(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 59) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures ; il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Legrand, réclamant contre la déclaration insérée au Guide officiel des voyageurs sur les chemins de fer en Belgique, que l'administration a le droit d'exiger l'ouverture des correspondances qu'elle présumerait contenir des valeurs prohibées, demande que cette déclaration ne soit plus reproduite dans les éditions ultérieures du Guide officiel. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lenaerts réclame l'intervention de la Chambre pour que l'administration de l'enregistrement et des domaines lui rembourse la somme de 25 fr., montant d'une amende, qu'il a payée et dont il lui a ensuite été fait remise par arrêté royal du 19 février 1868. »
- Même renvoi.
« Le sieur Durieux demande que le juge de paix du canton sud de Namur soit tenu d'opter entre ces fonctions et celles d'inspecteur de cinq cantons pour l’enseignement primaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur J.-H. Hansscn, serre-frein supplémentaire à Ans, né à Echt (partie cédé du Limbourg), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire du recueil des procès-verbaux des séances des conseils provinciaux, session de 1868, à l'exception de ceux de la Flandre occidentale et du Hainaut. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Maréchal fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de son opuscule intitulé : L'Ouvrier mineur en Belgique, ce qu'il est, ce qu'il doit être. »
- Même décision.
« M. J.-H. Boeyé, président du Cercle humanitaire d'Alost, adresse à la Chambre 127 exemplaires d'un exposé que cette société a fait parvenir à l'assemblée, le 15 novembre 1867. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. Schmitz, retenu chez lui par la maladie d'un membre de sa famille, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. le président. - La discussion générale continue.
La parole est à M. Couvreur.
M. Couvreurµ. - Messieurs, le projet de loi sur les sociétés nous ayant été distribué, il y a deux ans, l'honorable M. Pirmez, avec beaucoup de raison, a jugé nécessaire d'en retracer hier les principales dispositions. On avait eu le temps de les perdre de vue. Je ne sais si beaucoup de membres de cette Chambre ont pu en reprendre l’examen avec le soin que mérite l'importance du sujet, depuis que nous l'avons fait sortir, un peu brusquement, de la poussière de nos cartons ; quant à moi, j'ai un mea culpa à dire. Depuis vendredi dernier, depuis la mise a l'ordre du jour de ce projet, il ne m'a guère été possible que de constater la difficulté et l'importance des questions qu'il soulève, et mon impuissance à les embrasser en ce moment toutes, comme elles devraient l'être dans le cadre d'une discussion générale.
Je me bornerai donc à reprendre à propos de ce projet, dans l'exposé qui nous a été fait hier, un point qui me paraît très important, parce que, sous les apparences d'une loi commerciale, il implique un grave problème, se rattachant directement à des incidents qui se sont produits cette année dans notre existence sociale.
Parlant des sociétés coopératives, dont il m'a paru qu'il réduisait trop le caractère, la signification et le but, l'honorable ministre nous il dit qu'elles pourraient trouver dans la loi qui est soumise à nos délibérations, la pleine et entière satisfaction de tous les besoins qui président à leur constitution et à leur développement.
Ne partageant pas cette appréciation, je demande à pouvoir indiquer les motifs de cette divergence d'opinion, très heureux si, après le débat, l'honorable ministre me prouve qu'un examen forcément trop rapide du projet de loi m'a induit en erreur.
Il n'y a certainement rien de nouveau sous le soleil. Si l'un prend ce mot de coopération dans son sens le plus large, dans son sens grammatical, assurément les sociétés en commandite, les sociétés en nom collectif, les sociétés anonymes sont des sociétés coopératives ; toutes renferment un élément de coopération.
Mais il n'en n'est pas de même si l'on donne au terme dont il s'agit sa signification scientifique, sa véritable signification.
Les sociétés coopératives ont un caractère bien déterminé, bien précis, qui les distingue des autres sociétés.
Envisagées dans leur ensemble, les associations coopératives, qu'elles soient des associations de distribution, et je comprends sous cette dénomination des associations qui sont constituées ou pour l'achat des denrées alimentaires et des objets de consommation, ou des sociétés destinées à faire l'achat des matières premières, ou des banques d'avances ; je dis donc, que, considérées dans leur ensemble, soit comme associations de distribution, soit comme associations de production, les sociétés de coopération se distinguent des autres sociétés en ce qu'elles ont essentiellement pour but de transformer les banques, le commerce et l'industrie au point de vue des rapports mutuels qui existent entre ceux qui participent à la création, à la distribution et à la consommation des richesses.
Les associations les plus utiles jusqu'ici, les associations qui nous sont les plus familières sont toujours ou presque toujours des associations de capitaux.
Le travail y joue un rôle subordonné ; il est le serviteur à gage.
Lorsqu'il est admis à participer soit au gouvernement des affaires sociales, soit aux bénéfices qui en résultent, c'est, la plupart du temps, à titre exceptionnel, comme un encouragement, ou par un acte de condescendance pour mieux assurer la prospérité de l'œuvre commune.
Il n'en est pas de même de ces sociétés coopératives. Celles-là s'adressent moins aux capitaux qu'au travailleur lui-même, à l'homme qui ne possède que son activité, son intelligence, sa moralité, son honorabilité.
A cet homme qui n'a pas de capitaux elle s'applique à fournir l'instrument de son travail, à améliorer sa position sociale, à lui faciliter les épargnes, à les lui imposer quelquefois, à l'intéresser directement, personnellement à la prospérité de l'industrie, du commerce auquel il est associé, à lui reconnaître une part à la fois active, incessante dans la direction de l'œuvre et dans la répartition des bénéfices, à confondre enfin, et c'est le principal dessein et le mérite aussi des sociétés coopératives, à confondre en une seule et même personne deux intérêts trop souvent divisés : le capital et le travail.
II résulte de ces données que les véritables sociétés coopératives se recrutent le plus souvent parmi les ouvriers et les petits artisans, parmi ceux qui n'ont pas d'épargnes ou qui en ont fort peu, qu'elles sont constituées avec un capital excessivement réduit.
L'apport ici ne consiste ni en immeubles, ni en outils, ni en influences, ni en quelque capacité exceptionnelle ; c'est le travail, une valeur individuelle plus ou moins présumée, une honorabilité personnelle plus ou moins connue des autres associés qui se mettent en commun. Le capital se forme en même temps que la société se développe ; il se forme par les bénéfices qu'elle réalise, par les épargnes qu'elle impose à ses membres. Tous, ayant des intérêts égaux dans la société, sont jaloux d'en surveiller de près les opérations, d'y participer par leurs conseils, par leur intervention active. Moins ils ont de ressources, plus ils doivent tendre à devenir nombreux, pour partager la responsabilité de leurs opérations. Plus ils sont réduits dans leur situation, plus aussi il faut leur accorder de facilités pour sortir du lien social. De là, la nécessité d'un personnel nombreux et mobile dans la composition et dans la direction de la société.
En un mot, on peut dire que les sociétés coopératives sont l'invasion de la démocratie, l'invasion du gouvernement du peuple par le peuple dans les combinaisons nouvelles de l'industrie et du commerce.
Ce mouvement d'ailleurs n'a rien que de très rationnel, de très conforme aux développements de la civilisation elle-même, à la marche logique de la société. Rappelons-nous les premiers pas des associations anonymes ou en commandite, appliquées à des entreprises dont on voulait diviser les risques, ou qui étaient trop considérables pour la fortune d'un seul individu. Les premières parts, étalent très considérables ; le nombre des participants (page 60) était très limité. Petit à petit, les parts ont été réduites, les associés sont devenu plus nombreux. Les actions, qui étaient autrefois des parts de 20,000, de 10,000 fr., sont tombées à 1,000, à 500, à 100 francs, avec des versements partiels.
N'avons-nous pas vu naguère un spéculateur français obligé, à Paris, de louer la vaste salle du Cirque pour y réunir tous ses associés et les recruter jusque dans les rangs les plus infimes de la société ?
Mais, même sous cette forme, l'association reste toujours une association de capitaux. Aujourd'hui, la société fait un pas de plus. Ce ne sont plus des associations de capitaux proprement dits qui se forment, ce sont des associations de personnes qui veulent devenir capitalistes, et c'est pour cette nature d'association qu'il nous faut trouver des formes légales nouvelles. Ce qui était jadis le monopole du capital grand ou petit va devenir aujourd'hui la ressource du travail, de la moralité et de l'intelligence.
Sans doute, c'est toujours l'association ; mais c'est une association sui generis ; une association qui demande, je ne dirai pas une législation nouvelle, mais tout au moins des modifications à la législation actuelle.
Ici, messieurs, se présente ce que j'appellerai une question préalable très longuement débattue en France et qui mériterait d'être examinée de près par nous. C'est celle de savoir s'il faut édicter des dispositions particulières pour les associations coopératives ou s'il ne serait pas préférable de modifier purement et simplement le droit commun de manière à permettre à cette espèce de sociétés de se fonder et de fonctionner facilement au profit des intéressés. Pour moi, je n'hésite pas à me rallier à ce dernier système ; d'abord parce qu'il serait très difficile de donner une définition claire, nette, précise, légale de ce que c'est qu'une association coopérative.
Pour le moment, comme ces associations sont encore dans la première phase de leur développement, toute définition pourrait être insuffisante et par conséquent dangereuse.
Une deuxième considération qui me ferait me prononcer contre une législation spéciale, c'est que la constitution de ces associations coopératives fait naître une multitude de questions controversées, difficiles à résoudre en théorie et qui ne pourront l'être que, par la pratique.
Ainsi les coopérateurs ne sont pas encore d'accord sur la question très importante de savoir s'il faut imposer à tous les membres de la société une solidarité absolue.
Ils ne sont pas non plus d'accord sur un autre point, à savoir s'il faut fixer un maximum ou un minimum aux mises sociales. Un autre dissentiment encore porte sur la question de savoir si les actions doivent être négociables ou si elles doivent être incessibles. Enfin, une quatrième question encore ouverte, c'est d'arrêter s'il vaut mieux donner la préférence à un petit nombre ou à un grand nombre de gérants, ou même s'il ne faut pas donner aux assemblées générales une autorité prépondérante.
Une loi spéciale, obligée de formuler des règles sur tous ces points encore en litige serait très difficile à rédiger ; il vaut mieux, me semble-t-il, laisser aux conventions particulières le soin de résoudre ces questions à mesure que l'expérience viendra les élucider.
Enfin, faire une législation spéciale pour les sociétés coopératives, ce serait créer une position privilégiée pour les classes laborieuses qui y recourent, et dans les temps où. nous vivons, il faut les séparer le moins possible des autres classes de la société ; il faut que ce qui peut leur être utile puisse profiter également à tous les autres citoyens.
Voilà, messieurs, la raison qui me ferait pencher vers des modifications dans le droit commun en vigueur plutôt que vers une législation spéciale sur les sociétés coopératives.
Le caractère des associations coopératives étant défini, examinons si des ouvriers, des artisans, de petits bourgeois, de grands bourgeois, voulant s'associer coopérativement, peuvent trouver, soit dans la législation qui nous régit aujourd'hui, soit dans celle qui nous est proposée, examinons, dis-je, s'ils ont les facilités nécessaires à la satisfaction de leurs désirs.
Quelle forme choisiront-ils pour exprimer leur volonté ?
Le droit commun reconnaît actuellement deux formes principales de sociétés : ce sont ou les sociétés civiles ou les sociétés industrielles ou commerciales qui se divisent, à leur tour, en sociétés en participation, en sociétés en commandite, en sociétés en nom collectif, et en sociétés anonymes.
Les sociétés coopératives ne peuvent se former en société civile parce que, sous cette forme, il leur serait interdit de vendre à des tiers.
La forme des sociétés en participation est aujourd'hui suivie quelquefois par les associations coopératives, mais il y a, à cette forme, de très grands inconvénients. C'est, d'abord, qu'il n'y a pas, en réalité, de société, et que les créanciers personnels de chaque associé peuvent saisir la part de leurs débiteurs dans l'actif social et se mettre ainsi en leur lieu et place ; les personnes choisies par les coopérateurs se trouvent ainsi écartées et les bases de la société sont faussées.
Puis les contrats peuvent être annulés par la justice, car les sociétés en participation ne sont pas, je crois, autorisées pour des opérations suivies.
C'est bien là, je pense, l'essence de la société en participation,
MiPµ. - Du tout.
M. Couvreurµ. - Tout au moins la jurisprudence n'est pas fixée sur ce point, et je n'oserais pas conseiller à des coopérateurs de se constituer en société de participation.
Enfin, il y a une troisième considération, fiscale celle-là, c'est que chaque associé pourrait être soumis à un droit de patente. Cela suffit pour rendre ces associations impossibles.
Les coopérateurs pourront-ils se former en nom collectif ?
Ici encore nous arrivons à de très grands obstacles : le premier, le plus redoutable, c'est que chaque associé va se trouver solidairement responsable de toutes les opérations sociales. C'est un obstacle qui peut être insurmontable pour l'esprit de beaucoup de coopérateurs.
Mais supposons cette difficulté vaincue. Les ouvriers ont foi dans leur œuvre, ils se connaissent tous, ils savent qu'aucun d'eux ne faillira à sa tâche ; alors se présentent les formalités légales et les frais.
Comme ces mêmes obstacles se produisent également dans l'organisation des sociétés coopératives, par la commandite ou l'anonymat, je les passe momentanément sous silence.
Prendra-t-on la société en commandite : la commandite simple ou la commandite par actions ?
C'est la forme que les associés coopérateurs préfèrent généralement aujourd'hui faute d’en trouver une meilleure, et cependant elle les expose toujours à dérailler. Le gérant étant responsable et les commanditaires ne l'étant point, les associés sont réduits au simple rôle de bailleurs de fonds. Cela est contraire à l'essence même des sociétés de coopération.
La loi sur les sociétés en commandite suppose que lorsqu'elles se forment, les gérants sont déterminés et le capital social fixé.
Or, l'article 43 du code de commerce exige, à peine de nullité, le dépôt au greffe du tribunal de commerce d'un extrait de l'acte social comprenant certaines désignations, notamment celles que je viens d'indiquer. Or, dans les sociétés coopératives, le capital social ne se forme souvent que par versements successifs ; et quant à la gérance, elle doit être très mobile et placée entièrement dans la main des assemblées générales.
L'acte de société doit contenir le nom des associés ; or, leur nombre varie sans cesse, la retraite d'un associé doit être publiée, l'adjonction d'un membre nouveau emporte la nécessité d'un acte nouveau, de publications incessantes. Que de prescriptions faciles à observer pour les associations de capitaux, gênantes, impossibles pour les associations ouvrières !
Enfin il résulte encore de l'application qu'on fait de la commandite à l'association coopérative, que les commanditaires qui donnent leurs capitaux ne s'engagent que jusqu'à concurrence de leur part, tandis que les associés en nom, ceux qui donnent leur travail sont les plus exposés. C'est encore là une chose contraire à l'essence des associations coopératives.
Il y a une autre forme qu'on peut encore recommander aux coopérateurs ; c'est celle de la commandite pour les capitaux et de l'être collectif pour la gérance.
On peut constituer une société coopérative dans le genre de celle dont j'ai l'honneur de faire partie avec M. le bourgmestre de Bruxelles et où nous sommes 50 gérants. Nous sommes 50 gérants et nous avons, je crois, 1,500 actions placées à 5 francs, payables par versement de 1 fr. 25 c. à la fois. Notre capital réel s'élève, si ma mémoire ne me trompe pas, à 8,000 ou à 9,000 fr.
M. Anspachµ. - 13,000 francs.
M. Couvreurµ. - Oui, mais je déduis les avances qui nous ont été faites ; nous avons placé environ 8,000 fr., ce qui représente bien 16,000 actions.
Celte société fonctionne très bien, elle réalise des bénéfices, elle veut donner à ses affaires de nouveaux développements.
Jusqu'à présent les gérants ne sont pas effrayés de la responsabilité qu'ils portent, mais lorsque nous serons remplacés, comme c'est notre intention, par de petits artisans dont nous cherchons à faire en ce moment l'éducation par la pratique, voyez à quelle responsabilité ceux-ci seront exposés.
Reste la société anonyme.
Eh bien, ici non plus, je ne trouve point place pour une bonne organisation de société coopérative. Les formalités d'actes authentiques et, dans l'ancienne législation, les formalités de l'autorisation gouvernementale, qui va heureusement disparaître, constituent des obstacles très sérieux à une pareille organisation.
Examinons si, non pas dans l'ancienne législation, mais dans le projet que nous discutons, nous trouvons quelques réformes utiles aux sociétés (page 61) coopératives. Les difficultés relatives aux extraits à publier restent les mêmes : le projet de loi est modifié dans quelques détails, en ce qui concerne les indications qui doivent figurer dans les extraits : la commission propose de désigner les commanditaires qui doivent fournir les valeurs ou l'indication des obligations de chacun.
Mais le projet de la commission, pas plus que celui du gouvernement, ne tient compte de l'impossibilité absolue où sont les coopérateurs de donner cette indication ; au contraire, la commission aggrave la position des coopérateurs. Le système de publication par la voie du Moniteur ou d'un recueil spécial a sans doute l'avantage de substituer une publicité de fait à cette publicité de droit fort insuffisante qui existe aujourd'hui. Cependant, là encore pour la société coopérative il y aura donc augmentation de dépense, car je suppose que cette insertion dans le Moniteur ou dans un autre recueil devra se faire aux frais des intéressés.
Les inconvénients qui proviennent de la défense faite aux commanditaires de s'occuper des affaires spéciales subsistent encore dans l'article 22 du nouveau projet. Ils sont un peu diminues par l'article 22 du projet de la commission, mais ils ne sont pas complètement effacés.
Le gouvernement, dans l'article 24 de son projet, propose de supprimer les actions dans la commandite. Si ce système devait prévaloir, il enlèverait aux sociétés coopératives un des moyens qui leur avaient permis de prendre, sous l'ancienne législation, la forme de la commandite.
MiPµ. - C'est une erreur complète : en France, on repousse les actions des sociétés coopératives. Le grand grief qu'on fait à la loi française, c'est de ne s'appliquer qu'aux sociétés par actions ; et on prétend que la coopération est impossible quand on doit employer les actions.
M. Couvreurµ. - Je n'examine pas en ce moment la loi française ; je ne fais pas l'éloge de cette loi qui a été faite plutôt contre que pour les sociétés coopératives, ou du moins qui les gêne plus qu'elle ne les sert. J'expose les difficultés qu'offre le projet de loi que nous discutons.
Ce moyen donc de se constituer par actions leur est laissé par le projet de la commission et, à ce point de vue, le principe de la commission peut être approuvé.
Une des grandes réformes que réalise le nouveau projet de loi est celle qui consiste à supprimer l'autorisation gouvernementale pour la constitution des sociétés anonymes. C'est là un tbon principe. Mais là encore les formalités qui accompagnent la naissance des sociétés anonymes empêcheront, je le crains, beaucoup de coopérateurs d'y avoir recours.
Ainsi, il faut que l'intégrité du capital social soit souscrite ; cela est complètement impossible pour les sociétés coopératives, attendu qu'elles ne sont pas instituées avec un capital fixe.
Le versement d'un vingtième peut être un autre obstacle.
Tous les sociétaires doivent intervenir dans les actes authentiques qui constituent la société ; ils peuvent être, dès le début, au nombre de 400 ou 500. Que sera-ce lorsque leur nombre sera décuplé ?
Les administrateurs doivent posséder un cinquantième du capital social. Or, dans la société dont je parlais tantôt qui compte 50 gérants, chacun d'eux devra posséder une somme de 500 francs. Certes, ce n'est pas là une somme très considérable pour les gérants actuels ; mais ne sera-ce pas un obstacle absolu, pour les ouvriers qui ne possèdent pas cette somme, à organiser sous ce rapport leur conseil d'administration.
Enfin, l'article 52 impose, outre la publicité dans les journaux, la convocation des assemblées générales par lettres missives, c'est-à-dire par lettres chargées. Or, supposez pour une société coopérative quatre assemblées par an ; supposez qu'il y ait 6,000 actionnaires, voyez à quels frais vous allez entraîner ces sociétés coopératives, rien que pour l'exécution de cette obligation !
Remarquez, messieurs, que je ne fais pas le procès aux dispositions du projet de loi, en ce qui concerne les sociétés en commandite ou les sociétés anonymes ; ce sont là des associations de capitaux, et à leur point de vue, je trouve très bonnes la plupart des dispositions que je critique en ce moment ; je les critique, parce qu'elles ne me paraissent pas être applicables aux sociétés coopératives.
Tout cela doit vous prouver, messieurs, que des modifications sont nécessaires, si l'on veut faciliter aux sociétés coopératives les moyens de se constituer et de se développer.
On dira peut-être que rien ne presse ; que le nombre de ces associations est très restreint ; qu'il n'est pas absolument nécessaire de s'en occuper quant à présent ; mais il ne faut pas perdre de vue que l'Angleterre, la France et tout récemment la Prusse, ont déjà légiféré sur ces questions, qu'il est juste de faire, pour une forme de société qui a sa nécessité, ce qu'on a fait au temps jadis pour les associations des capitaux.
Les sociétés anonymes existaient depuis trente ans dans le Code, sans qu'elles existassent en fait, surtout avec les développements qu'elles ont pris ; le commerce et l'industrie ont retiré de grands bienfaits de ces associations des capitaux. On peut en espérer de non moins importants de la constitution définitive et du développement des associations coopératives.
Eh bien, n'est-ce pas le moment de profiter de réclusion de ces associations pour enlever les obstacles, les broussailles qui les entravent aujourd'hui ?
Ces associations, on l'a dit hier, n'ont pas toutes réussi ; elles ont subi des échecs. Les sociétés en commandite et les sociétés anonymes n'ont-elles pas non plus eu des revers analogues ? Ceux qui sont entrés les premiers dans cette voie, n'ont-ils pas eu à faire un apprentissage ? Les classes ouvrières feront également leur apprentissage. Mais lorsqu'elles seront sorties de cette phase, je ne doute pas que les associations coopératives ne rendent des services considérables.
Remarquez bien que les coopérateurs ne demandent pas à l'Etat une protection spéciale ; ils demandent simplement que le droit commun leur permette de se constituer et de fonctionner facilement.
Si j'ai bien compris, hier, l'honorable M. Pirmez, je crois qu'il n'est pas très enthousiaste des sociétés coopératives, du moins si j'en dois juger par le très bel et très juste éloge qu'il a fait de la force des industries dirigées par un seul individu.
Pas plus que lui, je ne crois que les associations coopératives sont une panacée pour le paupérisme. Je ne partage pas, sous ce rapport, les illusions de quelques esprits trop enthousiastes ; de panacée contre le paupérisme, il n'y en a, malheureusement, pas.
Sans doute, les sociétés coopératives, pas plus que les grandes associations de capitaux, ne détrôneront les merveilles qui sont le fruit de l'action individuelle ; mais elles ont, je le répète, leur utilité, leur nécessité, elles répondent à un besoin social de plus en plus marqué.
Ce qui leur manque sous le rapport de la promptitude d'action et de l'esprit d'économie qu'on trouve chez le particulier, est remplacé par le contrôle et par la coopération de tous les associés.
Ceux qui en font partie ont certes moins de chances de gagner, mais ils ont aussi moins de risques de perdre.
Ce contrôle et cette coopération ne sont certainement pas plus à dédaigner dans les associations coopératives que dans les sociétés politiques, et quelle que soit l'utilité qu'on peut retirer d'une organisation despotique, nul n'oserait soutenir ici qu'elle soit préférable à l'organisation constitutionnelle.
D'ailleurs, et sur ce point je suis d'accord avec l'honorable ministre de l'intérieur, ces associations n'eussent-elles d'autre effet que de développer la moralité et l'intelligence de tous ceux qui y participent, ce serait encore là une raison de leur être extrêmement favorable.
Mais là ne se bornent pas leurs bienfaits, il y a un dernier point que je voudrais présenter à votre attention.
Lorsqu'on étudie la marche de l'industrie, surtout depuis le commencement de ce siècle, on constate que le développement du prolétariat accompagne toujours les progrès de l'industrie.
Ce mouvement a sa raison même dans la solidarité qui existe entre tous les organes du corps social ; il ne s'étend pas seulement à celui qui loue ses services ; il gagne aussi le petit artisan, la petite bourgeoisie.
Toutes les fois qu'un produit peut tomber dans le domaine de la manufacture, il chasse du marché le produit fabriqué par l'artisan.
Chaque année, les grandes industries acquièrent la faculté de produire en grand les objets de consommation qui, autrefois, se faisaient dans l’arrière-boutique du gagne-petit.
Il en résulte que chaque année, par la force même des choses, le nombre des artisans indépendants tend à diminuer au profit des salariés et qu'ainsi s'augmentent les causes de paupérisme ; il en résulte que nous voyons successivement disparaître ces relations de patronage et de compagnonnage qui existaient autrefois dans les jurandes et les maîtrises, relations que nous pouvons encore trouver dans les grands établissements lorsqu'ils sont dirigés par un patron intelligent et humain, mais qui disparaissent forcément dans les vastes créations anonymes où la puissance est représentée par un être abstrait, impalpable, par les résolutions d'un conseil d'administration, sans contact suivi, régulier, constant avec les salariés.
Economiquement, il ne peut être autrement, quelles que soient l'énergie, l'activité, la persévérance, l'esprit d'économie qu'a si justement dépeints hier l'honorable ministre de l'intérieur chez les petits artisans, chez les industriels isolés.
A ces petits artisans, à ces petits industriels, trois éléments de production (page 62) font défaut, autant qu'ils aident au développement de la grande industrie.
C'est, d'abord, l'achat des matières premières et la vente des fabricats sur une large échelle, ce qui procure à la grande industrie des bénéfices considérables.
C'est, en second lieu, la division du travail et une application plus efficace des forces physiques et chimiques de la nature.
Enfin, en troisième lieu, toujours au profit de la grande industrie, ce sont les moyens de se procurer plus facilement les capitaux, le crédit, dont l'industrie et le commerce ont besoin pour développer leur activité.
Ainsi ces privations douloureuses que dépeignait hier l'honorable ministre de l'intérieur, et que s'impose l'industriel isolé, ces misères que dans une autre classe de citoyens nous voyons éclater autour de nous, ces efforts surhumains que fait souvent la petite industrie pour lutter contre l'envahissement de la grande industrie, ne sont pas dus à un état de choses transitoire qui puisse se guérir par des palliatifs, mais ils sont la conséquence nécessaire des lois qui président aux transformations de l'industrie.
Et ne croyez pas qu'en parlant ainsi, messieurs, je veuille faire le procès à l'industrie. Cela est très loin de ma pensée. Elle constitue un progrès sur l'ancien ordre de choses ; mais tout progrès se paye. Je tiens seulement à constater un fait, qui est réel : c'est que, par la distribution inégale des richesses, elle transforme les sociétés, et tend à les diviser en deux classes.
L'une de ces classes réunit dans ses mains les deux grands leviers, les deux grands éléments de production : l'intelligence et la richesse. L'autre, qui est privée de ces moyens d'action, tombe dans une situation d'infériorité.
La société possède en elle-même, comme le corps humain, d'admirables organes de. reproduction. Elle sent parfaitement le danger de l'état des choses ; elle cherche elle-même, sans intervention du législateur, à réagir contre les effets de la transformation de l'industrie.
C'est ainsi que, pour en neutraliser les effets, elle a créé successivement les caisses d'épargne, les institutions de prévoyance, de secours mutuels, tous ces établissements de bienfaisance répressifs ou préventifs contre les dangers qui peuvent menacer temporairement ou définitivement les salariés dans leurs moyens d'existence.
C'est ainsi encore qu'elle a préconisé, qu'elle a appliqué l'intervention des chefs d'industrie dans la situation de ces salariés, la participation dans une certaine mesure de ces salariés aux bénéfices du chef d'industrie. Tous ces moyens ont été, tour à tour, préconisés, employés, et ont donné les résultats qu'on pouvait en attendre.
Dans les derniers temps, on a vu surgir deux nouveaux systèmes tendants à réagir contre les effets de la transformation de l'industrie, et ces deux systèmes prennent l'association pour base, mais la conduisent à des destinées bien différentes.
Le premier de ces systèmes n'appelle à lui les salariés que pour faire la guerre au capital, pour le supprimer, comme s'il pouvait jamais être supprimé, comme s'il n'était pas du travail accumulé.
Ce mouvement, né en Angleterre dans les Trade's Unions s'est transportée sur le continent, et récemment encore vous avez pu apprécier, dans un congrès tenu à Bruxelles, quelles doctrines, je dirais bouffonnes, si elles n'étaient désastreuses, ce genre d'association cherche à propager.
Dans ce système, l'épargne de l'ouvrier doit être consacrée exclusivement, en dehors de toute autre préoccupation, à organiser contre le capital, contre les machines, contre toute innovation, contre le progrès, disons le mot, la grève du travail. Une solidarité étroite doit unir les travailleurs de tous les pays, non seulement de tous les pays d'Europe, mais des deux continents, que dis-je ? les travailleurs de toutes les races humaines, groupées contre le capital, l'oppresseur commun.
C'est la guerre que proclame ce genre d'association, la guerre entre les deux éléments indispensables de la production, la guerre sourde aujourd'hui, ouverte, déchirée demain, la guerre avec toutes ses passions, toutes ses haines, tous ses préjugés, toutes ses ruines et tousses désastres ! Les industriels ruinés, les ateliers déserts, les ouvriers sans pain, voilà le dernier mot de ce système !
L'autre système, celui des sociétés coopératives, au contraire, part d'un principe d'union, d'un principe de paix. Développer le bien-être des ouvriers, mettre l'indépendance de l'artisan à l'abri de son absorption dans le salariat, ne pas entraver les tendances de la grande industrie, mais suivre son exemple, partager ses bénéfices et lui faire, au besoin, une loyale concurrence : voilà le problème que se proposent les sociétés coopératives et qu'elles sont parvenues à résoudre, tout au moins en Angleterre. Faire de chaque ouvrier un chef d'industrie est une utopie, niais rien n'empêche de réunir, de grouper des ouvriers artisans, des bourgeois, des capitalistes dans une forme nouvelle, de façon à assurera leur collectivité les avantages que les grands capitaux ont procurés à la grande industrie.
Le premier système maintient le salariat pour faire, au besoin, de l'ouvrier un instrument de révolution. Le deuxième système tend à transformer l'ouvrier en capitaliste intéressé à la conservation de l'ordre social.
Partout où les deux systèmes se sont trouvés en présence, l'antagonisme a éclaté entre eux.
En Allemagne M. Schultze-Delilsch, le glorieux fondateur des banques populaires, n'a pas eu d'adversaire plus acharné que Lassale, et récemment encore, sous l'inspiration des théories de cet agitateur, vous avez vu de misérables injures adressées à cet illustre économiste par quelques ouvriers égarés, auxquels il a donné un moyen assuré de sortir de leur état d'infériorité.
En Angleterre, les pionniers de Rochdale et les populations si laborieuses du Lancastershire qui ont supporté avec tant de courage et de patience la crise cotonnière, n'ont rien de commun avec les associés de Sheffield, dont vous connaissez les abominables forfaits.
En Belgique, enfin, je n'hésite pas à attribuer, en partie du moins, à la propagande déployée par l’Internationale l'indifférence de nos populations laborieuse pour l'idée coopérative ;
Entre ces deux systèmes, le choix du gouvernement et de la législature ne peut pas être douteux.
Ceux qui cherchent la solution du problème social dans la guerre, dans l'antagonisme, il faut les éclairer, tâcher de les instruire, et si, malheureusement, nous arrivons trop tard pour les instruire, il faudra bien que les dures leçons de l'expérience, les épreuves au-devant desquelles ils courent, leur apprennent toute l'inanité de leurs illusions.
Quant aux autres, je crois qu'il est de notre devoir de les encourager, de les soutenir, de déblayer de leur chemin les obstacles que la législation leur oppose, et c'est dans ce but que j'ai pris la parole ; il faut les mettre à même de prouver non seulement par la théorie, mais par l'exemple, qu'il n'y a de justice, de paix, de prospérité, de grandeur possible pour une société que dans la fusion de tous les intérêts et dans la solidarité de tous ses enfants.
M. de Macarµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission spéciale qui a examiné le. projet de loi portant création de la commune de La Louvière, province de Hainaut.
- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
MiPµ. - Messieurs, j'aime à commencer la réponse que je dois faire à l'honorable membre qui vient de se rasseoir en constatant les points sur lesquels nous sommes en parfait accord.
Il n'y a pas entre nous la moindre divergence d'opinion sur les facilités qu'il faut donner aux sociétés coopératives ; nous les voyons ou plutôt nous les verrons se développer avec satisfaction.
Nous voulons leur accorder par la loi tous les moyens pour se constituer et prospérer. Comme l'honorable M. Couvreur, le gouvernement fait une distinction complète entre les théories qui servent de base aux sociétés révolutionnaires dont il a parlé, et celles que professent ces sociétés d'hommes probes, courageux, persévérants dans leur but, qui veulent améliorer leur position sociale par le travail et l'économie.
Mais, messieurs, si nous sommes d'accord sur ces prémisses, il est beaucoup de points sur lesquels je diffère d'opinion avec mon honorable collègue.
Ainsi, les considérations qu'il a exposées à l'appui des idées mêmes que je partage avec lui, il m'est impossible de les admettre. Toute la théorie qu'il vient de développer pour justifier la création de sociétés coopératives me paraît plutôt la préface, d'un livre en faveur de l’Internationale qu'en faveur des sociétés coopératives.
En effet l'honorable membre a cherché à démontrer, par des déclarations expresses, que le développement de l'industrie crée une situation mauvaise.
Si ce qu'il nous a dit à cet égard est exact, le développement de l'industrie a pour conséquence immédiate le développement du salariat et du prolétariat.
Or, puisqu'il considère le salariat comme un abaissement, les développements de l'industrie ne sont autre chose qu'un abaissement général des citoyens qui composent la nation.
Messieurs, je ne partage en rien cette manière de voir.
Je ne pense pas que le développement de l'industrie ait pour effet le développement du salariat ; je ne suis pas d'avis, d'autre part, que le (page 63) salariat soit une position abaissée, désavantageuse pour ceux qui reçoivent le salaire.
Je crois que tous les progrès de l'industrie, que toutes les découvertes que l'on fait dans son domaine ont des résultats démocratiques qui élèvent, au contraire, les classes inférieures et qui augmentent le nombre des individus de la classe moyenne.
Je crois, en second lieu, que, dans beaucoup de circonstances, le salarial, c'est-à-dire le forfait payant le travail manuel est ce qu'il y a de plus avantageux à la classe ouvrière.
C'est ce que je vais essayer de démontrer.
Rappelez-vous les admirables découvertes de notre siècle, les immenses développements que l'industrie a reçus et vous constaterez que, dans tous les cas, ces découvertes ont profité, dans une proportion infiniment plus grande, aux classes ouvrières qu'aux classes aisées. Voyez les objets qu'on fabriquait dans les derniers siècles, avant l'accomplissement des progrès que je viens d'indiquer. Les meubles qui ornaient les palais, les étoiles que portaient les grands : Y a-t-il amélioration aujourd'hui sur ce point ?
Nullement, les meubles étaient aussi riches, les vêtements étaient aussi somptueux, plus somptueux même dans les siècles derniers que de nos jours.
Tous les progrès réalisés, à qui ont-ils profité ? Aux classes ouvrières, qui possèdent aujourd'hui des vêtements meilleurs qu'autrefois et à des prix infiniment plus bas.
Les grands progrès de la filature et du tissage, ont profité presque exclusivement aux masses.
La plus grande découverte de ce siècle n'est-elle pas celle des chemins de. fer ?
Or, comment voyageait, il y a 100 ans, le. riche, et comment voyageait l'ouvrier ?
Le premier avait des voitures de poste, des carrosses, des chevaux pour le traîner ; l'ouvrier, lui, devait cheminer à pied.
La situation aujourd'hui est tout autre. A part quelques coussins qui se trouvent dans les voitures de première classe et non dans les autres, il y a identité pour tout le monde dans le mode de voyager ; le millionnaire et l'ouvrier sont transportés dans le même train.
Je ne veux pas fatiguer la Chambre de l’énumération des autres découvertes et de leurs effets ; mais je crois pouvoir dire, que toutes ont eu pour conséquence immédiate d'améliorer surtout la situation des classes inférieures, et sont ainsi démocratiques.
Les développements de l'industrie n'ont-ils pas augmenté, dans tous les temps et dans tous les lieux, la classe moyenne ?
Comparez deux pays : l'un où l'industrie s'est développée, l'autre où elle n'a fait aucun progrès. Ainsi, prenez l'Italie, l'Espagne ; qu'y voyez-vous ? De très hauts et très puissants seigneurs ayant des fortunes colossales ; en dessous d'eux la plèbe et pas autre chose ; peu de classe moyenne. Voyez les pays qui se sont fait remarquer par leur industrie, vous verrez le contraire. Nos anciennes communes flamandes, Gand, Ypres et Bruges, n'avaient-elles pas une bourgeoisie considérable lorsque ces villes brillaient par leur activité commerciale ? Est-ce que la Belgique tout entière, le pays le plus industriel de l'Europe après l'Angleterre, n'est pas éminemment un pays de classe moyenne ?
Le phénomène s'explique parfaitement : le développement de l'industrie appelle une somme grande de richesses, dont une plus grande partie est la rémunération du travail ; mais les salaires qui sont payés aux ouvriers aboutissent à la formation d'une classe moyenne. N'avez-vous pas, en effet, dans les localités où existent un grand nombre d'ouvriers, quantité de bourgeois qui exercent différents négoces et dont le nombre augmente en raison du développement de l'industrie ?
Si l'on veut considérer les choses à ce point de vue, on trouvera que politiquement et socialement le développement de l'industrie est tout à fait démocratique.
Je ne crois donc pas qu'il y ait à chercher un remède à la situation actuelle, ni que cette situation soit mauvaise par le développement de l'industrie ; je ne crois pas davantage que le salariat soit toujours une situation mauvaise pour l'ouvrier.
M. Couvreurµ. - Je n'ai pas soutenu cela, M. le ministre...
MiPµ. - Peut-être pas aussi nettement, mais voire thèse est au fond celle-ci : c'est que les sociétés coopératives auront surtout ce résultat très avantageux d'intéresser l'ouvrier à l'industrie qui l'emploie, et de le convertir ainsi en un intéressé de la fabrique où il travaille.
Je le répète, messieurs, car je tiens à bien le constater, le salariat est souvent pour l'ouvrier la position la plus avantageuse. Il ne faut pas croire, en effet, que tous les bénéfices soient réservés au capital et que le capital soit toujours plus largement rémunéré que le travail. Il y a sans doute des entreprises qui arrivent à un degré de prospérité très remarquable ; lorsqu'on voit une de ces entreprises, on est assez tenté de généraliser et de supposer qu'il en est de même de toutes les autres.
On fait trop souvent le compte de l'actif des capitaux sans faire le compte de leur passif. Je connais des établissements très considérables qui ont nécessité l'emploi d'énormes capitaux et qui cependant, pendant un grand nombre d'années, n'ont pas produit un centime de bénéfice pour les capitaux engagés. Or, quelle serait donc, dans de pareilles conditions, la position de l'ouvrier ? Elle serait complètement impossible. Ces établissements, bien qu'ils n'aient réalisé aucun bénéfice pour les capitaux, ont répandu des sommes énormes dans la circulation, sous forme de salaire ; malgré leur insuccès financier, ces établissements ont donc été extrêmement utiles à la richesse publique.
Bien que le capital n'ait point réalisé de bénéfices, la richesse publique s'est accrue, par les rémunérations considérables données au travail, par les sommes énormes qui, chaque quinzaine, ont été jetées dans la circulation et qui ont profité, non seulement aux salariés, mais encore à une foule de fabricants, de négociants ; en un mot, non seulement à la classe ouvrière mais encore à la classe moyenne.
Messieurs, je tiens beaucoup à le déclarer, si j'insiste sur ces observations, ce n'est pas que je craigne de voir les sociétés coopératives se développer ; je le désire, au contraire, parce que. je voudrais voir les classes ouvrières acquérir les capacités nécessaires pour pouvoir intervenir directement dans les affaires industrielles ; parce que je voudrais que leur moralité se fortifiât assez pour que l'on ait une entière confiance dans ceux qui seront préposés à la gestion des sociétés coopératives.
Mais si je fais ces observations, c'est parce que je crois très important de ne pas laisser penser que notre société présente des vices radicaux auxquels il y aurait à porter remède, et parce que, à mon avis, les remèdes que l'on indique comme des innovations destinées à modifier profondément la situation actuelle, n'atteindront pas des résultats très importants. Il faut, avant tout, se défier des illusions et se rendre bien compte de ce qui est.
Ainsi, l'honorable M. Couvreur croit que, dans ces sociétés coopératives, il y a une surveillance active, efficace, exercée par de nombreux intéressés. Je pense que c'est une opinion que les faits ne confirment pas. Voyez, en effet, ce qui se passe dans les sociétés anonymes : l'insouciance des porteurs d'actions y est chose remarquable ; presque jamais ils ne se rendent aux assemblées générales ; la plupart d'entre eux n'ont aucune idée de ce qui s'y fait, et vous n'en voyez presque jamais aucun se donner un peu de peine pour faire réprimer les abus.
Or, messieurs, dans les sociétés coopératives, l'intérêt du gérant le portera à profiter de sa position, et il sera toujours plus fort que la surveillance collective, parce que celle-là est trop difficile. C'est là, je le crains, la cause la plus redoutable d'insuccès de ce genre de sociétés.
Ces principes discutés, j'aborde les critiques que l'honorable M. Couvreur a faites de notre législation sur les sociétés tant actuelles que futures ; critiques qui ont pour but de démontrer qu'il est sinon impossible, tout au moins difficile, de constituer des sociétés coopératives avec le système de législation qui est proposé.
J'admets, messieurs, qu'il y a peut-être quelques détails à modifier. Ainsi, par exemple, je conviens très volontiers qu'il pourrait être utile de supprimer l'obligation de convoquer les membres de certaines sociétés par lettres ou par la voie des journaux.
Je suis disposé à me rallier aux amendements que l'honorable M. Couvreur aurait l'intention de présenter sur ces dispositions tout à fait secondaires de la loi.
Mais où je ne puis être de l'avis de l'honorable membre, c'est lorsqu'il prétend que l'ensemble de notre législation est un obstacle à la création et au développement des sociétés coopératives.
Je vais, messieurs, vous prouver qu'avec les arguments de l'honorable membre, on peut démontrer qu'il est sinon impossible, du moins très difficile de constituer une société ordinaire de commerce ou d'industrie ; que la législation entrave la création de toute société.
Je parcours la série comme le fait M. Couvreur.
Nous avons d'abord l'association civile ; elle est inapplicable, mon opération étant commerciale.
Nous avons ensuite la société en nom collectif ; je n'en veux pas ; il y a solidarité ; celle-ci me gêne.
La société en commandite ? Les commanditaires ne peuvent administrer. Or, je veux pouvoir administrer.
La société anonyme ? Elle ne me convient pas, parce que je ne puis être (page 64) administrateur, n'ayant pas un intérêt assez fort pour remplir les conditions requises.
La participation ? La jurisprudence est trop divisée sur ses éléments. Voilà exactement le système de raisonner qu'emploie l'honorable M. Couvreur.
M. Couvreurµ. - Pas exactement.
MiPµ. - Dans leur essence. La solidarité vous paraît un obstacle dans toute société en nom collectif, et vous invoquez les législations anglaise et allemande ?
Mais le fondement de ces lois, c'est précisément la solidarité obligatoire !
En Allemagne, on la considère comme de l'essence de ces sociétés.
En Angleterre, on peut, sans doute, prendre la forme des sociétés à responsabilité limitée, mais alors on rentre dans le droit commun et on a à remplir des formalités analogues à celles que l'honorable membre reproche à notre législation.
Ce n'est qu'en sortant de la loi spéciale de 1862 que l'on évite la solidarité ; de manière qu'il reste vrai de dire qu'en Angleterre, comme en Allemagne, la législation des sociétés coopératives admet la solidarité qui, chez nous, paraît un obstacle !
En France, presque toutes les sociétés coopératives ont pris la forme de la commandite ; cependant, il est une loi en France, celle de 1856, qui impose à la commandite par actions de très grandes difficultés ; est-il une loi qui soit plus simple que les dispositions inscrites dans notre code sur la commandite ? Elle ne défend rien, et permet tout.
L'honorable membre nous disait : « Il est difficile d'introduire des actions dans la commandite, et pour la société coopérative, il nous faut des actions. »
Or, il se trouve qu'en France, ce que l'on reproche à la loi, c'est d'être faite exclusivement pour les sociétés par actions !
L'honorable membre pense que la loi française a pour but d'empêcher les sociétés coopératives. Je n'en crois rien ; je sais que le gouvernement français s'y est montré hostile en 1848 ; j'ai même cité, à ce propos, ce qui s'est passé à Lyon sous le commandement du général Castellane, mais ce que je n'ignore pas non plus, c'est que le gouvernement français actuel est bien loin d'avoir les mêmes sentiments pour les sociétés coopératives.
L'empereur, si je ne me trompe, a avancé, sur sa cassette privée, des fonds très considérables à ces sociétés coopératives. On a donc voulu faire une loi sérieuse donnant toutes les facilités possibles.
Après une longue enquête, que demandait-on et sur quel point les demandes de l'opposition ont elles porté ?
Elles ont porté sur ce que la loi ne s'appliquait qu'aux sociétés par actions, système moins avantageux pour les sociétés coopératives que pour les sociétés par intérêts nominatifs.
La différence que je voulais indiquer à l'honorable préopinant en l'interrompant tantôt, c'est que quand il se plaignait de ne pas avoir assez de facilités pour les actions, il oubliait qu'on reprochait à la loi française de ne pas admettre les sociétés anonymes sans actions et, par cela même, de créer un obstacle à la fondation et au développement des sociétés coopératives qui n'ont pas d'actions et doivent avoir des titres nominativement désignés.
Mais, messieurs, je suppose que ces critiques soient vraies ; je suppose que notre loi ne se prête pas exactement à tous les désirs si multiples de ceux qui voudraient former une société coopérative : il faut cependant bien qu'une société coopérative ait une forme de société quelconque.
Je ne puis pas concevoir autre chose que l'une des trois formes qui existent dans la loi actuelle ; ou bien ce sera une association de personnes ou de capitaux, ou bien ce sera une association des deux choses à la fois. En dehors de là, je ne vois plus rien, car enfin, il faut qu'une société repose sur quelque chose, qu'elle ait une consistance ou par des personnes naturelles ou par des capitaux transformés en personnes juridiques.
Si vous voulez faire une association de personnes, vous avez la société en nom collectif ; si vous voulez faire une association de capitaux, vous aurez la société anonyme, et si vous voulez les deux choses à la fois, vous aurez la société en commandite ; et je ne comprends pas trop quelle espèce de société l'honorable M. Couvreur voudrait faire en dehors de ces trois sociétés.
Remarquez-le, messieurs, cela tendrait à une création sui generis qui n'existe nulle part, ni en Angleterre, ni en France, ni en Allemagne.
Nous sommes prêts à admettre dans la loi toutes les dispositions favorables aux sociétés coopératives qui existent dans un pays quelconque ; nous sommes prêts à aller beaucoup plus loin, à apporter des facilités nouvelles, mais encore faut-il bien admettre une organisation quelconque.
Lorsqu'on permet à une société de se constituer, de contracter, de s'engager vis-à-vis de tiers, il faut bien au moins que les tiers sachent à qui ils ont à faire.
Je crois que le projet, sauf les détails indiqués par l'honorable M. Couvreur et auxquels il n'y aura évidemment aucun obstacle à apporter des changements, contient toutes les facilités désirables.
Il faudrait, pour pouvoir discuter avec fruit les observations de l'honorable préopinant, qu'il voulut bien les formuler par des amendements.
Je puis lui donner l'assurance que, pour ma part, j'examinerai ses propositions avec le désir d'améliorer la législation et de donner tout ce qui pourra faciliter la création et le développement des sociétés coopératives. Mon désir est égal au sien ; et cette communauté de tendances nous mettra d'accord sur les moyens.
M. Anspachµ. - La déclaration par laquelle vient de terminer l'honorable ministre de l'intérieur m'engage à lui demander de vouloir bien me donner un renseignement sur les frais auxquels sont astreintes les sociétés dont a parlé mon honorable collègue de Bruxelles, M. Couvreur. Voici, messieurs, le but de ma demande. On a créé une société coopérative, à un capital de 15,000 francs, représenté par 3,000 actions de 5 francs chacune. Toutes les sociétés coopératives seront à peu près dans la même situation, c'est-à-dire qu'elles se trouveront avec un capital très restreint, représenté par un grand nombre d'actions.
D'après la législation existante, je crois que l'émission des actions aurait un résultat désastreux pour la société, en entraînant à des frais excessivement considérables.
Je crois que, pour ce détail seul, on devrait payer au fisc une somme, de 50 centimes par action, soit 1,500 francs pour la société dont on a parlé, c'est-à-dire 10 p. c. du capital.
A côté de ces premiers frais, il y aurait le coût de l'acte de société, les dépenses de publicité et de publication, chaque fois qu'il y aurait des changements dans la gérance, et la gérance est extrêmement variable dans ces sociétés coopératives.
Cet ensemble de nécessités amène, pour les sociétés qui voudraient se constituer, des frais tellement considérables, que je crois qu'avec la législation actuelle il est impossible d'espérer un rapide développement dans cette voie désirable.
La société coopérative pour la vente des denrées alimentaires, qui s'est constituée dans les premiers mois de cette année, à Bruxelles, s'est bien gardée de faire enregistrer son contrat ; elle s'est bien gardée de donner à ses actionnaires des actions ; elle s'est contentée de faire des quittances de 5 fr. et de se fier un peu à la bonne foi des associés.
Pourquoi n'a-t-elle pas fait timbrer ses actions ? Pourquoi n'a-t-elle pas fait enregistrer son contrat ? Parce qu'elle se ruinait du premier coup et qu'il était impossible d'arriver au résultat, si satisfaisant déjà pour la classe ouvrière, que l'on a atteint.
Eh bien, messieurs, nous avions attendu pour remplir les formalités légales qui assurent la constitution de la société, et il faut bien que ces formalités se remplissent, parce que leur absence pourrait amener plus tard d'inextricables difficultés ; nous avions cru que, dans son projet, le gouvernement proposerait des mesures favorables qui s'appliqueraient aux sociétés coopératives.
Ces mesures, je ne les vois pas ; je ne vois pas, dans le projet du gouvernement, des dispositions protectrices qui puissent faire atteindre ce résultat éminemment désirable, celui de voir nombreuses et multipliées dans tout le pays les sociétés coopératives.
Nous sommes tous d'accord, l'honorable M. Couvreur, l'honorable ministre de l'intérieur et, je crois, tous les membres de cette Chambre, pour dire que l'établissement d'un grand nombre de sociétés coopératives serait éminemment favorable à l'avancement matériel et moral des classes ouvrières. Cherchons donc de commun accord tout ce qui peut favoriser le développement de ces sociétés.
Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir faire faire par ses bureaux le compte de ce que payerait une société du genre de celle dont j'ai parlé, c'est-à-dire ayant un capital de 15,000 fr. et 3,000 actions, ayant une gérance composée de cinquante personnes, soumise à élection chaque année, avec un roulement considérable, et je suis persuadé qu'il reconnaîtra lui-même que si les frais ne sont pas minimes, et en proportion avec le petit capital engagé, il faut renoncer à l'espoir de voir les sociétés coopératives se développer dans le pays.
Il faudrait donc penser à établir dans la loi des dispositions qui diminueraient sensiblement les frais de publication et les frais de timbrage des actions pour les sociétés à capitaux minimes, par exemple pour les sociétés dont le capital ne dépasserait pas 20,000 à 25,000 francs. Si nous ne prenons pas des mesures dans ce sens, nous empêchons dans l'avenir, je le répète, la création des sociétés coopératives.
MiPµ. - Evidemment il ne peut être question, dans la révision du code de commerce, de mesures fiscales, de (page 65) droit de timbre et d'enregistrement. Ainsi j'ai signalé, dans mon exposé, les difficultés que présente aujourd'hui l'enregistrement des actions. Mais je n'ai pas proposé de dispositions à cet égard, parce que ce n'est pas la place d'introduire des modifications aux lois financières.
Je crois d'ailleurs que l'honorable bourgmestre de Bruxelles se fait une illusion complète sur l'importance de la dépense dont il parle.
L'acte de société pouvait être mis modestement sur un timbre de 45 c. ; mais allons plus haut : prenons I fr. 20 c.
Il fallait faire enregistrer cet acte. L'enregistrement devait coûter 6 fr. 60 c. : soit, de ces deux chefs 7 fr. 80 c.
Quant à la publication, mettez-la à 5 fr.
La dépense totale était donc de 12 fr. 80.
M. Anspachµ. - Et les actions ?
MiPµ. - Mais, au lieu d'actions, on donne des certificats d'inscription sans les mettre sur timbre.
M. Guillery. - Ce n'est pas conforme, à la loi.
MiPµ. - Je demanderai à l'honorable membre, qui paraît plus vigilant défenseur des droits du fisc qu'un ministre des finances, s'il ne lui est jamais arrivé, sans se croire un bien grand criminel, de faire des actes sur papier libre ?
Je ne crois pas que ce soient ces difficultés-là qui empêchent les sociétés coopératives de se constituer.
M. Anspachµ. - Je crois que l'honorable ministre de l'intérieur n'a pas répondu complètement. M. le ministre dit qu'on peut faire des actions sur papier libre sous forme de certificats nominatifs, mais alors on ne peut pas les produire en justice. (Interruption.) Si je me contente de faire ce que j'ai fait jusqu'à présent, c'est-à-dire de donner à mes associés un reçu, je n'ai pas une société légalement établie.
MiPµ. - Rien de plus simple : on donne un certificat nominatif d'inscription ; il n'est pas sur timbre, mais quand on arrive en justice, si le procès route sur cette pièce, on fait ce qui arrive tous les jours dans pareil cas : on pose en fait ce que contient la pièce et on l'invoque comme obligation verbale. Dans presque tous les procès on invoque des pièces qui ne sont ni timbrées ni enregistrées. M. le bourgmestre a été avocat comme moi, et il a été souvent dans le cas de plaider sur de pareilles pièces.
Si l'honorable membre veut passer quelques heures à une audience du tribunal de commerce, il verra ses souvenirs de barreau se rafraîchir complètement et ses craintes se dissiper parfaitement.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, vous avez renvoyé hier à la commission les amendements déposés par M. le ministre de la justice. En ordonnant ce renvoi, vous avez décidé que cependant la discussion continuerait.
Je crois qu'il n'est pas mauvais, dans cet état de choses, de faire connaître, à la Chambre quelle est la situation des travaux de la commission, afin qu'elle puisse régler en conséquence son ordre du jour.
La commission, qui s'est réunie aujourd'hui, a tenu une fort longue séance, mais elle n'a pas cru pouvoir prendre la responsabilité d'une décision avant que le gouvernement eût donné des explications écrites qui pussent être méditées. M. le ministre de l'intérieur a dit hier que les amendements étaient de pure forme ; c'est vrai pour la plupart d'entre eux ; mais, même parmi les amendements de pure forme, il en est qui s'écartent des textes anciens, et l'on ne voit pas toujours quelle est l'utilité de ces innovations. Ces amendements-là méritent déjà quelques explications.
Il en est d'autres qui touchent au fond. Je signalerai notamment l'amendement à l'article premier.
Le projet primitif du gouvernement rendait toujours commerciales les sociétés ayant pour objet l'achat et la revente d'immeubles.
Le projet de la commission permettait aux fondateurs de ces sociétés de choisir entre le régime de la loi civile et celui de la loi commerciale.
Dans l'amendement qu'il propose aujourd'hui, le gouvernement ne permet plus de mettre ces sociétés sous l'empire de la loi commerciale, de façon qu'il refuse, même à l'état de faculté, ce qu'il voulait rendre d'abord obligatoire.
C'est là un changement important ; il demande des explications, qui peuvent être assez étendues.
Il y a encore une autre modification importante. La commission, à l'exemple du projet primitif du gouvernement, avait maintenu la règle que l'immixtion du commanditaire dans la gestion le rend indéfiniment responsable de toutes les dettes de la société. Le nouveau projet du gouvernement modifie cette règle. La solidarité n'est plus appliquée que pour les actes relativement auxquels il a contrevenu à la prohibition de gestion. La règle ancienne ne subsiste que pour le cas où il s'est habituellement occupé des affaires de la gestion. Ce point encore exige des explications qui puissent être méditées par la commission avant qu'elle prenne la responsabilité d'une décision.
J'appellerai encore l'attention du gouvernement sur des modifications de pure forme, mais qui ont aussi leur importance, apportées aux articles 15 et 18, qui définissent les sociétés en non collectif et en commandite.
La commission avait maintenu les définitions anciennes ; le gouvernement présente aujourd'hui de nouvelles définitions, qui n'ont pas paru, au premier abord, des plus heureuses à la commission. Elles sont conçues dans un style qui est plutôt celui de l'école que de la législation et qui n'ajoute rien à la rédaction primitive.
Dans cette situation, la commission ne croit pas pouvoir présenter de rapport à l'assemblée avant d'avoir reçu des explications. Elle croit devoir en avertir la Chambre dès maintenant, afin que l'ordre des travaux de l'assemblée ne soit pas interrompu.
MiPµ. - Si la commission le désire, je suis prêt à lui remettre un travail ; mais je crois qu'il serait plus simple qu'elle voulût se contenter de réponses verbales. Demain je me rendrais dans son sein, je lui donnerais, article par article, toutes les explications possibles, et nous pourrions nous mettre immédiatement d'accord.
La commission ferait alors son rapport et elle exposerait les raisons des changements qu'elle aurait adoptés.
Je crois que ce serait là le meilleur mode à suivre pour tout le monde.
M. Van Humbeeck. - Nous ne refusons certainement pas les explications que nous offre M. le ministre de l'intérieur. Nous sommes convaincus qu'elles seront utiles ; mais seront-elles suffisantes ? C'est ce qu'il serait impossible de décider avant de les avoir entendues.
Voici, dans tous les cas, le grand avantage d'explications écrites sur des explications verbales ; c'est que l'on aurait un texte sur lequel on pourrait appuyer des délibérations postérieures.
Les explications verbales auront certes leur utilité, mais si elles doivent être longues, elles peuvent nous échapper en partie.
Un autre avantage encore d'un travail écrit, c'est que le système du gouvernement sera connu de toute la Chambre comme des membres de la commission.
Aucun développement n'a encore été donné jusqu'à présent aux amendements. Si l'on voulait présenter, en séance publique, les considérations qui viennent à l'appui des amendements, la commission pourrait prendre pour base de ses délibérations les explications données et qui figureraient aux Annales parlementaires.
On n'aurait pas, ainsi, les inconvénients du long travail dont parle l'honorable ministre et on en aurait les avantages.
MiPµ. - Il me serait impossible de donner, en séance publique, l'explication de la rédaction d'une cinquantaine d'articles ; si je commençais cet exposé, j'aurais bien vite fait déserter tous les bancs de la Chambre ; d'ailleurs à moins d'avoir fait des études complètes de tous les détails de la matière, on saurait difficilement comprendre ces observations décousues sur toutes les parties de la loi.
Remarquez bien, messieurs, que le travail qu'on me demande sera très long et que je ne puis garantir de l'avoir fini pour demain. Et puis il est possible qu'à la suite des objections de la commission je retire une partie des amendements présentés. Alors à quoi auraient servi les développements écrits ? Absolument à rien.
Lorsque des explications verbales auront été données à la commission, elles figureront dans le rapport et s'il y avait divergence entre la commission et le gouvernement, le rapport le constaterait. Pour ce cas, je m'engage à fournir une note ; mais je suis convaincu qu'il n'y en aura pas.
Lorsque le projet primitif a été présenté, j'étais à la fois président et rapporteur de la commission qui l'a examiné ; j'ai pris une grande part à la rédaction du projet ; je n'ai donc nullement l'intention de démolir ce projet ; aussi la Chambre peut être assurée que je me montrerai conciliant pour revenir à mes premières amours.
M. le président. - La commission accepte-t-elle la proposition de M. le ministre ?
M. Van Humbeeck. - Nous prendrons toujours les explications, sauf à voir ce qu'il y a lieu de faire ultérieurement.
M. le président. - S'il surgit de nouvelles difficultés, on y pourvoira ; mais il est convenu que la commission se réunira demain et que M. le ministre de. l'intérieur sera appelé dans son sein.
M. Teschµ. - Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de la Chambre de continuer demain la discussion avant d'avoir pris connaissance du rapport...
M. le président. - Je ferai remarquer que nous avons peu de choses à notre ordre du jour.
(page 66) Un malheur de famille retient M. le ministre de la justice éloigné de nos travaux. Nous sommes dès lors empêchés d'aborder la discussion du budget de la justice ; il en est de même de la loi sur la contrainte par corps.
Je crains donc que, si nous interrompons la discussion, nous n'en arrivions à devoir suspendre nos séances.
M. de Theuxµ. - N'y a-t-il pas de rapports de pétitions ?
M. le président. - Si.
M. de Theuxµ. - Il me semble que rien ne doit nous empêcher alors d'interrompre la discussion ; nous pourrions nous occuper de rapports de pétitions demain au lieu de le faire vendredi.
M. Jacobsµ. - Je demande que la commission ne nous donne pas en une fois son rapport sur tous les articles du projet. Rien n'empêcherait que dès demain elle nous donne un rapport sur les premiers articles ; nous pourrions entamer la discussion sur ce rapport, et ainsi nous ne serions pas obligés de suspendre la discussion.
M. le président. - Il y a une proposition de M. de Theux d'intervertir l'ordre du jour et d'aborder demain des feuilletons de pétitions.
M. de Theuxµ. - Et de naturalisations.
M. le président. - Et de naturalisations...
M. Teschµ. - Je propose de suspendre la discussion jusqu'à ce que la commission ait fait son rapport et que nous ayons eu le temps de l'examiner.
Il est certainement regrettable de n'avoir que peu d'objets à notre ordre du jour, mais il serait plus regrettable encore d'entamer la discussion des articles sans être parfaitement éclairés. Il y a beaucoup de modifications dont, à l'heure qu'il est, nous ne connaissons pas encore la raison.
M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. Tesch qui tend, d'une manière absolue, à interrompre momentanément la discussion jusqu'à ce que la commission ait fait son rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Il est entendu que l'examen du projet de loi est suspendu jusqu'à ce que la commission ait fait son rapport. Il est aussi entendu, je pense, que la 'commission s'occupera d'urgence de l'examen auquel elle doit se livrer, et que M. le ministre de l'intérieur se rendra demain dans son sein.
- La séance est levée à 4 1/4 heures.