(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 1109) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le collège des bourgmestre et échevins de Sart-Custine présente des observations contre la réclamation de membres du conseil communal relative à la mise en vente d'une coupe de taillis. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Damseaux, Michel et autres membres de la ligue de l'enseignement à Gembloux proposent des modifications au système actuel d'enseignement moyen. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Le collège des bourgmestre et échevins de Bruxelles appelle l'attention de la Chambre sur la pétition des habitants de cette ville tendante à ce que le gouvernement rachète les embranchements du canal de Charleroi et déclare se rallier à l'avis des pétitionnaires »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion, du rapport sur les pétitions relatives au même objet.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Mouton. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau des rapports sur des demandes de naturalisation.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole sur l'incident qui a été soulevée dans la séance d'hier ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, dans la séance d'hier j'ai annoncé à la Chambre que je produirai des pièces à l'appui des assertions que j'ai émises. Je pense que cette digression au budget de l'intérieur ne sera pas sans utilité, car la Chambre est saisie de plusieurs pétitions émanées de conseils communaux importants et qui demandent la révision des dispositions qui règlent la confection des listes électorales ; du reste le vendredi est d'ordinaire consacré à l'examen des pétitions. La discussion n'est donc pas hors de saison.
Messieurs, j'ai dit hier que le projet de loi que le gouvernement se proposait de soumettre à la Chambre puisait sa raison d'être dans les abus nombreux qui ont été constatés ; j'ai ajouté que l'initiative de la réforme était venue des membres de la droite. Je vais plus loin, et je prétends que les auteurs, les parrains de la loi nouvelle sont précisément les membres de la droite, exactement comme l'honorable M. Malou a été le père de la loi sur la mise à la retraite des magistrats.
Il suffira, messieurs, pour vous en convaincre, de vous lire quelques extraits de la discussion qui a eu lieu en 1864.
L'honorable M. Delcour, s'occupant des députations permanentes, s'exprimait ainsi :
« Je viens de citer les réclamations relatives aux listes électorales. A coup sûr, il n'y a pas de contestations plus importantes que celles qui se rattachent à l'exercice ou à la jouissance de nos droits politiques.
« Eh bien, lorsqu'une députation permanente est appelée à se prononcer sur des contestations de cette nature, vous enlevez aux justiciables toutes les garanties constitutionnelles qui leur ont été accordées devant la justice ordinaire.
« En justice ordinaire, ils rencontrent un juge inamovible. Devant la députation, ils trouvent un juge politique et toujours amovible. Devant la justice ordinaire, il y a publicité des audiences et débats contradictoires, toutes ces garanties disparaissent devant les députations permanentes. »
L'honorable membre constatait que la députation permanente était un juge de parti.
Aucun membre de la Chambre ne s'est levé pour protester contre la manière dont on qualifiait les actes des députations permanentes.
Voilà ce que disait, dans la séance du 24 décembre 1864, l'honorable M. Reynaert :
« Les députations permanentes, dans l'intention du législateur, devaient être des juridictions purement administratives, destinées à rester inaccessibles, autant que notre corps judiciaire, aux influences de l'esprit de parti. Eh bien, aujourd'hui c'est un fait irrécusable : nos députations permanentes sont devenues des corps politiques, composés d'hommes de parti, qui se trouvent exposés à tous les dangers et à toutes les suggestions des passions du jour.
« Pour qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions, je dirai à la Chambre que je n'ai aucune envie de récriminer et que je n'ai d'autre but que de constater un état de choses déplorable dont on chercherait en vain de nier l'existence.
« J'ajouterai même qu'à mon point de vue, cette fâcheuse déviation des députations permanentes est due à des causes auxquelles il leur eût été, sinon impossible, du moins difficile de se soustraire.
« Une double cause me semble avoir produit ce triste résultat : le mode de nomination des députations permanentes et la nature de certaines attributions dont elles sont investies.
« D'une part, en effet, les députations permanentes procèdent du principe électif. Elles sont élues par les conseils provinciaux, lesquels sont, à leur tour, un produit du corps électoral.
« Notez bien que je n'entends pas critiquer ce mode de nomination ; tout au contraire, je le déclare hautement, il a toutes mes sympathies et je le considère comme le seul possible. Mais, je vous le demande, comment voulez-vous, comment se peut-il que les députations permanentes ne reflètent point l'esprit de leur origine ? Comment voulez vous, en d'autres termes, que les députations permanentes ne soient pas atteintes par l'esprit de parti quand cet esprit de parti a envahi et les conseils provinciaux et le corps électoral ?
« D'autre part, dans les attributions si multiples et si variées dont les députations permanentes sont investies, il s'en trouve dont la nature est telle, que l'on comprend aisément les tentations politiques auxquelles elles doivent donner naissance. Je citerai entre autres les décisions en matière de listes électorales et le droit d'annuler les élections communales.
« Je sais bien que malgré cette tendance en quelque sorte forcée, en quelque sorte nécessaire des députations permanentes, quelques-unes d'entre elles sont restées rigoureusement renfermées dans les limites de l'impartialité et de la justice. Mais d'autres, au contraire, abusant de leur position exorbitante, profitant du pouvoir immense dont elles sont investies et qu'elles exercent vous savez comment, à huis clos, sans publicité, sans contrôle, très souvent d'une manière souveraine, par leurs décisions en fait, souvent encore sans appel, ont donné, dans ces derniers temps, le triste exemple de l'arbitraire et de l'illégalité. Des abus criants ont été révélés par la presse et ont même été dénoncés dans cette Chambre.
« M. Muller. - Il faut citer.
« M. Reynaert. - Puisqu'on m'interrompt, je citerai particulièrement l'annulation des élections communales de Courtrai, annulation (page 1110) qui a été un scandale administratif sans exemple ; je le dis hautement, je le dis devant le pays.
« La plaie de l'esprit de parti a gagné nos députations permanentes, appliquons-y le fer chaud de la publicité, dans des cas déterminés ; ouvrons, à jour donné, la porte du prétoire des députations permanentes ; introduisons-y, avec la lumière, le contrôle, la discussion et surtout la critique de la presse : admettons-y, dans des hypothèses prévues, les débats contradictoires ; et nous pourrons nous féliciter, messieurs, d'avoir opérer un progrès réel dont les résultats seront aussi efficaces que salutaires.
« Nous compléterons ainsi, nous achèverons l'harmonie de nos institutions, en prouvant que notre volonté est de les entourer toutes, les unes après les autres, de ces garanties sérieuses, vraiment nationales, vraiment démocratiques, qui ont leur source dans la publicité et qui ont pour effet de produire la loyauté, la responsabilité, la justice. »
Eh bien, messieurs, quand hier je me servais du mot « scandaleux » je ne faisais qu'imiter l'honorable M. Reynaert.
M. de Haerneµ. - Distingue tempora.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est cela, il faut distinguer tempora et homines.
En ce temps-là, messieurs, les libéraux avaient la majorité et la députation permanente était libérale. (Interruption.)
Je ne m'explique donc pas pourquoi M. Coomans, qui assistait à la séance où M. Reynaert a qualifié de scandaleux l'acte de la députation permanente, ne s'est pas levé pour protester contre l'expression dont s'est servi son honorable collègue de la droite.
Il y a même plus ; l'honorable M. de Theux trouvait l'appréciation de M. Reynaert très naturelle, et il n'admettait pas que M. Vandenpeereboom pût se plaindre de ce que M. Reynaert se bornât à dire : « C'est un scandale administratif » sans apporter aucun fait à l'appui de son affirmation.
Ma position est toute différente. Lorsque je me servis hier du mol « scandaleux », j'ai ajouté que j'avais en mains les moyens d'établir ce que j'avançais.
Je pense donc pouvoir invoquer le bénéfice de l'absolution que M. de Theux donnait à M. Reynaert. M. de Theux s'exprimait en ces termes :
« Est-ce à dire qu'il n'y ait pas lieu d'introduire des améliorations au régime de la loi ? En aucune manière. En toutes choses, dans l'administration de la justice même, des améliorations ont été successivement introduites d'époque en époque, en vue d'accorder aux justiciables des garanties d'impartialité de la part de la magistrature qui par essence doit être impartiale.
« Il y a déjà plusieurs années j'ai réclamé des améliorations, surtout en matière d'élection. »
Ecoutez, messieurs, ce qui suit est important parce qu'il explique la manière dont on fait les enquêtes.
« Aujourd'hui la députation permanente décrète une enquête, la fait de la manière qu'elle juge à propos, et statue sans qu'il y ait recours, ni auprès du gouvernement, ni auprès des tribunaux. »
M. de Theux nous faisait connaître quelle espèce de recours serait possible contre les arrêtés des députations permanentes, et il indiquait déjà, ce que nous avons adopté, le recours auprès des tribunaux.
« Le recours auprès du gouvernement, disait-il, n'a lieu que de la part du gouverneur. Mais si le gouverneur appartient au même parti que la députation, en supposant que la députation ait prononcé un jugement partial, il n'y a là aucune garantie.
« C’est là une lacune qui existe dans la loi et qu'il est indispensable de combler.
« Il y a en matière électorale encore d'autres garanties à réclamer et que nous aurons occasion de signaler lors de la discussion de la loi sur les fraudes électorales. Il y a plusieurs mesures qu'il est urgent de prendre si l'on veut que les élections soient sincères.
« J'ai été consulté dans le temps sur une décision d'une députation permanente relativement à un ballottage en matière d'élection communale. Cette décision était aussi formellement contraire à la loi qu'il fût possible. »
Tout cela est très juste ; mais quand nous le disons à notre tour, on nous reproche d'affaiblir et de calomnier l'autorité. Comment ! M. Reynaert a pu, sans que personne à droite protestât contre ses paroles, dire que la députation permanente de la Flandre occidentale a commis un scandale administratif en annulant l'élection de Courtrai, et quand je me sers de la même expression, en offrant de fournir des preuves à l'appui de mon assertion, l'honorable M. Coomans viendra me dire que j'avilis la magistrature et que j'attaque à tort et à travers les députations permanentes ! Ecoutez ce que dit encore à ce sujet M. de Theux :
« L'honorable ministre de l'intérieur s’est élevé contre le soupçon de partialité attribué à telle ou telle députation ; il a tort ; le Congrès national a supposé que les Chambres puissent être partiales, que les membres des Chambres puissent être partiaux, que les ministres puissent être empreints d'un esprit de partialité, il a décrété toutes les garanties qu'il a cru convenable. Dans tous les pays, malgré toutes les garanties, les gouvernements représentatifs posent des actes de partialité ; cela est signalé par tous les hommes qui s'occupent des intérêts publics.
« Faut-il donc tant s'élever contre la demande de garanties qui rendent plus difficiles les actes de partialité ? »
Ainsi, voilà l'honorable M. de Theux qui se rend coupable du même délit que moi ; après avoir exposé la théorie qu'on peut à bon droit soupçonner les corps politiques de partialité, il ajoute qu'il a rencontré dans sa carrière un acte qui était contraire à la loi autant que possible. Voici comment il termine :
« Comme il n'y a de recours possible contre de pareilles décisions, qu'en s'adressant à la Chambre et en obtenant, soit du gouvernement, soit de l'initiative d'un membre de cette Chambre, une proposition d'annulation, cette affaire est restée sans suite à cause des préoccupations qui dominaient la Chambre à cette époque.
« C'est donc surtout en matière électorale qu'il importe d'assurer aux citoyens toutes les garanties possibles et dont l'expérience a justifié la nécessité. »
Ainsi, messieurs, les honorables membres ont commencé en 1864 une campagne pour obtenir des réformes dans la législation relative à la formation des listes électorales et ils ont signalé des abus ; ils les ont blâmés, ils les ont qualifiés dans les termes les plus énergiques, et à cette époque on n'a pas vu cette agitation que j'ai cru remarquer hier sur les bancs de la droite.
Le parti catholique progressif, dans la personne de M. Coomans, ne s'est pas senti atteint et n'a pas jeté un regard misanthropique sur le pays pour dire que tout était pourri.
M. Coomans. - Ah ! vous croyez que j'ai dit cela ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je le crois parce que je l'ai entendu.
M. Coomans. - C'est trop fort.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ainsi donc, messieurs, je crois qu'on ne peut faire aucun reproche au gouvernement de proposer les mesures qui ont été annoncées hier par l'honorable ministre de l'intérieur et par l'honorable ministre des finances.
Maintenant, messieurs, je viens aux faits auxquels j'ai fait allusion hier.
J'ai dit que des abus nombreux avaient été constatés, que cela tenait à la composition politique des députations permanentes et j'ai ajouté que, notamment en ce qui concerne la confection des listes électorales d'Alost, je possédais des pièces qui étaient de nature à prouver ces abus.
Je commence par dire que mon travail n'existe que pour la ville d'Alost, mais il est probable que l'application du système que vous allez connaître a été faite à d'autres localités.
Le conseil communal d'Alost avait admis sur la liste électorale huit personnes complétant le cens au moyen d'une patente payée du chef de débit de tabac ou de cigares. Il avait pris cette résolution après avoir fait constater par la police de la commune que ces personnes vendaient des cigares et du tabac. Quatre de ces personnes appartenaient au parti catholique et quatre autres appartenaient au parti libéral.
Je n'ai pas à examiner si ces huit personnes devaient faire partie du corps électoral.
Cela ne me regarde pas.
Mais j'ai à examiner les réclamations qui ont été formulées contre ces électeurs et la manière dont la députation permanente les a jugées.
Un électeur catholique réclame contre l'inscription de quatre libéraux ; immédiatement un électeur libéral réclame contre l'inscription de quatre catholiques et il se sert absolument dans sa réclamation des mêmes termes que ceux qui sont employés par l'électeur catholique.
Eh bien, messieurs, voici les décisions qui interviennent. Je crois inutile de citer les noms propres.
(page 1111) Réclamation dirigée contre un libéral :
« La députation permanente,
« Vu l'appel, etc.,
« Fondé sur ce que le sieur X... n'aurait jamais vendu ni tabac ni cigares, de quel chef il a été imposé et qu'ainsi en déduisant cette imposition de ses autres contributions il n'atteint plus le chiffre du cens électoral ;
« Vu la réponse de l'intimé ;
« Vu la loi communale ;
« Attendu qu'il résulte de renseignements recueillis que l'intimé n'a pas exercé la profession de débitant de cigares et de tabac en 1864 et 1865 et que le simulacre de débit qu'il tient actuellement n'a d'autre but que de compléter les impôts qu'il paye afin de se créer faussement le droit électoral,
« Arrête :
« Le sieur X... est rayé, etc. » (Arrêté du 24 octobre 1866.)
Ainsi donc, messieurs, l'électeur catholique formule une réclamation contre l'inscription d'un électeur libéral ; la députation permanente recueille des renseignements (nous verrons plus tard comment ces renseignements ont été recueillis), et elle déclare que cet électeur ne possède pas les bases du cens.
Réclamation dirigée contre l'inscription d'un électeur catholique :
« La députation permanente du conseil provincial,
« Vu l'appel, etc.
« Fondé sur ce que le sieur X... compléterait son cens à l'aide d'un droit de débit de tabacs qu'il ne tiendrait pas.
« Vu, etc.
« Attendu qu'il résulte de renseignements recueillis par la police locale que l'intimé vend effectivement du tabac et qu'il possède réellement la base du droit critiqué ;
« Attendu que l'appelant ne produit aucune espèce de preuve pour ébranler la foi due à la décision du conseil communal et la présomption n existant en faveur de l'intimé de son inscription sur les rôles du droit de débit dont il s'agit,
« Arrête :
« L’appel est rejeté. » (Arrêté du 25 août 1866.)
Ainsi pour l'électeur catholique l'appel conçu dans les mêmes termes que celui fourni contre l'électeur libéral n'infirme pas la décision du conseil communal.
. Les deux électeurs sont indiqués par la police locale comme ayant un débit de tabac ; les deux électeurs sont inscrits par le conseil communal ; eh bien, pour le premier, on se base sur des renseignements recueillis et on le raye ; pour le second, on déclare qu'il faut s'en rapporter à la décision du conseil communal.
M. de Naeyerµ. - Ce n'est pas exact ; vous ne lisez pas les motifs. (Interruption), vous les changez.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si je commets des erreurs, vous les rectifierez, mais je déclare que ce que j'ai lu se trouve dans les pièces.
M. de Naeyerµ. - Du tout.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai lu la pièce authentique. Autre cas. Un libéral :
« Attendu que des renseignements positifs constatent qu'en réalité ; l'intimé n'exerce pas le commerce de cigares du chef duquel il est imposé et que si, à l'époque de la révision des listes électorales, il pouvait posséder une minime quantité de cigares, on ne peut cependant, en raison de cette circonstance, sérieusement le considérer comme débitant de cigares et lui reconnaître la base de l'impôt y afférent, à l'aide de quel impôt il parvient à compléter le cens électoral, que par conséquent il ne justifie pis de la possession des bases du cens qui lui est déniée ;
« Arrête :
« Le sieur X... est rayé, etc. » (Arrêté du 27 septembre 1866.)
Même réclamation dans les mêmes termes contre un électeur catholique. Intervient la décision suivante du 25 août 1866 :
« Attendu que l'appelant ne produit pas le plus léger adminicule de preuve pour énerver la double présomption résultant en faveur de l'intimé de la décision du conseil communal et de son inscription nominative au rôle du droit litigieux.
« Arrête :
« Le sieur D... est inscrit, etc. »
On produit la même réclamation dans les mêmes termes ; pour le catholique la réclamation ne peut rien contre l'inscription au rôle de la patente. Pour le libéral c'est le contraire. On dit : Il résulte des renseignements recueillis. Nous verrons tout à l'heure comment ils sont recueillis.
V....., un libéral. On va le rayer :
« Attendu que des renseignements positifs constatent qu'en réalité l'intimé n'exerce pas le commerce de cigares et que si à l'époque de la révision des listes électorales, il pouvait posséder une minime quantité de cigares, on ne peut cependant, en raison de cette circonstance, sérieusement le considérer comme débitant de cigares et lui reconnaître la base de l'impôt y afférent ;
« Que par conséquent il ne justifie pas de la possession des bases du cens qui lui est déniée.
« Arrête :
« Le sieur V......est rayé. » (Arrêté du 22 septembre 1866.)
G...., Romain, un catholique :
« Attendu que l'appelant ne produit aucune espèce de preuve à l'appui de son allégation, que celle-ci est formellement déniée par l'intimé et que partant, la présomption résultant en faveur de ce dernier de son inscription sur ladite liste n'est pas ébranlée ;
« Arrête :
« Le sieur C.....est maintenu etc. » (Arrêté du 4 août 1866.)
Un nouvel argument apparaît. Il suffit maintenant que l'intéressé nie quand il est catholique ; mais s'il est libéral, il a beau dénier, rien n'y fait.
V..., un libéral :
« Attendu que des renseignements positifs constatent qu'en réalité l'intimé n'exerce pas le commerce de cigares et que si, à l'époque de la révision des listes électorales, il pouvait posséder une minime quantité de cigares, on ne peut cependant, en raison de cette circonstance, sérieusement le considérer comme débitant de cigares et lui reconnaître la base de l'impôt y afférent, au moyen de quel impôt il parvient à compléter son cens électoral ;
« Que par conséquent, il ne justifie pas de la possession des bases du cens qui lui est déniée ;
« Arrête : .
« Le sieur V... est rayé, etc. » (Arrêté du 22 septembre 1866.)
W..., un catholique :
« Attendu que l'appelant ne produit pas le plus léger adminicule de preuve pour énerver la double présomption résultant en faveur de l'intimé de son inscription sur les rôles de l'administration fiscale et sur la liste électorale arrêtée par le conseil communal ; qu'au surplus l'intimé dénie formellement l'allégation de l'appelant ;
« Arrête :
« Le sieur W.....est maintenu, etc. » (Arrêté du 4 août 1866.)
Voilà une série d'arrêtés pour les marchands de tabac et de cigares. Ce sont des types du genre. Nous allons passer à une autre espèce : les réclamations contre des électeurs qui invoquent, pour parfaire le cens électoral, la partie de leur contribution personnelle afférente à une servante ou à un domestique.
Je fais remarquer que je n'ai pas à m'occuper si au fond les personnes en cause devraient être électeurs. J'examine les arguments de la députation permanente, le traitement qu'on inflige aux libéraux et celui qu'on applique aux catholiques.
On réclame contre des électeurs libéraux et des électeurs catholiques pour les mêmes motifs.
Décision relative à l'électeur libéral :
« Attendu qu'il est prouvé qu'il n'a plus à son service une ouvrière domestique en 1866, que les raisons invoquées par l'autorité locale d'Alost pour motiver cette absence ne sont pas admissibles et que la partie de la contribution personnelle afférente à cette ouvrière domestique ne peut entrer en ligne de compte pour parfaire le cens électoral de l'intimé puisqu'il ne possède pas la base ;
« Arrête, etc.
« Le sieur D..., est rayé. »
Autre décision :
« Attendu que l'intimé ne produit aucune espèce de preuve, à l’encontre du fait allégué par l'appelant et de la déclaration de plusieurs (page 1112) habitants de la ville qu'il ne tient pas de servante ou de domestique et qu'ainsi défalcation faite de l'impôt afférent à une servante à gage ou femme de peine, de ses autres impositions, il ne justifie pas la possession des bases du cens :
« Arrête, etc. :
« Le sieur F... est rayé. »
Vous le voyez, messieurs, on se borne ici à dire que l'intimé ne fait aucune réponse à l'appelant, ne prouve rien contre lui. Vous allez voir maintenant comment on agit à l'égard de catholiques.
« Attendu que l'intimé proteste contre les réclamations de l'appelant, que celui-ci ne produit absolument aucune espèce de preuve propre à ébranler la présomption résultant, en faveur de l'intimé, de la décision du conseil communal dont appel et de son imposition à l'impôt dont il s'agit ;
« Arrête, etc.
« Le sieur D... est maintenu sur la liste. »
Ainsi, le conseil communal avait admis le libéral. La députation le raye. Quant, au catholique, on se borne à dire que l'intimé conteste l'allégation, que cela suffit, et, qu'au surplus, rien ne peut prévaloir contre la présomption résultant de la décision du conseil communal. Il suffit donc, quand on est catholique, d'être inscrit sur la liste électorale pour y être maintenu.
Passons à un autre genre ; je vais parler d'électeurs qui complètent leur cens à l'aide d'une patente payée du chef de la profession de marchand.
Diverses réclamations avaient été adressées contre des électeurs catholiques et contre des électeurs libéraux qui avaient été admis, les uns et les autres, par le conseil communal. La députation permanente élimine les électeurs libéraux par les considérations suivantes :
« Attendu que contrairement aux allégations de l'intimé et au rapport de l’administration locale d'Alost, il résulte des renseignements recueillis qu'ils n'exercent point la profession de marchand,
« Sont rayés etc. »
Voici maintenant un électeur qui jouissait depuis 1845 du droit électoral du chef de sa patente et qui est éliminé par les motifs suivants :
« Attendu qu'il résulte de renseignements positifs que l'intimé n'exerce pas le commerce du chef duquel il se trouve imposé. »
Pour l'électeur catholique, voici ce qu'on dit :
« Attendu qu'il est constant que l'intimé a été imposé au rôle primitif du droit de patente de l'exercice 1865, d'abord comme charpentier et qu'ensuite il a régularisé cette patente en déclarant un supplément pour la profession d'ébéniste ; qu'il possède par conséquent les bases des impôts... est maintenu, etc. »
Ainsi, il lui a suffi de prendre sa patente et plus tard un supplément. On a réclamé, peu importe : attendu, dit la députation permanente, qu'il est constant que l'intimé a été imposé au rôle primitif du droit de patente, d'abord comme charpentier et qu'ensuite il a régularisé cette patente en déclarant un supplément pour la profession d'ébéniste.
M. de Brouckere. - Donc il a les bases,
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est clair.
Je disais hier, messieurs, que personne n'oserait soutenir de pareilles décisions ; je persiste à croire que personne ici ne se lèvera pour essayer de les justifier.
Je crois que c'est un grand service à rendre que de signaler la manière dont certaines députations permanentes procèdent en cette matière. Car, messieurs, on pourrait avec un pareil système confisquer tous les pouvoirs politiques au profit d'un parti.
Je ne vous cite que quelques espèces ; il y en a d'autres encore ; celles que je viens de citer suffisent pour montrer où peut conduire le système que je signale à l'attention de la Chambre.
II s'agit maintenant d'une réclamation contre un électeur, fils d'une personne qui exerçait auparavant la même profession.
M. Van Wambekeµ. - Celle de boulanger
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous connaissez parfaitement l'affaire, je vous dirai tout à l'heure comment il se fait que vous la connaissez si bien.
Messieurs, un enfant unique demeurait avec son père et il avait pris la patente de boulanger ; le père n'exerçait plus sa profession, il était dans l'aisance ; le fils est inscrit par le conseil communal ; on réclame contre son inscription, et voici la décision de la députation permanente. j Je ne dis pas que cela n'est pas bien jugé, mais vous verrez tout à l'heure comme on juge une réclamation semblable contre un catholique.
« Attendu que pour moyen de défense l'intimé ne fournit que l'affirmation de son père qui ne saurait à elle seule constituer la preuve de son allégation, qu'un acte aussi important devrait résulter d'un écrit quelconque, surtout lorsque, comme dans le cas actuel, le sieur D..... père reste a la tête des affaires et s'en mêle activement et principalement et que dans ces circonstances il y a lieu d'induire que les patentes ne sont attribuées à D......fils que pour l'investir d'un droit pour lequel il ne possède pas la base.
« D......est rayé de la liste. »
Voici maintenant un électeur catholique qui n'est pas enfant unique, qui demeure avec ses frères, ses sœurs et son père ; le père est aussi boulanger ; le fils a pris patente en son nom. Le conseil communal, attendu que le réclamant demeure avec ses frères et sœurs, l'écarté ; on se pourvoit devant la députation permanente ; et la députation permanente réforme la décision du conseil communal. Voici son arrêté :
« Attendu que rien ne justifie la présomption d'une fraude électorale et qu'au surplus rien ne détruit la présomption résultant en faveur de l'appelant de son incorporation nominative aux rôles de la patente et de la contribution personnelle, qu'au contraire il y a lieu d'admettre que l'appelant possède les bases des impôts.
« J... est porté sur la liste électorale. »
Ainsi, on dit aux libéraux : « Vous devez produire un acte écrit » ; aux catholiques, on dit : « Votre inscription au rôle nominatif de la patente suffit pour justifier votre droit électoral. » (Interruption.) J'oublie des circonstances, me dit l'honorable M. Van Wambeke ; je lis les pièces telles qu’elles sont.
Messieurs, je m'arrête ici, je crois avoir justifié complètement les assertions que j'ai énoncées hier.
Mais j'ai encore un mot à dire. Vous avez vu que dans plusieurs de ces arrêtés, il était mis : « Attendu qu'il résulte de renseignements recueillis. »
Quand il s'agit d'électeurs libéraux, l'on ne tient aucun compte des certificats de la police locale, du collège échevinal ; tout cela ne signifie rien ; ce sont des renseignements recueillis on ne dit pas où ni comment qui servent de base à sa décision. Il importe de faire connaître comment les choses se passent. Très souvent, on peut le constater par l'examen des dossiers, et moi aussi j'en ai eu la preuve dans un dossier judiciaire, très souvent les membres de la députation permanente se chargent de faire connaître les appels ; ils apportent les pièces, les retirent pour les remettre aux intéressés ; ils sont donc au courant des réclamations avant que la députation délibère.
Dans l'affaire d'Alost, Comment les renseignements ont-ils été recueillis ? Le membre de la députation permanente, choisi pour l'arrondissement d'Alost, se chargeait de prendre des renseignements quand il s'agissait d'un électeur libéral ; les électeurs catholiques étaient admis d'emblée par le seul fait de leur inscription sur le rôle nominatif de la patente, ou en vertu de la présomption résultant de la décision du conseil communal.
Eh bien, c'est sur des certificats apportés par ce membre de la députation permanente, que la décision est basée. J'ai fait faire le relevé de ces certificats pour toutes les affaires que je vous ai indiquées. Savez-vous par combien de personnes ils sont signés ? Par 17 personnes.
Tous ces certificats sont de la même écriture ; ils sortent tous de la même fabrique ; ils sont conçus en quelques lignes et signés de quatre personnes.
Et savez-vous quelles sont ces personnes ?
Parmi elles il y a quatre conseillers communaux appartenant au parti catholique, deux conseillers provinciaux appartenant au même parti ; un rédacteur d'un journal catholique ; quatre candidats catholiques évincés au conseil communal ; deux représentants catholiques ; un agent de la banque de crédit foncier et industriel, et deux inconnus. (Interruption.)
Voilà, messieurs, comment on recueille les renseignements ; et voilà les enquêtes qui viennent infirmer les déclarations de l'administration communale et de la police locale.
L'honorable M. Van Wambeke dit qu'il connaît ces affaires ; je la crois bien : il a signé à lui seul neuf certificats. (Interruption.)
M. Van Wambekeµ. - Pourquoi ne pourrais-je pas le faire ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je vous demande, si un pareil système pouvait continuer, quelles garanties aurait l'électeur. Il suffirait à quelques personnes de s'associer dans une localité, de signer des certificats pour faire rayer des listes électorales tels électeurs qu'elles voudraient en éliminer. (Interruption.) Est-ce que, par hasard, la passion politique est sans influence ? Mais, (page 1113) messieurs, vous avez fait une loi dans le seul but de prévenir les fraudes électorales.
Et prétendez-vous que les hommes de parti qui s'occupent de refaire des listes électorales soient incapables de céder aux entraînements de la passion politique ?
Je dis que le gouvernement a eu raison d'étudier la question, et d'avoir pris le parti de présenter un projet de loi.
Je termine sur ce point.
Je tiens encore à répondre deux mots à ce qu'un honorable membre a dit hier au sujet de l'intervention de la magistrature dans la formation des listes électorales.
L'intervention de la magistrature ne peut en aucune manière amoindrir son prestige, ni nuire à l'autorité de ses arrêts.
Hier l'honorable M. Coomans, voulant sans doute faire un parallèle désobligeant pour la magistrature belge, invoquait l'autorité de la magistrature française qui, d'après lui, avait sauvé la France en 1848 ; l'honorable membre ignore sans doute que sous Louis-Philippe les cours royales étaient investies du droit de juger les appels formés contre les décisions des conseils de préfecture en matière de droit électoral.
M. Delcourµ. - Sur certains points.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les cours royales statuaient sur les questions de domicile, de possession du cens, d'indigénat, etc.
Quand un citoyen était rayé de la liste des électeurs par le conseil de préfecture, il se pourvoyait devant la cour royale. En Hollande, depuis la loi de 1830, l'appel des décisions de l'autorité communale est porté devant les tribunaux d'arrondissement.
M. Teschµ. - En Angleterre on ne procède pas autrement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Prétendez-vous qu'en France et en Hollande la magistrature ait souffert de ces attributions ?
Aussi le fait qu'on a cité hier, relativement au projet de M. Disraeli, n'a nullement rapport à la question qui nous occupe. Le respect qu'on professe en Angleterre pour les arrêts des tribunaux est tel que M. Disraeli voulait conférer à la justice le soin de statuer sur la validité des élections. Si nous proposions de donner aux cours d'appel ou à la cour de cassation le droit de décider les contestations qui s'élèvent, par exemple, à l'occasion de l'élection des membres de la Chambre, il y aurait un empiétement du pouvoir judiciaire sur le pouvoir législatif, auquel il appartient seul de vérifier les pouvoirs de ses membres. Il n'y a aucune espèce d'analogie entre la proposition de M. Disraeli et la réforme que le gouvernement a l'intention de présenter.
Je termine en disant que les faits que je viens d'avancer suffisent pour prouver l'utilité de cette réforme, et j'ajoute que je prie tous les électeurs de surveiller la confection des listes électorales. On ne saurait y apporter trop de précaution ni trop d'attention.
Quand les dépurations permanentes, au lieu de décider définitivement, ne statueront plus qu'en premier ressort, quand elles sauront que leurs décisions peuvent être déférées aux cours d'appel, elles y regarderont de plus près et seront moins portées à céder aux entraînements de la passion publique.
Avec la législation actuelle, remarquons-le, les fautes commises par les députations sont presque toujours irréparables, car la cour de cassation ne peut être saisie que si une question de droit est en jeu.
Or, presque toujours les députations permanentes motivent leurs décisions, en fait, et elles échappent par là au contrôle de la cour suprême.
Messieurs, je pense donc qu'on doit accueillir comme un bienfait la réforme qui a été réclamée avec tant d'instance par les honorables membres de la droite dont j'ai tantôt rappelé les paroles.
M. Van Wambekeµ. - Fidèle à la promesse que j'ai faite hier à l'honorable ministre de la justice, je viens défendre les arrêtés qu'il a critiqués avec tant d'amertume et je dirai même avec beaucoup de malveillance. (Interruption.)
Je ne répondrai pas à la partie du discours de l'honorable ministre de la justice relative à l'exposé des motifs de la loi nouvelle qu'il se propose de présenter dans la session prochaine, mais je tiens à lui démontrer combien il est dans l'erreur lorsqu'il a soutenu, hier, que la députation permanente de la Flandre orientale avait prononcé des arrêtés en matière électorale qui étaient injustifiables en fait et en droit.
Je commence par remercier l'honorable M. Wasseige de l'occasion qu'il m'a fournie de redresser dans toute leur simplicité les faits à l'aide desquels on a entrepris depuis deux ans une campagne contre les députations permanentes et particulièrement contre la députation de la Flandre orientale, campagne qui n'a qu'un but, celui d'enlever aux députations permanentes le droit de réviser les listes électorales.
A en croire certaines administrations communales et surtout certaines réclamations contenues dans des pétitions parvenues à la Chambre, les députations permanentes et celle de la Flandre orientale particulièrement s'inquiéteraient fort peu du droit ou des faits dans les questions qu'elles ont à juger, jugeront du blanc ou du noir selon leur caprice ou, comme vient de le dire l'honorable ministre, d'après l'opinion du réclamant, en un mot que, passant sur toutes les garanties qu'exige l'administration d'une bonne justice, leur bon plaisir serait substitué à la loi.
A l'aide, messieurs, de ces réclamations répétées dans la presse et à la tribune, on a voulu jeter certain blâme sur les députations permanentes. Et, chose étonnante, jusque dans ces dernières années on se plaignait généralement fort peu des députations permanentes.
Au contraire, les députations permanentes, qui étaient dans ce temps-là presque toutes homogènes, paraissaient fonctionner admirablement.
Aucune plainte ne se faisait entendre et celles que nous faisions étaient peu écoutées.
Mais depuis 1864 quelques députations permanentes n'ayant plus les mêmes idées que les hommes qui sont au pouvoir, il a fallu trouver un motif pour les démolir, si c'était possible,
Et ce prétexte, on l'a trouvé.
Le conseil communal de Gand, qui dans cette affaire a donné le premier exemple, a commencé par adresser à la Chambre une pétition réclamant un changement aux droits que les députations tiennent de la loi en matière électorale.
Quelques autres conseils communaux de la Flandre orientale ont suivi cet exemple et les pétitions n'ont pas tardé à arriver à la Chambre. Et tout cela pourquoi ? Parce que, comme vient de le dire l'honorable ministre de la justice, il y a des abus et des abus scandaleux.
Eh bien, messieurs, je vais vous démontrer que les abus, si abus il y a, se réduisent à bien peu de chose, car après avoir recherché et pris des investigations très nombreuses, on est arrivé à critiquer les motifs de quelques arrêtés. C'est pour ces quelques critiques, non fondées d'après moi, qu'il faut changer la loi.
Disons-le franchement, tel n'est pas le but qu'on se propose. On fait la guerre aux députations permanentes et surtout à la députation de la Flandre orientale parce qu'elle n'est pas de l'opinion des hommes au pouvoir ; parce que les hommes honorables qui les composent veulent rester indépendants et n'entendent pas suivre la doctrine de ceux qui nous régissent.
Voilà la guerre qu'on entreprend contre les députations permanentes et si l'on était franc, on le dirait sans détour et on conviendrait que c'est là le seul but qu'on veut atteindre.
Ceci dit, qu'il me soit permis, puisque l'honorée ministre de la justice est entré dans quelques considérations, de le suivre sur ce terrain qu'il a choisi lui-même.
Mais faisons d'abord un peu le bilan des travaux de la députation de la Flandre orientale,
La députation permanente de la Flandre orientale a eu à juger, en 1866, 1,280 réclamations électorales.
Elle a dû les juger, comme vous le savez, dans un délai excessivement court, parce que du 15 mai jusqu'au jour de l'élection générale de 1866, qui a eu lieu le 9 juin 1866, si je ne me trompe, elle devait statuer sur les réclamations relatives aux électeurs des Chambres, et avant octobre sur celles relatives aux électeurs communaux.
De façon qu'elle a dû rendre, dans l'espace de 3 à 4 semaines, 600 arrêtés et qu'elle a dû terminer l'examen de toutes les autres affaires avant le mois d'octobre.
Et sur ces 1,280 arrêtés, 63 seulement ont été attaqués par un pourvoi en cassation, c'est-à-dire à peu près un 25ème, et la cour de cassation, appelée à statuer sur ces recours, a rejeté 56 et admis sept pourvois.
Voilà le bilan des travaux de la députation permanente. Il en résulte que sur 63 questions de droit soumises à la cour, sept ont été jugées contrairement à l'opinion de la députation ; celle-ci avait donc parfaitement jugé dans presque toutes les affaires qui lui avaient été soumises.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, y a-t-il un corps judiciaire quelconque qui pourrait venir produire un pareil bilan devant vous ? Y a-t-il un corps judiciaire qui pourrait vous faire voir que sur 1,280 arrêts qu'il a rendus il n'y en a eu que 6 de réformés.
(page 1114) J'ai le droit de dire, messieurs, que quand une députation permanente vous présente un pareil bilan, on a tort de jeter sur elle le discrédit et surtout de faire planer un doute sur sa sincérité, sur son honneur. (Interruption.)
Maintenant, messieurs, passons aux arrêtés, et puisque l'honorable ministre de la justice m'a mis en scène et que je connais parfaitement tous les faits, qu'il me soit permis de justifier ce qu'il a si amèrement critiqué.
La liste électorale de la ville d'Alost contenait en 1866 au delà de 500 électeurs, la liste supplémentaire 80, si je ne me trompe. Le conseil communal de la ville d'Alost, qui à cette époque était autrement composé qu'il ne l'est aujourd'hui, avait admis presque toutes les réclamations électorales, surtout celles de ses amis, sans aucune difficulté, par un arrêté excessivement court qu'il importe de vous faire connaître. Le voici :
« Considérant que toutes les personnes prénommées justifient du payement du cens électoral pour les années 1865 et 1866, qu'ils sont Belges, majeurs et domiciliés à Alost ; vu les articles 7, 8, 10 et 15 de la loi communale, arrête : Les prénommés sont portés sur la liste des électeurs communaux pour 1866. »
C'est très court et bon : il est vrai que sur réclamation le conseil a dû un peu revenir sur ce procédé, mais on n'y regardait pas de si près.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il ne peut y avoir autre chose.
M. Van Wambekeµ. - Nous avions le droit de réclamer. Nous usons largement de ce droit et réclamons contre tous les électeurs que nous croyions ne pas être fondés à se faire inscrire sur la liste. Je pense qu'en cela nous n'avons pas commis le moindre méfait. M. le ministre de la justice lui-même vient de dire qu'il conseille à tous les électeurs de veiller sur les listes électorales, de réclamer, de faire valoir leurs droits.
Savez-vous ce qui arrive ? Le conseil communal lui-même raye plusieurs de ces électeurs admis, vous savez par quel arrêté, et la députation permanente, car c'est pour arriver à la députation permanente que j'ai exposé ces faits, la députation permanente statue sur 31 réclamations ; et sur ces 31 recours, 5 ou 6 sont critiqués par M. le ministre de la justice.
M. le ministre, avec une assurance admirable, donne à tel habitant d'Alost la qualité de catholique et à tel autre la qualité de libéral. Je ne sais pas où il a cherché ses allégations, mais toujours est-il que, d'après lui, les libéraux sont régulièrement éliminés, les catholiques admis ; c'est un système. Mais on a oublié de dire que l'on a rayé des listes, des hommes que nous considérions comme catholiques, tout aussi bien que des libéraux.
Mais enfin la députation permanente statue sur 31 réclamations. Examinons-les.
On a d'abord,, comme dit M. le ministre de la justice, réclamé contre huit personnes qui vendaient du tabac. La députation permanente, par une contradiction excessivement apparente, dit M. le ministre, juge pour l'un qu'il possède les bases, et pour l'autre qu'il ne les possède pas. Examinons. Je ne dirai pas les noms contenus dans les arrêtés, M. le ministre de la justice ne l'ayant pas fait.
Faisons d'abord remarquer que le conseil communal d'Alost avait un système excessivement simple. Ce système, qui ne prêtait pour ainsi dire pas à la critique, était celui-ci :
Tous ceux qui occupaient un emploi ou une place quelconque ou qui n'étaient pas électeurs, devaient prendre une patente de marchand de tabac ou toute autre, à l'effet d'atteindre le chiffre de 42 fr. 32 c.
La Chambre comprendra que nos réclamations étaient surtout à l'adresse de ces petits employés de la ville patentés comme marchands de tabac.
Avant tout, je tiens à poser quelques principes en matière d'élection et de réclamations électorales.
Tous les auteurs qui ont écrit sur la matière décident que la députation permanente a la plénitude de la juridiction, c'est-à-dire qu'elle a le droit d'asseoir son jugement soit par une enquête, soit en chargeant un de ses membres de se rendre sur les lieux pour prendre des informations ; qu'elle à le droit de rechercher la vérité et de réprimer les fraudes comme elle l'entend.
Elle n'est donc pas liée soit par l'inscription au rôle des contributions, soit par l'inscription au rôle des patentes, soit par une déclaration de la police. Elle a un droit absolu ; elle n'est liée que par sa conscience.
Cc principe est incontestable, il est enseigné d'abord par M. Delebecque ! dans son commentaire si estimable sur les lois électorales ; il a été soutenu avec tant de talent par l'honorable procureur général à la cour de cassation que je crois devoir rapporter les paroles qu'il prononçait dans l'arrêt Ecrevisse . Destappere du 7 octobre 1842.
« Les collèges des bourgmestre et échevins dirait-il, sont chargés par les lois, dans les termes les plus exprès, les plus absolus et les plus généraux, de toutes les opérations relatives à la formation des listes d'électeurs ; les conseils communaux et provinciaux sont investis dans les mêmes termes du pouvoir de juger toutes les contestations auxquelles ces opérations peuvent donner lieu, et de là cette conséquence qu'il appartient aux uns et aux autres, chacun dans le degré de la hiérarchie occupé par lui, de décider aux fins d'apprécier la capacité électorale, et sans autre effet que de constater cette capacité, toutes les questions de fait et de droit qui en dépendent. On ne peut apporter de limites à cette mission et à ce pouvoir, sous le rapport du droit de voter qu'un particulier prétendrait s'attribuer en vertu du cens électoral payé par lui, qu'autant que la loi contienne une disposition attachant à l'inscription matérielle sur les rôles et au payement matériel du cens une présomption juris et de jure, que l'inscrit qui effectue ce payement possède la capacité électorale. »
Je tiens ici à la main un petit ouvrage qui vient de paraître et que je recommande à tous ceux qui s'occupent des listes électorales. Voici ce que M. Bernimolin, avocat à Liège, dit à cet égard, paragraphe 53 :
« C'est aux autorités appelées à statuer sur les droits électoraux qu'il appartient de vérifier l'accomplissement de la condition de posséder les bases du cens. Les autorités communales et les députations permanentes peuvent ordonner à cet égard toutes investigations, faire faire toutes justifications ou preuves qu'elles jugent convenir. Elle décident souverainement de la sincérité des documents sur lesquels se fonde la possession des bases du cens. A cet égard, le législateur n'a pas établi de .système légal de vérification, ni de procédure bien tracée ; il n'a point organisé les moyens d'appréciation, n'a déterminé aucune règle pratique et absolue. »
Ceci admis, qu'en résulte-t-il ? Il en résulte qu'on ne peut pas dire ni soutenir qu'une députation permanente est en contradiction, lorsque dans un arrêté elle fait usage de la déclaration de la police, tandis que dans un autre arrêté elle n'en tient pas compte, car il lui appartient d'examiner si la déclaration de la police est sincère ou non ; lorsqu'elle trouve qu'elle est sincère, elle peut en faire usage, et lorsqu'elle l'apprécie autrement, elle peut la repousser.
Il n'y a donc pas contradiction si, dans certains cas, la députation permanente ne tient pas compte de la déclaration de la police ; elle l'apprécie.
Arrivons maintenant à ces marchands de tabac. Je viens de vous dire qu'ils étaient presque tous, si pas tous, des employés de la ville.
Nous réclamons d'abord contre deux et voici l'arrêté du conseil communal de la ville d'Alost, de l'ancien conseil de 1866 :
« Vu la réclamation de M... contre l'inscription sur la liste des électeurs communaux de M..., fermier des droits de place, et de M. G..., commis, basée sur ce que ces personnes ne sont pas débitants de tabacs ou cigares et qu'en défalquant la patente qu'elles payent de ce chef, elles n'atteignent plus le cens électoral. Considérant qu'il résulte de la déclaration du commissaire de police chargé par le collège de constater la chose, que les... vendent des cigares et du tabac, conséquemment qu'ils possèdent la base de l'impôt qu'ils payent de ce chef,
« Arrête, etc.... .
« Sont maintenus sur la liste des électeurs communaux. »
De sorte que le moyen était bien facile et tout trouvé. On fait venir le commissaire de police ; le collège échevinal lui dit : Vous allez voir si un tel et un tel vendent du tabac ; ce sont deux employés de la ville ; vous viendrez faire rapport et nous baserons là-dessus notre arrêté.
Que dit la députation permanente ? Voici son arrêté et je ne vois pas en quoi il contrevient à une disposition légale quelconque :
« La députation permanente de la Flandre orientale,
s Vu l'appel, etc.
a Attendu qu'il résulte des renseignements recueillis, que l'intime n'a pas exercé la profession de débitant de cigares et de tabac en 1864 et 1865 et que le simulacre de débit qu'il tient actuellement n'a d'autre but que de compléter les impôts qu'il paye afin de se créer faussement le droit électoral.
« Arrête :
« D,.,,,, est rayé.
« Gand, 24 octobre 1866. »
(page 1115) L'arrêté relatif au commis est conçu comme suit :
« En ce qui concerne G...
« Attendu que les allégations de l'appelant ne sont appuyées d'aucun élément de preuve et que, d'un autre côté, il conste d'un rapport du collège échevinal que c'est de son chef que l'intimé paye toutes les contributions qui lui sont comptées pour la formation du cens dont la possession des bases lui est déniée,
« Décide :
« L'appel est rejeté. »
Le commis est donc maintenu.
Y a-t-il matière à critique quant à ces arrêtés ? Je ne le crois pas ; mais, dit l'honorable ministre, quand il s'agit de l'électeur catholique V. B., la députation juge tout autrement. Voyons encore : Observons d'abord que cet électeur était inscrit sur la liste depuis six ans, que le conseil l'y avait maintenu sans contradiction. Que décide la députation ? Elle maintient l'électeur sur la liste pour les mêmes motifs.... Je le répète, il est impossible de critiquer sérieusement ces arrêtés....
On critique un autre arrêté, celui relatif à P..., que le conseil avait maintenu sur la liste comme débitant de tabac.
Sur l'appel, décision conçue comme suit :
« Vu l'appel interjeté le 19 mars 1866, par etc., contre l'inscription de P... appel notifié et fondé sur ce qu'il posséderait faussement la qualité d'électeur et ce à l'aide de la taxe à laquelle il se trouve imposé du chef d'un débit de tabac qu'il ne tiendrait pas ; vu la loi et attendu que le fait allégué par l'appelant n'est pas étayé de preuves justificatives et qu'en outre ce fait est formellement dénié par l'autorité locale d'Alost, de sorte qu'il y a lieu de conclure que l'intimé petit légalement s'attribuer l'impôt afférent à un débit de tabac et exercer les droits électoraux qui lui sont contestés ;
« L'appel est rejeté s le 4 août 1866. »
Quelle contradiction y a-t-il là ? '
Il y a contradiction, d'après l'honorable ministre de la justice, parce que dans un arrêté on fait usage de la déclaration du commissaire de police, et, dans l'autre, on n'en fait pas usage.
Il y a contradiction parce que la députation a chargé un de ses membres de vérifier les faits et parce que ce membre a trouvé que dans un cas on pouvait inscrire la personne et que dans l’autre cas il y avait fraude à la loi.
Il y a appréciation des faits, et je défie M. le ministre de la justice de me citer un seul cas dans lequel les tribunaux ne jugent pas en fait d'une manière différente.
Je pourrais citer une foule de cas dans lesquels les tribunaux appréciant les faits, jugent avec des apparences contradictoires. Et que dire des questions de droit ? Mais ouvrez la Pasicrisie et vous reculerez d'épouvante en voyant souvent des arrêts complètement contradictoires sur des questions identiques...
Je ne vois là aucun fait de nature à demander la promulgation d'une nouvelle loi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous ne lisez que la moitié de l'arrêté.
M. Van Wambekeµ. - Voulez-vous que je lise tout entier ? Je tâche d'abréger autant que possible.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je l'ai lu.
M. Van Wambekeµ. - On réclamé contre trois nouveaux électeurs débitants de tabac. Ce sont l'horloger de la ville d'Alost, l'instituteur communal et le peseur juré, trois électeurs qui étaient parvenus à se faire inscrire sur la liste à l'aide d'une patente de débit de cigares.
Voici la décision du conseil communal d'Alost, qui est très curieuse, et tantôt je vous en ferai voir de plus curieuses encore.
« Vu la réclamation du sieur E . contre l'inscription sur la liste des électeurs communaux de C. J... et V.W..., basée sur ce que ces personnes n'ont pas droit de s'attribuer la patente du chef de débit de cigares, que de plus V. D... n'a pas droit de s'attribuer une patente de 5 fr. 83 c. comme marchand ; Vu la réponse des intimés ; attendu qu'il résulte de la déclaration du commissaire de police chargé par le collège de constater la chose, que les intimés ont en magasin et vendent des cigares, conséquemment qu'ils possèdent la base de l'impôt payé de ce chef, attendu que V... fait en outre un commerce considérable d'horloges communes, qu'il achète en gros pour les revendre à la campagne, conséquemment qu'il est régulièrement imposé comme marchand ;
« Arrête :
« V. D... et C. J..., sont maintenus sur la liste. »
Vous voyez, messieurs, que les trois employés sont d'emblée déclarés électeurs.
Appel, et voici la résolution de la députation permanente que je lirai en entier.
« Attendu que des renseignements positifs constatent qu'en réalité les intimés V., D.-L. et V... n'exercent pas le commerce de cigares et que si, à l'époque de la révision des listes électorales, ils pouvaient posséder une minime quantité de cigares, on ne peut cependant, ou raison de cette circonstance, sérieusement les considérer comme débitants de cigares, et leur reconnaître la base de l'impôt y afférent, au moyen duquel impôt ils parviennent à compléter leur cens électoral ; que par conséquent ils ne justifient pas de la possession du cens qui leur est dénié.
« Arrête :
«V., D.-L. et V... sont rayés de la liste dos électeurs communaux de la ville d'Alost. »
Messieurs, depuis 25 ans que je fréquente les tribunaux, je ne pense pas avoir entendu des décisions mieux motivées et qui démontrent d'une manière évidente, que la députation permanente s'est livrée à des investigations et qu'elle a acquis la conviction que les rapports du commissaire de police étaient des rapports de complaisance ; qu'on cherchait en un mot à créer de faux électeurs employés de la ville. Voilà où nous en sommes avec les débitants de cigares. Nous arrivons, messieurs, à quelque chose de très curieux : à ceux qui à Alost étaient parvenus à se faire inscrire sur les listes électorales à l'aide de servantes et à l'aide de domestiques.
Voici, messieurs, trois réclamations faites contre l'admission d'électeurs par le conseil communal.
Nous prétendions que ces électeurs ne pouvaient être inscrits sur la liste, attendu qu'ils ne possédaient pas les bases.
Veuillez écouter la décision du conseil communal, car elle est des plus curieuses, à tel point que si le système du conseil communal devait être admis par la députation, je me fais fort de créer demain autant d'électeurs que je voudrai.
« Le conseil, vu la réclamation de M. contre l'inscription des électeurs communaux de E. F. H. L. basée sur les motifs suivants : en ce qui concerne D. L., qu'il ne possède pas d'ouvrière domestique et n'exerce pas la profession de facteur, du chef de laquelle il est imposé. En ce qui concerne H., qu'il n'a pas de servante et n'est pas marchand. En ce qui concerne L., qu'il n'a pas d'ouvrière domestique Vu les réponses des intimés ; attendu que la déclaration des contribuables démontre leur intention d'avoir, dans le courant de l'année, une ouvrière domestique ou une servante, que le fait de l'avoir pas réalisé cette intention à telle époque de l'année, ne peut être constaté par le conseil qui doit s'en tenir à cet égard à la déclaration faite et qui seule peut servir de base à son appréciation ; considérant que la position des prénommés justifie du besoin où ils se trouvent d'avoir une ouvrière domestique ou une servante. En ce qui concerne D., considérant que son commerce de fil en dehors de la ville justifie de la profession de facteur pour laquelle il est patenté. En ce qui concerne L., considérant qu'en outre la partie de la contribution personnelle afférente à la patente et qu'il a droit de s'attribuer, il paie 47 fr. 30 c. En ce qui concerne H., considérant qu'il justifie du cens électoral, par ses contributions personnelles qui s’élèvent à 14 fr. et qu'il n'a pas besoin de faire valoir pour l'exercice de son droit électoral d'autres impositions.
« Arrête :
« D. L. II. F. sont maintenus sur la liste des électeurs communaux »
Je vous demande, messieurs, si avec un arrêté pareil, demain 25, 40 personnes qui ont l'intention de tenir un domestique, ou un cheval, ne pourraient pas être inscrites sur les listes électorales. Peut-on, messieurs, plus témérairement se jouer de la loi ?
Que répondre à de pareils arguments ?
On interjette appel et voici la décision de la députation permanente qui lui fait honneur :
« Attendu que H... se prévaut d'une patente sans exercer la profession pour laquelle il se trouve imposé et qu'ensuite il a déclaré une servante qu'il avoue lui-même ne pas avoir à son service, de telle sorte que des faits et circonstances on doit conclure qu'il ne justifie nullement le payement du cens qui lui est dénié.
« Quant à D... que l'intimé ne produit aucune espèce de preuve à l'encontre du fait allégué par l'appelant et de la déclaration de plusieurs habitants d'Alost qu'il ne tient pas de servante ou de domestique, et (page 1116) qu'ainsi défalcation faite de l'impôt afférent à une servante à gages ou femme de peine, de ses autres impositions, il ne justifie pas la possession des bases du cens qu'on lui conteste ;
« Arrête :
« F... et H... sont rayés.
« En ce qui concerne D..., attendu qu'il est prouvé qu'il n'a plus à son service une ouvrière-domestique depuis 1866, que les raisons invoquées par l'autorité locale d'Alost pour motiver cette absence ne sont pas admissibles et que la partie de la contribution personnelle afférente à cette ouvrière-domestique ne peut entrer en ligne de compte pour par faire le cens électoral de l'intimé, puisqu'il n'en possède pas la base.
« Arrête :
« D... est rayé. »
Quant à L..., il est maintenu sur la liste, quoique libéral. Y a-t-il quelque chose à dire contre cet arrêté ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'en ai pas parlé.
M. Van Wambekeµ. - Mais, moi, je le fais connaître, parce qu'il est bon qu'on fasse connaître tous les faits sur lesquels les jugements ont été rendus.
Voici un autre fait plus curieux encore ;
Le pharmacien des hospices de la ville d'Alost, aujourd'hui mort parfait honnête homme, d'ailleurs, n'avait ni servante, ni domestique, il le disait à qui voulait l'entendre.
Mais, comme il devait atteindre le cens électoral, il fait la déclaration voulue. On réclame, et voici la décision sur la réclamation de M. V. W (c'est moi-même) :
« Quant à la servante pour laquelle il est imposé ;
« Attendu que la déclaration du sieur D.... démontre son intention d'avoir une servante, que le fait de n'avoir pas avoir réalisé cette intention, à telle ou telle époque de l'année, ne peut être contrôlé par le conseil, qui doit s'en tenir à la déclaration faite ; que la position du sieur D... justifie du besoin où il se trouve d'avoir à son service une servante ou ouvrière domestique. Quant à la patente de marchand, attendu que les fonctions du sieur D... ne font pas obstacle à ce qu'il fasse le commerce pour lequel il est imposé et qui a en réalité pour objet l'acquisition et la vente des drogues et objets nécessaires à l'exercice de sa profession, arrête : Le sieur D... est maintenu sur la liste. »
Appel, messieurs, et voici la décision de la députation permanente :
« Attendu que l'intimé ne parvient à compléter le cens requis qu'à l’aide des sommes auxquelles il se trouve respectivement imposé à la contribution personnelle pour une servante et au droit de patente du chef de la profession de marchand, qu'il avoue lui-même dans sa réponse avoir déclaré une servante parce qu'il a l'intention d'en tenir une, preuve évidente qu'il ne possède pas la base de l'imposition y afférente et que pour ce qui concerne la patente de marchand, il ne justifie pas qu'en dehors de ses fonctions de pharmacien des hospices, il exerce ou fait exercer en son nom la profession susdite ; que de ces faits et circonstances on doit nécessairement conclure qu'il n'a pas la possession des bases du cens qui lui sont contestées. Arrête : D. est rayé. » 9 juin 1866.
Voilà, messieurs, les arrêtés pour cette catégorie.
Maintenant, il y en a d'autres qui ont été critiqués, et ce sont des électeurs qui avaient pris une patente de marchand.
L'honorable ministre de la justice a encore une fois dit : La députation permanente raye systématiquement les libéraux et elle admet systématiquement les catholiques.
Je connais assez bien les personnes dont je parle et je serais fort embarrassé de les classer comme M. le ministre de la justice en libéraux et en catholiques. Mais pour les besoins de la cause, il fallait en venir là.
Eh bien, voici ce qu'il en est des décisions rendues. La députation permanente de la Flandre orientale a voulu prendre des renseignements et de même qu'elle s'était quelquefois rendue sur les lieux dans d'autres communes, elle s'est rendue à Alost et après avoir pris des renseignements, entendu des témoins, la députation permanente déclare que tel ne possède pas les bases et que tel autre les possède.
Mais elle ne motive pas ses arrêts sur des dispositions contradictoires ; elle explique les circonstances dénotant la fraude.
Y a-t-il là matière à critique, y a-t-il là matière à soutenir que la députation permanente juge blanc ou noir selon son caprice ?
Il y avait pour le conseil communal d'Alost un moyen d'échapper à d'autres observations.
Nous possédons, messieurs, à Alost un collège renommé de jésuites ; nous avions cru que depuis l'arrêt de la cour de cassation du 11 août 1864 qui a décidé en principe que le principal d'un collège avec des professeurs et des élèves, doit payer la contribution personnelle en vertu de la loi de 1822. Nous avions pensé, dis-je, que le collège communal se serait empressé d'admettre le principal du collège des jésuites sur la liste : eh bien, pas du tout.
Dans un arrêté longuement motivé, le conseil communal d'Alost fait bon marché de l'arrêt de la cour de cassation, et il déclare que, bien que la cour de cassation ait décidé telle chose, c'est à lui à apprécier si, dans la présente cause, cette décision est applicable. Et le conseil communal d'Alost n'hésite pas à rayer le principal du collège des jésuites de la liste électorale et le principal d'une institution de frères de la doctrine chrétienne.
. Deux appels furent interjetés ; ces deux appels ont été admis et les décisions ont été rapportées.
II y a d'autres décisions dont M. le ministre de la justice n'a pas parlé et qui font toujours partie de ces 31 arrêtés dont j'ai parlé.
La liste électorale comprenait des personnes qui avaient quitté la ville depuis 4 ou 5 ans, mais que l'on maintenait sur la liste parce que c'étaient des amis politiques qui s'empressaient de venir voter lorsqu'on les demandait.
Nous avons réclamé et la députation permanente a fait droit à notre réclamation ; elle a jugé ce que nous aurions jugé tous, à savoir que lorsqu'on ne déclare pas son changement de domicile, c'est à la députation permanente à apprécier d'après les faits et circonstances en vertu de l'article 104 du code civil, si l'on est ou non domicilié en tel lieu ?
Ces arrêts n'ont pas été critiqués ; ils n'ont pas été soumis à la cour de cassation par la raison que c'étaient des arrêts de fait ; ils sont du reste motivés de telle façon qu'une annulation était impossible.
Il résulte donc, messieurs, que cette grande campagne entreprise contre la députation permanente de la Flandre orientale se borne à quoi ?
A quelques arrêtés qu'on critique dans la forme, prétendant qu'ils sont contradictoires et en deux ou trois arrêtés qui ont éliminé de la liste électorale plusieurs employés de cette ville qui, à l'aide d'une attestation de la police locale, voulaient s'arroger le droit électoral.
Et c'est à l'aide de pareils moyens, de pareilles minuties, dirai-je, qu'on veut attaquer l'honneur d'une députation permanente composée des personnes les plus honorables, parmi lesquelles j'ai l'honneur de compter plusieurs amis, de personnes dont l'honorabilité n'est pas même suspectée par leurs adversaires.
J'ai dû relever ces accusations et expliquer les arrêtés rendus par cette députation, parce que, d'après moi, ces arrêtés sont justifiables en fait et en droit.
Je crois les avoir justifiés, je ne vous aurai certes pas convaincus, messieurs, parce que, une fois que l'esprit de parti s'en mêle, on voit toujours ce qu'on ne devrait pas voir. (Interruption.)
Permettez-moi, messieurs, de dire que lorsque je suis entré dans cette enceinte, envoyé par le corps électoral d'une ville de population flamande à laquelle je me fais gloire d'appartenir, la première chose que j'ai vue c'était une décision inqualifiable.
Lorsqu'on est en contact avec les tribunaux et ce pendant 20 à 25 ans, on a des i idées arrêtées de justice ; parce qu'on est toujours en rapport avec la justice, on croit devoir la trouver partout ; eh bien, la première chose que j'ai vue dans cette enceinte m'a ouvert les yeux. Lorsque j'a vu que tel candidat élu n'était pas admis parce qu'il appartenait à certaine opinion, tandis que tel autre l'était dans des conditions tout à fait identiques, j'ai le droit de dire que ce n'est pas à nous à jeter la pierre à une députation qui n'a fait que son devoir, sous prétexte, qu'elle juge politiquement,
J'ai expliqué les arrêtés, je crois avoir démontré ce que j'avais dit hier, à savoir que les arrêtés rendus sont justifiables en fait et en droit.
Les membres de la députation permanente qui ont été si violemment attaqués vont être soumis à réélection dans quelques jours. Quatre de ces membres, hommes des plus estimables, plusieurs avocats distingués et intelligents vont paraître devant le corps électoral, et je puis prédire à l'honorable ministre de la justice que le corps électoral les vengera de ses petites insultes et qu'ils seront réélus à une grande majorité pour reprendre leurs travaux dans la députation ; ce sera un dernier acte de réhabilitation, si tant est qu'ils en aient besoin. Quant à moi, je crois n'avoir fait que remplir mon devoir ; si l'on n'avait pas parlé d'Alost, je ne me serais pas levé pour prendre la parole. (page 1117) Je persiste à soutenir que les arrêtés qu'on a qualifiés d'abus scandaleux sont des arrêtés justifiables en fait et en droit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je suis très heureux de la réponse de l'honorable membre, elle est complètement conforme à ce que j'ai dit hier. J'ai la conviction que pas un membre de la Chambre ne défendra les arrêtés de la députation.
L'honorable M. Yan Wambeke s'est bien gardé de les défendre ; il n'a pas lu les arrêtés qui maintenaient les électeurs catholiques ; il a justifié par des faits les résolutions prises à l'égard des électeurs libéraux ; je le lui concède. Mais je demande à l'honorable membre de vouloir bien m'expliquer comment les électeurs catholiques ont pu être admis par les mêmes motifs qui avaient fait écarter les autres. (Interruption.)
Vous n'avez pas lu une seule décision relative à des électeurs catholiques. Cependant pour que votre justification fût complète, vous auriez dû vous livrer à ce travail, donner, comme je l'ai fait, en regard de la réclamation, les décisions tant en ce qui concerne les catholiques que les libéraux.
Vous voyez une députation permanente rayer un électeur bien que le certificat de la police locale constate qu'il exerce la profession de marchand de tabac ; eh bien, cette même députation admet sur la liste un autre électeur qui se trouve dans les mêmes conditions.
Pouvez-vous dire que cela soit juste ?
L'honorable membre nous parle ensuite du système des certificats qui a si bien fonctionné. Il le trouve très simple. Evidemment, puisque c'est au profit de son parti qu'il a été mis en œuvre. Mais n'est-il pas singulier de voir une députation s'en référer exclusivement à l'attestation de 17 membres d'une association catholique ? Et vous trouvez que c'est de l'impartialité ? Vous trouvez que c'est un système justifiable ?
Mais, messieurs, si un pareil système prévalait dans le pays, tout le corps électoral serait livré aux mains du parti dominant au sein des députations permanentes.
Au surplus, messieurs, tout ce que vient de dire l'honorable membre n'est que la justification de noue projet de loi. Ai-je soutenu, moi, qu'il n'y avait pas d'abus ? Loin de là ; j'ai dit qu'il en existait de tous les côtés et c'est précisément pour y parer que nous avons reconnu la nécessité d'une nouvelle loi.
Je suis convaincu que les conseils communaux, les collèges électoraux peuvent se livrer à des actes de parti, et c'est pour cela que nous avons préparé le projet dont la présentation prochaine a été annoncée hier.
L'honorable M. Van Wambeke a cité des décisions de l'ancien conseil communal d'Alost ; mais ce conseil a subi des modifications, et il est probable que le nouveau conseil est assez disposé à suivre l’exemple le de l'ancien, car l'honorable M. Liénart nous l'a dit : A chacun son tour ; celui qui se sert de l'épée périra par l'épée.
Je le répète donc, tout ce qu'a dit l'honorable membre est la meilleure justification du projet de loi que nous avons élaboré. Les corps politiques sont naturellement entraînes à poser des actes de parti ; c'est dans la nature des choses ; mais malgré tout ce qu'on a pu dire du conseil commuai d'Alost, il est bien certain que ses décisions sont loin de mériter les reproches qu'on peut adresser à celles de la députation permanente de Gand.
Evidemment la décision par laquelle le Conseil a considéré comme possédant les bases du cens un habitant qui avait déclaré avoir seulement l'intention de prendre une servante, cette décision, dis-je, est insoutenable ; il suffit de la lire pour la condamner. Mais ce qui n'est certainement pas plus soutenable, c'est cette série de décisions de la députation permanente déclarant, d'une part, que rien ne peut prévaloir contre l'inscription, d'autre part, que les renseignements recueillis établissent que des électeurs ont été indûment portés sur la liste ; cela est étrange, surtout quand on constate que les renseignements sur lesquels s’est appuyée la députation ont été fournis par dix sept certificateurs appartenant tous au parti politique dont la députation elle-même est l'émanation.
Non, messieurs, un pareil système ne peut pas prévaloir et si l'honorable membre est d'accord avec moi qu'il faut réviser la loi, je ne pourrai que se féliciter de la discussion qui vient d'avoir lieu.
M. Van Wambekeµ. - Puisque M. le ministre de la justice semble attacher une grande importance au fait de n'avoir pas donné lecture d'un seul arrêté concernant des réclamations catholiques, comme il les appelle, je vais réparer cette omission, et m'occuper un instant de ces deux boulangers dont il a parlé tantôt.
L'honorable ministre vous ayant lu les deux arrêtés concernant ces personnes, je crois utile de les lire une seconde fois à mon tour.
L'un de ces boulangers avait eu le malheur de faire faillite, circonstance que M. le ministre de la justice n'a point signalée ; cet homme a un fils âgé d'une trentaine d'années. Ce fils, à l'aide de son travail, tâche de soutenir son père, sa mère et ses sœurs.
Grâce à un ami, il obtient les ressources nécessaires pour s'établir en son nom et il paye le cas voulu pour être électeur. En conséquence, il se fait inscrire sur la liste. Réclamation de la part des adversaires, et voici la décision du conseil communal :
« Attendu que l'exposant habite chez ses père et mère et avec ses frères et sœurs ; considérant que la contribution personnelle doit être attribuée au père et nullement à l'un des enfants habitant avec lui, considérant qu'il est notoire que c'est le père qui exerce la profession de boulanger, profession dont il doit la patente, considérant qu'il est évident que les impositions n'ont été inscrites au nom du fils que pour essayer de lui donner le droit électoral que son père a perdu par suite de la faillite et pour lequel le fils n'est pas en possession des bases voulues.
« Arrête : La demande est rejetée. »
Voici maintenant l'arrêté de la députation permanente :
« La députation permanente, vu la loi électorale ; attendu que rien ne justifie la présomption d'une fraude électorale, et qu'au surplus rien ne détruit celle résultant en faveur de l'appelant de son incorporation nominative au rôle de la patente et de la contribution personnelle ; qu'au contraire il y a lieu d'admettre que l'appelant possède les bases d'impôt qu'il paye du chef de sa profession ;
« Arrête :
« Le sieur J. est porté sur la liste des électeurs communaux de la ville d'Alost. »
Passons au second fait ; mais, d'abord, quelques mots d'explication.
Un autre boulanger habile avec son fils ; il n'est pas failli ; par conséquent ce ne sont pas les mêmes principes qui sont applicables. Il est de toute évidence que dans ce cas c'est le père, propriétaire de la maison qu'il habite avec ses enfants, qui exerce la profession et paye le droit de patente. Peut-on soutenir sérieusement, que le fils, à l'aide d'une déclaration erronée, doit être électeur ? Cela est de toute impossibilité.
Cette doctrine a été repoussée par une foule d'arrêts de la cour de cassation, qui a toujours décidé que quand un père est propriétaire de la maison qu'il habite avec ses enfants, quand surtout c'est lui qui exerce la profession, il peut seul s'attribuer les bases du cens, à moins qu'il n'y ait acte de société.
Voyons maintenant ce qu'a fait le conseil communal dans cette affaire. Voici comment il a raisonné :
« Considérant que le prénommé justifie du payement du cens électoral pour les années 1865 et 1866, vu les article 7, 8,10 et 15 de la loi communale.
« Arrête :
« Le sieur D. B. est porté sur la liste des électeurs communaux pour l'année 1866. »
Vous voyez que le conseil, lorsqu'il s'agit d'un ami politique, rend des arrêtés très brefs et ne s'explique pas sur les circonstances comme il venait de le faire pour l'autre boulanger.
Appel est interjeté, et voici ce que la députation permanente décide :
« Vu l'appel interjeté le 19 mai contre l'inscription de P. D... sur la liste supplémentaire des électeurs de cette ville, pour la composition entre autres des Chambres, province et conseil communal, appel notifié à l'intimé le 19 mai 1866 et fondé sur ce que la profession de boulanger pour laquelle il est imposé serait exercée par son père et qu'ainsi il n'atteint pas la quotité du cens requis ; vu la réponse de l'intimé et la loi communale ; attendu que pour moyen de défense l'intimé ne fournit que l'affirmation de son père qui ne saurait à elle seule constituer la preuve de son allégation, qu'un acte aussi important devrait résulter d'un écrit quelconque, surtout lorsque, comme dans le cas actuel, le sieur D. B„ père reste à la tête des affaires et s'en mêle activement et principalement, et que de ces circonstances il y a lieu d'induire que les patentes ne sont attribuées à P. D... fils que pour l'investir d'un droit pour lequel il ne possède pas de base,
« Arrête ;
« Le sieur D. B... est rayé de la liste. »
(page 1118) Eh bien, je vous le demande, messieurs, est-ce que cet arrêté n'est pas parfaitement justifié ; n’est-il pas marqué au coin de la plus rigoureuse justice ?
J'ai fini, messieurs, et puisque M. le ministre de la justice a dit tantôt que mon raisonnement prouvait qu'il y avait lieu de faire une loi nouvelle et que j'étais partisan d'une révision de la législation actuelle, je répondrai qu'il s'est complètement trompé.
Je ne dis pas messieurs, que je ne suivrai pas la doctrine que l'honorable M. Delcour a émise en 1864i ; je ne dis pas qu'il ne faudrait pas la publicité des réunions des députations permanentes ayant pour objet l'examen des réclamations en matière électorale.
Si la loi annoncée ne contenait que cela, j'y souscrirais volontiers, parce que la publicité est une garantie pour celui qui réclame et je serai le premier à la réclamer. Mais de là à enlever aux députations permanentes un droit qu'elles possèdent depuis si longtemps, il y a une différence énorme et je suis convaincu que s'il y avait devant les députations des plaidoiries contradictoires et publiques, ce serait là une garantie précieuse et qui produirait les meilleurs résultats pour tout le monde.
S'il y avait une enquête contradictoire, si les parties intéressées pouvaient se défendre, si elles connaissaient les témoins produits contre elles, ce système serait le meilleur ; et si le projet de loi qu'on nous annonce, je le répète, ne propose que cela, j'y souscrirai des deux mains.
Je terminerai en citant les paroles prononcées par l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom, lors de la discussion soulevée par l'honorable M. Reynaert dans la séance du 16 décembre 1864.
Voici ces paroles :
« Vous n'oseriez pas nier la paternité de la brochure (de M. Reynaert) ; du reste il n'y a pas de mal à cela.
« Je ne répondrai donc pas à l'honorable membre, mais je dois cependant protester contre les accusations lancées par lui, couvert par son inviolabilité parlementaire, contre des corps très respectables, contre les députations permanentes, et principalement contre la députation de la Flandre occidentale. L’honorable membre, après nous avoir dit que ces corps sont devenus des corps politiques par suite de leur origine élective, ajoute qu'il ne s'en plaint pas, parce que cela est ainsi par la force des choses ! Que veut donc l'honorable membre ?
« Croit-il que tous les prétendus abus qu'il signale seront corrigés, parce que les débats seront publics et oraux ? Non, mais l'honorable membre veut saisir l'occasion de lancer à tort des accusations d'arbitraire, d'illégalité, d'annulations scandaleuses d'élections, contre des corps respectables, émanant de l'élection comme la Chambre, et représentant comme elle une fraction de la nation. Il n'appartient pas à l'honorable membre de suspecter les intentions de ces corps constitués. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, un seul mot de réponse à l'honorable M. Van Wambeke.
On vient d'applaudir aux paroles citées par l'honorable membre ; il est bien étonnant qu'après un laps de quelques années, des paroles puissent provoquer des applaudissements qu'elles n'avaient pas rencontrés d'abord.
En effet, le 16 décembre 1864, l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom avait prononcé ces paroles ; l'honorable M. de Theux lui a répondu :
« M. le ministre de l'intérieur s'est élevé contre le soupçon de partialité attribuée à telle ou telle députation ; il a tort.... »
Et l'honorable membre justifiait sa thèse de la manière la plus complète.
A cette époque, l'honorable M. Alphonse Vandenpeereboom pouvait tenir ce langage ; et pourquoi ? Parce que l'honorable M. Reynaert s'était permis de dire, sans apporter aucune preuve, qu'il y avait un scandale administratif ; les Annales parlementaires sont vierges de toute espèce d'arguments à l'appui du dire de l'honorable M. Reynaert, tandis que, moi, je produis des pièces authentiques, et non pas seulement des allégations. J'ai comparé les arrêtés de la députation permanente ; les voilà ; discutez-les ; le gouvernement ne peut pas défendre ces actes sans s'en rendre en quelque sorte le complice.
Si des membres lançaient contre les députations permanentes des accusations vagues, sans les prouver, il serait du devoir du gouvernement de protester, et il n'y manquerait pas.
Je terminerai, messieurs, en disant deux mots de l'affaire des deux boulangers d'Alost.
L'honorable M. Van Wambeke trouve très juste qu'on ait maintenu le boulanger catholique, et qu'on ait éliminé le boulanger libéral. Et cependant combien il yavait de présomptions plus fortes en faveur du boulanger libéral !
Le boulanger libéral vivait avec son père, homme riche, retiré des affaires ; il avait pour lui la présomption résultant de son admission par le conseil communal. Quant au boulanger catholique, l'honorable membre dit qu'il devait être inscrit parce que le père de ce boulanger avait été déclaré en faillite !
Voilà une singulière argumentation. Est-ce qu'un failli ne peut exercer une profession ? Tout failli devrait donc mourir de faim.
M. Van Wambekeµ. - Il y a d'autres faits.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je serais curieux de les connaître. Ils sont constatés sans doute par les quatre certificateurs de l'association catholique d'Alost.
L'un des deux boulangers vivait dans la même maison avec quatre frères et sœur et son père ; l'autre vivait seul avec son père, homme riche, comme je l'ai dit tout à l'heure et retiré des affaires... Quels sont les arguments de la députation permanente, en ce qui concerne le boulanger libéral :
« Attendu que pour moyen de défense l'intimé ne fournit que l'affirmation de son père qui ne saurait à elle seule constituer la preuve de son allégation. »
Et le boulanger catholique, fournissait-il autre chose que l'allégation de son père ?
« Qu'un acte aussi important devrait résulter d'un écrit quelconque. »
Soit, mais si c'est vrai pour le libéral, cela doit être vrai aussi pour le catholique.
Maintenant que dit-on pour le boulanger catholique ?
« Attendu que rien ne justifie la présomption d'une fraude électorale et qu'au surplus rien ne détruit la présomption résultant, en faveur de l'appelant, de son incorporation nominative aux rôles de la patente et de la contribution personnelle, qu'au contraire il y a lieu d'admettre que le réclamant possède les bases des impôts. »
Le boulanger catholique, rayé de la liste par le conseil communal, est admis par la députation, et le boulanger libéral, inscrit par le conseil communal sur la liste, en est biffé par la députation.
M. Orts. - Messieurs, l'honorable M. Van Wambeke attribue l'incident soulevé dans cette enceinte à une campagne ouverte dans ces derniers temps contre les députations permanentes par le conseil communal de Gand, dans un accès de désappointement politique, après des échecs électoraux. D'autres conseils ont suivi.
L'accusation est injuste. Le conseil communal de Gand, au sein duquel je m'honore de compter des amis, n'a rien inventé ; il a suivi l'exemple donné par nos adversaires politiques.
Si dans les Flandres les conseils communaux réclament contre la compétence des députations permanentes en matière électorale, ce n'est pas davantage à raison de faits isolés qui se seraient produits, par exemple, dans la seule commune d'Alost et qui aboutiraient uniquement à des décisions de fait sur lesquelles il est facile d'équivoquer.
Les premières réclamations sont bien plus anciennes ; comme le disait M. le ministre de la justice avec beaucoup de raison, elles datent d'une époque antérieure à celle où les amis politiques du gouvernement actuel ont été évincés des positions qu'ils occupaient dans les députations permanentes des Flandres. Les attaques les plus sérieuses sont parties des rangs de nos adversaires politiques à l'époque où ils ne régnaient pas dans la députation.
On vous rappelait tout à l'heure qu'un honorable membre de cette Chambre appartenant à la droite, M. Reynaert, avait publié une brochure contre les députations permanentes, notamment à l'occasion des abus de pouvoir qu'elles commettaient, suivant lui, dans l'exercice de leur juridiction électorale.
Eh bien, messieurs, cette brochure, très bien écrite et très bien pensée, contient des réflexions fort justes : Voici ce qu'elle disait, en matière de droit électoral ; et il s'agissait d'une députation permanente de la Flandre fonctionnant avant le renouvellement qui en fit plus tard une députation conservatrice. .
« En matière de listes électorales que de griefs nous pourrions exhumer contre la députation permanente ! Que de fois, statuant dans un esprit de partialité, elle a méconnu les droits les plus légitimes et consacré les plus flagrantes violations de la loi !
« Ici encore, un recours en cassation est ouvert contre les décisions de la députation permanente ; mais outre qu'elle a soin le plus souvent de formuler m jugements de manière à rendre le recours impossible, (page 1119) il arrive que, dans une foule de cas, la décision à prendre roule sur la constatation d'un fait et par cela même échappe à la juridiction de la cour régulatrice. Ainsi s'agit-il de savoir si un censitaire possède réellement les bases de l’impôt, la députation permanente, s'appuyant sur ce qu'elle appelle la notoriété publique ou les renseignements insuffisants fournis par l'administration communale, décide affirmativement ou négativement selon son bon vouloir et cela d'une manière souveraine (page 22).
« Tous les abus se réduisent à un unique, l'intrusion de l'esprit de parti au sein de nos députations permanentes, lesquelles statuant sans contrôle, sans publicité, et quand elles le veulent souverainement en fait, se trouvent être investies d'une réelle et effrayante omnipotence. » (page 27.)
Voilà pour l'initiative de la campagne. Vous savez à qui l'honneur en revient.
L'honorable M. Van Wambeke explique tous les faits qui se rapportent à l'affaire d'Alost par une méthode facile. Les appréciations des faits peuvent être très difficilement contrôlées par ceux qui n'ont pas on main les éléments nécessaires. La députation les avait ; la Chambre ne les a pas.
Du reste, dit l'honorable M. Van Wambeke, la députation a usé de son droit et vous ne savez pas l'effet que l'exercice de son droit d'investigation a pu produire sur sa conviction la plus légitime.
Sans doute ce raisonnement en théorie est parfaitement exact.
La députation permanente pouvait évidemment user de son droit d'investigation quand elle n'est pas suffisamment éclairée.
Mais voyons maintenant comment les choses se passent dans l'exercice de ces prérogatives très légales et comment elles se passent dans la Flandre orientale surtout. J'ai à produire ici le témoignage d'un homme modéré, consciencieux et que sa position met à même de tout savoir. Un homme modéré, car tout en reconnaissant qu'il y a des abus dans la façon de rendre la justice électorale par les députations, il conclut simplement à un palliatif qui consisterait, tout en maintenant les mêmes juges, à faire juger les réclamations d'une province par la députation d'une autre province tout à fait désintéressée dans le mouvement électoral de l'année.
L'auteur de ce travail conçu dans cet esprit de modération et de bienveillance appartient par ses fonctions au gouvernement provincial de la Flandre orientale ; M. Montigny s'explique ainsi sur la manière dont s'exerce le droit d'investigation dont on parlait tout à l'heure.
Ce travail est signé, je ne commets pas d'indiscrétion, il est inséré dans le numéro du 10 décembre 1866 de la Belgique judiciaire, et voici ce que j'y lis :
« Que se passe-t-il aujourd'hui ? Chaque député examine spécialement à domicile les réclamations de son ressort ; c'est lui qui est appelé à rechercher si l'intéressé possède les bases des impôts qu'on lui conteste, si un tel exerce sérieusement la profession de cabaretier, de débitant de tabac, si tel autre possède réellement un cheval mixte ou tient une servante, et l'on comprend aisément que le résultat de ses investigations doit forcément se ressentir du contact des chefs de parti qu'il fréquente. »
Je reviens au fond même du débat actuel.
Messieurs, les questions de fait qui justifient les réclamations qui se sont produites au sein du conseil communal de Gand et que ce conseil, avec beaucoup d'autres conseils communaux des deux Flandres, a soumises à l'appréciation de la Chambre sont difficilement appréciables pour nous qui ignorons les circonstances dans lesquelles elles se sont produites. J'en veux citer d'autres qui ne pourront pas se couvrir de ce voile d'impénétrabilité, argument favori de l'honorable M. Van Wambeke. M. Van Wambeke a fort adroitement plaidé sa cause comme un bon et habile avocat qu'il est.
Mais, auparavant, je réponds un mot à une espèce de certificat qu'on a donné à la députation de la Flandre orientale, sous prétexte de statistique judiciaire. D'après l'honorable M. Van Wambeke, la députation est encombrée de besogne et si elle jugeait légèrement, ce serait péché véniel. On l'accable de 1,200 pourvois de réclamations électorales. Les délais pour juger sont très brefs et pourtant sur 1,200 décisions 70 ont été soumises à la cour de passation, et 7 pourvois seulement ont été admis.
L'honorable M. Van Wambeke tire de ces faits la conséquence que ces 70 pourvois ont porté nécessairement sur des questions de droit, que la députation permanente ne s'est trompée que 7 fois sur 70 et que peu de juges pourraient en dire autant de leurs jugements.
L'honorable M. Van Wambeke a mal contrôlé sa statistique. Sur 70 pourvois, 63 ont été rejetés cela est vrai. Mais que l'honorable membre veuille bien ouvrir le recueil d'arrêts qui contient les décisions de la cour de cassation dont il parle. Il y verra que 9 fois sur 10 le pourvoi est déclaré non recevable, attendu que la députation a statué en fait et que la cour de cassation ne peut dès lors rien y voir.
Je sais, messieurs, que plusieurs fois la députation a statué en droit et cela dans des circonstances remarquables.
Elle a jugé avec beaucoup d'opiniâtreté que les cabaretiers ne pouvaient pas compter le droit de débit de boissons, après avoir, par parenthèse, jugé le contraire dans l'intervalle des deux arrêts de la cour de cassation qui lui donnaient tort.
C'est ainsi qu'avant de s'insurger contre la cour de cassation en. 1866, elle jugeait avec cette cour et la même année 1866 en sens opposé parlant du débit de boisson comme de toute autre patente. Mais alors elle statuait sur la réclamation d'un électeur se qualifiant de concierge d'une société religieuse ! Elle a oublié, dans ce cas, ce dont elle s'est souvenue ensuite pour les cabaretiers suspects de libéralisme, qu'il était inconstitutionnel, même pour le concierge d'une société religieuse, de compter pour parfaire le cens électoral, le droit qu'il payait pour débit de boissons.
J'ai promis des exemples : je veux les fournir.
Voici quelques décisions où le fait n'est rien, où le droit est tout, et je désire que l'honorable M. Van Wambeke m'explique comment on a pu décider sans passion le blanc et le noir sur la même question.
S'il est une question de droit pur, c'est celle de savoir si un mari marié sous le régime de la communauté qui lui permet de s'attribuer les contributions payées par sa femme pour parfaire son cens électoral, peut se prévaloir du temps pendant lequel sa femme a payé les contributions avant son mariage.
La question se présente devant la députation permanente de Gand.
En 1863 et en 1864, la députation décide que les contributions payées antérieurement au mariage ne peuvent pas compter.
En 1866, la même question de droit se représente à la date du 8 juin. Je cite la date de l'arrêté, pour que l'on puisse vérifier et rectifier, si je me trompe ; la députation permanente abandonne sa jurisprudence de 1863 et 1864, et admet, pour parfaire le cens, les contributions qu'elle avait repoussées en 1863 et en 1864.
M. Van Wambekeµ. - Elle était composée autrement.
M. Jacobsµ. - Ce n'est pas à la fin de 1864 qu'elle a jugé.
M. Orts. - On me dira sans doute : Comment allez-vous tirer de là la conclusion qu'il s'agissait d'un électeur catholique dans un cas, d'un électeur libéral dans l'autre ?
Qui peut, dans cette Chambre, savoir que ces qualifications s'appliquent avec exactitude à telle ou telle personne ?
J'en conviens, c'est difficile. Mais je crois avoir trouvé un moyen de le savoir. Les réclamants contre les inscriptions autres que l'électeur ont souvent des qualités qui ne permettent pas de laisser un seul instant leur opinion politique dans le doute. Eh bien, en 1863 et en 1864, la réclamation à laquelle on fait droit pour écarter et biffer un électeur, est une réclamation présentée par l'éditeur du Bien public de Gand. Il gagne son procès.
Et lorsque le même fait se reproduit en 1866, quel est le réclamant qui perd son procès ? Le secrétaire de l'association libérale de Gand. Ici il n'y a plus de doute sur la qualité des réclamants, nul d'entre eux ne possède un intérêt personnel au débat. On remplit de part et d'autre un devoir politique, celui d'exclure des listes des adversaires que l'on croit y figurer sans droit ; j'ai le droit de dire que le procès gagné était un procès-catholique et que le procès perdu était un procès libéral.
M. Van Wambekeµ. - Cela se voit tous les jours devant les tribunaux.
M. Orts. - Non, monsieur. Les tribunaux ne jugent pas blanc pour un catholique et noir pour un libéral. Remarquez que si en 1863, on a donné gain de cause à l'électeur qui réclamait, vous ne deviez pas vous en plaindre à droite ; c'était une députation libérale qui jugeait, et c'est le réclamant catholique qui a gagné son procès.
Mais voici mieux.
Je comprends que des juges changent quelquefois d'avis. Cela se rencontre dans les tribunaux et peut se rencontrer dans les députations. Mais ce que je ne comprends pas, c'est que les mêmes juges changent d'avis dans le même procès, sur la même question appliquée aux mêmes faits et aux mêmes parties.
Or, ce phénomène s'est produit, paraît-il, à Gand. Deux frères, je dirai leur nom, cela simplifiera les recherches et il n'y a rien de blessant pour ces gens à avoir réclamé leur inscription sans succès. Deux (page 1120) frères, les frères Vandermeersch, habitaient avec leur père et ils croyaient pouvoir compter, pour parfaire leur cens électoral, une partie de la contribution personnelle payée par le père. C'était très légitime de leur part ; ils pouvaient certainement former cette prétention de la manière la plus légale, car ils viennent la soumettre ouvertement au juge qui doit l'apprécier.
Il s'agissait de contributions payées en 1864, ils demandent donc que la contribution de 1864 leur soit comptée pour le cens électoral, dans l'intention que je viens d'indiquer.
La députation permanente repousse leur demande et la repousse en droit. Ils vont devant la cour de cassation et la cour de cassation dit que la députation permanente a parfaitement bien jugé et que ces messieurs ne peuvent pas s'attribuer une partie de la contribution personnelle payée par leur père.
Les frères Vandermeersch reviennent en 1866, et comme il leur fallait, pour parfaire leur cens électoral pour les Chambres, une justification de deux années du payement du cens, ils reproduisent la prétention de compter ce même impôt de 1864 qui avait été repoussé par la députation permanente l'année précédente, décision confirmée par un arrêt de la cour de cassation.
L'électeur donc ne se tient pas pour battu et il revient à la charge en 1866.
En 1866, la députation déclare que cette contribution de 1864, repoussée en 1865 et que le conseil communal de Gand n'avait pas voulu admettre, doit cependant compter aux mêmes électeurs.
Est-ce que par hasard la députation permanente de la Flandre ne savait pas que, l'année précédente, la cour de cassation lui avait donné raison ? Lui avait-on peut-être persuadé qu'au contraire la cour de cassation avait cassé sa décision ? Pas du tout. Le conseil communal de Gand, dans sa délibération, avait eu soin de viser l'arrêt de la cour de cassation qui avait admis le système consacré par la députation permanente. Mais voici la différence entre 1865 et 1866. En 1865, personne ne combattait l'inscription de ces électeurs et on les biffe. En 1866, ces électeurs pour leur bonheur, ce qui fait qu'ils ont probablement gagné leur cause, voient leur demande combattue par le secrétaire de l'association libérale de Gand, et on l'accueille. Une autre fois, je prie ce secrétaire de ne plus se mêler d'affaires d'autrui, en tant quelles rentrent dans les attributions de la députation.
M. Jacobsµ. - S'est-on pourvu en cassation ?
M. Orts. - Je n'en sais rien. Mais je réponds à l'interruption qu'il se produit très peu de pourvois en cassation contre les décisions de la députation permanente de Gand dans les circonstances de ce genre. Pourquoi ? Parce que ces décisions arrivent systématiquement trop tard pour que les pourvois en cassation puissent servir à quelque chose avant les élections.
L'année suivante, on réclame de nouveau son inscription. Cela est beaucoup plus simple que le pourvoi en cassation. A quoi peut servir en effet ce pourvoi s'il réussit ? Au renvoi devant une autre députation ? On aura, si l'on se pourvoit, une décision dans six mois, et dans huit mois on révisera les listes électorales. A quoi bon ce pourvoi ?
Il y a plus. La justice s'administre en dehors de toute règle et de toute forme, sans tenir compte de la compétence. Ainsi il est arrivé à la députation permanente de Gand, de faire ce qu'aucun tribunal n'oserait faire. Elle décide sur une réclamation électorale, elle biffe un électeur et quelques jours après elle dit : Je me suis trompée ; elle reprend l'affaire, rejuge et.se déjuge et dit qu'elle a trouvé le droit d'en agir ainsi dans l'article 480 du code de procédure civile. Je ne sais ce que le code de procédure avait à voir dans cette affaire.
Je sais qu'il n'a rien de commun avec la procédure électorale et je sais que quand une députation permanente a décidé, si elle a mal jugé, c'est à la cour de cassation seule qu'on doit, que l'on peut aller demander la révision de sa décision. Mais il n'est dit nulle part qu’après avoir biffé un électeur, la députation permanente pourra reprendre l'affaire et remettre l'électeur sur la liste.
Voici un dernier fait, et celui-là est assez curieux :
Au moment des élections de 1866, il passe dans l'idée d'un parti de voir des adversaires sur l'étiquette du sac, sur la profession qu'ils exercent, dans une certaine catégorie de citoyens. On se dit : Tous les officiers doivent être des libéraux ; c'est évident. Donc, ils sont dangereux à maintenir. Nous allons demander la radiation de tous les officiers ; nous allons dire qu'ils ne peuvent pas être considérés comme ayant leur domicile là où ils sont en garnison, et l'on fait une réclamation imprimée, la même pour tous, dans laquelle on se fonde sur les motifs que voici et que plus tard la députation permanente va adopter. Un militaire exerce une fonction essentiellement amovible. L'acceptation de la fonction militaire n'admet pas le changement de domicile du citoyen. S'il va de ville en ville, et s'il change de garnison, soit parce que son régiment est envoyé ailleurs, soit parce qu'il obtient une promotion, l'officier a si peu l'intention d'aller habiter la localité où il se rend et d'y prendre son domicile, que ce changement de garnison n'est pas la conséquence de sa volonté, mais la conséquence d'une volonté supérieure à la sienne et à laquelle il doit obéissance. Donc l'officier ne peut pas être considéré comme l'habitant d'une ville où il est envoyé malgré lui pour y tenir garnison.
Sur ce, radiation absolue des officiers.
Mais les libéraux avaient songé à parer le coup et ils avaient dit : Il n'y a pas que la milice à épaulettes qui soit tenue à changer de résidence par la volonté de ses supérieurs. II est une autre milice en robe noire, soumise à la même obéissance.
Les desservants, les vicaires, tous les ecclésiastiques qui ne sont pas curés inamovibles, sont envoyés dans les paroisses avec des fonctions ecclésiastiques temporaires, amovibles, révocables.
Leur changement de résidence ne dérive pas de l'exercice de leur propre volonté. Comme les militaires, ils obéissent à des supérieurs qui les nomment à leurs fonctions et changent leurs résidences.
Partant de là, les libéraux se dirent : Nous allons prendre les réclamations dirigées contre les officiers et les copier, nous écrirons curés là où on écrivait majors, nous mettrons vicaires au lieu de capitaines, tout sera dit.
L'argument n'était pas maladroit ; le prêtre, comme le soldat, doit obéissance à ses chefs et il lui faut tenir, bon gré, mal gré, garnison dans telle paroisse qui lui est assignée.
On avait mal compté avec la députation. Les curés et vicaires furent maintenus ; les officiers, disent les journaux du temps, furent biffés.
Si le fait est vrai, voilà encore une fois le droit, le droit pur, appliqué dans un sens et dans un autre et les nuances de fait ne sont ici pour rien.
Je ne veux pas aller plus loin dans ces critiques, La Chambre a hâte d'en finir d'un débat d'ailleurs prématuré.
Voici ma conclusion. Je persiste à dire qu'une justice de ce genre n'est pas la justice, qu'elle a le grand défaut de ne pas paraître juste alors, qu'elle serait pour rappeler un mot célèbre de M. Thiers.
Faisons donc ce qui est utile. Remettons le soin de trancher ces questions si délicates à cette classe de citoyens à laquelle seule nos lois interdisent la participation aux agitations de la politique active, à la magistrature,
Vous avez dans ce but fait une loi d'incompatibilité. Faisons avec cette garantie que nos voisins n'ont pas, faisons ce qu'a fait la France constitutionnelle, la France libérale d'avant 1848, faisons ce que fait la Hollande à côté de nous, ce qui se pratique encore en France, dans une certaine mesure, car si mon souvenir est exact, les questions de capacité électorale en ce pays de suffrage universel sont tranchées par les juges de paix.
M. Vleminckxµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire de 80,000 francs au budget de la justice pour 1868.
M. Thienpont. — J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.
- Impression et distribution.
MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui autorise le gouvernement à vendre de gré à gré les terrains militaires de la place de Charleroi, après avoir fait exécuter, s'il y a lieu, les travaux de démolition et de nivellement nécessaires et qui alloue, à cet effet, un crédit de 500,000 francs.
M. Coomans. - Messieurs, à mon tour, j'ai deux mots à dire sur ce débat ; je tiens à le résumer clairement et impartialement.
On m'a reproché, hier, de ne pas respecter assez le corps électoral.
(page 1121) Ce reproche m'a été adressé par deux honorables orateurs de la gauche, organes de la gauche tout entière.
Ce sont ces deux orateurs mêmes qui viennent, pour me servir d'une expression triviale qu'on a souvent employée sur ces bancs, de démolir le corps électoral.
Je n'aurais qu'à prendre acte des attaques dont le corps électoral est l'objet dans ses parties les plus sensibles, pour justifier mon assertion d'hier, à savoir qu'il est pourri.
Quoi ! messieurs, le gouvernement flétrit les députations permanentes et il avoue, par la voix de M. le ministre de la justice, que ses amis politiques (aveu loyal dont je lui sais gré et dont je lui offrirai la revanche), se sont rendus coupables de beaucoup de fraudes dans la province même dont la députation permanente ne lui inspire aucune confiance, et je ne pourrais pas en conclure que c'est ma thèse à moi qui a été démontrée aujourd'hui !
M. le ministre de la justice se vante d'avoir démontré sa thèse, de l'avoir fait démontrer même par l'honorable M. Van Wambeke. Mon honorable ami croit, avec raison, selon moi, qu'il a pleinement justifié la députation permanente.
Tout cela est discutable, mais ce qui est évident pour tous, c'est que vous venez de démontrer tous ensemble que notre système actuel, basé sur la patente extraordinaire que vous connaissez bien, n'est plus défendable.
Vous devez le reconnaître tous, notre établissement politique actuel repose sur les élections gantoises. Ces élections, depuis plusieurs années, sont produites par un très petit nombre de suffrages qui varient de six à vingt-quatre tout au plus sur plusieurs milliers de voix.
Vous déclarez que la députation permanente qui a épuré ou souillé le corps électoral dans cet arrondissement ne vous inspire aucune confiance ! Vous avouez que vos amis politiques ont fraudé ! Vous soutenez, il est vrai, que vos adversaires en ont fait autant. C'est possible, et vous ne reconnaîtriez pas que j'ai le droit de révoquer en doute la sincérité d'un pareil voie, la justification de la fiction constitutionnelle d'après laquelle nous sommes ici les représentants de la nation !
Mais, s'il a dépendu de 3, de 4, de 20 voix dans l'arrondissement de Gand pour changer complètement les résultats du scrutin, c'est-à-dire pour modifier toute la situation politique du royaume, comment ne craignez-vous pas d'attaquer ce même corps et de le flétrir ?
Je parle avec une entière franchie. Il est désagréable d'avoir à reconnaître que les principales institutions nationales sont mauvaises. A ce point de vue, je n'ai pas assisté avec plaisir à ce débat ; mais à un autre point de vue, il m'a donné cette satisfaction de voir approcher le jour où la sainte cause que je défends triomphera.
Vous avez démontré, et je désire que vous acheviez de démontrer que le système de l'adjonction des cabaretiers et des marchands de tabac au corps électoral est mauvais en principe et surtout dans son application.
Eh bien, moi je prends acte de cet aveu suffisamment justifié par les faits et je vous convie tous à reconnaître avec moi qu'il est grand temps de faire cesser ce scandale. Cette fois, c'est le mot propre.
Quoi ! me disait hier l'honorable M. Orts, vous ne redoutez, pas d'être pris au mot par l'étranger, quand vous déclarez viciée la base de nos institutions politiques ?
Qui donc en est cause ?
Ce sont ceux qui ont inventé ce mauvais système, qui en ont aggravé les vices depuis plus de vingt ans. Ce sont ensuite les honorables membres, les ministres y compris, qui viennent prouver que les électeurs de la principale province politique du pays et leurs juges ont agi frauduleusement.
Voilà la question principale.
J'avoue qu'elle est sérieuse également la question de savoir si le gouvernement a eu raison de qualifier de scandaleuse la conduite de la députation permanente.
Mon honorable ami, M. Van Wambeke, a traité aussi une question très sérieuse, en prouvant que les allégations du gouvernement étaient injustes et qu'il ne convenait pas de porter atteinte à la bonne réputation dont jouissent les membres de la députation permanente.
Mais moi je veux aller plus loin ; je n'hésite pas à reconnaître que de part et d'autre il y a eu beaucoup de fraudes ; j'en suis convaincu, d'abord par les faits du passé et surtout par l'infaillible raisonnement que voici : que la passion politique est de toutes les passions celle qui entraîne le plus facilement les honnêtes gens dans la voie de l'injustice.
Beaucoup d'hommes se feraient scrupule de frauder dans un intérêt personnel, même dans un intérêt de famille, ou dans un intérêt de vraie amitié, mais ces mêmes hommes qui passent pour honnêtes et qui le sont, ces mêmes hommes se laisseront aller à la tentation de frauder, soit le gouvernement en matière de douanes ou d'impôt, soit un parti adverse en matière d'élection.
J'ai connu, je connais encore de très honnêtes gens, des catholiques sincères qui ont commis des actes assurément légaux et irréprochables, mais actes qui, au point de vue de la stricte morale, me paraissent difficilement justifiables.
Si des gens aussi consciencieux se sont permis de pareilles choses, j'ai bien le droit de dire que ce qu'on appelle les libres penseurs n'hésiteront pas à en faire autant.
Or, comme le pouvoir appartient aujourd'hui aux partisans de la morale indépendante de la religion, comme toutes les influences lui appartiennent plutôt qu'à l'opposition, il est clair que le bénéfice final des fraudes leur appartiendra aussi ; en d'autres termes, pour parler franchement, je crois qu'il se commet plus de fraudes aujourd'hui du côté du gouvernement que du côté de l'opposition et cela pour diverses raisons sur lesquelles je n'ai pas besoin d'insister davantage.
Vous n'en finirez jamais à discuter sur le terrain où vous vous êtes placés ; quand vous aurez discuté quinze jours, loin d'être parvenus à vous entendre, vous ne serez que plus divisés.
Aussi longtemps que vous admettrez comme base du débat, des faits difficiles à apprécier, vous serez dans l'impossibilité d'établir un juste système de répression des fraudes.
Je n'admets point, par exemple, et c'est la seule réserve que je fais au discours de mon honorable ami Van Wambeke, je n'admets point que le pouvoir puisse examiner le fond, la base de l'impôt patente ou de la taxe cabaretière.
Il est impossible d'être juste en cette matière ; il faudrait déterminer le nombre de litres de genièvre, le nombre de cigares que l'électeur devra vendre pour continuer à exercer son droit ou pour l'acquérir, mais comment le pourrez-vous ?
Je suppose qu'il faille par exemple vendre, par an, deux ou trois hectolitres de genièvre ou un millier de cigares, pour être digne de nommer les représentants de la nation belge. Mais s'il s'en faut de quelques cigares, de quelques litres de genièvre, voilà cette fraction du souverain national rayée des listes.
Et remarquez bien que l'examen de ces droits prête beaucoup à la partialité. Ici, je m'élève au-dessus des avocats des deux partis ; je leur demande à tous comment ils établiront la mesure que les députations permanentes ou les tribunaux devront appliquer ; sans cela, quand vous aurez mis les tribunaux à la place de la députation, vous vous trouverez dans les mêmes difficultés.
Et remarquez le cercle vicieux où vous vous placez ; vous ne voulez pas pousser à la consommation du genièvre, dites-vous ; mais vous allez y pousser, vous allez forcer le cabaretier qui ne vend pas assez, selon vous, à vendre davantage. (Interruption.) Il me semble que je suis au fond de la question, et cela vaut bien la peine de m'écouter quoiqu'il soit 5 heures... Si vous le désirez, je continuerai demain.
M. le président. - Continuez, M. Coomans, et tâchons d'en finir : c'est un débat qui ne peut avoir de conclusions...
M. Coomans. - Je ne cesse pas de conclure, M. le président. (Interruption.) Je rends la Chambre attentive à cette énorme difficulté ; quels que soient les juges électoraux, ils se trouveront devant ces difficultés insurmontables : Combien faudrait-il vendre de genièvre pour être cabaretier ? combien faudra-t-il vendre de cigares pour être débitant légal ? Et lorsque vous aurez déterminé un chiffre, le danger commencera, car ce chiffre deviendra le minimum obligatoire vers lequel s'élèveront tous les faux électeurs ; vous n'aurez pas un faux électeur de moins, mais vous aurez des ivrognes en plus. Voilà quel sera le résultat de votre système.
Vous aurez des ivrognes en plus et vous aurez en plus les vifs et mérités reproches de la nation, de la véritable nation belge, qui est honteuse de se voir représenter aujourd'hui... (Interruption.)
Laissez-moi au moins achever ma pensée... qui est honteuse de se voir représenter aujourd'hui, ça et là, par l'appoint des cabaretiers et des marchands de cigares.
- Une voix à gauche. - Parlez pour vous.
M. Coomans. - Vous avez parmi les milliers d'électeurs de l'arrondissement de Gand (je parle ici contre les deux partis) des centaines de débitants de genièvre et de tabac. Vous déclarez que la députation permanente a favorisé des fraudes, (page 1122) vous avouez que vos propres amis ont fraudé ; vous dites que les miens ont fraudé ; je n'en sais rien, mais j'en suis sûr... (Interruption.)
Vous n'ignorez pas, messieurs, que dans ces deux dernières élections, il n'y a eu, dans un cas, qu'une majorité de cinq ou six voix ; dans un autre cas, qu'une majorité de vingt à trente voix. Voilà donc la vingtième partie peut-être de ces électeurs douteux, flétris par vous, qui ont décidé du vote souverain.
Je me sers de l'exemple de Gand ; mais ai-je besoin de dire qu'il n'y a rien de personnel dans mes observations pour les honorable représentants sortis de ces scrutins-là ! Dieu me garde d'abuser à ce point de mon argument. Mais je me sers de cet argument parce qu'il est décisif, parce qu'il est saisissant. Vous devez reconnaître, en effet, que sept députés de plus ou de moins sont de la plus haute importance lorsque les deux partis se balancent à peu près.
Je suis persuadé que la conscience des honorables députés de Gand me donne raison et qu'ils auraient tenu mon langage s'ils avaient été vaincus. J'ai le droit, de dire, en présence des faits que j'invoque, que ces élections-là (comme les précédentes qui ont été favorables à mes amis politiques) né peuvent pas être qualifiées, avec certitude, d'élections sincères, honnêtes, loyales. (Interruption.) Mais, messieurs, laissez-moi donc dire ce que je pense.
Vous voyez bien que je ne dis rien de personnel pour aucun de nos honorables collègues ; si mon raisonnement était injurieux pour quelques-uns de mes adversaires, il ne le serait pas moins pour mes amis politiques. Il s'applique aux choses, non aux personnes.
Le vice n'est pas dans les hommes ; je dirai plus : notre situation électorale est tellement vicieuse, notre système est si mauvais que si les hommes n'avaient pas été bons, ce système n'aurait pas pu durer aussi longtemps. Ce sont les bonnes mœurs belges, c'est notre pudeur politique souvent qui a empêché ce mal de produire tout son effet.
Oh ! je sais bien que ceci est douloureux à entendre ; c'est même douloureux à dire et il faut être emporté par une conviction profonde comme celle qui m'anime pour avoir le courage de conclure de la sorte.
Ainsi donc, c'est relativement une petite question que celle de savoir si les députations permanentes doivent céder la place à une cour d'appel, car je crois que ni l'une ni l'autre ne parviendraient à épurer un corps électoral ainsi composé. Eh bien, quand j'ai dit hier, et je dois à cet égard expliquer de nouveau ma pensée, quand j'ai dit hier que le corps électoral était pourri, je...
M. Rogierµ. - Allons donc ! Parlez pour vous 1
M. Coomans. - ... Je faisais allusion à ces éléments impurs que M. le ministre de la justice avoue y avoir pénétré, que tout le monde avoue y avoir pénétré.
Faites disparaître ces éléments impurs (interruption) et vous aurez obtenu déjà un grand résultat ; mais cela ne suffira pas encore, car vous n'aurez pas moins maintenu un système contraire au mouvement national, qui nous porte vers une large extension du droit de suffrage. Là est le véritable remède, il n'y en a pas d'autre.
Je ne demande pas que l'on raye certains patentés ; je ne l'ai jamais demandé. Je demande qu'on noie les cabaretiers dans la masse de la nation. Ce sont des citoyens comme les autres ; et je reconnais même qu'il y a des électeurs non cabaretiers qui ne valent pas mieux. Mais il est temps que notre corps électoral étende ses rangs, qu'il y reçoive un nombre d'électeurs assez considérable pour que ses décisions puissent être considérées comme étant dictées par la volonté nationale.
Messieurs, voilà ma conclusion ; j'y reviendrai dans toutes les circonstances.
MfFOµ. - Je ne me lève pas, messieurs, pour répondre au discours que vous venez d'entendre.
M. Coomans. - Je le crois bien ; ce ne serait pas possible.
MfFOµ. - Je crois que le sentiment à peu près unanime de la Chambre en a fait justice. (Interruption.)
Il ne signifie qu'une seule chose : il faut déconsidérer les institutions de la Belgique, il faut les avilir autant que possible, il faut représenter le corps électoral comme étant pourri du haut en bas, afin de pouvoir conclure au suffrage universel. (Interruption.)
Voilà tout. Et il y a si peu de sens et de logique dans de pareilles objurgations, que M. Coomans, qui s'imagine produire des arguments irréfutables, ne paraît pas se douter que le système qu'il préconise soulèverait exactement les mêmes objections, les mêmes arguments que ceux qu'il produit contre le système actuel.
Que vous dit-il ? Il faut noyer les cabaretiers dans la masse de la nation, dans le grand corps électoral du suffrage universel ! Et M. Coomans ne s'aperçoit même pas qu'à raison de leur nombre, ils y seraient exactement dans la même proportion, avec le suffrage universel, qu'ils y sont avec le suffrage restreint !
M. Coomans. - Mais non !
MfFOµ. - Comment, non ? C'est, en vérité, trop fort ! Et il faut que M. Coomans ignore tous les faits, pour soutenir de pareilles inexactitudes.
M. Coomans. - Allons donc !
MfFOµ. - Mais certainement !
M. le président. - N'interrompez pas, M. Coomans.
MfFOµ. - Vous avez dit qu'il y a cent mille cabaretiers.
M. Coomans. - Qui a dit cela ?
MfFOµ. - Vous-même. D'ailleurs c'est exact. Donc, avec le suffrage universel, les cabaretiers formeraient environ dix pour cent du nombre total des électeurs, nombre qui pourrait s'élever à peu près à un million. Or, il y a aujourd'hui, sous le régime du suffrage restreint, également dix pour cent d'électeurs qui complètent leur cens à l'aide du droit de débit de boissons.
M. Coomans. - Il y a 19,000 cabaretiers.
M. le président. - Encore une fois, n'interrompez pas, je vous prie.
MfFOµ. - Le résultat serait donc absolument le même.
M. Coomans s'imagine avoir produit un argument triomphant, quand il fait remarquer que dans tel collège électoral où les forces des deux partis se balancent, c'est à l'aide de quelques voix seulement que les élus sont nommés ! Sept députés, entre autres, doivent leur élection à une faible majorité, et il en conclut que ce sont quelques cabaretiers, quelques misérables cabaretiers, comme il les qualifie, qui sont les maîtres du corps électoral et ainsi les maîtres de la représentation nationale. (Interruption.)
Eh bien, le jour où votre beau système de suffrage universel serait en action, dans tous les collèges électoraux où les opinions politiques seraient partagées, comme elles le sont aujourd'hui dans certains d'entre eux, ce seraient encore, en vertu de votre invincible argument, les cabaretiers qui auraient la prépondérance. Que leur proportion dans le corps électoral soit plus ou moins grande, ce seraient encore eux, selon vous, qui seraient les maîtres de l'élection et par conséquent de la législature et du pays entier ! Voilà toute la valeur de votre argument. (Interruption.)
Pour rentrer dans le sujet spécial qui nous occupe, j'ajouterai que M. Coomans, qui parle beaucoup des moyens employés pour la fabrication des faux électeurs, ne connaît pas le premier mot de la question.
M. Coomans, pour tout argument, se borne à soutenir que ce sont les cabaretiers qui sont de faux électeurs ; d'après lui, ce serait en quelque sorte au moyen de leur patente seulement que l'on parviendrait à se faire inscrire frauduleusement sur les listes électorales. Or, messieurs, toutes les contributions directes, à l'exception de l'impôt foncier, peuvent donner lieu à de fausses déclarations et par conséquent aider à faire de faux électeurs.
On a recours, pour parvenir à ce but, au droit de débit de tabac, et à la patente ordinaire, tout aussi bien qu'à la patente spéciale requise pour le débit de boissons, et on ne se fait pas faute non plus de se servir des moyens que peuvent donner les diverses bases de la contribution personnelle.
On verra probablement, lorsque l'enquête dont j'ai parlé hier sera terminée, que ce n'est pas précisément à l'aide des débits de boissons que se font le plus de fausses déclarations en matière électorale.
En effet, ce qui m'a décidé à lancer la circulaire à laquelle j'ai fait allusion, ce sont certains faits qui se rattachaient à l'ensemble des impôts directs.
L'élévation de ces impôts, constatée exceptionnellement dans certaines localités, était attribuée à des déclarations faites en vue des élections qui devaient y avoir lieu dans un délai rapproché. Dans les rapports qui m'ont été adressés à la fin de novembre 1867, j'avais vu, par exemple, que dans une commune où une lutte existait entre le (page 1123) bourgmestre et quelques conseillers communaux, tous les individus mâles et majeurs étaient électeurs. On les avait créés pour les élections de 1866.
L'année suivante, le montant des impôts retombe au chiffre normal, et un grand nombre d'électeurs disparaissent des listes. C'étaient donc de faux électeurs, mais on n'avait pas eu recours à une seule déclaration de débits de boisson pour les fabriquer. C'était principalement de la patente de marchand ambulant que l'on avait fait abus. Les autres fausses déclarations s'appliquaient à un chiffonnier, a un marchand de charbons, à un charretier, à un boucher, à un marchand de farines et à quelques débitants de tabacs. Les deux tiers des individus patentés n'exerçaient pas la profession qu'ils avaient déclarée.
Beaucoup d'autres rapports que j'ai reçus constatent des faits analogues dans d'autres parties du pays. J'ai dit et je répète que ces faits se produisent presque toujours et presque exclusivement en matière d'élections communales. Je crois que l'on ne constatera pas un très grand nombre de fraudes, ce qui détruit l'argument de M. Coomans, en ce qui touche les élections générales. Ce n'est que pour les élections communales que les fraudes ont une grande importance.
Ainsi, dans telle commune que je ne veux pas citer, il y avait,, année commune, 13 déclarations de débits de boisson et de tabac. Tout à coup, à l'approche d'une année d'élection, on voit s'élever ce nombre à 122, pour retomber à 11 immédiatement après l'élection. (Interruption.)
Dans une autre localité d'une population de 6,000 âmes, le produit du droit des patentes s'élève brusquement, avant les élections communales, à 12,720 francs, pour retomber en 1867 à peu près au chiffre ordinaire, c'est-à-dire à 9,528 fr., soit une différence en moins de 3,192 francs.
J'ai donc pensé, ce que du reste j'avais annoncé, qu'il y avait lieu d'éclaircir ces faits, et c'est à ce sujet qu'à une époque bien postérieure à la confection des rôles, c'est-à-dire au mois de mars 1868, j'ai adressé une circulaire aux directeurs des contributions, pour les inviter à faire constater d'une manière confidentielle, cela va de soi, les divers faits de cette nature qui pouvaient s'être produits dans leur province.
Je dépose cette circulaire sur le bureau ; la Chambre jugera s'il y a lieu d'en ordonner l'impression.
- Des membres. - Insérez-la dans votre discours.
- D'autres membres (en grand nombre). - A la suite de la séance. (C'est cela)
(Le texte de cette circulaire est repris en note de bas de page comme suit)
« Bruxelles, le 14 mars 1868.
« Monsieur le directeur,
« Les rapports qui me sont récemment parvenus en conformité de la circulaire, R. 390, sur les causes des fluctuations des impôts directs, attribuent le plus souvent la diminution reconnue en 1867 à la circonstance que des déclarations souscrites dans un but électoral en 1865 et en 1866 n'ont pas été renouvelées. Ces indications générales ne donnent pas une idée nette et précise des différents moyens employés pour créer des électeurs ; elles démontrent seulement que, selon les circonstances et les lieux, on a indifféremment recours à l'un ou à l'autre des impôts directs pour atteindre le cens électoral.
« Il serait non seulement utile d'être fixé sur ce point et d'avoir des indications détaillées sur les fausses déclarations d'impôts directs faites dans chaque commune, mais encore de savoir dans quel but elles ont été souscrites. Sans doute, les électeurs pour les Chambres ou la province ne sont créés que dans l'intérêt de l'un ou de l'autre des partis politiques qui existent dans le pays ; mais pour les électeurs communaux, si la question de parti joue un certain rôle dans quelques localités, il en est d'autres où les électeurs sont bien plutôt dominés par des considérations locales ou personnelles.
« A ce double point de vue, les receveurs des contributions sont à même de fournir des renseignements précis et d'indiquer les motifs politiques ou particuliers qui ont provoqué des déclarations inexactes. Il est superflu d'insister sur le caractère confidentiel de ces renseignements ; il sera dès lors opportun, monsieur le directeur, d'appeler les contrôleurs des contributions dans votre cabinet, pour leur donner les instructions nécessaires et attirer leur attention sur les points que vous croirez utile de leur recommander plus particulièrement.
« Ces fonctionnaires dresseront de commun accord avec les receveurs des contributions deux relevés conformes au modèle ci-joint : le premier indiquera, par commune, les fausses déclarations ayant pour objet d'atteindre le cens de 42.32 fixé pour les élections générales ou provinciales ; le second renseignera, également par commune, celles qui ont été souscrites en vue d'obtenir ou de parfaire le cens exigé pour devenir éleccteur communal. Dans chacun de ces états, on résumera le nombre et la nature des fausses déclarations relatives à la contribution personnelle, au droit de patente, au débit de boissons alcooliques et au débit de tabacs, en ayant soin de classer sous une seule rubrique toutes celles qui ont été suggérées par le même motif politique ou particulier.
« Pour la contribution personnelle, on relèvera, entre autres, les déclarations souscrites par des fils demeurant chez leurs parents, pour la maison occupée en commun, alors que le père est électeur du chef d'autres contributions ; celles qui ont pour objet une augmentation dés éléments admis l'année précédente pour chacune des six bases ; celles de domestiques ou de chevaux qui ne sont pas au service personnel des déclarants ou qui ne sont pas utilisés de la manière prévue par la loi pour donner ouverture à l'impôt ; tels sont notamment, les domestiques déclarés par des enfants habitant avec leurs parents, et les chevaux de labour déclarés comme chevaux mixtes ou chevaux de luxe par des fermiers ou par leurs fils demeurant chez eux.
« Quant au droit de patente, il fournit divers moyens d'obtenir ou de compléter le cens électoral ; ainsi, pour les professions dont le droit se règle à raison des ouvriers, il suffit d'en déclarer un nombre plus élevé que celui qui est réellement employé ; pour les patentables cotisés d'après l'élévation du traitement ou l'importance du débit, on peut déclarer un chiffre supérieur au taux réel ; en ce qui concerne les professions fictives que l'on déclare exercer uniquement dans l'intention d'acquérir la qualité d'électeur, la nomenclature en serait trop longue et je me bornerai à appeler sur ce point l'attention des fonctionnaires qui sont à même, par leurs connaissances locales ou par la comparaison des rôles de deux exercices, de recueillir des indications précises sur les motifs qui ont pu amener certains contribuables à souscrire des déclarations pour des professions qu'ils n'exercent pas. Je fais la même recommandation pour ce qui concerne les débits fictifs de boissons et de tabacs déclarés uniquement au point de vue électoral.
« Les investigations porteront sur les cotisations inscrites dans les rôles de 1867 que l'on comparera avec celles de 1866 ou de 1865, sans se préoccuper, bien entendu, des cotes dont l'ensemble n'atteint aucun des cens requis pour les élections aux Chambres, à la province ou à la commune, ni de celles qui les dépassent d'une manière quelque peu sensible. Au surplus, on aura soin de fournir dans la colonne d'observations les renseignements qu'il pourrait être utile de faire connaître sur des faits antérieurs ou postérieurs qui se seraient éventuellement produits dans certaines localités.
« Vous voudrez bien, monsieur le directeur, faire résumer pour votre province les indications recueillies dans chaque commune et en me transmettant toutes les pièces, me donner votre appréciation sur leurs résultats et me donner eu outre les détails qui pourraient être parvenus à votre connaissance personnelle sur des faits se rapportant à cet ordre d'idées.
« Enfin j'appelle votre attention, monsieur le directeur, sur les modifications apportées cette année à la répartition du contingent de l'impôt foncier ; elles auront probablement pour résultat d'amener certains contribuables qui ne payeront plus la quotité d'impôt direct exigée pour être électeur, à récupérer cette qualité, en souscrivant de fausses déclarations ; il est dès lors opportun de recommander aux agents sous vos ordres de vous signaler ces déclarations par l'intermédiaire du contrôleur, afin que, éventuellement, vous mettiez le commissaire d'arrondissement et la députation permanente en mesure de se prononcer sur les inscriptions indues. Vous aurez soin, monsieur le directeur, de me rendre compte ultérieurement des faits de cette nature qui auraient été portés à votre connaissance.
« Au nom du ministre : Le directeur général, Adan. » (Fin de la note de bas de page)
MfFOµ. - Un mot encore : Hier, l'honorable m. Van Wambeke s'est plaint de ce qu'on n'avait pas encore distribué les avertissements des contributions dans la ville d'Alost. J'ai fait télégraphier immédiatement pour demander des renseignements ; je n'ai pas encore d'informations précises, mais je puis déclarer dès à présent que ce fait n'est pas exceptionnel ; il en est ainsi dans plusieurs localités, à cause des travaux nécessités par là révision cadastrale. En m'annonçant des explications plus complètes, on m'assure que les avertissements ont été remis le 26 avril, pour être distribués le 1er mai, et qu'il était impossible de les faire remettre aux intéressés avant cette époque.
Au surplus, comme l'honorable membre le sait, le double des rôles des impôts directs accompagne les listes électorales, et se trouve déposé a la maison communale, oh l'on peut en prendre connaissance. Les électeurs ne sont donc pas dépourvus, sous ce rapport, des moyens de faire valoir leurs droits.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je n'ai jamais demandé, contrairement à ce que le gouvernement a l'intention de faire, que les appels en matière des listes électorales fussent transférés à l'autorité judiciaire ; je n'ai pas même mis cette prétention en avant, alors que la couleur politique de toutes les députations permanentes indistinctement était celle de nos adversaires.
(page 1124) Et aujourd'hui, parce que quatre ou cinq députations ont changé de couleur politique, vite il faut enlever aux députations permanentes une partie des attributions que le Congrès national leur avait déférées.
Jadis, quand nous faisions valoir ici les motifs les plus sérieux pour introduire, non pas un changement radical, mais seulement des garanties dans les délibérations des députations permanentes, on nous disait que nous attaquions des corps constitués ; que c'était très mal de notre part, que ces corps méritaient plus de confiance ; que nous n'avions aucune raison pour demander des garanties. Voilà ce que le gouvernement nous répondait alors.
Je le répète, il ne s'agissait que de garanties.
Mais lorsque quelques conseils communaux libéraux demandent qu'on modifie les attributions des députations permanentes, oh ! alors le gouvernement n'est plus du même avis ; il prend ces demandes en très sérieuse considération, il propose de modifier les attributions des députations.
Messieurs, il est une garantie que nous avons sollicitée vainement dans le temps et qui est des plus essentielles ; c'est la garantie qui doit assurer la sincérité du dépouillement.
Nous avons demandé une autre composition des bureaux électoraux ou d'autres moyens de contrôle que ceux qui existent et qui sont nuls.
Il est tel collège électoral ou telle section, quelquefois la section principale, où il dépend en quelque sorte des membres du bureau de faire l'élection ; où il n'y a pas de contrôle possible ; où il n'y a aucune garantie pour le corps électoral que la lecture des bulletins soit sincère.
Et nous la réclamons dans le futur projet s'il est déposé.
Certes peu importe l'autorité qui juge les contestations, pourvu que les jugements offrent plus de garantie, mais aussi à condition qu'elle n'entraîne pas d'autres inconvénients.
Je n'ai nullement la conviction que l'attribution des appels des décisions des députations permanentes aux cours de justice n'entraînera pas dès procès très nombreux et très coûteux et que, dans ses conséquences pratiques, le droit électoral ne sera pas sérieusement entamé, je n'ai pas du tout de conviction à cet égard-là.
Certainement les cours d'appel offrent plus de garantie que les juridictions inférieures. Les juridictions inférieures sont nommées par le gouvernement, tandis que pour les députations permanentes c'est le corps électoral qui les compose.
Messieurs, on a beaucoup parlé de l'ordre judiciaire et des députations permanentes.
Dans tous les pays du monde, tous les corps sont toujours soumis à des suspicions. Il n'y en a pas un seul excepté. Ce qu'il faut, messieurs, c'est entourer surtout les décisions du plus de garanties possible.
Je ne me suis donc pas du tout prononcé, quant à la juridiction des députations permanentes, pas plus que MM. Delcour et Liénart.
Ce que nous avons demandé, ce sont certaines garanties qu'il est très raisonnable d'accorder.
Y a-t-il mieux à faire encore ? Nous examinerons et nous nous prononcerons lorsque nous aurons étudié le projet.
N'ayant pas connaissance du projet, je ne puis pas le discuter, mais je signale seulement mes craintes qu'il n'en résulte des procès nombreux et beaucoup trop coûteux, vu l'importance du droit qui est réclamé.
Messieurs, j'ai été très étonné d'entendre l'honorable M. Orts dire que la députation permanente de la Flandre orientale a retardé ses décisions en appel, pour que la cour de cassation ne puisse juger en temps utile ses recours contre ses décisions.
Voici, au contraire, ce qu'un de nos honorables collègues vient de me dire : c'est qu'une seule localité on avait adressé à la députation plus de 80 appels contre des décisions en première instance, de manière que la députation ne pouvait prononcer en temps utile avec connaissance de cause.
Soyons donc sobres de critiques ; ne discutons que sur des faits positifs et certains, et alors nous resterons dans les limites de la justice.
Certes ce n'est pas la Chambre, messieurs, qui doit contribuer à discréditer les députations permanentes dans l'opinion publique. Il est notoire que dans ce siècle le mépris des autorités pénètre trop avant dans nos populations. Ce n'est pas du banc des ministres, ni du banc des représentants qu'on doit augmenter ce mépris et cette désaffection.
On a parlé, messieurs, de certaines décisions de la députation permanente de la Flandre orientale qui aurait donné lieu à des critiques ; il faudrait être mieux informé pour les apprécier.
En second lieu, s'il fallait faire la récapitulation des jugements de première instance et même des jugements de cours d'appel tant en fait qu'en droit qui ont donné lieu à réclamation, on n'en finirait pas.
On ne devrait donc plus avoir confiance dans la justice. Cependant on s'y est soumis ; pourquoi ? Parce qu'on ne peut plus avoir recours à un usage ancien : l'épreuve du duel.
Je concède que les procès sont souvent très incertains, mais j'aime mieux avoir recours à une décision judiciaire que d'avoir recours à l'aveuglement du duel.
Messieurs, je le répète, restons dans le vrai, n'exagérons rien ni à l'égard de l'autorité judiciaire ni à l'égard de l'autorité administrative. Examinons de sang-froid et avec le désir d'aboutir à des garanties sincères, impartiales pour tout le monde, le projet de loi qui nous sera soumis. (A demain ! à demain !)
M. Delcourµ. - Vous comprenez, messieurs, que l'heure avancée ne me permet pas de faire un discours ; d'ailleurs, l'honorable M. de Theux vient de vous présenter quelques observations générales que je me proposais de faire moi-même à la Chambre : ma tâche se trouvant singulièrement abrégée, je me bornerai à deux mots.
Le discours de M. le ministre de la justice soulève deux questions : une question générale, c'est la question de législation ; en second lieu, une question de fait, que je me réserve d'examiner plus tard ; je me bornerai, aujourd'hui, à dire quelques mots sur ce dernier point. A la question générale, se rattache le projet de loi qui nous est annoncé.
On m'a mis différentes fois en cause au sujet de ce projet ; c'est moi qui en aurais inspiré la pensée au gouvernement de le présenter à la législature.
En présence de ces allégations, la Chambre voudra bien me permettre de rappeler le sens des observations que j'ai présentées sur la juridiction exceptionnelle des députations permanentes, en matière électorale.
Je constate, d'abord, que je n'ai pas dit un mot qui pourrait faire croire que j'aurais voulu poser un acte de défiance envers ces autorités ; non, je n'ai jamais eu la pensée d'incriminer aucune députation permanente.
Je me suis borné à traiter une question de principe. Les députations permanentes présentent-elles dans notre organisation politique, au point de vue judiciaire, les garanties que les justiciables rencontrent devant les tribunaux ordinaires ?
J'ai insisté ensuite sur un second point, non moins essentiel à mes yeux. Aux termes de l'article 93 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet les droits politiques sont, en principe, du ressort des tribunaux ; il ne faut, par conséquent, déférer à d'autres autorités la connaissance de ces contestations que par exception, et lorsque l'exception est démontrée.
Telle est la théorie que j'ai défendue devant la Chambre ; je suis certain que cette explication ne sera contredite ni par M. le ministre de la justice ni par aucun de mes honorables collègues qui siègent sur les bancs de la gauche. Il me reste, maintenant, à vous rappeler, messieurs, les motifs qui m'ont déterminé à présenter en 1865, conjointement avec quelques-uns de mes amis, un amendement ayant pour objet de combler une lacune importante dans nos lois électorales.
Je suis convaincu, comme je l'ai dit à cette époque, que l'absence de publicité et d'un débat contradictoire donne lieu à des abus. Mais ces abus, je ne les attribue pas aux personnes qui font partie de nos députations permanentes, je les attribue, comme je viens de le dire, à l'absence de garanties.
Aussi, qu'ai-je proposé à la Chambre ?
J'ai demandé trois choses : la publicité des audiences, la publicité du jugement et le débat contradictoire. J'ai voulu que les justiciables pussent rencontrer devant la juridiction exceptionnelle des députations permanentes, sur les garanties que la Constitution leur accorde en matière judiciaire, surtout lorsqu'il s'agit de leurs droits électoraux, ces droits si précieux dans notre organisation politique et constitutionnelle.
Je maintiens ces principes ; mais je me réserve d'apprécier le projet de loi qui nous est annoncé. N'y a-t-il pas une confusion de pouvoirs à soumettre aux cours d'appel les décisions rendues en premier ressort par les députations permanentes ? Ce mélange de la juridiction administrative et de la juridiction des tribunaux ordinaires n'entraînera-t-il pas des difficultés d'application sérieuses ? Le projet établira-t-il, à tous les degrés de juridiction, les garanties que je réclame ?
(page 1125) C'est une réserve que je fais aujourd'hui ; je ne voudrais pas qu'on pu tirer de mes paroles une approbation quelconque du système qui nous est annoncé.
Je demande une seule chose, c'est que le justiciable obligé de se présenter devant une juridiction exceptionnelle, y retrouve toutes les garanties fondamentales et constitutionnelles qui le protègent devant la juridiction ordinaire.
Ces réserves faites, je n'ajouterai plus qu'un mot en réponse au discours de l'honorable M. Orts., L'honorable membre a cité quelques faits, et, de préférence, les décisions de la députation permanente de la Flandre orientale ; ces décisions ont eu les honneurs du débat, je m'en félicite pour elles. L'honorable M. Van Wambeke vous a expliqué chacune des décisions attaquées par M. le ministre de la justice ; il vous les a expliquées d'une manière si concluante, que j'affaiblirais sa démonstration si je voulais y revenir.
Permettez-moi cependant de citer un fait particulier qui prouve, une fois de plus, que les fraudes électorales avaient pris les plus grandes proportions dans la Flandre orientale ; ces fraudes ont été réprimées, grâce à l'énergique intervention de la députation permanente.
Dans une commune de l'arrondissement d'Audenarde, la commune de Paricke, les libéraux avaient fabriqué 32 électeurs à l'aide de la patente sur le débit de boissons. On a réclamé devant la députation permanente, qui ordonne la radiation de ces 32 inscriptions. Cette affaire a fait grand bruit dans la commune ; on a accusé, comme on le fait ici, la députation de partialité. Mais, peu de temps après, ces 32 électeurs se sont adressés à la députation pour obtenir la restitution de l'impôt, en donnant pour motif de leurs réclamations qu'ils n'étaient point cabaretiers ; ils ne possédaient donc pas les bases du cens. (Interruption.)
Sans doute, ce fait est grave, car les listes électorales avaient été formées par l'autorité communale. C'étaient donc 32 faux électeurs que l'autorité locale avait portés sur la liste électorale.
Messieurs, lorsqu'il s'agit d'accuser de partialité un corps aussi considérable, aussi respectable que la députation permanente de la .Flandre orientale, il ne faudrait pas se livrer à de banales imputations ; il ne faudrait pas s'arrêter à tel ou tel cas particulier parfaitement expliqué tout à l'heure par mon honorable ami ; il faudrait voir l'ensemble des décisions.
Eh bien, que s'est-il passé dans ce débat ? On a procédé par insinuation ; on s'est arrêté à quelques petits faits, et c'est à l'aide de ces misérables petites choses qu'on a cherché à déconsidérer une de nos institutions les plus respectables du pays. Je proteste contre un tel procédé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Delcour peut dire tout ce qu'il veut au sujet d'autres abus que la députation permanente de la Flandre orientale a redressés ; cela rentre dans mon système. Il se commet beaucoup de fraudes, il faut les réprimer ; mais cela n'empêche pas que les arrêtés que j'ai cités ne peuvent être défendus. Je les ai livrés à l'opinion publique, et j'ai la conviction qu'elle les blâmera sévèrement.
M. Coomans. - La Chambre n'est pas en nombre ; il n'y a plus que 36 ou 37 membres présents. Cependant, je consens à parler pendant deux ou trois minutes,
Je m'étonne vraiment de l'audace avec laquelle M. le ministre des finances allègue contre ses adversaires des faits complètement imaginaires.
En voici un exemple.
Il a dit que dans mon système, dans le système du suffrage universel ou à peu près, il y aurait exactement la même proportion quant aux cabaretiers électeurs que dans le système actuel.
Car, a dit M. le ministre des finances, il y a aujourd'hui 11,000 personnes devenues électeurs à cause de la patente extraordinaire de cabaretier ; or, dans le système du suffrage universel, il y aurait un million d'électeurs et 100,000 cabaretiers ; donc 10 à 11 p. c. de cabaretiers dans les deux systèmes.
L'erreur est singulière, messieurs ; il n'y a pas aujourd'hui en Belgique que 11,000 cabaretiers électeurs.
Cette assertion de M. le ministre des finances est complètement inexacte. Il y en a 20,000.
Il y en a 11,000 qui sont électeurs à cause du droit de débit. (Interruption.) C'est vous qui l'avez dit et redit vingt fois dans cette enceinte.
MfFOµ. - (erratum, page 1158) Il ne s'git pas de 20,000, mais de 10,000,
M. Coomans. - Vous avez dit et vous avez écrit, dans un document officiel qu'il y en avait 11,00 et même davantage ; vous dites aujourd'hui 10,000. Admettons le chiffre de 10,000 ; je vous l'accorde, quoique ce ne soit pas le vrai. Il y a donc aujourd'hui pour les Chambres 10,000 électeurs cabaretiers par suite du droit de débit ; mais ce que l'on ne dit pas, c'est qu'il y a 10,000 autres cabaretiers qui étaient électeurs avant que le droit de débit ne comptât dans le cens. C'est-à-dire que nous avons aujourd'hui 20,000 cabaretiers électeurs.
Donc, pour me résumer sur ce point, il y a un cinquième d'électeurs cabaretiers dans le corps électoral actuel, tandis que dans l'autre système, il n'y aurait qu'un dixième de cabaretiers.
Vous voyez donc que cette assertion de M. le ministre des finances est insoutenable. Il y en a bien d'autres encore. (Interruption.)
Un mot encore, je laisse beaucoup d'arguments que j'ajourne à un autre moment.
M. le ministre des finances vient de confirmer ma conclusion. Il vient de prouver qu'il y a énormément de faux électeurs dans le corps électoral.
Vous vous attachez toujours, nous a-t-il dit, aux cabaretiers et aux débitants de tabac ; mais il y a beaucoup d'autres faux électeurs, on à vu de faux électeurs par suite des patentes, de la contribution personnelle, etc.
Cela est parfaitement vrai ; je n'ai jamais dit le contraire. Mais qu'est-ce que cela prouve ? Que la base de l'argent est une mauvaise base pour la formation du corps électoral, et que c'est la base de l'aptitude, de l'intelligence, ou plutôt la base du droit naturel et inaliénable que vous devez prendre.
Il me suffit de vous avoir montré en ce moment combien va loin la passion chez M. le ministre des finances puisqu'elle le porte à dénaturer complètement les faits fournis par lui-même.
MfFOµ. - Je n'ai rien fourni de semblable.
M. Coomans. - J'ai vos chiffres sous la main.
- La discussion est close.
- M. Crombez remplace M. Dolez au fauteuil.
Il est procédé au tirage au sort des sections du mois de mai.
La séance est levée à cinq heures trois quarts.