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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 12 mars 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nomina et lecture du procès-verbal

(page 601) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Guillaume Méric, tailleur d'habits, à Gribomont, né à Saint-Martin (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« MM. d'Elhoungne et de Kerchove de Denterghem, demandent un congé. »

- Accordé.

Projet de loi relatif à la formation des listes électorales

Discussion générale

M. Van Wambekeµ. - A la séance d'avant-hier, l'honorable M. d'Elhoungne s'est efforcé, par tous les moyens, de justifier le rapport, qu'il a présenté a la Chambre sur le projet de loi soumis à vos délibérations.

Réfutant, avec son éloquence et son habileté ordinaires, les arguments de ses adversaires, M. d'Elhoungne nous a dit que la loi actuelle n'est pas une loi politique, qu'elle n'est pas une loi de parti, qu'elle tend seulement à améliorer la jurisprudence en matière de révision des listes électorales, qu'elle sera un bienfait pour le pays.

M. d'Elhoungne, après ce préambule et pour démontrer sa thèse, a soutenu que la juridiction des tribunaux était admise dans presque tous les pays voisins en matière électorale, pour en déduire que la loi que l'on nous présente est une loi qui ne fait que suivre les errements de la législation française, hollandaise et anglaise. Mais au moment où cet honorable membre soutenait cette thèse, dans la ville de Gand, l'association libérale délibérait sur le même objet et admettait le contraire.

En effet, messieurs, l'association libérale de Gand présidée par un homme dont on peut ne pas partager les opinions, mais qui est généralement estimé par tous les membres des barreaux des Flandres, M. Meldepenningen, demandait de recommander immédiatement à la législature l'adoption de la loi sur la révision des listes électorales, de la loi sur le temporel des cultes, du projet de loi sur les opérations césariennes, et de la loi rapportant la loi de 1842. Nous avons donc raison de dire qu'à Gand la loi qui nous est soumise est considérée comme une loi politique, comme une loi de parti.

Et je me hâte, de le dire, il n'y a personne parmi nous, il n'y a personne parmi vous qui puisse en douter.

Cette loi, messieurs, vous savez comment elle a pris naissance : du moment que la majorité a échappé à l'opinion libérale dans plusieurs provinces, on a décrété qu'il fallait diminuer l'influence des députations permanentes. L'année dernière, vous vous en souvenez, on a fait un procès en règle à la députation permanente de la Flandre orientale. On a soutenu, messieurs, dans cette enceinte que la députation permanente de la Flandre orientale avait commis en matière électorale des abus scandaleux, que ces abus consistaient surtout dans le mode d'investigations, dans le mode d'enquête dont la députation permanente faisait usage.

J'ai alors, autant qu'il était en mon pouvoir, démontré que M. le ministre de la justice avait été induit en erreur par ceux qui venaient de recevoir un échec électoral. Mais je ne m'attendais pas à rencontrer dans M. d'Elhoungne un défenseur des paroles que j'avais dites à la séance du 1er mai.

En effet, c'est avec un plaisir extrême que j'ai lu dans le rapport de M. d'Elhoungne la phrase suivante :

« Si les députations ordonnent certaines vérifications ou des auditions de témoins, elles continueront à procéder administrativement. Elles le font en matière de milice, sans inconvénient ; elles l'ont fait jusqu'ici en matière électorale, sans difficulté ni abus. »

Je crois que c'est la justification de ce que j'ai soutenu l'année dernière, je puis dire que j'ai rencontré dans l'honorable M. d'Elhoungne un véritable avocat qui n'hésite pas à dire qu'en matière électorale les députations permanentes n'ont commis aucun abus.

Que ce soit une loi politique, comment peut-on en douter ? En effet, parcourez toutes les dispositions du projet de loi, vous verrez qu'elles tendent à enlever au conseil communal, au collège échevinal, à la députation permanente tout droit de contrôle pour ainsi dire, comme je puis l'établir à toute évidence.

S'il en est ainsi, nous nous demandons pourquoi la loi est proposée ; elle est manifestement proposée pour changer la législation en matière électorale, parce qu'on désire que. les tribunaux, à l'exclusion des corps électifs, s'occupent dorénavant de la révision des listes électorales ; en d'autres termes, comme l'a très bien dit l'honorable M. Lambert, on veut rendre le gouvernement juge et partie dans sa propre cause, et je pourrais l'établira toute évidence si déjà la preuve n'en avait été fournie par les orateurs qui m'ont précédé.

Il est inutile, messieurs, de rentrer dans le débat, parce que tous les arguments qu'on peut faire valoir ont déjà été présentés par MM. Wouters, Liénart, Moncheur et Tack. Cependant, il est deux points sur lesquels il faut insister.

On nous dit qu'il n'y a pas de danger à rendre les tribunaux compétents en matière électorale ; que les tribunaux sont placés par leur position au dessus des passions politiques, et qu'on ne fera en Belgique que ce qu'on a fait en France, en Angleterre et en Hollande.

L'honorable M. Tack a fait voir hier la différence qu'il y a entre notre législation et les législations anglaise, française et hollandaise.

Mais il est un fait que personne ne peut contester : le prestige de la magistrature a singulièrement baissé depuis quelques années. (Interruption.) Tous ceux qui fréquentent les tribunaux peuvent en dire plus que ceux qui ne les fréquentent pas. Je soutiens que dans les Flandres le prestige de la magistrature va toujours en diminuant. (Nouvelle interruption.) Vous avez beau rire ; j'en sais peut-être beaucoup plus que ceux qui m'interrompent !

Or, si vous allez rendre les tribunaux exclusivement compétents pour réviser les listes électorales ; si vous allez soumettre aux tribunaux les questions de fait, car ce ne sont que des questions de fait qui se présentent généralement en matière électorale, il est évident que le prestige de la magistrature ne continuera qu'à diminuer. Et qu'arrivera-t-il ? C'est que dans un temps donné personne ne croira plus à la justice. Eh bien, c'est un véritable malheur. (Nouvelle interruption.)

Je pense que je m'exprime avec modération. Je ne sais pourquoi vous vous récriez contre la thèse que je soutiens, lorsque j'ai la conviction que c'est la vérité ; j'aime et j'estime trop la magistrature, messieurs, pour ne pas dire mon opinion consciencieuse à cet égard.

Eh bien, je le répète, lorsque dorénavant il faudra s'adresser exclusivement aux tribunaux pour la révision des listes électorales, vous créez le danger le plus grand.

Il serait singulier qu'il en fût autrement.. Comment ! vous croyez que la magistrature ne doit pas perdre de son prestige, lorsqu'on voit, dans les cours d'appel, des personnes faisant partie des associations libérales, et vous croyez que lorsque vous plaiderez devant ces personnes, non pas des questions civiles, mais des questions de parti, la question de savoir, par exemple, si l'on possède les bases du cens électoral ou non, on ne croira pas à la partialité ?

Vous croyez que le public, qui pense aujourd'hui que la députation permanente juge par esprit de parti, ne le croira pas parce que ce sont des magistrats ? Mais je voudrais bien savoir pourquoi le public croirait que les magistrats sont plus à l'abri des passions politiques que les autres hommes. Est-ce amoindrir la magistrature que de dire que les magistrats sont des hommes qui désirent voir triompher leur opinion politique ? Est-ce amoindrir la magistrature que de dire qu'ils ont et peuvent avoir leurs préférences en matière politique ? Est-ce amoindrir la magistrature que de croire qu'elle cédera évidemment à ce courant d'opinion ? Cela est tellement clair qu'il (page 602) n'y a personne de ceux qui fréquentent les tribunaux qui en doutera. Eh bien, c'est le plus grand malheur qui puisse arriver au pays, et ce malheur est imminent si le projet de loi est adopté.

Messieurs, après ces réflexions, j'ai à examiner la loi dans quelques articles. Et ici je me permettrai de faire des observations et je présenterai un amendement à l'article premier.

L'amendement que j'ai l'honneur de proposera l’article premier est celui-ci :

« Le collège des bourgmestre et échevins devra inscrire sur la liste électorale le nom de tout citoyen qui, ayant l'âge requis et jouissant de ses droits politiques, paye le cens légal. »

Messieurs, le système du projet de loi est celui-ci : il y aura deux juridictions en matière de révision des listes électorales. La première juridiction, c'est la députation permanente ; la seconde, c'est l'appel. Dès lors je me demande quel est le rôle du collège échevinal. Ce rôle est-il d'inscrire sur la liste électorale tout citoyen qui paye le cens ? Ou bien, le collège échevinal a-t-il le droit d'examiner les titres des électeurs qui se présentent et de refuser, quoiqu'ils payent le cens, de les inscrire sur la liste ?

A en croire ce que nous a dit l'honorable M. Frère-Orban dans la discussion qui a eu lieu l'année dernière, ce serait à l'amendement que je viens d'avoir l'honneur de déposer, qu'il faudrait s'arrêter. En effet, voici ce que disait l'honorable M. Frère, à la séance du 30 avril, lorsque, répondant a l'honorable M. Dumortier, il préconisait le système de la loi qui est soumise à vos délibérations :

« Quant à ce que l'honorable membre a dit de la formation des listes par les administrations communales qui n'offrent pas des garanties suffisantes, l'appel qui sera fait, comme aujourd'hui, devant la députation permanente et, en outre, devant la cour d'appel, offrira toutes les garanties désirables. Il y aura simplement un acte administratif à poser ; celui de dresser les listes, rien de plus. Il n'y aura plus de décision à prendre en matière électorale, soit par le collège échevinal, soit par le conseil communal. »

Ainsi, dans l'opinion de l'honorable M. Frère exprimée l'année dernière, le collège échevinal ne devait avoir d'autre droit que d'arrêter les listes, c'est-à-dire d'inscrire sur les listes les noms des citoyens qui payent le cens légal et possèdent les autres qualités voulues par la loi.

D'après la section centrale, il n'en serait pas ainsi. Car voici ce que je lis à la page 12 du rapport :

« Avant ce vote, la section centrale avait examiné les observations de la première section, qui a posé la question de savoir : si, dans le système du projet, qui enlève toute juridiction contentieuse au collège échevinal, celui-ci pourrait refuser l'inscription d'un citoyen qui paye le cens, par le motif qu'il n'en posséderait pas les bases ? La section centrale a pensé : qu'on ne pouvait à cet égard tracer une règle à l'autorité communale, qui ne saurait être tenue d'inscrire celui qu'elle croit un électeur fictif ; mais qui, ne devant avoir qu'un but, celui d'exécuter la loi de bonne foi, ne refusera pas l'inscription sans des motifs sérieux que l'électeur écarté par elle aura toute facilité d'ailleurs de débattre devant la députation permanente et même en appel. »

D'après l'opinion donc de la section centrale, le collège échevinal a le droit d'examiner si l'électeur qui se présente et qui paye le cens légal, en possède les bases.

C'est là, messieurs, créer une troisième juridiction. Il est évident que si le collège échevinal a le droit d'examiner si le citoyen qui paye le cens en possède les bases, vous le rendez juge, et les paroles de M. Frère-Orban, que je citais tout à l'heure, sont un non-sens.

Il en résultera, messieurs, que le collège échevinal pourra prendre une décision sans devoir la motiver.

Vous créez donc, messieurs, trois juridictions au lieu de deux. La première, c'est le collège échevinal qui inscrira ou n'inscrira pas, selon son bon plaisir.

C'est là un très grand inconvénient pour le citoyen qui paye le cens et qui en possède les bases ; il sera forcé d'aller plaider devant la députation permanente et devant la cour d'appel ; de plus, la cour d'appel aura le droit de dire : En matière électorale et lorsqu'il s'agit de questions de fait, le juge du lieu est plus à même que tout autre de statuer en connaissance de cause ; il y aura donc un préjugé en faveur de la décision du collège échevinal. C'est là une véritable anomalie qu'il faut faire disparaître, et je ne comprendrais pas que vous donniez un semblable droit au collège échevinal qui se compose en définitive d'agents nommés par le gouvernement, alors surtout que vous enlevez tout contrôle au conseil communal.

Il me semble donc, messieurs, que mon amendement est juste et doit être accepté.

De deux choses l'une : ou bien le collège, échevinal, sans devoir prendre une décision motivée, pourra exercer un arbitraire effrayant, ou bien, il faut admettre que le collège échevinal devra inscrire tous ceux qui payent le cens, sans avoir à examiner s'ils en possèdent les bases.

Vous savez, messieurs, quelles sont la plupart des questions qui s'élèvent devant la députation permanente et qui s'élèveront à l'avenir devant la cour d'appel si la loi est adoptée ; il s'agit, presque toujours, de savoir si un individu qui a pris une patente, exerce réellement le commerce pour lequel il est patenté ; eh bien, ce sont là des questions de fait. Or, si vous permettez au collège échevinal de ne pas inscrire un citoyen qui paye le cens, vous substituerez le bon plaisir de ce collège à un texte formel de la loi.

Il est indispensable de dire dans l'article premier, que le collège échevinal sera tenu d'inscrire sur la liste le nom de tous ceux qui payent le cens. Alors rien ne sera préjugé et on plaidera à armes égales devant la députation et devant la cour d'appel.

Je crois, messieurs, que cet amendement est important, parce, que, je le répète, si vous ne l'admettez pas, vous créez une troisième juridiction et vous abandonnez la formation des listes électorales à l'arbitraire du collège échevinal.

Je me réserve, messieurs, de présenter d'autres observations dans le cours des débats.

- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

M. Moncheurµ. - Messieurs, je ne reproduirai pas ce que j'ai dit, dans la séance précédente, sur les inconvénients graves qu'il y aurait à déférer aux cours d'appel les appels en matière de révision des listes électorales.

L'honorable préopinant vient encore de faire saisir ces inconvénients de la manière la plus vive. Je concentrerai donc quelques observations sur l'objet spécial dont je me suis préoccupé : celui de la stricte obligation qui nous incombe de donner aux députations permanentes le droit de faire des enquêtes, lorsqu'elle le jugera nécessaire, pour élucider les questions qui lui seront soumises.

Messieurs, que demandons-nous ? Nous demandons que les députations permanentes ne soient pas condamnées à rester dans l'ignorance des faits les plus concluants, les plus déterminants, alors que l'intérêt de la justice et de la vérité exige qu'elles les connaissent et alors qu'elles ne peuvent les connaître, si ce n'est au moyen d'une enquête, faite selon les règles ordinaires.

Je le dis avec conviction, il faut que les députations puissent se renseigner complètement sur tous les faits relatifs aux contestations portées devant elles. En un mot, il faut qu'elles aient le droit d'enquête.

Avant de rencontrer les raisons que l'on a opposées à cette juste prétention, je dois prendre acte d'une déclaration importante que l'honorable rapporteur de la section centrale nous a faite avant-hier, à savoir : que cette question n'a pas été étudiée sérieusement et n'a pas d'ailleurs dû être, selon lui, examinée à fond par la section centrale, parce qu'aucune proposition formelle n'avait été faite en ce sens, ni dans les sections, ni dans le sein de la section centrale.

« On s'est borné, a dit l'honorable M. d'Elhoungne, a émettre l'idée qu'il conviendrait d'investir les députations permanentes du droit de procéder judiciairement, d'avoir recours à toutes les voies d'instruction consacrées par le code de procédure civile. Si des propositions formelles s'étaient produites, la section centrale aurait pu les examiner. Mais c'est seulement d'une manière générale, d'une manière théorique, en quelque sorte, que ces idées ont été mises en avant. La section centrale, de son côté, a déclaré qu'elle ne les condamnait pas en principe ; elle a déclaré que, de parti pris, elle ne les repoussait pas ; elle a même rendu hommage à l'autorité avec laquelle ces idées s'étaient produites au sein de cette chambre, lorsque l'honorable M. Delcour et ses honorables amis avaient fait leur proposition en 1863. »

Il résulte de ces paroles, messieurs, que la question reste entière ; je constate même que la section centrale ne repousse nullement notre demande en principe. Seulement, dit l'honorable rapporteur, elle a trouvé suffisant le remède proposé par le gouvernement et consistant dans l'appel devant les cours, mais c'est là que nous différons.

Nous prétendons, quant à nous, que l'appel à la cour ne dispense en aucune façon le législateur de donner aux juges de première instance, c'est-à-dire aux députations, le moyen de s'éclairer.

(page 603) La section centrale n'a pas, répétons-le, de parti pris contre cette idée. Mais quelles sont, en attendant, les objections que fait valoir l’honorable rapporteur pour la faire rejeter ?

« La députation permanente, dit-il, constitue une juridiction administrative ; on la laisse juridiction administrative. Quand elle aura recours à des moyens d'instruction, elle y procédera donc administrativement. Elle l'a fait jusqu'ici en matière électorale ; elle l'a fait en matière de milice ; elle continuera à le faire. »

Vous conviendrez, messieurs, que jusqu'ici cet argument n'est pas fort : En effet, de ce que les choses se sont passées comme cela jusqu'à présent, en résulterait-il qu'elles dussent toujours se passer de la même manière ? Et c'est vous qui employez cet argument, vous qui vous plaignez de ce que les députations n'ont pas assez soigneusement motivé leurs résolutions ! vous qui vous plaignez de ses décisions et pour le fond et pour la forme ! C'est évidemment la conclusion opposée qui résulte de vos prémisses.

Mais vous oubliez en outre une chose, c'est que la députation permanente, lorsqu'elle connaît des questions relatives aux droits politiques des citoyens, exerce réellement une branche des attributions judiciaires, qu'elle exerce le contentieux administratif et qu'elle doit, par conséquent, pouvoir employer les moyens propres à s'éclairer, notamment les moyens que fournissent et le droit d'enquête et celui d'exiger la comparution des parties.

La première objection, qui est fondée sur ce qui a été fait jusqu'à présent, est donc sans valeur, surtout en présence du droit d'appel à la cour, droit qui introduit un système tout nouveau.

Qu'objecte-t-on en second lieu, messieurs ? Pour mieux combattre notre système, on le dénature complètement ; ainsi, nous demandons que, lorsque la députation le jugera nécessaire et alors seulement qu'elle le jugera nécessaire, elle puisse assigner des témoins, faire comparaître à son audience les parties, établir enfin une enquête régulière, soit par elle-même, soit par délégation.

Nous appuyons cette demande, sur ce que la plupart des questions qui se présentent relativement à la formation des listes électorales sont des questions de fait, et que souvent, pour éclaircir ces faits, les moyens administratifs ne suffisent pas, puisque nul n'est obligé de fournir son témoignage à la députation.

Dans notre système, la députation continuera donc à agir selon son mode expéditif actuel. Ce sera même là la règle générale, mais si elle éprouve de la résistance ou si elle rencontre une force d'inertie, condamnable chez ceux qui pourraient l'éclairer, il faut qu'elle puisse les vaincre et s'il n'y a entre la vérité et elle qu'une citation de témoin à donner, il faut bien qu'elle puisse la faire signifier. Lui refuser cette faculté, c'est refuser aux justiciables la justice, et c'est refuser à la députation faisant les fonctions de tribunal de première instance, les moyens de se prononcer en connaissance de cause.

Ainsi tout ce qu'a dit l'honorable M. d'Elhoungne sur l'obligation où l'on serait, dans notre système, de suivre pas à pas toutes les formalités du code de procédure, tout ce qu'il a dit sur les délais interminables et sur les frais énormes que cette marche entraînerait, tout cela est de pure fantaisie.

En effet, messieurs, l'administration provinciale conservera ses règles administratives et son mode d'instruction expéditif.

Seulement, dans des cas plus ou moins rares, cas qui peuvent se présenter et se présentent en effet, elle pourra faire ce qui n'est refusé à aucun tribunal au monde, elle aura la faculté de se rendre un compte exact des faits qui doivent former la base de son jugement et cela nonobstant la mauvaise volonté de ceux par qui la constatation de ces faits pourra être obtenue.

En un mot, le principe de souveraine équité déposé dans l'article 254 du code de procédure lui sera applicable : ce principe veut que les juges puissent toujours ordonner d'office la preuve des faits qui leur paraissent concluants.

Or, je dis que c'est là un principe d'équité, et j'ajoute même que c'est un principe de droit naturel, car vous, législateur, vous ne pouvez dire à un tribunal quelconque : Vous prononcerez sur les intérêts les plus chers, les plus graves des citoyens, mais je ne vous donne pas le moyen de vous éclairer ; vous prononcerez alors même que votre ignorance sera invincible.

C'est cette position qui nous révolterait à bon droit. Mais l'honorable M. d'Elhoungne se donne l'avantage d'une facile réponse en nous prêtant une tout autre pensée : « Les honorables membres, dit-il, se révoltent à l'idée qu'on puisse alléguer en appel ce qu'on n'a pas allégué devant le premier juge, ou prouver en appel ce qu'on n'a pas prouvé devant le premier juge. » C'est là, ajoute-t-il, une hérésie en fait de procédure, car il est passé en brocart que : Non allegata allegari, non probata probari possunt ; mais, messieurs, ce n'est pas du tout là ce que nous prétendons et personne ne conteste l'axiome cité par l'honorable membre, personne ne demande qu'on ne puisse alléguer ou prouver en appel ce qu'on n'aura pas allégué ou prouvé en première instance ; mais ce que nous demandons, c'est que ce qui est allégué en première instance puisse être éclairci et prouvé aussi bien à ce degré de juridiction qu'en appel et cela par les voies de droit commun.

Peut-on faire une demande plus conforme aux principes juridiques et d'équité que celle-là ? Non, messieurs, et vous en jugerez ainsi, nous en avons la confiance, en adoptant l'amendement que quelques collègues et moi aurons l'honneur de vous soumettre à cet égard.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, au point où en est le débat et après le remarquable discours de mon honorable ami M. d'Elhoungne, je n'aurai que quelques observations à présenter à la Chambre,

Messieurs, l'honorable comte de Theux a assigné hier un but politique au projet de loi que la Chambre discute en ce moment.

Evidemment, messieurs, ce projet de loi a un but politique, puisqu'il tend à assurer la sincérité électorale. Mais je ne puis être d'accord avec l'honorable membre s'il veut entendre par là que le projet de loi a pour but de favoriser la majorité au détriment de la minorité.

M. Coomans. - Cela est clair.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Attendez avant de vous prononcer, M. Coomans.

Messieurs, l'honorable M. de Theux a voulu voir dans la présentation du projet de. loi la conséquence d'un système.

Il a parlé de la loi de 1864 qui a augmenté le nombre de députés. Mais je demande ce que cette loi a de commun avec la loi en discussion ?

On était dans une situation difficile : on devait consulter le pays. Ne fallait-il pas le consulter dans tous ses éléments et faire en sorte que la représentation nationale fût au complet ?

Et encore, messieurs, n'eussions-nous pas eu la loi de 1864 que la situation n'eût pas été modifiée.

Quant à la loi sur la mise à la retraite des magistrats, elle n'a rien de politique ; ce sont nos propres adversaires qui l'ont préparée. C'est, comme je l'ai dit, l'honorable M. Malou qui en a rédigé l'exposé des motifs. (Interruption.)

M. Coomans. - Qu'est-ce que cela prouve !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela prouve que vous changez de thèse à tons instants et que vous n'approuvez les lois que lorsqu'elles sont présentées par vos amis.

M. Coomans. - Et vous autres ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quand le besoin d'une loi se fait sentir, nous la votons.

Ainsi, si la loi sur la mise à la retraite des magistrats avait été présentée par vos amis, nous l'eussions votée.

On nous a dit, messieurs, que nous avions fait des vides dans la magistrature, pour les combler avec des hommes dévoués au gouvernement.

Je m'étonne vivement de ce reproche. Lorsque l'honorable comte de Theux était au pouvoir, son collègue de la justice déclarait hautement qu'il ne nommerait jamais, dans la magistrature, des personnes qui se seraient constituées les adversaires du cabinet.

Et l'honorable M. de Theux vient nous reprocher de faire des nominations de parti !

Je dirai à la droite : Mettez-vous d'accord et ne venez pas reprocher au gouvernement ce que vous avouez publiquement avoir fait. Nous n'avons pas attaqué dans leur loyauté, dans leur sincérité, les magistrats que vous avez nommés, et cependant il est avéré que c'étaient des personnes appartenant à votre opinion ; il est avéré également que les ministres catholiques excluaient systématiquement les candidats appartenant à l'opinion libérale.

Nous n'avons pas dit non plus que la magistrature avait perdu tout prestige.

M. Van Wambekeµ. - Je n'ai pas dit : tout prestige.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez dit qu'elle a perdu son prestige.

Or, M. Delcour, lui, a tenu un autre langage ; il vous a déclaré qu'il y avait chez la magistrature belge un fonds d'honneur et de probité, et il à rendu hommage à son impartialité.

(page 604) Messieurs, je ne sais ce que vous gagnerez à attaquer la magistrature, si vous croyez par là relever votre influence, vous calculez mal ; vous ne parviendrez qu'à une chose, c'est de nuire à nos institutions,

M. Va n Wambeke disait tantôt que des magistrats faisaient partie d'associations libérales ; je le veux bien, mais n'y en a-t-il pas dans les associations conservatrices ? N'avons-nous pas même vu un magistrat présider le congrès de Malines ?

Nous n'avons pas dit cependant que ce magistral était incapable de rendre la justice. Un magistrat, parce qu'il a des convictions politiques, n'est pas nécessairement un homme injuste. S'il devait en être ainsi, il n'y aurait plus le moindre esprit de justice parmi les membres de la Chambre des représentants.

M. de Theux a encore attaqué le projet de loi sur les fraudes électorales.,1e ne puis pas comprendre comment le fait d'empêcher les fraudes électorales puisse favoriser la majorité contre la minorité.

L'honorable M. de Theux ne cesse de nous répéter que cette loi a été faite contre les électeurs des campagnes. Mais, messieurs, la statistique constate que ces électeurs n'ont jamais été plus nombreux au scrutin.

Les prétendus inconvénients qu'on signale n'existent donc pas. Chose remarquable, c'est M. de Theux qui a proposé la loi en vertu de laquelle les élections ont lieu au chef-lieu de l'arrondissement administratif ; il v avait alors beaucoup moins de facilités de communication qu'aujourd'hui. Maintenant que presque tous les cantons sont reliés au chef-lieu par des voies ferrées, on dit que les lois que nous proposons ont pour but d'éloigner des comices les électeurs des campagnes.

Enfin, l'honorable membre a fait entendre d'amères plaintes, parce que le gouvernement n'a pas présenté d'amendement pour la composition des bureaux électoraux. Il n'y a dans les bureaux électoraux, dit-il, que des amis du gouvernement, parce que dans les chefs-lieux d'arrondissement, c'est l'opinion libérale qui est en majorité. Mais, messieurs, c'est la loi qui désigne les scrutateurs ; ils sont pris parmi les conseillers communaux par ordre de nomination ; ensuite, il n'y a pas seulement que des conseillers communaux ; dans certains cas, les scrutateurs sont pris parmi les électeurs présents. Au surplus, l'honorable membre qui nous reproche de n'avoir pas présenté d'amendement pour garantir les droits de l'opposition, en propose-t-il un ? Non, mais il nous dit ; Vous avez de l'intelligence pour réaliser vos idées, pourquoi n'en auriez-vous pas pour réaliser les nôtres !

C'est assurément très flatteur de sa part ; malheureusement, les idées de l'honorable membre sont irréalisables. Si vous accordez à chaque candidat le droit de désigner des scrutateurs, que ferez-vous lorsqu'il y aura dix, vingt, trente, candidats en présence ? Dans une ville comme Bruxelles, il peut avoir pour les élections communales deux ou trois listes en présence ; à quinze noms par liste, et à deux scrutateurs par candidat et par bureau, voyez où vous allez.

Aussi, je ne m'étonne pas que vous vous absteniez de traduire vos idées en proposition.

La loi, messieurs, n'a donc rien de politique ; elle a pour but d'assurer la sincérité des élections, et j'ajoute que ce ne sera pas probablement la dernière, car si des abus se découvrent dans l'avenir, il faudra bien employer les moyens d'y remédier ; et à moins que la minorité ne profite seule des abus, on ne peut nous accuser de vouloir l'opprimer.

Je ne reviendrai pas sur les inconvénients de la législation actuelle ; ils ont été suffisamment signalés. J'ajouterai seulement qu'on n'a pas attaqué les députations permanentes dans leurs sentiments intimes. On ne leur a pas dit : « Vous avez de gaieté de cœur commis des illégalités, vous avez jugé dans tel sens plutôt que dans tel autre, pour favoriser vos propres intérêts, » mais on a constaté que les députations permanentes étaient par leur nature même portées à favoriser les partis qu'elles représentaient ; les députations sont juges et parties dans leur propre cause.

Notez que les membres de bi députation connaissent pour ainsi dire chacun des électeurs sur le sort desquels il sont appelés à délibérer. Comment les choses se passent-elles en réalité ? Quand des questions de fait doivent être élucidées, qui se charge de l'information ? Le député de l'arrondissement dont fait partie l'électeur qui demande à être inscrit, ou dont on poursuit la radiation. N'est-il pas vrai que ce député tient en main le sort de cet électeur, et qu'il est bien difficile qu'il ne se laisse pas guider par ses opinions politiques ?

En faisant admettre ou en faisant rayer un électeur, le député augmente ou diminue ses chances de réélection. C'est incontestable.

Est-ce là un bon système ?

L'honorable M. Tack dit que c'est le système constitutionnel ; et la preuve, selon lui, c'est que le Congrès l'a institué.

Le Congrès a d'abord décidé, dans l’article 93 de la Constitution, que les contestations relatives aux droits politiques sont de la compétence des tribunaux ordinaires, sauf les exceptions établies par la loi.

Je comprends parfaitement bien que le Congrès, au commencement de notre existence, frappé de la rapidité de la marche administrative, ait remis aux députations permanentes le jugement des contestations en matière électorale.

Mais le Congrès n'a pas tranché, contre notre système, la question dont je m'occupe en ce moment. Il n'a pas dit qu'à l'avenir on ne pourrait modifier son œuvre.

L'honorable M. Tack l'a très bien compris ; aussi a-t-il prétendu que le droit de vote ne constituait pas un droit politique dans le sens de l'article 93 de la Constitution. (Interruption.)

J'ai relu votre discours ce matin, M. Tack ; vous avez dit que les meilleurs esprits prétendaient que le droit de voter pouvait ne pas être considéré comme un droit politique. (Nouvelle interruption.) Je vais vous lire l'opinion de Merlin :

« Les droits politiques, que l'on appelle encore droits de cité, sont en France ceux que les lois constitutionnelles attachent à la qualité de citoyen. Ils constituent donc la faculté de voter et d'être élu dans les collèges électoraux et dans l'habileté à être nommé aux fonctions publiques. »

Voilà la question. Il ne faut pas en sortir.

L'article 93 déclare que les droits politiques sont du ressort des tribunaux ordinaires, sauf les exceptions établies par loi ; donc, si vous rendez aux tribunaux ordinaires ce qui a été attribué à des tribunaux exceptionnels, vous rentrez évidemment dans la Constitution.

Messieurs, on fait quelques griefs au projet de loi. Le premier grief, c'est l'élimination des conseils communaux.

Pourquoi les éliminer ? Ils offraient une garantie. Maintenant c'est le collège échevinal qui va dresser la liste ; ce collège est nommé par le pouvoir exécutif. C'est encore un nouveau moyen pour le gouvernement d'exercer son influence sur les élections.

Je ferai observer aux honorables membres qui ont fait cette objection que si elle était fondée, le gouvernement aurait depuis longtemps l'arme dont ils parlent.

Pour les élections générales, le conseil communal n'intervient pas ; avez-vous signalé des abus ?

En aucune manière ; le conseil communal n'intervient que pour les listes communales, précisément là où il ne devrait pas intervenir, parce que son existence dépend de la composition du corps électoral.

Les conseils communaux sont pour la plupart homogènes ; il en est très peu où les deux opinions sont représentées de manière à se balancer.

C'est, dit-on, diminuer la garantie des citoyens ! Mais les honorables membres oublient qu'en faisant disparaître ces inconvénients, on ne diminue pas les garanties des citoyens.

Car si l'on supprime le conseil communal pour la liste communale, on laisse aux électeurs deux recours : l'instance devant la députation permanente et l'appel. Vous ne pouvez exiger trois degrés de juridiction. L'honorable M. Van Wambeke, qui se plaignait tout à l'heure de ce qu'on avait supprimé un degré de juridiction, oublie qu'on en a ajouté un nouveau, la cour d'appel.

Evidemment, si vous prétendez que la garantie se trouve dans une série de degrés de juridiction, je crois que vous devez admettre que deux degrés de juridiction suffisent.

M. Van Wambekeµ. - J'ai dit tout le contraire. J'ai dit que vous créiez trois degrés de juridiction.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas du tout. Il faut bien que quelqu'un dresse la liste ; elle ne va pas sortir de terre. Eh bien, nous disons : le collège échevinal dresse la liste ; mais il agit administrativement.

S'il y a des réclamations, on les portera devant les députations permanentes et en appel devant les cours royales.

M. Van Wambekeµ. - Oui ; mais peut-il rayer des électeurs qui payent le cens ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais vous répondre immédiatement.

L'honorable M. Tack voulait, hier, faire dresser la liste par les conseils communaux. Aujourd'hui, l'honorable M. Yan Wambeke se lève et dit : Plus de conseils communaux, plus même de collège échevinal ; celui-ci n'aura plus qu'une mission toute simple, il produira la liste que lui remettra le receveur des contributions !

(page 605) M. Van Wambekeµ. - Je suis votre loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez déposé un amendement. Vous voulez que le collège échevinal soit obligé d’inscrire sur la liste tous ceux qui payent le cens, c’est-à-dire, je le répète, qu’il devra se borner à copier la liste que le receveur des contributions lui fournira. Ce serait le cas de dire que le gouvernement confectionne les listes électorales d’après son bon plaisir ! Comment ! ce serait l’administration des finances qui ferait la liste servant de base aux élections ! Cela n’est pas possible.

Il faut laisser aux administrations communales le soin d'apprécier certains faits qui sont inconnus du receveur des contributions. Comment voulez-vous que l'administration des finances connaisse si une personne qui paye le cens a encouru la déchéance de ses droits ? Dans votre système cette personne resterait sur la liste des électeurs jusqu'à ce que la députation permanente en ordonne la radiation ?

Votre amendement n'est donc pas admissible.

Enlever aux conseils communaux le droit qu'ils avaient jusqu'à présent, ce n'est que rétablir la situation qui existe pour les élections les plus importantes, les élections générales.

M. Crombez. - Et pour les élections provinciales.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et pour les élections provinciales. C'est rationnel. Car, dans la plupart des cas, que font les conseils communaux ? Ils ratifient la liste du collège échevinal. Les contestations admises par les conseils communaux, contre l'avis du collège, sont bien rares ; le recours au conseil communal n'existe que pour la forme.

Je comprends que vous pourriez vous plaindre si l'on ne vous donnait pas un recours en plus. Mais vous avez la députation permanente, et vous avez la cour d'appel.

Une deuxième objection concerne les commissaires d'arrondissement.

Les honorables membres se plaignent de l'intervention de ces fonctionnaires.

Sous la législation actuelle, le commissaire d'arrondissement a le droit de réclamer à propos des listes générales et des listes provinciales, mais il ne l'a pas pour les listes communales ; le projet étend l'action du commissaire à toutes les listes.

En quoi y a-t-il là une menace pour la minorité ? Le commissaire d'arrondissement soumettra ses réclamations à la députation permanente. Si le commissaire d'arrondissement pouvait statuer, je comprendrais votre objection. Au surplus, n'oubliez pas que tout citoyen jouissant des droits civils et politiques peut réclamer contre les listes. L'action est instituée pour les particuliers et vous voulez la refuser au commissaire d'arrondissement !

- Un membre. - Et les frais ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les partis politiques sont parfaitement organisés, et jamais les frais n'ont empêché les réclamations. Les citoyens .sont souvent indifférents, mais les partis interviennent pour eux.

Vous n'avez donc aucune objection réelle contre l'intervention des commissaires d'arrondissement, puisqu'elle existe déjà aujourd'hui. Voulez-vous savoir, messieurs, comment les honorables membres de la droite appréciaient l'intervention des commissaires d'arrondissement et la défendaient. Vous allez voir comment en un plomb vil l'or pur s'est transformé.

Dans le rapport fait par M. Malou, au nom de la section centrale que présidait M. Raikem et dont faisaient partie MM. De Decker et Dubus ainé, voici ce que nous lisons :

« La disposition proposée ne présente aucun danger au point de vue politique, elle est nécessaire en fait. Le danger existerait si l'on accordait au commissaire d'arrondissement un droit réel d'intervention, une part à la décision des affaires relatives aux listes électorales ; mais, d'après le projet, il n'a d'autres pouvoirs que celui de saisir le juge compétent, la loi le place dans une position analogue à celle du ministère public auprès des tribunaux civils ; il n'agit point, il se borne à requérir. Sa responsabilité serait engagée s'il s'abstenait indûment ou si, méconnaissant le devoir imposé par la loi, il ne s'attachait pas à faire inscrire tous les ayants droit, ou à faire rayer ceux qui n'auraient pas la capacité électorale ; dans un pays où tout se passe au grand jour, de tels abus ne resteraient ni secrets, ni impunis. Toute personne jouissant des droits civils et politiques peut d'ailleurs vérifier, au moyen des mêmes documents que le commissaire d'arrondissement, les faits relatifs aux inscriptions, omissions ou radiations indues. L'expérience a suffisamment prouvé que l'action populaire ne produit point de résultats complets, il faut donner à l'intérêt général des garanties qui lui manquent aujourd'hui. »

M. de Theux s'exprimait ainsi...

- Un membre. - Qu'est-ce que cela prouve ?

M. Coomans. - Cela prouve que le pouvoir fort est toujours défendu par ceux qui l'exercent.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ainsi, d'après M. Coomans, l'honorable M. de Theux étant au pouvoir a voulu opprimer les libéraux. C'est un joli compliment. (Interruption.)

M. de Theux disait donc :

« Le second grief qu'on a articulé contre la loi est relatif à l'intervention du commissaire d'arrondissement, non pas dans la formation des listes électorales, mais dans les réclamations contre les inscriptions indues, contre les omissions. Cette intervention est-elle utile ? peut-elle être nuisible ? Voilà les deux points que nous avons à examiner »

« Je dis qu'elle est utile, parce qu'il importe au bien-être de l'Etat que ceux-là seuls qui ont le droit d'être électeurs soient maintenus sur les listes. Il importe au bien-être de l'Etat que tous ceux qui ont le droit d'être électeurs soient portés sur les listes. Eh bien, l'action du commissaire d'arrondissement se borne à ce double résultat.

« Le commissaire d'arrondissement agira, dit-on, avec partialité ; il ne fera pas porter sur les listes les électeurs qui ne sont pas de l'opinion du gouvernement ; il ne fera pas écarter des listes les électeurs indûment inscrits qui partagent les opinions du gouvernement.

« Messieurs, cette supposition est complètement dénuée de fondement. Le commissaire d'arrondissement est un fonctionnaire responsable ; sa conduite, en ce qui concernera les réclamations relatives aux listes électorales, sera nécessairement contrôlée par la députation permanente du conseil provincial. Elle serait signalée à l'attention du gouvernement dans cette Chambre. Et, indépendamment des sentiments d'honneur qui doivent guider le fonctionnaire placé dans une position élevée, il aura un intérêt de conservation personnelle à agir avec loyauté pour l'exécution de la loi.

« Mais cette intervention est-elle nécessaire ? Oui, messieurs, elle est nécessaire. Et d'abord, en ce qui concerne les inscriptions indues. Depuis longtemps il est à ma connaissance personnelle que des inscriptions indues se font en grand nombre et que ces inscriptions indues, une fois faites par la première autorité, ne sont pas l'objet d'un appel devant la députation du conseil provincial.

« Je puis maintenant, messieurs, m'appuyer d'un renseignement certain. Je citerai seulement le district d'Audenarde. Dans trois communes de ce district, il est porté sur les listes électorales pour la Chambre 182 électeurs. Ce nombre seul fait voir qu'il y a présomption contre l'exactitude de ces listes. Eh bien, d'après les renseignements puisés auprès des receveurs des contributions, il paraîtrait que 82 électeurs seulement payent le cens fixé par la loi et que les autres ne payent pas le cens requis. Voilà un abus scandaleux qui se voit réprimé par l'intervention des commissaires d'arrondissement. »

L'honorable M. Dumortier faisait des déclarations dans le même sens.

M. Dumortier. - Lisez.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne savais pas que l'honorable membre fût là, mais puisqu'il y tient, je vais lire ; ce sera pour lui un agréable souvenir.

« C'est là, messieurs, un grand pouvoir donné au commissaire de district. J'avoue qu'il me paraît nécessaire qu'une autorité quelconque soit investie du droit d'examiner les listes formées par les autorités communales et de former, au besoin, appel contre ces listes. En effet, il est constant que dans beaucoup de localités les listes électorales ne sont faites que par le secrétaire communal ou par l'un ou l'autre des échevins et qu'il arrive assez souvent que des erreurs sont commises. »

L'honorable M. Dumortier approuvait donc parfaitement l'intervention des commissaires d'arrondissement.

M. Dumortier. - Parfaitement... Pas du tout. J'ai dit que c'était un grand pouvoir, ce qui signifie un trop grand pouvoir.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous disiez que c'était un grand pouvoir. Le « trop » est de trop.

Or, je trouve les raisons données par les honorables MM. Malou et de Theux très bonnes. Il y a effectivement beaucoup d'électeurs indifférents. Il y en a qui, par crainte ou autrement, ne réclament pas leurs droits électoraux.

Il ne faut pas, messieurs, que les listes soient abandonnées à l'indifférence des individus. C'est déjà bien assez que les électeurs ne se rendent pas au scrutin. Je trouve que c'est un mal et que l'honorable M. de Theux avait raison (page 606) de dire : Il faut que tout ceux qui ont le droit de suffrage soient inscrits sur les listes.

Eh bien, si dans une localité on ne fait pas inscrire les électeurs indifférents, vous vous trouverez devant une liste qui ne sera pas la véritable représentation de la population électorale.

Loin de vous enlever des garanties, la loi vous en donne de nouvelles. Dans les villes, les partis sont organisés. Il font inscrire les électeurs ; mais, dans les communes, on pourra y mettre de l’indifférence et il importe que les commissaires d'arrondissement puissent agir. C'est là, messieurs, le second grief.

Il en reste un troisième. C'est la différence entre la procédure suivie par les députations permanentes et la procédure des cours d'appel. C'est ce qui fait l'objet des amendements de l'honorable M. Moncheur.

L'honorable membre et l'honorable M. Delcour reprochent au projet de loi de priver les députations permanentes des moyens d'arriver à constater la vérité. Puisque les cours d'appel ont le droit de procéder à des enquêtes judiciaires, pourquoi n'accorde-t-on pas le même droit aux députations permanentes ?

La situation, messieurs, n'est pas la même. Il faut bien comprendre le projet de loi. Nous avons le ferme espoir que la loi aura, si je puis m'exprimer ainsi, plutôt un effet préventif qu'un effet répressif.

Des abus ont été signalés dans l'exercice des droits des députations permanentes, abus dérivant de la composition de ces collèges.

Il fallait employer des moyens pour les maintenir dans leur devoir.

Comment y parvenir ? Par la menace de la réformation de leurs décisions. Aujourd'hui les députations savent qu'elles sont souveraines pour décider en dernier ressort les questions de fait. Elles peuvent abuser de la situation, qu'elles soient catholiques ou libérales. Quand les députations sauront que leurs décisions peuvent êtree réformées, elles ne commettront plus d'abus, les appels seront rares.

Voilà comment nous comprenons la loi.

Nous n'avons pas critiqué la procédure suivie par les députations.

Je veux bien examiner avec vous s'il n'y a pas de réformes à introduire sous ce rapport ; car il y a d'autres matières qui intéressent des citoyens et sur lesquelles les députations permanentes statuent ; les décisions de ces collèges dans les affaires de milice ont notamment une extrême importance.

Je le répète, ce n'est pas la procédure qui a donné lieu à des réclamations, c'est l'usage que les députations ont fait de leurs droits.

Vous voulez, messieurs, changer la procédure suivie par les collèges ; vous voulez en faire des tribunaux au petit pied. C'est une réforme qui demande à être examinée, de très près.

On objecte toujours, messieurs, que les députations n'ont pas le moyen d'arriver à la connaissance de la vérité. C'est une erreur. Les députations ne peuvent, il est vrai, procéder à des enquêtes tenues dans les formes tracées par le code de procédure civile, mais elles ont des moyens d'investigation que la cour d'appel n'a pas à sa disposition.

En effet, messieurs, les députations permanentes peuvent obtenir tous les renseignements désirables par l'entremise des gouverneurs, des commissaires d'arrondissement, des administrations communales. La cour n'a pas les mêmes ressources.

II. en résulte, que dans la plupart des cas les renseignements recueillis par la députation suffiront et que la cour n'aura pas d'enquête à ordonner..

Est-ce que le droit d'enquête est nécessaire ?

Mais, messieurs, ce que vous demandez dénaturerait tout le caractère des députations permanentes.

Si ces collèges n'ont pas le droit d'enquête, ils ont le droit d'information. Lorsqu'il est nécessaire de vérifier des faits matériels, la députation désigne un de ses membres qui procède à toutes les investigations nécessaires.

Je ne pense pas, messieurs, que les députations aient jamais été entravées dans l'exercice de leurs droits d'information.

Si elles rencontraient des obstacles, il y aurait peut-être lieu de prendre des mesures, mais jusqu'à présent, je le répète, aucune plainte ne s'est produite.

On a dit encore, messieurs, que, par suite de l'absence d'enquête, certaines décisions rendues par les députations pourront être réformées en appel. Mais, messieurs, si des faits nouveaux sont constatés par le témoignage de personnes que les députations n'ont pas entendues, la réformation de la décision ne touchera en rien à l'honneur du corps qui l'a rendue.

Je crois donc, messieurs, qu'avant de se prononcer, il faut constater que des entraves réelles sont apportées à l'exercice du droit d’information que les députations possèdent. Or, jusqu'à présent rien de semblable n'est établi.

Je crois avoir rencontré toutes les objections. Elles portaient sur trois points : la suppression de l'intervention des conseils communaux ; les commissaires d'arrondissement et le droit pour les députations de procéder à des enquêtes dans les formes judiciaires.

Ces objections ayant disparu, je crois que la Chambre n'hésitera pas à adopter un projet qui doit assurer la sincérité des élections.

M. le président. - Le bureau a reçu l'amendement suivant :

« Nous proposons d'ajouter à l'article 13 du projet de loi le paragraphe suivant :

« La députation pourra ordonner, s'il y a lieu, une enquête sur les faits qui lui paraîtront concluants.

« Les parties et les témoins pourront comparaître devant la députation volontairement et sur simple avertissement, sans qu'il soit besoin de citation.

» Cet avertissement pourra être donné par les gardes champêtres, les agents de la police locale et de la forée publique, concurremment avec les huissiers, mais sans frais.

(Signé) Moncheur, Thibaut. Delcour, Tack. Wouters.

Cet amendement a été développé, il fait partie de la discussion.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Il n'entre pas dans nies intentions de faire un discours ; d'autres membres ont fait valoir, de part et d'autre, des arguments pour et contre la loi. Je me bornerai, quant à moi, à justifier en quelques mots le vote que j'émettrai et qui sera négatif.

Je veux admettre, que, quelque mauvaise que soit notre législation électorale, et précisément parce qu'elle est si mauvaise, le gouvernement s'efforce, par tous les moyens possibles, à son point de vue et dans un but politique, de prévenir, sous quelque forme qu'il craigne qu'ils puissent se présenter, les inconvénients et les fraudes auxquels le système actuel donne lieu, et auxquels il doit fatalement donner lieu.

Mais, avouons-le, ce résultat est inévitable parce que la base sur laquelle repose ce système est fausse, parce qu'elle est vicieuse, anticonstitutionnelle et aussi antilibérale.

En effet, la Constitution ne dit-elle pas que tous les pouvoirs émanent de.la nation ? Or, qu'est-ce que la nation ? La nation, dans un pays libre, comme la Belgique, doit être la collectivité de tous les citoyens, ayant atteint un certain âge et se trouvant en état d'émettre une opinion raisonnée au sujet des affaires publiques.

Or, prétendra-t-on que la nation se trouve aujourd'hui représentée par les cent dix mille électeurs actuels ?

Personne ne peut réellement soutenir une pareille opinion.

L'honorable rapporteur de la section centrale nous dit que la compétence du pouvoir judiciaire, en matière de listes électorales, semble former le droit commun des gouvernements représentatifs.

Il ajoute que : « L'intervention même des cours d'appel, pour contrôler les décisions administratives, qui statuent sur l'inscription ou la radiation des électeurs, n'est nullement une idée nouvelle. Elle a été établie en France, dès les débuts du régime parlementaire, par la loi du 17 février 1817. Elle y a été élargie et mieux réglée par la loi du 2 juillet 1828 « sur la révision annuelle des listes électorales », due à l'initiative libérale de M. de Martignac. Elle a été maintenue, sous la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe, par la loi électorale du 19 avril 1831, et elle est restée en vigueur jusqu'en 1818. De sorte que cette juridiction électorale des cours d'appel, qui a fonctionné pendant plus de quarante ans en France, n'est pas plus difficile à justifier dans son principe, qu'à apprécier dans ses résultats et à régler dans son action. »

Où donc l'honorable rapporteur va-t-il chercher ses exemples ?

Messieurs, je me permettrai de faire observer à l'honorable M. d'Elhoungne, dont je regrette l'absence en ce moment, que je ne trouve point bons du tout, pour les appliquer en Belgique, les exemples qu'il est allé puiser en France. Car enfin, le système électoral de la Restauration, ou a-t-il conduit Charles X ?

Aux journées de Juillet.

Où le système de M. Guizot, cet homme d'Etat, chef du cabinet, s'appuyait sur une majorité compacte et qui semblait toute puissante, où ce (page 607) système, dis-je, a-t-il conduit la France.' Au 24 février, alors que la tourmente révolutionnaire est venue renverser le trône de Louis-Philippe.

Messieurs, il ne m'est pas possible d'admettre avec l'honorable M. d’Elhoungne, qu'on puisse appliquer en Belgique un système qui a eu des résultats aussi désastreux dans un pays voisin.

Messieurs, je repousserai le projet du gouvernement :

Parce qu'il porte une grave atteinte à la liberté et aux immunités communales, et que la commune est, pour la Belgique, la sauvegarde de son indépendance et de sa nationalité.

Je ne puis pas admettre non plus l'atteinte qui est portée aux prérogatives des députations permanentes.

Je repousserai le projet, parce qu'il établit une confusion désastreuse entre les pouvoirs de l'Etat.

Et puis, pour peu que l'on étende jusqu'à ses dernières limites le système de l'honorable rapporteur de la section centrale, il faudra aussi, pour être strictement logique, enlever aux deux Chambres le droit de vérifier les pouvoirs de leurs membres.

En effet, que nous dit l'honorable M. d'Elhoungne ?

« Sans doute, les députations permanentes offrent des garanties contre les influences et les passions locales, si puissantes dans les communes ; mais elles n'en présentent pas contre les influences et les passions politiques. Elles ne peuvent d'ailleurs se soustraire à la loi de leur nature. Corps électifs et politiques, les députations permanentes, avec les intentions les plus droites et les plus pures, doivent subir la pression de leur parti, de ses préférences, de ses idées, de ses aspirations. »

Eh bien, messieurs, ces paroles ne sont-elles pas applicables à tous les corps électifs, et peut-on dire qu'ils offrent, dans tous les cas, des garanties contre les influences et les passions politiques ? Voilà cependant où mène inexorablement le principe qui forme la base du projet.

N'avons-nous pas vu, dans cette enceinte même, se passer à cet égard les faits les plus regrettables ?

Enfin, messieurs, je repousserai le projet de loi, parce que je ne puis suivre le gouvernement dans une voie qui tend à perpétuer un système électoral que le pays subit, mais qu'il réprouve. Toutes les modifications que l'on y apportera seront toujours inefficaces, parce que le système lui-même repose sur un principe faux.

Aussi, ai-je l'intime conviction que l'unique moyen de prévenir toutes les fraudes, c'est de proclamer et d'appliquer loyalement le suffrage universel ; c'est là, à mon avis, le seul mode électoral digne du peuple belge, dont la sagesse a été tant vantée, et le seul aussi qui ne rende pas illusoire l'article 25 de la Constitution.

M. Coomans. - Messieurs, ainsi que l'honorable membre qui a si bien fini, je n'ai pas à prononcer un discours, d'abord parce que je n'en ai pas de préparé ; ensuite, parce qu'on en a prononcé d'excellents, et enfin parce que tous les discours sont inutiles. Votre siège est fait. (Interruption.)

Oui, je le savais, vous emporterez la citadelle ; vous l'avez décidé ainsi en conseil de guerre. Que vos actes s'accomplissent sous votre responsabilité.

J'ai demandé la parole, pour protester de toutes mes forces contre l'argumentation favorite du ministère, que j'appellerai l'argumentation récriminative, que lui trouve excellente, que je trouve détestable.

On pense avoir réfuté les meilleures raisons quand on a exhumé de nos paperasses parlementaires des antécédents, posés non même par une partie considérable de la minorité, mais par un seul ou par deux membres au plus de la minorité. Et l'on dit : Voilà ce que vous souteniez, il y a quelques années ; donc soyez satisfaits et remerciez-nous, nous qui venons compléter le système dont vous nous avez fourni les éléments.

Mais, messieurs, cela est-il sérieux ? Parce que l'honorable M. Malou, il y a une trentaine d'années, a approuvé les bases de votre. loi qui supprime l'article 100 de la Constitution, sommes-nous obligés, nous, d'approuver le fait que vous avez posé sous le nom de l'honorable M. Malou ?

Mais étant très convaincus, moi et d'autres, que l'honorable M. Malou se trompait, nous ne sommes que dix fois plus convaincus que vous vous trompez aussi, vous nos adversaires !

Parce que l'honorable M. Delcour, et ici je parle franchement de mes amis parce que j'en parle amicalement, et je dirai toute ma pensée ; parce que l'honorable M. Delcour semble vous avoir conviés à une réforme dans le sens de celle que vous avez formulée, vous ne cessez, depuis huit jours, de réclamer nos remerciements, de vouloir nous mettre en état d'inconséquence vis-à-vis de nous-mêmes. Après tout, que nous fait l'opinion de M. Delcour, si nous la tenons pour inexacte ?

Mais la vérité est que l'honorable M. Delcour n'admet pas du tout, ni votre assertion, ni vos conclusions ; et la preuve que ce n'est pas son projet que vous présentez, c'est qu'il combat vos propositions et qu'il les réfute en excellents termes.

Et je suis pleinement autorisé à protester contre cet argument récriminatif ; moi, à qui vous avez reproché naguère d'être la principale cause de l'ajournement indéfini de la réforme des lois de milice ! Chaque fois que, depuis six ans, je me lève pour demander la mise à l'ordre du jour de cette réforme, exigée par la Constitution, réclamée par vous-mêmes lorsque vous étiez dans l'opposition, vous me dites : C'est votre faute !

Ce sont des ministres qui ont eu l'étrange idée de me dire, c'est le rapporteur de la section centrale qui a naturellement reproduit l'argument, que j'aurais fait le malheur de nos miliciens parce qu'en 1864 j'ai demandé qu'une autre section centrale, conformément au règlement, examinât le projet de loi de 1862. Oui, c'est moi qui suis cause qu'en 1869 cette réforme n'est pas encore faite !

Ceux qui ont produit ce détestable argument l'ont réfuté eux-mêmes puisque naguère encore ils se sont applaudis de l'ajournement de la réforme des lois de milice (ajournement dont ils sont seuls cause), par la raison, ont-ils dit, que cette réforme était impossible avant le vote de la loi de réorganisation militaire.

Vous êtes les plus forts ; vous le montrez bien. Mais vous ne l'êtes pas pour l'argumentation ; vous ne l'êtes pas même pour la loyauté, permettez-moi de vous le dire. (Interruption.) Car vous ne croyez pas un mot de ce que vous avancez. Vous ne croyez pas que ce projet nous est bon, que nous le désirons. M. le ministre de la justice, vient de le répéter : remerciez-nous ; nous avons comblé vos vœux !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Du tout ! du tout !

M. Coomans. - Mais merci.Timeo ministros et dona ferentes. (Interruption.)

Et puis, s'il me convenait d'user de cette argumentation récriminative, que j'aurais la partie belle ! Quelle est l'idée, bonne ou mauvaise, qui n'ait été appuyée sur les bancs de la gauche ? Quelle est l'opinion que je ne pourrais rattacher à un discours prononcé par un membre de la gauche et même par un membre éminent de la gauche ?

Mais, messieurs, lorsque vous vous attachez tant à de pareils arguments qui sont mauvais, cela prouve une seule chose, c'est que vous n'en avez pas de bons ; quand on a de bons arguments, on ne s'amuse pas à en employer de mauvais.

Quand vous venez dire que c'est nous qui avons destitué les magistrats, que nous avons ajouté un anneau à la chaîne ministérielle qui entoure le corps électoral, quand vous venez dire cela, je réponds que vous ne le croyez pas.

Et comment ose-t-on dire que la gauche n'a jamais incriminé la magistrature nommée par les ministres catholiques ? Mais j'ai la mémoire pleine d'attaques dirigées contre la magistrature par les membres de la gauche. N'est-ce pas encore sur les bancs de la majorité qu'on a dit que le membre le plus éminent de la magistrature, le plus éminent aussi par le caractère et la science, était un vieillard passionne1 ? N'est-ce pas dans un des principaux organes de la presse, dirigé par l'un de vos principaux amis, qu'on a dit que les libéraux perdaient tous leurs procès devant la magistrature nommée par des cabinets catholiques ou mixtes ?

Je répète que vous ne respectiez pas la magistrature des six Malou et que nous avons bien le droit de ne pas respecter celle des six Bara, puisque, décidément, il y en a six. (Interruption.)

Je vous fais une très grande concession en n'examinant pas la valeur des accusations que vous avez dirigées contre la magistrature des six Malou alors que les hommes les plus éminents et les plus honorables de la gaucho déclaraient que cette magistrature était bonne.

N'est-ce pas l'honorable M. Devaux qui écrivait dans la Revue nationale que sous les six de Theux, sous les six Malou, non seulement la magistrature, mais les cadres de tous les fonctionnaires étaient composés en majorité de libéraux ?

Voilà un témoignage qui vaut bien celui de M. Malou, de M. Delcour et le mien.

Messieurs, j'espère vous avoir démontré...

- Un membre. - Vous n'avez rien démontré du tout.

M. Coomans. - Ah ! je vous croyais de bonnes oreilles.

- D'autres membres. - Continuez. (Interruption.)

M. Coomans. - Votre invitation est trop bienveillante. Je m'en défie.

Je dis qu'il n'est pas convenable d'objecter à toute une opinion, surtout à des membres de cette opinion qui n'en sont pas responsables, des idées, des discours, des projets de loi émanant de quelques membres de cette opinion, surtout à de longues années de distance.

(page 608) Mais sur vos bancs, encore une fois, que de variations, non pas en trente ans, mais en dix ans, mais en trois ans !

Maintenant, voici le fond de ma pensée sur ce projet de loi.

II est conçu, comme plusieurs autres, non pas pour améliorer et libéraliser, dans le sens honnête du mot, notre corps électoral, mais pour le discipliner de plus en plus pour le mettre de plus en plus à la disposition d'un parti ou d'un ministère.

C'est ma conviction, c'est celle de tous mes amis, c'est celle, je puis le dire, de la grande majorité du pays.

Chaque fois que vous avez touché à nos lois électorales, depuis plus de vingt ans, vous n'avez eu d'autre but que de renforcer votre influence sur le corps électoral.

Tel a été le but de la loi qui a introduit 12,000 faux cabaretiers électeurs dans le corps électoral.

Tel a été le but de la loi dite sur les fraudes électorales, qui est en fait une loi pour les fraudes électorales.

Tel est aussi le but de ce projet de loi-ci.

Et, pour ne pas invoquer des arguments inutiles, je me borne à celui-ci. La preuve que c'est là la vérité, c'est que vous serez unanimes à appuyer le projet de loi, comme nous le serons à le repousser.

C'est une loi de parti nouvelle que vous faites dans les circonstances les moins opportunes et d'après les procédés les plus dangereux. Nous la subirons comme les autres, mais encore une fois à vous la responsabilité d'une politique qui sacrifie la patrie à un parti.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Nothomb. - Messieurs, je pourrais renoncer à la parole, car mes honorables amis ont parfaitement exprimé ma pensée, mais, comme l'honorable M. Coomans, j'ai demandé la parole principalement pour répondre à la première partie du discours de l'honorable ministre de la justice. Je. me bornerai donc à quelques observations.

M. le ministre a essayé de réfuter le discours qui a été prononcé hier, a la fin de la séance, par M. de Theux.

Mon honorable ami vous disait que le projet en discussion est la manifestation palpable du système suivi par le cabinet, depuis plusieurs années, en matière électorale.

Je suis de son avis, et je qualifie ce projet en disant qu'il est le couronnement de cette œuvre si audacieusement dirigée contre la vérité, la sincérité de. notre régime électoral.

Pour justifier son assertion, mon honorable, ami a repris une a une les diverses lois que vous avez fait voter par ce parlement.

Il a cité d'abord la loi de 1804, portant augmentation du nombre des membres de cette Chambre.

Que répond à cela l'honorable M. Bara ? Il nous dit : Cette loi était nécessaire, il fallait bien mettre le nombre des représentants en rapport avec la population du pays, il fallait connaître l'opinion vraie du corps électoral.

C'est là, messieurs, ce que nous ne pouvons admettre. Comme nous n'avons cessé de vous le reprocher, vous avez, dans toutes les circonstances, voulu faire des lois que nous considérons comme fâcheuses, comme blâmables, en vue d'affermir, par des moyens que nous tenons pour fallacieux ou dangereux, votre prépondérance de représentants d'une politique exclusive. Vous vous êtes constamment laissé guider par l'esprit de parti.

Et en 1864, quand vous avez fait cette loi que l'un des vôtres a lui-même appelée une loi de parti, que faisiez-vous ? Vous méconnaissiez une disposition organique, vous ne teniez pas compte d'une loi que quelques-uns de vos propres amis avaient votée, et cinq ans avant le recensement général, dans un moment de crise suprême pour vous, vous avez, au mépris de tous les précédents constitutionnels, vous avez fait un coup d'Etat parlementaire pour ressusciter une majorité qui vous échappait.

Voilà ce que nous vous reprochons, et ce que nous blâmons ; voilà ce que nous ne cesserons de signaler comme un véritable attentat légal.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous ne l'aurions pas fait, que vous n'auriez pas eu davantage la majorité.

M. Nothomb. - Qu'en savez-vous et qu'importe ! nous ne nous occupons que du principe. (Interruption.) Que vous obteniez et conserviez la prépondérance par des moyens réguliers, nous y acquiesçons ; mais ce dont nous vous blâmons, c'est d'être sortis de ces moyens et d'avoir recouru à une mesure que nous avons justement appelée une loi d'expédient.

C'est le premier grief que mon honorable ami a formulé hier ; il a voulu vous prouver pour la dixième fois que dans toutes les occasions vous suivez des voies regrettables pour perpétuer votre pouvoir, et il vous a signalé la loi de 1864 que vous avez faite contre les précédents et une violation d'une disposition organique devant laquelle vous deviez vous incliner.

Vient ensuite la loi sur la magistrature ; vous dites qu'elle n'a rien de politique. Nous prétendons qu'elle n'a dans votre pensée qu'un but politique ; autrement vous n'eussiez pas songé à la présenter. C'était un moyen d'influence énorme, c'était mettre dans vos mains la nomination aux emplois judiciaires. Vous n'étiez pas satisfaits de la marche lente du temps qui ne faisait que des vacances successives dans la magistrature, vous avez, d'un coup, voulu faire une immense fournée, et vous avez fait voter cette loi déplorable, funeste, qui non seulement a violé ouvertement la Constitution, mais qui, dans ma conviction la plus profonde, a porté un coup fatal à la dignité de la magistrature.

Et comment cherchez-vous à justifier cette loi ? En disant que l'un des nôtres, vingt-cinq ans auparavant, en a énoncé l'idée. Mais M. Coomans vous a déjà répondu que cela n'est pas un argument sérieux, il n'est pas digne de cette assemblée.

Ainsi, M. Malou, à cette époque chef de division au ministère de la justice, fait une note, une simple note, dans laquelle il indique une idée plus ou moins vaguement, et aujourd'hui vous venez nous dire que c'est nous qui avons voulu cette loi destructive de l'inamovibilité de la magistrature, qui a jeté cette grande institution hors de ses voies régulières, et qui a provoqué, c'est là le grand, l'immense danger, qui a provoqué un esprit de spéculation acharné parmi les magistrats.

Votre loi est mauvaise non seulement parce qu'elle a foulé aux pieds la Constitution, qu'elle a détruit les nobles et belles traditions de la magistrature, diminué son prestige, fait descendre de leurs sièges des hommes qui en faisaient l'honneur, mais surtout parce qu'elle a fait naître chez beaucoup de jeunes magistrats cette convoitise, cet esprit de spéculation sur l'avenir qui affaiblit et dégrade la magistrature. C'est par là surtout que cette loi est funeste, et pour cela qu'un jour elle sera rapportée.

Enfin, la loi sur les fraudes électorales que M. de. Theux a également citée comme une des expressions de votre pensée constante, cette loi dans laquelle nous n'avons pas pu faire introduire une seule modification, elle a été rédigée contre nous, elle a été faite pour aggraver cette inégalité choquante, flagrante, j'oserais dire scandaleuse, qui existe aujourd'hui entre les électeurs des chefs-lieux et ceux des campagnes.

Eh bien, cette loi vous l'avez fait voter parce qu'elle sauvait, par des moyens fâcheux, par des moyens pratiques contraires à la loyauté constitutionnelle, votre prépondérance politique.

Ainsi, chaque fois qu'une loi vous gêne, vous la modifiez, vous la dénaturez ou vous la supprimez.

La loi de 1856 sur le recensement de la population vous gênait ; vous l'avez supprimée et vous avez fait votre loi de 1864.

La loi sur la révision des listes électorales était pratiquée depuis plus de trente ans sans plaintes bien sérieuses : nous vous proposions de l'améliorer de commun accord. Cette loi vous gênait, vous allez la supprimer.

La législation sur le régime électoral vous gênait ; vous l'avez dénaturée par votre triste loi sur les fraudes électorales.

Donc, à chaque occasion, quand une loi vous embarrasse, vous entrave quand vous vous voyez menacés dans votre suprématie politique, vous bouleversez tout ce qui existe.

Tel est voire système, voilà où vous conduisent votre politique, exclusive et votre esprit de domination. Pour garder le pouvoir, vous sacrifiez les institutions.

Enfin, messieurs, sans vouloir, après mes amis, entrer dans tous les détails du projet de loi, je dirai en quelques mots pourquoi je le repousse.

J'y vois d'abord une déviation nouvelle du principe électif qui est la base même de nos institutions ; c'est une défiance du système électif. Cette tendance est périlleuse.

Nous nous éloignons de plus en plus de notre principe fondamental. ; l'élection. Vous affaiblissez aujourd'hui dans sa base un des produits de ce principe. Ce sont les députations permanentes ; vous leur donnez par votre loi un aspect fâcheux ; vous faites douter de leur impartialité ; vous attaquez dans le vif un des pouvoirs issus de l'élection.

Vous agissez ainsi, parce que vous vous défiez du principe de l'élection, qui est celui de la liberté. Vous ne pouvez vivre avec la liberté. Voilà la raison vraie de votre projet.

Ce motif seul suffit à me faire repousser la proposition.

Ensuite, vous appelez la magistrature à s'immiscer dans des questions politiques. Je ne m'arrêterai pas sur ce point, mes honorables collègues ont signalé de toutes parts ce grave inconvénient, qui ne peut échapper à quiconque examinera le projet sans pensée ni but préconçus.

Je voterai donc contre le projet de loi, qui pourrait mettre un jour aux mains du pouvoir la formation des listes électorales, ce qui est l'élection même.

(page 609) Il offre à mes yeux un vice radical : il tend à affaiblir le principe électif ; il offre un grave danger, en ce que l'application de la loi peut faire naître des soupçons sur l'impartialité des magistrats appelés à intervenir.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le système récriminatif ne plaît pas à M. Coomans ; mais il plaît à M. Nothomb ; car l'honorable membre vient de récriminer contre toutes les lois libérales.

M. Nothomb s'est plaint en premier lieu de la loi de 1864 qui est venue modifier celle de 1856. A l'entendre, il ne nous était pas permis de toucher à cette loi.

Comment donc ! une législature pourrait lier à tout jamais les législatures futures ! Mais ce serait enchaîner la souveraineté.

Le législateur de 1856 n'avait pas le droit de décréter que les augmentations du nombre des membres des deux Chambres ne se feraient qu'après chaque recensement décennal de la population ; les législatures suivantes tiennent de la Constitution le droit inaliénable de mettre la représentation nationale en rapport avec le chiffre de la population.

La Constitution veut qu'il y ait un député pour 40,000 âmes et nous avons à tous instants le droit d'établir cette proportion.

Dire le contraire, c'est méconnaître la Constitution.

Il y a plus. Vous aviez la loi de recensement de 1856 ; vous deviez en 1857 augmenter le nombre des députés.

Vous ne l'avez pas fait, vous n'avez pas vous-même respecté la loi.

L'honorable M. Nothomb me fait un reproche d'avoir dit que l'auteur de la loi sur la mise à la retraite des magistrats était un de ses amis politiques, l'honorable M. Malou, et il me demande comment je puis en cette matière invoquer l'opinion d'un ancien fonctionnaire du département de la justice ; mais, messieurs cela ne se fait-il pas tous les jours, et M. Nothomb se gêne-t-il à l'occasion pour invoquer les opinions émises par M. le baron d'Anethan ou par l'honorable M. Malou ?

Et quand vous venez dire que les opinions que nous défendons sont mauvaises, qu'elles sont inspirées par la passion politique, n'avons-nous pas le droit de vous répondre que vous calomniez nos intentions et que les opinions que nous défendons sont celles que vos propres amis ont émises ?

Respectez nos intentions ; dites que la loi ne vous convient pas, mais ne venez pas dire que nous voulons fausser le système électoral.

On nous dit, messieurs, que la loi est inconstitutionnelle, et M. Nothomb, en reproduisant ce grief, nous dit que nous ne pouvons pas nous appuyer sur l'opinion de M. Malou.

Je crois, messieurs, que vous faites peu de cas de la science, de vos amis.

En effet, tantôt M. Coomans jetait M. Delcour par dessus bord et maintenant c'est le tour de l'honorable M. Malou.

Mais, messieurs, il n'y a plus moyen de discuter, si je cite un jurisconsulte libéral, on me dit : c'est un ami ; si je cite un jurisconsulte catholique, on m'en fait un grief !

L'honorable M. Nothomb nous a l'ail une tirade très éloquente sur ce qu'il appelle la spéculation qui règne dans la jeune magistrature.

Je ne comprends pas véritablement, messieurs, ce que l'honorable M. Nothomb entend par ce mot « spéculation ».

M. Nothomb. - C'est l'impatience.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais, messieurs, cette impatience est, au contraire, singulièrement calmée.

En effet, messieurs, les jeunes gens qui entrent dans la magistrature savent très bien que l'avancement se fera longtemps attendre.

Ce qui le prouve, messieurs, c'est qu'à partir de l'année prochaine, il y aura très peu de nominations à faire.

La force des choses amène ce résultat. Il y a eu, de 1830 à 1839, un grand nombre de nominations de magistrats faites en même temps. Mais, après cette période, les nominations ont été rares et isolées. De même, lorsque la loi nouvelle a dû être appliquée, il y a eu un grand mouvement dans la magistrature ; mais ce mouvement va en décroissant ; je ne pense pas qu'il y aura, cette année, plus de neuf ou dix nominations.

Il n'y a donc pas de spéculation. Ce sont des mots à effet auxquels la droite peut applaudir, mais qui, dans la réalité, ne signifient absolument rien. Il n'y a pas d'esprit de spéculation dans la jeune magistrature.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Et la certitude d'avancer s'ils rendent des services politiques.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Est-ce que par hasard le gouvernement n'a pas les mains liées ? Dès qu'un docteur en droit est nommé juge, il ne peut devenir ni vice-président, ni président, ni conseiller de la cour sans obtenir une présentation du conseil provincial ou de la cour d'appel.

Quant à la magistrature debout, je ne crois pas que l'honorable M. d'Hane veuille contester au gouvernement le droit de la nommer. Cela a existé de tout temps, sous tous les ministères, et jamais on n'a voulu enlever le droit au gouvernement de faire ces nominations sans l'intervention des cours d'appel.

Un dernier mot sur cette assertion que le projet de loi vicie toutes nos institutions et procède d'un principe autre que celui qui a été admis par la Constitution.

Notre principe, dit l'honorable M. Nothomb, c'est l'élection, et dès lors ce sont les corps issus de l'élection qui doivent statuer sur les contestations en matière de listes électorales.

Eh bien, je suis encore obligé de rappeler l'honorable M. Nothomb, au respect de la Constitution, et malgré ce qu'on a dit, j'invoquerai l'autorité de l'honorable M. Delcour. L'article 93 de la Constitution ne dit pas que ce sont les corps produits par l'élection qui doivent juger les contestations électorales ; il stipule que les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. Or, l'honorable M. Nothomb veut que le recours aux corps électifs soit la règle, et que le recours aux tribunaux soit l'exception.

Je dis donc que c'est nous qui retournons à la Constitution, tandis que ce que vous voulez maintenir, c'est une loi d'exception.

M. Nothomb. - M. le ministre m'a demandé d'expliquer ce que j'entendais par ces mots que l'esprit de spéculation envahissait la magistrature. M. le ministre m'a parfaitement compris, puisqu'il a essayé de réfuter ce que j'ai dit à cet égard.

C'est bien clair. Je considère comme un grand malheur cette conséquence de la position faite à la magistrature, à savoir cette propension que j'ai appelée « esprit de spéculation » et que j'aurais pu appeler « impatience de parvenir ». Voilà ce que j'ai voulu signaler, et ce que je ne suis pas seul à déplorer.

Ce que j'ai voulu dire, c'est que le jeune homme qui aujourd'hui est nommé magistrat ne s'attache plus à ses fonctions ; il ne devient pas stable ; il n'apporte pas, permettez-moi l'expression, le cœur qu'il devrait apporter à l'exercice de son mandat ; il n'est occupé que de son changement, de son avancement, et il sait quand cette promotion aura lieu.

Il sait qu'à tel jour tel magistrat sera mis à la pension, que tel autre le remplacera et que lui suivra ; sa pensée est trop tournée de ce côté et plus assez vers ses devoirs, si beaux et si grands cependant.

Le défaut de la magistrature, aujourd'hui, c'est l'instabilité. Sans doute, on peut être bon magistrat et avoir le désir d'avancer. Mais en ce moment le désir d'arriver trop rapidement a envahi la magistrature, l'a travaillée et la corrompra peut-être un jour.

Voilà ce que j'ai appelé l'esprit de spéculation ou, si vous préférez, l'esprit d'ambition sans frein ni mesure.

M. Dumortier. - Messieurs, si le mot de Talleyrand n'existait pas depuis longtemps, que la parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée, j'aurais été tenté de l'imaginer, en entendant l'honorable M. Bara dire que la loi actuelle est présentée pour assurer la sincérité des élections. Chaque fois que le ministère arrive ici avec une loi pour se perpétuer au pouvoir, une loi que la droite tout entière repousse et que la gauche tout entière adopte, c'est toujours pour assurer la sincérité des élections, c'est toujours la même guitare. Eh bien, je vous le demande, en quoi la sincérité des élections est-elle intéressée dans cette affaire ?

Voilà trente-huit ans que la loi ancienne existe, est-ce que jamais l'on a osé dire que la loi actuelle nuisait à la sincérité des élections ? Vous voyez donc bien que les paroles que vous mettez en avant ont tout simplement pour but de dissimuler votre pensée.

Tout ce que vous voulez, c'est de faire une loi de parti contre nous, et pour faire une loi de parti contre nous, vous invoquez ce qui n'est pas en cause, la sincérité des élections.

Je sais bien qu'il y a un an vous attaquiez très vivement la députation permanente de la Flandre orientale au sujet de la révision des listes électorales, mais je sais aussi que cette députation a répondu de la manière la plus victorieuse à tous vos griefs.

Elle a démontré à la dernière évidence que dans toutes ses décisions elle n'a fait que suivre les principes posés par la cour de cassation. Aussi qu'est-il arrivé ? L'an dernier, 1,280 réclamations ont été adressées à la députation permanente de la Flandre orientale et un grand nombre de ces réclamations émanaient de libéraux ; eh bien, sur les 1,280 décisions prises par la députation de la Flandre orientale, sur ces réclamations, sept seulement ont été cassées par la cour de cassation. Ainsi sur 1,280 décisions, 1,273 sont restées intactes. (Interruption.) Ce sont là des chiffres, et vous n'avez rien à dire contre les chiffres.

Messieurs, que s'est-il passé il y a quelque temps dans le Hainaut ? Dans une ville que je ne citerai pas, on avait fait une fournée de 100 à 150 faux (page 610) électeurs ; des réclamations ont été adressées à la députation permanente qui est tout entière libérale. Elle a écarté ces faux électeurs et les journaux libéraux se sont écriés que la députation était corrompue et qu'il fallait modifier la loi. Cela signifie que les lois ne sont bonnes qu'autant qu'elles vous servent, que lorsqu'elles ne vous servent plus, il faut les modifier et qu'elles ne sont bonnes que tant qu'elles vous sont utiles.

Quand, au moyen de cette liberté, on pouvait introduire de faux électeurs de votre bord, vous faisiez l'éloge des députations permanentes catholiques ou libérales.

Le jour où elles sont venues écarter les électeurs qu'on avait portés subrepticement sur les listes, vous vous êtes écriés : La sincérité des élections est en jeu. Mais, c'est au nom de la sincérité des élections que les députations de nos Flandres réclamaient.

On veut maintenant transférer l'autorité des députations permanentes au pouvoir judiciaire.

Je trouve que c'est une chose déplorable que d'introduire de plus en plus dans le pouvoir judiciaire les questions politiques.

Ce n'est un mystère pour personne. Par suite de cette loi abominable, inconstitutionnelle, quoi qu'en ait pu dire M. Malou, qui d'ailleurs s'en est expliqué au Sénat, vous créez une magistrature hostile à l'opinion que nous représentons.

Vos magistrats sont pris pour les 99/100 dans les rangs de nos adversaires les plus violents. Et vous croyez que le pays a confiance dans de pareils actes ?

J'ai vu, dans un journal d'hier, qu'on allait faire la statistique de vos nominations.

Je l'attends et je demeure convaincu que quand cette statistique sera faite, il sera démontré qu'un scandale immense a eu lieu dans le pays.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - De la part de l'auteur de la statistique, qui la fera à sa manière.

M. Dumortier. - Vous voudriez bien agir en tapinois : plumer le poulet sans le faire crier.

C'est à cette magistrature, que j'appelle pervertie, dans laquelle vous avez introduit les éléments les plus excessifs, les plus abusifs, qui ne renferme plus ces libéraux honorables qui étaient les premiers a déplorer ce qui s'est passé, que vous voulez confier la révision des listes électorales.

Et quel motif donnez-vous ? Vous dites que cela se fait en France. Mais, mon Dieu ! ignorez-vous tous les points de différence qui existent entre le système électoral français et le système électoral beige ?

En France, sous la Restauration, l'électeur payait 300 francs. Sous Louis-Philippe, il en payait 200. Ici, le cens est de 12 francs. Comment pouvez-vous établir une similitude entre des faits aussi différents ?

Ce n'est pas tout, messieurs, pourquoi, en France, a-t-on confié aux tribunaux la révision des listes électorales ? Mais pour un motif très simple. C'est parce que la France n'a pas cette grande, cette magnifique institution des députations permanentes émanant du corps électoral. C'est qu'en France les conseils départementaux sont nommés par le souverain et que dès lors c'était le pouvoir qui faisait les élections.

Eh bien, on n'a pas voulu, et on a eu raison, que le pouvoir fît des électeurs et force a été de transférer ce pouvoir à la magistrature.

Sommes-nous dans ce cas en Belgique, où nous avons des députations permanentes nommées par le peuple ? Pourquoi venez-vous violer tous les principes de la Constitution, enlever à ces corps électifs l'autorité dont ils ont été investis par le Congrès national, pourquoi ? Ah ! messieurs, ce qui est le principe de l'organisation des pouvoirs, c'est la séparation des pouvoirs.

Les pouvoirs doivent être séparés pour ne pas tomber dans l'anarchie ; eh bien, ce que vous faites aujourd'hui, c'est de la confusion de pouvoirs, puisque des membres de l'ordre judiciaire vous allez de toute nécessité faire des agents politiques.

Ecoutez, messieurs, ce qui se passait en Angleterre. (Interruption.)

Ce sont des choses qui sont bonnes a répéter. Lorsqu'il a été question d'investir les tribunaux anglais d'une action dans les affaires électorales, le parlement a voulu consulter la magistrature, et voici la réponse que fit le lord chief-justice, Alexandre Cockburn, au lord chancelier d'Angleterre.

« Conformément au désir de Votre Seigneurie, j'ai consulté les juges et suis chargé, par tous et chacun d’eux, de vous faire connaître le sentiment prononcé et unanime de répugnance insurmontable qu'ils éprouvent à se voir imposer ces fonctions nouvelles et sujettes à objection.

« Nous sommes tous d'un avis unanime que les juges une fois chargés d'examiner et de décider sur les pétitions relatives aux élections, la conséquence inévitable sera d'abaisser et d'avilir les fonctions judiciaires et de détruire ou, en tous cas, de diminuer considérablement la confiance du public dans l'impartialité absolue et l'intégrité inflexible des juges, dans le cas où„ durant le cours de leurs fondions ordinaires, des matières politiques leur seront incidemment soumises. »

Voilà l'opinion de l'unanimité des juges d'Angleterre ; ils regardent l'intervention de la magistrature dans les affaires politiques comme devant affaiblir et amoindrir son caractère.

Maintenant, que dit le rapport de la section centrale ? En vertu de l'article 93, les droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions prévues par la loi.

Ici nous rentrons dans la Constitution, dit M. Bara.

Vous y rentrez ! Quoi, prétendriez-vous connaître mieux la Constitution, l'esprit de la Constitution que ceux qui l'ont faite ; prétendriez-vous, dans votre infaillibilité, savoir et connaître la pensée du pouvoir constituant mieux que le pouvoir constituant lui-même ?

Le pouvoir constituant, appelé à donner la portée de l'article 93, l'a expliqué dans les termes les plus nets en présentant la loi électorale.

Est-ce que par hasard le Congrès a donné au pouvoir judiciaire la révision des listes électorales ?

Il s'en est bien gardé. C'eût été outrager la division des pouvoirs qui était la base de la Constitution.

Vous vous trompez sur l'interprétation de l'article 93. Quels sont les droits politiques auxquels la Constitution a fait allusion ? Ce sont les droits politiques inscrits dans le titre II, et si vous jetez les yeux sur le rapport de M. Malou, vous verrez de la manière la plus claire qu'il a excepté de l'article 93 la formation des listes électorales.

Je le répète, les droits politiques auxquels l'article 93 fait allusion sont ceux qui se trouvent inscrits au titre II : « Des Belges et de leurs droits. »

Maintenant, messieurs, vous le voyez, c'est encore toujours l'œuvre du Congrès qu'on veut démolir ; c'es l'œuvre du Congrès qu'on veut supprimer.

Et cependant vous avez élevé une magnifique colonne au Congrès !

Eh bien, je dis que vous avez une colonne de pierre et une Constitution sur le papier !

J'ai vu souvent cette belle et magnifique colonne ; j'ai vu à sa base quatre superbes statues représentant la Liberté de l’enseignement, la Liberté, du culte, la Liberté de la presse et la Liberté d'association.

Mais, messieurs, pour montrer ce que la politique nouvelle a fait de ces libertés, on a eu soin de placer au-dessus de chacune de ces statues une chimère, et cette chimère on l'a dorée.

Eh bien, messieurs, quand j'examine cette magnifique colonne du Congrès et que je cherche l'explication des statues dont je viens de vous parler, je me dis : Liberté d'enseignement, chimère ! Liberté d'association, chimère ! Liberté des cultes, chimères ! Liberté de la presse, chimère !

M. Bouvierµ. - Tout est chimère.

M. Dumortier. - Vous faites de toute la Constitution une chimère. Vous démolissez la Constitution pièce à pièce, tronçon par tronçon et cela par esprit de parti. Vous vous cramponnez aux partis pour rester au pouvoir auquel vous êtes si vivement attachés.

Toutes les formules, tous les moyens sont bons pour se maintenir au pouvoir et la loi que nous discutons en ce moment n'a pas pour vous d'autre but.

En effet, messieurs, qu'est-ce que votre loi ?

Y avait-il nécessité de la faire ? Je dis que non ! Une seule objection sérieuse a été faite ; c'est que par suite de l'augmentation du nombre des électeurs les délais actuels sont insuffisants.

Eh bien, messieurs, rien n'est plus facile que de porter remède à cet inconvénient.

Ainsi, au lieu de commencer l'opération de la révision des listes électorales le 1er avril, rien ne s'oppose à ce qu'on la commence au 1er mars. De cette façon, vous gagnerez un mois, et les délais dont vous parlez seront parfaitement suffisants.

Vous pourrez même, comme l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable M. Tack, suivre le système hollandais et commencer la révision des listes électorales le 15 février.

De cette façon la seule raison que vous objectez disparaîtrait.

Il n'y a donc, messieurs, vous le voyez, aucun motif sérieux qui puisse motiver la loi qui nous est soumise en ce moment.

Dans le système actuel, quiconque est inscrit sur les listes électorales paye dans l'année même où il vote. Voilà le système du Congrès. Que faites-vous par votre projet de loi ? Le système que vous voulez consacrer est celui-ci : c'est qu'au lieu de payer dans l'année où l'on vote, il suffit d'avoir payé, soit l'année précédente, soit deux années auparavant.

Ainsi, il n'est plus nécessaire de payer dans l'année même où l'on vote. (page 611) Quelle sera la conséquence de ce nouveau système ? C'est qu'un grand nombre d'électeurs qui ne payeront plus d'impôts, et qui, aux termes de la Constitution, devraient être exclus de l'urne électorale, seront admis à voter. Vous transformez dès lors le principe constitutionnel, vous mettez dans votre loi : avoir payé, au lieu de payer.

Pour être électeur, d'après vous, il faut avoir payé, il y a un an, il y a deux ans. Voilà votre loi.

Eh bien, je vous le demande : Avez-vous bien le droit de vous vanter de rentrer dans la Constitution ? Mais vous en sortez à pleines voiles lorsque vous substituez la formule, avoir payé, c'est-à-dire dans le passé, à la formule payer, c'est-à-dire dans le présent.

On n'a pas répondu à cette objection-là et on n'y répondra pas.

Vous arrivez avec quelques détails, vous invoquez quelques exceptions, pour justifier... quoi ? La suppression complète de la règle ; vous parlez de quelques exceptions, non pas pour y porter remède, mais pour faire disparaître le principe lui-même. Ainsi vous violez manifestement le texte de la Constitution.

Rien n'était plus facile, messieurs, que de maintenir la loi actuelle : il suffisait d'ordonner la formation des cotes de telle manière que les rôles fussent remis aux conseils communaux, à la fin de février ou le 15 du même mois ; on gagnait ainsi un mois ou six semaines.

Avec ce système-là, il n'y avait pas moyen de faire des électeurs au pouce ; eh bien, c'est cette faculté de faire des électeurs au pouce qui sera la conséquence du nouveau système que je combats.

Maintenant, rappelez-vous qu'avant une loi qui a été votée l'année dernière, les gouverneurs produisaient dans le courant de janvier ou au commencement de février le relevé des cotes irrecouvrables ; par la loi que je viens de citer, celle attribution a été transférée aux directeurs des contributions ; eh bien, ces fonctionnaires pourront, à plusieurs époques de l'année, produire des cotes irrecouvrables ; il en résultera un tripotage des listes électorales ; on introduira des cotes nouvelles, et vous vous assurerez, avec ces petites manigances, des triomphes faciles dans les élections.

Voilà le but de votre loi ; pour en être convaincu, il ne faut pas voir cette loi toute seule ; il faut la rapprocher de celle qui a été votée l'année dernière. Cette loi était le premier volume ; le second volume est le projet de loi sur lequel nous délibérons.

Maintenant, il est impossible de ne pas voir que l'action gouvernementale vient se substituer à l'élément électif.

L'honorable ministre a voulu tout à l'heure rencontrer ce que j'avais dit quant aux commissaires de district. Je regrette, puisqu'il a cité une phrase que j'avais prononcée lorsqu'il en a été question pour la première fois, en 1847, qu'il n'ait pas lu tout ce que j'avais dit. S'il l'avait lu, il aurait trouvé le correctif le plus complet de ce qu'il a avancé et il aurait vu combien ma mémoire était fidèle lorsque j'ai donné à comprendre que j'étais très opposé à son système.

Voici, messieurs, ce qui s'est passé dans la séance du 23 mars 1843. Je me suis exprimé, au sujet des commissaires de district, en ces termes :

« C'est là, messieurs, un grand pouvoir donné au commissaire de district. J'avoue qu'il me paraît nécessaire qu'une autorité quelconque soit investie du droit d'examiner les listes formées par les autorités communales et de former au besoin appel contre ces listes.

En effet, il est constant que dans beaucoup de localités les listes électorales sont faites par le secrétaire communal ou par l'un ou l'autre des échevins et qu'il arrive assez souvent que des erreurs sont commises. »

Ainsi le motif pour lequel j'appuyais l'amendement, c'est parce qu'à cette époque la liste était faite par le bourgmestre et les échevins, c'est-à-dire par le secrétaire communal. Mais veuillez remarquer que depuis qu'on a rendu le cens égal pour tout le pays quant aux élections pour les Chambres, ce n'est plus le collège échevinal, c'est le conseil communal qui forme la liste. Ce n'est donc plus le secrétaire communal. L'argument dès lors disparaît. Il y a un correctif dans la loi.

Voici au reste ce que j'ajoutais :

« Mais faut-il pour cela permettre aux commissaires de district d'interjeter d'office appel contre les omissions ? S'il s'agissait de radiations indues, je le concevrais ; mais contre les omissions, c'est ce qui ne me paraît pas admissible. »

L'honorable M. Devaux, qui parlait ensuite, disant que c'était un avantage pour l'un des deux partis, je répondais : « Avantage pour l'opinion du gouvernement. »

Oui, quand vous introduisez le commissaire de district dans la formation des listes électorales, c'est un avantage pour l'opinion du gouvernement et pour aucune autre.

Et puis, est-ce que, à notre époque, on donnait au commissaire de district l'autorité qu'on lui donne maintenant ? Lui donnait-on le droit d'appel ? Etait-il question de rien semblable ? Comment ! lorsque, en France, on n'a pas voulu laisser à l'autorité la révision des listes électorales, lorsqu'on l'a transférée aux tribunaux, vous viendrez donner à votre agent le droit d'appel, c'est-à-dire le droit de révision des listes depuis le commencement jusqu'à la fin ? Je dis que c'est là une chose monstrueuse, une chose qu'il est impossible d'admettre.

Messieurs, je viens de vous montrer quel est le but de cette loi qui, comme tontes les autres, est faite pour assurer la prééminence à l'opinion qui est aujourd'hui au pouvoir. En bien, nous, contre qui cette loi est faite, nous ne pouvons la voter et nous ne la volerons pas !

- La clôture est demandée par plus de dix membres.

M. de Theuxµ. - M. le rapporteur de la section centrale n'est pas présent ; il est indisposé ; dans tous les cas, messieurs, il est impossible de voter la loi tout entière dans la séance de demain, des amendements sont présentés, d'autres seront déposés encore, il est de toute impossibilité de terminer demain.

M. Tack. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice m'a prêté une opinion qui n'est pas du tout la mienne ; je désire lui répondre.

M Jacobsµ. - Il semble réellement, messieurs, qu'on veuille supprimer la discussion ; il semble qu'un mot d'ordre ait été donné à la gauche pour que personne ne prenne la parole ; nous n'avons eu de ce côté de la Chambre que le strict nécessaire ; le rapporteur de la section centrale et un ministre ont seuls pris part à la discussion, deux discours en réponse à une douzaine prononcés par autant de membres de la droite.

Non contents de ne pas parler, aujourd'hui vous allez jusqu'à forcer les membres de la droite à se taire.

On croirait vraiment qu'on a recommandé à tous les membres de la gauche qui n'étaient pas inscrits de ne pas se faire inscrire, à ceux qui étaient inscrits, de se faire rayer.

M. le président. - Je dois vous faire remarquer qu'il n'y a pas d'inscriptions de membres de la gauche, il n'a donc pu être question de les inviter à se faire rayer.

M. Jacobsµ. - M. de Maere au moins était inscrit.

M. le président. - M. de Maere s'est fait rayer le premier jour.

M. Jacobsµ. - Qu'importe que le mot d'ordre ait été donné le premier jour ou plus tard.

Nos amis ont fait remarquer que, dans une matière semblable, les députations permanentes et les cours d'appel auraient dû être consultées ; c'était bien le moins qu'à défaut de leurs avis, il y eût une sérieuse discussion dans cette Chambre, et cependant les membres de la gauche se refusent à prendre la parole et voilà qu'ils veulent empêcher les membres de la droite de parler ! Il sera donc constaté une fois de plus que la discussion est inutile et que le Sénat a eu raison de rejeter le budget de la justice sans phrases.

M. le président. - Votre observation est erronée puisque l'on discute depuis quatre jours.

M. Jacobsµ. - M. le président n'a pas compris, paraît-il, l'observation que j'ai présentée à la Chambre. Je n'ai pas dit que l'on n'avait pas discuté ; j'ai dit que la gauche semblait s'être donné, ou avoir reçu un mot d'ordre pour ne pas prolonger la discussion. Voilà ce que j'ai dit et cela résulte de ce qu'à part le rapporteur de la section centrale et un ministre, aucun membre de la gauche n'a pris part à la discussion.

MPDµ. - Ma remarque était donc parfaitement fondée ; quand vous disiez qu'on voulait voter en silence, vous ne respectiez pas la véritable situation de la chambre, puisqu'une discussion sérieuse y a eu lieu pendant quatre jours et que partant il ne peut être question de votes à émettre en silence.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les honorables membres de la droite qui ont pris la parole aujourd'hui n'ont plus même parlé de la question ; ils se sont occupés de la question politique. L'honorable M. Van Wambeke a dit qu'il n'avait plus rien à dire de la loi ; l'honorable M. Dumortier a parlé pendant un quart d'heure de la colonne du Congrès.

M. Bouvierµ. - Et des chimères.

M. Liénartµ. - Messieurs, je ne veux faire qu'une simple observation. J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu un membre de la gauche dire : Nous voulons voter demain sans faute, sans remise.

- Plusieurs membres. - Qui a dit cela ?

M. Van Wambekeµ. - Cela a été dît.

M. Liénartµ. - Je pourrais citer le membre de la gauche qui a proféré ces paroles. Si telle est votre intention, messieurs, autant voter immédiatement, ce sera plus tôt fait.

(page 612) Je proteste contre cette intention de voter en deux heures un projet de loi qui a 43 articles.

Des amendements sont préparés, non seulement sur nos bancs, mais aussi sur les vôtres, et jusqu'à présent, que je sache, le mot d'ordre de les retirer n'a pas été donné.

Comment voulez-vous voter tout cela dans la séance de demain ?

- Plusieurs voix à gauche. - Personne n'a dit cela.

M. Liénartµ. - Puisque vous désavouez cette intention, je n'insiste pas. Mais alors pourquoi fermer la bouche à ceux de mes amis qui désirent encore se faire entendre ? La demande de clôture trahit votre impatience à voter la loi.

Si vous vous condamnez volontairement au mutisme, laissez, au moins, aux amendements le temps de se produire.

La section centrale ne s'est pas trouvée, en tous points, d'accord avec le gouvernement ; autre raison de ne pas précipiter ce débat. Ajoutez à cela l'absence du rapporteur de la section centrale.

M. le président. - M. Liénart, n'insistez pas sur ce point puisque cette intention ne semble pas partagée.

M. Liénartµ. - En effet, je n'ai eu d'autre but que de signaler ce qu'une telle intention aurait d'exorbitant.

M. le président. - La clôture est demandée.

- Il est procédé au vote par appel nominal.

82 membres y prennent part.

51 répondent oui.

31 répondent non.

En conséquence la clôture est prononcée.

Ont répondu oui :

MM. Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Lambert, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Preud'homme, Sabatier, Schmitz, Alphonse. Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Vleminckx, Watteeu, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, De Fré, De Lexhy, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dewandre, Dupont et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Hayez, Jacobs, Lefebvre, Liénart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Visart, Wouters, Coomans, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Montblanc, de Naeyer, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse et Dumortier.

M. le président. - Des amendements sont parvenus au bureau ;

« A l'article 11, le paragraphe nouveau que voici :

« La requête pourra être remise au secrétariat de la commune et sera renvoyé immédiatement avec les pièces à l'appui au gouverneur de la province. Il en sera donné récépissé par un membre de l'administration communale et par le secrétaire. »

« Article 14. Ajouter après les mois « au greffe du conseil provincial » : « ou au secrétariat de la commune. »

« Article 15. Après l'alinéa premier, ajouter : « les séances seront publiques. »

« A l'alinéa 3 ajouter après les mots : « sont motivés, » ceux-ci : « et prononcés en audience publique. »

« Signés : Delcour, Lefebvre, Van Wambeke, de Naeyer, Nothomb. »

- Ces amendements seront imprimés et distribués.

M. le président. - Un autre amendement a été déposé par M. Dumortier ; il est ainsi conçu :

« Je propose l'amendement suivant à l'article premier :

« Les opérations électorales mentionnées à l'article 7 de la loi électorale commenceront chaque année le 1er mars. »

- Cet amendement sera également imprimé et distribué.

- La séance est levée à 5 1/4 heures.