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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 10 avril 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 843) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction du procès-verbal est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« L'administration communale de Matagne-la-Petite prie la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer de Bruxelles à Marbais et à Corbeek-Dyle. »

« Même demande du conseil communal de Tervueren. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.


« Le sieur Fontaine demande le suffrage universel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« Le sieur François Van Praet demande qu'il soit pris des mesures de salubrité en faveur des classes ouvrières. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi sur les fraudes électorales

Rapport de la section centrale

M. Crombez. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les fraudes électorales amendé par le Sénat.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et le projet de loi qu'il concerne mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant quelques dispositions des lois électorales

Discussion des articles

Chapitre premier. Des élections aux Chambres

Article 3

MpVµ. - Nous en sommes arrivés à l'article 3 et aux amendements qui s'y rattachent.

M. Vermeireµ. - J'avais demandé la parole, hier, au moment où M. le ministre des finances communiquait à la Chambre une statistique qui ne me paraissait pas devoir être exacte. Mais comme il est difficile de saisir les chiffres à une première audition, j'ai voulu les mettre en rapport avec d'autres chiffres qui avaient été produits par le gouvernement à d'autres époques.

J'ai regretté que l'exposé de la situation du royaume publié en l'année 1860 n'ait pas donné le même tableau qui a été inséré dans l'exposé de 1850, époque à laquelle la loi sur les boissons alcooliques fonctionnait depuis deux ans.

A cette époque, 1850, le nombre total des électeurs était de 78,228 fr. pour 39 catégories diverses, à commencer, alphabétiquement, par les agents d'affaires, pour finir par les tanneurs.

Les cultivateurs y figuraient pour 23,116 fr. (30.24 p.. c.), les propriétaires pour 4,636 fr. (5.97 p. c.), ensemble 27,772 fr. (36,21 p. c.)

Or, d'après les calculs, fort ingénieux, du reste, auxquels s'est livré M. le ministre des finances, pour la défense de sa cause, le nombre des électeurs propriétaires aurait été, en 1864, de 57,530 ou 55.30 p. c., le nombre total des électeurs étant de 103,717. Cette erreur doit être d'autant plus manifeste que la contribution foncière n'a pas augmenté depuis 1830, tandis que les autres impôts se sont accrus dans une forte mesure depuis cette époque, d'où la conséquence que l'élément cultivateurs-propriétaires entre, pour une part proportionnellement plus réduite, dans le nombre total des électeurs.

Je m'explique. L'erreur que M. le ministre des finances commet s'explique parce que M. le ministre divise les sommes perçues par le nombre des cotes. Or, les cotes ne s'appliquent pas à un individu, mais, souvent, à une famille tout entière, d'où la différence entre le nombre des électeurs et celui des cotes.

L'honorable ministre des finances dit lui-même que les chiffres qu'il a donnés ne sont pas rigoureusement exacts. Il est certain, dit-il, que les électeurs ne sont pas en nombre rigoureusement proportionnel.

Vous voyez donc, messieurs, que le nombre d'électeurs indiqué par M. le ministre des finances n'étant pas rigoureusement exact, il y a beaucoup à rabattre des conséquences qu'il en a déduites.

Maintenant, messieurs, je n'ai pas pu me procurer tous les chiffres pour me faire une idée exacte de l'accroissement du nombre d'électeurs qui sera la conséquence de l'application de la nouvelle loi, mais je trouve que, pour l'armée, par exemple, il y aurait un accroissement de 3,052 électeurs, c'est-à-dire d'autant d'officiers ayant un traitement de plus de 1,500 francs. Le personnel de l'instruction primaire fournirait un contingent de 4,956 électeurs ; tandis qu'aujourd'hui, il y a bien peu d'instituteurs primaires qui soient électeurs.

M. le ministre des finances ne porte qu'à 6,600 électeurs nouveaux l'accroissement du contingent électoral, et d'après l'honorable M. Bouvier, 5,000 de ces électeurs seraient déjà inscrits aujourd'hui ; de sorte que la différence ne serait que de 1,600 francs.

Il est vrai que, dans ce chiffre, ne sont pas compris les jeunes avocats non encore établis, ni un grand nombre de fonctionnaires qui ressortissent à nos divers départements ministériels ; ce nombre, je n'ai pu l'établir, le temps m'ayant manqué pour en rechercher les éléments.

MfFOµ. - Tous les fonctionnaires civils de l'administration générale sont compris dans ce chiffre.

M. Vermeireµ. - Nous ne possédons pas de statistique qui nous renseigne exactement sur ce point ; mais enfin, lorsque je considère l'accroissement général des électeurs qui doit résulter des éléments que je viens d'indiquer, il y aurait une augmentation totale de 9,608 électeurs sur un total de 123,000 que l'on renseigne aujourd'hui.

MfFOµ. - Il y a aujourd'hui 225,000 électeurs pour la commune.

M. Vermeireµ. - Je m'occupe des électeurs pour la Chambre, qui ont été mis en discussion. Je bornerai là, messieurs, mes observations statistiques, ne voulant pas abuser des moments de la Chambre. Mais, puisque j'ai la parole, qu'il me soit permis de dire en peu de mots l'impression pénible que me cause la discussion de ce projet de loi.

Je comprends parfaitement qu'en théorie et dans un pays où le gouvernement a ses racines dans la nation, en qui seule résident constitutionnellement tous les pouvoirs, il est utile, il est nécessaire même d'appeler à la vie politique le plus grand nombre possible de citoyens. Mais il faut cependant que ceux-ci connaissent les pouvoirs qu'on leur confère et les motifs pour lesquels ils sont appelés à les exercer.

Il ne faut pas que, dans l'exercice de ces pouvoirs, ils puissent jamais être guidés par un mobile intéressé. Il ne faut pas surtout, comme le disait naguère un monarque vénéré, un roi dont la mémoire restera chère à tout cœur belge, ami de ses libertés et fier de sa patrie ; il ne faut pas, dis-je, que, par la manière dont l'électorat est pratiqué, un parti politique parvienne à dominer l'autre parti alors que, sans ces moyens, la majorité aurait été déplacée.

(page 844) L'union de tous les Belges, dont parlait hier M. le ministre des finances au début de son discours, pourrait faire défaut, les uns se considérant comme vainqueurs ; les autres, comme vaincus, prêts à prendre leur revanche à la première occasion.

En effet, nous assistons à un spectacle d'autant plus étrange qu'il est plus imprévu.

D'une part, quelques honorables collègues présentent une réforme électorale pour la commune et pour la province.

D'un autre côté, le gouvernement qui, dans le principe, avait cru que cette réforme n'était ni utile, ni urgente, oppose au projet dû à l'initiative de membres de la Chambre un autre projet, dans lequel il propose l'adjonction des fonctionnaires civils et militaires, ainsi que des employés civils privés, jouissant d'un traitement minimum de 1,500 francs ; et dans les documents qu'il nous soumet, il ne dit pas quelle sera l'influence de cette réforme sur le corps électoral.

Or, cette influence, on l'a déjà fait observer, peut être telle, que tandis que la majorité des électeurs provinciaux et communaux appartiendrait à tel parti, la majorité de la législature appartiendrait au parti contraire.

De ce conflit doit naître une opposition entre les divers pouvoirs, ou une modification à la loi fondamentale, si on veut mettre les divers systèmes électoraux en équilibre ou en harmonie entre eux.

Nous le demandons, messieurs, cette opposition entre les lois organisatrices de noire vie politique, cette nécessité d'un changement à la Constitution, dans un moment comme celui que nous traversons, est-elle possible, pour ne pas dire prudente ? Je ne le pense pas.

Je termine par une dernière observation.

Si nous consultons l'histoire politique contemporaine, nous constatons que chaque fois qu'un gouvernement a voulu, au moyen de l'influence de ses fonctionnaires, intervenir dans les affaires politiques intérieures pour en obtenir un résultat conforme à ses désirs, ce résultat lui a presque toujours fait défaut ; et que si les gouvernements persévèrent avec opiniâtreté dans une semblable voie, il éclate des orages qui emportent les gouvernements eux-mêmes et mettent les peuples sous le dur régime du despotisme.

Non, messieurs, il ne faut pas une réforme qui puisse profiter exclusivement ou presque exclusivement à un parti ; il faut qu'elle procure à la généralité, des avantages réels dans une mesure équivalente et juste.

Or la réforme présentée par le gouvernement revêt-elle ce caractère ? Je n'hésite pas à répondre que non.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, il y a un an bientôt que j'ai eu l'honneur d'exposer devant la Chambre mes idées sur la question de la réforme électorale. Je les ai alors formulées dans une proposition dont la destinée a été réellement étrange. A l'époque où elle s'est produite, elle à été accueillie par des sympathies au moins apparentes ; le lendemain, la discussion était interrompue.

Avant qu'elle fût reprise, un débat s'éleva sur la question de savoir quand on y reviendrait ; et dans ce débat, on paraissait attacher à ma proposition une importance immense ; on la jugeait digne de l'attention la plus sérieuse ; on voulait lui faire les honneurs d'un rapport spécial ; à son intention, on demandait le renvoi à la section centrale ; cette demande n'aboutit pas ; la discussion se rouvre, et de ma proposition à peine dit-on encore un mot. Si on la cite, c'est en passant, c'est pour arriver bien vite à un autre sujet.

Vous comprenez, messieurs, que dans de pareilles circonstances, me trouvant placé entre l'abandon de ceux à qui mes idées peuvent être sympathiques et le dédain de ceux qui ne les partagent pas, je ne reprenne pas la parole sans quelque découragement.

Cependant les idées que j'ai exprimées, les propositions que j'ai formulées répondent à des convictions sincères, qui m'imposent le devoir de tenter en leur faveur un nouvel effort.

D'après moi, messieurs, le projet du gouvernement et celui de l'honorable M. Guillery devraient se compléter l'un par l'autre. Leur combinaison pourrait offrir un heureux résultat. Mais, pour cela, l'œuvre gouvernementale devrait subir trois modifications importantes.

En premier lieu, les conditions d'instruction à exiger de l'électeur devraient être mieux précisées.

En second lieu, on ne devrait pas borner la preuve de l'instruction au certificat de fréquentation ; il faudrait admettre la preuve directe par voie d'examen.

Enfin, moyennant la preuve d'une instruction suffisante, il faudrait tout au moins modifier, et d'après moi, il faudrait même supprimer, dans les élections communales et provinciales, cette condition du cens, cette condition inexorable qui, comme je vous l'ai démontré l'année dernière, continuerait à exclure du scrutin l'élite de nos classes ouvrières, que je voudrais, au contraire, y appeler à grands cris.

Pour le cas où je ne pourrais obtenir de la Chambre qu'une modification à la condition du cens, j'ai formulé un amendement subsidiaire. L'idée de cet amendement s'est trouvée reproduite dans une proposition de mon honorable ami, M. Couvreur. Mais, dans cette proposition, l'idée était généralisée ; elle était rendue applicable aux élections législatives.

Si la proposition de l'honorable membre avait dû avoir pour résultat certain en fait d'augmenter le nombre des électeurs, elle aurait incontestablement été préférable à la mienne. Mais si elle devait aboutir à un résultat opposé, et la Chambre paraît l'avoir cru ainsi, la mienne, alors, quoiqu'elle eût l'inconvénient de se restreindre aux élections communales et provinciales, vaut incontestablement mieux.

Ma proposition maintient le droit électoral à celui qui l'exerce actuellement ; elle le confère en outre au sous-locataire et principalement à l'ouvrier sous-locataire, sur lequel l'électeur d'aujourd'hui se rembourse de l'impôt.

Ma proposition respecte les droits acquis. Elle rétablit la justice là où elle est méconnue ; elle aboutit, dans tous les cas, à une augmentation du nombre des électeurs ; avec elle, une diminution est impossible.

Mais les considérations que j'émets en ce moment ne s'appliquent qu'à une proposition subsidiaire.

Je voudrais, messieurs, aller plus loin. Dans les élections communales et provinciales, dans ces élections à propos desquelles, quoi qu'on ait paru dire, la Constitution nous laisse une entière liberté, je voudrais que la preuve d'une instruction suffisante fût admise comme la base unique du droit électoral, que non seulement elle ne fût pas combinée avec le cens, mais qu'elle fût considérée comme pouvant, à elle seule, en représenter l'équivalent. Je voudrais, en un mot, affirmer, dans une loi, les droits de l'intelligence à la direction du pays.

Ce principe, messieurs, n'est pas nouveau ; il est d'origine essentiellement libérale, et quoique le gouvernement s'en défende, je le retrouve, et j'en suis heureux, jusque dans son projet.

Le gouvernement ne veut d'abord que cumuler l'instruction tantôt avec un cens réduit, tantôt avec un cens calculé sur une moyenne. Mais il ne pouvait pas tarder à s'apercevoir qu'il était impossible d'exiger, dans tous les cas, sans injustice, la réunion des deux conditions. J'aurais cru que c'était le moment de proclamer hautement les droits de la capacité.

Pas du tout ; on persiste à vouloir des électeurs censitaires ; on ne veut pas se contenter d'électeurs instruits. Seulement, comme on ne peut pas toujours avoir des censitaires réels, effectifs, dans certaines conditions, on veut bien se contenter de censitaires par hypothèse, de censitaires en vertu d'un impôt, qu'ils pourraient payer s'ils n'en avaient pas été dispensés. Tel est le dernier mot du système du gouvernement ; c'est la nuance qui sépare sa proposition de la mienne.

Je ne veux pas faire ressortir la subtilité de cette fiction ; subtile ou non, elle sert uniquement à mettre mieux en lumière la justice de mon principe ; elle ne peut s'expliquer que par lui.

Si des services spéciaux dispensent certains citoyens de la patente, comme le dit le gouvernement, qu'est-ce donc qui les met à même de rendre ces services si ce n'est leur talent, leur science acquise, en un mot leur capacité ?

C'est par conséquent la capacité seule qui peut expliquer la fiction légale dont le gouvernement veut se servir contre la capacité.

C'est à la capacité que le gouvernement est obligé de remonter, en dernière analyse, pour justifier son œuvre ; seulement il y remonte par étapes successives et par des chemins couverts ; je veux, moi, aller au principe tout droit et au grand jour.

Je ne crois pas avoir à redouter des critiques bien sérieuses contre la portée pratique de la première partie de mon amendement. Elle énumère des catégories assez restreintes, des catégories auxquelles on a quelquefois reproché ironiquement de vouloir constituer une aristocratie lettrée, mais que l'on n'a jamais représentées comme bien dangereuses ; je m'attends, au contraire, à ce que les critiques deviennent plus vives lorsqu'il s'agira de la dernière partie, dans laquelle je demande que le principe soit appliqué avec assez d'ampleur pour en faire sortir non pas seulement une aristocratie lettrée, mais une démocratie sérieusement instruite, une démocratie intelligente et digne.

Pour arriver à ce but, quel est le degré d'instruction qu'il faut exiger (page 845) de l’électeur ? Tel est le problème. L'énoncé est simple, mais la solution est entourée de sérieuses difficultés.

Heureusement, au moment de m'engager dans la route que je me trace, je rencontre un guide ; le gouvernement, qui n'est pas suspect de témérité en cette matière, a indiqué lui-même le degré d'instruction qu'on pouvait raisonnablement exiger.

On doit demander plus que l'instruction primaire inférieure, on ne peut cependant pas aller jusqu'à demander toute l'instruction moyenne proprement dite. Les notions les plus élémentaires ne peuvent pas suffire et cependant il faut s'arrêter à un degré d'instruction auquel tout le monde puisse s'élever.

Voilà les principes du gouvernement. Ce sont ceux que j'ai adoptés.

Seulement, j'ai cherché à les préciser. Qu'ai-je fait pour cela ? J'exige de l'électeur, d'abord la connaissance de l'une des langues parlées dans le pays ; j'exige ensuite de lui la connaissance de la science des nombres. Ce n'est là encore, en résumé, que savoir lire et écrire, mais le savoir d'une manière utile, complète et sérieuse. Ce n'est que posséder les instruments du travail intellectuel.

Cela ne me suffit pas. Je veux de plus qu'il sache s'en servir et qu'il l'ait démontré en s'assimilant une science d'application. Laquelle ? Je mentionne dans ma proposition la géographie et l'histoire, surtout la géographie et l'histoire nationales ; quelquefois on m'a dit que j'aurais mieux fait de parler des éléments du droit constitutionnel.

Si cette rectification pouvait assurer un succès à ma proposition, j'y souscrirais volontiers.

Quel est mon but ? Je veux d'abord constater chez l'électeur la possession des instruments d'un labeur de l'esprit qui puissent être considérés comme sérieux, sans cesser néanmoins d'être élémentaires. Je veux ensuite constater chez lui l'aptitude à s'en servir et je demande qu'elle soit démontrée par l'usage même, comme ce philosophe de l'antiquité démontrait le mouvement en se mettant à marcher.

Je crois faire acte de justice et de sagesse en abaissant, devant celui qui m'offrira ces garanties, les barrières qui le séparent de l'urne électorale.

Voilà, messieurs, dans quelles conditions extrêmement rassurantes je préconise la thèse de la suppression du cens pour les élections communales et provinciales ; mais cette thèse, sans qu'on ait distingué entre les conditions dans lesquelles elle pouvait se produire, a été depuis quinze jours l'objet des critiques ou des appréhensions de tout le monde. Depuis le commencement de notre discussion, elle a été l'occasion d'un long cateant consules qui s'est prolongé sur tous les tons de la gamme, depuis les hésitations mêlées de bienveillance de mon honorable ami M. Funck, jusqu'aux terreurs presque affolées de l'honorable M. Schollaert.

C'est à ma proposition surtout que s'appliquaient toutes ces appréhensions, quoiqu'on lui ait fait rarement l'honneur de la mentionner. C'est à moi surtout qu'on disait : Prenez garde ! vous allez faire de nos lois électorales un assemblage d'éléments contradictoires, qui vont entrer en lutte ; les conseils communaux et provinciaux passeront pour représenter le pays plus directement et plus fidèlement que la Chambre, le prestige de la représentation nationale va s'évanouir ; la révision de la Constitution est imminente ; enfin c'est toujours le dernier et le grand argument, le suffrage universel est aux portes.

Messieurs, il m'est impossible de me laisser aller à ces terreurs. Ma raison me défend de croire à ces luttes qu'on nous présage. La révision de la Constitution est une hypothèse moins redoutable dans mon système que dans tout autre ; et, s'il y a un système qui puisse avoir la prétention d'opposer une barrière infranchissable au suffrage universel tel que nous le redoutons tous, ce système c'est le mien.

Je pouvais concevoir, messieurs, ces craintes de lutte entre des éléments électoraux divers avec les conclusions de l'honorable M. Schollaert ; je les comprenais chez l'honorable orateur, d'après lequel les conseils provinciaux devaient continuer d'être nommés par les électeurs pour les Chambres, d'après lequel aussi il doit en être de même des conseils communaux des grandes villes du pays.

Mais le gouvernement ne partage pas ces terreurs au même degré puisqu'il maintient et défend son projet.

Or, je ne m'adresse, moi, qu'à ceux qui consentent à suivre le gouvernement jusqu'au point où il veut aller. C'est à ceux-là que je dis : Faites avec moi un pas de plus, nous serons sut un terrain plus ferme et meilleur. Quant à convaincre ceux que le gouvernement a dû laisser en arrière, j'y renonce.

Je ne m'adresse donc qu'aux membres de la Chambre que le projet gouvernemental ne fait pas reculer, et à ceux-là seulement je demanda la permission de démontrer que le mien n'est pas plus dangereux, quoiqu'il soit à la fois plus large et plus logique.

Je me demande d'abord pourquoi le dualisme des forces électorales serait plus à redouter dans mon système que dans celui du gouvernement. Il me semble qu'on oublie trop ce qui rapproche et ce qui distingue les deux systèmes. Tous deux exigent de l'électeur la même culture intellectuelle. Mais le gouvernement demande en outre le payement d'un cens, qui ne peut, dans aucun cas, excéder 15 francs. Moyennant cette restriction, il échapperait aux luttes redoutables que mon système devrait préparer.

Si cela est vrai, d'abord dans les grands centres pour tous les censitaires qui vont s'échelonnant depuis le chiffre de 42 francs jusqu'à celui de 15 francs, si cela continue d'être vrai dans les communes moins importantes jusqu'au chiffre de 10 francs et même de 7 francs 50 cent., comment, lorsqu'on entrerait dans la catégorie de citoyens ne payant aucun cens, se trouverait-on tout à coup devant un nombre effroyablement considérable de citoyens, possédant cette culture intellectuelle que, cependant, on déclare très rare chez les petits censitaires ? Et en effet, sur ce dernier point, j'invoque le témoignage du gouvernement lui-même ; il nous disait, il y a peu de jours, que sa réforme électorale était surtout une œuvre d'avenir, qu'elle ne devait pas modifier immédiatement la situation d'une manière sensible, que les conditions d'instruction qu'il exige sont à la portée de tous ou y seront bientôt, mais que tous étaient loin de la posséder dès à présent.

Je me demande pourquoi cette instruction, qu'on prétend être si rare chez les petits censitaires, deviendrait tout à coup très commune lorsqu'on arriverait aux citoyens qui ne payeraient aucun cens. Le fait serait tout à fait inexplicable. S'il était matériellement constaté, il faudrait bien l'admettre ; mais nous n'en avons pas la moindre constatation ; les probabilités sont donc contre lui et par conséquent aussi contre les craintes qu'il pourrait faire naître. Encore ne suffirait-il pas de constater le fait ; pour que les craintes eussent leur raison d'être, il faudrait pouvoir encore supposer, chez cette foule de gens instruits, un sentiment de jalousie et un désir de lutte contre une partie de la société au niveau de laquelle leur instruction les aurait élevés et dans les rangs de laquelle cette instruction les appellerait à vivre.

C'est là encore une supposition toute gratuite et tout à fait injustifiable. Ces horribles mystères auraient bien besoin d'être mieux démontrés pour que je pusse consentir à m'en épouvanter.

Je vais plus loin. Je suppose l'existence de cette foule à la fois instruite et jalouse, que personne n'a jamais vue ; sera-t-elle moins à redouter en dehors du corps électoral que dans le sein de celui-ci ?

Je ne le crois pas. Les manifestations électorales sont paisibles, régulières, elles ne se reproduisent que de loin en loin ; si ces nouveaux électeurs voulaient se substituer tout à coup aux éléments qui fonctionnent aujourd'hui, ils rencontreraient des obstacles partout ; ici ce serait le prestige des positions acquises et dignement occupées, là ce serait la reconnaissance des populations pour les services rendus ; partout enfin leur action électorale serait entravée par des obstacles sans nombre. Au contraire, s'ils restent en dehors du corps électoral et se trouvent froissés de l'exclusion que vous aurez prononcée contre eux, ils peuvent chercher des alliances dans la foule ignorante ; ils peuvent consommer alors la coalition redoutable de la force du nombre et de l'ignorance avec la force de l'intelligence humiliée.

Alors, abusant de nos magnifiques libertés, ils pourront peut-être surexciter les passions et les espérances mauvaises jusqu'à nous obliger à compter avec elles. Et cependant vous ne craignez pas ces résultats et vous avez raison ; c'est qu'en définitive, vous ne croyez, ni au grand nombre ni à la grande influence de ces citoyens instruits et non censitaires.

Mais dès lors aussi vous devez convenir que s'il y peut y avoir justice, il ne peut y avoir danger à les admettre dans les rangs du corps électoral.

On a fait à mes idées un autre reproche ; elles préparent, a-t-on dit, la révision de la Constitution.

Je me demande si en 1848, lorsqu'on a abaissé le cens électoral aux dernières limites constitutionnelles, il s'est trouvé un seul homme politique prévoyant, même un seul homme politique digne de ce nom, qui ait pu croire que l'histoire des franchises électorales était en Belgique définitivement close, que le dernier chapitre en était écrit, qu'il n'y avait plus qu'à mettre au bas le mot « fin » et à fermer le livre. Personne n'a pu le croire.

(page 846) On s'est dit seulement que les concessions étaient larges et pouvaient suffire pour longtemps ; et, en effet, il y a vingt ans de cela, la concession suffit encore et personne dans cette Chambre n'a réclamé la révision de la Constitution dans le but de faire décréter une extension du suffrage en matière législative. Mais quel que doive être le résultat de la discussion actuelle, pouvez-vous répondre que jamais la révision de l’article 47 de la Constitution nt viendra s'imposer comme une nécessité ?

Savez-vous quand cette nécessité se présentera ? Pouvez-vous en découvrir le jour et l'heure précise dans l'avenir ? Evidemment non. Que faut-il faire cependant ? Faut-il se laisser aller au hasard des événements, ou vaut-il mieux préparer un terrain favorable sur lequel la révision pourra s'opérer sans danger le jour où elle sera devenue inévitable, sans toutefois rien faire pour rapprocher ce jour et en formant des vœux pour qu'il arrive le plus tard possible ? Quant à moi, je me range, sans hésiter, à ce dernier parti ; c'est à la fois le plus courageux et le plus sage. Si la révision de l'article 47 devait venir s'imposer un jour sans qu'un terrain favorable fût préalablement disposé, l'épreuve serait très probablement désastreuse. Dans les jours d'agitation, les faits frappent les esprits plus que ne le font les théories. Si le pays dans une pareille situation voit ici un corps électoral, recruté dans des conditions trouvées trop sévères, plus loin un autre corps électoral dans lequel on accepte tous ceux qui ont atteint l'âge de la capacité civile, s'il ne voit nulle part un système intermédiaire et que cependant il condamne le premier système, ce sera pour se jeter dans les bras du second. Il n'aura pas le temps de se recueillir pour méditer sur le mérite d'un système intermédiaire dont la pratique ne lui aurait pas fait préalablement saisir les avantages.

Mais si, au contraire, un système intermédiaire a fonctionné, si surtout ce système intermédiaire est conçu assez largement pour désintéresser dans la question électorale les intelligences qui, en définitive, mènent toujours les masses, alors des chances sérieuses existent pour que les sympathies se tournent vers cette formule de transaction, pour qu'elle soit acceptée, pour que nos institutions conservent leur originalité en se retrempant dans un progrès, pour que nos libertés et notre nationalité sortent plus fortes, plus glorieuses de l'épreuve qu'elles auront traversée.

A un autre point de vue encore, le système que je défends offre une excellente barrière contre le suffrage universel.

Le cens est une présomption de capacité ; mais, comme toute présomption, elle reçoit des démentis dans la pratique. Ces démentis se personnifient dans des hommes, quelquefois dans des censitaires qui ne sont pas à la hauteur de leur mission politique, d'autres fois dans des intelligences brillantes, notoirement brillantes, que les hasards de la fortune éloignent de l'urne électorale.

Le peuple constate ces démentis, qui le frappent bien plus que les conséquences ordinaires du système. Il en reste impressionné : il en fait remonter la responsabilité jusqu'aux institutions mêmes, et il se prend quelquefois ainsi à douter de leur mérite.

Si vous faites de l'instruction la base du droit électoral, vous n'éviterez pas toutes les admissions sujettes à critique, mais au moins vous n'aurez plus à signaler certaines exclusions injustifiables, qui froissent le bon sens populaire. D'ailleurs, la condition de l'instruction sera un appel permanent fait à la dignité populaire ; croyez-vous qu'à cet appel le peuple ne répondra pas ?

J'en suis convaincu, il y répondra ; il voudra y répondre toujours de mieux en mieux ; et les nobles émulations que nous aurons excitées formeront, pour l'avenir de notre pays, la meilleure de toutes les sauvegardes.

Je vous en conjure, messieurs, donnez des droits à l'instruction ; elle seule peut nous sauver du suffrage universel, de celui que vous craignez et que je crains, car, à entendre le mot dans un certain sens, on pourrait dire que ma proposition est un acheminement vers le suffrage universel, et même je ne m'en défends pas, qu'il sera le suffrage universel lui-même le jour où le peuple le voudra.

Si mon système était appliqué d'une manière générale, au lieu de l'être dans les limites restreintes où je vous le propose aujourd'hui, l'ère des réformes électorales par voie législative serait close définitivement : la réforme électorale serait en permanence, elle s'accomplirait pacifiquement, quotidiennement, insensiblement ; elle se réaliserait plus ou moins vite, selon l'intensité des efforts qui seraient déployés au sein des classes inférieures.

Dans cette situation, si un magnifique élan venait s'emparer de la nation tout entière, s'il pouvait descendre jusque dans les dernières couches de la population, si tous, sans exception, voulaient courir à l'instruction sérieusement entendue, dans le désir de s'élancer de là vers l'urne du scrutin, le jour qui verrait cette transformation ne serait pas un jour effrayant, mais serait un jour béni. Nous serions, parmi les peuples, le seul qui aurait le droit de compter dans ses comices les suffrages avec orgueil, parce qu'il n'aurait pas cessé de les peser.

Si cet avenir inspire des craintes à quelques-uns d'entre vous, messieurs, elles ne sauraient m'émouvoir.

Ces terreurs se transforment à mes yeux en autant d'espérances, espérances splendides, auxquelles je ne fais qu'un seul reproche, c'est d'être condamnées à demeurer toujours, dans une certaine mesure, de généreuses illusions et de constituer un idéal dont un peuple peut bien se rapprocher sans cesse, mais qu'il n'atteint jamais complètement.

M. de Haerneµ ; - Je demande à la Chambre quelques instants d'indulgence pour ajouter de nouvelles explications à celles que j'ai données dans la discussion générale, relativement à l'amendement que j'ai présenté en section centrale de concert avec l'honorable M. Nothomb.

Qu'il me soit permis, messieurs, de répondre d'abord deux mots au système qui vient d'être exposé avec talent, et avec le sentiment d'un véritable patriotisme, par l'honorable préopinant.

L'amendement que défend l'honorable M. Van Humbeeck tend, en principe, à admettre comme seule base de l'électoral l'instruction, une instruction dont il nous donne le programme, mais sans entrer toutefois dans les détails. Ainsi, il parle de la connaissance d'une des langues parlées dans le pays, de l'arithmétique, des éléments de la géographie et de l'histoire. Mais ce sont là des sciences assez étendues et pour pouvoir se faire une idée exacte à cet égard, il faudrait bien indiquer dans quelles limites on admettrait la connaissance de ces branches d'instruction.

L'examen qu'on exigerait, aux termes de l'amendement, créerait de très grandes difficultés. Mais, messieurs, je ne suis pas de ceux qui craignent, comme l'honorable M. Van Humbeeck semble le croire, que son amendement ouvre trop large aux nouveaux électeurs la porte de l'électorat. Je crois, au contraire, que l'amendement de l'honorable membre a le défaut que je reproche également au système du gouvernement, savoir d'être, à certains égards, trop restrictif ; je crois que ce système est contraire aux vœux du pays, en ce sens qu'il n'étend pas assez le droit de suffrage et qu'il en prive notamment, par un examen compliqué, une certaine classe de citoyens qui, selon moi, sont parfaitement dignes d'arriver à l'électorat ; je veux parler de la petite bourgeoisie ; je veux parler des travailleurs honnêtes qui ont une certaine instruction, une instruction ordinaire acquise à l'école primaire, mais qui cependant ne seraient pas capables de subir un examen tel que celui auquel l'honorable membre voudrait les soumettre, particulièrement sur la géographie et l'histoire.

On peut avoir acquis par exception certaines connaissances dans ces deux branches à l'école primaire, sans être capable de subir un examen sur ces matières. Ce qui n'empêche pas qu'avec cette instruction élémentaire on ait pu se développer au point de se rendre compte, par les journaux, des qualités requises dans le candidat pour qui l'on veut voter. Je trouve un grand défaut dans l'épreuve de l'examen. Mais il y a un autre point de vue auquel je dois me placer pour répondre à l'honorable membre.

D'abord, je dirai que nous avons cru qu'il fallait combiner l'instruction primaire avec le cens, et cela pour rester fidèle à la tradition, aux usages établis actuellement et à l'esprit de nos lois. Je ne puis donc admettre la partie de l'amendement qui supprime la condition du cens.

La Constitution n'a pas tranché la question ; elle n'a pas établi comme règle que le cens doit être la seule condition, du moins pour les élections communales et provinciales. Je crois que, sous ce rapport, la Constitution nous a laissé une entière liberté, et la preuve, c'est que la capacité a été admise jusqu'en 1836 pour la commune et pour la province.

Si les législatures de 1831 à 1836, qui comptaient dans leur sein beaucoup d'anciens membres du Congrès, avaient cru que le principe, admis alors, était contraire à la Constitution, elles se seraient empressées de l'abroger. L'instruction a été acceptée partiellement jusqu'en 1836 pour les élections communales et provinciales ; on n'a donc pas cru que ce principe fût contraire à la Constitution, mais on n'a pas cru non plus que ce fût une condition essentielle. On peut donc l'admettre ; mais la question est de savoir s'il faut l'admettre seule dans certains cas, comme le propose l'honorable préopinant.

(page 847) Messieurs, je crois que l'instruction peut être utilement combinée avec le cens pour la commune et pour la province. Mais ce serait forcer les choses et aller à rencontre de l'esprit de la Constitution que d'étendre ce principe aux élections pour les Chambres.

Cela serait d'ailleurs inutile, car si les électeurs à la commune et à la province possèdent l'instruction primaire, ceux qui seront appelés à voter pour les Chambres la posséderont aussi, à fort peu d'exceptions près, exceptions dont on ne doit pas s'occuper dans une loi électorale. J'admettrais même ces derniers électeurs à voter à la province et à la commune, à raison du cens plus élevé qu'ils payent. Mais pourquoi convient-il de combiner le cens avec l'instruction primaire dans les limites de notre amendement ? Voici, messieurs, les raisons sur lesquelles je m'appuie.

Il est trois grandes forces sociales, dont il faut tenir compte dans une loi aussi importante que celle dont nous nous occupons en ce moment : je veux parler de la propriété, de la liberté et de l'instruction.

Ce sont trois forces immenses dans les sociétés modernes. Il faut tâcher de les coordonner, de les mettre en harmonie dans une loi organique et qui est l'application directe, immédiate du principe constitutionnel. Par l'amendement que j'ai défendu en section centrale, nous avons cherché à combiner, dans une proportion convenable, ces trois grandes forces morales ; nous rendons hommage à la propriété, en maintenant le cens ; nous rendons hommage à la liberté, en abaissant le cens, et à l'instruction, en demandant, à côté de la réduction du cens, la production d'un certificat de fréquentation d'une école primaire pendant trois ans, à partir de 1870. Voyons d'abord ce qui concerne l'instruction primaire, que nous opposons à l'instruction moyenne réclamée par le projet du ministère.

Messieurs, lorsque j'ai entendu l'honorable ministre de l'intérieur défendre le système du gouvernement dans une séance précédente, il m'a semblé qu'il se rapprochait de notre opinion ; qu'il faisait une large concession, en admettant, parmi les écoles moyennes dont il est question dans le projet ministériel, les écoles d'adultes et que par là il était prêt à ouvrir les portes de l'école primaire proprement dite aux électeurs payant un cens réduit.

Je le répète, M. le ministre de l'intérieur me semblait, par là, se rapprocher beaucoup de notre système, en ce que l'école d'adultes est généralement primaire.

Ce n'est pas à dire que je puisse admettre le système du gouvernement. Je crois qu'il y a, quant aux écoles d'adultes, une fiction assez dangereuse dans l'application. En effet, il ne faut pas se faire illusion : les écoles d'adultes, quoi qu'on fasse, auront toujours pour objet presque unique l'instruction primaire. Si quelques élèves dépassent la limite de l'enseignement primaire, ils font exception, et une exception très rare.

Vous comprenez dès lors que, pour appliquer le système du gouvernement aux écoles d'adultes, vous courez risque d'entrer dans un dédale inextricable et d'ouvrir la porte à beaucoup d'abus.

En effet, lorsqu'on aura fréquenté une école d'adultes pendant trois ans, par exemple, il sera souvent fort difficile de constater jusqu'à quel point on aura suivi d'autres branches que celles de l'instruction primaire ; et si l'on n'a pas suivi d'autres cours que ceux de l'instruction primaire, c'est comme si l'on admettait, en définitive, les écoles primaires mêmes, dans le sens de notre amendement.

Je suis donc fondé à dire qu'en principe on entre par là dans le système que nous défendons ; mais qu'on n'y entre pas franchement, et c'est pour cela que je ne puis me rallier à la proposition du gouvernement sur ce point.

Je disais que généralement les écoles d'adultes ne s'occupent et ne peuvent s'occuper utilement que d’instruction primaire.

Voyez ce qui se passe, à cet égard, à l'étranger. En Allemagne, les écoles d'adultes dépassent un peu cette ligne pour quelques élèves exceptionnels ; mais pour la grande masse, il ne s'agit que du programme de l'instruction primaire.

Ces écoles s'ouvrent pour les jeunes gens qui n'ont pas fréquenté les écoles primaires, ou qui n'y ont pas séjourné assez longtemps, ou qui n'y ont pas fait des progrès suffisants, ou qui ont oublié ce qu'il y ont appris.

Mais il est une autre difficulté que j'aurai l'honneur de signaler à l'attention de l'honorable ministre de l'intérieur : c'est que, pour organiser l’enseignement moyen dans les écoles d'adultes, non seulement on ne trouvera guère d'élèves, surtout dans les petites villes et à la campagne ; mais on aura beaucoup de peine à trouver des professeurs : c'est ce qui a été constaté en Angleterre.

Ce fait est constaté dans un rapport fait en 1860 par M. Fraser, membre de la commission d'éducation, qui dit que, sur 121 écoles d'adultes qu'il a visitées, il n'y en a qu'une seule où l'on enseigne les branches de l'enseignement moyen, et il ajoute que, pour avoir quelques professeurs de ces branches pour les écoles d'adultes, on devrait, dans certaines villes et dans les grands bourgs, diviser l'école primaire en deux sections, de manière qu'on ne donnerait leçon à l'école primaire que le matin pendant la moitié de l'année, pour mettre les instituteurs pendant ce temps à la disposition des élèves de l'école d'adultes dans l'après-dînée.

On nuit par là à l'école primaire. C'est donc un très mauvais système. C'est un essai qu'on a voulu faire, et sous ce rapport, il a été constaté par les inspecteurs et par l'autorité compétente, que l'école d'adultes ne pourra jamais donner les résultats de l'école moyenne.

Maintenant, pour ce qui regarde les écoles d'enseignement moyen, je trouve aussi un très grand inconvénient dans l'application. Les écoles d'instruction moyenne ont un programme assez étendu. Ce programme comprend, outre la langue française, et, selon les localités, la langue flamande, l'arithmétique, l'histoire, la géographie, l'algèbre, la géométrie plane et celle des corps ronds, l'histoire naturelle, la tenue des livres en partie double.

Eh bien, puisque M. le ministre de l'intérieur a bien voulu m'attribuer quelque expérience dans cette matière, dans des termes trop flatteurs pour moi, je ferai observer que la grande majorité des élèves des écoles moyennes, après trois ans d'études, ne sont pas à même de répondre sur les branches dont il s'agit. Voilà la vérité. S'il est quelques élèves qui, au bout de trois ans, sont en état de répondre sur ce programme, ce sont des exceptions.

La plupart des élèves qu'on rencontre dans les écoles moyennes sont des jeunes gens qui n'ont pu réussir dans les collèges ; ils vont à l'école moyenne, ou, comme on dit, aux cours industriels. C'est le nom qu'on donne ordinairement à ces écoles moyennes qui sont détachées du collège ; on n'y reçoit beaucoup d'élèves faibles, et qui sont souvent, comme on les appelle, des fruits secs sortis du collège.

Il y a, sans doute, quelques élèves plus avancés dans l'école moyenne ; mais ce sont des exceptions et ce n'est pas pour des exceptions qu'on fait des lois. Je mets en fait que les bons élèves des écoles primaires valent bien, après avoir achevé leurs cours, la plupart de ceux qui ont passé, de la manière dont je viens de parler, trois ans à l'école moyenne. Encore une fois, on revient à l'instruction primaire.

Ainsi, messieurs, pour ces divers motifs, je ne puis pas admettre la base du projet du gouvernement.

Dans la discussion générale, j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de la Chambre sur le système des catégories de capacités établi par le gouvernement, et de lui dire que ce système avait fonctionné en France à partir de 1830, au moins en partie ; mais que jamais l'on ne s'est contenté des catégories de capacités qui avaient été accordées. Toujours on a réclamé de nouvelles catégories pour la jouissance du droit de suffrage ; toujours de nouvelles capacités se sont présentées et une formidable opposition s'est formée contre le gouvernement, de manière qu'en 1848 on a eu le suffrage universel à la suite des désastres qui sont connus.

La révolution était une véritable réaction contre le système antiréformiste soutenu par le gouvernement de Louis-Philippe. Les capacités privilégiées étaient une des bases sur lesquelles s'appuyait ce gouvernement. Ainsi donc, par réaction, comme j'ai eu l'honneur de le dire dans la discussion générale, on est arrivé au suffrage universel.

Messieurs, dans ces sortes de matières, il faut procéder, non pas par catégories, par système de privilèges ; car, quoi qu'on en dise, c'est un système de privilèges que celui que proposa le gouvernement ; mais on doit procéder d'une manière générale, établir une règle uniforme et, de cette manière, appeler autant qu'il est possible, et dans les limites de l'ordre et de la justice, le plus grand nombre d'électeurs dans les comices, surtout à cause des besoins nouveaux qui se font sentir dans le pays.

Il est vrai, messieurs, qu'on a, en Angleterre, quelque chose de semblable au système du gouvernement. M. le ministre des finances fait un signe d'assentiment. Mais ce n'est pas une raison pour que j'accepte le système du gouvernement.

Je vais avoir l'honneur d'établir d'abord la similitude entre le système du gouvernement et celui qui est proposé par lord Derby ; ensuite la différence essentielle qu'il y a entre les deux systèmes et qui motive mon opposition à celui du gouvernement.

Vous avez en effet des catégories d'instruction sous la dénomination de franchise de l'éducation.

(page 848) Là figurent, comme dans le projet du gouvernement, des élèves qui ont subi un examen dans certaines écoles moyennes agrégées aux universités, les avocats, les ministres des cultes, les magistrats, les notaires, les instituteurs primaires et les médecins. Telles sont les catégories admises, dans le projet de lord Derby au droit de voie, à titre de franchise d'instruction ou d'éducation.

MfFOµ. -Cela a toujours figuré dans le système électoral anglais.

M. de Haerneµ. - Je le sais, mais il y a un élargissement considérable.

M. Hymans. -M. Jacobs a dit qu'on les excluait.

MfFOµ. - M. Jacobs s'est trompé.

M. de Haerneµ. - M. Jacobs a parlé du système de lord Gladstone.

Je parle du système de lord Derby, et j'admets que ce système existe déjà en principe en Angleterre ; c'est précisément pour cela que je crois qu'il est bon d'appeler l'attention de la Chambre et du pays sur ce système, parce qu'il me semble qu'on a voulu l'imiter dans le projet du gouvernement. Or, je trouve que l'imitation est malheureuse et je vais vous dire pourquoi.

Je n'entends pas faire au gouvernement un reproche de cette imitation, mais je vais faire voir que le point de vue anglais est tout différent du point de vue belge et que par conséquent nous ne pouvons pas entrer dans cette voie d'imitation.

Le système du gouvernement est tellement calqué sur le système anglais, par rapport aux capacités privilégiées, qu'il en est comme la copie. Mais la grande différence, la voici : c'est qu'en Angleterre tout est catégorie ; dans les diverses divisions qui sont mises en avant pour les élections, on procède constamment par catégories.

Vous avez la catégorie des bourgs ; vous avez la catégorie des comtés ; vous avez la catégorie de la franchise pécuniaire, comme on dit, et qui comprend non seulement les taxes, mais qui comprend aussi un dépôt de 1,250 fr., soit à la caisse d'épargne, soit à la Banque d'Angleterre. On est électeur à ces conditions. Je supprime beaucoup de distinctions de détails ou les catégories subsidiaires.

Voilà toutes catégories. Il n'est pas étonnant après cela qu'on introduise, à côté de ces catégories, une autre catégorie, qui représente l'instruction. On est conséquent, parce que tout le système repose sur cette base.

L'Angleterre, sous ce rapport, est un pays tout différent du nôtre. Vous le savez, messieurs, l'Angleterre est un pays admirable sous le rapport de la liberté, mais ce n'est pas le pays de l'égalité. La France a peu de libertés, mais c'est le pays de l'égalité. La Belgique est tout à la fois le pays de l'égalité et de la liberté.

- Plusieurs membres. - Voilà la question !

M. de Haerneµ. - Telle est la différence entre la Belgique d'un côté, la France et l'Angleterre de l'autre.

Messieurs, je suis loin de critiquer ce système pour l'Angleterre, car il est rationnel encore sous un autre rapport. Non seulement l'intelligence, les capacités, proprement dites sont représentées dans les élections, mais elles le sont spécialement au parlement, parce que vous avez des universités qui ont le droit d'envoyer un ou plusieurs de leurs membres à la chambre des communes.

Lord Derby vient d'y associer l'université de Londres qui, par le projet que le cabinet actuel propose, aura un siège au parlement. Or, les élections pour les universités se font, non de la manière ordinaire, mais encore une fois par catégorie, par les agrégés des universités, les fellows, etc., qui ne doivent avoir aucune autre condition que leur titre universitaire pour voter dans ces sortes d'élections.

J'ajouterai qu'avec le demi-million d'électeurs nouveaux de toutes espèces, qui sont admis par le bill proposé, les capacités spéciales sont noyées en quelque sorte dans la masse, et ne figurent que comme des minorités peu importantes.

Ainsi vous voyez que c'est un système tout différent dans sa généralité, et par conséquent lorsque, dans le système anglais, on parle de capacités privilégiées, on est conséquent avec le principe général, avec le principe fondamental du système électoral. Mais ce n'est pas là le cac pour nous. Le système du gouvernement ressemble un peu aussi, quant aux catégories privilégiées, à celui qui est adopté pour les villes dans la Prusse orientale. Mais je ne veux pas entrer dans ces détails ; cette Comparaison serait inutile, parce que, là, il ne s'agit pas de capacités.

Ainsi donc, messieurs, lorsque nous avons soutenu la condition de savoir lire et écrire ou de produire un certificat de fréquentation sérieuse de l'école primaire pendant trois ans, nous n'ayons pas voulu établir ici condition de capacité proprement dite dans le cens du gouvernement.

Cette proposition, vous le savez, messieurs, est à l'abri de tout reproche, quoi qu'on ait insinué à cet égard, au point de vue de l'esprit de parti. Le principe, comme vous le savez, émane de notre collègue, l'honorable M. Orts ; ensuite, il a été repris par notre collègue, l'honorable M. Guillery. Nous sommes venus, l'honorable M. Nothomb et moi, en section centrale, appuyer cette proposition et la modifier tant soit peu, afin de la rendre plus acceptable, d après l'opinion qui nous paraissait dominante.

L'honorable ministre des finances paraît s'inscrire en faux contre mon allégation, quant à l'absence d'esprit de parti.

MfFOµ. - Pardon. Vous dites que vous avez modifié tant soit peu la proposition qui concerne la condition de savoir lire et écrire ; c'est sur ces mots « tant soit peu » que portait mon interruption.

M. de Haerneµ. - Je ne dis pas que je ne ferais pas un pas en avant pour me rapprocher de la proposition de M. Guillery..

MfFOµ. - Vous devez faire pour cela un pas en arrière.

M. de Haerneµ. - Soit, mais ce que nous voulons, c'est de rendre hommage à l'instruction primaire, c'est de donner des garanties à la société par l'instruction primaire, et à cette garantie d'instruction nous ajoutons le cens, qui est aussi une garantie.

Il est vrai, messieurs, que nous rendons, par là, l'enseignement primaire moralement obligatoire ; si je repousse l'obligation matérielle et directe avec l'amende et la prison, système contraire à nos mœurs, je crois que l'obligation morale et indirecte est salutaire et n'offre aucun inconvénient. D'ailleurs, cela se pratique tous les jours en Belgique par l'influence des autorités civiles et des autorités ecclésiastiques. Ainsi, on refuse des secours aux parents qui n'envoient pas leurs enfants à l'école. C'est une faveur qu'on leur retire.

Eh bien, nous proposons de retirer la faveur de l'électorat à ceux qui n'ont pas voulu profiter de l'enseignement donné dans le pays. Cela n'a rien de contraire aux mœurs, aux habitudes des Belges en général ni à la liberté bien comprise.

Nous voulons encourager l'enseignement primaire et relever le niveau intellectuel des classes inférieures. Comme j'ai eu l'honneur de le dire d'après un orateur américain, M. Creswell, « le scrutin est un éducateur, » il donne au peuple l'occasion de s'instruire, c'est un aiguillon, un stimulant.

Le peuple, appelé aux comices, cherche à s'instruire, afin de se mettre au courant de la politique et de pouvoir choisir de bons représentants. Voilà comment le scrutin contribue à l'éducation, de même que l'éducation contribue à rendre les élections plus dignes.

Il est bien entendu que nous ne demandons la condition d'avoir reçu l'instruction primaire dans les limites indiquées, que pour les élections communales et provinciales.

Messieurs, j'ai fait précédemment une observation à laquelle je crois devoir ajouter un mot. Nous voyons dans la condition de l'instruction primaire un obstacle à l'invasion du suffrage universel, dont on a parlé si souvent. J'ai cité des autorités américaines qui disent que dans les grandes villes et dans les pays montueux les deux tiers de la population des quartiers habités par les classes ignorantes et vicieuses seraient écartées du scrutin par l'instruction primaire. Il en serait ainsi, à plus forte raison, en Belgique ; car on ne dira pas que l'instruction primaire est plus développée chez nous qu'aux Etats-Unis.

Ce que nous proposons est donc un frein au suffrage universel et en même temps un correctif, comme j'ai eu l'honneur de le dire dans la discussion générale, en ce sens que ceux qui deviennent capables d'exercer le droit électoral présentent d'autant moins de danger qu'ils ont reçu à l'école l'instruction morale, l'instruction civile et l'instruction religieuse.

Nous voulons aussi, messieurs, que le peuple, comme l'a dit un brillant orateur, dans une séance précédente, nous voulons aussi que le peuple s'élève à la hauteur du suffrage, par son travail, par sa moralité, par son patriotisme ; mais nous voulons quelque chose de plus : pour que le peuple puisse s'élever plus facilement, nous voulons descendre jusqu'à lui en abaissant le cens et en le poussant par l'instruction dans la voie du progrès. C'est un encouragement que nous voulons donner aux classes laborieuses ; car l'espoir de jouir des droits politiques sera un stimulant qui les portera à rechercher l'instruction. On en a eu l'expérience en Amérique : Vous savez, messieurs, que, depuis la fin de la (page 849) guerre, de grands efforts ont été faits par le gouvernement fédéral et par les sociétés particulières, afin d'organiser l'instruction primaire dans le Sud.

Eh bien, la classe affranchie a répondu à ces efforts au delà de tout attente, et cela en vue de la jouissance des droits civils et du droit électoral en particulier. Il y a un véritable enthousiasme sous ce rapport dans la classe émancipée. C'est à tel point qu'un officier se trouvant en discussion avec un partisan de l'ancien état de choses, lui dit : Il vous serait plus difficile de résister à l'alphabet qu'il ne l'a été d'arrêter la marche de Grant, de Sherman et de Sheridan !

Il y a en ce moment déjà plus de 125,000 élèves de couleur dans 1,200 écoles organisées parmi les affranchis des Etats du Sud. Ce sont là de magnifiques résultats. Cette population, par l'appât de la jouissance des droits civils, se distingue à tel point, qu'elle l'emporte parfois sur les blancs pauvres dans l'école. Je lis dans un rapport récent que les noirs font rougir, à l'école, certains blancs.

C'est là, il faut le reconnaître, un grand résultat et nous ne devons pas négliger un tel moyen d'émulation et de véritable civilisation pour le peuple.

Voilà dans quelle vue nous avons formulé notre amendement. Nous avons fixé le cens à 10 francs pour les communes de 2,000 âmes et au-dessous, et à 15 francs pour les communes de plus de 2,000 âmes.

Nous avons proposé 15 francs pour la province ; mais je me rallie à l'opinion exprimée par l'honorable M. Nothomb dans la lettre qu'il a adressée dernièrement au bureau de la Chambre, et dans laquelle il dit qu'il accepterait, par transaction, le chiffre de 25 fr. pour la province.

Je souscris à cette proposition d'autant plus volontiers que je remarque que j'ai, sur ce point, l'assentiment d'un bon nombre de mes honorables amis.

Ce que nous voulons donc, messieurs, c'est de concilier les divers principes dont je parlais tout à l'heure, les grandes forces sociales : la propriété, la liberté, l'instruction ; de les coordonner, de les mettre en harmonie dans l'exercice du droit électoral, en demandant ainsi aux classes inférieures, non pas une instruction, une capacité proprement dite, mais une initiation à la vie politique, un moyen d'acquérir l'instruction nécessaire pour monter plus haut dans l'échelle sociale. En un mot, c'est une espèce de baptême intellectuel qui, joint au cens réduit, donne, selon nous, à la société toutes les garanties désirables d'esprit d'ordre et de patriotisme de la part de ceux qui sont appelés à l'exercice du droit électoral.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Coomans. - Messieurs, j'énoncerai, en peu de mots, les motifs qui ont dicté mon amendement, dont je dois d'abord préciser exactement la portée

Je me suis placé au point de vue du système du ministère. Je vais vous démontrer que mon amendement doit être adopté par le ministère... (interruption)... si le ministère veut bien être logique, ce que je ne garantis pas d'avance.

Je propose que tout Belge, milicien, remplacé ou exonéré, jouisse du droit de suffrage à la commune et à la province, s'il remplit, d'ailleurs, la condition générale exposée dans le système du gouvernement, à savoir la fréquentation, pendant trois ans, d'une école moyenne ou d'un établissement équivalent.

L'idée fondamentale du projet du ministère est d'élever à la dignité d'électeur les Belges instruits qui ont rendu, qui sont censés avoir rendu ou qui peuvent rendre plus tard certains services à l'Etat. C'est à ce point de vue que l'article 3 a été rédigé.

On a été dans la voie de ce raisonnement jusqu'à conclure qu'il fallait inscrire l'avocat sur les listes électorales, non pas à titre de capacité, mais parce qu'il peut quelquefois être assumé d'office pour plaider en faveur des pauvres. On prétend aussi que tous les fonctionnaires qui reçoivent au moins 1,500 fr. doivent être électeurs à cause des services qu'ils ont rendus ou qu'ils peuvent rendre plus tard à l'Etat.

Or, je viens vous recommander les plus estimables de tous les fonctionnaires belges, d'autant plus estimables qu'ils offrent cette triste singularité d'être : 1° des fonctionnaires forcés qui n'ont pas l'autorisation de donner leur démission ; 2° des fonctionnaires non rétribués, en quoi ils se distinguent encore beaucoup de toutes les autres catégories de fonctionnaires de l'Etat ; 3° des fonctionnaires qui payent le plus lourd de tous les impôts.

Je ne parle pas seulement ici, en ce qui concerne l'impôt, des miliciens qui ont achevé leur temps de service ; je parle aussi des remplacés et des exonérés qui ont dû donner à perpétuité au gouvernement une somme de 1,000 à 1,500 fr.

Le remplacé, l'exonéré a dû fournir un soldat à la nation ; de ce chef il a dû s'imposer un sacrifice de 1,000 à 1,500 fr. qui bientôt, je le crains fort, deviendra plus considérable encore. A 5 p. c, ne fût-ce que 1,000 fr., voilà 50 fr. d'impôt par an payés par le remplacé à perpétuité, un capital à fonds perdu.

Le milicien pauvre qui n'a pas pu payer cet impôt à perpétuité, qui a dû le payer en nature sous forme da corvée, a donné une valeur équivalente à plusieurs milliers de francs, valeur dont il ne sera jamais remboursé.

Messieurs, lorsqu'on inscrit sur les listes électorales de petits fonctionnaires qui ne payent pas de patente, qui sont payés par le gouvernement, pourquoi ne pas y inscrire tant d'autres fonctionnaires dont les mérites sont bien plus grands à tous les points de vue, dont les services, avouons-le, sont plus considérables ?

Je ne puis pas comprendre qu'on refuse au milicien lettré - remarquez que j'accepte la condition - une faveur accordée à une foule d'autres citoyens belges qui y ont beaucoup plus de droits. Vous faites électeurs des citoyens dont tout le mérite consiste à payer annuellement une somme de 15 à 42 fr. à l'Etat, somme dont la plupart ont soin de se faire rembourser par le public. Vous considérez cet acte de verser dans le trésor de l'Etat une somme de 15 francs comme tellement méritoire, que le droit de suffrage politique y est attaché.

Eh bien, je vous le demande, est-il possible de déclarer que nos soldats instruits, les plus instruits, ceux qui auront fréquenté pendant trois années un cours d'établissement moyen ou quelque école équivalente, seront exclus des comices, alors que beaucoup d'autres citoyens, qui payent un impôt beaucoup moindre et dont la capacité n'est pas plus forte, y sont admis ? Ce serait une inconséquence qu'il serait très dangereux de consacrer dans la loi.

Certes je n'aurais eu garde de présenter mon amendement, si le système du cens avait été maintenu, mais quand le gouvernement lui-même renonce au cens, ce dont je ne lui fais pas un grief pour ce qui me concerne, il doit alors se placer au point de vue de la justice distributive, et inscrire sur les listes électorales les citoyens belges qui ont le plus de droits d'y figurer. Du reste, les miliciens ou les remplacés à qui l'on accordera le droit de suffrage se trouveront encore dans une condition inférieure à celle des privilégiés du cabinet, puisqu'ils ne pourront exercer leur droit qu'après trois ou quatre années et alors qu'ils auront satisfait aux lois de milice soit directement, soit par fondés de pouvoir.

Messieurs, quoique je n'aie demandé la parole que pour vous présenter ces quelques motifs de mon amendement, je ne veux pas me rasseoir sans faire une ou deux remarques très sommaires sur les chiffres que l'honorable ministre des finances nous a soumis hier.

Je ne veux pas examiner ces chiffres à fond, je les tiens pour vrais, j'ai besoin de les tenir pour vrais ; j'y ai intérêt et j'affirme qu'ils prouvent parfaitement ce que j'ai eu l'honneur d'affirmer plusieurs fois dans cette enceinte, à savoir que l'élément des cabaretiers...

- Voix nombreuses à gauche. - Encore !

M. Coomans. -Oui, encore, et plus vous vous opposerez à ce que j'y revienne, plus j'y reviendrai. C'est le fond de notre système électoral. (Interruption.) Il serait un peu fort que les membres du parti ministériel me défendissent d'examiner des chiffres produits par le ministre...

M. de Moorµ. - Nous ne vous défendons rien.

M. Coomans. - Eh bien, je dis que ces chiffres prouvent ce que j'ai avancé maintes fois dans cette Chambre, à savoir, que l'élément cabaretier existe dans le corps électoral en proportions fort exagérées. Je vais vous le démontrer, et je désire que l'honorable ministre me réponde, s'il le peut ou s'il l'ose.

Les chiffres sont donc vrais ; eh bien, il en résulta que 55 millions d'impôts directs donnent 103,000 ou 105,000 électeurs.

MfFOµ. - Non.

M. Coomans. - Voulez-vous rectifier ?

MfFOµ. - Il n'y a pas 55 millions d'impôts directs.

M. Coomans. - Oh ! pardon, j'ai voulu dire 35 millions. Donc 35 millions d'impôt direct créent 103,000 ou 105,000 électeurs. Or, 18 millions et quelques centaines de mille francs d'impôt foncier donnent environ 57,000 électeurs, l'impôt personnel en crée dans la même mesure. Eh bien, je pose une simple règle de trois et je dis : L'impôt foncier donne autant d'électeurs, l'impôt personnel autant, la patente autant, combien d'électeurs devrait produire la taxe sur le débit des boissons distillées ?

(page 850) Or, en acceptant non seulement la base de l'honorable ministre, qui se compose de chiffres, mais même son raisonnement, il faut que le nombre des cabaretiers, dans le corps électoral, ne dépasse pas le chiffre de 3,700. En effet, si 35 millions d'impôts directs donnent 103,000 ou 105,000 électeurs, 1,300,000 francs, montant de la taxe sur les boissons distillées, vous donnent 3,700 électeurs. C'est bien là la conséquence des calculs de l'honorable ministre des finances.

MfFOµ. - Pas du tout.

M. Coomans. - Pas du tout, vous ne me réfuterez pas sérieusement. (Interruption.) Il se peut que je me sois mal exprimé puisque l'honorable ministre des finances ne me comprend pas. Je repose donc ma règle de trois : 35 millions d'impôt direct donnent 105,000 électeurs ; si la proportion entre l'impôt et l'électoral est exacte, et l'honorable ministre a soutenu hier qu'elle l'était ou doit l'être, il faut donc que 1,300,000 fr., produit de la taxe sur les boissons distillées, ne donnent que 3,700 électeurs. Or, l'honorable ministre nous a déclaré, et cela est encore parfaitement vrai, qu'il y a 12,000 électeurs cabaretiers qui ne figurent dans le corps électoral pour les Chambres qu'à raison du droit sur le débit de boissons. (Interruption.)

Il y a plus de 12,000 électeurs cabaretiers sur 105,000, il y en a 17,000 ou 18,000, mais il est précieux de constater que sur ces 18,000 électeurs cabaretiers, il y en a 12,000 qui ne sont électeurs qu'à cause de la patente supplémentaire des cabarectiers. Or, cette, patente supplémentaire ne donne que 1,300,000 fr. ; donc, pour 1,300,000 fr., vous faites 12,000 électeurs, tandis que pour 35 millions de francs vous ne faites que 105,000 électeurs.

Ceci, je le dis en confiance, ceci me paraît irréfutable et je saurai grand gré à l'un ou l'autre membre de cette Chambre, de quelque côté qu'il siège, de me prouver que cette anomalie, à mon avis scandaleuse, ne souille pas la législation de mon pays.

Un mot encore, messieurs, sur une catégorie de citoyens belges que je regrette fort de ne pas voir figurer parmi les privilégiés du ministère ; je veux parler des contre-maîtres de fabrique, des chefs d'atelier.

Sur cent contre-maîtres et chefs d'atelier, c'est à peine s'il y en a un seul qui ait fait trois années d'études moyennes. Ce sont, pour la plupart, des ouvriers honnêtes et surtout très intelligents, qui se sont formés la main et l'esprit dès leur jeunesse et qui, au moyen de beaucoup d'ordre et d'autres vertus, sont parvenus au poste honorable de chef de fabrique ou de contre-maître. Pour ma part, j'ai connu des contre-maîtres et des chefs de fabrique qui gagnaient jusqu'à 3,000 francs par an et qui avaient à peine fait une année d'école primaire.

Or, ces estimables citoyens, qui offrent toutes les conditions nécessaires selon vous, c'est-à-dire, la capacité et la fortune, puisqu'ils ont 2,000 à 3,000 francs de traitement, ces estimables citoyens-là sont exclus des comices. J'ai eu pendant longtemps, comme chef d'imprimerie, un homme fort intelligent qui gagnait 3,000 francs chez moi seul et qui n'avait été que six mois à l'école. Eh bien, messieurs, dès qu'on admet le système des capacités, système que je suis loin d'approuver en principe, je crois qu'il serait beaucoup plus sage d'adopter le système de l'honorable M. Van Humbeeck, qui est à la fois plus juste et plus logique que celui du gouvernement.

- L'amendement de M. Coomans est appuyé.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- La clôture de la discussion est prononcée.

MpVµ. - Un nouvel amendement est parvenu au bureau ; c'est une modification à l'article premier de l'amendement de MM. Nothomb et de Haerne, modification ainsi conçue :

« Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale, sont électeurs provinciaux ceux qui versent au trésor de l'Etat, de la province ou de la commune en contributions directes, patentes comprises, la somme de 25 fr. (au lieu de 15 fr.). »


MpVµ. - D'après l'ordre adopté par la Chambre, le premier amendement à soumettre au vote est celui de M. Van Humbeeck ; il est ainsi conçu :

« Par dérogation aux articles 1er n°3 de la loi électorale, et 7 n°3 de la loi communale, sont électeurs provinciaux et communaux, sans aucune condition de cens, ceux qui possèdent l'instruction jugée suffisante par la loi, c'est-à-dire la connaissance de la langue française, flamande ou allemande, de l'arithmétique et des éléments de la géographie et de l'histoire, surtout de la géographie et de l'histoire nationales

« Sont considérés comme possédant cette instruction

« l° Les personnes énumérées par l'articler premier et par l'article 2, n°2 à 6, de la loi du 15 mai 1838 sur le jury ;

« 2° Les personnes qui, sans être comprises dans lesdites énumérations, sont cependant munies d'un diplôme ou brevet de capacité, délivré en vertu des lois par une autorité compétente et supposant une connaissance au moins aussi étendue que celle dont mention est faite dans le premier paragraphe du présent article ;

« 3° Les employés privés jouissant de 1,500 francs d'appointements et patentés comme tels depuis deux ans au moins ; les fonctionnaires et employés de l'Etat, de la province, de la commune et des établissements publics, qui en dépendent, jouissant du même chiffre d'appointements ;

« 4° Ceux qui justifient qu'ils ont suivi, pendant trois ans, ou plus, les cours d'un établissement d'enseignement public ou privé, dont le programme comprend au moins les matières indiquées dans le paragraphe premier ci-dessus ;

« 5° Les porteurs d'un certificat d'instruction délivré par l'une des commissions cantonales dont il sera parlé ci-après. »

M. Van Humbeeck. - J'ai une légère rectification à faire au texte du n°1° ; au lieu de : « les personnes énumérées par l'article premier et par l'article 2, n°2 à 6 de la loi du 15 mai 1838 sur le jury », il faut lire : « les personnes énumérées par l'article premier et par l'article 2, n" 2 à 5, etc. »

Je demande maintenant qu'il soit procédé au vote par division, c'est-à-dire par alinéa.

MpVµ. - Je vais donc mettre aux voix le paragraphe premier.

M. Van Humbeeck - Le paragraphe premier tend à consacrer un principe dont les applications sont énoncées dans les paragraphes suivants. Je crois qu'il conviendrait de voter d'abord sur les cas d'application et de voter sur le principe ensuite. (Interruption.)

MpVµ. - Du moment que la division est demandée, il faut voter paragraphe par paragraphe.

Je vais donc mettre aux voix le paragraphe premier.

M. Funckµ. - Il me paraît impossible de voter sur l'ensemble du paragraphe premier ; ce paragraphe, en effet, comprend d'abord l'abolition du cens et il comprend ensuite des garanties de capacité. Or, on peut très bien admettre, par exemple, les garanties de capacité proposées par l'honorable M. Van Humbeeck sans admettre l'abolition du cens.

M. Coomans. - Pour agir clairement et loyalement il y a ici une question de principe à poser. Quel est le fond de l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck ? C'est la suppression du cens.

M. Vleminckxµ. - Avec la preuve de la capacité.

M. Coomans. - Je crois que nous ne serons pas embarrassés. Quant à moi, je ne le serai pas du tout ; car je voterai le principe de l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck : l'honorable membre demande la suppression du cens ; eh bien, menons aux voix la question de savoir si le cens sera maintenu ou non.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, je veux la suppression du cens pour les catégories que j'ai indiquées dans ma proposition. Si tout le monde était de mon avis, je pense qu'il faudrait procéder comme vient de l'indiquer l'honorable M. Coomans ; mais il y a des membres qui sont d'avis de voter en faveur de deux ou trois catégories, sans admettre les autres catégories. Je demande donc qu'on divise le vote ; qu'on se prononce d'abord sur les cas d'application et alors qu'on mette aux voix la question de principe.

MfFOµ. - Messieurs, je ne pense pas que l'on puisse adopter la marche indiquée par l'honorable M. Van Humbeeck. Sa proposition est un système complet ; il y a donc lieu de se prononcer d'abord sur le premier paragraphe de la proposition de l'honorable membre.

MpVµ. - Je mets aux voix le premier paragraphe de la proposition de M. Van Humbeeck.

- Ce paragraphe n'est pas adopté.

MpVµ. - En présence de ce vote, il n'y a pas lieu de mettre aux voix le restant de la proposition de M. Van Humbeeck.


MpVµ. - Vient maintenant, dans l'ordre indiqué par la Chambre, l'amendement de MM. de Haerne et Nothomb..

Cet amendement est ainsi conçu :

« Art. 1er. Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale, sont électeurs provinciaux ceux qui versent au trésor de l'Etat, de la province ou de la commune, en contributions directes, patentes comprises, la somme de 15 francs.

« Art. 2. Par dérogation au n°3 de l'article 7 de la loi communale, sont électeurs communaux ceux qui versent au trésor de l'Etat, de la (page 851) province ou de la commune, en contributions directe, patentes comprises :

« a. Dans les communes au dessus de 2,000 habitants la somme de 15 francs.

« b. Dans les communes de 2,000 habitants et au-dessous la somme de 10 francs.

« Art. 3. A dater de 1870, nul électeur nouveau ne sera inscrit sur la liste électorale, s'il ne justifie qu'il sait lire et écrire.

« Art. 4. Cette justification se fera par l'intéressé, au moment de la formation de la liste, par la production d'un certificat de fréquentation, pendant trois années au moins et avec fruit, d'un établissement d'enseignement primaire, public ou privé.

« Ce certificat sera délivré lors de la sortie de l'établissement.

« Le double en sera conservé dans un registre tenu ad hoc dans l'établissement.

« Art. 5. A défaut de production de ce certificat, l'intéressé pourra, sur sa demande, subir une épreuve devant une commission composée d'un membre du collège échevinal de sa commune, de l'inspecteur cantonal de l’enseignement primaire et d'un membre de la députation permanente provinciale, lequel présidera.

« Les frais sont à la charge de l'Etat. »

M. Delaetµ. - Je demande la parole sur l'ordre de vote.

Je crois que nous sommes devant deux projets parfaitement indépendants l’un de l'autre, le projet du gouvernement, auquel se rattachent l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck avec quelques autres, et le projet de l'honorable M. Guillery, qui en est tout à fait séparé. Or, c'est au projet de l'honorable M, Guillery et non pas au projet du gouvernement que se rattache l'amendement des honorables MM. de Haerne et Nothomb. Comment voulez-vous faire voter sur l'amendement des honorables MM. de Haerne et Nothomb avant qu'on ait voté sur le projet du gouvernement ? C'est contraire au règlement. (Interruption.)

C'est évident.

MfFOµ. - Messieurs, je crois qu'il est évident pour tout le monde que l'ordre des votes qui a été indiqué dans la séance du 3 avril, est l'ordre naturel, logique et réglementaire, le seul par conséquent que nous puissions adopter.

D'après cela, qu'y a-t-il à faire ? c'est de voter d'abord sur la condition de savoir lire et écrire, exigée en 1870 ; puis, si cette disposition n'est pas adoptée, on votera sur la condition de savoir lire et écrire, exigée immédiatement ; viendra ensuite la condition du cens, qui est elle-même subordonnée à la première condition.

M. Guillery. - M. le ministre des finances a parfaitement reconnu qu'il n'y a pas eu de décision ; il fait appel à l'ordre logique ; mais la Chambre n'a pas pris de décision. Lorsque l'honorable M. Hymans a fait sa proposition, M. le ministre des finances a fait la sienne ; j'ai dit que puisqu'une s'agissait que d'un ordre de discussion, je ne faisais pas d'observations.

Maintenant, quand la discussion a été ouverte dans la séance d'hier, M. le président a dit : Nous sommes arrivés à l'article 3 ; le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

MM. les ministres de l'intérieur et des finances ont fait des observations et M. le président reprend la parole en ces termes :

« La discussion est ouverte sur le texte du gouvernement et sur les amendements qui s'y rattachent. »

M. de Theux prend alors la parole.

Ainsi la discussion a été ouverte sur l'article 3 du gouvernement et sur les divers amendements qui s'y rattachent et la discussion n'a pas été ouverte sur ma proposition.

Il y a deux propositions principales, ainsi que le disait l'honorable M. Dumortier, dans une précédente séance. Je n'ai pas insisté sur ce point, à cette époque ; il paraissait tout naturel que la proposition émanée de l'initiative parlementaire fût mise sur le même pied que la proposition émanée de l'initiative gouvernementale.

Il y a donc deux propositions principales complètement indépendantes l'une de l'autre ; la plus ancienne même est celle que j'ai faite. La Chambre devait ouvrir la discussion sur l'une et l'autre proposition.

En fait, la discussion est ouverte sur le projet du gouvernement dont deux articles ont déjà été adoptés ; à l'article 3, la discussion a été ouverte sur le projet du gouvernement et les divers amendements qui s'y rattachent. Ma proposition n'a donc pas été mise en discussion ; et si un membre l'avait discutée, M. le président aurait dû le rappeler à la question.

Dès lors, puisque la discussion a été close sur l'article 3 du projet du gouvernement et sur les divers amendements qui s'y rattachent, la Chambre, si elle n'adopte ni l'un ou l'autre des amendements, ni l'article 3 du projet du gouvernement, ouvrira alors la discussion sur ma proposition dont les articles n'ont pas encore fait l'objet d'un débat. (Interruption.)

Des murmures ne sont pas des raisons. J'émets une opinion ; je la, motive ; je la justifie par des arguments ; il ne s'agit pas de faire ici ce qui peut être agréable ; il s'agit de faire ce qui est de droit, ce qui est juste. Lorsque la Chambre est arrivée à l'article 3, on aurait pu demander que la discussion s'ouvrît à la fois et sur la proposition du gouvernement et sur la mienne ; mais on ne l'a pas fait ; la discussion a été ouverte sur le projet du gouvernement et non pas sur ma proposition.

MfFOµ. - Messieurs, je ne comprends pas bien le but que veut atteindre l'honorable membre. Supposons, pour un instant, que la Chambre soit en ce moment régulièrement saisie de deux projets distincts. Par quel projet faudrait-il commencer ?

Supposons, pour un instant, que cela soit exact, qu'arriverait-il ? C'est que, évidemment, il faudrait toujours voter d'abord sur la proposition de l'honorable membre ; c'est par là qu'il faudrait nécessairement, commencer.

M. Delaetµ. - Ce n'est pas un amendement. C'est le projet du gouvernement qui est un amendement.

MfFOµ. - Le projet du gouvernement n'est pas un amendement ; c'est une proposition due à l'initiative du gouvernement, faite régulièrement en vertu du droit constitutionnel qui appartient au Roi.

M. Coomans. - Et l'autre a été faite en vertu de l'initiative parlementaire. Elle a été examinée dans les sections.

MfFOµ. - Permettez ! L'honorable M. Guillery ayant déposé sa proposition, le gouvernement a annoncé qu'il avait le projet de soumettre à la Chambre des propositions relatives à la réforme électorale. A la suite de cette déclaration, l'examen de la proposition de l'honorable membre a été ajourné. Les propositions du gouvernement ayant été formulées et déposées sur le bureau, le tout, c'est-à-dire les deux propositions, ont été renvoyées en section pour être examinées simultanément.

Voilà quelle a été la résolution de la Chambre, et c'est le point de départ de la question actuelle.

M. Guillery. - C'est exact.

MfFOµ. - L'honorable M. Guillery reconnaît que le fait est exact. Mais en voici la conséquence : c'est qu'aux termes du règlement, il y a eu un rapport de section centrale, qui a écarté la proposition de M. Guillery et approuvé celle du gouvernement, sauf quelques modifications, et ce rapport indique, d'une manière formelle, quel est l'objet en délibération. Aux termes de l'article 39 du règlement, la discussion qui suit le rapport de la section centrale ou de la commission est divisée en deux débats : la discussion générale et celle des articles. Ce qui a précédé la discussion, c'est le rapport fait sur les deux propositions en même temps, et la section centrale ayant admis les propositions du gouvernement et rejeté celles de M. Guillery, il n'y a pas d'autre proposition, à l'heure qu'il est, que celle qui a été formulée dans le rapport. (Interruption.)

M. Coomans. - C'est la confiscation de l'initiative parlementaire.

MfFOµ. - Cela ne confisque rien du tout ; et je m'étonne que vous m'interrompiez, vous qui avez soutenu cette même thèse en invoquant les articles 39 et 41 du règlement, lorsque j'ai indiqué l'ordre des votes.

M. Coomans. - Du tout, c'était une autre question.

MfFOµ. - Vous avez soutenu la même thèse en combattant la proposition de l'honorable M. Hymans. Tâchez donc de ne pas changer d'avis.

Vous prétendez que le droit de M. Guillery sera éludé ; mais il ne le sera pas le moins du monde. M. Guillery pourra parfaitement remettre sa proposition en délibération s'il le juge convenable. S'il lui convient de faire rouvrir une discussion spéciale sur cette proposition, il le pourra certainement.

Qu'est-ce d'ailleurs, en réalité, que cette proposition ? C'est, sinon par la forme, tout au moins par le fond, un véritable amendement au projet du gouvernement, (Interruption.)

(page 852) Mais il est évident que cette proposition se trouve directement opposée à la proposition du gouvernement,

Il est impossible qu'il en soit autrement, et je reviens encore à ce que je disais tout à l'heure ; qu'en supposant que l'on se mette en dehors du règlement, ce qui n'est pas possible, ce que la Chambre ne fera pas, et ce qu'elle ne saurait pas faire, en admettant donc que l'on soit en présence de deux propositions parallèles sur lesquelles on serait appelé à voter, n'est-il pas incontestable qu'il faudrait d'abord se prononcer sur la proposition de l'honorable M. Guillery ? Pourquoi ? Parce qu'elle renferme les dispositions qui s'éloignent le plus des autres projets en présence, et que, pour laisser toute liberté au vote, il faudrait nécessairement donner la priorité à cette proposition. Vous le voyez, messieurs, sous quelque point de vue que l’on examine la question, on est, par la force de la situation, ramené toujours à la même solution, qui est en effet la seule pratique et rationnelle.

Ce qui distingue la proposition de l'honorable M. Guillery de celle du gouvernement, c'est le point de savoir si l'on exigera seulement de l'électeur la condition de savoir lire et écrire, ou bien la fréquentation pendant trois ans d'une école moyenne.

L'honorable M. Guillery proposant seulement la condition de savoir lire et écrire, il faudrait mettre cette condition aux voix avant la condition plus étendue de la fréquentation d'une école moyenne. Car, je ne suppose pas un seul instant que l'honorable M. Guillery, auteur de la proposition, n’admettait pas la condition des trois années d’étude moyennes, si l'on rejetait sa proposition relative à la condition de sa voir lire et écrire. Or, il ne peut pas entrer dans son esprit de vouloir qu'on rejette une proposition qu'il admettrait éventuellement, uniquement pour le plaisir de la voir échouer. Je ne puis supposer une pareille tactique.

Au surplus, ce serait contraire au règlement et je réclame formellement l'application des articles 39 et 41, qui sont positifs.

M. Dumortier. - Je ne comprends pas comment il est possible de vouloir ainsi écarter la proposition de l'honorable M. Guillery.

MfFOµ. - Je n'écarte rien du tout.

M. Dumortier. - Je ne comprends pas comment il est possible d’écarter ainsi les observations que vient de faire l'honorable M. Guillery et sa proposition. C'est la confiscation du droit d'initiative parlementaire.

Que nous dit M. le ministre des finances ? Vous êtes saisis régulièrement d'un projet de loi, émané d'un membre, en vertu de son initiative constitutionnelle et, par conséquent, ce projet doit être considéré comme la question principale. M. le ministre perd de vue que si la Constitution a autorisé la royauté, a autorisé la couronne à prendre ici l'initiative des lois, la même Constitution laisse à chacun de nous la même initiative.

Nous sommes, à cet égard, précisément sur le même pied que la couronne. Chacun de nous peut prendre l'initiative d'un projet de loi, aux termes de la Constitution.

Or, qui a pris ici l'initiative ? Mais c'est évidemment l'honorable M. Guillery. Le gouvernement n'est arrivé que parce que l'honorable M. Guillery avait proposé un projet de loi, de manière que réellement la question principale est la question présentée par l'honorable M. Guillery.

II s'agit ici d'une question d'initiative, et vouloir ainsi confisquer l'initiative parlementaire, c'est par trop fort !

Quant à moi, qui tiens avant tout aux droits du parlement, bien que je ne sois pas favorable à la proposition de l'honorable M. Guillery, je dois dire que nous devons conserver, avant tout, notre prérogative dans son intégrité. Il s'agit d'une question de prérogative constitutionnelle pour laquelle nous ne pouvons pas reculer.

Mais, dit M. le ministre, il y a quelques jours, on a décidé l'ordre des votes. Pas du tout, et l'honorable M. Guillery l'a dit avec infiniment de raison, on n'a pas décidé l'ordre des votes, on a décidé l'ordre de la discussion ; j'ai pris moi-même part à cette discussion et une réserve formelle a été faite quant à l'ordre des voles.

On invoque les articles du règlement. Mais ici encore l'article du règlement doit prendre son explication dans la manière dont les questions ont été introduites dans la Chambre. Sans doute, les amendements doivent être mis aux voix avant la question principale. Mais la proposition principale est celle présentée par l'honorable M. Guillery, et la proposition du gouvernement forme amendement. C'est le gouvernement qui est venu amender la proposition de l'honorable M. Guillery.

Je ne conçois donc pas comment il est possible de vouloir ainsi faire disparaître un projet tout entier, sans le discuter, sans l'examiner. Tout en appuyant donc ce qu'a dit tout à l'heure l'honorable M. Guillery, sur la manière dont la discussion des articles a été ouverte, je ne pense pas que la question puisse offrir le moindre doute.

Maintenant que vous dit M. le ministre des finances ?

Mais, dit-il, les deux propositions ont été renvoyées en sections et la section centrale a fait un rapport ; elle a adopté le projet du gouvernement. Je demande, messieurs, ce que cela signifie. Est-ce qu'il n'arrive pas à chaque instant qu'une section centrale, écartant un projet, le remplace par un autre, et en ce cas le premier projet n'est-il pas discuté simultanément avec celui que la section centrale y a substitué ? Cela est conforme à l'article 38, qui porte :

« Si la Chambre décide qu'elle prend la proposition en considération, cette proposition est renvoyée à une commission ou à chacune des sections, qui la discutent et en font rapport. »

Eh bien, messieurs, c'est ce qui a eu lieu et dès lors la proposition de M. Guillery reste entière et il est impossible d'en faire un amendement au projet du gouvernement.

M. Guillery. - Je vous avoue, messieurs, que je suis véritablement stupéfait de voir défendre un système qui a besoin de s'étayer sur ce que ma proposition serait un amendement. (Interruption.)

M. le ministre des finances a dit que ma proposition devenait un amendement.

MfFOµ. - Je dis que, dût-on considérer la proposition de M. Guillery comme principale, dans l'ordre des votes, elle devrait être considérée comme amendement, et être mise aux voix avant le projet du gouvernement. C'est là l'ordre logique, et tout à la fois l'ordre du bon sens et du règlement.

M. Guillery. - L'honorable ministre des finances s'appuie sur l'article 39 du règlement, qui porte :

« La discussion qui suivra le rapport de la section centrale ou de la commission est divisée en deux débats : la discussion générale et celle des articles. »

Je demande quel rapport a cet article avec le sujet qui nous occupe ?

Je fais une proposition, elle est prise en considération, la Chambre la renvoie aux sections ; un honorable membre se lève pour demander que l'examen en sections commence ; M. le ministre de l'intérieur déclare que le gouvernement a à faire une contre-proposition ; et ma proposition deviendrait un amendement à cette contre-proposition ? C'est le renversement de tous les principes. La proposition principale reste toujours la proposition principale, il est impossible que vous en fassiez un amendement.

Maintenant on dit que la section centrale n'a pas adopté ma proposition et qu'elle a adopté le projet du gouvernement ; que, par conséquent, c'est le projet du gouvernement qui devient la proposition principale. Mais les sections et la section centrale ne peuvent pas faire que la proposition principale ne reste pas la proposition principale. Toutes les sections et la section centrale auraient rejeté les deux projets, qu'ils n'en seraient pas moins revenus devant la Chambre sur le même pied de deux propositions principales.

On dit que ma proposition est plus radicale que celle du gouvernement ; qu'est-ce que cela fait ? L'honorable rapporteur de la section centrale a dit que la proposition du gouvernement est plus radicale que la mienne, mais qu'importe que l'une soit plus radicale que l'autre ? Je dis qu'il y a deux propositions principales ; la Chambre pouvait discuter l'une ou l'autre et voici ce qu'elle a fait.

La discussion générale a été ouverte sur les deux propositions, cette discussion a été complète. La discussion des articles a été ensuite ouverte sur l'article premier, puis sur l'article 2 et enfin sur l'article 3 et les amendements qui s'y rattachent, mais la discussion n'a pas été ouverte sur ma proposition. Ma proposition a été comprise dans la discussion générale, mais il n'en a pas été question dans la discussion des articles. On s'est occupé de la proposition du gouvernement, de l'amendement de M. Van Humbeeck, mais on ne s'est pas occupé de la mienne ; elle n'a pas été mise en discussion.

M. de Brouckere. - Messieurs, il n'est question ni d'escamoter ni de confisquer la prérogative des membres de la Chambre ; personne de nous ne veut porter la moindre atteinte à cette prérogative et chacun de nous a intérêt à ce qu'elle reste intacte et soit respectée en toute circonstance. Il n'est pas même question de mettre la proposition de M. Guillery dans une position d'infériorité vis-à-vis du projet du gouvernement. Voici comment la question se présente : chaque fois que l'on ouvre une discussion dans laquelle sont engagées plusieurs propositions (page 853) ou plusieurs amendements, on commence par décider sur laquelle de ces propositions la discussion se basera et alors toutes les autres propositions sont considérées comme amendements.

Le gouvernement présente un projet de loi, ce projet est modifié par la section centrale. La discussion s'ouvre, et M. le président demande : la Chambre entend-elle ouvrir la discussion sur le projet du gouvernement ou sur le projet de la section centrale ? La Chambre décide que la discussion s'ouvre sur le projet de la section centrale et dès lors le projet du gouvernement et toutes les autres propositions sont considérés comme amendement. La priorité ne fait donc rien à la chose, puisque, dans beaucoup de cas, le gouvernement ayant la priorité de la présentation d'un projet de loi, ce projet est cependant considéré comme amendement se rattachant au projet de la section centrale, considéré comme proposition principale.

Qu'cst-il arrivé dans la discussion qui nous occupe ? Elle a si bien été ouverte sur le projet du gouvernement, que la Chambre a déjà voté deux articles de ce projet. Nous arrivons au troisième, nous allons faire pour le troisième comme nous avons fait pour les deux premiers, nous commencerons par voter sur toutes les propositions présentées par les membres de la Chambre ou par la section centrale et se rattachant à cet article 3, et nous finirons par l'article 3 du projet du gouvernement. Il est impossible d'agir autrement.

L'honorable M. Guillery propose ceci : Vous allez vous prononcer sur tous les amendements, sur le projet du gouvernement, puis sur le projet de la section centrale ; si le projet de loi de la section centrale passe, le mien tombe de lui-même. Pourquoi M. Guillery ne veut-il pas donner à son projet l'honneur d'un vote ? (Interruption.)

Je parle de la manière la plus conforme, non seulement au règlement, mais à l'ordre que nous avons invariablement suivi.

Si nous suivions l'idée de l'honorable M. Guillery, nous voterions donc les amendements et puis le projet du gouvernement.

Si le projet du gouvernement est adopté, le projet de l'honorable M. Guillery n'aura pas même eu l'honneur d'un vote, et comme me le dit l'honorable M. Dolez, elle n'aura pas même eu l'honneur d'une discussion, puisque l'honorable M. Guillery dit qu'elle n'a pas été discutée.

Nous voterions donc le projet du gouvernement avant d'avoir entendu les développements de sa proposition. C'est là ce qui serait le mépris de la prérogative parlementaire.

M. Guillery. - C'est en ne discutant pas mon projet qu'on le respectera.

MfFOµ. - Discutons-le.

M. de Brouckere. - Je vais donner une satisfaction à l'honorable M. Guillery.

Je le répète, j'ai parlé d'une manière conforme au règlement et conforme aux usages qui ont été invariablement suivis dans cette Chambre depuis qu'elle existe.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. de Brouckere. - Il résulte de ce qu'a dit l'honorable M. Guillery, qu'il n'a pas pris part à la discussion puisqu'il a pensé qu'après le vote que nous allons émettre il y aurait une nouvelle discussion sur sa proposition.

Si l'honorable M. Guillery s'est abstenu de demander la parole parce qu'il avait cette opinion, je suis le premier à demander qu'on rouvre la discussion et qu'on donne la parole à l'honorable M. Guillery, pour qu'il nous fournisse les explications qu'il croira utiles sur sa proposition avant qu'on la mette aux voix.

Je demande donc que la parole soit donné à l'honorable M. Guillery pour qu'il explique la proposition qu'il a présentée.

M. de Theuxµ. - Messieurs, il ne s'agit réellement ici que d'une question de fait.

L'initiative de la réforme électorale a été prise par l'honorable M. Guillery. C'est un fait incontestable. Toutes les autres propositions ne peuvent être considérées que comme amendements à la proposition principale et l'on ne peut priver l'honorable M. Guillery du bénéfice de la proposition principale due à son initiative que de son consentement.

M. Coomans. - Quand un membre de cette Chambre, usant de son initiative constitutionnelle, dépose une proposition de loi qui a suivi toute la filière réglementaire, il y a droit acquis pour lui, il a droit au vote de la Chambre.

M. Allard. - On est d'accord.

M. Coomans. - L'article 34 du règlement distingue ce que l'honorable ministre des finances ne distingue pas, les propositions et les amendements.

L'article 34 du règlement dit : « Chaque membre a le droit de faire des propositions et de présenter des amendements. »

Il y a donc une différence entre une proposition et un amendement, et l'honorable ministre se trompe quand il dit que la proposition de l'honorable M. Guillery a été transformée en amendement. Personne n'a le droit de transformer une proposition en amendement.

Mais, dit l'honorable M. de Brouckere, à chaque instant il arrive qu'on donne la priorité au projet de la section centrale plutôt qu'à celui du gouvernement. Oui, mais alors qu'il y a consentement de la part du ministère.

Or, le consentement du principal intéressé manque dans l'espèce.

Je ne comprends pas l'accusation que m'a lancée tout à l'heure l'honorable ministre d'avoir interprété de deux manières différentes l'article 39 du règlement. Il n'en est rien. J'ai lu, l'autre jour, l'article 39 pour faire observer qu'il y avait une discussion sur les articles après la discussion générale. C'est ce que demande l'honorable M. Guillery. Il peut invoquer l'article 39 du règlement plutôt que l'honorable ministre.

Je prétends que le mode de procéder que le gouvernement nous conseille est tout bonnement la confiscation du droit d'initiative.

Chaque fois que l'un de nous formulera un projet de loi qui aura eu l'honneur d'être discuté par les sections et par la section centrale, il suffira au gouvernement de venir y coudre une modification quelconque pour transformer cette proposition en amendement et pour en escamoter le vote.

Cela n'est pas possible.

Par conséquent, il faut que la proposition de l'honorable M. Guillery soit discutée à part et qu'il y ait un vote à part.

Quand même le projet du gouvernement serait voté, il faudrait encore que la Chambre se prononçât sur celui de l'honorable M. Guillery.

L'honorable M. Guillery a droit à un voie. Il est important de pouvoir exercer ce droit. Il y a des circonstances oh il est plus important d'obtenir une décision formelle que de subir un silencieux déni de vote.

MpVµ. - Je dois rappeler à la Chambre qu'il y a une proposition de l'honorable M. de Brouckere, de ne pas aborder d'autres amendement relatifs à l'article 3 avant d'avoir entendu l'honorable M. Guillery sur son amendement.

M. de Brouckere. - Et les autres orateurs qui voudraient parler sur ce point.

M. Guillery. - Continuons la discussion.

M. de Brouckere. - L'honorable M. Guillery est satisfait ?

M. Guillery. Non, pas du tout.

M. Orts. - Messieurs, je crois qu'il y a un moyen de donner satisfaction à tout le monde. C'est qu'il y ait une discussion sur le principe caractéristique de l'amendement de l'honorable M. Guillery. C'est le bénéfice qu'il réclame et je crois qu'il exerce son droit.

A ce point de vue, la proposition de l'honorable M. Guillery et celle du gouvernement sont deux propositions principales, indépendantes et parallèles, mais ce qu'on ne peut nier, c'est que la discussion ait porté sur ces deux propositions principales et sur les divers amendements qui s'y rattachent.

La discussion à laquelle nous avons assisté aujourd'hui en est une preuve.

L'honorable M. de Haerne a défendu tout à l'heure l'amendement qu'il a présenté avec l'honorable M. Nothomb. Il est évident que cet amendement se rattache beaucoup plus à la proposition de l'honorable M. Guillery qu'à celle du gouvernement.

Toutes les questions ont donc été discutées.

L'honorable M. Guillery croit qu'on n'a pas discuté la sienne.

Je crois que ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait, pour nous débarrasser de beaucoup d'amendements inutiles, de procéder par questions de principe.

M. Guillery. - Impossible.

M. Orts. - Nous avions un principe qui dominait dans l'amendement de l'honorable M. Van Humbeeck, celui de supprimer le cens. Nous avons déclaré que le cens ne serait pas supprimé.

Quel est le principe qui domine dans la proposition de l'honorable M. Guillery ?

Cette question est celle-ci : le cens sera-t-il uniforme ou différentiel. Eh bien, votons cette question de principe. Si le principe du cens uniforme, qui est le caractère du projet de M. Guillery, est adopté, le projet (page 854) du gouvernement est renversé ; si, au contraire, la solution est négative, l'amendement de M. Guillery vient à tomber. (Interruption.)

M. Dumortier. - Il est bien vrai que M. Guillery propose le ceins uniforme, mais il est vrai aussi qu'à la proposition de M. Guillery, il y a un amendement de MM. Nothomb et de Haerne, et qu'en acceptant la proposition de M. Orts, on empêcherait de voter ensemble des membres qui partagent la même opinion avec une petite variante.

A mon avis, il n'y a qu'une seule chose à faire, c'est de procéder comme on le fait d'ordinaire.

Qui est-ce qui a le droit de priorité ? C'est M. Guillery, car c'est lui qui a fait naître la question de principe.

C'est donc la proposition de M. Guillery qui doit être considérée comme la proposition principale, toutes les autres propositions ne peuvent être et ne sont que des amendements à celle-là. (Interruption.)

Mais, messieurs, je suppose que l'on mette aux voix la question de savoir s'il y a des conditions autres que le cens. L'honorable ministre des finances disait tout à l'heure à M. Guillery : Votre proposition devrait encore avoir la priorité, parce qu'elle est la plus radicale. Eh bien, je dis non, c'est celle du gouvernement qui est la plus radicale, parce que c'est celle qui s'écarte le plus de la loi actuelle. Que propose M. Guillery ? Il propose uniquement la condition de savoir lire et écrire ; le gouvernement, lui, va plus loin, il impose des conditions de capacité plus élevées.

Nous n'avons, messieurs, qu'une seule chose à faire, c'est de rester honnêtement et loyalement dans les termes de la Constitution et du règlement.

L'initiative parlementaire doit être respectée, et elle ne le serait plus s'il suffisait au gouvernement, pour l'absorber, d'opposer une proposition à une autre. (Interruption.)

Je demande qu'on commence par mettre aux voix l'article du gouvernement et, si cet article est rejeté, que l'on ouvre ensuite la discussion sur la proposition de M. Guillery, car, sans cela, cette proposition se trouverait écartée sans même avoir été examinée.

MfFOµ. - Messieurs, il est plus clair que le jour que l'on poursuit un seul but...

- Des voix à gauche. - C'est cela !

MfFOµ. - ... c'est de faire mettre d'abord la proposition du gouvernement aux voix, sous prétexte qu'elle constitue un amendement, afin de pouvoir former une coalition contre cette proposition.

- Des voix à gauche. - C'est cela ! (Interruption.)

MfFOµ. - C'est là manifestement le but que l'on poursuit, et il n'y en a pas d'autre !

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. Coomans. - C'est vous qui faites de la coalition.

MfFOµ. - Mais il suffit, messieurs, qu'un pareil but soit dévoilé pour qu'il soit déjoué, et assurément la Chambre ne s'y prêtera pas. (Interruption.) Elle ne s'y prêtera pas, parce que ce serait un acte des plus blâmables, et qui serait, assurément, hautement condamné par l'opinion publique. (Interruption.)

On manquerait ici de franchise ; on voudrait ne pas devoir s'expliquer sur une proposition... (Interruption.) M. Guillery a présenté une proposition de réforme électorale : eh bien, qu'il ait le courage de la faire mettre aux voix ; qu'il affronte la discussion de sa proposition ; nous sommes prêts à l'examiner avec lui. N'est-ce pas assez de la longue discussion à laquelle la Chambre s'est livrée pendant de nombreuses séances ? Soit, nous la recommencerons ; et s'il faut la continuer pendant dix jours encore et davantage, nous ne nous y refuserons pas ; mais au moins qu'il n'aille pas reculer devant le vote, qu'il ne se cache pas derrière le projet du gouvernement. (Interruption.)

Maintenant, je rappelle encore une fois à la Chambre ce qui a été fait, ce qui a été décidé par elle sur ma proposition.

M. Hymans avait fait une proposition ayant pour objet d'indiquer un certain ordre à suivre pour l'examen des diverses propositions soumises à la Chambre. J'ai dit, appuyé en cela par M. Coomans...

M. Coomans. - Pour la discussion, pas pour le vote...

MfFOµ. - Eh sans doute, pour la discussion. Je vais donc vous rappeler ce qui a été admis et décidé par la Chambre.

M. de Theuxµ. - Il n'y a pas eu de décision.

MfFOµ. - Non seulement il y a une décision formelle, mais encore cette décision a reçu sa complète exécution, et cela sans soulever la moindre réclamation, la moindre objection. (Interruption.)

A propos de la proposition de l'honorable M. Hymans, j'ai indiqué l'ordre qui devait être suivi conformément au règlement. J'ai dit : la discussion doit s'ouvrir sur le projet du gouvernement qui a fait l'objet du rapport de la section centrale ; ensuite j'ai indiqué la manière dont il y avait lieu de procéder au vote pour rester dans les termes du règlement. J'ai formellement indiqué l'ordre du débat ainsi qu'il suit : 1° la proposition de M. Van Humbeeck, comme étant la plus radicale ; 2° la proposition de M. Guillery, amendée par MM. Nothomb et de Haerne, cet amendement devant primer la proposition elle-même, puisqu'elle portail l'obligation de savoir lire et écrire pour l'année 1870 seulement ; tandis que la première impliquait l'obligation de savoir lire et écrire immédiatement. On passerait, ensuite à la proposition de M. Funck, et enfin à celle du gouvernement qui s'éloigne le plus de toutes celles qui sont en présence.

Une seule observation a été présentée sur l'ordre que je proposais d'adopter, et après un échange d'explications, l'honorable M. Guillery, lui-même, a admis cet ordre pour la discussion ; il l'a formellement déclaré. Cela est consigné aux Annales parlementaires ; mais il a fait une réserve.

- Un membre à droite. - Calmez-vous.

MfFOµ. - Messieurs, j'avoue que je suis profondément indigné du procédé que l'on emploie dans cette circonstance. Je suis indigné de voir qu'il faille discuter pendant une demi-heure sur un pareil sujet. Mais le pays sera éclairé. Cette discussion montrera le but réel que l'on poursuit, et le pays appréciera !

Il y a donc eu une seule réserve, qui était relative à l'ordre des votes. J'admets, m'a-t on dit, comme ordre de discussion ce que vous proposez, ce qui était d'ailleurs réglementaire ; on faisait seulement une réserve quant au vote.

- Une voix. - C'est cela.

MfFOµ. - Eh bien, voyons. Que voulez-vous ? Ne parlez plus de discussion : nous consentons à discuter si vous le voulez ; mais reconnaissez loyalement que l'ordre de discussion adopté a été suivi, et que nous avons discuté toutes les propositions dont la Chambre était saisie, ainsi que cela avait été formellement décidé et accepté par vous-même.

Je me suis expliqué spécialement sur votre proposition en ce qui concerne le cens et en ce qui concerne la condition de savoir lire et écrire.

Maintenant, quant aux votes, quel est l'ordre à suivre ?

Exécutez votre résolution, et indiquez-nous le sens des réserves que vous avez faites.

Comment voulez-vous que l'on procède au vote ? C'est le moment de vous expliquer à ce sujet. Comment donc voulez-vous voter ?

M. Delaetµ. - C'est clair comme le jour.

MfFOµ. - En effet, il est clair comme le jour que c'est par l'amendement de MM. Nothomb et de Haerne qu'il faut commencer. (Interruption.)

M. Delaetµ. - Non ! non !

MfFOµ. - Pourquoi ?

M. Delaetµ. - Parce que c'est un amendement à la proposition Guillery.

MfFOµ. - Eh bien, la proposition de l'honorable M. Guillery a été discutée. On peut cependant, si on le veut, la discuter encore, nous ne nous y opposons pas ; nous ferons volontiers à cette proposition l'honneur que vous réclamez pour elle. Nous sommes tout disposés à manifester notre profond respect pour la prérogative parlementaire, quand même vous ne voudriez pas respecter le bon sens et l'ordre naturel à suivre dans une pareille discussion. (Interruption.)

M. Delaetµ. - Quand j'aurai à prendre des leçons de bon sens, ce n'est pas à vous, M. le ministre, que je m'adresserai. (Interruption.)

MfFOµ. - Messieurs, je me vois obligé de répéter encore qu'il s'agit simplement de déterminer l'ordre du vote. Il n'est nullement question de confisquer l'initiative parlementaire ; tout au contraire, nous voulons faire l'honneur à la proposition de l'honorable M. Guillery de lui donner la priorité.

Au surplus, le simple bon sens indique que c'est là le seul ordre qui puisse être suivi. Voici d'ailleurs une considération à laquelle, je pense, on ne répondra pas ; il est impossible de voter sur la proposition du gouvernement, eu laissant de côté celle de l'honorable M. Guillery, à moins d'admettre que cet honorable membre et ceux qui partagent son (page 855) opinion, aient pris d'avance la résolution de repousser toute espèce de réforme, toute espèce d'amélioration de nos lois électorales, si l'on n'admet pas leurs propositions.

MpVµ. - Il me semble que c'est le moment de statuer sur la proposition de M. de Brouckere.

M. Guillery. - Je crois plutôt que c'est le moment de m'accorder la parole.

MpVµ. - Vous allez l'avoir.

M. de Brouckere propose de suspendre toute décision jusqu'à ce que M. Guillery ait développé son amendement ; en d'autres termes, qu'on rouvre la discussion sur la proposition de M. Guillery.

M. de Brouckere. - J'ai demandé que la discussion soit rouverte pour que l'honorable M. Guillery puisse s'expliquer.

MpVµ. - La parole est à M. Guillery.

M. Guillery. - La Chambre me saura gré, j'en suis convaincu, de ne pas imiter l'orateur qui m'a précédé et de ne point passionner le débat.

- Voix à droite. - Très bien !

MfFOµ. - Vous aimez mieux passionner le vote.

M. Guillery. - M. le ministre des finances, je ne vous ai pas interrompu ; je vous prie de ne pas m'interrompre.

Vous m'avez demandé si j'avais le courage de mon opinion. Partout où il y aura lieu de faire preuve de courage, je serai là. Aujourd'hui, le courage consiste, pour moi, à défendre ma proposition et à défendre la vérité.

Plusieurs membres qui se sont épris d'une subite bienveillance pour ma proposition, ce dont je les remercie, m'ont offert un moyen ; c'est de m'accorder la parole pour parler sur ma proposition. Eh bien, messieurs, ce moyen se réduit tout simplement à ceci : c'est comme si l'on me disait : Vous prétendez que votre proposition est une proposition principale ; eh bien, nous vous offrons l'occasion d'en faire un amendement.

- Voix à droite. - C'est cela !

M. Guillery. - Acceptez l'offre gracieuse et emmiellée que nous vous faisons et votre proposition deviendra un petit amendement.

M. Allard. - Que voulez-vous donc faire ?

M. Guillery. - Je vais vous le dire et je suis convaincu que vous me comprendrez. Je demande que l'on respecte la décision de la Chambre et que l'on suive l'ordre qu'elle a indiqué dans une précédente séance.

M. le président a d'abord déclaré ouverte la discussion sur le texte proposé par le gouvernement et sur les divers amendements. Or, à moins de prétendre que ma proposition est un amendement, il est évident que la discussion n'a pas été ouverte sur ma proposition.

Je défie que l'on sorte de là.

On aura beau lancer les accusations ; on aura beau prodiguer les insinuations, on pourra faire tout ce qu'on voudra, mais on ne détruira pas les faits. On essaye de passionner la majorité d'un côté, l'opposition de l'autre ; on essaye d'obtenir un vote de passion, je demande un vote de raison, un vote de sens rassis.

La discussion n'a pas été ouverte sur ma proposition et elle est close sur l'article 3 du projet du gouvernement par une décision de la Chambre. Je viens demander le maintien de la décision de la Chambre qui a prononcé la clôture de la discussion sur le projet du gouvernement.

On nous dit : Mais ce que vous poursuivez, en définitive, c'est une coalition contre le projet du gouvernement.

Mais pourquoi pas ?

- Voix à gauche. - Oh ! oh !

MfFOµ. - A la bonne heure ; nous y voilà !

M. Guillery. - Permettez, messieurs. J'ai écouté religieusement l'accusation de M. le ministre des finances ; il doit bien m'être permis, je pense, de me défendre.

On s'étonne de ce que je viens de dire, mais en supposant qu'il y eût coalition de notre part, nous ferions exactement ce que fait le gouvernement qui cherche, lui, une coalition contre mon projet.

Mais, messieurs, cela ne se fait-il pas tous les jours ? Est-ce que notre règlement lui-même n'établit pas une véritable coalition contre les amendements et en faveur des projets du gouvernement ? Cela est de toute évidence, puisqu'il oblige à voter d'abord les amendements, et en dernier lieu les propositions du gouvernement ; de telle sorte que lorsqu'un amendement a été repoussé, bien des membres souvent se contentent, comme pis aller, de la proposition du gouvernement et assurent ainsi le triomphe de celle-ci.

Je n'ai donc aucune raison de cacher que, quant à présent, je suis très heureux de voir que mon projet soit discuté après celui du gouvernement.

Il est évident que si l'ordre inverse était suivi, beaucoup d'honorables collègues qui auraient voté, soit mon projet, soit tout autre amendement, finiraient par se rallier au système du gouvernement, tandis que si mon système était voté le dernier, je me trouverais dans le cas où serait le gouvernement.

Ai-je donc eu un seul instant là pensée de le dissimuler ? En fait, j'ai l'avantage de la position ; je demande à le conserver.

En réalité, messieurs, n'y eût-il pas une décision de la Chambre, par où devrait-on commencer ? Le système du gouvernement descend jusqu'à fr. 7-50 tandis que je m'arrête à 15 fr., comme cens uniforme pour toutes les communes. Il me serait donc parfaitement permis de soutenir, comme l'a fait l'honorable rapporteur de la section centrale, que le projet du gouvernement est plus radical que le mien, et que, par conséquent, il doit être mis le premier aux voix. Mais il ne peut pas dépendre du gouvernement, quand la Chambre est saisie d'un projet dû à l'initiative d'un de ses membres, de faire de ce projet un amendement parce qu'il aurait présenté un autre projet.

Au surplus, ce raisonnement ne fût-il pas exact, il y a ici un fait, et je fais appel à la loyauté bien connue de la Chambre, à son esprit de justice et d'équité pour qu'elle fasse respecter ce fait : c'est que la discussion a été ouverte sur le projet du gouvernement et sur les amendements qui s'y rattachent ; cette discussion a été close ; elle ne peut pas être rouverte. Il y a même eu un commencement de vote ; le voie doit continuer.

M. Dolezµ. - Je tiens énormément aussi au respect des prérogatives parlementaires ; mais je crois fermement que le système défendu par l'honorable M. Guillery aboutit précisément à ne pas tenir compte de ces prérogatives.

Il invoque, vous venez de l'entendre, la décision prise par la Chambre à la suite des paroles prononcées par notre honorable président. Eh bien, je me permets de le dire, il ne fait là qu'un véritable jeu de mots. Quand notre honorable président a dit :« La discussion est ouverte sur le projet du gouvernement et les amendements qui s'y rattachent, » quelle était la pensée qui le dominait et qui nous dominait tous ? C'est que l'on considérait comme amendement tout ce qui n'était pas proposition du gouvernement. (Interruption.)

Qu'avons-nous fait ? Avons-nous discuté uniquement la proposition du gouvernement ? Non, nous avons discuté absolument toutes les propositions ; nous avons discuté notamment la proposition de l'honorable M. Guillery et l'amendement qui se rattache directement à cette proposition ; je veux parler de l'amendement des honorables M. Nothomb et M. de Haerne. Et l'on vient soutenir aujourd'hui que la Chambre avait écarté momentanément du débat la proposition de l'honorable M. Guillery ? Cela est inadmissible.

Maintenant, je signale à l'attention de M. Guillery et à celle de la Chambre elle-même la conséquence à laquelle on aboutirait, au point de vue du respect de la prérogative parlementaire, si l'assemblée admettait le système que préconise l'honorable membre.

L'honorable M. Guillery demande que nous procédions immédiatement au vote du projet du gouvernement. Si ce projet est adopté, que devient le projet de l'honorable membre ? Il ne sera pas même discuté dans ce système ; il tombe de plein droit. Le projet du gouvernement étant adopté, voici un projet dû à l'exercice de la prérogative parlementaire et qui n'aura pas même eu les honneurs d'une discussion.

Voilà le résultat qu'on demande au nom du respect pour la prérogative parlementaire ! Eh bien, moi, c'est au nom de ce respect pour la prérogative parlementaire que je demande, et en cela nous serons, je pense, tous d'accord ; que je demande que la discussion soit rouverte ; de cette manière, tous les droits, tous les intérêts seront sauvegardés, et, avant tout, nous maintiendrons intacte la dignité parlementaire.

Nous sommes saisis d'une proposition émanée de l'initiative d'un membre de la Chambre.

Il faut que cette proposition ne soit pas rejetée sans avoir été discutée ; or le système de l'honorable M. Guillery consiste à dire qu'on n'a pas discuté sa proposition, et cependant l'honorable membre désire se prononcer immédiatement sur le projet du gouvernement. Je crois que, la Chambre ne peut nullement s'engager dans une pareille voie.

(page 856) Qu'on ouvre donc une nouvelle discussion sur le projet de l'honorable M. Guillery. Peu importe que ce projet soit une proposition principal ou un amendement. Quand le projet aura été discuté, on se prononcer sur l'ordre du vote. Mais, je le répète, la manière dont on propose à la Chambre de procéder est complètement en dehors du respect de la prérogative parlementaire, et c'est au nom de ce respect que je viens de présenter les quelques observations que l’assemblée a bien voulu écouter avec bienveillance.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je ne puis m'associer aux observations que vient de faire valoir l'honorable M. Dolez. L'honorable membre dit que si on vote en premier lieu sur la proposition du gouvernement, et si cette proposition est adoptée, la proposition principale de l'honorable M. Guillery vient à tomber. Donc, en suivant cet ordre de vote, nous annulons le droit d'initiative de la Chambre des représentants.

C'est tout le contraire. Remarquons bien que chaque fois qu'un projet de loi est présenté, un amendement peut être tel, qu'il fasse tomber le projet de loi, soit qu'il émane du gouvernement, soit qu'il émane de la Chambre.

M. Dolezµ. - Après discussion ; et l'honorable M. Guillery dit qu'on n'a pas discuté sa proposition.

M. de Theuxµ. - Toutes les propositions principales et tous les amendements sont discutés. Si un amendement est adopté et qu'il soit directement opposé à la proposition principale, la proposition principale vient à tomber.

Maintenant, quant à l'ordre du vote, il faut nécessairement voter sur les amendements, avant d'émettre un vote sur la proposition principale. La proposition du gouvernement est un amendement à la proposition principale de l'honorable M. Guillery ; si vous ne votez pas d'abord sur la proposition du gouvernement, vous faites de la proposition principale de l'honorable M. Guillery un amendement à la proposition du gouvernement. Voilà un système de voles que l'assemblée ne saurait admettre, sans annuler complètement son droit d'initiative.

M. Pirmezµ. - Messieurs, je suis fort désintéressé dans ce débat ; l'ordre que l'assemblée croira devoir suivre pour se prononcer ne changera en rien mon vote.

J'ai écouté attentivement les orateurs qui ont pris part à cette discussion ; et il me paraît que toute la difficulté consiste en ce que les uns considèrent la proposition de l'honorable M. Guillery comme la proposition principale et que les autres attribuent ce caractère à la proposition du gouvernement.

Messieurs, en réalité, il n'y a pas une proposition principale et une proposition accessoire ; il y a incontestablement des propositions de rang égal ; l'une a été présentée par un membre de la Chambre en vertu de son droit constitutionnel, l'autre a été introduite par le gouvernement en vertu d'un droit aussi constitutionnel.

Voilà la situation vraie.

Maintenant, il s'agit de savoir, en présence de ces deux projets, par lequel vous allez commencer ; il me paraît qu'il faut commencer par le premier de ces projets, c'est-à-dire par le projet de loi le premier en date.

II semble qu'il y a eu un peu de confusion dans les esprits quant à la portée de la discussion. On ne s'est pas rendu le même compte des conséquences que cette discussion devait produire.

Ainsi l'honorable M. Guillery prétend qu'il n'a pas été appelé à discuter sa proportion : il a cru voir qu'on discutait uniquement le projet du gouvernement.

D'un autre côté, le gouvernement a pensé qu'on discutait, à l'occasion de son projet, tous les amendements, y compris la proposition de l'honorable M. Guillery.

II est impossible, messieurs, que la Chambre vote, en présence de l'indécision qui a caractérisé ce débat. Je propose formellement à la Chambre de donner à chacune des deux propositions son caractère, de les maintenir comme projets principaux entièrement distincts, qui demandent un vote séparé.

Je propose de commencer par le projet le premier en date, c 'est-à-dire par celui de l'honorable M. Guillery, amendé par les honorables MM. de Haerne et Nothomb.

J'ajoute que je ne veux pas, à cet égard, de surprise. En proposant de commencer par le projet de l'honorable M. Guillery, je demande en même tempi qu'on rouvre le débat d'une manière complète sur ce projet et sur les amendements qui s'y rattachent ; cela fait, on abordera la discussion du projet du gouvernement. (Interruption.)

Deux articles du projet du gouvernement ont été votés, mais ils n'ou aucun rapport avec la proposition de l'honorable M. Guillery ; par conséquent, celle proposition est entièrement intacte. (Interruption.)

On me dit que la discussion a été close. Mais sur quoi a-t-elle été close ?

Il y a là un malentendu, une confusion qui ne peut subsister. Il me paraît incontestable que si vous voulez conserver aux choses leur véritable caractère, il faut considérer la proposition de l'honorable M. Guillery et celle du gouvernement comme deux projets complètement distincts, et commencer par la première, c'est-à-dire par la proposition de l'honorable M. Guillery.

MfFOµ. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour lire quelques lignes.

Dans la séance du 5 avril, j'ai indiqué l'ordre dans lequel devaient être examinées les diverses propositions. Voici comment j'ai établi ce ordre :

« A ce même article 3, disais-je, se rattache la proposition de l'honorable M. Guillery qui accorde le droit électoral, moyennant le cens uniforme de 15 francs, à la condition de savoir lire et écrire, exigée immédiatement.

« La proposition de l'honorable M. Guillery est à son tour sous-amendée par les honorables MM. Nothomb et de Haerne. Conformément au règlement, le sous-amendement a le pas sur 1'amendement ; le sous-amendement consiste en ce que c'est seulement à partir de 1870 que la condition de savoir lire et écrire sera exigée ; et qu'il y aura deux cens différentiels, l'un de 15 et l'autre de 10 francs. Si la proposition des honorables MM. Nothomb et de Haerne est écartée, la Chambre s'occupera de celle de l'honorable M. Guillery, qui comporte la condition de savoir lire et écrire immédiatement, et le cens uniforme de 15 francs. »

L'honorable M. Van Humbeeck prend la parole et dit : « Je ne sais si l'honorable M. Hymans maintient sa proposition ; dans ce cas, je serais obligé de la combattre.

« Quant à la proposition de l'honorable ministre des finances, avant de savoir si je puis l'accepter, je demanderai une explication.

« Il vient d'indiquer un ordre dans lequel les diverses propositions devraient être votées. Sur cet ordre, je n'ai rien à dire comme ordre de vote. Mais, selon moi, tous les amendements et la proposition même du gouvernement à laquelle ils se rapportent, doivent être discutés en même temps. »

Enfin, vient l'honorable M. Guillery, qui soutient aujourd'hui que sa proposition n'a pas été discutée, que la discussion n'a pas été ouverte sur sa proposition, et il dit :

« Il est bien entendu qu'il s'agit d'un ordre de discussion et pas d'un ordre du vote. Lorsqu'il s'agira de voter, je me réserve de faire des observations. »

Ainsi, il a été bien entendu que la discussion était ouverte sur le tout, sur la proposition de M. Guillery comme sur toutes les autres. Seulement M. Guillery a dit qu'il se réservait de faire des observations au moment du vote. Eh bien, s'il a des observations à faire, qu'il les présente ; qu'il dise pourquoi il ne faut pas suivre l'ordre du vote que nous indiquons. Nous nous en expliquerons. Mais il y a eu évidemment sur cette question une résolution formelle de la Chambre, résolution qui a été exécutée.

MpVµ. - Il y a une proposition de M. de Brouckere, appuyée par MM. Dolez et Pirmez et consistant à demander que la discussion soit rouverte demain au début de la séance. Je vais consulter la Chambre.

M. Coomans. - C'est contraire au règlement.

M. de Brouckere.µ. - J'ai demandé, en effet, et les honorables MM. Dolez et Pirmez ont demandé comme moi, qu'on rouvrît la discussion. Mais il est bien entendu que c'est parce que l'honorable M. Guillery s'était plaint de n'avoir pas eu son tour de parole et de n'avoir pu s'expliquer. Si l'honorable M. Guillery déclare maintenant que notre proposition ne lui convient pas, et que, lors même qu'elle serait résolue affirmativement, il ne prendrait pas la parole, je ne pourrais insister pour la mise aux voix de ma proposition.

M. Guillery. - L'honorable M. de Brouckere me place dans une alternative que je ne puis pas accepter.

L'honorable membre a une façon merveilleuse de poser les questions. La solution arrive toute seule ; seulement si j'acceptais la solution qu'il propose, je serais battu des deux côtés, que je réponde oui ou non. L'honorable membre, dans mon intérêt, par pure bienveillance pour (page 857) moi, a demandé que la discussion soit rouverte. Si je déclare que je ne veux pas qu'on discute ma proposition, il se rangera de mon avis. Eh bien, je n'accepte aucune de ces deux choses ; je n'accepte pas l'alternative. Je demande que la Chambre respecte son vote. Je demande, et je fais ici un appel aux membres les plus anciens de cette assemblée, s'il est possible de revenir sur un vote qui est acquis, du moment qu'il y a opposition. La Chambre a prononcé la clôture de la discussion et cette discussion a été close dans les termes où elle a été ouverte, c'est-à-dire sur le projet du gouvernement et les amendements.

MfFOµ. - Et sur votre proposition aussi.

M. Guillery. - Sur ma proposition ! Elle n'a pas été ouverte. Je le répète, le vote de la Chambre est acquis et je demande qu'il soit respecté. Quant à moi, si l'on me faisait cette violence, si, au moyen de la pression ministérielle.... (Interruption.)

Comment ! l'on pourra m'attaquer impunément ! Je ne pourrai me défendre. Eh bien, je déclare que si l'on me fait cette violence de ne pas respecter le vote de la Chambre, je retirerai ma proposition. (Interruption.)

M. de Brouckere. - Messieurs, l'excès en tout est un défaut.

L'honorable membre me reproche de pécher par excès de bienveillance. Je ne lui ferai pas le même reproche, à lui. (Interruption.) Mais enfin, soit ; et, puisqu'il en est ainsi, je retire ma proposition.

M Pirmezµ. - Je maintiens la proposition que j'ai faite.

Voici les motifs pour lesquels je la maintiens : Je crois que personne ici ne peut vouloir se prévaloir d'une surprise.

Il est certain que quand on a clos la discussion, un grand nombre de membres ont pensé que la discussion était close sur la proposition de M. Guillery comme sur les autres projets.

D'autre part, l'honorable M. Guillery prétend qu'il ne l'a pas entendu ainsi, et qu'il n'a, dès lors, pas été à même de défendre sa proposition.

Eh bien, je crois qu'il ne faut pas plus de surprise contre qu'en faveur de l'honorable membre ; il doit être appelé à défendre sa proposition.

- Des membres. - Il ne le veut pas. .

M. Pirmezµ. - Il sera libre d'user de la faculté ou de ne pas en user. Nous ne devons pas, d'ailleurs, lui demander de se prononcer quant à présent sur cette question.

D'ici à demain, l'honorable membre verra s'il désire que le débat soit rouvert ou non. (Interruption.)

Des membres : Non ! non ! finissons.

M. Coomans. - Il y a vote.

M. Pirmezµ. - Mais l'honorable M. Coomans doit reconnaître avec moi que le vote qui a été émis tantôt a été émis dans des idées complètement opposées.

Maintenant, que l'honorable M. Guillery me permette de le lui dire, il accuse fort à tort ses collègues de subir la pression ministérielle. J'ai examiné, avec toute l'impartialité possible, la position et c'est après cet examen impartial, que j'ai fait ma proposition. Je subis tellement peu la pression ministérielle, que mon intention est de voter contre le projet du gouvernement.

MpVµ. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Pirmez.

M. Coomans. - C'est contraire au règlement ; Je demande la parole.

MpVµ. - Il a été décidé vingt fois que la discussion serait rouverte.

M. Coomans. - Vous ne pouvez me refuser la parole pour un rappel au règlement.

MpVµ. - La parole est à M. Coomans pour un rappel au règlement.

M. Coomans. - Eh bien, le règlement porte que toute proposition de loi doit être discutée article par article. Or, la priorité a été donnée aux propositions du gouvernement. (Interruption.) Cela est tellement vrai que deux articles ont déjà été votés et qu'un amendement à l'article 3 a été rejeté. On était sur le point de voter sur l'article 3, lorsque l'incident a été soulevé.

Or, comme il faut que toute proposition de loi, d'après le règlement, soit discutée et votée article par article, il vous est défendu de mêler les propositions et d'intervertir l'ordre des votes. (Interruption.)

Il est clair que la proposition de l'honorable M. Pirmez est contraire à l'article 39 du règlement, qui porte que tous les articles doivent être mis successivement aux voix et l'honorable président qui, je le reconnais, exécute impartialement le règlement, doit me donner raison sur ce point.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, il y a quelques années, la discussion avait été close à la fin d'une séance sur un article du code pénal ; deux minutes après, on reconnu que la Chambre n'était plus en nombre, et à la séance suivante je fis remarquer à la Chambre qu'elle ne s'était pas trouvée en nombre et je demandai que la discussion fût rouverte. M. J. Lebeau s'est levé pour me dire que si je connaissais les usages les plus anciens de la Chambre et l'abus qui pourrait être fait d'un pareil vote, je ne demanderais pas la réouverture de la discussion.

Je me suis incliné devant cette autorité, aujourd'hui je ne veux pas.

Quoi qu'il en soit, un membre de la Chambre, celui qui est le plus intéressé dans la question, demande que le vote de la Chambre soit respecté. La Chambre ne peut pas se refusera faire droit à cette demande.

MfFOµ. - Nous demandons des raisons et on nous oppose des noms ; on dit que, dans telle circonstance, Monsieur un tel a dit telle chose. Je demande, moi, quel est l'article du règlement qui empêche la Chambre de rouvrir une discussion qui a été close ? Il y a cent exemples d'une semblable décision. Mais ce qui serait surtout inconcevable, c'est qu'on ne rouvrît pas une discussion, lorsque le vote de clôture a été le résultat d'une erreur bien constatée, comme c'est le cas en ce moment.

Nous avons tous cru qu'il s'agissait de clore la discussion sur toutes les propositions, y compris celle de l'honorable M. Guillery ; on vient nous dire qu'il n'en est pas ainsi, et l'on prétend profiter de notre erreur. Serait-ce là de la dignité parlementaire ?

Aucune disposition du règlement ne s'oppose, d'ailleurs, à ce que la discussion soit rouverte, et j'appuie la proposition de M. Pirmez, qui tend à la rouvrir.

M. de Theuxµ. - Je n'ai que deux mois à dire. L'opinion de M. le ministre des finances serait vraie s'il n'y avait point d'opposition ; mais quand il y a opposition, un vote est acquis.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Guillery. - Je propose la question préalable.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- La question préalable est mise aux voix par appel nominal.

111 membres prennent part au vote.

50 adoptent.

61 rejettent.

En conséquence, la question préalable n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption :

MM. Beeckman, Coomans, Couvreur, de Conninck, de Haerne, E. de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de, Theux, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, d'Ursel, Gerrits, Guillery, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Liénart, Magherman, Notelteirs, Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige et Wouters.

Ont voté le rejet :

MM. Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Moor, de Ronge, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Lambert, Lange, Lebeau, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, T'Serstevens, Valckenaere, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu et Ernest Vandenpeereboom.

M. Guillery. - Je retire ma proposition.

M. de Haerneµ. - Messieurs, comme ma proposition est un amendement au projet de M. Guillery, je crois, en ce qui me concerne, devoir y renoncer.

M. Coomans. - Il y a mon amendement qui doit être mis aux voix.

M. Mullerµ. - Il faut d'abord voter sur la proportion de M. Pirmez.

(page 858) M. Pirmezµ. - Ma proposition n'a plus de raison d'être, puisque M. Guillery vient de retirer son projet.

M. Guillery. - Je désirais dire exactement ce qui vient d'être dit par M. Pirmez, Lorsqu'une proposition est retirée, on ne peut plus la discuter.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je déclare, en mon nom et au nom des honorables collègues qui ont signé mon amendement, que je le retire.


MpVµ. - Nous sommes à l'amendement de M. Funck. Il est ainsi conçu :

« Par dérogation aux article premier, n°3 de la loi électorale, et 7, n°6 de la loi communale, sont électeurs provinciaux et communaux, sous la condition de justifier qu'ils possèdent l'instruction primaire, telle qu'elle est organisée dans les écoles établies conformément à la loi du 23 septembre 1842 :

« Ceux qui versent au trésor de l'Etat, en contributions directes, patentes comprises, la somme de 15 francs par an.

« Sont électeurs provinciaux et communaux sans condition de cens :

« 1° Les employés privés jouissant de 1,500 francs d'appointement et patentés comme tels depuis deux ans au moins ;

« 2° Les magistrats, les fonctionnaires et employés de l'Etat, de la province et de la commune et des établissements publics qui en dépendent, jouissant de 1,500 francs de traitement ; les avocats, avoués, médecins, pharmaciens, huissiers, secrétaires et receveurs communaux, les instituteurs diplômés, et ceux qui, sans avoir de diplôme, sont cependant agréés par le gouvernement. »

- Il est procédé au vote par assis et levé.

L'amendement n'est pas adopté.


M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, le gouvernement ne se rallie pas à la rédaction de la section centrale.


MpVµ. - Nous arrivons à l'amendement de M. Coomans.

« Les personnes qui ont supporté les charges du recrutement militaire. »

M. Coomans. - J'ai le droit de déclarer que je ne suis pas le seul auteur de cet amendement. J'espérais même qu'un assez grand nombre de membres de cette assemblée y auraient adhéré comme à un acte de justice et de logique, mais comme je vois, avec plusieurs partisans de mon amendement, que la ferme résolution du ministère est de ne pas permettre à la majorité d'accepter un seul amendement, je retire le mien, me réservant de le reproduire en des jours meilleurs.


MpVµ. - Vient l'amendement subsidiaire de M. Van Humbeeck, ainsi conçu :

« Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale et au n°3 de l'article 7 de la loi communale, sont électeurs provinciaux et communaux :

« A. Sous la condition de justifier, soit qu'ils possèdent l'un des diplômes indiqués-ci-après à l'article 4, soit qu'ils ont suivi des cours d'enseignement moyen de trois années au moins dans un établissement public ou privé, soit qu'ils ont obtenu un certificat d'instruction de l'une des commissions cantonales dont il sera parlé ci-après ;

« 1° Comme au projet amendé par la section centrale.

« 2° Idem.

« 3° Idem.

« 4° Les locataires qui, dans les cas prévus aux articles 7 et 9 de la loi du 28 juin 1822, ne sont pas considérés comme débiteurs directs envers l'Etat de la contribution personnelle sur la valeur locative, s'ils occupent depuis deux ans au moins une habitation ou partie d'habitation représentant une valeur locative imposable de 340 francs dans les communes de plus de 5,000 âmes, de 227 francs dans les communes de 2,000 à 5,000 âmes, et de 170 fr. dans les communes de moins de 2,000 âmes.

« B. (Comme au projet amendé par la section centrale.) »

- L'amendement est mis aux voix par assis et levé ; il n'est pas adopté.


MpVµ. - Nous arrivons à l'article du gouvernement.

M. Orts. - Je demande la division.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il y a un amendement présenté par la section centrale. Déjà par l'organe de M. le ministre de l'intérieur, le gouvernement s'est rallié à une partie de cet amendement. Cet amendement porte que la moitié du cens payé dans certaines communes ne doit pas dépasser 15 francs.

Donc cette partie de l'amendement de la section centrale doit entrer dans l'article présenté par le gouvernement.

La section centrale a voulu distinguer entre les personnes qui devraient prouver les conditions de capacité, produire des certificats, et d'autres personnes qui, par la nature de leurs fonctions, prouvent leur capacité.

Ainsi sous le littera B, la section centrale place les magistrats, les fonctionnaires de l'Etat, de la province et de la commune.

M. Coomans - On ne peut plus discuter.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne suis pas fort ancien dans cette Chambre, mais je dois déclarer que plus de vingt fois j'ai vu discuter et faire des observations sur des articles déjà votés.

M. Hymans. - C'est indispensable.

- Plusieurs membres à droite. - Continuez.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je remercie les honorables membres qui me disent de continuer.

Je dis, messieurs, que le but de la section centrale ne peut être atteint. En effet, elle distingue entre les fonctionnaires et les employés de l'Etat.

Or, dans le langage administratif, il n'y a pas moyen de distinguer d'une manière absolue un fonctionnaire d'un employé.

Je crois donc qu'il faut se rallier au projet du gouvernement.

M. Hymans. - Le changement proposé par la section centrale à l'ensemble de l'article est une pure affaire de style ; pour ne pas prolonger la discussion, je le retire d'autant plus volontiers que le gouvernement se rallie à la partie la plus importante des propositions de la section centrale.

II y a toutefois un paragraphe sur lequel il serait utile de s'expliquer.

C'est celui qui tend à accorder aux cultivateurs le bénéfice de la fiction relative à la restitution de la patente.

Je ne sais pas quelle est l'opinion du gouvernement sur cet amendement ; j'espère l'apprendre quand l'assemblée aura prononcé sur le 3° du projet du gouvernement, dont le principe a servi de base à la proposition faite par la section centrale.

- Des membres. - Aux voix !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je crois qu'il ne reste plus qu'à voter sur le premier paragraphe de la proposition du gouvernement. On s'expliquera ensuite quant aux cultivateurs.

MpVµ. - On a demandé la division. Je mets donc aux voix les paragraphes 1 et 2 ainsi conçus :

« Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale, et au n°3 de l'article 7 de la loi communale, sont électeurs provinciaux et communaux, sous la condition de justifier qu'ils ont suivi un cours d'enseignement moyen de trois années au moins dans un établissement public ou privé :

« 1° Ceux qui possèdent la moitié du cens fixé par les articles précités. »

M. de Naeyerµ. - Il s'agit du paragraphe premier avec l'amendement de la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, il est entendu que la proposition du gouvernement est amendée par la section centrale.

- De toutes parts. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

110 membres y prennent part.

63 membres répondent oui.

47 membres répondent non.

En conséquence les paragraphes 1 et 2 de l'article 3 sont adoptés.

Ont répondu oui :

MM. Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouet, Jouret, Lambert, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu et Ernest Vandenpeereboom.

(page 859) Ont répondu non :

MM. Beeckman, Coomans, de Coninck, de Haerne, E. de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, d'Ursel, Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Liénart, Magherman, Notelteirs, Pirmez, Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T’Serstevens, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige et Wouters.

- Des voix. - A demain.

- Des membres à gauche. - Mettons les autres paragraphes aux voix par assis et levé.

- Voix nombreuses. - Non, non, à demain.

- La séance est levée à 6 1/4 heures.