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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 183) M. Dethuin, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Wagnelée prient la Chambre d'améliorer la position des inspecteurs cantonaux de l'enseignement primaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Les sieurs Bergmans Borner et autres membre de la Ligue de l'Enseignement prient la Chambre de réglementer le travail des enfants dans l'industrie. »

- Renvoi a la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Woyclech Kobylski, sous-officier à la première compagnie sédentaire, né à Weyree (Pologne), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les membres du conseil communal de Beaumont demandent la prompte et complète construction du chemin de fer de Frameries à Chimai avec embranchement de Beaumont à Thuin. »

« Même demande des membres du conseil communal de Leval-Chaudeville. »

M. T'Serstevensµ. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Anciaut présente des observations sur la publication des Annales parlementaires et demande que le compte rendu d'une séance soit distribué en son entier le lendemain. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Paul Durand, employé de commerce à Saint-Josse-ten-Noode, ayant laissé écouler le délai prescrit pour acquérir la qualité de Belge, demande à être relevé de la déchéance qu'il a encourue ou du moins d'être dispensé du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation s'il lui était nécessaire de la solliciter. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre 126 exemplaires du premier volume des Documents et rapports, publiés par le jury belge de l'exposition universelle de Paris. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. de Haerne, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Rapport sur une pétition

Discussion du rapport sur la pétition des journalistes catholiques

M. le président. - La discussion continue.

La parole est à M. Tack.

(page 188) M. Tack. - Messieurs, en prenant part à ce débat, mon intention est de m'occuper principalement des précédents administratifs qui ont marqué l'affaire de Saint-Genois.

L'honorable ministre de la justice vous a exposé, à sa manière, le conflit qui a surgi à Saint-Genois. Je vais à mon tour examiner les faits pour voir comment est né ce conflit, qui l'a provoqué, quel en est l'auteur, et j'arriverai, sous ce rapport, à des conclusions diamétralement opposées à celles de l'honorable ministre.

L'honorable ministre est entré dans de très longs détails à ce sujet, preuve qu'il attache à la question la plus haute importance. Le thème de l'honorable ministre a été celui-ci : quinze crimes, dont huit incendies et sept dévastations de récolte ou destructions d'arbres, ont été commis à Saint-Genois.

Impossible de croire que ces crimes n'aient pas une cause tout à fait spéciale, entièrement en dehors de la criminalité ordinaire ; cette cause ne saurait être que le fanatisme.

Tout le premier discours de l'honorable ministre a roulé sur ce thème.

Et où ce fanatisme a-t-il pris naissance ? Quelle est son origine ? Il a pris naissance, a répondu M. le ministre, dans les prétentions absurdes, ridicules, injustes de l'évêque de Bruges, qui a voulu exiger que l'autorité communale vendît le cimetière communal à la fabrique d'église.

Voilà le soutènement de l'honorable ministre.

Là est, selon lui, l'origine du conflit. C'est par son opiniâtreté, par sa résistance, par ses attentats aux droits de l'autorité civile, que l'évêque de Bruges a semé le trouble à Saint-Genois et provoqué les crimes qui ont été commis dans cette commune.

Messieurs, est-il bien exact de dire que le conflit de Saint-Genois est né de cette prétention de l'évêque de faire acquérir par la fabrique d'église le cimetière qui avait été établi par l'administration communale ? Non. Ce que prétendait l'évêque, c'est qu'on ne dépossédât pas, sans raison aucune, sans raison légitime, sans motif plausible, la fabrique d'église du cimetière qu'elle possédait.

L'honorable ministre l'a avoué lui-même ; le conflit entre l'autorité communale et l'évêque n'est pas né d'une question étroite et mesquine, mais de la grande question des cimetières, qui a été si souvent débattue dans cette enceinte. Voilà quelle est réellement l'origine du conflit. Je ne fais pas de difficulté de le reconnaître avec l'honorable ministre de la justice, non, ce n'est pas une question d'amour-propre qui a dirigé l'évêque. Non, car les évêques savent mettre toujours leur amour-propre de côté et le subordonner au sentiment de la charité, quand leur dignité n'est pas en cause, pour ne s'attacher qu'au bien-être général.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Jacobs n'est point de cet avis.

M. Tack. - Vous avez fort mal interprété les paroles de M. Jacobs. Il vous a dit que, pour le moment, ce n'était pas la question des cimetières qu'il fallait traiter, qu'il y en avait une qui agitait tout autant et davantage le pays, à savoir jusqu'à quel point la magistrature était restée dans les limites des pouvoirs que la loi lui confère. Voilà quel est le sens des paroles de M. Jacobs.

Messieurs, en vous répétant constamment, sur tous les tons, que toutes les difficultés procèdent de cette inconcevable prétention de l'évêque d'acquérir pour la fabrique d'église le cimetière communal de Saint-Genois, on a donné aux faits un caractère tout différent de celui que réellement ils comportent.

Mais avant de m'occuper de ce point, je suis bien forcé de dire quelques mots des incendies qui ont éclaté à Saint-Genois ; sans cela, on pourrait me faire, comme à d'honorables collègues, le reproche de redouter d'en parler. Je me hâte de déclarer qu'au moment où j'ai appris les incendies de Saint-Genois, j'ai été saisi d'une profonde émotion ; mon premier mouvement a été de faire des vœux pour que le coupable fût découvert immédiatement et livré à la justice, quel qu'il fût, catholique fanatique ou libre penseur exalté, je n'hésite, pas à le proclamer.

J'ai, je n'hésite pas à le proclamer, approuvé les efforts faits par la magistrature pour découvrir l'auteur de ces actes abominables ; quelqu'un a-t-il éprouvé d'autres sentiments ? Personne. C'était le devoir impérieux de la magistrature d'agir vigoureusement ; seulement il est permis de varier d'opinion sur les moyens de procédure qu'elle a employés. J'ai approuvé, également, je ne m'en cache pas davantage, M. le ministre de la justice d'avoir fait cantonner la gendarmerie à Saint-Genois. Il fallait rassurer les habitants, faire renaître la confiance parmi eux.

Mais, messieurs, ce que je n'ai pu approuver, c'est l'attitude prise par l'honorable ministre dans cette enceinte lorsqu'il a fait supposer qu'il était possible qu'un complot eût été ourdi entre les prêtres de Saint-Genois pour exciter au désordre et provoquer des incendies.

Non, cela n'est pas possible, nul homme sensé dans le pays ne voudra se faire à une idée pareille. Les prêtres de Saint-Genois pas plus que les libéraux de cette commune ne sont capables d'une conjuration aussi odieuse.

M. le ministre a pris dans ce débat une position extrêmement commode ; il a choisi, pour combattre, des armes privilégiées, des armes supérieures dont il ne permet pas à ses adversaires de faire usage.

Il a commencé par déclarer qu'il n'entendait pas du tout ouvrir le dossier judiciaire ; il nous a déclaré que ce serait contraire à son devoir, qu'il ne lui appartenait pas de puiser des éléments de culpabilité dans le dossier pour accabler des prévenus qui sont retenus dans la prison de Courtrai ; et immédiatement après, sans aucun scrupule, l'honorable ministre de la justice est allé puiser dans le dossier un élément important, pour tâcher d'établir la connexité entre les articles publiés dans le journal le Jaer 30 et les incendies commis à Saint-Genois.

Eh bien, messieurs, je dirai, à ce sujet, à l'honorable ministre : Si vous avez consenti à vous infliger à vous-même une contradiction aussi audacieuse et aussi flagrante, c'est que vous aviez un besoin indispensable de disposer de cet élément, sans lequel tout l'échafaudage de votre raisonnement tombait misérablement.

L'élément auquel je fais allusion c'est la déclaration du vacher Vandeputte, qui affirme que c'est après qu'il avait entendu la lecture des articles du Jaer 30 dans la cuisine de la femme De Cuyper, que l'idée du crime lui était venue ; c'est après cette lecture, aurait-il dit, qu'il avait senti bouillonner sa tête et qu'il était devenu criminel. Voilà l'assertion.

La version a été un peu modifiée aux Annales parlementaires. Je tiens, en ce qui me concerne, à conserver la version première que l'honorable ministre a puisée dans l'instruction.

Je vous le demande, quelle confiance pouvez-vous avoir dans la déclaration de Vandeputte, le dénonciateur, l'homme qui, pour gagner la prime de mille francs, a dénoncé la femme Morel, qui peut-être est innocente.

L'honorable M. Reynaert vous a fait observer l'autre jour que Vandenputte n'en est pas à son coup d'essai et que, passé trois ans, il a menacé d'incendier la propriété du sieur Planckaert.

Plainte a été portée à cette époque au parquet concernant ces faits. Il n'y a pas eu de suite parce qu'on n'est pas parvenu sans doute à établir la preuve de la menace. N'est-il pas possible que Vandeputte ait allégué cette influence (page 189) produite sur lui par la lecture des articles du Jaer 30 uniquement pour se disculper ? Il n'y aurait à cela rien de surprenant.

S'il nous était permis de fouiller dans le dossier judiciaire, peut-être y trouverions-nous certaines choses qui établiraient immédiatement que Vandeputte est un imposteur. Nous y trouverions ceci. C'est que Vandeputte a été à peine pendant 6 ou 7 jours au service de la femme De Cuyper. Il n'y a pas l'ombre d'un doute sur ce point. Je le tiens de source certaine.

Nous y trouverions peut-être encore qu'à l'époque où parurent les articles du Jaer 30, Vandeputte n'était plus au service des époux De Cuyper et qu'il était entré en condition chez la sœur du bourgmestre de Saint-Genois. Je n'affirme pas ce dernier fait, mais on me l'a rapporté.

Eh bien, si cela était ou s'il était prouvé que Vandeputte n'a pu entendre la lecture du t’ Jaer 30 chez De Cuyper, ne serait-il pas établi, à toute évidence, que Vandeputte a audacieusement menti à la justice, et que devient dès lors votre argumentation de la connexité entre les sermons du vicaire Van Eecke ou le journal Jaer 30 et les crimes perpétrés à Saint-Genois ?

L'honorable ministre doit en savoir plus que moi sur les affirmations de Vandeputte ; il est évident que la femme De Cuyper aura été entendue et qu'on aura su si, oui ou non, le vacher Vandeputte a déclaré la vérité ; la femme De Cuyper aura été nécessairement appelée pour confirmer ou contester le dire de Vandeputte.

C'est élémentaire, il est impossible que la femme De Cuyper n'ait pas été interrogée ; qu'a-t-elle révélé à cet égard ? Ce serait intéressant à savoir.

A tout prendre, s'il était établi que réellement Vandeputte a entendu la lecture du journal t’ Jaer 30, et que c'est de là que lui est venue l'idée de l'incendie, s'en suivrait-il qu'il y a là provocation de la part de l'auteur des articles de ce journal ? Mais le prétendre, alors qu'il n'y a pas de provocation manifeste, ce serait faire renaître la théorie des procès de tendance, la théorie de la responsabilité morale, des écrivains, la pire des théories !

Messieurs, j'attendrai, pour ma part, d'avoir vu de plus près l'instruction pour me prononcer.

Mais j'ose affirmer dès à présent que si vous n'avez à charge du vicaire Van Eecke que son sermon sur Sodome et Gomorrhe et ses articles du Jaer 30, vous ne parviendrez pas à le faire condamner.

Est-ce à dire que je sois l'admirateur des articles du Jaer 30 ? Pas du tout ; je blâme toutes les violences de langage d'où qu'elles viennent, qu'elles tombent de la plume d'un prêtre ou que je les trouve dans les journaux de l'opposition, et vous me permettrez de vous dire que, sous ce rapport, vos journaux n'ont rien à envier aux nôtres ; il nous serait facile de citer des articles de journaux placés en quelque sorte sous un patronage officiel, qui traînent journellement dans la boue tout ce qu'il y a de plus respectable.

Le discours de l'honorable ministre, comme je le disais tantôt, route sur ce point : Il est impossible que les crimes de Saint-Genois n'aient pas pour cause le fanatisme, il n'y a que le fanatisme et le fanatisme seul qui puisse engendrer des crimes aussi abominables que ceux qui se sont succédé à Saint-Genois : Voyez, dit-on, ce sont exclusivement les propriétés des libéraux qui sont incendiées ; ou n'incendie pas une seule propriété appartenant à des catholiques.

Messieurs, le premier incendie avait à peine éclaté à Saint-Genois que dès le lendemain les journaux libéraux annonçaient que la question de Saint-Genois était entrée dans une phase nouvelle, avait pris une tournure odieuse et qu'on pouvait raisonnablement présumer que le crime qui venait d'épouvanter Saint-Genois avait pour cause le fanatisme. Ce ne fut depuis lors qu'un mol d'ordre, un effort unanime pour faire entrer cette idée dans les esprits.

Mais, messieurs, les incendies de Saint-Genois ont été expliqués.

Quand le vacher Vandeputte fit sa dénonciation, quelle fut sa déclaration ? Il soutint que la femme Morel, qu'il accusait d'être l'auteur des sinistres, avait incendié la meule de paille ou de grain du sieur Vandeghinste, parce que celui-ci avait accusé son mari pour vol domestique ; il a raconté que la meule du bourgmestre de Saint-Genois avait été incendiée parce que le bourgmestre avait refusé de dresser procès-verbal contre Vandeghinste, du chef de calomnie ; l'incendie commis chez Samain était expliqué par la circonstance que Samain, maître des pauvres, avait refusé d'accorder des secours à la famille Morel, et ainsi de suite.

Il est donc possible que l'incendie de Saint-Genois procède d'une cause autre que le fanatisme.

M. le ministre de la justice (M. Bara) - Vous connaissez donc l'instruction ?

M. Tack. - Je ne la connais pas ; mais ces faits sont de notoriété publique ; ils sont connus de tous, par cette circonstance tout à fait spéciale, que Vandeputte n'a pas été arrêté immédiatement. Il s'est écoulé, en effet, trois jours entre la dénonciation qu'il a faite à charge de la femme Morel et son arrestation.

Dans cet intervalle, il a eu le temps de s'entretenir avec diverses personnes. Par suite des explications si amples et si précises qu'il fournissait, on s'est défié de lui et on s'est dit qu'il pourrait bien être le coupable lui-même ou tout au moins le complice.

On l'a donc gardé à vue ; mais on lui a permis, si mes informations sont exactes, de circuler dans le village escorté de gendarmes, de fréquenter les cabarets ; et là, Vandeputte, à ce qu'il paraît, s'expliquait librement, donnait aux premiers venus tous les détails, tous les renseignements qu'il jugeait convenable.

Voilà comment je connais les fails que je vous signale ; c'est donc par la rumeur publique que je suis informé, et nullement par l'instruction, que je ne connais pas.

Je ne sais pas si M. le ministre dénie ces assertions.

M. le ministre de la justice (M. Bara) ; - Je ne m'explique pas.

M. Tack. - Cependant vous vous êtes expliqué, sur la déclaration de Vandeputte. Je ne vois donc pas trop pourquoi vous ne pourriez pas surmonter un peu le scrupule qui vous relient en ce moment.

Vous refusez la moindre communication, quand, par vos explications, vous pourriez atténuer le sort des prévenus, tandis que vous êtes impitoyable quand il s'agit de les attaquer. Cela me prouve de plus en plus que vos révélations, en ce qui touche Vandeputte, n'ont pas d'autre cause que cette nécessité de trouver un point de corrélation quelconque entre les articles du Jaer 30 et les crimes de Saint-Genois. Sans la déclaration de Vandeputte, tous vos raisonnements n'auraient plus aucune valeur. Non pas que je reconnaisse, comme je l'ai déjà dit, que si réellement Vandeputte a entendu la lecture des articles du Jaer 30, il en résulterait que la provocation qu'on prétend trouver dans les articles du Jaer 30 existerait réellement, qu'il y aurait là une provocation même indirecte.

Mais, nous a dit M. le ministre, comment se rendre compte de ce grand nombre de crimes ? Huit incendies et sept dévastations de récoltes ; se peut-il que tant de forfaits accumulés en un si court espace de temps soient l'œuvre d'un seul homme ? Comment cela est-il possible ? Mais, messieurs, l'honorable M. Jacobs vous a déjà cité des fails desquels il résulte que des crimes d'incendie répétés coup sur coup peuvent parfaitement être l'œuvre d'un seul homme et avoir pour cause un mobile ordinaire, notamment la vengeance ou la cupidité.

M. Van Overloopµ. - L'Indépendance de ce matin annonce la condamnation à mort d'un jeune homme de 22 ans, reconnu coupable de quatorze incendies dans le Pas-de-Calais.

M. le président. - Pas d'interruptions, messieurs.

M. Tack. - Je n'ai pas lu l'Indépendance, mais voici un fait qui vient parfaitement à l'appui de ce que vient de dire M. Van Overloop ; peut-être est-ce le même que celui que rapporte l'Indépendance.

Pendant que les incendies éclataient à Saint-Genois, des crimes de même nature, mais autrement graves par leurs conséquences, étaient commis à nos portes, dans le département du Pas-de-Calais, près d'Arras, dans la commune de Sauchy-Cauchy.

Là aussi, des incendies épouvantaient les paisibles habitants de la campagne, le parquet s'était installé dans la commune ; on avait entouré la commune d'un cordon militaire, des corps de pompiers y étaient en permanence, ainsi que la gendarmerie ; bref on avait déployé un appareil de forces considérable, les premiers incendies éclatèrent en juin, et ce n'est qu'au mois de septembre qu'on est parvenu à découvrir le coupable.

Et savez-vous quel était le mobile qui avait dirigé son bras ? Une vengeance personnelle qui avait pris sa source dans un dépit amoureux.

Si je ne craignais d'ennuyer la Chambre, je donnerais lecture de quelques relations des journaux de St-Omer et de Lille qui firent connaître ces sinistres. (Lisez ! lisez !)

J'étais à cette époque dans le département du Pas-de-Calais ; je savais ce qui se passait à Saint-Genois.

La ressemblance des fails constatés à Saint-Genois avec ceux dont la commune de Sauchy-Cauchy était le théâtre me frappa profondément.

C'est pourquoi je fis copier au hasard quelques extraits des journaux qui me tombèrent sous la main. Je vais en donner connaissance à la Chambre. Voici d'abord un extrait du Mémorial Artésien.

Extrait du Mémorial artésien du 12 septembre 1868 :

« Marquion. L'Indépendant, de Douai, reçoit les renseignements suivants sur le dernier incendie que nous avons signalé à Sauchy-Cauchy :

« Au moment de mettre sous presse, il nous arrive quelques détails sur un sinistre qui a éclaté hier soir, mardi, vers huit heures, à (page 190) Sauchy-Cauchy. Lors de l'incendie qui s'est déclaré le dimanche 9 août, dans la ferme du sieur J.-B. Dernoncourt, nous avons dit que celle du sieur Fourmeaux avait été miraculeusement préservée. Elle ne forme plus, hélas § aujourd'hui, qu'un brasier ! Les pompiers d'Oisy-le-Verger se sont transportés sur le lieu du sinistre en toute hâte. Nous ne saurions trop admirer le désintéressement de ces hommes courageux qui sont sur la brèche depuis plus d'un mois, sacrifiant leurs journées de travail et s'exposant pour porter secours aux malheureux incendiés. Tandis que le feu consumait la ferme du sieur Fourmeaux, une femme appela : « au secours ! à l'incendiaire ! » Elle venait de voir un homme qui, une mèche à la main, cherchait à mettre le feu à la grange de M. Toussaint Bailly, conseiller municipal. Des soldats de la ligne se mirent à sa poursuite, mais il se jeta dans un cours d'eau, gagna les prairies dites de Brichambault. Peut-être, grâce à l'obscurité, ce misérable échappera-t-il encore cette fois à la vindicte publique. »

Extrait du Propagateur de Lille du 12 septembre 1868.

« M. le procureur général près la cour impériale de Douai s'est rendu avant-hier à Sauchy-Cauchy, pour prendre la direction de l'enquête ouverte par le parquet d'Arras sur les incendies dont nous avons parlé. Dix hommes du génie et dix gendarmes sont allés se joindre au détachement du 35ème qui s'y trouvait déjà, afin d'exercer la plus active surveillance et de rassurer les habitants épouvantés.

« On assure qu'un nouvel incendie a éclaté hier dans l'après-midi ; nous manquons de détails. »

Extrait du Propagateur de Lille du 13 septembre 1868.

« Les membres du parquet sont, paraît-il, installés à demeure à Sauchy-Cauchy, pour pouvoir faire avec plus de facilité l'enquête commencée. Nous apprenons qu'hier un jeune homme a été arrêté, comme auteur présumé de plusieurs incendies, et écroué à la maison d'arrêt d'Arras. On nous assure que, sur la route., il a fait des aveux aux gendarmes qui le conduisaient. Nous ne prononcerons pas son nom, jusqu'à ce que ce bruit ait reçu confirmation. »

Extrait du Propagateur de Lille du 14 septembre 1868.

« Marquion. A Sauchy-Couchy on est toujours sur le qui-vive ! La gendarmerie et les soldats de ligne veillent.

« Une nouvelle arrestation a été faite, celle d'un individu qui s'était porté l'un des premiers à l'incendie d'une meule. Il a prétendu avoir entendu remuer une personne dans des betteraves derrière cette meule. Les paroles assez étranges de ce témoin, son air suspect, la détention d'une montre appartenant à un sinistré, tout cela a déterminé son arrestation.

« Nous devons ajouter que depuis le 9 septembre aucun sinistre n'a eu lieu dans cette commune et l'auteur des douze incendies qui ont affligé ce village a fait des aveux complets. Il est en outre l'auteur des deux autres sinistres qui ont éclaté, en juin dernier, dans la même commune, ainsi que d'un vol de numéraire commis en février. »

Extrait du Propagateur de Lille du 16 septembre 1868.

« Marquion. Nous avons annoncé l'arrestation de l'auteur des quatorze incendies qui ont désolé la commune de Sauchy-Cauchy et ses aveux. C'est le vol d'une montre dans une ferme incendiée qui a mis le parquet sur les traces du vrai coupable, qui n'a que vingt-deux ans. Il est batteur en grange et parent des personnes les plus considérables du village. Il nourrissait un projet plus horrible que tous ceux qu'il a réalisés ; c'était, s'il n'avait pas été arrêté, de mettre le feu avant-hier, dimanche, au bal de Sauchy-Lestrées pour voir périr sous ses yeux toute la jeunesse qui y assisterait, voulant ainsi, ajoute-t-il, se venger d'une jeune fille qui repoussait ses hommages.

« On raconte que cet insensé, et c'est là sans doute ce qui a depuis longtemps éloigné les soupçons, se signalait parmi les personnes les plus dévouées, pour porter secours aux victimes de l'incendie. Dès que le feu avait éclaté sur un point, il était là des premiers à lutter contre le terrible élément.

« L'un des derniers soir, il accompagnait deux soldats, dans une tournée de nuit. Il s'arrête un instant auprès d'une maison, sous le prétexte que vous devinez, et rejoint en courant les deux soldats. Quelques instants plus tard, le feu consumait la maison derrière laquelle il s'était arrêtée. Une audace pareille avait, cette fois, dérouté les soupçons.

« Il est impossible de décrire la joie des habitants de Sauchy-Cauchy et même de toute la contrée depuis l'arrestation de ce misérable. »

Extrait du Mémorial Artésien du 16 septembre 1868.

« Marquion. Nous recevons d'Oisy-le-Verger, sous la date de dimanche, les lignes suivantes :

« La nouvelle de l'arrestation de l'auteur des incendies de Sauchy-Cauchy et les aveux du coupable ont été accueillis avec une joie indicible dans tout le pays, et on se dispose à se porter en foule à la fête de Sauchy-Lestrées, qui se tient à Sauchy-Cauchy ; de même que les blessés prennent part aux réjouissances qui suivent une grande victoire, de même aussi les malheureux incendiés de Sauchy-Cauchy se disposent à se rendre au village voisin pour célébrer la fête de l'endroit et se dédommager de n'avoir pas pris part à la leur, dimanche dernier, ce qui ne s'était jamais vu de mémoire d'homme. Heureusement le cœur de l'homme est ainsi fait : nous oublions vite nos propres infortunes, quand il nous est possible d'entrevoir un avenir meilleur.

« Un mot encore à l'occasion du misérable qui a plongé tant de familles dans la désolation : il paraît qu'il s'était épris d'une jeune fille qui repoussait ses hommages, et qu'il voulait ainsi se venger du peu de succès de ses démarches. A en croire ses paroles, il avait conçu l'infernal projet de mettre le fou au bal de Sauchy-Lestrées, aujourd'hui même, pour faire périr sous ses yeux la jeunesse de l'endroit.

« Vous savez que les bals mobiles se composent d'une tente en toile, de sorte qu'il pouvait paraître facile à cet individu de mettre à exécution ses projets aussi criminels qu'insensés.

« Tout cela vous explique combien ces populations, si vivement alarmées, sont heureuses de l'arrestation de ce misérable incendiaire. »

Extrait du Propagateur de Lille, du vendredi 18 septembre 1868.

« Marquion. Ad. Baillet et ses fils, arrêtés comme auteurs présumés des incendies de Sauchy-Cauchy, ont été mis en liberté samedi. La familleBaillet a subi plus de trois semaines de prison préventive, ce qui a nécessairement mis un retard préjudiciable dans ses travaux de culture. On assure qu'autant pour parer à ce retard préjudiciable que.,pour rendre un hommage public à l'innocence de ces infortunés, les cultivateurs de Sauchy-Cauchy viennent de s'entendre pour les aider de leurs chevaux afin de mettre leurs travaux au courant. Il paraîtrait qu'Adolphe Baillet avait, avant son arrestation, deux chevaux d'artillerie, qui lui ont été retirés dès qu'il fut mis en accusation ; il serait vraiment de toute équité de les lui confier de nouveau.

« Le véritable incendiaire a donné des détails les plus circonstanciés sur la façon dont il s'y est pris pour allumer tous les incendies.

« Dans la nuit du 30 au 31 août, il aurait allumé quinze incendies : grâce à Dieu, cinq seulement ont pris. Il a fait la moisson en Picardie et il avoue aussi y avoir incendié plusieurs granges. C'est chez lui une véritable monomanie.

« Pour nouvelles, Arras et Pas-de-Calais : V. Brunet. »

Extrait du Mémorial artésien du samedi 19 septembre 1868 :

« Sauchy-Cauchy. On nous communique quelques détails sur le coupable des douze incendies de la commune de Sauchy-Cauchy. La première idée de ces crimes est venue chez lui d'un désir de vengeance. D'une mauvaise conduite, paresseux, ivrogne, il n'avait pu obtenir en mariage une jeune fille qu'il aimait ; de plus il avait été successivement renvoyé de chez plusieurs maîtres ; enfin, il était fort mal vu dans la commune. De là se développa le germe de ses projets incendiaires.

« Pour détourner les soupçons, il commença par incendier des granges appartenant à des personnes de sa famille ; car il évitait avec soin de mettre le feu à des maisons habitées et, s'il y en a eu d'incendiées, c'est, on le comprend, que les flammes ont pu s'y communiquer facilement. Cela prouve un parfait sang-froid de la part du coupable, et une étude préméditée des sévérités du Code. Autre mesure de précaution : il était un des plus zélés et des plus assidus aux patrouilles mixtes de soldats et d'habitants qui parcouraient le territoire de la commune. C'est précisément son absence momentanée d'une de ces patrouilles, dont il faisait partie, qui éveilla les premiers soupçons. Ses réponses embarrassées pour expliquer son absence les confirmèrent ; bref, il se troubla, se coupa, comme il arrive aux criminels, et fit enfin des aveux complets. On nous affirme qu'il aurait dit avoir été dans l'intention d'incendier encore quatre fermes pour accomplir entièrement l'œuvre de destruction qu'il avait projetée. On comprend dans quel état de misère et de désolation se trouve plongée celle malheureuse commune de Sauchy-Cauchy.

« Les pertes sont évaluées à 200,000 fr. ; une faible part était assurée. Nous savons qu'hier M. le secrétaire général de la préfecture s'est rendu à Sauchy-Cauchy, pour apprécier par lui-même l'étendue des désastres, et sans doute s'éclairer sur les misères qui réclament les secours les plus urgents. »

Mais, messieurs, il ne faut pas même sortir de notre pays pour trouver (page 191) des cas semblables. En voici encore un qui est arrivé à Saintes. Je vous lis l'extrait d'une lettre qu'on me communique à l'instant :

« La commune de Saintes ou de Sainte-Renilde, à une lieue de Hal, a été le théâtre, en moins d'un an, de quinze incendies (maisons, hangars et meules) ; le premier incendie a eu lieu le 18 février 1866 et le quinzième le 8 février 1867. Lors de ce dernier, on est enfin parvenu à prendre l'incendiaire en flagrant délit ; c'était une jeune fille de 20 ans, une maniaque, une idiote, détenue aujourd'hui à Bruges, dans une maison de santé. Heureusement pour M. le curé de Saintes qu'il n'était point en conflit avec M. le bourgmestre. »

Messieurs, l'incendiaire de Saint-Genois est aussi un esprit obtus, une espèce de maniaque, ayant peu d'intelligence, mais un cœur pervers, capable de machinations coupables.

J'en ai dit assez des incendies. J'ai cité les cas qui précèdent uniquement pour m'élever contre cette prévention, conçue on quelque sorte a priori, et qui consiste à dire : Les incendies de Saint-Genois ne peuvent avoir d'autre cause que le fanatisme ; il est impossible qu'un autre sentiment que le fanatisme projette et réalise des crimes aussi abominables.

Ceux qui font ce raisonnement commettent le sophisme qu'on appelle :post hoc, ergo propter hoc ; c'est-à-dire que les circonstances concomitantes sont pour eux des causes, ils concluent de la possibilité à la certitude. Cette manière d'argumenter est vicieuse.

Rien n'établit la relation nécessaire, incontestable, entre les incendies de Saint-Genois et les articles du Jaer 30. Il est possible que le fanatisme soit la cause des incendies de Saint-Genois, je n'en disconviens pas. Mais la preuve où est-elle ? Vous n'avez que des présomptions et, comme je vous l'ai fait observer, vos présomptions ne sont pas nées après le troisième, le quatrième ou le cinquième incendie ; elles sont nées dès le début. Dès le principe, on a crié au fanatisme.

Quant à moi, je suspens mon jugement.

Tel est pour l'honorable ministre le besoin d'établir que le fanatisme seul est la cause des incendies de Saint-Genois, qu'il a senti la nécessité de s'appuyer sur l'autorité de Mgr l'évoque de Bruges.

Mgr l'évêque de Bruges a publié un mandement pour exprimer toute l'horreur que lui inspiraient les incendies de Saint-Genois. Il a engagé les habitants de Saint-Genois à donner tous les renseignements utiles à la justice, à la seconder de tout leur pouvoir, à ne pas manquer de lui déclarer la vérité tout entière.

Le clergé de Saint-Genois n'osait trop parler, et pourquoi ? On l'accusait de fomenter le crime, en même temps on écoutait aux portes de l'église, pour chercher à dénaturer ses paroles ; quelle autre attitude pouvait-il prendre que celui d'une prudente réserve ?

Bientôt on lui reprocha son silence, l’évêque alors intervint lui-même, et c'est du mandement de l'évêque que M. le ministre prend texte pour animer que Mgr de Bruges lui-même a été d'avis que les incendies de Saint-Genois avaient été inspirés par le sentiment religieux égaré.

Je défie qui que ce soit de trouver dans le mandement rien de ce que M. le ministre de la justice y a vu.

Voici ce que disait l'évêque :

« Il faut que les auteurs de ces attentats soient bien convaincus que, ainsi qu'il arrive presque toujours, ils seront dévoilés tôt ou tard, dussent-ils, subjugués par le remords, aller se dénoncer eux-mêmes. Que si, par impossible, ils réussissent à se soustraire à la justice humaine, ils savent, pourvu qu'ils aient conserve un reste de foi, que Dieu a été témoin de leurs crimes et qu'ils n'échapperont ni à la sévérité de ses jugements, ni aux rigueurs terribles de sa justice. »

Ceci, messieurs, n'est qu'une traduction ; le mandement a été public en flamand, et le texte flamand est beaucoup plus expressif. L'évêque commence par dire qu'il faut remonter au temps des iconoclastes pour trouver des exemples de pareils crimes, puis il ajoute : Quels qu'en soient les auteurs, quand ils auraient en partie perdu la foi, etc.

Comment, en présence de ces expressions, vient-on affirmer que l'évêque a été d'avis que les incendies de Saint-Genois ont été inspirés par le fanatisme ?

Je crois, messieurs, en avoir dit assez sur les incendies ; nous ne connaissons rien de l'instruction ; aller plus avant que je ne l'ai fait, ce serait de la bonhomie, ce serait, de gaieté de cœur, lutter avec des armes inégales et s'exposer à une défaite certaine. J'aborde donc la question du conflit.

Quel est le différend qui s'est agité à Saint-Genois ? C'est, comme je le disais tantôt, la grosse question des cimetières, c'est la question de savoir si les inhumations seront désormais une simple mesure d'hygiène et de police ou si elles continueront, comme par le passé, à être un acte religieux ?

L'église de Saint-Genois tombait en ruines, il devenait urgent de la reconstruire ; dès 1856, l'évêque de Bruges avait fait des démarches réitérées pour arriver à la reconstruction de l'église.

Un projet fut mis à l'étude, mais tout à coup survint une difficulté ; l'autorité communale et la fabrique proposèrent de désorienter l'église, en établissant le chevet au nord et l’entrée principale du côté du midi à front de la grande rue.

L'évêque de Bruges fit observer que c'était contraire aux usages ; qu'il y avait des inconvénients au point de vue des conditions de durée de l'édifice à adopter cette disposition, que le bâtiment serait devenu humide, que fréquemment l'entrée de l'église serait embarrassée par le stationnement des voitures, que le projet de la commune devait avoir pour conséquence probable d'entraîner la suppression du cimetière.

Il s'opposa donc à ce projet, il tâcha de faire prévaloir son opinion à lui, qui était d'orienter l'église comme elle l'est maintenant. Il s'opposa notamment à ce qu'on détachât du cimetière une lisière de terrain quelconque. L'affaire traîna quelque temps ; enfin Mgr l'évêque de Bruges céda par cette considération que la fabrique et le conseil communal lui avaient donné l'assurance la plus positive que le cimetière existant conserverait une étendue suffisante pour répondre à tous les besoins. C'est quand l'évêque reçut cette déclaration des autorités de Saint-Genois qu'il passa outre.

On s'est prévalu de sa lettre du mois de novembre 1858, dont il a été donné lecture, pour soutenir qu'en 1858 l'évêque lui-même conseillait le déplacement du cimetière ; on trouve incidemment dans cette lettre la phrase que voici :

« L'orientation est d'autant plus facile, que l'on se propose de transférer le cimetière hors de l'aggloméré des maisons et que l'on peut disposer de l'ancien tout entier. »

Que veut dire par là Mgr Malou ? S'il arrivait que l'orientation, telle que je la propose, dût entraîner la suppression du cimetière, ce ne serait pas une raison pour ne pas admettre ma manière de voir ; aussi bien dans le projet de la commune on est fatalement entraîné à cette conséquence.

En résumé, l'évêque avait la conviction que le cimetière était suffisant, il faisait tout ce qui était en lui pour le maintenir ; c'est pourquoi il s'opposait notamment à ce qu'on le restreignît, de crainte que l'on ne vînt dire après : Il est insuffisant, il en faut un autre. La suite prouva que ces craintes étaient fondées.

La fabrique, d'accord avec l'administration communale, se mit à l'œuvre, pour faire les préparatifs de la reconstruction. On commença tout d'abord par fixer les alignements du cimetière. On conclut une convention à ce sujet ; elle est actée dans la délibération de la fabrique d'église du 31 juillet 1859, visée par celle du conseil communal du 9 septembre suivant.

Cette convention portait que l'ancien cimetière serait maintenu, qu'il était d'une étendue suffisante, qu'il répondait à tous les besoins, qu'une partie en serait incorporée dans la voie publique et qu'en échange de cet abandon le conseil communal entourerait le cimetière d'un mur de clôture.

Voici ce que contient entre autres la délibération qui fut prise par le conseil de fabrique :

« Considérant qu'il a déjà été officieusement convenu que moyennant l'exécution par et à charge de la commune de la clôture du cimetière et de celle au couchant et au nord du presbytère, la fabrique céderait à la commune tous les droits qu'elle a ou pourrait prétendre sur les emprises à faire, d'autant plus que ce cimetière... conserverait encore 30 ares 25 centiares..., étendue plus que suffisante au service des enterrements, le tour des processions et accessoires. »

Cette délibération fut visée par le conseil communal sans réserve ; elle gêne beaucoup l'administration communale.

C'est pour cela que, dans un mémoire qu'elle a publié, elle soutient qu'au grand jamais elle n'a compris cette délibération dans ce sens qu'elle consacrait le maintien du cimetière de la fabrique.

Vous venez d'entendre la lecture d'un passage de la délibération de la fabrique.

J'ai fait observer que le conseil communal ne fit aucune réserve quand il la visa ; et il viendra dire que jamais il n'a été entendu par lui qu'elle entraînait le maintien de l'ancien cimetière. C'est, nous dit dans son mémoire l'administration communale, un simple projet qui n'a pas même été exécutoire.

Comment ! c'est un simple projet qui n'a jamais été rendu exécutoire, et vous l'avez exécuté. Vous avez retranché du cimetière la bande de terrain dont vous aviez besoin pour élargir la voie publique.

(page 192) Vous avez fait plus, vous avez par des voies de fait, contre le gré de la fabrique, restreint le jardin du presbytère pour l'incorporer dans un chemin public ; je ne sais sur quoi l'administration communale de Saint-Genois se serait fondée, si ce n'est sur la délibération en question, pour procéder comme elle l'a fait.

J'ajouterai une remarque, c'est qu'à cette époque, c'est-à-dire en 1858, le conseil communal et la fabrique d'église de Saint-Genois étaient tout un ; le bourgmestre de Saint-Genois était maître absolu en quelque sorte, et au conseil communal et au conseil de fabrique, il dictait la loi, il avait tout à dire ; la fabrique était, en grande partie, composée de libéraux. Peut-on prétendre, après cela, que cette délibération n'ait pas la signification qu'on entendait maintenir l'ancien cimetière ?

Au surplus, l'honorable ministre de la justice est venu lui-même donner un démenti à l'administration communale sous ce rapport. Dans une de nos précédentes séances, il a déclaré qu'il avait fallu envoyer M. le commissaire d'arrondissement à Saint-Genois pour déterminer le conseil communal à revenir sur sa résolution ; il y avait là-dessous, dit l'honorable ministre, une question de boutiquier, de cabaretier qui croyaient leurs intérêts menacés par le déplacement du cimetière, et c'est ce qui empêchait le conseil communal de revenir sur sa résolution.

Il est donc évident qu'en 1858, le conseil de fabrique, d'accord avec le conseil communal, avait décidé, sur la proposition de Mgr l'évêque Malou, de maintenir l'ancien cimetière. Ce point est important.

L'adjudication des travaux de reconstruction de l'église eut même lieu.

Il semblait que tout était fini ; mais une difficulté vint empêcher l'exécution du projet ; elle se présenta à l'occasion du choix de l'entrepreneur ; on avait préféré à l'adjudicataire un soumissionnaire qui s'était présenté après coup. La députation permanente refusa de ratifier l'adjudication.

Ce fut cette circonstance qui amena un nouveau retard ; sans cet incident inattendu, jamais probablement le conflit n'aurait surgi.

L'administration communale, je le répète, était d'accord avec la fabrique et avec l'évêque. Mais au moment où la députation permanente venait de refuser son approbation à l'adjudication des travaux, la question des cimetières avait fait du chemin dans les sphères administratives ; on venait d'imaginer un système éminemment propre à dépouiller les fabriques de leurs cimetières. Vous savez que la cour de cassation admet que les fabriques d'église sont propriétaires, en Belgique, des anciens cimetières ; il n'y a donc pas possibilité de les déposséder légalement de cette propriété ; comment faire ? s'est-on demandé. Recourir à la voie administrative et les déposséder successivement les unes après les autres.

Pour cela fut imaginé le prétexte de l'hygiène combinée avec le refus de subside aux fabriques qui se montrent récalcitrantes et refusent de consentir à la suppression de leurs cimetières. Quand des fabriques d'église réclament des subsides pour la reconstruction de leurs églises, on leur répond : Vous en obtiendrez, mais à la condition que le cimetière soit établi en dehors de l'aggloméré et que désormais il ait un caractère essentiellement communal. C'est le cas de dire qu'on coupe les vivres aux fabriques pour les contraindre indirectement à renoncer à leurs cimetières.

C'est ainsi que l'on procéda à Saint-Genois.

L'autorité supérieure, dans la personne de M. le gouverneur de la Flandre occidentale, vint mettre la commune en demeure d'ouvrir un cimetière communal ; ce fonctionnaire, par une lettre du 17 avril 1860, invita l'administration communale, dans l'intérêt de l'hygiène publique, à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour établir un nouveau cimetière en dehors de l'aggloméré. En même temps tout subside pour la reconstruction de l'église était refusé, tant et aussi longtemps que des inhumations n'auraient pas eu lieu dans le nouveau cimetière. C'est ce qui conste par les lettres subséquentes de M. le gouverneur.

Voilà comment le conseil communal, stimulé par M. le commissaire d'arrondissement, commis à cet effet par M. le gouverneur, décida de supprimer le cimetière de la fabrique et de le remplacer par un cimetière communal.

C'était une chose tout à fait nouvelle, car, nous l'avons vu, il avait été résolu que le cimetière ancien serait maintenu ; de plus, jamais il n'avait été question jusqu'alors d'acquisition d'un cimetière communal ; cela n'avait été ni dans la pensée des fabriciens, ni dans celle des conseillers communaux, ni dans celle de Mgr l'évêque de Bruges. Lorsque, en 1858, on agita l'hypothèse d'un nouveau cimetière, il ne pouvait être question, dans l'idée de Mgr Malou, que d'un cimetière à acquérir par la fabrique. Comment, en effet, Mgr Malou, prédécesseur de M. Faiet, aurait-il pu donner son approbation, en 1858, au projet d'érection d'un cimetière communal, lorsqu'il n'y avait aucune nécessité, selon lui, de déplacer Je cimetière ancien ?

C’était, du reste, tout juste à l’époque où M. Malou venait d’écrire sa grande circulaire si connue sur les cimetières, (fui a paru au mois de décembre 1838, c'est-à-dire quelques semaines après sa lettre à l'administration communale de Saint-Genois, par laquelle il refusait d'admettre la proposition de celle-ci, quant à l'orientation de la nouvelle église.

Dans cette circulaire, où le savant prélat développe toute la question,, cite tous les monuments de la jurisprudence, tous les précédents, dans cette circulaire, dis-je, Mgr l'évêque de Bruges traite deux questions : celle de savoir qui, en Belgique, est propriétaire des anciens cimetières et si les fabriques ont le droit d'établir des cimetières nouveaux.

Il résout la première question en ce sens que les anciens cimetières, en Belgique, appartiennent aux fabriques d'église. En second lieu, il émet l'opinion qu'il est permis aux fabriques d'église non seulement de posséder d'anciens cimetières, mais encore d'en acquérir de nouveaux. Il insère à la fin de son travail une lettre de l'administration communale d'Ypres, si souvent invoquée dans cette Chambre, et l'arrêté royal provoqué par l'honorable M. Nothomb sur cette affaire, arrêté qui décide que les fabriques d'église ont le droit d'acquérir les terrains nécessaires pour agrandir les cimetières anciens.

Voilà bien, messieurs, la question telle qu'elle était posée à Saint-Genois en 1862 et telle qu'elle se présente encore en 1868.

Monseigneur Malou avait compris immédiatement toute la portée des exigences de l'autorité supérieure. Il tâcha d'abord de gagner du temps, mais bientôt officiellement mis en demeure de s'expliquer par M. le gouverneur de la province, il se prononça catégoriquement dans sa lettre du 27 janvier 1862.

Voici quelques passages de cette lettre :

« Dans vos lettres des 13 juin 1861 et 9 janvier 1862, vous m'écrivez que, pendant l'instruction, a surgi le projet de déplacer le cimetière, de l'établir hors de l'aggloméré et de réaliser ainsi des améliorations d'hygiène et des embellissements au village. Vous ajoutez que le projet de reconstruction de l'église sera ajourné jusqu'à ce que l'exécution du projet de déplacer le cimetière aux frais de la commune sera assuré. La translation du cimetière, dont le projet vient de naître tout à coup, est complètement inutile. Les motifs qu'on allègue en sa faveur ne sont pas sérieux. En l'absence de toute nécessité et même de. tout motif plausible, on est naturellement porté à croire que le projet de transférer le cimetière de Saint-Genois se rattache au système général de dépouiller les églises de leurs cimetières chrétiens dans le but de séculariser, pour parler le jargon du jour, les lieux de sépulture et de leur enlever leur caractère religieux. Or, jamais de la vie je ne pourrais, sans trahir ma mission et mes devoirs les plus sacrés, coopérer à l'application d'un pareil système. »

Après cela, peut-on dire que c'est l'évêque actuel de Bruges qui, plus exigeant que les autres chefs diocésains, est venu demander avec hanteur que la commune abandonnât son cimetière au profit de la fabrique ? Ou bien est-ce l'autorité communale, qui a voulu déposséder la fabrique du cimetière qui appartenait à celle-ci ?

Est-on autorisé à soutenir que l'évêque de Bruges, Mgr Faiet, a élevé dans l'affaire de Saint-Genois une prétention inconnue jusqu'à présent ? Est-on bien venu de louer les autres évêques de bénir les cimetières communaux pour les mettre ainsi en opposition avec l'évêque de Bruges, alors que celui-ci ne se refuse pas davantage à le faire là où il y a nécessité ?

Vous vous êtes beaucoup récrié contre cette parole adressée, dans une lettre du 28 octobre 1867, par l'évêque à l'administration communale de Saint-Genois ; cette parole, la voici : « Qu'elle fasse que le nouveau terrain devienne la propriété de l'église et je passerai volontiers sur le reste. »

L'évêque reconnaissait, tout en répétant cette parole dans un entretien qu'il eut avec des délégués de l'administration communale, que cela était impossible ; il reconnaissait que le gouvernement refuserait d'autoriser l'administration communale à vendre le cimetière communal à la fabrique ; que voulait-il dire par conséquent ? Le sens de sa phrase ne saurait être que celui-ci : S'il vous était possible de vendre le terrain dont vous avez fait l'acquisition à la fabrique d'église, toutes les difficultés seraient levées ; mais devant l'impossibilité constatée, il ne me reste qu'à m'en tenir à mon premier sentiment, à ce qui a été décidé dans le principe, de commun accord, savoir : le maintien de l'ancien cimetière.

Ainsi donc l'évêque ne voulait pas tant acquérir le cimetière communal que maintenir le cimetière de la fabrique, cimetière qui était suffisant pour tous les besoins.

Mais qu'importe, dit-on, à l'évêque la propriété du cimetière de Saint-Genois ? Aussi bien, c'est, dans le chef de la fabrique, un domaine inutile, stérile ; nous sommes maîtres absolus dans les cimetières des fabriques comme dans les cimetières communaux. Notre droit de police, de surveillance, absorbe le droit de propriété et le rend complètement illusoire tant (page 193) que subsiste le service public. Comment comprendre que l’évêque tienne tant a la propriété du cimetière de la fabrique, autrement que par le désir d'envahissement, d'empiétement, qui le domine ? Ce que l'évêque a voulu, c'est humilier l'administration communale ; c'est engager l'administration communale à méconnaître la loi.

Je demanderai, à mon tour, si tant est que votre droit de police, de surveillance et d'autorité sur les cimetières des fabriques...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Notre droit, c'est le vôtre aussi.

M. Tack. - Ne jouons pas sur les mots.

M. Wasseige. - Dites : le droit de police.

M. Tack. - Soit, je dis : si le droit de police sur les cimetières absorbe complètement le droit de propriété, pourquoi tenez-vous tant à dépouiller les fabriques de leurs cimetières ? Pourquoi cet acharnement à faire substituer partout et en toutes circonstances, du moment que vous en avez le pouvoir, aux cimetières des fabriques des cimetières communaux ? Il faut bien admettre qu'il y a là une question majeure qui vous préoccupe.

Je ne serais pas étonné si au fond de ce débat ne gît pas également la question de propriété des bâtiments d'église ; probablement que le gouvernement ne désespère pas de voir un jour la cour de cassation revenir de sa jurisprudence qui décide que les anciens cimetières en Belgique appartiennent aux fabriques. Ce principe une fois admis, il ne restera plus qu'un pas à faire pour faire admettre aussi que les bâtiments d'église sont la propriété des communes ; n'est-ce pas à cette dernière conséquence qu'on veut aboutir ?

Mais vous respectez donc peu l'hygiène ? me dira-t-on, vous tenez peu compte de la salubrité publique ? N'avons-nous pas un avis d'une commission d'hygiène, qui a déclaré le cimetière de Saint-Genois insalubre ?

Messieurs, je ne connais pas cet avis ; je ne sais sur quoi il est basé. Mais le premier venu peut juger la question. Pas n'est besoin pour cela d'une commission d'hygiène. Permettez-moi de vous dire en deux mots ce qui en est de l'ancien cimetière de Saint-Genois.

Et d'abord ce n'est qu'en 1860 que, pour la première fois, on s'est imaginé que le cimetière de Saint-Genois était insalubre. Jusque-là il n'avait pas été question d'insalubrité. Tout à coup le cimetière devient insalubre. Voyons ce que prescrit le décret de prairial pour l'établissement des cimetières au point de vue de l'hygiène.

Une première règle, c'est que les cimetières soient établis sur des lieux élevés. Or le cimetière, de Saint-Genois est sur un plateau qui domine toute la vallée de l'Escaut. C'est un des lieux les plus élevés des environs.

Le décret de prairial interdit de renouveler les fosses avant cinq ans. Or, dans l'état où se trouve le cimetière de Saint-Genois, quoique réduit, le renouvellement des fosses ne se fait qu'au bout de dix ans ; sous ce rapport encore, rien à redire. Observez ensuite que le cimetière de la fabrique est tout aussi étendu que le nouveau cimetière qu'on vient de créer.

Le cimetière de Saint-Genois est ouvert ; l'air y a facilement accès.

Quant aux habitations qui entourent le cimetière de Saint-Genois, quelles sont-elles ? C'est l'habitation du curé, l'habitation du vicaire, la porte d'entrée du couvent, la maison du clerc, l'habitation du fossoyeur ; un cabaret, la maison d'un particulier et celle du sieur Depoortere, actuellement détenu en prison à Courtrai.

Peut-on dire que, dans des conditions pareilles, le cimetière est insalubre ? Il faut avouer que l'hygiène a bon dos.

Il manque une chose, au cimetière : c'est d'être entouré d'une clôture convenable. Ce défaut de clôture fait que le cimetière est devenu une espèce de lieu banal, où tout le monde passe et où ne s'exerce aucune police. Mais à qui la faute ? A l'administration communale, qui ne remplit pas ses engagements. Ne s'était-elle pas obligée formellement, en vertu de la convention que j'ai lue tout à l'heure, à entourer le cimetière de murailles ? Elle n'en fait rien ; elle fait tout autre chose : elle renverse la clôture élevée par la fabrique sous prétexte de passage réservé au public. L'enquêtede commodo et incommodo au sujet de la suppression de ce passage a cependant été faite ; personne n'a réclamé ; la suppression a été arrêtée ; c'est dans ces conditions que l'administration communale de Saint-Genois vient renverser la clôture établie par la fabrique, sans doute pour mieux exercer la police dans le cimetière. Elle fait autre chose : elle détruit la clôture du jardin de M. le curé, incorpore dans la voie publique une partie de ce jardin, probablement pour faire preuve de ce respect de la loi qu'on a tant vanté chez elle.

M. le ministre de la justice s'est beaucoup prévalu de la tentative que venait récemment de faire la fabrique d'église pour se mettre d'accord avec la commune, et des transactions qui étaient intervenues entre les deux administrations.

Tout le monde est d'accord, nous a-t-il dit ; l'évêque seul vient mêler une voix discordante à ce concert unanime en refusant de bénir le nouveau cimetière.

Disons, en passant, qui avait pris l'initiative de cet arrangement dont nous a parlé M. le ministre de la justice. C'est M. le notaire Opsomer, cet homme qu'on vous a dépeint ici comme un homme violent et qui semblerait, d'après certaines insinuations, être impliqué dans les incendies de Saint-Genois. Oui, c'est le notaire Opsomer qui prend l'initiative de l'arrangement, qui fait toutes les diligences, qui rédige toutes les délibérations, qui parvient à mettre l'administration communale de Saint-Genois d'accord avec la fabrique d'église.

A propos de cet arrangement, remarquons que les contractants savaient parfaitement qu'il n'était que provisoire.

La grande difficulté, c'était de faire céder l'évêque ; c'était de déterminer l'évêque à passer sur la question de principe.

Aussi, dans le préambule de la convention, était-il inscrit qu'il n'en serait fait usage que dans le cas où l'évêque consentirait à bénir le nouveau cimetière ; dans le cas contraire, les contractants s'engageaient à ne point la produire en justice ni ailleurs.

L'évêque crut ne pas devoir déférer au vœu exprimé par la fabrique. Celle-ci n'avait en perspective que la fin d'un long litige ; il se trouvait toujours, lui, comme dans le principe, devant la grande question des cimetières, sur laquelle il ne pouvait pas se dédire.

Qu'arriva-t-il ?

Le bourgmestre ordonna la suppression du cimetière catholique et l'ouverture du cimetière communal. L'évêque, de son côté, répondit à cette mesure en interdisant à son clergé d'intervenir dans les funérailles religieuses.

La mesure prise par l'évêque, je l'avoue, est sévère ; c'était à lui seul à l'apprécier : en la prenant il agissait dans la plénitude de ses droits et de son autorité, de même que le bourgmestre de Saint-Genois a agi avec toute l'indépendance que nos lois assurent aux magistrats communaux.

Il n'y a donc pas eu ici empiétement sur les droits de la commune.

Le conflit est très grave.

Vous l'imputez à l'évêque, je l'impute, moi, à d'autres ; mais en le faisant je n'ai garde de rendre les autorités responsables des actes coupables qui ont été commis à Saint-Genois, tandis que vous faites peser sur l'évêque la plus lourde des responsabilités. Je conclus en disant que les accusations que vous lancez contre lui sont injustes et que l'évêque n'a pas même encouru, dans toute cette affaire, la moindre responsabilité morale.

(page 183) M. Jacobsµ. - M. le ministre de la justice, en me répondant, a fait comme le parquet de Courtrai ; il a fait du zèle, beaucoup de zèle, trop de zèle.

M. le ministre de la justice a commencé par défendre la magistrature, oubliant que je n'avais critiqué que les actes de quelques magistrats ; il a défendu ensuite les honorables chefs de la droite qui ne se sentaient pas attaqués, et, comme bouquet, il a défendu l'évêque de Bruges, qui, probablement, lui aurait déjà envoyé une lettre de remerciements s'il n'avait craint de compromettre M. Bara.

M. le ministre de la justice ne s'est pas contenté de défendre les évêques qui l'insultent (ce sont ses propres paroles), il a rétabli les notions de droit, les principes constitutionnels, les principes d'ordre, vengé les institutions, que sais-je encore ? Puis, nous contestant le droit d'attaquer ici aucun acte d'aucun magistrat, il assaisonne le tout d'aménités de toute espèce à l'adresse des hommes de la réaction.

Pour moi, messieurs, avant le commencement de la discussion, je m'étais demandé ce que ferait M. le ministre de la justice pour justifier les magistrats attaqués, et je m'étais dit : Si je m'étais lancé dans le système des nominations politiques, si j'en recueillais aujourd'hui les tristes fruits, si j'étais résolu à ne pas en faire mon mea culpa, si j'étais décidé à y persister, je raviverais toutes nos querelles politiques, j'évoquerais le spectre de la mainmorte, et de ma voix la plus ronflante, payant d'audace, attaquant au lieu de me défendre, je serais venu traîner à cette barre l'épiscopat ; grâce au déplacement du cimetière, j'aurais tenté d'aboutir au déplacement de la discussion.

Mes prévisions se sont réalisées.

M. le ministre de la justice est trop perspicace pour nous opposer sérieusement une fin de non-recevoir, lorsque nous occupons la Chambre des actes de la magistrature ; il comprend fort bien que c'est lui que nous attaquons dans ces magistrats ; il comprend qu'après avoir suivi le système des nominations politiques, lorsque nous en indiquons les fruits, ce sont ses propres actes que nous attaquons.

Je le sais, tous les magistrats dont il est question ne tiennent pas leurs nominations de l'honorable ministre, mais quand l'impulsion vient d'en haut elle se fait sentir à tous les degrés de l'échelle chez ceux en qui le sentiment du devoir ne domine pas absolument la passion et l'ambition de parvenir.

A en croire M. le ministre de la justice, nous avons tout démoli, il ne restait plus que la magistrature, et voilà que nous nous en prenons à elle, tout cela « par la rage d'arriver au pouvoir », ce sont les mots dont il s'est servi.

Je ne veux pas rechercher, en ce moment, qui cherche à démolir soit l'armée, soit le corps électoral, soit le peuple qui se trouve, derrière lui, soit la magistrature, soit le clergé ; il y aurait bien des choses à dire à cet égard ; mais le but qu'on nous prête de chercher à arriver au pouvoir grâce à un système de dénigrement, est-ce sérieusement qu'on en parle ? S'il est un parti qui sait se résigner à rester écarté du pouvoir, c'est le parti conservateur. Jamais il n'a suivi votre exemple, jamais il n'a déclaré comme vous : « Le pouvoir nous appartient de droit, il est notre patrimoine. » C'est vous et non pas nous qui avez manifesté ce sentiment que j'appellerai, pour adoucir votre expression, la soif du pouvoir.

L'idée n'était encore venue à personne de reprocher au parti conservateur d'être une école de dénigrement. Un grand penseur, qui n'appartient pas à la religion catholique, M. Guizot, a dit que le catholicisme est une grande école de respect ; vous voudriez qu'il fût une grande école de silence ; vous ne l'obtiendrez pas.

Je ne tomberai pas dans le piège que nous tend M. le ministre de la justice en parlant de tout et de mille autres choses. Je resterai exclusivement, et aussi brièvement que je le pourrai, dans les questions de droit que soulèvent les procédés des magistrats de Bruges et de Courtrai.

C'est là le seul point en discussion, c'est là ce qui nous permettra d'apprécier ce qu'il y a lieu de décider à l'égard de la pétition des journalistes.

A ce propos, l'honorable M. Bara a choisi dans mon discours deux points auxquels il s'est attaché principalement, je dirais presque exclusivement, et il en a profité pour nous faire entendre des enseignements dogmatiques, des leçons de droit. Voyons jusqu'à quel point elles sont fondées et qui mérite d'en recevoir ?

Ces deux points sont les perquisitions domiciliaires et le secret.

Quant aux perquisitions domiciliaires, c'est bien à tort que nous soutenons que, pour les pratiquer, il faut un prévenu. Non, le pouvoir du juge d'instruction est absolu, illimité. Il n'a d'autre règle que sa conscience. Lorsque nous affirmons avoir lu d'autres règles dans les auteurs, lorsque, l'honorable M. Reynaert cite notamment Faustin Hélie, d'après lequel les visites domiciliaires sont des mesures d'information et non des mesures de police, M. le ministre nous répond :« Où avez-vous pu lire cela ? »

Je vais le montrer à la Chambre le plus clairement, le plus succinctement possible, au moyen d'une lecture ; la Chambre, après l'avoir entendue, sera convaincue que nous sommes dans le vrai et que M. le ministre de la justice est dans le faux.

M. Coomans. - Cela lui profitera.

M. Jacobsµ. - Je ferai remarquer en commençant que dans les deux questions qui nous occupent, chose curieuse, la théorie libérale est de notre côté, la théorie du pouvoir fort du côté de M. le ministre de la justice. C'est lui qui cherche à fortifier l'action de la justice, l'action sociale. C'est nous qui sommes les défenseurs de l'intérêt individuel.

(page 184) Je vais lui montrer que dans les perquisitions domiciliaires nous sommes, en outre, les défenseurs de la vérité.

Vous faites une confusion, nous disait M. Bara. Vous confondez les articles 87 et 88 qui limitent les droits du juge d'instruction à la présence d'un prévenu et qui se rapportent à des actes d'information, vous les confondez avec les articles qui concernent la police judiciaire, les article 8, 22, 36, etc. Le juge d'instruction est officier de police judiciaire aussi bien que magistrat.

Cette confusion, ce n'est pas nous qui la faisons. Nous opérons la distinction et je vais citer les passages de Faustin Hélie qui, doctrinalement, exposent la vérité sur ces matières.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande la parole.

M. Jacobsµ. - Dans l'édition du Commentaire des commentaires que j'ai sous la main, au n°1442, Faustin Hélie constate d'abord que les attributions restreintes des officiers de police judiciaire s'étendent dans le cas de flagrant délit et autorisent alors les perquisitions domiciliaires utiles à la manifestation de la vérité ; ils ont les mêmes pouvoirs, dans le cas même d'un délit non flagrant lorsqu'il a été commis dans l'intérieur d'une maison habitée dont le chef les requiert de le constater (article 10, code d'instruction criminelle).

« Dans ces deux cas, dit Faustin Hélie, ils exercent une véritable information, ils exercent des pouvoirs qui excèdent les limites de la police judiciaire. »

Ainsi, vous le voyez, il y a lieu de distinguer dans deux cas distincts, l'exercice de la police judiciaire. En cas de flagrant délit, tous les officiers de police judiciaire ont le droit de perquisition et alors il ne faut pas de prévenu. Mais lorsque nous sommes dans le cas ordinaire du délit non flagrant, règle générale, il n'en est plus ainsi.

Parlant ensuite du juge d'instruction au n°1454, Faustin Hélie ajoute :

« Le juge d'instruction réunit tous les pouvoirs que la loi a délégués aux officiers de police judiciaire, mais il y joint des pouvoirs plus étendus qui n'appartiennent qu'à lui seul... c'est ainsi que seul il peut se transporter dans le domicile du prévenu. (article 88 C. instruction criminelle). »

C'est lui-même qui cite l'article 88 ; c'est donc dans cet article, dans les pouvoirs du juge et non dans ceux de l'officier de police judiciaire, qu'il puise le droit de faire des visites domiciliaires en cas de délit non flagrant.

« Le principe général qui règle les pouvoirs des officiers de police judiciaire est la distinction du cas où le délit est flagrant et du cas où il ne l'est pas... »

Je passe au n°1590 :

« Les transports du juge d'instruction sur les lieux et les visites domiciliaires sont des actes du juge plutôt que de l'officier de police judiciaire, et leur examen ne peut être détaché du chapitre relatif aux attributions de ce juge. »

Voilà déjà un premier point constaté. Il est établi, et c'était contesté, que les perquisitions ne sont pas des actes de police, mais des actes d'information qui, dans le cas extraordinaire de flagrant délit, rentrent dans les pouvoirs des officiers de police judiciaire, mais qui, en règle générale, n'appartiennent qu'au juge d'instruction. Ce ne sont donc pas les règles de la police judiciaire, qui autorisent la visite domiciliaire que dans les cas de flagrant délit. Ce sont les règles ordinaires qui déterminent les pouvoirs du juge d'instruction pour les délits ordinaires qu'il finit consulter.

Or, messieurs, à cet égard, nous trouvons l'exposé complet de la doctrine au n°2346 de Faustin Hélie :

« 2346. Le juge d'instruction, lorsqu'il y a lieu de présumer que les preuves du délit existent dans d'autres lieux que le lieu de la perpétration, peut s'y transporter pour y procéder à des perquisitions.

« Ce droit de perquisition est l'une des plus graves attributions du juge, et peut-être celle dont l'exercice soulève les difficultés les plus grandes : elle lui confère le pouvoir exorbitant de s'introduire et d'opérer des recherches dans tous les lieux où il présume trouver des preuves du délit ; elle apporte donc d'importantes restrictions au principe de l'inviolabilité du domicile, l'un des droits les plus précieux des citoyens. Il importe dès lors de définir avec soin l’étendue et les limites de cette attribution.

« 2347. En premier lieu, il ne faut pas confondre le droit de perquisition que les articles 87 et 88 du code d'instruction criminelle confèrent au juge d'instruction, et celui que les article 36 et 49 attribuent exceptionnellement, et dans le cas de flagrant délit seulement, au procureur impérial et à ses auxiliaires. Ces deux droits diffèrent par leur nature et par leur étendue. Le droit de perquisition des officiers de police judiciaire est un pouvoir extraordinaire, né de l'urgence des circonstances qui le produisent, et qui expire avec ces circonstances : il ne peut s'exercer que sous les conditions suivantes ; il faut ; 1° que le fait soit flagrant ; 2° que ce fait soit passible de peines afflictives ou infamantes ; 3° que la perquisition ait pour objet de saisir des papiers ou autres effets en la possession du prévenu et pouvant faire preuve contre lui ; 4° qu'elle ait lieu au domicile même du prévenu.

« Toutes ces conditions, toutes ces limites, qui entourent et restreignent un droit exceptionnel, ne s'appliquent point au droit du juge d'instruction, droit ordinaire et régulier, qui n'est que la conséquence directe de sa fonction. Il peut donc procéder à une perquisition, soit qu'il y ait ou non flagrant délit, soit que le fait soit qualifié crime ou délit par la loi, soit qu'elle ait lieu au domicile du prévenu ou dans le domicile de tout autre citoyen, soit enfin qu'elle ait pour but de rechercher les effets en la possession du prévenu ou tous autres effets tels, par exemple, que les instruments ou les produits du crime ou du délit.

« Les article 87 et 88 sont ainsi conçus :

« Art. 87. Le juge d'instruction se transportera, s'il en est requis, et pourra même se transporter d'office dans le domicile du prévenu, pour y faire la perquisition des papiers, effets et généralement de tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité.

« Art. 88. Le juge d'instruction pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait, qu'on aurait caché les objets dont il est parlé dans l'article précédent. »

« Il résulte clairement de ces textes que le droit de perquisition du juge d'instruction ne trouve de limites, ni dans le caractère du fait, puisque, la loi ne distingue pas s'il constitue un crime ou un délit, ni dans la date de sa perpétration, puisqu'elle n'exige point qu'il soit flagrant, ni dans la nature des lieux, puisqu'elle n'en soustrait aucun à la visite, ni enfin, dans l'objet spécial des recherches, puisqu'elle les étend généralement à tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité.

« 2348. Ce droit est-il donc illimité ? Le juge a-t-il été investi d'une sorte de pouvoir discrétionnaire qui n'a de règles que celles qu'il puise dans sa conscience ? C'est là le point qu'il faut examiner (...).

« Le droit de perquisition du juge d'instruction, quelque général qu'il soit, quelque étendus que soient ses termes, n'est donc en lui-même qu'une exception au principe constitutionnel qui a consacré l'inviolabilité du domicile. Considéré dans le cercle de l'instruction, ce droit constitue, à la vérité, une voie ordinaire de recherche, un moyen commun de preuve ; son emploi dans la procédure n'est subordonné qu'aux conditions applicables, en général, aux autres moyens d'instruction. Mais, dans ses rapports avec les droits de la cité, ce moyen d'instruction, quoiqu'il soit fondé lui-même sur l'intérêt général de la répression des délits, ne conserve pas moins un caractère exceptionnel ; car il ne fait qu'apporter une restriction au droit commun qui appartient à tous les citoyens. De là cette première règle de notre matière, que le droit de procéder aux visites domiciliaires doit être resserré plutôt qu'étendu, et qu'il y a lieu, par conséquent, de ne l'employer que dans les cas où son application est indispensable à l'instruction des affaires criminelles, puisqu'il est de la nature de toutes les exceptions d'être enchaînées dans leurs termes ; puisque la liberté du domicile qui est le principe général de la loi, ne doit fléchir que lorsque l'instruction exige impérieusement cette exception ; puisque, enfin, c'est la nécessité seule qui fait le titre et la légitimité de cette mesure.

« 2351. L'exercice du droit de procéder à une visite domiciliaire est soumis à plusieurs conditions.

« Notre ancienne jurisprudence, qui n'avait point posé avec la même netteté que notre législation moderne le principe de l'inviolabilité du domicile, avait néanmoins établi sur ce point quelques règles pratiques.

« Ces règles vivent encore au fond de notre législation. L'article 87 autorise le juge d'instruction à se transporter dans le domicile du prévenu pour y faire la perquisition des objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. L'article 88 étend ce droit de visite aux autres lieux où il présumerait qu'on aurait caché ces objets. L'article 89 déclare que la disposition de l'art. 50 est commune aux juges d'instruction ; et l'article 36, relatif aux perquisitions que peut ordonner le procureur impérial au domicile du prévenu dans le cas de flagrant délit, soumet le droit de ce magistrat à la condition suivante : Si la nature du crime est telle, que la preuve puisse vraisemblablement être acquise par les papiers ou autres pièces et effets en la possession du prévenu.

« De ces textes on doit déduire plusieurs corollaires. En premier lieu, il est nécessaire, pour que la visite domiciliaire puisse être ordonnée, qu'il y ait un crime ou un délit déjà constaté, car la loi suppose une prévention préexistante et par conséquent une information déjà commencée. En deuxième lieu, il faut que le crime ou le délit soit d'une telle nature que (page 185) la preuve puisse résulter de telles ou telles pièces, de tels ou tels effets. En troisième lieu, il faut que l'information ait recueilli des indices graves de culpabilité contre le prévenu, car la visite n'a pour but ni de rechercher le délit, ni de découvrir son auteur, mais bien d'acquérir la preuve de la culpabilité du prévenu, et par conséquent elle est fondée sur les indices qui ont dû établir la prévention avant que cette prévention n'ait pu être justifiée par les objets en la possession du prévenu. Enfin, la visite n'est permise au domicile du prévenu qu'autant qu'il est vraisemblable que la preuve du crime ou du délit pourra être acquise par les effets qui s'y trouvent, et dans les autres lieux, qu'autant qu'il y a présomption que les pièces de conviction y ont été cachées.

« 2552. Le système de notre code, qui se rapproche sous plusieurs rapports de notre ancienne jurisprudence, se comprend maintenant facilement. La visite domiciliaire n'est point une mesure de police, elle n'est point appliquée à la recherche des délits ; elle constitue une mesure d'instruction, elle est réservée à la recherche des preuves ; elle ne fait point partie des investigations qui sont destinées à découvrir les faits, elle succède à ces investigations, et quand les faits sont établis et la prévention ouverte, elle vient pour en fortifier les charges et saisir les moyens de preuve. Telle est la règle générale qui résulte de tous les textes de la loi. Ainsi elle ne permet la visite que lorsqu'il y a déjà un prévenu, ce qui prouve que la visite est dirigée, non contre le délit, mais contre le prévenu, en d'autres termes, qu'elle a pour objet, non de constater le corps du délit, mais de recueillir les preuves de la culpabilité du prévenu. »

Voilà, messieurs, un peu longuement exposée peut-être par Faustin Hélie, la théorie du Code.

Vous voyez qu'il y a lieu de distinguer le cas exceptionnel de flagrant délit, cas dans lequel le procureur du roi lui-même peut faire des visites domiciliaires, et le cas normal, ordinaire, dans lequel le juge d'instruction seul peut opérer une visite domiciliaire et dans lequel il ne le peut que s'il y a un prévenu et d'autres conditions encore, notamment la vraisemblance que, dans la maison tierce où l'on se rend, se trouvent des preuves de nature à établir la culpabilité du prévenu.

Telle est la théorie évidente, la théorie incontestable de tous les auteurs qui se sont occupés d'instruction criminelle ; et lorsque M. le ministre de la justice me disait que j'avais tort d'exiger la présence du prévenu pour que, dans le cas normal, le seul dont nous nous occupons, une visite domiciliaire pût être faite, M. .le ministre méconnaissait les vrais principes, Aussi s'est-il bien gardé de citer aucune autorité à l'appui de sa thèse.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous en citerai tout à l'heure.

M. Jacobsµ. - Le seul document qu'il ait cité est un réquisitoire de M. l'avocat général Faider, dans lequel, au milieu d'une énumération générale des attributions du ministère public se trouve indiquée la perquisition. Or, ceci aurait dû indiquer à M. le ministre qu'il ne s'agissait là que du cas de flagrant délit, car le ministère public, dans les cas ordinaires, n'a aucun droit de perquisition.

Messieurs, l'ancienne jurisprudence, dont je ne vous ai rien dit encore, enseignait la même doctrine que les commentateurs du Code. Un jurisconsulte du temps de Louis XV, alors certes que le régime libéral n'était pas très développé, Jousse, disait déjà :

« Les perquisitions qui se font dans des maisons tierces ne peuvent se faire sans une ordonnance de justice qui les permette... et des juges ne doivent donner ces sortes de permissions que dans deux cas : 1° après une information qui donne quelques preuves ou indices violents contre un accusé 2° en cas de flagrant délit. » (Jousse, Traité de la justice criminelle, t. II, p. 67, édition de 1771).

Sous la monarchie absolue, on n'admettait que les deux cas, toujours les mêmes, le flagrant délit ou l'accusé.

Ai-je besoin de répondre à l'exemple que vous a cité M. le ministre de la justice ? A l'appui de cet exemple, cherchant à atteindre le commentateur du code à travers le code lui-même, M. Bara vous disait : « Est-il admissible que nous ayons un code aussi baroque, aussi stupide ? »

J'ai l'habitude de laisser au banc ministériel le monopole des expressions peu parlementaires ; je ne dérogerai pas à la règle que je me suis tracée.

Je me contenterai de reproduire le mot « baroque », et je dirai que ce qu'il y a d » baroque, ce n'est ni la loi, ni le commentaire qu'on donnent Faustin Hélie et les autres auteurs ; mais l'exemple de M. Bara. Voyez !

Un assassinat a été commis ; les assassins, très avisés, se rendent dans un clos pour que leur victime ne puisse être découverte que moyennant une violation de domicile, à moins qu'on ne se trouve dans le cas de flagrant délit ; ils creusent la fosse, et, sur le point d'y enfouir le cadavre, ils se disent : « Noire méfait serait trop difficile à découvrir ; venons en aide à M. le ministre d ? la justice ; coupons la tête du cadavre, et plaçons-la sur la place publique. (Interruption.)

Eh bien, je dis à M. le ministre de la justice que, s'il n'a jamais affaire qu'à des assassins de cette force, il n'aura pas besoin de recourir à des visites domiciliaires pour mettre la main sur eux.

Oui, dans les cas de ce genre, si jamais ils se présentent, il pourra se rencontrer des difficultés ; nous nous trouvons devant un problème presque insoluble qui consiste à concilier le droit de la société avec ceux de l'individu ; il faut que ces deux droits soient respectés au même degré ; et presque toujours l'un d'eux doit être sacrifié.

Le code, à cet égard, a donné de nombreuses garanties à la société, et s'il y a lieu d'en opérer la réforme, ce n'est pas en faveur de la société ; c'est en faveur des droits des individus, ce n'est pas dans le sens du pouvoir fort, mais dans le sens de la liberté individuelle.

Après les passages que j'ai eu l'honneur de vous lire, la question des perquisitions est tranchée et je ne puis concevoir qu'on cherche à nous opposer cette même autorité que j'ai citée, Faustin Hélie.

Le juge d'instruction de Courtrai agissant en l'absence de prévenu, était, j'aime à le croire, de bonne foi, il partageait les doctrines de M. le ministre de la justice, mais il n'en est pas moins vrai que sa base était erronée, et que dès lors les perquisitions étaient arbitraires.

J'en viens à la seconde leçon de droit que M. le ministre de la justice a daigné faire dans cette enceinte. Il m'a dit : « Ignorez-vous l'article 302 du code d'instruction criminelle ? »

C'est assez peu vraisemblable ; tout avocat qui a plaidé aux assises, a lu et relu l'article 302 du code d'instruction criminelle. Mais M. le ministre de la justice a perdu de vue les faits qui ont donné lieu à mes critiques relatives au secret.

S'agit-il de l'avocat ? Non ; l'honorable M. Reynaert vous l'a appris : ce sont les parents des accusés qui se sont présentés à la prison et ont demandé à les voir. Cela ne leur a été permis, malgré la levée du secret, que moyennant la double condition de la présence d'un tiers et d'une restriction dans les sujets de la conversation. On ne leur a pas permis de parler de l'affaire. C'est ce qui m'a fait dire qu'après que le secret était levé en droit, on avait maintenu le secret en fait. J'ai cité à l'appui un passage de Faustin Hélie dans lequel, tout en approuvant le secret, il mentionne les objections auxquelles il a donné lieu et qu'il résume ainsi : Le secret ne permet pas au prévenu de voir sa famille, il ne lui permet pas de la voir librement, il ne lui permet pas de voir son conseil et de préparer sa défense.

Immédiatement, M. le ministre de la justice se prévaut du mot « conseil », il s'y attache exclusivement et m'oppose l'article 302.

Je répondrai et pour la famille et pour le conseil.

Le code d'instruction criminelle a suivi un système complet en traitant de l'instruction en manière criminelle. Elle est secrète, absolument secrète. De là, différentes conséquences : la détention préventive est obligatoire ; les pièces ne peuvent être communiquées à l'accusé ; les tiers ne peuvent communiquer avec l'accusé, avant son interrogatoire par le président de la cour d'assises. Ce système est complet, il a de l'unité ; il forma un tout.

La tolérance du juge d'instruction, tolérance qui n'était pas toujours approuvée par la cour de cassation de France, permettait parfois à l'accusé, sous la responsabilité du juge, de recevoir communication, avant l'interrogatoire, de toutes ou de quelques-unes des pièces du dossier ou d'entrer on communication avec des personnes de sa famille. Le secret absolu restait la règle.

Le Manuel du juge d'instruction, de Duverger, explique fort clairement cette situation sous le code. On se prévalait des articles 613, 615, 618, qui permettent au juge d'instruction de donner des ordres dans la prison, pour lui donner une latitude complète quant au secret ?

Il n'y avait pas d'autres dispositions pour le réglementer, si ce n'est l'article 302 qui fixe le moment où, en droit, il est levé.

Le secret existait légalement jusqu'au moment de l'interrogatoire : « Les ordonnances, dit Duverger, au n°447, interdisaient aux accusés, sous la responsabilité des geôliers, d'avoir écritoire, encre ni papier... d 'recevoir aucune lettre... elles défendaient aux geôliers de laisser parler aucune personne avec les accusés avant l'interrogatoire, et même après, s'il n'en était autrement ordonné par le juge. Voilà le secret.

« Ces dispositions ont été confirmées par nos lois nouvelles »

Duverger indique en note les articles 302, 613, 615, 618, code d’instruction criminelle.

Puis il ajoute que, quoique le secret existe jusqu'au moment de l'interrogatoire par le président de la cour d'assises, néanmoins le juge d'instruction a la faculté de le mitiger et de permettre précisément ce que le juge de (page 186) Courtrai a permis : « que l'entrevue ait lieu seulement à la geôle et en présence du concierge ou des gardiens. »

Voila donc un système qui brille par l'unité : secret, secret absolu jusqu'au moment de l'interrogatoire du président de la cour d'assises. Jusqu'à ce moment le prévenu ne peut communiquer que par tolérance, de cette façon défectueuse, incomplète dont on s'est servi à Courtrai.

Depuis la loi de 1852 sur la détention préventive, en est-il encore de même ? Nous trouvons-nous encore sous le régime du secret absolu ?

Sous le régime de la loi de 1852, la procédure n'est plus absolument secrète ; au lieu de l'arrestation et de la détention préventive obligatoire, nous trouvons la détention préventive facultative.

De nombreux accusés sont laissés en liberté et communiquent librement avec leur famille et avec leur conseil. Les pièces de la procédure restent secrètes, mais le prévenu lui-même a la liberté absolue de ses communications.

Pour l'accusé détenu, au lieu des dispositions arbitraires, illimitées, discrétionnaires des articles 613, 615 et 618, nous avons trois articles sur la mise au secret qui limitent le droit du juge d'instruction de maintenir l'accusé au secret, qui subordonnent ce droit à certaines conditions et prescrivent certaines règles. L'article 302 est encore la limite extrême du secret, mais celui-ci peut être levé avant.

Or, qu'est-il arrivé à Courtrai ?

Après que le nouveau secret organisé par la loi de 1852 avait été levé, on a recouru aux anciennes dispositions, à l'ancien secret, aux articles 613 ; 615 et 618 pour faire succéder un second secret au premier.

C'est ce qui m'a permis de dire qu'après le secret de droit, était venu un second secret de fait ; il me paraît au moins excessivement contestable que lorsque la matière du secret a été traitée, in terminis et ex professo, dans la loi de 1852, on puisse prétendre que les articles 613, 615 et 618 régissent encore aujourd'hui cette matière, et y sont demeurés applicables.

Si le juge d'instruction s'était borné à empêcher la communication entre l'avocat et l'accusé, je me serais peut-être abstenu de soulever cette question ; le texte de l'article 302, qui se borne cependant à tracer l'extrême limite du secret, pouvait l'égarer.

Mais il est allé au delà des termes mêmes de l'article 302, qui ne s'applique qu'à l'avocat, au delà des termes du règlement de la prison qui ne prescrit pour les prévenus que la présence d'un tiers ; il est allé jusqu'à interdire entre une mère et son fils, entre une femme et son mari, le sujet de conversation le plus intéressant, l'objet même de l'accusation qui les sépare les uns des autres. C'était renouveler l'arbitraire d'autrefois.

C'est à ce propos que j'ai dit que, quelque opinion que l'on ait à l'égard des modifications que la loi sur la détention préventive a fait subir aux anciennes dispositions sur le secret, dans cette circonstance il y a eu excès de zèle et excès de rigueur. C'est ce qui m'a permis de dire encore que dans les visites domiciliaires de Saint-Genois, il y a eu excès de zèle et de rigueur. C'est ce qui me permet de dire que l'arrestation arbitraire de l'éditeur du Jaer 30 a été un dernier excès de zèle et de rigueur.

Lorsque vous voyez jusqu'aux journaux qui vous soutiennent habituellement déclarer cette arrestation inexplicable, reconnaître qu'il est impossible de soutenir qu'il y a eu provocation directe, vous devez sentir que vous êtes dans le faux, et cette condamnation que vous subissez de la part de vos propres amis est votre premier châtiment.

Est-ce par respect pour la justice que M. le ministre s'est gardé de discuter la provocation directe ? Oh ! non, messieurs, la justice n'aura pas à trancher cette question isolée. Pour tout autre que l'éditeur du Jaer 30, l'accusation ne se réduit pas à ces articles, elle se complique d'autres éléments.

Vous pouviez hardiment vous prononcer sur ce point, sans que pour cela on dût condamner ou acquitter, selon la façon dont vous vous seriez exprimé, le vicaire Van Eecke ou tout autre prévenu. Vous n'avez pas touché à la culpabilité des articles parce que vous n'auriez pu la soutenir.

En résumé, messieurs, lorsqu'on examine les procédés des magistrats de Courtrai et de Bruges, lorsqu'on les scrute à la lumière du droit, de quelque manière qu'on envisage les faits, on doit reconnaître une sévérité excessive. Le juge d'instruction s'est piqué au jeu, suivant l'expression d'un journaliste. Je le veux bien. Quel que fût son mobile, il y a eu excès de sa part.

La pétition des journalistes catholiques a eu raison de saisir la Chambre d'intérêts aussi sérieux, intérêts qui tiennent à la liberté individuelle, à l'inviolabilité du domicile, à la liberté de la presse ; et ce serait faire trop bon marché de toutes ces choses que de passer à l'ordre du jour.

Un de mes honorables amis m'annonce qu'il vous proposera de renvoyer la pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la presse émané de l'initiative parlementaire. Cette proposition satisfait a toutes les exigences ; ce serait au moins traiter la presse avec les égards qu'elle mérite et je vous convie tous à vous associer à cette proposition lorsqu'elle sera déposée.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne répondrai pas aux considérations par lesquelles l'honorable membre a commencé son discours.

Naturellement il a cherché à repousser les appréciations que j'avais formulées sur son parti et sur ses tendances. Je me suis expliqué à cet égard ; le pays jugera.

L'honorable membre a porté le débat sur deux points de droit. Je vais le suivre sur ce terrain.

Je ne puis vraiment pas comprendre comment il persiste à soutenir que pour qu'une perquisition domiciliaire soit permise, il faut qu'il y ait un prévenu connu.

Cela dépasse les bornes du vraisemblable en matière d'instruction criminelle ; je suis obligé, pour essayer de convaincre l'honorable membre, de reprendre l'exemple que j'ai cité dans la dernière séance.

Qu'on n'objecte pas que la supposition que j'ai faite est irréalisable. Le cas s'est présenté dans le courant de cette année. On a trouvé, à Spa, sur la voie publique, la partie du corps d'un enfant, la tête, si je ne me trompe. On a fait des recherches qui ont amené la découverte du reste du cadavre : l'on ne connaissait pas l’auteur du crime. Plus tard, il a été prouvé que l'infanticide était une servante de Paris. D'après la théorie de l'honorable membre, les perquisitions qui ont été faites à l'effet de rechercher le corps de l'enfant étaient donc illicites, puisqu'il n'y avait pas de prévenu connu.

Je prends un autre exemple.

Je suppose qu'au sortir de la séance, l'honorable M. Jacobs et moi, nous voyions commettre un crime par une personne que nous ne connaissons ni l'un ni l'autre ; cet individu se réfugie dans la première maison venue, et de là il passe successivement dans d'autres maisons.

- Un membre. - C'est un flagrant délit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le flagrant délit ne change rien au droit de perquisition ; il donne au procureur du roi les droits du juge d'instruction, voilà tout. Faustin Hélie le déclare positivement. Mais supposons que plusieurs jours après le crime, dont l'auteur est resté inconnu, on vienne à découvrir l'endroit où se trouve l'instrument qui a servi à la perpétration, et l'on ne pourrait pas faire des perquisitions pour saisir cet instrument du crime ; on ne pourrait ainsi se mettre sur la trace de l'auteur ?

Si nous avions un code pareil, ce serait un code absurde ; il faudrait renoncer à rechercher les auteurs des attentats criminels.

L'honorable M. Tack a parlé de nombreux incendies qui ont été commis en France ; je suis persuadé qu'il y a eu, à cette occasion, de nombreuses visites domiciliaires ; ce n'est que par ce moyen, en effet, qu'on peut arriver à découvrir les coupables.

Vous prétendez que la législation actuelle a grand besoin de réforme ; mais votre système ne tend à rien moins qu'à priver la société de tout moyen de défense. Ce n'est point là une réforme libérale, c'est le retour à l'état sauvage que vous préconisez.

Je vous ai dit que votre théorie n'était pas conforme au droit, et je vais vous le prouver.

J'ai invoqué un réquisitoire de M. l'avocat général Faider. Ce réquisitoire ne s'occupe pas spécialement du flagrant délit ; il parle, en thèse générale, de la recherche des crimes et délits et de. leurs ailleurs. Voici ce que porte l'article 8 qui contient le principe de la matière : « La police judiciaire recherche les crimes, les délits et les contraventions, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés de les punir. »

Eh bien, messieurs, pour rechercher fructueusement, il faut, comme le dit la cour de cassation, posséder tout au moins les moyens de droit commun, et quels sont-ils ? Ce sont les saisies, l'audition des témoins, les perquisitions, les visites domiciliaires, etc.

Faustin Hélie, sur lequel vous vous appuyez, vous l'avez mal compris : quand Faustin Hélie parle d'un prévenu, il ne dit pas que l'auteur du crime doit nécessairement être connu ; il suffit qu'il y ait crime, qu'il y ait une prévention : c'est-à-dire que le fait sur lequel porte l'investigation soit un fait criminel attribuable à quelqu'un, qu'il n'y ait pas de doute possible à cet égard.

Mais, quand vous avez la certitude du crime, que vous en connaissiez ou que vous n'en connaissiez pas l'auteur, les perquisitions domiciliaires sont autorisées parce que, dans ce cas, il y a une prévention.

M. Jacobsµ. - Il n'y a plus de limites alors.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais si, et je vais vous le prouver.

(page 187) Si un individu est trouvé mort dans la rue sans qu'il existe de traces de violence, il est illicite d'opérer des perquisitions chez le premier venu. Mais si le cadavre porte des traces de blessures, si la mort peut être le résultat d'un attentat, en un mot s'il y a présomption de crime, les perquisitions domiciliaires peuvent avoir lieu.

Mangin confirme tout ce que je viens de dire :

« Il ne faut pas même conclure de ce que j'ai dit que le procureur du roi est obligé, dans le réquisitoire par lequel il saisit le juge d'instruction, de préciser exactement tous les faits sur lesquels il demande qu'il soit informé, et d'indiquer les individus auxquels il les impute ; il ne faut pas croire que, faute de ces désignations, le juge soit arrêté dans sa marche et dans le développement de ses pouvoirs. La nature des choses répugne à de pareilles conséquences.

« Il arrive souvent qu'un auteur d'un délit n'est pas connu du moment où s'intente la poursuite ; il arrive aussi qu'un ou plusieurs des auteurs étant connus, ils ne le sont cependant pas tous ; et que, dans ces cas, le procureur du roi a requis le juge d'instruction d'informer contre les auteurs et complices du délit, ou d'informer contre tels et tels de leurs complices : il est évident qu'alors l'action publique se trouve intentée contre les auteurs et complices indiqués ou non indiqués, et que le juge a le droit de les mettre sous la main de la justice au fur et à mesure qu'il les découvre. »

Que les auteurs soient connus ou qu'ils soient inconnus, qu'importe ; du moment qu'il y a présomption de crime, le juge d'instruction a le droit de faire des perquisitions.

La même doctrine est professée par Dalloz et par tous les auteurs qui traitent du ministère public, par Duverger, Massabian, etc.

Que dit Dalloz ?

« Au surplus lorsque le ministère public, ne connaissant pas, ou ne connaissant qu'en partie les coupables d'un délit, au moment où il intente l'action publique, a requis le juge d'instruction d'informer contre les auteurs et complices du délit, ou contre tels individus désignés et leurs complices, l'action publique se trouve intentée par là même contre les auteurs ou complices non indiqués. »

Et le juge d'instruction peut se livrer à tous les moyens d'investigation que la loi met en son pouvoir pour arriver à la découverte de la vérité.

Telle a toujours été la pratique constante du juge d'instruction. Et quand il est arrivé qu'un juge d'instruction suivît d'autres règles, vous allez voir comment la juridiction supérieure s'est prononcée.

Il s'agissait d'un incendie. Le réquisitoire du procureur du roi portait ceci :

« Attendu que les procès-verbaux transmis au juge d'instruction... révèlent et constatent un fait d'incendie, qui a consumé six maisons en la commune de..., fait dont la cause pourrait être attribuée à la malveillance. »

Veuillez-le remarquez, messieurs, le procureur du roi requiert le juge d'instruction sur des faits dont la cause peut être attribuée à la malveillance.

Le juge d'instruction répond qu'il n'y a pas de crime ni de prévenu et qu'il n'instruira pas. Que fait la cour d'appel ? Elle annule l'ordonnance du juge d'instruction, et voici ce que porte son arrêt :

« La cour : Vu la requête à lui écrite du procureur général dont la teneur suit :

« Vu l'ordonnance rendue par le juge d'instruction de ... et l'opposition formée, à cette ordonnance ...

« Attendu qu'un juge d'instruction ne peut se dispenser de procéder à une information requise par le procureur du roi, lorsqu'il est compétemment saisi par ce magistral de la connaissance d'un fait qui peut présenter les caractères d'un crime ou d'un délit ; qu'au contraire, il est alors du devoir du juge d'instruction de faire immédiatement tous les actes d'instruction et de réclamer tous les éléments de preuve qui peuvent éclairer la marche de la justice et faciliter la décision de la chambre du conseil, à laquelle il doit ultérieurement être rendu compte de l'affaire ; que ce devoir résulte pour lui de la nature même de ses fondions et des dispositions des articles 14, 54, 55, 64, 70, 71, 87 et 127, code d'instruction criminelle ;

« ... Après avoir délibéré,

« Considérant que le code d'instruction criminelle n'attribue qu'à la chambre du conseil le caractère légal pour juger du mérite des preuves ; que nulle part il n'abandonne ce droit à l'arbitraire du juge d'instruction ; qu'admettre ce dernier système, ce serait reconnaître que ce magistrat a la faculté de déclarer implicitement avant toute information qu'il n'y a lieu à suivre : ce qui serait aussi contraire à l'esprit qu'aux dispositions de la loi ; adoptant au surplus les motifs énoncés au réquisitoire qui précède, déclare l'ordonnance dont il s'agit nulle et de nul effet ; renvoie la procédure au juge d'instruction de... »

Voulez-vous avoir la preuve, messieurs, que Faustin Hélie n'est pas d'une autre opinion ; vous la trouverez dans le passage suivant.

Il s'agit de la recherche des pièces de conviction. L'auteur passe en revue les différents objets dont le magistrat, dans l'intérêt de sa mission, a le droit de se saisir ; et voici comment il fait son énumération :

« Enfin les effets qui peuvent servir à la manifestation de la vérité, quoiqu'ils n'aient point été les instruments du délit et qu'ils ne soient point ses produits, sont tous les objets qui se sont trouvés, soit sur les lieux où le délit a été commis, soit même en d'autres lieux et qui, par les/enseignements qu'ils contiennent ou qu'ils peuvent faciliter, sont propres à indiquer l'auteur et ses complices. »

Faustin Hélie dit donc que le magistrat peut aller, dans tout autre lieu que celui du crime, rechercher les renseignements propres à indiquer l'auteur ; il est donc bien évident que l'auteur n'est pas encore connu. D'ailleurs cela va de soi et je croirais puéril d'insister sur ce point ; il n'y a pas un officier du ministère public qui dira le contraire. (Interruption.) Il y a ici d'anciens ministres de la justice, d'anciens membres du parquet, je leur demande si tel n'est pas leur avis, et s'ils ont jamais attendu, pour faire procéder à une visite domiciliaire, que l'auteur du crime qu'ils instruisaient fût préalablement connu !

M. l'avocat général Faider, dont j'invoquais l'autre jour l'autorité et dont je citais les paroles, m'écrivait, ce matin même :

« Je confirme de tout point la théorie que j'ai développée dans les conclusions du 7 novembre 1855 ; elle est conforme à la théorie, à la pratique générale du parquet, à la jurisprudence des juges d'instruction. »

On ne peut rien dire de plus concluant.

J'arrive au second point dont s'est occupé M. Jacobs.

J'aurais eu tort de dire à l'honorable membre qu'il ignorait l'article 302 du code d'instruction criminelle, et il a détourné le débat sur une question qui n'est pas en jeu. La communication des prévenus avec leurs parents est prévue par le règlement des prisons. Ce sont les prescriptions de ce règlement qui ont été observées. Mais dans son discours de vendredi, l'honorable membre avait parlé de la communication des prévenus avec leurs conseils. Voici textuellement ses paroles :

« Le prévenu doit devoir préparer librement sa défense ; il doit pouvoir conférer de son affaire, communiquer librement avec les personnes qui peuvent lui être utiles. Du moment qu'il n'y a plus d'interdiction de communiquer, plus de secret, la détention préventive ne peut plus différer de la mise en liberté que par la privation de la liberté. A part la défense de sortir de prison, le prévenu doit pouvoir communiquer librement avec chacun. Du moment qu'il n'y a plus de défense de communiquer, on doit lui permettre de communiquer. Et de fait, messieurs, s'il y a dans le règlement des prisons cellulaires un article qui déclare qu'un gardien, ou bien un juge d'instruction pour le remplacer, doit être présent à toutes les conversations des détenus, cola ne peut s'appliquer aux prévenus. On ne peut admettre qu'un gardien se mette en tiers entre un prévenu et un avocat. »

C'est bien la question tranchée par l'article 302 du code d'instruction criminelle que vous souleviez. Aujourd'hui vous n'insistez plus sur ce point, vous en abordez un autre. Soit. Examinons :

Vous prétendez que la loi sur la détention préventive a modifié le régime intérieur des prisons. La loi de 1852 ne s'occupe pas de la communication des prévenus avec les tiers ; elle indique les cas où les prévenus peuvent être mis en liberté ; elle dit que la mise au secret ne peut pas être prolongée au delà d'un certain temps, mais elle ne dit rien quant aux rapports des prévenus avec leurs conseils ou leurs parents.

La loi sur la détention préventive n'a eu qu'un but, celui d'abréger les rigueurs de la mise au secret et de permettre la mise en liberté provisoire en certains cas déterminés, mais elle laisse intactes les autres dispositions du code d'instruction criminelle.

La preuve de ce que j'avance se trouve dans l'arrêté royal de 1855, contresigné par M. Nothomb. Si la loi de 1852 avait laissé entièrement libre la communication des prévenus avec des tiers, l'honorable M. Nothomb, trois ans après cette loi, n'aurait pas proposé de dire, dans le règlement sur les prisons, que cette communication ne pouvait avoir lieu qu'en présence d'un gardien.

C'est encore un coup de fusil que l'honorable M. Jacobs a lire sur ses propres amis. (Interruption.) Car si quelqu'un avait violé la loi de 1852, ce ne serait pas moi, mais l'honorable M. Nothomb.

Je n'ajouterai rien à ces considérations ; elles réfutent complètement, je pense, les théories développées par l'honorable M. Jacobs sur les deux points de droit dont il a entretenu la Chambre.

(page 188) M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

- Des voix.. - A demain.

Projet de loi accordant des crédits provisoires

Dépôt

MfFOµ. - Je suis informé que le Sénat compte se séparer après avoir voté les seuls projets qui lui ont été envoyés par la Chambre des représentants, c'est-à-dire le budget des recettes et dépenses pour ordre, le budget des voies et moyens, le budget de la dette publique, le budget des finances. Il est dès ce moment certain que le Sénat ne pourra pas être saisi des autres budgets avant sa séparation, et en conséquence il y a lieu de solliciter de la législature des crédits provisoires, pour assurer les divers services au début de l'exercice prochain.

Pour satisfaire aux convenances du Sénat, je prie la Chambre de vouloir bien s'occuper de ces crédits sans désemparer, c'est-à-dire dès demain, afin que le Sénat puisse, à son tour, les examiner dans le cours de cette semaine.

J'ai donc l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui ouvre aux divers départements ministériels dont les budgets ne sont pas votés, des crédits provisoires s'élevant ensemble à la somme de 38,300,000 francs.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé, et distribué.

Je propose, à la Chambre de le renvoyer à la section centrale qui a examiné le budget des voies et moyens, constituée en section spéciale. Elle sera réunie demain. Son rapport pourra probablement être présenté demain.

- Cette proposition est adoptée.


M. le président. - Je propose également de mettre à l'ordre du jour de la séance d'après-demain la nomination d'un membre de la Chambre en qualité de membre de la commission de surveillance près la caisse d'amortissement, des dépôts et consignations.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 3/4 heures.