(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 129) M. Reynaert, secrétaireµ, fait l'appel nominal à 2 heures et un quart : il lit le procès-verbal de la séance du 5 décembre, dont la rédaction est adoptée.
M. Dethuin, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« La veuve Coucke demandé un congé illimité pour son fils, milicien de la levée de 1868. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale et des habitants de Contich, présentant des observations sur les limites séparatives à établir entre Linth et Contich, demandent que la ligne du chemin de fer de l'Etat de Malines à Anvers soit adoptée comme ligne de séparation entre ces deux parties de la commune. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Blankenberghe demandent une enquête sur la situation de la caisse de prévoyance établie en faveur des pêcheurs de cette ville. »
- Même renvoi.
« Le sieur Penning transmet un certificat à l'appui de sa requête ayant pour objet une récompense nationale. »
- Même renvoi.
« Le sieur Missolten présente des observations contre la proposition portant que les droits de débit des boissons alcooliques et des tabacs cesseront de compter pour le cens électoral à la province et à la commune. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition.
« Des habitants d'Ixelles demandent l'abolition de la loi sur l'art de guérir. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la police médicale.
« Des commerçants et industriels présentent des objections sur le projet de loi relatif aux protêts. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Ch.-Ed. Schmahl, fabricant de fil à Ninove, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« M. Kervyn de Lettenhove, au nom de la commission de l'Académie chargée de la publication des grands écrivains belges, fait hommage à la Chambre du tome VI des Chroniques de Froissart. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. C.-J. Tackels, capitaine d'infanterie, fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de son ouvrage : Armes de guerre, les mitrailleuses, etc. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Schmitz, retenu chez lui par une maladie grave de son père, demande un congé. »
- Accordé.
M. Van Overloopµ. - Messieurs, au point de vue administratif, le projet de loi qui est mis en discussion est incontestablement bon, car il donnera lieu à une grande simplification d'écritures ; mais n'entraînera-t-il pas d'inconvénients au point de vue électoral ?
Si je suis bien renseigné, la cour de cassation a décidé que le visa des gouverneurs rend les rôles définitifs au point de vue électoral, en ce sens que, après l'apposition de ce visa, il n'est plus permis d'augmenter les contributions d'une personne, pour lui faire payer le cens qu'elle ne payait pas d'après le rôle définitif.
S'il en est ainsi, le projet de loi présente une lacune, et, en conséquence, (page 130) je demanderai à l'honorable ministre des finances quel moyen il se propose d'employer pour éviter les inconvénients dont je viens de parler. Quelle signature rendra le rôle définitif ? A coup sûr, le projet de loi n'a pas en vue, selon moi, de modifier quoi que ce soit au point de vue électoral.
MfFOµ. - Messieurs, je n'aperçois pas quelle efficacité, quelle garantie peut présenter le visa du gouverneur, au point de vue électoral.
Les rôles des contributions sont arrêtés par les agents de l'administration, et le visa du gouverneur rendant ces rôles exécutoires, n'est qu'une simple formalité, qui n'a plus de raison d'être sous la législation actuelle en matière de contributions.
Le gouverneur n'examine jamais et n'a aucun moyen de contrôler les cotes des contribuables. Donc, à ce point de vue, son visa ne peut exercer aucune espèce d'influence.
Mais, dit l'honorable préopinant, lorsque le visa du gouverneur a été apposé sur les rôles, il ne peut plus rien y être changé au point de vue électoral. Eh bien, il continuera d'en être absolument de même à l'avenir ; que ce soit le gouverneur ou le directeur qui vise les rôles après leur formation, une fois ces rôles arrêtés, il ne dépend plus de personne d'y introduire une modification quelconque.
Maintenant, quel document transmet-on aux autorités locales pour la confection des listes électorales ? Un double des rôles des contributions. Telle est la prescription formelle de la loi. Rien ne sera changé sous ce rapport. Comme par le passé, le double des rôles, dressé conformément à la loi, continuera d'être transmis aux autorités locales ; la législation actuelle ne subit, à cet égard, aucune modification.
M. Tack. - Si je comprends bien M. le ministre des finances, le visa du directeur des contributions aura le même effet qu'aujourd'hui le visa des gouverneurs, et il est entendu que toujours le visa du directeur figurera sur ces rôles, comme le visa du gouverneur y figure aujourd'hui, c'est-à-dire, avant le 1er avril ou, si l'on veut, avant la transmission des rôles aux administrations communales chargées de faire la révision des listes électorales.
S'il en était autrement, il dépendrait d'un receveur ou d'un contrôleur des contributions de les modifier dans l'intervalle du délai indiqué par la loi pour la révision des listes électorales.
Le travail des administrations communales pourrait être ainsi complètement bouleversé.
Cela donnerait lien évidemment à de graves inconvénients.
Il me semble, messieurs, que si, comme vient de le dire, l'honorable. M. Van Overloop, la cour de cassation décide que le visa du gouverneur a pour effet de rendre les rôles non seulement exécutoires, mais définitifs, la signature du directeur des contributions doit avoir absolument le même effet ; sans quoi vous modifiez profondément notre système électoral. Cela est incontestable.
Si l'on interprétait la loi autrement, il en résulterait une source de conflits entre l'administration du fisc et les administrations communales.
Je crois, messieurs, que nous devrions être fixés sur ce point avant de passer au vote de la loi qui nous est soumise.
MfFOµ. - Messieurs, je crois que l'honorable membre ne se rend pas bien compte de la manière dont les rôles sont formés.
Il suppose, et c'est là le fond de son argumentation, qu'il dépend du receveur des contributions ou du contrôleur de fixer à son gré les cotisations des contribuables. C'est là une erreur.
Voici, messieurs, comment les choses se passent. Prenons d'abord le rôle de la contribution foncière. Aucune espèce d'action ne peut être exercée par les agents de l'administration pour la détermination de la somme à payer par les propriétaires. La quotité de l'impôt est déterminée par la loi d'une manière fixe et invariable, d'après le revenu cadastral imposable. Aucune difficulté ne peut donc jamais se produire à cet égard.
S'agit-il de la contribution personnelle ? La taxe s'établit sur la déclaration des particuliers. Les agents de l'administration, même dans les cas où ils constatent une fraude dans les déclarations qui leur sont présentées, n'ont pas qualité pour modifier d'office cette déclaration. Ils doivent se borner à dénoncer le fait aux autorités que la loi institue pour réprimer les fraudes en matière d'impositions directes, mais ils ne sont pas les juges de ces fraudes.
Viennent maintenant les rôles des patentes. Eh bien, ce ne sont pas les agents des contributions seuls qui interviennent pour déterminer dans quelle classe doivent être rangés les patentables ; c'est à un comité de répartiteurs qu'incombe cette mission ; il est institué par la loi, c'est lui qui procède, c'est lui qui détermine la cotisation. Ici donc encore, pas d'action directe des agents des contributions ; et impossibilité absolue, pour eux, d'exercer une influence quelconque au point de vue électoral.
Il en est de même pour les rôles des débits de boissons et de tabac.
Ainsi, messieurs, vous voyez que les rôles sont formés, soit en vertu d'une disposition positive de la loi, pour ce qui concerne la contribution foncière, soit conformément aux déclarations mêmes des redevables lorsqu'il s'agit de la contribution personnelle, soit en vertu des décisions du comité des répartiteurs pour l'impôt des patentes.
Voilà comment les choses se passent, et l'on a donc supposé à tort une intervention possible des agents de l'administration en celle matière.
Mais, dites-vous, quand ces rôles seront-ils définitifs ? Ils sont définitifs également dans les conditions que la loi détermine.
Ainsi, pour la contribution foncière, la cotisation est permanente pour l'année entière dès qu'elle a été établie ; il s'agit d'un impôt de proportionnalité, dont la base, le revenu cadastral, est fixe et immuable. Pour la contribution personnelle, il en est de même, les déclarations étant formées pour toute la durée de l'exercice. Même situation pour les déclarations de patentes faites dans le courant du premier trimestre de l'année.
Mais il peul arriver que des déclarations soient faites encore après le premier trimestre, pour certaines impositions. Eh bien, ces déclarations donnent lieu à la formation de rôles supplétifs, qui, à leur tour, sont rendus définitifs dès qu'ils sont envoyés aux agents chargés de les mettre en recouvrement.
Actuellement, rôles primitifs et rôles supplétifs, avant d'être mis en recouvrement, étaient soumis au visa du gouverneur, pure formalité, ainsi que je l'ai expliqué tout à l'heure.
Dorénavant, ce visa préalable sera apposé par les directeurs, qui ont pour mission d'examiner, de contrôler et d'approuver les rôles, sons leur responsabilité personnelle devant le ministre. Une vaine formalité sera ainsi remplacée par une garantie réelle, sans qu'il y ait dans cette mesure, rien qui puisse justifier, sous un rapport quelconque, les appréhensions qui ont été manifestées au point de vue de la sincérité des opérations électorales.
M. Delcourµ. - Les explications que vient de nous donner M. le ministre des finances ne sont pas en tous points conformes aux faits. Les faits les contredisent sous plusieurs rapports.
L'honorable ministre des finances vient de nous expliquer de quelle manière se fixe la cotisation du contribuable. Tantôt elle est fixée sur sa déclaration ; tantôt, lorsqu'il s'agit de l'impôt foncier, elle se détermine sur des bases établies par la loi ; tantôt elle se fixe sur la déclaration du contribuable jointe à la décision du collège des répartiteurs, c'est ce qui a lieu pour la patente ; vous voyez bien, dit l'honorable ministre, qu'il n'y a, de la part de l'administration, aucune espèce d'influence, à exercer et que les droits électoraux ne sont pas compromis.
Mais, messieurs, les choses ne se passent pas ainsi. Voici un fait qui nous est révélé par la presse, fait que je ne connais pas personnellement, et qui me paraît d'une nature très sérieuse. Il explique, il démontre à la dernière évidence que les explications que nous venons d'entendre ne peuvent pas nous satisfaire.
Le visa du gouverneur a incontestablement pour effet, en rendant le rôle exécutoire, de le rendre irrévocable.
MfFOµ. - Exécutoire.
M. Delcourµ. - Permettez. Dans le cas rappelé par la presse, (erratum, page 148) les rôles avaient été dressés par l'administration financière, avant d'être soumis au visa du gouverneur. Ils étaient donc connus des agents de l'administration supérieure.
Voici maintenant le fait, tel que je le trouve dans les journaux : Dans une commune de la Flandre orientale, six industriels avaient perdu les conditions voulues pour être électeur ; ils ne jouissaient plus du cens déterminé par la loi, par suite d'un dégrèvement de la patente joint à la diminution de l'impôt foncier en vertu de la dernière loi sur la péréquation cadastrale.
Le receveur avait ajouté d'office, sans aucune réclamation des électeurs, un rôle supplémentaire qui modifiait la classe dans laquelle ces six électeurs étaient portés.
La députation permanente de la Flandre orientale, fut saisie de l'appel et rendit, le 23 mai dernier, une décision portant que la loi du 21 mai 1819 n'accorde pas aux agents du fisc le pouvoir de changer, d'office, la classification des patentables après que les rôles ont été rendus exécutoires par le gouverneur.
Le gouverneur s'est pourvu en cassation contre cette décision et la cour (page 131) même a rejeté le pourvoi en confirmant, endroit, la décision de la députation.
Cette affaire établit, messieurs, que si le visa du gouverneur disparaît, il n'y a plus de garantie que les rôles ne seront plus irrévocables et qu'ils pourront être modifiés, changés à l'aide d'un rôle supplémentaire, avant que ce dernier ait été revêtu du visa du gouverneur. Je le répète, en ce point, les explications de M. le ministre ne m'ont pas satisfait.
Veuillez-le remarquer : je ne combats pas le projet de loi, au point de vue administratif ; je demande qu'on n'affaiblisse pas nos garanties électorales. Tout autre fonctionnaire que le gouverneur pourrait donner ce visa. Je désire une seule chose : c'est que les rôles une fois arrêtés ne puissent être changés au gré des employés du fisc, dirigés peut-être par des considérations politiques.
J'attends avec confiance de nouvelles explications.
M. de Theuxµ. - A côté des observations présentées par les honorables préopinants, j'en ai une à soumettre au gouvernement. Je demanderai de quelle manière un citoyen peut s'assurer que, le double du rôle, remis à l'autorité communale, est conforme à l'original. La loi prescrit que la copie doit être conforme à l'original, mais il peut exister des doutes à cet égard, et en ce cas, un électeur peut-il s'assurer de la conformité ? Je ne vois nul texte de loi qui autorise la vérification.
Un autre point sur lequel j'ai déjà appelé l'attention de M. le ministre des finances, c'est un comité de répartiteurs qui fixe le chiffre de la patente ; eh bien, le comité des répartiteurs peut, dans un but politique, diminuer la patente d'un électeur et ainsi le faire disparaître de la liste ou l'empêcher d'y être porté.
Je ne verrais dans la loi aucun moyen de faire redresser un pareil abus. Si quelqu'un est surtaxé, il peut réclamer auprès de la députation permanente, mais s'il est dégrevé indûment en vue de lui faire perdre le droit électoral, je demande comment il s'y prendra pour se faire rétablir sur la liste ?
C'est un point très essentiel et je suis convaincu qu'il s'est commis souvent des abus de ce genre. L'opinion publique confirme cette manière de voir.
Je n'ai pu, dans ma position, acquérir la preuve du fait, mais il est facile à comprendre que des comités répartiteurs peuvent être composés en majorité d'hommes politiques et que, dans les grandes luttes, ils peuvent aisément faire disparaître quelques électeurs d'une liste ou bien encore gonfler certaines cotes pour augmenter le nombre des électeurs favorables à leur opinion.
Il y a évidemment là une lacune et je demande que l'honorable ministre des finances veuille bien aviser.
M. Wasseige. - Je demande à ajouter un seul mot à ce que vient de dire l'honorable M. de Theux, mais à un autre point de vue.
Il est à ma connaissance que ce n'est pas seulement en ce qui concerne les patentes que des fraudes peuvent avoir lien, mais aussi pour les contributions personnelles, là où l'agent du gouvernement, égaré par son zèle, agit seul, sans même la garantie du collège des répartiteurs.
L'honorable ministre des finances vient de nous dire que la fixation de la contribution personnelle se fait d'après la déclaration du contribuable lui-même. Eh bien, telle cote qui approche de très près de la somme nécessaire pour former le cens électoral est souvent réduite, malgré cette déclaration.
Un foyer, quelques portes et fenêtres disparaissent parfois pour faire descendre la contribution personnelle au-dessous du chiffre du cens électoral et faire disparaître ainsi un électeur.
Je joins donc ma voix à celle de l'honorable M. de Theux pour demander à M. le ministre des finances quels moyens aura le contribuable pour faire respecter son droit dans ce cas.
MfFOµ. - Messieurs, comme la Chambre le remarque, la question se déplace tout à fait. C'est sous l'empire de la législation actuelle et avec le visa du gouverneur pour rendre les rôles exécutoires, que se sont passés les faits dont se plaignent les honorables membres. Ce n'est donc pas dans le visa du gouverneur que l'on trouverait la garantie que l'on cherche.
Il est possible qu'il y ait des abus et qu'il y ait des moyens d'empêcher les fraudes. Mais assurément, ce n'est pas l'abolition ou le maintien du visa des gouverneurs sur les rôles qui amènera une situation plus favorable. Cela est parfaitement indifférent au point de vue des questions que l'on a soulevées.
L'honorable M. de Theux me demande quel moyen il y aura de s'assurer que le double du rôle envoyé par le receveur des contributions à l'administration locale, est conforme à l'original, Le moyen est celui que l'honorable. M. de Theux, si je ne me trompe, a contribué à faire admettre dans la loi du 4 avril 1843.
« Un double du rôle, dit l'art. 6 de cette loi, certifié conforme par le receveur et vérifié par le contrôleur des contributions directes, sera remis à cet effet, avant le 1er avril, au collège des bourgmestre et échevins. »
Voilà le moyen légal.
M. de Theuxµ. - Vérifié par le contrôleur, mais point par les électeurs.
MfFOµ. - Si l'honorable M. de Theux pense qu'il faille une autre garantie que celle-là, c'est-à-dire que celle qui expose les agents préposés par la loi pour remplir cette obligation, à se voir poursuivre pour crime de faux en cas de malversation dans l'accomplissement de leur devoir ; s'il pense que cette garantie n'est pas suffisante, on peut examiner la question ; je n'entends pas m'y opposer. Mais je réponds à l'objection qu'il fait aujourd'hui : voilà le moyen légal qui existe actuellement, et dont on s'est montré satisfait jusqu'à présent.
En outre, l'honorable M. de Theux, appuyé par l'honorable M. Wasseige, signale la possibilité d'un autre abus.
Comme ce sont les répartiteurs qui fixent la classe dans laquelle doivent être rangés les patentables, les débitants de boissons, etc., et que les comités de répartiteurs peuvent être animés d'esprit politique, d'esprit de parti, il peut arriver, disent ces honorables membres, que. ces agents se laissent entraîner à élever quelque peu certaines cotisations pour fabriquer des électeurs dans leur sens, et à atténuer d'autres cotisations, pour ravir ainsi le droit électoral à quelques-uns de leurs adversaires politiques. Ils demandent que l'on avise aux moyens de remédier aux dangers d'une pareille situation.
Je ne sais pas, messieurs, s'il existe un recours contre les décisions des répartiteurs. Dans la négative, il y aura peut-être lieu à pourvoir à cette lacune par un changement de législation. Dans tous les cas, il faudra vérifier d'abord si les plaintes que l'on fait entendre sont réellement fondées, et si des faits frauduleux ont été commis. Mais, encore une fois, le visa du gouverneur ne peut absolument rien à l'affaire ; il y est complètement étranger.
Enfin l'honorable M. Delcour insiste et prétend que si l'on supprime le visa du gouverneur, il n'y aura plus aucune espèce de garantie au point de vue électoral, les rôles pouvant être altérés par les agents de l'administration. A l'appui de sa thèse, il cite un fait révélé, dit-il, par la presse, et dont je n'ai pas connaissance. Par événement je n'ai pas lu le journal auquel l'honorable membre fait allusion. Mais, d'après les explications qu'il vient de donner, je dois avouer que le fait signalé me paraît tout à fait incompréhensible.
La loi indique comment sont formés les rôles, comment ils sont arrêtés par les gouverneurs qui les visent, et comment ils sont transmis aux autorités locales. Or, qu'allègue-t-on ? Que, postérieurement à la publication des rôles ordinaires, on a formé un rôle spécial pour attribuer le droit électoral à des particuliers qui l'avaient perdu, soit par suite de changement de classification dans le droit de patente, soit par suite des modifications introduites dans la péréquation cadastrale.
Mais en vertu de quoi a-t-on fait ces changements ? Dans toute hypothèse, il a fallu un rôle complémentaire et ce rôle a dû être visé par le gouverneur (interruption) ; s'il ne l'a pas été il ne pouvait produire d'effet ! (Interruption.)
Je le répète, messieurs, je ne connais pas le fait dont a parlé l'honorable M. Delcour, mais j'en connais d'autres, plus précis, et qui sont fort significatifs au point de vue des tendances qu'ils révèlent. Des individus qui se trouvaient dans le cas indiqué par M. Delcour, avaient perdu leur droit électoral ; ils s'en aperçoivent le 31 mars ; le 31 mars, ils déposent une déclaration supplémentaire pour une patente à raison d'une profession spéciale qu'ils prétendent exercer. L'autorité locale se dit : C'est une fraude ; cette déclaration est faite exclusivement en vue d'obtenir le droit électoral. Et, en conséquence, elle refuse d'inscrire ces individus sur la liste électorale à raison de cette déclaration, dont le caractère frauduleux est tellement manifeste que si, au lieu de faire la déclaration le 31 mars, on l'avait faite le 1er avril, les déclarants étaient dispensés de payer un quart de l'impôt ; ils n'eussent pas été cotisés pour le premier trimestre.
Ces particuliers se pourvoient devant la députation permanente de la Flandre occidentale.
- Un membre. - Orientale.
MfFOµ. - Non ; l'affaire dont je parle a eu lieu dans la Flandre occidentale. Or, nonobstant l'intention frauduleuse qui résultait à toute évidence des conditions dans lesquelles s'étaient faites les déclarations dont il s'agit, et malgré le refus de l'autorité locale de faire inscrire les déclarants sur la liste électorale, la députation (page 132) permanente de la Flandre occidentale les y a fait inscrire, et cela sans rôle exécutoire, sans rôle visé par le gouverneur, et par conséquent sans les garanties que vous croyez trouver dans la mesure dont vous semblez redouter la suppression.
Vous voyez donc qu'il n'y a pas à s'arrêter à ces considérations en ce qui touche le projet de loi qui nous occupe, car il ne peut modifier en rien l'état de la législation, ni pour 1'octroi des droits électoraux, ni pour la manière dont s'établissent les contributions, ni pour l'influence qui peut être exercée par les répartiteurs. Cela y est complètement étranger.
Les rôles seront faits comme par le passé, sauf qu'au lieu d'un visa inutile, sans valeur, inopérant, ne constituant qu'une simple formalité, à ce point que dans certaines provinces on a remplacé le visa par une griffe, vous aurez une formalité réelle, efficace, la signature du directeur des contributions, dont le ministre des finances a à répondre devant les Chambres.
Il y aura donc là une garantie qui n'existe pas aujourd'hui. (Interruption.)
Je répète qu'il n'y a aucune espèce d'innovation introduite sous le rapport électoral et que l'influence de l'administration, en ce point, ne sera ni plus grande ni moindre qu'auparavant.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Dumortier. - Je considère la question comme beaucoup plus sérieuse que M. le ministre ne vient de le dire. M. le ministre des finances n'a pas lu, dit-il, l'article auquel l’honorable M. Delcour a fait allusion et que j'ai sous les yeux ; mais je doute qu'il ne connaisse pas l'arrêt rendu par la cour de cassation dans l'affaire dont a parlé mon honorable ami. Quand on est si bien instruit de tous les arrêts de la cour de cassation en matière électorale, il serait étonnant que l'on ne connût pas celui là. Ce qui justifie mon doute, au surplus, c'est que le projet de loi nous arrive précisément à la suite de cet arrêt de la cour suprême, qui a écarté un certain nombre d'électeurs. Aussi, je me demande si le projet de loi n'est pas fait pour contrarier l'arrêt porté par la cour de cassation en cette affaire.
Il y a une chose certaine, c'est que, dans le système actuel, le visa du gouverneur, non seulement rend les rôles exécutoires, mais encore, leur donne une date certaine, et c'est après que cette date certaine y a été donnée que les contrôleurs en envoient des extraits aux administrations chargées de dresser les listes électorales.
Maintenant qu'arrivera-t-il ? C'est que vous allez créer un moyen nouveau de faire faire, par les employés de l'administration, des électeurs frauduleux. (Interruption.) Oh ! je sais bien, messieurs, que quand il s'agit d'annuler un bulletin sur lequel il est écrit « M. un tel, bourgmestre de Poperinghe, » on a bientôt déclaré qu'il émane d'un électeur frauduleux ; mais je sais aussi que quand il s'agit d'un bulletin portant « M. un tel, bourgmestre de Blankenberghe, » on ne fait aucune difficulté de l'accepter comme parfaitement sincère.
Je dis donc que le projet de loi crée un moyen nouveau et facile de faire des électeurs frauduleux. Car, où sera la date certaine ? Où sera l'autorité responsable ?
On nous dit que ce sera le directeur des contributions. Mais n'est-ce pas enlever à une administration placée à côté de l'administration financière toute espèce d'action dans la formation des listes électorales ? Où sera la garantie quand ce sera l'administration qui dresse les rôles qui sera également chargée de les rendre exécutoires ?
Il y a une difficulté, dit l'honorable M. Frère ; c'est que ces visas constituent une formalité bien compliquée. Mais, messieurs, il y a un moyen bien simple de parer à cela. Au lieu de faire donner le visa par les gouverneurs, faites-le donner par les commissaires d'arrondissement : vous aurez réduit considérablement la besogne, puisque vous avez, dans chaque province, un nombre plus ou moins grand de commissaires d'arrondissement ; alors il y aura une date certaine qui sera apposée sur les rôles destinés à servir de base à la formation des listes électorales.
Si on ne procède pas ainsi, l'abus qui a eu lieu dans l'arrondissement de Gand et contre lequel la cour de cassation a protesté par un arrêt fortement motivé se présentera tous les jours et vous aurez donné à MM. les receveurs, directeurs de contributions le droit de faire, de refaire et de réviser les listes électorales : c'est ce que je ne veux pas.
Je demande que M. le ministre des finances veuille bien inscrire dans la loi une garantie quelconque contre cette espèce de fraude.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je sais très bien que les observations que j'ai présentées tout à l'heure sur l'action du comité de répartition, et celles que j'ai faites sur l'envoi du double des rôles de contributions aux administrations communales, ne se rapportaient pas directement à la question du visa par les gouverneurs ; mais j'ai saisi cette occasion pour appeler l'attention de la Chambre et du gouvernement sur ces deux points.
J'ai maintenant à présenter une autre objection. M. le ministre des finances nous a dit qu'aujourd'hui le gouverneur fait apposer une griffe dans ses bureaux ; que ce n'est pas lui qui l'appose ; que c'est un travail matériel d'un de ses employés.
Mais, messieurs, remarquons que l'apposition de cette griffe, fût-elle faite par un simple huissier, comporte une date certaine et dès lors une date également certaine pour l'inscription sur la liste électorale ; le but est atteint par là.
MfFOµ. - Messieurs, je m'étonne de la confiance subite que l'honorable M. Dumortier témoigne pour les agents politiques du gouvernement, en matière électorale, et de la défiance qu'il manifeste à l'égard d'agents purement administratifs.
« Remettez, dit-il, à des agents politiques le soin de surveiller la formation des rôles et je me tiens pour satisfait. Si cela constitue une gêne pour les gouverneurs, faites faire ce travail par les commissaires d'arrondissement. (Interruption.) Que ces agents visent les rôles de contributions, car ils n'exercent pas d'influence dans les élections ! » (Interruption.)
Je ne pense pas qu'à son point de vue l'honorable membre obtienne une bien grande garantie par ce changement.
Messieurs, il y en a beaucoup plus dans ce que je propose, c'est-à-dire dans l'abandon à l'administration des contributions du soin de rendre les rôles exécutoires.
Quelle est l'objection ? Le gouverneur, en apposant son visa, donne une date certaine, au rôle. (C'est cela !)
Cela vous suffisait ? Mais cela n'a pas suffi cependant, pour empêcher les fraudes que vous signalez ! Quoi qu'il en soit, je dis que les garanties que vous trouvez dans l'état actuel des choses, existeront au même degré lorsque les directeurs des contributions seront chargés de remplir cette formalité ; ils viseront également les rôles ; ils les rendront exécutoires, tout comme le gouverneur les rend exécutoires aujourd'hui ; ils auront donné aux rôles la date certaine que vous voulez. et au surplus, d'après la loi, on envoie le double des rôles de contributions aux administrations communales, avant le Ier avril. Voilà la date certaine. Voilà les rôles parfaitement arrêtés. Peul-on modifier ces rôles ? Les receveurs des contributions, les contrôleurs ou les directeurs des contributions peuvent-ils y apporter un changement quelconque ? Evidemment non : ils sont sans pouvoirs pour cela. Que peut-il donc arriver après que les rôles, dûment arrêtés, ont été transmis aux administrations communales ? C'est que des contribuables aient à faire des déclarations supplémentaires. Eh bien, ces déclarations doivent donner lieu à la formation d'un rôle supplétif, et il y a lieu, pour ce nouveau rôle, de remplir toutes les formalités qu'a dû subir le rôle primitif. Voilà évidemment ce que prescrit la législation actuellement en vigueur.
Vous voyez donc bien, messieurs, que toutes les objections que l'on oppose sont complètement dénuées de fondement. On est préoccupé d'autres idées, on en a vue un fait dont on ne se rend pas bien compte. C'est cet arrêt de la cour de cassation, que je n'ai malheureusement pas lu, et que les honorables préopinants n'ont sans doute pas lu plus que moi, qui donne de l'inquiétude. Mais tout cela n'est pas en question.
Par la loi qui vous est proposée, il n'y aura aucun changement au régime électoral actuel ; il s'agit d'une modification administrative, d'une mesure d'ordre, d'une, simplification sans aucune conséquence possible au point de vue où l'on s'est placé, par suite de je ne sais quel malentendu. Aux gouverneurs qui ne peuvent examiner les rôles qu'ils sont chargés de viser, qui n'y pourraient rien changer alors même qu'ils en auraient l'intention, on substitue les directeurs des contributions, qui ont vérifié les rôles, et qui les signent sous leur responsabilité.
Vous le voyez donc, messieurs, il n'y a aucune espèce de raison de ne pas supprimer une formalité parfaitement inutile que j'aurais pu toujours ignorer, si mon attention n'y avait été spécialement appelée par M. le gouverneur de la province de Liége. J'ai été amené ainsi à examiner la question, et c'est en suite de cet examen que j'ai déposé le projet de loi qui vous est soumis, et que, je l'espère, vous voudrez bien voter.
M. Tack. - Messieurs, nous sommes tous d'accord que la mesure que nous propose M. le ministre des finances est très utile et qu'il est bon de dispenser les gouverneurs de ce grand nombre de signatures qu'ils sont astreints de donner annuellement pour le visa des rôles des contributions et pour rendre exécutoires les contraintes lancées contre les contribuables.
La loi nouvelle, dit l'honorable ministre des finances, ne fait aucune innovation. Si, messieurs, il y aura une innovation à supprimer le visa, puisque la cour de cassation attache un effet réel à la signature des gouverneurs.
(page 133) - Une voix. - Vous ne connaissez pas l'arrêt qui a été rendu.
M. Tack. - Je ne le connais pas, mais M. Van Overloop vient de le citer.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il ne l'a pas vu non plus.
M. Tack. - Il est possible que cet arrêt n'ait pas paru, mais il paraîtra plus tard ; enfin il y a doute, et dans le doute, messieurs, je crois qu'il y aurait lieu de concilier la proposition de loi qui nous est soumise avec les observations qui sont présentées par plusieurs honorables membres ; qu'il soit entendu que pour les rôles qui doivent être transmis aux administrations communales avant le 1er avril, le visa du directeur aura le même effet que celui du gouverneur.
Par là toute difficulté est levée.
L'essentiel c'est qu'il ne faut pas qu'arbitrairement après le 1er avril dans l'intervalle de la révision des listes, des modifications quelconques puissent être apportées dans les rôles, car cela pourrait avoir pour but de bouleverser complètement le travail des administrations communales.
C'est une complication parfaitement inutile. En effet, messieurs, il faut bien qu'à un moment donné les rôles soient arrêtés et deviennent définitifs ; mieux vaux que ce soit avant la formation des listes électorales que pendant ou après.
Qu'il soit entendu que rien n'est changé dans la législation, que la situation reste la même, que le visa du directeur a identiquement le même effet que celui du gouverneur, que chacun conserve son opinion sur les questions soulevées.
Si la jurisprudence de la cour de cassation qu'on nous indique est bien fondée, cette jurisprudence continuera d'être appliquée. Rien ne sera modifié à l’état de choses. C'est la seule réserve, je crois, qu'il importe de faire en ce moment pour que nous puissions tous voter la disposition de loi qui nous est soumise.
Encore une fois, que le visa du directeur des contributions qui doit être absolument appliqué sur les rôles avant qu'ils soient recouvrables et servent à la formation des listes électorales, ait le même effet que le visa du gouverneur.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. La formalité du visa exécutoire des rôles des contributions directes par les gouverneurs est supprimée. »
- Adopté.
« Art. 2. Les poursuites en matière d'impôts directs s'exerceront en vertu de contraintes décernées par le receveur chargé du recouvrement et déclarées exécutoires par le directeur des contributions. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
81 membres prennent part au vote.
70 membres votent pour le projet.
1 vote contre.
10 s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.
Ont voté l'adoption :
MM. Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Morris, Van Overloop, Vilain XIIII, Vleminckx, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Clercq, de Coninck, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delael, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Montblanc, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, de Vrints, d'Hane-Steenhuyse, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Rayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Julliot, Lange, Lefebvre, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Mulle de Terschueren, Orts, Pirmez, Royer de Behr, Sabatier, Thienpont, T'Serstevens, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom et Dolez.
A voté le rejet : M. Visart.
Se sont abstenus : MM. Wasseige, Wouters, Delcour, de Theux, Dumortier, Kervyn de Lettenhove, Liénart, Reynaert, Tack et Vander Donckt.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Wasseige. - Je me suis abstenu parce que les explications de M. le ministre des finances ne m'ont pas paru suffisantes pour faire disparaître de mon esprit tout doute, au point de vue des garanties électorales sur un projet de loi que je trouve bon sous d'autres rapports.
M. Woutersµ. - Je me suis abstenu par les motifs que vient de faire valoir M. Wasseige.
M. Delcourµ. - Je me suis abstenu par les considérations que j'ai fait valoir dans le cours de la discussion.
M. de Theuxµ. - Je n'ai pas pu vérifier l'arrêt dont on a parlé et j'aurais voulu le vérifier avant de me prononcer.
M. Dumortier. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai donnés tout à l'heure.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que les honorables préopinants.
M. Liénartµ. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Wasseige.
M. Tack. - J'aurais voulu voter la loi, parce qu'elle présente un côté véritablement utile, mais je n'ai pu le faire parce qu'il me restait des doutes sur l'influence de la mesure, en ce qui concerne les listes électorales.
M. Reynaertµ. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Tack.
M. Vander Donckt. — Je me suis abstenu également par les motifs qu'a fait connaître M. Tack.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, la commission du code de commerce m'a chargé de vous présenter son rapport sur les articles de ce Code, relatifs aux sociétés, que vous lui avez renvoyés.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. Vleminckxµ. - La Chambre connaît l'arrêt récent de la cour de cassation, sur la signification à donner à l'article 453 de notre code pénal ; mais il n'est pas sans importance, pour l'objet dont je vais avoir l'honneur de l'entretenir, de rappeler, avec quelques détails, le fait à l'occasion duquel cet arrêt est intervenu.
Une femme avait pratiqué sur un cadavre, quelque temps après la mort, la section dite césarienne, uniquement en vue du baptême d'un fœtus de quatre à cinq mois, non viable par conséquent : l'opération fut faite à l'aide d'un couteau de poche, qu'un prêtre avait remis à cette femme après l'avoir aiguisé.
L'acte fut incriminé, la justice eut à en connaître, et la cour d'appel de Gand, appelée à réformer un jugement du tribunal de Bruges, trouvant d'ailleurs que le fait avait été accompli dans des conditions qui le rendaient particulièrement odieux, les prévenus n'ayant pas cru devoir recourir soit à l'autorité locale, soit aux lumières d'un homme de l'art, et alors qu'en ce moment le décès de la femme ne pouvait même être constaté avec une entière certitude ; la cour d'appel de Gand, dis-je, se refusa à admettre que de semblables profanations ne fussent ni prévues ni punies par un code qui venait à peine d'être promulgué, jugea qu'il y avait eu là violation de sépulture et prononça les peines comminées par l'article 453, dont je viens de parler.
La cour de cassation, à laquelle ledit arrêt fut déféré, ne partagea pas cette manière de voir. Sur un réquisitoire plein d'intérêt et d'érudition de notre éminent avocat général Faider, elle décida qu'en effet une violation avait été commise, mais une violation de cadavre, non une violation de sépulture, violation qui ne tombait sous l'application d'aucune de nos lois, et que, par conséquent, aucune peine ne pouvait être prononcée contre les demandeurs en cassation.
Voilà le fait, messieurs, dans toute sa vérité.
C'est donc bien entendu. D'après l'arrêt de la cour suprême, on peut impunément, sous l'empire de nos lois, outrager des restes humains, les couvrir d'opprobre et d'ignominie ; on peut, d'autre part, sans être autorisé à exercer l'art de guérir, pratiquer sur le corps d'une personne que l'on croit inanimée, et qui peut ne pas l'être, toutes sortes d'opérations chirurgicales : tout cela est permis, tout cela doit être toléré, aucune de nos lois ne commine des peines contre ces profanations, ces déplorables imprudences, ces coupables excès.
Il y a donc évidemment une lacune dans notre code des peines, lacune regrettable qu'il importe de combler au plus tôt. La cour de cassation l'a nettement déclaré d'ailleurs : c'est par conséquent notre devoir à tous d'appeler sur ce point la plus sérieuse attention du gouvernement.
Voici comment s'exprimait, au sujet de cette lacune, l'honorable avocat général, dans le réquisitoire que je viens de vous rappeler :
« Nous le disons avec conviction, cette lacune existe, et c'est au législateur et non au juge qu'il appartient de la combler.
« Si votre arrêt signale cette lacune, il en résultera un double et solennel avertissement ; d'une part, ceux qui ont l'initiative des lois pourront rechercher le moyen de concilier les convenances publiques d'ordre et de sécurité avec ce qu'exigent des croyances respectables ; d'autre part, les supérieurs ecclésiastiques feront subir les modifications nécessaires à des (page 134) procédés et des instructions qui n'ont rien de dogmatique ni de sacramentel et qui offrent de grands dangers ; des deux parts, le respect dû aux cadavres, les précautions pour la vie humaine trouveront une garantie, et l'opinion, aujourd'hui vivement soulevée, rendra hommage à la sagesse de tous ceux qui auront contribué à prévenir et réprimer des excès de zèle et d'imprudence qui ont été sévèrement qualifiés. »
Messieurs, ne nous faisons pas illusion. Dans l'état actuel de notre législation, et c'est ce qui surtout m'a fait prendre la parole, la vie humaine n'est pas suffisamment protégée.
Un homme étranger à l'art de guérir a le droit aujourd'hui de porter le couteau sur une personne qui peut n'être pas morte ! Est-ce que cela ne vous fait pas frémir ? Et tous ensemble ne devons-nous pas unir nos efforts pour porter remède à une semblable situation ?
Sans doute, l'opération césarienne, car vous avez déjà compris que c'est de celle-là particulièrement que je vais vous parler, sans doute, dis-je, l'opération césarienne doit être pratiquée, dans certaines circonstances, sur le cadavre. Mais à quelles conditions ? Vous allez le voir.
Il faut d'abord qu'il y ait mort réelle de la mère, et mort bien constatée ; il faut ensuite que l'on s'assure que l'enfant que l'on cherche à délivrer, n'est pas privé de vie ; il faut enfin que l'opération soit faite avec les mêmes précautions, les même soins, la même régularité que si l'on opérait sur une femme vivante.
Eh bien, messieurs, dites-le, la main sur la conscience, croyez-vous que ces conditions devant être remplies, et personne au monde ne le contestera, on puisse, laisser pratiquer cette redoutable opération par le premier venu ?
Où donc le prêtre, par exemple, aurait-il acquis ces connaissances indispensables ? Est-ce dans son séminaire ? Mais c'est impossible, vous le savez bien et nul ne le soutiendra sérieusement.
Comment d'abord s'assurera-t-il qu'il y a mort réelle ? Quels en seront pour lui les signes certains et indéniables ? Oh ! je sais bien que dans certaine instruction de l'archevêché de Malines (elle porte, je crois, la date du 14 août 1851), l'attention est spécialement attirée sur les battements du cœur. Mais hélas ! ce n'est pas là un indice suffisant ; l'histoire de l'art est pleine de faits démontrant à la dernière évidence que les battements de cœur peuvent n'être plus perçus et pourtant la vie n'être pas éteinte. Est-ce que les prescriptions de nos lois relatives aux inhumations ne sont pas basées sur ces faits incontestables et incontestés ?
Messieurs, soyez-en bien certains : elle est grande, très grande, l'incertitude des signes de la mort, et tout particulièrement dans certains accidents propres aux femmes enceintes ou accouchées, et bien imprudents sont ceux, qui sans bien connaître ces signes, portent le couteau sur des corps supposés non vivants ; plus imprudents encore sont ceux qui, avec les meilleures intentions du monde, je le reconnais, en font en quelque sorte un cas de conscience à ceux sur lesquels ils exercent un commandement.
Et voulez-vous une preuve nouvelle et toute récente des difficultés généralement reconnues qu'on rencontre souvent lorsqu'il s'agit de constater la mort réelle ? La voici, messieurs. Il n'y a pas huit jours, un journal français, le Progrès de Lyon, contenait l'article suivant reproduit par le Moniteur belge, ce qui prouve, soit dit en passant, que la partie non-officielle de notre Moniteur n'est pas sans utilité :
« M. le marquis d'Ourchies a laissé des fonds en mourant pour la fondation de deux prix destinés à récompenser la découverte du meilleur moyen de prévenir les inhumations précipitées. M. De Breuvery, membre du conseil général de Seine-et-Oise, est l'exécuteur testamentaire du généreux auteur de cette pensée éminemment philanthropique. Voici l'avis qu'il vient de faire publier à ce propos :
« Du testament olographe, en date du 14 février 1866, de M. le marquis d'Ourdies, décédé à Paris le 1er mai 1867, ledit testament déposé en l'étude de Me Baron, notaire à Paris, sont extraites les dispositions suivantes :
« Je veux qu'il soit prélevé sur les valeurs de ma succession une somme de vingt-cinq mille francs destinée, dans les conditions ci-après énoncées, à la fondation de deux prix, savoir :
« I. Un prix de vingt mille francs pour la découverte d'un moyen simple et vulgaire de reconnaître, d'une manière certaine et indubitable, les signes de la mort réelle. La condition expresse de ce prix est que le moyen puisse être mis en pratique même par de pauvres villageois sans instruction.
« II. Un prix de cinq mille francs pour la découverte du moyen de reconnaître d'une manière certaine et indubitable la mort réelle, à l'aide de l'électricité, du galvanisme et de tout autre procédé exigeant soit l'intervention d'un homme de l'art, soit l'application de connaissances, l'usage d'instruments ou l'emploi de substances qui ne sont pas à la portée de tout le monde. »
Laissez-moi vous citer encore quelques faits historiques, car les faits sont tout en cette matière.
Van Swielen et Baudeloque, deux grandes illustrations, citent trois observations de femmes qu'on croyait mortes et sur lesquelles on allait pratiquer l'opération césarienne, lorsqu'elles revinrent de leur état léthargique. Peu rapporte un exemple encore bien plus propre à effrayer. Il allait commencer son incision, lorsque la femme fit un tressaillement accompagné de grincements de dents et de remuement des lèvres. Trinchinetti parle d'un cas beaucoup plus malheureux. La femme qu'on croyait morte n'était qu'en syncope. L'opération l'a tuée, et le sang artériel fut dardé sur le chirurgien pendant qu'il incisait la matrice. (Velpeau.)
J'en passe de non moins remarquables, assuré que je suis, messieurs, que ce que je viens de vous dire suffira pour dissiper vos doutes et affermir vos convictions. Tous, tant que vous êtes, vous direz avec moi : « Si des hommes d'une grande valeur, des illustrations ont pu se tromper d'une manière si déplorable dans certaines circonstances, combien d'erreurs ne doivent pas, ne peuvent pas être commises par ceux qui n'ont rien appris, parce qu'on ne leur a rien enseigné, et dès lors n'est-ce pas pour nous, législateurs, un devoir impérieux d'intervenir fermement et efficacement ? »
Et la vie de l'enfant, messieurs, comment un homme étranger à l'art de guérir saura-t-il qu'elle continue à exister après la mort de la mère ? Et il est indispensable qu'il le sache, car à quoi servira de faire l'opération césarienne s'il n'y a plus de vie fétale ? Qui l'aura initié à ces détails ? Comment et où se sera-t-il exercé à le constater ?
On a raconté à plaisir des fables sans nombre, sur la persistance de la vie fétale après la mort de la mère. Je dis des fables, messieurs, car il n'y pas de faits régulièrement recueillis, méritant toute croyance, qui démontrent que cette vie est possible très peu de temps après la mort réelle de la mère.
Les auteurs sont unanimes sur ce point, je n'en excepte pas même Désormeaux, dont feu l'archevêque de Malines a cru devoir invoquer l'autorité dans l'instruction du 14 août 1831. Voici ce que je lis dans un des ouvrages de cet écrivain : « Il n'y a pas de doute que lorsqu'une femme enceinte meurt, on doit procéder à l'extraction de l'enfant, à moins que l'on n'ait la certitude qu'il est mort avant sa mère ; mais cette certitude ne peut pas le plus souvent s'acquérir complètement. Souvent aussi, il en est de même par rapport à la mort de la mère. En effet, quoi que l'on ait dit de la valeur de certains signes pour prouver la réalité de la mort, il est des cas où l'on ne peut sortir d'incertitude qu'en laissant s'écouler un espace de temps qui occasionnerait certainement la perte de l'enfant, car on ne peut espérer de le sauver qu'en opérant immédiatement après la mort. Ainsi la précipitation peut être fatale à la mère et les retards seraient infailliblement pour l'enfant. »
Voilà ce que dit Desormeaux, l'autorité invoquée par l'archevêque. C'est clair, c'est net, ce me semble. Il faut opérer à temps, ni trop tôt, ni trop tard. Voilà la règle admise non seulement par Desormeaux, mais par tous. D'un autre côté, de l'avis de tous encore, il faut pratiquer l'opération avec les mêmes précautions, le même soin que sur la femme vivante, dans la crainte qu'une léthargie ne simule la mort. Et qui donc pourra faire de ces préceptes une application sérieuse et utile, si ce n'est celui qui aura fait de la matière une étude spéciale et pratique ?
Je sais bien et je me hâte de le dire, des membres du clergé, car tous ne sont pas du même avis, croient remplir, dans ces terribles circonstances, un saint devoir. Ce n'est pas moi qui essayerai de le nier ; j'ajouterai même, si l'on veut, qu'il faut qu'ils s'arment d'un bien grand courage, car l'opération est épouvantable. Mais qu'importe ? Cela diminue-t-il en quoi que ce soit le danger que court la malheureuse opérée et n'est-ce pas, au contraire, un motif de plus pour que la loi vienne arrêter des élans généreux qui peuvent conduire à de terribles catastrophes ?
Je tiens à vous démontrer même que ce sentiment du devoir, porté jusqu'à ses dernières limites, est mal compris et peu éclairé chez nos prêtres, et pour cela je vous demande la permission de vous parler encore une fois de la très fâcheuse instruction de feu l'archevêque de Malines.
Les recommandations qui y sont faites sont, dit le saint prélat, approuvées par la faculté de médecine de l'université de Louvain.
J'en suis fâché, mais la vérité est que cette faculté n'enseigne pas qu'il faut pratiquer l'opération césarienne en vue de l'administration du baptême.
Je le prouve et je l'en loue.
Voici ce que je lis dans un discours prononcé, le 30 octobre 1852, au sein de l'Académie de médecine, par mon savant ami, M. le professeur Hubert, chargé du cours d'accouchements dans ladite université, et très certainement M. Hubert ne donne pas, à l'université, un enseignement (page 135) contraire à ses discours académiques. Il s'agissait de l'opération césarienne à pratiquer, dans certaine éventualité, sur une femme encore vivante :
« Si, par extraordinaire, disait l'éminent professeur, elle s'y opposait obstinément, je baptiserais l'enfant, et, immédiatement après la mort de la femme, je ferais l'opération. »
Voilà le précepte absolu, général, messieurs ; voici l'application : Après avoir fait l'histoire des souffrances d'une de ses clientes, M. Hubert continue comme suit :
« La question de l'opération césarienne est soulevée (dans la consultation). La patiente y consent sans hésiter, et cependant nous ne la pratiquons pas.
« Pourquoi ? Cela vous étonne ! Parce que cette dame se croyait dans la stricte obligation de se sacrifier pour son enfant, et qu'il était de notre devoir de la désabuser. Mais, nous dit-elle, si vous n'opérez pas, que va-t-il arriver ?
« Votre enfant succombera probablement, et nous pourrons alors vous délivrer par un autre moyen.
« Et ne serais-je point coupable de sa mort ?
« Nullement, car il est baptisé, et votre confesseur vous dira, comme nous, que ni la morale, ni la religion, ne vous obligent à exposer gravement vos jours dans son intérêt purement temporel, »
Baptisé dans le sein de la mère, messieurs ! Ne le perdez pas de vue !
Voilà, messieurs, l'enseignement de la faculté de médecine de Louvain sur l'administration du baptême ; c'est positif, ce me semble, et remarquez que le discours de mon honorable ami a été prononcé plus d'un an après l'instruction de l'archevêque.
Eli bien, je vous le demande hautement à tous, est-ce que l'on ne peut pas faire sur un cadavre, ou ce que l'on suppose être un cadavre, ce que l'on fait sur une personne en pleine possession de la vie ? Et pourquoi faut-il absolument baptiser d'une manière différente l'enfant à terme de la mère morte et celui de la mère vivante, renfermés encore l'un et l'autre dans le sein maternel ? N'avais-je donc pas raison de dire que ce sentiment du devoir qu'on invoque, est peu éclairé et mal compris ?
Qu'a-t-on à me répondre à cela ? Est-ce que l'enseignement de la faculté de médecine de Louvain ne serait pas orthodoxe, par hasard ? Gardons-nous de le croire. S'il y avait eu quelque chose à reprocher à son orthodoxie, il y a longtemps qu'il eût été condamné. Nous savons à quoi nous en tenir à cet égard.
Pourquoi donc, en présence de cet enseignement, l'instruction épiscopale de 1851 est-elle encore debout ? Pourquoi n'a-t-elle pas été retirée ? Pourquoi les prêtres continuent-ils toujours à pratiquer l'opération césarienne, et Dieu sait comme !,.. Ce n'est pas à moi à le dire. Mais si l'autorité ecclésiastique peut avoir ses motifs pour ne rien changer à ses déterminations, nous, législateurs, nous avons les nôtres pour faire ce que nous imposent et les droits de l'humanité et le respect des intérêts temporels de nos concitoyens, que nous avons à sauvegarder, et j'espère bien que nous n'y faillirons pas.
Ce n'est pas tout. Je vous ai dit en commençant que l'arrêt de la cour de cassation est intervenu à l'occasion d'une section césarienne pour conférer le baptême à un fœtus de quatre mois et demi, non viable par conséquent. Cette section à quatre mois et demi est déjà un fait exorbitant. Mais le mal est bien plus grand encore. On ne se borne pas à ce terme-là. Les prétentions épiscopales vont bien plus loin. L'instruction du 14 août 1851 va jusqu'à recommander l'opération, dès que la grossesse date de quarante jours.
- Un membre. - C'est trop fort.
M. Vleminckxµ. - Mais il faut bien que je prouve qu'une loi est nécessaire.
De quarante jours, messieurs ! C'est ahurissant ! Quoi ! il n'y a pas d'homme de l'art au monde qui se permette d'affirmer qu'il y a grossesse au quarantième jour, et on ne craint pas de recommander de fouiller une fille une femme, une mère qui non seulement peut n'être pas morte, mais qui peut même n'être pas enceinte ! Et pourquoi ?... Dans l'unique but de conférer le baptême à des rudiments embryonnaires ! J'ai de grands motifs pour ne pas aborder ici, devant vous, l'examen de cette délicate question ; la Chambre les comprendra et approuvera, j'en suis certain, ma discrétion. Il me suffit de lui avoir signalé qu'il y a dans cette recommandation épiscopale, une nouvelle et plus puissante raison pour y répondre par un texte de loi, clair, précis et coupant court à toutes les arguties des théologiens.
Je me résume, messieurs. Je n'ai pas la prétention de formuler le projet que l'état de choses que je viens de vous signaler, rend indispensable. Je me borne à indiquer les points que, à mon avis, il doit chercher à résoudre.
Deux dispositions, au moins, me semblent nécessaires : l'une d'elles (page 135) réprimerait les outrages, de quelque nature qu'ils soient, commis sur un cadavre, avant la sépulture, ainsi que l'ont fait d'autres pays cités par l'honorable avocat général Faider dans son réquisitoire, à savoir : la Sardaigne, la Prusse et le Portugal ; l'autre comminerait des peines sévères contre quiconque aurait pratiqué, sans droit, une opération chirurgicale quelconque, sur le corps d'une personne morte ou supposée morte.
Il est impossible que ces garanties ne soient pas données à la société.
J'aime à croire que la Chambre partagera cette manière de voir. Il ne peut y avoir de division parmi nous lorsqu'il s'agit d'entourer de protection la vie humaine, lorsqu'il s'agit de punir les outrages qu'on peut commettre sur des restes humains.
Quels scrupules, du reste, nous arrêteraient ? N'avons-nous pas d'une part, en ce qui concerne l'opération césarienne, l’enseignement orthodoxe de l'université catholique de Louvain, et de l'autre, l'opinion licitement formulée par d'éminents prélats sur l'administration du baptême quo meliori modo ?
Est-ce que cela ne suffît pas ? Pourquoi donc hésiterions-nous ?
Je m'attends donc à ce que l'honorable ministre de la justice nous mette très prochainement à même de résoudre cette importante question : le pays le demande, le pays le demande vivement, et le pays a raison. J'espère, par conséquent, obtenir de l'honorable ministre une promesse formelle à cet égard.
M. Lelièvreµ. - La Chambre a renvoyé à l'examen de la section centrale une pétition par laquelle des intéressés sollicitent un supplément de traitement en faveur des fonctionnaires qui remplissent les fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police.
Cette pétition est fondée sur des motifs irrécusables.
Aujourd'hui les amendes prononcées du chef des contraventions appartiennent à l'Etat. Il est donc naturel que le trésor public supporte une part dans le traitement de magistrats qui exercent leurs fondions dans l'intérêt général.
Cela est d'autant plus équitable que les commissaires de police, qui sont les auxiliaires du procureur du roi, sont aujourd'hui chargés d'une besogne considérable dans l'intérêt de la vindicte publique.
Il est donc tout naturel que leurs fonctions soient rémunérées par l'Etat.
Les commissaires de police sont de véritables substituts du procureur du roi. Cette partie de leur mission devenue si importante est étrangère aux intérêts communaux. Elle touche directement à l'intérêt social, elle est de la même catégorie que les fonctions des autres agents du ministère public. Il est donc rationnel que l'Etat intervienne dans la rémunération accordée aux officiers chargés de l'exercice de cette portion de la puissance publique.
Je dois appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur un fait qui s'est produit il y a quelque temps.
Un individu, qui n'était pas constitué en état de détention préventive, a été condamné par la cour de Bruxelles à un emprisonnement.
S'il faut ajouter foi à la relation de certains journaux, le condamné aurait été écroué avant que le délai de trois jours francs, accordé par la loi pour se pourvoir en cassation, fût écoulé.
Je ne puis concilier cette incarcération avec la loi du 10 février 1866 (article 2), qui a dispensé les prévenus de se mettre en état de détention avant de se pourvoir en cassation. A mon avis, l'exécution d'un arrêt est suspendue pendant le délai de trois jours accordé pour le recours en cassation. Par conséquent, lorsque le prévenu n'a pas été mis en état de détention préventive, il ne peut être écroué avant l'expiration de ce terme.
Tel est évidemment l'esprit de la loi du 10 février 1866.
Je pense également qu'il y a nécessité de proposer des mesures plus libérales, en ce qui concerne la détention préventive. Si l'on admet la doctrine émise par l'honorable M. Bouvier, à l'occasion de l'affaire Saint-Genois, il en résulte que quand il s'agit de crimes commis par la voie de la presse, l'imprimeur, qui même a fait connaître le nom de l'auteur, doit être écroué au moins postérieurement à l'arrêt de la chambre d'accusation qui renvoie la cause devant la cour d'assises. Cette opinion démontre la nécessité de modifier dans un sens plus équitable la loi de 1852.
Je prie donc M. le ministre d'étudier cette matière importante et de proposer un projet de loi de nature à sauvegarder la liberté individuelle.
Il est, du reste, aujourd'hui reconnu que la loi de 1852, sur la détention préventive, est insuffisante et qu'elle doit, dans l'intérêt de la liberté, subir d'importantes modifications.
Ne perdons pas de vue que l'imprimeur, même alors qu'il a fait connaître le nom de. l'auteur, doit, en matière de crimes commis par la voie de la presse, être renvoyé devant la cour d'assises. Dès lors il doit être mis en état de détention préventive. Cette détention, en effet, a lieu en matière criminelle, non seulement pour assurer l'exécution de l'arrêt, mais aussi pour (page 136) empêcher que la poursuite ne subisse des entraves. Un accusé qui ne comparaîtrait pas devant la cour d'assises empêcherait qu'il ne fût donné suite au jugement. La cour d'assises ne pourrait statuer, et le jugement devrait être différé. Or, un pareil régime réclame la sérieuse attention du gouvernement. Il est impossible de le maintenir ; et s'il avait fixé l'attention du législateur lors du décret de 1831, on aurait certainement porté des dispositions propres à prévenir les inconvénients auxquels donnent lieu de pareilles rigueurs.
Je pense donc que l'ordre de choses signalé par M. Bouvier exige des dispositions nouvelles, conformes à ce que réclame l'équité en semblable matière.
Aujourd'hui on ne pourrait même accorder la mise en liberté provisoire à l'imprimeur renvoyé devant la cour d'assises, parce que rien ne garantirait sa présence, au jugement, présence indispensable pour statuer contradictoirement, même vis-à-vis de l'auteur de l'écrit. Il existe donc dans la législation une lacune regrettable qu'il faut s'empresser de faire disparaître.
Enfin j'appelle l'attention du gouvernement sur la nécessité de proposer des dispositions nouvelles concernant la révision des jugements et arrêts rendus en matière répressive.
La France nous a devancés à cet égard par la loi du 11 mai 1867 qui a introduit dans la législation des dispositions conciliant parfaitement les droits de la société avec ceux des citoyens. En suivant la même voie, nous réaliserons un important progrès.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je désire présenter une observation sur l'ordre de la discussion. Il y a beaucoup de questions à discuter à l'occasion du budget de la justice ; si tous les orateurs s'engagent dans des sujets différents, il est évident que l'esprit sera ballotté d'un point à un autre. Il me semble, qu'il vaudrait mieux ouvrir des discussions séparées ; si, par exemple, on veut commencer par la pétition des journalistes, je suis à la disposition de la Chambre, mais il est évident que le rapport sur la pétition des journalistes ne se rattache que d'une manière indirecte au budget de la justice ; qu'on le discute donc avant ou après, mais je crois qu'il serait bon de le discuter séparément.
M. Dumortier. - Je crois, messieurs, qu'il vaudrait mieux discuter le rapport sur la pétition des journalistes après le budget de la justice ; sans cela, nous n'aurons pas de discussion du budget de la justice. Voilà l'honorable M. Vleminckx qui vient soulever une discussion sur ce qu'il appelle la violation des cadavres. Eh bien, je veux dire quelques mots à cet égard.
L'honorable M. Vleminckx s'est beaucoup étendu sur cette violation des cadavres. Il a parfaitement raison. Il faut respecter les cadavres, même dans les cimetières catholiques. Je suis tout à fait de cet avis ; mais pourquoi l'honorable membre vient-il ici déclarer la guerre à une circulaire de l'archevêque de Malines, que je ne connais pas, à un curé qui a fait l'opération césarienne sur une femme morte, pour pouvoir, s'il était possible, laisser la vie à l'enfant vivant qu'elle portait dans son sein ? L'honorable membre appelle cela la violation des cadavres.
M. Vleminckxµ. - Non.
M. Dumortier. - Ce sont, d'après lui, des monstruosités. Et, là-dessus, les tirades que vous avez entendues et qui sont très ronflantes. Je demanderai à l'honorable membre, qui veut un projet de loi sur la matière, si, par violation de cadavres, il entend aussi ces dissections des hommes et des femmes qui se font dans les amphithéâtres ?
Pour attaquer ce pauvre curé, ce pauvre vicaire, qui a prêté son concours pour tirer l'enfant du sein de sa mère, alors que vous mettez sous votre patronage tous les actes des carabins qui dissèquent les cadavres ? J'avoue que c'est là une logique qui ne me va pas.
D'abord il n'y a qu'un seul moyen certain, mon honorable collègue, de constater la mort, c'est la décomposition et, dans les amphithéâtres, on se garde bien d'attendre la décomposition.
Eh bien, si vous voulez empêcher par une loi qu'un curé ou un vicaire ne procède à l'opération césarienne sur une femme morte, empêchez aussi, pour être logique, qu'on ne dissèque les cadavres dans les amphithéâtres.
Vous le savez, bien souvent, la section césarienne a sauvé la vie d'un enfant. Le grand César a été sauvé par ce moyen, et c'est de lui que l'opération a pris son nom. Eh bien, je demande si, en présence de pareils faits, on peut appeler cette opération la violation des cadavres et des sépultures, alors que, dans les amphithéâtres, on livre les cadavres aux jeunes médecins pour les découper à leur guise. C'est là ce qui serait plutôt la violation des cadavres et des sépultures.
Ne soyons pas guidés par un malheureux esprit de parti, parce qu'il s'agit de soutane et de calotte.
Il y a des circonstances ou les cadavres doivent être disséqués, car la dissection fait souvent découvrir les moyens de guérir les vivants. D'un autre côté, l'opération césarienne sur des femmes mortes a sauvé la vie à une foule d'enfants.
Il ne faut donc pas procéder par principes absolus.
Je sais que pour la Faculté qui s'honore d'avoir l'honorable membre à sa tête, le cadavre est la propriété du médecin. Mais, pour mon compte, je ne suis pas de cet avis. Je dis que, dans une pareille matière, un peu de prudence, un peu de laisser faire, joint à tout ce que l'humanité commande, est ce qu'il y a de mieux.
Vous avez les tribunaux pour réprimer les faits coupables. Si un vicaire avait fait l'opération césarienne et que la femme vécût, vous ne songeriez pas à le traîner devant les tribunaux ; pourquoi vous montrer plus sévère lorsque la femme est morte ?
M. Vleminckxµ - L'honorable M. Dumortier a confondu deux choses : la pratique de l'opération césarienne, et les outrages faits, avant leur sépulture, aux personnes décédées.
J'ai demandé deux dispositions : une première qui ait trait à ces outrages et que je ne confonds pas avec la pratique de l'opération césarienne, et une seconde qui punisse quiconque, sans en avoir le droit, pratique cette opération sur une personne morte ou présumée morte.
M. Van Overloopµ. - Vous invoquez les lois sur l'exercice de l'art de guérir à propos des sections césariennes opérées sur des cadavres, niais du moment qu'il y a cadavre, il ne peut plus être question de l'art de guérir.
M. Vleminckxµ. - Sans doute, mais il faut qu'il y ait véritablement cadavre.
Voyez, messieurs, jusqu'où vont les lois actuelles sur l'art de guérir ; elles refusent même le droit de faire ces opérations à ceux qui exercent une partie de l'art de guérir, elles refusent notamment ce droit aux sage-femmes et vous voulez qu'on l'accorde à des hommes qui n'ont rien absolument appris ; tandis que nos sage-femmes savent au moins quelque chose.
Si nous demandons une loi pour que nul ne puisse faire à l'avenir une opération qu'il ne connaît pas, c'est que nous voulons, avant tout, protéger la vie humaine.
Et quant à ce que vient de dire l'honorable M. Dumortier, que bien des enfants ont été sauvés à l'aide de l'opération césarienne, je lui réponds que cela n'est pas exact ; le. nombre en est excessivement restreint, et le résultats heureux a dépendu surtout de l'action immédiate d'un homme capable, et non de celle du premier venu.
J'insiste donc, messieurs, et je demande, non pas qu'on traduise actuellement devant les tribunaux ceux qui commettent les actes dont nous nous occupons, mais une loi qui atteigne dans l'avenir, d'une part, ceux qui commettent des outrages sur des restes humains et, de l'autre, ceux qui font des opérations chirurgicales, même sur des cadavres, avant que la mort ait été dûment constatée.
M. Delcourµ. - Je ne croyais pas que nous aurions eu à nous occuper aujourd'hui de la question que vient de soulever l'honorable M. Vleminckx.
Cette question doit être envisagé à deux points de vue ; d'un côté, elle touche aux intérêts religieux les plus considérables ; d'un autre, elle se rattache à l'ordre social lui-même.
Je ne veux pas entrer dans tous les détails que comporte cette vaste question. L'honorable M. Vleminckx a parlé de la faculté de médecine de Louvain, il a invoqué le témoignage d'un de mes honorables amis ; or, je tiens à déclarer que, consultant dernièrement mon honorable collègue sur les conséquences de l'opération césarienne, je n'ai pas compris ces paroles avec le sens qu'y attache M. Vleminckx. Cet éminent professeur, auquel il a été fait allusion, a émis, en ma présence, des appréciations qui sont bien loin de s'accorder avec celles que lui prête l'honorable M. Vleminckx.
M. Vleminckxµ. - Son discours est dans le Bulletin de l'Académie.
M. Delcourµ. - Je ne puis pas entrer dans tous ces détails, mais si la Chambre veut m'y autoriser, demain, je lui apporterai les convictions et les paroles de mon honorable et savant ami. (Interruption.)
Evidemment, en parlant de demain, j'entends seulement réserver mon droit de revenir sur la question, si c'est nécessaire et utile.
Je viens de dire, messieurs, que la question soulevée par l'honorable M. Vleminckx est à la fois religieuse et sociale. Je ne crois pas que nous ayons à nous préoccuper beaucoup de la question religieuse dans cette enceinte ; nous ne sommes pas appelés à faire les lois canoniques, à décréter ou à interpréter les principes théologiques en cette matière délicate.
(page 137) Cependant, je ne puis me dispenser d'affirmer que les conditions indiquées par l'honorable M. Vleminckx pour faire l'opération césarienne sur une femme morte sont prescrites dans tous les rituels qui sont en usage dans le pays. Le devoir ne commence qu'après la mort constatée et s'il est impossible de procurer l'accouchement par les moyens ordinaires. Ce devoir est imposé encore par le rituel romain, qui est obligatoire dans toute l'Eglise.
Non, messieurs, je ne veux pas toucher aux détails de la question religieuse ; permettez-moi seulement de dire un mot de la question sociale.
L'honorable M. Vleminckx s'est écrié : Mais n'est-il pas horrible d'obliger des personnes qui n'ont aucune notion de l'art médical, de se livrer à une telle opération ?
Messieurs, si l'honorable M. Vleminckx avait, comme moi, l'habitude de feuilleter les lois romaines, il aurait rencontré dans la législation du grand peuple romain une disposition formelle sur la matière, (erratum, page 148) la loi Regia ; et veuillez remarquer que cette loi remonte aux premiers temps de Rome. Elle est de plusieurs siècles antérieure au christianisme, car on l'attribue à Numa. Eh bien, messieurs, cette loi romaine, qui se trouve dans le Digeste, défend de faire l'inhumation d'une femme morte enceinte, sans avoir retiré l'enfant de son sein.
Les considérations que les jurisconsultes romains invoquent à l'appui de cette loi sont puisées dans la charité, dans l'ordre politique et dans le droit naturel.
Il faut, disent-ils d'abord, conserver les citoyens à la patrie ; ils disent, en second heu, qu'il y a pour l'homme qui peut sauver un citoyen romain, non seulement un devoir de charité, mais encore un devoir de droit naturel.
Et, messieurs, c'est en présence de ce témoignage rendu par l'antiquité, par un peuple païen, à un sentiment d'humanité, qu'on ose nous parler des principes d'une théologie surannée ?
Lorsque l'Eglise a imposé aux hommes de l'art et, en leur absence, aux personnes capables de le faire, l'obligation de procéder à la section césarienne, qu'a-t-elle fait, si ce n'est de compléter la législation romaine ? Ce sont là des choses qu'on ne devrait jamais oublier.
L'honorable M. Vleminckx vous a parlé de la théologie comme d'une science absurde, remplie de subtilités.
Eh bien, je dis moi, pour ne pas sortir du sujet que nous discutons en ce moment, que la loi religieuse est une nouvelle consécration de la loi naturelle.
Si, déjà, sous l'empire d'une législation éminemment païenne, la loi défendait d'enterrer une femme morte enceinte avant d'avoir extrait l'enfant de son sein, je vous demande, messieurs, quel doit être le caractère de ce devoir, si vous placez, à côté de la vie naturelle de l'enfant, sa vie spirituelle, mille fois plus précieuse aux yeux des catholiques ?
J'affirme que l'Eglise s'est montrée, dans cette circonstance, ce qu'elle est toujours, grande, sublime et divine.
La Chambre comprendra ma protestation après avoir entendu les paroles de l'honorable M. Vleminckx.
M. Vleminckxµ. - L'honorable M. Delcour parle au nom de l'Eglise comme s'il était lui-même un Père de l'Eglise. Mais qu'il sache donc que tous les Pères ne partagent pas l'opinion de l'archevêque de Malines et d'autres. Ainsi, voici ce que je lis encore, dans le réquisitoire de l'honorable M. Faider, dont je parlais toutt à l'heure.
M. Dumortier. - Est-ce un Père de l'Eglise celui-là ?
M. Vleminckxµ. - Non, pas lui, mais un autre, dont vous allez entendre le nom.
Voici donc ce passage :
« Le cardinal Gousset (est-ce un Père celui-là ?), sur ce passage du Rituale romanum : Nemo in utero matris clausus baptisari debet, ajoute : Cependant, dans les accouchements laborieux, si on craint que l'enfant ne meure dans le sein maternel, la sage-femme ou le chirurgien doit, si on juge la chose possible, le baptiser, en faisant parvenir l'eau que meliori modo, sauf à faire réitérer le baptême, sous condition, si l’enfant vient à naître. »
Eh bien, mon argument est celui-ci : ce que vous voulez faire pour l'enfant quand la mère est vivante, vous pouvez le faire pour lui quand la mère est morte : Réfutez-le.
Pourquoi donc alors les instructions épiscopales de 1851 restent-elles encore debout ? Pourquoi ne sont-elles pas encore retirées ?
Comment ! il y a partout dans le pays des sage-femmes, des chirurgiens, des accoucheurs, et on voit encore des prêtres faire ces tristes opérations !
Mais pourquoi donc ? Cela ne saurait se justifier. Je dis qu'ils sont inexcusables pour deux raisons, la première, c'est qu'ils ne savent pas réellement constater si la mère est morte ; la seconde, c'est qu'ils ne savent pas pratiquer l'opération.
Toujours est-il qu'on peut très bien se dispenser de faire l'opération, sans violer le moins du monde les lois de l'Eglise ; à moins qu'on ne veuille absolument administrer l'eau du baptême à un fœtus de 40 jours.
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole ?... Je crois qu'il n'entre pas dans les intentions de la Chambre de clore aujourd'hui la discussion générale du budget de la justice. (Non ! non !)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable M. Vleminckx a interpellé le gouvernement, et le gouvernement se propose de répondre à la question qui lui a été posée ; mais, évidemment, il y a lieu de remettre à un autre moment la discussion que les honorables MM. Dumortier et Delcour ont entamée aujourd'hui.
- La Chambre, consultée, décide qu'elle s'occupera demain de la discussion du rapport sur la pétition de MM. les journalistes, et qu'ensuite elle reprendra la discussion générale du budget de la justice.
- La séance est levée à 4 heures et demie.