(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)
(page 76) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/2 heures.
M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Dethuinµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Oger demande que le gouvernement fasse abattre les arbres qui bordent la route de Luxembourg, de Namur à Arlon. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Bertin se plaint que les officiers de tous grades distraient des soldats du service en les employant dans leur intérêt personnel, sous la dénomination d'ordonnances, comme cochers, laquais, etc., et demande qu'il leur soit interdit de prendre leurs viandes aux boucheries militaires. »
M. Coomans. - Je prierai la Chambre de demander un prompt rapport sur cette pétition, afin que nous puissions nous en occuper lors de la discussion du budget de la guerre.
- Adopté.
« Le sieur Guillaume Lenaers, garde de bois à Oostcamp, né à Stamproy (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation adressée à la législature par le sieur Uihlein. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le sieur De Meulenaere demande un congé pour son fils, milicien au 2ème lanciers, ou un secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Koukelberge prie la Chambre d'ordonner une enquête sur la situation de la caisse de prévoyance en faveur des pêcheurs. »
M. de Clercqµ. - Cette pétition réclame une enquête sur la manière dont fonctionne une caisse de prévoyance, établie à Blankenberghe. Il paraît que depuis quelque, temps déjà il y a des irrégularités graves dans la gestion de cette caisse. Or, il y a péril en la demeure, car nous sommes aux portes de l'hiver.
Je. demande donc que la Chambre veuille décider qu'un prompt rapport sera fait sur cette pétition.
- Adopté.
« Le sieur Aubertin demande l'abolition de la contrainte par corps. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la contrainte par corps.
« Le sieur Beauprez adresse à la Chambre une pétition des membres de l'Union commerciale et industrielle de Liège relative au projet de loi sur les protêts. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Lautier présente des observations contre la demande de place faite par le sieur Debry. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur De Laet prie la Chambre de s'occuper du projet de loi sur la contrainte par corps et, en attendant, d'augmenter la pension alimentaire des détenus ou de leur accorder des droits aux aliments de la prison. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent l'abolition de la loi sur l'art de guérir. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à la police et à la discipline médicales.
« Le sieur Rutgeerls prie la Chambre d'apporter des modifications au mode de nomination des notaires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Demander réclame l'intervention de la Chambre pour que son mari, qui a été transféré à Gheel, soit ramené à Bruxelles. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Tanret, Terson et autres délégués des instituteurs primaires des communes rurales de l'arrondissement judiciaire de Charleroi, adressent à la Chambre 130 exemplaires de leur pétition à M. le ministre de l'intérieur, réclamant les bénéfices accordés par l'arrêté royal du 18 décembre 1855 aux instituteurs et professeurs urbains, et demandent une prompte solution de cette question. »
- Distribution aux membres de l'assemblée, dépôt à la bibliothèque et renvoi à la commission.
« Le sieur Verheggen prie la Chambre de lui remettre la croix de l'ordre de Léopold qu'il prétend lui avoir été conférée, ou de lui communiquer l'un des rapports adressés contre lui pour empêcher la remise de cette décoration. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Verheggen demande d'être poursuivi pour calomnie s'il a (page 77) énoncé le contraire de la vérité dans les pétitions tendantes a obtenir la décoration de l'ordre de Léopold qui lui aurait été conférée. »
- Même renvoi.
« Le directeur des postes à Bruxelles transmet 121 exemplaires de la nomenclature des rues, places, impasses, etc., de l'agglomération de Bruxelles. »
- Distribution aux membres de la Chambre.
« M. Neut adresse à la Chambre 126 exemplaires d'un ouvrage qu'il vient de publier sous le titré de : Attentats de la franc-maçonnerie à l'ordre social. »
- Distribution et dépôt.
« MM. Dolez, Thonissen, Broustin et Hayez demandent un congé. »
- Accordé.
« M. Mascart, dont les pouvoirs ont été validés dans une précédente séance, prête serment. »
« Le sieur Rutgeerts prie la Chambre d'apporter des modifications au mode de nomination des notaires. »
M. Wasseige. - Cette pétition soulève une question très importante et très actuelle ; il s'agit de savoir s'il ne conviendrait pas de changer le mode de nomination des notaires, mode dont nous avons pu apprécier récemment les inconvénients, pour y substituer un autre mode qui limiterait le choix du gouvernement par des présentations faites par divers corps, ainsi que cela avait été proposé déjà par la commission de législation chargée de la révision de la loi de ventôse an XI.
Cette pétition, par sa nature, je le répète, est très importante, et je prie la Chambre de vouloir la renvoyer à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
M. Bouvierµ (pour une motion d’ordre). - La Chambre ayant décidé le renvoi de la pétition des journalistes catholiques à la commission des pétitions en l'engageant à faire un prompt rapport, celle-ci a l'honneur de proposer, par mon organe, à l'assemblée de la saisir de ce rapport après la discussion du budget des voies et moyens, avant d'entamer le budget de la justice, auquel cette pétition se rattache, de manière qu'elle fasse corps avec la discussion de ce budget.
MfFOµ. - On pourrait la discuter lors du budget de la justice.
M. le président. - Je propose de discuter cette pétition en même temps que. le budget de la justice.
- Adopté.
MaeVSµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le. bureau les projets de loi suivants :
1° Portant augmentation de la dotation des chambres de commerce ;
2° Portant ratification du traité passé avec les Etats-Unis Concernant la position des naturalisés ;
3° Portant ratification du traité de commerce et d'amitié passé avec le royaume de Siam.
- Ces projets de loi seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il m'a semble, messieurs, en lisant la note préliminaire placée par M. le ministre des finances en tête du budget des voies et moyens de cette année, que nous étions conviés plus particulièrement à examiner à fond notre situation financière.
D'un autre côté, je crois que le mandat nouveau que j'ai reçu des électeurs m'oblige, plus que jamais, à exercer sur nos dépenses publiques un contrôle sévère et énergique.
Messieurs, le budget des voies et moyens qui nous est proposé s'élève a 174,376,000 francs ; les dépenses auxquelles ce budget doit faire face s'élève, vous l'avez vu dans le rapport de la section centrale, à la somme de 175,473,000 francs, d'où résulte un déficit de 797,000 francs.
Messieurs, ces chiffres, qui me paraissent bien élevés, n'ont suggéré à M. le ministre des finances aucune espèce de réflexions ; ou, s'ils lui en ont suggéré, ce n'est pas dans cette note préliminaire qu'il les a consignées, c'est dans le dernier rapport annuel sur la situation du trésor qu'il nous en fait part. Voici ce que j'y lis :
« Le trésor se trouve en présence d'engagements qui ne s'élèvent pas à moins de 58,921,780 fr. 58 c. à la date du 1er janvier de cette année et qui s'accroîtront encore de plusieurs millions par suite du vote de projets de loi soumis en ce moment aux délibérations de la Chambre.
« Celle-ci comprendra que, dans une pareille situation, et aussi longtemps que les causes qui affectent nos revenus n'auront pas cessé de faire sentir leur influence, notre devoir est de ne pas nous engager dans de nouvelles dépenses sans une sérieuse nécessité. »
La section centrale, acceptant cette manière de voir, paraît ne s'être préoccupée que d'une chose : c'est de la disparition des bonis qu'avaient laissés vos budgets des voies et moyens depuis 1858. Elle regrette la disparition de ces bonis.
Quant à moi, messieurs, je regrette, au contraire, que ces bonis aient jamais existé, car ce sont eux qui vous ont entraînés à laisser accroître successivement nos dépenses au point où elles en sont venues à ce jour, et d'où nous les ferons bien difficilement rétrograder, je le crains.
Messieurs, si le chiffre de 174 millions de votre budget des voies et moyens n'a suggéré de réflexions ni à M. le ministre des finances, ni à la section centrale, je dois avouer qu'il m'en a suggéré de plus d'une nature et de très sérieuses. C'est pour vous les communiquer que je me suis levé et que j'ai demandé la parole.
Messieurs, le budget des voies et moyens de l'Etat n'est pas seul destiné à faire face à toutes nos dépenses d'utilité publique.
Outre que celles-ci s'accroissent des crédits spéciaux dont je devrai parler tantôt, il faut encore pourvoir à d'autres services, aux dépenses provinciales et communales ; mais comme nous ne sommes pas en mesure, tous les ans, d'avoir les chiffres de l'année précédente, j'ai dû, pour obtenir le montant de ces dépenses, m'en référer au dernier volume de la situation du royaume, qui nous a été distribué avec les documents de la Chambre ; c'est donc d'après ce document officiel que je vais vous donner l'état des dépenses publiques auxquelles nous avons dû faire face dans le cours de cette année.
Jin 1865, nous avons dépensé :
Pour l'Etat : 186,223,129 fr. 58
Pour les provinces : 7,598,960 fr.
Pour les communes au-dessus de 5,000 habitants : 44,645,057 fr.
Pour les communes de 5,000 âmes et au-dessous. : 28,707,062 fr.
Total ; 266,972,200 fr. 58.
J'ai relevé et j'ai communiqué à la Chambre, il y a deux ans, je pense, les dépenses faites en dehors de celles-ci, qui n'en sont pas moins des dépenses obligatoires, utiles, nécessaires même ; je veux parler des dépenses des bureaux de bienfaisance et des hospices. Je les ai cherchées dans la situation du royaume, mais je ne les y ai pas trouvées, mes renseignements ne remontent pas au delà de 1852 ; je ne cite ces dépenses que pour mémoire.
266 millions.... Voilà donc à quoi s'est élevée, en 1865, la dépense totale de nos services publics.
Quels sont les moyens d'y faire face ? Quelles sont les ressources où nous pouvons puiser, pour trouver cette énorme somme annuelle ?
Il est impossible que nous soldions des dépenses quelconques sans les imputer soit sur le revenu, soit sur le capital. J'aime à croire que, jusqu'à présent, nous n'avons pas entamé notre capital et que nous nous sommes bornés à puiser dans nos revenus.
Je prends la dernière péréquation cadastrale, et j'y trouve que le revenu foncier, le seul qui soit certain, qui tout au moins ne. soit pas sujet à de grandes et brusques variations, tout au moins, s'élève à 282 millions.
Or, nos dépenses publiques s'élèvent à 266 millions ; donc pratiquement l'administration de nos affaires publiques nous enlève à peu près la totalité de notre revenu foncier. Heureusement que ce revenu n'est pas le seul avec lequel nous puissions faire face à nos dépenses. Sans quoi, je me demande ce que nous deviendrions si nous maintenions au chiffre actuel les dépenses de notre administration publique. J'ai cherché à me rendre compte du chiffre véritable auquel s'élève le revenu net actuel du pays on plutôt de la nation belge. J'ai cherché dans les documents statistiques qui sont mis à notre disposition. J'ai dû, pour quelques-uns, me livrer à des appréciations arbitraires, mais je vais les soumettre à votre appréciation afin, messieurs, que vous en puissiez juger vous-mêmes.
Le revenu foncier, officiellement relevé dans la péréquation cadastrale, s'élève donc, comme je l'ai dit plus haut, à 282 millions.
Il y a des parties du pays du le revenu foncier n'a pas été estimé à sa hauteur réelle, tandis que dans d'autres, je le sais par ma propre expérience, il a été évalué au delà de sa valeur réelle. Tenant compte de ces différences (page ) avec la réalité des choses, et tenant compte aussi des bénéfices propres aux fermiers et cultivateurs, j'estime que cette partie du revenu peut s'élever à 200 millions. Et notez bien, messieurs, que le revenu provenant de cette source n'est pas certain, est aléatoire ; que de mauvaises récoltes peuvent le réduire à néant et que beaucoup de causes peuvent l'atténuer.
Je considère donc ces 200 millions produits de l'industrie agricole et de celle de la bâtisse comme un maximum dans les meilleures circonstances.
Les mines de charbon, d'après les documents officiels déjà cités, ont, en 1865, produit 151 millions, sur lesquels on a réalisé un bénéfice de 25,000,000.
Les mines métalliques ont donné un bénéfice de trois millions ; les carrières un bénéfice de cinq millions.
Les forgeries de fer, etc., etc., ont donné une. production de 80 millions, or si j'estime le bénéfice à 10 p. c. le revenu net est donc de 8 millions.
Les autres métaux ont donné une production brute de 39 millions. Estimant aussi les bénéfices à 10 p. c., du la production, j'arrive encore à un produit net de 3,900,000 fr.
Je n'ai pas de moyens d'apprécier les bénéfices qu'ont donnés les autres industries, mais en les estimant à 75 millions, il me semble que je suis très large.
Enfin restent le commerce, les transports, etc., etc., sur lesquels nous avons très peu de données statistiques exactes ; mais en supposant qu'on y emploie un capital de deux millions, ce qui me paraît au delà plutôt qu'en deçà de la réalité et que le bénéfice net réalisé soit de 5 p. c, nous arriverons à un total de cent millions pour cette branche des revenus du pays. Ces chiffres réunis nous donnent un total de 710,000,000.
Voilà, messieurs, la somme à laquelle j'arrive par les modes d'appréciation que je vous ai soumis, comme étant le revenu dont nous disposons.
Les dépenses publiques s'élevant à 266 millions comme, je l'ai dit tantôt ; il reste donc au pays pour subvenir à toutes ses autres charges, et elles sont nombreuses, une somme de 443 millions.
D'où il résulte que la population belge, comprenant environ un million de familles, chaque famille a un revenu brut moyen, non compris les charges, de 710 fr. en moyenne. En déduisant les charges publiques 266, il reste 443 en moyenne comme revenu moyen de chaque famille.
Messieurs, je vous avoue qu'en passant ces chiffres en revue, je n'ai pu me défendre d'une sorte de sentiment de frayeur. Je me demande, ce qu'il arriverait, si une crise, comme il s'en est déjà produit, alimentaire, politique, guerre ou autre survenait et nous surprenait dans la situation où nous nous trouvons ?
Nous avons eu une crise alimentaire en 1846. Nous avons pu alors, en faisant de grands sacrifices, en faisant des dépenses extraordinaires, soulager quelque peu les populations les plus accablées. Mais alors nos dépenses ne s'élevaient qu'à 110 millions.
Mais aujourd'hui celles-ci ont augmenté dans une proportion beaucoup plus rapide que la population. En effet, en prenant nos budgets depuis 1840 dans les tableaux produits dans la note préliminaire du budget des voies et moyens, je trouve, dans le premier de ces tableaux, que de 1840 à 1844, le budget moyen était de 110 millions, de 1845 à 1849 de 118 millions, de 1850 à 1854 de 125 millions, de 1855 à 1859 de 140 millions et de 1860 à 1865 de 149 millions.
Vous le voyez, messieurs, la progression des dépenses est aussi constante que rapide, et si nous n'y prenons garde, si nous ne l'arrêtons pas, elle arrivera à déborder même le revenu foncier du pays.
Je dis donc que si une crise se produisait dans la situation où nous nous trouvons, nous ne pourrions avoir recours à aucune ressource, pour y faire face, sinon à l'emprunt. Or, en fait d'emprunts, nous sommes déjà arrivés excessivement loin. Nous ne sommes pas, à cet égard, dans une situation quitte et libre ; en un mot, nous sommes fortement endettés. A côté des dépenses et des revenus annuels, je crois donc devoir placer l'état de nos dettes, de ce que nous devons, de ce que nous ne pouvons pas ne pas payer.
En capital, l'Etat devait, avant le dernier emprunt, 633,290,000 francs, les provinces 535millions, les communes de 5 mille habitants et au-dessus : emprunts 90,046,444 francs et autres dettes 19,794,826 francs et les communes de moins de 5,000 habitants : emprunts 9,139,217 francs et autres dettes 7,341,397 francs. Total 814,610,023 fr.
Telle est, messieurs, la situation où nous sommes arrivés, et cela en pleine paix, en pleine prospérité ; sans avoir eu de crise sérieuse à traverser, n'ayant eu à subvenir, depuis plus de vingt ans, qu'à des charges ordinaires, nous ne sommes pas parvenus à administrer le pays sans grever l'avenir, sans nous endetter.
Messieurs, n'avais-je pas raison, en commençant, de vous dire que j'avais été ému de la situation où nous nous trouvons ? 814 millions de dettes publiques, 266 millions de dépenses annuelles pour un pays de 5 millions d'habitants !
Je sais que l'honorable ministre des finances, dans les divers tableaux qui forment la note préliminaire au budget des voies et moyens, semble se consoler de la hauteur de nos dépenses annuelles et de notre dette en prouvant que, répartie sur la population actuelle, la dépense par tête est plutôt diminuée qu'augmentée ; que le budget de la guerre, par exemple, qui coûtait à chaque habitant, en 1840, 7 fr. 65 c, n'absorbe plus, en 1865, que 7 fr. 11 c.
J'avoue, messieurs, que ces calculs m'ont excessivement peu consolé. Voici notre vraie situation : nous sommes, dans la position d'un père de famille qui, ayant une fortune territoriale limitée et ne pouvant pas l'agrandir, verrait s'accroître notablement sa famille, et qui, voyant ses dépenses annuelles s'augmenter en proportion, se dirait : Ce n'est rien, je dépense en somme moins qu'auparavant, puisque en divisant le chiffre de mes dépenses par le nombre de personnes dont se compose ma famille, je trouve que la dépense par tête est notablement diminuée. Ce n'est pas là la question ; la question est de savoir si la dépense est en rapport avec le revenu.
D'ailleurs un gouvernement est tenu, comme un particulier, de prévoir l'avenir et de prévoir les crises diverses qui peuvent diminuer les revenus de la nation, et les crises sont malheureusement très nombreuses et toujours à craindre par les temps qui courent.
Je dis plus, je dis qu'un Etat, plus encore qu'un particulier, est tenu à ménager les ressources de l'avenir et non pas à les gaspiller en dépenses qui ne sont pas absolument indispensables à la sécurité de la nation.
Messieurs, je me suis borné jusqu'à présent à vous exposer les faits, je vous en laisse l'appréciation. Cependant j'ai dû, en examinant ces chiffres, jeter un coup d'œil sur les causes qui ont amené cet accroissement continu de nos charges.
Je me suis dit que si nous n'avions pas d'action sur ces causes, il est inutile de chercher à limiter les dépenses de. l'Etat ; que si c'était par la force même des choses qu'elles allaient ainsi en s'accroissant sans cesse, autant valait rester assis sur mon banc et voter silencieusement les budgets. Mais, messieurs, en examinant ces causes, je suis arrivé à me convaincre que la responsabilité tout entière de cet accroissement repose sur nous.
C'est cette Chambre seule qui, d'après la Constitution et d'après la nature des choses, est responsable vis-à-vis du pays des dépenses qui se sont faites, qui se font et qui se feront dans l'avenir.
J'exprime ici, messieurs, ce que les Anglais appelleraient un truisme, une vérité incontestable et, cependant, c'est parce qu'elle ne me paraît pas avoir été toujours bien comprise que j'ai cru devoir la répéter aujourd'hui.
Pourquoi, messieurs, la Chambre n'a-t-elle pas résisté, davantage à l'accroissement constant des dépenses publiques ? Pourquoi même a-t-elle quelquefois poussé à leur développement ?
Dans les premières années qui suivirent 1830, grâce aux traditions conservées du Congrès national dont l'influence se faisait encore sentir, cette assemblée s'occupait beaucoup plus qu'aujourd'hui de l'envahissement des dépenses sur les revenus. Il y avait alors des discussions excessivement vives, violentes parfois à propos des moindres chapitres des budgets. On résistait.
Depuis, je dois le dire, cette résistance a décru et il m'est arrivé à moi-même de voter des sommes de 150 millions et plus sans beaucoup les discuter.
D'où cela vient-il ?
Il y a deux ans, messieurs, je vous ai laissé entrevoir la principale de ces causes ; j'ai démontré alors que le corps électoral sur lequel, en définitive, repose toute la responsabilité politique et notamment celle des voies et moyens et des dépenses, que le corps électoral, dis-je, est, sinon complètement, tout au moins très fortement influencé par ceux qui profitent des dépenses publiques, par ceux qui reçoivent le produit des voies et moyens que nous votons annuellement. J'ai alors démontré qu'à côté d'un corps électoral de 106,000 électeurs, dont la majorité effective se réduit à 45,000 ou 48,000 voix, il y a 32,000 familles de fonctionnaires qui exercent sur cette majorité une influence prépondérante, et c'est dans ce fait que je trouve le. secret de l'accroissement constant de nos dépenses. .
La pression de cette influence fait que la Chambre, contrairement aux (page 79) prévisions du Congrès et de la Constitution, au lieu d'être composée de défenseurs toujours vigilants des contribuables, doit souvent composer avec ceux qui ont un intérêt contraire, celui de voir les budgets s'accroître.
Voilà, et j'exprime ici ma sincère conviction, voilà la cause principale, sinon unique, du mal.
C'est parce que j'avais déjà cette conviction il y a deux ans, c'est parce que je croyais alors qu'un corps électoral plus nombreux serait moins influencé par cette pression, que j'ai proposé au projet de réforme électorale un amendement tendant à augmenter de 20,000 à 30,000 le nombre des électeurs.
Je n'ai pas pris la parole pour examiner aujourd'hui si la Chambre a eu tort ou raison alors de ne pas accepter cette proposition ; j'ai seulement été amené à justifier, aujourd'hui encore, ma manière de voir d'autrefois. Je crois donc encore aujourd'hui que si le corps électoral était renforcé par un plus grand nombre de contribuables, la Chambre trouverait dans le corps électoral ainsi augmenté l'énergie nécessaire pour résister davantage à l'envahissement des dépenses publiques sur les revenus particuliers.
La Chambre n'a pas admis ma manière de voir ; je ne sais pas si elle l'admettrait aujourd'hui ; je ne me sens nullement l'intention de lui faire une motion à cet égard, mais je crois remplir un devoir très strict en signalant au pays ce que je crois être la cause originaire et principale de l'accroissement constant des dépenses publiques.
Mais, dira l'honorable ministre des finances, ce n'est que par accident que nos bonis ont disparu : les recettes vont croissant sans cesse ; par conséquent, tant que nos recettes croissent, nos dépenses peuvent sans danger s'accroître également.
Messieurs, je ne suis pas du tout de cet avis. Nos recettes croissent, je le reconnais ; elles croissent aussi dans d'autres pays ; mais il faut se demander si les ressources de la plus grande partie de la population croissent dans la même proportion. Est-ce que vous n'êtes pas quelquefois étonnés, effrayés même, de voir la partie la plus nombreuse de la population, celle qui dépend exclusivement de son travail, se plaindre d'être dans une situation excessivement précaire ? Et cependant c'est sur cette partie la plus nombreuse de la population que pèse la plus grande partie de nos impôts.
Sur les 174 millions que nous allons voter, plus de 140 millions sont apportés par la partie de la population qui n'a pas voix au chapitre.
L'honorable ministre des finances a cherché à démontrer par des tableaux très ingénieusement combinés que c'était la classe moyenne qui payait la plus grande partie des impôts. Je suis donc obligé de lui démontrer que, pour la partie la plus notable de nos impôts, cette assertion est complètement erronée.
Ainsi, l'impôt du sel est payé dans la même proportion et par le duc d'Arenberg et par le plus pauvre des ouvriers ; l'impôt sur les boissons distillées est payé par ceux qui boivent la bière et le. genièvre, c'est-à-dire par la masse ; il en est de même du produit de la douane et des autres droits d'accise. Pour le chemin de fer, étudiez les tableaux des produits, vous y verrez dans quelle proportion y figure le produit des voitures de première et de troisième classe. En un mot, car je ne veux pas abuser de la parole, les classes les plus nombreuses de la société participent, pour la plus grande part, aux charges publiques. Mais quand il s'agit de recevoir, d'aller à la caisse, la situation change considérablement.
Je n'ai pas d'éléments, je le déclare, pour faire des calculs exacts sur la répartition du produit des impôts entre les participants ; mais j'oserais presque affirmer et je crois que je ne serais pas loin de la vérité, que si d'une part ce que j'appelais, il y a deux ans, la classe électorale, contribue pour environ un sixième dans les charges publiques, cette même classe participe pour plus des cinq sixièmes dans le produit desdites charges ; et dès lors je comprends un calcul excessivement simple qui m'a été donné, il n'y a pas très longtemps, par un homme très versé dans les sciences financières ; il me reprochait l'opposition que je fais notamment aux dépenses publiques ; il me disait : « En définitive, ce que vous ne comprenez pas bien, c'est que l'impôt est un très bon placement. »
Je lui demandai à mon tour : « Combien payez-vous, vous et votre famille ? » Il me répondit : « Nous payons environ 6,000 francs. » « Et combien recevez-vous ? Il ne me répondit pas de suite ; mais je lui demandai si ce n'était pas 30,000 francs pour sa famille. Ce qui était à peu près exact. Certes, c'était là un excellent placement.
Et si, en payant 6,000 francs d'impôts, toutes les familles belges en recevaient 30,000 d'émoluments, je serais certes le partisan du plus large système d'impôts possible.
Mais malheureusement il ne peut pas en être ainsi, cela ne peut réussir que pour quelques-uns. Eh bien, je suis d'avis, bien que cela ne paraisse pas quelque chose de très pratique, ne soit pas de nature à me donner une grande influence dans cette enceinte, je suis d'avis qu'il vaudrait mieux laisser à chacun la plus grande part de ce qu'il produit et à diminuer considérablement les charges publiques.
Si vous pouviez laisser dans les familles d'ouvriers 100, 150, peut-être 200 francs d'impôts qu'elles payent, vous verriez l'amélioration qui en résisterait dans leur situation morale et matérielle.
Si vous ne preniez pas au commerce et à l'industrie une grande partie de leurs bénéfices pour parfaire les 220 millions qui suffisent à peine aux dépenses publiques, les crises passeraient bien plus facilement ; nous n'aurions pas à tout moment ces préoccupations qui nous assaillent avec beaucoup de fondement ; nous serions plus tranquilles et nous serions tout aussi bien gouvernés.
Car ma conviction est qu'on peut gouverner un pays comme la Belgique à moins de 200 millions de francs par an. La Suisse, que j'ai déjà citée en d'autres occasions, on va sans doute m'en faire un reproche, mais n'importe, je la citerai encore, la Suisse dépense en tout, pour tous les services correspondant aux nôtres, une somme de 30 millions pour une population de 2 millions et demi d'habitants. En Suisse, on n'est cependant pas plus mal gouverné qu'ici, ce me semble ; du moins je n'ai jamais entendu dire qu'on y fût mal gouverné !
J'admets que, par des circonstances particulières, nous ayons à faire des sacrifices plus grands que les Suisses, mais 266 millions, c'est une somme énorme en présence du revenu que nous avons !
« Tout cela, me dira-t-on, c'est de l'utopie ; nous ne pouvons pas réduire nos dépenses. »
Je m'attends à ce qu'on me le prouve par a + b ; cependant je ferai d'avance une observation : c'est qu'autrefois nous ne dépensions que la moitié de ce que nous dépensons maintenant.
Nous avons eu des budgets qui se soldaient par moins de 90 millions ; je ne sache pas, j'étais peut-être trop jeune alors pour m'en apercevoir, que nous fussions plus mal gouvernés que nous ne le sommes aujourd'hui ; par conséquent, sans sortir de mon pays, sans aller en Suisse, je pense que nous pourrions rester bien gouvernés en dépensant moins d'argent.
Je désire, et c'est principalement pour cela que j'ai pris la parole, que cette Chambre s'occupe de cette question et examine s'il n'y a pas moyen de demander moins à l'impôt, de demander moins surtout aux classes nombreuses qui vivent de leur travail, qui ont bien de la peine à nouer les deux bouts, et qui un jour, si nous n'y prenons garde, nous demanderont un compte sévère de la gestion de leur fortune.
Ah ! messieurs, ne l'oublions pas, nous ne sommes que des tuteurs. Nous sommes les tuteurs de la partie de la population qui n'a pas voix au chapitre. Vous savez quels sont les devoirs des tuteurs vis-à-vis de leur pupille.
Nous ne pouvons dépenser que ce qui est strictement, légalement, pourrais-je dire, indispensable.
Nous n'avons pas le droit de faire des folies ; nous n'avons pas le droit d'être larges ; nous devons être parcimonieux.
Quand je réclame l'examen sévère des budgets, je ne fais que réclamer l'accomplissement le plus strict de nos devoirs.
Si nous l'avions toujours fait, si nous nous mettions à le faire sérieusement, je ne désespère pas que nous puissions, à l'exemple des grands financiers anglais Robert Peel et Gladstone, diminuer énormément les charges qui pèsent sur les parties les plus nombreuses de la population.
Et cela, non en compromettant les services publics, mais en permettant encore, de décharger notre grand-livre et celui des communes et des provinces de la dette qui pèse sur elles.
Messieurs, je n'avais pas l'intention de faire un discours ; j'ai voulu tout simplement attirer votre attention sérieuse sur une situation que je considère comme extrêmement grave.
Ce n'est pas longtemps que vous pourrez dépenser annuellement, pour l'administration de la chose publique, une somme égale au revenu territorial. Cela ne se fait chez aucune nation, cela ne se fait chez aucune d'elles ; cela ne pourra pas se faire longtemps chez nous.
M. Lelièvreµ. - Le budget en discussion me donne l'occasion d'appeler l'attention du gouvernement sur la nécessité de frapper de l'impôt les valeurs mobilières non moins que la propriété foncière.
Il existe, dans l'état de choses en vigueur, une inégalité regrettable. Les valeurs mobilières les plus importantes, telles que les actions industrielles, les actions charbonnières, sont soustraites à tout impôt ; de sorte que c'est la propriété immobilière qui supporte presque entièrement les charges publiques.
La propriété des mines, créée par un acte de concession, dégénère en actions constituant un objet mobilier, lorsque l'exploitation est dirigée en commun par plusieurs concessionnaires, et alors encore l'impôt foncier (page 80) n'atteint pas cette propriété, ce qui est loin d'être conforme aux principes de justice.
Il est donc indispensable de revenir à un régime meilleur et plus équitable.
En ce qui concerne le droit de succession en général, je pense que, pour l'évaluation des immeubles, il faudrait introduire le principe applicable au droit de mutation en ligne directe, c'est-à-dire établir les multiples que les parties déclarantes pourraient prendre pour base de leur évaluation.
Si l'on ne croit pas pouvoir introduire ce régime en ce qui concerne les mutations entre-vifs, rien au moins n'empêche, de l'admettre en ce qui concerne les successions en général.
Le même motif milite et exige des dispositions identiques. Il serait impossible de déduire des considérations justifiant une différence de législation.
Sous ce rapport, il existe, à mon avis, sur ce point une anomalie qu'il importe de faire disparaître. L'on ne doit rien négliger pour épargner aux contribuables des recherches toujours désagréables, entraînant pour eux des dépenses et des frais. Je considère donc comme une mesure utile celle qui, relativement à l'évaluation des immeubles frappés du droit de succession, introduirait la disposition établie par la loi du 17 décembre 1851.
Ce serait là une amélioration qui aurait pour résultat de simplifier les déclarations, d'accorder des facilités aux déclarants et de prévenir des poursuites toujours fâcheuses pour les contribuables. Ceux-là auraient ainsi une règle certaine à laquelle ils pourraient se conformer en toute sécurité.
Le gouvernement propose d'établir certaines pénalités relatives à certains délits qui peuvent être commis par des distillateurs.
Il serait préférable de voter ces dispositions comme formant un projet de loi spécial. Les lois pénales doivent recevoir une publicité telle, que les contribuables ne puissent les ignorer. Or, il est insolite de devoir recourir à des budgets, qui sont des documents de comptabilité, pour y trouver des dispositions pénales atteignant certains faits.
Enfin, j'estime qu'en ce qui concerne la péréquation cadastrale, il faut revenir à l'évaluation parcellaire des propriétés non bâties.
C'est le seul moyen de régler cet ordre de choses d'une manière équitable.
Les inconvénients d'un autre régime se sont produits, et je suis convaincu que les études annoncées par le gouvernement le conduiront au résultat que je signale.
Telles sont les courtes observations que je livre à l'examen du gouvernement.
M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits. Quelqu'un demande-t-il la parole ?
M. Coomans. - Notre honorable président constate qu'il n'y a plus d'orateurs inscrits pour la discussion générale. Je m'en étonne et je m'en afflige ; car je me rappelle parfaitement qu'il y a vingt ans et au delà, lorsque j'eus l'honneur d'entrer dans cette Chambre, on consacrait dix, douze, quinze séances à l'examen du budget des voies et moyens, lequel certes n'a pas été réformé ni amélioré, depuis lors, dans ses bases et qui se trouve augmenté d'un gros tiers depuis cette époque.
Il me semble que les justes remarques que vient de vous présenter si courageusement l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu méritaient au moins une réponse, Je dis si courageusement, car le vent n'est pas aux économies, ni à droite ni à gauche ; et cependant c'est dans cette direction qu'il serait opportun qu'il soufflât enfin.
L'honorable député de Nivelles vient de vous rappeler un fait que j'ai eu l'honneur de vous signaler aussi, un fait indubitable, presque officiel : c'est que les cinq sixièmes de tous les impôts sont payés par la partie de la nation qui n'a rien à dire dans le ménage national, et que ces cinq sixièmes sont appliqués au sixième de la nation qui est seul investi du droit exorbitant de gouverner le pays. Cela est non seulement injuste ; cela est dangereux.
Je sais que cette proportion a été contestée sur le banc ministériel ; mais je la tiens pour sérieusement incontestable, et je n'admettrai qu'une réfutation raisonnée qu'on ne nous a pas présentée jusqu'aujourd'hui.
Messieurs, je me permets de vous le rappeler, plusieurs des impôts qui figurent pour de gros chiffres dans nos votes et moyens ont été pendant longtemps discutés, critiqués, repoussés et condamnés par des membres de toutes les Opinions de cette assemblée, l'honorable M. Verhaegen en tête (interruption), un homme que je puis citer, au moins, sans soulever vos murmures (je parle des honorables membres de la gauche). M. Verhaegen a démontré, selon moi et selon beaucoup d'entre vous qui avez oublié cette démonstration, que les bases essentielles de notre budget des voies et moyens sont fausses et iniques.
Il est vrai qu'à cette époque vous lui promettiez une certaine satisfaction que vous n'avez jamais donnée. Vous avez promis de réduire surtout les impôts de consommation que vous qualifiiez avec raison, selon moi, mais avec exagération, de réduction de salaire, vous promettiez ces réductions d'impôt et vous ne les avez jamais accordées.
Quant à moi, j'ai surtout insisté sur des économies dans le fonctionnement de la machine gouvernementale, parce que je sentais que c'était la question première à résoudre.
En effet, aussi longtemps que vous maintenez les dépenses, force vous est de maintenir les recettes ; et tous les ministres des finances et toutes les Chambres ont toujours cru que les meilleurs impôts étaient les plus anciens et les plus productifs.
Vous vous êtes engagés, nous nous sommes engagés, la Chambre presque tout entière, à introduire des réformes financières dans le pays. Ces réformes ne sont point venues, je n'en connais qu'une qui mérite ce nom, quoique la solution m'ait déplu : c'est la suppression des octrois urbains que j'avais, pour ma part, demandée depuis des années ; mais cette suppression des octrois urbains, qui est excellente en elle-même, n'a été obtenue qu'au moyen d'une augmentation équivalente des impôts de consommation.
On a changé la forme, on a maintenu la chose et cela dans des conditions que je considère comme, mauvaises, non seulement pour les contribuables mais pour la position financière des communes et pour la sauvegarde de leur autonomie.
Messieurs, ce rapport de la section centrale est un des actes les plus affligeants que j'ai eu à constater dans cette assemblée.
Il se compose de 4 ou 5 feuillets de papier à peu près blanc et il se résume en ces mots : « Tout est bien ; il n'y a rien à changer. » Voilà presque tout le rapport de la section centrale sur le budget des voies et moyens ; c'est le rapport le plus optimiste qui ait paru en Belgique sur ce budget, père de tous les autres, depuis trente-huit ans.
On a bien demandé quelques explications à M. le ministre des finances, mais ces explications, dès qu'elles ont été données, ont été déclarées péremptoires et très satisfaisantes. (Interruption) Oui, bien que le budget solde en déficit et bien que l'on se vante d'être progressistes surtout en matière économique.
Pas même un vœu, pas une espérance, rien. (Interruption.) C'est un acte de foi, sans charité et sans espérance.
Cette foi robuste des sept membres de la section centrale, je ne la partage pas ; je garde celle que j'ai formulée, bien souvent, à savoir qu'il n'y a aucun de nos budgets, aucun, sans en exempter le budget de la guerre, qui soit susceptible de plus de bonnes réformes que le budget des voies et moyens, et il n'y en a aucun, je le constate avec douleur, qui soit l'objet de moins de critiques de votre part.
Au fond, voici la pensée de la section centrale, si elle a osé en avoir une ; la Chambre a décrété de grosses dépenses, il n'y a pas moyen de les réduire ; donc il faut maintenir toutes les recettes ; on nous annonce même pour que nous ne nous fassions pas d'illusion (moi je n'en ai plus, hélas !), on nous annonce même que d'ici à longtemps il n'y aura aucune réduction à introduire dans les impôts, attendu qu'il n'y en a pas à opérer dans les dépenses.
L'argument est bon, mathématiquement parlant, si vous voulez ministériellement parlant, mais il ne vaut rien philosophiquement et raisonnablement parlant (interruption) ; populairement, je n'en parle plus, on ne s'adresse qu'aux électeurs. Cela est convenu, or je pourrais leur démontrer que leur intérêt même est de consentir à des réformes.
Messieurs, j» ne veux pas prolonger ces discussions qui me sont pénibles, à moi plus qu'à vous, mais je répéterai une fois encore cette vérité, selon moi, fondamentale en politique et en économie financière : C'est que la plus grande partie de l'impôt étant prélevée sur le nécessaire des citoyens, l'impôt ne peut être appliqué qu'à des dépenses nécessaires.
Ceci est pour moi un axiome, un dogme social, et je répète, avec l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, que nous n'avons pas le droit d'exiger du peuple un impôt qui n'est pas strictement nécessaire pour la bonne conduite des intérêts sociaux. Nous n'avons pas le droit de prélever un impôt inutile, par conséquent celui de décréter une dépense inutile. Or nous en ordonnons ou permettons d'inutiles et, faisant des dépenses inutiles, nous sommes forcés de prélever des impôts injustes ; je dis injustes, parce qu'ils ne sont pas justifiés. Ce qui n'est pas justifié est injuste.
L'impôt est une part des revenus des familles consacrée à l'administration de l'intérêt public. (Interruption.)
Je le demande, quand nous envoyons des huissiers aux petits contribuables pour les obliger à acquitter des impôts trop lourds pour eux, (page 81) avons-nous le droit de donner des sommes de 20,000 fr. pour des tableaux dont la valeur est très contestée ? Non. (Interruption.)
Quand même les tableaux seraient bons, vous n'auriez pas le droit, selon moi, d'y consacrer ces pièces de 5 fr. couvertes des sueurs et des larmes des pauvres ; mais, quand ils sont mauvais, votre droit ne cesse-t-il pas ?
Cet exemple, entre mille, explique ma pensée, et je voterai encore contre le budget des voies et moyens.
MfFOµ. - Messieurs, il est certainement fort regrettable que M. Coomans ne se soit pas rendu au sein de la section à laquelle il appartient, pour y examiner le budget des voies et moyens qu'il vient de condamner avec une si amère sévérité.
Après s'être ainsi volontairement abstenu de prendre part à cet examen et à ces travaux préalables, je trouve qu'il est assez mal reçu à venir, du ton que vous avez dû remarquer, faire le procès à la Chambre et au gouvernement, et critiquer le travail consciencieux qui a été fait par la section centrale et par son honorable rapporteur.
Ce travail ne méritait pas l'insulte qu'il s'est permis de lui adresser.
M. Coomans a le grand tort de réserver toujours pour la discussion publique les excellentes observations qu'il croit avoir à produire sur les questions qui sont soumises à la Chambre ; c'est le moment qu'il choisit, comme le plus opportun, à son point de vue, pour se livrer à quelques déclamations vagues et générales qu'il s'imagine être de nature à exercer une grande impression sur les masses.
Eh bien, je pense qu'il serait préférable, et beaucoup plus sérieux, de scruter avec attention, avec soin, avec loyauté surtout, les propositions qui sont soumises à la Chambre, et d'y opposer des contre-propositions bien étudiées et bien justifiées, afin d'arriver à convaincre, au lieu de chercher à passionner.
M. Coomans trouve plus commode, et je le conçois, le rôle qu'il a adopté. Il se borne à des critiques générales, à des affirmations, à des dénégations qui ne s'appuient sur aucune espèce de preuve ; sa parole doit suffire !
Il vient vous dire d'un ton convaincu que les cinq sixièmes des impôts sont payés par ceux qui ne possèdent rien, au profit du sixième...
M. Coomans. - Je n'ai pas voulu dire cela...
MfFOµ. - J'ai noté : par ceux qui n'ont rien.
M. Coomans. - J'ai dit les cinq sixièmes de la nation.
MfFOµ. - Vous avez dit que les cinq sixièmes des impôts sont payés par ceux qui n'ont rien, au profit du sixième qui gouverne...
M. Coomans. - ... Sont payés par ceux qui ne sont pas électeurs.
MfFOµ. - J'en appelle à la Chambre : est-ce là ce qui a été exprimé ? (Interruption.)
M. Jacobsµ. - Il s'agit de comprendre...
MfFOµ. - Oh ! j'ai très bien compris !
Jamais, selon M. Coomans, on n'a réfuté cette assertion, qui a déjà été produite, et qu'il prétend être irréfutable. Or, il affirme, cette impossibilité quelques instants après que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu vient de. discuter des tableaux et des chiffres que j'ai soumis à la Chambre, et qui établissent, au contraire, à toute évidence, que c'est la classe moyenne qui supporte de beaucoup la part la plus large des impôts qui sont demandés au pays. (Interruption.)
Vous pouvez discuter ces tableaux, mais au moins vous ne pouvez pas nier qu'ils ont été faits et présentés ; et vous ne pouvez plus vous borner aujourd'hui à affirmer purement et simplement des choses que j'appellerai absurdes et impossibles. Vous êtes tenu de réfuter les chiffres qui ont été produits, et d'apporter des preuves à l'appui de vos assertions.
Selon M. Coomans, il faudrait réformer tout le système de nos voies et moyens...
M. Coomans. - Je demande la parole.
MfFOµ. - Il faudrait surtout faire disparaître ces impôts de consommation, que j'ai attaqués autrefois comme étant l'équivalent d'une réduction de salaire ; en quoi l'honorable membre nous dit qu'il y avait exagération de ma part. Mais au lieu de réduire les impôts de consommation, dit M. Coomans, on les a augmentés. Une seule mesure a été prise, et il veut bien en admettre le principe ; c'est l'abolition des octrois ; mais, par malheur, cette abolition n'a eu, selon lui, d'autre effet que de reporter ailleurs l'impôt de consommation qui disparaissait. (Interruption.)
J'ai dit, messieurs, au sujet d'un impôt à établir, que tout impôt nouveau de consommation opérait nécessairement comme une réduction de salaire, et je n'ai fait en cela qu'énoncer une vérité de sens commun : cela est en effet tout simple. Mais il faut bien que l'équilibre finisse par se rétablir, et après un temps donné, lorsque les impôts sont anciens, ils n'opèrent plus de la même façon.
Au surplus, il est incontestable que le gouvernement a accompli, dans la mesure de ce qui était possible, les engagements qui avaient été pris au sujet des impôts de consommation ; ces impôts ont été réduits ; la suppression des octrois a eu pour effet de diminuer de 2,800,000 à 3,000,000 de francs les impôts de consommation sur des objets de toute première nécessité.
A part cela, messieurs, il n'y a rien, absolument rien dans le discours que vous venez d'entendre. M. Coomans s'en est référé aux démonstrations péremptoires, irréfutables, d'après lui, qui avaient été présentées par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.
J'en demande bien pardon à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ; mais il me serait bien difficile de lui répondre sérieusement.
L'honorable membre se dit fort effrayé ; tout ce qu'il voit lui fait peur ! Mais, messieurs, il est lui-même la cause de toutes ses terreurs. S'il tremble, c'est devant les fantômes qu'il époque ! Il se complaît dans une sorte de roman financier et mathématique ; il voit des chausse-trapes, des abîmes partout. Il déclare que le pays va y être entraîné sur l'heure ; il est sur le point de succomber ; il ne pourra pas supporter le poids qui pèse sur lui.
Il a vu le chiffre du budget des voies et moyens ; il a vu le chiffre de nos budgets des dépenses, il les a comparés : résultat désastreux : 175 millions de dépenses, 174 millions de recettes ; budget en déficit ! Et pourtant, s'écrie-t-il, une pareille situation n'a suggéré aucune réflexion à M. le ministre des finances ! Et chose non moins étrange, elle n'en a pas suggéré non plus à la section centrale ni à son honorable rapporteur !
Mais l'honorable membre, lui, a fait ses réflexions sur ce triste sujet ; il nous en a fait part, et, en vérité, je dois avouer que je les ai trouvées des plus singulières. Non content de constater la déplorable situation financière de l'Etat, et le déficit de 700,000 fr. qui résulte de la balance des budgets, il veut y ajouter les dépenses provinciales et les dépenses communales ; puis, comme ce. n'était pas encore assez, pour que son effroi fût complet, il y ajoute encore les dépenses des bureaux de bienfaisance. (Interruption.) Mais il a oublié les dépenses des hospices ! (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et des fabriques d'église.
MfFOµ. - En vérité, il a oublié aussi les dépenses des fabriques d'église ! (Interruption.)
Additionnant toutes ces dépenses, qui n'ont assurément rien de commun entre elles, il trouve que nous avons ainsi 276 millions de charges. Voilà, dit-il, le poids de l'impôt ! Car il paraît que les ressources des bureaux de bienfaisance, des hospices, des fabriques d'église sont également des impôts ! Voilà la charge qui pèse sur le pays ! (Interruption.)
Et maintenant, dit il, quel est le revenu du pays ? Ici l'honorable membre ouvre la statistique, où il voit que le revenu foncier de la Belgique est évalué, d'après le cadastre, à 282 millions ; donc, dit-il, tout le revenu foncier du pays est absorbé par les charges que je viens d'indiquer ; il n'en reste absolument plus rien aux propriétaires ! Ils vivent on ne sait comment : tout est absorbé par les charges publiques ! (Interruption.) Cependant, reprend-il, par bonheur ce n'est pas là tout le revenu de la nation ; c'en est la partie la plus claire, la plus solide, celle qui est le plus facilement saisissable. L'autre est difficile à constater, mais enfin, et fort heureusement, il en reste encore quelque chose à la nation.
L'honorable membre cherche à composer à sa façon cette seconde partie du revenu de la nation, et pour l'industrie, pour le commerce, pour la richesse minérale, il arrive en dernière analyse, et en y comprenant le revenu foncier, à trouver un revenu de 700 millions pour l'ensemble du pays. Voilà le revenu national, selon l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. Or, comme il faut en prélever les 270 millions que l'honorable membre prétend être absorbés par l'impôt, il ne reste plus que 424 millions (je cite toujours les chiffres de l'honorable membre), somme qui, répartie entre un million de familles, représente 424 francs pour chacune d'elles ! (Interruption.)
Voilà le revenu moyen des familles en Belgique, selon l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ! (Interruption.) Du moment qu'il a une pareille conviction, et qu'il est certain que chaque famille en Belgique n'a que 424 francs pour vivre, pour payer toutes ses dépenses, je conçois son effroi...
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il y a beaucoup de familles qui n'ont pas 424 francs pour tout revenu.
MfFOµ. - Je conçois qu'arrivant ici avec de semblables calculs, qui portent la conviction dans l'esprit de M. Coomans, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu soit dans un état d'anxiété déplorable !
(page 82) Mais, messieurs, il n'y a rien de sérieux, rien de positif dans les calculs de l'honorable membre ; tout cela est fort erroné. L'honorable membre néglige l'élément le plus considérable : c'est l'échange des services, c'est le travail. Voilà ce qui constitue la grande somme des revenus de la nation, et ce qui est, pour ainsi dire, inappréciable et incalculable, mais ce qui permet à chacun de faire face aux dépenses publiques et à ses dépenses privées.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - C'est le bénéfice qui reste après l'échange.
MfFOµ. - Ah ! il reste à chaque famille 424 francs, après avoir payé les dépenses publiques et les dépenses privées ? Mais vous auriez dû le dire ! Dans ce cas, nous ne nous plaignons pas. Je croyais que vous aviez indiqué une appréciation qui donnait à chaque famille 424 francs pour vivre. Mais maintenant, s'il s'agit simplement de ce qui reste à chacune, après avoir payé toutes ses dépenses, la situation n'est pas trop alarmante. Il n'y a pas trop à s'effrayer d'un état de choses qui permet à chaque famille de mettre annuellement 424 fr. à la caisse d'épargne. (Interruption.)
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Mais non ! c'est après l'échange des services.
MfFOµ. Eh bien, cet échange de services fait que chacun peut vivre, en acceptant sa condition, plus ou moins bien avec cette fatalité qui est celle de la société, par suite de laquelle il y aura toujours des riches et des pauvres.
Si, à l'aide, de votre système, on pouvait faire disparaître cette inégalité, je ne demanderais pas mieux que de m'y associer ; et s'il m'était démontré qu'on pût enrichir tout le monde par son application, je consentirais, pour ma part, très volontiers au partage des biens ! Mais je suis convaincu que les pauvres n'en seraient que plus misérables, et que leur position serait bien plus triste que celle où ils se trouvent aujourd'hui.
Mais, messieurs, voyons la réalité, et laissons tous ces romans, qui n'ont rien de discutable.
Quelle est notre vraie situation au point de vue de l'impôt ? Doit-on, sur la parole des honorables préopinants, vous condamner tous comme ayant mal géré les affaires du pays depuis un grand nombre d'années ? Vos ressources ont grandi, et vous en avez profité pour faire beaucoup de dépenses utiles et productives ; mais avez-vous grevé la nation d'impôts ? Voilà la question.
L'honorable M. Le Hardy posait tantôt celle-ci : Les recettes croissent : mais les ressources des particuliers croissent-elles dans la même proportion ?
Je demanderai à l'honorable membre comment il n'a pas répondu lui-même immédiatement, qu'il devait évidemment, en être ainsi, puisqu'il n'y avait pas eu aggravation des charges ? La quotité de l'impôt n'ayant pas été augmentée, c'est uniquement au développement naturel de la richesse publique et de l'aisance plus grande des particuliers qu'est dû l'accroissement successif des revenus de. l'Etat.
Et bien loin d'avoir vu s'accroître les charges publiques, nous les avons, au contraire, vuies se réduire dans une proportion très notable.
Si je prends la période antérieure à 1857, je constate que les augmentations d'impôts dans cette période ont été de 17,665,000 fr. et les réductions de 22,826,000 fr. ; depuis 1857 jusqu'en 1865 les augmentations et remaniements d'impôts ont produit 11,385,000 fr., tandis que les diminutions ont été de 20,245,000 fr. dans le même espace de temps.
Ces chiffres, messieurs, avec tous leurs détails, ont été publiés comme annexe au budget des voies et moyens de 1865, sur la demande de l'honorable M. Sabatier. Chacun a eu les documents sous les yeux ; on a donc pu s'assurer que les réductions d'impôts ont été très importantes dans cet espace de temps, et l'on n'est pas fondé à venir soutenir devant la Chambre que les charges publiques se sont aggravées.
Ces tableaux s'arrêtent à 1865. Et depuis lors, êtes-vous restés stationnâmes dans la voie de la réduction des charges publiques où vous étiez entrés ? Mais, messieurs, depuis 1865 vous avez voté la suppression des barrières, qui constitue un dégrèvement de 1,800,000 fr. ; 1,500,000 fr. pour le produit direct et 300,000 fr. pour les frais de perception.
Au mois de juillet 1865, vous avez abaissé les péages sur les canaux et rivières, et notamment sur le canal de Charleroy ; en 1865, vous avez réformé votre tarif douanier, en généralisant les réductions de droits qui résultaient des traités internationaux, et vous avez encore amélioré ainsi les conditions des contribuables ; vous avez réduit en réalité les charges publiques. Voilà votre gestion, voilà ce que l'on condamne !
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - On pouvait faire mieux.
MfFOµ. - On pouvait faire mieux ! Je l'ignore ; mais ceux qui se contentent du rôle, toujours facile, de critiques du passé, auraient surtout dû faire mieux ; ils auraient dû soumettre des propositions à la Chambre, faire connaître leurs idées, indiquer quelles étaient les mesures qui, selon eux, pouvaient être prises pour aboutir au résultat meilleur qu'ils espéraient atteindre.
Pendant que vous opériez ainsi, messieurs, pendant que vous réduisiez les charges publiques, que faisiez-vous également pour le bien du pays, pour sa bonne administration, pour sa sécurité, pour le développement de sa richesse, pour lui procurer les moyens de mieux produire et à meilleur marché ? Vous décrétiez ce vaste ensemble de travaux publics qui, depuis 1857, ont absorbé plus de 300,000,000 de francs ! Voilà la vraie situation. (Interruption.)
Ainsi donc, on peut être assez rassuré en considérant les choses à ce point de vue, et ne pas se laisser gagner par les terreurs qui agitent l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. Mais pour l'honorable membre, notre situation a encore un autre aspect bien inquiétant : Notre dette est effrayante ; elle le préoccupe au plus haut point ; il se demande ce qui arriverait si nous avions à traverser quelques grandes calamités, une crise alimentaire, industrielle, une guerre ; il se demande comment on grèverait encore le pays de nouvelles charges de ce genre.
Pour cet objet encore, l'honorable membre suit son étrange manière d'opérer.
Il ne veut pas seulement voir des dettes de l'Etat ; il les additionne avec celles des provinces et des communes et il arrive ainsi, naturellement, à un chiffre assez élevé ; 813 millions, si je ne me trompe.
Je ne conçois pas que l'honorable M. Le Hardy, après les réfutations qui ont toujours été faites de pareilles assertions, se complaise encore dans les mêmes erreurs et vienne reproduire ces mêmes assertions, dont l'inexactitude a été démontrée si souvent d'une façon péremptoire.
Je ne veux pas, on le comprend, m'occuper des dettes des communes et des provinces ; je ne considère que les dettes de l'Etat.
Eh bien, contrairement à l'opinion universellement répandue que l'Etat belge aune très bonne situation sous le rapport de sa dette nationale ; que, relativement, cette dette est peu considérable, ce qui fait que l'on a une grande confiance en lui, et que son crédit est excellent, contrairement à cette opinion, dis-je, l'honorable M. Le Hardy s'imagine et prétend que nous avons une dette énorme.
Voici une des manières d'opérer de l'honorable membre. Je mets sous les yeux de. la Chambre l'exposé de la situation financière au 1er janvier 1868, et, l'honorable membre voit que la dette nominale de l'Etat s'élève au chiffre de 635,089,000 francs. Il s'arrête immédiatement à ce chiffre de 635 millions, et bien que, plusieurs fois déjà, dans cette Chambre, je l'aie averti de l'erreur qu'il commettait en procédant ainsi, il ne lit pas les quatre lignes qui suivent. Les 635 millions sont, comme je l'ai dit, la dette nominale, c'est-à-dire le total de la dette à 4 1/2, à 4, à 3, à 2 1/2 p. c. Il s'agit de savoir quel est le capital réel de cette dette constituée à des taux si divers.
L'honorable membre ne veut pas l'entendre ainsi : 635 millions, c'est mieux, c'est beaucoup plus agréable, parce que c'est un plus gros chiffre qui fait bien plus d'effet. J'ai fait remarquer dans cet exposé de la situation financière, où l'on a trouvé, le chiffre de 635 millions comme capital nominal de la dette, j'ai fait remarquer, quelques lignes plus loin, que toute la dette belge ramenée au taux de 4 1/2 p. c, s'élève en intérêts à 25 millions, et en capital à 530 millions. Mais 635 millions, cela vaut mieux. Il y a 100 millions de plus ; et c'est beaucoup plus effrayant.
Nous avons donc 530 millions de dette effective. Et qu'est-ce donc que cela pour la Belgique ? Mais une seule des propriétés qui appartiennent à l'Etat, et qu'il pourrait aliéner du jour au lendemain, les chemins de fer belges, suffirait pour éteindre une grosse partie de la dette. Je ne parle pas des canaux et autres propriétés domaniales, qui ont également une valeur très considérable. Il y a donc, à côté de cette dette, une contre-valeur qui ne se trouve dans presque aucun pays, une contre-valeur productive ; on paye une bonne part de l'intérêt de la dette avec les produits du chemin de fer.
Vous devriez trouver cette situation excellente, non pas pour convier les Chambres ou le gouvernement à contracter de nouveaux emprunts, de nouvelles dettes, à augmenter les dépenses, non, mais pour être juste seulement. Car je tombe d'accord qu'il faut emprunter le moins possible, que la Belgique aurait encore une situation infiniment meilleure si elle arrivait à se constituer des excédants de recette et si, avec ces excédants annuels, elle faisait face à ses travaux extraordinaires. Mais pour cela, il ne faut pas diminuer les ressources que l'on possède ; pour cela, il faut conserver les impôts tels qu'ils existent, à moins que vous ne disiez : Voici un meilleur impôt que nous mettrons à la place d'un de nos impôts actuels.
(page 83) Il faut diminuer les dépenses aussi, je le veux bien. Mais les Chambres sont appelées à examiner les budgets, à les discuter et à les voter. J'ai livré à l'attention de la Chambre le remarquable travail d'un de mes fonctionnaires, malheureusement mort depuis lors, travail qui permet une étude complète de tous les budgets. J'ai publié, comme note préliminaire du budget des voies et moyens, cette étude des plus intéressantes qui suit le mouvement successif de tous les budgets depuis 1830, qui donne l'explication de tous les changements qui ont été opérés, et qui en indique l'importance et la raison.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'espère que cela servira.
MfFOµ. - J'y complais certainement. Je croyais que ce travail serait très utile. Eh bien, cette note aurait dû éclairer l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et elle ne l'a pas éclairé. L'honorable membre la trouve cependant remarquable.
Il aurait pu s'assurer, en l'étudiant, que cet accroissement de dépenses dont il parle s'explique d'une manière toute naturelle, quand on compare le budget de 1832, qui n'est que de 82 millions, a dit M. Le Hardy, avec le budget de 1868, qui est de 174 millions.
Il aurait pu constater quels sont les nouveaux éléments qui sont venus se placer dans les mains du gouvernement depuis cette époque. Il y a des augmentations inévitables, résultant de changements survenus dans la situation économique du pays. Ainsi, nous avons augmenté la rémunération des fonctionnaires publics de six millions annuellement. D'un autre côté, qu'était le budget des travaux publics à l'époque dont vous parlez ? Qu'était-il lorsque vous aviez ce budget de 80 à 90 millions ? Il n'était rien. II est devenu très considérable et il suffirait à expliquer, sans parler de renseignement et d'autres services publics, il suffirait à expliquer les changements survenus dans l'ensemble des budgets.
Ainsi donc, messieurs, les alarmes de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ne sont absolument pas fondées. Il y a une vérité : c'est celle que j'ai déjà exposée plusieurs fois : nous avons eu, depuis 1858 jusqu'en 1865, une situation très prospère, sous le rapport des finances ; nous avions eu constamment des excédants annuels considérables. Ces excédants ont été de dix, de douze et même de seize millions. Ils ont pour ainsi dire disparu tout à coup ; ils sont tombes pour le dernier exercice a deux millions et demi.
Les causes de cette disparition des excédants sont, d'une part, un certain affaiblissement des recettes, d'autre part, un certain accroissement des dépenses.
Il faut attendre que le. mouvement ascensionnel des revenus publics ait reparu, pour s'engager dans de nouvelles dépenses. C'est la seule réflexion que cette situation doive inspirer. Nous pensons que si la crise qui a pesé assez lourdement sur nos revenus en 1866, 1867 et surtout en 1868, puisque nous n'aurons pas même obtenu en 1868 le produit de 1867, nous pensons, dis-je, que si cette crise devait durer, il sérail très imprudent de s'engager dans de nouvelles dépenses sans une évidente nécessité.
Je dis que nous devons, en outre, chercher à améliorer cette situation, non par des accroissements d'impôts, je déclare qu'il n'y aura pas d'accroissements d'impôts, mais par d'autres mesures, que nous aurons à soumettre à la Chambre, en temps opportun.
A part cette situation, qui n'est considérée qu'au point de vue des recettes et des dépenses ordinaires, nous avons l'état de nos dépenses extraordinaires, et ici, comme l'a rappelé l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, nous sommes en présence d'engagements très considérables.
Mais ce que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'a pas dit, c'est que nous avons des ressources extraordinaires correspondant à ces charges... (Interruption.) Permettez, je constate seulement une chose : c'est que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a signalé cette somme d'engagements pour démontrer aussi que, sous le rapport des dépenses extraordinaires, nous sommes dans un grand péril ; mais il a oublié de dire que nous avons dès à présent, réalisé des ressources extraordinaires pour faire face à ces dépenses, non pas à concurrence de la totalité des engagements pris, mais du moins pour une partie très notable de ces derniers, la différence devant être couverte au moyen de nos excédants annuels.
Voilà la situation dans son ensemble.
Si aucune amélioration n'était introduite dans nos finances, si aucune augmentation ne se produisait dans les recettes, et si la progression que nous avons constatée les années précédentes ne venait plus ultérieurement se révéler, nous aurions, en définitive, à pourvoir seulement à quelques millions de déficit, même pour nos engagements extraordinaires.
Cette situation, messieurs, qui exige de la prudence, je le répète, qui commande à tous de ne pas supprimer les ressources et de ne pas accroître les dépenses sans nécessité, cette situation n'est pas, le moins du monde, inquiétante ; et il est certain, dès ce moment, que le gouvernement et les Chambres sauront parfaitement amener les choses au point où elles se trouvaient avant que la dépression de recettes, que j'ai constatée, eût commence à se faire sentir.
- Plusieurs voix. - A demain !
M. de Macar, rapporteurµ. - Je n'en ai que pour cinq minutes.
- Plusieurs voix. - Parlez.
M. de Macar, rapporteurµ. - Messieurs, le discours que vient de prononcer l'honorable ministre des finances rend ma tâche extrêmement facile.
Il y a une question, pour ainsi dire, personnelle dans ce qu'a dit l'honorable M. Coomans, mais je pense ne devoir donner qu'une bien minime attention à la leçon qu'il a cru pouvoir me faire.
Je ne ferai pas comme lui en répétant une partie de ce que vient de dire l'honorable ministre des finances, ce que je pourrais faire si je m'autorisais de l'exemple qu'il m'a donné. L'honorable M. Coomans n'a, en effet, fait que répéter partiellement et banalement ce qu'avait dit l'honorable M. Le Hardy.
Ce que je crois pouvoir dire, c'est que j'ai compris d'une manière convenable mon devoir de rapporteur de la section centrale. Qu'avais-je à faire, en effet ?
Les sections s'étaient réunies, elles avaient présenté les objections qu'elles avaient à produire. Aucune de ces objections n'a échappé aux investigations de la section centrale ni à l'attention du rapporteur.
L'honorable M. Coomans n'avait sans doute pas de grandes observations à présenter, car il n'a pas assisté aux séances des sections. De plus, dans le discours qu'il vient de faire, quelles sont les grandes questions qu'il a signalées ? Il a dit très peu de chose, parce que probablement il avait très peu de chose à dire. En effet, messieurs, les grandes questions qui peuvent être soulevées sur nos impôts nous ont été soumises et ont été traitées, dans les rapports des deux exercices précédents, d'une manière remarquable ; j'ai cru pouvoir m'abstenir de répéter ce qui avait été dit beaucoup mieux que je n'aurais pu le faire. D'un autre côté, la note préliminaire et les développements qui accompagnent le budget des voies et moyens répondent à la plupart des observations qui pouvaient être faites. Je ne sais si l'honorable député de Turnhout a lu ces documents, mais les divers points dont il nous a entretenus y sont résolus.
Je crois donc, avoir rempli mon devoir.
L'honorable membre a parlé de foi, d'espérance et de charité.
Eh bien, je lui dis franchement : J'ai foi dans les hommes qui composent le cabinet, je ne veux pas de sa charité, et quant à l'espérance, je puis m'étonner qu'il ne l'ait point perdue ; ses propositions sont presque toujours repoussées tant sur nos bancs que sur les siens.
M. Coomans. - Cela est vrai.
- Plusieurs voix. A demain !
M. Coomans. - Je demande la parole. Je n'en ai que pour quelques minutes.
M. de Borchgraveµ. - Il faut laisser parler l'honorable M. Coomans. Il n'en a que pour quelques minutes.
M. Bouvierµ. - Qu'il parle. Personne ne fait d'objection.
M. Coomans. - Que signifiaient alors les cris : « A demain ? » Je ferai remarquer que la Chambre n'a ni de nombreuses ni de longues séances et qu'elle n'a pas de motifs de se séparer avant cinq heures.
L'honorable ministre des finances vient d'assurer que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'est pas un homme sérieux et même qu'il est un ignorant. Plus poli en ce qui me concerne, M. le ministre se contente de me qualifier d'absurde. On appréciera plus tard cette épithète.
L'honorable ministre n'a eu garde de relever mes observations essentielles ; il s'est, comme d'habitude, jeté sur les petites ressources de la discussion, Sa première objection est celle-ci, trouvée excellente, comme toutes les autres, par l'honorable rapporteur : Je n'ai pas assisté au travail des sections.
M. Allard. - Vous n'y assistez jamais...
M. Coomans. - Cela est presque vrai, mais l'honorable rapporteur oserait-il désigner tous les membres de cette Chambre qui n'y ont pas assisté ? Si j'ai en tort de ne pas assister aux séances des sections, les sept huitièmes de cette Chambre ont partagé ce tort. (Interruption.)
Je vais vous dire pourquoi, depuis quelque temps, je ne vais guère en sections, pourquoi même, depuis quelque temps, je n'y vais plus du tout : c'eut d'abord parce qu'il n'y vient pour ainsi dire personne et qu'il me répugne de parler devant des chaises vides ; c'est ensuite parce que, quand je parle, la majorité ne m'écoute pas et vote régulièrement contre moi. Il est donc naturel que je préfère présenter mes observations là où il y a au moins quelques personnes qui m'écoutent et devant un personnel plus considérable que le mobilier dégarni de nos sections. (Interruption.
(page 84) Ceci est une remarque faite dans l'intérêt même de la dignité parlementaire et de la vérité du système. Qu'on ne vienne pas arguer du respect dû à un travail de la section centrale, lorsque, dans maintes circonstances, ce travail est fait par une dizaine de membres, de toutes les sections réunies, au nom des 126 membres de la Chambre.
Du reste il me souvient, j'ai bonne mémoire, c'est ce qui gêne souvent d'honorables adversaires, il me souvient d'un rapport fait ici par la section centrale à l'unanimité moins une voix et à la presque unanimité de toutes les sections, rapport fait minutieusement, consciencieusement et bien longuement par toutes les sections au grand complet. Si jamais il y a eu un rapport respectable dans cette assemblée, c'est bien celui-là, rapport d'autant plus respectable aux yeux du ministère encore siégeant aujourd'hui, que tous ses amis y avaient adhéré, ou presque tous.
Or, qu'a dit de ce rapport l'honorable ministre des finances ? Que cela ne prouvait rien du tout ; oui, que ce rapport, quoiqu'il conclût nettement et complètement contre le projet ministériel, ne signifiait rien. L'honorable ministre fait un geste que j'interprète ainsi : Je ne sais pas de quoi vous voulez parler. Je crois, moi, que M. le ministre le sait bien : je veux parler du rapport sur les successions en ligne directe. Ce rapport a été fait avec une conscience et une attention complètes. Il m'est bien permis dès lors de révoquer en doute le caractère sacro-saint d'un rapport fait au nom de quelques membres seulement. Du reste, j'en ai trop dit sur cet argument, si c'en est un.
Mais je suis bien exigeant et bien audacieux ! J'ose reproduire, en partie, le langage tenu par d'honorables adversaires d'il y a vingt ans ! J'ose dire avec M. Verhaegen que notre budget des voies et moyens est inique ; j'ose répéter ce mot de M. Frère, sur lequel nous reviendrons, que tout impôt de consommation est une réduction de salaire ! Je suis bien audacieux de voter contre ce budget repoussé systématiquement par M. Verhaegen et bien d'autres libéraux de cette époque.
Nous sommes des audacieux, M. Le Hardy et moi, des réformistes, des écervelés, parce que nous trouvons le budget des voies et moyens trop élevé ! Mais je me rappelle encore ce mot grave prononcé par un de vos honorables burgraves, qui n'était pas un économiste échevelé, par M. Lebeau, qui disait en voyant le budget atteindre le chiffre de 80 millions : qu'il était dangereux pour la Belgique de dépasser ce chiffre. Il y a longtemps que cette parole à été dite, mais...
M. Dumortier. - C'est le contraire qu'il a dit.
M. Coomans. - A d'autres époques, soit ; c'est que les circonstances où l'on se trouvait exigeaient probablement cette parole-là.
La vérité n'en est pas moins là.
Eh ! messieurs, je pourrais justifier chacune de mes paroles par des paroles auxquelles on a applaudi il y a longtemps. Mais je me contente de raisonner, faisant abstraction des temps et des personnes.
L'honorable M. Frère nie qu'il ait dit que tout impôt de consommation équivaut à une réduction de salaire. Il prétend avoir dit cela de tout impôt « nouveau ». Or, messieurs, c'est là une épithète nouvelle, et c'est tout ce qu'il y a de nouveau dans l'expression de la pensée. Non, vous n'avez pas dit : tout impôt nouveau ; vous n'aviez pas restreint de la sorte votre aphorisme, et quand nous applaudissions à ces paroles, je crois que c'est en 1852 que vous teniez ce langage, il ne s'agissait pas d'impôts nouveaux, mais de tout impôt de consommation quelconque.
C'est ce que je puis démontrer ; dans tous les cas, que l'impôt soit nouveau ou ancien, il ne constitue pas moins une réduction de salaire.
Mais, à supposer que les impôts nouveaux produisent seuls cet effet, je ne sais comme, j'aurais encore le droit de dire que vous avez réduit le salaire, attendu que vous avez fait voter plusieurs nouveaux impôts de consommation.
Et la bière, et le genièvre, et le tabac, ne sont-ce pas des objets de consommation et ne les avez-vous pas aggravés ? Vous avez doublé l'accise sur la bière.
Oh ! je me rappelle encore la tempête que j'ai soulevée un jour au banc ministériel lorsque je sui -venu proposer d'augmenter de 2 ou 3 centimes par kilo le droit de douane sur le café ; augmentation que je proposais parce que je supprimais une centaine d'autres articles du tarif douanier. Croyant nécessaire, pour le moment, d'offrir des équivalents au ministère, je lui proposais de récupérer sur le café une partie de ce léger sacrifice en portant à 15 francs par cent kilos un impôt qui variait alors entre 10 1/2 francs et 15 francs.
L'honorable M. Frère était superbe, plus superbe que d'habitude à cette époque. Quoi ! une augmentation de 3 centimes par kilo, de 1 1/2 centime par livre de café ! Mais j'allais affamer le peuple ! Dix fois dans cette enceinte il m'a reproché cette proposition, et peu de temps après il venait proposer de doubler l'impôt sur la bière, boisson tout aussi populaire, je pense, que le café, et il augmentait lui-même l'impôt sur le café !
Ainsi, M. le ministre, vous vous réfutiez vous-même, et vous ne vous borniez pas à une augmentation de 3 centimes sur une valeur de fr. 1-50, vous augmentiez ce droit dans la proportion d'un quart de la valeur et d'avantage.
Du reste, il ne faut pas jouer sur les mots ; il faut aller au fond des choses. Or, il est certain que vous avez aggravé la situation des contribuables, non pas toujours directement, je le reconnais, mais indirectement, surtout pour les populations urbaines.
Vous aurez beau me démontrer que les impôts perçus pour l'Etat ne sont guère plus élevés aujourd'hui qu'il y a quelques années ; en réalité, le contribuable supporte une charge plus lourde, parce que beaucoup de provinces, de villes et de communes ont notablement augmenté leurs impôts. Or, que le contribuable paye à la commune, à la province ou à l'Etat, cela lui importe assez peu ; l'argent sort de sa poche, et pour beaucoup de familles ces impôts équivalent à une privation réelle. Ainsi, les impôts sont plus sensibles aujourd'hui, surtout dans les grandes villes. La corde des impôts y est tellement tendue, qu'elle pourrait bien finir par se rompre. Prenez-y garde. !
Bien qu'elles aient été ménagées par la législature, elles commencent aujourd'hui à se plaindre de l'aggravation réelle des impôts, Bruxelles en tête.
Je lis dans le rapport que tout atteste, en Belgique, « une augmentation sensible de la richesse publique ».
Je ne suis pas de cet avis ; je crois le contraire ; les éléments d'appréciation sont difficiles à recueillir ; mais je doute fort qu'il y ait augmentation de la richesse publique. Je veux bien que. dans les hautes classes industrielles, par exemple, et même dans quelques classes agricoles, il y ait augmentation de la richesse publique.
Ainsi, dans ma conviction, l'agriculture se trouve aujourd'hui dans une situation relativement favorable ; beaucoup de cultivateurs et surtout beaucoup de propriétaires font d'assez bonnes affaires ; mais je ne crois pas que la masse de la nation ait prospéré ; je crois que depuis quelques années le capital national a décru, ne fût-ce que par suite de la baisse énorme qui s'est produite dans toutes les valeurs de portefeuille. (Interruption.)
J'ai entendu soutenir par des hommes très compétents, que la Belgique a perdu près d'un milliard dans sa fortune mobilière représentée par du papier.
Messieurs, dans un moment où tout le monde se plaint de l'aggravation des charges publiques en général, et de quelques impôts en particulier, ne venez pas, avec une sorte d'ironie, déclarer que tout atteste une augmentation sensible de la fortune publique.
A ce propos, je relèverai encore une objection peu sérieuse.
On me reproche d'avoir dit que les cinq sixièmes de l'impôt sont payés par les citoyens qui n'ont rien.
Si ce mot m'était échappé, M. Frère a trop d'esprit pour ne pas comprendre ma pensée réelle. Ai-je pu dire, moi qui pense que les petits contribuables payent trop, beaucoup trop relativement à leurs revenus ; ai-je pu dire qu'ils n'ont rien ? Ils ont quelque chose, puisque vous leur prenez beaucoup. J'ai voulu dire, exactement dans le sens indiqué par l'honorable M. Le Hardy, que les cinq sixièmes de l'impôt sont payés par les non-électeurs, lundis que ces mêmes cinq sixièmes sont affectés aux électeurs.
Voilà ma thèse plus ou moins vraie, dans une certaine mesure ; on pourra chicaner là-dessus, parce que cela est très difficile à démontrer, mais le contraire de notre assertion n'est pas plus démontrable.
Or, je suis très convaincu que notre très injuste système électoral est la principale cause de l'augmentation croissante de nos dépenses. Si vous niez l'augmentation croissante des impôts, vous ne pouvez pas nier celle des dépenses. Celle-là est manifeste, je l'espère ? (Interruption.)
Comment ! sommes-nous donc si loin de 1848 pour qu'on ne puisse pas sans honte professer l'amour des économies ? En 1848, ne soutenait-on pas, sur tous les bancs, qu'il fallait réduire les dépenses et faire des économies ? Et en fait n'en avons-nous pas opéré alors avec plus ou moins d'unanimité dans cette assemblée ? Mais toutes ces économies péniblement réalisées en 1848, en 1849 et en 1850 se sont successivement évanouies et transformées en augmentations, parfois scandaleuses, pour des dépenses que je considère comme inutiles, et surtout pour la diplomatie, qui me semble inutile, et pour l'énorme développement de nos forces militaires, que je considère comme plus inutile encore.
Et l'impôt sur les successions en ligne directe ? L'honorable ministre des finances n'a rien négligé pour le faire voter. Il a été jusqu'à exiger la (page 85) dissolution du Sénat. Il est donc très inexact de dire que le ministère actuel ou du moins son chef n'a pas fait voter de nouveaux impôts.
MfFOµ. - Je n'ai pas dit cela.
M. Coomans. - J'ai cru le comprendre. Il est donc vrai que vous avez fait voter de nouveaux impôts.
MfFOµ. - J'ai dit que j'en avais supprimé beaucoup plus que je n'en avais fait voter.
M. Coomans. - Cela est contestable encore. Messieurs, je finis par cette observation essentielle qu'il est temps de nous arrêter dans le vote de dépenses nouvelles, qu'il n'y a plus de dépenses nouvelles à voter, qu'il y a au contraire beaucoup de dépenses à supprimer et ce dans le but de réduire les charges du pays.
Il est impossible que la prospérité publique progresse avec une augmentation de l'impôt ; surtout que cet impôt se perçoit souvent, comme c'est le cas en Belgique, d'une manière vexatoire et embarrassante pour l'industrie et le commerce.
Il me sera permis, au moins, de demander, après d'autres membres très nombreux de cette assemblée, pourquoi on ne supprime pas certains impôts de consommation qui sont véritablement inconciliables avec les éléments de la science économique et même avec les promesses du gouvernement ?
Nous parlerons un jour de l'impôt du sel et de la bière, je me bornerai aujourd'hui à parler de l'impôt sur le poisson.
Les cent mille francs que vous prélevez sur le poisson, si nécessaire a l'alimentation des classes inférieures, vous sont-ils donc complètement indispensables ? Si l'intérêt de la pêche nationale n'est plus mis en avant, et cet intérêt vous l'avez nié, reste l'intérêt fiscal. Or, faites cent mille francs d'économie ; cette première tentative, si vous y réussissez, vous mettra sur la voie de bien d'autres économies, et nous vous y aiderons.
MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi ayant pour objet d'affecter au renouvellement du matériel des transports, jusqu'à concurrence d'un million, les sommes qui resteront sans emploi à la fin de l'année courante sur certaines allocations du budget du département des travaux publics, et un projet de loi qui alloue au département de l'intérieur une somme de 85,930 francs destinée au remboursement d'une créance due à Mme veuve Piéton.
Il est procédé au tirage des sections du mois de décembre.
La séance est levée à 5 heures.