(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 359) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 1/4 heures et lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Les éclusiers et gardes attachés au service des ponts et chaussées pour la navigation de la Sambre réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre d'abroger le décret du 23 prairial an XII sur les inhumations, dans celles de ses dispositions qui sont contraires à notre Constitution. »
- Même renvoi.
« Le. sieur Maroy prie la Chambre de porter comme électeurs non censitaires tous les citoyens majeurs sachant lire, écrire et les quatre premières opérations de l'arithmétique qui seront reprises dans le Manuel des électeurs, qui serait publié par les soins du gouvernement et propose des mesures pour assurer le secret absolu du vote. »
- Même renvoi.
« Le sieur Prosper Lamal demande que le plomb ouvré étranger soit soumis au même droit à l'entrée en Belgique, dont le plomb ouvré belge est frappé à l'entrée en France. »
M. Vleminckxµ. - Je demande, messieurs, que celle pétition soit renvoyée à la commission d'industrie ; elle soulève une question douanière assez importante qui doit être examinée par cette commission.
- Adopté.
« M. Dewandre, rappelé chez lui par une affaire urgente, demande un congé pour les séances du 3 et du 6 courant. »
- Accordé.
M. Moreauµ dépose le rapport de la commission des finances sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1864.
M. Dupontµ dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi sur les protêts.
La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Vedrin, le 29 décembre 1868, les directeurs-gérants des sociétés de Vedrin, de Montigny et de l'Espérance demandent que. le gouvernement ordonne l'ouverture immédiate du chemin de fer de Namur à Gérompont. »
Messieurs, votre commission s'est ralliée au vœu exprimé par les directeurs de ces sociétés, au sujet de la prompte exécution du chemin de fer dont il s'agit, et elle propose, à cette fin, le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.
M. Moncheurµ. - Messieurs, il se passe, depuis plusieurs mois, quelque chose d'extraordinaire, d'anomal et de déplorable, au point de vue des intérêts généraux, entre la province de Namur et celle de Brabant, je veux parler de la non-ouverture du chemin de fer de Namur à Geest-Gerompont. Messieurs, ce chemin de fer est complètement terminé, les travaux ont été reçus par l'administration des ponts et chaussées ; le chemin de fer est pourvu du matériel et du personnel nécessaires, et cependant il n'y a pas moyen d'en obtenir la mise en exploitation, parce qu'un différend d'intérêt privé est survenu entre la compagnie du Luxembourg et la compagnie de Tamines-Landen, aujourd'hui représentée par la Société générale d'exploitation.
Ainsi, à cause de cette contestation particulière et d'intérêt privé, l'intérêt général est sacrifié et le gouvernement reste en retard d'user des moyens que la loi et les contrats lui donnent pour que l'ouverture du chemin de fer ait lieu.
Messieurs, je crois devoir vous dire en quelques mots quel est l'état des choses on, si vous voulez, l'état de la question administrative, si tant est qu'il puisse y avoir une question d'administration dans une affaire aussi claire.
Il a été entendu, dès le principe, que le chemin de fer de Geest-Gerompont a Namur, faisant suite a celui de Landen à Tamines, emprunterait, sur une longueur très faible (230 mètres environ), le chemin de fer du Luxembourg à l'entrée du chemin de fer dans la station de Namur.
Après des sollicitations assez longues, paraît-il, la Société générale d'exploitation a obtenu du ministre des travaux publics, non pas encore un arrêté royal réglant cette affaire, mais une lettre accompagnée de plans indiquant les travaux qui, de commun accord entre les deux sociétés et le gouvernement, seraient à faire, pour l'emprunt du chemin de fer de Luxembourg par celui de Tamines à Landen.
Disons d'abord, messieurs, que l'article 57 du cahier des charges de la concession de Luxembourg, article auquel nous reviendrons tout à l'heure, donnait au gouvernement le droit, non point seulement d'ordonner qu'une partie du tracé du chemin de fer du Luxembourg fût commune avec le chemin de fer de Tamines-Landen, mais même que le chemin de Tamines-Landen pût se servir de la voie elle-même du Luxembourg, et cela moyennant les précautions qu'il appartient au gouvernement de prendre en pareil cas. Mais, messieurs, cela n'a pas été nécessaire dans l'occurrence et voici pourquoi.
Le chemin de fer du Luxembourg ayant été concédé dans le principe avec l'obligation de construire, deux voies, a lait les terrassements et les ouvrages d'art, pour deux voies en quelques points, notamment sur le point dont il s'agit ici, de sorte, que l'on a pu ordonner que le chemin de fer de Gérompont vers Namur prendrait la moitié de ces terrassements pour son unique voie et que l'autre moitié resterait du Luxembourg pour la sienne. De cette manière chacune des deux sociétés aurait sa voie propre et indépendante. Elles seraient parallèles, elles seraient contiguës, mais absolument indépendantes l'une de l'autre.
Il a été décidé en outre que la compagnie de Tamines à Landen ajouterait, à ses frais, à cette partie de la voie une bande de terrain propre, à y établir la seconde voie du Luxembourg lorsque cette compagnie voudrait la placer, chose qui, malheureusement, n'est pas prochaine. Ce second travail prendra au moins une année de temps. Quant au déplacement des deux autres voies, il est achevé.
Or, c'est lorsque la compagnie de Tamines à Landen a voulu placer les quelques mètres qui étaient nécessaires pour les raccordements, que le Luxembourg s'y est opposé, a moins que la compagnie de Tamines-Landcn ne signât une convention renfermant des stipulations faites par elle-même, compagnie du Luxembourg.
Or, savez-vous quel a été le résultat de cette opposition ? C'est que tout s'est trouvé arrêté et que le gouvernement, en présence de ces intérêts privés qui s'agitent dans une sphère étrangère à la sienne et inférieure aux intérêts publics, que le gouvernement, dis-je, se croit complètement paralysé, et dans l'impossibilité de rien faire, pour faire cesser cet état de choses.
De sorte que les lois que vous avez votées, lois relatives aux concessions de Tamines-Landen et du Luxembourg, restent inexécutées. C'est en vain qu'on a fait les expropriations pour cette voie, c'est en vain que tous les travaux sont achevés ; ils restent stériles, grâce à l'inaction du gouvernement.
Il est évident, messieurs, qu'il n'importe en rien, quant à la question administrative qui s'agite aujourd'hui devant vous, de savoir quelles sont les prétentions réciproques des parties ; quelles sont notamment les exigences de la compagnie du Luxembourg, qui forme opposition à l'ouverture du nouveau railway. Nous n'avons à nous en préoccuper qu'au point de vue de la moralité de la cause, comme on dit au barreau.
Ainsi, nous avons appris, car il a été question déjà de cette affaire dans une autre enceinte, que la compagnie du Luxembourg pose comme condition sine qua non du raccordement que, pendant tout le temps que dureront les travaux de construction de la seconde voie éventuelle destinée au Grand Luxembourg, c'est-à-dire, pendant un an au moins, la compagnie de Tamines-Landen sera responsable de tous les accidents qui pourraient arriver sur ce point et sur la ligne du Grand-Luxembourg, même de ceux qui pourraient se produire par la faute des propres agents de cette société.
Le Grand-Luxembourg impose encore d'autres conditions qui paraissent inacceptables, mais, je le répète, elles sont indifférentes dans l'espère ; ce sont des intérêts privés qui ne peuvent en rien arrêter la satisfaction à donner à l'intérêt public ; toutefois, je dois dire que la stipulation que je (page 360) viens de citer est si exorbitante, elle est si contraire aux principes d'éternelle justice que, le cas échéant, il n'y a pas un tribunal qui voudrait l'appliquer.
En effet, chacun, en ce monde, est responsable de ses propres actes, et on ne peut stipuler qu'on ne sera pas responsable de. ses propres fautes.
Quoi qu'il en soit, le côté sérieux dans cette affaire, et ce qu'il y a de malheureux, comme je viens de le dire, pour l'intérêt général, c'est qu'un chemin de fer qui devait être ouvert depuis trois ou quatre mois, reste fermé et que tous les intérêts majeurs qui sont attaches à l'ouverture de ce chemin de fer, restent en souffrance.
Je vous le demande, messieurs, est-ce que le gouvernement peut, en présence de contestations privées, venir dire au pays et à la législature. : J'en suis bien fâché, mais comme les compagnies du Luxembourg et de Tamines-Landen ne s'entendent point sur les cas de responsabilité réciproque ou sur des questions d'indemnité, le chemin de fer ne sera pas ouvert, la loi que vous avez faite restera inexécutée !
Combien de temps cela durera-t-il ? Nous n'en savons rien.
Le bon sens permet-il que des intérêts privés en contestation empêchent un travail d'intérêt général de s'effectuer ? Cela est impossible.
Il suffirait même, messieurs, que dans certaines circonstances données, des sociétés s'entendissent pour ne pas vider leurs contestations et pour éterniser un statu quo contraire aux lois de concessions et pour paralyser le gouvernement.
Pour qu'un résultat pareil pût se produire légalement, il faudrait qu'il y eût de grandes lacunes dans nos lois, dans les actes et dans les contrats.
Mais rassurez-vous, messieurs, il n'y a de lacunes, ni dans nos lois, ni dans les contrats, ni dans les actes de concession.
MtpJµ. - L'honorable M. Moncheur n'est pas au courant des faits, et s'il veut le permettre, je donnerai a la Chambre quelques explications à cet égard.
M. Moncheurµ. - Volontiers.
MtpJµ. - Selon l'honorable membre, ji s'est passé, dans l'affaire dont il vient d'entretenir la Chambre, un fait extraordinaire, anomal, et le gouvernement serait coupable de ne pas prendre des mesures de nature à sauvegarder les intérêts publics, qu'il est chargé de défendre.
Toutes les critiques de l'honorable membre seraient fondées, si les faits étaient tels qu'il les a indiqués.
Je regrette qu'il ne m'ait pas demandé des renseignements sur cette question.
Je lui aurais donné des explications qui auraient épargné, j'en suis sûr, a la Chambre une discussion sur ce point.
Au mois de juillet 1868, la société de Tamines-Landen m'a soumis des plans pour se raccorder au chemin de fer du Grand-Luxembourg.
Ces plans ont fait l'objet, contrairement à ce que suppose l'honorable membre, d'un arrêté approuvant le raccordement définitif de ces deux lignes, de telle sorte que la société de Tamines-Landen est en possession non point seulement d'une lettre, mais d'un arrêté ayant force exécutoire.
La compagnie du Luxembourg peut recourir à la force publique pour le faire exécuter.
Quant à moi, j'ai épuisé par cet arrêté le droit du gouvernement.
Seulement la société d'exploitation aurait été fort aise d'avoir plutôt accès à la station de Namur, et elle a cherché, en dehors du raccordement définitif avec la ligne du Grand-Luxembourg, à s'y raccorder provisoirement par des travaux que j'ai autorisés, pour ma part.
Le gouvernement peut favoriser cette convention, mais il est bien entendu, que comme il ne s'agit que de favoriser les intérêts de la compagnie de Tamines-Landen, il faut l'approbation des deux contractants.
Je le répète donc à l'honorable M. Moncheur, il peut être tranquille. Le gouvernement a pris un arrêté, qui a force exécutoire et la compagnie de Tamines peut réclamer l'intervention de la force publique si, contre mon attente, la grande compagnie du Luxembourg cherchait à se soustraire aux obligations qui découlent pour elles de l'arrêté du 10 novembre.
Je crois que si l'honorable membre avait été au courant de ces faits, il n'aurait pas présenté ses observations.
M. Moncheurµ. - Messieurs, outre que ce que vient de dire l'honorable ministre des travaux publics n'est nullement d'accord avec une pièce que j'ai sous les yeux, et dont je donnerai lecture tout à l'heure à la Chambre, sa déclaration n'infirme en rien le reproche d'inaction que je formule contre lui en présence du fait incroyable de la non-mise en exploitation d'un chemin de fer achevé depuis longtemps.
L'honorable ministre a dit que dès le 1er juillet il a fait paraître un arrêté royal...
MtpJµ. - J'ai dit que c'était au mois de juillet dernier que la société de Tamines à Landen m'avait soumis ses plans pour le raccordement définitif des deux chemins de fer, et que postérieurement j'avais, par un arrêté, approuvé les conditions du raccordement des deux lignes.
M. Moncheurµ. - Pourquoi donc ne pas le faire exécuter ?
MtpJµ. - La société de Tamines à Landen a en mains un titre exécutoire ; il dépend d'elle de le faire exécuter.
M. Moncheurµ. - Mais voilà où est l'erreur de M. le ministre et où je ne suis nullement d'accord avec lui. Il est évident, en effet, qu'il ne peut nullement dépendre de la compagnie de Tamines à Landen, pas plus que de celle du Grand-Luxembourg, de faire exécuter ou de ne pas faire exécuter un arrêté royal. Un arrêté royal n'est pas la chose d'une compagnie, c'est la chose du pays ; il appartient au public, car l'administration ne porte pas des arrêtés royaux dans l'intérêt d'un particulier, mais dans l'intérêt public. Un arrêté royal n'est pas un chiffon qu'une compagnie quelconque puisse garder en poche si elle le juge convenable.
De deux choses l'une : ou le département des travaux publics n'a pas formulé l'arrêté royal tel qu'il devait le formuler pour que l'ouverture du chemin de fer de Tamines eût lieu régulièrement et en temps utile ; ou bien il l'a porté tel qu'il devait l'être.
Dans le premier cas, il est en retard et en demeure de le faire, et il doit le faire le plus tôt possible ; dans le second cas, il doit le faire exécuter immédiatement. Cela me paraît clair comme le jour.
Je le répète, il ne dépend pas d'une compagnie qu'un arrêté royal soit ou ne soit pas exécuté ; car cet acte du pouvoir exécutif n'est pas sa propriété, c'est la propriété de la généralité des citoyens ; c'est la propriété du pays tout entier en vue duquel il a été porté.
Avec la théorie de M. le ministre des travaux publics, je demande, messieurs, combien de temps l'état actuel des choses peut encore durer ?
En effet, s'il plaisait aux sociétés particulières dont il s'agit de considérer les arrêtés royaux comme des zéros, d'entrer ensuite en contestation et en procès l'une contre l'autre, et si, pendant tout ce temps, le gouvernement reste passif et impassible, mais cela pourrait durer des années entières. Voilà où mène l'altitude de l'honorable ministre.
Maintenant, quant à l'arrêté royal auquel M. le ministre a fait allusion il n'y a rien d'étonnant à ce que tout le monde l'ignorât, puisqu'il semble être tombé à l'eau ; c'est comme s'il n'existait pas.
J'ai dit tout à l'heure que les renseignements donnés par l'honorable ministre n'étaient pas d'accord avec une pièce que j'avais sous les yeux. Cette pièce est une lettre écrite le 31 octobre 1868 par M. le directeur de la Société générale d'exploitation à M. le ministre des travaux publics : La voici :
« Bruxelles, le 31 octobre 1808.
« Monsieur le ministre,
« Par lettre du 19 septembre dernier, j'ai eu l'honneur de vous signaler les obstacles que rencontre ma société pour le raccordement des voies du chemin de fer de Ramillies dans la station de Namur.
« Dans une réunion qui a eu lieu à votre département le 8 octobre, j'ai déclaré aux délégués du chemin de fer de l'Etat et de la compagnie, du Luxembourg que la Société générale accepte et s'engage à exécuter tel plan qu'il vous plairait de lui imposer. .
« Nonobstant ces preuves manifestes de nos bonnes intentions, aucune décision n'est encore intervenue jusqu'à ce jour, et des populations sont privées des bienfaits d'un chemin de fer qui est terminé depuis longtemps.
« Je me vois donc forcé, monsieur le ministre, d'avoir de nouveau recours à votre haute intervention pour qu'il soit statué sur ma demande, tendante à obtenir un plan de raccordement approuvé par un arrêté de votre département.
« En attendant, la Société générale doit décliner la responsabilité de toutes les réclamations qui pourraient survenir au sujet du retard apporté à la mise en exploitation de la ligne de Ramillies à Namur.
« Veuillez agréer, monsieur le ministre, l'assurance de ma considération très distinguée.
« Le directeur (signé) Lebon. »
Ainsi, messieurs, vous le voyez, le 31 octobre dernier, la Société générale demandait encore des plans. Les plans sont approuvés au point de vue des travaux, ils sont exécutés en tout ce qui est nécessaire pour l'ouverture immédiate du chemin de fer de Namur vers Ramillies, mais lorsque le moment de faire le raccordement arrive, la société du Luxembourg, par des prétentions élevées dans son intérêt privé, arrête le tout, et M. le (page 361) ministre des travaux publics déclare qu'il a épuise son droit, qu'il est impuissant. Je dis que cela est impossible.
MtpJµ. - Je n'ai rien déclaré de semblable.
M. Moncheurµ. - Eh bien alors, faites exécuter les plans. Vous avez lancé un arrêté royal et vous pensez, après cela, pouvoir rester les bras croisés, et permettre aux parties d'en faire ou de ne pas en faire usage ! Voilà ce qui n'est pas gouvernemental.
Voilà où je dis que M. le ministre n'administre pas, et c'est là le grief que je lui fais.
Je maintiens donc parfaitement tout ce que j'ai dit sur ce point.
Je maintiens que deux intérêts privés contraires et engagés l'un contre l'autre ne doivent pas priver le pays d'une voie ferrée à laquelle il a droit.
J'engage donc M. le ministre des travaux publics à prendre de nouveau une mesure énergique si celle qu'il a prise est insuffisante. Elle lui est demandée par l'intérêt public, et il est autorisé à la prendre par l'article 57 du cahier des charges de la société du Grand-Luxembourg.
Voici, messieurs, comment est conçu cet article 57 :
« S'il arrivait qu'un chemin de. fer à construire par l'Etat ou une société dût suivre une partie du tracé de la ligne qui fait l'objet du présent cahier des charges, cette partie du tracé pourra être déclarée commune aux deux lignes, et dans ce cas, les concessionnaires devront livrer passage aux convois désignés par le gouvernement, moyennant une indemnité à fixer de gré à gré ou à dire, d'experts. »
Messieurs, tout à l'heure M. le ministre disait que si j'avais entendu d'abord les explications qu'il a données, je ne me serais pas donné la peine de faire le discours que j'ai prononcé. Mais, messieurs, ce que je viens de vous dire montre assez que les griefs de ceux qui se plaignent de l'inaction du gouvernement restent debout, que par conséquent mon discours n'est pas inutile.
Il y avait, en outre, une autre raison d'être à mes paroles, et cette raison d'être reste intacte, c'est la nécessité de revenir sur un des motifs qu'a fait valoir l'honorable ministre des travaux publics, dans une autre enceinte, pour justifier l'inaction singulière dont nous nous plaignons vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg.
L'honorable ministre a dit, en réponse à un honorable sénateur, qu'il devait bien respecter les droits et les propriétés privées ; et il a fait, à ce propos, allusion à certain procès en expropriation forcée qu'il avait dû faire pour acquérir un moulin près de la Dendre, procès qui avait retarde de deux ans l'ouverture du canal de cette rivière, quoique les travaux en fussent terminés. Il a donc paru se croire vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg comme vis-à-vis d'un tiers qu'il faudrait exproprier. (Interruption.)
M. le président. - M. Moncheur, la Chambre paraît désirer que vous abrégiez.
M. Moncheurµ. - M. le président, la dernière observation que j'ai à présenter me paraît importante, et, malgré les interruptions répétées de M. Bouvier, je la ferai. Mais, puisqu'il s'agit de l'honorable M. Bouvier, je dirai en passant que je suis fort étonné que les représentants de la province de Luxembourg, s'inspirant des intérêts généraux du pays et surtout de leur propre province, ne se joignent pas à moi pour demander que le gouvernement fasse cesser au plus tôt l'état déplorable dont nous nous plaignons.
Je reviens à mon idée et je dis, messieurs, qu'il n'y a aucune espèce d'analogie entre la position du gouvernement vis-à-vis d'une propriété particulière qu'il faudrait exproprier et sa position vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg, à laquelle il peut donner des ordres en vertu de l'article 57, dont je vous ai donné lecture.
La compagnie du Luxembourg, en effet, est liée par son contrat envers le gouvernement. Elle n'est donc pas un tiers pour celui-ci. Elle a consenti d'avance à ce qu'une partie de son tracé fût déclarée commune avec un autre chemin de fer, et à subir, même sur sa voie, le passage des convois de cet autre chemin de fer, selon les prescriptions que le gouvernement croirait devoir faire dans l'intérêt général.
Il y a entre le gouvernement et elle la loi du contrat, et rien n'est plus facile pour le gouvernement que de faire exécuter cette loi.
En le faisant, il n'inflige aucun grief à la compagnie, mais il use simplement de son droit. Il n'y a donc lieu ici ni à expropriation, ni à des dommages-intérêts quelconques de la part du gouvernement envers la compagnie.
Dans l'espèce, les questions d'indemnités doivent se régler entre la Société Générale et la compagnie du Luxembourg, mais ces questions ne doivent retarder en rien l'action du gouvernement et peuvent se débattre après comme avant l'exercice de cette action.
J'adjure donc M. le ministre des travaux publics de se rendre un compte exact de ses droits dans l'affaire importante dont nous nous occupons car vous conviendrez, messieurs, que si la position que M. le ministre semble vouloir conserver se perpétue, il n'y a pas de raison pour que la mise en exploitation du chemin de fer de Tamines à Landen s'effectue, et dans un an, dans deux ans peut-être, nous serons encore privés de notre nouvelle voie ferrée.
Je demande donc qu'une bonne fois M. le ministre des travaux publics prenne un arrêté exécutoire et mette fin à l'état de choses actuel.
MtpJµ. - L'honorable M. Moncheur fait une grande confusion d'idées.
Dans la première partie de son discours, il dit qu'il se produit un fait extraordinaire, anomal ; que le gouvernement ne sauvegarde pas l'intérêt public, qu'au lieu de prendre un arrêté exécutoire, il se borne à écrire une lettre et qu'ensuite il se croise les bras.
Lorsque je dis à l'honorable M. Moncheur : « Vous vous trompez, il y a un arrêté exécutoire et la compagnie de Tamines-Landen est armée, » l'honorable membre me répond : « Pourquoi ne faites-vous pas exécuter votre arrêté ? »
Puis l'honorable membre, continuant à confondre le raccordement définitif et le raccordement provisoire, rappelle une réponse que j'aurais faite dans une autre enceinte en réponse à une observation de l'honorable baron de Woelmont, qui s'appliquait à l'accès immédiat de la ligne de Ramtelies à Namur.
Je répèlt à la Chambre que l'affaire est excessivement simple.
Le gouvernement a exercé le droit qu'il puise dans le cahier des charges de la compagnie du Luxembourg ; il a pris un arrêté qui a force exécutoire.
Je m'étonne que l'honorable M. Moncheur me dise : Faites exécuter voire arrêté. Je demande à l'honorable membre s'il a jamais songé à dire à un magistrat : Faites exécuter votre jugement.
La compagnie, de Tamines-Landen se chargera, gardez-vous d'en douter, de l'exécution de cet arrêté ; si cette compagnie ne remplissait pas ses obligations, je prendrais contre elle les mesures nécessaires pour l'y contraindre. Mais la compagnie de Tamines-Landen, qui a un intérêt très sérieux à sauvegarder, se gardera bien de ne pas exécuter l'arrêté qu'elle a en sa possession.
M. Carlierµ. - Messieurs, je crois qu'à certains égards M. le ministre des travaux publics perd de vue l'intérêt public, qu'il est particulièrement appelé, à sauvegarder dans cette affaire. Il croit que le gouvernement a complètement épuisé son droit en prenant un arrêté qui autorise la compagnie de Tamines-Landen à faire les travaux définitifs nécessaires pour l'entrée du chemin de fer de Ramillies dans la station de Namur.
Or, je crois qu'en cela l'honorable ministre fait erreur. Non seulement le gouvernement a à prendre les arrêtés nécessaires pour l'établissement des travaux destinés à donner accès au chemin de fer de Ramillies dans la gare de Namur, mais ce chemin de fer étant arrivé aux portes de Namur et ces portes étant fermées par le fait de la grande compagnie du Luxembourg, le gouvernement doit lever l'obstacle créé par la prétention illégale de. cette compagnie. L'arrêté de M. le ministre des travaux publics porte : « Jusqu'à l'achèvement des travaux définitifs, j'autorise votre compagnie à exécuter le raccordement provisoire figuré au plan n°2. »
Eh bien, messieurs, ces travaux provisoires sont les travaux nécessaires à l'entrée actuelle et immédiate du chemin de fer de Ramillies dans la gare de Namur. C'est à ces travaux que la compagnie du Luxembourg fait obstacle. Dès lors la compagnie fait obstacle à l'exécution d'un arrêté que le gouvernement a pris dans la limite de ses attributions et par conséquent le gouvernement doit faire exécuter cet arrêté sans recourir aux tribunaux, ce qui amènerait de très grands retards et un grave préjudice pour le public.
La Chambre admettra parfaitement qu'un intérêt public majeur est en souffrance lorsqu'une ligne de chemin de fer d'une haute importance se trouve exécutée sans pouvoir rendre au public les services en vue desquels elle a été concédée.
Elle admettra également qu'un intérêt privé considérable est en jeu, lorsqu'une compagnie de chemin de fer est hors d'état de tirer profit de sa ligne et cela par le fait illégal d'une autre compagnie.
Le gouvernement doit donc contraindre la compagnie du Luxembourg à permettre l'exécution de l'arrêté royal qui est relatif à cet objet, et il le peut puisqu'il a inséré dans le contrai de concession l'article 57. De deux choses l'une : ou bien cet arrêté est complet et a une portée réelle et alois il doit le faire exécuter : M. le ministre a une arme entre les mains, c'est la suspension de la concession de la compagnie du Grand-Luxembourg, (page 362) mais il ne devra pas aller jusque là pour amener la compagnie à permettre l'entrée du chemin de fer de Ramillies dans la gare de Namur.
Si l'arrêté pris par le gouvernement n'est pas complet, alors l'honorable ministre doit le compléter de manière que le chemin de fer de Ramillies puisse rendre les services que les populations en attendent.
J'engage donc M. le ministre des travaux publics à voir de nouveau les pièces et notamment l'arrêté qu'il a pris sons la date du 21 novembre 1868 et à faire lever les obstacles qui s'opposent à la mise en exploitation du chemin de fer dont il s'agit.
M. Jonetµ. - Je ne m'occuperai pas, messieurs, de la question de droit ; mais je prierai M. le ministre de faire son possible pour que l'ouverture du chemin de fer de Gérompont à Namur ait lieu bientôt. La forgerie s'intéresse beaucoup à la prompte exécution de cette ligne qui doit transporter des matières premières pour son industrie.
J'engagerai en outre M. le ministre à appliquer, pour les minerais qui arriveront par cette voie, et notamment à ceux de Vedrin, le tarif du 1er février 1869, qu'il a fait paraître de concert avec le Nord-Belge. Je suis persuadé que M. le ministre reconnaîtra que les mêmes conditions de transport doivent être appliquées aux minerais de Vedrin, Namur, comme à ceux de Marche-les-Dames.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je viens appuyer les observations qui vous été présentées par les honorables MM. Moncheur et Carlier.
La compagnie du Luxembourg me paraît jouir d'un privilège tout à fait exorbitant, car ce n'est pas la première fois qu'elle se met au-dessus des lois et même, de ses conventions.
Nous avons à nous plaindre d'un fait tout à fait semblable depuis l'origine même de cette compagnie, c'est l'inexécution de la ligne directe de Bruxelles à Namur, par Wavre. Jusqu'à présent cette compagnie ne paraît pas se souvenir de ses engagements sous ce rapport.
Le chemin de fer dont il s'agit aujourd'hui est d'une très haute importance pour une grande partie de mon arrondissement, et la compagnie vient, par une fin de non-recevoir de procédure, mettre obstacle à son exécution.
Comme il vient de vous être démontré à suffisance, les arrêtés de concession et les engagements de la compagnie l'obligent à laisser passer sur ses lignes les chemins de fer que l'Etat ou les compagnies pourraient construire.
Il me semble aussi que l'honorable ministre des travaux publics se laisse un peu arrêter par des considérations qui ne me semblent pas fondées.
Il me semble qu'il serait temps de contraindre la compagnie à remplir ses engagements.
MtpJµ. - Il semble, en vérité, messieurs, que la compagnie du Luxembourg veuille se soustraire à ses engagements et que le gouvernement ne peut ou ne veut pas l'y contraindre.
C'est là une erreur dans laquelle sont tombés les trois orateurs que. vous venez d'entendre.
La compagnie ne s'oppose pas à ce qu'en vertu de l'article 57 de son cahier des charges, le chemin de fer de Ramillies vienne se raccorder à sa ligne, dans les conditions stipulées par l'arrêté du 10 novembre. Le gouvernement serait, du reste, prêt à la contraindre à laisser s'opérer ce raccordement.
Voilà, je pense, une déclaration nette et précise.
La Société générale d'exploitation possède un arrêté approuvant les plans du raccordement définitif, et, si mes renseignements sont exacts, elle prend toutes ses dispositions pour faire ce raccordement.
Le département des travaux publics a-t-il épuisé son droit en prenant cet arrêté, qui a force exécutoire ?
L'honorable M. Carlier pense que je puis aller plus loin, qu'à côté de l'arrêté prescrivant les conditions auxquelles en fera le raccordement définitif, je puis prendre un arrêté qui forcera la compagnie du Luxembourg à donner un accès provisoire sur ses lignes à la ligne de Geest-Gerompont.
M. Carlierµ. - Vous avez pris l'arrêté.
MtpJµ. - L'honorable membre se trompe.
Il ne veut pas faire la distinction entre le raccordement définitif, pour lequel il y a un arrêté qui a force exécutoire et le raccordement provisoire que j'ai autorisé, mais pour lequel l'entente entre les deux compagnies est nécessaire.
J'ai fait tous mes efforts pour hâter cette entente, mais après avoir épuisé les moyens de conciliation., j'ai pensé que le différend qui s'élevait entre elles devait être tranché par les tribunaux.
Les avocats de mon département, consultés, ont été d'avis unanimement qu'en prenant un arrêté mettant la compagnie Tamines-Landen en mesure de se raccorder au Grand-Luxembourg, le département avait épuisé son droit.
D'ailleurs, messieurs, la question est soumise aux tribunaux.
M. Carlierµ. - Je persiste à penser que l'article 57 de la loi de concession de la compagnie du Grand Luxembourg permet au ministre de prendre un arrêté nécessaire, non seulement pour que le raccordement s'établisse d'une façon définitive, mais encore pour qu'il s'établisse d'une façon provisoire ; sinon cette clause serait absolument nulle. En effet, il est impossible de supposer un seul instant qu'un chemin de fer s'établisse d'emblée d'une façon complètement définitive, au point de raccordement d'une voie à une autre et surtout à l'entrée d'une gare. L'arrêté à prendre par M. le ministre des travaux publics pour le cas qui nous occupe doit être pris aussi bien pour les travaux provisoires que pour les travaux définitifs. (Interruption.)
C'est une nécessité ; il faut que le service public ne puisse être mis en souffrance ; c'est là ce qu'on a voulu en admettant la clause de l'article 57 ; or, le service public restera en souffrance, si le contraire peut cire admis un seul instant.
J'estime donc que le département des travaux publics n'a pas épuisé son droit ; je demande qu'il examine à nouveau et qu'il use de son droit. Je ne demande pas que l'honorable ministre des travaux publics se pose en juge et qu'il tranche les difficultés d'intérêt privé qui peuvent diviser les deux compagnies, je demande que des mesures soient prises pour que le service public ne soit pas plus longtemps en souffrance.
- La discussion est close.
M. le président. - Le rapporteur conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications ; en présence des explications que vient de fournir M. le ministre, la commission insiste-t-elle pour le renvoi avec demande d'explications ?
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Non, M. le président, elle, y renonce.
- La Chambre ordonne le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition sans date, le sieur Vande Casteele demande la réparation de l'arrestation arbitraire dont il a été victime, en 1847, et des dommages-intérêts proportionnés au préjudice qu'il a souffert.
Messieurs, le pétitionnaire a été arrêté à Bruges, en 1847, sous le ministère de M. de Haussy ou de M. Tesch, ministres de la justice à cette époque, à la suite d'une émeute et du pillage d'une boulangerie à Bruges.
Il résulte des termes de sa requête, qu'if a écrit plusieurs lettres et brochures sur la misère des Flandres, qu'il a été accusé d'avoir été vu, au milieu des groupes, excitant le peuple au pillage, tandis qu'il prétend avoir prouvé son alibi et qu'après vingt jours d'arrestation préventive il a été relâché ; que c'est à la suite de la discussion récente qui a eu lieu à propos de l'affaire de Saint-Génois que l'idée lui est venue de demander des dommages-intérêts pour le fait d'arrestation arbitraire.
Votre commission, messieurs, considérant qu'après un laps de temps de 22 ans, il est difficile, sinon impossible, d'apprécier l'exactitude et la véracité des assertions qu'allègue le pétitionnaire sans aucune preuve ;
Considérant d'ailleurs que jusqu'ici la Chambre n'a pas accordé des indemnités pour arrestation préventive, et qu'elle n'est pas disposée, à propos d'une simple pétition, à en accorder encore,
Votre commission a l'honneur de vous proposer le dépôt au bureau de renseignements de cette pétition.
M. De Fréµ. - Je reconnais que, d'après notre législation, un citoyen peut être détenu injustement sans pouvoir exiger de dommages-intérêts. C'est ce qui est arrivé à M. Vande Casteelc.
J'appelle l'attention du gouvernement sur le sort de ce vieillard qui n'a été arrêté que par suite d'une complicité morale. Il avait, usant de son droit de citoyen, publié une brochure ; plus tard, dans une autre province, éclatent des troubles dont on a voulu le rendre responsable à cause d'un écrit qui ne les avait point provoqués.
Il a été détenu en prison pendant 21 jours ; quand il est sorti de prison, il avait éprouvé une grande lésion dans sa position industrielle ; il a fait depuis lors tous les efforts imaginables pour vivre le moins mal possible, et aujourd'hui que cet homme est vieux, qu'il ne sait plus travailler et qu'il est dans un état voisin de la misère, je viens, non pas soulever la question de savoir s'il ne serait pas juste de lui accorder des dommages-intérêts, mais le recommander à la bienveillance de M. le ministre de l'intérieur et le prier d'examiner s'il ne lui serait pas possible, à l'aide d'un secours, de soulager la pénible position du pétitionnaire.
M. Coomans. - Lorsque la Chambre et le gouvernement jugeront (page 363) convenable, et je voudrais que ce moment fût aussi prochain que possible, de chercher à indemniser les citoyens victimes d'arrestations arbitraires, je serai des premiers à applaudir au projet de loi qui nous sera présenté.
Je dois même ajouter que s'il tardait longtemps a être rédigé, je croirais de mon devoir d'user de mon initiative parlementaire pour le présenter moi-même. Mais je ne crains pas d'affirmer que le pétitionnaire ne figurera pas parmi ceux qui auront le plus de droits à la réparation demandée.
Je me range donc pour le moment à l'avis de l'honorable rapporteur.
M. De Fréµ. - Je dois faire une rectification à ce que vient de dire l'honorable M. Coomans. Il ne s'agit pas, dans l'espèce, d'une arrestation arbitraire, puisque le pétitionnaire a été arrêté par un juge compétent. Je constate seulement qu'il a été victime d'une complicité morale.
M. Coomans. - Il y a mille citoyens belges qui ont été victimes d'une pareille complicité.
M. De Fréµ. - Je ne recommande pas le pétitionnaire à la Chambre ; je demande seulement à M. le ministre de l'intérieur d'examiner s'il ne peut rien faire pour lui.
M. le président. - La commission propose le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.
M. Coomans. - Il est bien entendu, je suppose, que le dépôt au bureau des renseignements ne préjuge rien ; car j'ai toute une liste des personnes qui auraient droit aussi, je ne dis pas à des faveurs, mais à de justes réparations.
M. le président. - Le dépôt au bureau des renseignements ne préjuge absolument rien.
- Ce dépôt est ordonné.
M. Coomans. - Nous savons ce qu'il signifie.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Chênée, le 15 novembre 1868, les secrétaires communaux, membres du comité provincial de Liège, prient la Chambre de prendre des mesures pour améliorer la position des secrétaires communaux.
Même demande des secrétaires communaux de l'arrondissement de Saint-Nicolas et des secrétaires communaux délégués par leurs collègues des différentes provinces du royaume.
Par pétition datée de Chevron, le 8 mai 1868, les secrétaires communaux du canton de Stavelot demandent une loi fixant le minimum du traitement des secrétaires communaux.
Messieurs, je ne répéterai pas ici toutes les considérations, très fondées d'ailleurs, qu'on a fait valoir en faveur des secrétaires communaux à propos de leurs réclamations. Ces considérations sont certainement très fondées.
Je me bornerai à y ajouter une seule observation. Dans la séance d'hier, on a discuté beaucoup au sujet des statistiques que les communes sont obligées de fournir au gouvernement, pour ainsi dire à titre gratuit. Ce sont les secrétaires communaux qui sont la cheville ouvrière des communes et qui sont presque seuls chargés de fournir ces statistiques. Eh bien, je tiens à faire cette observation-ci au gouvernement : c'est qu'ordinairement ces statistiques sont fort inexactes, très peu soignées, et cela pour une raison bien simple. Un proverbe flamand dit : koperz geld koperz zielmis, ce qui signifie que si vous ne payez pas, vous serez mal servis. Et c'est ce qui a lieu ; les statistiques, le plus souvent, sont très peu exactes parce qu'elles ne sont pas rémunérées, elles n'inspirent aucune confiance, et c'est ma réponse aux statistiques de M. de Mazre. Si donc le gouvernement tient à avoir de bonnes statistiques, il doit les payer, et ce n'est qu'alors qu'il sera bien servi et que ces statistiques inspireront la confiance qu'on est en droit d'en attendre.
J'engage donc le gouvernement à aviser au moyen d'indemniser les secrétaires communaux du chef des travaux extraordinaires qu'ils sont journellement obligés de faire.
Votre commission a conclu au renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur.
M. De Fréµ. - Je viens appuyer vivement les observations et les conclusions de M. le rapporteur. Je sais, par expérience, que le travail des secrétaires communaux est considérable et que cette besogne augmente d'année en année. Ils ne sont pas seulement, dans une foule de circonstances, les agents de la commune, ils sont très souvent les agents de l'Etat.
Le gouvernement s'en sert très fréquemment dans ses intérêts. Il se décharge sur eux d'une besogne qui lui incombe, il n'est donc que juste que cette besogne soit rétribuée d'une manière convenable.
Je bornerai là mes observations.
M. Lambertµ. - Messieurs, je me joins à M. le rapporteur et à l'honorable M. De Fré pour recommander au gouvernement les pétitions dont la Chambre est saisie. Il est certain que la besogne des secrétaires communaux est des plus considérables ; on vient de vous dire pourquoi. Il est une considération que je dois vous faire connaître et qui aura, à vos yeux, une grande importance : c'est que jusqu'à ces derniers temps, les fonctions de secrétaire communal étaient remplies par des personnes qui d'ordinaire avaient d'autres fonctions. C'était un supplément de rétribution que ces personnes recevaient en qualité de secrétaires communaux.
Généralement, du moins dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, ces fonctions étaient exercées par des instituteurs communaux et cela dans l'intérêt de la commune, car l'instituteur était souvent la seule personne en état de tenir la plume. Or, depuis quelques années, on a pris une mesure qui exclut, d'une façon absolue, les instituteurs des emplois de secrétaire communal ; j'applaudis à cette mesure, car l'instituteur doit être à son école et non pas au conseil communal. Mais par cela même, les traitements des secrétaires communaux sont entièrement insuffisants pour les personnes qui n'ont pas d'autre rétribution. Il est donc insuffisant, surtout eu égard à la besogne considérable dont ils sont chargés.
J'appuie donc de toutes mes forces les pétitions dont la Chambre est saisie.
M. Coomans. - Messieurs, cent fois on a émis ici des vœux pareils à ceux qu'on vient de formuler, et cent fois, quelque justes qu'ils fussent, ils sont restés à l'état de vœux simples. Nous ne pouvons pas nous borner à faire des vœux, nous ne le pouvons pas plus longtemps, tant pour la dignité de la Chambre que dans l'intérêt des pétitionnaires !
Il est temps de faire autre chose que. des vœux. La besogne déjà accablante des secrétaires communaux s'est accrue exactement dans la mesure de la diminution de leurs honoraires ; je dis diminution de leurs honoraires, parce que les appointements étant restés à peu près les mêmes et tous les objets nécessaires à la vie animale et intellectuelle ayant considérablement haussé de prix, la position des secrétaires en général, sauf de rares exceptions, est devenue mauvaise.
Je reconnais avec d'honorables orateurs, que j'ai entendus dans d'autres circonstances, que c'est principalement l'affaire de la commune. La liberté communale, que nous devons respecter, exige que nous n'intervenions pas dans les détails de ménage. Mais la question se rattache étroitement à nos devoirs parlementaires par le côté gouvernemental, c'est-à-dire par la besogne, non seulement excessive, mais, je dois le dire, presque toujours inutile à l'administration centrale, imposée aux secrétaires communaux.
Eh bien, de deux choses l'une : ou il faut que cette besogne, qui est d'intérêt général, soit rétribuée, ou il faut que les communes permettent aux secrétaires de ne plus répondre aux exigences du gouvernement. Je me demande quelle serait l'action légale du gouvernement si un secrétaire, avec l'autorisation, bien entendu, du conseil communal, refusait de remplir toutes les paperasses qu'on lui envoie sans cesse. Le gouvernement en est déjà à se repentir d'avoir exagéré la quantité de ces paperasses ; il nous a promis hier d'en supprimer la moitié et de mettre probablement, je l'espère, au feu les trois quarts de toutes celles dont on a surchargé les étages des hôtels ministériels.
Si le gouvernement reconnaît qu'il a été fautif en matière de statistique (fautif, parce qu'il a imposé un travail complètement inutile à une foule d'honnêtes gens qui avaient mieux à faire), puisque le gouvernement reconnaît cela, il faut, je le répète, de deux choses l'une : ou qu'il rétribue les secrétaires communaux, ou qu'il leur permette de ne répondre que par l'inertie à ces demandes de renseignements statistiques. C'est, au fond, le conseil que je donne à MM. les secrétaires.
MiPµ. - La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.
Les prompts rapports étant terminés, nous reprenons la discussion du budget de l'intérieur.
M. de Macarµ. - Messieurs, je réclame l'indulgence de la Chambre ; j'ai à soutenir des idées qui ont rencontré de nombreux contradicteurs dans la séance d'hier. Pour leur répondre, je dois me servir d'arguments qui, en partie au moins, ont été présentés déjà. De plus, parmi mes auxiliaires, il en est un, et c'est le plus important, qui, tout en maintenant en fait les allocations destinées à l'agriculture, accuse cependant des tendances qui peuvent me faire craindre quelque peu pour l'avenir.
Je crois devoir préciser dès maintenant quelles sont mes idées sur la matière et sous quelles réserves je désire que le système du subside à l'agriculture soit maintenu.
Je crois que l'agriculture doit arriver à se passer, dans un avenir que je ne puis déterminer, de toute espèce de subvention pour tout ce qui (page 364) concerne les allocations qui lui arrivent directement à titre d'encouragement.
Mais je pense que pour les autres subsides, pour ceux surtout qui sont destinés à l’enseignement agricole, ils doivent, non seulement être maintenus, mais même être augmentés, et ce, dès ce moment.
Je dois remonter un peu haut dans la question, pour faire connaître complètement ma pensée.
Au commencement de cette discussion, l'honorable M. Le Hardy démontrait que, tandis que l'agriculture avait soldé au trésor près de trois milliards de francs pendant un espace de vingt années, elle n'avait, en réalité, reçu directement que vingt-neuf millions environ pendant cette même période.
Sans doute, je n'admets pas l'exactitude complète de ces chiffres : je dois reconnaître, avec M. le ministre, que l'agriculture est intéressée à avoir une bonne justice, une bonne police, une bonne administration, des voies de communication rapides et faciles, de. la sécurité, enfin, cette condition indispensable de la prospérité de toute industrie.
A toutes les dépenses que nécessitent ces services, l'agriculture doit, sans aucun doute, coopérer pour une juste part, les sommes qu'elle paye à cet effet ne sont que la compensation de services rendus. Il ne s'ensuit pas moins, dans mon opinion, que de toutes nos sources d'impôt, de toutes nos richesses, c'est l'agriculture qui proportionnellement participe dans la mesure la plus large aux dépenses nécessitées par l'intérêt de tous.
A cet égard, je suis parfaitement de l'avis de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. Mais là s'arrête notre entente, et je ne suis pas d'accord du tout avec lui quant aux conclusions qu'il tire de ce fait.
Voici comment raisonne l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu : l'agriculture reçoit très peu et donne beaucoup. Ne lui donnons plus rien et faisons des économies.
Mon honorable ami ne verse-t-il pas dans une erreur profonde ? Croit-il que lorsqu'on aura retiré à l'agriculture les quelques mille francs qu'on lui accorde, on réduira comme conséquence les impôts ? Evidemment non. L'honorable ministre des finances est là pour témoigner qu'il est assailli d'une foule de demandes. Il lui faut toute son énergie pour mettre des bornes aux exigences qui se produisent ; les minimes sommes que vous enlèverez à l'agriculture ne seront donc pas moins dépensées, elles le seront autrement, mais le résultat sera infailliblement celui-ci : L'agriculture continuera à payer ce qu'elle paye, seulement elle ne recevra plus rien. Je ne puis me rallier à un pareil état de choses, je désire, dans l'intérêt pratique, sérieux de l'agriculture, le maintien de la plupart des subsides qui figurent au budget.
Oh ! je le sais, pour messieurs les économistes, il faut la réalisation immédiate de principes absolus. Que l'on procède ainsi en philosophie, rien de mieux, mais dans la vie politique, il faut tenir compte du milieu dans lequel on vit, de l'imperfection de la nature humaine, de l'imperfection même de nos institutions et de nos mœurs et je crois que, dans l'application des principes, il faut agir progressivement, mais prudemment et de façon à fonder solidement ce que l'on crée.
Malheureusement l'agriculture, depuis quelques années, a joué vis-à-vis de MM. les économistes, dans cette Chambre, le rôle peu enviable de certain animal de la fable,
Qui tondit de ce pré la largeur de sa langue.
Dans plus d'une circonstance, alors qu'on manifestait les plus vives sympathies pour les intérêts de l'industrie, pour les intérêts des arts, des sciences, de toutes ces choses évidemment utiles, mais qui, elles aussi, ont dans une certaine mesure, la protection du gouvernement, c'est sur l'agriculture que tombaient les attaques les plus directes, on n'était pas loin de crier haro sur le baudet.
Je regrette cet état de choses. Je le regrette, parce que je me rappelle la morale de la fable dont je citais un vers tout à l'heure :
Selon que vous serez misérable ou puissant,
Les jugements de cour vous rendront noir ou blanc.
Eh bien ! messieurs, il faut bien en convenir, s'il est bien constaté que c'est l'agriculture qui contribue dans la plus large mesure aux dépenses communes, on doit constater aussi que c'est l'agriculture qui, de toutes les branches de la richesse, est la moins représentée dans notre législature et qui y trouve par conséquent le moins d'appui lorsqu'on l'attaque.
A quoi faut-il attribuer cet état de choses ? Je vais vous le dire.
Il y a plusieurs causes.
La première, c'est que notre système électoral accorde une prépondérance marquée aux villes sur les campagnes. (Interruption.)
Je ne veux pas traiter cette question à fond, mais je crois qu'il me serait facile de démontrer la vérité de cette assertion. Je ne veux pas faire de la politique en ce moment, je n'examine pas si cela est utile ou pas utile. Je constate un fait, je ne fais pas entrer la politique dans tout ; elle se présente, assez souvent pour que je la laisse de côté, à propos d'une question d'intérêt matériel.
Une seconde raison, c'est que nos agriculteurs ne s'occupent pas assez de leurs intérêts. Je voudrais que mes paroles eussent quelque retentissement à cet égard. Ils ne font pas ce que font les industriels ; ils ne savent pas se réunir, se coaliser pour faire triompher leurs intérêts, leurs besoins.
Il y a enfin une autre raison : c'est que trop longtemps l'agriculture a confondu ses intérêts avec ceux d'un parti politique ; cela n'est plus, c'est vrai ; mais s'il est un homme à qui nous devons de la reconnaissance à ce sujet, c'est l'honorable M. Rogier. Il a détruit les préventions existantes à cet égard, c'est à lui qu'on doit d'avoir fait connaître à tous ce qui est la vérité, c'est qu'il y a autant de sympathie, autant de désir d'être utile à l'agriculture, sur les bancs de la droite, que sur les bancs de la gauche, que le gouvernement libéral a fait et fera tout autant pour l'agriculture que les gouvernements qui l'ont précédé.
Messieurs, quelles que soient vos appréciations sur les divers points que je viens d'examiner, je crois que tous vous pourrez accepter mes conclusions qui sont : de ne toucher qu'avec la plus grande réserve aux faibles avantages que la parcimonieuse générosité de nos devanciers avait accordés à l'agriculture. Je me bornerai à dire à mes collègues des villes et des grands centres industriels : « Vous êtes forts, donc soyez généreux. » C'est toujours là de la bonne politique.
Avec ces idées, je regrette donc, messieurs, la suppression à ce budget d'une somme de 8,500 francs au chapitre de l'agriculture ; je la regrette moins en elle-même que parce qu'elle dénote une tendance fâcheuse.
Je sais que quant au maintien des règlements provinciaux, il y a quelques objections sérieuses à produire ; je crois, en effet, que c'est dans ce seul cas que l'Etat intervient pour limiter le droit de propriété, alors que l'exercice de ce droit ne porte pas préjudice à autrui, et, à ce point de vue, l'esprit libéral de M. le ministre, de l'intérieur a pu concevoir des scrupules. N'oublions pas cependant que beaucoup de provinces tiennent à conserver ces règlements : je citerai notamment le Luxembourg, où le comice agricole d'Arlon-Messancy déclare considérer la suppression des règlements dont il s'agit comme étant de nature à porter le préjudice le plus sérieux à l'élève du cheval dans la province ; je m'étonne que l'honorable M. Bouvier ait perdu cela de vue.
M. Bouvierµ. - J'ai fait l'éloge de la race ardennaise.
M. de Macarµ. - Je crois qu'il faudrait attribuer à l'achat d'animaux reproducteurs la. somme laissée disponible au chapitre « règlements provinciaux. » On aurait pu acheter des animaux reproducteurs en Angleterre, pais les revendre ou les mettre en stations ; on aurait pu aussi, et très utilement, augmenter les étables de l'institut agricole de Gembloux.
A ce sujet, je suis très heureux des éloges dont cet excellent établissement a été l'objet dans cette Chambre. Qu'il me soit permis de faire remarquer, à ce propos, que l'Etat réalise un bénéfice assez convenable sur l'exploitation agricole attachée à l'Institut de Gembloux. Le capital avancé par l'Etat a été de 57,236 fr. 6 c. Pour toute la période d'existence (six années), le bénéfice moyen annuel s'élève à 3,763 fr. 97 c, ce qui fait 657/100 p. c. du capital engagé.
Personne ne niera, messieurs, que les résultats des moyens employés pour doter le pays de races d'animaux perfectionnées aient été favorables. La race de Durham s'introduit insensiblement dans le pays.
J'ai entendu émettre l'opinion par l'honorable M. Bricoult que cette race jouissait de peu de faveur dans la province de Liège.
C'est une erreur, là comme ailleurs, comme en Brabant surtout, on apprécie parfaitement les qualités exceptionnelles de ce bétail. Il y a une partie de la province de Liège, il est vrai, qui l'adopte peu, c'est le pays de Herve, on y croit que la vache de Durham n'a pas les qualités lactifères des vaches hollandaises.
Mais, supposant même ce fait exact, il est à remarquer que ces qualités sont compensées par la production d'une plus grande quantité de beurre, de sorte que, là même à ce point de vue, ce ne serait pas une mauvaise spéculation que de faciliter la reproduction de cette race.
Au reste, messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur reconnaît parfaitement l'utilité des subsides ; seulement, en même temps, il constate qu'il ne sera pas possible, cette année, de satisfaire aux besoins qui se manifesteront.
Ainsi, la page 10 du rapport de la section centrale contient les considérations suivantes :
« Depuis un certain nombre d'années déjà et sur l'initiative des autorités provinciales,, on s'est attaché à perfectionner nos races bovines, en introduisant dans le pays les meilleurs types étrangers et notamment ceux (page 365) de la race anglaise des courtes cornes, dites de Durham. Les résultats que ces efforts ont produits sont importants, d'après les rapports de tous les corps spéciaux auxquels les intérêts agricoles sont confiés. Les croisements obtenus présentent de nombreux avantages, parce que les produits, tout en conservant les facultés laitières de l'ancienne race, sont d'un engraissement plus facile et plus précoce.
« Ces faits sont constatés, chaque année, dans tous les concours d'animaux reproducteurs ou de bêtes grasses.
« On les trouvera confirmés dans les rapports des commissions provinciales d'agriculture, dont les extraits sont insérés dans le Bulletin du conseil supérieur.
« Convient-il d'abandonner les encouragements que le gouvernement accorde aux provinces et de supprimer ainsi brusquement des subsides à l'une des branches les plus importantes de l'industrie rurale ?
« Ce n'est pas l'avis des hommes qui s'occupent des intérêts de l'agriculture et qui sont persuadés, au contraire, qu'il y a peu de modes d'intervention des pouvoirs publics qui aient produit des résultats aussi efficaces que ceux qui ont été obtenus par l'introduction des types reproducteurs améliorés.
« Déjà l'on se plaint de ce que, depuis deux ans, on n'a pas pu, à cause de la peste bovine, faire d'importations de cette espèce, et l'on demande instamment que l'on ait de nouveau recours aux reproducteurs de l'Angleterre, pour empêcher la dégénérescence des animaux croisés qui existent en très grand nombre dans le pays.
« On ne doit pas mentionner les résultats obtenus, par le croisement chez d'autres races d'animaux domestiques et, notamment, chez la race porcine. Ils sont trop bien démontrés pour qu'on y insiste. »
Quand je lis cela, je vois avec surprise un peu plus loin :
« Le crédit de 85,000 francs porté à l'article 54 ne suffira qu'à la condition de restreindre les achats d'animaux reproducteurs, de manière à laisser disponible la somme que le gouvernement s'est engagé, vis-à-vis des provinces, à payer pour sa part d'intervention dans les frais relatifs à l'amélioration de la race chevaline. »
Je sais, messieurs, l'objection que l'on me fera. On dira : C'est de l'intervention, c'est de la protection, et nous n'en voulons plus.
Messieurs, cela est-il bien sérieux ?
Voici la position dans laquelle, nous nous trouvons. Nous avons fait des frais assez considérables pour améliorer notre race bovine, et au moment où elle est sensiblement améliorée et où, par suite de la peste bovine qui vient de sévir si cruellement, nous sommes astreints à de nouveaux sacrifices pour maintenir la situation que nous avons acquise, on ne veut plus nous accorder ce qui nous est nécessaire pour continuer l'expérimentation de façon a lui faire produire ses fruits.
MiPµ. - On ne diminue pas le crédit.
M. de Macarµ. - Non, mais il est reconnu insuffisant. Ne faisons-nous pas ce que ferait le propriétaire d'une maison construite jusqu'aux combles et qui, pour éviter quelques menus frais, refuserait d'achever la construction ?
Je vais, messieurs, passer en revue les divers points auxquels est attribué le crédit de l'agriculture.
Une première partie est destinée au conseil supérieur et aux commissions provinciales d'agriculture ; la deuxième, à l'amélioration de la race bovine, chevaline et porcine ; la troisième est composée des subsides alloués aux sociétés agricoles.
Dans l'un et l'autre de ces cas, où est la protection ? L'Etat ne se borne-t-il pas à faire ce qui ne pourrait être fait sans lui ? Mais élucidons d'abord un point. On a demandé que les commissions d'agriculture ne fussent plus composées par le gouvernement, mais bien par les intéressés. Mais c'est ce qui existe. Les commissions d'agriculture sont tout simplement les chambres de commerce de l'agriculture, à cette seule différence près que ce n'est pas le gouvernement, mais le public qui les nomme.
On réunit les comices agricoles. Chacun sait que l'on y est admis bien aisément. Ces comices nomment des délégués à la commission provinciale, laquelle nomme à son tour un délégué à la commission supérieure d'agriculture. Voilà le système ? C'est une élection à deux ou à trois degrés.
Le crédit alloué pour ces conseils me paraît parfaitement justifié ; le gouvernement en le proposant ne fait que ce qu'il fait pour l'industrie, pour l'hygiène, pour tous les conseils supérieurs dont il est, sans doute, facile de médire, mais dont je vois invoquer l'opinion en toutes circonstances et qui rendent des services, latents parfois, mais réels, surtout lorsque le gouvernement doit s'éclairer sur les vœux, les désirs, les intérêts des diverses branches qu'ils représentent.
Je passe à un second point. Je viens de parler des animaux reproducteurs. Ici encore le gouvernement ne fait que ce que le public ne saurait faire.
Il ne faut pas l'oublier, messieurs, nous ne sommes pas en Angleterre, où la propriété n'est pas indéfiniment morcelée, où il y a de grandes fortunes, des majorats et où, par conséquent, l'initiative individuelle ou collective peut se substituer à l'intervention de l'Etat. En Belgique, de quoi se compose la majeure partie des agriculteurs ? De personnes de la classe moyenne, de prolétaires.
Comment voulez-vous que ces gens, en leur supposant même le désir de le faire, se réunissent pour aller acheter des animaux reproducteurs en Angleterre ? A mon avis, l'Etat ne peut donc, dans un but démocratique, se dispenser encore d'intervenir en cette matière. D'ailleurs, quand l'Etat achète des animaux, les provinces les revendent, soit immédiatement, soit après la période pendant laquelle ils ont opéré la monte, et cette revente rend sinon tout, au moins une partie des sommes dépensées. Je considère, dans l'espèce, l'intervention de l'Etat comme un acte de sympathie et non comme un acte de protection.
J'en viens à la question des sociétés agricoles, dont l'honorable ministre de l'intérieur nous disait hier que le but, la mission essentielle étaient l’enseignement. Mais cela est incontestable, c'est de l’enseignement théorique et de l'enseignement pratique que l'on y donne ; l'enseignement théorique par des publications, par des journaux ; l’enseignement pratique par des concours qui démontrent par les expériences faites, l'utilité, la vérité, l'efficacité des théories enseignées. Notez bien, messieurs, que nos campagnards n'accepteront pas les nouveaux procédés s'ils n'ont pas eu l'occasion d'en apprécier les avantages. L'Etat, par ses subsides, ne fait autre chose que de permettre de réduire la cotisation à un taux abordable pour tous.
Les sociétés agricoles ou horticoles ont en outre une influence civilisatrice indéniable. Lorsque, l'autre jour, j'entendais M. de Maere émettre cette idée si juste, que le progrès de la civilisation dépendait en partie de la multiplicité des rapports entre les classes élevées et les classes inférieures de la société, je me reportais en pensée aux associations agricoles où cet objectif, ce desideratum est atteint ; où propriétaires et fermiers, agronomes et petits cultivateurs se donnent une main fraternelle et coopèrent tous ensemble à un même but, à la réalisation d'une idée également favorable à tous.
Lorsque j'entendais, à diverses reprises, traiter, dans cette enceinte, de la question sociale, cette grande question, la seule peut-être qui, dans quelques années, agitera l'ancien monde et qui ne peut se résoudre que. par l'instruction et la moralisation des classes ouvrières, je me reportais encore, messieurs, à ces associations qui, occupant les loisirs du dimanche à des œuvres utiles, éloignent du cabaret ; qui, en intéressant le prolétaire à la minime fraction du sol qu'il possède et dont il tire peut-être une somme de jouissances relativement plus grande que le grand propriétaire, en fait un défenseur de la propriété et des idées sur lesquelles repose notre organisation sociale. Ce résultat est important.
Au surplus, messieurs, je ne me borne, pas ici à faire de la théorie et je puis heureusement apporter des faits à l'appui de mes assertions.
Dans la discussion qui a eu lieu récemment à propos de la question flamande, divers orateurs ont déclaré, et toutes les statistiques se sont trouvées d'accord sur ce point, celles de MM. Kervyn et Vleminckx comme celle de M. de Maere, c'est que la ville de Huy se trouvait dans une position exceptionnelle de moralité.
Je suis heureux de pouvoir proclamer de nouveau ce fait, parce que c'est un grand honneur pour le chef-lieu de l'arrondissement qui m'envoie siéger dans cette enceinte. Eh bien, messieurs, dans l'arrondissement de Huy, il existe peut-être plus d'associations agricoles et horticoles que dans tout le reste de la province de Liège.
Je n'hésite pas à croire que ce résultat, auquel a puissamment contribué un homme que le gouvernement a justement récompensé en lui accordant la décoration de l'ordre de Léopold, que ce résultat, dis-je, a été obtenu en grande partie à cause de toutes ces associations agricoles auxquelles personne, pour ainsi dire, ne reste étranger.
Messieurs, mes conclusions finales sont des plus modestes : je me borne à demander à M. le ministre de l'intérieur, pour le cas où ses prévisions se réaliseraient, c'est-à-dire si le crédit pour achat d'animaux reproducteurs est insuffisant, de consentir soit à demander un crédit supplémentaire, soit à faire déclarer non limitatif le crédit proposé au budget pour achat d'animaux reproducteurs.
Je lui demanderai surtout de ne pas se laisser aller trop facilement aux tendances de non-intervention absolue qui se manifestent, d'apporter, dans l'examen des diverses questions qui se rattachent à l'agriculture, la sagacité (page 366) et la prudence que, dans les circonstances les plus difficiles, je me suis plu a reconnaître aux actes de mon honorable ami.
M. Jacquemynsµ. - Le budget agricole est depuis quelques années, tant dans cette Chambre que dans le pays, l'objet d'attaques diverses, et je crois que le meilleur moyen de justifier ce budget c'est de l'analyser, c'est de le présenter à son véritable point de vue.
Déjà, cette tâche a été entreprise par l'honorable M. de Macar, et je puis supprimer une notable partie du discours que j'avais préparé, parce que j'ai l'avantage de me rencontrer avec l'honorable préopinant.
Cependant, je demanderai à la Chambre la permission de lui présenter en quelque sorte l'analyse du budget agricole, du chapitre XI du budget de l'intérieur.
Mais avant tout, qu'il me soit permis de faire remarquer à la Chambre que, parmi toutes nos industries, la première qui ait renoncé à la protection, la première à laquelle nos lois douanières ont enlevé leur protection, c'est notre agriculture. Notre agriculture était protégée par nos douanes. cette protection lui a été enlevée ; elle ne s'en est pas plainte ; elle a accepté avec fierté, avec dignité la situation qu'on lui faisait ; elle a accepté avec dignité la libre concurrence avec toutes les nations.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - C'est un beau cadeau qu'on lui a fait là.
M. Jacquemynsµ. - Oui, M. Le Hardy de Beaulieu, c’est un beau cadeau qu’on lui a fait. Jusque-là, on avait considéré l’agriculture comme la mère nourricière des populations et on ne lui accordait une protection que parce qu’on lui imposait les devoirs d’une mère. Mais aujourd’hui qu’elle n’a plus ces devoirs à remplir ; aujourd’hui qu’elle est devenue une industrie comme toutes les autres, elle ne demande qu’une chose : l’égalité, le droit commun, rien de plus.
A partir du jour où l'on a affranchi l'agriculture des devoirs qu'une politique arriérée lui imposait, à partir du moment où on lui a dit : « Vous êtes libre de produire ce que vous voulez, et comme vous voulez, de vendre au prix que vous voulez, mais il ne vous sera plus accordé de protection. » A partir de ce jour, elle a pris sa place parmi les diverses branches de l'industrie nationale ; et à raison de son importance, qui dépasse de beaucoup celle des autres branches de notre industrie, elle s'est trouvée occuper le premier rang ; elle s'est placée en tête de l'industrie, à cause de son importance, comme à cause de la dignité avec laquelle elle a accepté la position qui lui a été faite, position indépendante et libre.
Messieurs, on reproche au budget agricole de s'élever à un million. D'après le budget que je tiens en mains, il est en réalité de 897,000 francs. Il comprend 90,000 francs qui ne sont pas, à proprement parler, une dépense agricole. Ainsi, on continue de porter au budget un subside annuel de 21,000 francs à la société royale d'Horticulture de Bruxelles.
Si le budget agricole venait à faire naufrage, M. le ministre de l'intérieur recueillerait, j'en suis sur, cette épave et la ferait figurer parmi les monuments publics ou ailleurs. Qu'a de commun cette allocation avec l'agriculture ?
On alloue 21,000 fr. à la société d'Horticulture, pour qu'elle maintienne son Jardin botanique qui fait l'ornement de la ville de Bruxelles. Voulez-vous le supprimer ? (Non ! non !) Vous n'aurez plus de Jardin botanique et la société vendra le terrain.
Vous avez, d'un autre côté, diverses allocations temporaires qui n'ont rien de commun avec l'agriculture et qui, avec les 21,000 fr., forment un total de 90,000 fr.
Ainsi, le budget proprement dit de l'agriculture est de 800,000 fr. ; or, parmi ces 800,000 fr., il en est 500,000 qui ne sont pas du tout pour l'agriculture, mais pour l'enseignement agricole.
M. Bouvierµ. - Je ne combats pas cette allocation.
M. Jacquemynsµ. - Je vous en sais gré ; mais l'enseignement, agricole a eu à se débattre contre assez d'attaques pour qu'il me soit permis d'en dire encore un mot en passant.
Il y a d'abord 141,000 fr. pour l'institut de Gembloux ; on n'attaque pas cet institut, et je ne le défends pas non plus ; je dirai seulement un mot à l'honorable M. Bricoult qui demande que les mathématiques soient enseignées à l'institut de Gembloux. Or, il y a à Gembloux un professeur spécial pour les mathématiques.
Il y a de plus une somme de 200,000 fr. pour l'école vétérinaire, pour le service vétérinaire et pour les bourses.
M. Bouvier£ ; _ Je n'ai pas attaqué cette allocation.
M. Jacquemynsµ. - Est-ce que l'honorable M. Bouvier ferait aussi grâce aux sociétés et aux commissions agricoles ?
M. Bouvierµ. - Je vous répondrai.
M. Jacquemynsµ. - Pour que l'honorable M. Bouvier me réponde d'une manière complète, je vais préciser ce que j'ai en vue.
Eh bien, messieurs, pour moi, les sociétés agricoles sont tout bonnement des écoles agricoles pour les adultes ; des écoles pratiques ; des écoles d'adultes pour l'agriculture ; ni plus, ni moins.
Or, je pense que nos sociétés et nos comices agricoles trouveront, dans cette Chambre, les mêmes défenseurs que les écoles d'adultes y ont trouvés récemment ; mais de plus, il se réalise ici un fait qui semble en quelque sorte indiquer que l'honorable M. Rogier, qui a fondé nos sociétés, nos comices agricoles, avait prévu les objections de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ; il a prévu la nécessité d'exciter l'initiative privée.
Au congrès des sciences sociales, à Gand, on examinait la question de savoir si le gouvernement devait se charger de l'instruction primaire, ou s'il fallait l'abandonner à l'initiative privée. Un profond penseur, une des gloires de notre époque, M. Jules Simon, intervint dans la discussion en affirmant que c'était un devoir pour le gouvernement de se charger de l'enseignement primaire, attendu que l'initiative privée ne s'en pourrait pas charger, mais qu'en même temps le gouvernement devait travailler à sa propre destitution.
Or, le gouvernement, dans l'enseignement agricole des adules, travaille à sa propre destitution en appelant le concours actif de l'initiative privée.
Ainsi, les subsides ne sont répartis entre les milliers de membres qui composent nos comices agricoles qu'à la condition que les membres y concourent individuellement.
Ainsi, les subsides que l'Etat accorde ne sont, en réalité, que le moyen d'éveiller l'initiative privée.
Je sais bien qu'on me dira qu'en Angleterre on a d'autres moyens ; on a recours à de riches particuliers qui font les frais, qui se substituent au gouvernement.
Oui, parce qu'en Angleterre, il y a de riches particuliers, il y a des fortunes beaucoup plus considérables que les nôtres ; il faut ensuite tenir compte du caractère particulier de nos populations, et il importe de respecter un sentiment de dignité qui les anime, alors même que ce sentiment serait exagéré.
Nos populations agricoles acceptent, sans scrupule, les encouragements de notre gouvernement pour la propagation de l'enseignement agricole.
Elles les acceptent sans scrupule parce qu'elles les considèrent en quelque sorte comme une restitution que l'Etat fait au pays. L'Etat, disent-elles, ne fait que nous restituer une partie de ce que nous avons donné. L'habitant de nos campagnes accepte sans scrupule comme sans défiance le concours de l'Etat, mais il n'accepterait pas, au même titre, le concours des particuliers, des riches.
M. Crombez. - Il ne s'agit pas seulement du concours des riches. Les souscriptions ne se font pas seulement par des riches.
M. Jacquemynsµ. - Soit. J'accepte, pour ma part, tout concours, d'où qu'il vienne, et j'en sais gré ; mais il y a une considération. Admettons qu'un particulier se pose en protecteur de l'agriculture. Quelle garantie.de stabilité et de durée vous offrira cette protection ? Nous voyons avec plaisir un particulier se poser comme protecteur, comme promoteur de l'agriculture. J'admire ce dévouement ; j'en suis profondément reconnaissant. On rend ainsi un service signalé au pays et à la plus grande de nos industries. Mais quand ce Mécène viendra à mourir, ses héritiers continueront-ils son œuvre ? En Belgique, rien ne le garantit.
En Angleterre, vous en avez la garantie, parce que lorsqu'un grand propriétaire se fait le protecteur d'une société agricole, il a, en cas de décès, un propriétaire qui, en conséquence du droit d'aînesse, est héritier de tous les intérêts en considération desquels le premier propriétaire encourageait l'agriculture.
Un propriétaire encourage l'agriculture. Pourquoi ? Parce qu'il a un grand intérêt, un intérêt dominant à le faire. Son héritier, qui recueille sa succession entière, se trouve placé dans les mêmes conditions que lui, et par conséquent il y a là une garantie de durée. Cette garantie, nous ne l'avons nullement chez nous. Quand un propriétaire qui encourage une société agricole meurt, ses propriétés sont divisées ; elles tombent dans le domaine de plusieurs héritiers, de collatéraux quelquefois nombreux, et les motifs des encouragements créés par le propriétaire primitif cessent à l'heure de sa mort.
Il y a plus, en Angleterre, les sociétés agricoles peuvent être propriétaires de biens immeubles, posséder des revenus. Nos sociétés agricoles ne le peuvent pas. Si un grand propriétaire voulait citer des conditions de (page 367) durée, de perpétuité à une société agricole au moyen de fondations, il ne le pourrait pas.
Nous nous trouvons donc en présence de la nécessité d'accepter l'intervention de l'Etat en faveur des progrès agricoles, ou bien de demander le rétablissement du droit d'aînesse, de la mainmorte et des fondations. Nous préférons l'intervention du gouvernement.
Je dis, messieurs, que l'Etat travaille à sa propre destitution comme propagateur de l'instruction agricole. On me demandera peut-être quand le gouvernement réussira à se destituer lui-même ; mais, messieurs, je viens d'indiquer déjà les obstacles qui retarderont l'heure de cette destitution. Il y en a d'autres encore qui sont très graves. A mesure que les sociétés agricoles rendent plus de services, on sent la nécessité de leur en demander de nouveaux et de plus grands encore.
Nos comices agricoles rendent des services d'abord par leurs séances mêmes. Ainsi la société agricole de la Flandre orientale compte 2,500 membres divisés en 10 sections ; par conséquent, chaque section est en moyenne de 250 membres. Or, on comprend que lorsque 250 agriculteurs se trouvent réunis pour discuter leurs intérêts communs, pour s'occuper des progrès agricoles, il y a déjà là un enseignement mutuel ; mais ensuite les sociétés agricoles qui reçoivent un subside de l'Etat publient des journaux agricoles qui se répandent à très bon marché. C’est un deuxième moyen d'enseignement. Un troisième moyen a été introduit depuis quelques années : ce sont les conférences agricoles.
Ces conférences sont jusqu'à présent à l'état naissant dans nos Flandres ; elles se bornent presque exclusivement à l'enseignement de l'arboriculture et l'on éprouve de très grandes difficultés à établir des conférences purement agricoles. Pourquoi ? Parce qu'on manque jusqu'à présent d'hommes possédant des connaissances suffisantes pour donner de véritables conférences agricoles. Il est donc du devoir du gouvernement de former, à l'institut de Gembloux, des hommes capables de répandre les connaissances agricoles.
On a parlé d'un cours de silviculture à l'école de Gembloux. C'est l'honorable M. Bricoult qui en a parlé. M. le ministre de l'intérieur a fait observer que ce cours aurait très peu d'élèves, par la raison fort simple qu'il est très peu de sylviculteurs qui voudraient passer trois ans à l'école de Gembloux. Quelques conférences suffisent. Dans deux jours, dimanche prochain, je serai appelé à présider, en pleine Campine, une réunion agricole, dans laquelle un praticien fort expérimenté donnera une conférence sur la silviculture.
Nous sommes ainsi allés au-devant du désir de M. Bricoult.
Ces conférences se multiplieront, mais elles exigeront des sacrifices et retarderont donc le moment où le gouvernement pourra se destituer.
On désire également des concours agricoles, de bétail, de produits, des concours de fermes.
Chaque année, on est amené à des idées nouvelles et nous avons peut-être, sous ce rapport, à aller chercher des exemples chez nos voisins. Nous sommes peut-être un peu en arrière de nos voisins.
En France, on donne des primes agricoles importantes pour la meilleure ferme. On les apprécie en détail, on fait en sorte que l'émulation des agriculteurs soit stimulée.
M. Bricoultµ. - Il est même question de nommer un grand cultivateur sénateur.
M. Jacquemynsµ. - Où est le mal ?
M. Bouvierµ. - Il y a des agriculteurs ici.
M. Jacquemynsµ. - Sous ce rapport, les électeurs ont devancé les vœux de l'honorable M. Bricoult ; ils ont envoyé au Sénat l'honorable comte de Lynden. qui est un de nos agriculteurs les plus habiles et l'honorable baron de Tornaco, qui figure au nombre de nos agronomes les plus distingués.
Bien loin de désirer que le crédit alloué à l'agriculture, à titre d'enseignement, soit réduit, je déclare franchement que je voudrais le voir augmenter. Je voudrais voir le gouvernement se piquer d'émulation avec le gouvernement français.
En France, ces choses ne sont pas abandonnées à l'initiative privée, comme l'a dit l'honorable M. Bricoult.
Le gouvernement et les départements votent un million pour les diverses sociétés agricoles de France, et je pense qu'il y a lieu d'attribuer à l'influence de cette allocation une notable partie des progrès de l'agriculture française.
La différence constatée entre l'état de l'agriculture française, lors de l'exposition de Londres de 1862 et lors de la dernière exposition de Paris en 1867, atteste ce progrès.
Parlerai-je, messieurs, des stations expérimentales, dont a parlé l'honorable M. De Fré ?
Messieurs, si l'Etat est appelé à fonder des stations agricoles, il faudra attacher à chaque station un directeur, des inspecteurs, des ouvriers, tout un personnel.
Eh, messieurs, vos sociétés agricoles ont réalisé ces stations sur un pied modeste, mais parfaitement pratique et utile.
Je ne sais si cela existe pour d'autres provinces, mais la Flandre orientale en compte deux, une à Gand et une à Alost. La société du Brabant en compte une pour l'arboriculture.
Je pense qu'elles se multiplieront à mesure, qu'on apprendra que la Chambre et le gouvernement désirent qu'on les multiplie.
Je voudrais, messieurs, émettre un vœu, c'est qu'il y eût une station de ce genre à Uccle, et je crois qu'il dépendrait de l'honorable M. De Fré de réaliser ce vœu d'ici à l'année prochaine.
Il existe à Uccle une société d'agriculture parfaitement organisée sous la présidence de mon honorable collègue et ami. Pourquoi ne demanderait-elle pas un subside pour réaliser le vœu de son président ?
La station de Gand, messieurs, a fait des essais de toute nature ; tantôt des essais de graines, tantôt des essais d'engrais, et ces essais sont suivis, avec intérêt, par de nombreux propriétaires et agriculteurs de la province.
Cette ferme expérimentale, cette station expérimentale ne coûte que 1,000 fr. par an, au plus ; je défie le gouvernement d'en établir une seule avec un capital décuple. C'est encore là un service que la Chambre elle-même demande aux sociétés agricoles.
Messieurs, je ne parlerai pas des 240,000 francs alloués pour indemnités aux propriétaires de bétail abattu. Je pense qu'après l'exemple de la peste bovine, il s'écoulera bien des années avant que ce chiffre soit encore contesté. Je ne demanderai qu'une seule chose à cet égard, c'est que dans les années où la somme de 240,000 fr. ne devra pas être affectée à des indemnités pour bétail abattu, on laisse au gouvernement la faculté qu'il a pour d'autres articles du budget, d'appliquer l'excédant à d'autres besoins, à l’enseignement agricole, par exemple.
Reste, messieurs, une somme de 85,000 fr. pour le. bétail, c'est-à-dire quelque chose comme 1/25000 du produit de l'industrie agricole. Et cette somme insignifiante est disputée à l'agriculture ! J'ai le droit de m'en étonner, car nous avons, il y a quelques années, pour la marine, pour le commerce, voté une somme de 35 millions à l'effet d'obtenir le rachat du péage de l'Escaut.
Dira-t-on que notre commerce maritime a une importance plus grande que notre agriculture ou même une importance comparable ?
L'honorable ministre de l'intérieur ne s'est pas montré partisan des règlements provinciaux ; je n'en suis pas plus partisan que lui. J'ai voté, chaque fois que j'en ai eu l'occasion, contre les règlements relatifs à la race bovine. Je voterai contre le règlement relatif à la race chevaline, et je me suis prononcé à cet égard de la manière la plus absolue, comme membre du conseil supérieur d'agriculture, lorsque j'ai eu l'honneur d'y siéger.
Je voudrais même que l'honorable ministre, de l'intérieur persévérât dans son opposition à la réglementation et qu'il ne se laissât pas entraîner par sa sollicitude pour les petits oiseaux jusqu'à réclamer des dispositions protectrices. Il m'est avis que beaucoup de ces animaux qui sont réputés essentiellement insectivores prennent à leur dîner, en guise de dessert, si l'on veut, des cerises, des petits pois, au besoin du froment.
Nous avons parmi nos races domestiques un exemple frappant ; le chien est essentiellement carnivore ; eh bien, les chiens se contentent très bien, à défaut de viande, d'une tartine, et je crois que les oiseaux insectivores, a défaut d'insectes, se contentent parfaitement de petits pois et de froment.
Qu'il me soit permis, messieurs, de dire un mot pour terminer. J'entends souvent parler de l'importance de la voirie vicinale. Dans le public, bien des personnes, dans cette Chambre même, certains membres voudraient voir supprimer ce prétendu million en faveur de l'agriculture, million qui se réduit à quelques millions de francs en dernière analyse, pour le répartie sur la voirie vicinale,
Aidant que personne, messieurs, je suis partisan, dans l'intérêt de l'agriculture, de la voirie vicinale. Je compte que l'occasion me sera donnée de parler en faveur des fonds demandés pour la voirie vicinale. Je voudrais voir développer la voirie vicinale, parce que je la considère comme d'un intérêt immense pour l'agriculture. Je voudrais, non seulement voir multiplier nos routes vicinales, qui sont les dernières ramifications de ces grandes artères par lesquelles se distribuent les richesses publiques ; je (page 368) voudrais encore voir établir des chemins de fer vicinaux ; je voudrais même voir établir des canaux de vicinalité, comme en Hollande.
Une grande partie de la prospérité agricole des Pays-Bas est due a la petite navigation. Un jeune garçon suffit pour traîner 4, 5 et jusqu'à 10 tonnes sur l'eau, tandis que, pour traîner cette même charge sur nos routes, il faut plusieurs chevaux.
Mais, messieurs, de ce que la voirie vicinale est nécessaire pour l'agriculture, résulte-t-il que l’enseignement agricole soit une superfluité ? Je ne sais, vraiment, messieurs, lequel des deux est le plus nécessaire pour la prospérité de l'agriculture : ou de l'enseignement agricole ou de la voirie vicinale.
Il en est ici comme d'une autre question qu'on se pose quelquefois : Qu'est-ce qui est le plus nécessaire à l'homme : de l'eau ou du pain ?
A cette question, il n'est qu'une réponse à faire : ils sont nécessaires l'un et l'autre ; et jamais on ne parviendra à remplacer une tranche de pain par vingt verres d'eau.
Il faut encourager l’enseignement agricole comme toute espèce d'enseignement ; d'un autre côté, la voirie vicinale, comme toutes les voies de communication, est utile au commerce et à l'agriculture.
M. Bouvierµ. - La force des choses a arraché un aveu précieux à mon honorable ami, M. de Macar : c'est que l'agriculture devra se passer, dans un avenir peu éloigné, des encouragements de l'Etat. C'est ce que nous avons eu l'honneur de dire hier, et le langage tenu par les honorables MM. de Macar et Jacquemyns ne fait que confirmer mon appréciation.
En effet, messieurs, j'ai eu, hier encore, l'honneur de dire que souvent, très souvent, l'intervention de l'Etat est nuisible à l'agriculture. Comme preuve de cette assertion, je vous ai rappelé l'intervention de l'Etat dans l'établissement du haras de Gembloux qui nous a coûté énormément d'argent.
Eh bien, je vous demande encore si cette intervention a produit, un bienfait quelconque à l'agriculture ? Il n'est pas un seul membre de cette Chambre qui osât le soutenir. J'ai, du reste, pour moi quelque chose de plus que son appréciation ; c'est que la Chambre, à l'unanimité de ses membres, a, par un vote, fait disparaître le crédit pour le haras.
J'ai dit hier encore que le gouvernement avait acheté une foule d'instruments aratoires, que ces instruments étaient relégués à l'école de Gembloux ; or, y a-t-il un seul agriculteur qui les ai vus, qui aille les examiner dans cet établissement ? Sont-ils là dans un but d'utilité quelconque ?
M. Jacquemynsµ. - Ils servent à l'enseignement.
M. Bouvierµ. - Pour l'enseignement, me dit-on ; mais pas le moins du monde ; ce sont de vieilles et antiques machines qui feraient hausser les épaules du plus médiocre cultivateur ; elles ne servent qu'à encombrer les locaux.
- Une voix. - Elles servent à vulgariser la science.
M. Bouvierµ. - A vulgariser la science, me dit-on. Mais ce n'es, pas l'Etat qui la vulgarise, ce sont les établissements d'instruction, votre institut, les conférences agricoles et horticoles qui ont fait faire des progrès à la science.
C'est à l'initiative de particuliers que nous devons les meilleurs instruments agricoles, et je dénie que l'Etat y ait contribué pour la moindre part. L'initiative des citoyens a suffi. L'Angleterre, l'Allemagne ont été, pour notre industrie agricole, la vraie terre classique de la mécanique culturale.
Mais, dit-on, le Luxembourg, et c'est l'honorable M. Rogier qui faisait hier cette observation, le Luxembourg a profité largement des bienfaits que le gouvernement y a répandus, lui que vous combattez si impitoyablement aujourd'hui. (Interruption.)
« Vous avez eu la chaux à prix réduit, » me dit l'honorable M. Van Wambeke. Cela est vrai, et je m'empare de l'interruption pour établir, sans que l'on puisse prétendre que je parle pro domo, que jusqu'à un certain point l'intervention du gouvernement a été utile, fructueuse. Et voici pourquoi :
Les agriculteurs ardennais sont en général peu fortunés.
Le gouvernement a voulu leur faire connaître qu'il y avait pour l'amélioration de l'agriculture un amendement très puissant, la chaux ; bien entendu lorsque à la chaux vient s'allier le fumier, l'engrais. ; car la chaux n'est un amendement qu'à cette condition-là, sinon il épuise la terre. Eh bien, quand les agriculteurs ardennais ont compris que réellement la chaux était un amendement pour leurs terres, le gouvernement a cessé son intervention. L'enseignement pratique, le plus souvent le meilleur, avait porté ses fruits.
Quand il s'est agi du drainage, le gouvernement a envoyé en Angleterre, patrie d'une des plus grandes, des plus bienfaisantes inventions modernes, un homme fort distingué pour l'étudier ; il a introduit en Belgique ce système qui consiste à assainir la terre par le filtrage et l’écoulement des eaux trop abondantes, mais lorsque ce système a été connu, l'intervention du gouvernement a cessé, comme n'étant plus nécessaire. Une semblable intervention, je la comprends ; elle a pour but d'éclairer, de stimuler, d'exciter la liberté humaine.
Quant aux reproducteurs de la race Durham qu'on va acheter à chers deniers en Angleterre, il y a plus de dix ans que ce manège coûteux dure. Ou cette race s'est propagée en Belgique, ou le contraire a lieu ; dans les deux hypothèses, les 35,000 francs inscrits au budget pour acheter ces reproducteurs doivent avoir porté leurs fruits, et l'intervention de l'Etat devient une amère dérision.
Mais, dit l'honorable M. Jacquemyns, l'enseignement agricole est indispensable ; il en est de même des comices ou des sociétés agricoles, qui constituent en quelque sorte des écoles d'adultes.
Je ne suis pas le dernier à proclamer que l'enseignement agricole doit être propagé dans le pays. J'ai toujours manifesté le désir que cet enseignement commençât à l'école primaire, et se continuât dans les écoles d'adultes ; les conférences agricoles et horticoles, je les ai demandées à cor et à cri et c'est une des premières choses que j'ai sollicitées à mon entrée dans cette Chambre. Les conférences sont utiles et je voudrais que dans chaque village, même dans chaque hameau, il y eût des conférences pour éclairer, guider et convaincre les cultivateurs ; là je trouve quelque chose de profitable à l'agriculture.
Si vous voulez le vrai progrès, propagez dans un langage simple, clair, à la portée des cultivateurs, les vrais principes de la science agricole. Propagez surtout par de bons exemples les bonnes méthodes, dominez la routine si chère à ceux-ci et vous aurez plus fait pour asseoir les règles de la bonne culture dans le pays que de courir en Angleterre chercher des reproducteurs à l'usage de quelques privilégiés.
Mais la voirie vicinale ! Déniez-vous là l'utilité de. l'action gouvernementale ? Mais vous prêchez un converti. Je suis le plus grand partisan de l'amélioration de la voirie vicinale et je prête les deux mains à l'amendement qu'on vient de présenter et qui tend à l'augmentation du chiffre jusqu'à concurrence de 1,500,000 francs. C'est une des dépenses les plus productives auxquelles les Chambres puissent accorder leur généreux concours. : C'est le crédit que nous avons toujours accueilli avec le plus de faveur, car il profite à tous et exclut tout privilège.
Si les honorables signataires de cet amendement me disent quels sont leurs voies et moyens pour couvrir ce chiffre, je suis dès lors prêt à le soutenir énergiquement.
Mais si les honorables signataires de l'amendement viennent demander, par exemple, fût-ce un millionième de centime additionnel sur la propriété non bâtie, oh ! alors je les abandonne ; car, ainsi que l'a très bien dit l'honorable M. de Macar, la propriété foncière est déjà bien frappée, non seulement par l'impôt foncier direct, mais encore par les droits de mutation, de succession, d'hypothèque, etc., etc.
J'attends, pour me décider, leurs explications. Je termine en disant que l'adage : « Aide-toi, le ciel t'aidera » doit désormais devenir une vérité en agriculture comme elle l'est déjà pour le commerce et l'industrie.
M. Schmitzµ. - Je suis à la disposition de la Chambre. J'en ai peut-être pour une demi-heure à parler de l'intervention gouvernementale en matière, d'agriculture, mais si la Chambre le préfère, je profiterai des quelques instants qui nous restent pour entretenir M. le ministre de l'inférieur d'une question toute spéciale, qui est relative également à l'agriculture, à condition, toutefois, que je garde mon tour de parole pour demain.
Messieurs, je me permets d'attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur et celle de M. le ministre de la justice sur un arrêté royal en date du 30 décembre 1867, pris en exécution de l'article 319 du code pénal, qui impose au gouvernement l'obligation de déterminer les maladies contagieuses qui peuvent donner lieu aux infractions relatives aux épizooties.
Voici le texte de cet arrêté :
« Léopold II, etc.,
« Vu l'article 319 du code pénal du 8 juin 18G7, article ainsi conçu :
« Art. 319. Tout détenteur ou gardien d'animaux ou de bestiaux soupçonnés d'être infectés de maladies contagieuses, déterminées par le gouvernement, qui n'aura pas averti sur-le-champ le bourgmestre de la commune où ils se trouvent, ou qui, même avant que le bourgmestre ait répondu à l'avertissement, ne les aura pas tenus renfermés, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs ; »
« Vu les articles 320 et 321 du même code ; »
« Sur la proposition de nos ministres de la justice et de l'intérieur,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. Les maladies contagieuses qui, aux termes des articles 319, 320 (page 369) et 321 du code pénal du 8 juin 1867, peuvent donner lieu aux infractions relatives aux épizooties, sont les suivantes :
« 1° Chez les solipédes (cheval, âne, mulet, bardeau), la morve et le farcin ;
« 2° Chez les ruminants, le typhus contagieux.
« 3° Chez les bêtes bovines, la pleuropneumonie exsudative et la stomatite aphtheuse ;
« 4° Chez les bêtes ovines, la clavelée, le piétain et la gale ;
« 5° Chez tous les animaux mammifères, l'hydrophobie et les maladies charbonneuses. »
Toutes ces maladies, messieurs, sont très graves : les unes entraînent la mort du sujet qui en est atteint ; les autres lui causent une dépréciation tellement considérable, que si elles venaient à se propager, elles feraient le plus grand tort à l'agriculture.
Mais à ces maladies si graves on en a accolé une, tellement peu sérieuse, que jamais on n'a recours, pour sa guérison, aux médecins vétérinaires. C'est le piétain des bêles ovines, qui. depuis bien des années déjà, sévit constamment parmi les troupeaux du Luxembourg.
De sorte que s'il prenait fantaisie à un garde champêtre, à un brigadier de gendarmerie ou à un officier de police quelconque, de verbaliser contre les détenteurs de moutons ardennais atteints de cette maladie, votre très humble serviteur, tout le premier, serait immédiatement condamné à l'emprisonnement et à l'amende.
Je vous disais, messieurs, que le piétain n'est pas une maladie sérieuse, et c'est si vrai, M. le ministre de l'intérieur pourra s'en assurer, que les médecins vétérinaires qui, chaque trimestre envoient des états sanitaires du bétail au gouverneur de la province, états qui sont insérés au Mémorial administratif, n’ont jamais signalé le piétain comme existant dans leur circonscription ; et cependant cette maladie, qui n'en est pas une à la vérité, sévit en Ardenne depuis plus de 20 ans.
L'arrêté royal du 30 décembre 1867 est donc, en réalité, une véritable épée de Damoclès suspendue sur la tête des détenteurs de moutons, épée qui peut être abattue par le dernier des gardes champêtres.
Je prie donc, M. le ministre, après s'être entouré, du reste, de renseignements nouveaux, de vouloir réviser l'arrêté en question et de rayer le piétain des maladies qui donnent lieu aux infractions punies par l'article 319 du code pénal nouveau.
M. Allard - Messieurs, la Chambre a l'habitude de ne pas siéger pendant la semaine du carnaval.
Je proposerai cette année, par exception et parce, que notre ordre du jour est excessivement chargé, de ne prendre que deux jours de vacances : le mardi et. le mercredi et de nous ajourner, après la séance de demain, au jeudi 11 courant.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne vois aucun motif pour changer une vieille habitude. De tout temps, la Chambre a eu pour usage de s'ajourner pendant la semaine du carnaval. et certes, s'il est une circonstance, dans laquelle cet ajournement est pleinement et cent fois légitimé, c'est celle dans laquelle nous nous trouvons.
Nous avons tous, messieurs, fait acte de beaucoup de courage et de résolution... (Interruption.) Je répète ma phrase. Nous avons tous fait acte de beaucoup de courage et de résolution en restant dans la capitale dans la situation pénible où elle se trouve. Ainsi, pour moi qui vous parle, quelle est la situation ? Dans la maison que. j'habite, il y a deux cas de typhus, et vis-à-vis de chez moi, il y a dix-sept cas de typhus.
Je vous demande s'il est possible d'admettre qu'une assemblée de députés siège en présence d'une situation comme celle-là !
Messieurs, ce n'est pas la peur qui me fait parler. Si c'était la peur, je ne serais pas ici. Mais, comme je ne suis ni médecin, ni pharmacien, ni sœur de charité, je trouve que notre place n'est pas du tout au milieu des typhoïdes.
M. Anspachµ. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Je pense donc que si jamais la conservation des anciens usages a été justifiée, c'est bien dans la situation malheureuse où se trouve la capitale.
Je sais bien qu'on viendra vous dire tout à l'heure que la maladie diminue, qu'il n'y a plus autant d'entrées dans les hôpitaux ; et on le dira très injustement. En voici la preuve. Dans la journée d'hier, j'ai été dans deux maisons de Bruxelles ; dans chacune des deux maisons, il y avait un nouveau cas de typhus.
Maintenant, examinez vos journaux qui donnent la mortalité, et vous voyez que tous les jours, dans la seule ville de Bruxelles, il y a 45 à 50 décès. Et c'est dans un moment pareil qu'on voudra tenir les députés ici et les priver de la vacance normale !
Je répète que nous avons montré, beaucoup de courage et de résolution en restant dans la capitale, dans la situation pénible où elle se trouve, et que c'est en définitive une chose qui ne serait pas raisonnable, qui ne serait pas juste que de vouloir nous faire revenir jeudi prochain. J'ajouterai d'ailleurs qu'on ne reviendra pas. (Interruption.) Voyez, messieurs, ce qui s'est passé jeudi dernier.
Je siège ici depuis 1831 ; voyons ce qui a eu lieu. Dans les premières années, on voulait siéger toute la semaine du carnaval. C’étaient les députés de Bruxelles qui se levaient pour nous faire rester, et quand l'heure de la séance était arrivée, quels étaient ceux qui ne répondaient pas à l'appel nominal ? C'étaient précisément ceux qui nous avaient obligés à revenir. On a compris que cet état de choses ne pouvait continuer ; on a décidé qu'on n'aurait de séances que les trois derniers jours de la semaine du carnaval. Qu'est-il arrivé ? On n'est pas revenu pour ces trois jours et, après dix ou douze années, on en est arrivé à prendre des vacances pendant la semaine entière.
Vous dites : Nous avons beaucoup de travaux. Messieurs, il y a un moyen bien simple de faire de la besogne ; commencez vos séances à une heure ; ayez des séances plus longues. Mais ce qui est un mauvais moyen, c'est de vouloir nous priver de la vacance habituelle, dans le but de faire croire que la capitale n'est pas malade ; c'est de nous retenir ici au milieu du typhus qui y règne.
M. Anspachµ. - Messieurs, je crois qu'il importe de répondre à ce que vient de dire, l'honorable M. Dumortier, non pas au point de vue du congé que prendra ou que ne prendra pas la Chambre, c'est là le petit côté de la question ; mais au point de vue du retentissement que peuvent avoir ses paroles. Voilà le côté, sérieux de la question.
A entendre l'honorable M. Dumortier, il s'agirait d'une épidémie extrêmement cruelle, extrêmement désastreuse, et qui continuerait ses ravages comme dans les premiers jours de son apparition. Je crois qu'il faut qu'une voix s'élève pour venir dire, à l'honorable M. Dumortier, au pays et à la ville de Bruxelles ce qui est la vérité.
Il y a malheureusement beaucoup de gens, dans la population, qui s'effrayent à l'extrême dès qu'on parle d'épidémie, et cette disposition d'esprit est déplorable parce qu'elle rend ceux qui en sont atteints plus aptes à contracter la maladie.
Oui, il est très vrai que dans les premiers jours, du 1er au 15 janvier, un nombre très considérable de personnes ont été frappées, non pas du typhus, mais d'une fièvre muqueuse ou d'une fièvre typhoïde et que beaucoup ont présenté des symptômes très graves ; mais depuis lors, et surtout depuis le 25 janvier, la maladie est entrée en pleine décroissance, à tel point qu'on peut presque dire qu'il n'y a plus de nouveaux cas.
Voici, du reste, le meilleur thermomètre de la situation, ce. sont les entrées dans les hôpitaux. Il est impossible que l'administration communale, pas plus que l'honorable M. Dumortier, fasse une enquête de maison en maison et sache l'état de chacun, mais ce qui donne une idée très nette de la santé publique dans les grands centres de population, c'est l'entrée dans les hôpitaux. Eh bien, nous en sommes arrivés à n'avoir plus que 11 et 13 entrées dans les journées d'hier et d'avant-hier, tandis qu'au 25 janvier nous en avons eu jusqu'à 52.
La mortalité est-elle si grande ? Sans doute, nous aurons des accidents à déplorer, et moi-même j'en ai qui me touchent de très près ; mais, la mortalité n'est pas excessive. Depuis le commencement de l'épidémie, nous n'avons pas eu en moyenne dix décès de plus par jour qu'en temps ordinaire. Reportons-nous à l'époque, du choléra ; nous comptions une augmentation de décès qui est allée jusqu'à 50 et 53 par jour. Ce qui a été très frappant, très pénible, ce qui a vivement impressionné, c'est de voir des jeunes filles le plus remplies de santé et de grâce, des enfants qui donnaient les plus belles espérances enlevés aux affections qui les entouraient ; mais, je le répète, la mortalité n'est pas forte.
Je crois que ce que je viens de dire suffit pour répondre à l'honorable M. Dumortier et j'espère qu'il n'insistera pas. C'est l'exacte vérité. Il y a quelque chose à faire pour ceux qui sont effrayés ; ceux-là sont malheureux et il ne faut pas que nous fassions croire à des dangers qui n'existent pas.
M. Dumortier. - J'approuve beaucoup la réclame que vient de faire l'honorable M. Anspach.
M. le président. - M. Dumortier, le sujet est trop grave pour comporter de pareilles expressions. D'ailleurs, dire la vérité n'est pas faire une réclame.
M. Dumortier. - Je maintiens l'expression dont je me suis servi, parce que là est la vérité.
(page 370) J'approuve beaucoup la réclame que vient de faire l'honorable M. Anspach. Il est à la tête de l'administration communale de la capitale, il craint que tout le monde ne la déserte, et il voudrait bien faire croire qu'il n'y a plus de maladie ; mais il n'en est pas moins vrai que toutes les familles d'un rang un peu élevé de la capitale ont à déplorer soit des maladies, soit des décès ; cela est connu de tout le monde.
L'honorable membre dit qu'en 1865, on a eu jusqu'à 50 et des décès ; eh bien, nous arrivons actuellement à 48, c'est à peu près le même chiffre. Ce n'est pas du tout le moment de vouloir que nous restions réunis la semaine prochaine, ce n'est pas le moment de nous priver de nos vacances normales.
Au surplus, j'avais informé d'avance ceux qui voulaient ne nous faire prendre congé que jusqu'à mercredi, que s'ils faisaient leur proposition, moi j'aurais le courage de dire ce qui en est. Oui ! j'ai entendu estimer à 20,000 le nombre des personnes atteintes du typhus à Bruxelles ! (Interruption.)
Oui, la ville de Bruxelles est gravement malade, et vous aurez beau dire et beau faire, le pays le sait. Vous ne pouvez forcer des députés à siéger au milieu du foyer de l'épidémie.
M. Schmitzµ. - Messieurs, il est beaucoup de députés qui résident à 30 et 40 lieues de la capitale.
La proposition faite par l'honorable M. Allard aurait pour résultat de forcer ces députés à faire 30 et 40 lieues jeudi matin pour assister à cette séance, qui sera peut-être une séance blanche.
Je demande donc que l'honorable M. Allard n'insiste pas sur sa proposition.
M. Vleminckxµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour rassurer, à mon tour, l'honorable M. Dumortier.
Nous avons, il est vrai, été aux prises avec une maladie terrible dont nous liquidons en ce moment les atteintes, mais le danger est passé.
Je garantis que, comme l'a dit l'honorable M. Anspach, elle est, à l'heure qu'il est, en complète décroissance.
L'honorable bourgmestre de Bruxelles vous a parlé des hôpitaux civils de la localité. Je puis, moi, vous parler de l'hôpital militaire.
Le médecin qui dirige cet hôpital, avec qui je me suis trouvé tout récemment en rapport, m'a déclaré que le nombre des entrées journalières a décru, au point qu'elles sont réduites à une ou deux.
Je conjure donc l'honorable membre de ne pas continuer à jeter l'inquiétude dans le pays et de ne pas persister à demander, au nom de la peur, que la Chambre ne siège pas la semaine prochaine. (Interruption.)
M. Dumortier. - Si c'était au nom de la peur, je ne serais pas resté quinze jours dans la capitale, alors qu'il y a deux cas de typhus dans la maison que j'habite et dix-sept cas vis-à-vis de chez moi. Ce que je ne veux pas, c'est qu'on vienne spéculer sur la vie des députés pour faire croire au pays qu'il n'y a pas de typhus à Bruxelles. (Interruption.)
M. Vleminckxµ. - N'est-ce pas parce qu'il y a une épidémie à Bruxelles que l'honorable M. Dumortier demande que nous ne siégions pas jeudi ? (Interruption.)
L'honorable M. Dumortier vous a parlé des antécédents de celle Chambre. Moi, j'en fais partie depuis très peu de temps, et je crois être sûr que, depuis que j'y suis, nous avons siégé les derniers jours de la semaine du carnaval. (Interruption.)
M. le président. - Messieurs, au nom de l'hygiène, ne vous agitez pas.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Vleminckxµ. - Je prie la Chambre de ne pas se laisser influencer par les paroles de l'honorable M. Dumortier.
L'état sanitaire de Bruxelles est en ce moment sinon tout à fait normal, au moins dans une situation aussi satisfaisante que possible.
M. Rogierµ. - Messieurs, j'ai entendu, avec une grande et pénible surprise, l'appel que vient de nous faire le respectable M. Dumortier en donnant à la Chambre le conseil de fuir des dangers, suivant moi imaginaires, de faire une chose qui n'a été conseillée ni faite à aucune époque depuis 1830.
La capitale a traversé des crises bien plus meurtrières et plus générales que celle-ci. Jamais la représentation nationale n'a donné ce spectacle pitoyable d'abandonner la capitale. (Interruption.)
Non, la Chambre ne donnera pas un pareil exemple à la capitale et au pays. Et en restant à notre poste, je ne vois pas que nous fassions acte de courage et d'héroïsme, ainsi que s'en est flatté M. Dumortier ; nous accomplissons tout simplement notre tâche et notre devoir. Eh, messieurs, nous avons des raisons très sérieuses d'en agir ainsi. Puisqu'on nous parle de maladie, évitons que le parlement ne paraisse, aux yeux du pays, frappé d'une maladie qui certes ne le relèverait pas dans son estime. Evitons que le pays ne se plaigne d'avoir un parlement inerte, stérile, impuissant. (Interruption.)
Comment ! nous voilà arrivés au mois de février et nous en sommes encore en pleine discussion des budgets ! Et c'est dans cette situation que l'on nous propose de nous ajourner à je ne sais quelle époque, car, selon M. Dumortier, ce n'est pas jeudi prochain qu'il faudrait revenir, il ne conviendrait de se réunir que lorsque Bruxelles serait complètement assaini. (Interruption.)
Une pareille proposition, messieurs, n'est pas raisonnable ; ce qu'il y aurait de raisonnable et de pratique, ce serait de continuer à siéger, non pas pour se donner le relief de braver la maladie, mais pour accomplir tranquillement notre devoir, en fournissant au gouvernement les moyens de vivre, ses budgets.
Or le budget de l'intérieur est à peine entamé ; nous avons encore à voter les budgets des travaux publics, des affaires étrangères et l'important budget de la guerre.
MfFOµ. - Et au mois de mars il faudra présenter les nouveaux budgets.
M. Rogierµ. - Messieurs, cette position qu'on veut faire, à la Chambre est mauvaise ; il ne faut pas donner aux ennemis de nos institutions, s'il en est, des prétextes pour les combattre ; il ne faut pas qu'on puisse dire que la Chambre belge est impuissante, il ne faut pas qu'on puisse dire qu'elle se complaît elle-même sur son inertie et sa stérilité. Nous sommes ici pour faire les affaires du pays, et dût-il y avoir du danger à siéger, nous devrions encore le faire. Mais ce danger, messieurs, n'existe pas. La maladie régnante produit une émotion générale, pourquoi ? Parce qu'elle s'adresse à un âge et à une classe qu'elle ménage ordinairement. Mais des hommes de notre âge, M. Dumortier, n'ont pas à craindre les atteintes de cette maladie.,
Réservez donc voire courage pour des occasions sérieuses. Vous, qui êtes patriote, qui avez à cœur l'honneur du parlement, songez que, pour l'honneur du parlement même, il faut qu'il continue à siéger. Pour se donner des vacances il lui reste trop de choses à faire.
M. Dumortier. - Je crois que l'honorable M. Rogier, au caractère de qui j'ai toujours rendu et je rends encore hommage, n'a pas bien compris la proposition que j'ai eu l'honneur de faire, lorsqu'il prétend que le résultat de ma proposition serait de nous ajourner jusqu'à la fin de l'épidémie.
La Chambre a toujours pris un congé d'une semaine à l'époque du carnaval ; c'est en me fondant sur cet usage que j'ai fait ma proposition.
Je n'ai pas demandé autre chose que le respect des précédents de la Chambre. Pourquoi vient-on maintenant proposer de modifier nos usages ? C'est uniquement pour faire croire qu'il n'y a pas de maladie à Bruxelles. Or, messieurs, examinez vos bancs, voyez au greffe combien il y a de demandes de congé ; n'est-ce pas la meilleure preuve que la situation n'est pas telle qu'on nous la représente. Et les inquiétudes des familles, les comptez-vous pour rien ?
Je crois donc que nous donnerons un bon exemple au pays en conservant nos anciens usages et qu'au contraire nous leur donnerions un très mauvais exemple en faisant accroire que la ville de Bruxelles est actuellement dans de bonnes conditions hygiéniques.
Je persiste donc à demander que la Chambre ne siège pas la semaine prochaine.
M. le président. - Il y a deux propositions, celle de M. Dumortier qui consiste à ne pas siéger pendant toute la semaine du carnaval ; et celle de M. Allard qui tend à ne prendre congé que jusqu'à jeudi prochain.
M. Coomans. - Nous ne sommes plus en nombre ; remettons la décision à demain.
M. le président. - Je n'ai pas constaté jusqu'à présent que la Chambre ne fût plus en nombre.
- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La proposition de M. Allard est mise aux voix ; elle est adoptée.
M. le président. - Je suis convaincu qu'en suite de cette décision chacun de nous sera exact à son poste jeudi prochain et que nous serons en nombre au moment de l'appel nominal.
Demain séance publique à une heure.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.