de défiance contre le clergé catholique ?

On dit qu'il n'y a pas d'établissement reconnu par la loi pour le culte protestant, pour le culte juif ; c'est vrai, mais je demande si c'est là une raison pour aggraver la situation du culte catholique ? Je comprendrais une exception en faveur du culte, de la majorité des Belges, je ne la demande pas, car je ne veux pas de privilège. Du reste, je démontrerai tout à l'heure que le gouvernement a fait écrire dans la loi de 1864 sur les fondations de bourses d'étude un principe diamétralement opposé.

Non seulement l'amendement de M. le ministre de l'intérieur est une atteinte à la liberté du culte catholique, mais il apporte une profonde modification à l'interprétation que la loi de 1817 a généralement reçue depuis 1830, et il n'a fallu qu'un incident pour déterminer le gouvernement à entrer dans une voie nouvelle.

Je viens de dire que la loi de 1817 a été appliquée dans un sens différent de celui qu'on vous propose de sanctionner.

Il est vrai que la députation permanente du conseil provincial de Liège a adopté une jurisprudence différente ; je le sais et je ne le nie pas. Mais je vous prie de remarquer que la députation de Liège est, pour ainsi dire, seule de cet avis.

MiPµ. - Celle du Hainaut s'est prononcée dans le même sens.

M. Delcourµ. - J'en connais plusieurs antres qui suivent une jurisprudence contraire.

Ainsi la députation permanente d'Anvers, celle du Brabant et celle de la Flandre occidentale n'exigent point que l'élève en théologie fasse ses études dans un séminaire ou un établissement reconnu par l'Etat. Ces députations se sont ralliées aux instructions données par le gouvernement, car la question s'est présentée dès les premières années de notre émancipation politique.

J'ai sous la main une foule de documents administratifs qui le constatent.

En 1832, l'honorable comte de Theux, à cette époque ministre de l'intérieur, a donné les premières instructions. Je vous lirai cette circulaire en entier, car j'y retrouve cette haute raison qui distingue cet honorable membre et surtout ces aspirations libérales qui font la force de nos institutions.

Il s'agissait de décider si les élèves des petits séminaires peuvent être considérés comme étudiants en théologie, en présence de l'arrêté du 8 juillet 1818 qui ne parle que des grands séminaires.

« On ne peut disconvenir, disait l'honorable comte de Theux, que cette disposition, examinée mûrement et sans aucune prévention, ne soit sage et n'ait eu un but utile, celui d'empêcher que, sous l'apparence, de se vouer à l'état ecclésiastique, on ne se soustraie à un service que la loi requiert des habitants ; mais on ne peut non plus disconvenir que, tout en voulant éviter des abus, qui sont d'autant plus nuisibles qu'ils tournent toujours au détriment d'un tiers, elle n'ait aussi quelquefois contribué à priver de l'exemption des personnes qui y avaient droit.

« Ainsi, s'il est notoire que, dans les collèges ou petits séminaires que je viens de citer, on enseigne la théologie, que l'on prouve par un certificat délivré par le chef du diocèse que celui qui l'étudié a l'intention de se vouer à l'état ecclésiastique, je ne vois pas que l'on puisse lui refuser l'exemption dont l'article précité lui assure le bénéfice, sans distinction entre les divers établissements où la théologie est enseignée.

« J'ai trop de confiance dans la droiture du clergé belge et surtout des chefs diocésains pour craindre qu'ils délivrent des certificats de l'espèce légèrement à ceux qui n'y auraient pas droit, et qu'ils consentissent à faire peser cet acte de complaisance sur d'autres miliciens qu'une exemption, illégalement accordée à un autre, forcerait injustement à servir. »

II ne s'agit encore que des petits séminaires. Mais on n'a pas tardé à se demander si la même règle doit être appliquée à un établissement privé, lorsqu'il est constaté par l'ordinaire qu'on y étudie la théologie qui mène à la prêtrise.

La question s'est élevée spécialement pour l'abbaye de Tronchiennes, qui sert de noviciat aux membres de la Compagnie de Jésus.

Voici en quels termes M. J.-B. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, a répondu :

« Dans une circulaire qu'un de mes prédécesseurs, M. le comte de Theux, a adressée le 26 janvier 1832 à MM. les gouverneurs des provinces, il leur faisait remarquer que la circulaire du gouvernement précédent du 24 juin 1819, en déterminant que l'exemption ne serait accordée, qu'à ceux qui se trouvaient dans les grands séminaires, avait en réalité apporté une restriction à la loi, dont le texte n'admettait point de distinction entre les divers établissements où la théologie est enseignée.

« Or, il ne peut exister aucun doute à cet égard pour l'abbaye de Tronchiennes après les renseignements que nous a donnés M. l'évêque de votre diocèse : par conséquent, le sieur D... est fondé dans la réclamation qu'il a formée. »

Quel est le principe qui se dégage de ces documents ? Qu'il faut, mais aussi qu'il suffit d'établir que l'élève, pour avoir droit à l'exemption, se livre aux études théologiques dans un établissement qui offre une garantie sérieuse. Les conseils de milice, les députations permanentes en degré d'appel jugeront ce point de fait.

Ainsi, dès qu'il est prouvé que dans un établissement, même privé, comme celui de Tronchiennes, on enseigne une théologie qui conduit à la prêtrise et que l’établissement présente toute garantie à cet égard, le gouvernement a décidé que le droit à l'exemption était acquis.

Le gouvernement vous a fait voter un principe analogue dans la loi du 16 décembre 1864 relative aux fondations de bourses d'étude.

L'article 38 de cette loi porte :

« Le boursier a la faculté de fréquenter un établissement public ou privé du pays à son choix, sans que cette faculté puisse être restreinte par l'acte de fondation. »

La loi proclame donc la liberté du boursier, et vous la lui avez accordée, malgré nous, contre la volonté des fondateurs.

Soyez donc conséquents. Pourquoi vous montrer plus rigoureux lorsqu'il s'agit de la dispense du service militaire ? Dès qu'il est constaté que le jeune homme se destine à l'état ecclésiastique et qu'il fait des études en théologie qui doivent le mener à la prêtrise, quelle raison avez-vous pour porter atteinte à sa liberté de conscience ?

Vous n'en avez aucune, si ce n'est celle de retirer au culte catholique un droit dont il jouit aujourd'hui.

Que l'article 38 de la loi de 1864 soit applicable à l'étude de la théologie comme aux autres branches des études supérieures, personne ne peut en douter en présence de la discussion de la loi de 1864.

L'honorable M. Malou a demandé si l'article 38 qui, dit-on, garantit la liberté de conscience et le droit de fréquenter un établissement quelconque, s'applique aussi à la théologie. Il y a, ajoutait l'honorable membre, des facultés de théologie autres que celles des grands séminaires. La conscience du jeune théologien a droit au même respect constitutionnel, aux mêmes garanties que celle des autres citoyens.

M. Tesch, ministre de la justice, répondit en ces termes :

« Quant à la question de savoir si, pour la théologie, les boursiers auraient également une certaine liberté, je crois qu'elle leur est assurée en cette matière comme en toute autre, pour autant qu'il s'agisse d'une théologie qui mène réellement à la prêtrise. »

Cette discussion est concluante, elle condamne l'amendement qui nous est présenté.

Mais l'amendement du gouvernement ne s'arrête pas là. Il ne suffira plus que l'étudiant, en entrant au séminaire, déclare qu'il se destine à l’état ecclésiastique ; il devra déclarer, en outre, qu'il entend rester dans le clergé séculier.

Nouvel empiétement sur la liberté de conscience !

Ne trouvez-vous pas toute garantie dans le certificat de l'évêque ? Où sont donc les graves abus de la pratique actuelle ?

Je crains beaucoup que l'amendement interprété par le discours de M. le ministre de l'intérieur ne devienne la source de tracasseries et d'investigations indiscrètes. C'est pourquoi je ne saurais prêter la main à une loi qui conduit à de tels résultats.

A 1'étranger, on se montre sous ce rapport, plus bienveillant que M. le ministre de l'intérieur.

Voici comment la loi est appliquée en France.

(page 1081) MiPµ. - Lisez la loi française.

M. Delcourµ. - C'est où je veux en venir. J'espère vous prouver qu'en France, malgré le texte de la loi, il y a eu, de la part de tous les gouvernements qui se sont succédé, une tolérance dont vous n'usez pas à notre égard. Sans doute la loi française accorde l'exemption provisoire du service militaire aux jeunes gens qui sont dans les séminaires.

M. Orts. - Seulement, dit la loi.

M. Delcourµ. - Je connais la loi française, je l'ai lue plus d'une fois ; je ne nie pas que le texte soit tel que vous l'indiquez : mais là n'est pas la question que je soulève. Exige-t-on, en France, la déclaration que vous demandez par votre amendement ? Non, car j'affirme qu'on apporte en France, même à l'égard des élèves en théologie qui appartiennent aux ordres religieux, moins de rigueur que vous, M. le ministre : vous pouvez du reste le savoir par vos relations avec l'étranger. (Interruption.)

MiPµ. - Je n'ai avec l'étranger des relations d'aucune espèce.

M. Delcourµ. - Cette interruption m'étonne. Le gouvernement n'est-il pas dans son rôle lorsqu'il est en relation avec les puissances étrangères et qu'il leur demande des renseignements sur l'état de leur législation ?

C'est dans ce sens que j'ai entendu le mot « relations » que je viens d'employer.

Nous sommes donc d'accord sur ce point. Mais là n'est pas la question. Je dis qu'en France, la loi a été appliquée, à toutes les époques avec beaucoup d'indulgence et que la loi de 1845, si ma mémoire est fidèle, est allée plus loin que la loi de 1817 en Belgique. Oui, messieurs, la restauration, le gouvernement de juillet, la république et aujourd'hui le gouvernement impérial ont apporté la plus grande bienveillance dans l'exécution de la loi. On m'a assuré que les religieux ne rencontrent pas de difficulté ; ils sont exemptés sur la production du certificat que leur délivre l'évêque.

Revenez au texte de la loi de 1817 ; il est général et conçu dans un esprit libéral. C’était le projet primitif du gouvernement Quant à moi, je suis décidé à le reprendre par voie d'amendement. Je serai plus gouvernemental que le gouvernement lui-même. (Interruption.)

Un dernier mot pour finir.

Dans mon discours d'hier, j'ai exprimé le regret de voir convertir en loi politique et religieuse une loi qui n'aurait pas dû cesser d'être une loi d'administration. Je répète aujourd'hui que In conduite du gouvernement est imprévoyante en obligeant une grande partie de la Chambre à faire à la loi une opposition sans trêve. Je veux une armée solide et stable.

Mais, pour obtenir ce résultat, il faut que la loi s'appuie sur tous les éléments conservateurs qui se rencontrent dans le pays. Le gouvernement qui le méconnaît s'expose à une grande responsabilité vis-à-vis du pays.

MiPµ. - Messieurs, je tiens d'abord à faire connaître à la Chambre quelle est, au point de vue numérique, l'importance de l'amendement que j'ai eu l'honneur de lui soumettre afin qu'elle puisse apprécier si cet amendement méritait, de la part de l'honorable. M. Delcour, un pareil déploiement d'éloquence.

Depuis trois ans, messieurs, le nombre des élèves en théologie qui ont été exemptés a été de 87 dans les grands séminaires, de 3 dans les petits séminaires et de 9 dans les noviciats et ordres religieux.

Les élèves qui sont au petit séminaire se trouvent sous l'autorité des évêques ; pour leur donner l'exemption, il suffit à ceux-ci de les envoyer au grand séminaire, les remplaçant par des élèves que le sort n'a pas désignés pour la milice. Je n'ai donc pas à m'en préoccuper.

En définitive, le nombre des élèves en théologie exemples, appartenant à des ordres religieux que mon amendement touché, n'a été que de neuf...

M. Thonissenµ. - Par an.

MiPµ. - ... de neuf en trois ans, ce qui fait trois par an. (Interruption.)

M. Dumortier. - Pourquoi alors violer la liberté des cultes ?

MiPµ. - Je crains que M. Dumortier ne se fâche en raison inverse de l'importance de l'affaire.

M. Dumortier. - Il s'agit d'un grand principe, de la liberté des cultes que vous outragez.

M. le président. - Vous êtes inscrit, M. Dumortier ; attendez donc, que vous ayez la parole.

M. Thonissenµ. - Comme je le disais tout à l'heure, il y a neuf élèves exemptés par an ; M. le ministre s'est trompé.

MiPµ. - Nullement. Si la Chambre le désire, je ferai imprimer la statistique d'ici à demain.

Il existe donc trois élèves appartenant à des ordres religieux qui sont exemptés par an.

Or, comme en Belgique il y a en moyenne un individu sur trois qui se fait remplacer, on peut supposer que sur trois élèves en théologie un au moins a les moyens de fournir un remplaçant et deux qui ne le pourraient pas et pour lesquels l'ordre auquel ils se destinent devrait, le cas échéant, supporter les frais du remplacement.

Voilà, en réalité, ce qui va compromettre en Belgique la liberté des cultes ! comme le dit l'honorable M. Dumortier.

Si je fais cette remarque, messieurs, c'est parce que je désire discuter la question avec calme. Mon intention a été de faire une proposition de nature à satisfaire à toutes les exigences et à répondre à tout ce qui est convenable au point de vue du recrutement du clergé.

J'ai voulu maintenir ce qui est légitime, en excluant ce qui ne se justifie par rien, ce qui constitue des prétentions inadmissibles.

Je démontrerai que l'argumentation de l'honorable. M. Delcour n'aurait d'autre conséquence, si elle devait aboutir, que la suppression de toutes les exemptions. Mais avant d'entrer dans ce débat, je dois bien établir la position de la question.

L'honorable M. Orts l'avait fait déjà dans une précédente séance, mais après le discours de l'honorable M. Delcour, je crois devoir revenir de nouveau sur ce point.

Messieurs, la loi de 1817 établit simplement l'exemption en faveur des élèves en théologie, c'est le texte légal ; mais pour l'apprécier il faut examiner la situation.

Or, en 1817, on n'étudiait la théologie que dans les séminaires, il est clair dès lors, que le législateur ne pouvait supposer que l'exemption serait accordée à ceux qui étudieraient la théologie ailleurs. Mais il y a plus, le roi Guillaume, qui probablement connaissait la loi qu'il avait faite aussi bien que l'honorable M. Delcour peut la connaître, le roi Guillaume, dis-je, a pris un arrêté déclarant expressément que l'exemption n'était accordée qu'aux élèves étudiant dans les séminaires.

Ne venez donc pas invoquer en faveur de votre système la possession originelle et ne venez pas dire que nous agissons contrairement à la loi de 1817 ; nous nous conformons, au contraire, à cette loi telle qu'elle a été interprétée, par ceux qui l'ont faite.

Je sais très bien que l'honorable M. de Theux a trouvé convenable d'étendre, par une instruction, la portée de la loi de 1817 quant à l'exemption accordée aux élèves en théologie et que l'honorable M. Nothomb, en 1844, a expliqué cette loi dans le même sens ; mais malgré ces deux décisions, on n'est point parvenu à établir l'unité dans la jurisprudence.

Il est exact que plusieurs députations permanentes citées par l'honorable M. Delcour ont appliqué la loi dans le sens de l'exemption générale, mais il est deux autres députations qui n'ont point partagé cette manière de voir, celle de Liège, comme l'a indiqué l'honorable M. Muller, et celle du Hainaut, qui n'a jamais varié dans sa jurisprudence. Ces deux députations ont interprété la loi de 1817 dans le sens de la proposition que j'ai soumise à la Chambre. On ne peut donc même affirmer que cette proposition constitue une innovation. Quant au changement d'opinion que l'on reproche au gouvernement, j'engage l'honorable M. Delcour à revoir la discussion qui a eu lieu au sein de la commission de 1862 ; il constatera d'une part que le texte primitif portait positivement que l'exemption ne serait accordée qu'aux élèves des grands séminaires, et d'autre part que si, abandonnant le texte du projet primitif, on est revenu à celui de la loi de 1817, ç'a été dans le but d'en limiter les effets en excluant de l'exemption les élèves des petits séminaires.

M. Delcour a invoqué la loi française, mais il faut que l'honorable membre soit sous l'empire d'une singulière illusion pour venir prétendre que les principes de cette loi sont ceux qu'il vous propose.

L'honorable M. Delcour nous dit : Allez dans les pays étrangers et vous y recevrez des leçons de liberté ; vous y verrez des lois analogues à celles que nous demandons.

Messieurs, prenons d'abord la loi française...

M. Delcourµ. - Il faut voir l'application de cette loi.

MiPµ. - Nous y viendrons. Le texte de la loi française porte que, pour jouir de l'exemption, il faut être élève d'un grand séminaire et être autorisé à continuer ses études ecclésiastiques.

Ne venez donc pas nous dire que la loi française est différente de celle que nous demandons. Elle est exactement la même.

Mais, dit-on, l'application est tout autre. Les élèves se destinant aux ordres religieux ont été exemptés à toutes les époques, sous la restauration, sous le gouvernement de Juillet, sous la république et sous l'empire.

(page 1082) Je ne sais d'abord comment il aurait pu en être ainsi sous la Restauration, puisque la loi est de 1832.

M. Delcourµ. - La loi est de 1817, et celle de 1832 n'en est que la conséquence.

MiPµ. - Un arrêté royal a réglé l'application de la loi de 1832 et cet arrêté porte dans son article 16 que les élèves doivent être « dans les grands séminaires à l'exclusion des autres établissements. »

Cela est-il clair ?

Maintenant a-t-on en France comme ici accordé des congés à des jeunes gens qui étudiaient ailleurs la théologie ? Cela est possible ; mais nous nous occupons de la loi, et je constate que le texte de la loi française est identiquement le même que celui de la loi que je demande à la Chambre de voter, et que les décisions sur sa portée qui ont été prises sont conformes au texte.

Mais voici l'argument de l'inégalité constitutionnelle, et c'est ici que l'honorable M. Delcour se place sur un terrain dangereux.

Il nous dit : Vous n'exemptez les élèves en théologie catholiques que lorsqu'ils sont dans les grands séminaires, tandis que vous donnez une dispense aux élèves en théologie des autres cultes, quelle que soit l'institution où ils étudient.

Messieurs, il y a deux manières de faire la loi.

Il y a d'abord celle qui consiste à ne pas tenir compte des faits existants, à ne pas s'occuper des nécessités de la vie pratique. On adopte, dans ce cas, des règles générales, absolues.

Il y en a une autre qui consiste a faire la loi d'après les besoins reconnus, d'après les faits que l'on est à même d'apprécier.

Si vous voulez prendre le premier système, ne pas tenir compte des besoins sociaux, si vous voulez rester dans le domaine spéculatif, comment justifierez-vous l'exemption ?

L'exemption que nous proposons, les honorables MM. de Brouckere et Muller vous l'ont dit, a sa cause dans un état de faits auquel nous voulons subvenir. Si vous ne voulez pas voir les faits, vous devez biffer toutes les exemptions.

Mais, messieurs, ce n'est pas ainsi que nous voulons faire la loi. Nous voulons la faire d'après les faits, d'après les besoins sociaux.

Que voyons-nous ? C'est que pour la religion catholique il y a des établissements reconnus par l'Etat et auxquels nous pouvons avoir égard, tandis que pour les autres cultes il n'y a pas de pareils établissements.

Nous voyons que dans la religion catholique il existe deux catégories de prêtres : ceux qui sont appelés au ministère ecclésiastique proprement dit et qui constituent le clergé séculier, puis ceux qui n'exercent pas ces fonctions nécessaires, et restent en dehors de toute organisation légale.

Les cultes dissidents ne comptent pas beaucoup d'adeptes et ils n'ont pas d'établissements ; nous ne trouvons pas chez eux, à côté du clergé séculier, des ordres religieux.

Nous tenons compte de ces faits, et limitant pour tous les cultes l'exemption à ceux qui se préparent au service du culte organisé, nous devons naturellement avoir égard aux situations différentes dans lesquelles se trouvent les différents cultes.

Vous voulez de l'égalité ; je ne vois, à votre point de. vue, qu'un seul moyen d'en faire ; vous vous plaignez parce que je veux exempter les élèves des grands séminaires et ne pas exempter les élèves d'autres établissements libres ; vous demandez les mêmes avantages pour tous : proposez la suppression des séminaires ! (Interruption.) Remarquez qu'un protestant pourrait dire aussi : Je veux l'égalité, ou bien donnez-moi des séminaires, ou bien supprimez ceux qui existent pour les catholiques.

De sorte que, si l'on appliquait votre système d'égalité absolue, il faudrait, comme conséquence, supprimer les séminaires catholiques.

Voilà où conduisent les thèses exagérées.

On a invoqué, enfin, la loi des bourses ; j'ai été réellement émerveillé, messieurs, d'entendre M. Delcour s'appuyer sur cette loi comme représentant les principes vrais, les principes constitutionnels, les seuls principes admissibles en matière de liberté. (Interruption.) Votre discours ne dit pas autre chose que ceci : c'est qu'il faut donner à chaque élève le droit le plus absolu d’étudier où il veut. (Interruption.) Or, ce principe c'est celui de la loi des bourses ; donc, d'après vous, le principe de la loi des bourses est un principe de liberté. (Nouvelle interruption.)

M. Delcourµ. - C'est un sophisme.

]MiPµ. - Ce n'est pas un sophisme du tout. Il y a des conséquences qu'on n'aperçoit pas toujours quand on raisonne et qu'il est quelquefois désagréable d'apercevoir après coup ; mais quelque déplaisir que cela puisse vous faire, M. Delcour, je vous dois la vérité.

Vous avez prétendu que nous ne pouvions pas nous enquérir du lieu où l'on étudie ; vous avez été plus loin : vous avez dit que notre système est un système de tracasserie !

Si ces principes sont vrais, la loi des bourses n'en a été qu'une juste application. (Interruption.) Pourquoi cette loi des bourses a-t-elle été faite ? Parce qu'on a pensé qu'il est impossible que des gens qui sont morts depuis plusieurs siècles imposent leur volonté à la génération présente.

Mais, messieurs, ici que faisons-nous ? S'agit-il de donner une direction quelconque à l'esprit des jeunes gens, de gêner en quelque chose leur liberté ?

Nullement. Je demanderai à l'honorable M. Delcour si ce système de liberté qu'il préconise existe entre l'élève qui est au séminaire et son supérieur ecclésiastique ; est-ce que l'enseignement de la théologie qui se fait dans un séminaire peut être, au nom de la liberté, répudié par quelqu'un qui veut se faire prêtre ?

Et lorsque la loi accorde une faveur spéciale pour atteindre un but déterminé, lorsqu'on invoque, pour obtenir cette faveur, les fonctions auxquelles on se destine, ne peut-elle examiner si réellement on se destine à ces fonctions ?

Ces considérations écartées, j'examinerai en quelque sorte la question au fond.

La loi sur la milice est une loi très rigoureuse, j'en conviens ; elle impose à ceux qui y sont soumis des obligations fort dures ; en voici quelques conséquences : un homme s'est marié à l'âge où la loi permet le mariage ; il est père ; il aura beau invoquer les besoins de sa femme et de son enfant, nous ne l'écouterons pas, il marchera.

Un enfant est l'unique espoir de sa famille ; c'est le seul, en lui se concentrent toutes les affections de ses parents ; la Chambre vient de décider qu'on n'aurait pas égard à cette condition, qu'on le ferait partir.

Un jeune homme est encore, à un autre point de vue, l'espérance de sa famille. Il est intelligent ; il a obtenu des succès dans ses études moyennes et l'on est en droit d'espérer qu'en prenant un jour position au barreau ou dans la carrière médicale, il procurera à ses parents, dans leurs vieux jours, au moins une légère aisance. La loi est implacable. Elle fait partir l'enfant ; elle détruit toutes les espérances fondées sur lui.

Elle n'a donc pas d'égards pour les situations qui en méritent le plus. Le milicien aura beau être enfant unique, époux, père, l'espoir de la famille, il devra servir le pays. La loi ne s'arrête pas.

Mais un jeune homme se présenterait et viendrait dire : Je veux entrer dans un ordre religieux, il faudrait que la loi s'arrêtât ? Parce que ce jeune homme aurait une intention qui, sans doute, est dans le domaine de la liberté, que je respecte, mais que je constate ne pas créer une situation plus intéressante que celle dont je parlais tout à l'heure, la loi devrait accorder la dispense ?

Ce jeune homme n'a ni caractère sacerdotal, ni intention d'entrer dans un service, social reconnu par la loi, il n'entend s'obliger en rien envers la loi ; pourquoi lui accorderait-on la dispense ?

Je demande si ce serait là une chose juste et si par de pareilles exagérations vous ne tendez pas à détruire l'immunité que vous réclamez et que, dans une large mais légitime mesure, nous voulons accorder ?

Je crois et j'ai la ferme conviction qu'en écartant ces exagérations, je rends plus de services que vous-mêmes à la cause que vous voulez défendre. Je maintiens la dispense dans les limites où elle se justifie, vous la compromettez en l'étendant au delà des termes où elle perd sa raison d'être.

M. De Fréµ. - Le débat auquel viennent de se livrer l'honorable M. Delcour et l'honorable ministre de l'intérieur prouve une chose : c'est que tout système transactionnel donnera lieu à de grandes difficultés. le système le plus avantageux est le droit commun.

Dans une société qui est basée sur l'égalité de tous les citoyens devant la loi, les privilèges doivent disparaître. C'est là le but de notre proposition.

Cette proposition a été attaquée par l'honorable M. de Brouckere, avec beaucoup de courtoisie, par l'honorable M. Delcour, avec beaucoup de modération, et d'une façon très vive par les honorables MM. Dumortier et Thonissen.

L'honorable M. Dumortier nous a accusé de vouloir supprimer le sacerdoce, comme si, dans le système qui a été développé par nous, il s'agissait de forcer le prêtre à quitter la sacristie pour l'armée.

L'honorable M. Thonissen nous a accusé de froisser les catholiques, comme si nous ne faisions des lois que pour les catholiques ; notre seul devoir est de faire des lois pour des Belges, sans nous enquérir des croyances ou des convictions personnelles.

(page 1083) Du moment que nous restons dans la liberté, du moment que nous marchons avec les principes constitutionnels, on ne peut pas nous accuser de vouloir froisser une religion plutôt qu’une autre.

Messieurs, notre proposition était double : elle mettait sur la même ligne les théologiens et les normalistes, la milice cléricale et la milice laïque. Ce caractère impartial de notre proposition a été méconnu par les honorables membres de la droite.

Nous ne voulions pas être accusés de faire une loi contre le sacerdoce, et on nous a traités comme si la proposition que nous faisions était hostile au sacerdoce.

Il est vrai que si l’on avait tenu compte de ce caractère impartial, on n'aurait pas pu se livrer contre nous à des récriminations injustes, dont l'honorable M. de Brouckere, et je l'en remercie, m'a vengé.

Messieurs, nous ne voulons, nous, d'aucun privilège ni pour les théologiens, ni pour les normalistes ; mais les membres de la droite veulent des privilèges, non seulement pour les théologiens, mais encore pour les moines.

Dans une société fondée sur l'égalité, ils veulent, comme au moyen âge, des castes privilégiées.

« La charge militaire est un impôt, a dit, l'autre jour, l'honorable ministre de l'intérieur, que les uns acquittent en nature et les autres en argent. »

Eh bien, en matière d'impôts, il n'y a pas de privilèges. Les honorables membres de la droite, et notamment l'honorable M. Thonissen, demandent en faveur des moines le privilège qui les exemptait autrefois de l'impôt. Il faut à l'honorable membre des moines privilégiés.

L'honorable M. Thonissen a rappelé à la Chambre ses votes en faveur du contingent de l'armée et du budget de la guerre.

L'honorable membre comprend les nécessités de l'ordre à l'intérieur et de la défense nationale.

Chaque fois qu'on a fait un appel à son patriotisme, il a voté successivement les charges militaires, il le fera encore désormais, mais à une condition : c'est qu'il obtienne des moines privilégiés.

L'honorable membre vous a fait de sinistres prédictions ; il a dit : Vous forcerez les catholiques à voter tous les ans contre le contingent et à repousser par un vote unanime le budget de la guerre.

Messieurs, il y a dans cette assemblée d'honorables collègues qui votent contre le contingent et contre le budget de la guerre, parce qu'ils croient que la situation de la Belgique, sa qualité de pays neutre, nous dispense d'avoir un contingent considérable ; ils sont logiques ; mais l'honorable M. Thonissen n'est pas de cet avis : l'honorable membre, dans des discours très éloquents, a soutenu devant cette assemblée que les traités de neutralité ne suffisaient pas pour garantir l'indépendance nationale ; l'honorable membre combattait ses propres amis politiques, afin de les engager a voter le budget de la guerre, dans l'intérêt de la défense du pays, dans l'intérêt de l'honneur et de l'indépendance nationale.

Mais aujourd'hui l'honorable M. Thonissen vient vous dire : Cet ordre intérieur, cette dignité nationale, cette indépendance nationale, tout cela, nous le sacrifions si nous n'avons pas les moines privilégiés ! (Interruption)

- Des membres. - C'est ainsi.

M. de Borchgraveµ. - Vous riez vous-mêmes.

M. De Fréµ. - L'honorable M. Thonissen vaut mieux que son discours, et je ne veux pas me livrer à des attaques personnelles comme il l'a fait à mon égard. Ce n'est pas l'homme que j'attaque, j'en comprends la valeur ; ce que j'attaque, ce sont les doctrines absolutistes, ce sont les doctrines de privilège, qui portent un esprit aussi éclairé à venir vous apporter ici un manifeste antinational. Ce ne sont pas les hommes qui sont mauvais ; ce sont les doctrines, les doctrines intolérantes, les doctrines exclusives qui les dominent et donnent à leur langage cette aigreur et ce caractère excessif que le bon sens réprouve. (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Nous sommes des crétins.

M. De Fréµ. - Je le répète, ce qu'il faut attaquer ce sont les doctrines qui égarent les hommes. Livré à lui-même, livré à ses aspirations philosophiques, l'honorable M. Thonissen combat la peine de mort, combat la contrainte par corps ; il peut se tourner vers nous et nous dire : Regardez-moi ; je suis un homme de progrès. Mais lorsque apparaît l'ultramontanisme romain avec son cortège de privilèges et de monopoles, alors le moine remplace le philosophe. (Interruption.)

M. de Borchgraveµ. - Il faut le mettre à Uccle pour le convertir.

M. De Fréµ. - Et alors, dans une assemblée de législateurs, on entend invoquer les lois de l'Eglise.

Messieurs, si les lois de l'Eglise sont conformes aux lois de l'Etat, on ne doit pas les invoquer pour changer la marche de l'Etat. Si les lois de l'Eglise sont contraires aux principes de l'Etat, aux principes de la société civile, elles ne peuvent pas être invoquées. En vertu de la liberté, il faut respecter les lois de l'Eglise, comme il faut respecter toutes les opinions, toutes les confessions. Mais dans le domaine de la politique, dans le domaine de la législation, il faut les répudier lorsque ces lois sont contraires au mouvement et au bien-être social ; mais le privilège clérical, qui ne peut être défendu par des raisons politiques n'est jamais défendu qu'au nom de la religion. On place la religion dans la milice ; on place la religion dans les bourses d'étude ; on place la religion dans le temporel des cultes. Nous, messieurs, nous plaçons la religion dans la conscience humaine, et dans les aspirations de l'homme vers une vie future.

Messieurs, lorsque en 1859, j'ai soutenu que les dispositions du code pénal qui restreignaient la liberté de la chaire ne s'harmonisaient pas avec le régime politique nouveau qui a été inauguré en 1830 ; lorsque, contre tous mes amis politiques, j'ai soutenu cette thèse philosophique que je crois vraie et que j'ai soutenue dans toutes les occasions, j'ai reçu alors les applaudissements de tous les membres de la droite et notamment de l'honorable M. Dumortier. Et aujourd'hui lorsque, au nom de ce même ordre politique nouveau et comme conséquence de ce nouvel ordre politique, je demande, comme corollaire de la liberté pour le clergé, l'abolition de tout privilège, je reçois les anathèmes des membres de la droite !

Il en résulte que vous acceptez des deux mains les avantages du régime nouveau et que vous voulez conserver les privilèges du régime ancien. Et l'honorable M. Thonissen a été bien injuste envers moi, quand il a dit : « Chaque fois qu'il s'agira d'assigner aux catholiques une position moins favorable que celle qu'ils ont conquise en 1830, vous verrez M. De Fré apparaître au premier rang. »

Vous n'avez pas été juste, monsieur ; chaque fois qu'il s'est agi, dans cette enceinte, de la défense de la liberté religieuse, j'ai été au premier rang ; mais le privilège exclut la liberté religieuse.

Ce système que je soutiens aujourd'hui, voici comment je l'ai formulé en 1859.

« Il faut, disais-je, invoquer la Constitution, pour ôter les privilèges aux prêtres qui en jouissent, et il faut invoquer la Constitution pour donner à tous, même au prêtre, une égale liberté. Voilà la vraie vérité.

« Ainsi quand vous m'objectez que le prêtre, dans certaines circonstances, jouit d'un privilège, je réponds : Il l'a contrairement à la Constitution ; et que vous me demandez que le prêtre soit restreint dans la manifestation de sa liberté à cause du privilège dont il jouit, je vous réponds encore que la Constitution veut la liberté, veut l'égalité et que tous ceux qui sont inspirés de cet esprit de la Constitution, ne peuvent vouloir ni de privilège ni d'asservissement pour personne. »

La liberté d'un côté, mais pas de privilège de l'autre, voilà ce que j'ai soutenu, en 1859, en vertu des doctrines professées au Congrès national. A cette époque, plusieurs membres de la droite invoquaient avec moi les discours des membres du Congrès pour arriver au même résultat : la justification de la liberté de la chaire ; et aujourd'hui quand j'invoque ces mêmes discours qui repoussaient toute protection comme toute dépendance, je vois les honorables membres de la droite argumenter de ces magnifiques discours du Congrès, qui ont jeté comme un air frais en Europe, pour en faire sortir le privilège et le monopole.

Je n'en veux faire sortir que la liberté et l'égalité pour tout le monde.

Messieurs, laissons là les discours du Congrès. Vous les connaissez, vous les avez lus, vous les avez médités, vous en avez admiré la grandeur, car il y avait un véritable souffle de liberté qui animait les catholiques dans ce temps-là.

Est-il vrai que l'article 117, lorsqu'il a supprime les avantages dont le clergé jouissait, a compris parmi ces avantages celui de l'exemption de la milice ?

Il est certain que l'exemption du service militaire constituait un avantage, et qu'en abolissant tous les avantages dont le clergé jouissait, et partant les théologiens, on est rentré dans le droit commun.

Dans un ouvrage de M. Fléchet, dont le titre est « l'Eglise et l'Etat », nous trouvons énumérés tous les avantages dont le clergé jouissait sous le régime ancien. Il signale aussi cette étrange prétention du clergé de vouloir être séparé de l'Etat, alors qu'il veut continuer à jouir de la protection de l'Etat.

« En un mot, le clergé veut prendre les avantages de la séparation et en répudier les désavantages ; cela peut être commode, mais à coup sûr cela n'est pas logique.

« Concevez-vous un clergé séparé de l'Etat, auquel l'Etat accorderait l'exemption de la milice, de la tutelle, du jury et de la garde civique, avec des traitements insaisissables pour le tout, des préséances honorifiques, la (page 1084) franchise de port, la dispense de payer l'impôt sur les chevaux de luxe, l'interdiction à titre d'autorité dans la gestion des biens des fabriques, des cathédrales, des séminaires et même, hélas ! dans l'instruction publique ; avec la dispense de l'impôt du timbre sur les affiches des exercices religieux de même que sur les circulaires électorales épiscopales ; la dispense de payer l'impôt foncier sur les édifices religieux et l'impôt personnel et des patentes sur les établissements religieux d'instruction ou de bienfaisance, tels que séminaires, écoles normales épiscopales, écoles du clergé adoptées et congrégations reconnues en vertu du décret du 17 février 1809 ; avec le privilège de ne payer qu'un droit fixe de 2 fr. 21 c. pour l'enregistrement des donations qui lui sont faites, l'affranchissement des droits de mutation et de succession sur les biens de mainmorte ; le droit d'obtenir la personnification civile pour certaines congrégations religieuses, pour les succursales et même pour les chapelles (arrêt de cassation du 29 mai 1843) ; avec le monopole des loteries pieuses et enfin avec la dispense pour les évêques de signer les certificats à délivrer aux miliciens étudiant en théologie ? »

Ces lois, messieurs, qui donnaient des avantages au clergé, ont été faites sous le régime de l'absorption de l'Eglise par l'Etat, sous le régime de la protection pour le clergé, sous le régime de l'asservissement pour le clergé, et doivent disparaître.

Aujourd'hui, la liberté est complète, la séparation complète ; plus d'asservissement, mais plus de privilèges, la liberté, l'égalité, le droit commun.

Lorsqu'on a discuté l'article 117 de la Constitution, le projet primitif voulait maintenir au clergé tous les avantages préexistants à la révolution de 1830.

Celle rédaction a été modifiée et il n'est resté au clergé que le traitement et les pensions. L'Etat a dit : Sauf les traitements et les pensions, je n'interviens plus en rien.

Eh bien, il est certain que l'article 117 de la Constitution, en supprimant tous ces avantages par le vote de la proposition de M. Destouvelles, a aboli indirectement tous les privilèges.

Mais je suppose que la Constitution ne l'ait pas fait ; nous a-t-elle empêchés de le faire ? Evidemment non.

Les honorables adversaires de mon amendement, MM. Dumortier, Thonissen et de Brouckere, ont cité la loi sur la garde civique et ont dit : Mais le même Congrès qui a fait l'article 117 qui abolissait tous les avantages et ne laissait subsister que les traitements et les pensions, ce même Congrès a exempté les théologiens du service de la garde civique.

On oublie toujours que dans la garde civique le service est personnel ; que la loi de 1830 qu'on invoque n'admet pas de remplaçants, tandis qu'il en est autrement pour le service de la milice.

Je ne comprends pas que des jurisconsultes invoquent la loi sur la garde civique pour prouver que le Congrès a voulu des exemptions pour la milice.

Pouvez-vous admettre un privilège par analogie, et de ce que le Congrès a, pour la garde civique, admis l'exemption, pouvez-vous admettre qu'il ait voulu, pour la milice, la même exemption ?

M. de Brouckere qui, je le répète, a combattu ma proposition avec beaucoup de courtoisie, vous a dit : J'étais au Congrès et si le Congrès avait été saisi de la question de savoir si le théologien sera exempté de la milice, le Congrès l'aurait voté. M. de Brouckere a même fait appel aux souvenirs de l'honorable M. Rogier et il vous a dit que M. Rogier, qui avait joué un grand rôle dans les débats du Congrès national, s'il était présent, soutiendrait la même opinion.

Messieurs, c'est une erreur. L'honorable M. Rogier doit avoir une opinion toute contraire. Etant ministre de l'intérieur, l'honorable M. Rogier a proposé une loi sur la milice, à la date du 2 mars 1833, et voici, sur la question qui nous occupe, ce que je lis dans l'exposé des motifs signé Ch. Rogier.

« La loi de 1817, dit cet exposé, en accordant l'exemption du service militaire aux personnes qui se vouent à l'instruction publique, au sacerdoce, établit en leur faveur un privilège que l'on n'a pas cru devoir maintenir dans le projet de loi : des membres du clergé eux-mêmes ont trouvé que, par exemple, les ministres des cultes, les étudiants en théologie, n'avaient pas plus de droits à l'exemption, à cause de l'état qu'ils ont embrassé, ou des études qu'ils font, que les autres citoyens qui se destinent au barreau, etc., etc. »

On était certainement en 1833 plus près du Congrès, et c'est l'honorable M. Rogier qui a pris une part si active et si éclatante à tout ce qui concerne la révolution belge et à tout ce qui l'a suivie pour la consolider et la faire accepter par l'Europe, c'est cet honorable membre qui, deux ans après, vient nous dire dans un document authentique quel était l'esprit de cette grande assemblée.

J'avais donc raison de dire que nous nous éloignons de l'esprit du Congrès. J'avais donc raison de dire que lorsqu'on sortait à peine de cet enfantement fécond, de ce grand travail, on était bien plus près des principes de 1831. Il y a, messieurs, une différence immense entre le projet actuel et le projet élaboré par M. Rogier, il y a 35 ans.

Nous avons donc reculé ; aujourd'hui nous voyons d'autres pays, qui sont entrés dans la voie de l'émancipation politique longtemps après nous, nous devancer sur la question qui nous occupe.

C'est un sentiment de fierté nationale qui me fait parler ici ; ce qui relèvera toujours la Belgique, c'est de faire sans cesse, dans ses lois organiques, une sage application des principes de liberté et d'égalité qui ont été inaugurés en 1831.

Messieurs, l'honorable M. de Brouckere, recueillant ses souvenirs du Congrès, nous a dit que le Congrès, s'il avait eu à examiner la question, aurait même accordé l'exemption aux moines ; mais comment aurait-il songé à le faire ? Nous n'avions pas alors des couvents de moines.

Messieurs, je pose donc cette question-ci : Dans l'hypothèse ou le texte de l'article 117 de la Constitution n'ait pas indirectement aboli le privilège, faut-il le maintenir ? Prenez le texte même de la Constitution (article 112), et il vous interdit à vous, législateurs, de créer un privilège en matière d'impôts. Or, la charge militaire est un impôt ; vous ne pouvez pas sortir de là ; je défie les honorables jurisconsultes de concilier le privilège qu'ils défendent avec l'article 112 de la Constitution.

Ainsi donc vous vous trouvez arrêtés par un texte formel de la Constitution. Voulez-vous passer outre ? Quelle est l'utilité sociale de créer ce privilège ?

Je comprends qu'en Prusse, où le service militaire est personnel et obligatoire, la loi ait admis l'exemption que nous combattons ; mais il n'en est pas de même en Belgique ; le service militaire n'y est pas obligatoire. En Prusse, l'exemption se justifie ; en Belgique, elle ne se justifie pas.

L'élève en théologie peut, comme l'instituteur, se faire remplacer.

On parle toujours du peu de fortune des séminaristes et des normalistes. Je soutiens que les uns et les autres sont dans une position meilleure que ces pauvres diables dont vous ignorez les misères et que vous sacrifiez aux normalistes et aux séminaristes.

En effet, messieurs, alors même que la loi est appliquée dans le sens le plus paternel, alors que l'enfant unique, soutien de sa famille, reste à la maison, alors même que c'est seulement l'aîné qui doit marcher, vous ignorez qu'à côté de cet aîné qui sait travailler, il y a des sœurs infirmes ou malades ; et cependant cet enfant de 18 ans qui pourvoit à l'entretien de toute la famille, doit marcher !

La conscience humaine se révolte, en présence du privilège qu'on veut créer en faveur de ceux qui peuvent se faire remplacer, tandis que l'enfant d'une pauvre famille de la campagne qui n'a pas même, pour dormir, la paille de vos chevaux, laisse derrière lui des frères et des sœurs dans la misère.

Vous voulez le privilège ; vous voulez continuer de vieilles traditions qui ne sont plus de notre époque, qui sont contraires au sentiment humain comme contraires à la Constitution.

Messieurs, on n'a point justifié le privilège ; on est venu nous dire : L'article 117 crée le traitement ; donc il crée le privilège, il faut, pour le théologien, l'exemption de la milice.

Mais si le prêtre a un traitement, le théologien n'en a pas ; de sorte que l'argument tombe à faux. Vous ne pouvez pas argumenter du traitement pour donner un privilège à celui qui n'a pas de traitement. Si vous créez un privilège au profit de ceux qui touchent un traitement de l'Etat, vous devez le créer au profit de tous les fonctionnaires et vous devez le créer surtout au profit des magistrats ; car si le sacerdoce est un service social, si l'enseignement est un service social, la justice aussi constitue un service social et vous devez mettre tous ces citoyens sur la même ligne.

Mais nous ne voulons pas de privilège et nous demandons que tout le monde soit sur le même rang.

Nous avons admis que du moment que le théologien ne jouissait pas d'un privilège, le normaliste ne devait pas en jouir. Ce n'est pas en vertu de la séparation des pouvoirs ; c'est en vertu du droit commun que nous avons admis cette conséquence. Mais dans notre proposition nous sommes allés trop loin, lorsque nous avons supprimé le privilège en faveur de l'instituteur.

De même que le prêtre, qui est le professeur religieux, est exempté, l'instituteur, qui est le professeur laïque, doit l'être aussi. Nous modifions ainsi notre amendement.

(page 1085) Quant aux théologiens et aux normalistes, nous croyons qu'il n'y a rien, ni dans l'esprit de la Constitution, ni dans son texte, qui puisse justifier ce privilège.

Messieurs, pour les théologiens, on fait une singulière déclaration. Il paraîtrait que le sacerdoce est abandonné par la classe aisée ; qu'il n'y a que ceux qui n'ont pas de fortune qui entrent dans les séminaires et qu'ils sont incapables de se faire remplacer ; que dès lors ils devraient servir personnellement. Est-ce que cela est vrai ?

- Des membres. - Oui !

M. De Fréµ. - Alors il n'y a pas de quoi s'en vanter.

Je ne le crois pas ; je connais des familles riches dont les enfants sont dans les séminaires. Mais si, dans l'intérêt du sacerdoce, il faut faire des sacrifices pour racheter ces jeunes gens, la voie des souscriptions est-elle fermée ? Ne trouvera t-on plus de capitaux, ne trouvera-t-on plus rien pour créer des séminaristes, comme on crée des soldats pour le pape ?

Messieurs, j'aurais quelques objections encore à rencontrer. Mais je termine par une dernière observation.

Je ne veux pas de l'amendement de M. le ministre de l'intérieur, et cet amendement disparaît au milieu de ces deux principes extrêmes : le privilège ou l'égalité ; le privilège pour les élèves en théologie, le privilège pour les moines du moyen âge, ou l'égalité pour tout le monde.

La Chambre doit choisir entre ces deux extrêmes.

La vérité ici n'est pas au milieu, elle est de l'un ou de l'autre côté. La droite soulève les prétentions de la société ancienne, condamnées par l'histoire, condamnées par la raison, condamnées par notre propre œuvre de 1830 ; nous, nous ne voulons pas de ces prétentions, nous ne contemplons pas le passé, mais le présent, et surtout l'avenir. La Belgique qui a, la première, donné le signal en Europe de l'émancipation politique, ne doit pas se laisser distancer par d'autres peuples, et cela arrivera si dans nos lois organiques nous inscrivons le privilège. Le privilège, il faut le repousser et le repousser toujours. Nous vivons sous un régime d'égalité, et le privilège tue l'égalité.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Vleminckxµ dépose le rapport de la section centrale qui a examiné la demande d'un crédit de 1,500,000 fr. pour le département de la guerre.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la milice

Discussion des articles

Chapitre IV. Des exemptions des dispenses d’incorporation et des exclusions

Article 23bis

M. Coomans. - Messieurs, j'ai facilement prévu ce qui arrive : cette grande difficulté, celle quasi-impossibilité de s'entendre sur le chapitre des exemptions et des dispenses dans la matière la plus délicate, pour le plus dur, le plus lourd, le plus inique, le plus impopulaire, le plus odieux des impôts.

Quoique l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter n'ait pas paru recevoir grand accueil jusqu'à présent, je ne désespère pas de voir beaucoup d'entre vous s'y rallier ; peut-être même sera-t-il un jour adopte à l'unanimité. Ce ne sera malheureusement pas cette année.

Que vous ai-je proposé ? De mettre en pratique la grande théorie que l'honorable M. De Fré vient de prêcher encore, mais qu'il ne pratique pas. : l'égalité des Belges devant la loi, devant l'impôt ; la suppression de toute exemption, de toute dispense, de tout privilège.

Je ne connais pas de dispense sans privilège. Ceux qui demandent l'exemption en faveur du clergé demandent un privilège, de même que ceux qui demandent l'exemption en faveur des instituteurs, des enfants uniques et d'autres encore. La vérité est donc, la vérité sociale, politique, constitutionnelle, religieuse, la vérité est dans la suppression de toute exemption ; mais cette suppression, il faut la combiner avec la liberté individuelle. L'honorable M. De Fré vient de prononcer cinquante fois le mot de liberté ; mais ce n'est pas le mot qu'il nous faut, c'est la chose.

Or, l'honorable M. De Fré qui a voté si volontiers la conscription a supprimé la liberté individuelle. Il vient de vous prouver lui-même que 7,000 ou 8,000 miliciens belges sur 11,000 sont pauvres et que ne pouvant acheter un remplaçant, faute de 1,500 à 2,000 fr., on exerce contre eux la contrainte par corps dans les casernes.

On supprime donc la liberté des miliciens pauvres. Vous venez de le reconnaître, M. De Fré, et d'asseoir là-dessus un édifice de rhétorique sentimentale assez élégant. (Interruption.)

Vous ne voulez pas seulement supprimer la liberté des pauvres, mais aussi celle des théologiens ou des séminaristes pauvres.

En définitive, si votre amendement passe, le séminariste pauvre sera forcé d'être soldat. Et vous parlez, dites-vous, au nom de la liberté !

Que faites-vous donc de votre principe de liberté, que vous admirez tant en paroles ? Vous le violez, vous le méconnaissez, vous le tournez contre ces malheureux dont vous semblez prendre la défense.

Moi, je dis que la liberté consiste dans le pouvoir de faire ce que l'on veut, pourvu que l'action ne nuise ni à l'Etat ni aux particuliers.

Il faut permettre aux Belges, à tous, et ils ne seront libres que lorsqu'ils le pourront, de suivre leur vocation, de ne pas être soldats si cela ne leur convient pas.

Mais vous qui votez la conscription, qui maintenez l'impôt uniforme du prix du remplacement, c'est-à-dire le plus inique, le plus inconstitutionnel, le plus impie des impôts, ne venez pas me parler de liberté ni même de constitution.

Il n'y a pas de liberté pour le pauvre. Il est obligé de servir. Il n'est pas citoyen, il n'est pas Belge comme l'entendaient nos pères. Il est un véritable esclave. Il est frappé de servitude militaire.

Sur beaucoup de points, je suis d'accord avec l'honorable M. De Fré en théorie ; mais, dans la pratique, nous différons toto cœlo.

Il veut incorporer les séminaristes.

Moi, je ne veux pas plus incorporer le séminariste que l'instituteur, que le cultivateur ; je ne veux incorporer personne contre son gré.

Je veux permettre à tous de s'affranchir du service militaire personnel.

Après tant d'autres, vous venez de démontrer que le recrutement est un impôt. Je suis de votre avis. Mais si c'est un impôt, il doit être proportionné aux facultés des citoyens, comme le sont tous les impôts.

Remarquez, messieurs, qu'il n'y a rien de nouveau dans mon langage ni dans la théorie que je défends.

L'honorable M. Kervyn propose un prix différentiel pour l'exonération. L'honorable M. Thibaut a proposé hier le même principe.

Je n'examine pas les détails, mais je constate que le principe de la proportionnalité de l'impôt se trouve dans les amendements de ces honorables collègues.

Messieurs, voulez-vous être dans la liberté constitutionnelle et religieuse ? Admettez l'exonération proportionnelle. Faites payer les séminaristes comme les campagnards laïques, je serai de votre avis. II n'y a pas de raison pour exempter de l'impôt, pour dispenser des frais du recrutement le clergé ni d'autres catégories de citoyens.

Le clergé contribue aujourd'hui à toutes les charges militaires, hormis à la plus grosse. Cela n'est pas juste. Il faut que le prêtre comme tous les autres citoyens contribue, dans la mesure de ses facultés financières, aux charges du recrutement.

Vous n'avez pas le droit de forcer le prêtre à être soldat, reconnaissez-le (car si vous reculez devant le mot, vous n'osez pas reculer devant la chose), l'immunité ecclésiastique est là, vous devez la respecter. Si vous vouliez forcer les séminaristes et les théologiens au service militaire, on ne vous obéirait pas et on ferait bien, car on n'a pas le droit de vous obéir. (Interruption.) Vous n'avez pas le droit de faire des lois contre l'Eglise, vous n'avez pas le droit d'imposer des devoirs actifs que l'Eglise réprouve. (Interruption.) Mais non, certainement non ; vous devez être de mon avis, car cette vérité est lumineuse. (Interruption.) Voici ce que j'ai dit : Vous avez le droit, dont nous usons et dont nous devons user souvent, de ne pas sanctionner par la loi pénale les préceptes de l'Eglise. Dans une foule de cas, nous aurions tort de transformer le catéchisme en code pénal. Mais vous n'avez pas le droit, après avoir fait la loi fondamentale qui proclame la liberté religieuse, de forcer un citoyen à accomplir des actes qui sont défendus par son culte.

Voilà tout ce que j'ai dit et ce que je vous défie de réfuter.

Or, il est de toute évidence que l'Eglise défend à ses lévites de participer au service militaire. (Interruption.) Cela est de toute évidence, le prêtre ou la personne consacrée à un certain degré et qui porte les armes n'appartient plus à l'Eglise, il est suspendu ipso facto.

Ainsi donc, soyons vrais ; cela abrège la discussion : vous n'avez pas le droit de forcer les prêtres ou les quasi-prêtres à subir la servitude militaire. (Interruption.) Mais je vais plus loin et j'espère que vos préjugés ne vous empêcheront plus ici de me donner raison.

Je vais plus loin ; j'aborde dans le sens de M. Le Hardy de Beaulieu et je dis : Il n'y a pas de privilège ici pour le clergé. Vous n'avez pas le droit de forcer un Belge à être soldat si cela ne lui convient pas ; la conscience d'un simple citoyen est aussi respectable que celle du séminariste.

MgRµ. - Il y a des évêques qui ont commandé des armées.

M. Coomans. - C'étaient de mauvais évêques. D'ailleurs je connais ces évêques-là ; il y en avait même qui n'étaient pas évêques du tout, notamment dans la principauté de Liège.

(page 1086) Je le répète, il y a donc une solution constitutionnelle et religieuse. C'est de supprimer toutes les exemptions et toutes les dispenses et de permettre à tous les citoyens belges de se libérer moyennant un impôt proportionné à leur fortune. Dos ce moment, vous pouvez supprimer 60 à 80 articles de votre loi ; elle en sera quatre-vingts fois moins mauvaise qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Messieurs, j'ai principalement demandé la parole pour répondre à un assez long discours dont M. Pirmez m'a exclusivement honoré dans la séance du 29 mai. Je voudrais démontrer le plus sommairement possible que certaines allégations, qui me sont personnelles, de l'honorable ministre, sont complètement inexactes et, aussi, que sa logique est trop fantaisiste pour être admissible.

C'est une logique complètement nouvelle dont une des mauvaises conséquences est d'éterniser la discussion en l'embrouillant.

Je vous demande donc la permission de me borner à deux citations de cet étrange discours.

D'abord, messieurs, l'honorable ministre m'a l'air d'être assez embarrassé de son amendement, et c'est pour cela qu'il m'en attribue la paternité.

Ce n'est pas lui, vous a-t-il dit deux ou trois fois, qui a fait son amendement ; c'est moi. Aussi ai-je été quelque peu étonné aujourd'hui de l'entendre défendre cet amendement, dont il m'a fait l'honneur, avec bien plus de vivacité qu'il n'en a déployé le premier jour.

A mon insu, j'aurais fait du prosélytisme dans l'esprit de l'honorable membre.

L'honorable ministre a une singulière habitude, c'est d'attribuer à un orateur des choses qu'il n'a pas dites et surtout des choses qui sont complètement opposées à sa pensée et à son langage.

Voici, messieurs, le fil très fin par lequel l'honorable ministre de l'intérieur a voulu rattacher mon opinion à la sienne ; par lequel il rattache son amendement à l'un de mes discours.

Vous allez voir que ce fil est plus fin qu'un fil d'araignée ; il est vrai que l'honorable ministre est aussi très fin, trop fin.

A la page 1005 des Annales parlementaires, et c'est ici une occasion de juger la logique ministérielle, je lis :

« M. Coomans oublie que lorsqu'on a discuté la loi d'organisation judiciaire il a trouvé fort singulier qu'on exemptât les membres des ordres religieux et notamment les capucins de faire partie du jury et qu'il a reproché à l'honorable ministre de la justice d'être inconséquent en écrivant cette exemption dans la loi. »

Et puisque vous avez dit cela ce jour-là, ajoute l'honorable ministre, n’ai-je pas raison d'exclure les moines du bénéfice de l'exemption en matière de milice ?

Or, messieurs, il se trouve que j'ai dit exactement le contraire de ce que prétend l'honorable ministre. Je n'ai pas critiqué ; je n'ai pas trouvé singulier qu'on exemptât les membres des ordres religieux des fonctions du jury : j'ai dit positivement le contraire.

Quand j'ai vu les moines exemptés du jury, j'ai demandé à l'honorable M. Bara pourquoi. L'honorable M. Bara m'a répondu que c'était à cause des services qu'ils rendaient à la société civile.

J'ai dit alors à l'honorable M. Bara : Mais vous êtes inconséquent. Ce n'est pas à cause des services qu'ils rendent à la société civile que vous exemptez les moines ; ce n'est pas pour cela, car, d'après vous, ils n'en rendent pas ; d'après vous, au contraire, ils sont très nuisibles à la société.

Vous exemptez les moines parce qu'ils doivent être exemptés du jury, parce que vous n'avez pas le droit de transformer des prêtres en jurés criminels.

Voilà ce que j'ai dit et pas autre chose, et je n'ai pas demandé, comme l'a affirmé l'honorable M. Pirmez, qu'on forçât les religieux à être des juges criminels.

J’ai, au contraire, affirmé qu'on n'avait pas le droit de les transformer en juges criminels.

Vous le voyez donc, messieurs, le petit fil dont s'est servi l'honorable M. Pirmez est déjà rompu. C'est à ce fil qu'il avait rattaché son amendement.

MiPµ. - Je vous ai lu tout un discours.

M. Coomans. - Vous n'avez pas pu lire ce que je n'ai pas dit. Du reste, vous me répondrez tout à l'heure. (Interruption.) Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

Voici la logique de l'honorable ministre de l'intérieur. Je critique son principe ; je lui prouve que pour être conséquent avec son principe, il devait faire telle ou telle chose. Et là-dessus, M. le ministre de l'intérieur conclut que telle ou telle chose doit être faite, de par ma volonté à moi.

Mais il est élémentaire, en matière de raisonnement, qu'on n'est forcé d'accepter que les conséquences des principes qu'on admet, mais qu'on n'est pas forcé d'accepter les conséquences des principes que l'on combat. Quand vous professez un principe que je crois mauvais, je puis vous engager, pour sauver le mien, à aller jusqu'au bout, à accepter les conséquences de votre principe ; mais vous n'avez nullement le droit de m'endosser ces conséquences.

Vous voyez qu'avec la logique de M. le ministre de l'intérieur on va loin dans la voie de la chicane.

Autre exemple. Un jour, je demande pourquoi on n'exemptait pas les élèves des écoles normales libres. On me répond : « C'est parce que nous n'avons pas d'action sur les écoles libres. » Je réplique : Vous êtes inconséquent, puisque vous exemptez les théologiens des séminaires libres. (Interruption.) Oui, les moines étaient exemptés par votre projet de loi ; M. le ministre de la justice ne le niera plus aujourd'hui.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si ! si !

M. Coomans. - Ah ! vous persistez ! vous en êtes bien capables. Si les moines n'étaient pas exemptés par votre projet de loi, pourquoi M. le ministre de l'intérieur a-t-il fait son amendement ? (Interruption.)

Je demandais donc pourquoi on n'exemptait pas les élèves des écoles normales libres. A quoi on me répond : « C'est que nous n'avons pas d'action sur ces écoles. »

Je réplique, moi : Vous n'êtes pas logiques, car vous n'avez pas d'action non plus sur les séminaires non rétribués par l'Etat ; et cependant vous exemptez les élèves de ces séminaires, ces théologiens-là. Je crois qu'en bonne logique j'étais en droit de faire cette objection ; et qu'en conclut M. le ministre de l'intérieur ? Que je veux forcer le clergé régulier de subir la servitude militaire.

Mais, messieurs, je vous prouve que, pour rester logiques, vous devez aller jusqu'au bout, vous devez exclure les moines ; c'est une conséquence de votre principe, mais non pas de mon principe, qui est la liberté absolue.

Voici comment raisonne M. le ministre de l'intérieur ; la comparaison me vient immédiatement à l'esprit.

Un assassin nocturne vient immédiatement après son crime se réfugier chez un avocat. - Affreux coquin, lui dit le légiste, pourquoi avez-vous tué le volé ? - Parce que, répond l'assassin, je voulais ne pas être dénoncé par lui après l'avoir dépouillé ; si je ne tuais pas cet homme, j'étais pris sur l'heure ; mais il avait un camarade que j'ai épargné et qui pourra me faire prendre. J'ai été reconnu par ce dernier, à qui j'ai laissé la vie.

L'avocat lui dit : Vous n'êtes pas plus fort en logique qu'en morale. Puisque vous avez tué le premier homme pour échapper à la justice, vous auriez dû tuer l'autre aussi, pour rester criminellement logique.

Là-dessus, le scélérat court, il en est temps encore, dans cette maison, assassine le second témoin de son crime, mais il est arrêté, et devant la justice il dit : C'est M. Coomans, c'est mon avocat qui m'a conseillé de tuer cet homme. (Interruption.)

Voilà la logique de M. le ministre. Chaque fois qu'on lui fera une objection, il prendra les conséquences nécessaires de son principe à lui et il vous les endossera. Merci !

Messieurs, je constate avec une certaine satisfaction d'amour-propre, que M. le ministre de l'intérieur n'a répondu à aucun de mes arguments ; il n'a employé que le stérile dérivatif des récriminations et des sophismes. Mais quant à mes raisons, il n'en a pas rencontré une et je croyais pouvoir me rendre à moi-même ce témoignage que j'avais accumulé les raisons les plus sérieuses dans les deux discours que j'ai déjà pris la liberté de prononcer.

Je reconnais qu'il est parfois dangereux de ratiociner avec des savants aussi épilogueurs que l'honorable M. Pirmez. Mais nous avons à défendre nos convictions ; c'est notre droit, notre devoir le plus strict et je ne m'en départirai pas.

Je puis constater encore qu'alors même que les allégations de l'honorable ministre seraient aussi vraies qu'elles sont inexactes, il n'aurait rien démontré contre mon système. Mon système reste debout ; réfutez-le. Car enfin vous auriez prouvé tout au plus (et heureusement ce n'est pas vrai) que j'ai déraisonné, que j'ai mal raisonné, que je suis inconséquent, en un mot, que je suis un sot. Mais vous n'auriez pas démontré que mon amendement n'est pas bon et que les raisons que j'ai fournies à l'appui n'ont pas de valeur.

Autre manière étrange de raisonner sur les bancs ministériels. Je propose l'exemption du fils naturel, indispensable soutien de sa mère.

Je proposerai l'exemption ou la dispense des élèves des écoles normales libres. Je demanderai d'autres exemptions encore et là-dessus M. le (page 1087) ministre se récrie et dit : Voyez donc l'inconséquence de cet orateur ; il ne veut pas d'exemptions ; il n'en veut d'aucune sorte et il vient vous proposer à chaque instant des exemptions !

Et pourquoi pas ? Adoptez mon principe et je ne proposerai plus d'exemptions du tout. Mais du moment que vous admettez des exemptions ou des dispenses, j'ai bien le droit d'examiner si telle ou telle autre catégorie de citoyens n'est pas dans la situation désirée pour obtenir aussi l'exemption. Le principe de l'exemption est le vôtre ; ce n'est pas le mien. Je ne veux d'aucune exemption quelconque, parce que dans mon système on peut les supprimer toutes à l'avantage de tous. Mais dès que vous admettez des exemptions, vous nous obligez à mesurer la valeur de ces exemptions et à entrer aussi dans votre voie ; car en faisant des comparaisons, il nous sera bien facile de prouver que vous laissez de côté des citoyens belges qui ont tout autant de droits à l'exemption que ceux pour lesquels vous en proposez.

Le système des exemptions est très difficile, très dangereux et, selon moi, très inconstitutionnel.

Je me résume en deux mots sur la question religieuse.

Vous n'avez pas le droit de forcer le clergé à se soumettre à la servitude militaire. Ce droit vous ne l'avez pas et on peut, sans violence, vous porter le défi de le lui imposer. Vous ne le ferez pas. Mais vous pouvez appliquer au clergé le droit commun, comme à tous les citoyens belges, l'obliger à fournir sa quote-part dans la dépense du recrutement.

En vain, me dira l'honorable ministre de la guerre (j'espère même qu'il ne le dira pas, car il ne le pense pas), en vain, me dira le département de la guerre que mon système le priverait d'une armée, c'est-à-dire de soldats ; très franchement je ne le crois pas ; si le ministère de la guerre avait à sa disposition, non pas le revenu annuel de 19 millions que lui offre M. Thibaut, mais seulement 8 millions, il pourrait constituer une armée aussi forte que celle que nous avons aujourd'hui. (Interruption.)

Mais où serait la nécessité d'avoir constamment sous les armes les 100,000 volontaires que l'on pourrait se procurer, pourquoi n'aurait-on pas des volontaires qui serviraient un an, dix-huit mois, deux ans, sauf à revenir, si les circonstances venaient à l'exiger ?

Si vous supprimiez le remplacement actuel, qualifié de lèpre de l’armée par le gouvernement lui-même, vous attireriez dans l'armée une foule d'honnêtes volontaires qui ont de la répugnance à s'engager aujourd'hui, et si vous pouviez ajouter à cela l'appât d'une douzaine de millions, vous n'en seriez que plus sûr d'arriver à votre but.

Je vous en supplie, adoptez l’amendement que je vous ai soumis ; il est vrai sous tous les rapports.

Si vous ne l'adoptez pas aujourd'hui, vos successeurs l'adopteront plus tard ; et je serai vengé des plaisanteries plus ou moins sérieuses, plus ou moins senties que l'on m'a prodiguées de différents côtés.

MPDµ. - M. le ministre a déposé le document statistique qu'il a indiqué dans son discours. Cette pièce sera imprimée et distribuée.

- La clôture est demandée.

M. de Haerneµ (contre la clôture). - Messieurs, il y a encore plusieurs orateurs inscrits et plusieurs amendements à développer.

Il y a plusieurs considérations à présenter, notamment en réponse au dernier discours de l'honorable ministre de l'intérieur. Je pense donc, messieurs, qu'il serait contraire à tous les antécédents de la Chambre de prononcer la clôture en ce moment.

M. Dumortier. - Je dois faire remarquer que dans la séance d'aujourd'hui, sauf le discours de l'honorable M. Delcour, nous n'avons eu qu'un discours sur le projet de loi et deux discours en faveur du projet, ceux de l'honorable ministre de l'intérieur et de l'honorable M. De Fré.

Or, comme il s'agit ici d'un principe constitutionnel, du principe de la liberté des cultes que l'on veut nous ravir, vous ne pouvez pas nous empêcher de parler, nous qui voulons défendre ce principe. Vous ne voudrez pas, j'espère, étouffer notre voix.

Je demande que la discussion ne soit pas close et que la Chambre se réunisse demain à midi.

- Plusieurs voix. - A demain, à 1 heure.

M. de Theuxµ. - Messieurs, personne ne s'attendait à ce qu'on votât aujourd'hui, à cause surtout du grand nombre d'orateurs inscrits. Ce serait une véritable surprise. Je demande que la discussion continue. On pourrait se réunir demain à 1 heure.

- Voix nombreuses. - Demain à 1 heure.

MiPµ. - Il me paraît que l'on pourrait, malgré la remise à demain à 1 heure, prononcer la clôture aujourd'hui.

Nous avons voté les dispositions les plus importantes de la loi sur la milice. Il s'agit aujourd'hui d'une disposition qui vaut 2,000 fr. par an.

M. Liénartµ. - Retirez votre amendement dans ce cas.

MiPµ. - Il me semble qu'on devrait proportionner les discussions à l'importance des objets qu'elles concernent et qu'il ne faudrait pas ainsi sacrifier d'autres questions dignes d'un examen sérieux à un seul intérêt.

M. Dumortier. - Je suis étonné que l'honorable ministre de l'intérieur conteste l'importance de la question la plus considérable qui puisse être posée ici.

Il s'agit de savoir si la liberté des cultes existe ou n'existe pas ; il s'agit de savoir si le culte est encore libre quand il n'y a plus de sacerdoce possible.

L'honorable ministre a beau vouloir réduire cette question à de mesquines proportions, elle se dresse de toute sa hauteur devant lui.

Nous demandons, nous, qu'on nous accorde la parole pour défendre la liberté des cultes.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. Hymans. - J'ai proposé tantôt de siéger ce soir ; ma proposition a été rejetée, parce que beaucoup de membres ont pensé qu'on pourrait terminer samedi sans avoir de séance du soir. Aujourd’hui qu'il paraît constaté qu'on ne le pourra pas, je refais ma proposition.

- Des membres. - Oui ! oui ! à huit heures.

M. le président. - Il a déjà été décidé que la séance serait remise à demain à 1 heure.

M. Hymans. - Il n'y a pas eu de vote.

- Voix à droite. - Si ! si !

M. Hymans. - Du tout.

M. le président. - Il y a eu une proposition de clôture ; insiste-t-on sur cette proposition ?

- Des voix. - Non, mais faisons une séance du soir.

M. Liénartµ. - Vous avez déjà décidé, M. le président, que la séance était remise à demain à 1 heure.

M. le président. - Il y a une proposition de tenir séance ce soir ; rien n'empêche, à la rigueur, que nous siégions ce soir, malgré la décision prise de nous réunir demain à 1 heure.

M. Dumortier. - Il y a déjà beaucoup de membres partis.

MfFOµ. - On pourrait les convoquer.

M. Jacobsµ. - Nous avons déjà pris deux décisions : la première, qu'il n'y aurait pas de séance ce soir ; la seconde, que la séance de demain aurait lieu à une heure.

Je demande qu'on s'en tienne à cette double décision et qu'on ne se déjuge pas.

M. le président. - M. Hymans maintient-il sa proposition ?

M. Hymans. - Il y aurait moyen de tout concilier ; ce serait de décider qu'il y aura une séance du soir demain ; j'en fais la proposition.

- Des membres. - C'est cela !

- La proposition de M. Hymans de tenir une séance du soir demain est mise aux voix et adoptée,

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Il vient de parvenir au bureau un projet de loi ; les sections seront convoquées demain pour examiner s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.

- La séance est levée à 5 heures.