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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 26 mai 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 965) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dethuin, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« La veuve Boulanger demande que son fils unique Auguste-Victor Hartman, milicien de la classe de 1868, obtienne un congé ou soit renvoyé dans ses foyers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Etalle demandent qu'il soit interdit au percepteur des postes dans cette commune d'exercer le commerce. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Liège demandent la suppression du cens comme base du droit de vote et par conséquent la révision de l'article 47 de la Constitution. »

- Même renvoi.


« La chambre des notaires de l'arrondissement de Marche prie la Chambre de discuter le projet de loi modifiant la législation sur les droits d'enregistrement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« M. de Brouckere, retenu par des affaires urgentes, demande, un congé. »

- Accordé.

Proposition de loi relative aux recours en matière de contentieux fiscal

Rapport de la commission

M. Thonissenµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi déposé par MM. Lelièvre et Guillery, concernant l'appel en matière fiscale.

Projet de loi portant remboursement de l'emprunt de 30 millions de francs et modifiant le régime d'amortissement de la dette 4 1/2 p. c.

Rapport de la section centrale

M. Sabatierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant remboursement de l'emprunt de 30,000,000 à 4 p.c. et modifiant le régime d'amortissement de la dette 4 1/2 p. c.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la milice

Discussion des articles

Chapitre IV. Des exemptions des dispenses d'incorporation et des exclusions

Article 21

M. De Fréµ. - L'article 21, dans son paragraphe 2, contient un point de principe. : « Les enfants légitimes jouissent seuls du droit d'exemption. »

Par application de ce principe, dans l'article 23, le projet reproduit la qualification d'enfant légitime comme seul exempté.

Il fallait d'abord, dans la première disposition, opposer à ce principe un principe contraire pour arriver plus tard, dans la partie organique de la loi, à faire appliquer ce principe d'une manière logique.

C'est pourquoi, hier, d'accord avec d'honorables collègues, j'ai proposé la suppression des mots : « Les exemptions du chef de parenté ne s'appliquent qu'à la parenté légitime. »

C’était la question de principe.

Hier, l'honorable ministre de l'intérieur est venu éltndre notre proposition, et il s'est effrayé des proportions que lui-même avait créées et qui n'étaient pas dans l'esprit des auteurs de la proposition.

Aujourd'hui je viens préciser davantage quelle est l'innovation que, d'accord avec d'honorables collègues, j'ai voulu introduire.

Il ne s'agit pas de modifier le code civil, comme l'honorable ministre de l'intérieur nous en a accusés ; il ne s'agit pas non plus de renverser la constitution de la famille.

Cet argument est un vieil argument qu'on a lancé dans le temps contre l'honorable ministre des finances lorsqu'il a proposé son droit de succession en ligne directe.

Laissons là ces arguments, ce sont des arguments d'un autre âge.

La question est de savoir si notre proposition étant réduite aux termes où elle est aujourd'hui, l'honorable ministre est autorisé à nous accuser de vouloir renverser la constitution de la famille.

Voici, messieurs, quelle est la pensée qui a guidé les signataires de la proposition et que je formule dans les termes suivants :

« L'enfant naturel légalement reconnu, qui est le soutien de sa mère et qui n'a pas de frère légitime, est exempté pour un an. »

MiPµ. - Vous retirez donc votre amendement ?

M. De Fréµ. - Je n'ai pas le droit de retirer une œuvre collective ; mais, quant à moi et pour répondre au discours de M. le ministre de l'intérieur, qui nous accusait de vouloir modifier le code civil et renverser les bases de la famille, je dis que la proposition, telle que nous l'entendons, respecte parfaitement la famille et ne modifie pas le code civil. Au contraire, cette proposition prend sa source dans l'esprit du code civil et dans le texte même du code civil.

Messieurs, pour se faire bien comprendre, il suffit souvent d'indiquer des faits.

Une femme a un enfant légitime ; cet enfant est son unique soutien. Aux termes de la loi, il est exempt du service militaire parce qu'il doit secourir sa mère, parce qu'il doit, par son travail, lui fournir des aliments.

A côté de cette femme, j'en vois une autre mère comme elle, mais qui n'a pas eu le bonheur d'être épouse, son fiancé étant venu à mourir avant l'accomplissement du mariage projeté. (Interruption.) Messieurs, ce sont des cas qui se présentent quelquefois.

Eh bien, celle femme a courageusement supporté sa triste position ; elle a lutté contre le malheur et souvent contre le dédain et les humiliations ; elle a élevé son enfant avec tendresse, avec amour, et celui-ci, devenu grand, est son unique soutien.

Pourquoi cet enfant naturel, et ce n'est certes ni sa faute ni celle de sa mère, doit-il être traité autrement que l'enfant légitime ? Pourquoi refusez-vous à cette mère le soutien de son enfant ?

Vous ne pouvez pas faire de distinction, au point de vue des sentiments humain, et au point de vue de la loi, au point de vue du code civil, vous êtes obligé de donner à cet enfant les moyens de soutenir sa mère, de lui donner des aliments.

Il est incontestable, et les monuments de la jurisprudence le constatent, que l'enfant naturel a droit à des aliments, l'enfant naturel a une action contre sa mère. Il peut attraire sa mère devant les tribunaux quoique enfant naturel s'il est reconnu, et obtenir, de ce chef, des aliments. Cela est incontestable ; et quoique le principe ne soit pas formellement écrit, dans le code civil, la jurisprudence l'a constamment admis. Entre autres décisions dont je pourrais donner lecture à la Chambre, je me bornerai, à lire le passage suivant d'un arrêt de la cour impériale de Toulouse du 19 janvier 1813.

« Attendu qu'il serait contraire à tous les principes naturels et positifs que l'enfant naturel qui a un droit sur les biens de son père, et auquel son père succède, ne peut rien réclamer pour ses aliments, durant la vie de ce même père ; que l'enfant naturel serait moins bien traité que l'enfant adultérin, ce qui présenterait une contradiction par trop choquante. »

Maintenant, la réciprocité qui existe entre les enfants légitimes et les parents légitimes existe également en ce qui concerne les enfants naturels.

Ainsi, si l'enfant naturel a une action contre sa mère qui l'a reconnu, sa mère, à son tour, si elle est dans le besoin, et si l'enfant peut venir à son aide, la mère naturelle a une action contre son fils.

« L'obligation, dit la doctrine, l'obligation alimentaire, dérivant du lien naturel, existe avec réciprocité entre les père et mère naturels et leurs enfants légalement reconnus, aussi bien qu'entre les père et mère et enfants légitimes. Mais la reconnaissance de paternité ne pouvant produire d'effet qu'autant qu'elle est faite par acte authentique, il s'ensuit que celle qui résulterait d'actes privés, tels que correspondance, ne donne point à l'enfant naturel le droit de réclamer des aliments. » (Journal du palais, verbo Aliments, n°30.)

Loin de vouloir détruire le code civil, comma M. le ministre de l'intérieur nous en accuse, nous puisons dans le code civil un argument invincible en faveur de notre proposition, et nous disons qu'en vertu du code civil, la mère a le droit de demander des aliments à son fils naturel ; elle a même une action de ce chef, et lorsque vous mettez dans votre loi que cet enfant devra marcher, qu'il ne sera pas exempté comme enfant illégitime, il est certain que vous empêchez cet enfant de remplir ses obligations et que vous méconnaissez le code civil, de sorte que, loin de renverser le code civil, la proposition s'étaye des dispositions de ce code, pour être adoptée par vous.

(page 966) M. le ministre de l'intérieur nous a dit : « Qu'arriverait-il, s'il y avait plus d'un enfant naturel ? »

Il ne s'agit pas de cela. Je parle d'un enfant naturel unique légalement reconnu ; s'il a des frères, l'enfant naturel n'est plus enfant unique.

Ma proposition ne va pas au delà ; ne lui donnez pas une portée qu'elle n'a pas et contre laquelle je proteste ; elle maintient la constitution de la famille, à laquelle elle ne touche pas.

M. le ministre de l'intérieur nous dit : « Est-ce que, dans ce sens, l'enfant naturel sera dispensé, lorsqu'il est le soutien de son aïeul ? »

Mais c'est impossible ; je dis que non ; voici pourquoi : c'est que, d'après la loi, il n'y a pas de lien naturel entre l'enfant naturel et l'aïeul, ou le père de la mère naturelle.

La question, encore une fois, a été résolue ; elle s'est présentée devant la cour de cassation de France.

Il s'agissait d'examiner ce qu'était l'enfant naturel vis-à-vis de son grand-père ; il a été décidé qu'il n'existait aucune parenté, qu'il n'y avait pas de lien et, partant, pas d'obligation. Ainsi, la question qui a été faite par M. le ministre de l'intérieur est contraire à l'article 755 du code civil, article qui dit que les enfants naturels n'ont pas de parenté avec la famille ; ils sont en dehors de la famille.

Maintenant je reviens au fait que je vous ai indiqué, qui sert de base à la proposition.

Si, dans les circonstances que j'ai entourées, vous n'exemptez pas le fils naturel, vous frappez le malheur.

Quand j'ai parlé de l'adoucissement de nos mœurs, j'ai voulu faire allusion à une époque où il n'y avait pas, à l'égard des personnes qui se trouvent dans cette malheureuse position, ce sentiment chrétien qui doit exister et que vous devriez inscrire dans vos lois.

Je borne là, messieurs, pour le moment, la réponse que j'avais à faire à l'honorable ministre de l'intérieur. Mais je soutiens que pas un jurisconsulte ni pas un chrétien ne peul repousser ma proposition.

M. Thonissenµ. - Messieurs, je ne puis pas me rallier à l'amendement qui a été déposé hier. Au contraire, à cet égard, je partage complètement l'avis de l'honorable ministre de l'intérieur.

Il me semble qu'il serait dangereux et même, sous certains rapports, immoral de mettre, dans les lois de milice, la parenté naturelle sur la même, ligne que la parenté légitime.

En matière de législation, il est de principe élémentaire et incontesté qu'il faut s'abstenir, autant que possible, d'introduire des anomalies, des incohérences, des contradictions dans le droit national. Or, l'adoption de l'amendement serait en contradiction manifeste avec plusieurs parties essentielles du code civil que personne à songe à modifier.

Aujourd'hui, messieurs, il n'y a pas un seul code de peuple civilisé qui place la parenté naturelle sur la même ligne que la parenté légitime. Et cependant, l'adoption de l'amendement aurait pour résultat inévitable de mettre, en matière de milice, à tous égards et sans exceptions, la pareille naturelle sur la même ligne que la parenté légitime.

M. Coomans. - C'est une erreur.

M. Thonissenµ. - Alors expliquez-vous ; mais, d'après votre amendement, il n'y a pas erreur. Si cet amendement était adopté, tout ce qui s'applique à la parenté légitime s'appliquerait également à la parenté naturelle. L'inconduite, la débauche peut-être, deviendrait la cause d'un droit, la source d'une faveur vivement enviée par les familles ! Cela est-il possible ?

Mais, disait hier l'honorable M. Coomans, c'est votre loi de milice qui est immorale ; vous êtes cause de la naissance des bâtards ; vous empêchez les miliciens de se marier, et ainsi vous créez vous-mêmes l'immoralité dont vous vous prévalez.

Je voudrais savoir comment la loi de milice est obligatoire, pour la femme qui se livre à un milicien. Je voudrais savoir comment l'honorable M. Coomans peut excuser la conduite d'un milicien qui se glisse dans une famille honnête, qui n'est pas marié et qui se conduit comme s'il l'était.

Est-ce qu'aux yeux de la loi tous ceux qui ne peuvent pas se marier ont le droit de se livrer à des actes réprouvés par la morale ?

D'ailleurs, messieurs, on arriverait ainsi à des conséquences réellement très singulières.

Je prends l'amendement tel qu'il est formulé. Il a été adouci par l'explication donnée par l'honorable M. De Fré. L'honorable M. Coomans va l'adoucir peut-être encore ; mais je le prends tel qu'il est, et voici l'une des conséquences auxquelles pourrait conduire son adoption.

Supposons un bâtard à qui la vie militaire inspire une répulsion peut-être invincible. Il va trouver un vieux mendiant et, pour une pièce de cinq francs, il se fait reconnaître par lui comme enfant naturel. Eh bien, dès le lendemain, le bâtard aura le droit de réclamer l'exemption du service militaire comme descendant unique de l'indigent qui a reçu la pièce de cinq francs !

Ce n'est pas tout. On a parlé de parenté naturelle ; mais on semble avoir oublié qu'il y a trois espèces de parenté naturelle : la parenté naturelle simple, la parenté naturelle adultérine, la parenté naturelle incestueuse. Irez-vous accorder des faveurs à des filiations de ce genre, à l'adultère, à l'inceste ? Evidemment, vous ne le prétendrez pas ; et, cependant, ce résultat découlerait de l'adoption de votre amendement. Cela serait d'autant plus injustifiable, que l'exemption est accordée à l'enfant, non dans l'intérêt de l'enfant, mais uniquement dans l'intérêt de sa famille ; en d'autres termes, en considération de la position de ses parents et nullement eu égard à sa position personnelle.

Vous direz peut-être que, suivant le code civil, on ne peut pas reconnaître les enfants adultérins ou incestueux. Mais il y a des cas où la reconnaissance est forcée, où elle résulte de procédures judiciaires ; et cela est tellement incontestable, que le cas est prévu à l'article 726 du code civil. En réalité, vous mettez dans votre amendement, sur la même ligne, la parenté légitime, la parenté naturelle simple, la parenté adultérine et la parenté incestueuse. Il est impossible que la loi aille jusque là.

L'honorable M. Lelièvre, qui a signé l'amendement, se prévalait hier de ce que la reconnaissance de l'enfant engendre la puissance paternelle. Mais, messieurs, il n'est pas ici question de puissance paternelle ; il est question de milice ; il s'agit uniquement de savoir s'il faut, en matière de milice, mettre sur la même ligne la parenté légitime et la parenté naturelle.

L'honorable M. De Fré vient de se livrer, lui aussi, à de longues explications sur un point tout à fait étranger au débat. Il allègue que l'enfant naturel peut réclamer des aliments de sa mère naturelle, et que celle-ci peut, au besoin, réclamer des aliments de son enfant. Mais qu'importe cette vérité juridique ? Est-ce que les enfants légitimes n'ont pas droit à des aliments et ne doivent-ils pas en fournir à leurs parents ? Cependant, on les réclame pour la milice, on en fait des soldats malgré eux.

La question, encore une fois, n'est pas là. La question est de savoir si la loi qui fait fléchir ses rigueurs, non pas en faveur de l’enfant légitime, mais en faveur des parents légitimes, doit témoigner la même bienveillance aux parents naturels.

Messieurs, on parle souvent des libertés nécessaires. Il y a aussi des restrictions nécessaires et, parmi celles-ci, je range en première ligne la nécessité, universellement reconnue dans tout le monde civilisé, de ne pas mettre sur la même ligne la parenté légitime et la parenté naturelle.

Messieurs, ne nous laissons pas égarer par des arguments qui ne sont philanthropiques qu'en apparence. La Chambre sait que les innovations ne m'effrayent pas ; j'en ai donné assez de preuves par mes paroles, par mes actes et par mes propositions. Mais une innovation à laquelle je résisterai toujours, c'est celle qui aurait pour but de diminuer d'une manière quelconque la réprobation légale dont les unions illicites doivent être frappées.

Comme vous l'a dit hier M. le ministre de l'intérieur, le code civil se montre très sévère envers les unions illégitimes ; il pousse la rigueur jusqu'à frapper les enfants, à coup sûr innocents, qui en sont issus. Et aujourd'hui, que fait-on ? On propose d'accorder des faveurs, non à des enfants naturels innocents, mais à leurs parents, qui ont incontestablement commis une faute. On met ces parents sur la même ligne que les parents légitimes. Ce système, je le repousse de toutes mes forces. Il ne faut pas, à l'époque actuelle surtout, faire fléchir l'esprit de famille. Il faut renforcer, honorer les liens de la famille légitimé, et, en défendant cet intérêt sacré, je ne pense pas mériter le reproche que nous fait l'honorable M. De Fré, de défendre des opinions d'un autre âge.

La famille est un intérêt permanent et, quand on défend ses droits, ses prérogatives et son honneur, on est toujours dans le présent, on n'est jamais dans le passé.

M. Kervyn de Lettenhove. - La Chambre comprendra parfaitement qu'après le discours de mon honorable ami M. Thonissen, je ne veux plus revenir sur la question de droit civil. Je ferai seulement remarquer que rien n'efface, que rien n'atténue cette disposition du code qui porte que l'enfant naturel reconnu ne pourra jamais réclamer les mêmes droits que l'enfant légitime.

Quant à l'argument qui repose sur les secours alimentaires que l'enfant naturel doit, dit-on, à sa mère, cet argument me paraît peu sérieux, car les secours alimentaires ne représentent qu'une aumône justifiée par la nécessité, par les besoins et par les souffrances.

Ce qui me préoccupe davantage, c'est le devoir du législateur ; c'est (page 967) l'obligation qui lui incombe d’être juste et de se souvenir des intérêts de la société, en faisant cette loi si importante et si difficile qu'on appelle la loi de la milice.

Il faut observer, messieurs, que l'exemption, dans le vœu du législateur, doit profiter non pas au fils, mais au père ou à la mère. C'est pour les parents que l'exemption est introduite dans la loi, et je me demande, messieurs, quels font ces parents qu'il faut ici entourer de notre sollicitude ? Est-ce le père, est-ce la mère de l'enfant naturel ? Le père n'a pas fait ce qu'il devait faire ; il pouvait assurer à l'enfant issu de sa faute la même position qu'à l'enfant légitime ; il pouvait le réhabiliter par un mariage subséquent ; il ne l'a pas fait, je le lui reproche et je l'en blâme.

Mais l'honorable M. De Fré disait tout à l'heure : Il ne s'agit pas du père de l'enfant naturel ; il ne s'agit que de sa mère.

J'avoue que la mère mérite plus d'intérêt. C'est trop souvent une pauvre femme délaissée, isolée, mal défendue même par son innocence ; mais, dans cette hypothèse, si cette femme déplore les suites de sa faiblesse, sa constante préoccupation n'est-elle pas de la cacher et de la faire oublier ? Je ne comprends point un système à la suite duquel on arriverait à cette alternative, à ce spectacle également déplorable. : ou d'un fils invoquant la honte de sa mère, ou d'une mère rappelant sa propre honte, au profit de son fils.

Mais, messieurs, en dehors de ces considérations morales, est-il vrai de dire qu'il y a un lien réel et vrai entre la mère naturelle et son fils ?

Il faut reconnaître que dans la vie, dans les mœurs, ce lien est bien près de ne pas exister. La mère a un intérêt puissant à fuir tout ce qui retrace sa faute, et le fils aussi croit pouvoir arriver à une situation meilleure dans la société s'il parvient à faire oublier la honte de sa naissance. C'est là, messieurs, ce qui crée une position si dissemblable à l'enfant naturel et à l'enfant légitime. C'est pour cela que dans la première période de la vie la mortalité des enfants naturels est si considérable, parce que tous les soins leur manquent.

Et plus tard, messieurs, c'est par l'absence d'autres soins, par l'absence de conseils et parce que le lien de famille n'existe pas pour l'enfant naturel, qu'on le voit si souvent inscrit dans les greffes de nos cours criminelles.

Messieurs, bien différente, il faut le dire, est la position que le foyer domestique crée à l'enfant légitime. Là, messieurs, il y a un grand intérêt social à protéger et à encourager : la solidarité des bons exemples, l'autorité des traditions d'honnêteté et de probité qui s'enchaînent et se perpétuent.

C'est là que l'ordre et l'économie enseignent les vertus domestiques ; c'est là que se développe le travail, et c'est là que se fonde la propriété.

Sur ce terrain, messieurs, il y a un grand intérêt social à maintenir l'exemption ; mais je ne le vois pas ailleurs.

Je suis, du reste, tout disposé à reconnaître, messieurs, que lorsque nous nous occuperons de l'article du projet de loi qui traite du mariage des miliciens, nous aurons à examiner sérieusement quels sont les moyens à l'aide desquels nous pourrons enfermer dans les nécessités les plus étroites, en présence des rigueurs du service militaire, la défense de contracter mariage.

Il y a là une question éminemment intéressante, mais je ne crois pas devoir l'aborder aujourd'hui.

Je pense aussi, messieurs, en ce qui touche les exemptions pour la famille légitime, que le législateur pourrait faire quelque chose de plus et, lorsque la Chambre aura voté sur l'amendement des honorables MM. Coomans et De Fré, je lui demanderai la permission de rechercher devant elle si, en faveur de la famille légitime, mais en faveur de la famille légitime seulement, il n'y a pas moyen d'étendre l'exemption sans la faire peser sur des catégories non moins intéressantes d'inscrits. Il y a là une question d'un ordre tout à fait différent que je ne puis aborder en ce moment.

M. le président. - L'honorable M. De Fré et ses collègues, auteurs de l'amendement, viennent de me faire parvenir une nouvelle rédaction que voici :

« L'enfant naturel unique, légalement reconnu, qui est le soutien indispensable de sa mère, lorsqu'elle n'a pas d'enfant légitime, est exempté pour un an. »

Je dois faire remarquer aux honorables auteurs de l'amendement qu'avec cette rédaction, la proposition n'appartient plus à l'article 21, mais bien à l'article 23.

M. De Fréµ. - C'est comme principe.

M. le président. - Du reste, comme la discussion a déjà duré assez longtemps, je crois que nous pouvons la continuer.

M. Coomans. - Messieurs, si nos adversaires s'étaient bornés à démontrer que l'amendement déposé hier était rédigé dans des termes trop larges, qu'il pourrait produire des conséquences qui n'étaient pas dans notre pensée, je n'aurais pas demandé la parole, pour leur répondre. Mais je dois repousser des interprétations injustes et des intentions que nous n'avons pu avoir.

Dès hier, j'ai avoué, tout en signant l'amendement qu'on m'avait fait l'honneur de me soumettre, que je le croyais trop large et que je ne voudrais accorder le bénéfice de la disposition qu'à la mère seulement.

Je vois avec plaisir que les honorables membres cosignataires viennent de rédiger leur proposition d'une manière nouvelle. Cette rédaction est semblable à celle que j'avais préparée hier et que je voulais comprendre dans le paragraphe 3 de l'article 21.

J'aurais dit après les mots « parenté légitime » : « sauf le cas où le fils naturel reconnu est l'indispensable soutien de sa mère ».

Nous sommes donc tous parfaitement d'accord.

Je ne trouve presque plus rien debout des arguments présentés par l'honorable M. Thonissen, car tous ou presque tous portaient contre l'interprétation qu'il avait, non sans apparence de raison, donnée, à notre amendement d'hier.

Je reste donc dans l'amendement d'aujourd'hui, et je dis qu'il est juste d'étendre à la mère de l'enfant naturel le privilège accordé aux parents légitimes.

Je commence par un argument qui frappera, je l'espère, l'honorable ministre et par contre-coup l'honorable et savant professeur de droit criminel.

Hier, M. le ministre de l'intérieur s'indignait à la pensée que l'on peut accorder quelque avantage à une famille du chef d'une faute commise.

Il y a faute, évidemment, mais je prie M. Thonissen de ne plus me supposer l'intention de vouloir excuser les cohabitations illégitimes...

M. Thonissenµ. - Je demande la parole.

M. Coomans. - ... et de vouloir donner à mes compatriotes des deux sexes le droit de se passer de l'indispensable formalité du mariage !

On ne devrait pas faire de pareilles suppositions quand on se connaît et même quand on ne se connaît pas.

Je rappelle donc qu'hier l'honorable ministre de l'intérieur s'indignait à la pensée que l'on pût accorder ce qu'on appelle un privilège, ce que je me contente d'appeler un avantage, à des personnes qui auraient commis une faute et à cause de cette faute. Et cet argument, répété par l'honorable M. Thonissen, a paru faire impression sur l'assemblée. Or, il se trouve que le projet de loi tant vanté par l'honorable ministre accorde un privilège ou tout au moins de grands avantages, non pas pour une simple faute que la loi ne poursuit pas, mais même pour des crimes.

A l'article 23, vous pouvez lire que sont exemptés pour une année : Les jeunes gens dont le père et la mère ou le survivant subissent, par suite de condamnation, un emprisonnement qui peut encore avoir au moins trois mois de durée à partir du jour de la remise des miliciens.

Ainsi le jeune homme qui n'a pas de parents en prison pour un crime quelconque n'est pas exempté pour un an, mais dans la pensée de l'honorable ministre de l'intérieur s'il a le bonheur d'avoir des parents en prison pendant qu'on tire au sort, il est exempté pour un an... (Interruption.)

Il ne suffit pas de rire pour réfuter cette objection.

MiPµ. - Je répondrai.

M. Coomans. - Elle est très forte, et vous ne la détruirez pas.

Vous disiez hier qu'une faute ne pouvait jamais être la source d'une faveur ; eh bien, je vous prouve que vous-mêmes vous accordez une faveur, non pas pour une faute, mais pour un crime !

M. Muller, rapporteurµ. - C'est aux enfants.

M. Coomans. - Oh ! je sais bien que vous êtes assez habile pour distinguer, mais mon argument restera debout. (Interruption.)

N'est-ce pas une faveur pour le fils naturel que de ne pas être soldat forcé ? Il y a faveur d'un côté, il y a faveur de l'autre ; la faveur consiste dans l'exemption. Il est vrai qu'on l'accorde dans l'intérêt des parents.

M. Muller, rapporteurµ. - Exclusivement.

M. Coomans. - Mais elle n'en profite pas moins aux enfants.

L'honorable M. Kervyn, abondant dans le sens des honorables MM. Pirmez et Thonissen, trouve tout simple de dire : Mais c'est la faute au père et à la mère s'il y a un enfant naturel ; il a dépendu d'eux de le légitimer.

Cela n'est pas toujours vrai. (Interruption.)

Il faut, dit l'honorable M. Kervyn, la faute une fois commise, qu'on la répare. Soit, mais est-il toujours possible de la réparer ? Non ; et cela non seulement dans les cas de milice, mais encore dans maints autres cas... (Interruption.) Je veux parler de l'hypothèse où s'est placé M. Kervyn, qui ne reproche plus aux parents que le manque de réparation.

Or, n'est-il pas une foule de circonstances où les parents n'ont pas pu réparer leur faute, c'est-à-dire où il n'y a pas eu de mauvaise volonté ? Il (page 968) peut, en effet, y avoir eu mort subite et d'autres motifs encore. Eh bien, il ne faut pas, pour une simple négligence, punir aussi sévèrement ceux qui la commettent, parfois forcément.

Et puis, messieurs, vous vous placez exclusivement au point de vue de l'humanité. L'honorable M1. De Fré vous l'a dit, ce n'est pas au point de vue du code civil que vous pouvez nous combattre ; sur ce terrain notre amendement est inattaquable.

C'est donc au point de vue de l'humanité que vous vous placez ; eh bien, à ce point de vue, avez-vous le droit de distinguer entre la mère naturelle et la mère légitime ? Non, car les souffrances sont plus dures pour la mère illégitime que pour la mère légitime.

Messieurs, noire amendement, restreint à la mère naturelle, me paraît inattaquable ; il se recommande par les plus puissantes considérations d'humanité et de logique, et je supplie la Chambre de l'adopter.

M. Thonissenµ. - J'ai eu le malheur, paraît-il, de ne pas comprendre l'honorable M. Coomans, d'abord dans son amendement, ensuite dans son argumentation. La Chambre reconnaîtra, j'espère, que, si je n'ai pas compris l'honorable membre, d'autres que moi ont probablement commis le même délit.

Voyons d'abord ce que disait l'amendement. Le chapitre IV traite des exemptions, et au paragraphe 4 de l'article 21 on lit :

« Les exemptions du chef du parenté ne s'appliquent qu'à la parenté légitime, etc. »

Puis viennent indistinctement toutes les exemptions accordées.

L'amendement consistait dans la suppression des mots « parenté légitime » et par conséquent, il attribuait incontestablement à la parenté naturelle toutes les faveurs introduites dans l'intérêt de la parenté légitime.

A cet égard, aucun doute n'est possible.

Je répondrai maintenant au reproche que m'a fait l'honorable M. Coomans d'avoir dénaturé méchamment ses intentions.

M. Coomans. - Méchamment ?

M. Thonissenµ. - Supprimons le mot « méchamment », si vous le désirez. Je crois qu'ici encore la Chambre entière a pensé comme moi. Depuis six ans que j'ai l'honneur de siéger sur ces bancs, j'ai entendu une vingtaine de fois l'honorable M. Coomans soutenir que nos lois de milice étaient la cause unique de l'immoralité qui règne, à la campagne parmi les miliciens.

M. Coomans. - La cause principale, mais non la cause unique.

M. Thonissenµ. - Hier encore l'honorable membre exprimait la même pensée, et il n'y a qu'un instant nous l'avons entendu dire que les naissances illégitimes sont une affaire de simple négligence.

M. Coomans. - J'ai dit que la non-réparation de cette faute n'était souvent qu'une négligence.

M. Thonissenµ. - Du reste, nous sommes à présent en face d'une proposition singulièrement réduite ; elle est maintenant restreinte au seul cas d'une mère indigente qui a besoin du secours de son enfant naturel pour sa subsistance.

Eh bien, je ne veux pas plus de la proposition ainsi restreinte que de la proposition primitive.

La Chambre doit savoir que, même dans sa rédaction actuelle, la proposition constitue une innovation importante.

La loi hollandaise de 1817 restreint l'exemption au fils légitime ; il en est de même de la loi française, et de la loi prussienne ; et je ne connais aucune législation européenne qui accorde cette faveur à la mère naturelle. C'est donc une innovation extrêmement importante qu'on veut introduire dans notre législation.

Ainsi que je l'ai dit, ce n'est pas en faveur de l'enfant qu'une exemption est accordée, mais seulement en faveur de la mère. Or, la mère naturelle a commis une faute, et je ne veux pas que cette faute puisse devenir pour elle la source d'une faveur considérable.

Je dois ici adresser une question à l'honorable M. De Fré. Sa proposition nouvelle, si je l'ai bien comprise, parle d'enfants naturels reconnus.

Or il y a des cas où la reconnaissance résulte, non pas d'un acte volontaire, mais d'une procédure judiciaire. Je voudrais savoir si la proposition comprend également cette dernière hypothèse, ou si elle est restreinte au cas où la mère a pu régulièrement, et de sa propre volonté, reconnaître son enfants.

En résumé, je repousse la proposition restreinte aussi bien que la proposition générale, parce que je ne veux pas que, dans un article quelconque des lois de milice, on mette la parenté naturelle sur la même ligne que la parenté légitime.

M. De Fréµ. - Messieurs, je me lève pour répondre à la question qui m'a été posée par l'honorable M. Thonissen. Il ne s'agit, dans l'espèce, que d'un enfant naturel reconnu ; les enfants adultérins auxquels l'honorable membre a fait allusion ne peuvent pas être reconnus ; la comparaison manque donc de base.

Il a eu tort, dans son premier discours, de supposer des fraudes ; il connaît l'économie de la loi ; il sait très bien que les certificats doivent constater que la mère est dans le besoin, qu'elle n'a de soutien que cet enfant unique.

Il ne suffit pas qu'elle le déclare ; il faut que ce fait soit admis par l'autorité compétente, et pour le cas où une fausse décision aurait été prononcée, il y a le recours devant la députation permanente.

La fraude supposée par l'honorable M. Thonissen nous autorise à croire qu'il ne s'est pas rendu bien compte de l'économie de la loi ; il suppose qu'un mendiant, exemple assez pittoresques, ira, pour cinq francs, reconnaître un garçon de 10 ans comme son enfant naturel, afin de dispenser celui-ci du service de la milice. Mais cela n'est pas possible.

Ceux qui doivent délivrer les certificats n'ont aucun intérêt à être les complices d'une pareille fraude, et s'ils pouvaient l'être, il y a trop de gens intéressés pour la faire cesser.

Les honorables MM. Thonissen et Kervyn ont beaucoup parlé de la famille. Tous nous aimons la famille. ; je le répète, notre proposition n'a rien de contraire à la constitution de la famille. ; nous reconnaissons la distinction qui existe entre les enfants naturels et les enfants légitimes ; le code civil l'a déterminée ; mais cette distance n'est pas aussi grande que le suppose l'honorable M. Kervyn ; lorsqu'il s'agit de succession et qu'il n'y a pas de parents légitimes au degré successible, l'enfant naturel obtient la succession entière de son père. Le code civil, d'un autre côté, reconnaît formellement le droit des enfants naturels, lorsqu'il y a des descendants légitimes, d'intervenir dans la succession pour une part déterminée.

Il faudrait la preuve, et cette preuve n'est pas faite, qu'il est un article du code civil qui se trouve méconnu par notre proposition ; il ne suffit pas de dire que nous venons faire disparaître la séparation qui existe entre la parenté légitime et la parenté naturelle ; il faut l'établir, car il y a des principes qui existent dans nos lois...

M. Thonissenµ. - Je vous l'ai dit.

M. De Fréµ. - Vous avez dit de très belles choses, très éloquentes, très émouvantes, mais en fait, aucun argument puisé dans ce code civil que vous invoquez. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - La clôture est demandée. (Interruption.)

M. Preud'hommeµ. - Quant à moi, messieurs, je me rallie complètement à l'amendement déposé aujourd'hui par M. de Fré et relatif à l'exemption du fils naturel.

Les adversaires de cette exemption se basent surtout sur ce qu'aucune législation étrangère n'a jamais mis l'enfant naturel sur la même ligne que l'enfant légitime et sur ce que l'exemption accordée dans les circonstances actuelles favoriserait et multiplierait peut-être les cohabitations illégitimes.

Eh bien, à mon avis les adversaires de cette exemption sont complètement dans l'erreur en droit. Les législations ne déshéritent pas toujours l'enfant naturel ; la loi ne frappe pas l'enfant naturel d'une manière régulière. La loi ne. met l'enfant naturel dans une position d'infériorité envers l'enfant légitime que lorsque la famille naturelle se trouve directement en présence de la famille légitime.

Mais lorsque cet enfant naturel est en rapport avec sa mère naturelle ou avec des frères et des sœurs naturels, ou bien encore avec des étrangers, alors la loi restitue à l'enfant naturel tous les droits qui lui appartiennent en vertu de la Constitution et le code civil lui-même, dans ce cas, donne la préférence à l'enfant naturel sur l'enfant légitime.

Voici ; messieurs, l'article 766 du code civil :

« En cas de prédécès des père et mère de l'enfant naturel, les biens qu'il en avait reçus passent aux frères ou sœurs légitimes, s'ils se retrouvent en nature dans la succession. Les actions en reprise, s'il en existe, ou le prix de ces biens aliénés, s'il est encore dû, retournent également aux frères et sœurs légitimes. Tous les autres biens passent aux frères et sœurs naturels ou à leurs descendants. »

De même l'article 758 attribue à l'enfant naturel la totalité des biens lorsque ses père ou mère ne laissent pas de parents légitimes.

Au surplus, de quoi s'agit-il ?

S'agit-il d'une compétition d'intérêts entre la famille légitime et la famille naturelle ?

Nullement. Il s'agit d'un service public. Il s'agit d'une charge excessivement lourde : la charge de la milice.

Eh bien, messieurs, je dis qu'à ce point de vue l'enfant naturel ne doit pas être mis dans une position d'infériorité ; l'enfant naturel et l'enfant (page 968) légitime doivent être mis sur la même ligne, à moins que vous ne vouliez contrevenir au principe d'égalité des citoyens proclamé par la Constitution.

Maintenant, messieurs, on nous fait une autre objection.

L'honorable M. Kervyn dit qu'il y a faute de la part des parents, qu'ils pouvaient réparer cette faute, et que, ne l'ayant pas réparée, ils doivent être punis.

II y a faute, je le reconnais ; mais souvent la mère aura été abusée par promesses de mariage ; dans la plupart des cas, la mère eût vivement désiré légitimer son enfant par mariage subséquent.

Ensuite, peut-on se baser sur la faute pour rejeter l'exemption de l'enfant naturel ? Je ne le pense pas. En effet, cette exemption pour l'enfant légitime n'est pas basée sur une question de moralité ; elle est basée surtout sur une question d'humanité, sur le devoir de l'enfant de subvenir à la subsistance de sa mère, qui se trouve dans la misère.

C'est donc une véritable question d'humanité.

El peut-on dire que l'enfant naturel puisse plus échapper à ce devoir d'humanité que le fils légitime ? Non ; car le code civil impose à l'enfant naturel l'obligation alimentaire envers ses parents, cette obligation alimentaire étant réciproque.

Au surplus, ce n'est pas seulement une question de code civil, c'est une question de droit naturel. L'enfant a le devoir naturel de donner des aliments à sa mère. ; vous devez respecter ce devoir et mettre l'enfant dans la position de pouvoir fournir des aliments à sa mère qui est dénuée de toute fortune.

Préféreriez-vous mettre la mère dans la nécessité d'aller mendier son pain ? Mais alors la société sévira contre elle et l'emprisonnera.

Quant à la question de moralité, j'applaudis aux nobles sentiments qui ont été émis par plusieurs membres de cette Chambre, mais j'estime, que cette question de moralité ne doit pas exercer une grande influence dans ce débat. Que vous accordiez ou que vous n'accordiez pas l'exemption, je ne crois pas que vous restreigniez beaucoup la bâtardise et les unions illégitimes. Je pense que les parents ne pensent pas à l'exemption de leurs enfants lorsqu'ils commettent ces actes immoraux.

M. Delcourµ. - Messieurs, je ne dirai qu'un seul mot, et c'est pour exprimer mon opinion sur l'amendement qui vous est soumis.

Je combats l'amendement et je le repousserai par mon vote. Il est en opposition directe avec l'esprit général de la loi que nous discutons.

Sur quels motifs reposent les exemptions, telles qu'elles nous sont présentées dans le projet de loi ? Elles reposent sur deux motifs.

Le premier motif, c'est l'intérêt public, qui peut exiger, dans certains cas, que des exemptions soient accordées.

Le second motif, c'est l'intérêt des familles. Car l'ensemble de toutes les dispositions se rapporte à l'intérêt de la famille. Or, si vous adoptez l'amendement qui vous est présenté, vous sortirez complètement de l'ordre et de la base même du projet qui vous est soumis.

Cette raison serait déjà suffisante pour déterminer mon vote. Je le répète, l'amendement compromettra l'économie générale de la loi.

Mon deuxième motif, le voici.

Il y a deux ordres de considération en présence.

Il est incontestable, comme on vient de vous le dire tout à l'heure, qu'à la première vue l'amendement s'appuie sur un motif d’humanité. Lorsqu'un enfant naturel pourvoit à l'entretien de sa mère, on dit que l'humanité réclame, que cet enfant soit exempté du service, comme on exemple l'enfant légitime. Mais, à côté de cet intérêt, dont je ne nie pas la gravité, il en est un autre qui, à mes yeux, est plus important, c'est l'intérêt moral, c'est l'intérêt de la famille.

Veuillez, je vous prie, ne pas perdre de vue l'économie de la loi. N'affaiblissez pas l'autorité de la famille, qui est la base de la société. Ma conscience se refuse à voter ce qui peut conduire à une pareille conséquence.

Je m'arrête à cette seule remarque ; je ne veux pas prolonger le débat ; j'ai entendu l'honorable rapporteur demander la parole, il pourra nous rappeler les motifs de la section centrale.

Je n'ai pas voulu garder le silence sur un amendement qui peut accorder une prime à l'immoralité.

M. Muller, rapporteurµ. - J'ai demandé la parole pour une simple explication.

La section centrale n'a pas proposé d'exemption en faveur des enfants naturels, parce que le projet qui nous était soumis, d'accord avec toutes les législations, n'en mentionnait aucune, et qu'aucun membre de la section centrale n'avait fait de proposition à cet égard.

Je ne rentre pas dans le débat. La Chambre est suffisamment éclairée à cet égard. Je dois cependant rectifier une erreur que l'honorable M. De Fré a commise.

L'honorable M. Thonissen avait dit qu'admettre l'amendement que l'on discute pourrait favoriser la fraude L'honorable M. De Fré lui a répondu qu'en pareil cas le conseil de milice et la députation permanente ne sanctionneraient pas cette fraude. Or, je dois faire remarquer qu'il n'appartient ni aux conseils de milice, ni aux députations permanentes de changer l'état civil des enfants et que toutes les contestations relatives à ce point capital sont exclusivement du ressort des tribunaux ordinaires. Cela a été décidé mainte et mainte fois en matière de milice. Il n'appartiendra donc pas à un conseil ou à une députation de contester l'existence de la reconnaissance légale, ni ses effets juridiques.

Ainsi, l'observation de l'honorable M. Thonissen subsiste dans toute sa force.

M. De Fréµ. - Le conseil de milice décidera la question de savoir si l'enfant illégitime est le soutien de sa mère ; lorsqu'il y aura fraude, lorsque la fraude sera constatée, le conseil de milice pourra prendre une décision négative. Ceux qui auront intérêt à ce que la fraude soit constatée ne manqueront pas de faire cette constatation.

- Les paragraphes I et 2 sont mis aux voix et adoptés.

L'amendement proposé par MM. De Fré et autres membres est mis aux voix par appel nominal.

78 membres sont présents.

30 votent l'adoption.

48 volent le rejet.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas.

Ont voté l'adoption :

MM. Lesoinne, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Schmitz, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Van Merris, Visart, Vleminckx, Watteeu, Allard, Beke, Bieswal, Bricoult, Cartier, Coomans, Coremans, Couvreur, Crombez, de Borchgrave, De Fré, Eugène de Kerckhove, d'Elhoungne, de Macar, de Rossius, Dethuin, Guillery, Hagemans et Le Hardy de Beaulieu.

Ont voté le rejet :

MM. Liénart, Magherman, Moncheur, Moreau, Muller, Mulle de Terschueren, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pirmez, Sabatier, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Wouters, Bara, Beeckman, Broustin, de Brouckere, de Clercq, Delcour, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Terbecq, de Vrints, Dewandre, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Hymans, Janssens, Jamar, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lefebvre et Dolez.

M. le président. - Nous avons à nous prononcer maintenant sur la rédaction proposée par M. le ministre de l'intérieur, en remplacement des quatre premiers paragraphes.

M. Vleminckxµ. Messieurs, j'ai demandé la parole, non point pour proposer un amendement, mais pour faire une recommandation à l'honorable ministre de la guerre.

Malheureusement, il n'arrive que trop souvent qu'on accepte, pour le service de l'armée, des hommes incapables de rendre de bons services, des hommes qui deviennent de véritables piliers d'hôpital.

Ce résultat n'est pas imputable aux médecins qui visitent les miliciens. Ils ne s'y trompent pas, eux, mais leurs conseils ne sont pas toujours suivis.

Dans le cours de ma longue carrière, j'ai eu souvent occasion de signaler ce fait à M. le ministre de la guerre.

Je l'engage donc à faire à tous ceux qui sont, par leur position, appelés à recevoir des miliciens, des recommandations très sérieuses de ne recevoir que des hommes capables de rendre de bons services. Faire le contraire, c'est envoyer à une mort inévitable une foule de jeunes gens, incapables de supporter le service militaire et d'accomplir les devoirs qui leur sont imposés par les règlements.

- La rédaction proposée par M. le ministre de l'intérieur est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Nous passons au paragraphe 2 ainsi conçu :

« Les exemptions autres que celles qui résultent du paragraphe précédent et du défaut de taille, ne sont accordées par le conseil mentionné à l'article 29 que sur la production de certificats dont il apprécie la valeur. »

M. le ministre de l'intérieur a proposé un amendement rédigé comme suit :

« Les exemptions autres que celles qui résultent de maladies et d'infirmités et des défauts de taille. »

- L'amendement est adopté.

Article 21bis

« Art. 21bis. Le service du volontaire et du réfractaire est assimilé, (page 970) pour l'exemption des frères, à celui du milicien incorporé dans la partie active du contingent.

« Le service du remplaçant ne profite pas a sa famille : il a pour celle du remplacé le même effet que si ce dernier servait lui-même, à l'exception de certains droits de dispense qui ne sont attribués qu'aux familles des miliciens de la réserve désignés par le sort et servant personnellement. »

M. Muller, rapporteurµ. -Messieurs, je demanderai que les mots : « Certains droits de dispense qui ne sont attribués qu'aux familles des miliciens de la réserve » soient remplacés par ceux-ci : « à l'exception des droits de dispense exclusivement attribués, en vertu de l'article 27, aux familles des miliciens de la réserve désignés par le sort et servant personnellement. »

MiPµ. - Le renvoi à l'article 27 est inutile.

M. Muller, rapporteurµ. - Je l'avais pensé, d'abord ; mais il m'a été demandé un éclaircissement à cet égard, et je tenais à lever tout doute. En tout cas, cette explication n'aura pas été inutile.

MiPµ. - Il y a dans l'amendement une amélioration de rédaction que je propose de maintenir et un renvoi à l'article 27 que je considère comme inutile et que je propose de supprimer.

On dirait donc : « A l'exception de certains droits de dispense, exclusivement attribués aux familles des miliciens de la réserve désignés par le sort et servant personnellement. »

- L'article, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Article 21ter

« Art. 21ter. Ne peuvent procurer d'exemption à un frère :

« 1° Celui qui, appartenant à la partie active du contingent, ne compte pas en tout, par suite d'une dispense quelconque, dix-huit mois de présence sous les drapeaux, à l'expiration des deux premières années de l'incorporation ;

« 2° Celui qui, appartenant à la réserve, ne compte pas, par la même cause, trois mois de présence sous les drapeaux, à l'expiration de la première année de l'incorporation.

« Il n'est pas tenu compte, dans l'application de cet article, des absences ou congés motivés sur des blessures ou maladies involontaires. »

MiPµ. - L'article que. nous discutons en ce moment a pour objet de remédier à un abus qui consiste a accorder à des miliciens qui ne sont pas à l'armée le droit d'exempter leurs frères, bien qu'ils n'aient pas rempli un service actif. Pour procurer l'exemption, il faut que le milicien ait fait un service régulier.

L'article dispose que pour que le service d'un milicien profite à son frère, le service du premier doit être au moins des 3/4 du temps exigé pour sa présence sous les drapeaux. Mais comme la rédaction actuelle se sert du mot « dispense », on pourrait croire qu'il ne s'agit que des dispenses légales.

Je crois qu'il est important de ne pas employer ce terme, auquel on pourrait attribuer un sens restrictif ; je propose donc, par une nouvelle rédaction, de déterminer clairement que pour que le droit d'exemption d'un frère soit acquis, il faut qu'il y ait les trois quarts du temps de présence sous les drapeaux, à moins que l'absence n'ait été occasionnée par des blessures ou une maladie involontaire.

Voici le texte que je propose :

« Ne peuvent procurer d'exemption à un frère ceux qui, pour toute autre cause que des blessures ou des maladies involontaires, auront été absents du corps pendant plus de six mois dans le cours des deux premières années, à dater de l'appel sous les drapeaux si le service a lieu dans l'armée active et pendant plus d'un mois dans le cours de la première année si le service a lieu dans la réserve. »

M. le président. - Cette rédaction nouvelle remplace-t-elle tout l'article ?

MiPµ. - Oui, M. le président.

M. Thibautµ. - Je dois présenter sur l'article 21ter une observation que ne rend pas inutile la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre. Je trouve que cet article est trop sévère ; je comprends très bien qu'on veuille faire cesser les abus dont on se plaint, quoiqu'ils ne soient pas, j'aime à le croire, très nombreux. Mais je pense que c'est se montrer trop rigoureux que de refuser à un frère au service le droit de procurer l'exemption à son frère s'il n'a passé lui-même 18 mois sur deux ans sous les armes.

L'article que nous discutons ne permet pas au ministre de la guerre d'accorder à un milicien plus de six mois de congé sur deux ans ; le milicien qui obtiendrait six mois de congé, par exemple, priverait son frère du droit à l'exemption de service.

Il me semble que ce système est trop rigoureux ; je ne sais pas même s'il pourrait être appliqué, fut-ce avec la rédaction proposée par M. le ministre de l'intérieur.

Ainsi, je suppose deux frères dont l'âge ne diffère que d'un an ; l'aîné est appelé par le sort au service, le cadet est également appelé l'année suivante.

D'après le principe consacré par la loi, le plus jeune a droit à l'exemption ; mais l'aîné n'a pu encore passer que douze mois au maximum sous les armes...

M. Muller, rapporteurµ. - Dans ce cas, le cadet ne doit pas partir.

M. Thibautµ. - Il est donc exempté.

MiPµ. - Certainement ; le texte est formel.

M. Thibautµ. - Mais quand donc l'article 21ter sera-t-il appliqué ? Est-ce seulement quand il y aura trois ou quatre fils ? Dans tous les cas, je trouve qu'on est trop rigoureux et je demanderai qu'au lieu de dix-huit mois, on n'exige qu'une année, soit douze mois de présence au corps.

MiPµ. - Il ne faut pas, en cette matière, se méprendre sur ce qui est indulgence ou rigueur.

Il n'y a pas dans la disposition que nous discutons un principe d'où peut découler un résultat plus ou moins rigoureux ; l'armée aura toujours son même nombre d'hommes, que vous accordiez l'exemption ou que vous ne l'accordiez pas ; et vous n'êtes pas plus indulgent en facilitant qu'en refusant l'exemption, car chaque exemption a pour effet de faire marcher un autre milicien à la place de l'exempté.

Nous disons que pour qu'un milicien procure l'exemption à son frère, il faut que ce milicien ait fait un service sérieux.

M. Thibautµ. - D'accord.

MiPµ. - Nous ne différons donc que sur la question de quantité. Nous croyons que, pour qu'on puisse dire que le service est sérieux, il faut qu'il ait eu une durée d'au moins les trois quarts du temps. Telle est la pensée de la section centrale, à laquelle le gouvernement s'est rallié.

Je crois que cette exigence n'est pas excessive. On peut raisonnablement demander que pour qu'un service soit sérieux, il ait duré trois jours sur quatre, et qu'on le considère comme incomplet, si le service n'a duré que la moitié du temps voulu.

Maintenant, l'honorable M. Thibaut suppose par erreur que le compte du temps de service se fera après la première année. Ce n'est qu'après l'accomplissement des 24 mois qu'on examine, si le milicien a réellement fait son service et s'il a fait au moins les trois quarts de son temps. Si l'on constate qu'il n'a pas fait les trois quarts de son temps de service, qu'arrivera-t-il ? C'est que son service n'entre pas en ligne de compte pour accorder l'exemption au frère suivant.

Il est annexé au rapport de la section centrale un tableau qui détermine comment les frères peuvent acquérir la dispense, pour service de leurs frères. S'il arrive que l'on considère le service comme n'étant pas complet, le milicien qui n'aura pas servi d'une manière complète n'exonérera pas la famille de la prestation d'un autre milicien. (Interruption.)

S'il n'y a que deux frères, que le premier soit tombé, et que le second tire un an après le premier, celui-ci sera exempté, parce qu'il ne se trouve pas dans le cas de l'article, aux termes duquel on ne fait le calcul qu'au bout de deux ans.

M. Teschµ. - Messieurs, la disposition proposée par M. le ministre de l'intérieur à l'article 21 laisse quelque doute dans mon esprit. Ainsi dans le cas qu'a suppose tout à l'heure l'honorable M. Thibaut, il y aurait une exemption ; il faudrait un ajournement jusqu'à ce que les deux années soient révolues.

Mais il y a une autre difficulté. Je me demande si un milicien pourrait refuser un congé que lui accorderait M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre peut-il renvoyer un milicien dans ses foyers ? En cas d'affirmative, il peut appartenir alors au département de la guerre de déterminer quel serait, par exemple, celui des deux frères qui devra servir.

Ainsi, il dépendrait de la volonté de M. le ministre de la guerre de renvoyer un milicien dans ses foyers pour une période de cinq ou de six mois, de sorte que les frères qui viendront après ne jouiront plus de l'exemption.

D'un autre côté, l'aîné des deux frères qui est tombé au sort, peut, lui, user de différents moyens, faire jouer des influences pour obtenir des congés qui excèdent six mois ; il dépendra donc encore du frère aîné de priver le second de l'exemption ; ce qui me paraît grave. C'est un système qui, selon moi, doit être modifié ; je vois là des droits mis de côté par des personnes autres que la loi a déterminées.

M. Muller, rapporteurµ. - Messieurs, à la première observation de l'honorable M. Tesch, je répondrai qu'il dépend toujours du mauvais (page 971) vouloir d'un milicien sous les armes d'amener également, dans d'autres cas, un résultat semblable.

Ainsi, je suppose qu'un milicien déserte ; il est évident qu'alors il ne procure pas l'exemption à son frère, qui ne peut être fondée que sur un service régulier.

C'est dans le double intérêt de l'armée et de la masse des familles que cet article a été inséré dans la loi, article réclamé, en principe, à différentes reprises, notamment dans la discussion de la loi de 1847.

Cette disposition sera un frein salutaire contre les demandes multipliées de congé qui se font aujourd'hui, et dont l'accueil favorable est dû plus ou moins à l'obsession.

Eh bien, lorsque le service rempli par un fils de famille ne procurera plus d'exemption à son frère dans des conditions restreintes, c'est-à-dire quand il pourra être considéré comme réel et régulier, les demandes de congé seront beaucoup moins nombreuses qu'actuellement ; beaucoup de parents seront intéressés à être plus circonspects qu'aujourd'hui.

Je crois que si l'on voulait faire droit à l'observation de l'honorable M. Tesch, elle s'appliquerait à bien d'autres cas, et on arriverait à l'impossibilité : c'est-à-dire que si l'on prend pour point de départ qu'un milicien incorporé ne doit pas pouvoir nuire à l'exemption de son frère, ce n'est plus le service même qui sera pris en considération, condition essentielle, à mes yeux, et qui seule justifie cette exemption.

MiPµ. - Messieurs, j'avoue que nous ne nous sommes pas préoccupés des cas où le ministre de la guerre donnerait des congés forcés ; il est trop souvent obligé d'en refuser, pour que nous ayons eu cette pensée.

Je reconnais que si le ministre de la guerre imposait ainsi des congés, il commettrait une grande faute.

Mais il me paraît qu'il y aurait un danger à introduire dans la loi les exemptions pour les cas que prévoit l'honorable M. Tesch, et voici le danger que j'y verrais. Ce à quoi l'article a pour but de remédier, c'est aux congés obtenus par faveur, sans droit, et qui déchargent ainsi non seulement un premier milicien, mais qui, par suite de l'exemption, en dégagent un second.

Je crois que les inconvénients pratiques seraient plus grands si l'on exceptait de la disposition les congés accordés sans demande, comme paraît le désirer l'honorable M. Tesch, que dans le système que nous présentons.

En effet, si un officier peut donner des congés par faveur, il pourra par faveur les accorder d'office, sans demande apparente. On retomberait, en n'imputant pas ces congés au milicien, dans tous les abus que l'on veut prévenir.

Quant au second cas qu'a prévu l'honorable M. Tesch, je dois lui faire remarquer que la loi consacre pour le milicien le droit d'obtenir certaines dispenses qui n'exempteront pas son frère.

Ainsi, on exempte de l'incorporation les étudiants en théologie, les élèves de l'école normale. Eh bien, je trouve qu'il est injuste d'accorder à une famille, tout à la fois, la dispense de l'incorporation qui l'exempte d'un service extrêmement dur et de faire encore de cette dispense une cause d'exemption pour le second milicien.

Il est cependant incontestable que le fait qui donne lieu à une dispense, prévue par la loi, est un fait complètement volontaire de la part de celui qui a la dispense, ce qui n'empêche pas qu'un second frère ne doive partir parce que le premier n'a pas servi.

Je pense, messieurs, que l'honorable M. Tesch a commis une erreur dans l'appréciation de la base même de l'exemption.

II a une tendance à considérer l'exemption du frère comme un droit individuel.

Le motif dominant de l'exemption, c'est la répartition des charges entre les familles.

Or, le premier milicien n'ayant pas chargé la famille d'un véritable service, on doit, par une juste conséquence, ne pas décharger la famille du service du second frère, et ce second frère doit partir pour le premier, car il s'agit d'une dette de famille.

M. Thibautµ. - Je ne suis pas converti au système de l'article 21ter.

Permettez-moi de vous lire un passage du rapport à l'appui de cette disposition : « L'on voit des jeunes gens n'étant restés sous les drapeaux que pendant quelques semaines, d'autres n'ayant pas même quitté leurs foyers, obtenir pour leur famille un privilège exorbitant, indépendamment de la faveur personnelle dont ils jouissent ou dont ils ont joui. »

Voilà l'abus auquel l'article est censé vouloir mettre un terme. Mais il propose un remède excessif, puisqu'il exige le service de dix-huit mois, c'est-à-dire les trois quarts de deux années.

Dans le cas que j'ai cité tout à l'heure, il me paraît que cet article n'est pas même applicable. Vous ne pouvez pas forcer deux frères qui appartiennent à deux classes qui se suivent de marcher tous les deux ; et cependant le premier n'a pas encore rempli dix-huit mois de service. L'article que nous discutons est en contradiction avec une autre disposition de la loi qui n'appelle qu'un fils sur deux.

M. le président. - La dispense aura lieu provisoirement.

M. Thibautµ. - La dispense aura lieu provisoirement, soit ; mais si, après deux ans, le compte de service du premier n'atteint pas 18 mois, le second devra marcher.

MiPµ. - Certainement.

M. Thibautµ. - Voilà donc une famille composée de deux fils, qui devra fournir par le premier 17 mois et 15 jours de service, et par le second 24 mois. Je trouve que c'est exorbitant. Le moyen est hors de proportion avec l'abus qu'on a voulu prévenir.

Je ferai remarquer encore que l'honorable M. Couvreur a présenté un amendement, que nous examinerons plus tard, en vertu duquel les jeunes gens qui font preuve de certaines capacités, qui connaissent l'école du peloton, je pense, seraient renvoyés dans leurs foyers pour trois mois.

MiPµ. - Je crois qu'il faut réserver la question prévue par l'honorable M. Couvreur. II est évident que si cet amendement est adopté, il y aura lieu d'apporter une modification à la disposition actuelle. Nous avons rédigé l'article dans la supposition du projet tel qu'il est aujourd'hui.

M. Thibautµ. - C'est déjà quelque chose.

Dans tous les cas, je trouve qu'on exige un trop long service comme condition de l'exemption du frère et je proposerai par amendement de modifier ainsi le paragraphe premier : « Celui qui, appartenant à la partie active du contingent, ne compte pas en tout, par suite d'une dispense quelconque, dix mois de présence sous les drapeaux pendant la première année de l'incorporation. »

Je comprends que, pendant la première année d'incorporation, le milicien soit tenu une grande partie du temps sous les armes. Mais je crois qu'on ne devrait tenir compte que de la première année. Alors vous écartez toutes les difficultés dans le cas où un second frère serait appelé l'année suivante. Je crois que le milicien eût-il même un congé pour toute l'année suivante, la famille ne devrait pas perdre les droits à l'exemption,

M. Muller, rapporteurµ. - Je crois que l'amendement que présente l'honorable M. Thibaut serait beaucoup plus fâcheux pour les familles que la disposition du projet de loi.

Il en résulterait que le milicien qui n'aurait pas été présent sous les drapeaux dix mois sur douze ne pourrait accorder l'exemption à son frère. Cela va beaucoup plus loin que ce que nous proposons.

Notre projet dit que l'on ne pourra appliquer cet article qu'après l'expiration, pour le service actif, de 24 mois ; de manière que si, la première année, on a obtenu un congé de trois mois au lieu d'un congé d'un mois, on pourra regagner ce temps la seconde année et l'on ne privera pas, le cas échéant, un membre de la famille de l'exemption.

Nous ne demandons, dans les 24 mois, dans les deux années, que la présence sous les drapeaux, pendant 18 mois, ce qui laisse beaucoup plus de latitude, aux familles,

M. Thibautµ. - Je ne demande rien pour la seconde année.

M. Muller, rapporteurµ. - Vous ne demandez rien pour la seconde année et beaucoup trop pour la première.

MiPµ. - Messieurs, je crois que l'une des considérations qui ont déterminé l'honorable M. Thibaut à présenter son amendement est celle-ci : il a pensé qu'en faisant faire le calcul de la première année, on pourrait, pour l'année suivante, être renseigné sur le sort du frère ; mais les miliciens sont incorporés le 1er octobre et le conseil de milice siège au mois de mars et d'avril. On devra donc statuer longtemps avant de savoir si le premier frère a fait un service complet. Dès lors les exemptions provisoires sont nécessaires dans le système de l'honorable M. Thibaut comme dans le nôtre.

M. Thibautµ. - Les observations de l'honorable ministre de l'intérieur m'engagent à retirer mon amendement, mais j'en substitue un autre ; je demande que l'on dise douze mois au lieu de dix-huit.

M. Teschµ. - Messieurs, la durée du temps sous les armes ne me préoccupe pas autant qu'un autre abus qui est possible : je crains que, si l'amendement est admis, on n'accorde des congés avec beaucoup de facilité. J'ai souvent entendu des communes se plaindre qu'au moment de (page 972) l'incorporation l'on se montrait très difficile, parce qu'on avait le droit de demander un autre milicien ; un individu qui déplaira, qui ne sera peut-être pas très bon sujet, sera renvoyé assez facilement pour ne pas créer une exemption ultérieure, si le ministre a le droit d'accorder des congés.

MiPµ. - Je crois, messieurs, que le danger signalé par l'honorable M. Tesch n'est pas à craindre, car en supposant que le ministre de la guerre voulût renvoyer un homme, il n'en aurait pas un autre à la place. (Interruption.)

Le premier frère est mauvais, dites-vous, mais celui-là, le ministre de la guerre doit toujours le garder et s'il le renvoie en congé, il n'obtient pas à sa place un autre milicien.

L'honorable M. Tesch confond la position des deux frères : le premier est renvoyé dans ses foyers sans aucune compensation pour l'armée ; le deuxième exemple serait suppléé par un autre milicien, mais le ministre de. la guerre ne le connaît pas encore et n'a aucune raison d. conspirer pour le faire marcher.

Je suis convaincu que l'honorable M. Tesch confond deux hypothèses .

M. Teschµ. - Je ne confonds rien.

MiPµ. - Voyons. Le premier est renvoyé dans ses foyers, le gouvernement ne peut le remplacer par un autre. Le second frère est exempté provisoirement, il n'est pas sous les drapeaux, car s'il avait été incorporé, on ne pourrait plus le renvoyer.

Le ministre de la guerre ne peut donc faire de calcul sur les miliciens ; il ne peut désirer que l'exemption du second frère, ait ou n'ait pas lieu ; il ne peut avoir aucune espèce d'opinion à cet égard, attendu qu'il ne connaît ni le second frère ni celui qui le remplacerait.

MgRµ. - Je désire donner une explication à l'honorable M. Tesch. Il craint que le ministre de la guerre, pour faire marcher le frère d'un milicien, ne donne un congé à celui-ci.

M. Teschµ. - Je ne veux pas dire le ministre personnellement.

MgRµ. - Naturellement, mais il est clair que si le ministre de la guerre renvoie à une classe dans le cours de la deuxième année, par exemple, on ne peut considérer le cas comme une absence du corps puisque le milicien ne doit pas s'y trouver. Le texte de l'article prouve qu'il ne s'agit que des congés individuels qui sont une faveur spéciale.

M. Teschµ. - Nous sommes parfaitement d'accord.

M. Wasseige. - Je trouve, comme, l'honorable. M. Thibaut, qu'exiger 18 mois de présence au corps pendant les deux premières années, pour qu'un milicien puisse procurer une exemption à son frère, c'est demander trop. D'autre part, exiger dix mois pendant la première année, me paraît dépasser le but que l'on veut atteindre, et nuire au milicien que l'on voudrait favoriser, tandis que n'exiger que douze mois sur deux ans m. paraît trop peu.

Je viens, en conséquence, vous faire une proposition intermédiaire en demandant de fixer à quinze mois seulement le service réclamé du milicien pour procurer l'exemption à son frère.

C'est déjà pour les familles un sacrifice bien lourd et qui me paraît parfaitement suffisant.

M. Notelteirsµ. - Je comprends, messieurs, que le service d'un frère pour procurer l'exemption à son frère doit être un service sérieux.

Je me rallie à la proposition de l'honorable M. Wasseige, qui exige un service de quinze mois. Mais je me demande si un remplaçant qui obtient des congés peut nuire par là à l'exemption qui doit résulter de son service pour le frère du remplacé.

Il me paraît que cela ne peut être parce qu'il y a un article dans la loi qui décharge le remplacé de toute responsabilité du chef de son remplaçant.

Je ne comprends donc pas que le défaut de service suffisant puisse appeler au service le frère du remplacé.

M. Muller, rapporteurµ. - Entre l'amendement de l'honorable M. Thibaut et celui de l'honorable M. Wasseige, c'est le dernier qui doit, me semble-t-il, avoir la préférence, attendu qu'il est à la fois le plus favorable à la famille et le plus juste.

Quant à moi, je ne ferai aucuns difficulté à accepter l'amendement de M. Wasseige, en ce qui concerne le service dans l'armée active.

MiPµ. - Je désirerais examiner la question que pose l'honorable membre avant d'y répondre. Je pourrais bien donner une réponse immédiatement, mais je désire réfléchir. Je répondrai au commencement de la séance de demain.

Le principe de la loi est celui-ci : Le remplaçant décharge complètement le remplacé, mais il ne fait profiter la famille de son service que dans les mêmes conditions où le service du remplacé lui profiterait.

Faut-il appliquer cette seconde partie du principe même aux congés accordés au remplaçant, c'est ce que je désire examiner.

M. Notelteirsµ. - Du moment que l'on admet que le remplaçant décharge complètement le remplacé, je ne saurais comprendre que le remplaçant n'exonère pas complètement du service le second fils.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On examinera cette question.

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur a déclaré qu'il répondrait à la séance de demain.

M. Thibautµ. - Je me rallie à la proposition de M. Wasseige.

M. le président. - La proposition de M. Wasseige consiste, si la rédaction de l'article 21 est maintenue, à substituer quinze mois à dix-huit mois, et partant, si l'on adopte la rédaction de l'honorable ministre, de l'intérieur, à substituer neuf mois à six mois.

MiPµ. - Je me rallie à l'amendement de M. Wasseige.

M. le président. - La rédaction serait donc celle-ci : « Ne peuvent procurer d'exemption à un frère ceux qui, pour toute autre cause que blessures ou des maladies involontaires, auront été absents du corps pendant neuf mois, dans le cours des deux premières années, à dater de l'appel sous les drapeaux, si le service a lieu dans l'armée active et, pendant plus d'un mois, si le service a lieu dans la réserve. »

- L'article, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Article 22

« Art. 22. Sont exemptés définitivement :

« 1° Celui dont la taille ne dépasse pas un mètre quatre cents millimètres, et celui dont les vingt-trois ans seront accomplis au 31 décembre de l'année courante, et qui n'a pas la taille requise pour la milice ;

« 2° Les hommes atteints d'infirmités incurables qui les rendent impropres au service militaire ;

« 3° Celui dont le frère a accompli un terme de huit années de service, est décédé au service, ou n'a cessé de faire partie de l'armée que par suite de faits indépendants de sa volonté ou de sa faute. »

M. de Macarµ. - La section centrale a introduit dans le projet de. loi un principe nouveau. Quelques exemptions ou dispenses ne sont plus accordées lorsqu'il s'agira de personnes dans l'aisance.

Je crois que ce principe, qui est essentiellement démocratique, en ce sens qu'il augmentera les charges du riche et diminuera celles du pauvre, pourrait être étendu dans certains cas, notamment à celui dont il est question au n°3° de l'article 22.

Je n'entends pas soulever de discussion sur ce point en ce moment. Je consens à ce que l'article soit voté ; mais, comme nous aurons certainement une discussion sérieuse sur le principe nouveau introduit dans la loi, il doit être entendu qu'on pourra examiner alors s'il ne conviendrait pas de l'étendre aux exemptions mentionnées à l'article 22.

MiPµ. - Je propose deux changements à cet article.

Au n°1°, au lieu de : « et qui n'a pas la taille requise pour la milice, » je propose de dire : « et qui n'a pas la taille de 1 mètre 550 millimètres. »

Je propose, en outre, de rédiger comme suit le n°2° :

« Celui qui est atteint d'infirmités incurables qui le rendent impropre au service militaire. »

M. Muller, rapporteurµ. - J'ai à donner une explication sur le numéro 3° de cet article.

On a posé l'exemple d'un enfant de troupe qui aurait achevé huit années de service avant d'avoir atteint l'âge de la milice et on s'est dit que cet enfant ne sera pas exempté par le n°3° de l'article 22.

Effectivement, messieurs, il ne sera pas exempte et il ne doit pas l'être parce qu'il résulte implicitement de l'article 3 de la loi du 24 mai 1838, qu'on ne peut être qualifié et reconnu volontaire ni être rangé parmi les soldats de l'armée que lorsqu'on a atteint l'âge de seize ans révolus. On comprend, en effet, que des enfants de troupe ne puissent pas être considérés comme ayant fait un service militaire avant d'avoir atteint cet âge.

C'est donc pour trancher un doute que j'ai entendu soulever, à propos de cet article, que je donne cette explication positive à la Chambre.

- La discussion est close ; l'article 22 est adopté avec les amendements proposés par M. le ministre de l'intérieur.

Articles 23 et 23bis

(page 973) « Art. 23. Sont exemptés pour une année :

« 1° Celui dont la taille, dépassant un mètre quatre cents millimètres, n’atteint pas un mètre cinq cent cinquante millimètres ;

«2° Celui qui, atteint d'infirmités curables, n'est pas jugé capable de servir avant l'expiration des trente jours de la remise des miliciens à l'autorité militaire ;

« 3°Celui qui est l'unique descendant légitime d'une personne encore vivante, pourvu que la famille ne soit pas dans l'aisance, ou qu'elle ne puisse pas, sans cesser d'en jouir, pourvoir au rachat du service personnel ;

« 4° Celui qui est l'indispensable soutien : A de ses père et mère, ou de l'un d'eux ; B si ces derniers sont décédés, de ses aïeuls ou de l'un deux ; C d'un ou de plusieurs frères ou sœurs orphelins ;

« Sont assimilés aux orphelins, ceux dont le père et la mère, ou le survivant, sont invalides et complètement entretenus aux frais d'une caisse publique ; ceux dont le père et la mère, ou le survivant, subissent, par suite de condamnation, un emprisonnement qui doit encore avoir au moins trois mois de durée a partir du jour de la remise des miliciens ; ceux, enfin, dont le père et la mère, ou le survivant, ont disparu depuis plus d'un an de leur domicile ou de leur résidence, sans qu'on ait eu de leurs nouvelles ;

« 5° Le père resté veuf avec un ou plusieurs enfants ;

« 6° Celui dont le frère remplit un terme de huit années de service.

« En cas de deux frères appelés ensemble à faire partie d'une levée, et dont les numéros ont été atteints pour la formation du contingent, si la famille n'est tenue alors qu'à fournir un fils a l'armée, l'aîné définitivement désigné pour l'incorporation exemple son frère, comme s'il était déjà au service.

« Lorsque la priorité d'âge entre des frères jumeaux ne résulte pas des actes respectifs de naissance, elle est déterminée par la priorité d'inscription aux registres de l'état civil ;

« 7° Les condamnés pour délit correctionnel que l'article 28 n'exclut pas du service militaire et dont la détention ne doit pas expirer dans les trente jours de l'incorporation, ainsi que les détenus dont la cause n'est pas jugée avant cette époque. »

M. Coomans (par motion d'ordre). - Messieurs, je croyais que la discussion de l'article 23bis, sur lequel j'ai des observations à présenter, viendrait aujourd'hui ; je vois avec regret qu'elle ne viendra que demain ; or, je ne pourrai assister à la séance de demain ; et je me vois dans la nécessité de demander à la Chambre un congé, mais seulement pour ce jour-là.

M. Hymans. - Evidemment il ne peut y avoir aucune objection à ce que le congé demandé par l'honorable M. Coomans lui soit accordé ; la Chambre n'a pas l'habitude de refuser les congés que ses membres lui demandent.

Mais, précisément à cause de l'intérêt que l'honorable M. Coomans porte à l'article 23bis, je crois qu'on pourrait en ajourner la discussion jusqu'à ce que l'honorable membre puisse assister à la séance. C'est très intéressant ; la Chambre tient beaucoup, je pense, à être éclairée des lumières de l'honorable membre de cette question.

M. Coomans. - Messieurs, je n'ai pas eu du tout la fatuité de songer à supplier la Chambre d'ajourner le débat sur l'article 23bis ; mais je remercie l'honorable M. Hymans de me rendre ce service et de faire une proposition que je n'ai pas osé produire devant cette Chambre.

A ce propos, je dois déclarer que je viens d'apprendre qu'un amendement signé par plusieurs honorables collègues propose la suppression de toutes les exemptions dont il s'agit dans cet article.

J'adhère à cet amendement, en me servant des termes dont je me suis maintes fois servi dans cette Chambre, c'est-à-dire que je veux la suppression complète de toutes les exemptions et dispenses, pour les riches comme pour les pauvres, pour les ecclésiastiques, comme pour les laïques, à la condition formelle et sine qua non que le remplacement soit rendu facultatif et mis à la portée de tous les Belges, (Interruption.)

Je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'étonner à ce sujet. C’est une doctrine que je professe depuis plus de trente ans ; dans tous mes écrits, dans tous mes discours, elle est formellement exprimée. (Interruption.) Comment ! ennemi du service forcé, j'aurais pu imaginer d'obliger les ecclésiastiques et les instituteurs à se faire soldats ! Jamais ! Ce que je veux, c'est que personne ne soit obligé de servir, en d'autres termes, que tout le monde puisse se libérer du service militaire à des conditions égales, et ces conditions égales sont que chacun paye un prix proportionné à sa fortune...

M. le président. - Nous ne sommes plus dans la motion d'ordre ; nous ne discutons que cela dans ce moment.

M. Coomans. - Je suis dans la question qui touche l'amendement dont vous êtes saisi, M. le président. Du reste, ce que je viens de dire me suffit pour le moment et je me réserve de m'expliquer complètement lors que nous aborderons l'article 23.

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, le congé demande par M. Coomans pour la séance de demain lui est accordé.

M. Orts. - Messieurs, je demande la parole pour adresser deux questions au gouvernement ; je n'insiste pas pour avoir une réponse immédiate ; mais il est nécessaire que nous ayons une réponse catégorique, pour que nous puissions aborder en parfaite connaissance de cause, la discussion de l'article 23 bis.

Je demande au gouvernement et en même temps à l'honorable M. Muller, comme représentant de la section centrale, de vouloir bien nous dire, en temps opportun, après y avoir réfléchi, ce que le projet de loi entend par ministres des cultes, et en même temps par étudiants en théologie ou étudiants se destinant à devenir un jour membres du ministère ecclésiastique.

Par « ministres des cultes » entend-on les ministres de tous les cultes quelconques ou bien les ministres des cultes reconnus par l'Etat, c'est-à-dire, recevant des subsides ou des traitements de l'Etat ?

Seconde question : Entend-on par « ministres du culte catholique », qui est évidemment dans la première catégorie, les ecclésiastiques faisant partie des ordres religieux et qui ne font pas partie du clergé séculier ?

Voilà une question à laquelle, je demanderai qu'on réponde.

M. le président. - C'est donc une seconde motion d'ordre.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour une troisième motion d'ordre.

M. le président. - Vidons d'abord la première, qui consiste à savoir si l'on ajourne à après-demain la discussion de l'article 23bis.

- La proposition de M. Hymans, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Deux honorables préopinants ont posé des questions au gouvernement au sujet de l'article 23bis dont la discussion doit avoir lieu probablement demain.

J'en poserai une à mon tour.

Nous venons de voter tout à l'heure l'article 22.

Je n'ai fait aucune observation, à cet article, sur la suppression de l'exemption définitive des ministres des cultes, parce que je la voyais reportée à l'article 23 dont on parle. Mais puisque M. Orts a posé tout à l'heure des questions, j'ajouterai une question au gouvernement et à la section centrale. Je leur demanderai si, en transférant l'exemption des ministres des cultes de l'article 22 à l'article 23bis, on a entendu par là affaiblir la position dont ont toujours joui en Belgique et dont jouissent encore aujourd'hui en Belgique et en France les ministres des cultes d'être exemptés du service militaire.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment, non.

M. Dumortier. - Vous répondez non, mais ce n'est pas à vous que je l'ai demandé. (Interruption.)

Si j'avais pu soupçonner qu'une interpellation serait faite par M. Orts, je dois le déclarer sur l'honneur, je me serais levé tout à l'heure pour demander les explications que je demande en ce moment.

J'ai agi avec bonne foi, croyant à une loyauté parfaite, et je demande qu'on me réponde également avec bonne foi et loyauté parfaite.

MiPµ. - Messieurs, on a tiré sur moi deux lettres de change, une terme et l'autre au comptant. Je vais satisfaire d'abord à celle qui est exigible.

L'honorable M. Dumortier nous demande quelle est la portée du changement qui a été fait quant à la conversion d'exemptions en dispenses d'incorporation de la disposition relative au ministres des cultes.

La réponse est simple.

Aujourd'hui on considère comme une cause d'exemption la qualité de ministre des cultes et celle d'étudiant en théologie.

La conséquence de cette détermination de la loi est qu'un milicien doit partir à la place de l'exempté.

Il a paru à la section centrale que ce système devait être modifié et que, comme les ministres des cultes, les étudiants en théologie, les élèves des écoles normales sont exemptés par un motif d'utilité, il fallait faire porter sur l'armée cette charge d'utilité publique.

(page 974) On pouvait évidemment maintenir le mot « exemption » tout en y attachant cette conséquence. Mais il y avait un assez grave inconvénient à avoir des exemptions dans lesquelles les exemptés doivent être remplacés par d'autres miliciens, des exemptions dont la perte est à charge de l'armée. Il a paru, dès lors, beaucoup plus simple d'établir deux catégories : l'exemption dans laquelle toujours celui qui ne part pas est remplacé par celui qui suit dans l'ordre du tirage, et la dispense d'incorporation dans laquelle le contingent reste tel qu'il est, qui n'a aucune espèce d'influence sur l’appel des hommes, qui a seulement pour effet de faire que ceux qui en sont l'objet ne doivent pas aller à l'armée.

Voilà la portée du changement ; il n'y en a pas d'autre.

M. Dumortier. - Je remercie M. le ministre des explications qu'il vient de donner à la Chambre, et je me déclare satisfait de ces explications.

M. le président. - Un amendement à l'article 23bis est parvenu au bureau. Il est ainsi conçu :

« Les soussignés proposent la suppression des n°1, 2, 3 de l'article 23bis.

« (Signé) De Fré, Couvreur, Dethuin, Le Hardy de Beaulieu, Hagemans, Bricoult, Elias, Watteeu, Preud'homme. »

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.