(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 997) M. Reynaert, secrétaireµ, fait l'appel nommai à 1 heure et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaertµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« L'administration communale d'Aubel demande que le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer des plateaux de Herve réserve à l'avenir la construction intégrale de la ligne de Verviers à Visé. »
M. Vander Maesenµ. - Messieurs, cette pétition soulève une question extrêmement importante pour les cantons de Dalhem et d'Aubel. D'après le nouveau projet de concession de chemin de fer au travers des plateaux de Herve, ces cantons restent privés de ces voies utiles de communication, et pourtant la loi de 1862 avait pourvu à ce besoin. En conséquence, je demanderai à la Chambre de vouloir bien ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer des plateaux de Herve, afin que nous puissions en prendre connaissance. »
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Joseph-Albert-Robert Routs, élève architecte à Hasselt, né à Ruremonde (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi a M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre de persister dans son premier vote au sujet de l'abolition de la contrainte par corps. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant la contrainte par corps.
« La chambre de commerce et des fabriques de la Flandre occidentale transmet 10 exemplaires du rapport qu'elle a adressé au gouvernement sur la situation commerciale et industrielle de son ressort pendant l'exercice 1868. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Van Humbeeck dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi autorisant un transfert au budget de la guerre.
M. d’Elhoungneµ dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif au droit d'enregistrement sur les échanges d'immeubles et les donations entre vifs.
M. Woutersµ dépose le rapport de la commission qui a examiné le budget des non-valeurs et des remboursements pour l'exercice 1870.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.
M. de Brouckere. - Messieurs, j'ai annoncé hier que je me proposais de combattre l'amendement déposé par l'honorable M. De Fré ; mais comme, pendant toute la séance, aucun orateur ne s'était levé pour en prendre la défense, j'ai demandé à être autorisé à ne prendre la parole que lorsqu'un partisan de l'amendement aurait fait valoir, en sa faveur, de nouveaux arguments. L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a bien voulu répondre à mon appel. J'ai lu son discours dans les Annales et je dois dire que je n'y ai pas trouvé un seul argument qui exigeât une réfutation ; ce que j'y ai vu de plus saillant, c'est qu'il a trouvé un excellent moyen de nous mettre tous d'accord quant aux exemptions, et de faire cesser la discussion qui s'agite en ce moment.
Ce moyen, c'est d'exempter tout le monde. Il est un peu radical, et l'honorable membre a bien compris qu'il ne parviendrait pas à faire triompher son système ; ne pouvant faire exempter tout le monde, il ne veut plus exempter personne ; il va même jusqu'à déclarer qu'il entend soumettre à l'obligation de la milice les instituteurs qui font l'objet de la disposition qui suit celle que nous discutons en ce moment.
Ainsi dans son absolutisme et dans son radicalisme, l'honorable membre, qui se prétend un ami beaucoup plus prononcé que nous de la diffusion des lumières, des progrès de l'enseignement et de la civilisation, l'honorable M. Le Hardy, pour ne pas être inconséquent avec ses principes, compromet l'enseignement, compromet la diffusion des lumières, compromet les progrès de la civilisation, qu'il semble appeler de tous ses vœux.
En effet, si les instituteurs étaient astreints au service de la milice, il n'est pas douteux que bientôt un grand nombre de communes en seraient dépourvues.
Cependant, messieurs, malgré ses principes absolus, M. Le Hardy fait une exception ; il veut bien que l'on dispense du service de la milice les ecclésiastiques, mais il ajoute immédiatement que c'est un trompe-l'œil.
Je ne sais pas qui l'honorable membre a voulu tromper. A coup sûr, il n'y a pas mis beaucoup de finesse, car, après avoir voulu tromper, à ce qu'il dit, un certain nombre de membres de la Chambre, il fait la confidence de son arrière-pensée.
Il propose d'exempter les ecclésiastiques, pourquoi ? Parce qu'il n'y aura pas possibilité d'appliquer cette exception.
Eh bien, j'avoue que je ne comprends pas cette manière de faire ; je ne comprends pas qu'on présente à la Chambre une disposition qu'on sait d'avance ne devoir recevoir aucune application.
Je laisse donc de côté le discours de l'honorable M. Le Hardy qui, je dois le dire, a trompé mon attente. Mais il faudra bien que je revienne, pour expliquer mon opinion, au discours de M. De Fré.
Ce discours a déjà rencontré deux opposants ; mais il me semble qu'il vaut bien la peine d'un troisième examen. Au surplus, je tâcherai d'être fort court dans les explications que je vais donner.
L'honorable M. De Fré a invoqué le principe de la suppression des privilèges, le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, le principe de la séparation de l'Etat et de l'Eglise. Ces innovations peuvent faire certain effet au dehors, mais ici on n'a pas l’habitude de se payer de simples paroles quelque éclatantes qu'elles soient ; on scrute les choses à fond, et quand on examine les principes invoqués par l'honorable M. De Fré, on voit que c'est très mal à propos qu'il les a appelés à son secours.
La suppression des privilèges ? Il a été démontré à satiété dans la discussion qu'aucune exemption quelconque n'est insérée dans la loi en vue de celui qui en est l'objet.
Toutes les exemptions sans exception aucune, et particulièrement celle qui fait l'objet de l'article que nous discutons, sont prononcées par des considérations d'humanité, de justice, d'intérêt général. Ce n'est pas l'exempté qu'on a en vue. C'est dans un intérêt purement social qu'on prononce les exemptions.
Que vient-on donc nous parler de privilèges ?
Les privilèges, messieurs, n'ont rien à voir dans les exemptions qui sont accordées relativement au service militaire.
Le principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi est-il attaqué ? Mais en aucune manière.
D'abord, je vous prie de remarquer ceci.
Les ministres des cultes ne sont pas pris dans une classe spéciale. Tous les citoyens sont admissibles au sacerdoce ; il y a égalité pour tous. Tous peuvent être appelés à profiler de l'exemption que l'on vous convie à décréter.
Oui, répondra-t-on, il y a vraiment égalité pour tous les citoyens, mais il n'y a pas égalité pour les professions. Vous favorisez une profession, tandis que vous ne vous montrez pas aussi faciles relativement à d'autres, qui méritent l'intérêt du législateur tout autant que le clergé.
Ainsi, par exemple, vous ne prononcez pas l'exemption pour les avocats et les médecins qui font des études aussi longues, aussi laborieuses et plus coûteuses que les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce.
La comparaison, messieurs, n'est pas juste. Non, nous ne proposons pas l'exemption en faveur des avocats, mais je ne pense pas que jusqu'à présent (je me trompe peut-être) les avocats aient fait défaut, pas plus que les médecins.
M. Eliasµ. - Les curés non plus.
M. de Brouckere. - Je vous demande pardon ; je répondrai tout à l'heure à l'interruption, je dis qu'ils font défaut.
Par conséquent, la loi sur la milice n'a à s'occuper ni des avocats, ni des médecins. Mais pourquoi s'occupe-t-elle des ecclésiastiques et des jeunes gens qui se destinent à l'enseignement ? Parce que c'est une nécessité.
(page 998) La loi s'occupe du clergé comme elle s'occupe des instituteurs. Si vous n'exemptiez pas les instituteurs, ils manqueraient dans les communes rurales. Si vous n'exemptez pas les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce, je dis, moi, qu'il n'y aura plus, dans les communes rurales, assez de prêtres pour satisfaire aux besoins du service religieux.
Or, satisfaire à ce besoin est une obligation, tout comme celle de subvenir aux besoins de l’enseignement.
Puisqu'un membre m'a interrompu en me disant qu'il y avait assez de curés, je lui répondrai qu'il est dans l'erreur.
Je mets en fait qu'il n'est pas un membre de cette Chambre qui n'ait connu quelque commune, à certaines époques, à laquelle on n'ait pas été empêché de donner le nombre de ministres du culte que réclamait le service religieux. Cela s'est présenté fréquemment.
M. Dumortier. - Aujourd'hui encore.
M. Eliasµ. - Quant à moi, je ne l'ai jamais constaté.
M. de Brouckere. - Eh bien, vous faites exception, et l'honorable auteur de l'amendement vous contredira lui-même sur ce point. J'en suis persuadé. L'honorable M. De Fré sait parfaitement que les ecclésiastiques manquent dans certaines communes.
M. De Fréµ. - Cela est arrivé, en effet.
M. de Brouckere. - Cela est arrivé, me dit l'honorable M. De Fré, et savez-vous, messieurs, dans quelle commune, entre autres, et en dernier lieu ? Dans la commune dont l'honorable M. De Fré est l'excellent et éminent bourgmestre. (Interruption.)
Je le dis bien sérieusement. Et je suis persuadé que. l'honorable M. De Fré a fait beaucoup de démarches pour procurer à sa commune le nombre d'ecclésiastiques qu'y réclamait le service religieux. (Interruption.)
Dans la commune dont l'honorable M. De Fré est bourgmestre, la population s'est considérablement augmentée, et je suis convaincu que c'est un peu la conséquence de la manière dont elle est administrée. (Interruption.) Encore une. fois, je le dis très sérieusement. La population est arrivée au chiffre de 10,000 habitants. On a trouvé nécessaire d'adjoindre un troisième aux deux vicaires qui y étaient en fonctions. Le gouvernement a accordé les fonds nécessaires pour salarier ce troisième vicaire, et quand il a été question de le nommer, qu'est-il arrivé ? C'est que le chef du diocèse ne trouva pas un seul prêtre disponible. Cela est-il vrai, oui ou non ?
M. De Fréµ. - C'est parfaitement exact, mais je dois ajouter que la nomination a eu lieu après trois a quatre mois.
M. de Brouckere. - Je sais parfaitement que le titulaire du troisième vicariat a été nommé, mais il a fallu bien plus de trois à quatre mois avant qu'on eût trouvé un prêtre disponible. Cela est si vrai qu'on a même été ailleurs en recruter un à qui on a demandé, de faire, temporairement le service parce qu'il n'y avait pas de vicaire disponible.
Voilà un fait ; mais j'ai longtemps fait partie de l'administration et je déclare qu'il est à ma connaissance personnelle que ce fait s'est présenté dans maintes autres circonstances.
Si maintenant vous allez changer quelque chose à la législation actuelle, si vous allez, en astreignant au service militaire les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce, diminuer dans une proportion très sensible le nombre de prêtres, je vous déclare qu'il en manquera dans bien des communes rurales. Et croyez-vous, en ne prévenant pas un pareil état de choses, que vous serviez bien les intérêts des populations ?
Croyez-vous que les populations, surtout les populations des campagnes, ne tiennent pas éminemment à ce que le service du culte se fasse convenablement ? Je suis convaincu que si vous alliez dans les communes rurales et que vous disiez : « De deux choses l'une : ou le service de l’enseignement se fera imparfaitement dans votre ressort, ou le service du culte ; prononcez-vous », l'immense majorité vous répondra : « Le service du culte d'abord, celui de l’enseignement ensuite. »
C'est là l'opinion générale de. notre pays ; je ne crains pas d'être démenti.
Il ne faut pas que chacun de nous se laisse aller à ses aspirations personnelles, cherche à faire triompher un système qu'il caresse quant à lui. Ce n'est pas pour nous personnellement que nous devons travailler ; nous devons travailler pour les intérêts des populations qui nous ont chargés de les représenter.
Eh bien, ce que je viens de dire, je suis convaincu que c'est le sentiment de la grande majorité des habitants de la Belgique ; on veut que le service du culte se fasse régulièrement et convenablement partout.
Je n'hésite pas à dire que si vous admettez l'amendement que je combats, le service du culte ne se ferait plus régulièrement, qu'il manquerait complètement dans un certain nombre de communes.
L'honorable membre a invoqué un principe auquel nous tenons tous beaucoup : celui de la séparation de l'Etat et de l'Eglise.
Oui, l'Etat et l'Eglise doivent être séparés, complètement séparés, en ce sens que l'Eglise n'a pas à s'immiscer dans le gouvernement civil, dans l'administration civile, dans la direction de nos affaires ; de son côté, le gouvernement n'a pas à s'immiscer dans la direction des affaires spirituelles.
Est-ce à dire qu'il ne peut y avoir aucun contact entre l'Etat et l'Eglise ? Est-ce à dire que nous devons rédiger les lois que nous discutons, comme s'il n'existait ni Eglise, ni culte, ni religion ? Est-ce à dire, comme on l'a avancé quelquefois, que l'Etat est athée et ne connaît point de religion ? Pas le moins du monde ; c'est faire un abus et un abus évident d'un principe parfaitement juste quand on l'entend sainement. Mais l'Etat, les Chambres, la législature, les lois méconnaissent si peu l'existence des religions, des cultes, des églises, que nous votons une quantité de mesures dont les cultes, les religions, les églises sont l'objet. Chaque année, nous votons au budget des sommes considérables pour salarier les ministres des cultes ; chaque année nous allouons une somme très élevée pour bâtir, pour agrandir, pour restaurer des églises.
Qu'un certain nombre de maisons, dans un lieu jusque-là peu habité, viennent à s'élever, quelle est la première chose que demandent les populations ; quelle est la première chose que font les communes, les provinces, l'Etat ? C'est d'allouer des sommes pour bâtir une église, pour construire un presbytère.
Vous votez des subsides pour les séminaires ; vous votez des allocations pour bourses aux élèves de ces établissements ; vous vous occupez donc nécessairement d'affaires de culte, et l'on prétend que la séparation de l'Eglise et de l'Etat veut dire que l'Etat n'a à s'occuper en rien de ce qui concerne le culte ! C'est une exagération qui ne supporte pas l'examen.
M. Mullerµ. - Et le temporel des cultes ?
M. de Brouckere. - L'honorable M. Muller a raison de le dire : le projet de loi sur le temporel des cultes est une nouvelle preuve que Etat, Chambres, législation reconnaissent l'existence des cultes. Mais il y a plus que cela ! Non seulement vous reconnaissez les cultes, mais vous les protégez de toutes les manières, et vous avez parfaitement raison.
Si vous ne protégiez pas les cultes, vous seriez reniés par l'immense majorité de nos populations.
Est-ce que vous n'empêchez pas, par des mesures répressives, qu'on trouble l'exercice des cultes ? Est-ce que vous n'avez pas eu soin de. décréter toutes les mesures nécessaires pour que les cultes puissent se pratiquer convenablement, solennellement et pour que personne ne puisse les empêcher d'être professés comme je viens de le dire ?
Je vous le demande : Qu'est-ce que cette grande question de la séparation de l'Etat et de l'Eglise a à voir dans la discussion qui nous occupe ? Selon moi, la véritable question sur laquelle chacun doit s'examiner, doit se sonder, si je puis le dire, c'est celle de savoir si nous pourrions impunément nous exposer à amoindrir, dans de fortes proportions, le nombre des ecclésiastiques ?
Eh bien, moi, messieurs, par ma longue pratique des affaires, par ma longue expérience, je vous déclare que vous ne pourriez pas le faire, sans vous exposer à de très graves inconvénients, sans vous exposer à des reproches, qui ne tarderaient pas à vous arriver de la part des populations.
Je déclare également que, dans tout ce que je fais ici, j'ai toujours, avant tout, une chose en vue, obéir à ma conscience d'abord, cela va sans dire ; mais, après cela, je ne consulte pas mes idées personnelles : je ne cherche jamais à faire triompher un système qui serait mon système préféré. Je cherche, autant que possible, à défendre l'intérêt des populations. Voilà mon but.
Je me demande si, en émettant un vote, je fais, oui ou non, une chose utile à mes concitoyens.
Eh bien, si je votais l'article présenté par le gouvernement et si bien développé par mon honorable ami M. Muller, dont le rapport lui a certainement valu l'admiration et la reconnaissance de nous tous, je n'attendrais pas à demain pour en avoir un profond regret et pour trembler sur les conséquences de mon vote.
Messieurs, un dernier mot. L'honorable M. De Fré a fait un appel aux souvenirs du Congrès national. Selon lui, il l'a du moins fait entendre bien clairement, si une disposition comme celle qui nous occupe avait été présentée au Congrès, elle n'y aurait eu aucun succès ; le Congrès savait trop bien ce que réclamait la suppression des privilèges, l'égalité de tous devant la loi, la séparation de l'Etat et de l'Eglise.
Eh bien, messieurs, je dois le dire, l'honorable M. De Fré se (page 999) trompe singulièrement sur le sentiment qui guidait la majorité de cette assemblée.
Cette majorité était libérale, très libérale, mais elle avait un libéralisme large et bienveillant.
Les partis n'étaient pas aussi nettement prononcés qu'ils le sont aujourd'hui. Les membres du Congrès avaient généralement beaucoup de bienveillance les uns pour les autres ; ce qui dominait, c'était un patriotisme pur et désintéressé. Je ne crois pas que l'honorable M. De Fré pourrait me citer un cas où le Congrès ait cherché a faire prévaloir une disposition qui fût le moins du monde blessante ou vexatoire pour quelque opinion que ce fût ; il votait les grands principes, il les votait après un examen impartial, mais il ne se demandait pas : Telle disposition plaira-t-elle à telle fraction ou déplaira-t-elle à telle autre ?
Je le répète, le Congrès était très large et très bienveillant, et si la disposition du projet de loi, qui nous est soumise, lui avait été présentée, non seulement elle eût été votée, mais elle n'eût pas rencontré de contradicteurs. Je le crois et je vais dire à l'honorable M. De Fré quelque chose qui va beaucoup l'étonner : on n'aurait pas même fait d'exception pour le clergé régulier. Il y avait sans doute au Congrès beaucoup de membres qui n'avaient pas une passion pour les couvents, je n'ai pas cette passion non plus, mais au Congrès on voulait, probablement parce qu'on était à une époque très rapprochée de la révolution, on voulait la liberté pour tout le monde, la liberté pour les couvents, la liberté pour les moines, la liberté même pour ceux qui se destinent à devenir moines, à la condition, bien entendu, de ne pas léser la liberté d'autrui ni l'intérêt général.
Mais on évitait de s'occuper de petitesses, de questions mesquines. (Interruption.) Je vous demande pardon, je parle en ce moment-ci de l'exception relative au clergé régulier ; eh bien, je dis qu'au Congrès, si je juge bien, on n'eût pas même soulevé cette exception. Je puis me tromper dans mes appréciations, j'en fais juges ceux qui ont eu l'honneur, comme moi, de faire partie de cette assemblée ; j'en fais juge l'honorable M. Rogier qui y a joué un si grand et si noble rôle. Je regrette qu'il ne soit pas à son banc, mais je déclare, en son absence, que j'accepte son appréciation. Eh bien, il n'y a que lui et moi des membres du Congrès sur les bancs de la gauche.
Quant à mes honorables anciens collègues de cette assemblée qui siègent à droite, je suis persuadé qu'ils ne me contrediront pas. (Interruption.)
Mais, messieurs, je ne suis pas réduit à une simple appréciation.
Il y a un fait à citer et il a été produit par l'honorable M. Thonissen, très à propos. Le Congrès national n'a pas eu a s'occuper de la loi sur la milice, mais il s'est occupé de la loi sur la garde civique dès les premiers mois de son existence, à la fin du mois de décembre 1830.
Le rapporteur du projet de loi sur la garde civique est un homme dont personne n'a jamais suspecté le libéralisme et les opinions indépendantes. Ce rapporteur était mon frère. Je crois que l'honorable M. De Fré ne récusera pas son autorité et ne soupçonnera ni ses opinions, ni son libéralisme, ni son indépendance.
Le rapporteur de la loi sur la garde civique est venu proposer, dans l'article 5 de celte, loi, une disposition qui est conçue à peu près dans les mêmes termes que celle dont nous occupons.
Or, remarquez-le bien, il eût été encore possible d'exempter, non pas les ecclésiastiques, mais les aspirants au sacerdoce ; il eût été possible de les dispenser du service de la milice qui est un service permanent, qui ne leur convient sous aucun rapport, comme l'a si bien démontré l'honorable M. Pirmez. Les astreindre au service de la garde civique, n'eût point été illogique. Il n'y avait rien d'exorbitant à voir un jeune homme étudiant en théologie faire un service de cette garde une ou deux fois par an.
Eh bien, la loi sur la garde civique votée au mois de décembre 1830, par le Congrès national, a exempté de droit du service de la garde civique, les jeunes gens qui se préparaient au sacerdoce.
Je n'affirme pas, je parle d'après mes souvenirs, mais je ne crois pas que l'article 5 ait soulevé de l'opposition.
On trouvait cela parfaitement juste, parfaitement légitime à cette époque. On a exempté du service de la garde civique les prêtres et les jeunes théologiens parce qu'on trouvait convenable de ne pas les astreindre à une occupation qui jure d'une manière si tranchée avec leur vocation, avec leurs goûts et qui pouvait, jusqu'à un certain point, les détourner de la carrière qu'ils avaient embrassée.
Pour la milice, c'est bien autre chose : l'intérêt des ecclésiastiques, des jeunes gens qui se préparent au saint ministère, je ne m'en occupe pas, je ne m'y arrête pas. Je me prononce pour la disposition insérée dans le projet de loi, dans l'intérêt des populations, dans un intérêt social.
Je me prononce pour cette disposition, parce que je crois que si on la supprimait on ferait une chose fâcheuse pour la société, fâcheuse pour le pays, regrettable à beaucoup de points de vue et sur laquelle, avant peu d'années, nous serions obligés de revenir.
Je déclare donc que c'est sans la moindre hésitation que je voterai pour l'article en discussion et quant aux amendements proposés à l'effet de faire insérer dans la loi une exception pour le clergé régulier, je. réserve mon opinion ; je verrai ce que la discussion produira sur ce point et je me prononcerai alors comme ma conscience me le conseillera.
M. le président. - La parole est à M. Coomans.
M. Coomans. - Je la cède à M. Bricoult,
M. Bricoultµ. - Messieurs, pour répondre au désir exprimé par la Chambre dans la séance d'hier, je vais indiquer brièvement les motifs qui m'ont déterminé à signer l'amendement en discussion.
Je ne puis, messieurs, approuver les considérations invoquées par la section centrale pour justifier l'exemption ou la dispense qu'il s'agit d'accorder aux élèves en théologie, aux étudiants en philosophie, qui doivent se vouer à l'état ecclésiastique, pas plus qu'aux jeunes gens qui se destinent à la carrière de l'enseignement primaire et de l'enseignement moyen du degré inférieur.
C'est au nom des intérêts sociaux que l'on réclame ce privilège. Eh bien, alors, il faut être logique et appliquer le principe aux avocats, aux médecins, aux pharmaciens, etc.
Mais, dit l'honorable rapporteur de la section centrale, la Constitution belge accorde au service des cultes et de l'enseignement primaire une protection efficace.
Si l'on contraignait à l'incorporation les élèves de théologie et des écoles normales primaires, qui oserait garantir qu'on trouverait au sein de nos populations assez de familles en état d'exonérer à prix d'argent leurs fils doués de la vocation de prêtre ou d'instituteur ?
Je ne blâme pas cette sollicitude de la section centrale pour le personnel du clergé et de l’enseignement, mais je me permettrai de faire remarquer que l'on pourrait retourner l'argument et soutenir avec raison que la perspective d'échapper au service militaire peut décider un grand nombre de jeunes gens à embrasser une carrière pour laquelle ils n'ont aucune vocation, aucune aptitude. C'est là le côté immoral et dangereux de la disposition que vous voulez insérer dans la loi.
Si la Constitution belge accorde au service des cultes une protection spéciale, elle n'accorde aucun privilège au clergé ; il en est de même pour le personnel de l’enseignement primaire.
La Constitution proclame que tous les citoyens sont égaux devant la loi, et c'est devant la loi militaire surtout, c'est-à-dire devant une charge honorable imposée à tous les citoyens que vous devez appliquer le principe d'égalité.
Pour apporter une restriction à ce principe, il faut la baser rigoureusement sur l'incapacité ou sur le bien public. Ainsi, si le personnel de l'enseignement primaire était insuffisant, j'approuverais peut-être l'exemption ou la dispense accordée aux instituteurs primaires ; mais il n'en est rien.
Ce n'est pas le nombre d'instituteurs qui fait défaut, c'est la qualité. Ce n'est pas en les dispensant du service que vous les rendrez meilleurs, c'est en créant de bonnes écoles normales,
J'estime que les habitudes militaires ne peuvent nuire en aucune façon aux élèves instituteurs et qu'il n'y a pas plus de raisons de les exempter ou de les dispenser du service que les médecins, les pharmaciens, les avocats, etc.
D'autre part, comme il ne s'agit pas d'enlever les curés ni les vicaires à leur ministère pour les enrôler dans les régiments, je ne vois pas l'utilité d'introduire dans la loi une dispense quelconque en faveur de ceux qui se destinent à entrer dans le clergé séculier.
Quant au clergé régulier, personne ne soutiendra sérieusement qu'il est insuffisant.
En 1829, il y avait 280 communautés ayant une population de 4,791 religieux et religieuses.
En 1846, le nombre des communautés était, d'après le recensement officiel du royaume, de 779 ; celui des religieux et religieuses de 11,968, soit en 16 ans, une augmentation de 499 établissements et de 7,177 personnes.
En 1856, toujours d'après la statistique officielle, le nombre des couvents s'était élevé à 993, soit 214 de plus qu'en 1846, 713 de plus qu'en 1830 et 362 de plus qu'en 1789.
En admettant que les corporations religieuses aient augmenté, de 1856 à 1866, dans la même proportion que de 1846 à 1856, et je crois que cette supposition est loin d'être exagérée, on arrive aux résultats suivants :
(page 1000) Nombre de couvents en 1866 : 1,207, soit 927 de plus qu'en 1830 ou une augmentation de 300 p. c.
573 de plus qu'en 1789 ou une augmentation de près de 100 p. c.
Nombre de religieux et de religieuses en 1860, 23,083.
Ce chiffre est rassurant, il peut calmer les appréhensions de l'honorable M. de Brouckere et de l'honorable M. Thonissen.
On prétend, messieurs, que la vie de caserne dispose peu à la vie du cloître, que les habitudes militaires ne peuvent s'unir aux habitudes de la vie contemplative. Je n'examinerai pas cette objection ; il y aurait beaucoup à dire là-dessus, mais si elle était fondée, elle serait la condamnation de la conscription.
Je n'admets pas, messieurs, ce système qui consiste à dire que toutes les plaintes disparaîtront parce que l'injustice qui pèse actuellement sur un certain nombre de miliciens pèsera désormais sur toute la levée. Lorsque l'on soustrait un homme de l'armée on empêche un autre de retourner dans ses foyers, puisque le département de la guerre prétend qu'il ne tient en tout temps sous les armes que l'effectif réclamé par ce qu'il appelle les nécessités du service.
En matière pénale, on punit celui qui détourne dix centimes comme celui qui vote une centaine de francs ; il n'y a de différence que dans la gravité de la peine. Il n'est pas plus permis d'être à peu près juste que d'être à peu près probe ou loyal. Je suis sûr que l'honorable M. Thonissen sera de cet avis. L'honorable membre croit que parce que 50 élèves en théologie seront chaque année privés du privilège que leur accorde la loi de 1817, le recrutement du clergé deviendra plus difficile, peut-être même impossible.
Mais, messieurs, en supposant que les 50 élèves soient tous dans l'impossibilité absolue de se faire remplacer et que le remplacement de chacun d'eux coûte 1,500 francs, il suffirait d'une somme de 75,000 francs pour les laisser paisiblement continuer leurs études, et croyez-vous que dans ce pays, où l'on trouve des sommes bien plus considérables pour la protection ou la défense d'intérêts étrangers, on laisse péricliter le service des intérêts religieux de la nation pour une misérable question d'argent ?
L'honorable M. Thonissen a qualifié un peu sévèrement les signataires de l'amendement.
Après avoir fait l'histoire de la révolution sociale, il a indiqué le remède et le remède infaillible au débordement des idées démagogiques. C'est la restauration des idées religieuses, c'est la diffusion du culte, qui condamne tous les vices, qui commande toutes les vertus ; puis l'honorable membre ajoute : « Je m'étonne que les honorables signataires de l'amendement, qui sont des hommes d'ordre, ne comprennent pas cette vérité évidente comme l'existence du soleil. »
Je me permettrai de répondre à l'honorable représentant de Hasselt que c'est en résistant au principe d'égalité et en conservant les privilèges que l'on prépare le mieux le régime révolutionnaire. La réaction est souvent terrible, et les peuples qui ont dû en subir l'expérience ont souvent été privés du droit de réclamer l'égalité devant la loi pour les membres des corporations religieuses, ils ont été parfois obligés de souscrire à leur expulsion.
Je dirai en terminant, messieurs, que les chambres italiennes viennent de voter la suppression des exemptions dont je m'occupe.
L'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter avec mes honorables amis a été adopté par le sénat de Florence dont les membres sont nommés par le roi.
J'espère, messieurs, que le principe d'égalité devant la loi de milice sera appliqué en Belgique, comme il sera désormais appliqué en Italie.
M. Coomans. - Messieurs, vidons d'abord une question personnelle ; je dois une sorte de remerciement à l'honorable M. Pirmez, qui m'a honoré de l'accusation d'avoir provoqué tout ce débat et inspiré les divers amendements dont se plaignent les catholiques. Je suis le grand coupable, le seul coupable ; c'est moi qui ai fait tout le mal ; sans moi, l'honorable M. De Fré ne se serait pas aperçu que la Constitution était violée ; sans moi, l'honorable M. Orts n'aurait pas voulu mettre hors la loi de milice le clergé régulier et ses lévites ; sans moi, l'honorable M. Pirmez, soufflé par les honorables MM. Frère et Bara, n'aurait pas fait, au nom du gouvernement, une proposition presque identique.
Je m'étonne qu'on n'ait pas été un peu plus loin ; l'honorable M. Bricoult a peut-être été tente de le faire, d'après les derniers mots qu'il a prononcés, oui, je suis surpris qu'on ne m'ait pas accusé d'être l'auteur de l'adoption par les chambres italiennes de la loi qui supprime les exemptions pour cause religieuse.
MiPµ. - C'est là une réponse au Journal de Bruxelles et pas à moi.
M. Coomans. - J'adresse mes réponses à qui les mérite, et celle-ci vous regarde, vous et les vôtres.
J'ai donc dicté toutes ces motions prétendument libérales ; j'en ai tout l'honneur équivoque, et chose étrange ! ce sont MM. les libéraux qui m'en veulent le plus, qui m'attaquent avec le plus d'acrimonie ; on dirait qu'ils sont furieux du secours qu'ils me font un crime de leur avoir prêté ; ils semblent mécontents... (Interruption.)
M. le président. - Modérez vos rires, messieurs.
M. Coomans. Cela ne me gêne pas, M. le président ; les arguments restent.
M. le président. - C'est possible, M. Coomans, mais les rires sont de trop.
M. Coomans. - Vous en êtes juge, M. le président.
Les libéraux semblent donc mécontents de n'oser supprimer que quelques exemptions alors que je propose de les abolir toutes, conformément à la doctrine qu'ils prêchent, mais qu'ils ne pratiquent point.
A droite, on me blâme aussi, mais avec moins d'aigreur qu'à gauche.
Voici la prédiction que je n'hésite pas à faire : lorsque ma proposition aura été impartialement examinée, elle sera approuvée par tous les catholiques et par tous les libéraux sincères.
Cette prétention de me constituer la victime expiatoire des péchés de cette Chambre, de me chasser d'ici vers les déserts de la Campine et bien au delà, comme le bouc émissaire de l'Israël parlementaire, cette prétention qui m'honore plus qu'elle ne m'effraye, s'est déjà produite, à propos de la loi en discussion, plusieurs fois sur les bancs de la gauche.
On a dit que c'était ma faute à moi si le projet de loi de milice, déposé en 1852, déposé encore en 1862, redéposé en 1864, n'avait pas été discuté.
J'avais beau, chaque année, en demander un prompt examen ; on affirmait que j'étais la cause de tous les retards !
Ainsi, je suis l'auteur vraiment responsable des amendements dirigés contre l'Eglise catholique. Ainsi, j'ai fait agir la gauche... Elle m'est bien peu reconnaissante ! On me fait là un honneur excessif ; mais je vous fais, à vous, messieurs, celui de ne pas vous en croire.
Il me répugnerait fort d'admettre, même quand d'honorables amis me le disent, qu'on s'amuse ici à rédiger des lois contre ma chétive personne, à me faire des niches sous forme d'amendement, à provoquer des mesures auxquelles on n'aurait pas songé si je n'avais pas pris la parole !
Cette petite et mauvaise tactique, cette petite et mauvaise pratique du régime représentatif pourrait caresser ma vanité personnelle ; mais elle épouvanterait ma conscience, car ma responsabilité deviendrait écrasante.
Je n'aurais pas seulement charge d'électeurs campinois, charge de quelques âmes, à commencer par la mienne ; j'aurais encore charge de lois, charge de Chambre belge, charge de chambres italiennes ! Ce serait vraiment beaucoup trop !
Est-ce ma faute si, le 12 mai, M. Barra m'a très erronément démenti lorsque je faisais remarquer que le clergé régulier était exempté ou dispensé par la loi ? M. Bara a nié ; j'ai dû insister : aujourd'hui il reconnaît son erreur.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais pas du tout ; je vous ai dit précisément le contraire.
M. Coomans. - C'est trop fort ! Vous avez prétendu que le clergé régulier n'était pas dispensé par la loi. Certes, M. Bara a soutenu cette erreur manifeste, et, aujourd'hui, pour se tirer d'affaire, il a prié M. Pirmez de présenter sa proposition. (Interruption.) Voilà la véritable origine de votre proposition contre le clergé régulier. (Interruption.) Eh ! si le clergé régulier n'était pas dans la loi le 12 mai, il ne pouvait pas y être hier, et c'est parce qu'il y était le 12 mai que vous l'en chassez aujourd'hui. Il y était, mais il ne devait pas y être ! Car, en définitive, M. Bara ne le voulait pas, et M. Bara va avant le clergé, surtout avant le clergé régulier. (Interruption.)
On me disait à droite et à gauche : « Nous savons bien que les autres membres des ordres religieux sont exemptés ; mais ils sont si bien cachés dans la loi qu'on peut décemment feindre de ne pas les y voir ; M. Bara lui-même ne s'en était pas aperçu ; votre imprudence a tout gâté. »
Je vous le demande à tous, messieurs, est-ce sérieux ? Les honorables membres, amis et adversaires, s'humilieraient-ils à ce point ? Qu'ils me remercient de ce que je ne le croie pas.
Messieurs, je ne fais de propositions que quand ma conscience me les dicte, quand je les juge bonnes, à part toute considération de personnes et de parti.
A ce propos, M. Pirmez me permettra de relever un reproche très désagréable et heureusement très injuste qu'il m'a adressé hier et que je n'avais pas entendu dans sa bouche.
Je lis, à la page 989 des Annales parlementaires : « M. Coomans a (page 1001) annoncé la présentation d'amendements qui, d'après lui, devaient avoir pour résultat de rendre la loi plus mauvais. »
Quand ai-je dit une bêtise de cette force ? Elle vous revient, M. le ministre, je vous la renvoie.
MiPµ. - Page 659 des Annales parlementaires de l'année dernière (séance du 11 février 1868).
M. Coomans. - Examinons donc les propositions en elles-mêmes. Tous les arguments produits par les auteurs portent contre toute exemption pour cause religieuse. S'ils l'osaient, ils le reconnaîtraient ; ils ont déjà reconnu que les ministres des cultes ne sont exemptés que comme un trompe-l'œil ; je ne veux pas répéter les arguments ; mais tous portent contre le principe même des exemptions pour cause religieuse. Par conséquent, il faudrait supprimer toutes les exemptions si ces arguments étaient vrais ; on ne l'a pas proposé ; moi je vais le faire ; j'abolis toutes les exemptions pour cause religieuse, dans les conditions d'équité et de bonne politique que je vais avoir l'honneur de vous exposer.
Messieurs, voici l'amendement par lequel je propose de remplacer l'article 23bis.
« Seront exemptés définitivement tous les miliciens qui auront versé au trésor public, endéans les huit jours après le tirage, le dixième de leur revenu ou de celui de leur famille.
« Toute exemption non motivée par l'état physique du milicien est abolie. »
Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler à ce sujet nos déclarations précédentes.
À force de me répéter, j'empêcherai peut-être quelques personnes de dénaturer ma pensée ou d'oser dire aussi qu'elles ne me comprennent pas.
Je n'ai pas été seul à demander une armée de volontaires, l'abolition de la loterie militaire et la mise à la charge de tout le peuple belge des dépenses de l'armée.
C'est là mon système. Il vous a été proposé par les honorables MM. Vermeire et Janssens et a été rejeté. Force m'a été de proposer d'autres combinaisons.
Pour les raisons qui ont été dites, le remplacement a été considéré, en Belgique, comme l'atténuation indispensable de la conscription. Moi aussi, ennemi du service obligatoire, j'ai dû me rallier, comme à un moindre mal, au système du remplacement, quelque injuste qu'il puisse être dans ses applications relatives. »
Va donc pour le remplacement, ai-je dit. Mais l'admission du système du remplacement a cette conséquence grave, dont on ne veut pas s'occuper dans cette Chambre, de transformer la prestation personnelle en un impôt argent. Dès lors il faut que cet impôt soit proportionnel, comme tous les autres ; je veux dire proportionné au revenu des familles. A ce point de vue, toute difficulté disparait. Car le clergé peut parfaitement contribuer aux dépenses du recrutement. Je crois même qu'il doit le faire comme citoyen, de même qu'il contribue à toutes les autres dépenses de l'armée.
Le clergé paye pour les canons, il paye pour les fusils Albini bons ou mauvais, pour les fortifications, il paye pour les chevaux, pour tout l'attirail militaire. Eh bien, le recrutement occasionnant aussi une dépense, pourquoi le clergé n'y contribuerait-il pas ? C'est une question que je me suis souvent posée et qu'il m'étonne de ne pas voir résolue dans le sens que j'ai proposé.
Quand vous demanderez au clergé de payer l'impôt du recrutement, il le payera. Mais il ne servira pas, parce qu'il ne peut pas servir.
Je vais plus loin : Nous n'avons pas le droit de le contraindre au service militaire, parce que ce serait une atteinte grave portée à la liberté individuelle et à la liberté religieuse qui est constitutionnelle. Toutes les religions reconnues par l'Etat sont protégées par la Constitution et nous n'avons pas le droit de décréter des actes incompatibles avec la conscience des fidèles.
A ce propos, mon honorable ami M. Le Hardy de Beaulieu me permettra de lui exprimer la surprise que j'ai ressentie de le voir parmi les signataires de l'amendement. L'honorable membre nous faisait remarquer l'autre jour que le respect de la conscience individuelle était tel, aux Etats-Unis et en Angleterre qu'on y avait exemple du service militaire proprement dit les quakers, cette généreuse secte qui a la guerre en horreur.
Or, si l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui sait raisonner si justement et si savamment, y avait bien réfléchi, il n'aurait pas tardé à reconnaître que le prêtre belge a au moins autant de droits que le quaker anglais ou américain, c'est-à-dire que si le quaker a le droit naturel de se refuser au service militaire, le prêtre belge ou celui qui est déjà ce qu'on appelle le clericus a le droit naturel et constitutionnel de s'y refuser aussi.
Or, l'honorable membre impose formellement au prêtre l'obligation de se résigner au service militaire. Il m'a paru que c'est là une inconséquence.
Non, messieurs, nous n'avons pas le droit de légiférer contre les préceptes de l'Eglise.
Par exemple, nous n'avons pas le droit de forcer des citoyens à ne pas se conformer aux préceptes du repos du dimanche. (Interruption.)
Je dis forcer.
Nous avons le droit et nous en usons tous, moi des premiers, de ne pas sanctionner par la loi pénale ou civile tous les préceptes de l'Eglise. Là est notre droit et parfois notre devoir. Mais nous n'avons pas le droit de faire des lois contraires aux préceptes de l'Eglise, des lois par lesquelles la conscience de nos concitoyens serait froissée.
En vain, me direz-vous que nous n'avons pas à compter avec l'Eglise dans nos travaux législatifs.
Messieurs, c'est là une très grave erreur. Ne dédaignons pas la religion de la grande majorité du peuple.
Nous ne pouvons pas, en Belgique, faire abstraction du catholicisme. Ce serait une conduite aussi fausse que dangereuse. Car il n'y a pas de doute que le jour où nous placerions le citoyen belge entre l'obligation presque également fâcheuse de désobéir à la loi ou à sa foi, il n'hésiterait pas et que sa foi l'emporterait sur la loi.
Et cela pour une excellente raison qui fait l'honneur de tous les hommes : c'est que le premier des devoirs est d'obéir à sa conscience.
On vous répondrait : Mieux vaut obéir à Dieu qu'aux hommes. Et l'on aurait raison.
Or, messieurs, l'Eglise interdit le service militaire non seulement au prêtre mais encore au simple clericus qui est arrivé à la fin de la première année de ses études théologiques.
Cet excellent principe-là, vous ne pouvez pas le violer, vous ne pouvez pas astreindre le clergé régulier ou séculier, je ne distingue pas, au service militaire. C'est faire une loi contre la foi, c'est affronter un grand péril et commettre la plus criante des injustices. Jamais, pour mon compte, je n'aurais voulu forcer ni le prêtre ni le simple tonsuré au service militaire. On m'a calomnié en m'attribuant ce but. Eh ! j'aurais blessé mes opinions économiques, j'aurais manqué à la loi naturelle, j'aurais violé la Constitution belge et méconnu l'Encyclique et le Syllabus !
Le non jus contra jus qui les résume, est le plus saint des axiomes de philosophie religieuse et civile.
Vous ne pouvez demander au clergé pour le recrutement qu'un impôt.
Cet impôt, il vous le payera volontiers ; je n'en doute pas, son patriotisme n'est pas au-dessous du nôtre. Aujourd'hui, il jouit d'une exemption à titre gratuit qui peut, quelque bien fondée qu'elle paraisse à la plupart d'entre nous, prêter à une opposition plus ou moins raisonnée, juste selon les uns, spécieuse selon les autres.
Aujourd'hui, le clergé est affranchi de toute dépense pour la milice. Eh bien, je ne trouve pas cela juste. On a parlé de le mettre même dans la garde civique. Pourquoi pas ? Que l'on fasse contribuer le clergé aux dépenses de la garde civique, je ne m'y oppose point. Comme j'avais l'honneur de vous le rappeler l'autre jour, pendant plusieurs années, vous avez mis les femmes dans la garde civique ; elles devaient payer un impôt annuel assez élevé dans quelques communes, et certainement elles n'étaient pas incorporables.
Eh bien, il me paraîtrait tout aussi injuste, tout aussi vexatoire et inutile, de mettre le clergé dans la milice active que de faire marcher les femmes dans la garde civique. Mais faites pour le clergé ce qu'on a fait pour les femmes ; faites-le payer, et encore une fois, j'ai la conviction profonde qu'il ne s'y refusera pas. Il ne réclame pas ce qu'on appelle le privilège de l'exemption pour les impôts militaires. Mais demandez-lui ce que peut vous donner une contribution, vous l'aurez. Quant au service, vous ne l'aurez jamais.
Messieurs, je crois que ma proposition est dans l'intérêt même du clergé.
Un mouvement significatif se produit en matière de milice. On tend continuellement à augmenter le nombre des exemptions. Celles du clergé seront vraisemblablement maintenues. On tâchera d'augmenter celles de l’enseignement. On propose déjà d'affranchir les avocats, les médecins, tous les élèves universitaires, les élèves de l'école des mines, etc.
Plusieurs membres, et je suis du nombre, le système des exemptions étant admis, demanderont à l'étendre à l'enseignement libre, et ils auront mille fois raison. S'il faut un encouragement sous forme de privilège, c'est aux instituteurs libres que vous devriez l'accorder. Les instituteurs officiels ont des appointements, et encore une fois, si vous aimez l'enseignement libre, qui est le véritable enseignement de la Constitution belge, (page 1002) vous le favoriserez aussi et vous ne refuserez pas de lui accorder le privilège de l’exemption.
Je disais donc que l'on tend à augmenter sans cesse le nombre des exemptions. Nous en viendrons, je ne crains pas de le dire, à exempter la plupart de nos électeurs, et le comble de la malice politique serait d'exempter tous les électeurs. Nous serions sûrs alors de bannir à tout jamais le suffrage universel et nous enverrions dans les casernes ceux que nous privons à la fois de leurs droits civils et de leurs droits politiques.
Messieurs, le but des auteurs de l'amendement diffère beaucoup du mien. Ces honorables membres veulent encaserner les séminaristes. Moi pas. Il était donc impossible que nous tombassions d'accord.
Dans mon système vous n'aurez le droit d'encaserner que les séminaristes qui refuseront de payer leur dixième, et ce droit-là je vous l'accorde. Pourquoi pas ? En matière d'impôts, il n'y a pas de privilège pour le clergé ; quand un prêtre ne paye pas ses contributions, on peut l'emprisonner, et aussi pour dommages-intérêts et pour dettes. Le séminariste, qui refusera le payement requis par la loi, je le livre à l'honorable général Renard. Ce sera sa faute, car il n'avait qu'à payer cet impôt-là. et puis, au fond, je ne serais pas fâché de voir partir ce séminariste, car s'il ne peut pas payer une centaine de francs, s'il ne trouve pas une caution, un prêteur, une bourse, il est peu digne de notre sollicitude.
Par vos divers amendements, vous créez une distinction, selon moi impossible, entre le clergé séculier et le clergé régulier. Au point de vue religieux, la difficulté est insoluble, car l'immunité ecclésiastique est la même pour les habitants des presbytères et pour ceux des cloîtres. Vous ne pouvez distinguer à cet égard qu'en vous plaçant au point de vue, selon moi très étroit, où vient de se mettre l'honorable M. Bricoult, au point de vue de la peur de ce qu'on appelle si élégamment la gent monastique.
Pour moi, je lève toutes les difficultés en n'exemptant personne.
Remarquez-le bien, en exemptant pour de l'argent celui qui se fait remplacer, vous reconnaissez le caractère financier de l'impôt-milice. Dans plusieurs circonstances vous établissez vous-mêmes ce caractère financier. Vous avouez la transformation de l’impôt-personnel en impôt argent ; eh bien, je vous demande d'être juste ; reconnaissez net que l'impôt-milice n'est qu'un impôt-financier comme les autres et qu'il s'agit de savoir non pas qui marchera, mais qui payera une somme de 1,500 à 2,000 francs. C'est une somme d'argent qui est mise en loterie.
Moi, je reste dans la vérité religieuse et sociale, dans l'égalité politique et civile ; c'est une forteresse dont on ne pourra pas m'expulser.
Pourvu que l'impôt dont je parle soit proportionnel, je ne tiens pas au quantum. Le trouvez-vous trop faible, augmentez-le ; proposez le huitième du revenu, je le voterai. Voulez-vous que, selon les justes idées longtemps défendues par l'honorable ministre de la guerre, on s'acquitte avant le tirage ; vous doublerez, vous triplerez peut-être votre recette.
Dans mon système, j'ai fait ce calcul approximatif, dans mon système vous recevriez annuellement 6 à 7 millions de francs.
C'est déjà un joli denier ajouté aux grosses sommes qui se trouvent dans nos caisses militaires ; mais enfin, peut-être ces six à sept millions ne suffiraient-ils pas pour attirer assez de. volontaires dans vos cadres ; je dis volontaires, car j'avoue que le résultat final de mon système, serait une armée de volontaires.
Presque tout le monde s'exonérerait. Voulez-vous (cela dépend de vous), recueillir 12 à 15 millions, on vous les donnera volontiers.
Aujourd'hui, les dommages essuyés inégalement par les familles sont bien plus considérables. Aujourd'hui, les pertes de temps, de travail, les non-valeurs nuisent infiniment plus aux populations que ne le ferait l'impôt volontaire dont je parle.
Messieurs, si la première partie de mon amendement est adoptée, ne fût-ce qu'en principe, il va sans dire que je voterai les amendements des honorables MM. De Fré, Orts et Pirmez. Seulement, je les étendrais encore et nous supprimerions tous les privilèges accordés aux ecclésiastiques. Si vous vouliez en supprimer d'autres encore, je serai de très bonne composition.
Je vous avoue que ce grand nombre de dispenses et d'exemptions inscrites dans votre loi en augmentent beaucoup l'iniquité.
Vous avez supprimé déjà l'exemption de l'enfant unique. (Je ne sais jusqu'à quel point vous avez bien fait.) Vous avez supprimé l'exemption de l'enfant unique pourvoyant de sa mère naturelle (permettez-moi de croire que vous avez eu tort) ; mais quand vous avez supprimé ces deux exemptions-là, je crois que vous pouvez les supprimer toutes.
Mon amendement a ceci de bon qu'il ne violentera presque jamais la liberté personnelle ; il sera libre à chacun de s'affranchir de l'impôt-milice.
Je voudrais surtout me faire comprendre de l'honorable ministre de la guerre qui a combattu avec tant de raison le remplacement par la famille, et qui a toujours cru que le remplacement par l'Etat, au moyen d'un système d'exonération, serait de beaucoup préférable.
Dans mon système, le département de la guerre compose l'armée dans les conditions qui lui paraissent les plus favorables et je déclare, quant à moi, que je ne lésinerai pas sur les millions. On me demanderait 50 millions pour le budget de la guerre que je les voterais.
Ce qui me choque principalement dans votre système de milice, je l'ai dit souvent, c'est la violence, l'iniquité avec lesquelles on traite les familles.
Ainsi vous composeriez l'armée à votre guise et je crois que vous la rendriez meilleure.
Remarquez qu'en supprimant ce que vous appelez, vous, la lèpre de l'armée, les remplaçants, dont vous ne pouvez pas vous passer, vous engageriez beaucoup de jeunes gens à entrer dans l'armée.
Savez-vous pourquoi vous avez aujourd'hui si peu de volontaires ? Je crois que vous le regrettez dans une certaine mesure. C'est parce que beaucoup de jeunes gens de bonne famille n'osent pas aller servir dans vos casernes à côté de ce que vous, avec exagération, vous appelez l'écume de la société.
Or, cette écume n'existerait plus du jour où l'on aurait supprimé l'action des compagnies de remplaçants, des compagnies de marchands d'âmes ; ce jour-là vous auriez beaucoup de volontaires et des meilleurs ; beaucoup d'honnêtes jeunes gens qui, ne craignant plus d'être contaminés, au moins par un certain nombre de remplaçants, serviraient avec fierté et confiance. Et en vérité, je m'étonne que l'honorable ministre de la guerre ait abandonné ainsi l'excellente thèse qu'il a souvent soutenue.
On me dira : Soit, votre principe de l'impôt proportionnel pour la libération est assez juste en théorie ; en effet, c'est un impôt et le principe de la proportionnalité de l'impôt est appliqué pour tous les autres impôts ; c'est le seul principe juste ; il est appliqué dans toutes nos lois, hormis l'inique exception de la loterie militaire. Oui, me direz-vous, en examinant sérieusement mon idée, le principe est assez juste, mais est-il applicable ? Comment évaluerez-vous le revenu des familles ?
Messieurs, je mentirais à ma conscience si je ne reconnaissais pas cette difficulté ; mais votre loi de milice est pleine de difficultés amenant, des injustices révoltantes.
Il sera donc difficile, je l'avoue, principalement au point de vue politique, d'établir l'échelle des fortunes des familles, mais le problème n'est pas insoluble ; vous ne le croyez pas vous-mêmes insoluble et vous ne pouvez pas le croire, insoluble. Le problème a été résolu : la taxe sur le revenu existe, en Angleterre et elle n'y donne pas lieu à de bien grands inconvénients.
J'ai causé souvent avec des Anglais qui, à part quelques observations critiques que tous les contribuables sont portés à faire, reconnaissent que celle taxe est assez équitablement perçue en Angleterre. Etudiez donc le système anglais ; il vous donnera des lumières précieuses.
La taxe sur le revenu n'est pas une nouveauté, elle n'est pas de mon invention, je n'ai pas dû l'aller chercher à l'étranger : la taxe sur le revenu est perçue en Belgique, nos taxes communales ne sont pas autre chose. (Interruption.) Je reconnais encore, une fois qu'au point de vue politique et électoral, il est parfois difficile d'établir des règles de justice pour la répartition de l'impôt communal basé sur le revenu.
Cependant cet impôt se perçoit très régulièrement, non seulement dans de petites communes, où l'on connaît à peu près l'avoir de tous ses concitoyens, mais dans de très grandes communes, dans des communes de 20,000 âmes et au delà. Dans celle que j'habite, il y a à peu près ce chiffre de population ; la taxe sur le revenu y est perçue et il y a très peu d'objections et de résistance.
Permettez-moi de vous le dire, messieurs, nous marchons vers la pratique de l’impôt basé sur le revenu ; je suis convaincu que nos grandes villes seront bientôt obligées d'établir cette taxe-là à l'imitation des petites communes. Je suis bien sûr que la solidarité croissante des intérêts nationaux et européens continuant à se produire et notre appareil économique et financier se perfectionnant d'heure en heure, on en viendra à percevoir, sinon un impôt unique sur le revenu, ce qui serait l'idéal de l'impôt, du moins un impôt considérable et équivalent à la moitié ou aux trois quarts de la totalité des impôts prélevés aujourd'hui sous tant de formes vexatoires et parfois arbitraires, dont le progrès économique souffre visiblement.
Le progrès, c'est l'impôt sur le revenu ; pourquoi ne pas vous y préparer par la milice ?
Je crains, messieurs, d'abuser de vos moments ; sinon je pourrais justifier (page 1003) en détail ma proposition ; dire, par exemple, qu'on préviendrait bien des difficultés en tendant obligatoire la constatation du revenu des familles avant le tirage au sort, en chargeant un collège cantonal ou de district, composé aussi impartialement que possible, du soin d'évaluer le revenu.
Il va sans dire, et ici je réponds à une objection que m'a faite l'autre jour un honorable ministre, il va sans dire que je n'exempte personne, pas même le pauvre : le revenu, pour moi, n'est pas seulement mobilier et immobilier ; le revenu, c'est aussi le salaire dont vit la famille. Ainsi, dans mon système, il est clair qu'une famille d'ouvrier gagnant annuellement 1,200 à 1,500 francs, c'est à peu près le minimum, aurait à payer le. dixième de cette somme, soit 120 à 150 francs le jour où l'un de ses membres serait appelé sous les armes par la loi de milice.
D'ordinaire, les véritables motifs d'opposition à des propositions graves sont précisément ceux qu'on ne donne pas, et, après de longues recherches consciencieusement poursuivies, je me sens convaincu qu'il n'y a qu'une objection véritable qui puisse se produire dans votre esprit contre mon système de libération de l'impôt-milice au moyen de la perception d'un impôt proportionnel à la fortune, au revenu des citoyens ; cette véritable objection est celle-ci : c'est que le pauvre payerait peu et le riche beaucoup ; c'est que le pauvre payerait moins qu'aujourd'hui et le riche beaucoup plus.
Les classes intermédiaires payeraient à peu près ce qu'elles payent aujourd'hui ; les classes riches seraient onéreusement frappées. Je le reconnais. Mais, d'autre part, reconnaissez aussi que je suis dans la justice et dans la logique en ne demandant pas au pauvre diable le même impôt qu'au millionnaire.
Aujourd'hui vous commettez cette iniquité énorme de prélever les mêmes impôts de 1,500 à 2,000 francs sur de pauvres diables qui n'ont pas 200 francs, le même impôt que sur le millionnaire.
Vous répondez à cela par un argument qui ne résiste, pas au moindre examen. Vous dites que « c'est une prestation militaire » ; cela serait un peu vrai, si le remplacement n'existait pas, si l'enfant du riche devait marcher comme l'enfant de l'ouvrier.
Mais quand vous transformez l'impôt personnel en impôt-argent, quand vous accordez cet énorme privilège aux riches, votre thème devient insoutenable.
Voila la vraie raison que vous avez de repousser mon système.
Pourtant, j'obtiendrais gain de cause, même devant la grande majorité du corps électoral (dont je me défie à bon droit), si je pouvais lui démontrer que ceci est possible, facile et avantageux pour elle ; qu'elle ne perdrait rien à l'adoption de mon système.
D'après des calculs approximatifs, la moyenne du revenu de nos familles électorales est de 3,000 à 4,000 francs. Je suis persuadé que les trois quarts de nos familles électorales n'ont que ce revenu-là. Or, dans mon système, elles payeraient 300 a 400 francs pour libérer un fils au lieu de 1,500 a 2,000.
Donc, même dans l'intérêt des électeurs, je puis dire que mon système est bon et vrai. (Interruption.)
Ah ! je le sais bien, il nous est bien plus facile de prendre à nos malheureux compatriotes ce qu'on a justement appelé de la chair à canon au prix le plus bas, c'est-à-dire au prix de zéro ; cela nous est bien plus facile que d'établir, à nos dépens, quelques règles de justice distributive.
Dans mes notes, je trouve encore l'indication de cette idée-ci :
Le gouvernement ne manquera pas de m'objecter que les cinq, six ou sept millions que je lui offre, et même que les douze à quinze millions qu'il pourrait recueillir avec mon amendement de la manière que j'ai indiquée, ne suffiraient pas pour constituer une armée aussi forte qu'on la juge nécessaire.
Ce serait à examiner. Je crois qu'avec une douzaine de millions, et le remplacement par la famille étant supprimé, vous obtiendriez beaucoup de volontaires à bon marché.
L'honorable ministre des finances prétendait l'autre jour que si une compagnie industrielle pouvait offrir une rente viagère de 150 francs à l'ouvrier émérite âgé de 55 ans, on se précipiterait dans les usines de cette compagnie pour jouir éventuellement de cet avantage. Je n'ai pas partagé là-dessus l'opinion de l'honorable ministre, mais enfin c'est la sienne, et cette opinion étant la sienne, je puis lui demander combien de rentes de 150 et même de 300 francs ii pourrait constituer en faveur de nos volontaires recrutés de la manière que j'indique, avec 6 ou 12 millions par an ?
Oh ! si l'honorable ministre croit qu'il y eût pléthore de main-d'œuvre à cause de l'allèchement produit par une rente viagère de 150 francs à l'âge de 55 ans, il doit reconnaître que le même appât serait plus attrayant offert aux miliciens volontaires.
Je suis persuadé que dans l'opinion intime de l’honorable ministre de la guerre, avec une douzaine de millions dont je lui laisserais à peu près l'emploi libre, il améliorerait considérablement notre état militaire en ce qui concerne le personnel.
Si l'argument de l'honorable ministre des finances avait quelque valeur, l'autre jour, appliqué, comme il l'entendait, aux ouvriers, cet argument a bien plus de valeur pour l'application que j'en fais aujourd'hui aux soldats volontaires.
Messieurs, je vais finir. (Interruption.)
Vous le voyez, je m'éloigne très peu des idées, parfaitement raisonnables selon moi, défendues par les honorables J.-B. Nothomb, Kervyn de Lettenhove, Vermeire, Janssens et autres.
Au fond, c'est un système d'exonération que je vous soumets avec la faculté d'y apporter toutes les modifications que vous jugeriez utiles.
Ce système ne peut pas être qualifié d'utopie. Du reste, je vous avoue que la qualification d'utopiste ne me blesse aucunement. J'aime mieux faire de l'utopie dans le domaine de la justice, que de faire de la pratique dans le domaine de l'iniquité.
Si je suis utopiste, avouez au moins que mes aspirations sont, non seulement généreuses, vos cœurs le sentent tons, mais que mes aspirations peuvent recevoir une solution pratique.
Direz-vous que M. J.-B. Nothomb était un utopiste ? Evidemment non.
Direz-vous que les auteurs de la loi française de 1855 étaient des utopistes ? Non.
Je vais un peu plus loin qu'eux, il est vrai ; je fais une proposition dictée par la justice, je veux la proportionnalité de l'impôt, proportionnalité que vous pratiquez pour tous les impôts, celui-là excepté.
Trouvez quelques inconvénients à ce système, soit, j'en ai trouvé moi-même : j'ai tâché de les prévoir ; je ne me vante pas cependant de les avoir écartés tous, mais au moins examinez et vous conclurez. L’état actuel des choses est intolérable. (Interruption.) Car enfin le jour viendra où l'iniquité de notre système de milice sautera tellement à tous les yeux et révoltera tellement tous les cœurs qu'il sera remplacé par une loi nouvelle, plus ou moins radicale, ou détruit par quelque chose de pis : par une révolution.
Le danger est d'autant plus grand que nous légiférons au nom d'une petite partie du pays, et que nous ne sommes que trop portés à faire des lois dans l'intérêt de nos électeurs. Je voulais donc vous rappeler qu'il vous serait aisé de vous procurer les millions nécessaires au recrutement de l'armée en organisant une loterie d'Etat à côté de la loterie militaire. Les bénéfices réalisés s'ajouteraient au produit du dixième du revenu des familles, et les voies et moyens nous suffiraient amplement.
- Un membre. - Il y a aujourd'hui le remplacement.
M. Coomans. - Ne me dites pas que la faculté du remplacement, telle qu'elle existe aujourd'hui, suffit pour sauvegarder la liberté individuelle ou la liberté religieuse. Cela n'est pas vrai.
Le remplacement tel qu’il existe aujourd'hui est une ironie, une cruelle ironie, quand nous l'offrons aux pauvres, à ceux qui n'ont pas de quoi se faire remplacer.
Supprimez complètement le remplacement ; j'aime mieux cela.
Quelle différence y a-t-il entre le régime du service forcé, le régime égyptien ou russe, c'est-à-dire le recrutement arbitraire et le nôtre, en ce qui concerne 7,500 hommes annuellement, sur 11,000 ou 12,000 hommes
Seulement, au lieu de choisir, vous laissez choisir quelqu'un qui ne vous vaut pas le hasard. Mais quand le hasard a prononcé, vous agissez arbitrairement comme en Russie. Car vous prenez aussi les plus beaux hommes et vous les gardez un, deux, trois ans de plus au service que les autres.
Voilà l'iniquité, l'iniquité révoltante. Ce n'est plus le hasard qui prononce ; c'est vous.
Encore une fois pas de remplacement à prix uniforme et c'est uniquement pour cela que j'ai refusé de signer les amendements des honorables membres, s'ils admettent un prix proportionnel pour le remplacement, un (page 1004) prix qui ne sera pas illusoire, qui ne sera pas hypocrite, qui ne sera pas cruel et tyrannique, c'est-à-dire qui ne soit pas hors de la portée des familles, je trouve que leurs propositions sont justes et je les admets. Je ne repousse que le remplacement à prix uniforme, qui est une cruelle et insupportable ironie.
Un mot pour finir et je le prononcerai le plus respectueusement du monde ; je l'adresse à l'honorable M. de Brouckere qui, je crois, est absent.
M. le président. - Non, il est présent.
M. Coomans. - Ah ! il y est ? Cela me fait plaisir. (Interruption.)
D'après l'honorable membre, toutes les exemptions inscrites dans notre projet de loi, non dans votre projet de loi, existent, non pas dans l'intérêt de l'exempté, mais dans un intérêt public et social. L'honorable membre, avec son habileté consommée, a bien compris qu'il fallait trouver une excuse quelconque au privilège incontestable dont jouissent beaucoup de catégories de Belges et cette excuse, il l'a donnée sous cette forme-ci : Ce sont des exemptions dictées par l'intérêt public.
La justification n'est pas bonne, vous prouverez difficilement que l'intérêt public ne conseille pas l'exemption de l'instituteur libre, de l'élève médecin, de l'élève ingénieur, de tous les travailleurs du pays.
Il est certain qu'au point de vue de l'utilité publique vous devriez supprimer la conscription, mais dès que vous la maintenez contre l'intérêt de la très grande majorité des familles, c'est-à-dire contre l'intérêt social, vous n'êtes plus admis à venir prétendre que les exemptions que vous maintenez sont dictées par l'intérêt public. Ces exemptions sont des privilèges.
Je sais bien que ce privilège légalement maintenu sous le masque de l'intérêt public est un argument qui court les rues et malheureusement les deux Chambres ; mais quand on y regarde de près, on trouve que celle excuse du privilège par l'intérêt public est la même et seule excuse qu'ont fait valoir tous les régimes despotiques. (Interruption.) Mais croyez-vous donc qu'on ait jamais décrété un privilège politique ou civil sans dire que c'est dans un intérêt public ? Croyez-vous donc que les rois féodaux et les républiques féodales (nous en avons eu) ne prouvaient pas très obstinément qu'il y avait un certain intérêt public à favoriser ou l'aristocratie, ou le clergé, ou les corporations de métiers ? Mais je n'ai pas lu autre chose dans l'histoire.
Tous les privilèges sont nés et ont existé sous le masque de l'intérêt public. Les exploiteurs ne sont pas assez sots pour reconnaître que c'est dans leur intérêt que ces privilèges sont accordés. Ils sont trop fins pour cela. Ils disent aux victimes que c'est dans leur intérêt à elles, et les victimes le croient souvent. Oui, elles admettent volontiers que les privilèges que nous pouvons assurer à nos amis les plus particuliers, tantôt au clergé, tantôt aux instituteurs, tantôt aux électeurs, n'existent que dans l'intérêt des gens qui payent nos privilèges ou en supportent les conséquences.
Je suis persuadé qu'on prouve aux miliciens de toutes les façons, un peu par la force, que c'est dans un intérêt public qu'on les vexe et qu'on les ruine, et je pense qu'il en est qui le croient.
Ainsi donc, messieurs, tous les privilèges quelconques ont toujours été basés sur l'intérêt public. C'est l'argument séculaire de la force hypocrite. Quant à moi, je n'y ai pas cru, je persiste à n'y pas croire, j'espère que je n'y croirai jamais.
On insiste sur l'exemption que méritent les instituteurs officiels dans un intérêt public, dans l'intérêt de l'enseignement, public aussi cette fois ; mais si cela est vrai, s'il faut exempter du service militaire les instituteurs parce qu'il n'y en a pas assez et parce que nos compatriotes ne sont pas assez éclairés encore, mais cela doit être tout aussi vrai pour l'enseignement privé que pour l'enseignement officiel ; dans ma conviction profonde, s'il y a matière à privilège, c'est à l'instituteur libre qu'on devrait l'accorder.
L'instituteur libre ne jouit pas d'un traitement ; il n'est pas favorisé par l'Etat, il n'est pas sûr d'avoir une pension, même une pension équivalente à celle que l'honorable ministre des finances veut donner aux miliciens vieillis. L'instituteur libre est le vrai pionnier et le plus méritant de la civilisation au point de vue du défrichement des intelligences.
Je vous déclare que j'estime beaucoup plus l'instituteur libre que l'instituteur officiel, quelque honorable que soit ce dernier.
Or, vous n'accorderez aucun avantage à l'instituteur libre. Au contraire, vous allez créer contre lui un nouveau désavantage en fortifiant la concurrence déjà écrasante que l'Etat fait aujourd'hui à l'enseignement libre.
Vous ne croyez donc pas à ce caractère d'intérêt public attaché au privilège de l'exemption, car, si vous le croyiez, vous exempteriez tous les instituteurs libres qui se trouveraient dans certaines conditions, reconnues satisfaisantes. Savez-vous où vous en arriveriez dans quelques années ? A apprendre à lire, écrire et calculer et beaucoup d'autres choses à tout le monde.
Vous parlez tant du développement nécessaire de l'instruction. Eh bien, dispensez du service militaire tous les instituteurs qui seront réellement instituteurs, qui enseigneront utilement, qui auront un certain nombre d'élèves, et vous verriez dans le moindre hameau se fonder une école.
Quelque paysan instruit se fera instituteur à 20 ans pour échapper à la milice et il exercera consciencieusement cet état-là, sauf à y joindre quelque autre ressource, celle de l'agriculture par exemple. Vous aurez éclairé, ce que vous appelez éclairé, la Belgique entière en peu d'années. Mais vous ne le voulez pas : vous craignez d'avoir trop d'instituteurs et trop peu de soldats.
Si quelqu'un regrette que les classes inférieures ne soient pas assez éclairées, c'est bien moi, car, si elles l’étaient davantage, elles y verraient clair et vous ne feriez pas des lois injustes, des lois de privilège restreint, comme celle que vous allez arracher au parlement.
M. le président. - Je dois faire remarquer à l'honorable M. Coomans que son amendement ne se rapporte pas à l'article en discussion, mais bien aux articles 22 et 23 déjà votés et qui concernent les exemptions.
Or, nous sommes arrivés aux dispenses, ce qui est autre chose. Je relis la proposition.
« Seront exemptés définitivement tous les miliciens qui auront versé au trésor public, endéans les huit jours après le tirage, le dixième de leur revenu ou de celui de leur famille.
« Toute exemption non motivée par l'état physique du milicien est abolie. »
Je ne puis donc pas dire que l'amendement fait partie du débat.
M. Coomans. - Messieurs, vous le savez, on a généralement recours aux mots « exemption » et « dispense ». Dans ma pensée, c'est la même chose ; mais, pour faire droit à l'observation purement grammaticale de notre honorable président, je demanderai, que le mot « exemption » soit remplacé par le mot « dispense ».
M. le président. - Ce n'est pas une distinction purement grammaticale. L'exemption est autre chose que la dispense.
Les articles 22 et 23 concernent les exemptions, l'article 23bis, dont nous nous occupons, est relatif aux dispenses. Eh bien, vous avez déjà voté les exemptions motivées.
M. Coomans. - Mettez « dispense ».
M. le président. - Je veux bien mettre le mot « dispense », mais alors votre proposition n'a plus de portée. (Interruption.) Je la relis avec le mot « dispense ».
« Seront dispensés définitivement tous les miliciens qui auront versé au trésor public, endéans les huit jours après le tirage, le dixième de leur revenu ou de celui de leur famille.
« Toute dispense, non motivée par l'état physique du milicien, est abolie. »
- Cette proposition est-elle appuyée ?
- Des membres à droite. - Oui, oui.
M. le président. - Elle fait donc partie de la discussion.
MiPµ. - M. Coomans nous a entraînés bien loin de l'objet en discussion ; je le comprends aisément ; l'honorable membre se trouve sur un mauvais terrain. Il a depuis plusieurs années attaqué de toutes les manières une disposition de loi à laquelle ses amis attachent une grande importance, il l'a ridiculisée, il a reproché au gouvernement d'être inconséquent en ne la supprimant pas.
Aujourd'hui on propose de faire ce que M. Coomans réclamait ; ses amis, il nous l'a appris lui-même, depuis plusieurs jours lui reprochent ce qu'il a fait, la presse amie ne lui épargne pas ses attaques.
M. Coomans. - Cela m'est bien égal.
MiPµ. - Cela n'est pas si égal à M. Coomans qu'il n'ait cru devoir répondre à ces reproches et à ces attaques ; seulement, comme ses amis ne lui ont pas adressé leurs reproches publiquement, et comme on ne répond pas aux attaques de journaux dans la Chambre, il a pris quelques mots que j'ai dits hier pour prétexte de sa réponse, à laquelle il me force de répliquer à mon tour.
M. Coomans est obligé de faire une retraite ; il doit renoncer à une proposition annoncée et pour masquer l'embarras de cette retraite il nous a produit la vingtième édition de son système de milice, qu'il a arrangé à cette fin en écran.
M. Coomans. - Ça, c'est vrai.
MiPµ. - Je suis destiné, paraît-il, à devoir parfois aider la mémoire de M. Coomans ; j'ai dû naguère l'aider (page 1004) quand il se rappelait trop, Je dois aujourd'hui l'aider parce qu'il se rappelle trop peu.
L'honorable membre nous dit qu'il n'est pour rien dans les amendements qui se sont produits ; il trouve fort étrange qu'on vienne lui dire qu'il est la cause de l'amendement de M. De Fré, de l'amendement de M. Orts et de celui que j'ai soumis à la Chambre.
Il trouve cette supposition tellement étrange, que pour lui, il n'y a pas plus de fondement à lui imputer ces amendements qu'à lui imputer la loi qu'a votée, sur l'enrôlement des prêtres, la chambre d'Italie.
M. Coomans oublie que lorsqu'on a discuté la loi d'organisation judiciaire il a trouvé fort singulier qu'on exemptât les membres des ordres religieux et notamment les capucins de faire partie du jury et qu'il a reproché à l'honorable ministre de la justice d'être inconséquent en écrivant cette exemption dans la loi.
Il oublie qu'il a été ensuite dans un meeting à Liège où, assis entre le président de l'Internationale et le président de la Libre Pensée, institutions pour les principes desquels l'honorable M. Thonissen a manifesté hier une si grande horreur, l'honorable membre a trouvé bon de jeter un capucin dans le débat pour animer la séance, et qu'il a proposé de le faire marcher.
Il oublie que, lorsque nous avons, l'année dernière, voté la loi d'organisation militaire, il a répété les mêmes attaques contre la prétendue inconséquence du gouvernement et de la majorité.
Il oublie enfin que, depuis que nous discutons la loi actuelle, il nous a encore accusé de la même inconséquence.
Il est vrai qu'aujourd'hui l'honorable membre nous dit : Mais, quand je vous ai reproché de ne pas incorporer les membres des ordres religieux ; quand j'ai parlé de faire marcher les capucins...
M. Coomans. - Jamais je n'ai parlé de les faire marcher.
M. le président. - Pas d'interruption, je vous prie.
MiPµ. - Prenez garde. M. Coomans ; votre mémoire est souvent infidèle ; vous allez voir que vous vouliez bien faire marcher les capucins.
On croirait aujourd'hui qu'il ne s'est jamais agi de cela ; qu'il n'a jamais été question dans les discours de l'honorable membre de rendre la loi d'une inexécution difficile, sinon impossible ; de la rendre tellement mauvaise qu'elle fût inexécutable ! Ce qu'il a voulu, c'est tout simplement son système de volontaires, son système d'exemptions générales ; ce qu'il reprochait au projet de loi, c'est de ne consacrer que des exemptions trop spéciales.
Eh bien, messieurs, voici ce que l'honorable M. Coomans disait lui-même de sa proposition dans la séance du 14 février 1868 :
« Vous avez peur d'être logiques et vous repousserez la proposition que je ferai de supprimer toute exemption.
M. Coomans. - Eh bien, c'est ce que je fais.
MiPµ. - Ce n'est pas du tout ce que vous faites ; vous allez voir que ce que vous vouliez c'était bien réellement de supprimer toutes les exemptions dans le seul but de rendre la loi odieuse :
« Vous la repousserez, je sais bien pourquoi ; c'est parce que la conscription sera impossible, le jour où vous l'appliquerez à tout le monde, le jour où vous proclamerez l'égalité de tous les citoyens belges devant la loi militaire, vous n'aurez plus l'armée que vous rêvez. »
Voici donc quelle était votre pensée ; vous disiez : Je ne puis pas aujourd'hui faire disparaître la conscription, mais je vais rendre la loi si vicieuse que la conscription succombera. Celait là votre but. Vous disiez clairement que vous vouliez supprimer toutes les exemptions et vous annonciez déjà un amendement dans le but de faire disparaître toutes les exemptions et d'obliger tout le monde à marcher.
Et maintenant que disiez-vous à Liège ? Ecoutez comment vous rappeliez ces paroles :
« Et on a cru m'embarrasser en me disant : Mais alors vous allez obliger les futurs capucins à mettre la main dans le tambour militaire où l'on tire ces mauvais numéros ; et j'ai répondu : Oui, je fourrerai le capucin dans le tambour militaire pour qu'il crève ; pas le capucin, le tambour. » (Interruption.)
Vous voyez donc bien qu'il ne s'agissait pas alors de ce système de décharge générale qui apparaît aujourd'hui, mais bien du système du tirage au sort modifié, car le tambour ne se conçoit pas sans tirage au sort.
Il devait donc y avoir un tirage au sort, et par suite un tambour et vous vouliez que les capucins tirassent au sort et qu'en cas de mauvais numéro, ils fussent obligés de marcher.
M. Coomans. - Non ! non !
MiPµ. - Encore une fois vous avez mauvaise mémoire, M. Coomans ; défiez-vous.
Ecoutez un autre passage de la séance du 14 février 1868 :
« M. Coomans. - Si M. Bara ne parvient pas à démontrer que les capucins, dont parlait hier M. Frère, rendent plus de service à la société belge que les magistrats, les médecins... il doit supprimer l'exemption du service militaire actuellement accordée aux séminaristes.
« M. Bara. - et vous voterez cela ?
« M. Coomans. - Et je voterai cela, oui.
« Un membre. - Vous avez dit que l'Eglise abhorret a sanguine.
« M. Coomans. - L'interruption n'est pas forte, d'abord les séminaristes ne sont pas des prêtres ; le principe abhorret a sanguine ne leur est pas applicable. »
Il s'agissait donc bien de faire marcher les séminaristes et les futurs capucins. Vous continuez :
« Ensuite, ceux des séminaristes qui auront horreur du sang se procureront un remplaçant, chose que font aujourd'hui les avocats, les médecins et d'autres. »
Voilà ce que disait alors l'honorable M. Coomans ; et aujourd'hui l'honorable membre invoque la loi de l'Eglise ; vous venez de voir ce qu'était pour lui cette loi à l'époque que je viens de rappeler.
Voilà donc ce que je voulais constater, c'est que l'honorable membre a bien eu l'intention, ainsi que je l'ai dit, de propager son amendement qui, en faisant marcher les prêtres devait, dans sa pensée, amener une coalition contre la loi, entraîner le vote négatif de la droite tout entière, unie à une fraction de la gauche, et arriver à ce résultat d'abolir la conscription. (Interruption.)
Ah ! vous reconnaissez ce qui s'est passé maintenant que je vous ai rafraîchi la mémoire ; si vous m'aviez répondu ainsi tantôt, vous m'auriez épargné un discours. Messieurs, le système proposé par l'honorable membre est-il sérieux ? Est-ce là un système d'exemption ? C'est le système de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu qui, voyant une divergence de traitement de deux médecins qui traitent une personne, tuerait le patient, pour lever la difficulté entre eux.
M. Coomans supprime tout le tirage au sort, pour faire disparaître une difficulté. Mais le fait est que l'honorable membre n'a déposé sa nouvelle proposition que pour se dispenser de présenter celle qu'il nous avait naguère annoncée.
L'honorable membre blâme la loi à cause des nombreuses exemptions qu'elle tend à consacrer ; mais par une contradiction que je ne m'explique pas, loin de demander la suppression d'une seule exemption, en propose, on en indique de nouvelles ; il a demandé l'exemption de l'enfant naturel ; il regrette qu'on ne puisse pas admettre l'exemption de l'enfant unique ; il a annoncé qu'il demanderait l'exemption du fils aîné ; il vient de nous dire que la loi devrait consacrer l'exemption de tous les instituteurs, non pas seulement des instituteurs diplômés, mais de tous instituteurs privés. Ainsi, l'honorable membre prétend qu'il y a trop d'exemptions dans la loi, et loin de proposer la suppression d'aucune de ces exemptions, il demande qu'on y en ajoute quatre autres !
Voilà ce qui s'appelle un vrai traitement par les semblables, similia similibus !
Pour masquer sa retraite, M. Coomans a voulu faire une diversion à mes dépens, en disant que mon amendement m'avait été soufflé par mes honorables collègues MM. Frère-Orban et Bara. Je suis toujours heureux quand mes honorables collègues veulent me donner une bonne idée, mais ici ils ne m'ont rien suggéré ; la modestie de l'honorable M. Coomans l'a empêché de voir la source de mon amendement ; l'idée n'est pas de mes collègues, elle est de M. Coomans lui-même ; c'est lui, M. Coomans, qui me l'a soufflée.
Dans la séance du 12 mai 1869, l'honorable M. Coomans m'a dicté les principes de mon amendement en ces termes :
« Où je vous ai admiré toujours à l'envers, où je vous admire toujours, c'est dans les arguments que vous produisez à l'appui des choses étranges que vous formulez dans vos lois.
« Vous me dites : Nous ne pouvons dispenser que les élèves instituteurs des écoles normales officielles ou patronnées ; nous ne pouvons dispenser que ceux-là parce que ce sont les seules écoles que nous puissions juger, sur lesquelles nous ayons de l'action et dont nous puissions diriger le programme et les idées. Voilà votre thème que je réduis à l'état de chiffon en vous disant : Est-ce que vous avez l'inspection dans les séminaires ? Est-ce ; que vous inspectez les couvents où l'on forme ou reçoit des prêtres en Belgique ? Non. Si vous teniez à être conséquent, il ne faudrait dispenser (page 1006) que les séminaristes officiels et le clergé séculier, pour les mêmes raisons que vous ne dispensez que les instituteurs officiels ; mais non, vous dispensez les capucins ! »
J'ai trop de respect pour la propriété intellectuelle pour ne pas rendre à l'honorable membre la part qui lui revient dans l'amendement que j'ai déposé sur le bureau ; je ne veux pas l'en priver, et c'est pour cela que j'ai cru juste de donner lecture à la Chambre de cette partie de discours, prononcé il y a quinze jours.
MfFOµ (pour une motion d’ordre). - Je crois, messieurs, que la discussion du projet de loi sur la milice n'est pas près d'aboutir. Nous avons à l'ordre du jour une série de projets de loi qui ont un certain caractère d'urgence ; il est désirable qu'ils puissent être prochainement soumis au Sénat, qui n'a pas encore voté un seul des budgets pour 1870, et qui n'a pas même examiné tous ceux de l'exercice 1869.
Nous avons demandé que le Sénat fût convoqué, pour lundi en huit, et nous désirons que la Chambre suspende pendant quelques jours la discussion du projet de loi sur la milice, afin qu'elle puisse s'occuper de ces projets de loi qui n'exigeront pas un long examen.
M. Delcourµ. - Quels sont ces projets ?
MfFOµ. - Ce sont, entre autres, le budget des recettes et des dépenses pour ordre et le budget des finances pour l'exercice 1870 ; le projet de loi relatif au remboursement de l'emprunt de 30 millions à 4 p. c. et a l'amortissement des dettes à 4 1/2 p. c. ; le projet de loi autorisant le rachat des embranchements du canal de Charleroi, etc. ; en un mot les divers projets de loti qui se trouvent à l'ordre du jour. Je crois, messieurs, que la Chambre ferait chose utile en s'occupant la semaine prochaine de ces projets de lois. (Oui ! oui !)
M. le président. - La proposition de M. le ministre des finances paraît rencontrer l'assentiment de la Chambre. (Oui ! oui !)
L'ordre du jour de mardi prochain sera donc fixé conformément à l'ordre qui vient d'être indiqué.
- La séance est levée à 4 heures.