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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 25 février 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 487) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 l/4 heures et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente, l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Des officiers pensionnés réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir une augmentation de pension. »

M. Lelièvreµ. - Cette pétition est fondée sur de justes motifs. Elle présente un caractère marqué d'urgence. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Jean-Chrétien Freitag, attaché au commissariat de police de Laeken, né à Eckstadt (Saxe-Weimar), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants de Mehaigne demandent que la société concessionnaire soit contrainte d'exploiter, pour les voyageurs au moins, la section de. chemin de fer de Namur à Rumillies. »

- Dépôt sur le bureau pondant la discussion du rapport sur une pétition analogue.


« MM. Van Morris, Lambert, de Kerckhove et Braconier, retenus chez eux, demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1869

Rejet par le sénat

M. le président. - Nous avons reçu du Sénat la communication suivante :

« M. le président,

« Nous avons l'honneur de vous informer que le Sénat a rejeté, dans sa séance de. ce jour, le projet de loi contenant le budget du ministère de la justice pour l'exercice 1869.

« Ce projet de loi accompagnait votre message, du 18 décembre 1868, n° 19592A.

« Agréez, M. le président, l'assurance de notre haute considération.

« Les secrétaires, (Signé) baron de Basse, comte de Rbdiano.

« Le président du Sénat, (Signé) d'Omalius. »

- Pris pour notification.

Projet de loi (nouveau) portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1869

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, le Sénat, dans sa séance d'hier, a rejeté, comme vous venez de l'apprendre, le budget de la justice, il l'a rejeté sans discussion, sans aucune explication. La minorité, constituée accidentellement à l'état de parité, a cru, sans doute, qu'un vote muet ne permettrait pas aux membres de la majorité d'arriver en temps opportun pour voter. (Interruption.)

- Plusieurs membres à gauche. - C’est cela !

MfFOµ. - C'est un acte d'une extrême gravité que celle du rejet d'un budget, et jamais, je pense, dans aucune assemblée politique, le rejet d'un budget n'a eu lieu sans explication.

Quoi qu'il en soit, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi contenant le budget du département de Injustice pour 1809,

- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi.

M. Orts. - Messieurs, en présence d'une urgence qui n'est un secret pour personne, je demande à la Chambre que le projet du budget de la justice sera renvoyé immédiatement à la section centrale qui l'a déjà examiné une première fois.

- Plusieurs voix à droite. - Non ! non !

M. Orts. - Ce n'est pas tout, messieurs. Attendez jusqu'au bout. Vous vous récrierez ensuite avec plus de raison encore. (Interruption.)

M. le président. - Messieurs, je vous invite au calme. S'il se produisait du tumulte, je suspendrais la séance, comme j'en ai le droit. J'adresse cette recommandation à tous mes collègues.

M. Orts. - Je répète ma phrase.

En présence d'une urgence qui n'est un mystère pour personne, je demande, messieurs, que la section centrale qui a examiné le budget de la justice précédent se réunisse immédiatement pour procéder à l'examen du budget actuel comme commission spéciale et que la discussion du budget de l'intérieur soit suspendue pendant une demi-heure.

- Plusieurs membres à droite. - Non ! non !

M. de Theuxµ. - Messieurs, la proposition de l'honorable préopinant est contraire à tous les usages parlementaires, à la dignité de la Chambre (interruption) et à notre règlement.

Quand le rapport sera fait sur le nouveau projet de budget, il devra être mis à l'ordre du jour, en observant les délais prescrits par le règlement.

Je vois très bien, messieurs, où l'on veut en venir. On veut nous faire voter séance tenante.

- Plusieurs voix à gauche. - Oui ! oui !

M. de Theuxµ. - Je proteste, au nom de la dignité du parlement, contre cette manière de procéder.

- Plusieurs voix à gauche. - Aux voix ! aux voix !

M. Orts. - La proposition que j'ai l'honneur de faire à la Chambre n'est pas contraire au règlement.

Il est, on effet, écrit dans le règlement qu'un rapport doit être imprimé et distribué dans un délai déterminé avant qu'on puisse aborder la discussion du projet sur lequel le rapport vient d'être fait. Mais il est ajouté au règlement qu'il en peut être autrement si la Chambre le décide. Or, je demande à la Chambre de le décider.

M. Nothomb. - Je me joins à l'honorable comte de Theux pour m'opposer à la motion qui est faite par l'honorable M. Orts.

Elle tend à nous faire prendre une. décision contraire à tous nos précédents, à tous les usages parlementaires, et il n'y a pas d'exemple dans un parlement quelconque qu'on ait eu recours à une précipitation aussi fiévreuse qu'est la vôtre.

Cela est conforme au règlement, dit-on ; je le nie ; ce qui est certain, c'est que cela est contraire à toutes les règles de discussion. Mais je repousse surtout cette proposition, parce que je vois clairement ce que vous voulez y mettre un blâme pour nos amis du Sénat.

- Voix à gauche. - Oui.

M. Nothomb. - Oui ! Vous en faites donc l'aveu ! Mais nos amis n'ont fait qu'user régulièrement de. leur droit constitutionnel ; nos griefs contre le ministre de la justice sont connus et une discussion était parfaitement inutile. Je déclare encore une fois que je proteste contre toute mesure prise dans cette Chambre qui tendrait à infirmer ou à critiquer ce droit.

M. Coomans. - Prenons-y garde ! (Interruption.) On vient très solennellement, par la bouche du ministre des finances, d'adresser au Sénat une insulte... (Interruption.)

- Voix à droite. - Oui, oui. Parlez !

M. le président. - S'il y avait eu une insulte pour le Sénat, je ne l'eusse point permise.

M. Coomans. - Ceci est une question d'appréciation.

Je considère comme une insulte l'accusation lancée à une assemblée de n'avoir pas discuté afin de pouvoir empêcher des adversaires politiques d'émettre un vote. Je ne conçois pas qu'on puisse adresser, non seulement à une assemblée, ce qui est un outrage, mais à un seul homme un reproche plus grave que celui-là.

- Plusieurs membres. - C'est vrai.

M. Coomans. - Quoi ! le Sénat, l'un des trois grands pouvoirs de l'Etat, a usé d'intrigue ! Mais, messieurs, je suis étonné que vous ayez laissé passer cette accusation sans protester immédiatement. (Interruption.)

Eh bien, moi, je le fais. Oh ! je le sais bien, il entre dans l'intention de quelques ministres de ravaler tous les pouvoirs de l'Etat. (Interruption.)

- Voix à droite. - Oui, oui.

M. Coomans. - Mais tous les pouvoirs sont solidaires, et c'est pour cela que je répète mon mot qui vous a fait étourdiment sourire : Prenons-y garde !

Aujourd'hui, après avoir porté une grave atteinte à la dignité du Sénat, vous voulez en porter une à la nôtre !

Vous venez nous demander de voter un grand budget sans parler, et vous reprochez au Sénat de n'avoir pas parlé. (Interruption.)

(page 488) M. de Liedekerkeµ. - Très bien !

M. Coomans. - Il vous faut une Chambre de muets, deux Chambres de muets ! Eh bien, aussi longtemps qu'un certain nombre d'amis siégeront ici avec moi, vous n'atteindrez pas votre but.

M. de Theuxµ. - C'est cela.

M. Coomans. - Vous pouvez voter contre nous, vous ne nous humilierez pas... (Interruption.) Vous pouvez déshonorer les Chambres, vous ne nous déshonorerez pas.

- Voix à gauche. - A l'ordre !

M. le président. - Vous venez de prononcer des paroles que vous devez retirer, M. Coomans.

- Voix à droite. - Non, non.

M. le président. - Vous ne pouvez imputer à personne la pensée de vouloir déshonorer la Chambre. Je vous invite à retirer ces paroles. Les retirez-vous, M. Coomans ?

M. de Borchgraveµ. - Non.

M. le président. - Quand je m'adresse à M. Coomans, je vous invite, M. de Borchgrave, à ne pas répondre.

M. Coomans. - Quant à moi, je remercie M. de Borchgrave...

M. le président. - Veuillez répondre à ma demande, M. Coomans.

M. Coomans. - Laissez-moi les répéter, M. le président.

M. le président. - Expliquez-vous donc...

M. Coomans. - J'ai dit qu'on peut vouloir déshonorer la Chambre, mais qu'on ne nous déshonorerait pas. Ces paroles-là, je les maintiens.

M. le président. - Eh bien, je vous rappelle à l'ordre !

- A gauche. - Très bien !

- A droite. - Il a dit vrai.

M. Coomans. - Et moi, messieurs, je vous rappelle au respect de la Constitution. (Interruption.)

Quoi ! vous êtes insensibles à ce grave avertissement que le Sénat vous a donné ? (Nouvelle interruption.)

M. le président. - Messieurs, veuillez garder le silence, je vous en conjure.

M. Coomans. - Laissez-les rire, monsieur le président.

M. le président. - Je ne puis permettre ni rires ni interruptions de l'un ni de l'autre côté de la Chambre.

M. Coomans. - Cela fait partie de la mise en scène.

M. le président. - Il n'y a pas de mise en scène ; gardez-vous d'en mettre de votre côté.

- Un membre. - Il n'y a pas de comédie ici !

M. Coomans. - Il y a eu des répétitions pourtant.

M. le président. - Je maintiendrai la dignité de la Chambre envers et contre tous.

M. Coomans. - C'est pour cela que je parle.

M. le président. - Eh bien, parlez autrement alors.

M. Coomans. - A chacun son opinion, M. le président ; vous avez la vôtre, j'ai la mienne et je l'exprime.

M. le président. - J'ai la police de l'assemblée, je saurai vous la faire subir.

M. Coomans. - Mais, messieurs, voter un budget sans nous permettre de l'examiner, c'est violer non seulement les convenances les plus élémentaires, les règles les plus simples du régime représentatif ; c'est positivement violer la Constitution. Vous n'avez pas le droit de mettre notre règlement au-dessus de la Constitution. Dans tous les cas, quand le règlement a été fait tel que l'honorable M. Orts vient de le lire, on n'a jamais prévu que cela pût s'appliquer à un budget.

On a l'air de faire bon marché du Sénat. Puisqu'on l'attaque, je puis bien le défendre. C'est mon droit ; c'est mon devoir ; c'est le devoir de tous les citoyens belges, à moins de supprimer l'institution.

Oh ! si vous voulez faire du Sénat un simple rouage dans la mécanique rouillée de votre char ministériel, alors vous avez raison. Mais, nous qui voulons que le Sénat reste une grande institution nationale, nous devons vouloir que vous la respectiez. Or, vous ne la respectez pas, vous ministres, quand vous venez à la tribune, en l'absence du Sénat, dire que le vote du Sénat a été le résultat d'une intrigue, d'une déloyale intrigue. (Interruption.) C'est l'appréciation que je fais de vos paroles.

MfFOµ. - Oh ! oh !

M. Coomans. - Donnez-en une autre, si vous le voulez.

Le Sénat, ne nous le dissimulons pas, est. ici seul en cause. Eh bien, le Sénat, messieurs, n'a été déjà que trop humilié. Quoi ! quand le Sénat a rejeté une de vos lois favorites, n'avez-vous pas agi de manière à le faire revenir sur son vote, à lui faire faire amende honorable ?

Messieurs, en déshonorant les hommes, ne déshonore-t-on pas les assemblées dont ils font partie ?

Oui, cette proposition, quelque appuyée qu'elle soit, en apparence, par l'unanimité de la gauche, cette proposition est inacceptable. Elle peut faire les affaires du ministère ; elle ne fait pas celles de la Chambre ; à coup sûr, elle ne fera pas celles du pays.

Maintenant, vous avez pour vous le nombre, la force officielle ; vous en avez abusé déjà ; vous en abuserez encore, vous avez tort, et c'est là-dessus que je finis.

MfFOµ. - J'ai apprécié, tout à l'heure, comme j'avais le droit de le faire, en termes convenables, un vote qui est inexplicable. Il est, en effet, inexplicable, puisque personne n'a dit un seul mot pour le justifier ; et, ne trouvant aucune explication possible au silence qui a précédé un acte d'une telle importance, j'ai dit que je ne pouvais guère attribuer la précipitation du vote qu'au dessein d'éviter que quelques membres attardés ne vinssent empêcher le résultat que l'on espérait.

Messieurs, je ne m'abaisse pas à répondre, à ce qui a été dit tout à l'heure, à savoir que j'aurais, par ces paroles, insulté le Sénat et déshonoré nos institutions.

Mais si l'on ne veut pas admettre ma supposition, comment expliquer la résolution du Sénat ? Que signifie alors le vote qu'il a émis ? Veut-on faire croire au pays que le Sénat recommence 1841 ?

Ce ne serait pas la première fois que le Sénat chercherait à conquérir, et comme on l'a dit, à usurper une place qui, dans l'ensemble de nos institutions, n'appartient qu'à la Chambre des représentants.

En 1841, le Sénat renversa un ministère libéral, non pas à raison de ses actes, mais, simplement à cause des tendances qu'on lui supposait. Le parti conservateur se félicita beaucoup d'abord de la ferme attitude prise alors par le Sénat ; on disait qu'il avait ainsi donné une leçon à la Chambre des représentants, à cette Chambre qui avait appuyé le cabinet de l'époque.

Ce cabinet, à la vérité, était composé d'hommes singulièrement dangereux, tels que M. Rogier, M. Lebeau, M. Leclercq ! Il fallait nécessairement se hâter de renverser un ministère composé d'éléments si pervers, si nuisibles au bien du pays.

Vous vous êtes donc félicités du résultat, le jour même, et peut-être le lendemain. Mais vous avez eu bientôt l'occasion d'en apprécier et d'en déplorer les conséquences. C'est, en effet, cet acte qui a été le signal de la décadence de votre opinion. Cet acte a marqué la date à partir de laquelle votre déclin a commencé ; depuis ce jour, vous êtes devenus impossibles au pouvoir ; vous ne l'avez occupé que par personne interposée, ou si vous y êtes venus un instant, c'a été pour tomber sans espoir de retour.

C'est à la suite de ce vote inouï que les électeurs vous ont condamnés successivement en 1843, en 1845 et en 1847 ; et c'est alors qu'est arrivée au pouvoir cette majorité libérale, qui n'en a été dépossédée pour quelque temps que par la trahison.

A, la vue de vos défaites, vous avez gémi sur la grave imprudence qui avait été commise. Vous avez alors regretté amèrement cet acte qui avait été pour vous l'occasion d'un triomphe éphémère, et vous avez été amenés à confesser que ç'avait été une erreur.

Mais, dix ans après, l'aveu de la faute et la faute elle-même semblaient oubliés, et la velléité de détruire encore un ministère en pleine harmonie avec la majorité de la Chambre se fit jour de nouveau an Sénat.

Il fut un temps où j'avais l'honneur d'assumer sur moi toutes les colères de mes adversaires politiques ; il fut un temps où j'occupais dans le gouvernement la place qu'y occupe aujourd'hui mon honorable ami, M. Bara. Tous les efforts de l'opposition étaient concentrés sur moi seul ; ce n'était qu'à moi seul que l'on en voulait, c'était moi seul qu'il fallait renverser ; tous les autres ministres répondaient parfaitement aux espérances des hommes modérés. Mais moi, je n'étais pas modéré ; moi, j'étais un homme dont il fallait se méfier, et qu'il fallait, à tout prix, écarter du banc ministériel.

Les tentatives n'ont pas manqué ; elles ont été réitérées bien souvent. Un jour, l'occasion parut propice ; il s'agissait d'une loi d'impôts que j'avais présentée pour restaurer une situation financière que j'avais trouvée déplorable. Dans la discussion de ce projet de loi, j'avais fait preuve d'un grand esprit de conciliation ; j'avais accepté diverses modifications qui ne m'avaient pas paru incompatibles avec le but si important que je poursuivais. On n'en tint aucun compte ; on fut implacable ; la proposition admise par la Chambre fut impitoyablement rejetée.

Il fallait, rejeter la proposition alors soumise au Sénat, car on se disait : « Bonheur inespéré ! Le ministère est acculé dans une position, pour sortir de laquelle il se verra obligé de dissoudre une assemblée politique, et de faire un appel au pays sur une question d'impôt. Oh ! se disait-on, (page 489) nous sommes certains cette fois d'un triomphe éclatant. Le pays peut-il voter pour ceux qui veulent lui imposer de nouvelles contributions ? » Et l'on sait comment ce thème fut exploité jusqu'au jour des élections. Eh bien, le pays, devinant ce qui se cachait derrière cette opposition à une loi reconnue nécessaire pour rétablir l'équilibre financier dérangé par l'impéritie de nos prédécesseurs, le pays comprenant parfaitement que cette prétendue répugnance pour un nouvel impôt n'était que le masque de la passion politique qui vous animait, le pays a condamné ce Sénat qui avait rejeté la loi.

Nous entrons aujourd'hui dans une troisième phase. Si l'on veut donner au vote du Sénat le sens que l'on veut lui attribuer ici, ce serait la troisième partie de la même histoire.

L'honorable M. Bara a le sort que. j'ai subi moi-même, et le sort qu'ont eu avant lui MM. de Haussy et Tesch ; il n'est ni plus ni moins attaqué et il l'est tout autant.

L'occasion a paru bonne pour essayer de le renverser. C'était une erreur, et ceux qui l'ont pensé se sont montrés singulièrement imprudents, car elle était beaucoup moins favorable qu'aux époques de 1841 et 1851. En 1841 et en 1851, il y avait du moins au Sénat une majorité réelle pour coopérer aux actes que l'on voulait poser.

En 1851, parce que quelques-uns de nos amis s'étaient détachés de nous sur cette question spéciale, il s'est trouvé que l'opposition a pu réunir une majorité.

Mais ici, qu'est-ce donc ? C'est la minorité dont on exalte le vote comme un triomphe. Cette fraction du Sénat qui a rejeté le budget de la justice, c'est la minorité ; elle l'était hier, elle l'est aujourd'hui et elle le sera demain. Elle a donc fait un acte inutile, sans résultat possible, qui sera nécessairement effacé par le vote de la majorité, de la majorité du Sénat.

C'est un acte qui manque à la fois de prudence et de modération. Il ne saurait avoir qu'un résultat, celui d'irriter les esprits et de rendre plus difficile que jamais la position des hommes qui veulent tempérer nos luttes. Il atteste qu'une passion, que rien ne peut calmer, domine l'opposition, non seulement dans cette assemblée, mais dans l'autre.

Le vote, qui vient d'être émis en est une nouvelle manifestation ; vous avez vu l'impression profonde qu'il a produite sur ces bancs ; cette impression sera ressentie au dehors, et l'acte sera jugé très sévèrement par le pays. (Interruption.)

M. Jacobsµ. - Messieurs, la passion et la colère sont toujours mauvaises conseillères. (Interruption.) L'honorable M. Rogier vous le rappelait hier et j'aurai l'occasion de vous le rappeler aujourd'hui.

M. le ministre des finances, dans les explications qu'il a apportées à la barre de la Chambre, a qualifié le vote, émis au Sénat d'une façon qui a ému une partie, tout au moins, de cette assemblée. Les observations qu'il vient de nous présenter ont encore aggravé ces paroles.

Ce n'était d'abord qu'une sorte d'intrigue.

MfFOµ. - Je n'ai pas prononcé ce mot.

M. Jacobsµ. - Vous n'avez pas prononcé ce mot ; mais je traduis l'impression que votre langage a faite sur chacun de nous.

MfFOµ. - Je n'ai pas parlé d'intrigue, ni supposé une intrigue. J'ai constaté ce fait : le silence gardé avant un acte aussi grave.

M. Jacobsµ. - Il y avait cette espèce d'intrigue que vous avez prétendu dévoiler ici et qui consiste à ne pas discuter pour profiter du moment où l'on est majorité, avant que le moment d'après ne vienne modifier la situation par la survenance de quelques membres.

Appelez cela intrigue, appelez cela autrement, c'est une question de mots.

Après cette première appréciation du vote du Sénat, vous venez de le représenter comme un fait beaucoup plus grave, comme, une usurpation ! Le Sénat a usurpé les prérogatives de la Chambre, comme il les aurait usurpées par son adresse de 1840.

Je n'ai pas à défendre le Sénat, il se défend assez lui-même ; je me contente de protester contre vos paroles ; nous ne pouvons attraire le Sénat à notre barre.

Si jamais un vote de la Chambre est attaqué dans l'enceinte du Sénat, nous aussi nous trouverons, je l'espère, des sénateurs qui sauront venger la dignité de la Chambre comme ils trouvent dans la Chambre des membres soucieux de la dignité du Sénat.

- Un membre. - Ils ont été muets.

M. Jacobsµ. - Je vous dirai tout à l'heure pourquoi.

Où peut-on voir dans ce vote une usurpation des prérogatives parlementaires ? Nos prérogatives sont assez belles pour ne pas les grossir. Nous avons l'initiative en diverses matières : le Sénat ne peut que nous suivre. Mais lorsqu'une loi est soumise au Sénat, celui-ci possède un droit absolu, illimité d'appréciation comme nous ; il a le droit de rejeter comme nous, et s'il a rejeté hier le budget de la justice, son vote n'est susceptible de critique d'aucune nature.

Vous dites qu'il s'est trouvé accidentellement une majorité hostile au cabinet. Remarquez que ce que vous blâmez, c'est la tiédeur de vos amis. Ceux que vous blâmez, ce sont vos amis et non les nôtres. Ils n'y étaient pas ? Ils devaient y être. Demain vous espérez obtenir cette majorité qui vous a fait défaut hier ? Qu'en savez-vous ? Les votes sont-ils tellement comptés dans nos assemblées parlementaires que vous puissiez prédire d'avance que vous aurez la majorité ?

Dans ce cas, ne votons plus ; convenons une fois pour toutes que vous disposez de la majorité et supprimons le vote des budgets.

C'est ici que je trouve l'explication de l'absence de discussion au Sénat. Si, comme vous dites, il est inutile de voter, il l'est bien plus encore de discuter.

Vous n'avez pas été pris à l'improviste. Vous étiez prévenu de l'hostilité de nos amis du Sénat. Votre presse elle-même vous en avait avertis.

Pour ma part, je viens vous prier, comme vous en priait hier l'honorable M. Rogier, de ne pas céder un mouvement de colère. Les mesures ab irato ne valent jamais rien, et ce que l'on vous a proposé, c'est de violer non pas nos précédents usages, mais la loi de cette assemblée, le règlement de la Chambre des représentants. Ce que vous propose l'honorable M. Orts, vous ne pouvez pas le faire ; cela vous est textuellement interdit et pour le démontrer il me suffira de vous lire l'article 33 du règlement de la Chambre. Cet article est ainsi conçu :

« Les propositions de lois adressées a la Chambre par le Roi et par le Sénat, après que la lecture en a été faite dans la Chambre, sont imprimées, distribuées et transmises, soit aux sections, soit aux commissions, pour y être discutées suivant la forme établie au chapitre V.

« La discussion ne pourra commencer dans les sections qu'au moins trois jours après la distribution, sauf les cas d'urgence, dont la Chambre décide. »

M. Orts. - Lisez l'article 63 auquel l'article 33 renvoie.

M. Jacobsµ. -L'article 66 porte : « Les rapports des commissions sont imprimés et distribués au moins trois jours avant la discussion en assemblée générale, si la Chambre n'en décide autrement. » (Interruption.)

Cela vous condamne formellement. Je défie un jurisconsulte comme l'honorable M. Orts de soutenir sérieusement le contraire.

Lorsqu'un projet de loi est proposé, il doit passer par trois phases ou périodes qu'il faut distinguer.

Une première période avant le renvoi aux sections. Elle consiste dans l'impression et la distribution du projet aux membres de la Chambre.

Suit l'examen en sections, seconde période ; il ne peut avoir lieu qu'après un délai de trois jours, à moins d'urgence.

Enfin, troisième période, lorsque le rapport de la commission est imprimé et distribué, il ne peut être discuté lui-même que trois jours après, à moins d'urgence.

Ainsi, dans deux des phases de l'examen d'un projet, l'urgence vous permet de diminuer les deux délais de trois jours.

Sans doute, moins de trois jours après la distribution du projet, il peut être discuté en sections, lorsque la Chambre décide qu'il y a urgence.

Sans doute moins de trois jours après l'impression et la distribution du rapport, la Chambre peut en aborder la discussion ; mais un premier point est nécessaire, dans tous les cas, sur lequel on ne peut passer, même en cas d'urgence, à moins d'accord unanime, c'est l'impression et la distribution du projet. L'article 33 prescrit que les projets de lois doivent être imprimés et distribués ; on ne peut pas déroger à cette disposition à moins du consentement de tous les membres de la Chambre.

- Un membre. - C'est le même budget. Il est imprimé.

M. Jacobsµ. - Il n'en est pas moins vrai que c'est un projet de loi nouveau signé par le Roi, à une autre date, et qui aurait été signé par un autre roi, s'il y avait eu un changement de règne dans l'intervalle.

C'est donc, un nouveau projet, et le règlement doit être exécuté. La Chambre peut disposer des deux délais de trois jours ; elle ne peut jamais, aux termes du règlement, dispenser d'imprimer et de distribuer le projet à ses membres.

Foulez aux pieds les usages, les précédents parlementaires, soit ! c'est votre affaire, vous en êtes juges ; quant au règlement, nous avons le droit d'en empêcher la violation ; il suffit de l'opposition d'un seul membre pour que le président ne puisse mettre aux voix une proposition qui lui est contraire ; je requiers l'application du règlement et la question préalable.

(page 490) M. de Brouckere. - Messieurs, le règlement contient en effet des prescriptions générales relativement aux délais qui doivent être observés, soit pour la présentation du rapport, soit pour la discussion en assemblée générale ; mais vous l'aurez remarqué, les deux articles qui prescrivent ces délais ont eu soin d'autoriser les Chambres à déroger à la règle générale et à ordonner la discussion immédiate, et je rappellerai à la Chambre que dans mainte occasion elle a usé de la faculté que cette disposition lui accorde.

Maintenant, il s'agit de savoir s'il y a lieu de déroger aujourd'hui aux règles générales indiquées par le règlement. Eh bien, messieurs, je ferai une seule observation, c'est que la présentation du budget de la justice et le vote que nous allons émettre ne sont que des formalités, indispensables après le vote du Sénat, mais de simples formalités. En effet, le budget qu'on nous présente est littéralement le budget que nous avons discuté et voté, il y a quelques semaines. Pourquoi donc aurions-nous besoin de prendre du temps et pour l'impression, et pour la discussion dans la commission, et pour la discussion en assemblée générale ?

L'impression ! Mais, messieurs, le budget est imprimé. Vous n'avez aucune impression à ordonner. Quand on livre des pièces à l'impression, c'est pour donner aux membres l'occasion d'examiner. Mais vous avez le budget ; il a été imprimé et examiné par vous-mêmes ; nous n'avons plus besoin d'ordonner l'impression, nous n'avons plus même besoin de discussion, car nous avons discuté. (Interruption.) Permettez, je conçois qu'on discute une proposition revenant à la Chambre après le rejet par le Sénat, quand le Sénat a discuté lui-même. Je conçois que les observations émises au Sénat peuvent être le texte de discussions à la Chambre ; mais quand le Sénat rejette un projet de loi sans ouvrir la bouche, sans dire s'il est bon ou s'il est mauvais, nous n'avons aucune lumière à retirer de pareilles discussions (Interruption), et, je le dis en vérité, messieurs, je ne comprendrais pas la résolution que la Chambre prendrait d'ordonner l'impression d'une pièce imprimée et de fixer des délais pour examiner le projet de budget que nous connaissons tous et que nous avons accepté il y a quelques semaines.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix ! La clôture ! la clôture !

M. de Theuxµ. - Messieurs., je veux d'abord justifier le Sénat d'un reproche qu'on vient de lui adresser. On a dit que le vote de cette assemblée était une surprise.

Mais, messieurs, dans la commission du Sénat, l'opposition a voté contre le budget ; il n'y a été adopté qu'à une voix de majorité.

Les membres qui se sont absentés, à moins qu'ils n'eussent des motifs supérieurs d'absence, devaient se trouver à leur poste s'ils voulaient donner leur appui au ministère. Il est clair que le vote émis dans la commission du budget devait être émis dans l'assemblée publique.

C'est d'autant plus simple qu'à la Chambre des représentants l'opposition a voté tout entière contre le budget de la justice.

Il en a été de même au Sénat. Je crois que nous avons usé de notre droit comme le Sénat a usé du sien.

Si la majorité que vous dites avoir, et je ne le conteste pas, voulait vous donner «on appui, elle devait être présente au jour de la discussion.

C'est donc à votre majorité que vous devez adresser votre reproche et non pas à l'opposition.

Messieurs, l'honorable .ministre des finances a rappelé le vote du Sénat en 1840.

J'ai, messieurs, à rappeler un fait bien autrement grave. C'est la discussion de la loi sur la charité en 1857.

Le pays n'a pas oublié les discours prononcés alors dans cette enceinte ; il n'a pas oublié de quelle manière les tribunes ont été portées à l'exaspération, de quelle manière, sous cette influence, on a empêché la Chambre de délibérer.

Eh bien, je dis, messieurs, que ces faits sont excessivement dangereux pour le système représentatif et qu'à l'étranger, où l'on avait une haute opinion de notre Constitution et de notre parlement, cette opinion finira par disparaître.

Messieurs, j'ai remarqué hier, avec étonnement, au début de la séance, qu'on se levait à gauche comme un seul homme, pour refuser l'impression de documents envoyés par les députations permanentes d'Anvers et de Namur. A la fin de la séance, nous avons constaté l'agitation de la Chambre.

£h bien, la pression que nous avons vue se produire hier se manifeste de nouveau aujourd'hui. Je dis, messieurs, que rien n'est plus dangereux pour une assemblée représentative.

N'oublions pas que, dans diverses circonstances, ces entraînements des assemblées, ces passions provoquées dans les tribunes, ont eu les conséquences les plus regrettables.

N'augmentons pas les craintes que ce système suscite ; n'oublions pas que, dans d'autres pays, on cherche à diminuer l'importance parlementaire.

Que le parlement ne s'amoindrisse pas lui-même !

- Voix nombreuses à gauche. - La clôture !

M. le président. - Avant de prononcer la clôture, je dois faire connaître à la Chambre qu'une proposition vient de me parvenir. La voici :

« Je propose l'impression et la distribution du budget déposé aujourd'hui, conformément au prescrit de l'article 33 du règlement. »

M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. le président. - Pour une motion d'ordre ?

M. Dumortier. - Oui, sur la proposition de M. Jacobs.

M. le président. - Il y a une demande de clôture, demandez-vous la parole contre la clôture ?

M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture ; cela m'est égal.

MPDµ. - Cela ne peut pas vous être égal.

M. Dumortier. - Voici ce que j'ai l'intention de dire contre la clôture : c'est que le projet de budget n'est pas déposé sur le bureau.

MfFOµ. - Le voici, monsieur. (Interruption.)

M. Dumortier. - Vous allez voir si j'ai raison, oui ou non.

Voici le projet qui a été déposé par M. le ministre, des finances qu'il vient de me communiquer et que j'avais cherché vainement au bureau. J'avais donc le droit de dire qu'il n'était pas déposé au bureau. (Interruption.)

Vous allez voir que je suis encore bien plus dans le vrai. Je lis le texte :

« Léopold II, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, Salut. »

En Angleterre, messieurs, les choses ne se passent pas ainsi, parce qu'il n'y a pas de loi qui ne soit soumise à trois lectures. Ici on veut nous faire voter sans entendre seulement une lecture du projet. Je continue la lecture :

« Sur la proposition de Notre ministre des finances et de l'avis de notre conseil des ministres,

« Nous avons arrêté et arrêtons :

« Le projet de loi dont la teneur suit sera présenté, en Notre nom, à la Chambre des représentants, par Notre ministre des finances :

« Article unique. Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1869, à la somme de quinze millions cinq cent vingt cinq mille cent quatre-vingt-dix-huit francs (15,525,198 fr.), conformément au tableau ci-annexé. »

Eh bien, messieurs, de tableau il n'y en a pas. (Interruption de M. le ministre des finances.)

Comment ! mais vous me donnez un tableau du budget imprimé par le Sénat. (Interruption.) Vous n'avez pas présenté le budget nouveau et vous voulez nous le faire voter ! (Interruption.)

La Constitution vous impose l'obligation de voter le budget article par article ; le budget doit être déposé, comme toujours. (Interruption.) Faites attention à ce précédent.

Si, par esprit de parti, vous votez comme on le propose, vous faites disparaître à tout jamais du parlement les vote des budgets ; il suffira qu'un ministre arrive avec un projet de loi fixant le budget à la somme totale, et vous aurez voté le budget.

Ainsi, on vous convie à l'un des précédents les plus dangereux, les plus inconstitutionnels qu'il soit possible d'imaginer. Eh bien, je maintiens qu'il est impossible d'examiner ce projet de loi alors que vous n'avez pas l'élément indispensable, c'est-à-dire le tableau détaillé du budget signé de la main du Roi, tableau qui, depuis 1830, a toujours et sans exception aucune été annexé à la loi même du budget. On vous convie donc, messieurs, à faire un acte éminemment inconstitutionnel ; on vous convie à escamoter notre droit de voter les budgets.

Eh bien, je demande si cela est possible, si cela est tolérable. Et cela pourquoi, messieurs ? Afin d'infliger une leçon au Sénat, une leçon dictée par la colère. Mais cette satisfaction, je vous le déclare, vous ne l'aurez pas aussi riche que vous l'espérez ; car, la motion de l'honorable M. Orts fût-elle adoptée, nous sommes ici plusieurs membres bien résolus, je vous en avertis, à tenir la discussion.

- Voix à gauche. - C'est votre droit.

M. Dumortier. - Je le répète, messieurs, le tableau annexé au projet de loi n'est point revêtu de la signature royale ; c'est un simple imprimé du Sénat ; n'ayant, par conséquent, aucun caractère sérieux. Vous (page 491) n'avez pas le budget et c'est le budget que vous nous conviez à voter. Cela n'est pas possible, messieurs, cela serait contraire à tous les précédents de la Chambre.

- Voix à gauche. - La clôture !

MfFOµ. - Je dois un mot de réponse à ce que vient de dire l'honorable M. Dumortier.

Je viens de mettre sous les yeux de l'honorable membre, qui ne s'y attendait guère, un arrêté royal en bonne et due forme, portant la mention que le budget de la justice pour l'exercice 1869 est fixé à la somme de 15,525,198 francs, conformément au tableau y annexé ; et il a trouvé immédiatement annexé à cet arrêté royal le tableau détaillé du budget.

M. Dumortier. - Un imprimé du Sénat !

MfFOµ. - Permettez. Est-ce que, par hasard, il y a une disposition constitutionnelle prescrivant que le budget doit être manuscrit ? Est-ce que le Roi ne peut pas autoriser l'annexion à un arrêté royal d'un budget imprimé ? Evidemment, messieurs, cela est parfaitement régulier. (Interruption.)

M. Delcourµ. - Mais le tableau doit être signé au moins, et il ne l'est pas.

MfFOµ. - Et l'arrêté royal !

M. Delcourµ. - L'arrêté royal, ce n'est pas le budget.

MfFOµ. - C'est vraiment inconcevable ! Mais tous les jours cela se fait, et jamais aucune objection de ce genre n'a été soulevée. Tous les jours, le Roi signe des arrêtés approuvant des actes qui y sont annexés.

Au surplus, la somme totale du budget, dont le détail, se trouve dans le tableau imprimé, est formellement indiquée dans l'arrêté royal. S'il n'y avait pas concordance entre les deux chiffres, je concevrais que vous pussiez dire : Il n'y a pas identité, et rien ne prouve que le tableau annexé à l'arrêté royal soit réellement le tableau qui est indiqué dans cet arrêté. Mais l'arrêté porte : « Le budget du ministère de la justice pour l'exercice 1869 est arrêté à la somme de 15,525,198 francs, conformément, au tableau ci-annexé. » Et le tableau annexé, tableau imprimé, porte exactement le même chiffre.

Messieurs, tout ceci se réduit à une question de bonne foi ; il n'y a pas là réellement matière à discussion.

La vérité est celle-ci : nous poursuivons un but : c'est celui d'appeler la Chambre à se prononcer sur le budget de la justice qui vient d'être rejeté par le Sénat, et que la Chambre a sanctionné il y a deux mois. C'est exactement le même budget sans modification d'un centime. Voilà le but que nous poursuivons, celui que vous combattez et je comprends parfaitement que vous le combattiez.

Maintenant, j'ajouterai que le renvoi à une commission est parfaitement licite ; il est conforme au règlement.

Laissez donc renvoyer le budget à cette commission : elle présentera son rapport, et, ce rapport fait, vous pourrez discuter tant que vous voudrez ; nous ne demandons pas mieux ; nous provoquons même vos explications. Vous vous êtes tus lors de la dernière discussion du budget de la justice ; vous aviez annoncé cependant bien longtemps à l'avance un grand et solennel débat ; vous aviez un programme complet à opposer à vos adversaires sur cinq ou six points parfaitement connus ; eh bien, vous avez déserté votre poste ; vous vous êtes retirés après le débat sur les affaires de Saint-Genois.

Aujourd'hui, nous vous convions de nouveau à parler ; nous vous demandons des explications formelles, afin que l'on sache enfin quels sont les motifs de cette opposition systématique et absolue au ministre de la justice, opposition qui, jusqu'à présent, s'est bornée à se cacher.

M. Dumortier (contre la clôture), - Messieurs, le régime de la violence ne sert à rien ; or, ce que nous sommes ent rain de faire aujourd'hui, c'est de la violence contre nos institution s

Messieurs, il est un fait incontestable, c'est que depuis 1830, la formule d'arrêté, annexée à chaque budget, a été littéralement semblable, sauf le chiffre, à celle dont j'ai donné lecture tout à l'heure et que M. le ministre des finances a déposée sur le bureau ; mais à la suite de l'arrêté doit venir toujours le budget lui-même signé de la main du Roi, conformément à la Constitution.

Eh bien, aujourd'hui le budget n'est pas signé de la main du Roi, c'est simplement l'imprimé du Sénat. Que résulte-t-il de là ? C'est que la violence, qui est mauvaise conseillère, va vous entraîner en dehors de toutes nos traditions parlementaires.

La Chambre doit être saisie par le Roi d'un projet de budget. Or, la Chambre n'est pas saisie par le Roi d'un projet de budget ; elle est simplement saisie de l'arrêté qui fixe le total du budget.

Il est donc impossible de procéder comme vous avez l'intention de le faire aujourd'hui ; par une espèce de subterfuge, vous supprimeriez une de nos principales prérogatives, celle de recevoir de la main du Roi lui-même les budgets sur lesquels nous avons à voter.

Je le répète, la proposition royale, le budget signé de la main du Roi et qui doit accompagner l'arrêté royal, n'existe pas, et quand ce budget n'existe pas, on vient vous demander de décréter l'urgence ; on voudrait faire voter le budget dans la séance de ce jour ! Nous ne savons pas si ce budget est le même que celui que nous avons voté il y a quelques semaines, nous ignorons tout ; on ne nous donne lecture de rien. C'est un procédé nouveau : et pourquoi agir ainsi ? Uniquement pour faire un acte d'hostilité complète envers l'autre Chambre, qui est aussi respectable que celle-ci, et qu'on aucune hypothèse nous ne pouvons blâmer lorsqu'elle exerce ses prérogatives constitutionnelles.

Eh, mon Dieu, vous faites tant de tapage, parce que le Sénat a rejeté le budget de la justice ; mais quand vous étiez minorité dans celle Chambre, ne votiez-vous pas contre tous les budgets ? Et pourquoi, je le répète, tout ce tapage ? Parce que le Sénat vous a imités.

Messieurs, permettez-moi devons le dire : vous allez donner aujourd'hui un détestable exemple ; vous allez inaugurer un régime de violence qui ne convient ni à notre nationalité, ni à notre indépendance, ni à la situation actuelle de l'Europe, ni à rien du tout. Vous allez sortir des prescriptions constitutionnelles pour faire un acte de colère qui ne peut servir en aucune manière à consolider nos institutions, qui ne peut, au contraire, que les amoindrir, les déconsidérer d'une manière bien regrettable et dans le pays et à l'étranger.

M. le président. - La clôture est demandée sur les deux propositions de MM. Orts et Jacobs. Je la mets aux voix.

- La clôture est prononcée.

M. le président. - Il y a, messieurs, deux propositions.

D'abord, celle de M. Orts qui est ainsi conçue :

« 1° Je propose à la Chambre de renvoyer l'examen du budget à la section centrale du budget de 1869, constituée en commission spéciale. »

« 2° De prier la commission de procéder à l'examen séance tenante. »

Vient ensuite la proposition de. M. Jacobs, qui est conçue en ces termes :

« Je propose l'impression et la distribution du budget déposé aujourd'hui conformément à l'article 33 du règlement.

Cette proposition a été développée il y a quelques instants par son auteur et appuyée par plus de cinq membres.

Je crois, messieurs, devoir mettre aux voix la proposition de M. Jacobs.

M. Coomans. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. - La parole est à M. Coomans.

M. Coomans. - Messieurs, depuis 1830, tous les présidents de cette assemblée ont déclaré itérativement que le règlement de la Chambre ne pouvait pas être mis aux voix ; que le règlement fait loi ; qu'il était la garantie de la minorité ; car si le règlement peut être mis aux voix, il ne peut plus y en avoir : supprimez-le, ce sera plus simple et plus loyal ; chaque jour la majorité fera ce qui lui plaira.

Or, il est clair que vous proposez de mettre aux voix un ou plusieurs articles du règlement. (Interruption.)

Je demande donc à M. le président d'être aussi impartial que tous les autres et de déclarer que la question préalable est posée, c'est-à-dire qu'il n'y a pas lieu de modifier le règlement de la Chambre.

M. le président. - Je ferai remarquer à l'honorable membre que si le président pensait que la proposition fût en dehors du règlement, il n'aurait pas le droit de la mettre aux voix. Mais la discussion qui a eu lieu tout à l'heure, et à laquelle j'ai prêté la plus grande attention, m'a porté à croire que l'esprit du règlement était que dans les cas d'urgence la Chambre pouvait ordonner la discussion immédiate...

MfFOµ. - Et par conséquent passer au-dessus des délais parlementaires,

M. le président. - Cela a toujours été pratiqué. II y a trente-trois ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte et j'ai toujours vu qu'en cas d'urgence on interprétait ainsi le règlement.

M. Coomans. - Quand on était d'accord,

M. le président. - Je vais donc mettre aux voix la proposition de M. Jacobs, à moins que la question préalable ne soit posée par un membre.

M. Jacobsµ. - Je demande la parole.

M. le président. - Est-ce pour un rappel au règlement ?

M. Jacobsµ. - Oui, M. le président.

M. le président. - La parole est à M. Jacobs pour un rappel au règlement.

(page 492° M. Jacobsµ. - M. le président ne jugeant pas à propos d'opposer la question préalable, je dépose une seconde proposition sur laquelle je prie la Chambre de se prononcer à cet égard.

Je propose la question préalable pour une double raison : En premier lieu, la proposition de M. Orts est contraire à l'article 33 du règlement de la Chambre ; en second lieu (et l'aveuglement dont on fait preuve trahit l'inconcevable précipitation avec laquelle on agit), en second lieu, la proposition de M. Orts est contraire à l'article 61, ainsi conçu :

« Indépendamment des commissions permanentes et de la commission des pétitions, il peut en être formé pour l'examen d'une ou de plusieurs propositions, soit par élection au scrutin et à la majorité absolue ou relative, soit par la voie du sort, soit à la demande de la Chambre, par le président. »

Vous le voyez, messieurs, il n'y a que trois modes de former des commissions en dehors des sections et des commissions permanentes ; ou bien le président les forme, on bien le sort en désigne les membres, ou bien c'est la Chambre qui les choisit. Mais quand c'est la Chambre, c'est au scrutin. Il n'appartient pas à la Chambre de décider hic et nunc et sans scrutin que la proposition est renvoyée à tels membres composant telle section centrale, il faut recourir à un scrutin, c'est-à-dire à un vote secret.

La proposition de M. Orts est donc deux fois contraire au règlement, contraire à l'article 61, contraire à l'article 33. C'est ce qui me détermine à poser la question préalable.

M. Orts. - J'ai proposé à la Chambre de faire ce qui a été fait cent fois ; c'est notamment ce qui se fait à chaque dissolution et à la rentrée de la Chambre ; on demande que les projets de lois soient renvoyés aux commissions qui avaient été chargées de les examiner, sauf à les compléter.

Mais enfin, puisqu'il y a des scrupules, je modifie ma proposition et je demande à la Chambre de décider qu'elle charge son président de. nommer une commission.

M. le président. - M. Jacobs, insistez-vous sur votre proposition.

M. Jacobsµ. - J'insiste, à cause de l'article 33 du règlement.

M. le président. - Dans ce cas, la question préalable doit d'abord être mise aux voix. Le règlement le veut ainsi.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- La question préalable est mise aux voix par appel nominal.

106 membres prennent part au vote.

45 votent pour la question préalable.

61 votent contre.

En conséquence, la question préalable n'est pas adoptée.

Ont répondu oui :

MM. de Muelenaere, de Naeyer, de Terbecq, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Tack, Thibaut, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Visart, Wouters, Beeckman, Coomans, Coremans, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke et de Montblanc.

Ont répondu non :

MM. de Rongé, Descamps, Dethuin, de Vrints, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Millier, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Beke, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor et Dolez.

M. le président. - Nous avons à mettre aux voix la proposition de M. Jacobs, ainsi conçue :

« Je propose l'impression et la distribution du budget déposé aujourd'hui, conformément à l'article 33 du règlement. »

Ceux qui adoptent cette proposition sont invités à se lever.

- Des membres. - L'appel nominal !

MpD. - On ne peut demander l'appel nominal quand l'épreuve par assis et levé est commencée.

- Des membres. - Elle n'est pas commencée.

M. le président. - Le bureau a le droit de reconnaître quand l'épreuve est commencée, et, après avoir consulté mes collègues, je déclare que l'épreuve était commencée. »

M. de Borchgraveµ. - M Liénart et mot, nous avions demandé l'appel nominal.

M. le président. - L'appel nominal doit tire demandé par cinq membres.

Je mets donc aux voix, par assis et levé, la proposition de M. Jacobs.

- Cette proposition n'est pas adoptée.

MPDµ. - Vient la proposition de M. Orts.

L'auteur de la proposition a-t-il maintenu son texte primitif, ou bien a-t-il demandé que la mission de nommer la commission soit confiée au président ?

M. Orts. - M. le président, j'ai fait ma dernière proposition parce que M. Jacobs trouvait un deuxième motif d'opposition dans le renvoi à la .section centrale ; mais M. Jacobs ayant retiré...

M. Jacobsµ. - J'ai retiré ma proposition parce que vous aviez retiré la vôtre.

M. Orts. - Alors je maintiens ma proposition de renvoyer le projet à une commission qui sera nommée par M. le président.

M. le président. - La proposition de M. Orts consiste à renvoyer le budget à une commission nommée par le président et à prier la commission de procéder à son examen séance tenante.

- Plusieurs membres. - La division !

- La première partie de la proposition de M. Orts est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la deuxième partie de la proposition de M. Orts.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé au vote, par appel nominal.

106 membres sont présents.

62 adoptent.

42 rejettent.

En conséquence la deuxième partie de la proposition est adoptée.

Ont voté l'adoption :

MM. de Rongé, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrints, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouet, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Beke, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor et Dolez.

Ont voté le rejet :

MM. de Muelenaere, de Naeyer, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Tack, Thibaut, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Visart, Wouters, Beeckman. Coomans, Coremans, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de. Liedekerke et de Montblanc.

M. le président. - J'ai maintenant à remplir la mission que la Chambre vient de me confier. Je composerai la commission de membres présents de la section centrale qui a examiné le budget de la justice, en remplaçant celui qui n'assiste pas à cette séance. Elle se composera donc de MM. Crombez, Lelièvre, Muller, Watteeu, Bouvier-Evenepoel, Wouters et Kervyn de Lettenhove.

Conformément à la décision de la Chambre, j'invite la commission à se retirer pour procéder à l'examen du budget.

M. Orts. - Messieurs, je crois que la Chambre est très peu préparée à discuter la question des bollandistes ; je demande donc qu'elle suspende ses travaux pendant vingt minutes.

M. Dumortier. - Comment ! vous ne donnez que vingt minutes à la commission pour examiner le budget !

- La proposition de M. Orts est adoptée.

La séance est suspendue à 4 heures et reprise à 4 heures 40 minutes.

Rapport de la commission

M. le président. - La parole est à M. le rapporteur de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi contenant le budget de la justice pour 1869.

M. Watteeuµ. - Le budget de la justice soumis à la Chambre ne présente aucune modification à celui dont l'adoption vous a été proposée le (page 493) 13 mai 1868, par six voix contre une abstention et que vous avez voté le 18 décembre dernier à la majorité de 19 voix.

Aucun des articles du budget n'a soulevé d'objection.

La commission, par 5 voix contre 2, vous propose de l'adopter.

Le rejet du premier projet de budget, voté hier au Sénat, par parité de voix, n'a été précédé d'aucune discussion, d'aucune proposition, nous pouvons ajouter d'aucune observation. Il est donc impossible de puiser dans le vote de cette assemblée un élément nouveau à une discussion nouvelle, et de ne pas le considérer comme accidentel.

Dans de telles conjonctures, la commission a l'honneur de vous proposer de persévérer dans votre résolution première et de donner ainsi aux membres du cabinet et particulièrement à l'honorable ministre de la justice un nouveau témoignage de confiance et de sympathie.

Les deux membres opposants ont déposé la not, suivante :

« La minorité de la commission,

« Considérant, d'une part, la déclaration de M. le ministre des finances que le gouvernement désire qu'on fasse connaître d'une manière complète les motifs d'opposition qui se sont élevés au sujet du budget de la justice ;

« Considérant, d'autre part, que la décision de la Chambre de passer immédiatement à la discussion du projet de loi ne permet pas d'aborder, à cet égard, un examen quelque peu sérieux ;

« Considérant de plus que dans son opinion les délais réglementaires pour cet examen n'ont pas été observés,

« Se borne à demander l'insertion de cette protestation. »

La majorité, de la commission exprime l'opinion que la Chambre n'a nullement enfreint son règlement, qui lui donne expressément le droit de procéder comme elle l'a fait.

M. le président. - Messieurs, la Chambre entend-elle procéder immédiatement à la discussion ?

M. Dumortier. - L'impression !

- La Chambre décide la discussion immédiate.

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. de Theuxµ. - Messieurs, l'opposition de la Chambre est prise à l'improviste. L'honorable ministre des finances nous a reproché d'avoir voté contre le budget sans avoir procédé a une discussion générale complète... (Interruption.)

... de n'avoir pas osé attaquer le cabinet.

M. Coomans. - D'avoir déserté notre poste.

M. de Theuxµ. - Deux considérations principales, messieurs, nous ont guidés.

La première, c'est que nous croyons inutile de reproduire les griefs que nous avons à charge du cabinet et particulièrement à charge de M. le ministre de la justice.

Ces griefs, messieurs, ont été longuement discutés dans cette enceinte à diverses époques.

Les sympathies de l'opposition ont-elles été acquises à M. le ministre de la justice ? Mais en aucune manière. Doux votes unanimes de l'opposition contre le budget de la justice ont eu lieu l'an dernier et dans cette session.

De plus la discussion qui s'est élevée au sujet de l'affaire de Saint-Genois a prouvé à l'évidence la mauvaise situation que l'on avait faite au pays.

Ce grief seul, messieurs, aurait pu suffire, pour quiconque n'est pas dévoué au cabinet systématiquement, à voter contre le budget.

Les événements postérieurs ont pleinement justifié cette opinion.

Pourquoi, messieurs, l'opposition s'est-elle bornée à voter contre le budget de la justice ? C'est que c'est dans ce département que se concentrent principalement nos griefs.

C'est de ce département qu'émane l'organisation judiciaire, garantie de notre Constitution et de nos institutions.

Eh bien, messieurs, je dis que la composition de l'ordre judiciaire, surtout après la loi sur la retraite dos magistrats, exerce sur le pays une influence délétère.

Notez bien que, malgré les présentions que les cours et les conseils provinciaux ont à faire pour certaines places, c'est le département de la justice qui a créé toute la magistrature.

En effet, c'est le département de la justice qui nomme les juges de paix sans contrôle et les juges de première instance sans contrôle, et c'est dans les rangs des magistrats inférieurs que l'on choisit fatalement et toujours pour l'avancement aux grades supérieurs. D'autre part, c'est du département de la justice qu'émanent les lois principales.

C'en est assez pour se convaincre qu'un ministre de la justice que nous ne croyons pas à la hauteur de sa position, que nous ne croyons pas doué de cette impartialité qui doit présider aux actes du chef de la magistrature, ne peut pas avoir notre confiance.

Messieurs, rien n'est plus opposé aux libertés publiques, rien n'est plus opposé au système représentatif qui est fait pour donner des garanties à tous, qu'un gouvernement de parti. Un gouvernement de parti, messieurs, peut mener fatalement un pays aux conséquences les plus désastreuses, il peut le mener a l'oppression, au dégoût de la liberté ; il peut aliéner au gouvernement les sympathies d'une grande partie de la nation.

Nous nous écartons, malheureusement, depuis plusieurs années de la pensée fondamentale du Congrès, et permettez à un membre qui a fait partie activement de cette assemblée, qui n'a manqué qu'à une seule séance de colle mémorable assemblée, de rappeler ici la maxime du Congrès, le conseil que le Congrès a donné au pays : L'union fait la force.

Qu'a voulu le Congrès en proclamant la liberté des opinions, la liberté de la presse, la liberté des associations, la liberté des cultes et de l’enseignement ? Il a voulu donner à chaque citoyen le moyen de faire valoir ses droits et de les défendre. Qu'a voulu le Congrès on déclarant tous les Belges égaux devant la loi ? C'est évidemment que l'esprit de justice préside à tous les actes du gouvernement ; en dehors de cela vous n'avez plus de garantie vraie, vous n'avez plus que défiance et mécontentement.

Mais, dira-t-on, les élections ont approuvé le système du gouvernement.

Dans mon opinion, cela ne prouve rien ; pourquoi ? Parce que la loi électorale ne donne pas à tous les citoyens la même facilité d'exercer leurs droits.

Tous les remaniements qui ont eu lieu, tous ceux qu'on prépare encore dans la loi électorale ont été dirigés contre nous. Eh bien, cette situation est mauvaise, je la déplore.

Un autre grief, plus fondamental, c'est celui que j'ai énoncé en 1846, lorsque je suis entré au ministère en présence d'une opposition violente, injuste, qu'on faisait à mon honorable ami, M. le baron d'Anethan.

J'ai dit alors que l'opposition libérale arriverait bientôt au gouvernement. Le parti conservateur était fatigué ; c'est la même situation qui a prévalu en France, qui a préparé la chute du gouvernement du roi Louis-Philippe.

J'ai prédit que le parti libéral arriverait au pouvoir avec des intentions hostiles au clergé, an culte de l'immense majorité du pays.

J'ai prédit aussi que cette situation ne pourrait durer longtemps, sous un système électoral, représentatif.

Sous les anciens régimes, le gouvernement pouvait recourir sans difficulté aux moyens les plus oppressifs qui, j'espère, ne sont jamais entrés dans les vœux du cabinet, l'exil et la déportation, la mort, la confiscation : à l'aide de ces moyens et par l'appui du gouvernement, on a pu, dans certains pays, opprimer le culte catholique et lui substituer l'islamisme, le schisme, les hérésies.

Mais à l'époque présente aucun gouvernement ne saurait introduire un culte nouveau.

Aussi je rappelais alors que la marche du gouvernement des Pays-Bas avait amené une situation telle, qu'il fut obligé de conclure, en 1827, un concordat avec le saint-siège. C'est cette situation qui s'est produite en Prusse, après l'emprisonnement de l'archevêque de Cologne et de Posen, également suivi d'un concordat. De même, en France, à la suite des événements de 1789 et de 1795, on a fini par le concordat de 1801.

Si je rappelle ces faits, c'est par pur patriotisme et non en vue d'un intérêt politique.

Je dis, messieurs, que, dans un gouvernement électif, représentatif, quelque succès qu'une administration puisse avoir pendant un temps donné, elle finit par s'user. Il doit venir un moment où un gouvernement est obligé de transiger avec l'opposition, de faire droit à ses griefs. A cette seule condition, un pays peut être certain du maintien de ses institutions et de sa prospérité future ; je parle surtout de la conservation de son indépendance.

MfFOµ. - Messieurs, je serai très bref : je me bornerai à dire quelques mots à propos des réserves que vient de faire l'honorable M. de Theux.

Il n'est pas disposé, dit-il, à entrer dans une discussion complète et approfondie des griefs de la droite ; et, s'occupant moins du département de la justice que de la situation politique en général, c'est contre celle-ci qu'il a dirigé surtout ses attaques.

Messieurs, l'honorable M. de Theux critique le gouvernement dans la personne de M. le ministre de la justice, en un seul point seulement. On aurait, selon lui, fait preuve de partialité dans les nominations qui ont. eu lieu depuis quelque temps dans l'ordre judiciaire.

M. de Theuxµ. - C'est un des points.

MfFOµ. - C'est celui que vous avez signalé, le seul sur lequel vous avez appuyé.

(page 494) M. de Theuxµ. - J’en ai signalé d'autres encore.

MfFOµ. - Oui, vous avez présenté des considérations générales ; mais dans ces considérations, je ne constate qu'un fait concernant le département de la justice.

Je n'ai entendu que le seul grief dont je viens de parler.

Eh bien, nous tenons que tous les actes de M. le ministre de la justice, du gouvernement plutôt, car nous sommes parfaitement solidaires, et j'accepte en tous points, ainsi que mes autres collègues, la responsabilité des actes du ministre de la justice ; nous tenons, dis-je, que tous ses actes ont été empreints de la plus complète impartialité. Je dis que, plus qu'à aucune autre époque, plus surtout que sous les ministères qui appartenaient à la droite, l'impartialité a présidé aux nominations des magistrats à tous les degrés. J'oserais aller jusqu'à invoquer le témoignage d'un assez grand nombre de membres de l'opposition, pour affirmer que le ministre de la justice n'a manqué ni de bienveillance, ni d'équité. Je ne veux pas, au surplus, porter la discussion sur ce terrain ; l'indication que je donne, à cet égard, doit suffire. (Interruption.)

La politique du gouvernement en général n'a pas cessé d'avoir ce même caractère de modération et d'impartialité. Et c'est parce que nous avons montré cette modération et cette impartialité que depuis si longtemps nous sommes au pouvoir. C'est parce que nous avons montré cette modération et cette impartialité que le pays, successivement consulté, a maintenu la majorité libérale.

Depuis vingt-deux ans, l'opinion libérale est constituée en majorité ; et, chose, sans exemple, elle continue encore à gouverner avec certains agents politiques choisis et nommés par ses adversaires.

- Des membres. - C'est vrai.

MfFOµ. - Cela est inouï, et cela ne s'est vu peut-être dans aucun autre pays constitutionnel. Voilà notre violence !

Si j'avais à revenir sur le passé et à montrer nos adversaires à l'œuvre, en fait de nominations politiques à tous les degrés et pour toutes les fonctions, je pourrais assurément signaler un grand nombre d'actes violents qu'ils ont posés.

Nous n'avons pas voulu suivre l'exemple qu'ils nous avaient donné sous ce rapport. A un autre point de vue encore, nous nous sommes également abstenus de les imiter : nous avons eu plusieurs fois à consulter le pays, el, chaque, fois que nous l'avons fait, nous avons laissé agir librement le corps électoral.

A la différence de ce qui se pratiquait sous les administrations précédentes, où tous les fonctionnaires publics, et spécialement ceux du département des finances, étaient mis en réquisition pour aller défendre les candidats politiques du gouvernement ; à cette différence, nous avons déclaré formellement, par des circulaires officielles, que les fonctionnaires publics étaient parfaitement libres dans leur vote, et qu'ils pouvaient agir en ces circonstances sous la seule inspiration de leur conscience ; qu'à la vérité, nous n'étions pas disposés à souffrir des actes d'hostilité de leur part ; mais que leur opinion personnelle pouvait librement se manifester au scrutin, et que le gouvernement ne réclamait d'eux aucun acte de propagande en faveur des candidats qui l'appuyaient.

C'est encore là un des motifs pour lesquels nous avons été approuvés par le pays.

Mais, dit l'honorable M. de Theux, si vous pouvez invoquer le résultat successif des élections, c'est que nous avons un système électoral qui ne permet pas aux électeurs de venir exercer convenablement, facilement leurs droits.

Mais, messieurs, c'est en grande partie à l'honorable M. de Theux lui-même que nous devons notre système électoral ; il y a contribué en 1831, et il a donné l'exposé des raisons pour lesquelles il devait y avoir ces circonscriptions que nous avons encore aujourd'hui ; il fallait que les électeurs vinssent aux chefs-lieux, parce qu'il était utile qu'ils s'entendissent, qu'ils se concertassent, qu'ils fussent animés d'un esprit politique plus général que celui qu'ils auraient eu s'ils étaient restés dans leurs centres respectifs.

A l'époque où ce système a été établi, les moyens de communication étaient extrêmement difficiles, lents et coûteux. Mais aujourd'hui, à des exceptions très rares, les moyens de communication sont tels, que rien n'est plus facile pour les électeurs que de remplir leurs devoirs.

Aussi, que constatent les statistiques ? C'est que les électeurs sont présents ; c'est qu'ils viennent voter ; ils exercent leurs droits ; les électeurs qui sont le plus éloignés du chef-lieu y arrivant dans la même proportion que ceux du chef-lieu même.

Ainsi, la raison que donne l'honorable M. de Theux pour atténuer le résultat des élections, n'est pas admissible ; les électeurs étaient présents, ils ont voté.

L'honorable M. de Theux a dit en commençant un mot que je relèverai en terminant ; il a dit que l'opposition se manifestait contre l'honorable M. Bara, parce que c'était un ministre qui n'était pas à la hauteur dû sa mission.

Messieurs, je crois que la Chambre et le pays rendront témoignage à l'honorable M. Bara ; je crois qu'il est peu de pays dans lesquels un homme arrivé, à son âge, à la tête d'un département ministériel aussi important que celui de la justice, ait aussi hautement justifié, sous tous les rapports, la confiance du Roi et du pays. (Interruption.)

Il a fait preuve, dans toutes les circonstances, d'une capacité hors ligne, d'un talent peu commun ; il a montré un caractère à la fois ferme, et bienveillant ; et, plus encore, il a mis au service du pays un dévouement et un désintéressement dont le pays lui sera reconnaissant.

M. Nothomb. - Je constate que l'honorable ministre des finances n'a pas répondu aux observations si sages et si élevées de M. le comte de Theux.

Il s'est borné à des affirmations et à la glorification de son système et de ses actes. C'est plus facile.

Je n'ai pas à m'élever contre l'éloge pompeux qu'il a fait de M. Bara ; c'est le petit côté du débat ; ce débat est ailleurs ; il est plus haut qu'une personne, quelle qu'elle soit.

M. le ministre, des finances reproche à mon honorable ami de ne pas accepter la discussion longue et approfondie du budget.

Toul à l'heure l'honorable ministre nous en portait le défi.

En bien, non, messieurs, nous n'acceptons pas cette discussion détaillée, et pourquoi ?

Parce qu'elle serait vaine et illusoire, parce que vous nous avez habitués depuis des années à ne tenir compte d'aucune de nos observations, à les dédaigner toutes et à rejeter impitoyablement, systématiquement, toutes les propositions que nous présentons dans cette assemblée.

A quoi bon, dès lors, continuer à présenter des remontrances lorsqu'il y a un parti pris et lorsqu'il y a un système d'ostracisme parlementaire contre lequel nos paroles et nos votes sont impuissants ?

L'honorable ministre vient de se vanter que la majorité occupe le pouvoir depuis douze ans et que toujours les électeurs l'y ont maintenu.

Nous le savons, messieurs, mais à l'aide de quels moyens ? Vous n'avez eu garde de nommer le principal, celui que j'appelle un mode de violence légale, ce sont les dissolutions successives des Chambres que vous avez employées et que seuls vous avez employées.

Votre, système, il faut le dire, c'est le gouvernement par les dissolutions parlementaires.

Chaque fois, à chaque occasion, quand une minorité vous gênait, quand un vote vous embarrassait, quand l'opinion publique se prononçait contre vous, à quel moyen avez-vous eu recours ? A la dissolution. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Qu'on prononce la dissolution du Sénat.

M. de Borchgraveµ. - Vous en avez peur !

M. Nothomb. - Eh bien, c'est une voie mauvaise, violente, et je dis qu'en l'employant avec cet excès, vous êtes en dehors du véritable régime parlementaire.

Osez une fois laisser faire les élections par un ministre qui ne soit pas l'expression d'un parti exclusif et vous verrez l'opinion se prononcer, vous verrez votre majorité s'amoindrir et le pouvoir vous échapper.

Chaque fois que les élections ont pu être faites par un ministère modéré, elles ont rendu la majorité à l'opinion que nous représentons.

Eh bien, donnez-nous ce moyen ; ce sera de la loyauté politique. Nous verrons un éclatant démenti donné à vos superbes affirmations.

Ensuite il y a cette autre raison tirée de notre détestable système électoral.

Sous ce régime, la vérité électorale, la pensée vraie du pays, ne peuvent pas se dégager ; tout est contre nous, tout est pour vous, et vous venez vous exalter, et vous venez parler de vos succès !

Accordez-nous deux choses ; donnez-nous la sincérité dans le régime électoral ; cessez d'employer le système des dissolutions comme moyen de gouvernement, et votre gloire se changera bientôt en défaite.

Maintenant, messieurs, au fond, qu'est-ce que cette discussion ? Je le dis avec un profond regret, c'est une victoire que vous venez de remporter sur nos institutions fondamentales, sur la Constitution et sur la dignité des Chambres. Triste victoire ! Le vote que vous avez émis tantôt est un acte de blâme contre la minorité du Sénat, qui a agi dans la plénitude de son droit, qui a fait ce qu'elle devait faire. Et à ce propos, M. le ministre des finances s'est livré à des récriminations rétrospectives concernant les actes du Sénat. Il a parlé de 1840, il a parlé de 1851. Eh bien, qu'a fait le Sénat à ces époques ? Nous y avions la majorité ; il en a usé, il (page 495) a émis un vote de défiance, comme vous remettriez dans des circonstances pareilles ; et de cela vous lui faites un crime ! Mais il a pratiqué le véritable régime parlementaire ; il s'est élevé contre la politique à outrance que vous pratiquez, et vous n'avez pas le droit de lui faire un reproche, car ce reproche frappe la Constitution même.

On accuse le Sénat d'avoir gardé le silence et j'entends le mot : Etranglés par des muets ! Mais le Sénat n'avait pas besoin d'ouvrir une discussion. Nos griefs sont connus ; ils sont de notoriété publique. Souvent ils avaient été discutés au Sénat comme ici. Aucune discussion n'était donc plus nécessaire et d'ailleurs à quoi bon ?

Vos récriminations ne signifient donc rien ou signifient trop : elles entament les droits des Chambres dans le vif.

Quoi qu'il en soit, retenez ceci : vous venez de remporter une regrettable victoire ; elle est le couronnement de ce grand échec que vous avez infligé à la Constitution, il y a douze ans, et dont elle ne se relèvera pas. Je vous laisse avec le bénéfice de ce triomphe fondé sur l'humiliation de nos institutions.

MfFOµ. - J'en demande pardon à la Chambre, mais il m'est impossible de ne pas dire encore quelques mots.

L'honorable M. Nothomb nous demande de bien vouloir lui abandonner le pouvoir. Il se charge de dissoudre le Parlement ; et il est bien convaincu que si, non lui-même, mais du moins des hommes qu'il nomme modérés étaient appelés au ministère pour faire les élections, son parti sortirait victorieux de la lutte.

Messieurs, l'honorable M. Nothomb me paraît avoir la mémoire un peu courte. A-t-il donc oublié déjà qu'il y a seulement quelques années, en 1864, à une époque où, par des causes que je n'ai pas besoin de rappeler, la majorité était réduite de telle sorte qu'il y avait presque parité entre les deux côtés de la Chambre, nous avons offert le pouvoir à la droite. (Interruption.)

Comment ! Mais nous avons dû rester démissionnaires pendant quatre ou cinq mois, attendant toujours que vous voulussiez bien prendre le pouvoir que nous vous abandonnions ; nous vous avons sommés de prendre le pouvoir. (Interruption.) Mais vous ne l'avez pas osé. ! Vous avez reculé ! (Interruption.)

Vous aviez pourtant, à cette époque, le. moyen d'opérer la dissolution et de faire un appel au pays. Mais vous étiez tellement convaincus que si le pays était consulté, il vous condamnerait, que vous n'avez pas osé prendre le pouvoir et, poussés à bout, vous n'avez voulu y paraître, que sous un déguisement. (Interruption.)

Deuxième point : Nous venons, selon l'honorable M. Nothomb, de faire un acte de violence ; c'est quelque chose comme une violation de la Constitution. Je croyais que le privilège de dénoncer ces violations appartenait à l'honorable M. Dumortier. Mais voila qu'il a un auxiliaire.

M. Dumortier. - Ce privilège appartient à vous, mais non à moi.

MfFOµ. - Vous aviez le privilège de dénoncer les violations de la Constitution.

M. Dumortier. - Pour les blâmer.

MfFOµ. - On ne vous laisse plus ce privilège.

Eh bien, je ne comprends pas l'honorable M. Nothomb. Hier, un fait que nous ne qualifions pas, mais un fait très extraordinaire, s'est passé au Sénat. C'est, en définitive, la minorité qui, par un accident que je n'apprécie pas, se trouve avoir fait la loi. Nous voulons rétablir les choses dans leur état normal. Il faut que cette situation impossible cesse. Comment peut-elle cesser ? Uniquement par le vote du budget et le renvoi de ce budget au Sénat.

Rien de plus simple, de plus régulier, de plus constitutionnel. Quelle violence, quelle inconstitutionnalité peut-on commettre en agissant ainsi, et comment serait-il possible d'agir autrement ?

Que voulez-vous, en effet, que nous fassions ? Voulez-vous que nous prononcions la dissolution du Sénat, pour un accident ? Mais supposons qu'un jour, par une circonstance quelconque, la majorité dans cette Chambre ne se trouve pas à son poste et que la minorité, devenue ainsi pour un instant majorité, émette un vote hostile au ministère ; faudra-t-il pour cela dissoudre la Chambre, où nous avons une majorité de vingt-quatre voix ?

Nous faisons donc la chose la plus rationnelle du monde, en proposant à la Chambre de consacrer le vote qu'elle a émis une première fois sur le budget de la justice, et de donner cette nouvelle preuve de confiance à l'honorable M. Bara.

Nous irons ensuite au Sénat, et nous demanderons des explications sur le vote qui a donné lieu à toute cette affaire. L'opposition au Sénat parlera, sans doute, cette fois, et après nous avoir entendus, le pays jugera.

M. Dumortier. - Nous sommes, messieurs, tout le monde le reconnaît, dans une situation anormale, mais nous différons sur les causes de cette situation. L'honorable ministre des finances, qui vient de se rasseoir, soutient que la situation anormale a pour cause le vote que le Sénat a émis hier, et moi je trouve que la situation anormale a pour cause le rôle qu'on nous fait jouer aujourd'hui. Le Sénat, lorsqu'il accorde sa confiance à un ministère ou lorsqu'il la refuse, exerce sa prérogative.

Et ne venez pas dire que telle partie du Sénat n'était point présente et que c'est la minorité qui a rejeté le budget ; je vous demande ce que vous avez fait quand MM. De Decker, Vilain XIIII et Nothomb étaient au ministère et que le parti conservateur avait ici vingt voix de majorité ? Vous avez, dans un moment où la droite était en minorité, et par surprise, proposé au vote de l'adresse un amendement que votre excellent collègue M. Vandenpeereboom a appuyée, je crois même qu'il en était l'auteur, et qui avait pour but de renverser le cabinet. A cette époque, vous ne vous êtes point blâmés vous-mêmes, vous vous êtes félicités, et aujourd'hui vous blâmez le Sénat de vous avoir imités.

Quant à moi, pour éviter la chute du cabinet, j'ai fait ce que l'on fait en Angleterre, j'ai parlé pour le temps pendant deux heures, et par ce moyen je vous ai empêchés de renverser le cabinet. Eh bien, vous n'aviez qu'à trouver au Sénat quelqu'un qui parlât pour le temps, afin de laisser, comme vous le dites, arriver vos amis. Quand un homme a du cœur et du dévouement, il parle pour le temps et sauve ainsi une situation.

Pourquoi donc n'avez-vous pas trouvé parmi vos vingt-cinq sénateurs quelqu'un qui parlât pour le temps jusqu'à ce qu'il arrivât un ou deux sénateurs de votre opinion, qui, d'après vous, ne sont pas arrivés à temps ?

Si l'un de vous avait parlé seulement pendant une demi-heure, il en serait peut-être arrivé un ou deux et vous étiez sauvés.

C'est donc de votre faute que vous avez été battus et non de la faute du parti conservateur. Celui-ci a fait son devoir ; devait-il, par hasard, voter pour vous ?

C'est parce, que. vous avez manque de tactique politique, que vous n'avez pas compris qu'il fallait gagner du temps pour laisser arriver vos amis, si ce que vous dites est exact, que vous avez été battus.

Mais il est bien possible que ceux dont vous parlez ne voulaient pas arriver.

M. Orts. - Nous verrons.

M. Dumortier. - Nous savons bien que vous saurez dire comme toujours : Brigadier, vous avez raison.

Maintenant on blâme le Sénat et l'on veut, pour sortir de cette situation qu'on qualifie d'anormale, faire faire aujourd'hui à la Chambre des représentants la chose la plus anormale qui se. soit passée depuis 1830, une chose qui n'a jamais eu lieu dans aucun gouvernement constitutionnel, c'est-à-dire que l'honorable M. Bara est tombé et que nous devons le repêcher aujourd'hui.

Eh bien, messieurs, est-ce là le gouvernement représentatif ?

La dignité du pouvoir, messieurs, la dignité du gouvernement représentatif, c'est d'accepter les faits accomplis.

Quand un ministre n'a point un vote de confiance sur son budget, le gouvernement a deux choses à faire : ou bien ce ministre se retire, si ce vote est personnel, sinon le cabinet se retire tout entier. (Interruption.)

Je crois que c'est bien là la théorie constitutionnelle, et comme vous êtes fortement doctrinaire, vous devez reconnaître que la doctrine que je vous indique est la véritable.

Ou bien encore vous faites appel aux électeurs ; vous faites la dissolution du corps qui vous a refusé sa confiance par son vote.

Dans un système pareil, la dignité de tous est sauvegardée. Croyez-vous, messieurs, que quand vous aurez donné à l'honorable M. Bara ce que l'honorable rapporteur appelle un témoignage de confiance et de sympathie, vous aurez fait une chose conforme à la dignité parlementaire ?

- Plusieurs membres à gauche. - Oui.

M. Dumortier. - Je dis non. Vous aurez pris une échappatoire, un petit moyen, vous aurez agi avec violence en venant présenter et en faisant voter ab irato un budget.

Voilà ce que vous aurez fait, or, c'est là un acte qui n'a jamais eu lieu dans aucun gouvernement constitutionnel. Il ne faut pas, messieurs, comme on l'a déjà dit, avoir la rage du pouvoir. Quand le gouvernement représentatif n'est pas exécuté avec la dignité qu'il exige, il devient une chose illusoire, je dirai même dérisoire. Vous en êtes aujourd'hui à la politique d'expédients. Permettez-moi de vous le dire avec toute la franchise (page 496) qui me caractérise, c'est parce que vous ne supportez pas l'opposition que vous faites de la politique d'expédients.

Vous voulez gouverner quand même et vous vous mettez en révolte et en révolution contre nos institutions quand elles viennent vous frapper. Pour vous, les institutions ne sont bonnes que quand elles vous servent, vous et vos passions.

Eh bien, messieurs, c'est là un vice énorme. (Interruption.) Non, vous ne savez pas vous résigner à devenir minorité, comme nous le sommes depuis longtemps. Nous avons accepté notre mandat comme jamais vous ne saurez accepter le vôtre. Vous ne savez pas vous résigner à supporter la plus petite opposition de quelque côté qu'elle vienne ; voilà ce qui fait votre faiblesse. Vous restez au pouvoir pour vous incarner dans le pouvoir. Quel est votre système ? C’est, comme l'a dit M. Nothomb, le système de la politique à outrance. Toutes les lois que vous présentez sont faites ou bien pour persécuter les idées religieuses, ou bien pour vous assurer la majorité ou faire en sorte qu'elle ne vous échappe pas.

Vos lois sont toutes agressives, violentes, toutes ont pour but de vous perpétuer au pouvoir, d'empêcher le jeu des institutions qui forme la base du gouvernement constitutionnel.

Vous n'avez, ai-je dit, présenté que des lois de violence. Rappelez-vous le discours-programme si remarquable que prononçait notre digne président M. Dolez, un mois avant la mort du Roi lorsqu'il vous donnait à tous le conseil de mettre de côté toutes ces luttes irritantes et de ne pas maintenir ce système qui divise la Belgique en deux camps, qui crée la guerre civile moins le couteau, et qui, en divisant la Belgique, la flétrit aux yeux de l'étranger.

Ce conseil, vous l'avez écouté et vous y avez applaudi, mais vous l'avez mis de côté. Jamais les luttes violentes, relatives aux sentiments les plus intimes ou au droit de la minorité, n'ont été plus fréquentes.

Voilà pourquoi le Sénat s'est plaint, et le motif de son vote est tout simple, c'est que M. Bara, dont je ne conteste pas les qualités, est dans le cabinet l'expression la plus vive de la politique à outrance, de la politique de violence.

Mon Dieu, voyez ce qui s'est passé dans la discussion relative aux faits de Saint-Genois. (Interruption.) Mais, messieurs, nous avons la peau aussi sensible que vous. Eh bien, croyez-vous que toutes ces choses nous soient indifférentes, quand un ministre se transforme en insulteur public contre tout ce qui est sacré ? Croyez-vous que ces attaques incessantes et passionnées contre ce que nous respectons le plus nous attachent à nos institutions, à notre pays ? Non, messieurs, ces choses-là sont mauvaises, elles nous irritent, et l'irritation s'accumulant, on arrive au vote d'hier. Rien de plus légitime, c'est l'histoire de l'humanité.

M. de Theux a parlé des nominations dans l'ordre judiciaire et de l'exclusivisme contre nous ; M. le ministre des finances, lui répondant, a dit que jamais les nominations n'avaient été faites dans un esprit plus impartial et plus modéré qu'aujourd'hui.

Je le regrette pour M. le ministre des finances, mais il est impossible de dire une plus audacieuse contre-vérité. (Interruption.) Jamais, à aucune époque, on n'a vu l'ordre judiciaire dans la situation où il se trouve aujourd'hui par les détestables nominations qui s'accumulent chaque jour. (Nouvelle interruption.) Vous êtes venus ici avec une loi inconstitutionnelle, qui a été proclamée telle non seulement par nous, mais par M. Dolez et par M. Orts, loi qui a décimé la magistrature. Partout, à de rarissimes exceptions près, vous faites des nominations par esprit de parti : la vertu, le mérite, la probité, l'honneur ne sont plus rien, et les fonctions judiciaires sont devenues l'appoint des services électoraux et des plus mauvaises passions. Et si je citais seulement le dernier fait, vous devriez partager tous le sentiment d'indignation que m'a inspiré cet acte qui m'a révolté au plus haut degré.

Qu'avez-vous dit de la nomination récente du sieur Martens, dont le nom avait retenti si tristement dans cette enceinte, de sa nomination comme président du tribunal de Termonde ? Qu'avez-vous dit de l'élévation à ce poste d’un homme qui a eu l’audace de violer scandaleusement la Constitution et les lois dans l’affaire de Saint-Genois, d’un homme qui a eu l’audace de violer tous les droits, toutes les libertés, liberté de la presse, liberté des citoyen, liberté individuelle ; d’un homme qui a vu la chambre du conseil renvoyer des gens qu’il voulait traduire devant la cour d’assises, d’un homme qui a soumis ces dignes MM. Delplanque à une détention préventive dans une maison cellulaire pendant 101 jours et dont nous avons flétri l’indigne conduite ?

Voilà l'homme que vous êtes allé chercher pour le nommer président du tribunal de Termonde. Eh bien, je dis, moi, que c'est une injure à la morale politique, un défi au parlement. (Interruption.) Oh ! je le sais parfaitement, il a été présenté par la cour ; mais quand la cour a fait cette présentation, elle ne connaissait pas les faits que je viens de rappeler ; c'était avant la discussion qui a en lieu ici sur les affaires de Saint-Genois, c'était avant l’élargissement des frères Delplanque.

Oui, la Cour l'a présenté ; mais vous savez très bien ne pas avoir égard aux inquisitions de la cour quand elles contrarient vos opinions. Mais ce magistrat vous avait servi dans l'affaire de Saint-Genois, et c'est pour cela que vous l'avez récompensé. Il était allé à Bruges, en dehors de son ressort, faire des visites domiciliaires chez un éditeur de journal ; il s'était rendu coupable du crime de violation de la Constitution ; voilà l'homme que vous avez nommé président du tribunal de Termonde ; et vous appelez cela de l'impartialité !

Je dis, moi, que c'est le régime de la violence poussé jusqu'aux dernières limites.

Voilà un fait, et je pourrais en citer par centaines ; chacun de vous les connaît et a pu les apprécier.

Savez-vous, messieurs, ce qui résulte de ces faits ? C'est que la déconsidération descend chaque jour de plus en plus sur les membres de l'ordre judiciaire. C'est là une déplorable vérité. Et quelle en est la conséquence, messieurs ? C'est qu'un grand nombre de citoyens n'ont plus de confiance ni dans le prestige de la justice, ni dans la dignité et l'impartialité de la justice par suite des nominations faites par le ministère dans la magistrature.

Voilà, messieurs, le motif essentiel du vote du Sénat et de notre opposition, celui qui résume en grande partie nos griefs. C'est cette politique de violence à outrance qui nous sépare en deux camps ennemis ; c'est cette politique violente et sauvage qui divise le pays et qui, en inspirant aux citoyens le dégoût de nos institutions, doit fatalement le conduire un jour à une catastrophe, ce que nous cherchons à éviter à tout prix.

Maintenant, j'ai dit tout à l'heure que j'étais disposé avec plusieurs de mes amis à soulever une discussion approfondie du budget de la justice. Depuis lors j'ai conféré avec mes amis, dans l'intervalle de dix minutes accordées à la commission pour faire son rapport sur le budget, et nous sommes tombés d'accord, en présence de l'attitude prise par la majorité, que toute discussion sérieuse était actuellement impossible.

Nous sommes véritablement pris à la gorge, nous sommes pris à l'improviste, car personne ne devait s'attendre à une discussion immédiate du budget ; tout le monde, au contraire, était préparé seulement à la discussion du budget de l'intérieur. D'un autre côté, les votes que la majorité a émis aujourd'hui, la manière dont elle a accueilli les propositions de la minorité, tout cela prouve à l'évidence que nous discuterions en pure perte. La cause que nous défendons est trop belle et trop grande pour que nous la compromettions par une discussion stérile.

Nous ne voulons pas la compromettre. Aujourd'hui, vous êtes exaltés ; aujourd'hui, vous n'avez pas le calme nécessaire ; nous espérons que. quand le calme sera revenu, nous pourrons reprendre cette discussion ; et alors il se trouvera sans doute parmi vous un homme qui, avec notre digne et honorable président, se joindra à nous, pour demander la cessation d'un régime qui compromet à la fois nos institutions, notre liberté, notre nationalité et doit fatalement amener de terribles catastrophes s'il n'y est pas mis un terme.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable M. Dumortier vient de parler de dignité, et il a laissé entendre, faisant allusion à un discours que j'avais prononcé dans une autre circonstance, que c'était le désir de rester au pouvoir qui avait dicté la conduite du cabinet et qui motivait probablement mon maintien aux affaires.

A cette insinuation, ma dignité m'oblige de répondre. La conduite que la droite vient de tenir dans cette enceinte dissipera tous les doutes ; elle prouve qu'en restant à mon banc je ne fais qu'obéir à mon devoir.

On est venu dire, en atténuant la portée du vote de la minorité du Sénat, en le représentant comme un véritable enfantillage : « Si le budget de la justice a été rejeté, ce n'est pas le fait d'un parti pris ; il n'y a rien eu de prémédité. A un moment donné, les membres de la droite et de la gauche se sont trouvés en nombre égal ; voilà tout et cela n'a pas d'autre importance ; c'était à vos amis à se montrer plus exacts C'était à un membre de la gauche à bavarder pendant quelques heures. » Voilà, messieurs, comment on explique le vote de la minorité du Sénat et comment on conseille de pratiquer nos institutions.

Eh bien, le vote de la minorité du Sénat, et je le dis à mes honorables amis, est réfléchi et prémédité. Qui a-t-on voulu frapper en moi, à tort ou à raison, nous le discuterons ailleurs et plus tard ? Ce n'est pas celui qui a fait telle ou telle nomination ; car, messieurs, si des nominations ont été faites par esprit de parti, c'est des ministères issus de la droite qu'elles émanent ; des nominations de ce genre je puis en apporter ici des monceaux. La droite du Sénat, comme la droite de la Chambre, sait parfaitement (page 497) que sur ce terrain je pouvais l'écraser ; et c’est pourquoi M. Jacobs s'est tu, après avoir annoncé qu'il porterait le débat sur les nominations judiciaires et les nominations notariales ; c'est pourquoi l'honorable M. d'Anethan, l'un des chefs de la droite au Sénat, ne s'est pas levé parce que je n'avais qu'a ouvrir le dossier que j'avais ù mes côtés pour lui dire : Vous n'avez pas le droit de parler de mes nominations.

Je prouverais que si des abus ont été commis en matière de nominations, c'est sous les ministères de M. de Theux ; ces abus, ces excès, je les dévoilerai ; je ne laisserai pas à l'opposition le bénéfice de la position qu'elle prend. Je montrerai ce qu'elle a été lorsqu'elle avait le pouvoir, et ce sera sa punition. (Interruption.)

Oui, la discussion sera publique, elle sera solennelle, et le pays saura quel régime l'attendrait si, dans un jour de folie, il allait confier à nos adversaires les rênes du pouvoir.

Que me reproche-t-on ? Voila près de quatre ans que je jouis de. la confiance du Roi, de la confiance, de mes amis politiques ; et qu'ai-je donc fait de si violent ? J'ai obtenu du Sénat, par ma modération, le vote unanime de la disposition du code pénal relative aux ministres des cultes. Ce vote, je l'ai obtenu d'accord avec la droite ; ainsi j'ai résolu, à la satisfaction de tous, une question qui avait profondément divisé les partis dans cette Chambre.

Je suis parvenu à faire exécuter la loi de-1864 sur les bourses d'étude.

J'ai montré, dans toutes les circonstances, des intentions conciliatrices.

Je n'ai même pas réclamé de mes honorables amis politiques la mise à l'ordre du jour du temporel du culte.

Il y a peu de temps encore, j'annonçais a la Chambre que je m'étais préoccupé de la question des opérations césariennes, et que je ne déposerais pas ce projet de loi avant une mûre instruction. J'avais l'espoir que l'épiscopat retirerait ses instructions et que. l'intervention législative deviendrait inutile.

Et c'est après ces actes de modération qu'on vient me jeter à la face un vote de refus de budget, ml vote qui est la condamnation du programme libéral !

Je le dis, si mes amis politiques m'avaient abandonné, ils se seraient tournés contre leur drapeau.

Oh ! si je n'écoutais que mes convenances personnelles, il me serait bien plus deux de me livrer aux travaux lucratifs de la vie privée et de ne point dépenser mon temps au service de mon pays. Mais quand je vois la haine avec laquelle on me poursuit, je me demande si le moment de partir est venu, et si le vote par lequel on a cherché à m'atteindre ne serait pas une raison pour m'entêter à rester au pouvoir.

Si, messieurs, comme vous le. prétendez, le vote du Sénat n'était qu'un accident, qu'aviez-vous à faire ?

Après la proposition de mon honorable collègue, M. le ministre des finances, vous deviez dire : La majorité appartient à la gauche. Réparons ce que le Sénat a fait par accident.

Parce que dans une maison, dont on est le maître, quelqu'un s'introduit et prend ce qui s'y trouve, est-ce que, par hasard, il faut respecter cette situation ? La majorité du Sénat est maîtresse des décisions de ce corps, et doit-elle laisser subsister le pouvoir dont la minorité s'est emparé par un véritable hasard ?

Qui nous a condamnés au Sénat ? Assurément, ce ne sont pas nos amis politiques. Si le vote avait été retardé de. cinq minutes, un de nos amis arrivait et la situation était complètement changée.

Il n'y a eu contre nous que des voix appartenant à la droite... Si vous dites : Il y a là une méprise, un accident, un cas fortuit, joignez-vous à mes amis de la gauche pour demander que les choses soient remises dans leur état normal.

Le régime constitutionnel exige que le pouvoir soit entre les mains de la majorité ; le régime constitutionnel veut qu'on ne puisse pas profiter d'un accident, d'un hasard pour renverser le gouvernement. Et s'il fallait dissoudre le Sénat, il faudrait absolument que l'opinion libérale revînt au pouvoir, car que feriez-vous des 24 voix de majorité du parti libéral dans la Chambre ?

Le démission du ministère ne changerait en rien la situation : oseriez-vous proposer la dissolution de la Chambre ? Je ne le crois pas.

Vous deviez donc venir dire : Oui, c'est un accident ; mais vous avez caractérisé par votre position le vote du Sénat.

D'un simple accident vous avez fait un acte politique et vous avez légitimé le vote que mes amis émettront ; vous avez tenu ici le langage qu'on n'a pas osé tenir au Sénat : vous vous êtes mis en son lieu et place ; vous avez donné une signification à son vote et vous lui avez donné pour but le renversement du ministre de la justice.

Vous avez voulu profiter d'un accident pour culbuter un ministre, et cela au mépris des principes constitutionnels, au mépris des règles qu'on doit observer dans un régime parlementaire ; il faut de la loyauté et de la bonne foi dans la pratique du régime constitutionnel. Si nous avions été avertit des intentions du Sénat, nous aurions entamé une discussion et nous n'aurions procédé au vote que le lendemain, mais ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées. et maintenant on explique l'attitude de la minorité du Sénat parce que nous serions des persécuteurs de la religion !

Nous, nous sommes de notre siècle ; nous défendons le pouvoir civil contre les empiétements et les prétentions du clergé politique. Nous ne voulons pas que la théocratie prévale et que la crosse épiscopale dirige le pays.

Je le sais, il ne suffit pas, pour certain parti, que les religions soient libres, il faut que l'une d'elles ait des privilèges spéciaux. Eh bien, quant à moi, je ne cesserai de soutenir que les religions doivent être mises sur un même pied d'égalité et qu'elles n'ont rien à gagner à se mêler aux intérêts de la politique. Vous êtes les ennemis de la religion catholique, en l’associant à vos desseins politiques.

A chacun sa place : le prêtre à son église ; les hommes politiques aux affaires, et on ne doit pas s'inquiéter, dans la politique, des idées religieuses dominantes.

Je n'insiste pas davantage ; mes amis connaissent la signification du vote qui leur est demandé ; le vote du budget sera un vote exclusivement politique, un vote d'adhésion aux principes que nous avons constamment défendus.

M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

- Des membres. - A demain !

- D'autres membres. - Non ! non !

M. Dumortier. - Si la Chambre veut remettre à demain...

- Des membres. - Non ! non !

M. Bouvierµ. - Le Sénat n'a pas remis au lendemain.

M. Dumortier. - Vous venez de l'entendre, l'honorable membre n'a qu'une corde à sa lyre, c'est la crosse épiscopale et tout ce qui s'ensuit. C'est celle corde qu'il vient encore de faire vibrer. Nous allons être ici les instruments du clergé ; c'est le clergé qui va gouverner la Belgique, si l'honorable M. Bara n'est plus au ministère. Voilà la situation en un mot : ou vous ferez la guerre à toutes les idées religieuses, vous chercherez à les combattre en toutes circonstances ; sinon, ce sera la crosse qui gouvernera la Belgique !

C'est une vieille rengaine. ; le pays y est fait depuis longtemps ; il ne vous croit plus. Vous avez tant chanté sur cette gamme que chacun la comprend aujourd'hui et la sait par cœur. Quand vous commencez à parler sur ce ton, on salue une ancienne connaissance et on rit.

M. Orts. - Et l'on vote pour elle aux élections.

M. Dumortier. - Et vous vous imaginez que, comme le dit l'honorable M. Bara, le clergé doit rester dans son église et que vous avez le droit de le persécuter. (Interruption.) Vous croyez que vous avez le droit de confisquer les biens de l'Eglise en disant qu'ils appartiennent à l'Etat, et que le clergé ne se défendra pas contre l'honorable M. Orts, qui défend cette doctrine.

Mais le clergé serait bien dupe s'il vous laissait mettre à exécution toutes vos maximes et s'il ne se défendait pas en nous soutenant dans les élections.

Mais tout cela est étranger à la question.

Il y a ici une question de dignité pour le parlement. J'ai eu l'honneur de vous le dire, nous sortons complètement du régime parlementaire et nous allons devenir l'objet de la risée de l'Europe.

Il n'y a pas d'exemple dans toute l'Europe d'un fait pareil. Et tout cela pourquoi ? Parce que vous vous mettez en colère contre un acte régulier, contre un acte constitutionnel. Le vote du Sénat n'est pas un accident ; c'est un vote, et en présence d'un vote d'une assemblée délibérante, tout ministre doit savoir s'incliner.

Que diriez-vous si, demain, vous émettiez un vote de défiance contre un ministère, quel qu'il soit, et si le Sénat faisait ce que vous allez faire aujourd'hui, s'il venait rétroagir contre votre décision et la blâmer en donnant un vote de confiance au ministère ? Je dis que c'est là un jeu complètement en dehors de nos institutions ; je dis que cela n'a aucun caractère d'utilité et que c'est compromettre le gouvernement représentatif.

L'honorable ministre qui a été frappé par le vote du Sénat paraît croire (page 198) que ce vote s'appliquait au ministère tout entier. C'est une erreur ; ce vote était personnel. Cela est tellement vrai que le budget de l'honorable M. Frère a été voté à l'unanimité par le Sénat. C'était donc, je le répète, un vote exclusivement personnel.

Eh bien, le Sénat est dans son droit lorsqu'il témoigne qu'il n'a pas confiance dans un ministre ; et si le Sénat n'a pas confiance dans un ministre, c'est un acte de très mauvais aloi que de vouloir l'obliger à se dégager.

Messieurs, ce que nous faisons ici est essentiellement insolite ; c'est une chose qui, dans aucun pays ne s'est faite, qui n'a pas d'exemple. Encore une fois vous allez, dans cette circonstance, donner au pays et à l'Europe entière le plus déplorable exemple du gouvernement constitutionnel pourri et corrompu.

- Plusieurs membres. - A demain !

- D'autres membres. - Non ! non ! Continuons.

M. Dumortier. - Messieurs, nous n'avons pas le budget sous les yeux ; personne ne peut suivre.

- La proposition de remettre à demain est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

Discussion du tableau des crédits

Il est procédé au vote sur les articles du budget.

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 5

« Art. 1er. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 271,100. »

- Adopté.


« Art. 3. Matériel : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais de rédaction et de publication de recueils statistiques ; fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 7,500. »

- Adopté.

Chapitre II. Ordre judiciaire

Articles 6 à 11

« Art. 6. Cour de cassation. Personnel : fr. 267,400. »

- Adopté.


Art. 7. Cour de. cassation. Matériel : fr. 5,250. »

- Adopté.


« Art. 8. Cours d'appel. Personnel : fr. 759,100. »

- Adopté.


« Art. 9. Cours d'appel. Matériel : fr. 24,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Tribunaux de première instance et de commerce : fr. 1,560,900.

« Charge extraordinaire : fr. 1,900. »

- Adopté.


« Art. 11. Justices de paix et tribunaux de police : fr. 915,500.

« Charge extraordinaire : fr. 2,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Justice militaire

Article 12

« Art. 12. Cour militaire. Personnel : fr. 20,500.

« Charge extraordinaire : fr. 4,233. »

M. Coomans. - Messieurs, je constate qu'on vient de me remettre un exemplaire du budget, qu'aucun membre à mes cotés ne possédait et qu'on ne possédait pas davantage sur les bancs de la gauche. Mais nous eussions aimé de le lire et de profiter de l'occasion pour présenter les remarques qui pouvaient très légitimement se produire depuis que le budget a été voté par la Chambre. J'en ai beaucoup à présenter pour ma part, et en voici une ; je vous en ferai encore, si je ne vois fais pas trop souffrir, vos estomacs au moins : il est six heures et demie.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! Parlez ! parlez !

M. Coomans. - C'est à propos de la justice militaire, et j'espère que je rencontrerai l’adhésion d’un grand nombre de membres.

J'ai remarqué et beaucoup de personnes m'ont fait remarquer que la justice militaire acquitte généralement les militaires qui, à la promenade, se sont rendus coupables de sévices plus ou moins graves, avec leurs armes, contre des bourgeois ou même contre des camarades.

Ne vous le dissimulez, pas, messieurs, l'opinion publique, la vraie opinion publique, non pas seulement celle qui est représentée par la cinquantième partie de nos citoyens, mais la nation entière, s'est fortement émue de la fréquence des cas de violence qui se sont produits, surtout depuis quelque temps, presque dans toutes les parties du pays.

Il y a quelques semaines, j'ai demandé un prompt rapport sur une pétition qui nous est parvenue à ce sujet et dans laquelle on nous demandait de prendre ou de prier le gouvernement de prendre des mesures contre l'abus fréquent que font les militaires de leurs armes.

Cette demande de prompt rapport n'a pas été suivie d'effet. J'espère que l'occasion se représentera bientôt d'examiner la question, mais je profite de la circonstance pour la rappeler.

Je demande formellement au gouvernement s'il a l'intention de laisser se perpétuer le déplorable statu quo que beaucoup d'entre nous sont à même de constater personnellement.

En France, Etat militaire, bien plus militaire que la Belgique, ce dont je ne le félicite pas, on a pris des mesures insuffisantes prétend-on, mais importantes cependant, pour prévenir les actes abusifs que je vous signale.

En Belgique, où il me paraît beaucoup moins nécessaire de porter à sa plus haute puissance ce qu'on appelle l'esprit militaire, on est bien plus tolérant à l'égard des exploits irréguliers des militaires armés.

Une personne qui aime la statistique, que je crois très consciencieuse, m'a remis une note relative aux abus dont il s'agit.

Elle a relevé dans les journaux et consigné dans sa note, après vérification, les cas très nombreux d'attaques commises sur des bourgeois par des militaires. Elle affirme que, depuis 1860, il y a eu plus de 400 bourgeois plus ou moins écharpés dans des circonstances auxquelles je fais allusion. Cela me paraît excessif.

Il y a quelques années, quand nous avons formulé les mêmes plaintes, M. le ministre de la guerre nous a promis qu'elles ne se renouvelleraient pas. On a fait des circulaires, on a prescrit certaines mesures qu'on disait devoir être très efficaces.

Mais qu'est-il arrivé depuis ? C'est que les cas d'attaques se sont multipliés, d'où je puis tout au moins conclure que les mesures n'étaient pas bonnes ou qu'elles étaient insuffisantes.

Je désire donc savoir quelles sont les intentions du gouvernement à ce propos, s'il compte, oui ou non, prendre des mesures sérieuses ou s'il accepte la responsabilité de la situation très fâcheuse où nous nous trouvons ? (Interruption.) Mais, messieurs, soyez tolérants au moins sur ce chapitre, vous pouvez aussi devenir victimes des mêmes scènes.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je répondrai lorsqu'on discutera la pétition.

M. Coomans. - Il vaudrait mieux répondre immédiatement, parce qu'il y a positivement péril en la demeure.

Je ne vois, à aucun point de vue, l'utilité des armes entre les mains des soldats en pleine paix et à la promenade. Ne leur est-il pas strictement défendu de s'en servir ? Dès lors, pourquoi les leur donner ?

Je constate avec peine que le militaire est le seul Belge qui aille toujours à la promenade avec l'instrument de sa profession.

Toutes les autres classes de gens actifs sont plus raisonnables. Je n'ai jamais vu des maçons, des charpentiers, des pâtissiers, des pharmaciens se promener avec leurs instruments à la ceinture. Et on laisse le militaire se promener avec le sien, on l'y force, je le sais.

Si le gouvernement ne veut pas me répondre, ce serti un aveu de plus que la discussion est dérisoire.

On parle toujours de l'opinion publique. Eh bien, voici un cas où le pays s'est prononcé. Veuillez m'indiquer un seul de nos trois cents journaux qui n'est pas de l'avis que j'exprime ; vous ne le sauriez pas ! (Interruption.) Il y a en Belgique trois cents journaux français, flamands, allemands : tous demandent que cet absurde abus du sabre à la promenade cesse.

Voilà l'opinion du pays, et de cette opinion vous ne faites pas de cas. Mais, au fond, vous dédaignez l'opinion du pays ; le pays est exclu du corps électoral.

La vraie représentation du pays, en attendant celle de tous les citoyens, la vraie représentation du pays, ce sont les trois cents journaux belges qui sont unanimes pour demander que le militaire ne porte plus le sabre à la promenade. (Interruption.)

Je défie qu'on m'en cite un seul qui soit d'un autre avis, si ce n'est peut-être un journal militaire que je ne lis pas.

- Une voix à droite. - Ou un journal ministériel.

(page 499) M. Coomans. - Non, les journaux ministériels sont eux-mêmes de mon avis.

En vérité, messieurs, j'aurais bien d'autres choses à dire encore, mais je n'en ai pas le courage ; je suis plus triste encore qu'indigné de ce qui se passe ici.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- La discussion est close.

L'article 12 est mis aux voix et adopté.

Articles 13 à 15

« Art. 13. Cour militaire. Matériel : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 14. Auditeurs militaires et prévôts : fr. 42,500. »

- Adopté.


« Art 15. Frais de bureau et indemnité pour feu et lumière : fr. 3,540. »

- Adopté.

Chapitre IV. Frais de justice

Articles 16 et 17

« Art. 16. Frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police : fr. 700,000. »

- Adopté.


« Art. 17. Traitement des exécuteurs des arrêts criminels et des préposés à la conduite des voitures cellulaires : fr. 13,500.

« Charge extraordinaire : fr. 11,108. »

- Adopté.

Chapitre V. Palais de justice

Article 18

« Art. 18. Construction, réparations et entretien de locaux. Subsides aux provinces et aux communes poulies aider à fournir des locaux convenables pour le service des tribunaux et des justices de paix : fr. 35,000.

« Charge extraordinaire : fr. 60,000. »

- Adopté.

Chapitre VI. Publications officielles

Articles 19 à 22

« Art. 19. Impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires : fr. 220,000. »

- Adopté.


« Art. 20. Abonnement au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation : fr. 3,000. »

- Adopté.


« Art. 21. Publication d'un recueil des anciennes lois des Pays-Bas autrichiens, de la principauté de Liège et d'autres pays dont le territoire est compris dans le royaume de Belgique ; publication d'un recueil d'instructions circulaires émanées du département de la justice, depuis la réunion de la Belgique à la France, en 1795 ; impression d'avant-projets de lois et autres documents législatifs ; frais de route et autres des membres des commissions de législation : fr. 25,300. »

- Adopté.


« Art. 22. Traitements et indemnités d'employés attachés à la commission royale de publication des anciennes lois : fr. 14,000. »

- Adopté.

Chapitre VII. Pensions et secours

Articles 23 à 26

« Art. 23. Pensions civiles : fr. 25,000. »

- Adopté.


« Art. 24. Secours à des magistrats et à des employés près des cours et tribunaux, ou à leurs veuves et enfants mineurs qui, sans avoir droit à une pension, ont des titres à un secours, par suite d'une position malheureuse : fr. 12,000. »

- Adopté.


« Art. 25. Secours à des employés ou veuves et enfants mineurs d'employés de l'administration centrale du ministère de la justice, ou des établissements y ressortissant, qui se trouvent dans le même cas que ci-dessus : fr. 1,500. »

- Adopté.


« Art. 26. Secours a des employés ou veuves et enfants mineurs d'employés des prisons, se trouvant dans le même cas que ci-dessus : fr. 3,000. »

- Adopté.

Chapitre VIII. Cultes

Articles 27 à 37

« Art. 27. Clergé supérieur du culte catholique, personnel enseignant et dirigeant des grands séminaires, à l'exception de celui de Liège : fr. 318,200. »

- Adopté.


« Art. 28. Bourses et demi-bourses affectées aux grands séminaires, à l'exception de celui de Liège : fr. 62,011. »

- Adopté.


« Art. 29. Clergé inférieur du culte catholique, déduction faite de 7,710 fr., pour revenus de cures : fr. 1,250,000. »

- Adopté.


« Art. 30. Subsides aux provinces, aux communes et aux fabriques d'église, pour les édifices servant au culte catholique, y compris les tours mixtes et les frais du culte dans l'église du camp de Beverloo : fr. 169,000.

« Charge extraordinaire : fr. 256,000. »

- Adopté.


« Art. 31. Culte protestant et anglican (Personnel) : fr. 69,336. »

- Adopté.


« Art. 32. Subsides pour frais du culte et dépenses diverses : fr. 13,000. »

- Adopté.


« Art. 33. Culte israélite (Personnel) : fr. 11,220. »

- Adopté.


« Art. 34. Frais de bureau du consistoire central et dépenses imprévues : fr. 300. »

- Adopté.


« Art. 35. Subsides aux provinces, communes et consistoires pour construction d'édifices consacrés aux cultes protestant et israélite ; charge extraordinaire : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 36. Pensions ecclésiastiques (payement des termes échus avant l'inscription au grand-livre) : fr. 11,000. »

- Adopté.


« Art. 37. Secours pour les ministres des. cultes ; secours aux anciens religieux et religieuses : fr. 30,000. »

- Adopté.

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Articles 38 à 44

« Art. 38. Frais d'entretien et de transport d'indigents dont le domicile de secours est inconnu ou qui sont étrangers au pays : fr. 160,000. »

- Adopté.


« Art. 39. Subsides : 1° à accorder extraordinairement à des établissement de bienfaisance et à des hospices d'aliénés ; 2° aux communes, pour l'entretien et l'instruction des aveugles et sourds-muets indigents, dans le cas de l'article 131, n°17, de la loi communale ; 3°aux établissements pour aveugles et sourds-muets ; 4° pour secours aux victimes de l'ophtalmie militaire, qui n'ont pas droit à une pension ou à un secours à la charge du département de la guerre : fr. 166,000. »

- Adopté.


« Art. 40. Frais de route et de séjour des membres des commissions spéciales pour les établissements de charité et de bienfaisance ; des médecins chargés de rechercher et de traiter les indigents atteints de maladies d'yeux, suite de l'ophtalmie militaire ; des membres et secrétaires de la commission permanente et de surveillance générale des établissements pour aliénés, ainsi que des comités d'inspection des établissements d'aliénés. Traitement du secrétaire de la commission permanente d'inspection ; traitement du secrétaire de la commission d'inspection de l'établissement de Gheel, ainsi que de l'employé adjoint à ce secrétaire : fr. 12,000. »

- Adopté.


(page 500) « Art. 41. Impressions et achat d'ouvrages spéciaux concernant les établissements de bienfaisance et frais divers : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 42. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 43. Subsides pour le patronage des condamnés libérés : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 44. Ecoles de réforme pour mendiants et vagabonds âgés de moins de 18 ans : fr. 200,000. »

- Adopté.

Chapitre X. Prisons

Section I. Service économique
Articles 45 à 55

« Art. 45. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage, et de nourriture des détenus. Achat et entretien du mobilier des prisons : fr. 1,300,000. »

- Adopté.


« Art. 46. Gratifications aux détenus : fr. 34,000. »

- Adopté.


« Art. 47. Frais d'habillement des gardiens : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 48. Frais de voyage des membres des commissions, des fonctionnaires et employés : fr. 11,000. »

- Adopté.


« Art. 49. Traitements des fonctionnaires et employés : fr. 724,000.

« Charge extraordinaire : fr. 2,500. »

- Adopté.


« Art. 50. Frais d'impression et de bureau : fr. 10.000.

« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 51. Prisons. Entretien et travaux d'amélioration des bâtiments : fr. 135,000. »

- Adopté.


« Art. 52. Maison d'arrêt cellulaire à Huy. Continuation des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 53. Maison de sûreté cellulaire d'Anvers. Agrandissement des constructions ou construction d'une prison militaire et construction de maisons d'arrêt cellulaires à Malines et à Tournai ; charge extraordinaire : fr. 482,000. »

- Adopté.


« Art. 54. Maison de sûreté de Tongres. Agrandissement ; charge extraordinaire : fr. 70,000. »

- Adopté.


« Art. 55. Honoraires et indemnités de route aux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière des constructions ; charge extraordinaire : fr. 26,000. »

— Adopté.

Section II. Service des travaux
Articles 56 à 59

« Art. 56. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 1,000,000. »

- Adopté.


« Art. 57. Gratifications aux détenus : fr. 136,000. »

- Adopté.


« Art. 58. Frais d'impressions et de bureau : fr. 5,000.

« Charge extraordinaire : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 59. Traitements et tantièmes des fonctionnaires et employés : fr. 88,000. »

- Adopté.

Chapitre XI. Frais de police

Article 60

« Art. 60. Mesures de sûreté publique : fr. 88,000. »

- Adopté.

Chapitre XII. Dépenses imprévues

Article 61

« Art. 61. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000.

« Charge extraordinaire : fr. 1,800. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'article unique, du budget du ministère de la justice, qui est ainsi conçu :

« Article unique. Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1869, à la somme de quinze millions cinq cent vingt-cinq mille cent quatre-vingt-dix-huit francs (15,525,198 francs). »

- Adopté.


Voici le résultat de l'appel nominal :

104 membres sont présents.

62 répondent oui.

42 répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. de Rongé, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrints, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Beke, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, De Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor et Dolez.

Ont répondu non :

MM. de Muelenaere, de Naeyer, de Theux, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Tack, Thibaut, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Visart, Wouters, Beeckman, Coomans, Coremans, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke et de Montblanc.

M. le président. - La Chambre est sans doute d'avis de lever la séance ?

- De toutes parts.- Oui ! oui !

- La séance est levée à 6 heures et demie.