(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 877) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit ensuite le procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les administrations communales de Sempst, Eppeghem et Weerde prient la Chambre de décider : 1° que le tirage au sort pour la milice aura lieu à la commune ; 2° que le contingent actif sera fourni par chaque commune en proportion du nombre de ses miliciens inscrits ; 3° que le milicien de la réserve comptera pour un homme ; elles proposent, en outre, une modification à la répartition de la réserve. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la milice.
« Le sieur Deridder demande que la loi exemple du service militaire le fils unique, bien qu'il ait des sœurs. »
- Même décision.
« Le sieur Ryssens demande d'être réintégré en qualité de maître ou même d'ouvrier charpentier à l'arsenal de construction à Anvers ou qu'on lui accorde une gratification. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Laurenty demande que son fils Joseph, incorporé au 4ème régiment d'artillerie, soit renvoyé en congé. »
- Même renvoi.
« Le sieur Desenepart prie la Chambre d'ordonner des poursuites pour lui faire obtenir une pension alimentaire et demande que son interdiction vienne à cesser. »
- Même renvoi.
« Le sieur De Vroe, cultivateur et propriétaire, au Kiel, dont la propriété est frappée de servitude militaire, depuis la construction des fortifications d'Anvers, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir l'autorisation d'agrandir ses écuries et granges avec les mêmes matériaux que maintenant et sans dépasser l'alignement actuel, et le prie, si cette autorisation ne peut lui être accordée, de discuter la proposition de loi concernant les servitudes militaires. »
- Même renvoi.
M. Jacobsµ. - Messieurs, je demande, en outre, que la commission des pétitions soit priée de faire un prompt rapport. Cette pétition s'occupe de la question des servitudes militaires. J'espère que le dépôt de la pétition activera l'examen du projet de loi que mes honorables collègues d'Anvers et moi avons déposé et qui, depuis plusieurs années, a été soumis par une section centrale de la Chambre à l'appréciation du gouvernement.
M. Delaetµ. - Appuyé !
- La proposition de M. Jacobs est adoptée.
« Le sieur Horion demande un embranchement de chemin de fer pour le canton de Daelhem. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de concession de chemins de fer.
(page 893) - M. Moreauµ remplace M. Dolez au fauteuil.
MgRµ. - Messieurs, le projet de loi que vous discutez est la conséquence du vote que vous avez émis l'année dernière sur l'organisation de l'armée. Les débats auxquels vous vous êtes livrés alors ont en quelque sorte servi de discussion générale du projet de loi sur la milice. Plusieurs membres de cette Chambre ont cru cependant devoir revenir sur une partie des réflexions que l'organisation de l'armée leur avait alors inspirées.
Je m'attacherai aujourd'hui aux considérations générales, réservant les observations de détail que j'ai à opposer à leurs critiques au moment où nous aborderons les articles du projet de loi.
Messieurs, je rencontrerai les objections des honorables membres aussi simplement et aussi succinctement que possible.
Les honorables MM. Le Hardy de Beaulieu et Coomans ont attaqué l'organisation militaire elle-même. Ils ont cédé sans doute à l'opinion qu'ils ont émises bien des fois dans cette enceinte sur l'impossibilité de défendre notre territoire. Ils croient notre armée superflue, inutile et, dans certains cas, dangereuse ; il n'est pas étonnant, dès lors, que les charges que nos forces militaires imposent leur aient paru nuisibles. Ils ont, du reste, sur la défense du pays, des opinions que je ne puis partager.
L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu s'imagine que de beaux discours sur le droit des nations peuvent sauver notre indépendance et notre nationalité et que ceux qui convoiteraient notre pays se laisseraient arrêter par des raisons de justice et d'équité.
L'honorable M. Coomans nous a présenté, avant-hier un autre moyen : ce sont des registres signés par tous les citoyens belges. Je doute que ces registres puissent nous servir de bouclier. Du reste, M. Coomans a plusieurs moyens à sa disposition, et si ma mémoire est fidèle, dans une autre occasion, il a dit qu'on sauvegarderait notre intégrité en abaissant les droits sur la cassonade et le café !
M. Coomans. - Je n'ai jamais dit cela !
MgRµ. - L'honorable M. Le Hardy, dont je réfuterai le discours en premier lieu, pose en principe qu'aucun pays libre n'a inscrit dans ses lois la conscription forcée, et a l'appui de cet axiome, il préconise l'organisation suisse. C'est sans doute le mot « conscription » qui offusque l'honorable membre. Mais, je me demande si le service obligatoire n'est pas une conscription forcée, et c'est bien là le cas, puisque tous les citoyens suisses sont forcés de servir. Je me demande ensuite si, dans un pays où l'on n'a pas besoin de mettre toute la population sous les armes, il est bien utile de l'appeler entière au service et si nos lois ne sont pas préférables a celles de la Suisse, alors qu'au lieu de deux hommes nous n'en prenons qu'un.
L'honorable membre cite encore l'Angleterre. Messieurs, l'Angleterre ne saurait trop attirer notre attention.
Les volontaires seuls, comme vous le savez, constituent l'armée permanente de ce pays. Celle-ci, forte de 92,000 hommes, a un immense défaut : elle n'a pas de réserve. Si l'Angleterre entre en campagne, elle ne peut compter que sur ces 92,000 hommes. Tout soldat qui tombe doit être remplacé par un homme qui n'est pas instruit.
Chacun sait dans quelle situation cette nation s'est trouvée après la bataille d'Inkermann.
Son armée était réduite à 30,000 ou 40,000 hommes et il a fallu des efforts inouïs pour la réorganiser.
Eh bien, messieurs, un pareil état de choses peut être supportable pour l'Angleterre, il ne le serait pas pour la Belgique.
L'Angleterre est entourée par des mers et un détroit ; elle est protégée par une flotte puissante, aussi forte peut-être à elle seule que toutes les flottes de l'Europe.
L'Angleterre a le temps de se préparer à la guerre ; elle a le temps d'exercer des hommes et de les faire entrer en ligne.
Que fit-elle, cependant, lorsqu'elle se crut menacée par le continent ? Elle eut recours aux milices et, pour les organiser, elle introduisit dans sa législation la conscription, c'est-à-dire le service obligatoire.
Il est vrai, messieurs, que l'Angleterre a sur nous un grand avantage : c'est qu'elle trouve pour ses milices, et moyennant argent un grand nombre de volontaires, de sorte qu'il lui a été permis de suspendre, depuis plusieurs années, le tirage au sort.
.Mais la conscription n'existe pas moins dans ses lois.
M. Coomans. - Sur le papier.
MgRµ. - La conscription se trouve dans ses lois, et si chaque année, depuis 1854, je pense, le parlement vote le Suspension Ballot Act, c'est que le nombre de volontaires est suffisant. Sans cette circonstance, le tirage au sort pour la milice fonctionnerait comme en Belgique.
L'Angleterre n'a donc que des volontaires pour son armée de terre destinée aux services des colonies ou aux expéditions hors du territoire. Mais comme la marine est la défense principale du pays, que fait-elle lorsqu'elle ne trouve pas assez de marins volontaires ? Elle n'a pas recours à la conscription, c'est très vrai, mais elle se sert d'un moyen plus affreux : de la presse : Voilà ce que fait l'Angleterre et ce qu'elle est forcée de faire pour remplir ses cadres.
Si vous suiviez avec attention les discussions des chambres anglaises, si vous lisiez les documents qui paraissent aujourd'hui et les rapports des différentes commissions nommées pour étudier l'organisation de l'armée, vous arriveriez à cette conclusion, que l'Angleterre marche à grands pas vers la conscription.
Dans le rapport de la commission d'enquête adressé à S. M. la reine et dont je vous ai lu, l'année dernière, quelques passages, les points sur lesquels cette commission devait délibérer se rapportaient :
« I" A l'insuffisance du contingent de recrues des deux dernières années et aux causes de cette insuffisance ;
« 2° A la recherche des moyens à employer pour parer à ce mal, soit en localisant les régiments, en les rattachant à la milice, en augmentant les émoluments du soldat ou en modifiant le système actuel de recrutement » ; je trouve ce passage :
« Depuis quelques années, le principe du service obligatoire a été délaissé, de sorte que, par suite de l'abandon de l'ancien système et de l'adoption du même mode pour la milice et pour l'armée (c'est-à-dire l'enrôlement volontaire), ces deux institutions, en temps de paix, marchent sur les brisées l'une de l'autre. »
Dans un discours prononcé à la chambre des lords le 24 avril 1809, le vicomte Monck est obligé d'avouer (opinion que déjà le Times avait énoncée) que vis-à-vis des forces du continent, vis-à-vis des dangers que ces forces peuvent faire courir à l'Angleterre, il sera peut-être nécessaire d'arriver au système prussien ou du moins de modifier très profondément l'organisation actuelle.
Voilà ce que le système des volontaires a amené en Angleterre.
Du reste, messieurs, je puis faire ici une remarque générale : c'est qu'en comparant les armées, il faut tenir compte des lieux où ces armées doivent agir, et il est évident qu'une nation organise ses forces en raison du rôle auquel elles sont destinées et de la nature du terrain sur lequel elles devront opérer.
Il me semble qu'il n'est pas possible de comparer l'armée belge, qui manœuvrera dans nos plaines, sur le théâtre classique des champs de bataille, avec l'armée anglaise, avec l'armée hollandaise ou avec l'armée suisse. Or, ce. sont ces comparaisons qui entraînent le plus souvent dans de grandes erreurs.
Nos voisins les Hollandais habitent un pays de polders ; ils peuvent inonder leur sol.
Tout leur système de défense est basé sur cette possibilité de mettre successivement sous l'eau les différentes zones dont l'ennemi pourrait s'emparer. Avons-nous la même ressource ? Non. Une armée destinée à combattre sur les digues n'a pas besoin de la même force, toute proportion gardée, qu'une armée qui agira à découvert.
Peut-on comparer notre armée à celle de la Suisse ? Mais là encore, les combats se livreront dans des montagnes couronnées de glaciers, dans un pays de lacs, de défilés perpétuels. C'est une véritable guerre de tirailleurs qu'on y conduira. Aussi, dans ces circonstances, chaque citoyen a une valeur propre ; avec un peu d'instinct, il trouve sa place dans la lutte. Chez nous, au contraire, les combattants doivent être des soldats faits, instruits et aguerris.
Les Anglais se sont efforcés par tous les moyens de maintenir un système de volontaires pour les troupes chargées d'agir au dehors ; pourquoi ? C'est que l'armée anglaise a principalement pour but de garder les Indes et les îles anglaises. Le soldat anglais, sur douze années de service, en passe neuf hors de son pays.
Peut-on songer à appliquer le système français, le système prussien, (page 894) le système belge à l'Angleterre ? Si l'Angleterre avait des miliciens dans son armée permanente, ces miliciens devraient rester douze ans sans interruption sous les armes, toujours présents au corps. C'est pourquoi il est indispensable qu'une partie de l'armée anglaise soit composée de volontaires.
Mais l'Angleterre est obligée, pour avoir des volontaires, de payer et de payer beaucoup. Le soldat anglais coûte trois fois autant que le nôtre. Si donc, vous vouliez adopter son système, c'est-à-dire faire du service militaire un véritable état, vous seriez obligé de porter votre budget à 100 millions et vous n'auriez que l'effectif du pied de paix, pas davantage. Où serait la réserve ? Où seraient même les hommes destinés à entrer dans les cadres ? Vous n'en auriez pas ; ainsi à côté de votre armée de volontaires, il faudrait toujours une autre armée pour remplir les cadres.
Le système anglais n'est donc nullement applicable à la Belgique.
Revenons au système suisse.
Le système suisse, vous le savez, oblige tous les hommes à entrer dans l'armée ; c'est le service obligatoire ; mais en fait, les Suisses ne servent pas tous, et cela pour une bonne raison, c'est que l'effectif de l'armée est déterminé.
On fixe le contingent à fournir par les cantons et ceux-ci remplissent leurs obligations comme ils le jugent convenable.
J'ai sous les yeux le rapport du département militaire fédéral au conseil fédéral sur un projet de réorganisation militaire de la Confédération. Il porte la date du 1er novembre 1868.
Voici ce que j'y lis :
« D'après l'article 18 de la constitution fédérale, tout Suisse est tenu au service militaire ; mais la loi sur l'organisation militaire laisse aux cantons la faculté de fixer la durée de ce service dans les limites déterminées... »
Sur la durée du service, on dit :
« Que les cantons peuvent déterminer une durée de service, de 25 ans ou une durée moindre, pourvu qu'ils fournissent le contingent de 4 1/2 p. c. de la population pour l'élite et la réserve. »
Ainsi, messieurs, il se passe en Suisse ce qui se passe dans notre pays. Tous les Suisses sont obligés de servir, mais tous ne servent pas ; dès l'instant que le canton fournit le nombre d'hommes stipulé, il lui appartient de déterminer les règles suivant lesquelles se feront les appels. Seulement, il y a une taxe de guerre payée par les exemptés :
« Aux termes de la loi, dit le rapport, tout Suisse doit servir successivement dans les trois divisions de l'armée fédérale. Mais comme la force numérique totale de ces divisions est fixée d'après un tant pour cent de la population suisse déterminé d'avance, les devoirs militaires du citoyen, dans chaque canton, différent essentiellement dès que le nombre d'hommes astreints au service se trouve supérieur au chiffre du contingent dans l'armée qu'on a en vue. »
Ainsi donc, messieurs, lorsqu'on a fixé le contingent de l'armée, on désigne pour le service le nombre d'hommes nécessaire. N'est-ce pas là ce qui se passe chez nous ?
Nous ne demandons que le nombre d'hommes nécessaire, et c'est le sort qui indique ceux qui doivent servir, et ceux qui sont libérés de toute charge.
Voilà, messieurs, ce que nous apprend le rapport du département militaire. Ce département a été frappé de l'inégalité des charges qui pèsent sur les citoyens. « Suivant le premier mode de procéder, dit-il, on a besoin de moins de recrues par année pour maintenir l'élite au complet. Il en résulte la tentation, pour les cantons, de n'incorporer que, juste le nombre de recrues dont ils ont besoin à cet effet et de libérer du service toutes les recrues surnuméraires. Ils peuvent agir ainsi d'une façon parfaitement légale et en dépit de l'obligation générale du service. »,
Le département militaire fédéral chercherait en vain, dans l'état actuel des institutions, à régulariser l'obligation des charges qui devraient peser sur chaque citoyen. Il avoue, du reste, son impuissance dans les lignes suivantes :
« Dans les observations qui précèdent, nous avons développé les motifs pour lesquels nous croyons qu'il est impossible d'instituer, sans modifier la constitution fédérale, une organisation militaire qui rende l'obligation du service non seulement générale, mais encore uniforme, qui, en outre, incorpore dans l'armée fédérale tous les hommes aptes au service militaire et non point une partie d'entre eux seulement, et enfin, qui permette d'établir une division de l'armée plus simple et répondant plus parfaitement au but. »
Ainsi, pour que le service militaire incombe à tous les Suisses, le conseil militaire fédéral avoue qu'il faut modifier la constitution.
Les Etats-Unis, messieurs, nous ont présenté un autre spectacle. Vous avez vu, d'un côté, 22 millions d'hommes, de l'autre, 8 millions, y compris 3 millions d'esclaves. Ces 8 millions de sudistes combattaient pour une idée, idée fausse, je le déclare, mais au service de laquelle ils avaient mis tout ce qu'ils possédaient de courage et d'énergie. Ils ont servi eux-mêmes de leur personne. Les gens du Sud ont peuplé les armées du Sud.
Au Nord, au contraire, on a eu, dès l'abord, recours aux volontaires, et Dieu sait le nombre de milliards que cette mesure a coûté pour aboutir à quoi ? A la conscription.
En 1863, les Etats du Nord n'avaient plus assez de volontaires et le gouvernement a été dans l'obligation de décréter la conscription, Cela est relaté dans un ouvrage...
M. Coomans. - Sur le papier.
MgRµ. - ... intitulé : « De la science militaire aux Etats-Unis », par Hugo de Roussillon.
La conscription avait été établie d'abord avec la faculté de l'exonération. Le gouvernement a dû revenir sur ses pas, parce qu'il ne trouvait pas assez de remplaçants administratifs, comme on les nomme ; il supprima l'exonération et institua le remplacement pur et simple.
Les Etats-Unis ont, en temps de paix, une armée composée uniquement de volontaires, qui n'est que de 50,000 hommes, mais dont les cadres peuvent, au besoin, recevoir 100,000 hommes.
Chaque volontaire coûte 6,000 fr. par an, en Angleterre, 2,500 fr.
Voyez où vous conduirait ce système en Belgique.
On comprend sans peine que les Etats-Unis d'Amérique conservent cette organisation militaire restreinte.
Bornés de deux côtés par des mers immenses, au nord par le Canada, au sud par le Mexique, qu'ont-ils à redouter ?
Il est facile de concevoir que, dans ces conditions, une petite armée de volontaires suffit, et qu'ayant beaucoup d'argent à leur disposition, les Américains fassent de pareils sacrifices.
Supposez, au contraire, les Etats-Unis encadrés par la France et la Prusse ; ne seraient-ils pas bientôt obligés de modifier leur système ?
Comme je vous l'ai dit, messieurs, il est impossible de comparer les pays entre eux.
L'organisation de l'armée suisse est excellente pour un pays de montagnes, mais elle ne saurait convenir à notre pays de plaines. Là une instruction sommaire peut paraître suffisante ; mais vouloir appliquer ces méthodes en Belgique, ce serait, qu'on me permette de le dire, une véritable absurdité.
En Angleterre, où le sol a de l'analogie avec le nôtre, la milice est organisée, sous le rapport de l'instruction, a peu près comme l'année suisse. Le milicien anglais sert cinq ans. La première année ; il reste quarante et un jours sous les armes. Pendant chacune des quatre autres années, tt sert vingt-sept jours.
C'est beaucoup plus qu'en Suisse.
Or, voici ce qu'on trouve dans le discours du vicomte Monck, prononcé à la chambre des lords le 24 avril 1869 sur la milice anglaise :
« Ce dont il importe de s'assurer, dit-il, c'est de savoir si le système d'instruction suivi dans la milice produit ou ne produit pas de bons soldats avec les éléments indiscutablement bons dont la milice est composée. Or, ayant acquis quelque expérience en donnant l'instruction militaire à des contingents de milice et à des volontaires, mon opinion bien arrêtée est qu'il serait difficile à l'esprit humain d'inventer un système d'instruction gaspillant davantage les ressources du trésor, moins efficace sous le rapport des résultats militaires et plus préjudiciable et onéreux pour les hommes que celui que l'on suit maintenant dans la milice. Les hommes sont rappelés, pendant vingt-sept jours, dans chacune des cinq années de leur terme de service, avec une augmentation, la première année de quatorze jours pour les recrues, etc... »
Le système suisse, ou analogue à celui de la milice anglaise, peut être bon, suffisant, excellent même, pour des troupes de réserve. ; mais il ne saurait convenir à une armée destinée à tenir la campagne, ou même à combattre dans les intervalles des forts de notre grand réduit. Il faut se garder de confondre les troupes dont le devoir est de défendre les places fortes avec celles qui doivent combattre en plaine.
Les volontaires anglais eux-mêmes ont certainement un grand rôle à jouer, mais ce rôle n'est pas de combattre en ligne, c'est de défendre les places fortes et de fournir de nombreux partisans ; là leur utilité est efficace et incontestable. Derrière des remparts, un garde civique peut, au besoin, suppléer, dès qu'il a du courage, un homme de la ligne.
Nos volontaires de 1830, dont j'ai eu l'honneur de faire partie, les volontaires (page 895) de 1790, qui ont défendu Bruxelles et Turnhout, étaient dans ce rôle. Dans les conditions où ils se trouvaient, ils ont tenu tout ce qu'on peut espérer d'hommes de cœur. Mais mener de pareilles troupes en campagne, ce serait les conduire a la boucherie. Je reviendrai d'ailleurs sur ce point lorsque je répondrai à M. Coomans.
Ainsi, messieurs, dans les pays à service obligatoire, dès qu'on limite l'armée, on arrive, malgré soi, à la conscription. Je ferai toutefois remarquer que le service obligatoire est écrit dans nos lois. Tout Belge est obligé de servir la patrie. S'il ne sert pas dans l'armée permanente il est inscrit dans la garde civique. Le principe du service obligatoire existe donc en Belgique et nous n'avons donc pas besoin de demander nos exemples à la Suisse ou à d'autres pays.
En Prusse et en Allemagne, le service est aussi obligatoire, mais tout le monde n'y sert pas. L'armée est limitée de 1 p. c. à 3 p. c. de la population, suivant les temps de paix ou de guerre. Et pour constituer l'armée dans ces pays, que fait-on ? On tire au sort. Oui, messieurs, on tire au sort en Prusse et en Bavière, comme en Belgique. Les systèmes présentent, il est vrai, des différences avec le nôtre, mais elles sont toutes, sinon en faveur de la force et de la bonne constitution de l'armée, au moins en faveur de nos populations. En effet, en Prusse, un bon numéro ne libère pas du service.
Si, dans la classe à laquelle on appartient, un homme vient à manquer, soit par décès, soit par désertion, le numéro suivant doit marcher ; de sorte, que ce n'est réellement qu'à la fin du temps de service que le sujet prussien peut se considérer comme complètement libéré.
Autre remarque. La Prusse n'a pas le remplacement, c'est vrai ; mais elle a quelque chose qui serait considéré en Belgique comme infiniment plus vexatoire pour nos classes pauvres. Pourquoi le remplacement a-t-il été institué ? Pour que les classes de la société qui se livrent aux arts, aux sciences, aux études en général, puissent s'y adonner complètement et mettre plus tard leurs connaissances au service de la patrie.
En Prusse, on a parfaitement compris la nécessité d'un pareil atermoiement au service obligatoire. Aussi, le jeune homme qui veut poursuivre ses études devient ce qu'on appelle volontaire d'un an ; il peut, en s'habillant, en se nourrissant, en se logeant à ses frais (et ce n'est pas grand-chose), choisir la garnison et le corps dans lequel il préfère servir ; d'ordinaire, ce sont des villes universitaires qui sont choisies.
Or, le volontaire d'un an n'entre pas en déduction de la classe de milice, de sorte que, pour parfaire le contingent, il est remplacé par un autre homme, pris dans la même classe.
Chez nous, lorsqu'un milicien se fait remplacer, ce n'est pas au détriment du camarade qui le suit dans la liste des inscrits.
Par exemple, si, dans une commune, où il y a 500 inscrits, il ne faut que 200 hommes, la liste y est close après le n°200. En Prusse, au contraire, s'il y a 200 volontaires d'un an, c'est le n° 400 qui clôt la liste.
On parle souvent, messieurs, du droit de nos classes pauvres ; on les montre sacrifiées aux classes riches sous le rapport du service militaire. Ce que je viens de vous dire prouve, messieurs, que cette inégalité existe véritablement en Prusse, tandis que personne n'en souffre chez nous.
L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu est entré dans de longues considérations sur la Constitution ; il a parlé de la liberté individuelle garantie par elle et qui serait méconnue par nos lois de milice. J'avoue ne. pas comprendre comment la liberté individuelle se trouverait, en quoi que ce soit, violée par l'obligation du service militaire.
Lorsque des hommes se constituent en société, ils ont inévitablement des charges à supporter. On nous parle souvent des droits du peuple, mais je n'ai pas entendu que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu nous ait parlé de ses devoirs. Pour assurer à la société la sécurité, l'ordre, les avantages moraux et matériels, il faut s'imposer des sacrifices.
Le devoir du citoyen est de payer sa quote-part des dépenses que nécessitent les services publics et de donner, s'il le faut, sa vie pour la défense de la patrie.
Nous reviendrons sur ce point ; pour le moment, je me bornerai à dire à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu qu'il m'est absolument impossible de comprendre ce qu'il a voulu établir à propos des pauvres des campagnes.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Nous y reviendrons.
MgRµ. - Dans le village que j'habite, le bourgmestre et le receveur sont deux anciens soldats. Je me suis adressé à eux, pour leur demander quelle était la position des anciens militaires dans cette commune ? Ils m'ont répondu que c'étaient les meilleurs citoyens de la localité ; que les miliciens, à leur retour dans leurs foyers, y revenaient avec des qualités qu'ils ne possédaient à leur départ...
M. de Moorµ. - Toujours !
MgRµ. - ... qu'on les employait de préférence à d'autres, parce qu'ils inspirent plus de confiance.
Messieurs, ce n'est point là une opinion individuelle, isolée ; c'est une appréciation générale, et je suis certain que nous en trouverions la confirmation dans cette Chambre.
M. de Moorµ. - Certainement ; tous les députés des campagnes sont de cet avis.
MgRµ. - Messieurs, l'honorable M. Le Hardy suppute toujours ce que nos forces militaires coûtent au pays ; mais l'honorable membre ferait bien aussi de nous dire ce qu'elles lui rapportent. La sécurité que notre armée assure n'est-elle pas quelque chose ? Se livrerait-on, dans le pays, avec autant de confiance à l'industrie et au commerce, si nous n'avions pas, contre de fâcheuses éventualités, une force toujours prête à agir ? Il faut tenir compte, sans doute, de cette sécurité.
Si donc vous supputez l'argent que vous donnez à l'armée, mettez en regard ce que le soldat vous rend.
L'honorable M. Coomans est entré dans une foule de considérations qui se rattachent aux articles du projet de loi et que j'examinerai après la discussion générale. Mais ce qui domine dans l'argumentation de l'honorable membre, c'est que la conscription est complètement blâmable, parce que personne ne peut être astreint au service militaire. Il dit, par exemple :
« Les nobles et les vassaux devaient marcher à la réquisition du prince, mais jamais la bourgeoisie, ni même le peuple. Nos aïeux ne se croyaient libres que lorsqu'ils étaient maîtres de leur corps, de leur travail et de leurs biens. »
Voilà l'argumentation ; eh bien, messieurs, elle repose sur une erreur profonde. Nos pères ont puisé le principe de l'obligation du service militaire pour tous les citoyens dans les forêts de la Germanie. Ce principe a existé de tous les temps : il existe encore aujourd'hui.
Dans nos vieilles communes, c'était une obligation pour tous les communiers de marcher, dès que le magistrat le commandait. C'était le principe. Les communes avaient certains devoirs envers leurs princes.
Elles refusaient, il est vrai, de les suivre en toute occasion dans les guerres étrangères ou dans leurs guerres privées ; c'était là leur droit. Lorsque les communes consentaient à les servir dans une guerre étrangère, il y avait convention entre elles et le prince.
On fixait le contingent, le nombre de corps, la manière dont ils seraient formés, l'effectif en chevaux, etc. ; les citoyens de la commune étaient alors obligés d'obéir aux injonctions du magistrat et de suivre le prince.
Il y a un autre cas, dont l'honorable membre ne parle pas, c'est celui de la défense de la patrie. Lorsque la patrie était menacée ou envahie, le prince avait un droit complet sur tous les citoyens...
M. Coomans. - Ce n'est pas exact.
MgRµ. - Pardon, c'était là le droit du prince ; et si l'honorable membre le conteste, nous avons des historiens parmi nous, je fais un appel à leur témoignage.
C'était là le principe de nos vieilles chartes. Vous avez un littérateur flamand qui a écrit sur nos vieilles coutumes un livre bien remarquable. C'est M. Rapsaet.
Eh bien, consultez cet auteur et vous y verrez écrit en termes formels ce que je vous dis ici.
M. Coomans. - Je l'ai lu tout entier.
MgRµ. - Vous l'avez mal lu, dans ce cas.
M. le président. - N'interrompez donc pas, M. Coomans.
MgRµ. - Messieurs, notre armée à nous n'est pas une armée faite pour la conquête ; notre armée est une armée défensive ; elle doit combattre sur notre sol.
Eh bien, messieurs, il me semble que nous pouvons accepter les obligations de nos pères et proclamer que, pour sauvegarder la patrie, tous les citoyens sont tenus de se mettre en devoir de servir aux armées.
Messieurs, l'abandon du service d'armes par les communes a été fatal à notre pays. On peut dire que c'est de cette époque que date la décadence des communes.
Cette première décadence s'est produite lorsque les métiers sont devenus puissants, lorsqu'ils ont formé des corps armés et séparés dans les communes.
L'anarchie s'est introduite dans nos cités.
Peu a peu, les communiers ont cherché à faire des conventions pour se (page 896) libérer du service qu'ils devaient. Ils proposaient de payer une certaine somme pour ne plus marcher aux armées.
Eh bien, les princes ont, avec ces subsides, levé des corps, que je pourrais appeler des corps de mercenaires, attendu que la plupart étaient recrutés à l'étranger.
Nous avons eu chez nous, jusqu'au XVIIIème siècle, des Ecossais, des Anglais, des Irlandais, des Allemands de toutes sortes, des Espagnols, des Italiens et très peu de Belges.
Il en a été ainsi a peu près dans toute l'Europe.
Cette transformation a engendré l'absolutisme ; les gouvernements absolus sont nés de l'emploi des troupes mercenaires remplaçant les anciennes milices du pays.
Messieurs, pendant tout le temps du gouvernement espagnol, nous avons subi ces troupes étrangères.
M. Coomans, qui a lu tant d'ouvrages, trouvera dans le Placaaertboek des Flandres et du Brabant une série d'actes prouvant jusqu'à quel point les pauvres populations du plat pays étaient tourmentées par cette soldatesque effrénée. C'était à ce point, que les gouverneurs généraux autorisaient les paysans à se réunir et à tuer sans pitié tous les soldats qu'ils rencontreraient.
Voilà ce que les troupes de volontaires ont donné à notre pays.
Pendant ce temps, l'ennemi se promenait dans nos campagnes ; il faisait la conquête de nos villes ; mais cette honte ne peut pas rejaillir sur nous, car, aussi longtemps que nous avons eu des troupes nationales, nous nous sommes défendus avec succès et ce n'est qu'au moment où les mercenaires étrangers ont remplacé nos milices nationales que notre pays a été impunément envahi et entraîné dans les grandes guerres européennes.
Voilà ce qu'a produit la transformation des troupes nationales en troupes mercenaires.
Quoi qu'il en soit, le droit du prince n'a jamais été mis en oubli.
Le prince, dans toutes les occasions, se servait toujours du droit qu'il avait sur les populations en cas d'envahissement du territoire.
Il y avait ce qu'on appelle le ban et l'arrière-ban, et si M. Coomans veut bien relire les chartes dont j'ai parlé tantôt, il y trouvera des actes appelant le ban et l'arrière-ban, fixant la quantité d'hommes qu'on devait prendre par village, le nombre de corps qui devaient être formés, les effectifs qui devaient se trouver dans les rangs.
Et, messieurs, savez-vous comment, pendant ces temps de domination espagnole, avant l'odieux Louis XIV, on désignait les hommes ? Il n'y avait d'autre règle que l'arbitraire ; c'est-à-dire que le chef chargé de commander les troupes avait le droit, dans les villages, de choisir les hommes qui lui convenaient.
M. Coomans. - Pas le droit.
MgRµ. - Le droit.
M. Coomans. - Il le prenait. C'était contraire à toutes nos chartes.
M. le président. - M. Coomans, vous interrompez trop souvent.
M. Coomans. - Ceci est très sérieux.
MgRµ. - Voici, par exemple, ce qu'on lit dans la liasse 405 des archives de l'audience pour les comtés de Luxembourg et de Chiny, du 21 novembre 1603 :
« Et comme il est besoing pour tout mieulx recognoistre ceulx qui seront capables à porter les dictes armes de faire une monstre générale de tous les subjects. Chacun capitaine ou commandeur en son quartier les feront venir ensemble au rendévous en présence des officiers, pourra aussy choisir les plus capables et les moings chargés de mesnaige pour servir aux occasions qui s'offriront, tous lesquels subjects comparoistront indifféremment à la dicte monstre générale, n'est qu'ils y ayent excuses légitimes, sur paine de deux florins d'or d'amende applicables pour achapter pouldre et balles et estre reparty auxdits esteurs... »
On les appelait les « élus » ; et ce nom leur était donné parce qu'on les choisissait.
Eh bien, messieurs, le tirage au sort a été, selon moi, un grand adoucissement à cet éltt de choses, et ce tirage, je le vois déjà dans une proclamation du ban et de l'arrière-ban du 27 août 1655 ; donc bien avant 1702. Cette proclamation est de Léopold-Guillaume, archiduc d'Autriche.
« Pour ce, y est-il dit, qu'au nom et de la part de S. M., ordonnons que par tout le plat pays de ses provinces obéissantes et en chaque châtellenie, mairie, baillage ou district, soient publiés les ban et arrière ban en vertu desquels voulons que chaque paroisse, village ou communauté livre, et au plus tard endéans huit jours après la publication de ceste, au quartier qui sera indiqué en chaque province, le dixième homme, non épée, fusil et munitions y appartenantes, de tous ceux de la communauté capables de porter les armes, sous peine que tous inhabitants du village ou communauté qui sera en ce défaillance forferont leurs armes et seront déclarés incapables d'en porter aucune à l'avenir et qu'en outre ce y sera d'ailleurs subrogé le double du nombre de leur quote à leurs frais et dépends pour l'exécution de quoi. Le seigneur ou, à son défaut, le bailli, prévost, majeur ou autre officier principal de chaque paroisse ou communauté convoquera incontinent et sans délai tous les manants de son district et l'obligera à faire levée du dixième par voie du sort entre eux, »
M. Coomans. - Pas dans les communes.
MgRµ. - « ... ordonnons que par tout le plat pays de ses provinces... »
Il me semble que ce sont là les communes.
M. Coomans. - Si vous en êtes là, je vous laisse dire.
M. le président. - M. Coomans, cessez d'interrompre. Je vous inscrirai.
MgRµ. - « Dont fera relation pertinente au conseil provincial ou autre siège de justice de leur justice immédiate. »
Vous voyez donc, messieurs, que l'obligation du service militaire a toujours existé dans notre pays lorsque la patrie était en danger ; que toujours ce principe a été maintenu.
Vers la fin du XVIIème siècle, les mercenaires étrangers pillaient à ce point nos provinces, que le roi d'Espagne, voulant mettre ordre à cet état de choses, décida que son armée serait composée en grande partie de troupes nationales, et c'est à cette occasion qu'il publia, en 1701, un nouveau code militaire et qu'il institua la levée par la voie du sort.
L'honorable M. Coomans vous a cité un de ces règlements, daté de 1702 ; mais je ne puis partager son opinion lorsqu'il en admire les dispositions. Il ne veut pas de privilèges, mais il approuve un édit où l'on exempte les domestiques des nobles et des ecclésiastiques.
Voici la phrase textuelle que l'honorable M. Coomans a citée relativement à l'exemption des fils aînés :
« Comme aussi ne seront point tenus de tirer au sort tout père de famille, ou qui fera lui-même son labeur, quand même ils ne seraient pas mariés, mais quand ils sont les fils plus âgés et qu'ils sont tenus pour gouverner le labour, ou fils d'un vieux et infirme homme, de ce jugeront et décideront les régisseurs. »
Voilà l'article. Eh bien, messieurs, je trouve la même chose dans notre loi. Elle exempte les miliciens qui sont soutiens de famille et nécessaires à cette famille, comme il exempte les fils uniques, comme il exemple les frères, lorsqu'ils sont nécessaires à l'entretien d'un ou de plusieurs frères ou orphelins.
Messieurs, après les. événements de la guerre commencée en 1701, lorsque la Belgique fut dévolue à l'Autriche, l'honorable M. Coomans nous a dit combien le pays repoussait la conscription de 1701 et de 1702, et comment il obtint enfin du souverain que la conscription ne serait pas rétablie. Eh bien, messieurs, cette mesure, qui éloignait de l'armée les milices nationales, a été, au plus haut point, déplorable pour nous. Je comprends fort bien que le gouvernement autrichien ne voulait pas d'armée nationale.
Il lui importait de nous maintenir désarmés. En effet, si au lieu d'avoir quelques régiments de volontaires, nous avions eu des troupes nationales formées par la conscription, les événements de 1790 auraient pris une autre tournure et, au lieu de dater de 1830, notre indépendance et notre nationalité eussent daté peut-être de 1790.
Mais quelles ressources avions-nous à cette époque ? Nous n'avions que les levées en masse, que des volontaires non instruits et se mettant en marche au moment de commencer la campagne.
Comme je l'ai déjà dit, ce système est le plus détestable de tous. Ces troupes non instruites et mal commandées ne font jamais rien de suivi, et je ne calomnie pas nos aïeux en disant que les armées qu'ils ont formées de cette manière, n'ont rien produit.
Est-ce qu'en 1793 les quatorze armées de la Convention ont donné de bons résultats ? Non, elles ont compromis le sort de la France.
Il est possible qu'a la bataille de Jemmapes les soldats n'avaient pas de souliers, mais c’étaient les anciens soldats de Louis XVI et ils étaient commandés par d'excellents officiers. La plupart de ceux-ci avaient fait la compagnie d'Amérique et ils avaient puisé leurs méthodes de guerre dans les exercices du camp de Vaussieux.
Voyez, cependant, les désastres dont la France a été frappée à cette époque. Il fallut que Carnot comprît qu'il était impossible de laisser ces volontaires isolés pour arrêter le mal. Au. moyen de vieux soldats, il reconstitua des cadres et il y fît entrer les hommes provenant des levées en masse. C'est ainsi que furent formées les troupes de 1794, 1795 et 1796.
(page 897) Comme je ne veux pas que l'on puisse m'accuser, en quoi que ce soit, d'avoir calomnié les volontaires de 1790, je veux vous citer l'opinion d'un homme dont il est impossible de ne pas apprécier les avis.
Les états généraux avaient envoyé à cette armée le comte de Limminghe. C’était un ancien officier très capable et excellent soldat.
Voici la correspondance qu'il a eue avec les Etats de Brabant en 1790.
Il y a là des passages excessivement intéressants. Je vous en lirai quelques-uns :
« Ma surprise a été extrême et la vôtre ne le sera pas moins, d'apprendre que les volontaires de Bruxelles n'ont pas voulu prendre aucun poste aux avant-postes et même ont demandé de les mettre dans des endroits où ils ne seraient pas trop exposés. Je vous avoue, messieurs, que, quant à moi, je trouve très inutile qu'il nous en vienne de pareils. J'ai écrit ce matin à M. Ockel, touchant les chasseurs qui étaient à Andenne, où ils ont causé plus de frayeur que d'assurance ; tout cela en décourage d'autres, qui seraient de bonne volonté. »
Toutes les lettres sont écrites à peu près dans le même sens.
« Il n'y a pas moyen d'empêcher ces volontaires de tirer le coup de fusil avant le temps, ce qui fait souvent manquer les affaires les mieux concertées ; il me paraît qu'à la tête de tous ces volontaires qui arrivent, il y a des gens de si peu de considération que je crains des désordres dans l'armée, comme il y en a déjà eu dans les routes. »
Plus loin :
« Je ne reviens point de mon étonnement de nos volontaires de Bruxelles qui ne veulent garder aucun poste d'honneur. Si on les met sur une hauteur d'où ils voient les ennemis, ils descendent dans un fond, au risque d'être surpris ; aussi ont-ils eu soin de se faire suivre par cinq pièces de vin de Bourgogne, pour fortitier leur courage. » (Interruption.)
Je n'en dirai pas davantage. Mais ce qui paraît ici risible arrivera chaque fois que vous mettrez en mouvement des gens non disciplinés, conduits par des cadres improvisés ou commandés par des officiers dans lesquels ils ne peuvent placer leur confiance.
Les levées en masse produiront toujours les mêmes résultats ; il faut donc des armées permanentes.
M. Coomans et M. Kervyn se sont beaucoup étendus sur le remplacement et sur l'exonération. Je n'en dirai que. deux mots, puisque cette question doit faire l'objet d'une discussion particulière.
D'après M. Coomans, le remplacement est un odieux privilège ! Cependant dans la séance du 20 janvier 1860, il faisait dans celle Chambre l'éloge de la substitution, qui est bien le pire des remplacements.
Le remplacement est un odieux privilège ! En quoi ? le remplacement serait odieux s'il pesait sur les classes pauvres, mais cette assertion est inexacte. Tout le monde tire au sort, le riche comme le pauvre ; si le riche tombe et se fait remplacer, lèse-t-il les droits du pauvre ?
Le remplacement est un privilège, je le veux bien, mais ce n'est pas un privilège odieux.
L'honorable membre croit que les remplaçants ont été calomniés. Messieurs, nous avons parmi nos remplaçants et nos substituants de très braves et très honnêtes gens, auxquels je rends justice ; j'ai déjà, dit, l'année dernière, que j'avais eu pour ordonnance un remplaçant, et que jamais je n'en ai eu de meilleur. Dans une des dernières promotions, un substituant a été nommé officier aux acclamations de tout son régiment.
Il avait substitué pour améliorer la position de sa mère ; sa conduite au régiment avait toujours été exemplaire, ses chefs l'ont proposé pour l'épaulette ; à l'unanimité, les inspecteurs généraux ont confirmé cette proposition et c'est avec satisfaction que j'ai présenté sa nomination à la sanction du Roi.
Mais à côté de ces exceptions nous avons un grand nombre de mauvais remplaçants. Il est facile de le concevoir, car la loi actuelle ne présente pas de garanties suffisantes pour que le remplaçant remplisse véritablement les conditions que l'on doit exiger d'un bon soldat.
M. Coomans trouve que notre loi établit encore un privilège, parce qu'on ne dispense pas de l'obligation de fournir un second remplaçant ceux dont les remplaçants étaient entrés dans l'armée avec de faux certificats.
Je vais vous lire, à ce sujet, un passage d'un rapport rédigé par le procureur général près la cour d'appel de Liège, en 1867 :
« Ce n'est pas la première fois, dit ce magistrat, qu'un certificat de ce genre était délivré. L'instruction a démontré, et à cet égard il y a eu même un aveu, que dans le courant de la seule année 1866, Lenders avait fait à Jupille sept autres certificats littera V pour des remplaçants étrangers à la commune... Du reste, si l'on en croit les renseignements fournis à l'audience, ce n'est pas seulement à Jupille que ces faits se seraient passés, en en rencontrerait ailleurs de nombreux exemples. Un individu se trouve-t-il dans des conditions telles que le certificat littera V ne lui serait pas délivré dans sa commune, il s'adresse ou l'on s'adresse à une autre administration communale, dont il est parfaitement inconnu et, à l'aide de manœuvres qui varient selon les cas, on parvient à lui faire donner le certificat voulu. C'est notamment ce qui est arrivé pour des individus frappés de condamnations judiciaires. Ces fraudes s'exercent, semble-t-il, sur une grande échelle ; les agents de remplacement en sont, en quelque sorte, coutumiers, et ils se rendent, à cet égard, des services réciproques. On dirait qu'ils forment une espèce d'association avant des ramifications dans les diverses parties du pays.
« M'arrêterai-je à présent sur le mode le plus généralement usité pour se procurer des remplaçants ? Les compagnies ont à leur service des agents, qui fréquentent les cabarets et les maisons de débauche. C'est dans ces lieux qu'ils racolent des désœuvrés, des vagabonds, des repris de justice. La grande affaire est alors de faire admettre ces remplaçants par l'autorité compétente ; tous les moyens sont mis en œuvre pour réussir et, malheureusement, le but est souvent atteint.
« Mais il arrive parfois que les remplaçants montrent de l'hésitation ou même opposent de la résistance ; les agents qui les poursuivent leur tendent des pièges de toutes sortes pour les attirer et les maintenir sous leur dépendance. Ils les enivrent, ils leur avancent de l'argent, ils les font surveiller, ils usent de menaces, etc.
« Est-il la peine d'ajouter qu'en fin de compte les remplaçants ne reçoivent jamais intégralement la prime qui leur a été promise ? On la leur conteste ou on la leur diminue, sous une foule de prétextes ; ce sont des avances prétendues qui leur ont été faites ou des dettes que les agents ont payées pour leur compte ; ce sont des frais qu'ils doivent supporter ou des commissions qui leur incombent.
« Tels sont les tristes détails qu'a révélés l'instruction Fleuris et Lenders. Cette affaire, en un mot, a fait ressortir tout ce qu'ont, en général, de houleux et de dégradant les traités pour le remplacement militaire. Aussi a-t-elle soulevé un sentiment universel d'indignation et de dégoût. »
Ce rapport est du 2 mai 1867.
Est-il étonnant, après cela, que, parmi nos remplaçants et nos substituants, il y ait tant d'hommes que nous sommes obligés de flétrir ?
La loi nouvelle, messieurs, obviera à ce grave inconvénient ; cette loi, j'en suis convaincu, ne nous donnera plus que de bons remplaçants et alors nous n'entendrons plus à cette tribune retentir les accusations qui ont été formulées contre ce mode de libération.
Dans le cours de son argumentation, l'honorable M. Kervyn a cité différents passages d'auteurs d'une grande autorité. Je n'ai malheureusement pas trouvé son discours aux Annales parlementaires et il m'a été impossible, par conséquent, de vérifier ses citations. Il en est deux, toutefois, que j'ai retenues et que je puis rencontrer immédiatement.
L'honorable M. Kervyn a invoqué l'opinion de Napoléon Ier comme un témoignage contre la conscription. D'après l'honorable membre, l'empereur aurait flétri la conscription dans ses Mémoires de Sainte-Hélène. Or, messieurs, j'ai ici ces mémoires et voici ce que je lis au tome VIII relativement à la conscription ; cette citation m'autorise à croire que l'honorable membre a confondu ce que Napoléon Ier a dit de la réquisition, qui existait avant la conscription, avec ses opinions sur la conscription même. Voici ce passage. :
« Pendant les dix premières années de la révolution, les armées ont été recrutées par la réquisition, qui comprenait tous les citoyens de l'âge de dix-huit à vingt-cinq ans.
(C'est-à-dire au moyen de l'arbitraire, comme on le faisait dans nos provinces, du temps des Espagnols.)
« Il n'y avait ni tirage ni remplacement : les lois de la conscription ne désignaient pour le recrutement de l'armée que les jeunes gens qui entraient dans la vingtième année ; ils n'étaient obligés à servir que cinq ans, ce qui avait l'avantage de former un plus grand nombre de soldats qui, dans les moments de crise, se trouvent à portée de défendre le pays ; mais cela avait bien des inconvénients. Il serait à propos d'étendre à dix ans la durée du service, etc. »
Il ajoute :
« Les enrôlements forcés ont toujours été en usage dans les républiques comme dans les monarchies, chez les anciens comme chez les modernes. Les paysans étant esclaves en Russie et en Pologne, on y lève de la même manière qu'on lève des chevaux dans les autres pays. En Allemagne, chaque village a son seigneur qui désigne les recrues, sans considérer ni les droits ni les convenances de ceux-ci. En France, on a toujours pourvu aux armées par la voie du sort ; ce qui s'appelait : tirer la milice, sous Louis XIV, Louis XV et sous Louis XVI, tirer la conscription, sous Napoléon. »
(page 898) Il est bon de faire remarquer qu'a côté de l'armée permanente, il y avait en France des régiments provinciaux et que ces régiments provinciaux, qui combattaient avec l'armée permanente, étaient des troupes complètement nationales et levées par la voie du sort.
« Les classes privilégiées étaient exemples de tirer la milice, personne n'était exempt de tirer la conscription ; c'était la milice sans privilège ; ce qui la rendait aussi désagréable aux classes privilégiées que la milice l'était à la masse du peuple. La conscription était le mode le plus juste, le plus doux, le plus avantageux au peuple. Ses lois ont été si perfectionnées sous l'empire, qu'il n'y a rien à y changer, pas même le nom, de peur que ce ne soit un acheminement pour altérer la chose. Les départements qui, depuis 1814, ont été détachés de la France, ont sollicité et obtenu comme un bienfait de continuer à être soumis aux lois de la conscription, afin d'éviter l'arbitraire, l'injustice et la vexation des lois autrichiennes et prussiennes sur cette matière.
« Les provinces illyriennes, depuis longtemps accoutumées au régime autrichien, ne cessaient d'admirer les lois de la conscription françaises ; et depuis qu'elles sont rentrées sons le sceptre de leur ancien souverain, elles ont obtenu qu'elles continuassent à la régir. »
Voilà ce que dit l'empereur sur la conscription ; ce n'est pas du tout là l'opinion que l'honorable M. Kervyn nous a citée hier.
L'honorable membre nous a encore lu un passage d'un discours de M. Thiers.
Mais ce passage ne se rapporte pas à la conscription, il a trait au remplacement. M. Thiers discutait sur le remplacement et non sur la conscription ; il était grand partisan du remplacement ; il disait qu'à la vérité les citoyens aisés seuls pouvaient user du remplacement ; mais qu'eux aussi avaient, seuls, le moyen de donner à leurs enfants une éducation supérieure, qu'il eût été fâcheux, dans l'intérêt de la civilisation, de devoir interrompre.
Ce même intérêt n'existait pas en ce qui concerne l'homme de la campagne et qui, au retour, retrouvait sa charrue, comme il l'avait laissée.
C'était à ce discours de M. Thiers que répondait le général Lamoricière ; mais tous deux étaient partisans de la conscription.
La conscription, telle qu'elle était organisée sous l'empire, devait évidemment froisser les populations, car elle ne donnait jamais à ceux qui étaient favorisés par le sort l'assurance d'une libération complète. A chaque guerre nouvelle, on revenait aux anciennes classes. Certains exemptés étaient obligés de payer de fortes sommes.
Ce n'est pas tout : ce régime, dont l'application avait conduit sur les champs de l'Allemagne presque tous les hommes valides de France, soulevait naturellement, dans les familles et chez les individus qui devaient marcher, des mouvements de révolte ; les campagnes fournissaient beaucoup de réfractaires ; eh bien, au lieu de rendre les réfractaires seuls responsables de leur faute, on punissait les familles elles-mêmes ; on leur envoyait des garnisaires ; et, très souvent, on menait les parents en prison. Voilà ce qu'il y avait d'odieux dans ce système.
Or, les lois de 1818 et de 1832, qu'a citées l'honorable M. Kervyn, étaient exactement les mêmes que la loi sur la conscription, sauf les rigueurs que je viens de signaler. Il y a seulement une petite variante.
On dit dans la loi de 1818 que l'armée sera composée de volontaires et, à défaut de volontaires, de classes de milice, tandis que dans la loi de 1832, l'armée sera composée d'appels de milice et de volontaires, c'est-à-dire, qu'en 1818 on espérait que l'élément des volontaires dominerait dans l'armée et qu'on arriverait seulement aux classes de milice pour parfaire le chiffre des volontaires.
La loi de 1832 a renversé cet état de choses ; pourquoi ? Parce, qu'il est arrivé fatalement, en France, ce qui doit arriver partout : une insuffisance du chiffre des engageants. C'est par ce motif que la France a, été obligée de promulguer la loi de 1832.
La même idée a fait naître l'exonération : c'est-à-dire, arriver au moyen de maintenir dans les rangs les vieux soldats et pouvoir engager des miliciens qui avaient fait un terme en leur offrant un gros pécule.
il y avait une autre idée en France : c'était d'obtenir, à l'aide de l'exonération, une caisse de guerre, une réserve d'argent, qui permît de faire face aux événements imprévus et de commencer les hostilités sans avoir recours à l'emprunt.
Le gouvernement disposait dans les derniers temps, au moyen de cette caisse, de six à sept cents millions.
Ainsi, l'exonération avait, en France, un double but : conserver dans les rangs, à défaut de volontaires, des gens qui avaient servi, et, en second lieu, avoir toujours à sa disposition une somme en numéraire qui permît de mettre l'armée sur pied de guerre sans avoir recours aux emprunts.
Ce système, messieurs, est certainement très attrayant, quand on l'envisage au premier point de vue, c'est-à-dire au point de vue de la suppression des remplaçants qui, en France, ne valaient pas mieux que chez nous.
Dans le système français d'exonération, le remplacement, au lieu de se faire par les particuliers et les sociétés, se faisait par le gouvernement. Il choisissait ses hommes ; il imposait ses conditions et, de cette manière, il arrivait à avoir dans les rangs de l'année des soldats qui ne déshonorent pas l'uniforme.
C'est précisément parce que l'exonération permettait d'avoir de bons remplaçants que j'en ai été toujours partisan.
Mais du moment qu'on m'offre en dehors de ce système des garanties équivalentes de la moralité des remplaçants, je n'ai, sous le rapport militaire, aucune raison de persister à réclamer l'exonération.
Or, ces garanties, je les trouve dans le projet de loi soumis à vos délibérations.
Mais en supposant même qu'on admît le principe de l'exonération, il serait de toute impossibilité de suivre M. Kervyn dans la voie où il veut nous entraîner.
Je vais vous prouver que l'armée serait réduite à un chiffre illusoire.
L'exonération telle que nous l'entendons, telle qu'on la pratiquait en France, laissait le choix du remplaçant à la latitude du gouvernement. On avait des remplaçants administratifs au lieu d'avoir des remplaçants fournis par des sociétés ou des particuliers.
Voilà quel était le but de l'exonération ; mais il est parfaitement évident que cela n'influe en aucune façon sur la force de l'armée.
Or, que veut M. Kervyn ? L'honorable membre veut que tous les hommes qui appartiendront à l'armée soient des remplaçants administratifs.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'ai pas dit cela.
MgRµ. - Si tout le monde peut s'exonérer pour une petite somme, il est évident qu'il n'y aura plus que des remplaçants, de sorte que l'exonération deviendra le système de recrutement de l'armée.
Or, dans l'armée, telle que nous l'avons maintenant, combien vous faudra-t-il de remplaçants et où les trouverez-vous ? Vous ne les trouverez pas. Par conséquent, une fois que la loi aura établi ce principe, que devient l'armée, si vous échouez ? L'armée reste incomplète : elle n'existe plus. Vous aurez beau faire, vous aurez beau employer tous les moyens possibles, vous serez toujours obligé de placer, à côté de l'exonération, le tirage au sort tel qu'il est en vigueur, afin d'avoir dans l'armée un nombre d'hommes suffisant pour remplir les cadres.
Du reste, la loi qui vous est présentée devait plaire à l'honorable M. Kervyn, car le principe de l'exonération se trouve consigné à l'article 65. En ce moment déjà, le département de la guerre a le droit de recourir à des remplaçants administratifs. Mais l'article 10 de la loi du 8 mai 1847 limite le cercle dans lequel le gouvernement peut se mouvoir. La loi de 1847 dit, en effet :
« Les miliciens de la plus ancienne classe de milice, de même que les volontaires dont le terme de service est sur le point d'expirer et qui seront reconnus par le gouvernement aptes à renouveler leur terme de service sans solution de continuité, pourront être admis comme remplaçants, sans être astreints à un examen devant le conseil de milice. »
Un arrêté royal, signé par le ministre de la guerre, le ministre des finances et le ministre de l'intérieur, a réglementé, en 1848, la faculté laissée par l'article 10 de la loi du 8 mai 1847.
On a cru attirer dans les rangs beaucoup d'anciens soldats, en donnant à l'homme, au bout de deux termes, une certaine pension. Eh bien, nous sommes obligés de reconnaître aujourd'hui que, alors que beaucoup de familles s'adressent au département de la guerre pour faire remplacer leurs fils au moyen de remplaçants administratifs, le gouvernement ne trouve pas, dans les rangs de l'armée, un nombre suffisant de volontaires pour suffire aux demandes de la population. Nous sommes obligés, chaque année, de rejeter beaucoup de ces demandes.
Mais l'article 65 de la nouvelle loi laisse au département de la guerre une grande latitude. Voici comment il est conçu :
« Le département de la guerre est autorisé à faire des remplacements en dehors des prescriptions énoncées aux articles précédents.
« Un arrêté royal détermine le mode, et les conditions de ces remplacements et organise la caisse dans laquelle les fonds qui en proviennent seront versés. »
Eh bien, messieurs, nous avons l'expérience d'un grand nombre d'années. Nous connaissons les motifs pour lesquels ce mode de remplacement n'a pas réussi. Nous allons tenter un autre mode de rémunération et nous verrons, en prenant des remplaçants administratifs non seulement dans les anciennes classes de milice, dans les hommes qui ont fait un (page 899) terme de service, mais encore parmi ceux qui se présenteront sans avoir servi dans l'armée, si nous n'arriverons pas a établir, quoique d'une manière restreinte, le principe d'exonération que l'on préconise. Si nous obtenons un bon résultat, nous gagnerons, non des remplaçants, mais des volontaires servant pendant un terme entier de service, comme ils le font à présent. Alors vous arriverez à cet heureux résultat : le nombre de volontaires s'accroîtra, comme nous le désirons vivement, il sera permis d'abréger le temps de présence sous les drapeaux d'un nombre proportionnel de miliciens.
Comme le contingent, en temps de paix, est fixé, si nous avions un nombre suffisant de volontaires, il serait permis de renvoyer plus tôt dans leurs foyers les hommes qui dépasseraient l'effectif déterminé par la loi d'organisation et dont l'instruction serait complètement terminée.
Si nous demandons maintenant que tous les hommes restent invariablement vingt-quatre mois au moins sous les armes, c'est d'abord parce que nous n'avons pas assez de vieux soldats ; en second lieu, parce que l'on ne peut descendre en dessous d'un certain effectif, sans compromettre les cadres, sans la bonté desquels il n'y a pas d'armée digne de ce nom.
Il est évident que l'armée ne se composant que des hommes provenant des classes de milice, celles-ci doivent avoir un degré d'instruction supérieur à celui que devraient posséder des jeunes gens qu'on pourrait encadrer entre de vieux soldats.
Ainsi, messieurs, je le répète, le principe de l'exonération est dans la loi ; nous allons l'essayer ; nous en attendrons les résultats.
Vous voyez, messieurs, que le. mode d'exonération que préconise l'honorable M. Kervyn diffère complètement de l'exonération telle que la demandaient les différentes commissions dont il a parlé ; nous réclamions l'exonération pour la mettre à la place du remplacement, tandis que, pour l'honorable M. Kervyn, l'exonération est un système complet de recrutement.
Il y a, messieurs, une lacune dans l'exposé du système de l'honorable M. Kervyn ; la partie financière, c'est là le côté faible. Nous aboutirions fatalement à une augmentation du budget de la guerre de 10 ou 12 millions. Or, je demande s'il est permis à un ministre de la guerre de rêver une pareille augmentation ?
Je n'entrerai pas, quant à moi, dans une pareille voie, car je ne me dissimule pas que ce serait amener, avant peu de temps, la chute de notre organisation militaire elle-même.
(page 877) M. Thibaut. — Messieurs, la législation en vigueur sur la milice est très compliquée, très obscure. La loi de 1817, qui en forme la base, renferme une foule de dispositions abrogées par des lois postérieures ; elle en contient qui ont été interprétées ; on y trouve enfin des dispositions qui ont été ultérieurement modifiées et amendées. C'est un dédale inextricable pour les intéressés comme pour les autorités administratives.
Le projet qui nous est soumis réunit, coordonne toutes ces pièces éparses ; il présente un texte clair, dont l'étude et l'application ne paraît pas devoir rencontrer de grandes difficultés.
A ce. point de vue, je suis loin de méconnaître sa valeur ; je reconnais aussi le mérite de la plupart des innovations qu'il soumet a votre examen, et pour être juste, je déclare que l'honneur en remonte surtout à M. le rapporteur de la section centrale.
Cependant ce projet de lui, j'en ai la certitude, ne satisfera pas l'opinion publique, principalement l'opinion du peuple, c'est-à-dire de celle classe de familles qui, selon la remarque de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, compte le moins d'électeurs, mais, en revanche, fournit le plus de miliciens ; de ces familles qui sont condamnées aux plus dures privations et souvent à la misère, soit qu'elles abandonnent leurs fils à l'armée, soit qu'elle leur achètent des remplaçants.
Cette classe est la plus nombreuse ; elle est digne d'intérêt et de sympathie ; nous sommes tenus, nous qui faisons une loi qui la concerne très directement, d'avoir égard à ses aspirations honnêtes et à ses vœux légitimes.
Que demandent les familles auxquelles je viens de faire allusion ? Est-ce la suppression de l'armée ? Non.
Est-ce une rémunération pécuniaire du service personnel ? Non, je le déclare à leur honneur. Est-ce la suppression du remplacement ? Non encore. Est-ce la suppression du tirage au sort ?
Oui, si cette suppression n'entraîne pas la désorganisation de la force publique.
Est-ce la diminution de la durée du service ? Oh ! oui.
A la ville comme à la campagne, tous ceux qui gagnent péniblement leur vie par le travail, tous ceux qui sont pauvres ou dans la gêne, tous ceux qui s'élèvent petit à petit vers l'aisance et que la conscription écrase, nous supplient de diminuer la durée du service.
Ces familles ne refusent par leurs fils à la patrie ; pour prix d'un sacrifice héroïque, elles ne demandent qu'une chose, c'est qu'on ne tienne les miliciens sous les armes que pendant le temps absolument nécessaire.
Or, elles sont convaincues que la durée du service est excessive et elles sont bons juges, car il n'y a pas une de ces familles dont l'un des membres n'ait été soldat.
La réforme qu'on sollicite unanimement et énergiquement parmi les classes populaires se résume donc dans un mot : réduction notable de la durée du service militaire.
Je crois, messieurs, que nous pouvons satisfaire à ce vœu et supprimer, en même temps, le tirage au sort. C'est, à mon sens la question capitale qu'il faut, nonobstant la date récente de la loi du 5 avril 1868, examiner encore, avant d'aborder les articles d'une loi nouvelle sur la milice.
Messieurs, il y a deux moyens d'arriver à la suppression du tirage au sort. Le premier consiste à faire de l'état militaire une carrière assez avantageuse, assez lucrative pour que le nombre des volontaires atteigne le chiffre du contingent voté annuellement en exécution de l'article 119 de la Constitution.
Je crains qu'il ne soit difficile, sinon impossible, de formuler un projet qui promettrait sérieusement ce résultat sans ruiner le pays ou sans réduire l'armée à une force numérique illusoire.
On peut arriver à la suppression du tirage au sort par un second moyen : par la réduction de la durée du service. C'est de celui-là que je vais m'occuper.
« Le tirage au sort, dit l'honorable rapporteur de la section centrale, s'est imposé comme une triste nécessité sociale, à défaut d'autre moyen pratique, moins arbitraire et moins partial, de pourvoir aux éléments de la défense nationale. »
La nécessité ! voilà le seul argument invoqué pour justifier le tirage au sort.
Je crois, messieurs, que c'est un devoir strict pour les partisans du tirage au sort de démontrer cette nécessité. Il ne suffirait pas de dire : Il existe, donc nous pouvons le maintenir. Non ; il faut prouver qu'il est nécessaire, parlant légitime.
Pourquoi le tirage au sort est-il considéré comme nécessaire ?
Parce qu'on admet en principe comme une vérité d'expérience incontestable l'impossibilité de former un soldat, et surtout un cavalier ou un artilleur en moins de 2 ou 3 ans.
Il n'y a pas d'autre explication.
Quant à une démonstration, je n'en ai encore rencontré nulle part. J'ai rappelé les expressions textuelles du rapport ; l'exposé des motifs du projet de loi ne consacre à cette question du tirage au sort que peu de lignes.
Voici ce que j'y lis à la page 19 :
« La loi n'a pas pu imposer à tous les hommes valides d'une même levée, l'obligation de servir activement. Une telle prescription donnerait ou bien une armée extrêmement nombreuse, impossible à maintenir et (page 878) ruineuse pour l'Etat ; ou bien chaque année une armée nouvelle, sans instruction et sans discipline.
« Il a donc fallu rechercher un moyen de régler l'ordre dans lequel les inscrits seraient appelés à faire partie du contingent.
« C'est le motif qui justifie le tirage au sort. »
Toujours l'argument de la nécessité !
^ L'honorable général Renard, dans le discours que vous venez d'entendre, n'a pas produit d'autre argument que la nécessité.
Nous sommes donc en présence d'une affirmation sans preuve et de ce que je puis appeler un préjugé.
Si je partageais ce préjugé, j'avouerais immédiatement que le tirage au sort doit être maintenu. Mais je soutiendrais alors, contrairement à l'opinion exprimée par l'honorable rapporteur de la section centrale, que le tirage au sort n'est ni arbitraire, ni partial ; je soutiendrais que sans être injuste envers les jeunes gens qu'il désigne pour le service, non plus qu'à l'égard de leurs familles, il procure à la société d'immenses avantages.
Cette thèse est logique, je la comprends. Mais je ne comprends pas qu'on conserve le tirage au sort après l'avoir proclamé un moyen arbitraire et partial de pourvoir aux éléments de la défense nationale ; ou, comme la commission chargée d'élaborer le projet de. loi, « une opération qui a pour conséquence de faire acquitter par un seul la part d'impôts dont trois autres sont exonérés, » opération qui dès lors est souverainement injuste.
Je n'admets pas qu'il soit indispensable d'inscrire l'arbitraire, la partialité et l'injustice, à une dose quelconque, dans une loi de milice, pour assurer la sécurité du pays.
Je crois, messieurs, que dans l'étude de cette grave question, on a généralement négligé un point essentiel. Dans les faits qui se passent sous nos yeux, il y a de l'arbitraire, de la partialité et de l'injustice ; tout le monde le reconnaît ; mais le tirage au sort, auquel on renvoie tous les reproches parce qu'on sait qu'il y est insensible, est par lui-même un moyen très innocent et très légitime de désigner, parmi les débiteurs d'une dette indivisible, celui qui la payera.
L'injustice, la partialité et l'arbitraire consistent ici dans l'adoption d'un certain laps de temps comme type ou unité de la dette fictive imposée aux miliciens.
On estime que chaque classe de milice, doit, je suppose, 12 millions de journées de service. Dans le système actuel, on prend arbitrairement, partialement et injustement 1,000 journées pour unité indivisible et on en débite chacun des miliciens. Il est clair, dès lors, qu'on ne pourra demander à la classe que 1,200 hommes pour payer la dette commune à 30,000. Comment les désigner, si ce n'est par le sort ? Mais si l'on divisait, comme on le peut, les 12 millions de journées de service par le nombre d'hommes de la classe ou 30,000 hommes, la dette de chacun serait réduite à 400 journées. Alors l'injustice, l'arbitraire et la partialité disparaîtraient.
Le tirage au sort disparaîtrait aussi, non pas comme injuste, partial et arbitraire, mais comme contraire aux besoins de l'ordre, de la sécurité et de la défense du pays, puisqu'il ne donnerait plus au gouvernement les forces militaires qu'on lui suppose indispensables.
C'est là, messieurs, que se trouve la source du mal : on ne tient pas compte du nombre de miliciens que fournit chaque classe ; on ne divise pas entre tous les miliciens le nombre de journées de service, qu'on exige de chaque classe. Ce qu'on ne fait pas, on peut le faire ; et puisqu'on peut le faire, la justice exige qu'on le fasse.
En résumé, messieurs, il n'y a, à mon sens, dans les circonstances actuelles, si on maintient le service obligatoire, que l'un de ces deux partis à embrasser ; il faut, ou bien prendre chaque année par la voie du sort un petit nombre d'hommes dans les classes de milice et les tenir longtemps sous les armes, c'est le système actuel et je conseille de l'abandonner ; ou bien, prendre chaque année toute la classe de milice et la tenir peu de temps sous les armes ; c'est le système que je préconise comme constituant un véritable progrès.
Il fut un temps, messieurs, où les hommes de guerre prétendaient qu'il fallait six ou huit années pour former un soldat ; puis, on a reconnu, dans notre pays au moins, que quatre ou cinq années suffisaient pour l'artillerie, la cavalerie et le génie, et trois ans pour l'infanterie. Plus tard, on est descendu à 30 mois pour l'infanterie, et à trois ou quatre ans pour les armes spéciales. C’était, disait-on, la limite extrême qu'on ne pouvait dépasser.
Cependant cette limite, M. le ministre de la guerre, l'honorable général Renard, a consenti à la franchir ; par une loi du 5 avril 1868, les 30 mois ont été réduits à 27 et même, pour le contingent de réserve, à sept mois répartis sur quatre années.
Messieurs, je crois pas commettre une indiscrétion en relevant à la Chambre et au pays que, parmi les honorables ministres, membres de la Chambre, il en est un qui, dans la section dont nous faisions tous deux partie, recommandait l'adoption du contingent de réserve par ce motif principalement que l'organisation de cette réserve démontre que, en quatre mois, on peut faire de bons soldats.
Cette appréciation m'a extrêmement frappé et je l'ai retenue. Je désire que l'expérience la confirme. Pour moi, je ne vais pas tout à fait aussi loin.
L'honorable membre ajoutait, et en cela je suis parfaitement de son avis : Ce qui fait que le service est très dur, c'est sa durée.
Messieurs, les concessions successives que je viens de rappeler prouvent qu'une transformation s'opère dans les idées : il est évident que le préjugé sur la nécessité de conserver les miliciens pendant un long espace de temps sous les armes tend à s'affaiblir. Lorsque la Chambre en sera complètement affranchie, elle pourra enfin atteindre le but vers lequel elle n'a fait jusqu'ici que de vains et stériles efforts.
Que faut-il, en effet, pour cela ? Si en temps de paix la durée de présence au corps pour les miliciens, substituants et remplaçants sans distinction, était réduite à 12 mois au maximum, répartis sur deux années ; si la durée du service, par une conséquence naturelle, ne se prolongeait pas au delà de 4 années ; si ces deux points étaient admis, la section consentirait volontiers, j'en suis convaincu, à mettre à la disposition du gouvernement, comme contingent annuel, non pas seulement 10,000 à 12,000 hommes, mais tous les hommes inscrits sur la liste de milice qui ne se trouveraient pas dans les cas d'exemption ou de dispense prévus par la loi. N'est-il pas vrai qu'on obtiendrait ainsi deux grands résultats ?
D'abord un allégement considérable des charges de la milice pour chacune des familles prises isolément qui, dans le système actuel, sont appelées par le sort à les supporter ; et, en second lieu, une répartition des charges parfaitement égale pour tous.
Mais ce système répondait-il aux autres conditions essentielles du problème complexe qu'il s'agit de résoudre ? J'en suis intimement convaincu, et les longues discussions de l'année dernière n'ont fait que me confirmer dans ce sentiment.
Ces conditions sont au nombre de trois. Il faut remplir les cadres ; former des soldats capables de maintenir l'ordre à l'intérieur et de défendre notre nationalité, sur notre territoire, en cas d'invasion ; proportionner ta dépense aux ressources du pays.
Quant à la première condition, il y est pleinement satisfait par quatre contingents qui ne seraient pas inférieurs à 30,000 hommes et qui pourraient atteindre 35,000 hommes.
En temps de paix, chaque contingent serait appelé fractionnellement sous les armes pendant 12 mois an maximum en deux années, de telle manière que le gouvernement disposerait toujours d'une force égale à celle dont il dispose aujourd'hui.
Pour le cas de guerre, les quatre contingents donneraient 120,000 à 140,000 hommes, chiffre beaucoup supérieur à celui que produiront huit classes de 12,000 hommes.
En outre, après quelques années, les hommes appartenant aux classes congédiées et pouvant, au moment du danger, concourir efficacement à la défense de notre nationalité, couvriraient toute la surface du pays.
Mais cette organisation, qui donnerait beaucoup de soldats, suffirait-elle pour former de bons soldats ?
Pour répondre à cette question, permettez-moi de décomposer les éléments de l'armée idéale dont je parle.
Elle comprendrait un grand nombre d'hommes ayant plus de 12 mois d'exercice.
Ce sont d'abord les volontaires. Je crois qu'il ne serait pas difficile d'en réunir 15,000 à 16,000 sous les armes. Ce chiffre a été atteint en 1850 ; et voici un fait très remarquable sur lequel j'appelle votre attention, messieurs, et qui ne peut être particulier, à l'année 1850. Je l'extrais d'une brochure publiée à cette époque par M. le général Guillaume, qui était alors major au 4ème de ligne.
En 1850, parmi 15,650 volontaires figurant comme tels dans la situation de l'armée, se trouvaient 6,106 miliciens, qui, dès leur arrivée au régiment, avaient contracté un engagement volontaire.
« Ces hommes, dit M. Guillaume, ont toutes les qualités des meilleurs volontaires, c'est l'élément le plus pur du recrutement de l'armée ; mais remarquons que c'est la milice qui les a amenés sous les drapeaux, et il est très probable que, sans cette circonstance, aucun d'eux ou du moins l'immense majorité ne serait pas entrée au service. »
Or, cette ressource d'engagements volontaires, bien loin d'être tarie, (page 879) recevrait un large développement, puisque le contingent annuel serait presque triplé.
Outre ces volontaires, l'armée comprendrait un grand nombre de substituants et de remplaçants qui, tous, comme je l'expliquerai tout à l'heure, avant de substituer ou de remplacer, auraient servi en qualité de miliciens, et qui, par conséquent, auraient tous passé déjà douze mois en deux ans sons les drapeaux.
Ces substituants et ces remplaçants, au lieu d'être, comme il paraît que c'est très souvent le cas aujourd'hui, la honte et la lèpre de l'armée, en deviendraient l'un des solides éléments.
En effet, pour former des soldats en peu de mois, il faudrait exiger d'eux beaucoup de travail, une activité constante et de tous les instants. On éloignerait ainsi toutes les causes de démoralisation auxquelles les militaires sont exposés. Et ceux qui, après être sortis de l'armée, après avoir achevé leur terme comme miliciens, y rentreraient, en qualité de substituant ou de remplaçant, apporteraient de précieuses habitudes d'obéissance, de discipline, de respect, d'ordre et de tempérance.
En supposant, ce qui est loin d'être invraisemblable, que sur quatre miliciens ii y en ait un qui se fasse remplacer ou substituer, on obtiendrait, sur les deux classes les plus anciennes, en cas de rappel, 15,000 à 17,000 remplaçants et substituants ayant déjà servi vingt-quatre mois en quatre ans.
En ajoutant les volontaires, l'armée, sur le pied de guerre, compterait dans ses rangs environ 30,000 hommes ayant accompli deux années effectives de service.
Les remplaçants et les substituants des deux classes les plus jeunes et les miliciens des 3ème et 4ème classes auraient tous servi pendant 12 mois et formeraient un effectif de 60,000 à 70,000 hommes.
Sur 45,000 à 50,000 hommes restants, la moitié aurait servi pendant une période de plusieurs mois ; l'autre moitié comprendrait les jeunes recrues.
Voilà, messieurs, les éléments dont se composerait l'effectif de guerre de l'armée.
Je crois qu'il suffirait très complètement à la mission d'une armée défensive, opérant sur le sol de la patrie, au milieu de populations amies et auxiliaires.
Je ne veux pas entrer dans l'examen des objections que je prévois. Je dirai seulement que puisque de l'aveu de l'honorable ministre de la guerre on peut, en quatre mois, former un soldat d'infanterie capable de combattre derrière un rempart, il faut admettre qu'en 12 mois et surtout en 24 mois on peut former des soldats de toutes les armes, capables de soutenir un siège et de combattre en rase campagne dans leur propre pays.
Quant à la dépense, je me bornerai à faire remarquer à la Chambre qu'il ne s'agit pas d'augmenter le nombre de journées de service. On a évalué le nombre réel de journées de service de chaque classe de milice, d'après les lois votées l'année dernière, à 12,865,029, et ce chiffre est un peu au-dessous de. la vérité.
Dans le système que j'ai esquissé, en supposant que la classe contienne 30,000 hommes, on obtient, en exigeant le maximum de 100 journées, un nombre total de 10,950,000.
Si hi classe était de 35,000 hommes, le nombre total de journées ne dépasserait pas 12,775,000.
Dans le premier cas, la différence en moins, comparativement à ce qui existe aujourd'hui, serait de 1,915,029.
Dans le second cas, elle serait encore de 90,029.
La dépense en nourriture et en solde, en supposant même que le nombre de volontaires dépassât le chiffre actuel, ne serait donc pas beaucoup plus considérable qu'aujourd'hui.
Messieurs, les idées que je viens d'exposer ne sont pas neuves.
L'année dernière, elles ont été, pour la plupart, développées avec une grande force d'argumentation et d'éloquence par l'honorable M. Nothomb. M. Nothomb voulait diminuer la durée du service et appeler les classes de milice tout entières sous les armes. Il citait des faits nombreux et des autorités considérables à l'appui de son opinion.
Mais M. Nothomb repoussait le remplacement.
Pour moi, j'admets et j'approuve ce mode de libération du service personnel dans l'armée.
J'ai dit, en commençant, que dans les classes populaires, qui sont le moins en position de profiter de cette faculté, on n'en réclame pas la suppression, et cela pour deux raisons.
D'abord en supposant qu'elles n'en profitent pas pour elles-mêmes ; auraient-elles, comme le demandait tout à l'heure, M. le ministre de la guerre, auraient-elles un intérêt à empêcher les familles aisées d'y avoir recours ?
Aucunement ; ce n'est donc qu'un sentiment blâmable, un sentiment d'envie, un désir presque de vengeance et de représailles qui pourrait leur faire souhaiter l'abolition du remplacement. Grâce à Dieu, le peuple est encore trop chrétien et trop moral pour s'abandonner à d'aussi funestes pensées.
Mais en fait, cette classe elle-même n'use-t-elle jamais du remplacement ? Des renseignements statistiques fournis pour la classe de milice de 1860, il résulte que sur 100 inscrits, il y en avait 82,3 qui n'étaient pas en position de fournir un remplaçant. Sur 100 miliciens incorporés, 36 étaient indigents et 36.4 dans une position de gêne ; et sur 100 miliciens remplacés ou substitués, 5,5 étaient indigents et 28 dans la gêne. Il est donc prouvé en fait que les familles indigentes elles-mêmes usent quelquefois de la faculté de faire remplacer leurs fils.
On a trop flétri, je ne dis pas les remplaçants, ils peuvent avoir été très mauvais, mais le remplacement. Le remplacement est au fond une application du principe de la liberté, et je ne comprends pas la logique de ceux qui veulent abolir le service obligatoire, et qui par transaction consentiraient à le maintenir au prix de la suppression du remplacement.
On ne peut invoquer l'intérêt de l'armée, car il est toujours possible d'en éloigner les hommes indignes et souillés dont le contact serait dangereux.
J'ai indiqué comment les remplaçants deviendraient même l'un des meilleurs éléments de l'armée ; et en diminuant la durée du service, le remplacement offrirait une carrière honorable, une ressource pour les fils des familles pauvres. En même temps, le prix du remplacement devant nécessairement s'abaisser deviendrait accessible aux petites fortunes.
En supposant donc la durée du service limitée à quatre ans, je voudrais autoriser le remplacement des miliciens par des hommes appartenant aux classes en congé jusqu'à l'âge de 30 ans et la substitution en faveur des miliciens de la levée courante par des miliciens de troisième et quatrième année.
Au remplacement tel qu'on le comprend aujourd'hui, faut-il préférer l'exonération ? C'est là une question spéciale que notre honorable collègue M. Kervyn a traitée avec son talent et sa supériorité accoutumés.
J'ai été, comme beaucoup d'autres, séduit par ce système de l'exonération. Les objections qui lui sont faites me paraissent très sérieuses, et je conviens que je suis dans la nécessité de réserver mon vote sur cette question.
Un mot, avant de finir, sur la rémunération du service personnel. Sur ce point, je suis entièrement de l'avis de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove.
Messieurs, le principe d'une rémunération convenable en faveur des miliciens rallie tous les suffrages. J'ai dit que les classes frappées le plus rudement par nos lois de milice attachent une importance beaucoup plus considérable à la réduction de la durée du service qu'à la rémunération en argent qu'on promet aux miliciens depuis longtemps et qu'on ne s'empresse guère de leur accorder. Cependant l'équité, sinon le droit strict, fait un devoir au pays d'acquitter cette dette. La rémunération offre même un moyen certain de combler ou tout au moins d'atténuer les inégalités qui, dans tous les systèmes, sans excepter celui que j'ai défendu, continueront d'exister entre les miliciens, par suite de l'incorporation des uns dans l'infanterie et de l'incorporation des autres dans les armées spéciales.
A mon avis, une partie de la somme devrait être remise à la famille au moment même où le milicien la quitte pour revêtir l'uniforme. Car c'est la famille qui subit dans ses moyens d'existence les premières conséquences fâcheuses de l'appel.
L'autre partie devrait être mise, à la disposition du milicien après l'expiration de son temps de service. Ce pécule, il le gagne personnellement ; il doit être libre d'en disposer.
Je ne crois pas qu'on puisse considérer cette rémunération spéciale comme une obligation de droit absolu, ni par conséquent qu'il faille la proportionner aux pertes subies, ou tenir compte des bénéfices que le milicien aurait pu réaliser dans une autre profession quelconque.
En un mot, le. service militaire obligatoire ne peut être considéré comme une expropriation. Il s'agit en réalité d'un acte de reconnaissance, mais la patrie reconnaissante doit se montrer généreuse.
C'est assez dire que le projet de rentes viagères proposé naguère par le gouvernement me paraît inacceptable à tous égards.
Messieurs, je borne là mes observations générales sur le projet de loi. Elles tendent à provoquer une réforme considérable dans le système actuel de recrutement. Peut-être les esprits, dans les classes supérieures de la société dont l'assentiment est nécessaire, n'y sont-ils pas suffisamment préparés.
(page 880) Aussi, je pense, qu'il serait extrêmement utile et désirable d'ordonner une enquête parlementaire sur l'emploi du temps pendant lequel les miliciens sont retenus sous les drapeaux, depuis le jour de l'incorporation, jusqu'au jour où ils obtiennent leur congé. Cette enquête nous donnerait les lumières qui nous manquent, je le reconnais, pour apprécier exactement la durée utile du service, et c'est là le point capital.
Aujourd'hui nous sommes réduits à des conjectures, à des approximations ; c'est un mystère que les hommes initiés, les hommes du métier, si vous me permettez cette expression, ont intérêt à ne pas divulguer. Une enquête sérieuse, voilà le seul moyen de connaître la vérité. J'ai dit.
- M. Dolezµ remonte au fauteuil.
M. Coomans. - Messieurs, j'ai demandé la parole, non pour vous faire un deuxième discours qui serait au moins prématuré, mais pour relever stante pede quelques erreurs historiques très graves que vient de commettre l'honorable ministre de la guerre. Si je vous apporte immédiatement ma protestation avec preuves à l'appui, que vous aurez tout le temps de vérifier, ce n'est pas par amour-propre, ce n'est pas pour prouver que je ne suis pas aussi ignorant que l'a implicitement affirmé l'honorable ministre, c'est pour empêcher que la Belgique ne soit déshonorée aux yeux des gens qui ne connaissent pas notre passé.
D'après l'honorable ministre, le service forcé et général a toujours existé en Belgique ; nous avons presque toujours eu la conscription, nous avons régulièrement assisté aux abus commis par des volontaires, nous avons été soumis aux réquisitions des princes, la Belgique entière devait obéir à la proclamation du ban et de l'arrière-ban, bref la condition militaire de la Belgique était au moins aussi mauvaise qu'elle l'est aujourd'hui. Messieurs, j'affirme globalement que de toutes ces assertions, il n'en est pas une seule de vraie.
Si vous le voulez bien, je commencerai par enregistrer les preuves de l'honorable ministre. Il vient de nous lire, pour démontrer que le droit de requérir des soldats était un droit princier, exercé sur toute la population belge, dans toutes les provinces de la Belgique, il vient de nous lire une ordonnance du XVIIème siècle, concernant le Luxembourg. On sait que dans presque tout le Luxembourg il était permis au souverain d'effectuer des réquisitions, d'établir une sorte de conscription, de faire de ses hommes à peu près tous ce qu'il voulait, et l'honorable ministre s'est prévalu des citations toutes locales qu'il vient de nous lire pour les appliquer à la Belgique entière !
Si cette ordonnance ne s'appliquait pas à la Belgique, et je l'affirme, que prouverait-elle ? Rien.
Or, la vérité est que le Luxembourg faisait exception dans toute la patrie belge et qu'il n'y avait dans cette province que deux ou trois communes, Echternach entre autres. Le reste de la province se composait de villages et de quelques villes non communales traitées comme les villages.
L'honorable ministre vient de lire lui-même les mots de villages et communautés. Je lui ai répondu : « Mais pas des communes. » Il a répliqué : Mais si, les villages étaient des communes.
Hélas ! hors deux ou trois communes, tout le Luxembourg était plat pays, pays de vassalité.
Dans les autres parties de la Belgique, il n'y avait qu'un petit nombre de villages aussi corvéables que l'étaient ceux du Luxembourg, et les serfs étaient rares. Même les petits vassaux du Brabant et de la Flandre avaient des droits reconnus. Je laisse de côté la généreuse principauté de Liège, qui fut constamment libre.
Oui, toute la Belgique intelligente, la Belgique industrielle, la Belgique commerçante, la vraie Belgique était libre, et jamais elle n'eût accepté une pareille ordonnance.
Cette ordonnance que vous appliquez à la Belgique, je la repousse ; elle s'appliquait au Luxembourg qui était la province la plus retardataire, la moins libre de la Belgique,
M. de Moorµ. - Il n'en est plus ainsi maintenant, vous devez bien le reconnaître.
M. Coomans. - Je le sais bien.
MhRµ. - J'ai dit que l'édit de 1655 s'appliquait à la Belgique entière.
M. Coomans. - Erreur profonde. Toutes nos chartes disent le contraire. Les avez-vous lues, M. le ministre ?
MgRµ. - Certainement.
]M. Coomans. - Eh bien, vous les avez oubliées alors.
Dans toutes nos chartes, non seulement dans la Joyeuse Entrée, non seulement dans les chartes de Flandre, mais même dans les chartes du Hainaut et plus encore dans les chartes du pays de Liège, un des articles les plus importants était l'affranchissement du service militaire personnel.
Aucune de nos communes ne devait fournir un seul homme au gouvernement.
Cette fameuse ordonnance pour la conscription, introduite en 1702 par Louis XIV et que vous-même vous qualifiez de mauvaise, affranchissait toutes les communes belges du service militaire.
La conscription, introduite chez nous en mars 1702, n'était pas applicable aux communes belges.
Il n'y avait que les villes qui fussent des communes. Nous avions beaucoup de villages qui étaient communes, et de villes qui n'étaient pas communes.
Cela vous fait rire, monsieur le ministre, mais tout le monde sait cela, presque tout le monde.
Eh bien donc, si Louis XIV a respecté les communes, c'est-à-dire les trois quarts de la Belgique, lui qui était si puissant à cette époque, n'est-il pas évident que c'était en vertu de nos chartes ?
L'honorable ministre nous a dépeint les ravages exercés dans nos provinces parles armées de volontaires (je voudrais bien qu'il m'indiquât les dates).
Voyez, dit-il, les pillages pratiqués par les régiments révoltés !
Je le sais bien. C'était sous le régime espagnol que ces actes se commettaient, et ce n'est pas conformément, mais contrairement à la législation de mon noble pays.
Le règne de Philippe II presque tout entier est illégal d'un bout à l'autre, tellement illégal que ce prince n'avait le droit de tenir garnison dans aucune de nos villes, sans le consentement des magistrats élus par le peuple. Il est vrai que le duc d'Albe, qui s'est moqué de bien des droits, n'a pas respecté celui-là. Les actes dont a parlé l'honorable ministre, ces actes détestables, commis par les volontaires, étaient tous illégaux. Or je n'ai parlé, moi, que du droit public et du droit commun. (Interruption.)
Discutons sérieusement. Quand je parle de législation belge, c'est de nos lois que je parle, c'est de nos institutions que je parle. Or, qu'ai-je dit et qu'est-ce que j'affirme encore ? C'est qu'à aucune époque de notre histoire, le service militaire forcé n'a été légal, que jamais les communes n'y ont été astreintes par le gouvernement.
Quant au ban et à l'arrière-ban, l'honorable ministre de la guerre croit-il que, lorsque le souverain avait proclamé le ban et l'arrière-ban, tous les Belges devaient le suivre ? Pas le moins du monde ; il n'y avait que les nobles et leurs vassaux (dans presque toutes nos provinces ils étaient rares) qui dussent marcher.
Quant aux communes qui formaient la majorité de la population, elles ne faisaient pas plus attention à ce ban et à cet arrière-ban qu'à n'importe quelle histoire qu'on aurait racontée de leur souverain, elles n'y obéissaient pas et elles ne devaient pas obéir. L'arrière-ban concernait les vassaux ; or, les Belges n'étaient pas des vassaux. A la révolution de 1792, nous ne comptions plus que 5,000 serfs ; il y en avait énormément en France, mais pas en Belgique. Lorsque nous vantons notre patriotisme, sachons au moins respecter la patrie.
Les communes ne devaient aucun service militaire, pas même quand la patrie était en danger, pas même quand le prince les appelait en masse.
Voyez le prince le plus puissant que nous ayons eu, Philippe le Bon : il proclame le ban et l'arrière-ban (pas la levée en masse), il proclame le ban et l'arrière-ban, ses nobles et ses vassaux le suivent au siège de Calais en 1435, mais cela ne suffisant pas il fait des accords avec les villes de Gand, Bruges, Ypres, surtout Gand et Bruges, et il les prie de vouloir bien les suivre au siège de Calais.
Ces communes répondirent : Sire, vous allez nous déclarer 1° que, si nous vous suivons, c'est par obligeance gracieuse ; 2° que vous nous entretiendrez en route ; 3° que nous partirons quand nous voudrons et, à coup sûr, au bout des quarante jours qui figurent dans notre charte.
Philippe le Bon souscrivit à ces conditions, et les Gantois, les Brugeois et les Yprois le suivirent. Mais les opérations de son altesse ne plaisant pas aux Brugeois et aux Gantois, ils lui déclarent le 10ème jour qu'ils sont fatigués de servir sa vaine gloriole et ils s'en vont. (Interruption.)
Et que fait Philippe le Bon ? les traite-t-il de rebelles, de réfractaires ? Non, il les supplie à genoux de rester. Mais les communiers, forts de leurs droits, disent : Nous nous en allons, et ils plantent là Philippe le Bon. Ce en quoi ils ont fort bien fait.
Voilà le droit national.
Les vassaux grands et petits de Philippe le Bon n'ont pas fait de même ; ils ne le pouvaient pas, ils sont restés fidèles à leur serment et ils ont bien fait aussi ; s'ils étaient partis, ils auraient eu tort, ils eussent été coupables de félonie.
(page 881) Quand la patrie était en danger, les communes pouvaient se racheter avec de l'argent. (Interruption.)
L'honorable ministre fait grand bruit de ce scandale d'avoir vu une armée de volontaires se faire suivre de quelques pièces de vin, probablement pour les boire. (Interruption.) Qu'est-ce que cela prouve ? C’est que ces volontaires tenaient à prendre avec eux autre chose que des munitions de guerre.
Mais je vais vous rappeler un souvenir. En 1288, je pense, un de nos princes les plus glorieux, Jean le Victorieux, supplie les Brabançons de vouloir bien aller en guerre avec lui du côté du Rhin ; mais ils font l'accord, le prudent accord dont je parlais tout à l'heure. Comment opèrent les Bruxellois entre autres ? Ils prennent avec eux non pas trois ou quatre pièces de vin, mais des centaines de pièces de vin et de nombreux chariots chargés de poulets. (Interruption.)
On les appelait les communiers gourmands ; mais ces communiers gourmands ont figuré parmi les plus glorieux combattants de Woeringen, et je ne pense pas que M. le ministre de la guerre osât prétendre que les Bruxellois en particulier, et du reste tous les Brabançons, ne se sont pas bien comportés dans cette campagne.
Ils avaient bu beaucoup de vin et mangé force poulets, car c'est depuis cette affaire qu'on les a appelés mangeurs de poulets (kieken fretters), mais ils ne se sont pas moins admirablement conduits, et tout ce qu'on pourrait en conclure, c'est que les meilleurs soldats ne sont pas ceux qui mangent le moins.
Et puis, autre point capital. Avant de déclarer la guerre, nos souverains devaient consulter le pays, car sans les communes, sans le pays (le vrai pays c'étaient les communes), les souverains ne pouvaient rien. Ils devaient les consulter avant de déclarer la guerre et c'était la un précieux avantage, qu'on ne connaît plus guère aujourd'hui : de nos jours, les souverains vont en guerre sans consulter leur pays, au grand dommage des pays et quelquefois des souverains eux-mêmes.
M. le ministre de la guerre en veut étrangement aux armées de volontaires, mais il devrait savoir que nous n'en avons jamais eu d'autres. Tout ce que vient de dire à ce sujet M. le ministre est complètement inexact : nous n'avons jamais ou ce qu'on appelle d'armées permanentes formées par la contrainte ; nous n'avons jamais eu que des armées composées de volontaires et quand M. le ministre dit que notre armée de 1790 qu'on appelait l'armée de Vander Noot a échoué parce qu'elle était composée de volontaires, j'avoue que je n'y comprends plus rien. Elle a été battue, cela est vrai, mais par une autre armée de volontaires. Donc volontaires contre volontaires ; et par conséquent l'argument est sans valeur.
Les Autrichiens ont été battus à Turnhout et à Bruxelles ! Mais à Bruxelles il n'y a pas eu de bataille à proprement parler.
M. Orts. - On s'est battu pendant deux jours.
M. Coomans. - Oui, il y a eu quelques morts dans la rue. Mais la bataille de Turnhout a été beaucoup plus sérieuse et là on a vu 1,500 volontaires bien commandés, mal armés, la moitié avec des bâtons, battre complètement l'armée autrichienne, formée de vieux troupiers. Du reste ceux-ci étaient aussi des volontaires.
L'honorable ministre a aussi parlé des baillis qui ordonnaient des levées. Mais ce mot de baillis seul aurait du lui prouver qu'il ne s'agissait pas de nos communes.
Il n'y avait de baillis que dans les pays de vassalité, des baillis qui étaient les représentants des seigneurs ; mais dans nos villes et dans maints de nos villages il n'y avait pas de baillis, et c'est encore là un honneur pour la Belgique.
Le texte même de l'ordonnance lue par l'honorable général aurait dû lui démontrer sa grave erreur.
En voilà assez, messieurs, sur l'histoire. J'ai pris la parole pour venger l'honneur national, non pour faire étalage d'érudition. En vérité, je me croirais humilié si on pouvait s'imaginer que je voulusse conquérir une réputation de savant à propos de ces bagatelles élémentaires que je sais depuis trente ans.
MgRµ. - Messieurs, je ne répondrai pas à toutes les facéties de l'honorable M. Coomans ; dans ce que vous venez d'entendre, il n'y a de sérieux que la question historique. Nous aurons à revoir les auteurs, et je prouverai que je n'ai rien avancé dans cette Chambre qui ne fût exact.
M. le président. - M. Julliot a fait parvenir au bureau l'amendement suivant :
« Ajouter au paragraphe premier, article. 2 :
« A moins de motifs urgents, la réunion des troupes au camp ne peut avoir lieu du 15 juillet au 1er octobre. »
Cet amendement, qui sera imprimé et distribué, sera ultérieurement développé par son auteur.
- La séance est levée à cinq heures.