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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29 avril 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1081) M. Liénartµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

M. Delaetµ. - Je demande la parole pour une rectification aux Annales parlementaires.

Hier, lorsque l'honorable ministre de l'intérieur signalait à la susceptibilité nationale l'orgueil des évêques, qui entre eux s'appellent « monseigneur », j'ai interrompu l'orateur pour l'engager à ne pas insister sur ce point, attendu que MM. les ministres eux-mêmes se donnent et se laissent donner de « l’excellence ».

Dans le texte des Annales parlementaires, on me fait dire : « Vous pourriez vous appeler excellence. » Je ne crois pas avoir donné ce mauvais conseil aux ministres constitutionnels de Belgique.

Mais l'honorable M. Bara a affirmé de la façon la plus positive que ce que je disais était inexact et M. le ministre de l'intérieur a affirmé à son tour que « les ministres ne s'appellent pas Excellences. »

Messieurs, franchement, l'affaire ne vaut guère la peine d'être relevée. Mais vous le voyez, j'ai à répondre à ces deux démentis.

M. le président. - M. Delaet, il ne s'agit plus là d'une rectification aux Annales parlementaires.

M. Delaetµ. - M. le président, voulez-vous que je fasse tout à l'heure un discours ? Je n'ai plus que deux mots à dire.

MPDµ. - J'ai interrompu l’ordre des travaux de la Chambre, parce que vous annonciez une rectification aux Annales parlementaires. Mais vous devez vous en tenir à cette rectification.

M. Delaetµ. - Je dis donc que je n'ai pas engagé nos ministres constitutionnels à se donner ou du moins à se laisser donner le titre d'Excellence. Il n'en était d'ailleurs pas besoin. Depuis longtemps la chose est chez nous de style diplomatique. Je viens de voir une pièce émanant du ministre de Belgique à Paris, M. le baron Beyens, adressée à M. le ministre des affaires étrangères dans laquelle celui-ci se laisse très bien traiter d'excellence.

M. le président. - Les observations de M. Delaet serviront de rectification à l'erreur commise dans les Annales.

- Le procès-verbal est approuvé.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Henot, Vandevelde et autres membres de la ligue de l'enseignement à Furnes proposent des modifications au système actuel d'enseignement moyen. »

« Même pétition des sieurs Dupuis, Fievez et autres membres de la ligue de l'enseignement à Nivelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le conseil communal de Turnhout prie la Chambre de décréter la construction d'un chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout avec prolongement vers Eindhoven ou d'accorder la concession de cette ligne et de rejeter tout projet de chemin de fer qui, partant d'Anvers, ne relierait pas directement Turnhout à Anvers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Angleur demandent qu'il soit établi dans cette commune une halte pour voyageurs aux trains de banlieue de Liége (Longdoz) à Chênée. »

- Sur la demande de M. Eliasµ, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« M. le ministre de la justice transmet avec les pièces de l'instruction la demande de naturalisation ordinaire du sieur G. Nicolaï. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Ansiau, retenu chez lui par un deuil de famille, et M. d'Elhoungne, indisposé, demandent un congé. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1868

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue.

M. de Haerneµ. - Messieurs, à la séance d'hier, j'ai demandé la parole pour un fait personnel. Je crois que tous les membres de cette assemblée ont compris que j'étais dans mon droit, et à vrai dire je me crois obligé de prendre la parole, non seulement pour un fait personnel en ce qui me concerne, mais pour un fait personnel qui se rapporte à mes anciens, confrères ecclésiastiques membres du Congrès, dont 9 sont décédés, dont 3 sont encore en vie. Nous étions 13 prêtres au Congrès national.

C'est à propos de la séparation de l'Eglise et de l'Etat que l'honorable M. De Fré a cru devoir mettre en cause les ecclésiastiques du Congrès et qu'il m'a fait l'honneur de me citer particulièrement. Ce grand principe, ce grand problème de la séparation des deux pouvoirs qui agite le monde politique depuis qu'il existe, a dû nécessairement préoccuper l'attention sérieuse dc ceux qui étaient appelés à constituer la Belgique.

Il n'est donc pas étonnant que dans les systèmes qui se croisaient eu tous sens pour arriver à une solution de ce grand problème social, on ait commis quelques erreurs.

Nous nous sommes prononcés, je me hâte de le dire hautement, en faveur de la séparation la plus large des deux pouvoirs, à raison dc la situation de la société, particulièrement en Belgique.

On peut avoir différé même au Congrès sous ce rapport ; mais j'ose le dire, non seulement les ecclésiastiques étaient d'accord sur ce point, sauf un seul (il y avait une exception parmi nous), mais presque tous étaient d'accord sur ce point qu'il fallait admettre la séparation aussi complète que possible des deux pouvoirs.

Aujourd'hui, il ne s'agit plus de théories comme c'était alors le cas, il s'agit d'un fait positif, du principe constitutionnel ; c'est en vertu de ce principe constitutionnel que la séparation existe, qu'elle a été proclamée, non comme un acte d'hostilité, mais comme un acte de bienveillance réciproque et dans le sens dans lequel s'est exprimé hier M. le ministre de l'intérieur, aux paroles duquel je me plais à rendre hommage.

La séparation, c'était, avant tout, l'affranchissement de l'Eglise.

Mais l'Eglise de son côté n'était pas hostile à l'Etat ; au contraire, elle voulait rendre à l'Etat et devait lui rendre, en vertu de sa mission, tous les services possibles, services de nature morale, il est vrai, mais qui n'en sont pas moins d'une importance essentielle.

L'Eglise apportait à l'Etat son concours religieux basé sur la foi, sur la moralisation du peuple, conditions essentielles à l'existence même de la société, parce que jamais le peuple n'a existé sans cette base essentielle. Voilà ce que faisait le clergé. Et c'est sur cette base que s'est établie la séparation politique, consacrée par l'union morale.

Il n'y a pas en cela de transaction indigne d'aucun parti, car enfin, philosophes, catholiques, libéraux ou cléricaux, je fais appel à vos connaissances et à vos consciences, et je vous demande si, lorsque l'Eglise est asservie par un pouvoir politique, elle peut rendre à l'Etat les services qu'on peut en réclamer. Non, cela est impossible ; l'Eglise doit avoir sa liberté, elle doit jouir de toute son influence morale. Sans cela, son action, aux yeux du peuple, n'a plus le prestige nécessaire, cette influence dont elle doit jouir dans l'intérêt même de l'Etat, quand elle est affranchie, elle peut donner aux pouvoirs politiques un concours plus grand, plus efficace, plus complet.

Quant à la séparation constitutionnelle, il n'y a pas de théorie à établir à cet égard. Je répète avec M. le ministre de l'intérieur qu'elle n'est pas absolue, complète, dans ce sens qu'on voudrait quelquefois y donner, dans le sens d'une rupture, d'un divorce, comme le disait l'autre jour l'honorable M. Dumortier.

Cette séparation, encore une fois, suppose l'union morale, cette union morale souvent plus salutaire que l'union politique proprement dite.

Tel était, je dois le dire, le système des abbés du Congrès dont a parlé hier l'honorable M. De Fré, et à ce sujet, je rencontre un nom célèbre, auquel il a cru pouvoir accoler mon opinion. Il s'agit de l'abbé de Lamennais.

(page 1082) Ces abbés admiraient et consultaient l'abbé de Lamennais ; mais ils ne le suivaient pas aveuglément, servilement, ni en religion, ni en politique, ni en philosophie.

Puisqu'on m'a cité à ce sujet, messieurs, et surtout par rapport aux opinions de l'abbé de Lamennais, je crois devoir vous donner une preuve évidente, par un fait incontestable, que nous n'étions pas asservis à l'opinion, au système du célèbre abbé.

Je tiens en main deux lettres que l'abbé de Lamennais m'a adressées, l'une en 1830,1'autro en 1831. Elles se rapportent directement à la question soulevée par l'honorable M. De Fré.

Vous me permettrez dc vous en donner lecture. D'ailleurs elles ne sont pas très longues et en les lisant, je n'abuserai pas de vos moments. Elles sont du reste signées d'un grand nom et, à ce point de vue, je crois que cette lecture ne vous sera pas désagréable.

J'ajouterai que ces lettres ont été publiées quelque temps après que je les eus reçues et qu'elles ont été reproduites, en 1862, dans le journal le Monde, qui s'imprime à Paris et qui a accompagné ces lettres de quelques notes, que j'aurai également l'honneur de vous lire si vous voulez bien le permettre.

Voici la première lettre que m'adressait l'abbé de Lamennais. Elle est datée du 7 novembre 1830, trois jours avant la réunion du Congrès national :

« Pourvu, monsieur, qu'on fasse du bien, le bien surtout auquel Dieu semble nous appeler à concourir (il s'agissait du mandat pour le Congrès), peu importe le lieu et la manière. D'après cela je trouve très raisonnable la résolution que vous avez prise. »

(Suit un compliment, que je me dispense de vous lire.)

« Quant aux points sur lesquels vous désirez connaître mon sentiment, il est certain qu'en France nous ne pouvons de fait avoir d'autre gouvernement que la république, et c'est pourquoi je la voudrais avec ses conditions essentielles, afin de prévenir les secousses qu'amènera infailliblement une lutte contre la nature des choses. Mais j'ignore si la Belgique se trouve, à cet égard, dans le même état que la France et, par conséquent, s'il serait sage dc la constituer en république. Il est vrai que le projet de Constitution (c'était un avant-projet), imprimé dans les journaux, établit une sorte de gouvernement bâtard, pour le fond semblable à celui que la révolution de juillet a renversé dans ce pays-ci. On peut observer toutefois, que les libertés publiques y sont stipulées bien plus explicitement et bien plus largement. D'un autre côté, l'établissement, d'une royauté quelconque peut faciliter la solution des difficultés que la Belgique rencontrera du côté de plusieurs grandes puissances. Mais ce qui importe par dessus tout, c'est que ce roi soit du pays et soit catholique. On parle de M. le comte Félix de Mérode. Je souhaite pour le bien dc votre patrie que les vœux de ses habitants se réunissent en sa faveur. »

Voici, messieurs, ce que disait l'abbé de Lamennais de 1a séparation des pouvoirs :

« Vous avez raison d'exiger une complète séparation de l'Eglise et de l'Etat ; et puisque l'Etat a encore entre ses mains une partie des biens dc l'Eglise, il est juste qu'il les lui rende, au moment où cette séparation s'effectuera.

« Recevez, monsieur, etc. F. de Lamennais. »

La seconde lettre, messieurs, est moins explicite ; mais voici cependant un passage que je crois devoir lire, parce qu'il est très important dans la question qui nous occupe ; elle est datée du 18 juillet 1831. Le célèbre auteur de cette lettre me recommande d'abord un ami, M. Decoux, qui plus tard a été professeur d'économie sociale à Louvain, et à qui il pensait que je pouvais rendre quelques services en Belgique. Puis il ajoute :

« Il est devenu plus que jamais nécessaire aux catholiques de s'entendre pour la défense de leur cause commune ; et plus les communications seront multipliées et suivies, plus l'on hâtera, par l'unité d'action, le triomphe de l'ordre et de la liberté véritable. »

Maintenant, messieurs, permettez-moi de vous donner connaissance aussi de deux petites notes qui ont été ajoutées par le journal le Monde à ces lettres en 1862.

Voici les notes que le Monde ajoutait à ce système :

« Après que le duc de Nemours, dit le Monde, eut refusé la couronne de Belgique, M. l'abbé de Haerne vota au Congrès pour M. le comte F. dc Mérode, comme régent, dans l'intention avouée de l'élever à la dignité de chef définitif de l'Etal. Mais, comme dans l'opinion de M. dc Haerne, l'Etat belge, sous un chef indigène, ne pouvait être de fait qu'une république, il se prononça pour cette forme de gouvernement. »

(En effet, c'était, dans mon opinion, une république déguisée.)

« Provoqué plus tard à s'expliquer dans les journaux (j'ajouterai : et dans cette Chambre) sur ses votes contraires à l'avénement du Roi Léopold, le représentant catholique déclara qu'il n'avait pu prévoir que la Providence susciterait un roi protestant aussi sage que Léopold et assez tolérant pour doter la Belgique d'une dynastie catholique. »

Ensuite, pour ce qui regarde le principe de la séparation, le Monde dit :

« Cette séparation ne peut s'entendre raisonnablement que dans le sens d'une garantie complète accordée aux libertés constitutionnelles. Prise dans un sens absolu, elle n'existe pas même en Belgique, où les dispositions prohibitives de la polygamie, par exemple, proscrivent évidemment le mahométisme, le mormonisme, etc., et sont basées sur le christianisme. Les traitements et pensions garantis par la Constitution belge aux ministres des cultes, sont une preuve que l'Etat n'a pas rompu avec ces cultes et qu'il en reconnaît l'utilité sociale. »

Telles sont, messieurs, les pièces que j'ai cru devoir mettre sous vos yeux, pour vous faire voir que nous n'étions pas aussi asservis qu'on le suppose à M. dc Lamennais ; nous le consultions, nous l'admirions : c'était un grand homme ; mais nous ne le suivions pas en aveugles ; et la preuve, pour moi, en est que je n'ai pas suivi son conseil de ne pas voter pour la république, puisque j'ai voté pour cette forme de gouvernement et qu'il me conseillait de voter en faveur de M. le comte Félix de Mérode comme roi de la Belgique.

Cela ne me semblait pas assez franc. Je voyais en cela une république déguisée et je préférais voter franchement pour la forme républicaine nettement avouée. Plus tard j'ai voté pour M. le comte Félix de Mérode comme régent de la Belgique, avec la perspective qu'il deviendrait peut-être le chef définitif du gouvernement, sous un titre qu'on ne pouvait pas définir dans cette circonstance.

Ces lettres, messieurs, prouvent à l'évidence que l'abbé de Lamennais suivi par les abbés du Congrès, en grande partie du moins, n'était pas à cette époque tel qu'on le suppose généralement aujourd'hui, ni tel qu'il se montra plus tard, lorsqu'il méconnut l'autorité de Rome qu'il avait exaltée d'abord, et sur laquelle il avait basé en grande partie ses divers systèmes.

Messieurs, je me suis rallié plus tard et au Congrès même à la monarchie parce que je n'étais pas systématique dans mes opinions politiques ; je n'avais qu'un seul système absolu : celui du patriotisme et de l'indépendance du pays qui a été décrétée dans cette assemblé à l'unanimité des voix.

J'ai sacrifié mes idées politiques à cette grande idée de l'indépendance de la patrie, et je me suis rallié franchement à la monarchie.

Je l'avoue, dans les circonstances où nous nous trouvions alors, il était très difficile de savoir ce qu'il y avait à faire ; mais, je dois le déclarer, les mêmes circonstances se présentant, je voterais dans le même sens.

M. De Fré a cité aussi un passage du discours que j'ai prononcé, à cette époque, en faveur de la république, le passage qu'il a cité est tel que vous l'avez entendu hier, mais il aurait pu prendre en même temps, dans le même discours, un autre passage plus en rapport avec sa thèse, passage que je n'ai pas regretté, bien que je reconnaisse volontiers avoir commis de bonne foi plus d'une erreur, ce qui était presque inévitable dans la position où l'on se trouvait alors.

Ce passage que l'honorable M. De Fré a omis de citer, je vais vous en donner lecture. Il se rapporte à l'union et il est tiré du même discours. Voici, messieurs, comment je m'exprimais à la date du 20 novembre 1830 :

« Une nation généreuse et loyale est toujours écoutée quand elle parle au nom de la justice et de la vérité. Et pour vous en donner une preuve, je n'ai besoin que de vous citer un fait récent, qui fera à jamais la gloire des Belges ; je veux parler de l'union des catholiques et des libéraux, union dont nous avons donné les premiers l'exemple, que nous avons réalisée. Il n'y a que quelques années que cette union ne paraissait être qu'une utopie, et cependant, messieurs, cette utopie est devenue un fait, une réalité... Cette union est nôtre ; elle deviendra européenne, universelle... La république que nous établirions serait nécessairement fondée sur cette union, et elle montrerait à l'Europe que la paix et l'ordre peuvent exister sous le régime républicain. »

Ensuite j'énumère les conditions de la séparation de l'Eglise et de (page 1083) l'Etat, conditions qui se rapportent à l'affranchissement de l'Eglise et dont parlait M. Pirmez. Puis je cite pour modèle à suivre les Etats-Unis. Après cela j'ajoute :

« Nous savons que, dans l'état actuel de la société, nous ne pouvons réclamer aucune liberté, sans accorder aux autres les libertés qu'ils demandent. Tous les partis doivent se jurer assistance mutuelle pour la défense de leurs droits, s'ils ne veulent pas être sacrifiés l'un après l'autre aux exigences du pouvoir. Notre force ne réside pas dans les chartes, dans les chartes qu'on interprète, qu'on modifie et qu'on tourne comme on veut, mais dans la ferme résolution de nous prêter une assistance réciproque, dans l'union enfin. »

Telles sont les paroles que j'ai prononcées dans cette enceinte en 1830 et qui se trouvent dans le discours cité hier par l'honorable M. De Fré.

Messieurs, vous voyez d'après cela que l'union, la liberté en tout et pour tous, que vous rappelait l'autre jour l'honorable M. de Theux, était notre devise au Congrès national.

Cette union entre les diverses classes de la société, surtout entre les libéraux et les catholiques, formait, j'appelle l'attention de la Chambre sur ce point, le grand correctif de la séparation réelle, mais bienveillante, entre l'Eglise et l'Etat. Cette séparation, je l'ai déjà dit, telle qu'elle est établie par la Constitution, n'est pas absolue, comme l'a démontré hier l'honorable M. Pirmez, mais il faut l'accepter comme la Constitution même.

Si elle offre des inconvénients, il y a dans l'union, entendue comme en 1830, un contrepoids ; il y a ce correctif dont je viens de vous parler et qui est d'autant plus grand qu'il est inhérent aux institutions, chez un peuple où tous les pouvoirs émanent de la nation. Car, c'est dans cette union entre les partis, entre les opinions qu'il faut chercher chez nous l'union morale, l'union réelle, l'union la plus forte entre l'Eglise et l'Etat. Le pouvoir politique proprement dit est dans la nation même et en émane d'après les formes constitutionnelles.

Je dis qu'on trouve là le contrepoids, le correctif aux inconvénients qui peuvent se présenter dans une séparation plus ou moins complète entre l'Eglise et l'Etat.

C'est ainsi que nous concevions l'ensemble de nos institutions en 1830, et voilà pourquoi nous ne reculions pas devant la séparation proprement dite de l'Etat et de l'Eglise.

Dans une société démocratique, je l'ai dit plusieurs fois au Congrès et dans les séances de cette Chambre qui ont suivi le Congrès, les pouvoirs constitués varient avec le mouvement des opinions ; mais, s'il y a une union rationnelle entre ces opinions dans un but de civilisation et d'intérêt commun, la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne fait plus craindre les froissements qui en sont résultés dans beaucoup de pays. L'union s'établit alors naturellement et sans secousse là où est le véritable pouvoir, c'est-à-dire dans la nation même, où réside la souveraineté constitutionnelle.

Telle était, messieurs, je le répète, la manière de voir de la grande majorité du Congrès. C'était le rêve, si vous voulez, que nous cherchions à réaliser. Union ! union ! disions-nous, tout notre avenir est là ; là se trouve la garantie de notre sécurité, de notre force et les conditions du progrès moral et religieux, du progrès intellectuel et artistique, de la prospérité industrielle et commerciale de la nation.

Là était, disions-nous, le secret de la prospérité de nos communes au moyen âge ; c'est à ce prix seulement que la Belgique peut aspirer au même honneur, à la même gloire, à la même prospérité. Nous rêvions un avenir plus grand que notre passé, parce que l'union devenait plus grande, plus large, plus forte, plus raisonnée.

Autrefois les communes seules étaient unies dans les divers comtés ou duchés. Mais les principautés, connues sous le nom de duchés, de comtés, étaient divisées entre elles. Aujourd'hui ces anciennes principautés indépendantes sont unies par l'autorité de la nation. L'union est devenue beaucoup plus grande, beaucoup plus féconde en résultats intellectuels et moraux.

Nous pouvons donc aspirer, par le principe de l'union consacré avant 1830, à un plus grand, à un plus bel avenir, sous l'égide de la Constitution et de la dynastie nationale.

C'est ce que nous avons proclamé au Congrès national et depuis lors, jusqu'en 1847. Je dis que par cette union, qui est le fondement des véritables institutions nationales, nous pouvons aspirer à un avenir beaucoup plus grand que par le passé, si toutefois nous renonçons à nos tristes divisions, si nous faisons de la Constitution une vérité, et si nous nous donnons patriotiquement la main sous le drapeau de l'union de 1830.

M. Hymans. - Messieurs, je n'ai pas bien saisi le rapport direct qu'il y a entre l'éloquent discours que nous venons d'entendre et la question spéciale qui nous occupe.

L'honorable orateur ayant annoncé au début de son discours l'intention de répondre à l'honorable M. De Fré pour des faits personnels, je lui laisserai le soin de débattre avec cet honorable collègue les points qu'il vient de soulever.

Je m'occuperai spécialement de ce qui a été dit dans la séance d'hier.

Dans cette séance nous avons entendu exprimer sur la question soulevée par l'honorable M. De Fré les opinions les plus divergentes.

D'après l'honorable M. De Fré lui-même qui a provoqué ce débat, la décret de messidor est abrogé par la Constitution ; il n'a plus de force légale.

D'après l'honorable M. Dumortier, ce décret subsiste encore tout au moins en partie et il faut y regarder à deux fois avant de le considérer comme abrogé.

D'après l'honorable M. de Kerckhove, qui laisse complètement intacte la question de droit, il importe assez peu que le décret soit conservé, mais tous ceux qui veulent s'y soustraire sont des mécréants, sont des impies. Voilà le résumé de l'opinion que l'honorable membre a exprimée hier.

D'après l'honorable ministre de l'intérieur, le décret de messidor qui fut jadis, aux yeux du gouvernement, le code de la politesse obligatoire est devenu aujourd'hui le code de la politesse facultative, distinction fort ingénieuse, mais peut-être un peu subtile, car on serait tenté de répondre à l'honorable ministre que la politesse devient de l'obséquiosité quand elle cesse d'être un devoir.

Messieurs, au milieu de ce conflit d'opinions fort respectables, je demande la permission d'avoir aussi la mienne.

Je la puiserai dans le simple bon sens et je crois pour ma part qu'il faut considérer le décret de messidor comme abrogé, qu'il faut l'abroger au besoin s'il ne l'est pas et qu'il faut le remplacer par une loi qui soit en harmonie avec nos institutions constitutionnelles.

En effet, messieurs, je ne comprends pas pour quels motifs, dans un décret qui s'étend à toutes les cérémonies du culte, aux préséances, aux honneurs civils et militaires en général, on s'évertue à ne relever qu'un petit nombre d'articles relatifs aux dignitaires d'un seul culte et, dans ces articles, uniquement ce qui peut servir ou séduire les dignitaires de ce culte.

Il me semble qu'il faut considérer l'esprit général du décret, voir s'il est en harmonie avec nos mœurs, avec nos lois, avec notre état politique, avec l'esprit libéral et démocratique de nos institutions.

Or, examinons. Le décret du 24 messidor an XII n'a pas été fait spécialement pour les dignitaires du culte. Sans doute il renferme un titre spécial relatif aux honneurs militaires et civils à rendre aux archevêques et aux évêques.

Les articles de ce titre stipulent que « lorsque les archevêques et les évêques feront leur première entrée dans la ville de leur résidence, la garnison sera en bataille sur la place qu'ils devront traverser. Cinquante hommes de cavalerie iront au-devant d'eux jusqu'à un quart de lieue de la place. Ils auront une garde de quarante hommes commandée par un officier. Il sera tiré cinq coups de canon à leur arrivée et autant à leur sortie. Si l'évêque est cardinal, il sera salué de 12 volées de canon, et il aura une garde de cinquante hommes, avec un drapeau, commandée par un capitaine, lieutenant ou sous-lieutenant, etc. »

D'autre part, le titre 26, section première, articles premier et suivants, règle les honneurs funèbres qui seront rendus aux personnes désignées à l'article premier du titre premier, parmi lesquelles figurent les cardinaux, les archevêques et les évêques ; mais, parmi ces personnes figurent aussi les présidents des tribunaux de commerce et les présidents des consistoires, ce qui prouve que le décret n'a pas été fait exclusivement au profit de la religion catholique, puisque le président du consistoire n'y appartient pas et que le président du tribunal de commerce dont le culte est une chose fort accessoire pourrait très bien être protestant ou israélite.

Ainsi, messieurs, vient à tomber l'argumentation de l'honorable M. de Kerckhove, aux termes de laquelle les partisans de l'abrogation du décret de messidor seraient des gens pervers qui, sous main, in petto, voudraient détruire l'Eglise, son prestige, son influence.

(page 1084) M. de Kerckhoveµ. - Je n'ai pas dit cela et vous ne l'avez pas lu dans les Annales parlementaires.

M. Hymans. - L'honorable membre me dit que je n'ai pas lu cela dans les Annales parlementaires ; or je lis, à la page 1076, ce qui suit :

« Eh, messieurs, il n'y a pas à s'y tromper : il en est de l'opposition qu'on fait au décret de messidor, comme de celle qu'on fait à la loi de 1842. C'est toujours le même mobile. On parle de liberté de conscience, c'est le grand prétexte, mais le but réel, c'est de déconsidérer les croyances, d'enlever tout prestige à la religion et ainsi de l'affaiblir, de la déraciner, de l'effacer des cœurs en la dégradant aux yeux des populations.

« C'est la même pensée, le même système qui poursuit le sentiment religieux dans toutes les grandes manifestations de la vie, le même système qui nous enlève nos cimetières, qui veut supprimer le baptême, le mariage religieux, le serment et je ne sais quoi encore. »

Eh bien, messieurs, n'est-il pas vrai que cette accusation est fort injuste ? Vous avez vu que si nous portons atteinte au prestige de la religion, nous attaquons en même temps le prestige de la justice consulaire.

M. E. de Kerckhoveµ. - Vous m'avez très mal compris.

M. Hymans. Une chose certaine, messieurs, c'est que le décret de messidor tout entier est en contradiction avec nos mœurs, avec les idées, avec les principes qui nous régissent. L'honorable M. Tielemans, dans son Répertoire, au mot « Honneurs civils et militaire », l'a dit il y a plusieurs années.

« Tout le monde reconnaît, dit-il, que cette législation est peu en harmonie avec nos institutions et nos mœurs politiques, qu'il s'est glissé dans son exécution des abus et qu'elle a besoin d'une révision générale. Le gouvernement a institué à cet effet une commission, et en attendant la réformation qu'il en espère, il laisse à tous les corps, à tous les fonctionnaires, la liberté de s'abstenir, quand on ne lui donne pas dans les cérémonies publiques le rang qu'ils croient leur être dû. Cet état de choses, si précaire et si irrégulier, nous force d'ajourner notre travail sur cette matière jusqu'à ce qu'elle soit définitivement réglée. »

L'institution de cette commission dont parle l'honorable M. Tielemans remonte à plus de vingt ans et, si elle existait encore et qu'elle voulût reprendre ses travaux, elle aurait fort à faire.

Pour ne citer que les dispositions du décret qui n'ont rien de commun avec le culte, lorsqu'il plaît à un ministre de voyager officiellement, et il ne tient qu'à lui de voyager tous les jours officiellement, si cela lui convient, il doit recevoir les honneurs suivants :

« Il sera salué de 15 coups de canon. Un escadron de cavalerie ira à sa rencontre, à un quart de lieue de la place.

« Il sera commandé (on ne sait pas si c'est le ministre ou l'escadron) par un officier supérieur qui l'escortera jusqu'à son logis. Les trompettes sonneront la marche et la garnison prendra les armes. Il aura une garde d'infanterie composée de soixante hommes avec un drapeau, commandée par un capitaine. Cette garde sera placée avant son arrivée. Le commandant de place ira le recevoir à la barrière, même s'il n'y en a pas. Il lui sera fait des visites de corps, etc... »

Et s'il y a par hasard, un ministre président, un chef du cabinet, il aura droit à 17 coups de canon et sa garde sera de 80 hommes, commandée par trois officiers, mais composée de fusiliers.

Si donc, comme prétend quelquefois l'opposition, il y a en Belgique un premier ministre, je conseille à l'honorable M. Pirmez de se mettre en voyage de préférence avec lui pour recevoir un peu plus d'honneurs que s'il était seul. Tout cela c'est le décret de messidor.

Des ministres passons aux membres des assemblées législatives.

Quand un sénateur voudra faire son entrée d'honneur dans le chef-lieu de sa sénatorerie, ce qu'il ne pourra faire qu'une fois, le ministre de la guerre donnera l'ordre de lui rendre les honneurs suivants :

1l entrera dans la place, en voiture, accompagné de sa suite. Le commandant de place ira le recevoir, toujours à la barrière. Les troupes seront en bataille sur son passage. On tirera cinq coups de canon. Vingt cavaliers et un trompette iront au-devant de lui, à un quart de lieue. Il aura une garde de trente hommes et un tambour, plus deux sentinelles à sa porte, etc... et cette garde et ces sentinelles, il les aura chaque fois qu'il visitera le chef-lieu, après son entrée solennelle.

Heureusement, messieurs, à l'époque où ce décret a été pris, la représentation nationale ne jouissait pas d'un très grand prestige en France, sans cela nous serions fort exposés, vu le caractère obligatoire du décret de messidor, à nous voir escorter constamment par des tambours et des gendarmes. (Interruption.)

On nous doit cependant encore aujourd'hui un honneur ; les sentinelles sont obligées de nous porter les armes quand nous sommée revêtus de notre costume. Or, comme notre costume à nous est le simple frac démocratique, nous serions très confus si les sentinelles du palais de la Nation nous présentaient les armes chaque fois que nous sommes obligés d'y entrer ou d'en sortir. Tout cela, encore une fois, c'est le décret de messidor. Toujours d'après ce même décret, dès l'instant où le souverain visite une localité, les desservants devront se tenir sur les portes de l'église en habits sacerdotaux, entourés de leur clergé. Je n'ai jamais vu cette disposition mise en pratique.

- Des voix à droite. - Si, si.

M. Hymans. - J'ai souvent assisté à des voyages du souverain ; je n'ai jamais vu le clergé en habits sacerdotaux se placer sur sa route. (Interruption.)

Toujours d'après ce décret les souverains transmettent directement des ordres aux archevêques et aux évêques pour les cérémonies religieuses.

Je demande si les prélats de l'Eglise catholique accepteraient en Belgique des ordres semblables ? Evidemment non ; c'est cependant le décret de messidor.

Quand un cardinal rentre dans sa résidence, un an et un jour après sa sortie, les autorités lui doivent des visites et ces visites il est obligé de les rendre dans les vingt-quatre heures. Accepterait-il cette obligation ?

Vous voyez, messieurs, que le décret de messidor n'a pas été rédigé seulement pour rendre les honneurs à l'Eglise, mais qu'il a été inspiré par des idées aristocratiques qui ne sont plus de notre temps ni de notre pays.

- Si l'on poursuivait la série de décrets de cette nature, on trouverait d'autres dispositions qui ne sont plus en harmonie avec notre Constitution ; celles entre autres qui prescrivent la forme du catéchisme ou qui ordonnent la célébration de la fête du 15 août.

Le principe même en vertu duquel ce décret a été rendu est contraire à nos institutions.

M. Tielemans le dit dans le travail dont j'ai cité un extrait ; il n'y a que le pouvoir législatif en Belgique qui puisse régler de semblables matières.

J'en ai dit assez pour prouver que le décret de messidor est absolument incompatible avec notre régime politique et qu'il ne faut pas être solidaire, comme le dit M. de Kerckhove...

M. E. de Kerckhoveµ. . - Je n'ai pas dit cela.

M. Hymans. - Vous ne le dites pas aujourd'hui, mais vous l'avez dit hier.

M. E. de Kerckhoveµ. - Je ne l'ai pas dit hier.

M. Hymans. - Je ne veux pas imposer à la Chambre une deuxième ou une deuxième édition de votre discours, mais vous l'avez dit.

M. E. de Kerckhoveµ. - Je ne l'ai pas dit. (Interruption.)

M. Hymans. - C'est écrit.

M. E. de Kerckhoveµ. - Ce n'est pas écrit.

- Des voix à droite. - Lisez !

M. Hymans. - « C'est la même pensée... »

M. E. de Kerckhoveµ. - Ah ! c'est la même pensée.

M. Hymans. - Mais je lis les Annales parlementaires : « C'est la même pensée, le même système. » Suit la citation que j'ai déjà faite. (Interruption.)

Je répète qu'il ne faut pas être solidaire pour considérer le décret de messidor comme abrogé dans quelques-unes de ses dispositions accessoires...

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. Hymans. - Toute opinion politique à part, je prends la liberté de considérer ce décret comme une simple mesure d'étiquette, et quelle qu'ait pu être à cet égard l'opinion d'Alcibiade et de Périclès, je crois qu'en qualité de citoyens d'une république, ils auraient partagé mon opinion.

Je crois que la politesse facultative admise par M. le ministre de l'intérieur, si elle était mise en pratique en certaines circonstances à son égard, risquerait fort d'être mal accueillie.

Si d'un autre côté nous admettions la thèse de M. Dumortier, c'est-à-dire le caractère obligatoire du décret, en partie au moins... (Interruption) Vous avez dit qu'il fallait y regarder à deux fois avant de considérer le décret de messidor comme abrogé. Si nous admettions cette opinion je voudrais savoir si l'honorable (page 1085) membre accepterait le décret avec toutes ses conséquences. J'ai dit tout à l'heure qu'aux termes du décret de messidor le souverain pouvait ordonner au clergé de chanter des Te Deum, que les évêques étaient obligés de faire des visites comme ils étaient en droit d'en recevoir. A, cela M. Dumortier répondra : Cette disposition est contraire à l'indépendance absolue des cultes et dépasse les attributions du pouvoir royal.

D'accord. Mais si la Constitution de 1830 a proclamé l'indépendance de tous les cultes, elle en a aussi décrété la parfaite égalité. Et, dès lors, je demanderai à M. Dumortier ce qu'il répondrait si les juifs invoquaient le décret de messidor pour demander des canons, des sentinelles et un pompeux déploiement de forces militaires pour l'installation du grand rabbin de Belgique.

M. Rogierµ. - On les lui accorderait.

M. Hymans. - Je demanderai encore à M. Dumortier ce qu'il répondrait si, le décret de messidor en mains, on exigeait des évêques qu'ils allassent complimenter les ministres.

Le clergé a eu l'occasion de se prononcer sur ce point, il n'y a pas bien longtemps.

C'était en 1862 ; mon honorable voisin M. A. Vandenpeereboom, alors ministre de l'intérieur, avait été invité par l'administration communale d'Ypres à venir poser la première pierre d'un monument. Et quand il eut accepté l'invitation, l'administration communale invita les autorités civiles et militaires ainsi que le clergé à vouloir bien rendre au ministre de l'intérieur les honneurs prescrits par le décret de messidor.

L'honorable M. Vandenpeereboom fit connaître que son désir était que les honneurs militaires ne lui fussent pas rendus, et qu'on se bornât à une simple réception officielle. Or, pour me servir des expressions textuelles de l'honorable M. de Kerckhove, il paraît que la religion ne permettait pas au clergé de saluer un nouveau ministre, un ministre vivant, ancien bourgmestre de la ville. Le clergé recula d'effroi. Il est vrai qu'il y avait dans cette affaire un détail compromettant : il s'agissait d'accepter un dîner et vous savez que les dîners aujourd'hui passent souvent pour des moyens de séduction. (Interruption.)

Je dois ajouter que, malgré l'absence des autorités religieuses, la manifestation se passa parfaitement, et l'on a pu constater qu'il y eut autant d'ordre et d'entrain dans ce banquet, auquel le clergé n'assistait pas, que s'il y avait assisté. (Interruption.)

Mais le lendemain toute la presse cléricale répéta à l'unisson qu'on avait infligé un affront à un ministre libéral.

D'autre part, le clergé fut vivement blâmé par la population, car l'honorable M. Vandenpeereboom, enfant d'Ypres, y avait occupé antérieurement une position administrative dans laquelle il avait rendu plus d'un service aux diverses paroisses de la ville, en encourageant, en subsidiant les travaux de restauration de leurs magnifiques édifices.

Que dirent à cette époque les cléricaux ? Que M. le ministre de l'intérieur était un solidaire ? Pas du tout. Qu'on avait reçu de l'évêché l'ordre de ne pas recevoir officiellement un ministre libéral ? Pas davantage. On se borna à dire que le décret de messidor était abrogé par la Constitution ; que le clergé était indépendant du pouvoir civil, qu'il pouvait s'il le voulait, c'est la thèse de l'honorable M. Pirmez, mais qu'il ne devait pas rendre les honneurs aux fonctionnaires de l'Etat.

L'autorité communale se déclara provisoirement satisfaite ; mais l'occasion se présenta bientôt pour elle de prendre une petite revanche. Monseigneur Malou, évêque de Bruges, étant venu à mourir, son successeur, monseigneur Faict, annonça qu'il visiterait la bonne ville d'Ypres.

On se mit à scruter le décret de messidor, à supputer le nombre dc soldats auquel monseigneur avait droit ; on organisa le cortège, le banquet, etc., et les quatre curés de la ville prièrent collectivement les autorités civiles et militaires, de rendre au nouvel évêque les honneurs prescrits par le décret de messidor, et d'assister au banquet qui devait suivre l'installation.

Mais les autorités civiles et militaires à leur tour firent la sourde oreille et répondirent que, partageant complètement l'opinion émise par le clergé lors de l'entrée du ministre de l'intérieur dans la ville d'Ypres en 1862, elles estimaient que le décret, en ce qui concerne le clergé, était abrogé par la Constitution et que, par conséquent, elles n'avaient aucun honneur à rendre au nouvel évêque.

Quant au banquet, elles s'abstinrent d'accepter l'invitation, motivant leur refus sur l'abstention du clergé lors du banquet offert à M. le ministre dc l'intérieur, ancien bourgmestre d'Ypres.

La réception dc M. Faict fut donc purement ecclésiastique, le banquet fut purement clérical ; ce prélat ne fut escorté que par les congrégations ; et il n'eut à sa table que quelques membres du conseil de fabriqua et un officier.

Les cléricaux, cette fois, enragèrent et les libéraux rirent à gorge déployée.

C'étaient « de justes représailles », comme dit l'honorable M. Liénart ; « chacun son tour, ce n'est pas trop. » (Interruption.)

Voilà, messieurs, un des petits résultats de la politesse facultative, la voilà en action. Je l'appellerai moi l'impolitesse facultative..

Mais dans la thèse de l'honorable M. Dumortier ou du moins de ceux qui considèrent encore le décret de messidor comme obligatoire, il y a eu évidemment de la part du clergé, dans cette circonstance, un manquement complet à ses devoirs.

Quoi qu'il en soit, un décret dont on use et abuse de cette façon, qu'on interprète dc la sorte au gré des passions politiques, dont les partis se font tour à tour une arme selon les circonstances, qui, rédigé pour cause de politesse, devient un prétexte à l'impolitesse selon les situations et qui, en dernière analyse, manque absolument de sanction, de l'aveu du gouvernement lui-même, un pareil décret aurait bien de la peine à être respecté, alors même qu'on s'y conformerait de la manière la plus scrupuleuse.

Messieurs, je l'ai dit en commençant et je le répète, il suffit d'un peu de logique pour trancher cette question. Si ce décret est obligatoire, qu'il le soit pour tout le monde ; s'il ne l'est pas, si son application est réduite à l'état de pure faculté, prenons garde de tomber dans une dangereuse anarchie. Les honneurs et la préséance ont besoin d'être réglés d'une manière précise.. Vous savez tous qu'il y a à Bruxelles des corps constitués qui refusent de se rendre aux cérémonies publiques. Je crois que le conseil communal de Bruxelles et le tribunal de première instance sont en conflit sous ce rapport et s'abstiennent de se rendre aux cérémonies publiques parce qu'ils ne veulent pas accepter les places qui leur sont assignées. C'est là un fait regrettable.

Si, maintenant, vous laissez la liberté absolue, qu'arrivera-t-il ? Vous verrez se reproduire dans les cérémonies publiques des conflits, comme on en vit dans les anciennes cours, pour de misérables questions d'étiquette.

L'honorable M. Dumortier nous disait hier : Je crois qu'il ne faut pas trop se hâter de déclarer que le décret de messidor est incompatible avec nos institutions ; car, dit-il, avec l'exagération que certaines personnes apportent dans l'interprétation du principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, il pourra se faire que, dans certaines cérémonies publiques, un cardinal ou un évêque fût placé après le dernier des contrôleurs des contributions.

Je comprends parfaitement l'argument ; mais je demanderai à l'honorable M. Dumortier s'il nous garantit qu'avec la liberté absolue, on ne placera pas, dans les cérémonies publiques, les plus hauts fonctionnaires après les séminaristes.

Et ceci, messieurs, n'est pas une pure hypothèse : le fait s'est produit à une époque où il n'y avait pas de décret dc messidor ; il s'est produit sous le règne de Marie-Thérèse.

M. Dumortier. - Ah ! ah !

M. Hymans. - C'est un abus d'un autre âge, j'en conviens ; mais, il faut bien le dire, on ne demande pas mieux, dans certaines régions, que de les voir rétablir. Je ne parle évidemment pas pour l'honorable M. Dumortier.

Eh bien, voici les détails précis de l'affaire. Le Conseil de Flandre s'était rendu en corps à l'inhumation d'un évêque de Gand, le 30 septembre 1770 ; il assista au service funèbre dans la cathédrale dc Saint-Bavon, comme il y avait été invité ; mais lorsqu'il s'agit d'aller à l'offrande, le clergé fit passer tous les séminaristes avant les plus hauts dignitaires de la ville et spécialement ayant le conseil lui-même.

Le conseil en référa au duc Charles de Lorraine et celui-ci répondit par une pièce trop longue pour être lue ici, mais parfaitement authentique et datée du 31 juillet 1771, qu'à l'avenir le conseil de Flandre ne se rendrait plus à l'entrée des évêques, qu'à l'avenir les autorités civiles ne rendraient plus les honneurs aux prélats de l'Eglise catholique.

Voilà où l'on en vient avec le système de la liberté absolue.

Si le système de l'abrogation du décret dc messidor prévaut, il faut remplacer ce décret par une loi, comme le gouvernement s'est proposé de le faire il y a une vingtaine d'années, et comme M. Tielemans, dans son Répertoire, en proclame la nécessité. C'est peut-être une œuvre très difficile à faire, parce qu'il y a beaucoup de susceptibilités à ménager ; je ne crois pas cependant qu'elle soit impossible.

(page 1086) Messieurs, je crois vous avoir prouvé que j'envisage la question à un point de vue très impartial et que je ne recherche pas dans cette question un moyen de déconsidérer la religion, comme M. de Kerckhove l'a reproché hier aux adversaires du décret de messidor, tandis qu'il cherchait lui-même à amoindrir le pouvoir civil.

Si jamais il y eut une question neutre, c'est bien celle dont il s'agit aujourd'hui ; et il fallait une dose exorbitante de passion pour y trouver le texte d'une philippique contre la politique libérale ou le prétexte d'une évocation du doctrinarisme, depuis les âges les plus reculés jusqu'à nos jours.

Cela devient une véritable maladie que d'attaquer les doctrinaires. Quand on a fait quelques phrases bien indignées et qu'on a mis au bout le mot « doctrinarisme », on croit avoir produit un grand effet sur les populations.

Tantôt le doctrinaire d'autrefois s'appelle Protagoras ou Gorgias ; hier, il s'appelait Périclès ; il s'appelait Alcibiade.

Alcibiade doctrinaire, c'était un de ces hommes sans frein qui ne détestait pas les filles sans pudeur, mais tout, excepté un doctrinaire. (Interruption.)

Hier, on nous a montré le doctrinaire à Athènes ; on nous parlera bientôt du doctrinaire antédiluvien, du doctrinaire fossile. (Interruption.)

On viendra nous dire : « Caïn, qu'avez-vous fait des petits frères ? »

Puis, ce qu'il y a d'étrange, tout en maltraitant ces pauvres doctrinaires, on les invoque assez volontiers lorsqu'on trouve chez eux quelque chose de favorable aux thèses qu'on défend ; on invoque volontiers Royer-Collard, Guizot, les patriarches de la doctrine, quand on trouve dans leurs idées quelque chose de favorable à ses prétentions. On ne se fait pas faute non plus, ce qui est plus étrange encore, de nous traiter de solidaires et d'athées, sans se dire que les solidaires dont on nous fait les complices ont été les premiers à nous traiter de doctrinaires en compagnie des anciens de la droite qui ne voulaient pas aller en guerre avec les progressistes.

Le pays n'est pas dupe de ce grand étalage de mots qui ne résonnent que parce qu'ils sont creux.

Quand vous nous dites que les doctrinaires sont des gens qui, sous prétexte de liberté, veulent tout remettre aux mains de l'Etat, la réponse sera bien facile ; le pays répond que les catholiques politiques, progressistes et autres, sont des gens qui, sous prétexte de liberté, veulent tout remettre aux mains de l'Eglise. Il n'y a qu'un mot à changer dans la phrase pour rétorquer victorieusement l'argument. (Interruption.)

Je trouve ces protestations singulières.

En effet, j'use du droit de légitime défense ; hier, le parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir a été attaqué violemment ; je viens aujourd'hui, d'une façon très modérée, rétorquer les arguments qu'on nous adressait. Tâchez donc de les écouter avec patience.

C'est parce que vous ne considérez dans tout cela que la question de l’Eglise, que vous ne voyez dans le décret dont je vous ai montré tout à l'heure les stipulations presque ridicules que la glorification d'un seul culte baptisé commodément, pour les besoins de la cause, du nom dc culte de la majorité.

Ce culte, pour ma part, je le respecte et je l'honore ; mais pas du tout parce qu'il est le culte de la majorité, mais bien parce qu'il est une émanation de la liberté, un fruit de la conscience humaine, comme tous les autres cultes ; et je lui accorde les respects et les égards auxquels il a droit, au même titre qu'à tous les autres ; rien de plus, rien de moins.

Quand donc vous nous accusez d'irréligion, parce que nous contestons au culte de la majorité et à ses ministres un droit au privilège, à des faveurs issues des anciens concordats, ou bien une prépondérance que la loi et les principes d'égalité lui dénient, vous avez beau nous appeler des doctrinaires, des solidaires, vous cherchez à ressusciter les abus d'un autre âge, et vous compromettez la cause de la foi au moins autant que certains sophistes compromettent la cause de la raison.

Je m'arrête ici, car je crains de dépasser les bornes du sujet qui nous occupe. Je résume en très peu de mots ma pensée. Obligatoires ou facultatives, élevées au rôle d'un pompeux système d'Influence et de prestige, ou réduites au rang de code de la civilité puérile et honnête, les prescriptions du décret ne sont à mes yeux ni de notre temps, ni dc notre pays, elles n'ajoutent pas plus à l'autorité que leur suppression ne lui enlève ; elles ne peuvent avoir aucune importance pour les esprits éclairés ; mais si vous tenez à les conserver pour agir sur les masses, il faut leur donner pour base les grands principes de liberté et d'égalité sur lesquels repose tout notre édifice constitutionnel.

Catholiques sincères et convaincus, admettez les mêmes honneurs pour tous les cultes. Laïques, respectons toutes les églises ; citoyens, n'ayons pour guide et pour drapeau qu'une mutuelle tolérance.

Avec un pareil esprit, la question qui est portée devant nous, sera bientôt résolue. Que le gouvernement nous présente une loi qui place sur la même ligne les honneurs à rendre à tous les cultes ; que dans les cérémonies publiques, le grand rabbin, le président du consistoire protestant et l'évêque soient placés sur la même ligne ; tous ont droit à cette assimilation, si petit que puisse être le nombre des fidèles ; et certes un prélat catholique n'accepterait pas une place inférieure dans un pays protestant, pas plus que le représentant d'un petit pays n'accepterait un rang subalterne dans le corps diplomatique.

Si vous rendez cet hommage au principe d'égalité, soyez-en convaincus : l'opinion publique se déclarera satisfaite. Si, appelés un jour à discuter une pareille mesure, les défenseurs d'une seule Eglise venaient revendiquer pour elle seule, comme un privilège, les avantages d'un nouveau décret de messidor, nous repousserions leurs prétentions par la doctrine constitutionnelle, de telle sorte que, pour avoir trop exigé, ils n'auraient rien, et, de cette façon comme dc l'autre, l'égalité serait satisfaite.

(page 1108) M. Vander Doncktµ. - Messieurs, on a discuté longuement sur le point de savoir s'il faut encore appliquer le décret de messidor an XII. Aucun des orateurs qui ont pris la parole ne vous a entretenus de l'arrêté royal du 25 novembre 1856. Je vais vous donner lecture de l'article 285, chapitre XX, des honneurs militaires, qui se réfère au décret de l'an XII. Règlement pour le service de garnison :

« Art. 285. Il sera rendu des honneurs à toutes les personnes auxquelles le décret de l'an XII, sur les honneurs et les préséances, en attribue, et à tout militaire gradé, suivant les distinctions ci-après. »

Cet arrêté royal qui a été contresigne par M. le général Greindl, réglant le service des garnisons, est obligatoire, tant qu'il existe, au moins pour l'armée.

Messieurs, je ne viens pas défendre le décret de messidor an XII, mais il me semble très étonnant que des jurisconsultes aussi distingués que M. De Fré, qui a compulsé notre arsenal de lois, et ceux qui se sont occupés de l'abrogation de ce décret n'aient pas retrouvé un simple arrêté royal réglant et remettant en vigueur le décret de l'an XII, au moins en partie.

C'est cette simple observation que je tenais à soumettre à la Chambre.

(page 1086) M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

M. E. de Kerckhoveµ. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel.

MPDµ. - Je ne savais pas que c'était pour un fait personnel. Dans ce cas, la parole est à M. de Kerckhove.

M. de Kerckhoveµ. - Messieurs, je dois le déclarer avec la plus entière franchise, j'attache aussi peu d'importance aux paroles de M. Hymans qu'au décret de messidor. (Interruption.)

M. Hymans. - C'est de la politesse facultative.

M. le président. - J'engage M. de Kerckhove à se servir d'expressions de bon goût.

M. E. de Kerckhoveµ. - Il me suffira de citer un fait pour justifier complètement ce que j'ai l'honneur de dire à la Chambre.

D'abord je dois protester contre les paroles que l'honorable M. Hymans m'a attribuées à deux ou trois reprises.

Je respecte trop mes adversaires pour les traiter avec aussi peu d'égards. Je n'ai prononcé ni le mot de solidaire, ni le mot de mécréant ou de pervers, je n'ai fait qu'indiquer une tendance ; j'ai si peu attaqué, j'ai si peu cherché à dégrader, pour me servir de l'expression de l'honorable orateur, les membres de cette Chambre qui poursuivent l'abrogation du décret, que j'ai commencé, et j'en appelle au souvenir de M. De Fré, par déclarer que j'avais le plus profond respect pour ses scrupules constitutionnels.

Maintenant, messieurs, voici le fait que j'ai demandé la permission de signaler à la Chambre.

L'honorable M. Hymans aurait pu se dispenser de faire un discours contre moi : il aurait pu se borner à lire simplement l'article de l’Echo du Parlement, dont tout le monde connaît le caractère et le personnel.

Eh bien, messieurs, je le déclare encore avec la plus entière franchise, j'ai souvent regretté de voir un de nos collègues nous attaquer chaque jour, non pas nous attaquer ouvertement, c'est de bonne guerre (pourvu que les choses se passent convenablement), mais nous attaquer sous le voile de l'anonyme dans une foule de journaux dont le principal est le soi-disant Echo du Parlement. C'est là le fait qui me donne le droit de dire et de répéter que je n'attache aucune importance aux paroles de M. Hymans.

M. le président. - M. de Kerckhove, je vous le répète, ce sont des expressions auxquelles vous ne devriez pas avoir recours.

M. Hymans. - Je demande la parole.

M. le président. - Si c'est pour un fait personnel, je vous la donne, mais je dois vous engager à être calme.

M. Hymans. - Chaque fois que j'ai l'honneur dc demander la parole pour un fait personnel, et cela m'arrive quelquefois, l'honorable président m'engage au calme.

M. le président. - Ce n'est pas à vous seulement, M. Hymans. C'est à tous les membres de la Chambre que je donne ce conseil.

M. Hymans. - Et, je dois le dire, c'est la première fois qu'en pareille circonstance le calme a été sur le point de me manquer.

Et si j'avais répondu sur-le-champ à cette première et insolente parole... (Interruption.)

(page 1087) M. le président. - J'ai dit tout à l'heure à l'honorable M. de Kerckhove de modérer ses expressions. Ceci atteste le danger des mauvais exemples. Je vous engage à ne pas l'imiter.

M. E. de Kerckhoveµ. - Je demande que l'expression soit retirée. (Interruption.)

M. le président. - Veuillez continuer, M. Hymans, mais, je le répète, modérez vos expressions.

M. Hymans - Je ne retirerai le mot insolent que lorsque M. de Kerckhove aura retiré son expression.

M. E. de Kerckhoveµ. - Je n'ai rien dit d'insolent à M. Hymans, je me respecte trop pour cela. (Interruption.)

MpD. - Si tout à l'heure M. Hymans avait suivi mon conseil, tout cela ne serait pas arrivé.

Je vous engage donc à ne pas persévérer dans des expressions que réellement la Chambre n'aurait pas dû entendre, comme elle n'aurait pas dû entendre celle de M. de Kerckhove.

Je crois rendre justice à tout le monde en exprimant cette pensée.

M. Hymans. - L'honorable M. de Kerckhove n'a certes pas ménagé hier ses paroles en s'adressant à tout un côté de la Chambre, au parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir. Aujourd'hui il apprécie singulièrement le droit de réponse dont j'ai usé sans manquer aux convenances parlementaires.

Ai-je appelé M. de Kerckhove un homme pervers ? Ai-je appelé M. de Kerckhove un homme impie ? Ai-je prétendu qu'il nous eût appelés, nous personnellement, des impies et des pervers ?

Je vous ai cité un passage des Annales parlementaires dans lequel l'honorable M. de Kerckhove dit, en toutes lettres : que ceux qui se trouvent derrière l'honorable M. De Fré et derrière les partisans de l'abrogation du décret de messidor sont des hommes qui veulent discréditer les croyances, enlever tout prestige à la religion, la déraciner, l'effacer des cœurs et la dégrader aux yeux des populations. (Interruption.)

Ne sont-ce point là des injures ? Et je ne suis pas de ceux qui admettent ce système de restrictions mentales, en vertu duquel les injures adressées à un parti puissent passer par dessus la tête de ceux qui le composent, sans être relevées par eux, s'ils ont du cœur.

Aussi, je ne retire rien de ce que j'ai dit, absolument rien.

Et quant à ce qui concerne la dernière allégation, la dernière attaque de l'honorable M. de Kerckhove relative aux journaux dans lesquels j'écris, dans lesquels je me fais honneur d'écrire, je continuerai à y placer mes appréciations comme il conviendra.

M. de Kerckhoveµ. - Le public jugera.

M. Hymans. - J'écrivais dans les journaux avant de siéger dans cette enceinte, c'est par la presse que j'y suis arrivé, c'est par la presse que j'espère y rester.

Mais quoi ! c'est un progressiste, c'est un partisan de toutes les libertés, de la liberté absolue en tout et pour tous (interruption), qui vient attaquer sur les bancs de cette Chambre un collègue qui use d'un droit constitutionnel, de la liberté d'écrire qui appartient à tous les citoyens ! Et cela parce que cet homme s'est permis quelquefois d'attaquer ses opinions. (Interruption.)

Oh ! permettez-moi de vous le dire, monsieur, je vous ai attaqué avec beaucoup de modération.

Je croirais manquer à la Chambre en prolongeant cet incident tout personnel. Je n'ai qu'une seule chose à ajouter, je n'ai pas à répondre ici à l'honorable membre de ce que j'écris dans les journaux ; s'il a quelque réclamation à m'adresser, qu'il vienne me trouver chez moi, et quoique je n'aie pas été diplomate, il trouvera à qui parler.

M. Dumortier. - Je n'entrerai pas dans le triste incident dont nous venons d'être témoins.

Il serait à désirer pour la dignité de la Chambre que de pareils incidents ne se présentassent plus et que des paroles aussi antiparlementaires ne fussent plus prononcées.

Je n'entrerai donc pas dans ce débat ; je veux seulement rencontrer ce qu'a dit l'honorable membre qui vient de se rasseoir au sujet de ma manière de voir quant au décret de messidor an XII.

Il a été un peu large en me prêtant la pensée que ce décret était encore aujourd'hui en vigueur. Je n'ai rien dit de semblable.

Messieurs, il y a, dans les lois et dans les décrets, deux situations souvent très différentes : il y a des lois et des décrets entièrement en vigueur ; il y a des lois et des décrets dont certaines parties ont été abrogées par les lois postérieures. Eh bien, je place le décret de messidor dans cette seconde catégorie.

Il est hors de doute que parmi les nombreuses dispositions que le décret de messidor contient sur le cérémonial, très peu sont en harmonie avec nos institutions actuelles, et sous ce rapport, je suis complètement de l'avis exprimé par l'honorable M Pirmez.

Evidemment, vous ne pouvez plus rendre aujourd'hui aux sénateurs qui sont élus les honneurs que le décret ordonnait en faveur des sénateurs qui étaient nommés par l'empereur et qui étaient à vie.

Evidemment, on ne tire plus les quinze coups de canon aujourd'hui quand un ministre arrive dans sa ville, et je désirerais bien savoir si lors de l'incident avec le récit duquel l'honorable préopinant vient d'égayer la Chambre et qui s'est passé à Ypres, on a tiré, lors de l'arrivée du ministre, les quinze coups de canon.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Non.

M. Hymans. - Il n'y a pas de canons à Ypres.

M. Dumortier. — L'honorable M. A. Vandenpeereboom dit qu'on n'a pas tiré les quinze coups de canon ; dès lors M. le ministre ne faisait pas son entrée conformément aux prévisions du décret ; dès lors le clergé était libre de ne pas prendre part à la réception. (Interruption.)

L'honorable M. Hymans nous a dit qu'un ministre avait droit, à son entrée, à quinze coups de canon.

M. Hymans. - J'ai dit qu'il n'y avait pas de canons à Ypres.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et qu'on avait refusé tous les honneurs.

M. Dumortier. - Je ne pense pas que M. le ministre ait fait à Ypres une entrée solennelle dans les conditions qui exigeaient le cérémonial prévu par le décret de messidor. Dès lors, pourquoi venir l'invoquer contre le clergé et prétendre que le clergé n'a pas rempli les prescriptions du décret ?

C'était un moyen d'attaquer le clergé, et en cela je suis d'accord avec l'honorable M. de Kerckhove que l'on saisit toutes les occasions pour tomber sur le clergé, pour chercher à le noircir sans aucune espèce de raison.

Et si nous voulions agir comme le font nos adversaires, tous les jours nous aurions des abus bien plus graves à vous reprocher.

On s'en prend toujours, nous dit l'honorable M. Hymans, aux doctrinaires ; on ne connaît que cette question.

Je m'occupe fort peu de cette question ; mais s'il est vrai que quand on a mis à la fin d'une phrase le mot « doctrinaire », on croit avoir tout fait, il est bien vrai aussi que d'autres écrivains, que des membres de la presse, lorsqu'ils ont mis à la fin d'une phrase le mot « clérical », croient avoir tout dit.

Tous les jours, on nous reproche d'être des cléricaux. Eh ! mon Dieu, dites-moi, mon honorable collègue, s'il me plaisait, à moi de vous appeler des libérâtres, que diriez-vous ?

- Des membres. - On l'a fait.

M. Dumortier. - Et je crois que vous en êtes ; vous n'êtes pas des libéraux ; vous êtes des marâtres du libéralisme. Mais comme le mot est blessant, je ne le prononce pas.

MfFOµ. - Il ne nous gêne pas.

M. Dumortier. - Pourquoi donc avez-vous toujours à la bouche un mot déplaisant contre nous ? Vous parlez toujours d'égalité, et vous nous lancez l'injure, et vous vous étonnez que d'autres suivent votre exemple ?

Rentrons donc purement et simplement dans le décret sur le cérémonial.

Hier matin, messieurs, je lisais dans les journaux les honneurs que le vice-roi d'Irlande avait rendus à Mgr Cullen, cardinal archevêque de Dublin. Et cela à Dublin, c'est-à-dire eu Angleterre, dans un pays protestant, dans un pays où il y a une religion d'Etat. On indiquait comme une chose très remarquable les honneurs que la protestante Angleterre rendait à un archevêque catholique, et on faisait ressortir combien l'esprit de tolérance y est en progrès. Et le même jour, j'entendais l'honorable M. De Fré se plaindre de ce que, en Belgique, ou avait rendu des honneurs à Mgr Dechamps lors de son entrée dans sa ville archiépiscopale. Eh bien, je me suis dit : Il y a là deux espèces de libéralisme, le libéralisme anglais qui est large, qui est vraiment libéral, et le libéralisme étroit que je viens de qualifier tout à l'heure et que je ne nommerai pas pour ne pas offenser vos oreilles, ce libéralisme mesquin qui veut la liberté pour lui, mais qui s'agite, qui s'émeut, lorsqu'il s'agit d'un prêtre, d'un ecclésiastique.

Voulez-vous que je vous cite un autre fait ? Il s'agit de la ville où le protestantisme a sa plus grande puissance, de la ville de Calvin, Genève. A Genève se trouve un prélat catholique, qui n'est pas évêque de (page 1088) Genève, mais qui est domicilié dans cette ville. C'est un homme du plus grand mérite, d'une éloquence remarquable, que vous avez pu apprécier récemment à Bruxelles. C'est Mgr Mermilliod.

L'an dernier, arrive à Genève une grande-duchesse dc Russie. (Interruption.)

- Un membre. - La grande-duchesse de Gerolstein. (Nouvelle interruption.

M. Dumortier. - Je laisse ces grandes-duchesses où elles sont, J'ai trop de respect pour la Chambre pour faire de mauvaises plaisanteries comme celle que je viens d'entendre.

L'année dernière, arrive à Genève, une grande-duchesse dc Russie Les autorités lui offrent un banquet ; on invite Mgr Mermilliod. Que font les protestants de Genève ? (Interruption.)

Je sais que cela va vous gêner, parce que je mets encore le doigt sur la plaie, parce que je montre combien est grande votre intolérance en présence de la conduite des protestants de Genève.

Au banquet, on place Mgr Mermilliod à la première place, à la place d'honneur, à la droite de la grande-duchesse.

Et tandis que les pays protestants se conduisent de la sorte vis-à-vis des évêques catholiques, on voit dans la catholique Belgique des hommes, par esprit de parti, dénigrer les honneurs qu'on rend à nos prélats, aux hommes qui sont respectés par la population tout entière.

Eh bien, je dis que cela n'est pas tolérable, et que si vous appelez cela libéralisme, moi je l'appelle la dégradation des mœurs sociales.

Il y a dans le décret de messidor deux choses : les honneurs et les préséances. Certainement, en matière d'honneurs à rendre, il y a beaucoup d'articles de ce décret qui n'existent plus, et les articles dont vient de donner lecture l'honorable M. Hymans sont manifestement tombés en présence de nos nouvelles institutions. Tels sont les honneurs à rendre aux ministres, aux sénateurs, etc.

La plupart de ces dispositions étaient déjà tombées sous le gouvernement précédent.

Quand un membre dc la première chambre des états généraux se rendait dans le chef-lieu dc son arrondissement, a-t-on jamais exécuté le décret ?

Messieurs, ce sont là des mesures qui ont été prises pour un temps donné et qui sont tombées peu à peu au fur et à mesure que les institutions et les mœurs se sont modifiées ; mais, dans le décret sur le cérémonial, il y a des dispositions qui ont une certaine valeur et que vous ne pouvez abroger purement et simplement, celles sur les préséances.

J'engage l'honorable M. Pirmez à bien réfléchir avant de proclamer l'abolition des dispositions relatives aux préséances. Si vous ne les mainteniez pas, vous auriez du désordre à chacune de vos cérémonies publiques.

Les préséances réglées par le cérémonial constituent l'étiquette pour tous les corps constitués. Or, si chacun ne peut plus savoir la place qui lui est assignée dans une cérémonie publique, ce sera une confusion, un chaos.

Je sais fort bien que nous, membres de la Chambre, nous pouvons nous plaindre déjà, dans certaines limites, dc ce qui se pratique ; mais j'aime mieux conserver ce qui existe que de le voir supprimer, car vous verriez alors se renouveler ces déplorables et pitoyables querelles d'étiquette qui ont tant fait rire dans l'autre siècle.

Je dis donc que la suppression complète du décret serait une calamité, et je demande que l'on veuille y réfléchir avant de prendre une détermination. Comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Vander Donckt, l'article 285 du règlement sur le service de garnison maintient en vigueur toutes les dispositions qui sont relatives à l'armée ; mais, autre chose sont les dispositions relatives à l'armée, autre chose, celles relatives à toutes les autorités civiles.

Il y a là une distinction à faire . Eh bien, tous les jours, le bon sens public la fait.

Les mœurs ont introduit toutes les modifications nécessaires, mais il y a une partie qui reste debout : c'est celle relative aux préséances et c'est pour celle-là que nous ne pouvons abroger le décret.

Le point de départ de ce débat, ce sont les honneurs qui ont été rendus à l'honorable M. Dechamps.

M. Teschµ. - On ne l'a pas nommé.

M. Dumortier. - Ils ont été rendus en exécution du règlement de service de garnison.

Je n'ai pas assisté à l'installation de l'évêque, dont je suis fier, d'être le vieil ami, mais j'ai assisté à son dîner et j'assure que bien que des officiers, des généraux et des autorités civiles y assistassent, tout s'est passé dans un ordre parfait et j'y ai entendu un général protestant porter le plus joli toast que j'aie entendu de ma vie.

Il est vrai que c'est un homme de 1830, l'honorable général Barthels. En le faisant, il n'a cru manquer ni à la délicatesse, ni à son culte et il s'est conduit comme un bon et loyal patriote.

Je pense donc qu'il faut distinguer entre les parties du décret qui sont tombées par la force des mœurs et des habitudes et celles qui font partie du règlement de préséances encore en usage.

Ainsi voilà un banquet. Si, d'après ce système qui consiste dans la séparation absolue dc l'Eglise, système qui n'est pas celui du Congrès, mais que vous avez imaginé pour justifier votre esprit de persécution contre l'Eglise, vous aviez complètement abrogé le décret de messidor, vous deviez placer l'archevêque après le fonctionnaire qui occupe le dernier rang parmi les autorités civiles.

MiPµ. - On ne le fera pas.

M. Dumortier. - Mais enfin s'il y avait une autorité mal intentionnée, cela pourrait arriver et vous auriez soulevé un toile général contre le gouvernement.

Je dis donc, messieurs, qu'il faut laisser les choses dans l'état où elles sont.

M. De Fréµ. - Messieurs, je demande à la Chambre quelques instants de bienveillante attention. D'abord, je dois dire que la question, telle que j'ai eu l'honneur de la porter devant vous, s'est singulièrement étendue. J'ai soutenu qu'en présence des principes constitutionnels qui nous gouvernent, l'intervention de la force armée dans les fêles et les cérémonies d'un culte n'était pas obligatoire. Je ne me suis pas occupé de la question des échanges de politesses, du point de savoir s'il convient que des autorités assistent ou n'assistent pas à l'installation d'un archevêque ou à son banquet clérical.

J'ai reconnu que cela est facultatif mais non obligatoire. Voici le principe : Il n'y a plus, pour les représentants d'un culte, un texte de loi qui leur permette de requérir la force pour privilégier leur culte.

Quant à ceux qui, comme l'honorable M. Dumortier, se prétendent les défenseurs des idées du Congrès, que disent-ils de ceux qui veulent ramener les lois organiques aux véritables traditions du Congrès ? Ils nous traitent comme ayant les intentions les plus hostiles aux idées religieuses.

Messieurs, il n'y a pas en Belgique un homme politique sensé qui ne veuille accorder aux idées religieuses toutes les libertés et toutes les protections possibles. Mais on peut dire à l'honorable M. Dumortier ce qu'on a dit à certain général : Vous dites toujours la même chose.

M. Dumortier. - C'est pourquoi vous faites toujours la même chose.

M. De Fréµ. - Que veut la Constitution ? Elle veut l'égalité des cultes.

Or, si un culte a le droit de demander des pompes et des cérémonies exceptionnelles, c'est un culte privilégié et la Constitution est violée.

Que veut la Constitution, c'est que les citoyens soient libres de concourir ou de ne pas concourir aux cérémonies du culte. Or, quand vous pouvez forcer les citoyens à ajouter par leur présence à l'éclat de ces cérémonies, je dis que la Constitution est violée.

Ainsi, ma déclaration ou plutôt ma motion est une motion qui tend à donner plus d'éclat aux principes constitutionnels, à les maintenir dans leur force et leur virilité. Il ne faut pas que dans un pays de liberté et de tolérance comme le nôtre, des exemples qui rappellent la vieille servitude soient encore permis.

Un mot en passant, messieurs, à M. Vander Donckt. Quand j'invoque la Constitution, l'honorable M. Vander Donckt invoque un arrêté royal, il dit : Mais il y a un ministre qui a réglé la question. Comment ! il a réglé la Constitution ? Mais, M. Vander Donckt, c'est parce que je suis un peu jurisconsulte, que je n'ai pas voulu démolir un principe constitutionnel par un arrêté royal.

En finissant, j'ai l'honneur de faire la proposition suivante :

« Considérant que d'après nos principes constitutionnels l'intervention de la force armée dans les fêtes et les cérémonies d'un culte n'est plus obligatoire, la Chambre passe à l'ordre du jour. »

- Cette proposition est appuyée, elle fait partie de la discussion.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je commence par déclarer que je ne puis me rallier à la proposition que vient de, faire M. De Fré,

Depuis quelques jours la Chambre s'occupe du décret de messidor et je ne sais réellement si dans ce décret il y a matière à réclame électorale, mais j'aurais désiré, quant à moi, que la Chambre se hâtât de prendre une décision à ce sujet.

(page 1089) Ne nous le dissimulons pas, la plupart des membres de la Chambre, à quelque parti qu'ils appartiennent, n'attachent qu'une importance minime à ce décret, et si aujourd'hui l'honorable M. Dumortier l'a défendu avec beaucoup de chaleur et de conviction, je crois qu'il ne se refusera pas néanmoins, dans l'intérêt même de la religion, à se rallier à la proposition qu'à mon tour je dépose sur le bureau.

Il ne faut pas distinguer entre certaines parties du décret et le décret tout entier. Quant à moi, je dirai quelle est ma façon de penser à cet égard.

Je crois qu'il faut l'abroger complètement et avoir le courage de son opinion, Le clergé, pas plus que les autorités civiles, ne tient à des honneurs qui, dans un pays démocratique comme le nôtre, n'ont plus aucune espèce de valeur, de raison d'être, ni de signification et je suis persuadé que le cortège qui sera fait aux chefs de l'Eglise par les fidèles sera aussi solennel et aussi significatif que le cortège obligé qui leur est fait aujourd'hui.

Il en sera de même évidemment pour les autorités civiles et nous ne verrons plus alors se représenter ce qui s'est passé à Ypres et ce que nous a raconté tantôt l'honorable M. Hymans.

Je dépose donc sur le bureau la proposition suivante :

« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de déclarer que le décret de messidor n'est plus en vigueur en Belgique. »

- Cette proposition est appuyée, elle fait partie de la discussion.

MiPµ. - La Chambre a été saisie par M. De Fré d'une question d'interprétation. M. De Fré a demandé si, en présence des principes constitutionnels, certains articles du décret devaient être considérés comme ayant cessé d'être en vigueur.

La proposition qu'il vient de déposer a pour objet de faire connaître simplement l'opinion de la Chambre sur cette question et l'on est tous d'accord pour résoudre cette question affirmativement. Personne ne trouve de difficultés à déclarer que le décret de messidor ne peut conférer au clergé le droit de requérir certains honneurs.

Mais M. d'Hane fait une proposition toute différente et qui sort entièrement des attributions de la Chambre. M. d'Hane nous propose de déclarer par une simple décision l'abrogation d'une loi.

Cela n'est pas possible.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Voulez-vous me permettre ? Voici la rédaction nouvelle que je propose à la Chambre :

« La Chambre, considérant que le décret de messidor n'est plus en vigueur en Belgique, passe à l'ordre du jour. »

M. Coomans. - C'est la proposition de M. De Fré.

MfFOµ. - Il faut pour cela faire une proposition de loi.

MiPµ. - Le décret de messidor est une loi.

M. Coomans. - Etait une loi...

MiPµ. - Le décret a eu force de loi : les lois de l'époque où le décret de messidor a été promulgué ont été publiées en Belgique ; elles ont donc force de loi, à moins qu'elles n'aient été abrogées.

Il s'agit donc de savoir s'il y a une raison pour déclarer que le décret de messidor a été abrogé dans son entier. Je ne crois pas en avoir entendu donner une.

M. De Fré a démontré hier que les changements des principes constitutionnels avaient eu pour résultat d'abroger les rapports établis par le décret de messidor entre les autorités ecclésiastiques et les autorités civiles. J'ai conclu des principes établis dans notre législation à l'abrogation partielle de ce décret. Mais M. d'Hane ne se donne pas même la peine de nous dire pourquoi les autres parties du décret de messidor auraient cessé d'être en vigueur.

Ce décret porte, par exemple, que dans les cérémonies publiques les gouverneurs passeront avant le président du tribunal de première instance. Je voudrais savoir pourquoi cette disposition serait abrogée. (Interruption.) Avez-vous même un prétexte pour déclarer abrogée cette disposition ?

L'honorable membre n'a pas pensé à sa proposition ; il s'est imaginé qu'il pouvait faire déclarer de but en blanc par la Chambre qu'une loi n'est plus en vigueur.

Si M. d'Hane veut supprimer le décret de messidor, qu'il fasse une proposition de loi ; cette proposition suivra la procédure ordinaire.

Il faut limiter la question dans les termes où l'a posée M. De Fré, et je dirai à M. d'Hane qu'au fond il y aurait de grands inconvénients à abroger le décret de messidor.

Ainsi lorsque vous aurez abrogé tout ce qui concerne les préséances, que ferez-vous au premier Te Deum ?

M. Thonissenµ. - Un nouvel arrêté royal suffirait pour régler désormais l'ordre des préséances.

MfFOµ. - Cela ne suffirait pas pour la préséance des cours et des tribunaux...

M. Delaetµ. - Il n'y aura plus de Te Deum. Vous ne pourriez plus obliger les troupes à s'y rendre.

MiPµ. - Je ne sais vraiment pas pourquoi il n'y aurait plus de Te Deum.

M. Delaetµ. - Parce que vos soldats refuseront.

MiPµ. - Est ce que les soldats ne doivent pas obéit-à leurs chefs ?

- Voix à droite. - Oh ! oh !

MiPµ. - Vraiment, je reconnais bien là le parti progressiste représenté par les honorables MM. Coomans et de Kerckhove. Ces honorables membres viennent prétendre maintenant que les soldats ne doivent pas obéissance à leurs chefs !

M. Delaetµ. - C'est la base même de la proposition.

MiPµ. - Pas du tout. Tâchons donc, messieurs, de ne pas embrouiller une question bien simple. D'après le décret de messidor, il y avait obligation de rendre certains honneurs aux évêques lors de leur entrée en fonctions.

Voilà la disposition du décret de messidor que nous discutons. La proposition de M. De Fré a pour but de faire déclarer que cette disposition n'est plus obligatoire ; que, par conséquent, les évêques n'ont plus le droit d'exiger les honneurs militaires.

Mais on reconnaît, d'un autre côté, qu'il est facultatif aux autorités civiles et militaires de faire librement, pour ces cérémonies, ce que des usages et des convenances leur paraîtront demander.

M.. De Fré ne propose pas autre chose que de constater l'absence d'obligation à cet égard.

La proposition de M. d'Hane va plus loin et tend à jeter le désordre dans toutes les cérémonies publiques.

Ainsi, par exemple, quand on se rendra à un Te Deum, il n'y aura plus d'ordre de préséance, et au lieu de quelques conflits peu importants que nous avons aujourd'hui, il n'y aura plus que confusion.

il y a, messieurs, dans l'ordre des préséances des difficultés très sérieuses ; je crois que l'honorable M. d'Hane n'y a pas suffisamment réfléchi, et je suis d'avis que la Chambre, pour couper court à cette discussion qui, selon moi, l'a déjà trop occupée, doit se borner à voter la proposition de l'honorable M. De Fré.

Aller plus loin, ce serait se jeter dans les plus grandes difficultés. Vous l'avez entendu tout à l'heure, il y a vingt-cinq ans que cette question a été soumise à une commission et aucune solution n'y a été donnée.

Mieux vaut s'en tenir à ce qui a fonctionné sans grande difficulté jusqu'à présent que de soulever, par l'absence de toute règle, une foule de difficultés.

Je ne repousserai pas une nouvelle réglementation de cette matière, mais encore faut-il que cette réglementation soit faite avant de détruire l'ancienne.

Il faut du reste prendre garde de se jeter dans des complications de susceptibilités, qui dépassent l'importance de la matière.

Je crois donc, messieurs, qu'en laissant le statu quo avec la déclaration de principe de l'honorable M. De Fré, on aura tout à la fois donné satisfaction aux principes constitutionnels et prévenu de grandes difficultés dans la pratique.

M. le président. - Une nouvelle proposition émanant de M. Dumortier est parvenue au bureau ; elle est ainsi conçue :

« La Chambre, considérant qu'en vertu des principes constitutionnels, les dispositions du décret de messidor an XII, relatives aux honneurs à rendre aux autorités, excepté au Roi et aux Chambres, ont cessé d'être en vigueur, passe à l'ordre du jour. »

- La proposition est appuyée.

M. Dumortier. - L'honorable M. De Fré propose de supprimer les honneurs à rendre aux évêques, mais il veut maintenir les honneurs à rendre aux ministres. Eh bien, je dis que si vous modifiez le décret dans certaines de ses dispositions, il ne faut pas laisser subsister d'autres dispositions identiques. Et quant à ce qu'a dit M. le ministre de (page 1090) l’intérieur à propos de l’amendement de l'honorable M. d'Hane, qu'on ne peut pas abroger une loi par une simple résolution de la Chambre, cette observation, si elle est applicable à la proposition de l'honorable M. d'Hane, l'est également à celle de l'honorable M. De Fré.

(page 1095) M. Coomans. - Je ne comprends vraiment pas que M. le ministre de l'intérieur épargne à l'honorable M. De Fré les reproches très vifs qu'il adresse à l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse. Si la Chambre ne peut pas dire : « considérant que le décret de messidor n'est plus en vigueur », elle ne peut pas dire non plus « considérant qu'une partie du décret de messidor n'est plus en vigueur. »

MiPµ. - A moins qu'il n'y ait des raisons.

M. Coomans. - Lesquelles, si elles existent, n'ont pas été données... (Interruption) ; lesquelles, dans tous les cas, sont contraires au principe invoqué par M. le ministre.

M. Jacobsµ. - Ce n'est plus une fin de non-recevoir de procédure.

M. Coomans. - La vérité est, je pense, qu'on veut supprimer toute espèce d'honneurs officiels rendus jusqu'à présent au clergé et les maintenir pour les fonctionnaires civils.

M. le ministre s'inquiète beaucoup du désordre qui pourra naître dans les cérémonies publiques. Quant à moi, je m'en inquiète fort peu : si l'absence du décret de messidor nous prive de quelques cérémonies publiques, ce n'est certes pas moi qui m'en plaindrai. Je trouve qu'il y en beaucoup trop.

Du reste, la raison principale qui me ferait voter l'abrogation complète du décret de messidor et qui me ferait déclarer que je le considère comme aboli, c'est que je n'admets pas l'étrange système de législation proposée par le gouvernement, par MM. les ministres en général et par M. le ministre de l'intérieur en particulier.

Nous avons eu le système déclaratif sous lequel nous avons vécu et légiféré d'assez longues années.

Depuis quelque temps nous avons le système facultatif ; en plusieurs matières importantes, le gouvernement s'abstient de déclarer qu'une loi est obligatoire ou qu'elle ne l'est plus ; il s'abstient de déclarer qu'il se considère comme obligé à faire exécuter la loi ; il se borne à dire à certaines autorités : Vous ferez ce que vous voudrez. Ainsi, dans la question des cimetières, le gouvernement s'abstient.

M. Orts. - Cela ne le regarde pas.

- Un membre. - C'est l'affaire des communes.

M. Coomans. - Mais ce qui regarde le gouvernement, je suppose, c'est de faire exécuter les lois ; c'est là son premier devoir, et vous n'avez pas le droit de dire que l'exécution des lois ne regarde pas le gouvernement.

S'il y a une législation sur les cimetières, vous devez la faire exécuter, vous devez reconnaître que cette législation est générale, applicable à toute la Belgique ; c'est-à-dire que vous n'avez pas le droit de dire, ici aux bourgmestres cléricaux (j'emploie votre expression puisque vous paraissez y tenir) : Continuez à appliquer le décret de prairial ; là aux bourgmestres libéraux, comme vous les appelez souvent indûment : N'exécutez pas le décret, si tel est votre bon plaisir.

Non, vous n'avez pas le droit de tenir un pareil langage ; et cependant ce n'est pas seulement à la question des cimetières que vous l'appliquez. Qu'on exécute la loi de 1842 ou qu'on ne l'exécute pas, en matière d'écoles d'adultes, cela n'inquiète en aucune façon le gouvernement ; cela, sans doute, ne le regarde pas non plus. (Interruption.)

Et maintenant on veut encore nous donner un échantillon de cet étrange système de gouvernement. Le décret de messidor peut être, doit même être maintenu, dit M. le ministre de l'intérieur ; cependant je reconnais qu'il est absurde dans beaucoup de ses dispositions ; je reconnais qu'il est dépourvu de sanction ; mais maintenons-le toujours, parce qu'il pourra faciliter les Te Deum et autres cérémonies publiques !

Messieurs, je serais presque tenté de dire que cette politique manque de franchise ; à coup sûr, elle manque de logique, et je m'étonne qu'une assemblée de législateurs discute la question de savoir si une loi générale doit être exécutée ou si elle peut être violée au gré des autorités auxquelles l'exécution en est confiée. Vous arriveriez ainsi à l'absurde, à l'odieux et au désordre que vous voulez éviter.

Il n'y a aucun inconvénient à supprimer tout entier le décret de messidor et même celui de prairial (moyennant la reconnaissance de la liberté des cimetières spéciaux, comme aux Etats-Unis et ailleurs).

Il n'y a aucun inconvénient à supprimer le décret de messidor tout entier ; on a déclaré qu'il n'est plus en vigueur ; le gouvernement reconnaît qu'il n'a pas fonctionné ; le gouvernement se gardera bien de le sanctionner !

Si le gouvernement ou si l'un de nous juge qu'il est nécessaire de régler le cérémonial, eh bien, il saisira la chambre d'un projet de loi. Si le gouvernement croit, ce qui me paraît plus pratique encore, qu'un simple arrêté royal suffit, il prendra cet arrêté. Donc la suppression du décret de messidor n'offre aucun inconvénient.

On vient de faire une observation qui me paraît juste, et que je relève parce qu'elle me donne l'occasion de répondre à une accusation très injuste qui m'a été intentée par le ministre de l'intérieur. On vient de dire qu'en cas d'adoption de la proposition de l'honorable M. De Fré, il n'y aura plus de Te Deum possible, attendu que la force militaire n'y assistera plus ou aura le droit de n'y plus assister.

M. le ministre de l'intérieur, répondant immédiatement à l'honorable M. Delaet, a dit : « Les soldats obéiront, parce que les soldats doivent toujours obéir. »

Mais cela n'est pas vrai ; s'il est vrai qu'il est inconstitutionnel de forcer les soldats d'assister à une manifestation religieuse, vous ne pouvez pas obliger un soldat protestant ou juif de concourir à une cérémonie religieuse qui n'appartient pas à son culte. (Interruption.)

Ici, je ne fais que reproduire l'excellent langage que l'honorable M. Orts a tenu dans une circonstance bien plus grave ; l'honorable M. Orts déclarait que, dans plusieurs cas, le droit de la résistance par la force matérielle est constitutionnel. L'honorable membre avait parfaitement raison : les soldats belges, et j'espère que vous voudrez bien le reconnaître, les soldats belges sont des citoyens ; vous devez reconnaître que les soldats belges ont le droit de ne pas obéir à des ordres inconstitutionnels, même simplement illégaux, à moins de mettre nos soldats complètement hors de la loi. Ils ne sont déjà que trop privés des bénéfices du droit commun.

Ainsi donc, prenez-y bien garde, les Te Deum, auxquels vous tenez beaucoup, deviendront impossibles si vous vous bornez à supprimer du décret les articles qui concernent le concours donné par l'armée à des cérémonies religieuses.

Selon moi, je le répète, le décret tout entier peut être supprimé. II ne vaut pas les longs et désagréables débats qu'il a provoqués ; supprimez-le donc entièrement ; et lorsque vous constaterez les inconvénients de la suppression, vous serez toujours libres de nous proposer d'autres mesures obligatoires.

(page 1090) M. de Theuxµ. - Messieurs, il m'est impossible d'admettre le nouveau mode de délibération qu'on veut introduire dans la Chambre ; on veut, par forme de motion d'ordre, faire abroger un décret ; on pourra aussi, par une simple motion d'ordre, ressusciter une loi abrogée.

Dans ce système, il n'y a plus de règlement. Messieurs, je propose la question préalable sur toutes les propositions.

Si le gouvernement juge à propos de prendre un arrêté, soit pour modifier le décret de messidor, soit pour l'abolir, ou s'il juge à propos de vous présenter un projet de loi, nous examinerons, dans le premier cas, si l'arrêté est légal, et dans-ce cas nous nous prononcerons sur le projet de loi.

Je conjure la Chambre de ne pas poser ce précédent.

Dernièrement on avait annoncé aussi l'intention de nous présenter une motion pour interpréter la loi sur les loteries ? Quel eût été le résultat de cette motion ? Complètement insignifiant ; car si la motion n'est pas convertie en loi, elle n'a aucune valeur ; la motion ne lie ni le Sénat, ni nos successeurs ; un ministre pourra se croire lié par la motion ; un autre pourra parfaitement croire le contraire.

Le mode de délibération qu'on veut introduire dans la Chambre me paraît incompatible avec la Constitution et le règlement. Je propose formellement la question préalable.

MfFOµ. - Messieurs, il me semble, en effet, comme l'a dit l'honorable M. de Theux, que les motions qui nous sont soumises ont toutes un caractère inconstitutionnel.

L'honorable M. d'Hane, immédiatement après avoir déposé sa première formule, s'en est probablement aperçu, et il l'a modifiée. Il proposait de déclarer absolument abrogé le décret de messidor. Une pareille proposition était évidemment contraire à tous les principes constitutionnels.

La motion de l'honorable M. d'Hane ne pouvait se produire que sous la forme d'une proposition de loi ; on l'aurait alors examinée, dans les termes du règlement.

La seconde forme de cette motion n'est pas plus constitutionnelle ; c'est encore l'abrogation du décret de messidor par une résolution de la Chambre. Or, la Chambre n'a pas le pouvoir constitutionnel d'abroger seule une loi ; elle ne peut contribuer à l'abrogation d'une loi que de la même manière qu'elle peut concourir à son élaboration ; elle n'a pas à elle seule le pouvoir de légiférer ; elle n'est que l'une des trois branches du pouvoir législatif ; donc, sous cette nouvelle forme, la proposition n'est pas plus admissible, et elle doit être repoussée par la question préalable.

Quant à la motion de l'honorable M. De Fré, elle n'avait qu'une seule signification : c'était de prendre acte des déclarations qui avaient été faites par M. le ministre de l'intérieur, à savoir que les dispositions du décret de messidor qui règlent les rapports entre le clergé et l'autorité militaire ne sont plus obligatoires.

L'honorable M. De Fré, dans les explications qu'il a données, s'en réfère à ce qui avait été énoncé par M. le ministre de l'intérieur ; mais je dois reconnaître que, dans la forme où cette proposition est faite, elle ne peut pas non plus être admise ; elle ne heurterait pas les principes d'une manière aussi directe que les propositions de l'honorable M. d'Hane ; mais les mêmes objections s'y appliquent en une certaine mesure.

Il y a cependant, cette différence que, par la motion de l'honorable M. d'Hane, on déciderait l'abrogation du décret sans aucune espèce de justification quelconque, sans que la Chambre sache en réalité sur quoi elle se prononce, Car l'honorable M. d'Hane n'a pas même examiné ou indiqué quelles seraient les conséquences et la portée de sa proposition.

Je pense donc que l'on doit s'abstenir de toute espèce de motion pour trancher cette question. Aucune n'est nécessaire. On a interpellé le gouvernement pour connaître son opinion sur le sens de la disposition controversée. En cela on a usé d'un droit. Chaque membre de la Chambre a le droit de demander au gouvernement dans quel sens il interprète certaines dispositions des lois en vigueur dont l'application lui appartient. Si la Chambre n'est pas d'accord avec le ministre sur le sens à attribuer à ces dispositions, elle peut adopter une motion, non pas pour abroger ou modifier la loi, mais pour blâmer ou pour renverser le ministre qui donne a la loi une interprétation que la Chambre n'adopte pas. C'est là l'exercice du droit constitutionnel de la Chambre.

Eh bien, on a interpellé le gouvernement ; On lui a dit : Que pensez-vous de telles dispositions du décret de messidor ? Les considérez-vous comme étant encore obligatoires ? Le gouvernement a répondu que les dispositions auxquelles on faisait allusion n'étaient plus obligatoires, bien que, dans son ensemble, on pût considérer le décret comme demeurant en vigueur.

C'est là l'opinion qu'a exprimée sur un point bien déterminé le gouvernement, opinion que la Chambre peut approuver ou désapprouver. Il me semble qu'il est impossible d'aller au delà, et je ne pense pas qu'il soit besoin d'une décision quelconque de la Chambre, après les explications qui ont été données par le gouvernement.

Je ne veux pas entrer maintenant dans la discussion du décret ; on a démontré suffisamment qu'il ne peut pas être abrogé dans toutes ses dispositions. Il y a dans le décret des dispositions qui n'ont rien de contraire à nos institutions, qui sont parfaitement constitutionnelles.

Qu'y a-t-il, par exemple, d'inconstitutionnel à régler les honneurs que l'on rendra au Roi, aux Chambres, aux corps constitués, aux diverses autorités publiques ? Absolument rien. Mais on peut très bien soutenir qu'une loi qui prescrit au clergé de rendre certains honneurs aux autorités, qui permet au gouvernement de lui donner des ordres, qui prescrit, d'autre part, aux autorités civiles et militaires de rendre certains honneurs au clergé, en leur faisant une obligation de prendre part à des cérémonies religieuses, est une loi qui a cessé d'être en harmonie avec nos institutions politiques. C'est de cette question que nous nous sommes particulièrement occupés.

Les dispositions du décret qui règlent les honneurs à rendre aux autorités civiles et aux autorités militaires doivent subsister. Que signifierait donc votre abrogation dans ses termes généraux ? Un général, un commandant d'armée se rendrait dans une garnison, et il n'y aurait plus d'honneurs à lui rendre en vertu du décret ! Voilà la conséquence à laquelle vous aboutiriez. Ce n'est assurément pas là le but que l'on poursuit.

Il est encore évident qu'il faut conserver les dispositions du décret qui sont relatives aux préséances, et qui déterminent, dans le cas de cérémonies publiques, civiles ou autres, quel est le rang qu'occuperont les diverses autorités constituées. Quelle raison y aurait-il de faire disparaître ces dispositions ? Evidemment aucune.

M. Coomans. - Elles n'ont pas de sanction et il ne faut pas de loi sans sanction.

MfFOµ. - Permettez : vous répondez par une phrase dont s'est servi mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur.

M. Coomans. - Elle est bonne.

MfFOµ. - Sans doute, elle est très bonne. Seulement, vous l'appliquez mal.

La loi est aujourd'hui sans sanction à l'égard du clergé. L'empereur Napoléon, qui a porté le décret, avait des moyens directs ou indirects d'agir sur les membres du clergé qui auraient tenté de désobéir à ses ordres. Or, rien de semblable n'existe en Belgique ; nous n'avons aucune action à exercer contre le clergé s'il veut se soustraire à l'exécution du décret. Mais il n'en est pas de même en ce qui concerne les fonctionnaires publics.

Ceux qui n'observeraient pas les prescriptions du décret pourraient être soumis à des mesures disciplinaires. (Interruption.)

M. Jacobsµ. - Et les conseillers communaux.

M. Coomans. - Et les corps électifs.

MfFOµ. - Il est certain que vous rencontrerez, dans le décret, des dispositions qui, à raison de l'ordre de choses nouveau, résultant de notre organisation politique, ne trouveront plus précisément leur sanction. J'admets qu'il pourrait arriver qu'un conseil communal refusât de se soumettre aux prescriptions du décret, et que nous n'aurions pas le moyen de l'y contraindre.

Mais, avant tout, soyons pratiques. Les faits ne justifient en aucune manière vos appréhensions. On n'a pas éprouvé jusqu'ici le besoin d'édicter des pénalités pour contraindre les élus à prendre leur rang dans les cortèges ou cérémonies publiques. La disposition a donc une sanction suffisante pour garantir son exécution d'une manière générale, et abstraction faite de quelques cas isolés qui pourraient se présenter. Au (page 1091) surplus, si la nécessité en était démontrée, une loi pourrait étendre cette sanction et l'appliquer même aux magistrats, qui pourraient devenir l'objet de certaines mesures disciplinaires. Mais tout cela est inutile. Sauf dans des cas de conflits de préséance, chacun se fait un devoir de respecter des traditions, des convenances sociales, et l'on ne s'abstient pas de suivre les règles tracées par le décret.

Je crois, en résumé, qu'il suffit d'avoir entendu les explications du gouvernement et de connaître ses intentions, qui sont d'ailleurs en harmonie avec celles qui ont été exprimées par la plupart des honorables membres de l'assemblée, pour qu'on puisse clore maintenant cette discussion.

Si une motion était jugée nécessaire, elle ne pourrait avoir d'autre forme que celle-ci : « Entendu les explications du gouvernement, la Chambre passe à l'ordre du jour. »

M. Rogierµ. - Messieurs, si mon honorable ami, M. De Fré, voulait retirer sa motion, après les explications données par M. le ministre des finances, je pourrais m'abstenir de prendre la parole.

M. le président. - Permettez-vous que j'accorde la parole à M. De Fré pour qu'il donne quelques explications relatives à sa motion ?

M. Rogierµ. - Très volontiers.

M. De Fréµ. - Je retire la proposition que j'ai faite tout à l'heure, mais je crois devoir la remplacer par celle-ci :

« Vu la déclaration du gouvernement qui pense que l'intervention de la force armée dans les fêtes et les cérémonies d'un culte n'est plus obligatoire de la part de l'Etat, la Chambre passe à l'ordre du jour. » (A demain ! à demain !)

M. le président. - La Chambre a des travaux importants à terminer et la fin de la session approche. Je crois donc qu'il convient de continuer la séance.

La parole est à M. Rogier.

M. Rogierµ. - Je crois que la motion qui vient d'être formulée vaut mieux que la première. J'engage cependant l'honorable membre à la modifier encore, sinon à la retirer.

Suivant moi, M. De Fré qui se déclare satisfait des explications du gouvernement, aurait dû formuler simplement sa proposition de la façon suivante : « Entendu les explications du gouvernement, la Chambre passe à l'ordre du jour. »

Nous savons tous en quoi consistent les explications du gouvernement.

L'honorable ministre de l'intérieur et son collègue M. le ministre des finances ont déclaré qu'à leurs yeux le décret de messidor n'était plus obligatoire en ce qui concerne la présence des troupes pour les cérémonies religieuses.

J’ai aussi pris acte de cette déclaration. Ce n'est pas cependant que je veuille conseiller au gouvernement de refuser en principe son concours aux cérémonies religieuses.

Je crois, au contraire, que dans un état de choses bien réglé, et lorsque les rapports entre le gouvernement et le clergé sont bons, comme ils devraient toujours l'être, je crois, dis-je, que le gouvernement peut concourir à l'éclat des fêtes religieuses comme à l'éclat des fêtes civiles, mais ce n'est pas une obligation.

Ainsi je repousserai toute espèce de mesure tendant à forcer le gouvernement à faire ces sortes de civilités. Mais je répète que j'approuverais fort le gouvernement qui voudrait concourir à l'éclat des fêtes religieuses comme il concourt à l'éclat des fêtes civiles.

Voilà la déclaration que je tiens à faire.

Toute réserve faite de la liberté réciproque, il peut s'établir entre le gouvernement et le clergé un échange de politesses, un échange d'égards. Nous n'avons pas le droit, par exemple, de demander au clergé de chanter des Te Deum à l'occasion de tel ou tel événement politique. Il prend l'initiative et il chante des Te Deum. Si nous n'interprétons pas de cette manière vis-à-vis de lui le décret de messidor, le clergé n'a pas non plus le droit de requérir le concours des troupes pour les cérémonies religieuses.

Il ne peut plus s'agir aujourd'hui que de politesses réciproques, d'égards réciproques, et à cet échange de bons procédés je ne vois pas d'inconvénients.

L'honorable M. De Fré a atteint son but ; nous sommés d'accord avec le gouvernement. Je crois qu'il fera bien de simplifier encore sa proposition et de la ramener à ce qu'elle peut avoir de pratique et d'utile.

M, de Brouckereµ. - Je crois, messieurs, que l'ordre du jour présenté en premier lieu par l'honorable M. De Fré est retiré et que les honorables MM. Dumortier et d'Hane n'insistent pas sur le leur.

M. Dumortier. - Si ! si !

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je maintiens ma proposition.

M. le président. - MM. Dumortier et d'Hane maintiennent leur ordre du jour, si M. de Fré maintient le sien. Je crois comprendre leur intention en ce sens.

M. de Brouckere. - Eh bien, si ces messieurs maintiennent leurs ordres du jour, on ne saurait assez les combattre. Car c'est une nouvelle manière qu'on vient d'inventer à l'effet de démolir très facilement la législation existante.

M. Dumortier. - C'est ce que vous faites.

M. de Brouckere. - Par un simple ordre du jour, on déclarera abolie telle disposition législative qu'on trouvera bon.

Voyez, messieurs, dans quelle position nous pourrions nous trouver, si l'on votait de simples déclarations. Dans huit jours le Sénat se réunira et le Sénat pourra voter un ordre du jour contraire au nôtre. Par un ordre du jour vous déclarerez que le décret de messidor ou que certaines dispositions du décret de messidor sont abrogés ; demain le Sénat déclarera que ces dispositions ne sont pas abrogées et le gouvernement se trouvera entre ces deux déclarations contraires.

Les lois ne peuvent s'abroger que par le concours des deux Chambres et du pouvoir royal et non par la déclaration d'une seule Chambre»

Messieurs, je crois qu'il y aurait un moyen bien simple de terminer cette discussion, si l'honorable M. De Fré voulait consentir à l'accepter. Selon moi, il n'est pas du tout nécessaire que la Chambre vote un ordre du jour.

L'honorable M. De Fré a fait une proposition ; le gouvernement s'est expliqué sur cette proposition et d'une manière qui. lui convient. Que l'honorable membre déclare qu'après avoir entendu les déclarations du gouvernement, et se trouvant satisfait de ces déclarations, il retire son ordre du jour, et tout sera dit, Mais le vote de la Chambre n'aura pas plus de force que n'en aurait le retrait de la proposition de l'honorable M. De Fré, ainsi expliqué.

Quant à moi, je déclare que je ne voterai aucun ordre du jour.

M. le président. - M. De Fré maintient-il sa proposition ?

M. De Fréµ. - Oui, M. le président.

M. de Theuxµ. - Messieurs, la nouvelle forme de la proposition de l'honorable M, De Fré ne change rie 'au fond. Pour qu’une loi existe ou n'existe pas, il ne suffit pas d'une simple déclaration de ka majorité de la Chambre. Je proteste contre cette nouvelle forme de votation ; elle est, comme je l'ai dit, contraire à la Constitution et à notre règlement.

Par de simples motions vous arriveriez constamment à des surprises en toute espèce de matière, et le gouvernement sera le premier à se repentir d'avoir ouvert cette voie dans le présent et dans le futur. Nous marchons positivement vers l'anarchie dans le parlement.

Pour moi, messieurs, je m'oppose formellement au vote sur cette motion. Les observations que l'honorable M. de Brouckere a faites viennent confirmer les miennes.

Je crois que le gouvernement ferait fort bien, en présence des éventualités qui ne manqueront pas de se produire, à la suite d'un pareil vote, de ne pas se rallier à la proposition de l'honorable M. De Fré.

Le gouvernement s'est expliqué sous sa responsabilité ; quand il prendra des mesures, nous aurons à les examiner. Cela pourra faire l'objet d'une nouvelle discussion plus approfondie. Mais je tiens positivement à la question préalable sur toutes les propositions.

M. le président. - La question préalable est demandée sur toutes les propositions ; aux termes du règlement, la question préalable a la priorité.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - J'ai été, je l'avoue, très étonné d'entendre les paroles de l'honorable M. de Brouckere. L'honorable membre dit que nous avons trouvé un moyen nouveau de démolir la législation. Je renvoie l'argument au ministère et je dis que le gouvernement a trouvé le moyen de démolir la législation sans le concours des Chambres. En effet, le gouvernement se réserve le droit d'interpréter les lois et décrets, de les abroger en telles parties, de les maintenir en d'autres.

Remarquez qu'il n'agit pas seulement ainsi au sujet de la question que soulève le décret de messidor ; il en est de même de la question des cimetières, dont a parlé tantôt l'honorable M. Coomans. Le ministère, très souvent gêné et cherchant peut-être à ménager un peu la chèvre et (page 1093) le chou, finit par laisser aux autorités communales le droit de décider si l'on appliquera ou si l'on n'appliquera pas les décrets et les lois.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est complètement inexact.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je reconnais qu'il faudrait une loi pour abroger d'une manière positive et constitutionnelle le décret de messidor. Mais je pense que si le ministère a le droit de n'exécuter qu'en partie le décret, nous avons le même droit, plus celui d'abroger le tout. C'est là le but de ma proposition.

Remarquez, messieurs, que tantôt M. le ministre de l'intérieur approuvait ce que disait l'honorable M. Dumortier, à propos des difficultés que soulève le règlement au sujet des préséances, et il citait à ce propos ce qui se passe à Bruxelles entre le conseil communal et le tribunal de première instance, qui ne se rendent ni l'un ni l'autre aux cérémonies publiques.

Cet argument est évidemment en ma faveur et non pas en faveur de la thèse de M. le ministre de l'intérieur.

Je déclare donc maintenir ma proposition et je demande que la Chambre déclare que, dans sa pensée, le décret de messidor n'est plus en vigueur en Belgique et qu'elle passe à l'ordre du jour.

MfFOµ. - Messieurs, le langage de l'honorable M. d'Hane révèle de sa part une complète confusion d'idées. Il semble ignorer que c'est le gouvernement qui, constitutionnellement, est chargé de l'exécution des lois.

Comme je l'ai dit tantôt, le droit des membres de la Chambre est de demander au gouvernement : Comment entendez-vous la loi ? En faites-vous, oui ou non, une bonne application ?

Le gouvernement a le devoir de répondre et de faire connaître dans quel sens il croit devoir exécuter les dispositions de la loi.

Vous pouvez combattre son interprétation, l'attaquer lui-même de ce chef, faire des motions contre lui. Mais le droit de la Chambre n'est pas de déclarer que telle loi existe ou n'existe pas, ou bien de l'abroger ou de l'interpréter par voie de résolution.

La Chambre n'est pas chargée de l'exécution des lois. C'est au gouvernement que la Constitution a dévolu cette mission. La Chambre n'y peut intervenir sans violer le principe de la séparation des pouvoirs. La Chambre n'est que l'une des branches du pouvoir législatif ; elle participe à l'élaboration des lois selon des formes déterminées....

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Elle peut formuler son appréciation.

MfFOµ. - Vous ne pouvez formuler votre appréciation que contre le gouvernement, contre le ministre qui exécute la loi ; mais vous ne pouvez employer le mode que vous indiquez, vous ne pouvez déclarer par un simple ordre du jour que des lois sont abrogées.

Cela est hors des pouvoirs constitutionnels de la Chambre. Voilà ce que nous vous contestons. Vous avez une action par le jugement que vous pouvez porter sur les actes du gouvernement ; une action directe par une proposition de loi. .

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Rogierµ. - Si l'honorable M. De Fré veut bien se rallier à ma proposition, voici ce que je propose : « La Chambre, entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »

- Plusieurs membres. - Non ! non ! la question préalable.

- D'autres membres. - Aux voix !

M. De Fréµ. - Il s'agit de savoir si l'on peut soulever la question préalable au sujet de ma proposition.

Ma proposition n'a d'autre objet que de prendre acte de la déclaration du gouvernement. Le gouvernement déclare qu'il entend que l'intervention de la force armée n'est pas obligatoire dans les fêtes et les cérémonies du culte.

Je demande que la Chambre prenne acte de cette déclaration.

Je suppose qu'à ce banc ministériel il y ait d'autres ministres et qu'ils viennent faire une déclaration opposée.

Eh bien, une majorité catholique aurait le droit de combattre ma proposition. Mais ma proposition est en harmonie avec les paroles qui viennent d'être prononcées par l'honorable ministre des finances.

Je me trouve satisfait de ces paroles et je demande que la Chambre en prenne acte.

Je ne demande donc aucune abrogation. Je constate la politique du gouvernement et je demande que la majorité reconnaisse que cette politique n'admet pas d'intervention obligatoire.

L'honorable M. Rogier fait une autre proposition.

M. le président. - La voici.

« La Chambre, entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »

M. De Fréµ. - Par le commentaire que vient de donner à sa proposition l'honorable M. Rogier, il établit une différence énorme entre la politique du gouvernement et celle qu'il voudrait voir dominer en cette matière. Ce motif m'empêche de me rallier à sa proposition.

- La proposition de M. Rogier est appuyée.

M. Dumortier. - Je ne vois pas l'ombre d'une différence entre la dernière proposition de l'honorable M. De Fré et toutes les autres. Il demande que la Chambre prenne acte de la déclaration faite par le gouvernement, que l'article dont il s'agit n'est pas obligatoire, que par conséquent il est abrogé.

La différence qu'il y a entre sa proposition et celle que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, c'est que moi je propose d'abroger ce qui est en réalité abrogé : les honneurs à rendre aux ministres et aux sénateurs.

Eh bien, je demande au gouvernement une explication.

Pense-t-il que les honneurs à rendre aux ministres, aux sénateurs et aux autres autorités, sauf le Roi et les Chambres, soient encore en vigueur ? S'il déclare qu'elles ne sont plus en vigueur, alors il est logique. Mais s'il fait le contraire, il ne l'est pas.

Je vous demande, moi, d'être conséquents, de ne pas abroger seulement ce qui se rapporte au clergé en maintenant ce qui a trait aux ministres et aux sénateurs.

Je dis qu'il faut abroger tout ou laisser les choses comme elles sont. Tout ou rien.

Je maintiens donc que la proposition de l'honorable M. de Fré doit tout aussi bien tomber sous le coup de la question préalable que toutes les autres, et que si vous écartez la question préalable sur sa proposition vous devez l'écarter sur toutes les autres.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la question préalable introduite par l'honorable M. de Theux, comme s’appliquant à toutes les propositions.

- De toutes parts. - La division !

M. le président. - La division est de droit. Je proposerai alors de mettre aux voix, d'abord, là proposition la plus étendue, celle de l'honorable M. d'Hane.

M. Dumortier. - La question préalable ne peut être divisée.

M. le président. - La question préalable peut être l'objet d'une demande de division comme toute autre.

Je crois pouvoir appliquer la division à toutes les propositions et je prends d'abord la plus étendue.

M. Nothomb (sur la position de la question). - C'est une question de bonne foi. L'on nous convie à voter d'abord sur la proposition la plus étendue. Voici quelle serait, dès lors, notre situation. Je suis d'avis ou de voter contre tous les ordres du jour ou de voter la proposition de l'honorable M. d'Hane, c'est-à-dire que je veux la suppression totale du décret de messidor, sauf en ce qui concerne les honneurs à rendre au souverain, ou qu'on n'y touche pas dans le moment actuel.

Or, si je suis obligé de voter la question préalable vis-à-vis de l'ordre du jour de M. d'Hane, je devrai voter contre ma propre opinion.

Je demande donc, comme question de loyauté, que la question préalable porte sur tous les ordres du jour. Mon opinion se résume en ceci : Pas de révision partielle, et le maintien du statu que jusqu'à l'abrogation ou la révision générale.

M. Orts. - Evidemment il s'agit d'une question de bonne foi, à savoir si l'on volera séparément quant à la question préalable comme quant au fond sur chacune des trois propositions. Mais je ferai remarquer que M. Nothomb ne peut pas avoir la prétention de résoudre la question de bonne foi à son profit et de nous rendre victimes par suite de l'appréciation qu'il en fait.

Si l'on vote sur l'ensemble des propositions,, la question préalable, voici la position difficile où je me trouverai à mon tour. Je crois que l'on peut discuter la proposition de M. De Fré, mais je suis convaincu qu'on ne peut pas discuter convenablement la proposition de M. d'Hane ; comment voulez-vous que je fasse si l'on vote sur les trois propositions à la fois ?

Il faut donc diviser.

M. de Theuxµ. - Si vous voulez que chacun puisse voter librement, il faut voter sur la proposition de M. De Fré. (Interruption.) Il est évident que si la question préalable est adoptée sur la proposition de (page 1093) M. De Fré, elle le sera sur toutes. Mais il n'est pas clair que si la question préalable est adoptée sur la proposition de M. d'Hane ou de M. Dumortier, elle le sera sur la proposition de M. De Fré.

MfFOµ. - M. le président a indiqué tout à l'heure l'ordre qui doit être suivi pour le vote ; il vous a dit qu'il fallait se prononcer d'abord sur la proposition la plus étendue. C'est l'ordre rationnel. (Interruption.) On ne veut pas suivre cet ordre. L'honorable M. de Theux nous dit : Votons d'abord sur la proposition de M. De Fré ; si la question préalable est admise pour cette proposition, elle sera par là même admise pour toutes les autres. Cela n'est pas précisément démontré.

M. de Theuxµ. - Si.

MfFOµ. - Mais non. Il y a encore une autre proposition dont on ne parle pas, celle de M. Rogier, et c'est celle-là que, dans votre système, il faut mettre la première aux voix. (Interruption.)

Si vous ne voulez pas voter d'abord sur la proposition la plus large, il faut prendre la plus restreinte, et non pas l'intermédiaire !

- Des voix à droite. - Nous sommes d'accord.

MfFOµ. - Si l'on est d'accord de faire d'abord porter la question préalable sur la proposition de M. Rogier, je n'ai plus rien à dire, si ce n'est que nous avons déclaré nous rallier à cette proposition.

M. le président. - La Chambre entend-elle poser d'abord la question préalable sur la proposition de M. Rogier ?

- De toutes parts. - Oui, oui.

M. le président. - Cette proposition est ainsi conçue :

« La Chambre, entendu les explications du gouvernement, passe à l'ordre du jour. »

- Il est procédé à l'appel nominal.

86 membres y prennent part.

55 répondent non.

30 répondent oui.

1 (M. Dumortier) s'abstient.

La question préalable est écartée.

Ont répondu non ;

MM. Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delaet, De Lexhy, de Macar, de Maere, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Smedt, Dethuin, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Lambert, Lebeau, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Snoy, Tesch, Thienpont, A. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Watteeu, Allard, inspecta» Bara, Bricoult, Broustin, Coremans et Couvreur.

Ont répondu oui :

MM. de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delcour, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, de Zerezo de Tejada, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Mascart, Moncheur, Nothomb, Royer de Behr, Thibaut, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Verwilghen, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans et Dolez.

M. le président. - M. Dumortier est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Dumortier. - Je me suis abstenu parce que je suis l’auteur d'une proposition.

M. le président. - Nous avons à voter maintenant sur la proposition de M. Rogier.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Par suite de ce vote, toutes les autres propositions viennent à tomber.

- La séance est levée à cinq heures trois quarts.