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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 9 avril 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 831) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des propriétaires à Anvers réclament l'intervention de la Chambre pour faire abolir la taxe établie par le conseil communal de cette ville sur les nouvelles constructions. »

M. Bouvierµ. - Je prie la Chambre d'ordonner le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Des ouvriers à Bruxelles demandent que le pays soit doté d'une bonne loi médicale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Loveling, greffier de la justice de paix du premier canton de Gand, demande la suppression des mois « au comptant » dans l'article 15 du projet de loi sur l'organisation judiciaire et prie la Chambre de rejeter l'amendement à l'article 228 de ce projet. »

- Renvoi à la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Des habitants de Frasnes demandent le suffrage universel à tous les degrés. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« Des habitants de Beeringen demandent que toutes les capacités soient admises aux élections communales et provinciales. »

- Même dépôt.


« L'administration communale de Fagnolles prie la Chambre d'autoriser la concession de chemins de fer de Bruxelles à Marbais et à Corbeek-Dyle. »

« Même demande des conseils communaux de Saint-Amand et de Couvin. »

M. de Baillet-Latourµ. - Je demande que ces pétitions soient renvoyées à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. »

- Adopté.


« M. de Macar demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Motion d’ordre

M. Vleminckxµ. - J'ai demandé la parole bien moins pour faire une motion d'ordre que pour demander à la Chambre la permission d adresser une interpellation au gouvernement.

La commission instituée pour examiner toutes les questions qui se rattachent à l'organisation de l'armée est entrée en fonctions depuis plus de trois mois. Je suis convaincu qu'elle travaille sans relâche et avec le plus grand zèle pour mener à bonne fin l'œuvre importante dont elle a été chargée.

Cependant, nous ne voyons rien venir et rien ne nous indique que son rapport, si impatiemment attendu, puisse être achevé avant notre séparation.

Je comprends, messieurs, et je suis le premier à le reconnaître, qu'alors même que les perfectionnements qui devront être introduits dans notre armée pourraient être arrêtés immédiatement et soumis à la législature, il faudrait encore un temps bien long pour les introduire dans l'armée ; mais il est une chose dont la réalisation immédiate me semble possible ; cette chose, c'est l'amélioration de l'armement de l'armée.

Quelle que soit l'organisation future de l'armée, il faut bien que nos soldats, sous le rapport de l'armement comme sous tous les autres, ne soient inférieurs à ceux d'aucune autre puissance.

L'armement est, malheureusement, aujourd'hui la préoccupation de tous les pays de l'Europe.

Je dis malheureusement, car, pour moi, c'est une chose triste et presque honteuse que ce soient précisément les engins de mort et de destruction qu'aux temps où nous vivons, on doive chercher à perfectionner. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas nous qui avons fait cette situation ; elle nous est imposée, nous sommes obligés de la subir.

Dans cette occurrence, je dois demander au gouvernement, s'il est en mesure d'armer bientôt nos soldats de fusils perfectionnés ; si, avant notre séparation, il pourra nous présenter une demande de crédits nécessaires à cette fin.

Je n'ai pas besoin de dire quelle est l'importance de cette question : il est impossible qu'elle ne saute pas aux yeux de tous les membres de cette Chambre.

MfFOµ. - Messieurs, si j'ai bien entendu l'honorable préopinant, il comprend la question de l'armement parmi les travaux de la commission mixte qui est chargée d'examiner notre système d'organisation militaire. Il y a là quelque confusion. La commission a une mission parfaitement déterminée ; elle est uniquement chargée de s'enquérir de ce qui se rapporte à l'organisation même de l'armée. Mais quant aux autres mesures, soit celles qui peuvent être commandées par les circonstances, soit celles de l'armement dont l'honorable préopinant a entretenu la Chambre, elles sont tout à fait étrangères à la commission, qui n'a pas à s'en occuper.

Ainsi que l'a dit très exactement l'honorable préopinant, la commission mixte s'est livrée activement aux travaux qui font l'objet de sa mission. Dès qu'elle a été instituée, elle a arrêté les questions préalables à examiner en assemblée générale. Des sous-commissions ont été formées pour se livrer aux études préparatoires et présenter des rapports à la commission. Je pense que les rapports sont achevés ; et si je suis bien renseigné, la commission doit délibérer pendant toute cette semaine sans désemparer. (M. de Brouckere fait un signe affirmatif.) De manière que sa mission ne tardera pas à être accomplie.

Messieurs, je dois reproduire, à cette occasion, une déclaration que déjà a été souvent faite : c'est que nous considérons notre organisation» militaire comme bonne et capable de pourvoir à la sécurité du pays.

Il s'agit simplement d'examiner si elle est susceptible de quelques modifications ou améliorations, soit par suite des événements de guerre récents, soit par suite du système de défense que nous avons adopté.

Il n'est donc pas question de réformer l'organisation militaire, ni même de la modifier dans son essence ; nous sommes bien convaincus que nous possédons les éléments nécessaires pour défendre le pays au besoin.

Quant à l'armement, depuis longtemps déjà le département de la guerre n'a pas cessé de s'en occuper. D'après des communications qui nous ont été faites par notre honorable collègue de ce département, dès le mois de mai dernier, des officiers qui avaient été envoyés en mission aux Etats-Unis, en ont rapporté des fusils de nouveaux modèles ; dès ce moment, on s'est mis à étudier ces systèmes et à les soumettre à des expériences. A partir du mois de juillet, la question est devenue beaucoup plus importante. Tous les Etats se sont occupés de rechercher les perfectionnements susceptibles d'être introduits dans l'armement, et les diverses armes qui ont été successivement inventées ont été soumises à des épreuves comparatives. Ces épreuves continuent.

Si nous avions été, dès ce moment, fixés sur le modèle à adopter, nous aurions demandé immédiatement à la législature les sommes (page 832) nécessaires à la transformation de notre armement. Maïs rien n'est encore définitivement arrêté, et nous ne sommes pas en mesure de dire si des propositions pourront encore être faites à l'assemblée avant sa séparation pour les vacances de Pâques.

Quoi qu'il en soit, la Chambre et le pays ne doivent pas avoir d'inquiétudes à ce sujet. Nous sommes dans les mêmes conditions que toutes les autres puissances. Une seule exceptée, il n'y en a pas qui soit, dès à présent, pourvue d'un armement perfectionné. Les armes nouvelles ne pourront être fournies aux diverses puissances, comme à nous-mêmes, que dans un certain délai ; les conditions restent ainsi comparativement les mêmes qu'auparavant.

Nous nous hâterons cependant autant que possible. Si une mesure définitive était arrêtée, après la séparation de la Chambre, et si nous n'avions pas de crédit à notre disposition, l'assemblée comprend que, sur un point où l'unanimité est certaine, nous n'hésiterions pas un seul instant à engager les crédits sous notre propre responsabilité. Nous avons déjà fait dans ce sens quelques dépenses qui ont été jugées immédiatement nécessaires.

Il a fallu, dans la prévision de la fabrication de nouvelles armes, acheter des machines. L'acquisition de ces machines a été ordonnée dès que le département de la guerre les a reconnues indispensables ; il a fallu également autoriser certaines constructions pour leur établissement et leur mise en œuvre.

Aussitôt que le département de la guerre aura pris une résolution formelle, dès qu'il aura choisi un modèle définitif, nous nous empresserons de soumettre une demande de crédits à la Chambre.

M. Vleminckxµ. - Je remercie M. le ministre des finances des renseignements qu'il a bien voulu nous fournir. Pour mon compte, je m'en déclare entièrement satisfait.

Toutefois, l'honorable ministre est dans l'erreur, lorsqu'il pense qu'il y a dans mon esprit quelque confusion sur les attributions de la commission d'organisation qui fonctionne en ce moment. Je sais parfaitement bien qu'elle a une mission limitée ; elle n'est pas plus chargée de l'armement de l'armée que de son approvisionnement ; elle est tout simplement chargée d'examiner la question d'organisation ; mais j'ai dû penser qu'une commission quelconque avait dû s'occuper de la question d'armement, et la réponse de M. le ministre des finances me prouve que j'étais tout à fait dans le vrai.

Il ne me reste qu'un vœu à former ; c'est que nos soldats soient armés le plus tôt possible des fusils les plus perfectionnés, à l'aide desquels ils puissent faire leur métier d'une manière convenable.

M. Dumortier. - Il importe qu'il n'y ait pas de malentendu. La commission est évidemment chargée de l'organisation, mais de l'organisation qui serait en quelque sorte définitive. Quant aux mesures que les circonstances peuvent rendre nécessaires, la commission n'en est en aucune manière chargée.

MfFOµ. - C'est ce que je viens de dire.

M. Dumortier. - C'est ce que M. le ministre des finances vient de dire et j'insiste sur ce point parce que les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Vleminckx pourraient faire croire que la commission est chargée de toute autre chose qu'elle ne l'est.

M. Vleminckxµ. - J'ai dit le contraire.

MfFOµ. - La responsabilité ne peut pas être déplacée. La responsabilité ne peut pas être à la commission. Elle est au gouvernement, et le gouvernement l'accepte.

- L'incident est clos.

Projet de loi modifiant quelques dispositions des lois électorales

Discussion des articles

Chapitre premier. Des élections aux Chambres

Article 3

MpVµ. - Nous sommes arrivés à l'article 3. Le gouvernement se rallie-t-il aux modifications proposées par la section centrale ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pas à toutes.

MfFOµ. - Nous ne nous rallions pas à toutes, comme le dit M. le ministre de l'intérieur. Nous nous expliquerons dans la discussion.

MpVµ. - La discussion est ouverte sur le texte proposé par le gouvernement et sur les divers amendements,

Il vient de parvenir au bureau un amendement ainsi conçu :

« A l'article 3, ajouter un 2bis ainsi conçu :

« Les personnes qui ont supporté les charges du recrutement militaire.

« (Signé) Coomans. »

M. de Theuxµ. - Messieurs, au projet de réforme présenté par l'honorable M. Guillery, sous-amende par les honorables M. Nothomb et de Haerne, et consistant en un abaissement très considérable du cens électoral sans distinction, le ministère a opposé une réforme toute nouvelle, c'est celle des employés, c'est celle des professions élevées, exemples de cens ; c'est celle de la catégorie des jeunes gens ayant fait quelques études, qu'on pourrait appeler des demi-capacités et desquels on n'exige que le payement de la moitié du cens.

Le projet du gouvernement comprend tous les employés qui jouissent d'un traitement de 1,500 fr., employés civils et militaires, du gouvernement, de la province, de la commune, des particuliers, des sociétés financières et autres. Vous concevrez facilement combien serait grand le nombre, de ces privilégiés. Il s'est étendu d'une manière étonnante depuis 1851 et il tend à grandir d'année en année. C'est un système tout opposé au système adopté par le Congrès national en 1831, consacré formellement pour les Chambres par la Constitution, par les Chambres législatives en 1830 pour les élections communales et provinciales, sans que personne ait mis en avant ces nouveaux systèmes de capacité. C'est là une innovation radicale.

On comprend tout de suite, messieurs, la portée pratique d'un tel système. Ce nombre infini de petits employés désire nécessairement améliorer sa position.

Les jeunes gens qui ont 3 années d'études moyennes ou qui auront fréquenté les écoles d'adultes en création maintenant, seront en général, il faut bien en convenir, des solliciteurs d'emplois.

Ainsi, messieurs, le projet du gouvernement est un projet parfaitement ministériel. Il crée électeurs un grand nombre de solliciteurs d'avancement ou d'autres avantages, un grand nombre de solliciteurs d'emplois. Remarquez bien que je n'excepte pas les employés privés ni les employés des sociétés de quelque nature qu'elles soient, puisque ces sociétés, en général, subissent l'influence du gouvernement ; elles ont constamment besoin de recourir au gouvernement et naturellement elles cherchent à ne pas lui déplaire et sont disposées à imposer à leurs employés un rôle conforme aux désirs du gouvernement.

Il faut convenir, messieurs, qu'un tel système ne répond pas du tout au système électoral d'un pays aussi libre que la Belgique. C'est à tel point que s'il est converti en loi, je ne suis pas assuré que cette loi ne sera pas appelée loi de mystification en comparaison de la proposition de loi dont la Chambre était saisie.

Dans toute élection (et ici, messieurs, je ne parle que de la commune et de la province, car il ne s'agit que de cela dans le projet), qu'est-ce que l'élection doit faire prévaloir ? Evidemment l'opinion de la commune, l'opinion de la province, les intérêts de la commune et de la province.

Qu'est-ce que les catégories nouvelles d'électeurs doivent faire prévaloir ? L'opinion du gouvernement et des intérêts personnels.

Messieurs, remarquez que le projet de loi, dans la pratique, introduira des innovations très considérables en ce qui concerne les élections cantonales partout où des communes rurales sont adjointes à la ville chef-lieu du canton. Déjà la ville a une prépondérance marquée, incontestable ; par le nouveau système, cette prépondérance va grandir considérablement.

En effet, dès la promulgation de la loi, on trouvera dans les villes un grand nombre de jeunes gens ayant suivi les cours d'une école moyenne ou d'un collège et qui, par le payement d'un demi-cens, deviendront électeurs.

C'est dans les villes chefs-lieux de canton, que se trouvent ces sortes d'écoles. Les habitants des campagnes n'ont guère pu en profiter jusqu'à présent.

Il est vrai que postérieurement on nous a concédé que la fréquentation de l'école d'adultes pourrait aussi servir pour acquérir le titre d'électeur au demi-cens. Mais, jusqu'à présent ces écoles d'adultes n'ont pas existé dans les communes rurales, n'y existent pas et il faudra un grand nombre d'années pour que les habitants des campagnes puissent profiter des écoles d'adultes et acquérir la position qui est faite aux chefs-lieux de canton.

Ainsi, pendant plusieurs années, l'inégalité déjà existante qui ne fera que s'accroître, messieurs, on a fait, dans la discussion générale, les éloges les plus pompeux du Congrès national et de la Constitution. J'ai (page 833) été heureux d'entendre ces éloges, mais je voudrais qu'ils ne furent point stériles.

Quelle a été la cause principale de la confiance que le Congrès national et son œuvre ont inspirée au pays ? C'est que le Congrès national est né de l'union ; il a voulu sanctionner cette union et la perpétuer en laissant, par tous les articles de la Constitution, facilité égale pour le développement de toutes les opinions, de tous les intérêts. Après avoir terminé son œuvre, le Congrès national a pris pour devise : L'union fait la force.

Ces sentiments d'union ont grandement influé sur les décisions du Congrès quant au cens électoral. En effet, le Congrès a compris que si, pour l'élection des Chambres, il admettait un autre titre que le payement du cens dont il a cru devoir fixer le minimum et le maximum, de crainte que par le cours du temps, on ne se laisse entraîner, soit à restreindre le droit électoral, soit à le développer d'une manière démesurée, le Congrès a écarté complètement le système des capacités, parce qu'il devait devenir nécessairement une source de division dans le pays.

En effet, quelles sont les capacités ? Comment les limiter ? Comment les définir ? Et puis ces capacités sont essentiellement variables.

Un législateur aurait admis telle catégorie ; un autre, telle autre catégorie.

C'était une source de discussions sans terme.

Au contraire, le système du cens est simple, il est juste et équitable et il assure ,autant qu'il est possible de le faire, la stabilité de nos institutions.

Maintenons ce système du Congrès aux élections communales et provinciales. Dans la loi organique, les Chambres, composées alors d'un grand nombre de membres du Congrès national, ont adopté uniquement la base du cens.

Nous arriverions, en substituant le système des capacités à un abaissement raisonnable du cens, à donner la prépondérance à une nouvelle classe que le Congrès n'avait pas voulu admettre pour l'élection des Chambres, la plus essentielle de toutes.

En refusant un abaissement général du cens, nous écarterions cette classe si nombreuse, si intéressante, si morale de la petite bourgeoisie, de la petite industrie et de l'industrie agricole. Cette classe n'a rien à gagner aux luttes politiques, elle est désintéressée, elle est amie de l'ordre, parce qu'elle n'a qu'à perdre à l'agitation ; elle est essentiellement morale, parce que sa petite fortune est le résultat d'un travail continu qui a agrandi le patrimoine de l'ouvrier et qui a su le conserver. Le travail est la preuve la plus certaine de la moralité et la seule qui puisse être appréciée, à moins d'établir des censeurs, ce qui est inadmissible à notre époque.

On a contesté que le Congrès national ait fait une disposition constitutionnelle de la base unique du cens et on a motivé cette opinion sur ce que lorsque M. de Foere, dans la discussion de la loi électorale au mois de mars 1831, a proposé d'admettre pour une certaine proportion, entre le minimum et le maximum du cens, l'admission des capacités, le Congrès n'a pas opposé à cette proposition la question préalable.

Mais si le Congrès ne l'a pas fait, je suis convaincu que c'est surtout à cause de la considération dont jouissait M. de Foere pour ses talents et pour les persécutions dont il avait été l'objet sous le gouvernement précédent. et d'ailleurs n'est-il pas dans les habitudes de nos Chambres de ne pas opposer la question préalable alors que la proposition est inadmissible et peut être rejetée par d'autres motifs que des motifs de constitutionnalité ?

Est-il besoin, messieurs, pour avoir un bon collège électoral dans la commune et dans la province, d'avoir recours aux capacités résultant de l'instruction primaire, de l'instruction des adultes ? En aucune manière, et le gouvernement l'a reconnu lui-même puisqu'il admet comme électeurs tous les citoyens payant le cens déterminé par la loi, ne sussent-ils ni lire ni écrire, n'eussent-ils jamais fréquenté une école primaire.

Ce n'est que pour les nouvelles adjonctions qu'il exige de nouvelles conditions.

Mais, messieurs, quel est le chiffre le plus bas qu'on ait proposé pour être électeur communal ? C'est 10 francs. Eh bien, croyez-vous sincèrement qu'il y ait encore dans nos communes rurales un censitaire payant 10 fr. qui ne sache ni lire ni écrire. Quant à moi, je ne le crois pas, et s'il en existe, c'est une exception tellement rare, qu'il ne vaut pas la peine de s'en occuper.

Considérez donc, messieurs, que 10 fr. de contributions directes dans nos petites communes rurales supposent une position aisée et qu'en présence de la multiplicité des écoles primaires et de l'attrait qu'offrent ces écoles il n'est pas admissible qu'un homme aisé qui paye 10 fr. d'impôts directs néglige de suivre l'école communale alors que tant d'indigents la suivent gratuitement, conviés qu'ils y sont par les autorités civiles et ecclésiastiques.

Je ne puis croire non plus qu'un paysan ayant une petite fortune manquerait assez à ses devoirs pour ne pas assurer l'éducation de ses enfants.

L'honneur des familles, l'intérêt des familles exigent que les enfants qui ont tant soit peu d'aisance fréquentent les écoles primaires.

Mais dit-on, après quelques années la lecture et l'écriture pourront avoir été oubliées. J'admets cette possibilité pour l'écriture, mais il faut bien convenir que l'écriture, au point de vue de l'électeur, est une chose bien insignifiante. Pourvu que l'électeur sache lire et n'ait pas besoin de faire vérifier son bulletin par un tiers, il n'a nullement besoin de connaître encore l'écriture et on ne pourrait pas lui faire un grief d'avoir oublié celle-ci.

D'ailleurs, d'où viendra cet oubli ? D'un défaut d'exercice, résultat inévitable des rudes travaux auxquels l'homme de la campagne doit se livrer et qui font que sa main a bien plus de peine à tracer des caractères d'écriture à l'âge de 25 ans qu'elle n'en avait, à l'âge de dix ou de quinze ans. Faut-il punir cet homme de ce qu'il a beaucoup travaillé, de ce que sa main s'est engourdie par les rudes labeurs auxquels il est condamné ?

Quant à l'enfant aisé qui a fréquenté l'école primaire pendant quelques années, il a trop souvent l'occasion de lire pour qu'il soit exposé à oublier cette partie des connaissances qu'il a acquises.

Messieurs, l'on a préconisé la fréquentation d'une école primaire pendant trois années comme preuve suffisante de capacité ; on l'a signalée comme étant un obstacle insurmontable au suffrage universel dont il a été si souvent question dans la discussion générale.

Quant à moi, messieurs, mon appréciation est diamétralement opposée. Si l'instruction primaire, l'instruction des adultes est une faveur pour acquérir la qualité d'électeur, il n'y a plus aucun obstacle au suffrage universel.

En effet, nos classes les plus indigentes sont protégées avec empressement, avec amour par tous ceux qui ont à cœur le bien-être de la société : nos administrations communales, nos institutions de bienfaisance, notre clergé font les plus grands efforts pour que ces classes indigentes fréquentent l'école primaire. Or, je demande comment, après que l'Etat, les provinces, les communes, les associations privées ont fait tant de sacrifices pour développer l'instruction primaire, il n'y aurait pas une véritable inconséquence à refuser à ceux qui ont joui des bienfaits de cette instruction, l'exercice d'un droit auquel vous attachez tant d'importance et dont l'exercice exige des garanties de connaissances que possèdent ceux qui ont fréquenté les écoles primaires ! Mais, messieurs, outre que l'obligation de savoir lire et écrire, l'obligation de fréquenter telle ou telle école n'est pas un obstacle naturel au suffrage universel, je pourrais dire que le suffrage universel, en présence de notre Constitution, en présence de la disposition des esprits dans notre pays, est un véritable fantôme.

Le Congrès a tellement bien protégé son œuvre par les obstacles qu'il a apportés à la révision de la Constitution, que je suis bien convaincu que jamais le gouvernement ne parviendra à faire r »viser la Constitution en ce point, à moins qu'on ne se trouve à une de ces époques de grand cataclysme où les gouvernements, comme nous l'avons vu dans d'autres pays, ont recours au suffrage universel comme un grand moyen politique.

En présence de ce qui se passe dans d'autres pays, je crois que ce que nous avons de mieux à faire c'est d'attendre avec patience l'influence du suffrage universel qui y fonctionne et s'il produit les avantages qu'on en espère, il pourra y avoir lieu d'examiner s'il faut adopter également ce système en Belgique. Mais attendons l'expérience des autres nations, ne nous pressons pas puisque nous avons le bonheur de vivre sous l'égide d'une Constitution qui jusqu'à présent a satisfait à toutes les opinions.

On veut introduire dans notre législation le privilège des lettrés pour les élections communales et provinciales. Mais si cette demi-science est utile et même si nécessaire pour la commune et la province, comment pourrait-on nier qu'elle ne fût plus utile et nécessaire pour les élections des Chambres ?

Et là on préparerait une demande, de révision de la Constitution pour que la législature sorte d'un suffrage aussi honorable que la commune et la province ; ou bien les Chambres resteront sous le coup d'une dépréciation qu'elles ne peuvent pas accepter et qu'elles ne peuvent pas (page 834) subir sciemment ou volontairement. Les Chambres ne veulent pas moins représenter la capacité que la commune et la province ; sinon vous abaissez le système parlementaire et vous déshonorez d'avance vos lois et vos décisions.

Ce n'est pas tout, messieurs ; à côté du privilège des lettrés, on maintient le privilège du débitant de boissons alcooliques, de genièvre et de prétendue eau-de-vie ; privilège introduit en 1848 comme loi de nécessité et de circonstance, de la même manière qu'on a introduit simultanément l'uniformité du cens électoral entre les villes et les campagnes, ce qui a rompu, contrairement à la volonté du Congrès, l'équilibre au profit des villes et au détriment des campagnes.

Si je parle de cette mesure, messieurs, ce n'est qu'incidemment, car je n'ai nullement l'intention de demander le rétablissement du cens différentiel pour l'élection des Chambres.

On ne doit pas croire, messieurs, que l'admission du droit de débit de genièvre et d'eau-de-vie ait été faite par un motif constitutionnel. M. le ministre des finances a pu croire personnellement que la Constitution le prescrivait ; mais cela est certainement contraire à l'opinion de la grande majorité des Chambres qui ont consenti à compter le droit de débit comme impôt direct.

Un mot sur la nature de ce droit de débit.

Assurément le débit du genièvre, des eaux-de-vie falsifiées a pour effet la ruine de la santé de ceux qui fréquentent ces établissements, la ruine de leurs familles, et j'ajouterai : très souvent la ruine de leur moralité. Ce n'est donc pas une chose qu'il faille favoriser.

Mais, dit M. le ministre des finances, je rentre précisément par mon système d'électeurs à capacité dans les vues que vous préconisez ; par là je restreins l'admission du cabaretier ou du débitant de genièvre.

Il n'en est rien, messieurs ; car si, à l'aide de la fréquentation d'une école d'adultes pendant trois ans, il suffit de payer la moitié du cens électoral pour être électeur, les cabaretiers fréquenteront une école d'adultes pendant trois ans, et leur maison de débit ne sera pas meilleure qu'aujourd'hui, au contraire ; le cabaretier, étant électeur, se croyant devenu savant, deviendra orateur, et attirera dans son débit plus d'électeurs ; il exercera une influence plus grande, et il ne payera plus que la moitié du cens.

D'autre part, il est évident que si vous accordez au cabaretier, qui aura fréquenté une école d'adultes pendant trois ans, ce privilège du demi-cens, les candidats qui aujourd'hui payent ce droit spécial du débit, à la décharge du cabaretier, le payeront plus facilement, lorsqu'il ne s'agira que d'un demi-cens.

Vous multiplierez conséquemment le nombre des débitants de boissons distillées, comme ils se sont multipliés, alors que M. le ministre des finances a abaissé le droit sur ce débit de divers degrés suivant la population des communes.

M. le ministre des finances vous a dit alors : « En abaissant les droits, je ferme les débits clandestins. » J'ai demandé ce que pouvaient être ces débits clandestins ? S'ils pouvaient constituer une grande réunion de buveurs ? On doit reconnaître qu'il ne pouvait s'agir que de quelques verres de liqueurs alcooliques vendus à un petit nombre de chalands.

J'ajoute que si un débit dans ces conditions pouvait échapper pendant quelque temps à l'attention des agents du fisc, il était impossible que ce débit clandestin restât longtemps caché, parce que cela était trop facile à découvrir.

Remarquez bien, messieurs, que quand je parle du droit spécial sur le débit des boissons alcooliques, je n'entends nullement appliquer mes observations aux cabaretiers qui se bornent à vendre de la bière, boisson saine et rafraîchissante et dont il ne faut pas empêcher Je peuple de faire usage.

La patente de ces cabaretiers doit nécessairement leur compter pour faire le cens électoral. Mais quant au débit des boissons alcooliques, notez bien que vous créez une catégorie d'électeurs toute spéciale. Ces débitants, parce qu'ils payent cette taxe spéciale, n'ont pas pour cela plus de fortune ; mais ils acquièrent une position privilégiée à l'égard des autres contribuables qui, avec la même fortune, ne deviennent pas électeurs, tandis que le débitant de boissons alcooliques le devient à l'aide de ce droit spécial. Voilà en quoi consiste l'abus.

Ajoutons qu'un nombre énorme de ces droits de débit est payé par les concurrents dans les élections. On a commence à songer surtout à cette fraude vers 1855 ou 1856. Une fois que cette fraude a été essayée et qu'elle a réussi, elle s'est propagée rapidement, et continue de se propager ; nous ne sommes pas encore au bout.

C'est une fraude très difficile à constater. Il n'est pas dit combien il faut de buveurs qui fréquentent une maison de débit pendant un temps déterminé, pour constituer le droit. On ne saurait déterminer ce nombre. N'y eût-il que dix amateurs de boissons alcooliques fréquentant un cabaret dont le chef a pris un brevet de débit, il est incontestablement électeur. C'est une fraude que vous ne pouvez réprimer ; c'est pourquoi elle se commet sur une si large échelle.

Je défie qu'on me cite un seul pays où un pareil système électoral existe et où il ait jamais existé. La Belgique a donné le triste exemple de ce précédent.

Messieurs, si le droit de débit eût été un droit constitutionnel, comme impôt direct, soyez persuadés qu'en 1838 les jurisconsultes qui siégeaient en grand nombre dans cette Chambre ne l'eussent pas admis, et le gouvernement ne l'eût pas proposé ! On vous a cité l'opinion de divers membres très distingués des deux côtés de cette assemblée qui ont soutenu cette thèse, que ce n'était pas un impôt direct, constitutionnellement parlant.

On a voulu substituer le droit de débit au droit de fabrication. Voilà la nature de cet impôt. D'ailleurs, on a ajouté dans cette discussion que, pour que ce fût un droit constitutionnel pour les élections aux Chambres, il aurait fallu que l'ensemble des impôts payés par le cabaretier, y compris l'impôt de débit, s'élevât à 100 florins. Tant qu'ils n'atteignaient pas les 100 florins, il n'y avait pas obligation constitutionnelle de faire compter le droit de débit pour le cens électoral.

On pourrait donc parfaitement rétablir la disposition de la loi de 1838 sans violer en aucune manière la Constitution.

Mais le vote de 1848 était-il contraire à celui de 1838 ? Mais non, messieurs, c'était un vote provoqué par les circonstances politiques...

MfFOµ. - Ce n'était pas en 1848, mais en 1849.

M. de Theuxµ. - Soit, c’était une année plus tard ; les circonstances étaient encore graves.

La meilleure preuve que la Chambre ne s'est pas crue obligée en 1849, par les principes de la Constitution, de comprendre cette taxe spéciale parmi les impôts directs, c'est que dans cette Chambre siège un grand nombre de membres qui, en 1838, avaient soutenu l'opinion que l'impôt est indirect. L'opinion contraire a été introduite en 1849 par voie d'une simple allégation ; mais elle n'a pas été discutée alors, comme la question l'avait été en 1838, lorsque la loi en été présentée à la législature.

Ajoutons qu'en 1849 on ne prévoyait pas toutes les conséquences qui se sont révélées depuis ; on ne songeait pas à cette fabrication immense d'électeurs à l'aide du débit sur les boissons alcooliques.

Messieurs, il est impossible de mettre en doute que les débitants de boissons exercent aujourd'hui une véritable prépondérance électorale dans plusieurs communes, dans plusieurs cantons et dans certains arrondissements pour l'élection des Chambres.

Voici la conclusion que j'en tire : cet élément est mauvais au point de vue administratif et cependant il influence l'administration dans les communes. Il est mauvais au point de vue de la représentation provinciale et encore plus mauvais au point de vue de la représentation législative. Et comptez donc qu'un vice dans une loi électorale pour les Chambres peut entraîner les conséquences les plus graves ! Ainsi supposons que par l'impôt du débit on déplace la majorité dans un arrondissement, dans plusieurs arrondissements, qu'arrive-t-il ? C'est que la majorité de la Chambre est viciée, contrairement à l'esprit de la Constitution et conséquemment le gouvernement du pays est vicié. Car telles Chambres, tel gouvernement. C'est là un axiome incontestable.

Ainsi cet impôt peut avoir, dans des circonstances données, les conséquences les plus fâcheuses, les plus diamétralement opposées à la pensée du Congrès national.

Quant à moi, je n'hésite pas à le dire, je préférerais renoncer à la recette de 13 à 14 cent mille fr. que de maintenir un système aussi vicieux. Qu'est-ce que c'est qu'une somme de 13 à 14 cent mille fr. comparativement au bien-être d'une bonne administration des communes et contrairement à une saine représentation du pays dans les Chambres législatives ? Du reste, M. le ministre des finances, en proposant la loi qui a aboli les octrois, vous a fait voir qu'il est assez ingénieux pour remplacer un système tel que celui que nous signalons. Qu'il y mette un peu de bonne volonté et il nous présentera très facilement un moyen de parer aux inconvénients qui existent.

Messieurs, on a traité aussi la question de l'uniformité du cens. Et ici, ceux qui ont soutenu cette thèse se sont trompés du tout au tout.

(page 835) Ils ont cru que ceux qui voulaient maintenir un cens différentiel dans les communes suivant leur population supposaient que les habitants des villes avaient moins d'intelligence que les habitants des campagnes.

Or, telle n'a pu être la pensée de personne. Ne surfaisons l'intelligence ni des habitants des villes ni des habitants des campagnes. Ici d'ailleurs la question de prédominance d'une population sur l'autre est complètement oiseuse ; car il s'agit exclusivement des élections communales, qui se font exclusivement aussi dans l'intérêt d'une seule commune dont tous les habitants sont électeurs au même cens.

Mais d'où vient ce cens différentiel qu'on a établi dans les communes ? Il vient de la différence des intérêts. Ainsi de la même manière que l'on a cru qu'il fallait un cens supérieur pour élire les membres des Chambres, de la même manière, on a cru que pour élire l'administration communale d'une grande ville où le budget s'élève quelquefois à des millions, où tant d'intérêts de grande importance sont agités, il était convenable d'avoir des censitaires payant un cens plus élevé.

Ainsi les grandes villes, en 1836, ont été assujetties, pour le cens communal, à cent francs, tandis que pour les petites communes on descendait à quinze francs, et même graduellement pour les communes intermédiaires, et je ne sache pas qu'aucune grande ville se soit trouvée humiliée, se soit trouvée offensée par cette distinction du cens.

Ainsi les conseils provinciaux encore qui traitent des intérêts généraux de la province, dont la députation permanente doit aviser sur les actes de l'administration communale, ont été élus par les catégories d'électeurs payant un cens supérieur.

On avait adopté le même cens que pour les Chambres. On avait cru qu'il y avait une certaine analogie, et puis c'est une facilité pour la confection des listes électorales.

Veut-on abaisser le cens communal et provincial, on peut le faire dans des limites raisonnables et qui, je crois, ne pourraient déplaire à personne. Qu'on établisse pour les grandes communes un cens de 25 ou de 35 francs, comme on le voudra, peu m'importe le chiffre, et que ce chiffre soit appliqué aux provinces ; qu'on admette pour les populations supérieures à 2,000 âmes un cens de 15 fr. et qu'on admette un cens de 10 fr. pour les petites communes rurales, je n'y vois aucune espèce d'inconvénient. Notez bien que le campagnard qui paye 10 fr. d'impôt direct dans une commune, est un homme qui connaît parfaitement son cohabitant de la commune ; il connaît son dévouement à la commune, il connaît l'honnêteté de sa conduite, il connaît aussi son savoir distingué parmi les autres. Il n'est pas nécessaire pour lui d'être un électeur provenant d'une école d'adultes ou d'une école moyenne ou d'un collège. Le bon sens suffit largement pour cela.

Observez encore que moins la commune est populeuse, moins le personnel du conseil est nombreux, et plus facilement les habitants notables sont connus et appréciés. Encore un motif de distinguer le cens entre les diverses communes suivant leur population.

Messieurs, je conclus et j'engage, autant qu'il est en mon pouvoir, la Chambre à ne pas dévier du système du Congrès national et des Chambres législatives qui ont suivi immédiatement cette assemblée, conséquemment à maintenir le cens pour base unique du droit électoral ; à maintenir le cens différentiel pour les communes suivant leur importance ; à ne pas abaisser trop profondément le cens pour les conseils provinciaux, parce qu'ils ont à statuer sur des intérêts majeurs. Ainsi, pour ces sortes d'assemblées il me semble qu'un cens fixé à 30 fr., alors que pour les Chambres il est de 42 fr. 32 c, n'aurait rien de déraisonnable, ne présenterait pas d'inconvénient.

Messieurs, on ne peut méconnaître que depuis 1836 que la loi communale est faite, un grand progrès s'est réalisé dans les petites communes rurales, comme dans les autres, par l'instruction plus répandue, par la pratique du système électoral, par les rapports des citoyens entre eux, des citoyens habitant les campagnes, des citoyens habitant les villes.

Un changement s'est opéré et je crois que si l'on fixait ce changement au chiffre de 10 fr., ce qui constituerait l'abaissement d'un tiers, il n'y aurait pas d'inconvénient pratique. Mais si l'on trouve que ce chiffre est trop bas, pourvu qu'on fasse quelque chose pour les campagnes, quand même on adopterait le chiffre de 12 francs, ce. qui serait l’abaissement d'un cinquième, il y aurait au moins une justice qui leur serait rendue. En 1848, on n'a rien fait pour les campagnes. Une seule chose a été faite ; on a permis aux électeurs communaux de choisir librement les conseillers communaux. Par la loi de 1836, leur choix était limité ; ils devaient choisir dans la liste des électeurs. Aujourd'hui, ils peuvent choisir en dehors ; ainsi le plus capable, ne payât-il aucun cens, fût-il un jeune homme ne possédant pas un centime, peut devenir conseiller communal ; il peut même devenir bourgmestre, s'il possède les autres capacités nécessaires pour bien administrer.

Messieurs, le système des lettrés est, à mon avis non seulement inutile, mais injurieux. Il et injurieux, parce qu'il établit des distinctions entre électeurs ; il est injurieux pour le pays parce qu'il suppose qu'après une aussi longue période de pratique constitutionnelle et administrative, le peuple n'a plus réellement ce sens moral, ce bon sens qui suffit pour choisir parmi les plus honnêtes et les plus capables de la commune. Honorons les électeurs, au lieu de les abaisser, et j'ajoute : honorons l'âge mûr et la vieillesse ; or, je prétends que le système des capacités tend à amoindrir l'influence, le respect dus à l'âge mûr et à la vieillesse, au profil de la jeunesse.

Quel que puisse être l'intérêt de la jeunesse, quel que puisse être son agrément, quelle que soit son instruction, il faut convenir que pour le simple choix de conseillers communaux, elle ne peut pas lutter avec l'expérience des hommes mûrs et des vieillards, qui ont passé leur vie à faire les frais de l'éducation des jeunes gens. Aucun pays ne mettra la jeunesse au-dessus de l'âge mûr et de la vieillesse, et la Belgique ne donnera pas cet exemple en adoptant le projet de loi du gouvernement, qui aurait fatalement cette conséquence.

MfFOµ. - Messieurs, je m'associe complètement à ce que l'honorable M. de Theux a dit du Congrès national au commencement de son discours. Le Congrès était certainement une assemblée très sage, et très libérale. Mais je ne puis donner le même sens que l'honorable membre à l'adoption par le Congrès de la devise l'Union fait la force. Je ne pense pas que le Congrès ait entendu par là que l'on serait toujours désormais du même avis...

M. de Theuxµ. - Non certainement.

MfFOµ. - ... que tout le monde penserait de même.

M. de Theuxµ. - Il a consacré la liberté d'opinion.

MfFOµ. - C'est la preuve que le sens donné par l'honorable M. de Theux à la devise nationale n'est pas admissible. Ce qui est vrai, et cette pensée nous est commune, c'est que, au-dessus de toutes les opinions, il y a des intérêts que nous savons tous respecter. Pour ma part, je suis profondément convaincu que, quelles que soient d'ailleurs les divisions qui peuvent exister sur des questions qui passionnent à certains moments les esprits, au jour où cela est nécessaire, nous nous rencontrons tous sur le même terrain.

Je ne puis admettre davantage l'opinion exprimée par l'honorable membre au sujet des capacités en matière électorale. II vous a dit, et c'est là une simple affirmation mise à la place d'une démonstration, que bien certainement le Congrès n'avait pas voulu admettre les capacités, qu'il les avait exclues d'une manière absolue. Eh bien, à l'opinion, d'ailleurs très respectable, de l'honorable membre, nous avons à opposer l’opinion d'autres membres du Congrès, qui affirment absolument le contraire. Je ne discute pas en ce moment, je me borne à opposer des autorités à des autorités. Quels sont les membres du Congrès dont j'oppose l'opinion à l'opinion qui vient d'être émise par l'honorable M. de Theux ? Ce sont précisément ceux dont on invoque l'autorité pour démontrer que le cens est l'unique base admise par le Congrès. C'est l'honorable M. Defacqz, l'auteur de l'amendement dont le Congrès a eu à s'occuper, et c'est l'honorable M. Forgeur, dont on cite constamment les paroles justificatives du cens.

Or, il se trouve que ces deux honorables anciens membres du Congrès ont, tous les deux, fait la proposition d'adjoindre les capacités aux listes électorales ; donc ils ne croyaient pas qu'il y eût là quelque chose de contraire à l'esprit de la Constitution, et ils n'étaient pas de l'avis de l'honorable M. de Theux, qui prétend que le Congrès a formellement exclu les capacités.

Maintenant est-il vrai, comme le dit l'honorable membre, qu'admettre les capacités dans le corps électoral, c'est faire une de ces choses qui portent atteinte à nos institutions mêmes, bien plus, qui sont de nature à déconsidérer la nation, plus encore à la démoraliser en introduisant les jeunes gens dans le corps électoral au mépris du respect dû à la sagesse de l'âge mûr et de la vieillesse ?

Je m'étonne, messieurs, d'entendre de pareilles exagérations de la part de l'honorable M. de Theux. Il oublie que le Congrès a été constitué par un corps électoral dans lequel on avait appelé précisément les (page 836) capacités qu’il répudie aujourd’hui si énergiquement. Il oublie que le gouvernement provisoire avait ajouté à la liste des censitaires les citoyens qui remplissaient certaines conditions de capacité. Et l'expérience a prouvé que le gouvernement provisoire ne s'était pas trompé. Ce même système a été appliqué aux élections communales depuis 1830 jusqu'en 1836. Pourquoi n'a-t-il plus été appliqué depuis lors ? Consultez le rapport fait par l'honorable M. Dumortier sur le projet d'organisation communale. Il s'est bien gardé d'invoquer toutes les raisons que l'on veut faire prévaloir aujourd'hui ; il n'a pas argumenté de l'esprit de la Constitution pour exclure les capacités du corps électoral.

M. Dumortier. - Je n'ai invoqué que les questions de fait.

MfFOµ. - Certainement Mais s'il y avait eu quelque chose d'inconstitutionnel dans ce système, vous n'eussiez pas manqué de le dire. Vous étiez là précisément pour défendre la Constitution.

Qu'avez-vous dit ? Que le système ne pouvait pas être admis, qu'il résultait des tableaux fournis par le gouvernement, que l'élasticité donnée à la désignation de profession libérale pouvait donner lieu à des abus ; qu'il y avait de grandes inégalités de ce chef ; que dans certains arrondissements on rencontrait beaucoup de capacités que dans d'autres arrondissements il yen avait très peu, et que même dans quelques communes il n'y en avril pas du tout, que par conséquent il ne convenait pas d'adopter un pareil système.

Ce n'est donc pas dans la Constitution que l'honorable membre a puisé à cette époque les arguments qu'il opposait à l'introduction des capacités dans le corps électoral.

L'honorable membre a qualifié notre système de nouveau ; il est vraiment nouveau, mais il n'est pas nécessairement mauvais pour cela. Il consiste à confier le droit électoral à ceux qui font preuve d'aptitude. Mais qu'allons-nous faire à l'aide de ce système ? Selon l'honorable membre, nous allons peupler le corps électoral de fonctionnaires, et non seulement de fonctionnaires, mais d'aspirants fonctionnaires ! Il n'y aura pour ainsi dire plus autre chose dans le corps électoral !

M. de Theuxµ. - Je n'ai pas été aussi loin que cela.

MfFOµ. - Soit ! Mais tout au moins l'honorable membre nous a montré le corps électoral envahi par les fonctionnaires et par les aspirants fonctionnaires. Seulement, il a perdu de vue qu'avec le cens réduit purement et simplement, comme le proposent ses honorables amis, les fonctionnaires et les aspirants fonctionnaires entreraient également dans le corps électoral.

M. Coomans. - Avec des compensations.

MfFOµ. - Mais ils vont devenir aussi odieux que les cabaretiers.

Si, par aventure, leur nombre atteint 10 p. c. de la totalité des électeurs, vous allez crier à l'abomination de la désolation !

M. Coomans. - C'est à titre de privilégiés que nous les combattons.

MfFOµ. - Nous allons voir cela tout à l'heure.

Vous êtes-vous rendu compte de la situation sous ce rapport, en ce qui touche les fonctionnaires publics qui sont admis par le 3° de l'article 3 du projet du gouvernement ? J'en doute très fort. J'ai déjà eu l'honneur de le dire à la Chambre, ce 3° de l'article 3 est de la plus médiocre importance. Il s'applique à un nombre extrêmement restreint d'individus. On ferait disparaître cette disposition de la loi, que ce serait vraiment insignifiant.

M. Coomans. - Alors n'y tenez pas.

MfFOµ. - Je n'ai pas attendu vos objections pour caractériser ainsi la disposition du 3° de l'article 3. Je l'ai dit dès l'origine.

M. de Mérodeµ. - Faites-la disparaître.

MfFOµ. - Au vote, vous en ferez ce que vous voudrez. Mais, permettez-moi de vous montrer toute l'exagération qu'il y a dans l'appréciation que vous faites de cette disposition si simple par les conséquences presque insignifiantes qu'elle produira. Reprenez les catégories énumérées : magistrats fonctionnaires de l'administration publique, membres du clergé, etc., et demandez-vous combien d'entre eux ne sont pas électeurs ? Demandez-vous en outre combien ne le seront pas avec le cens réduit ? Je ne sais pas s'il en restera beaucoup qui ne seraient pas électeurs.

Mais supposons pour un instant le contraire de ce qui existe en réalité, et admettons qu'il n'y en ait pas un seul qui soit électeur aujourd'hui.

Qu'allons-nous donc introduire dans le corps électoral ? Combien avons-nous de fonctionnaires civils de l'administration générale qui aient un traitement supérieur à l1,500 fr. en y comprenant tout le clergé ? Eh bien, ce danger si grand, cette foule envahissante se compose de 6,600 personnes

M. Thonissenµ. - C'est déjà un beau chiffre.

MfFOµ. - Et j'ose dire à priori, sans vérification, qu'il y en a 5,000 peut-être qui sont électeurs actuellement.

M. Bouvierµ. - Reste 1,600 !

MfFOµ. - Et avec l'abaissement du cens, je ne sais pas s'il en resterait beaucoup qui ne fussent pas électeurs.

Vous auriez, il est vrai, avec l'adoption du 3° de l'article 3, un certain nombre de jeunes avocats qui, n'étant pas encore établis, n'étant pas mariés, vivent chez leurs parents, et ne font pas dès lors partie du corps électoral sons le régime actuellement en vigueur. Mais à part des exceptions ce sera tout à fait insignifiant ; de telle sorte que si l'opposition qui avait paru désirer qu'on se mît d'accord, nous disait : Renoncez à cette proposition et nous admettrons la réduction du cens sous les conditions que vous indiquez, la paix serait bientôt faite.

Maintenant je croyais que nous en avions fini avec les cabaretiers, du moins pour le moment et jusqu'au budget des voies et moyens.

M. Bouvierµ. - Un si beau thème !

MfFOµ. - Mais l'honorable membre a cru devoir les introduire de nouveau dans le débat.

M. de Theuxµ. - C'était nécessaire.

MfFOµ. - J'avais cru jusque, dans ces derniers temps que les cabaretiers étaient une invention nouvelle, qu'on se servait de ce petit moyen depuis la loi de 1849 et que c'était un prétexte comme un autre de blâmer les actes du gouvernement.

Mais j'ai découvert que les cabaretiers sont une très vieille invention.

On a introduit dans la loi communale de 1836 une certaine disposition qui permet de compter le tiers des contributions du propriétaire au fermier, sans réduction des droits du propriétaire. Comment a-t-on justifié cette disposition ? Par les cabaretiers. (Interruption.)

Vous allez voir. Les cabaretiers étaient déjà inventés à cette époque. C'est l'honorable M. Dumortier qui, dans son rapport, s'en explique ainsi :

« La clause finale que nous avons admise, présentée par la 5ème section, est empruntée à la loi française. Dans les communes rurales, il arrive souvent que, tandis que tous les cabaretiers sont électeurs., la plupart des fermiers locataires, quoique payant en réalité de forts impôts, ne jouissent pas de cette qualité, attendu que la contribution foncière est comptée au propriétaire.

« C'est donc contre les cabaretiers que cette disposition a été admise. »

M. Dumortier. - C'était pour rétablir l'équilibre.

MfFOµ. - Ils étaient donc censitaires en ce temps et, suivant vous, dans certaines communes rurales, ils formaient à peu près tout le corps électoral.

M. de Naeyerµ. - Le droit sur le débit de boissons alcooliques n'était pas né.

MfFOµ. - Je le sais parfaitement.

M. de Naeyerµ. - C'est donc une autre question.

MfFOµ. - Pardon, c'est la même question. Est-ce que les cabaretiers n'étaient pas patentés ? Ne débitaient-ils pas des boissons alcooliques ?

On a exigé depuis une patente spéciale de ces mêmes cabaretiers ; mais alors déjà ils étaient électeurs, et s'ils avaient alors dans les élections l'influence qu'on leur attribue, j'en conclus que tout le bruit que l'on fait autour de la loi de 1849 n'a rien de sérieux, n'a rien de fondé. C'est tout simplement de la fantasmagorie.

M. Coomans. - Les chiffres sont là.

MfFOµ. - Nous allons arriver aux chiffres.

Messieurs, j'ai essayé de me rendre compte du rôle que jouent les divers impôts dans la constitution du cens électoral.

On ne peut aboutir à un résultat un peu concluant, qu'en faisant la statistique de toutes les listes électorales, afin de pouvoir vérifier combien il y a d'électeurs à l'aide de la contribution foncière, combien à (page 837) l'aide de la patente, et combien suivant les diverses combinaisons de ces impôts. A défait de cet élément qui me manque, j’en ai cherché un autre qui, va, je crois, porter la conviction dans vos esprits et vous faire comprendre que tout ce qui se dit à propos des cabaretiers et de leur influence dans le corps électoral, est singulièrement exagéré.

Vous allez comprendre également quelle est l'importance de la contribution foncière dans la formation du cens électoral.

En 1864, les impôts directs ont produit à l'Etat 34,702,56 francs, divisés entre 1,922,582 cotisations. La part de chaque impôt et dès cotes y relatives est comme il suit :

Foncier : impôt : fr. 18,886,156 (54.42 p. c.) ; cotes : 1,085,715 (56.37 p. c.)

Personnel : impôt : fr. 10,848,400 (31.26 p. c.) ; cotes : 421,051 (21.90 p. c.)

Patentes : impôt : fr. 3,448,722 (9.94 p. c.) ; cotes : 304,257 (15.81 p. c.)

Boissons : impôt : fr. 1,304,86 (2.76 p. c.) ; cotes : 86,702 (4.52 p. c.)

Tabacs : impôt : fr. 214,457 (0,62 p. c.) ; cotes : 26,859 (1.40 p. c.)

Ainsi la contribution foncière supporte plus de la moitié des impôts directs.

M. Dumortier. - Vous y ajoutez des impôts indirects que vous avez créés.

MfFOµ. - Vous m'interrompez sans m'avoir compris.

Je reprends. La contribution foncière représente la moitié, plus de la moitié même des impôts directs, c'est-à-dire 54.42 p. c.

Les cotisations pour l'impôt foncier représentent également plus de la moitié du nombre total des cotes d'impôts directs (56.37 p. c). La contribution personnelle fournit 1/3 des impôts et 1/5 des cotisations ; les patentes ne donnent que 1/10 des impôts et 1/6 des cotisations ; les boissons 1/35 des impôts et 1/25 des cotisations, le tabac 1/65 des impôts et 1/75 des cotisations. Maintenant si l'on divise les impôts directs en deux grandes catégories, voici ce que l'on trouve pour les diverses contributions.

Les cotes de 40 fr. et plus pour la contribution foncière s'élèvent à 12,175,807 fr., c'est-à-dire 02.43 p. c. du montant total des cotisations supérieures à 40 fr. ; et le nombre de ces cotisations est de 98,081, soit 55.28 p. c ; la contribution personnelle pour les mêmes cotes de 40 fr. et plus, donne 6,018,434 fr., par conséquent 30.87 p. c. de. la totalité avec 64,439 cotes, soit 30.54 p. c. ; la patente donne 1,275,557 fr., soit 6.54 p. c. ; avec 14,405 cotes, ou 8.06 p. c. ; les boissons donnent 17,670 fr., soit 0.09 pour 406 cotes, soit 0.23 p. c. ; le tabac donne 8,508 fr. ou 0.05 p. c., se rapportant à 146 cotes, ou 0.09 p. c.

Ainsi les cotes de 40 fr. et plus s'élèvent pour les cinq catégories d'impôts à 177,475 fr., soit un peu plus de 4/10 des cotisations, et supportent une somme de 19,493,976 fr. ou plus de la moitié des impôts, 56.12 p. c.

Maintenant, rapprochons ces chiffres du nombre des électeurs. Les électeurs généraux étaient en 1864 de 105,717 ; le rapport entre ce chiffre et le nombre de cotisations à 40 fr. et plus est de 1.71, c'est-à-dire qu'il faut à peu près deux cotisations pour un électeur. Cette proportion donnerait les résultait que je vais indiquer en tenant compte exclusivement des cotes de 40 fr. et au-dessus ouvertes dans les rôles des cinq impôts.

Contribution foncière, 57,350 électeurs, ou 55.30 p. c.

Contribution personnelle, 57,090 électeurs, ou 36.34 p. c.

La patente, 8,420 électeurs, ou 8.12 p. c.

Les boissons, 230 électeurs, ou 0.22 p. c.

Le tabac, 20 électeurs, 0.02 p. c.

En tout 105,710 électeurs. Ainsi la contribution foncière fournirait plus de la moitié des électeurs.

M. Coomans. - Vous avez dit vous-même que nous avions 12 p. c. d'électeurs cabaretiers qui ne figureraient pas sur les listes électorales sans l'impôt sut le débit de boissons qui sert à fabriquer de faux électeurs.

MfFOµ. - Vous n’avez pas compris ce que j’ai dit. Je viens d’établir quelle est l’importance des divers impôts et des cotes des diverses contributions directes.

Il est certain que les électeurs ne sont pas en nombre rigoureusement proportionnel à ces cotes ; cela est impossible puisque les divers impôts se combinent sur la tête de chaque électeur. Mais il résulte nécessairement de là que l'élément foncier domine dans le corps électoral ; voilà ce qui est manifeste, ce qui ne peut pas être nié et c'est la seule chose qui soit à démontrer pour le moment. On prétend que les fermiers sont écrasés notamment par les cabaretiers ; je démontre d'une manière péremptoire, je petite, que l'élément foncier est prépondérant dans le corps électoral, et il est impossible qu'il en soit autrement.

M. Coomans. - Il ne manquerait plus que les cabaretiers fussent les plus nombreux, il y en a 12 p. c. C’est bien assez.

MfFOµ. - L'honorable membre qui m'interrompt ne remarque pas qu'il résulte précisément de ce que je viens de dire que les cabaretiers, c'est-à-dire, ces hommes que l'on voudrait frapper d'ostracisme, et les débitants de boissons, si l'on fait une distinction, sont des propriétaires, qui ne font qu'ajouter un supplément à leurs contributions. Ces hommes sont-ils donc sans intérêt dans la société ? Est-ce qu'il y a une raison spéciale et particulière de les exclure du corps électoral, parce qu'ils sont cabaretiers ?

Voici, messieurs, un autre renseignement qui corrobore celui que je viens de donner à la Chambre, seulement à titre de probabilité. Vous verrez que cette probabilité est singulièrement renforcée par la coïncidence qui existe entre les deux éléments mis en présence.

J'ai pu me procurer les listes électorales de tout un arrondissement, celui de Nivelles. J'en ai fait opérer le dépouillement d'après les indications que j'ai données tantôt à la Chambre, et le résumé de ce travail est précisément en rapport avec les résultats, fournis par la statistique des cotisations. Il résulte de ce dépouillement que le nombre des électeurs par la contribution foncière est de 55.10 p. c. dans le corps électoral ; par la contribution personnelle de 32.80 p. c, et par les patentes, débit de boissons et débit de tabacs 12.10 p. c.

M. Dumortier. - Quelle est la part de la patente et celle des débits de boissons ?

MfFOµ. - Je vous la donnerai ; je ne l'ai pas ici sous tes yeux.

M. Dumortier. - C'est dommage.

MfFOµ. - Mais, mon Dieu ! il s'agit de 1,500,000 fr., répartis entre les contribuables, sur une somme d'impôts de près de 35 millions.

Comment pouvez-vous imaginer que cela puisse exercer une influence prépondérante ? Or, toute la question et là et elle se borne à cela.

Il résulte donc des renseignements que je. viens de donner à la Chambre que, contrairement à ce que l'on a cru et affirmé, la prépondérance appartient en réalité à l'élément foncier dans le corps électoral. II n'y a d'exception que pour les villes ; là, évidemment, c'est la contribution personnelle qui forme l'élément principal.

Je pense, messieurs, que ces explications calmeront un peu les appréhensions, que l'on exprime à chaque instant au sujet des cabaretiers, et qu'enfin ils seront exclus de cette discussion, dans laquelle, du reste, ils n'ont rien à faire, car, en définitive, il n'y a pas de proposition relative aux cabaretiers ; il n'y a pas, en ce qui les concerne, de discussion qui puisse aboutir à un résultat quelconque.

Et s'il y a une seule observation à faire, c'est celle qui résulte de la proposition du gouvernement ; c'est-à-dire que, quoi qu'en pense l'honorable M. de Theux, à l'aide de cette proposition, au lieu d'avoir une nouvelle addition de 80,000 cabaretiers, ce à quoi l'on aboutirait en abaissant le cens à dix francs comme le propose l'honorable M. Nothomb, nous n'en aurons qu'un nombre excessivement restreint, réunissant d'ailleurs les conditions que la loi détermine, c'est-à-dire payant le cens et faisant preuve de capacité. On ne sait pas, en vérité, en vertu de quelle raison on pourrait dès lors les exclure de l'urne électorale,

M. Jacobsµ. - Je n'ai pas l'intention, messieurs, de répondre à la réhabilitation de l'élément cabaretier, à laquelle vient de se livrer M. Je ministre des finances. Je croyais qu'il était reconnu que c'était un mauvais élément électoral. Si l'on regrette cet aveu, nous aurons l'occasion de le discuter à l'occasion de ce rapport des six députations permanentes dont nous aurons bientôt à nous occuper.

J'ai attendu la discussion des articles du projet de loi pour l'examiner dans ses détails ; il se résume, du reste, dans l'article 5. Je vais examiner en quelques mots si la proposition du gouvernement est la proposition la plus libérale, selon l'expression de M. le ministre des finances, la plus radicale, c'est le mot de l'honorable M. Hymans, dont la Chambre soit saisie ; ou bien si c'est au contraire la proposition la plus modérée, se bornant à établir à côté du cens, qui reste la règle, la base normale du droit électoral, une base exceptionnelle accessoire, restreinte, l'instruction. On a cherché, en effet, à lui donner tantôt un cachet anodin, tantôt un caractère radical.

La Chambre doit se rappeler que M. le ministre des finances a protesté quand on a cru voir dans le projet de loi l'adjonction des capacités. (page 838) Et, en effet, ce n'est pas l'adjonction des capacités telle qu'on l'a toujours entendue, c'est-à-dire l'adjonction d'un certain nombre de professions libérales comme le réclamait le congrès libéral de 1846, comme le gouvernement provisoire l'avait admis, pour l'élection du Congrès. On se borne à établir à côté de la base règle, le cens, une base exceptionnelle, l'instruction, pour les élections communales et provinciales.

On a discuté assez longuement, et M. le ministre des finances vient de le faire encore, la question de savoir si, pour les élections générales, il serait constitutionnel d'admettre une autre base que le cens. L'insistance qu'on met à y revenir prouve l'importance qu'a ce point de départ dans la discussion qui nous occupe.

Une première fois M. le ministre des finances nous disait que la proposition de l'abbé de Foere avait été rejetée par le Congrès par suite d'un malentendu. (Interruption.) On croyait que l'abbé de Foere demandait l'adjonction des capacités sans payement d'aucun cens.

MfFOµ. - Je n'ai pas dit qu'il y avait eu malentendu, et que la proposition de M. l'abbé de Foere avait été rejetée par cette raison. J'ai dit qu'au Congrès, lors de la discussion de l'article 47 de la Constitution, la proposition n'avait pas été soumise à un volt ; mais que, dans une séance de février 1831, la proposition n'avait pas été écartée par la question préalable ; elle a été discutée, et soumise à un vote, dont, à la vérité, le résultat ne lui a pas été favorable.

M. Jacobsµ. - Et vous avez dit également que la proposition n'avait pas été examinée, lors de la discussion de l'article 47, à son véritable point de vue, par suite d'un malentendu. Ce n'est peut-être pas le mot dont vous vous êtes servi ; mais si j'avais les Annales parlementaires, je mettrais immédiatement la main sur le passage où vous dites qu'on s'était mépris sur sa pensée. C'est l'observation que faisait l'abbé de Foere, bien à tort, je vous le démontrerai, mais vous l'avez faite vôtre, bien à tort également. Je vais vous le prouver, monsieur le ministre.

MfFOµ. - Vous pouvez vous en dispenser ; je n'ai pas parlé de rejet par suite d'un malentendu.

M. Jacobsµ. - Je me garderai bien de profiter de la dispense, car en m'amène à citer à mon tour l'opinion de l'honorable M. Forgeur, dont on vient de se prévaloir. M. Forgeur ne combattait pas la proposition de M. l'abbé de Foere mal comprise, ainsi que l'affirmait ce dernier, et après lui M. le ministre des finances, elle n'était pas pour lui l'adjonction des capacités sans payement d'aucun cens ; ce qu'il combattait, c'était l'adjonction des capacités avec payement d'un cens restreint, c'est-à-dire ce que vous proposez aujourd'hui pour la province et la commune, et M. Forgeur s'exprimait ainsi :

« Quant à la proposition de M. de Foere, qui voudrait un cens moindre pour les professions scientifiques, il semble que ce serait établir en leur faveur un privilège, et il ne faut de privilège pour personne dans un gouvernement libre. »

L'adjonction des capacités, telle qu'elle a toujours été entendue, telle que M. l'abbé de Foere avait l'intention de la proposer, voilà ce que le Congrès a écarté.

Maintenant qu'au congrès libéral de 1846 M. Forgeur soit revenu de son opinion et ait proposé ce qu'il considérait comme un privilège en 1830, je l'ignore ; je le crois parce que vous le dites ; mais il me sera permis d'attacher plus d'importance à l'opinion de M. Forgeur, législateur constituant, qu'à celle de M. Forgeur, membre de l'opposition aspirant au pouvoir.

MfFOµ. - En effet, ce que M. Forgeur a toujours désiré, c'est d'arriver au pouvoir ! Il l'a bien prouvé depuis 1830.

M. Thonissenµ. - On n'a pas dit pour lui, mais pour ses amis.

M. Jacobsµ. - Tout le monde connaît le désintéressement personnel de l'honorable M. Forgeur et tout le monde sait aussi que ce n'est pas lui, mais son ami l'honorable M. Frère-Orban, qui est arrivé au pouvoir.

Avant d'abandonner ce point, j'ai encore un mot à ajouter.

M. le ministre des finances nous a dit : Mais votre objection s'applique aussi bien à la proposition de MM. Nothomb et de Haerne et à celle de M. Guillery qu'à celle du gouvernement, puisqu'on trouve dans toutes la même base nouvelle du droit électoral : l'instruction. M. le ministre, dans l'étude spéciale qu'il a faite de la discussion du Congrès, a du y trouver une phrase qui fait justice de son objection par une distinction fort juste. Voici ce que disait le baron Beyst : « On peut bien régler encore des conditions exclusives, mais non des conditions d'admission. »

On ne peut établir de nouvelles conditions d'admission, c'est-à-dire de nouvelles bases du droit électoral : mais on peut établir des limites d'âge, de sexe, de moralité, en excluant certains condamnés ; de capacité, en proscrivant les ignorants.

Il existe donc une différence radicale entre les propositions de MM. Nothomb et Guillery, d'une part, et celle du gouvernement d'autre part ; tout ce que j'ai dit s'applique à la dernière, non aux autres.

Quoi qu'on décide, il est certain que, pour les Chambres, arrivés au minimum fixé par la Constitution, il ne peut être question de s'écarter du cens. Pour la province et pour la commune, serait-il désirable d'introduire une semblable disparate dans notre législation électorale ? serait-il désirable d'y introduire l'instruction comme base pour la province et pour la commune, tandis qu'il est constitutionnellement impossible de l'introduire pour les Chambres ?

Admettez un cens plus ou moins élevé, selon qu'il s'agit des intérêts généraux ou communaux, comme cela existe dans la plupart de nos communes, je le conçois et je ne trouve rien de dangereux à cette différence de degré selon les sphères ; mais établir d'une manière permanente une différence de base ou de nature en quelque sorte entre l'électoral aux divers degrés, me paraît impossible.

El pour prendre une comparaison qui ne déplaira pas à M. le ministre des finances, je dirai que la pièce de 5 fr. n'exclut pas la pièce de 2 fr., la pièce d'un franc, la pièce de 50 centimes, parce qu'elles servent à des usages différents ; mais, et ici je crains de déplaire à mon honorable ami, M. Dumortier, il m'est impossible d'admettre que l'étalon d'or et l'étalon d'argent coexistent indéfiniment ; il faut que l'un ou l'autre domine seul ; que l'un finisse par chasser l'autre.

Il ne faut de même qu'une seule et même base dans notre droit électoral ; il faut que l'instruction évince complètement le cens ou qu'elle recule devant lui et lui cède la place. Ce dualisme, ce double étalon électoral ne saurait durer.

En attaquant cette nouvelle base, je combats tout le projet de loi. En effet, d'après M. le ministre de l'intérieur, c'est là à peu près toute la loi ; et l'honorable ministre des finances vient de faire bon marché de tout le reste. II ne semble pas y tenir beaucoup, et avec raison, car les dispositions dont je vais dire quelques mots ne lui font pas honneur.

J'en viens aux employés privés à 1,500 fr. d'appointements. D'après les renseignements qui se trouvent dans le rapport de la section centrale, ces employés payent 14 fr. 70 c. de patente. S'ils réunissent les conditions d'instruction voulues, ils sont exemptés, à ce titre, de la moitié du cens, c'est-à-dire de 15 fr., 20 fr., 21 fr. 10 c. d'impôts ; mais comme, d'un autre côté, ils devraient parfaire l'autre moitié du cens pour atteindre le cens intégral, il en résulte que pour eux 14 fr. 70 c. équivaudront à 15 fr., à 20 fr. et à 21 fr. 16 c.

Avec l'amendement de la section centrale pour laquelle les garanties d'instruction valent le cens entier moins 15 francs, ce serait encore un bénéfice de 30 centimes que vous accordez, je ne sais pourquoi, aux employés privés jouissant de 1,500 francs d'appointements.

Tandis que les autres contribuables doivent atteindre le cens à un centime près, sous peine de n'être pas électeurs, sur quoi basez-vous cette bonification de 30 centimes faite à une catégorie de citoyens ? Il y a là un mystère que je ne m'explique pas jusqu'à présent.

Je me demande en vain pourquoi ces employé privés, qui payent une patente de 14 francs 70 c. et qui sont sur le point d'atteindre le cens de 15 fr. ; pourquoi, dis-je, ces employés sont l'objet de cette bonification ?

A moins que ce ne soit pour avoir un prétexte d'introduire dans le corps électoral les fonctionnaires publics qui reçoivent un traitement identique.

Mais, par une anomalie nouvelle, on établit une faveur en faveur de ces derniers.

Les employés privés à 1,500 fr. d'appointements devront avoir payé la patente depuis deux ans, pour être inscrits sur la liste électorale ; mais les fonctionnaires publics, par le fait seul de leur nomination, y seront inscrits immédiatement.

Pourquoi cette inégalité ?

Messieurs, j'arrive à la patente fictive ; il ne s'agit plus d'une fiction à concurrence de 30 centimes, mais pour la totalité. D'après M. le ministre des finances, cette fiction ne donnera probablement l'électoral à personne, et je m'étonne que le gouvernement nous demande de voter des dispositions légales qui ne doivent s'appliquer à personne.

MfFOµ. - J'ai dit que la disposition s'appliquerait à un petit nombre de personnes.

M. Jacobsµ. - Il me semblait que vous aviez dit que la disposition (page 839) ne s'appliquerait à personne. Au surplus, vous n'êtes pas ennemi de l'exagération.

Il est, messieurs, un principe de droit qui veut que là où est l'avantage, là soit la charge, ibi commoda ibi et incommoda. Celui qui paye le cens électoral, a le droit électoral ; celui qui ne paye pas le cens électoral, n'a pas le droit électoral.

Or, que veut-on faire ici ? On veut accorder le droit sans la charge ; on veut accorder le droit d'élire à celui qui ne paye pas le cens ; et pour cela on a recours à une argumentation très subtile. Les fonctionnaires qui sont rétribués sur les fonds de l'Etat, s'ils payaient patente, devraient recevoir une augmentation de traitement.

C'est par une simplification dont ils ne doivent pas pâlir qu'ils sont exemptés de la patente.

L'argumentation, quelque subtile qu'elle soit, ne s'applique qu'à une partie des exemptés de la patente, compris dans le n°3° de l'article 3 du projet du gouvernement, aux fonctionnaires de l'Etat et aux ministres des cultes.

Je veux admettre que ces personnes payent en effet indirectement 15 francs d'impôt ; mais, payer indirectement 15 francs d'impôts, c'est payer 15 francs d'impôts indirects. (Interruption.) C'est évidemment cela, cela résulte des termes mêmes.

Il faudra donc que tous ceux qui payent indirectement 15 francs d'impôts soient admis au même titre dans le corps électoral.

Nous arrivons presque au suffrage universel, car il n'est pas un chef de famille qui n'acquitte 15 francs d'impôts indirects.

Je disais que l'argumentation de M. le ministre des finances s'applique exclusivement aux fonctionnaires et aux ministres des cultes qui reçoivent un traitement du gouvernement.

Le projet y ajoute les instituteurs diplômés, les fonctionnaires communaux et provinciaux qui auraient à verser la patente dont ils sont exemptés dans la caisse de l'Etat, mais que la caisse communale et provinciale devrait en indemniser. Prétendra-t-on que l'exemption de patente est un subside indirect donné par l'Etat à la province ou à la commune ?

Cela devient tellement indirect que c'est à n'y plus rien comprendre.

Reste une dernière catégorie, celle des avocats. Ceux-là ne reçoivent aucune espèce de (erratum, page 859) traitement, ni de la commune, ni de la province, ni de l'Etat. Je m'étais ingénié en vain à trouver l'explication de leur privilège. M. le ministre des finances a bien voulu nous la donner. Les avocats sont soumis à une éventualité : ils peuvent être assumés d'office, ils peuvent être chargés de plaider pro Deo. Ils payent ainsi patente en nature, indirectement et éventuellement.

L'éventualité est tellement rare que, je dois le dire, en ne parlant que pour moi, mais en faisant appel cependant à tous mes confrères assez nombreux dans cette enceinte, elle ne se réalise pour ainsi dire jamais, le stage achevé. Depuis la fin de mon stage, je n'ai jamais été assumé d'office dans aucune circonstance, et quand il m'est arrivé de plaider pro Deo, c'est, qu'il me convenait de faire l'aumône de ma parole. Parce que l'avocat est exposé à une éventualité qui ne se présentera que très rarement, et, pour le plus grand nombre, jamais, on le considérera comme payant fictivement patente !

Si l'on veut tenir compte des services publics éventuels, vous devez comprendre non seulement tous les miliciens, dont parlait l'honorable M. Coomans, mais tous ceux qui sont soumis au tirage de la milice, car ceux-là aussi sont exposés à une éventualité ; non seulement ceux-là, mais tous les gardes civiques qui s'acquittent de corvées bien plus désagréables que l'avocat ; il n'est pour ainsi dire pas un Belge qui ne se trouve sous le coup de devoir, dans certaines circonstances, rendre service à la chose publique ; c'est aller de nouveau au suffrage universel. Je me suis demandé, messieurs, pourquoi l'on s'arrêtait aux avocats et pourquoi l'on n'avait pas poursuivi l'énumération de toutes les autres personnes exemptées de la patente en vertu de l'article 3 de la loi du 21 mai 1819.

Il y en a, tout amour-propre de profession mis de côté, d'aussi respectables qu'eux. Tous les ecclésiastiques indistinctement sont exemptés de la patente ; les sous-instituteurs, les peintres, les graveurs, les dessinateurs, catégories fort respectables ; les patrons de navires, les pilotes, les pêcheurs, les bateliers, les joueurs de gobelets, les fossoyeurs et d'autres encore.

M. Bouvierµ. - Les avocats seront flattés.

M. de Naeyerµ. - Les cultivateurs.

M. Jacobsµ. - Les cultivateurs également. Je demande pourquoi vous faites une exception pour les seuls avocats, pourquoi vous ajoutez ce privilège à tous ceux qu'ils ont déjà ?

M. Coomans. - C'est que le projet avait besoin de bons avocats.

M. Jacobsµ. - Le projet du gouvernement n'est pas l'adjonction des capacités ; car, sinon, il aurait compris tous les pensionnés, tous les diplômés, tous les ecclésiastiques ; c'est l'adjonction d'une certaine quantité de catégories habilement et arbitrairement choisies, surtout de fonctionnaires et de candidats ou apprentis fonctionnaires. Cette tendance à augmenter l'élément fonctionnaire dans le corps électoral n'est pas d'accord avec l'esprit qui doit guider le législateur d'un pays libre.

En Angleterre, on n'accorde pas de privilèges aux fonctionnaires ; on établit, au contraire, des privilèges contre eux. Les juges, (erratum, page 859- les constables, les employés des finances, les employés des postes (et s'il y avait des chemins de fer de l'Etat, il en serait certainement de même des employés de ces chemins de fer) sont exclus du corps électoral. Bien plus, les membres de la chambre des lords, par cela seul qu'ils sont nommés par la couronne et que le corps auquel ils appartiennent est une espèce d'institution royale, au moins par son émanation, les lords n'ont pas le droit de voter pour la chambre des communes.

Dans le projet de réforme électorale présenté l'an passé par M. Gladstone, on enlevait le droit de vote aux ouvriers des arsenaux royaux, même à ceux payant le cens électoral. On prévoyait que dans les districts où se trouve un de ces arsenaux il pouvait se présenter ce qui se présente, par exemple, dans notre pays pour la station de Malines où le grand nombre de fonctionnaires et d'employés en possession des droits électoraux peut puissamment faire pencher la balance dans le sens du gouvernement.

En Belgique, où l'on a cru devoir faire une loi sur les incompatibilités parlementaires, où ne règne ni le système des mandarins, ni les castes de l'Inde ni le tchinn russe, où les fonctionnaires sont les serviteurs de la nation, il paraît étrange qu'un pareil projet puisse être présenté.

L'adjonction des fonctionnaires me semble un danger à tous les points de vue, surtout, celle de fonctionnaire qui, par leur seule nomination, remarquez-le, deviennent électeurs. Les fonctionnaires de ce genre et les candidats fonctionnaires seront nécessairement des agents électoraux. Vous allez donner une impulsion nouvelle à ce système que nous regrettons, j'espère, tous, des nominations politiques. Celui qui sera électeur et fonctionnaire le même jour, en vertu d'une même nomination, sera nécessairement sous la dépendance exclusive du gouvernement. Il cherchera à rendre des services, non à la chose publique, mais au gouvernement qui l'a nommé et qui peut le destituer ; compromis vis-à-vis de l'opposition qu'ils auront combattue, ces agents politiques seront menacés dans leur position quand elle arrivera au pouvoir. Vous rendrez donc un mauvais service à ces employés auxquels vous enlevez toute indépendance, toute sécurité ; au public qui n'aura pas en eux la confiance qu'ils doivent inspirer à tous. Vous rendrez un mauvais service au pays, qui doit désirer qu'un contrôle incessant s'exerce sur les fonctionnaires et que ce ne soient pas eux-mêmes qui se contrôlent.

J'aurais désiré, messieurs, que le gouvernement nous donnât une statistique, qu'il nous fît connaître les résultats probables de la mise en vigueur de son projet, M. le ministre des finances a cité quelques chiffres relatifs au n°3°, le plus insignifiant, le plus anodin, d'après lui. Nous ne connaissons rien quant aux n°1 et 2. Je suppose cependant que le gouvernement ne nous a pas proposé son projet sans se rendre compte des résultats auxquels on allait aboutir.

Quant à moi, je m'étonne de l'attitude qu'il a prise dans la question qui nous occupe. Ne vous a-t-il pas dit qu'il n'était pas d'avis de proposer une réforme, que le besoin ne s'en faisait pas sentir, que le moment n'était pas opportun ; mais, ajoutait-il, on m'a mis en demeure, et il a bien fallu faire connaître mes idées.

A côté de cela, il exprimait une théorie très noble, très digne, sauf à ne pas en tenir grand compte, sur la résistance qu'il faut savoir opposer, au péril de ses jours, quand la vie d'un innocent ou la vérité sont en jeu.

Suivant moi, le gouvernement n'avait le choix qu'entre deux lignes de conduite, seules dignes et logiques : Ou admettre le besoin d'une réforme, reconnaître les progrès faits par le peuple belge depuis 1848 ; reconnaître qu'une classe, qui n'était pas apte à cette époque à prendre part aux affaires publiques dans la sphère de la commune et de la province, était devenue apte depuis lors ; et, dans ce cas, par un abaissement général du cens, appeler cette couche de la société à la vie politique.

Ou bien, tenir le langage de l'honorable Schollaert, nier tout besoin (page 840) de réforme, contester surtout l'opportunité, résister et se refuser à tout.

En se bornant à couvrir d'applaudissements le discours de l'éloquent député de Louvain, à préconiser la résistance pour céder un instant après, le gouvernement me paraît avoir trahi sa véritable pensée ; il a démontré lui-même que ce qu'il nous apporte est, non pas une réforme électorale, mais un leurre, ou, s'il le préfère, un dérivatif.

M. Dumortier. - Nous sommes arrivés à l'article le plus important et en même temps le plus violent du projet de loi. Car je n'ai pas d'autre épithète à donner à l'article dont il s'agit.

C'est un article qui fait des électeurs par catégories, en choisissant ces catégories suivant les besoins du pouvoir et en écartant toutes les autres.

Eh bien, je dis, messieurs, que c'est entrer dans un système inconstitutionnel qui n'a jamais été pratiqué dans cette Chambre depuis 1830, que c'est un système de privilèges, qui n'est justifiable en aucune manière.

Mais d'abord voyons si l'honorable M. Frère a rendu d'une manière bien exacte ce qui s'est fait au Congrès national en matière d'adjonction des professions libérales à la liste des électeurs.

L'honorable membre a une étrange habitude quand i| s'agit d'interpréter la Constitution ; pour lui, la Constitution doit toujours s'interpréter par l'opinion de ceux qui ont vu leur propre opinion rejetée par le Congrès et non pas par l'opinion de ceux qui ont vu le Congrès sanctionner leurs idées.

Quelqu'un a émis une proposition contre un article donné, le Congrès a écarté cette objection, eh bien, c'est cette objection repoussée que l'honorable M. Frère regarde comme la pensée du Congrès. C'est le moyen de faire dire au pouvoir constituant tout le contraire de ce qu'il a dit.

Pour moi, je ne connais qu'un seul moyen d'interpréter la Constitution, quand elle a besoin d'être interprétée, c'est de le faire par l'opinion de ceux qui ont obtenu les votes au Congrès, et non de ceux dont le Congrès a repoussé les propositions.

Peu m'importe aussi que ceux qui ont fait admettre un principe par le Congrès aient, plus tard, change de manière de voir. La disposition s'explique par les paroles prononcées au Congrès au moment où elle a été votée. Ainsi, M. le ministre des finances dit que MM. Defacqz et Forgeur, dont j'ai invoqué l'opinion contre la création d'électeurs privilégiés, que ces honorables membres ont proposé l'adjonction des capacités aux listes électorales.

En ne disant pas où et à quelle époque cette proposition a été faite, il a semblé faire croire que c'était au Congrès ; mais c'est en 1846, 16 ans après le vote de la Constitution et c'est au congrès libéral, mais nullement au Congrès national. D'ailleurs, messieurs, quelle était la proposition du congrès libéral ? Ressemble-t-elle de près ou de loin à ce que l'on nous demande de voter aujourd'hui ? Est-ce que, par hasard, le congrès libéral proposait d'admettre dans le corps électoral des personnes qui ne payaient aucune espèce d'impôt ?

Nullement. Il y avait encore à cette époque certaines traditions de 1830 que l'on respectait.

Je tiens en main le programme du libéralisme décrété par le fameux congrès libéral et voici ce que j'y lis, qu'on y demande l'abaissement du cens électoral dans la limite de la Constitution en faveur des professions libérales et des personnes inscrites sur la liste des membres. du jury.

« Dans les limites de la Constitution ». C'est-à-dire à la condition de payer le cens constitutionnel. Le congrès libéral voulait bien donner une petite faveur à certains censitaires, mais il ne voulait exempter personne de payer l'impôt. La déclaration est formelle : dans les limites de la Constitution.

Vous voyez donc, messieurs, que le congrès libéral et les honorables MM Defacqz et Forgeur étaient dans un ordre d'idées tout à fait différent de ce qu'on nous propose aujourd'hui.

Que dit en effet le projet du gouvernement ?

« Sont électeurs... :

« 1°....

« 2°...

« 3° Les personnes ci-après désignées, que l'article 3 de la loi du 21 mai 1819 exempte du droit de patente, savoir :

« Les magistrats, les fonctionnaires et employés de l'Etat, de la province et de la commune et des établissements publics qui en dépendent, jouissant de 1,500 francs de traitement. Les avocats, médecins et pharmaciens ; les ministres des cultes rétribués par l'Etat et les instituteurs primaires diplômés. »

C'est parce que ces personnes sont exemptes du droit de patente, parce qu'elles ne payent pas, qu'on veut leur donner le droit électoral. Elles touchent un traitement, elles ne payent pas, elles sont payées, donc elles payent ! Voilà la manière de raisonner du gouvernement.

Mais, nous dit-on, elles sont exemptées de l'impôt par l'article 3 de la loi du 21 mai 1819.

Eh bien, messieurs, je tiens ici cette loi et je vois qu'elle exempte de l'impôt .beaucoup d'autres catégories. Voici ce que porte cette loi :

Il y a plus de cinquante catégories de professions exemptes de la patente.

Parmi eux se trouvent les cultivateurs.

Voilà certes des catégories d'hommes les plus honorables de la Belgique ; pourquoi ne les mettez-vous pas dans la loi ?

Parce que vous ne pouvez pas disposer d'eux, parce qu'ils ne sont pas à votre disposition.

Ah ! ceux-là sont hors la loi, parce qu'ils sont cultivateurs ?

Mais pourquoi donc, je vous le demande, pourquoi choisissez-vous certaines catégories ? Je vais vous le dire ; c'est parce que vous espérez...

MfFOµ. - Les membres du clergé.

M. Dumortier. - Oh ! je le sais bien, ils sont là pour dorer la pilule.

Permettez-moi de vous donner un témoignage.

MfFOµ. - C'est à la commune.

M. Dumortier. - Vous savez bien que la commune est quelque chose. Demandez à la commune de Liège. Vous voulez que cette ville et beaucoup d'autres communes restent entre vos mains et c'est pour cela que vous choisissez vos catégories, et que vous écartez les cultivateurs, ceux qui font des balais, etc.

MfFOµ. - Il y a des cultivateurs dans les villes.

M. Dumortier. - Ce que je trouve inique, c'est que vous profitiez d'une proposition qui a été combattue et que j'ai combattue avec vous, et avec la même énergie que vous, pour venir faire ici une odieuse loi de parti. Vous profitez en outre des circonstances pénibles dans lesquelles se trouve le pays pour faire une loi qui faussera à tout jamais notre système électoral.

Je dis qu'une pareille loi ne peut être assez condamnée. Quant à moi qui ai combattu à côté du gouvernement, il m'est impossible de ne pas le combattre aujourd'hui lui-même.

Maintenant, messieurs, on demande : Pourquoi le Congrès a-t-il maintenu jusqu'en 1836 les professions libérales ?

Le motif en est très simple. Le Congrès, après l'inauguration du Roi, s'est retiré et il a laissé faire par la législature la loi communale et provinciale, mais il l'avait préparée et je tiens en main les éléments qu'il avait élaborés. Voyons s'il voulait maintenir les professions libérales.

Voici le projet de la loi provinciale : (L'orateur en donne lecture.)

Vous voyez que, dans la loi provinciale, les professions libérales proprement dites se trouvaient écartées . Et à la commune ? (L'orateur donne lecture de l'article.)

Vous le voyez donc, au Congrès non seulement on avait écarté les professions libérales du vote pour la Chambre, mais on était en train de les écarter pour la province et pour la commune.

Ce n'est pas tout, lorsque le congrès libéral s'est assemblé, a-t-il proposé, comme vous, d'appeler au scrutin des personnes payées qui ne payent pas et que vous regardez comme payant ?

Encore une fois, le texte des propositions de cette assemblée prouve qu'elle voulait qu'on restât dans les limites de la loi et qu'il y eût toujours un certain cens.

Ici, au contraire, vous mettez de côté tous les principes constitutionnels, c'est-à-dire que vous créez un privilège et un mauvais privilège en faveur de certaines professions.

Cela est-il conforme à la Constitution ? Il suffit de lire l'article 6. Que porte-t-il ?

« Il n'y a point de distinction d'ordres. Tous les Belges sont égaux devant la loi. »

Qu'étaient-ce que ces distinctions d'ordres ?

(page 841) Vous le savez tous, messieurs ; sous l'ancien régime, certaines classes de citoyens, dans notre pays et dans une grande partie de l'Europe, jouissaient de droits politiques en vertu de certaines professions.

C'était la noblesse, le clergé, le tiers état composé alors des corporations.

Tout était privilège. Telle ou telle catégorie de citoyens jouissait d'un droit politique.

Voilà ce que le Congrès a aboli lorsqu'il a dit : Il n'y a plus de distinction d'ordres en Belgique, et c'est ce que le projet de loi rétablit.

Le projet de lei rétablit ce que vous avez appelé, dans une autre circonstance, les abus d'un autre âge. Que dit votre projet de loi ?

Seront électeurs :

« 2° Les employés privés jouissant de 1,500 fr. d'appointements et patentés comme tels depuis deux ans au moins, » c'est-à-dire que vous créez là un ordre qui est, comme je le disais l'autre jour, l'ordre des commis voyageurs. (Interruption.)

Il n'y a pas à rire de cela, c'est très sérieux.

L'article suivant crée un second ordre : celui des salariés, des budgétivores.

Voilà deux ordres que vous créez : l'ordre des budgétivores et celui des commis voyageurs.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Les curés y sont aussi.

M. Dumortier. - Oui, les curés salariés. Mais il y a des prêtres qui ne sont pas salariés et il y a les ordres. On trouve dans les ordres des gens qui ont fait de fortes études et qui sont très savants. Ceux-là vous les écartez, car il faut être payé par l'Etat pour avoir la qualité d'électeur.

Chaque fois que le gouvernement nommera quelqu'un à 1,500 fr., il créera un électeur et, par conséquent, c'est mettre aux mains du gouvernement la formation des listes électorales.

En Angleterre, comme vous l'a dit l'honorable M. Jacobs, on se défie tellement du gouvernement, qu'on a écarté de l'urne électorale tous ceux qui tenaient un mandat du gouvernement. Là on veut que la représentation nationale soit l'émanation du pays.

Ici, au contraire, on veut que la représentation nationale soit faite à l'image du cabinet.

J'avoue, messieurs, que cette comparaison a quelque chose d'étrange. Est-ce là de la liberté ? sont-ce là les principes démocratiques ?

Vous écartez tout ce qui est artisan et petit boutiquier et vous donnez des privilèges à ceux qui sont payés par le trésor public.

Vous écartez tous les cultivateurs, tous les fermiers. Vous n'avez qu'un seul but, celui de former les listes électorales comme vous l'entendez.

Je dis que nous ne représenterons plus le pays, mais que nous représenterons le ministère.

Mais, dit l'honorable ministre, il y a là d'immenses exagérations dans les résultats ; l'honorable ministre trouve des exagérations toutes les fois que quelqu'un parle, sans compter les siennes. Enfin, cela ne s'applique, dit l'honorable ministre, qu'à un très petit nombre de personnes. Ma foi, j'avoue que je n'ai pas une pleine confiance dans cette assertion. Combien, vous dit M. le ministre, y aura-t-il de magistrats, de hauts fonctionnaires qui ne payeront pas le petit impôt qu'il faut payer pour être électeur !

Maïs, messieurs, veuillez-le remarquer, le projet du gouvernement ne se borne pas à exempter de l'impôt les magistrats et les hauts fonctionnaires, il en exemple également tous les petits fonctionnaires, et parmi ceux-là, je ne crains pas de dire qu'il y en a beaucoup qui ne payent pas l'impôt. (Interruption.)

Vous n'exemptez pas seulement les magistrats, mais vous exemptez aussi tous les employés de l'Etat, de la province, de la commune et des établissements publics qui en dépendent et qui jouissent de 1,500 fr. d'appointements.

Avec une pareille disposition, vous allez renforcer encore le système d'exclusion qui frappe maintenant la moitié du public en l'écartant des fonctions publiques ; partout oh les administrations communales seront libérales, on ne nommera plus un seul catholique, partout où les administrations communales seront catholiques, on ne nommera plus un seul libéral. Et vous aurez ainsi créé la guerre civile dans le pays. Or, c'est là une chose détestable et que nous ne pouvons tolérer. Aussi quant à moi, je ne vois qu'une chose à faire, c'est de proposer la question préalable.

On ne peut délibérer sur un article si évidemment contraire à la Constitution, car la Constitution est ici en cause, et si la question préalable n'était pas admise, je déclare que je proposerai par amendement l'adjonction d'une bonne douzaine de nouvelles catégories. (Interruption.) On ne peut ainsi faire des lots dans son intérêt particulier. Jamais cela ne doit se faire et moins encore dans la situation où se trouve aujourd'hui le pays.

M. le ministre des finances a beaucoup raisonné sur les cotes, et après avoir beaucoup raisonné il est arrivé à une conclusion qui m'a paru valoir celle de Molière : Et voilà pourquoi votre fille est muette !

Ce n'est pas de la question des cotes qu'il s'agit, mais de la question des électeurs. Qu'est-ce que les cotes ont de commun avec les électeurs ? Demandez à M. Crombez combien de cotes d'impôts paye madame sa mère et à quoi cela aboutit. L'argument n'a donc pas de valeur.

Mais il y a un fait dont il faut tenir compte, c'est que l'impôt foncier rapporte à l'Etat 18 millions, l'impôt personnel 10 millions et la patente 5 millions, et que l'impôt foncier représente 6/10 des impôts directs, l'impôt personnel 3/10 et la patente 1/10. (Interruption.)

Je sais que M. le ministre des finances a ajouté à cela l'impôt sur le débit de boissons, mais c'est là un impôt indirect, qui a toujours été considéré comme tel jusqu'en 1849. Eh bien, messieurs, n'est-il pas constant que tandis que l'impôt foncier représente les 6/10 de l'impôt direct, le fermier qui le paye est exclu des comices.

Et pourquoi est-il exclu ? Parce qu'en vertu d'une loi de l'an VII, il est censé payer pour le propriétaire. Eh bien, messieurs, c'est là une grande injustice.

Quant aux cabaretiers, si, déjà en 1836, dans le rapport sur la loi communale, il était dit qu'il fallait compter au fermier une partie de la contribution sur la terre arable, à raison de l'influence qu'exerçaient les cabaretiers dans le corps électoral, c'est un argument eu faveur de notre thèse.

Si les cabaretiers étaient déjà si nombreux dans le corps électoral en 1836, que doit-ce être aujourd'hui qu'on les a frappés d'un impôt qui crée pour les Chambres 12,000 électeurs ! (Interruption). Sans cet impôt, il y en a 12,000 qui ne payeraient pas le cens.

Et ici, je dois le dire, je n'ai pas bien compris M. le ministre des finances. Il nous a dit que, dans le nombre des électeurs, l'impôt foncier donnait 57 p. c, le personnel 13 et la patente 12.20.

Je ne vois pas comment il y a moyen de concilier cette assertion de l'honorable ministre que les cabaretiers donnaient déjà à eux seuls 12 p. c. (Interruption.) Le gouvernement ne nous a jamais fourni une statistique électorale, je l'ai réclamée à plusieurs reprises, et il est temps qu'on nous la donne. (Nouvelle interruption.)

Je termine, messieurs. Il est impossible d'admettre l'article 3 du projet du gouvernement,. Cet article est le renversement de nos institutions, ce n'est pas même ce que voulait le congrès libéral, c'est quelque chose d'entièrement nouveau, c'est la consécration du privilège... (Interruption.) c'est la consécration du privilège, je le répète, c'est le rétablissement des ordres, et à un pareil article on ne peut qu'opposer la question préalable.

Je la propose formellement.

- Des voix. - A demain !

- D'autres voix. - Aux voix !

MpVµ. - Il y a encore des inscrits ; demande-t-on la clôture ?

- De toutes parts. - Non, non.

M. Coomans. - Il est impossible de clore ; il y a encore un amendement qui n'a pas été développé.

MpVµ. - C'est entendu, et d'ailleurs personne ne demande la clôture.

- Des voix. - A demain !

- La séance est levée à 5 heures.