(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 371) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède, à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Le sieur Tavernier, ancien préposé à l'administration des octrois de Bruxelles, demande le remboursement des sommes qu'il a versées à la caisse des pensions. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre d'abroger le décret du 23 prairial an XII sur les inhumations dans celles de ses dispositions qui sont contraires à notre Constitution. »
- Même renvoi.
« Le sieur Evariste Gasquard se plaint d'avoir été renvoyé du corps de la gendarmerie et demande à être réintégré au 4ème régiment de ligne. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre des représentants cent vingt-cinq exemplaires du compte rendu imprimé des séances du conseil de perfectionnement de l'instruction moyenne, en date des 5 et 6 janvier dernier, dans lesquelles le conseil a délibéré sur la question de savoir s'il y a lieu de modifier l'organisation actuelle de l'enseignement moyen du premier degré (section des humanités). »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. de Vrière, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé pour la séance de ce jour. »
« M. Warocqué, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé. »
- Ces congés sont accordés.
M. le président. - La discussion générale continue.
M. Schmitzµ. - Messieurs, le principe de l'intervention du gouvernement en matière d'agriculture ayant été discuté, avec infiniment de talent, par plusieurs orateurs, dans nos deux dernières séances, je me bornerai, pour épargner les moments de la Chambre et ne pas abuser de sa bienveillance, à examiner cette question au point de vue pratique, au point de vue des faits, et je m'efforcerai de vous prouver que non seulement l'intervention du gouvernement a produit les résultats les plus heureux, mais que retirer la main amicale que le gouvernement a si bienveillamment tendue à l'agriculture en 1848, sous le cabinet libéral de 1847, ce serait risquer de compromettre, en fort peu de temps, des résultats qui nous ont coûté bien des années d'efforts et de sacrifices.
Au point de vue de l'agriculture en général, il est un fait incontestable : c'est que depuis une vingtaine d'années, l'agriculture du royaume entier et celle de la province de Luxembourg en particulier ont fait les plus grands progrès. Je ne prétends pas qu'ils soient dus exclusivement à l'initiative du gouvernement ; que sans cette initiative, nous serions restés stationnaires ; mais ce que j'affirme et ce que personne ne contestera, c'est que le gouvernement a donné l'élan, c'est qu'il a aidé à tirer l'agriculture luxembourgeoise, surtout, de l'ornière dans laquelle elle se traînait péniblement depuis toujours.
C'est de 1848, en effet, messieurs, que date l'institution des comices agricoles, ces écoles d'adultes des cultivateurs, selon l'expression si juste de l'honorable M. Jacquemyns.
C'est de cette époque que datent ces concours agricoles, qui sont l'école pratique des cultivateurs ;
C'est en 1848 que nos cultivateurs du Luxembourg ont commencé à apprécier la valeur de la chaux ;
C'est en 1848 qu'ils ont commencé à défricher leurs bruyères.
C'est à dater de cette époque que sont venus s'établir dans cette province les Peterson, les Durieu et tant d'autres cultivateurs intelligents qui, avec leurs capitaux, y ont apporté de nouvelles méthodes de culture et des instruments agricoles perfectionnés ;
C'est à dater de cette époque qu'on y a introduit la culture des plantes industrielles ;
C'est de 1848, en un mot, que date la régénération agricole du Luxembourg, et l'intervention officielle du gouvernement n'eût produit que ce seul résultat, que nous ne devrions pas regretter l'argent dépensé de ce chef.
Mais j'ai hâte de quitter le terrain des généralités, assez largement exploré ces jours derniers, afin d'aborder la question qui est plus spécialement en discussion aujourd'hui. Il ne s'agit, en réalité, dans tout ce débat, que du retrait des primes données pour l'amélioration de nos animaux domestiques.
Je vous avoue, qu'en présence, des résultats constatés par l'enquête agricole faite en 1865, par ordre de l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom, alors ministre de l'intérieur, je vous avoue, dis-je, que je ne m'attendais nullement à ce que cette question de distribution des primes aux meilleurs reproducteurs de la race chevaline, fût encore remise sur le tapis. Je croyais, qu'en présence de l'unanimité des avis émis par les sociétés agricoles consultées, la question était enterrée pour longtemps. Mais je me suis trompé, M. Bricoult s'est chargé de la remettre sur le tapis.
Eh bien, messieurs, examinons les résultats produits par cette enquête : sur 104 associations agricoles consultées, 82 se sont prononcées en faveur de l'intervention du gouvernement, et parmi ces 82 sociétés, notez-le bien, se trouvent les 9 commissions provinciales d'agriculture du royaume, c'est-à-dire les 9 corps constitués les plus éclairés, les plus indépendants et les plus à même, par la position de fortune de leurs membres, de donner des avis désintéressés.
La province de Liège, qui jusqu'ici s'était refusée à toute réglementation, la province de Liège qui était le cheval de bataille dont se servaient les adversaires de toute intervention du gouvernement en matière d'amélioration de race chevaline, la province de Liège, dis-je, est venue demander non seulement des primes, non seulement un règlement, mais même une loi sur la matière. Voici, messieurs, ce que constate à cet égard l'enquête faite en 1865.
« La commission d'agriculture de Liège et le conseil administratif de la Société agricole de l'Est se prononcent en faveur des dispositions réglementaires sur l'amélioration des races bovine et chevaline. Ces collèges voudraient même qu'une loi vînt sanctionner les préemptions sur cette matière, en même temps que des prix plus importants fussent accordés aux propriétaires des meilleurs reproducteurs. »
M. Eliasµ. - Le conseil provincial de Liège s'est toujours refusé à admettre le principe de la réglementation.
M. Schmitzµ. - Mais, dit-on, le conseil provincial de Liège n'a jamais souscrit aux conclusions que je viens de rappeler ; je ferai remarquer à l'honorable M. Elias que ce conseil renferme infiniment plus d'avocats, de notaires et d'industriels que de cultivateurs, et mon honorable collègue ne refusera certes pas de me concéder que les sociétés agricoles précitées sont infiniment plus compétentes en cette matière que le conseil provincial, et je n'ai pas besoin d'apprendre à un représentant de Liège que la Société agricole de l'Est, dont j'ai invoqué le témoignage, est une des plus importantes du pays, qu'elle est dirigée par un conseil administratif composé d'agronomes éminents et que cette société publie le journal agricole le plus répandu de la Belgique. On ne peut donc contester la compétence de ses administrateurs en matière d'agriculture.
Il résulte donc de l'enquête que presque toutes les sociétés agricoles consultées sont favorables non seulement à la distribution des primes, mais encore à la réglementation. Je dirai tantôt en quoi je diffère d'opinion avec elles.
J'entre maintenant, messieurs, au cœur même de la question et je m'occupe des dispositions mêmes des règlements.
Ces règlements renferment, d'abord, plusieurs dispositions restrictives qui constituent, en quelque sorte, des mesures de police sanitaire. Ils règlent ensuite la distribution de primes aux meilleurs reproducteurs. Ces primes sont de deux espèces : les primes de concours et les primes de conservation. Eh bien, je prétends que si l'on cessait les distributions de primes, on perdrait en deux ou trois années tout le fruit des sacrifiées faits depuis 1842.
Mais, me direz vous peut-être, comment se fait-il que vous qui faisiez partie l'année dernière du conseil provincial du Luxembourg et qui avez voté l'abrogation du règlement pour l'amélioration de la race bovine, vous (page 372) veniez aujourd'hui soutenir qu'il y a lieu de maintenir les règlements portés pour l'amélioration de la race chevaline ? N'y a-t-il pas analogie entre ces deux choses ?
Eh bien, messieurs, il y a entre ces deux questions une différence énorme que je vais vous faire toucher du doigt. Le propriétaire d'un taureau a un intérêt direct, personnel, à ce que ce reproducteur réunisse, toutes les qualités possibles, parce que le cultivateur nourrit souvent, dans ses étables, 20 à 25 vaches ou génisses qu'il livre à la saillie de ce taureau ; or, plus celui-ci réunira de qualités, plus beaux seront ses produits.
L'intérêt de ce cultivateur exige donc qu'il se pourvoie de beaux reproducteurs et l'intervention du gouvernement devient, à cet égard, complètement inutile.
D'un autre côté, messieurs, les taureaux ne coûtent pas très cher. A l'âge de 15 à 18 mois, ils se vendent au prix de 150 à 200 fr. ; leur entretien n'entraîne pas non plus a de grandes dépenses ; souvent même, l'été, on les envoie au vert, et s'il leur arrive un accident on les conduit à la boucherie.
Mais, messieurs, il n'en est pas de même pour les chevaux ; un étalon est un animal de grand prix, on le paye de 1,000 à 1,200 fr. ; il coûte cher à entretenir ; sa nourriture vaut de 2 fr. à 2 fr. 50 c. par jour, soit 800 à 1,000 francs par année. L'étalon est un animal dangereux, sujet à beaucoup d'accidents, à des tares, à des vices héréditaires.
S'il en est atteint, il perd immédiatement toute valeur.
Son propriétaire est donc toujours exposé à subir des pertes, et si vous ne maintenez pas les primes en faveur de la race chevaline, vous finirez par ne plus trouver de détenteurs d'étalons, et au lieu d'avoir de 30 à 40 reproducteurs par arrondissement, vous en aurez à peine autant pour toute une province. Ayant trop de saillies à faire, ils ne produiront plus que des poulains malingres, chétifs, et la race chevaline finira par dégénérer.
Les primes de concours sont donc utiles, nécessaires, indispensables, si nous voulons conserver dans le pays le nombre d'étalons nécessaire à une bonne reproduction. Eh bien, messieurs, je dis que les primes de conservation sont plus utiles, plus nécessaires encore.
Qu'est-ce qu'une prime de conservation ? C'est, dans la province du Luxembourg, une somme de 200 fr. donnée à un propriétaire, à la condition qu'il livre son étalon à la saillie publique et qu'il le conserve dans ses écuries pendant un temps déterminé. Voici, en faveur du maintien des primes de conservation, deux faits qui se sont produits cette année et sur lesquels j'appelle l'attention de M. Le Hardy de Beaulieu le non-interventionniste.
M. Le Hardy possédait il y a quelques années, dans le Luxembourg, un magnifique domaine qui appartient encore aujourd'hui à sa famille. Ce domaine est exploité par un fermier très intelligent dont je suis heureux de pouvoir ici citer le nom, M. Decolnet, de Bisory. Ce fermier était propriétaire, l'année dernière, d'un magnifique étalon ardennais, lorsque se présenta chez lui un marchand qui lui en offrit un prix exorbitant, afin de l'importer en Angleterre et, au moyen de croisements avec des juments anglaises, d'en obtenir des poulains anglo-ardennais.
M. Decolnet arriva a Arlon pendant la session du conseil provincial, et s'adressa à M. Hardy, député permanent et président du comice agricole de Bastogne, pour le prier d'intervenir auprès de M. le gouverneur afin que celui-ci lui accordât l'autorisation de vendre son étalon, pour lequel il avait reçu une prime de conservation. M. le gouverneur s'y refusa, et avec raison.
C'est donc grâce à la prime de conservation que l'étalon de M. Decolnet se trouve encore dans le Luxembourg.
Voici un second fait qui s'est passé plus récemment encore :
Au mois d'octobre dernier, se présenta dans la commune de Limerlé, chez le détenteur d'un étalon, une personne qui désirait acheter celui-ci pour le conduire en Russie.
M. Parmentier, c'est le nom du propriétaire, n'osa pas conclure le marché, et pourquoi ? Mais parce qu'il avait signé un engagement et accepté une prime de conservation !
Et savez-vous ce qui arriva ? C'est que le marchand, ne pouvant déterminer M. Parmentier à lui vendre son étalon, s'empressa d'aller acheter, dans les villages environnants, les plus beaux produits de ce cheval.
Voilà deux faits, messieurs, qui prouvent, je pense, la nécessité du maintien des primes de conservation, si nous ne voulons pas que des marchands étrangers viennent nous enlever nos meilleurs reproducteurs.
On nie, messieurs, que l'intervention du gouvernement ait produit de grands résultats en matière d'amélioration de la race chevaline ; mais si je consulte l'enquête agricole, voici ce que j'y trouve :
« Ce qui prouve l'efficacité de la réglementation en matière d'amélioration de la race chevaline, c'est que dans les premières années où les expertises ont eu lieu, le nombre des reproducteurs rejetés comme vicieux, tarés ou mal conformés, s'est élevé jusqu'à 41 p. c, et que la proportion des rebuts n'est tombée au-dessous de 20 p. c. qu'après une application sévère des règlements, pendant une période consécutive de onze années. »
Et plus bas :
« Quelques années de relâchement suffiraient pour nous ramener au point de départ, en 1842, époque où les étalons, même médiocres, étaient si rares, qu'afin de ne pas entraver la reproduction, on devait se borner au rejet de ceux qui n'avaient en quelque sorte que des défauts. »
Voilà, messieurs, ce que constate un document officiel. Il est donc prouvé, et de la manière la plus incontestable, par tout ce que je viens de dire, que le maintien des primes est indispensable, si nous voulons conserver le fruit des sacrifices faits jusqu'aujourd'hui pour l'amélioration de la race chevaline.
Mon honorable collègue du Luxembourg, M. Bouvier, après avoir reconnu, ce dont je le félicite, que les règlements sur l'amélioration de la race chevaline ont en quelque sorte régénéré notre race ardennaise, a contesté l'utilité de l'argent dépensé par le gouvernement pour achat de reproducteurs de la race Durham et de la race hollandaise.
Je ne sais pas si l'honorable M. Bouvier s'est bien rendu compte de la dépense qui incombe de ce chef au gouvernement. J'ai ici le budget de la province de Luxembourg (c'est une vieille connaissance que je revois toujours avec infiniment de plaisir), et j'y lis les articles suivants :
« Quote-part de l'Etat dans l'achat de reproducteurs de l'espèce bovine, 2,000 fr.
« Montant des ventes de reproducteurs de l'espèce bovine, 11,000 fr. En tout, 13,000 fr. »
Et si je passe au chapitre des dépenses, j'y trouve porté, pour achat de reproducteurs de la race bovine, le chiffre de 15,000 fr. ; de sorte que la province intervient dans la dépense pour une somme de 2,000 fr.
Voici, messieurs, comment les choses se passent. Antérieurement à l'apparition de la peste bovine, la province de Luxembourg envoyait en Angleterre ou en Hollande une commission chargée d'acheter les plus beaux reproducteurs de l'espèce bovine.
Cette commission dépensait quelque chose comme 2,000 francs pour ses frais de voyage et nous ramenait des taureaux qui avaient coûté environ 15,000 fr., et qui étaient immédiatement exposés en vente publique dans les chefs-lieux d'arrondissement, où les cultivateurs se les disputaient avec acharnement. Et quelle était la part du gouvernement dans cette dépense ? La somme de 2,000 francs ! Est-il possible, je le demande, de regretter une dépense à la fois si minime, et si bien faite ? Quant à moi, je ne le pense pas.
L'honorable M. Bouvier, à cette occasion, nous a posé un dilemme : « De deux choses l'une, a-t-il dit, ou la race ardennaise s'est propagée dans le pays grâce aux crédits nombreux et successifs votés par nous, et alors il faut nous arrêter dans cette voie, ou bien, malgré nos crédits, elle ne s'y est pas propagée, et dans ce dernier cas, il est inutile de les maintenir. »
Eh bien, messieurs, je crois que ce dilemme est complètement faux. (Interruption.)
Ce n'est pas au bout d'une ou deux années, messieurs, qu'on parvient à améliorer ou à créer une race d'animaux ; il faut, pour cela, de longues années d'efforts ; on n'y arrive pas non plus par des croisements entre des produits issus d'un même reproducteur ; bien au contraire, il faut, autant que possible, remonter à la source première, sinon on arrive à une dégénérescence complète.
Je pose donc en fait, comme je l'ai dit au conseil provincial du Luxembourg en 1865, que la dépense dont il s'agit ici, est une des plus utiles qui aient été faites dans l'intérêt de l'agriculture.
Un mot encore, avant de finir, sur les mesures restrictives qui font l'objet de presque tous nos règlements provinciaux.
Je vous avoue que je n'en suis pas très partisan. Mais ce n'est pas pour les raisons données par l'honorable M. de Macar, qui prétend que la réglementation est en quelque sorte inconstitutionnelle et attentatoire à la liberté de l'industrie agricole.
Je pense, au contraire, que si le gouvernement a le droit de dire au propriétaire d'un cheval atteint de la morve ou du farcin : Vous abattrez ce cheval, de crainte que la contagion ne se répande dans le voisinage, la province a aussi le droit de dire au propriétaire d'un étalon atteint d'un vice héréditaire quelconque : Vous ne livrerez pas cet étalon à la saillie publique, de crainte qu'il ne communique ce vice à tous ses produits.
(page 373) La question a, du reste, été décidée dans le sens que j'indique par un arrêt de la : cour de cassation, du 26 ma 1852.
Mais savez-vous pourquoi je ne suis plus très grand partisan de la réglementation ?
C'est parce que je crois que nos cultivateurs sont assez intelligents et assez soucieux de leurs intérêts, pour n'employer que de bons étalons et pour ne plus livrer leurs juments à la saillie de reproducteurs tarés, vicieux ou mal conformés.
Je consentirais donc facilement à la suppression des règlements provinciaux, pourvu qu'on maintînt la distribution des primes de concours et de conservation.
J'espère, en conséquence, que l'honorable ministre de l'intérieur ne s'empressera pas de mettre à exécution les mesures qu'il a préconisées en 1864. J'en appelle de M. Eudore Pirmez mal informé à M. le ministre de l'intérieur mieux informé, et j'espère que celui-ci jouera à celui-là le mauvais tour de ne pas adopter toutes les idées qu'il a émises autrefois, quant à l'intervention du gouvernement en matière d'agriculture.
M. De Fréµ. - Messieurs, après les excellents discours que vous venez d'entendre, je crois pouvoir me dispenser de développer un grand nombre de considérations que je croyais présenter sur la matière.
Je me bornerai à indiquer à la Chambre ce fait important qu'en France, où l'agriculture ne reçoit pas les encouragements qu'elle reçoit en Belgique, une société vient de se former et que la première chose que cette société a faite, c'est de demander les encouragements de l'Etat.
Voici, messieurs, quelles sont les propositions qui ont été adoptées par elle :
« Création d'un grand établissement théorique et pratique pour l'enseignement supérieur de l'agriculture, ressortissant au ministère de l'agriculture ;
« Encouragement à l’enseignement agricole primaire dans les écoles de garçons et de filles ;
« Enseignement de l'agriculture dans les écoles normales primaires ;
« Maintien et perfectionnement des écoles régionales d'agriculture ; encouragement aux établissements analogues fondés par l'initiative privée ;
« Institution de conférences rurales ;
« Accroissement, dans les écoles régionales, du nombre des bourses mises au concours entre les élèves sortant des fermes-écoles ; création de bourses par la Société des agriculteurs de France ;
« Etablissement, à titre d'expérience, dans un des départements du Centre, d'une ferme-école basée sur la participation des élèves aux bénéfices de l'exploitation ;
« Encouragement aux orphelinats agricoles ;
« Création de stations d'essais agricoles analogues à celles qui existent en Allemagne. »
Voilà ce qu'on fait dans ce pays dans l'intérêt de l'agriculture. Je le répète, en France, l'intervention de l'Etat n'a pas été aussi grande qu'en Belgique ; aussi, l'agriculture y est-elle dans des conditions moins favorables, moins abondantes.
Messieurs, vous vous rappellerez à ce sujet les cris de détresse qui ont retenti dernièrement à la tribune française ; et sur la demande de M. Thiers, une enquête a été faite dans le but de constater les causes de l'état déplorable de l'agriculture ; eh bien, des hommes expérimentés, compétents, sollicitent, pour faire cesser un pareil état de choses, l'intervention, les encouragements de l'Etat.
Mes honorables amis m'engagent à ne pas développer les autres observations que j'aurais à présenter, à l'effet de faire marcher la discussion du budget de l'intérieur. Je reprendrai, dans d'autres temps, différentes questions relatives à l'agriculture et que je me proposais de développer devant la Chambre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre un projet de loi ayant pour but de donner une sanction plus efficace au droit qu'a le gouvernement d'empêcher les cessions de concessions de chemins de fer ou d'exploitations de semblables concessions, faites par une société à une autre société, sans l'autorisation du pouvoir exécutif. Indépendamment des droits dont le gouvernement dispose déjà, le projet de loi lui accorde le droit, en cas d'infraction, d'exploiter la ligne pour le compte de la société.
- Le projet de loi sera imprimé et distribué.
Sur la proposition de M. le ministre de la justice, la Chambre le renvoie à l'examen d'une commission spéciale qui sera nommée par le bureau.
M. Mullerµ. - Messieurs, je n'ai pas l'habitude d'abuser des moments de la Chambre. Cependant j'ai quelques mots à dire pour rectifier une partie des observations qu'a présentées l'honorable député de Bastogne. Il s'agit du conseil provincial de Liège, qu'il a passablement maltraité ; selon toute probabilité, il n'a pas bien compris la portée des décisions qu'il a attaquées. En effet, la fin de son discours est venue donner complètement raison à la conviction invariablement exprimée par le conseil provincial de Liège.
Cette assemblée n'a jamais refusé les subsides que le gouvernement pouvait lui offrir, comme à d'autres provinces ; mais ce qu'elle n'a jamais admis, c'est qu'il fût juste de priver un cultivateur du droit d'user, comme il l'entend, des animaux domestiques qu'il possède ; c'est qu'on doive, soit par ordonnance, soit par la loi, régler et interdire la conjonction des sexes dans la race animale, plus qu'on ne le fait dans la race humaine. Voilà la mesure devant laquelle le conseil provincial de Liège a toujours reculé comme étant vexatoire et exorbitante ; mais il n'a jamais émis de vote hostile aux encouragements débarrassés d'une réglementation coercitive.
Il n'a donc pris que des décisions parfaitement rationnelles, et cela est tellement vrai, que lorsque M. le ministre de l'intérieur a proposé aux autres conseils provinciaux d'abandonner les clauses pénales de leurs règlements relatifs à l'amélioration des races d'animaux domestiques, ils ont adhéré à ce retrait.
Uk y a quelques années, je me suis élevé, dans cette Chambre, contre l'exclusion dont on avait frappé la province de Liège de la participation aux subsides de l'Etat, parce qu'elle se refusait à voter des pénalités tracassières, et je suis heureux d'avoir eu raison sur ce point.
Voilà, messieurs, les explications que j'avais à donner.
« Art. 51. Indemnités pour bestiaux abattus : fr. 240,000. »
-Adopté.
« Art. 52. Service vétérinaire ; police sanitaire ; bourses : fr. 60,000. »
- Adopté.
« Art. 53. Amélioration des races d'animaux domestiques : fr. 85,000. »
- Adopté.
« Art. 54. Conseil supérieur et commissions provinciales d'agriculture ; traitements et indemnités des secrétaires du conseil supérieur et des commissions provinciales d'agriculture ; subsides pour concours et expositions ; encouragements aux sociétés et aux comices agricoles ; encouragements aux publications agricoles et horticoles ; frais résultant de la collation des décorations agricoles ; frais de missions ayant pour objet l'intérêt de l'agriculture et de l'horticulture ; dépenses diverses : fr. 140,700. »
- Adopté.
« Art. 55. Personnel de l'Institut agricole et des écoles d'horticulture de l'Etat ; traitements de disponibilité : fr. 70,500. »
M. Coomans. - Messieurs, j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de démontrer à la Chambre que le chiffre des traitements d'attente et de disponibilité est, chaque année, plus élevé dans les différents budgets.
Bien que bon nombre de membres se soient associés à mes réclamations, nous pouvons tous constater que ce chiffre ne fait que s'accroître chaque année, c'est-à-dire qu'on multiplie le nombre des fonctionnaires qui reçoivent beaucoup d'argent pour ne rien faire du tout.
On a assez habilement dispersé dans le budget les grosses sommes que nous dépensons chaque année pour les traitements d'attente. Ainsi le chiffre pour le budget de l'intérieur s'élève à environ 140,000 fr., somme que je considère comme énorme et qui se trouve éparpillée dans cinq articles.
A l'article 55, il y a 70,500 fr., à l'article 62 16,560 fr., à l'article 92 12,000 fr., à l'article 98 5,170 fr. et à l'article 135 35,932 fr. Total : 140,102 fr., dont il y a à défalquer le personnel de l'Institut agricole.
J'ai fait le relevé à la hâte et je suis porté à croire qu'on pourrait encore y ajouter différents crédits, c'est-à-dire qu'on paye, en réalité, des traitements d'attente sous des prétextes ou pour des services qui ne sont pas spécialisés au budget.
Avouons-le, messieurs, 140,000 fr. environ de traitements d'attente et de disponibilité, pour un seul budget, c'est bien considérable !
Il y a vingt-cinq ans, ce poste ne s'élevait pas au quart, et on le trouvait beaucoup trop fort, et le gouvernement s'engageait, en termes formels, à le réduire.
La dernière fois que je me suis permis de protester contre cet abus, le gouvernement m'a répondu : L'abus est en train de disparaître. Nous saisissons toutes les occasions de replacer les fonctionnaires auxquels nous (page 374) donnons de l'argent pour ne rien faire, et nous vous promettons d'en diminuer le nombre, afin d'arriver à l'extinction presque complète de cet abus.
Or, messieurs, au lieu d'abaisser le chiffre des traitements d'attente, on l'élève chaque année.
Je le répète, une telle somme pour un seul budget, c'est un peu trop. (Interruption.) Je vous cite les articles du budget. Dans tous les cas, j'espère que M. le ministre voudra bien nous donner quelques renseignements à ce sujet et qu'il ne se bornera pas à la réponse stéréotypée, que je connais parfaitement, du gouvernement ; cette réponse-ci : que l'on s'efforcera de concilier les besoins du service avec les besoins des contribuables, etc.
Messieurs, je demande des explications sur ces différentes sommes, à commencer par l'article 55, où je lis : « Personnel de l'Institut agricole et des écoles d'horticulture de l'Etat ; traitements de disponibilité. » Il y a là 70,500 francs. Je sais que ces 70,500 fr. ne doivent pas être imputés entièrement à la disponibilité. L'honorable ministre voudra bien faire la défalcation et nous dire pour combien figurent dans ces 70,500 francs les traitements de disponibilité.
Du reste, je le répète, je ne suis pas initié à tous les arcanes du budget ; quoique je tâche de me les rendre aussi familiers que possible, j'y perds très souvent mon latin.
Messieurs, il y a donc une somme quelconque, je n'insiste pas sur les chiffres que j'ai additionnés, mais il y a une somme quelconque attribuée à des traitements d'attente et de disponibilité, traitements qui n'ont pas cessé de s'accroître depuis un quart de siècle, quoiqu'ils soient de moins en moins justifiés.
MiPµ. - Messieurs, la manière de calculer de l'honorable M. Coomans est vraiment étonnante.
Il affirme d'abord que le budget de l'intérieur comprend 140,000 fr. de traitements de disponibilité. Or, la moitié de cette somme figure à l'article 55 du budget, qui porte ceci : « Personnel de l'Institut agricole et des écoles d'agriculture de l'Etat ; traitements de disponibilité, 70,500 fr. » Ce qui veut dire que les traitements du personnel actif sont payés sur ce crédit, lequel peut, en outre, être affecté au payement des traitements de disponibilité.
M. Coomans. - Je l'ai dit, M. le ministre, je vous ai demandé de défalquer.
MiPµ. - Je dois alors réduire votre chiffre de 140,000 fr. à 70,000 fr., ce qui est déjà une diminution fort notable. L'honorable M. Coomans aurait bien fait d'examiner d'abord les chiffres avant de nous présenter ce total effrayant de 140,000 fr.
Il me serait impossible de dire en ce moment quelle est la somme que l'on prélève sur ces 70,000 francs pour payer les traitements de disponibilité. Je ne serais pas surpris qu'on n'y prît rien. Dans tous les cas, je suis certain que la somme est insignifiante.
Il en est probablement de même pour d'autres articles. Sans doute, il y a des traitements de disponibilité au département de l'intérieur comme ailleurs ; mais je puis déclarer à la Chambre, non seulement que je prends volontiers l'engagement que l'honorable M. Coomans a prévu, mais encore que, il y a quelques mois, j'ai mis à la pension un assez grand nombre de fonctionnaires qui étaient en disponibilité. Il y a donc eu de ce chef une réduction de dépense assez forte.
Je pourrai donner, si on le désire, l'indication du chiffre des traitements de disponibilité.
Vous remarquerez d'ailleurs, messieurs, que de ce qu'une somme figure au budget, il ne faut pas en conclure que cette somme sera nécessairement dépensée. Il en résulte simplement la faculté pour le gouvernement de mettre des fonctionnaires en disponibilité pendant le cours de l'année. Quant au montant des sommes dépensées, on ne peut l'apprécier que par les comptes ; or, il suffit de jeter un coup d'œil sur les comptes de l'administration du trésor pour apprécier la différence qui existe entre les chiffres du budget et celui des sommes réellement dépensées.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 56. Matériel des établissements d'enseignement agricole et horticole ; frais des commissions de surveillance et des jurys ; bourses ; frais de conférences agricoles et horticoles : fr. 71,000. »
- Adopté.
« Art. 57. Personnel du service des défrichements en Campine ; charge extraordinaire : fr. 23,670. »
- Adopté.
« Art. 58. Mesures relatives aux défrichements, dépenses et indemnités nécessitées par le contrôle établi pour assurer l'exécution de la loi du 25 mars 1847 ; pépinières d'arbres forestiers ; charge extraordinaire : fr. 27,000. »
- Adopté.
« Art. 59. Personnel de l'école de médecine vétérinaire de l'Etat ; frais de la commission de surveillance : fr. 69,000. »
- Adopté.
« Art. 60. Matériel de l'école de médecine vétérinaire de l'Etat ; bourses ; jury vétérinaire : fr. 69,800. »
- Adopté.
« Art. 61. Subside à la société royale d'horticulture de Bruxelles : fr. 24,000. »
- Adopté.
« Art. 62. Traitements de disponibilité du personnel du haras de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 16,500. »
M. Coomans. - Messieurs, cet article-ci n'est pas un article mixte, il n'est relatif qu'à des traitements de disponibilité. Il s'élève à 16,500 fr. La Chambre me permettra bien de protester sommairement contre ce gaspillage des deniers publics. Je me vante d'être de ceux qui pendant plusieurs années se sont élevés avec le plus de persévérance contre le haras de l'Etat. On nous avait fait les plus magnifiques promesses au nom des propriétaires d'étalons, on a dépensé beaucoup d'argent et d'éloquence pour maintenir le haras de l'Etat. Enfin nous sommes parvenus à le supprimer, mais ce jour-là on a réalisé l'une de mes prophéties, qui consistait à dire que nous finirions par payer des appointements à des messieurs pour ne rien faire.
Certainement je ne propose pas de pousser le respect du principe, que les fonctionnaires doivent travailler, jusqu'à leur donner de la besogne inutile. Le haras est supprimé, mais il faudrait supprimer aussi les traitements de disponibilité, les 16,500 fr. donnés à je ne sais qui. Je crois que la publicité en cette matière serait excellente et que le gouvernement ne devrait pas craindre de publier chaque année les noms des fonctionnaires qui ne font rien et qui reçoivent ces traitements de disponibilité.
MiPµ. - L'honorable M. Coomans choisit bien mal son moment pour critiquer la somme consacrée aux traitements de disponibilité, attendu que cette somme vient précisément d'être réduite de moitié.
M. Coomans. - C'est encore trop.
MiPµ. - Ces traitements existent au budget depuis plusieurs années sans que M. Coomans y ait fait aucune allusion. Le gouvernement les réduit de moitié, et c'est alors que M. Coomans commence ses critiques !
Quand le haras a été supprimé, le gouvernement, comme cela se pratique toujours en pareille circonstance, a fixé une certaine période de temps, pendant laquelle les fonctionnaires et employés attachés à ce service devaient continuer à toucher un traitement de disponibilité ou d'attente.
Lorsqu'on a supprimé les octrois, la loi a réglé la situation, bien que les employés des octrois ne fussent pas au service de l'Etat, mais bien à celui des villes.
On a donc ménagé, pour les employés du haras, la transition. On a fait ce que l'on fait toujours en pareil cas.
Des mesures ont été prises par mon honorable prédécesseur pour réduire successivement cette dépense, qui doit disparaître. L'honorable M. Coomans peut s'en convaincre par l'inspection du budget. La moitié de l'allocation, je le répète, a disparu cette année.
- L'article est adopté.
« Art. 63. Encouragements divers pour l'amélioration de la voirie vicinale et pour les améliorations qui intéressent l'hygiène publique ; inspection des chemins vicinaux, des cours d'eau et de l'agriculture ; indemnités au commissaires voyers : fr. 1,165,550. »
M. le président. - Messieurs, ici se place l'amendement proposé par les honorables MM. Kervyn et consorts, et qui a pour objet de porter le chiffre de l'article 63 à 1,500,000 fr.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, j'ai, dans une discussion récente, assez vivement insisté sur le grand intérêt social qu'il y a, aujourd'hui plus que jamais, à encourager l'agriculture, à lui donner des témoignages publics de sympathie, pour que je n'aie pas à revenir sur ce point.
Que l'on considère l'agriculture comme un élément de travail, comme un gage d'ordre et de sécurité ou comme la principale source de l'alimentation publique, en rapport direct avec la question des salaires et de l'aisance générale, à tous les points de vue, sous tous les rapports, elle est et restera (page 375) toujours, comme le disait hier l'honorable M. Jacquemyns, la première des industries.
Je demanderai seulement à compléter la comparaison que l'honorable représentant de Gand a faite entre l'agriculture et l'industrie, lorsqu'il rappelait que l'industrie est encore placée, dans une certaine mesure, sous l'égide des tarifs douaniers, tandis que l'agriculture se trouve complètement sur le terrain de la concurrence et de la liberté.
Il y a quelque chose de plus, messieurs, et j'emprunte cette observation à M. le comte d'Aspremonl-Lynden dont, hier encore, l'honorable M. Jacquemyns vantait, à juste titre, les connaissances agricoles. Si l'industrie choisit les conditions les plus favorables de développement, soit pour se procurer les matières premières, soit pour exporter ses produits, l'agriculture, au contraire, est nécessairement attachée au sol sur lequel elle vit, et après avoir répandu ses bienfaits sur les terrains les plus fertiles et le plus avantageusement situés, il arrive un moment où son action doit s'exercer sur les endroits les plus isolés et sur les contrées les plus stériles.
C'est alors que ses efforts sont les plus laborieux et les plus intéressants et qu'ils méritent davantage la sollicitude de la législature, du gouvernement et du pays.
Que la question de la voirie vicinale soit intimement liée à la prospérité de. l'agriculture, c'est ce qu'il serait superflu de démontrer.
Ma tache consiste plutôt à vous rappeler les services qu'a déjà rendus la voirie vicinale et à chercher à établir d'une manière nette et irréfutable qu'il importe de compléter ses progrès, et que la législature a, à cet égard, un devoir à remplir.
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?
M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'ai pas fini, M. le président.
M. Coomans. - M. le président est de notre avis. La cause est entendue.
M. le président. - Je n'ai pas entendu exprimer une opinion, M. Coomans. J'exprime mes regrets à l'honorable M. Kervyn, que je suis toujours charmé d'entendre, de l'avoir interrompu.
M. Kervyn de Lettenhove. - Si je me plaçais sur le terrain des principes, j'avoue que je serais parmi les membres de cette Chambre qui sont les moins favorables à l'intervention de l'Etat ; j'appelle de tous mes vœux, en bien des points, ce que l'honorable M. Jacquemyns appelait hier la destitution de l'Etat, et je rappellerai seulement ici que, dans une autre circonstance, m'occupant des intérêts communaux, parmi lesquels la voirie vicinale occupe une place si considérable, j'ai émis le profond regret qu'on n'ait pas observé les dispositions des lois financières de 1821 qui affectaient aux communes tous les centimes additionnels.
J'espère qu'un jour viendra où nous rentrerons dans cette voie, et lorsque la commune réellement émancipée, lorsque la commune, dont nous avons déjà à constater les progrès, pourra disposer des 4 millions qui figurent aujourd'hui au budget comme centimes additionnels, j'espère que le gouvernement pourra se dispenser de tout subside et que la vie communale pourra se développer sans intervention officielle.
Mais comme l'honorable. M. Hymans le remarquait, il y a deux jours, tant qu'il y aura des subsides de l'Etat, il faudra considérer comme les plus légitimes ceux qui ne s'adressent pas à des situations spéciales, mais qui encouragent un ensemble général de travaux d'utilité publique.
C’est sur ce terrain que je me place en m'occupant de la question de la voirie vicinale.
Je tiens d'abord à rappeler à la Chambre quels merveilleux progrès se sont accomplis dans ces trente dernières années. On ne sait peut-être pas assez qu'en 1830 il y avait dans toute la Belgique moins de 1,500 kilomètres de voirie vicinale. Dans la première période, de 1830 à 1840, ce nombre a été doublé, et dès lors ces travaux sont devenus si considérables que dans les dix années suivantes on a quadruplé ce qui avait été fait dans la période antérieure, et ce travail se développant toujours, on est arrivé, au lieu de 1,500 kilomètres de voirie vicinale qu'on avait en 1830, à en posséder 15,000 kilomètres en 1860, c'est-à-dire que le chiffre a décuplé.
Comment est-on arrivé à ce résultat ? Il faut le proclamer : par le loyal concours de tout le monde ; d'abord, par celui des propriétaires et des cultivateurs, dont on ne parle peut-être pas assez. Lorsqu'on étudie nos statistiques, on voit combien de sacrifices particuliers on s'est imposés pour développer la voirie vicinale.
Et ici, messieurs, je ne puis m'empêcher de relever les paroles prononcées par l'honorable M. De. Fré, lorsqu'il a prétendu que le sol était livré à des mains ignares.
Je crois que dans aucun pays du monde les cultivateurs ne consacrent, non seulement autant de zèle, mais autant de capitaux, que les nôtres à l'exploitation et au développement de la richesse du sol. Et pour m'appuyer de l'autorité d'un écrivain belge qui a fait un excellent livre sur notre économie rurale, je dirai qu'il y a deux pays au monde qui sont placés au faîte de l'industrie agricole, la Belgique et la Lombardie. Et M. de Laveleye ajoute, avec raison, qu'il y a cette différence entre ces deux pays, qu'en Lombardie la nature a tout fait en quelque sorte et l'homme presque rien, tandis qu'en Flandre, au contraire, l'homme a tout fait et souvent malgré la nature.
M. Bouvierµ. - Il y a les eaux canalisées en Lombardie.
M. Kervyn de Lettenhove. - Les eaux sont assurément un don de la nature, et je disais, en effet, qu'en Lombardie la nature a presque tout fait, tandis que dans la Flandre c'est malgré la nature qu'on est arrivé au résultat qu'on a atteint ; car c'est le plus souvent dans un sol stérile que par de pénibles labeurs on est parvenu à récolter les plus riches moissons.
Rappellerai-je les efforts des communes ?
Presque partout elles ont vendu leurs propriétés, elles ont contracté des emprunts, elles se sont imposé les charges les plus considérables pour améliorer la voirie vicinale.
Il en est de même des sacrifices des provinces, et il en est une, le Brabant, où, au lieu de 125 kilomètres qui existaient en 1830, on en avait 1,021 en 1860, c'est-à-dire que, dans une période de trente années, le chiffre a été décuplé.
Sous l'influence, de ce développement de la voirie vicinale, l'agriculture s'est élevée de progrès en progrès.
Les derniers relevés statistiques que nous ayons sous les yeux établissent que dans la période décennale de 1846 à 1856 on a défriché plus de 50,000 hectares de terres incultes, et que 70,000 hectares ont été livrés à la production des céréales ; ce qui, à raison de 20 hectolitres par hectare, a donné une augmentation de production de plus de 1,400,000 hectolitres.
Eh bien, malgré ces résultats admirables, on constate encore qu'en 1856 il y avait un déficit de 750,000 hectolitres pour la consommation belge ; et cela dans les bonnes années. Qu'est-ce donc lorsque des circonstances exceptionnelles et regrettables amènent une réduction de production agricole ?
Il faut reconnaître, messieurs, que nous avons fait un pas considérable, mais tant que la Belgique ne produira pas autant qu'elle consomme, la situation ne sera pas satisfaisante, et il restera encore quelque chose à faire.
Messieurs, il y a trois ans, en 1865, le gouvernement a saisi la législature d'un emprunt de 60 millions. Dans cette somme figurait un chiffre de deux millions destinés à l'amélioration de la voirie vicinale et de l'hygiène publique.
Le gouvernement avait cru devoir prendre cette initiative à la suite de réclamations très nombreuses qui étaient présentées par la plupart des députations permanentes des conseils provinciaux du pays. Je citerai notamment les deux Flandres, le Brabant et aussi le Luxembourg. Voici, messieurs, comment était conçu l'exposé des motifs :
« La proposition d'un crédit extraordinaire pour les améliorations à la voirie vicinale et à l'hygiène publique rencontrera sans doute un accueil sympathique. Elle tend à donner satisfaction aux vœux exprimés par plusieurs conseils provinciaux en faveur d'une intervention plus efficace de l'Etat dans les dépenses qu'imposent aux communes et aux provinces ces améliorations si utiles, si vivement réclamées sur tous les points du pays. Ces vœux, en ce qui concerne la voirie vicinale, sont fondés sur la nécessité d'assurer le prompt achèvement des chaussées en construction et de proportionner dans ce but les subsides de l'Etat à l'importance des dépenses qui restent à faire. »
Et un peu plus loin, après avoir cité les réclamations des conseils provinciaux, le gouvernement ajoutait :
« Ce qui est vrai pour ces provinces l'est également pour toutes les autres. Partout l'impulsion qui est donnée aux travaux de la voirie vicinale crée des besoins pour lesquels le crédit dont le gouvernement dispose ne peut plus suffire, et tous les ans l'administration se trouve dans la nécessité de réduire, pour la plupart des provinces, les subsides dont la répartition lui est proposée. »
Un rapport sur cet important projet fut présenté à la Chambre par l'honorable M. Jamar, que je m'applaudis de voir aujourd'hui siéger au banc des ministres, ce qui, je l'espère, nous vaudra l'adhésion du gouvernement. Voici en quels termes s'exprimait l'honorable M. Jamar :
« On nous demande les moyens d'augmenter l'énergie de ces grands leviers de civilisation, de ces puissants ressorts de la production de la richesse publique : l'instruction et les voies de communication. Notre concours sympathique ne saurait être douteux. »
Lorsque le Sénat eut à s'occuper de ce projet de loi, un de ses honorable membres M. le comte d'Aspremont-Lynden, dont j'ai déjà eu (page 376) l'honeur de citer le nom et d'invoquer l'autorité, s'émut vivement de l'insuffisance du crédit. Il faisait remarquer qu'il s'agissait non seulement de la voirie vicinale, mais aussi de l'hygiène publique ; il se plaignait de la parcimonie avec laquelle le gouvernement traitait les intérêts des campagnes et les intérêts agricoles ; il faisait remarquer que la part qui était faite à l'agriculture dans le budget était insuffisante, insignifiante, dérisoire, surtout quand on la comparait a celle qui était faite à d'autres intérêts.
Dans sa réponse à M. d'Aspremont-Lynden, M. Alp. Vandenpeereboom, qui était alors ministre de l'intérieur, ne se contenta pas de déclarer, au nom du gouvernement, qu'il comprenait l'importance de ces grands intérêts qui avaient trouvé dans l'honorable sénateur un si digne interprète ; il allait plus loin ; il disait (je citerai tout a l'heure textuellement ses paroles) que le gouvernement savait très bien qu'il avait un devoir à remplir, qu'il espérait, par ce crédit extraordinaire, faire face à des besoins immédiats et urgents, mais que si le gouvernement reconnaissait qu'il y avait quelque chose de plus à faire, il n'hésiterait pas à s'associer à des dépenses nouvelles.
C'est la réalisation de cet engagement que je viens demander au gouvernement.
Voici quelles étaient les paroles de M. le ministre de l'intérieur : « Je demande à la législature les sommes que je puis employer, les sommes dont j'ai besoin. Quand ces sommes seront épuisées, de nouveaux crédits seront demandés. » «
Il y avait donc un engagement formel de la part de l'honorable ministre de l'intérieur.
Le crédit de 2 millions qui a été partage entre la voirie vicinale et l'hygiène publique, a-t-il été suffisant ? Personne ne songera à le. soutenir. Les réclamations des conseils provinciaux et des députations permanentes n'ont pas tardé à se reproduire. Nous avons reçu notamment une pétition émanant du conseil provincial de la Flandre orientale. On y fait remarquer qu'il y a aujourd'hui, dans cette seule province, 85 projets de construction de routes communales ; qu'ils donneront lieu à une dépense de plus de deux millions, ce qui représenterait les crédits ordinaires de plus de six exercices ; que déjà, depuis 1867, le conseil provincial a disposé de tous ses crédits ordinaires jusqu'en 1870, et que par suite de l'insuffisance de l'intervention de l'Etat, on peut les considérer comme engagés jusqu'en 1874.
Eh bien, c'est là une position évidemment regrettable. Lorsque les communes s'imposent de grands sacrifices et qu'elles comprennent leur intérêt avec un zèle si intelligent, il faut les aider autant qu'on peut. Or, aujourd'hui il faut bien le reconnaître : c'est dans le chiffre voté par la législature que se trouve l'obstacle au développement de la voirie vicinale.
Messieurs, il y a un fait qui mérite une sérieuse attention : c'est que le chiffre de 1,165,550 francs, inscrit aujourd'hui dans le. budget, n'est pas appliqué entièrement à la voirie vicinale.
Lorsqu'on le décompose, on voit que la voirie vicinale ne jouit que de 975,000 francs, et, quand on étudie la répartition de cette somme, on constate qu'en 1867, par exemple, les provinces les plus favorisées n'ont pas recueilli plus de 120,000 francs de subside et qu'il y en a qui n'ont obtenu que 80,000 francs.
Je veux parler du Luxembourg...
M. Bouvierµ. - Il est sacrifié.
M. Kervyn de Lettenhove. - Sacrifié, non ; parce que si vous prenez pour base la population, il est évident que le Luxembourg a reçu beaucoup plus en obtenant 84,000 francs que la Flandre orientale qui n’en a obtenu que 118,000.
M. Bouvierµ. - Et l'étendue de terrain !
M. Kervyn de Lettenhove. - Je reconnais très volontiers que le Luxembourg a le plus grand, le plus légitime intérêt à voir étendre sa voirie vicinale, et je me plais à croire que l'appui de l'honorable M. Bouvier ne me manquera pas.
M. Bouvierµ. - Non.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je tiens aussi à faire remarquer que ce chiffre de 1,165,000 fr. inscrit au budget remonte à 1861 et que, tandis que toutes les dépenses budgétaires ont suivi un développement en quelque sorte mathématique, le chiffre qui intéresse la voirie vicinale est constamment resté immobile : je dirai même qu'au lieu de marcher en avant, on a rétrograde, car depuis 1861, comme nous le savons tous, les dépenses d'établissement de la voirie vicinale ont considérablement augmenté, de sorte, messieurs, qu'il en résulte qu'aujourd'hui, en 1869, on peut avec la même somme faire beaucoup moins qu'en 1861.
Je ne sais, messieurs, si l'augmentation que je propose avec mes honorables collègues qui ont bien voulu signer mon amendement, paraîtra à quelques-uns de vous exorbitante, exagérée ; je ne le pense pas.
Ajouter 355,000 fr. à un crédit qui touche à de si grands intérêts, à des intérêts si dignes de votre sollicitude, certes, messieurs, ce n'est pas se rendre coupable de prodigalité, et je suis convaincu que ce vote de la Chambre produirait dans le pays un effet excellent.
Lorsqu'on voit le gouvernement saisir la législature de demandes de crédit si considérables, soit pour des dépenses militaires, soit pour la construction, dans une même ville, d'un seul édifice affecté au siège de la justice, d'un seul édifice destiné à une station de chemin de fer ; lorsqu'on voit les chiffres les plus élevés accueillis dans l'intérêt de certains besoins, qui sont loin de présenter un caractère d'utilité générale, on ne comprendrait pas que le gouvernement et la législature hésitassent à accorder, dans cette question qui intéresse toute la population, un chiffre régulier de 1,500,000 fr. pour la voirie vicinale. Mais ce chiffre budgétaire ne représente que l'intervention gouvernementale, c'est-à-dire qu'elle est accordée à la condition que les communes et les provinces s'imposeront une dépense double de celle que le gouvernement consent à s'imposer lui-même.
Tout à l'heure, messieurs, j'ai cité quelques lignes d'un rapport où l'honorable M. Jamar mettait sur la même ligne l'instruction et la voirie vicinale.
C'est qu'en effet il y a entre ces deux intérêts un rapport étroit.
Développer l'instruction est une fort bonne chose, mais, croyez-vous, messieurs, qu'en amenant les hommes à avoir des relations plus fréquentes entre eux, vous n'améliorez pas aussi leur situation intellectuelle et morale ? Croyez-vous qu'en rapprochant les endroits isolés des centres où il y a plus de lumières, vous ne contribuez pas aussi à l'instruction ? Et je ne saurais mieux faire, messieurs, que d'invoquer à ce sujet l’autorité d'un économiste qui jouit ici d'une incontestable autorité, de l'honorable M. Faider qui a occupé dans le gouvernement une position que personne n'a oubliée, celle de ministre de la justice.
L'honorable M. Faider, résumant les améliorations qui se sont faites en Belgique depuis un certain nombre d'années, insistait sur ce parallèle du développement de l'instruction et de la voirie vicinale.
Et voici comment il s'exprimait : « L'instruction et la circulation sont les plus puissants ressorts du progrès social ; la première se rapporte au mouvement intellectuel, la seconde, au mouvement matériel des populations. Elles se prêtent un mutuel appui. Elles constituent, en quelque sorte, les deux grands capitaux de la nation...
« Peut-on calculer ou mesurer la prodigieuse fécondité du capital que représentent, dans un pays, la facilité et la liberté de circulation ? Quels produits donnent ces deux capitaux dans la société ! Créez des écoles, créez des routes, diminuez les charges des relations et des transports, vous assurez des bénéfices à ceux qui instruisent et qui transportent, mais vous assurez un incalculable bien-être à celui qu'on instruit ou qu'on transporte. Evidemment, c'est ici que l'on trouve la marque du siècle et que se rencontrent les plus énergiques efforts des penseurs et des gouvernants.
« Tous veulent et doivent aujourd'hui multiplier les écoles et les routes, abaisser les barrières, supprimer les taxes, faciliter les transports. L'homme intelligent et l'homme actif doivent obtenir dans la société l'instruction à tous les degrés, pour toutes les conditions, dans toutes les branches, et la circulation facile dans toutes les directions et pour tous les services. Que. de masses encore privées d'instruction, que de contrées encore privées de communications, que de choses à créer et à perfectionner ! Ce qui a été fait, l'a été en vertu des droits et des principes de l'égalité : ces titres sont immuables, universels ; tous peuvent les invoquer ; il faut les reconnaître pour tous : le passé engage l'avenir. Prodiguons donc l'instruction ; multiplions les communications et favorisons le mouvement de toutes choses : les progrès accomplis forcent les progrès futurs, et ceux qui favorisent l'instruction et les communications des hommes sont de beaucoup les plus féconds et les plus profitables.
« Nul capital créé n'est plus puissant et ne rapporte autant que le capital qualifié intelligence et mouvement ; il n'est point d'avances mieux entendues que celles que le gouvernement applique à ces deux éléments de prospérité, et s'il est un devoir capable d'inspirer le dévouement absolu et la profusion réfléchie, c'est celui des hommes qui ont le pouvoir d'être si utilement prodigues et d'assurer si efficacement le développement des esprits et des richesses, de la moralité et de l'aisance : problème supérieur à toute (page 377) contestation, à toute hésitation, à toute dissidence, suprême garantie du bonheur de tous, noble sanction de la force nationale. »
Messieurs, je me borne, en terminant, à ajouter un parallèle de chiffres à celui que présentent ces lignes si éloquentes et si vraies. Depuis 1861, vous avez triplé la dépense qui est consacrée à l'instruction primaire. Je viens vous demander seulement d'accroître d'un tiers celle qui doit favoriser le développement de la voirie vicinale, et j'espère qu'en me renfermant dans des proportions aussi modérées, j'obtiendrai à la fois et l'adhésion du gouvernement et l'appui de l'unanimité de la Chambre.
MiPµ. - Il y a dans l'argumentation de l'honorable M. Kervyn beaucoup de choses que je n'ai nullement l'intention de contester et qui sont d'ailleurs admises par tout le monde. Personne ne niera, en effet, que l'agriculture présente un grand intérêt national et est une source de revenus extrêmement importants ; qu'elle est attachée au sol, et que l'on ne peut déplacer la culture comme on déplace l'industrie. Personne ne niera, eu égard à ces considérations, à bien d'autres, non moins incontestables, que l'augmentation des voies de communication soit un très grand bien.
Mais de ces prémisses, il est impossible de conclure, selon moi, à l'admission de l'amendement présenté par l'honorable M. Kervyn.
De ce qu'une dépense est bonne, est utile, on ne peut en conclure nécessairement que cette dépense peut être faite, car, pour pouvoir la faire, il faut d'abord disposer des ressources nécessaires. Or l'honorable M. Kervyn n'a oublié qu'une chose, c'est de dire où l'on puisera les 300,000 ou 400,000 fr. qu'il voudrait voir porter au budget. Là est tout le problème.
Si le gouvernement n'avait qu'à prendre la somme, il consentirait très volontiers à augmenter le crédit de la voirie vicinale, non seulement de 400,000 à 500,000 fr., mais d'un million ou plus. Ce serait, je le reconnais, de l'argent bien employé. Mais avant de placer de l'argent, il faut en avoir ; et je demande à l'honorable M. Kervyn s'il serait disposé à voter les impôts nouveaux qui seraient, ici, la condition d'une augmentation des dépenses.
M. Coomans. - Supprimez d'autres dépenses.
MiPµ. - L'honorable M. Kervyn nous indiquera, s'il le peut, les dépenses à supprimer ; ce serait là, en effet, un moyen de trouver de l'argent, sans recourir à l'impôt ; mais je suis persuadé qu'à chaque dépense qui serait ainsi indiquée, on opposerait l'impossibilité de la supprimer.
Il est beaucoup plus facile, messieurs, de faire des professions de foi en faveur de l'agriculture et de vanter les bienfaits qui résulteraient d'un nouvel essor donné au développement des voies de communication, que de créer les voies et moyens nécessaires pour que ce résultat puisse être atteint.
Il ne faut pas oublier qu'un des principes les plus élémentaires de la comptabilité, principe imposé non pas à la Chambre par le gouvernement, mais au gouvernement par la législature, veut que l'on indique toujours où il faut prendre les ressources nécessaires pour couvrir les dépenses proposées. Or, nous demandons que l'on observe ce principe et que les honorables membres qui proposent la dépense dont nous nous occupons veuillent bien nous dire au moyen de quelles ressources elle sera couverte.
On ne peut apprécier les avantages d'une dépense qu'en les comparant aux inconvénients de l'impôt. Les dépenses sont presque toujours bonnes, les impôts sont toujours mauvais.
En principe constitutionnel, la Chambre a spécialement pour mission d'arrêter le gouvernement dans la voie des dépenses ou, ce qui est exactement la même chose, dans la voie des impôts qu'il voudrait rendre nécessaires en proposant des dépenses. Le trésor public est plutôt confié aux Chambres qu'au gouvernement ; ce n'est pas nous qui en sommes les gardiens, c'est la Chambre qui en est principalement la gardienne.
Ne perdez pas de vue la nature de la dépense qui nous occupe. S'agit-il, comme dans l'enseignement primaire, d'un service qui est à la fois d'intérêt communal et d'intérêt général ? Non, messieurs, il s'agit de ce qu'il y a de plus essentiellement communal. L'honorable M. Kervyn qui, à une autre époque, a professé dans cette Chambre les principes de la décentralisation, veut faire aujourd'hui de la centralisation ; il veut faire supporter par l'Etat des dépenses qui incombent aux communes.
L'honorable M. Kervyn dit que nous augmentons considérablement les dépenses de l'enseignement primaire ; c'est très vrai, je suis même obligé de demander encore une augmentation de 300,000 fr. pour cet objet.
M. De Fréµ. - Tant mieux !
MiPµ. - Sans doute, mais quand j'aurai pris dans le trésor ces 300,000 fr., ils n'y seront plus, et je trouve que c'est un singulier argument que celui qui consiste à dire : Vous dépensez 300,000 fr. de plus pour l'enseignement primaire, donc vous pouvez aussi dépenser 335,000 fr. de plus pour la voirie vicinale. Nous n'avons malheureusement pas le don de la multiplication de l'argent, et plus nous prenons pour une chose, moins il en reste pour une autre.
L'honorable M. Kervyn vous dit encore : Si nous pouvions disposer des centimes additionnels que le gouvernement hollandais avait établis par la loi de 1821, les communes auraient 4 millions, et avec cette somme les communes pourraient parfaitement pourvoir à tous les besoins de la voirie vicinale.
Or, je vais démontrer à l'honorable M. Kervyn que les communes ont infiniment plus encore.
D'abord elles ont, de par la Constitution, le droit d'imposer ces centimes additionnels, et certes le gouvernement, ne leur refusera pas l'autorisation de les percevoir au profit de la voirie vicinale. On est donc, à cet égard, au point de vue légal, dans une position non inférieure à celle du régime précédent.
D'un autre côté, il me sera très facile de démontrer à l'honorable M. Kervyn qu'il y a, depuis l'époque à laquelle il a fait allusion, une immense diminution d'impôt.
En effet, messieurs, en matière de chemins vicinaux, c'est l'impôt foncier qu'il faut surtout considérer, parce qu'il doit supporter la dépense ; c'est la propriété foncière qui profite de la voirie rurale. Or, l'impôt foncier est un impôt de répartition qui n'a point varié.
N'est-il pas constant que la valeur des terres a augmenté dans une énorme proportion ? Dès lors, la valeur des terres étant augmentée, alors que l'impôt restait le même, cela n'équivaut-il pas à une diminution d'impôt ? En d'autres termes, le tantième de l'impôt foncier n'est-il pas considérablement diminué ?
Ainsi, en supposant qu'on ait maintenu dans la province de l'honorable M. Kervyn l'impôt foncier ici qu'il existait en 1821, on pourrait imposer là des centimes additionnels avec infiniment plus de facilité qu'à cette époque.
Mais ce n'est pas tout. Quelle est la situation des Flandres ? Par la loi de péréquation cadastrale on y a diminué l'impôt foncier.
Or, si l'on voulait consacrer la différence à l'amélioration de la voirie vicinale, il est certain que l'on aurait toutes les ressources nécessaires pour construire les chemins dont le besoin se fait sentir.
Aussi les centimes additionnels sont devenus plus faciles à imposer, non seulement parce que le tantième du revenu qu'absorbe l'impôt foncier a diminué, mais aussi parce que, dans les Flandres, le chiffre absolu de cet impôt a été réduit par la péréquation cadastrale.
D'un autre côté, les communes ont obtenu, par la loi qui supprime les octrois, des revenus considérables.
L'honorable M. Kervyn disait : Si nous avions les 4 millions provenant de la perception des centimes additionnels, nous n'aurions pas besoin d'augmentation de subside. Mais, messieurs, le fonds communal donne 6 millions.
M. Coomans. - Il les rend.
MiPµ. - Ne jouons pas sur les mots.
Sans doute, les 6 millions du fonds communal retournent aux communes, mais ils n'en constituent pas moins une ressource extrêmement considérable et nouvelle.
Je crois avoir clairement démontré, messieurs, que la situation actuelle, comparée à celle dont M. Kervyn nous a entretenus, est incomparablement meilleure, et j'espère que l'honorable membre, convaincu de cette vérité, retirera son amendement.
L'honorable M. Kervyn, messieurs, a cité un discours que mon honorable prédécesseur a prononcé au Sénat, discours dans lequel il a reconnu que les chemins vicinaux sont une excellente chose et l'agriculture une source de richesse.
On a fait sur ce sujet bien des phrases depuis le commencement du monde.
Tous les poètes de l'antiquité, les hommes d'Etat de toutes les époques ont proclamé les bienfaits de l'agriculture.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai cité un engagement du ministre parlant au Sénat.
MiPµ. - Quelle peut être la valeur d'un pareil engagement, sinon la promesse de faire pour le mieux ?
C'est une manifestation d'intentions excellentes, mais qui ne peuvent se réaliser que d'après les faits.
Messieurs, je crois qu'il est utile de signaler à la Chambre la situation de nos chemins vicinaux, afin de constater les progrès que nous avons faits à cet égard, et de comparer cette situation à celle d'un pays voisin où l'on a fait de grands efforts pour améliorer la voirie vicinale, pour faire comprendre à la Chambre le développement que votre voirie a atteint.
(page 378) Nous avions, en 1830, 1,500 kilomètres, de chaussées vicinales. En 1841, ce chiffre était doublé ; il y en avait à peu près 3,000.
De 1841 à 1867 on a fait 18,000 kilomètres, ce qui porto le total à 21,000.
Quand on marche de cette façon, on peut être assez satisfait de la situation.
Si nous comparons cette quantité de kilomètres à la surface du pays, nous trouvons que nous avons 21,000 kilomètres de chaussées vicinales pour 30,000 kilomètres carrés de superficie, ce qui fait à peu près 610 mètres de chaussées vicinales par kilomètre carré. C'est très considérable.
La superficie de la France est de 542,000 kilomètres carrés, et il y a 240,000 kilomètres de chemins faits ; encore dans ces 240,000 kilomètres je comprends ce qu'on appelle des chemins vicinaux de toute catégorie ; ces chemins ne sont, je pense, pas tous de la même nature que nos chaussées vicinales. Mais enfin je prends 240,000 kilomètres et je trouve qu'on n'a en France par kilomètre carré de superficie que 440 mètres de voirie vicinale entretenue.
Pour arriver à l'état où nous sommes il faudrait donc en France construire encore 90,000 kilomètres de chemins vicinaux. Messieurs, pour construire 90,000 kilomètres de chemins, combien faut-il dépenser ? Je suppose qu'en France les chemins coûtent moins qu'ici, parce que nous avons une partie notable du pays où les pierres manquent : en Flandre, ce qui fait surtout le prix des chemins vicinaux, c'est l'absence de matières pierreuses. Il y en a qui coûtent peut-être, par kilomètre, 20,000 francs. Notre moyenne approche de 7,000 fr.
M. Crombez. - Ils coûtent beaucoup moins en France.
MiPµ. - Je crois bien que c'est trop ; je crois qu'en France on estime pouvoir faire des chemins vicinaux à raison de 5 fr. le mètre.
On porte peut-être moins encore, mais on en a toujours pour son argent, et en abaissant encore beaucoup le prix, on n'a plus de vraies chaussées vicinales.
Eh bien, messieurs, en comptant pour la France la dépense à ce chiffre, il faudrait, pour construire 90,000 kilomètres, une dépense de 450 millions de francs. Oui, messieurs, il faudrait dépenser 450 millions pour mettre la France au même niveau que nous, sous le rapport de la voirie vicinale comparée à la superficie du pays.
Je dois dire toutefois que le gouvernement français fait de grands efforts pour améliorer la voirie vicinale.
Il considère qu'il a à ajouter aux voies actuelles qui comportent 240,000 kilomètres, pour avoir un réseau comprenant tout ce que l'intérêt actuel du pays exige, 170,000 kilomètres.
Il espère effectuer cette construction en dix ans.
La France aurait donc alors 420,000 kilomètres, ce qui représente 770 mètres par kilomètre carré.
Mais si nous tenons compte de ce que la France se propose de faire, nous ne devons pas oublier ce que nous-mêmes nous faisons. Il s'agit ici d'un problème semblable celui qui est connu en algèbre sous le nom de problème des courriers ; il faut tenir compte de la marche des deux concurrents pour savoir quand il se rejoindront.
Or, nous faisons environ 500 kilomètres par an ; dans dix ans nous aurons fait 5,000 kilomètres à ajouter à ces 21,000 ; nous en aurons donc 26,000, ce qui nous donnera plus de 850 mètres de chaussée vicinale par kilomètre carré.
Remarquez que la France fait un immense effort pour arriver a cette situation ; et que nous nous maintenons dans une situation meilleure avec ce que nous faisons aujourd'hui.
Je crois qu'il était bon de signaler à la Chambre les progrès que nous avons faits en matière de voirie vicinale, et la situation éminemment favorable où nous sommes. Je crois que quand on constate de pareils faits, on peut ne pas montrer trop d'impatience et ne pas provoquer des dépenses nouvelles surtout, sans se préoccuper des ressources nécessaires pour les payer. On peut attendre le retour des excédants de recettes que nous avons eus pendant un grand nombre d'années et qui, espérons-le, se reproduisant un jour, permettront alors de faire des dépenses qui ne sont pas impérieusement nécessaires aujourd'hui.
M. Kervyn de Lettenhove. - M. le ministre de l'intérieur vient, d'une manière assez générale, de faire un reproche à la législature d'intervenir dans la discussion du budget pour demander des augmentations de crédit.
Il y a, selon moi, une distinction essentielle à faire. Notre devoir est de peser mûrement certaines dépenses lorsque nous croyons qu'elles peuvent être stériles et qu'elles ne sont pas complètement justifiées ; mais, d'autre part, lorsque nous pouvons contribuer à l'extension de la richesse publique et diriger l'emploi des deniers des contribuables dans une voie féconde, notre devoir est d'intervenir, même par des augmentations de crédit.
Tout à l'heure, M. le ministre de l'intérieur nous disait que la France s'imposait une dépense annuelle de 41 millions pour le développement de la voirie vicinale. Eh bien, messieurs, comparez le crédit qui figure a notre budget, moins d'un million, et comme il constitue le tiers de la dépense annuelle, celle-ci ne représente que 2,700,000 ou 2,800,000 francs pour toute la Belgique.
Certes, messieurs, de notables progrès ont été réalisés. De 1840 à 1867 la voirie vicinale a reçu une remarquable extension, et il faut en féliciter les provinces et surtout les communes, qui se sont imposé les plus grands sacrifices. Mais ce qui est non moins important a constater, c'est que les besoins ne sont pas satisfaits et que, dans la plupart de nos provinces, on ne peut plus rien faire parce que les ressources manquent.
J'ai cité, il y a quelques instants, la pétition du conseil provincial de la Flandre orientale, qui expose que tous les fonds sont engagés jusqu'en 1874 et que les communes qui ont les meilleures intentions pour améliorer leur voirie vicinale, sont réduites à ne rien faire, parce qu'elles ne peuvent plus compter sur l'intervention du gouvernement.
M. le ministre me répond : « Il y a en Flandre des communes qui sont assez riches pour s'imposer des centimes additionnels ; l'agriculture y est assez florissante pour que ces sacrifices puissent être aisément supportés. »
Je rappellerai d'abord ce. que l'honorable M. de Macar disait hier : que l'agriculture paye bien autre chose que l'impôt foncier et qu'elle intervient de vingt façons différentes dans les impôts publics. Mais que M. le ministre de l'intérieur veuille aussi remarquer que lorsque j'ai déposé mon amendement, je n'ai pas songé seulement à la Flandre ; je me suis préoccupé de toutes les provinces du pays, et en Flandre comme ailleurs, bien moins des communes riches que de celles qui, plus modestes ou plus isolées, ont besoin, pour se mettre au niveau des autres, de développer avant tout leur voirie vicinale.
S'il est hors de doute que, depuis un grand nombre d'années, le travail agricole a pris de grands développements en Belgique, s'il est également incontestable que l'extension de la voirie vicinale a exercé la plus heureuse influence sur les progrès de l'agriculture, il faut aussi reconnaître que ces progrès se rencontrent surtout chez les communes qui, reléguées d'abord dans une position plus désavantageuse, ont réussi, par leurs sacrifices, à se placer au niveau de toutes les autres.
Je prévoyais la grande et unique objection de M. le ministre : « Il n’y a pas d'argent ; faites-nous connaître où nous pourrons trouver ces 335,000 francs que vous voulez ajouter au budget. »
Messieurs, je n'hésite pas à dire que l'opposition soulevée par M. le ministre de l'intérieur est bien regrettable ; car, d'une part, il reconnaît qu'il s'agit d'une dépense extrêmement utile, et qui, de plus, selon moi, est nécessaire. Or, se peut-il, quand il y a lieu de pourvoir à une dépense urgente selon nous, éminemment utile selon le gouvernement, que les ressources publiques soient insuffisantes pour faire face à un chiffre de 335,000 francs ?
Mais que M. le ministre de l'intérieur veuille nous dire à combien s'élèvent les crédits extraordinaires qui, chaque année, sont demandés à la Chambre ; nous aurons à examiner si, à côté de ces crédits, une somme de 335,000 francs est assez exorbitante pour déranger l'équilibre des finances de l'Etat.
J'ai lu dans un ouvrage d'économie politique que les produits de l'agriculture s'élèvent en Belgique tous les ans à la valeur d'un milliard ; et je remarque, dans le tableau résumé des budgets, que de 1865 à 1869 les ressources annuelles de l'Etat se sont élevées, en six ans, de plus de dix-huit millions.
Eh bien, j'ai le droit de me demander pour quelle part le travail agricole a contribué à ce développement des ressources de l'Etat ; et s'il est vrai que, chaque année, il y contribue dans des proportions considérables, peut-on lui refuser ce subside de 335,000 francs, qui n'est pas même une majoration de crédit, car, par suite du renchérissement de toutes choses, ce n'est en quelque sorte que le rétablissement du crédit dans son chiffre primitif.
M. le ministre de l'intérieur disait tout à l'heure qu'il allait saisir la Chambre d'une demande d'augmentation de crédit pour l'instruction primaire, d'un chiffre à peu près égal, de 300,000 francs.
Ce crédit supplémentaire n'est pas le premier ; il yen a eu l'année dernière ; il y en a eu d'autres il y a deux ans ; il y en a chaque année ; la Chambre les a toujours votés. Mais il ne s'agit pas seulement de bâtir des maisons d'école ; il faut que les populations puissent y arriver ; il faut (page 379) créer des routes, pour que les habitants éloignés des centres de population puissent se rendre la où vous construisez l'école. .Je ne crois pas devoir insister sur ce point.
Mais j'appelle l'attention de la Chambre et du gouvernement sur ce fait incontestable, que ce sont les travaux de la voirie vicinale qui ont surtout contribué à accroître la richesse agricole, de la Belgique ; que, pour se développer de plus en plus, il faut que l'extension de la voirie vicinale continue à seconder ses efforts.
Ce n'est pas, en réalité, une dépense ; ce n'est qu'un prêt qu'on ferait à l'agriculture, et elle le rembourserait généreusement ; pourriez-vous, messieurs, voter une allocation plus utile ?
M. Coomans. - Messieurs, je viens appuyer l'amendement. L'argumentation de M. le ministre de l'intérieur est bonne et même irréfutable, à l'égard de ceux des membres de cette assemblée qui ont voté toutes les dépenses inscrites au budget et qui ne sont pas disposés aujourd'hui à recourir a de. nouveaux impôts. Ceux-là, je le reconnais, se trouvent acculés à ce dilemme : ou de nouveaux impôts ou pas d'augmentation de crédit. M. le ministre de l'intérieur a admirablement enfoncé la porte de ces messieurs-là. Mais il est. d'autres membres de la Chambre, et je suis du nombre, qui n'approuvent pas un grand nombre des dépenses inscrites au budget ; par conséquent, l'argument de M. le ministre de l'intérieur ne me touche pas.
Je dis en bonne logique : passons en revue tous les articles du budget et prononçons-nous pour ceux qui sont les plus utiles.
Pour ne pas sortir du chapitre de l'agriculture, je réponds qu'aux yeux de tous les paysans, et ils ont autant de bon sens que les autres citoyens et ils ont l'avantage d'être plus intéressés dans la matière, je dis donc qu'aux yeux de tous les paysans sensés il n'y a pas de comparaison à établir entre tout votre magnifique chapitre de l'agriculture et la voirie vicinale.
La différence est telle entre les encouragements de. parade qui figurent au chapitre XI et les encouragements d'utilité réelle et éternelle que réclame la voirie vicinale, que je consens pour ma part à rayer ce chapitre du budget pourvu qu'on en reporte le chiffre à la voirie vicinale.
Et ici ce n'est pas l'honorable ministre qui aura lieu de se récrier, attendu que c'est là son opinion ; c'est l'opinion qu'il exprimait dans le bon temps lorsqu'il n'était pas ministre.
Il y a quelques jours, dans une interruption non suffisamment motivée, je le reconnais, je disais : Consacrez tout le chiffre du chapitre « Agriculture » à la voirie vicinale. Beaucoup de membres du parti qui appuie l'honorable ministre ont trouvé alors que j'avançais un paradoxe.
Or, messieurs, c'est l'honorable ministre lui-même, lorsqu'il n'était pas encore ministre, qui a soutenu, qui a démontré à suffisance de logique et de faits que toutes les dépenses qui figurent au chapitre de l'agriculture, seraient bien plus utiles appliquées autrement ; mais, dit l'honorable ministre, le gouvernement n'a pas d'argent.
Messieurs, c'est encore là une de ces ficelles parlementaires que j'ai vu jouer trop souvent pour encore en être dupe.
L'histoire de tous les parlements, celle du parlement belge en particulier, nous prouve que tous les ministères quelconques trouvent toujours de l'argent quand ils le veulent. Mais ils ne veulent trouver de l'argent que pour l'exécution de leurs projets à eux. Quant aux projets qui émanent de notre initiative et cela par la volonté publique, toujours même réponse : Point d'argent. Pas même 355,000 fr. pour le plus grand de tous les intérêts agricoles. Mais quand il s'agit de millions pour l'armée, pour des canons perfectionnés, des fusils, pour la diplomatie, pour les décorations, pour je ne sais quoi, l'augmentation de tous les appointements des fonctionnaires grands et petits, surtout des grands, oh ! alors il y a de l'argent ; et cet argent, je suis bien sûr qu'il ne tombe pas du ciel, mais je le vois sortir de terre au moindre mot prononcé par M. le ministre des finances.
Et si nous avions l'extrême sagesse de voter aujourd'hui l'amendement de M. Kervyn, l'argent se trouverait demain ; c'est-à-dire qu'il existe déjà aujourd'hui.
Pas d'impôts nouveaux, dit-on. Non certes ; nous en avons beaucoup trop, mais il ne faut pas d'impôts nouveaux pour donner cette maigre satisfaction à l'agriculture, supprimez d'autres dépenses ; ajournez d'autres projets, et le problème sera résolu.
Je sais bien quelle sera la réplique du gouvernement ? Toutes les dépenses que nous proposons, dira-t-on, sont excellentes ; les vôtres n'ont pas ce caractère. Nos dépenses sont bonnes ; pour les vôtres, il faut trouver des voies et moyens.
Je donne à ce raisonnement le même qualificatif que j'ai risqué tout à l'heure.
Non, j'ai toujours passé pour ce qu'on appelle un député agricole ; je représente une des plus pauvres contrées du pays, qui est presque exclusivement agricole. Eh bien, je le déclare, quoique les paysans de la Campine, aient tondu de leur langue quelques herbes dans le pré du budget, de temps en temps ; quoique je reconnaisse que pour le défrichement il ait été fait des dépenses utiles ; je consens, en leur nom, et je suis bien sûr de ne pas être démenti, ni par eux, ni par leurs autres représentants, à transformer tout le chapitre XX en dépenses pour la voirie vicinale.
Vous supprimeriez tout ce chapitre, tous ces encouragements de parade, que nos paysans ne s'en apercevraient pas, et je ne ferais pas même exception pour le premier article de ce chapitre : Indemnités pour bestiaux abattus. Certes, il y a beaucoup d'arguments à faire valoir en faveur de presque toutes ces dépenses. Mais il faut toujours avoir la balance en main, parce que la balance, est l'emblème de la justice, et notre premier devoir est d'être justes. Or, nous ne sommes pas justes quand, sous prétexte de favoriser l'agriculture, nous favorisons surtout et presque exclusivement un certain nombre de fonctionnaires qui en vivent.
Voilà la vérité. Car si nous savions le peu qui rentre dans la poche des paysans de ces 900,000 fr. que nous votons pour eux, nous serions effrayés.
Quant à la voirie vicinale, elle est utile non seulement à tout le monde, à tous les contribuables, à ceux des champs comme à ceux des villes, ce que l'honorable ministre de l'intérieur a trop d'esprit pour contester, mais la voirie vicinale est particulièrement utile au trésor, attendu qu'elle développe les relations des populations, la plus-value des propriétés, et, comme conséquence, certains impôts directs, l'impôt personnel par exemple, et d'autres encore. J'ai l'intime conviction que les sommes si justement affectées par la législature à la voirie vicinale sont déjà rentrées dans les caisses du département des finances avec des intérêts usuraires. L'honorable ministre, qui sourit dédaigneusement, ne peut pas cependant nier que l'augmentation de la richesse publique se résout en une augmentation des recettes du trésor. Combien de localités n'avons-nous pas vues développer leurs ressources par suite de l'établissement de routes pavées ! Eh bien, n'est-ce pas en définitive le trésor qui en a profité le premier ?
En réalité, il n'y a pas un argument solide à nous opposer. Je l'aurais beau, si je faisais une comparaison un peu sévère entre nos dépenses. Je le répète, je veux m'en abstenir pour le moment, mais vous devez être convaincus tous, je dirai même que vous êtes convaincus tous, quelle que soit votre vote, que la plus utile de toutes les dépenses faites en vue de l'agriculture, c'est la voirie vicinale, et je dirai même que dans un pays si essentiellement agricole et pacifique que la Belgique, il est incroyable qu'on refuse aux populations rurales 355,000 fr. alors qu'on trouve dix, quarante, cent millions pour le militarisme.
M. Eliasµ. - Personne ne doutera, je pense, de l'intérêt que je porte à l'agriculture et surtout à le voirie vicinale, qui est un de ses principaux éléments de progrès. Cependant il m'est impossible d'adopter l'amendement de M. Kervyn. Je me vois ainsi forcé d'expliquer les motifs de mon vote.
Il ne suffit pas, messieurs, de faire des routes, il faut aussi les entretenir.
Or, dès maintenant les provinces et les communes n'ont pas le moyen de le faire convenablement. Pour vous faire connaître quelle est, sous ce rapport, la mauvaise situation des provinces, il me suffirait de citer une brochure publiée par M. de Mevius, à l'occasion de l'abolition des barrières. Si donc aujourd'hui l'Etat construisait toutes les routes que demandent les provinces et les communes, celles-ci seraient dans l'impossibilité de les entretenir, et ce d'autant plus qu'elles devraient intervenir dans les frais de construction. Et comme elles manquent actuellement de fonds, elles devraient recourir à l'emprunt et aux impôts nouveaux et tariraient ainsi les sources où elles pourraient puiser dans l'avenir.
Il y a un autre inconvénient dans la proposition qui nous est faite. C'est que si vous augmentez indéfiniment les subsides, l'attention sera d'autant plus vite éveillée sur la manière dont ils sont distribués et alors on s'apercevra facilement que certaines provinces payent pour d'autres provinces.
L'honorable M. Kervyn pourra du reste se consoler facilement de l'insuccès probable de sa proposition. En effet, au moyen d'une taxe provinciale qui ne grèvera pas plus fortement les habitants de la Flandre orientale que la part d'impôts que représente l'augmentation du subside sollicité par lui, il obtiendra beaucoup plus que ce que celle-ci lui aurait donné. Il en est de même de l'honorable M. Coomans, qui représente ici un arrondissement de la province d'Anvers. Il aura beau dire qu'il ne propose pas d'impôts (page 380) nouveaux, qu'il propose au contraire la suppression de certaines dépenses qu'il considère comme moins utiles que la voirie vicinale, il n'en restera pas liions acquis que ces dépenses sont votées, et qu'il faudra bien les payer ; et comme le budget n'a pas de ressources disponibles, que ses commettants devraient payer leur part des ressources nouvelles créées a cet effet. Pour les ressources actuelles du budget, voici la situation :
Si vous comparez les sommes que reçoit chaque province dans la répartition des subsides et la somme que paye la même province dans les impôts de toute nature qui forment les recettes du trésor, vous trouvez les résultats les plus curieux, les inégalités les plus choquantes dans la comparaison de ces sommes.
Ainsi la province d'Anvers que représentent MM. Coomans et de Zerezo, tous deux signataires ou défenseurs de la proposition, la province d'Anvers paye, en contributions au profit de l'Etat, une somme de 17,950,000 fr.
El si on distribuait les subsides pour la voirie vicinale, et pour l'hygiène proportionnellement à la part d'impôts payée par chaque province, la province d'Anvers devrait toucher une somme de 170,000 francs. Or, elle n'a reçu l'année dernière qu'une somme de 111,000 francs. La province d'Anvers perd de ce chef 59,000 francs, il en résulte que si, au lieu de puiser par l'Etat une partie des ressources qui sont nécessaires pour les chemins vicinaux, la province d'Anvers les percevait elle-même, elle obtiendrait 39,000 francs en plus.
La proposition préconisée par l'honorable M. Coomans aboutirait donc à faire perdre à sa province 20,000 fr. de plus annuellement.
Ceci demande deux mots d'explications. L'Etat a perçu pendant l'année 1867 cent dix-huit millions de francs par ses douanes, les accises, l'enregistrement et les impôts directs. D'après M. Quetelet, Anvers a payé pour sa part 17,950,000 fr. La somme donnée en subsides pour la voirie et l'hygiène s'est élevée à 1,120,000 fr. Si Anvers avait reçu proportionnellement à la somme qu'il a versée au trésor public, il aurait dû recevoir une somme de 170,000 fr. Comme il n'a reçu que 111,000 fr., Anvers a perdu 59,000 fr. En augmentant le subside de la voirie de 580,000 fr. comme les auteurs de l'amendement le proposent, il ne résultera qu'un surcroît de déficit pour cette province.
Quant à la Flandre orientale, elle paye au trésor public 18,100,000 fr. Elle devrait recevoir pour la voirie vicinale et l'hygiène 170,000 fr. ; elle n'en a reçu en 1867 que 134,000 fr. ; elle a donc perdu 36,000 fr.
Et l'augmentation de 380,000, fr. que l'honorable M. Kervyn veut faire voter en plus, ne ferait qu'ajouter chaque année 13,000 fr. approximativement de plus à ce déficit.
Quant à l'honorable M. Delcour, qui a également signé l'amendement, je déclare que c'est lui qui a fait la plus mauvaise spéculation qu'il soit possible de faire.
Le Brabant paye, dans les contributions, 20,510,000 francs. Il devrait recevoir, si le subside était distribué proportionnellement à ce chiffre, 277,000 francs. Il ne perçoit chaque année que 133,000 francs ; il perd donc exactement 144,000 francs, c'est-à-dire que pour un franc qu'il paye en impôt, il reçoit en subside un peu moins de cinquante centimes.
M. Coomans. - Ces chiffres ne sont pas sacramentels, on peut les changer.
M. de Theuxµ. - Je demande la parole.
M. Eliasµ. - Le Limbourg paye en contributions 5,150,000 francs. Il reçoit en subside 121,000 francs.
Si on distribuait le fonds proportionnellement, il ne recevrait que 50,000 fr., et il en résulte qu'il fait chaque année un bénéfice de 70,000 fr.
L'honorable M. Lelièvre, qui a également signé l'amendement, représenté la province de Namur. Cette province ne paye en contributions de toute nature que 5,460,000 fr. Si l'on observait la règle de distribution proportionnelle, elle ne recevrait que 31,000 fr. Elle reçoit 111,000 fr., soit 60,000 fr. de plus.
Quant à la Flandre orientale, elle paye 11,380,000 fr.
M. de Naeyerµ. - C'est une erreur ; elle paye beaucoup plus.
M. Eliasµ. - Ce sont les chiffres de l'Annuaire de M. Quetelet pour 1867.
M. Kervyn de Lettenhove. - Les chiffres du gouvernement ne sont pas les mêmes.
M. Bouvierµ. - Ce sont de singulières statistiques.
M. Eliasµ. - Par conséquent, elle ne devrait recevoir que 109,000 fr. Elle en reçoit 140,000 fr., c'est-à-dire qu'elle fait un bénéfice de 31,000 fr. On peut donc dire que MM. Lelièvre et Liénart en signant l'amendement, pouvaient seuls espérer en tirer une conséquence avantageuse.
Messieurs, l'exagération du système des subsides le fera peut-être abandonner. Ce système a cependant fait exécuter des améliorations qui ne se seraient pas réalisées dans d'autres conditions. En en abusant, en augmentant toujours, en voulant faire payer perpétuellement, par une partie du pays, des travaux qui sont faits surtout dans l'intérêt d'une autre partie, on fera examiner avec plus de soin la répartition qui en est faite et on arrivera, ou bien en changeant le mode de distribution, à ne plus tenir compte des nécessités locales, du manque relatif de ressources de certaines communes, ou bien à faire supprimer complètement les subsides, au détriment des nécessités qui peuvent encore exister.
M. Bouvierµ. - Les honorables MM. Coomans et Kervyn ont parfaitement établi l'utilité d'améliorer la voirie vicinale. Je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point. Je pense qu'il n'y a qu'une voix dans cette assemblée pour reconnaître cette incontestable utilité.
L'honorable M. Kervyn m'a fait l'honneur de me demander si mon concours était acquis à l'amendement qu'il vient de développer devant vous.
Je l'ai dit hier : j'y prête les deux mains ; mais je désire obtenir de certains membres une réponse à cette simple question : Où puisent-ils les ressources à l'aide desquelles ils veulent couvrir la dépense que consacre cet amendement ?
Quant à M. Coomans, il a un moyen absolu, radical, héroïque : il fait table rase du chapitre IX, consacré à l'agriculture ; c'est un rôle commode, mais peu pratique.
De ce chapitre il n'entre rien, dit-il, dans la poche des cultivateurs.
M. Coomans. - J'ai dit très peu.
M. Bouvierµ. - Ah ! maintenant il y a déjà une atténuation...
M. Coomans. - Du tout ; je l'ai toujours dit.
M. Bouvierµ. - Je constate qu'il y a des degrés dans votre absolutisme. Permettez-moi de vous en féliciter.
Dans la séance d'hier, messieurs, j'ai soutenu que le gouvernement ne devait intervenir que quand il y avait nécessité absolue, quand il s'agissait, par exemple, de donner un coup de fouet pour stimuler, exciter l'agriculture et lui rendre un service momentané, mais que je repoussais son intervention quand elle pourrait voler de ses propres ailes, si je puis m'exprimer ainsi.
Je suis loin de penser qu'il faille aller aussi loin que M. Coomans ; je crois, au contraire, qu'il y a dans le chapitre de l'agriculture des articles incontestablement bons ; ceux relatifs à l'enseignement, aux conférences, par exemple. Cet article est excellent...
M. Coomans. - Pour les professeurs...
M. Bouvierµ. - Il est excellent pour tout le monde ; il n'y a d'ailleurs pas d'enseignement sans professeur, et vous n'oseriez pas en demander la suppression. On a le plus grand intérêt, à Turnhout comme ailleurs, à ce que les paysans, dont vous faites, à bon droit, si souvent l'éloge dans cette enceinte, reçoivent une instruction plus complète, car tous ont encore beaucoup à apprendre, leur éducation agricole étant loin, bien loin d'être faite.
Je le répète, messieurs, mon concours est acquis à l'amendement, et je crois que la Chambre tout entière, serait disposée à le voter, mais à la condition d'avoir des ressources financières qui nous font actuellement défaut. Or, encore une fois, je demande, où sont ces ressources ? (Interruption.) Personne n'en indique. L'honorable M. Rogier me fait une observation fort juste ; il demande si les provinces et les communes prêteront leur concours à l'augmentation de la dépense qu'entraînerait l'adoption de l'amendement.
M. Coomans. - Oui ; essayez.
M. Bouvierµ. - Oui ? Eh bien, quand vous demanderez à la ville de Turnhout et aux communes de votre arrondissement si elles sont disposées à contribuer pour des sommes élevées, nous verrons si elles accepteront.
M. Coomans. - Oui : je le garantis.
M. Bouvierµ. - Eh bien, je vous attends à l'œuvre ; je me permets de vous donner le conseil de la tenter.
Je ne demande pour le moment qu'une chose, c'est que le gouvernement examine avec bienveillance la question de savoir s'il n'y a pas possibilité de retirer du chapitre de l'agriculture quelques subsides que nous avons combattus et de les reporter, pour l'exercice prochain, à l'article consacré au développement de la voirie vicinale.
Je crois que ce conseil satisfera les honorables signataires de l'amendement.
Il ne faut pas cependant que nous, membres de la majorité, nous passions, aux yeux des cultivateurs, pour être hostiles au fond même de l'amendement. Si, pour ma part, je n'y souscris pas, c'est, je le répète, parce que les signataires de cet amendement s'abstiennent d'indiquer les ressources nécessaires pour couvrir ce surcroît de dépense. Voilà, messieurs, le seul (page 381) motif pour lequel je me vois obligé de voter, dans les circonstances actuelles, contre l'amendement qui nous est proposé, et je pense que cette opinion sera partagée par la majorité des membres de cette assemblée.
M. de Theuxµ. - On nous demande où sont les ressources. Mais, messieurs, n'est-il pas évident que, tous les ans, nous avons des excédants de recettes ? n'est-il pas également évident que, tous les ans, on introduit des dépenses nouvelles ? Eh bien, comptons encore sur les excédants de recettes, mais inscrivons en première ligne les dépenses que réclame la voirie vicinale et nous aurons rendu un grand service au pays.
Un honorable député de Liège vient de faire le compte de ce que chaque province paye et reçoit.
Mais, messieurs, ne bornons pas ce calcul au seul objet dont l'honorable membre s'est occupé. Prenons l'ensemble des recettes et des dépenses et voyons quelle est la situation de chaque province ; nous arriverons alors à des résultats bien différents de ceux qu'a signalés l'honorable membre.
Lorsqu'on a décrété le maintien de l'allocation pour travaux de routes, nous avons démontré plusieurs fois que supprimer ce chiffre, ce serait une injustice à l'égard des provinces les moins favorisées, attendu que nos premières ressources ont été consacrées aux provinces où l'industrie est le plus florissante et qui par conséquent sont les plus riches. C'est à l'aide de l'argent puisé dans la poche de tous les contribuables, qu'elles ont été pourvues les premières de chemins qui ont largement contribué a accroître leurs bénéfices ; de sorte que, comme je viens de le dire, il y aurait une véritable injustice à ne pas faire pour les autres provinces ce qu'on a fait pour celles-là.
Quant au chiffre des recettes générales qui ont été faites dans diverses provinces, il ne prouve absolument rien ; il se compose, entre autres, des impôts de consommation perçus à la douane ou à la fabrication, et ces droits sont, en réalité, supportés par tous les habitants du pays.
En outre, l'honorable membre ne tient aucun compte des dépenses qui sont beaucoup plus considérables dans certaines localités et qui en profitent le plus. Enfin, et spécialement en matière de travaux publics, les localités qui fournissent les matériaux, pierres, pavés, profitent des travaux qui se font ailleurs.
Tout ce qu'on nous a dit, messieurs, tendrait uniquement à faire retourner la Belgique à l'époque très ancienne où chaque province faisait ses recettes et payait ses dépenses ; il en était même ainsi dans plusieurs communes. Je ne crois pas qu'on veuille en revenir à ce régime qu'on a justement abandonné.
Je demande donc que le gouvernement et les Chambres persistent dans ce système d'équité qui consiste à faire hardiment pour les provinces qui ont le moins de ressources, ce qu'on a fait depuis longtemps pour les provinces les plus riches par leur industrie.
- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !
MfFOµ. - Je ne veux faire qu'une seule observation ; je veux simplement rappeler brièvement quelques faits à la Chambre.
Nous avons, messieurs, deux natures de dépenses : les dépenses ordinaires et les dépenses extraordinaires. Les budgets vous ont été soumis, la situation du trésor vous a été exposée, et le rapport de l'honorable M. de Macar sur le budget des voies et moyens constate que les recettes prévues couvrent à peine les dépenses prévues. Voilà, en deux mots, la situation.
Vous l'avez examinée, messieurs, vous l'avez ainsi reconnue sur le rapport de l'honorable M. de Macar.
Vous nous avez dit, par l'organe de l'honorable M. de Macar : Soyons prudents ; ne faisons pas de nouvelles dépenses sans nécessité absolue. Voilà ce qui nous a été dit, pour les dépenses ordinaires, par l'honorable organe de la section centrale.
M. de Macarµ. - Et c'est le seul motif qui m'empêche de voter l'amendement.
MfFOµ. - Vous avez encore des dépenses extraordinaires. Quant à celles-là, que constate la situation du trésor ? qu'au delà des ressources spéciales affectées à ces dépenses, il y a 10 millions au moins pour lesquels aucune ressource n'existe. Dans cet état de choses, il est assez étonnant d'entendre dire : « Quand on le veut, on trouve toujours de l'argent. »
C'est avec ce système-là, c'est en s'engageant successivement dans des dépenses non couvertes par des ressources qu'on arrive au déficit.
Eh bien, dans cette situation-là, est-il raisonnable de faire une dépense utile, nous le voulons bien, mais qui certainement n'est pas indispensable, d'autant moins indispensable qu'il s'agit d'un service, non pas obligatoire, mais purement facultatif, pour lequel l'Etat se substitue à une obligation essentiellement communale ?
Messieurs, je m'étonne que les honorables MM. Kervyn et Coomans, qui se sont élevés tant de fois contre le système de centralisation, ne disent pas, principalement à cet article-là : « Laissez aux provinces le soin de faire leurs routes provinciales, laissez aux communes le soin de faire leurs routes communales ; que les provinces et les communes votent les impôts nécessaires à cette fin, en vertu du droit constitutionnel qui leur est attribué. »
Au lieu de cela, ces honorables membres exagèrent le système contraire, celui de l'intervention de l'Etat. Je le répète : j'approuve dans une certaine mesure l'intervention pécuniaire de l'Etat dans les dépenses de ce genre ; mais, comme ces dépenses sont nécessairement facultatives, au point de vue de l'Etat, il serait tout à fait déraisonnable, dans la situation où nous nous trouvons, d'exagérer l'application de ce système d'intervention.
- La clôture de la discussion est prononcée.
M. le président. - Le bureau a composé ainsi qu'il suit la commission chargée d'examiner le projet de loi présenté, dans la séance de ce jour, par M. le ministre de la justice : MM. Dolez, de Theux, de Brouckere, Orts, de Vrière, de Naeyer et Delcour.
MpVµ. - Je mets aux voix l'amendement présenté au chapitre de la voirie vicinale. Cet amendement est ainsi conçu :
« Les soussignés ont l'honneur de proposer de porter le chiffre de l'article 63 du budget (voirie vicinale) à quinze cent mille francs.
« Kervyn de Lettenhove. Zerezo de Tejada. Alb. Liénart. C. Delcour. X. Lelièvre. »
- Des membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à cette opération.
M. le président. - Le résultat du vote constate que la Chambre n'est plus en nombre ; 59 membres seulement ont répondu à l'appel nominal.
Ce sont : MM. Allard, Beke, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Coomans, Crombez, de Brouckere, de Clercq, De Fré, de Haerne, Eug. de Kerckhove, de Macar, de Montblanc, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, de Terbecq, de Theux, de Vrints, Dolez, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Lebeau, Lefebvre, Liénart, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Mulle, de Terschueren, Nélis, Nothomb, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Schmitz, Schollaert, Thonissen, Van Cromphaut, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Vander Maesen Van Humbeeck, Van Iseghem, Visart et Vleminckx.
Avaient un congé :
MM. Broustin, de Borchgrave, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, d'Elhoungne, Descamps, Dethuin, Dewandre, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Jouret, Julliot, Notelteirs, Orts, Tesch, Thibaut, Alphonse Vandenpeereboom, Van Merris, Wasseige et Wouters.
Etaient absents sans congé :
MM. Ansiau, Anspach, Bara, Beeckman, Bieswal, Braconier, Bruneau, Carlier, Coremans, Couvreur, David, de Baillet-Latour, de Coninck, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Maere, de Moor, de Muelenaere, Dumortier, Dupont, Gerrits, Guillery, Jacobs, Janssens, Jonet, Lambert, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Orban, Reynaert, Royer de Behr, Tack, Thienpont, T'Serstevens, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII et Watteeu.
En conséquence, la séance est levée à 1 heures et un quart.