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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 6 avril 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 819) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction du procès-verbal est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Caspar-Joseph-Hubert Verhagen, orfèvre à Brée, né à Weert, partie cédée du Limbourg, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Huber, détenu pour dettes, prie la Chambre de discuter, avant les vacances de Pâques, le projet de loi sur la contrainte par corps. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« La chambre de commerce et des fabriques de Verviers adresse à la Chambre 1188 exemplaires du compte rendu de la réception du buste de R. Cobden, à Verviers, le 27 janvier 186G6.

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. De Lexhy, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Projet de loi modifiant quelques dispositions des lois électorales

Discussion des articles

Chapitre premier. Des élections aux Chambres

Article 2

MpVµ. - Nous sommes arrivés à l'article 2.

Je dois engager les membres qui demanderont la parole, à se renfermer strictement dans la discussion des articles et des amendements, sous peine de recommencer la discussion générale, qui a déjà été fort longue.

Le gouvernement se rallie-t-il à la modification proposés par la section centrale ?

MfFOµ. - M. le président, nous nous expliquerons dans la discussion.

MpVµ. - La discussion est ouverte sur l'article 2.

- La parole est à M. Dewandre.

M. Dewandreµ. - Messieurs, l'article 47 de la Constitution porte : « La Chambre des représentants se compose des députés élus directement parl es citoyens payant le cens déterminé parla loi électorale, lequel, etc. »

La Constitution ne renferme rien de pareil en ce qui concerne les institutions provinciales et communales.

C'est ce qui a permis à l'article 8 de la loi communale du 30 mars 1836 de dire :

« Les contributions payées par la femme sont comptées au mari ; celles qui sont payées par les enfants mineurs sont comptés au père pour parfaire son cens électoral.

« La veuve payant ce cens, pourra le déléguer à celui de ses fils, ou à défaut de fils, à celui de ses gendres qu'elle désignera, pourvu qu'il réunisse les autres qualités requises pour être électeur. »

C'est ce qui a permis aussi à cette loi de dire :

« Le tiers de la contribution foncière d'un domaine rural exploité par un fermier compte au locataire, sans diminution des droits du propriétaire. »

La Constitution ne permet pas d'appliquer ces principes à la formation des listes électorales pour les Chambres. Ainsi, l'article 2 de la loi électorale du 3 mars 1851 porte seulement :

« Seront comptées au mari les contributions de la femme commune en biens et au père celle de ses enfants mineurs dont il aura la jouissance. Ces contributions pourront être jointes à celles que le mari et le père, payent de leur chef. »

C'est, en effet, le mari qui paye les contributions de sa femme commune en biens. Cependant, cet article de la loi électorale n'a peut-être pas été assez loin.

Le mari paye, en effet, les contributions des biens de sa femme dans d'autres cas que dans celui de communauté de biens.

Ainsi, d'après l'article 1530 du code civil : La clause portant que les époux se marient sans communauté ne donne point à la femme le droit d'administrer ses biens ni d'en percevoir les fruits.

Ainsi encore, d'après l'article 1549 : « Le mari seul a l'administration des biens dotaux pendant le mariage. Il a seul le droit d'en poursuivre les débiteurs et détenteurs, d'en percevoir les fruits et les intérêts et de recevoir le remboursement des capitaux. »

Dans tous ces cas, le mari a l'administration et la jouissance des biens de sa femme ; il en paye les contributions comme charge de cette jouissance.

Ces contributions peuvent donc, doivent même, lui être comptées pour le cens électoral.

Mais il est deux cas où le mari ne jouit pas des biens de sa femme, n'en paye pas les contributions, ou ne les paye que comme mandataire de sa femme, et alors il est évident que la Constitution ne permet pas de les compter au mari pour le cens.

Dans ce cas, c'est la femme qui paye les contributions, et je crois que nous nous mettrions en contravention avec l'article 47 de la Constitution, si, pour le cens électoral pour la Chambre et pour le Sénat, nous comptions ces contributions au mari.

D'un autre côté, dans le cas de l'article 1576, la femme a l'administration et la jouissance de ses biens paraphernaux. Dans ce cas encore, le mari ne paye pas les contributions de ces biens. S'il les paye, c'est exceptionnellement, comme mandataire de sa femme, et s'il doit produire un compte, il a le droit de se la faire rembourser.

Il y a donc deux cas où le mari ne paye pas les contributions des biens de sa femme, et il me semble que, dans ces deux cas, il est impossible d'admettre que ces contributions compteront pour le cens électoral du mari.

Je crois que, tout en étendant l'article de la loi électorale à des cas qu'elle ne prévoit pas actuellement, il est impossible d'admettre les termes généraux du projet, et je propose la rédaction que voici :

« Par dérogation à l'article 2 de la même loi, les contributions de la femme, même non commune en biens, sont comptées au mari, à l'exception des contributions des biens paraphernaux, et sauf le cas de séparation de biens. »

MfFOµ. - Messieurs, le mariage crée une position toute spéciale, toute particulière, que le législateur ne peut méconnaître, et dont il doit tenir compte dans ses actes. Les conventions qui sont faites par suite de mariage peuvent modifier les divers régimes qui sont déterminés par la loi On peut donc, par des conventions particulières, amalgamer les divers régimes, et y introduire des modifications très variées.

Est-ce que le Congrès, en déterminant les conditions que l'on devait réunir pour être électeur, a fait complètement abstraction de cette situation ? Je ne le pense pas. Je crois, au contraire, que le Congrès en a tenu compte et qu'il a admis, au profit du mari, dans certaines hypothèses, l'imputation des contributions des biens de la femme. Ainsi il l'a admis, lorsque la communauté existait ; et cependant, dans ce cas, (page 820) la femme peut avoir des biens personnels, des biens qui lui sont propres, en dehors de la communauté.

Néanmoins, les contributions afférentes à cette catégorie de biens sont attribuées au mari dans la supputation du cens électoral.

M. de Naeyerµ. - C'est le mari qui paye.

MfFOµ. - C'est le mari qui paye, me dit l'honorable M. de Naeyer. Mais il n'en est pas moins vrai que, dans l'hypothèse que je viens d'indiquer, il paye pour des biens dont la femme a la propriété personnelle.

M. de Naeyerµ. - Parce qu'il est chef de la communauté.

MfFOµ. - Cela est certain ; c'est en tenant compte de cette condition spéciale, qui résulte du mariage. Mais je réponds à l'objection qui a été soulevée : On pense que l'on ne peut admettre l'imputation au mari des contributions de la femme lorsqu'il y a séparation de biens, ou lorsqu'il s'agit de biens paraphernaux. Eh bien, cela n'est pas exact dans tous les cas. Il faudrait admettre les distinctions du code. Ainsi, par exemple, en cas de séparation de biens, le mari peut en conserver la jouissance ; il paye les contributions, et il doit pouvoir s'en prévaloir pour former le cens électoral.

Ainsi encore, en cas d'existence de biens paraphernaux, il y a, si je ne me trompe, une condition spéciale dans le code. Je n'ai pas eu le temps d'examiner cette question d'une manière approfondie, mais il y a une disposition qui considère, dans certaine éventualité, le mari comme usufruitier.

Eh bien, à raison de cette condition, dans cette hypothèse, le mari devrait encore être admis à compter les contributions qu'il paye du chef des biens de sa femme, même de ses biens paraphernaux. Je ne comprends donc pas bien, à première vue, les modifications que l'on veut introduire, soit par l'amendement de la section centrale, soit par l'amendement de l'honorable M Dewandre. Il me semble que si un amendement devait être admis, il faudrait tenir compte des dispositions spéciales qui, dans les différents cas, permettent au mari de toucher les revenus des biens de sa femme. Cela ne s'applique pas seulement à la communauté, cela s'applique même à la séparation sous certaines conditions. Il en est de même des biens paraphernaux. Dans ces diverses hypothèses, le mari est considéré comme usufruitier.

M. Dewandreµ. - En thèse générale, le mari n'a pas la jouissance des biens paraphernaux, et, en thèse générale aussi, il ne paye pas la contribution de ces biens.

Il peut cependant y avoir une exception, c'est lorsque la femme laisse de fait la jouissance de ses biens paraphernaux au mari. Dans ce cas, si la femme demande ultérieurement compte de cette jouissance à son mari, il ne doit restituer que les fruits existants au moment où le compte est demandé. Mais alors même s'il a payé les contributions, c'est au moyen des fruits qu'il a perçus, et s’il rend ces fruits, il a le droit de se faire rembourser les contributions qu'il a payées.

Donc en thèse générale le mari ne paye pas les contributions des biens paraphernaux ; en thèse générale il en est de même dans le cas de séparation de biens. Voyez, messieurs, quelle serait la conséquence de l'adoption du projet du gouvernement dans le cas de séparation de corps, résultant d'un jugement. Dans ce cas, la séparation de biens, qui est la conséquence de la séparation de corps, est régie par les mêmes dispositions que la séparation de biens conventionnelle. Dans ce cas donc, encore d'après le projet du gouvernement, le mari pourrait compter les contributions des biens de sa femme séparée de corps. Eh bien, il me paraît évident que ce serait contraire à l'article 47 de la Constitution, qui exige un cens payé par l'électeur, et non pas un cens payé par un tiers.

M. Orts. - Le scrupule constitutionnel soulevé par l'honorable M. Dewandre se résume dans l'idée que voici. Lorsque le mari, par une convention matrimoniale quelconque ou par l'effet de la loi, n'a pas la jouissance des biens de sa femme, il semble impossible de lui compter pour la formation du cens électoral les contributions qu'il paye du chef de ces biens, parce qu'il n'est pas en réalité le débiteur de ces contributions. Messieurs, ce cas peut se présenter non seulement dans les hypothèses prévues par l'amendement de l'honorable M. Dewandre, qui sont celles d'un régime dotal comprenant des biens paraphernaux, d'abord, et de la séparation des biens, ensuite.

Il peut se présenter dans plusieurs autres hypothèses. Ainsi, par exemple, dans le régime de la communauté lui-même, il est permis à un étranger de donner des biens à la femme à la condition qu'elle en aura exclusivement la jouissance.

Je crois, messieurs, que si l'on veut s'arrêter à un scrupule constitutionnel il faut adopter une disposition plus large et dire, sans désigner aucun régime matrimonial quelconque, que les contributions de la femme, même non commune en biens, sont comptées au mari à l'exception des contributions des biens de la femme dont celle-ci a la jouissance exclusive.

De cette façon, quand la femme par un contrat ou par la loi se sera réservé, à l'exclusion du mari ou du ménage commun, la jouissance de ses biens, les contributions du chef de ses biens ne compteront pas au mari. Mais, je dois l'avouer, tout cela a plus d'importance théorique que d'importance pratique. Je suis, en effet, convaincu qu'il n'y a pas, en Belgique, 10 électeurs qui tombent sous l'application de la réserve dont il s'agit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois qu'il n'y a aucune espèce d'inconvénients à adopter l'article tel qu'il est proposé par le gouvernement.

La proposition de l'honorable M. Dewandre et celle de la section centrale résultent d'un argument tiré des termes de l'article 47 de la Constitution. Cet article porte que les citoyens qui veulent prendre part aux élections doivent payer un cens déterminé.

M. Dewandre nous dit que le mari, en cas de régime dotal ou sous le régime de la séparation, ne paye pas le cens puisque les contributions relatives aux biens dont la femme a la jouissance, sont payées par la femme.

Eh bien, j'ai la conviction intime que le Congrès n'a pas le moins du monde songé à cela et si l'observation de M. Dewandre était fondée, elle serait fondée également pour le régime de la, communauté, car lorsque le mari paye pour la communauté, il ne paye pas pour lui seul ; il paye pour l'être moral de la communauté, et cependant on compte au mari toutes les contributions qu'il paye du chef de la communauté. (Interruption.)

Pendant l'existence de la communauté, tous les biens de la femme qui viennent à tomber dans la communauté du chef de succession ou autrement comptent au mari pour lui créer le droit électoral, et cependant si vous vous placez à un point de vue strict, il ne paye pas les contributions de ces biens pour lui seul et la loi électorale n'aurait pas pu lui attribuer ces impôts.

M. Dewandreµ. - Comme usufruitier.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comme usufruitier, oui, mais c'est la loi et non la Constitution qui donne à l'usufruitier les contributions qu'il paye pour la nue propriété, et ce citoyen n'a pas la base du cens qu'on lui accorde.

Vous allez, au surplus, voir que dans certaines hypothèses, sous le régime dotal et sous celui de la séparation des biens, le mari profile et jouit de tous les biens paraphernaux.

Je suppose que le mari n'ait aucune ressource, qu'il se soit marié sous le régime de la séparation ou sous le régime dotal et que les biens de la femme suffisent à peine à l'entretien du ménage. Qu'arrive-t-il ?

C'est que tous les biens de la femme doivent, en vertu des obligations naturelles, servir à l'entretien du mari et à l'entretien des enfants, au delà même du tiers indiqué. Voilà donc un cas où le mari jouit des biens dont il n'aurait pas l'administration. Je crois que ce serait être trop rigoureux que de prétendre que le mot « payant » veut dire que le mari doit payer pour lui-même. (Interruption.) Sans doute il doit payer lui-même, mais on admet aussi que dans le mariage il y a un être moral et que les contributions de la femme peuvent compter au mari. Je suis convaincu que le Congrès n'a pas songé aux scrupules que vient de formuler l'honorable M. Dewandre et que la disposition du gouvernement est dans l'esprit du système constitutionnel. Au surplus, la question est très peu importante en pratique. Comme l'a déjà fait remarquer M. Orts, le régime de la séparation en Belgique n'est pas commun et le régime dotal est excessivement rare.

M. Dumortier. - Il me semble, messieurs, que l'on fait bien bon marché des observations présentées par M. Dewandre. Je ne suis pas avocat, mais il y a une chose qui m'a frappé dans ces observations. L'honorable membre a supposé le cas de séparation de corps et de biens où cependant le mariage persiste. Est-ce que dans ce cas les contributions de la femme doivent encore servir au mari ?

Cette observation est à toucher du doigt, tout le monde doit le comprendre.

Il est évident qu'il n'est pas possible que, dans une situation pareille, un mari compte encore les contributions sur les biens de la femme dont il est séparé.

M, Mullerµ. - Judiciairement.

(page 821) M. Dumortier. - Cependant d'après la loi qui existe, vous arrivez à ce résultat.

M. Bouvierµ. - Quand il y a séparation judiciaire, pas.

M. Dumortier. - La section centrale et le projet du gouvernement ne parlent pas de séparation judiciaire.

M. Orts. - Vous avez raison.

M. Dumortier. - Cela m'avait frappé dans ce qu'a dit M. Dewandre. Il est évident que le texte de l'article ne peut être maintenu tel qu'il est.

Quand le Congrès a demandé que le mari commun en biens avec sa femme comptât toutes les contributions pour faire le cens électoral, cela se comprenait. Mais vous rompez la communauté. Que va-t-il arriver ? C'est qu'un homme qui en fait ne payera plus un centime d'impôt, comptera les contributions d'une femme dont il est séparé.

MfFOµ. - Vous confondez. Il y a la séparation de corps et la séparation de biens.

M. Dumortier. - Le mariage subsiste avec la séparation de corps.

M. Funckµ. - Les effets du mariage cessent.

M. Dumortier. - Souvent il y a séparation de biens sans qu'il y ait jugement de séparation de corps.

Veuillez me permettre maintenant une réflexion sur laquelle j'appellerai l'attention de l'honorable M. Dewandre qui a soulevé cette question avec beaucoup de raison. Je crois que la même disposition règle le cens sénatorial. Elle a donc une grande portée. Il en résulterait donc qu'un sénateur pourrait être nommé du chef des contributions payées pour les biens d'une femme dont il serait séparé.

Cela n'est pas possible. C'est bouleverser tout le système de notre législation.

M. Orts. - Je crois qu'on a présenté un projet de loi.

M. Dumortier. - C'est possible, mais il n'est pas voté.

Dans tous les cas il n'est pas possible que le Sénat admette une pareille anomalie. Je voulais signaler ce fait à l'assemblée à la suite des observations si judicieuses de l'honorable M. Dewandre.

Je crois que le mieux serait d'adopter purement et simplement la proposition qu'a faite l'honorable membre.

M. Van Hoordeµ. - Le cas s'est présenté.

M. Dumortier. - Un honorable collègue me dit que le cas s'est présenté. En effet, il y a eu dans le temps un honorable sénateur de Gand qui a siégé deux ou trois ans.

On a découvert alors que les biens de la femme étaient séparés par le contrat de mariage. Le sénateur a dû donner sa démission.

M. Lippensµ. - C'est une erreur, c'est parce qu'ayant vendu, quelques mois auparavant, une propriété à Saint-Nicolas, il ne payait plus le cens d'éligibilité au Sénat et non pas parce qu'on avait découvert qu'il était marié sous le régime de la séparation de biens.

M. Dumortier. - Point du tout, point du tout ; c'est qu'on avait découvert qu'il n'était pas commun en biens et qu'on a décompté les contributions de sa femme.

Je le répète donc, messieurs, il ne s'agit pas seulement de la loi électorale mais aussi de la loi sénatoriale. Il importe de ne pas toucher légèrement à de pareilles choses, et quant à moi j'appuie l'amendement de l'honorable M. Dewandre.

M. Orts. - Voici la rédaction que je propose de substituer à celle de M. Dewandre. Au lieu de dire « à l'exception des contributions des biens paraphernaux et sauf le cas de séparation de biens, » je propose de dire « à l'exception des contributions des biens dont la femme a conservé la jouissance exclusive. »

M. Dewandreµ. - Je déclare me rallier à cette nouvelle rédaction.

MfFOµ. - D'après la rédaction nouvelle proposée par l'honorable M. Orts, si je la comprends bien, les contributions des biens de la femme pourront, sous tous les régimes, compter au mari ?

M. Orts. - Oui, à moins que la femme ne se soit réservé la jouissance exclusive de ses biens.

MfFOµ. - C'est cela ; et il en serait ainsi, même sous le régime paraphernal, sous le régime de la séparation de biens, comme sous le régime de la communauté. La disposition serait donc applicable dans toutes les hypothèses.

Je fais remarquer, au surplus, que, quant au scrupule constitutionnel qui a été exprimé, le Congrès, ainsi qu'on l'a rappelé dans le rapport, le Congrès lui-même avait admis la rédaction qui se trouve reproduite dans le projet de loi ; il s'était prononcé dans ce sens au premier vote, lorsqu'il s'est occupé de la loi électorale ; et si, au second vote, cette disposition n'a plus reparu, ce n'est point parce que le Congrès aurait changé d'avis ; il a été guidé par des considérations tontes différentes. Mais je tiens à constater qu'au premier vote, le Congrès avait adopté une disposition conçue en ces termes ;

« Seront comptées au mari les contributions de la femme, même non commune en biens. »

C'est aussi ce que nous proposons actuellement.

La rédaction proposée par l'honorable M. Orts atteint, dans la généralité des cas, le but que nous nous proposons.

Je dois dire, toutefois, que cet amendement présente un inconvénient assez sérieux : c'est d'obliger la production de toutes les conventions matrimoniales dans les divers cas que j'ai cités, et j'avoue que cet inconvénient me paraît plus grave que le scrupule constitutionnel qu'on a exprimé et qui ne me semble pas fondé. D'après la rédaction du projet du gouvernement, au contraire, cet inconvénient ne se présenterait pas.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment, il n'y a par grand inconvénient à adopter l'amendement de l'honorable M. Orts. Cependant, je dois faire remarquer qu'il consacre un principe qui n'est pas admis dans notre législation électorale. Ainsi, je suppose une société en commandite ; dans ce cas les commandités donnent leur argent et ce sont les directeurs de la société qui profitent de l'argent de tous les associés pour acquérir le droit électoral. Cependant, ce ne sont pas ces directeurs qui payent, c'est l'être moral représenté par eux.

Or, si c'est le représentant de l'être moral qui est appelé à jouir de l'électoral au moyen de l'argent de cet être moral, on peut accorder l'électorat au mari ; car il y a des cas où, sous le régime dotal et paraphernal, le mari peut être usufruitier des biens de sa femme.

Ainsi, par exemple, si les biens du mari sont insuffisants pour pourvoir aux besoins des enfants, les biens de la femme doivent servir à parfaire la somme nécessaire à la satisfaction de ces obligations naturelles. J'ai donc la conviction que vous ne fausseriez aucun principe constitutionnel, si vous admettiez que les contributions payées à raison des biens de la femme mariée sous le régime dotal et paraphernal puissent compter au mari.

Si la question avait été posée au Congrès, je suis bien convaincu qu'il l'eût résolue dans le sens que j'indique ; j'en trouve la preuve dans l'amendement qui a été présenté, car si cet amendement a été écarté, ce n'est point parce qu'on l'aurait considéré comme inconstitutionnel. Mais au point de vue pratique, il est certain qu'il se présentera fort peu de cas d'application de la disposition proposée par le gouvernement. La rédaction proposée par l'honorable M. Orts nécessiterait la production de tous les contrats de mariage ; c'est là un inconvénient très sérieux, et je ne comprendrais pas qu'en vue d'apaiser un scrupule constitutionnel, qui ne me paraît pas fondé, on ouvrît la porte à une véritable inquisition pour s'assurer des droits du mari à exercer l'électorat. Je préférais le rejet de l'article 2.

M. Orts. - Messieurs, je ne réponds que deux mots aux objections présentées par M. le ministre de la justice.

Il n'y a aucune analogie entre la position d'un mari uni à une femme qui conserve la jouissance exclusive de ses biens, et la position du gérant d'une société en commandite vis-à-vis des commanditaires.

Le gérant de la commandite est l'incarnation de la société, la société c'est lui. Il est responsable, sur son avoir personnel, des dettes sociales et cela sans limites. Il administre seul l'actif social comme sa fortune personnelle. S'il y a plusieurs gérants, tous sont solidaires. L'impôt grevant les biens sociaux est donc payé et dû par le gérant.

D'autre part, je conçois difficilement que les apports d'un commanditaire, consistant généralement en argent ou en meubles, puissent être grevés d'impôts propres à parfaire un cens électoral.

Le mari qui a épousé une femme sous un régime matrimonial qui assure à la femme la jouissance de ses biens particuliers n'est pas dans la position que je viens d'examiner.

Le bien de la femme n'est plus son bien ni celui de l'association conjugale.

Maintenant, M. le ministre de la justice nous dit : « Il peut se présenter, en matière matrimoniale, des régimes conventionnels où le mari aura la jouissance des biens personnels de sa femme, en dehors du régime de la communauté et comme usufruitier. »

(page 822) Je le sais. Mais alors le mari comptera les contributions de la femme pour parfaire le cens électoral, non plus comme mari, mais comme usufruitier.

Nos lois civiles et électorales s'accordent pour autoriser l'usufruitier à former son cens électoral à l'aide des impôts directs grevant les biens soumis à l'usufruit. Le Code civil vent qu'il les paye ; et c'est, par parenthèse, pour ce motif que les curés se font électeurs avec l'impôt grevant les biens de curé, biens dont les curés ne sont nullement propriétaires.

M. Mullerµ. - Messieurs, M. le ministre de la justice vient d'exprimer l'opinion qu'on pourrait, sans trop d'inconvénients, supprimer complètement l'article 2. Je ne puis partager cet avis. Comme lui, je pense que le Congrès n'a jamais voulu faire de distinction entre les régimes particuliers qui existent entre maris et femmes ; sous ce rapport, cette distinction est même contraire à la dignité et à l'unité de la famille, et il ne faut pas que, dans une loi politique, on vienne faire des distinctions entre les différents régimes de biens et d’intérêts pécuniaires qui peuvent varier à l’infini entre les maris et les femmes.

Je dis même que c’est ébranler quelque peu le lien d’indissolubilité que la loi désire voir maintenir dans le mariage.

Il y a, toutefois, une réserve raisonnable à établir, pour faire droit à l'observation de l'honorable M. Dumortier : c'est lorsqu'il y a séparation judiciaire dc corps et de biens prononcée. Je ne sais pas, au juste, si cela ne ressort pas implicitement de cette séparation violente ; mais il vaut mieux qu'il n'y ait pas de doute à cet égard.

Enfin, messieurs, j'ajouterai une considération : c'est que, selon moi, c'est aussi par un sentiment de respect pour l'unité de la famille et pour l'autorité morale de son chef, que l'on a, sauf un cas exceptionnel, accordé au père les contributions dc ses enfants mineurs.

En résume, une loi politique, déterminant les droits électoraux, ne doit pas entrer dans la discussion et les détails des intérêts distincts qui peuvent exister entre les membres de la famille, et surtout entre les époux.

J'insiste, messieurs, sur le maintien et l'adoption de l'article que nous avait présenté le gouvernement, parce que c'est là un moyen très constitutionnel, très juste et très moral d'accroître le nombre des électeurs.

Qu'il me soit permis, avant dc terminer, de répondre éventuellement à une assertion qui a été énoncée, et que je considère comme erronée : c'est qu'on pourrait forcer, sous le régime actuel, tout électeur voulant s'étayer des biens de sa femme à produire son contrat de mariage.

C'est, selon moi, et d'après la jurisprudence, à celui qui prétend que je ne suis pas marié sous le régime de la communauté, c’est-à-dire sans contrat de mariage, à l’opposer la preuve que j’ai accepté le régime de la séparation de biens, le régime dotal ou tout autre, exclusif de la communauté.

S'il n'en était pas ainsi, l'application de la loi serait une source de vexations et de tracasseries.

- La discussion est close sur l'article 2.

MpVµ. - La section centrale insiste-t-elle sur son amendement ?

M. Hymans, rapporteur. - Je dois me rallier à l'amendement de l'honorable M. Orts, puisque l'honorable M. Dewandre a retiré son amendement pour se rallier à celui dc l'honorable M. Orts. Je ferai remarquer que l'honorable M. Dewandre est membre de la section centrale ?

MpVµ. - L'amendement de la section centrale et celui de M. Dewandre sont retirés. Reste l'amendement de M. Orts.

- Cet amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.

MpVµ. - Je mets aux voix l'article 2 du projet du gouvernement qui est ainsi conçu :

« Art. 2. Par dérogation à l'article 2 de la même loi, les contributions de la femme, même non commune en biens, sont comptées au mari. »

MfFOµ. - Pour faire droit à l'observation de l'honorable M. Dumontier, qui me semble fondée, je propose de terminer l'article 2 du projet du gouvernement par les mots : « sauf le cas de séparation de corps ».

- L'article 2, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

MpVµ. - Nous passons à l'article 3.

M. Van Humbeeck. - Je ferai observer qu'il y a une proposition des honorables MM. Nothomb et de Haerne qui se rattache à l'article 2, proposition sur laquelle la Chambre n'a pas statué.

MpVµ. - Le principe a été rejeté hier.

Article nouveau

MfFOµ. - Il y a un amendement de M. Couvreur qui vient avant l'article 3. C'est l'amendement relatif à la division des cotes de la contribution personnelle.

MpVµ. - Je mets en discussion cet amendement. Il est ainsi conçu :

« Art. 3. Leur part proportionnelle de l'impôt sur la valeur locative, le mobilier, les portes et fenêtres et les foyers est comptée, pour l'établissement du cens électoral, aux locataires et sous-locataires qui, dans les cas prévus aux articles 7 et 9 de la loi du 28 juin 1822, ne sont pas considérés comme débiteurs directs de l'Etat.

« Pour jouir de cette faculté, les intéressés sont tenus d'acquitter d'avance, pour l'année entière, leur cote personnelle pour les habitations ou parties d'habitations qu'ils occupent. »

M. Couvreurµ. - Messieurs, j'ai déjà, dans la discussion générale, développé les principes sur lesquels la proposition que je soumets à la Chambre est basée et je puis donc me dispenser de rentrer dans les considérations que j’ai développées, je puis me borner à défendre mon amendement et j’avoue que j’éprouve sous ce rapport quelque embarras. En effet, M. le ministre des finances a bien voulu dire que le principe de mon amendement lui paraissait juste.

La principale, l'unique objection qu'il a fait valoir contre ma proposition, c'est qu'elle diminuerait le nombre des électeurs, c'est une critique d'application à laquelle je répondrai tantôt.

Le principe même de l'amendement et les considérations sur lesquelles je l'ai appuyé sont sortis entiers du débat.

En effet, messieurs, jusqu'ici personne n'a trouvé qu'il fût juste d'attribuer au locataire principal le bénéfice d'un cens dont il ne possède pas la base et cela au détriment de celui qui le possède en réalité et qui acquitte le cens non pas directement entre les mains du receveur de l'Etat mais entre les mains de son logeur, soit qu'il en demande le remboursement en vertu des articles 7 et 29 de la loi de 1822 soit que ce remboursement soit compris dans le prix du loyer.

Voici, en effet, ce que disent les articles 7 et 29 de la loi de 1822.

« Art. 7. L'individu occupant une maison, soit en propriété, soit autrement, qui en loue ou cède une partie des chambres ou appartements, devra la contribution pour la maison entière, sauf son recours contre les occupants, dans la proportion de la valeur locative imposable des parties de chambres ou appartements loués, à moins qu'il ne soit stipulé autrement par les baux. »

« Art. 29. L'individu occupant une maison soit en propriété ou autrement, qui en loue ou cède une partie des chambres ou appartements garnis ou non garnis devra la contribution pour le mobilier, sur le pied de la valeur locative quintuplée de toute la maison, sauf son recours contre les occupants, dans la proportion de leur valeur locative quintuplée, à moins qu’il ne soit stipulé autrement par les baux. »

Il résulte de ces deux articles que ce sont bien les sous-locataires qui payent la base du cens et que le locataire principal, lorsqu'il paye la contribution, a le droit de s'en récupérer sur son locataire.

Personne non plus, dans la discussion générale, n'a rencontré cet argument, que l'accroissement du nombre des électeurs n'est pas en rapport avec l'accroissement dc la fortune publique, et cela par le fait même du jeu des impôts et de nos lois électorales.

Personne n'a contesté que l'impôt foncier, précisément parce qu'il reste stationnaire, ne profite pas à l'extension de l'électorat. Personne enfin n'a contesté que l'impôt des patentes «t des débits n'exerce, sur l'extension de l'électorat, une plus grande influence que l'impôt foncier.

MfFOµ. - C'est une erreur.

M. Couvreurµ. - L'impôt foncier, restant stationnaire, ne peut exercer sur l'augmentation du nombre des électeurs une influence aussi considérable que l'impôt des patentes et des débits dc boissons qui suit l'accroissement de la fortune publique.

MfFOµ. - Vous êtes dans l'erreur.

M. Couvreurµ. - D'ailleurs je veux m'en tenir à la déclaration de M. le ministre des finances qu'il eût été disposé à se rallier à mon amendement, si les statistiques relevées par son département ne lui avaient pas prouvé qu'il irait à rencontre du but que nous voulons tous atteindre. Cela prouve combien j’étais dans le cœur de la question, lorsque je l'ai portée sur le terrain des impôts.

Mais aux causes que j'ai indiquées relativement au non-accroissement (page 823) 823

du nombre des électeurs proportionnellement à l'augmentation de la population, il faut en ajouter d'autres que je prie la Chambre de me permettre de développer en peu de mots, autant pour défendre mon amendement que pour répondre aux craintes que l'on a manifestées dans cette enceinte, et qui sont très exagérées, selon moi, relativement à l'envahissement du corps électoral par une multitude incapable de comprendre et de gérer les intérêts publics.

L'honorable M. Schollaert a développé cette thèse que l'ouvrier qui est capable, honnête, laborieux, qui, par ces considérations, aurait le droit d'entrer dans le corps électoral, y pénètre réellement par son travail et sa bonne conduite et il en a tiré la conclusion qu'il n'y avait pas lieu de modifier nos lois électorales.

Il a été répondu très justement par l'honorable M. Delaet que cela pouvait être vrai pour quelques individualités favorisées par les circonstances ; mais que l'observation n'est pas fondée pour l'ensemble de la classe laborieuse ni même pour les couches supérieures de cette classe si intéressante à tous égards. J'ajoute que ce phénomène de l'entrée de l'élément ouvrier intelligent, probe et laborieux dans le corps électoral, subit, au contraire, un temps d'arrêt, contre lequel nos lois électorales doivent réagir.

Les honorables membres qui craignent l'envahissement devront bien reconnaître avec moi que le prolétariat proprement dit est un des produits de notre activité industrielle. Autour de chaque établissement industriel s'accumulent des masses d'ouvriers sans autres ressources que leur salaire quotidien, sans autres aptitudes que le travail mécanique pour lequel ils ont été spécialement formés. Or, la force des choses, la solidarité qui existe entre tous les éléments du corps social, ces causes veulent que l'action que l'industrie exerce ne s'étende pas seulement à l'ouvrier qui loue ses services, mais encore aux artisans, aux petits bourgeois et aux paysans indépendants, aux petits propriétaires des campagnes. C'est un fait incontestable : toutes les fois qu'un produit peut tomber dans le domaine des manufactures, il chasse du marché le produit sorti de l'atelier de l'artisan.

Il est inutile de rappeler les tisserands des Flandres écrasés par le développement des filatures et de la tisseranderie mécanique. Je lisais encore, il y a quelques jours, qu'à Paris, les ateliers de confection pour habillements, au nombre de 300, produisent autant que 3,000 tailleurs indépendants. Il n'est pas jusqu'aux savetiers qui ne soient chassés de leurs échoppes par la fabrication des chaussures à bon marché. Dans nos campagnes, le mouvement est plus lent ; cependant partout où s'introduisent les cultures industrielles, le paysan propriétaire disparaît ou voit sa position, et, avec elle, sa capacité et son indépendance, s'amoindrir, parce qu'il devient le salarié du capital.

Cette marche de l'industrie est trop visible pour qu'on songe à la nier. Ainsi disparaît, petit à petit, dans les Etats industriels, cet élément si sain du corps social, qu'on appelle les petits artisans et les petits propriétaires.

Ne croyez pas, messieurs, qu'en signalant ce mouvement je veuille m'en alarmer et faire le procès à mon époque ; ne croyez pas que je songe à regretter les corporations, les maîtrises et les jurandes.

Je me borne à constater les faits, sans réclamer contre eux ni l'intervention des lois, ni les spécifiques des sophistes. L'industrie est comme la lance d'Achille : elle guérira les blessures qu'elle fait et la société est assez puissante pour trouver en elle-même le remède aux inconvénients dont je viens de parler. La charité, les institutions de prévoyance, les associations entre les travailleurs et les capitalistes ou entre les travailleurs eux-mêmes, de mieux en mieux compris, du capital et du travail, le développement des sentiments de solidarité et de fraternité entre toutes les classes de la société sont des remèdes efficaces à l'état de choses que je dénonce. Je puis constater les faits et en tirer cette conséquence qu'il faut que la législation électorale suive ces transformations et que puisque cet élément autrefois libre et aujourd'hui salarié et dépendant tend à s'accroître, il faut aussi que la législation électorale soit modifiée en ce sens.

Si à ce mouvement vous ajoutez l'action croissante du gouvernementalisme, non seulement du gouvernement de l'Etat mais encore du gouvernement des communes, vous voyez que le nombre des salariés, des fonctionnaires, des employés doit s'accroître sans cesse au détriment des individualités qui formaient jadis la masse du fond électoral et qui échappent de plus en plus à l'impôt foncier, à l'impôt personnel, voire même, quoique dans une mesure moindre, à l'impôt des patentes.

Sous peine de nous mettre en contradiction avec les faits, nous devons donc nous attacher non pas à conserver notre législation électorale telle qu'elle est, mais suivre le nouvel ordre de choses, sinon nous laissons la pyramide sociale s'amincir, s'affouillir par sa base comme ces montagnes de glace qui descendent du pôle vers les mers tempérées et nous nous exposons à assister à une débâcle épouvantable de notre système électoral.

Donc, lorsque nous proposons de contrarier ce mouvement en diminuant le cens, en comptant les centimes additionnels en transformant les impôts indirects en impôts directs, en divisant les cotes personnelles, je dirai tantôt ce que je pense de la division des cotes foncières, nous ne faisons que rappeler à l'électoral ceux que la force des choses en éloigne.

Nous sommes les vrais conservateurs. Tous ces ouvriers capables, intelligents, honnêtes, moraux, laborieux, qui siègent dans les conseils de prud'hommes, qui président les sociétés de prévoyance, tous ces ouvriers que nous sommes fiers d'appeler nos amis, tous ont été jadis, sinon par eux-mêmes, au moins par leurs pètes, de petits bourgeois. Autrefois ils avaient pignon sur rue, ils payaient l'impôt foncier, l'impôt personnel, l'impôt des patentes ; aujourd'hui, ils logent en appartement, et s'ils payent encore l'impôt, ils ne payent plus qu'indirectement ou dans des conditions insuffisantes pour devenir électeurs.

Il a été beaucoup question, dans ces débats, de l'influence qu'exercent sur le corps électoral l'impôt sur le débit des boissons et celui sur le débit du tabac. Sans vouloir prendre leur défense, je ne puis m'empêcher de faire remarquer, d'accord, sur ce point, avec l'honorable ministre des finances, qu'élever le droit serait favoriser la fraude et que supprimer les électeurs créés par le droit, serait aller a rencontre de la vérité et de la Constitution. Sans doute, une loi pourrait décider que le droit sur les débits n'est pas un impôt direct, mais je crois qu'en le décidant, clic se tromperait sur la nature de l'impôt.

On peut trouver que les électeurs qu'il crée sont de mauvais électeurs, au vœu de la Constitution, mais il faut bien reconnaître avec l'honorable M. de Brouckere que la plupart de ces électeurs, ceux qui payent cet impôt, sont ou de petits cultivateurs ou des ouvriers qui sont mis ainsi à même de conquérir l'électoral. L'impôt sur les débits de boissons, c'est la porte par laquelle l'élément travailleur rentre dans le corps électoral et l'empêche de se restreindre outre mesure. C'est une petite porte, une porte basse, une porte par laquelle entrent en même temps la paresse et l'ivrognerie ; mais cette porte, nous ne pouvons la fermer que par des moyens indirects : par la prédication, par l'instruction, par la propagation des idées d'ordre, d'épargne et de prévoyance.

En attendant, que faut-il faire ? Il faut, à côté de cette petite porte, en ouvrir une autre, plus large, plus grande : la porte des impôts directs et de l'abaissement du cens. Voilà le vrai moyen d'amender la composition du corps social.

Remarquez bien, messieurs, que la lutte même des partis pousse constamment à l'extension de l'électoral et forme un heureux contrepoids aux restrictions créées par le mouvement social.

Pour s'assurer des majorités, les partis, à l'envi, font des électeurs ci ils se servent naturellement des instruments qu'ils ont le plus directement sous la main, c'est-à-dire de l'impôt sur le débit des boissons et de l'impôt sur le débit dû tabac. Il suffit de quelques cigares dans un lieu borgne pour faire un électeur ; mais le jour où les partis pourront faire des électeurs par la division des cotes personnelles, ils auront recours à ce moyen beaucoup plus légitime. De cette manière, vous contrebalancerez utilement les électeurs donnés par l'impôt sur les boissons, vous augmenterez le nombre des électeurs offrant des garanties sérieuses de capacité et de moralité. Ceci soit dit sans faire tort à l'honorabilité de ceux qui sont électeurs en vertu de l'impôt sur le débit des boissons.

À propos de cette transformation des impôts indirects en impôts directs, si la Chambre veut me le permettre, je répondrai en peu de mots à quelques reproches que m'a adressés l'honorable ministre des finances.

Il m'a reproché d'abandonner le programme du congrès libéral quant à l'adjonction des capacités et de pousser, sous le masque de la prudence et de l'habileté, au suffrage universel en demandant l'universalisation des impôts directs. Il m'a reproché encore, dans son premier discours, d'avoir la prétention de résoudre toutes les questions, les questions militaires comme les questions électorales, par l'économie politique.

MfFOµ. - Allons-nous rentrer dans la discussion générale ?

M. Couvreurµ. - Ce n'est pas mon intention. Je demande seulement à pouvoir me justifier contre quelques-unes de vos assertions. Quant au premier point, je crois que je reste dans la discussion de (page 821) l'amendement, attendu que j'ai la prétention de penser que mon amendement dispenserait le gouvernement de proposer l'adjonction des capacités spéciales. En effet, par mon amendement toutes les capacités dont s'occupe le projet du gouvernement deviendraient électeurs, si pas à la Chambre, tout au moins pour la province et la commune, avec le cens abaissé bien entendu.

Pour ce qui concerne cette question de l'adjonction des capacités, qu'il me soit permis de dire que je n'entends nullement abandonner le programme du congrès libéral. Seulement cette partie du programme du congrès libéral a, en réalité, reçu son application. Ce programme fut rédigé en 1846, à une époque où personne n'osait demander l’abaissement du cens au minimum fixé par la Constitution.

Que demandait ce programme ?

Il demandait qu'on admît les capacités payant le minimum du cens ; mais les capacités, telles qu'elles figurent dans le projet du gouvernement, ne peuvent évidemment être assimilées aux capacités telles que les entendait le programme du congrès libéral. Il s'agissait, dans ce programme, des capacités assimilées aux censitaires qui payaient un cens très élevé et qui, par conséquent, présentaient une présomption de fortune.

Mais le cens de 20 florins ne présente plus cette présomption, surtout avec les éléments qui y entrent en vertu de l'impôt sur les débits de boissons.

Les capacités dont parle le projet de loi du gouvernement peuvent être assimilées d'autant moins aux capacités dont parle le programme du congrès libéral que celles-ci devaient payer le cens, tandis que les autres ou ne le payent pas, ou ne le payent que par la plus discutable de toutes les fonctions.

Ce principe de l'adjonction des capacités est très civilisateur, très séduisant, mais il est très difficile à appliquer. On procède par catégories et on s'expose à commettre des injustices et à provoquer des fraudes plus nombreuses que celles qui résultent du cens.

Maintenant, quant à la transformation des impôts indirects en impôts directs, j'avoue que j'ai été étonné de rencontrer l'honorable M. Frère, sur ce terrain, comme un adversaire. N'a-t-il pas lui-même préconisé cette doctrine ? et les hommes les plus éminents du parti libéral ne l'ont-ils pas toujours soutenue ?

L'honorable ministre des finances me fait un signe de dénégation ; mais je me permettrai de lui rappeler ce qu'il disait dans la discussion de l'adresse en 1848 :

« Les impôts, disait-il, doivent être remaniés, notamment les impôts directs, non pour leur faire produire davantage, mais pour amener une meilleure répartition, pour empêcher que ceux qui ne sont pas en état de faire l'avance de l'impôt soient cependant obligés de l'acquitter. C'est une chose juste et nécessaire, il faut y pourvoir. » (Interruption.)

Si l'on conteste la portée de la citation, je citerai l'opinion de l'honorable M. Lebeau, lequel, comme rapporteur du projet d'adresse, disait à la même époque :

« L'Angleterre, après avoir accompli une grande réforme politique, a réalisé une grande réforme financière ; le système des impôts indirects a été fortement entamé, et j'espère bien que ce sera dans le même esprit que nous procéderons à la réforme de notre système d'impôts.

« L'impôt indirect a, contre lui, un très grand vice, c'est qu'il frappe en aveugle, et souvent avec injustice ; c'est que souvent une famille nombreuse et peu aisée perd, par sa consommation, une partie de son revenu égale à ce que payent les fortunes les plus opulentes. »

Voilà une citation péremptoire et qui ne sera pas contestée, une profession de foi explicite, et je puis dire que je suis parfaitement dans le courant de l'opinion libérale lorsque je soutiens la nécessité, non pas de supprimer hic et nunc tous les impôts indirects, mais de tendre à leur transformation en impôts directs. Je crois encore que c'est un des moyens les plus puissants de réaliser un article du programme du congrès libéral, celui qui tend à l'amélioration des classes laborieuses.

Maintenant, je suis un orateur prudent et habile et je veux, sous le masque de la transformation des contributions indirectes en contributions directes, arriver à cette chose monstrueuse qu'on appelle le suffrage universel.

Nous aurions beau transformer tous les impôts indirects en impôts directs, que nous serions encore loin du suffrage universel ; et, en admettant même qu'il fût possible, non pas après une longue suite d années, mais par un coup de baguette magique, de faire payer par tous les Belges 20 florins d'impôt direct, ce ne serait pas là une situation si malheureuse.

- Une voix. - Il faudrait une baguette bien longue.

M. Couvreurµ. - En effet, et c'est pour ce motif que j'ai été on ne peut plus étonné de l'accusation de l'honorable ministre des finances.

La Chambre excusera cette digression un peu personnelle, je reviens au sujet principal du débat, à la défense de mon amendement.

Ainsi que je le disais au début, je suis assez embarrassé, M. le ministre lui-même ayant déclaré que la division des cotes est de droit, qu'elle est le principe de la loi sur le personnel, qu'il s'agit simplement de faire disparaître les exceptions créées dans l'intérêt du fisc et que lui-même enfin avait d'abord accueilli l'idée avec beaucoup de faveur ; seulement cette idée a, selon lui, un grand inconvénient ; il craint qu'elle ne diminue le nombre des électeurs ; il en a même la certitude à raison des statistiques qu'il a consultées.

Mais, messieurs, en admettant que cela soit, il faudrait d'abord qu'on examinât si la proposition est juste, si elle est légitime avant de trop s'inquiéter des conséquences auxquelles elle peut entraîner. La seconde question à examiner est celle de savoir si, en effet, le nombre des électeurs diminuera.

Eh bien, messieurs, je crois que, sous ce rapport, les statistiques se sont trompées. J'avoue que je n'ai dans ces statistiques qu'une très médiocre confiance.

M. le ministre des finances a fait son enquête. J'ai fait un peu la mienne. Je l'ai faite dans la ville de Bruxelles, que je connais le mieux : au Quartier Léopold, dans la partie la plus marchande de la ville, dans les faubourgs, dans les quartiers populeux, et je suis arrivé à cette conviction que, dans les quartiers riches, chaque maison de moyenne grandeur qui compte un sous-locataire, les déclarations étant sincères, vous donnera, outre l'électeur pour la Chambre qu'elle fournit déjà, un électeur communal, et que, dans les quartiers populaires, vous aurez au moins deux électeurs communaux, bien entendu en admettant que le cens soit fixé à 15 francs.

Ce qui explique comment la statistique de l'honorable ministre des finances ne s'accorde pas avec la mienne, c'est qu'il a consulté les rôles c'est-à-dire des chiffres, tandis que j'ai consulté la cause des chiffres.

MfFOµ. - Oh !

M. Coomans. - Vous ne sauriez nier que, dans l'état actuel des choses, bien des déclarations ne soient inférieures à la vérité. Or, le jour où un intérêt électoral sera en cause, les déclarations deviendront plus sincères qu'elles ne le sont aujourd'hui, et sous ce rapport-là, du moins, l'honorable ministre des finances devrait me savoir gré de ma proposition, car elle tend à augmenter les ressources du trésor. (Interruption.)

Evidemment ; ma proposition aura pour effet de donner plus d'élasticité à l'impôt personnel, sans sortir de la justice. C'est un fait bien connu que pour un loyer réel de 2,500 francs on ne déclare souvent comme valeur locative que 900 fr. à 1,000 fr. (Interruption.) C'est l'exacte vérité. On s'en réfère aux années précédentes.

- Une voix. - C'est conforme à la loi.

M. Couvreurµ. - C'est conforme à la loi. Je le sais bien, mais la loi en cela favorise les abus, et que cette maison ait un sous-locataire intéressé à devenir électeur et un locataire principal qui veuille le rester, mais la valeur locative montera et vous aurez des déclarations conformes à la vérité des faits.

Je pose en fait qu'à Bruxelles il y a bien peu de maisons à locataire dont la valeur locative soit inférieure à 400 fr., je parle de la valeur locative réelle ; eh bien, si vous établissez vos calculs sur ce prix de 400 fr., vous trouverez que 400 fr. justifient un mobilier de 2,000 fr., 400 fr. représentent un impôt de 10 fr. ; le mobilier pris au quintuple donne un droit de 20 fr. Ajoutez une trentaine de francs pour portes, fenêtres, foyers, et vous arrivez à un total de 66 fr. ; c'est à-dire que dans ces maisons que j'estime être la moyenne des maisons à Bruxelles, vous aurez deux électeurs, un pour la Chambre et un pour la commune, et largement deux électeurs pour la commune.

- Une voix. - Oui, à Bruxelles.

M. Couvreurµ. - On a l'air de me reprocher de ne parler que de Bruxelles. Mais, messieurs, si je ne parle que de Bruxelles, c'est parce que c'est le terrain que je connais le mieux, parce que c'est à Bruxelles que les effets du développement de la richesse sociale sur la composition du corps social se font le mieux sentir, parce que c'est à Bruxelles que les réclamations les plus vives se sont produites contre le régime électoral actuel, enfin parce que Bruxelles, par son développement, montre le (page 825) chemin que les autres villes ne tarderont pas à suivre, à mesure que leur prospérité se développera.

Le pis qui puisse arriver, en admettant que les craintes de M. le ministre des finance, se réalisent, c'est qu'un bon électeur soit substitué à un mauvais électeur. J'appelle un bon électeur, celui qui possède réellement la base du cens.

A l'appui de son argument, M. le ministre des finances a fait valoir encore que le cens se réduirait parce que le locataire principal ne serait plus tenu de déclarer le mobilier pour le quintuple de sa valeur.

Je dois constater d'abord que cette disposition est si inique, si injuste que dans un grand nombre de cas, on ne l'applique pas. Les receveurs qui voudraient faire du rigorisme soulèveraient les contribuables.

Il y a avec le fisc toute espèce d'accommodement. On dissimule la sous-location, si on la déclare ; on baisse autant que possible la valeur locative ; on réduit les foyers ; il n'y a pas de matière qui ouvre la porte à autant de fraudes que celle-ci. Mais j'admets que les déclarations soient sincères. En quoi ma proposition changera-t-elle les dispositions de l'article 29 de la loi ?

Voici ce que dit cet article :

« L'individu occupant une maison, soit en propriété ou autrement, qui en loue ou cède une partie des chambres ou appartements garnis ou non garnis, devra la contribution pour le mobilier, sur le pied de la valeur locative quintuplée de toute la maison, sauf son recours contre les occupants, dans la proportion de leur valeur locative quintuplée. »

Le locataire principal sera obligé de continuer à déclarer en vertu de l'article 29, la valeur du mobilier au quintuple de la valeur locative, et le partage de la somme due pour le mobilier se fera à raison de cette déclaration et à raison du quintuple de la valeur locative des chambres occupées par le sous-locataire,

Cependant admettons que, dans l'état actuel des choses, l'honorable ministre des finances ait raison. Je lui répondrai qu'il n'en sera pas ainsi pendant très longtemps encore et que lorsqu'on fait une loi électorale il ne faut pas seulement considérer le temps présent, mais il faut songer encore au développement des faits dans l'avenir.

Or la ville de Bruxelles va exécuter de grands travaux : deux vieux quartiers vont être abattus, deux quartiers nouveaux vont être construits. Dans ces quartiers, à raison de l'élévation du prix des terrains, à raison de l'augmentation de la valeur des constructions par la valeur des démolitions, le bâtisseur, pour toucher l'intérêt de son capital, sera obligé de construire ses maisons dans des conditions spéciales, avec des sous-locataires à chaque étage. Ces locataires seront d'anciens électeurs qui auront cessé de l'être. Ils payeront encore l'impôt du personnel ; seulement, cet impôt sera compris dans le prix du loyer et vous verrez ainsi la capacité électorale de Bruxelles s'abaisser à mesure que sa prospérité ira s'augmentant. et au profit de qui cet abaissement se produira-t-il ? Au profit du concierge de la maison, ou du boutiquier du rez-de-chaussée qui est déjà électeur à raison de son loyer, de son mobilier, et à raison de la patente qu'il paye pour le commerce qu'il exerce.

Enfin, et je signale l'argument à M. le ministre des finances, parce qu'il me semble qu'il détruit par sa base toute son objection, ce qui me fait espérer qu'il reviendra à sa première disposition, c'est que ma proposition telle que je la présente est facultative.

La division étant faite entre le locataire principal et le sous-locataire, il faudra encore que le sous-locataire, pour obtenir le droit électoral, acquitte lui-même les contributions, ou plutôt qu'il les ait acquittées pendant un temps donné pour figurer sur les listes électorales. S'il s'en abstient, s'il n'acquitte pas sa part de contributions, on ne peut pas l’y forcer.

La loi de 1822 reste debout : les intéressés n'auront la faculté que je propose de leur accorder que s'ils y trouvent un avantage et un honneur ; l'avantage et l'honneur d'être électeurs. Ne sera électeur que celui qui voudra faire un effort pour le devenir ; et comme le locataire principal reste responsable du payement de l'impôt, il n'ira pas se dépouiller de son droit électoral aussi longtemps que le sous-locataire n'aura pas payé à sa décharge sa quote-part de l'impôt. De son côté, le sous-locataire ne profitera pas de la division pour le plaisir de payer, en sus ou en dehors de son loyer, une somme insuffisante pour lui faire acquérir le droit électoral.

En fait, voici ce qui se passera. Les déclarations seront plus sincères, ce dont le fisc ne se plaindra pas et la division n'opérera ses effets que lorsque par elle les intéressés pourront acquérir l'électoral soit à la Chambre, soit à la Chambre et à la commune, soit à la commune seulement,

Il a été dit encore dans le cours de la discussion générale que, pour être logique, je devrais étendre ma proposition à la division des cotes foncières ; sinon que mon amendement ocrait inique et odieux, parce qu'il augmenterait considérablement le nombre des électeurs des villes au préjudice des électeurs des campagnes.

Je liens à me justifier de ce reproche et à prouver que si ma proposition pouvait avoir ce caractère d'iniquité, ce serait bien contraire à mes intentions.

Je n'ai recherché, en la faisant, que les droits de la justice, la vérité des faits, tout en m'efforçant de rester strictement dans les termes de la Constitution, et ce n'est pas ma faute si les exemptions d'impôts accordées jadis aux fermiers, aux exploitants de la terre, ou plutôt aux propriétaires (car ces exemptions ne profitent pas en réalité aux fermiers, mais aux propriétaires, dont elles augmentent indirectement le revenu), ce n'est pas ma faute, dis-je, si ces exemptions ont tourné contre le droit électoral des fermiers, contre la représentation des intérêts agricoles.

On a dit qu'il y a des fermiers qui possèdent cent mille francs de fortune et qui ne sont pas électeurs. Certainement cela est très injuste ; mais pourquoi la loi sur la contribution personnelle exemple-elle ces fortunes, pourquoi le fermier locataire ne paye-t-il rien sur ses chevaux, sur son bétail, sur son matériel agricole, sur son capital d'exploitation ?

Voilà, messieurs, la véritable explication du phénomène. Je ne veux pas citer tous les articles de la loi, mais elle fourmille d'exemptions au profit de l'agriculteur. Les instruments aratoires sont exemptés, les chevaux, brebis, porcs, bêles à cornes, exempts ; les ouvriers et ouvrières employés à l'agriculture, exempt, lors même qu'ils cumulent les services du ménage avec les travaux rustiques.

Maintenant, pour peu que nous ajoutions à toutes ces exemptions la manière d'habiter les maisons et le genre de vie qu'on mène à la campagne, les petites fraudes qui s'y commettent autant qu'à la ville et vous aurez l'explication bien simple de la neutralité de l'impôt personnel quant à la composition des listes électorales dans les communes rurales.

Il n'est pas possible, messieurs, d'établir un rapprochement, une assimilation quelconque entre ma proposition, la division de la cote personnelle et la division des cotes foncières.

L'impôt foncier est évidemment un impôt attaché à la propriété ; c'est un impôt qui doit profiter au détenteur de la propriété et non à celui qui l'exploite.

L'honorable M. Dumortier nous disait : Le fermier paye pour la terre qu'il occupe ; donc il doit jouir du droit électoral au même titre que l'habitant des villes qui paye pour la maison qu'il occupe. Mais il y a ici une confusion d'idées très grande : le fermier paye pour la terre qui le fait vivre, mais l'occupant d'une maison en ville ne tire pas ses moyens d'existence de la maison qu'il occupe ; ce sont là deux ordres d'idées tout à fait différents.

L'honorable ministre des finances l'a démontré, d'ailleurs, avec une grande précision.

Si le premier était électeur du chef d'un impôt qui appartient en réalité à son propriétaire, cela serait aussi injuste que d'attribuer, dans le système de la cote personnelle, l'impôt payé par le sous-locataire au locataire principal. Dans le premier cas, c'est le propriétaire seul qui possède la base du cens ; dans le second cas, c'est le sous-localtire.

Les auteurs de l'amendement, qui ont essayé de rattacher cet amendement à celui que j'ai déposé, me répondront peut-être que j'ai soutenu l'excellence du loyer comme base électorale. En effet, j'ai exprimé cette opinion, et je n'ai rien à modifier à mes paroles ; mais entendons-nous : il y a loyer et loyer ; j'ai parlé du loyer que l'on paye pour le toit sous lequel on s'abrite et non du loyer dans le sens économique du mot, c'est-à-dire du loyer qu'on paye pour l'exploitation d'un capital quelconque. S'il pouvait en être autrement, il faudrait que le commerçant qui emprunte des capitaux fût également électeur du chef de l'intérêt qu'il paye pour ces capitaux. Cela est clair comme le jour.

J'ai rappelé la législation anglaise. Or cette législation ne compte pas dans le loyer pour la formation du cens la boutique, précisément parce que la boutique est considérée comme un instrument de travail. Il est vrai qu'en Angleterre on s'est écarté de ce principe pour la supputation du loyer dans les comtés pour les fermes, mais cela tient à des causes politiques que je n'ai pas à rappeler ici.

J'insiste sur ce point, messieurs, parce qu'une réponse que j'ai faite à une interruption lors de mon premier discours a pu faire croire que j'admettais le principe de la division des cotes foncières, J'avais mal (page 826) compris l'interruption : je croyais que l'honorable M. Coomans, en la faisant, voulait rappeler que la division était déjà admise pour la cote foncière et que, ce principe étant inscrit dans la loi, il fallait l'étendre également à la division de la cote personnelle.

Or, messieurs, entre la division des cotes et l'application du principe de cette division au droit électoral, il y a une grande différence. Il faut aller au fond des choses et examiner ce qui est juste et ce qui ne l'est pas.

Cependant, tout en étant d'accord sur les principes avec l'honorable ministre des finances, je dois faire mes réserves sur une conséquence qu'il en a tirée et je désire indiquer en même temps dans quelle mesure ou plutôt par quel moyen on pourrait peut-être faire droit à la demande formulée dans l'amendement, si l'on veut s'élever au-dessus des questions de parti. Pour moi, je suis entré dans ce débat avec le sentiment de l'impérieuse nécessité d'aboutir à un résultat juste, honnête, avec la ferme résolution d'écarter de mon esprit toute arrière-pensée, de m'élever au dessus de l'atmosphère malsaine des préjugés et des rancunes. Une bonne loi électorale doit être l'expression sincère des sentiments de la majorité de la nation et rien ne doit nous coûter pour atteindre ce résultat.

Je l'avoue, je ne partage pas tout à fait les craintes qui ont été exprimées par M. le ministre des finances, quant au double et triple vote. Je ne dis pas que des abus ne puissent pas se produire. Mais les abus seraient faciles à constater. D'ailleurs, ils ne seraient pas plus fréquents ni plus criants que ceux que favorisera le projet du gouvernement.

Je crois donc que sous ce rapport il y a une certaine exagération dans les scrupules de l'honorable M. Frère et sur ce point les explications de l'honorable M. Kervyn m'on paru assez satisfaisantes.

Mais je voudrais adresser à cet honorable membre une autre question il supprime le droit électoral du propriétaire pour la part attribuée au fermier. Cela est très juste ; cela corrige une injustice écrite aujourd'hui dans la loi ; mais pourquoi, si le principe mis en avant est juste, pourquoi restreindre alors la part du fermier à la moitié de l'impôt foncier acquitté par lui ?

Pourquoi ne pas lui attribuer la totalité de l'impôt qu'il paye ? Pour quoi la moitié plutôt que le tiers ou le quart ? Pour moi, messieurs, à titre de transaction, voici où je trouverais peut-être une solution.

On peut soutenir légitimement que la terre est trop grevée. Outre l'impôt foncier, elle supporte l'impôt de l'enregistrement, l'impôt sur les successions, au moins en ce cens que les déclarations sont, quant à elle, toujours sincères, tandis que la fraude est très facile avec les déclarations sur les valeurs mobilières, que l'impôt des accises pèse encore en réalité sur la terre ; enfin, que le revenu produit par la terre est une seconde fois frappé par l'impôt personnel.

On peut donc, je le répète, soutenir très légitimement que la terre est trop taxée, et qu'il y a lieu de la dégrever.

Cela ne touche en rien à la thèse que j'ai soutenue, à savoir que la terre aurait tout avantage à accepter le cadastre permanent ; un cadastre qui suivait les fluctuations de sa valeur, frapperait là où il faut frapper, dégrèverait là où il est juste de dégrever ; qu'elle aurait encore un grand avantage à se débarrasser de l'impôt sur les douanes et accises qui l'atteint quand même aujourd'hui par la création d'un fonds de plus-value, le jour où l'impôt foncier serait devenu un impôt de répartition. Tout ce système serait parfaitement conciliable avec un abaissement relatif de la taxe, correspondant soit à des économies sur les dépenses publiques, soit à des réformes nécessaires dans l'impôt sur les valeurs mobilières.

Mais en attendant cette grande réforme, en attendant la suppression des exemptions d'impôts dont jouit aujourd'hui le fermier qui exploite sur la fortune qui lui est nécessaire pour exploiter ; en attendant, dis-je, la suppression de ces exemptions, on pourrait réduire l'impôt foncier de la part qui représenterait ou qui serait censée représenter plus spécialement le mobilier d'exploitation et attribuer cette part au fermier pour la computation du cens électoral.

M. Kervyn de Lettenhove. - C'est là ma pensée.

M. Couvreurµ. - Oui, mais vous ne lui restez pas fidèle dans l'application.

Le bénéfice électoral de la part plus spécialement attachée à la terre, devrait revenir au propriétaire ; la seconde part profiterait au fermier pour l'établissement du cens électoral.

Je ne suis pas assez familiarisé avec les questions agricoles pour pouvoir déterminer exactement comment il faudrait fractionner l'impôt pour qu'il représentât exactement d'une part la terre, de l'autre le mobilier agricole, mais je crois être très large en fixant la dernière à un cinquième du montant total de l'impôt, c'est-à-dire que pour un hectare de 3,000 fr. il faut attribuer au fermier un mobilier agricole d'une valeur de six cents francs.

- Une voix. - Il ne faut compter que le dixième.

M. Couvreurµ. - Le dixième ou le sixième, peu importe. Je me borne à poser le principe transactionnel.

Je ne dis pas que si l'amendement était présenté dans ces conditions, et si ses auteurs se ralliaient à la pensée de la transformation de l'impôt foncier ; je ne dis pas que je serais éloigné de voter en faveur de l'amendement...

M. Kervyn de Lettenhove. - C'est ainsi que je comprends mon amendement.

M. Couvreurµ. - Soit, mais en faisant la part du fermier beaucoup trop forte. (Interruption.)

Contrairement à ce qu'on me dit, la mesure s'appliquerait également aux propriétés urbaines. La situation plus ou moins avantageuse d'une maison pour l'exploitation d'un commerce ou d'une industrie peut créer une plus-value sur l'impôt foncier, dont une part, disons également un cinquième, pourrait être attribuée au locataire qui y exerce son commerce ou son industrie.

Je ne dis pas qu'il n'y ait pas quelque chose de forcé, de fictif dans cette division. Mais la fiction, à coup sûr, n'est pas plus forte que celle admise dans le projet de loi déposé par le gouvernement en faveur des avocats qui devraient payer patente et des fonctionnaires publics qui sont censés la payer. Fiction pour fiction, j'aime autant la mienne, et si les auteurs de l'amendement veulent s'y rallier, dans la limite, bien entendu, des parts proportionnelles que j'ai indiquée, peut-être pourrais-je leur accorder un vote favorable, après avoir entendu toutefois les explications que pourrait nous donner M. le ministre des finances.

L'honorable M. Frère nous a déclaré avant-hier que l'élément rural dont s'occupe l'amendement de M. Kervyn, est un élément très sage, très important dans la société, qu'il serait désirable de le voir figurer en plus grand nombre dans le corps électoral, qu’il y prêterait volontiers les mains si on lui en indiquait les moyens. Je soumets à son appréciation le moyen que je viens de développer.

Quant à mon amendement, je le recommande à l'examen bienveillant de la Chambre et du gouvernement. S'il y a, du chef de son application, une réduction, cela serait sans doute regrettable ; cependant d'autres procédés peuvent être employés pour obvier à cet inconvénient. Mais, je le répète, après les explications que je viens d'avoir l'honneur de fournir à la Chambre, j'ai la confiance que l'effet satisfaisant et heureux de ma proposition se fera sentir de plus en plus à mesure que nos grandes villes croîtront en richesse et en prospérité.

J'ai la confiance que c'est le seul moyen de ramener constitutionnellement à l'électorat des citoyens qui en sont injustement expulsés ou écartés par la transformation de notre ordre social ; j'ai la certitude enfin que ces éléments ouvriers, dont tout le monde ici s'accorde à faire l'éloge, et qui seraient un honneur et une force pour le corps électoral, ne peuvent trouver, que par ma proposition, la satisfaction qu'ils réclament et qu'ils méritent.

Enfin, messieurs, et je termine par cette considération, mon amendement ne préjuge rien quant aux effets de la loi. Il se borne à proclamer un principe juste : le droit électoral doit appartenir à celui qui en possède les bases. Une fois ce principe voté, si la Chambre craint que son application n'entraîne pour les élections à la province et à la commune la création d'un trop grand nombre d'électeurs, elle est libre d'élever la cens.

Quant aux élections générales, je crois que l'accroissement sera très insensible. Il n'y a, dans l'ensemble du pays, pas beaucoup d'habitations qui puissent fournir deux électeurs, et quand il y en aurait dans ces conditions, je crois que ces deux électeurs vaudront bien l'électeur unique que vous avez aujourd'hui.

Quant aux élections communales, j'ai établi mes calculs sur un chiffre de 15 fr., parce que je crois qu'on peut descendre impunément à ce chiffre. Mais, je le répète, si la Chambre, si le gouvernement ne sont pas de cet avis, ils peuvent corriger les effets de mon amendement par une surélévation du cens provincial et communal. Ils auront ainsi proclamé un principe juste et donné satisfaction à des appréhensions que je respecte, mais que je ne partage pas.

MfFOµ. - Messieurs, je crois me conformer au désir de la Chambre en ne suivant pas l’honorable (page 827) membre dans toutes les considérations qu'il a fait valoir, non pas précisément à l'appui de sa proposition, mais à côté, en dehors, au-dessus et au-dessous de cette proposition.

Je tiens cependant à dire qu'il s'est complètement trompé, s'il a pu penser un seul instant que je partageais ses idées sur la transformation des impôts, s'il a pu penser que j'avais admis, à une époque quelconque, que l'on pût transformer les impôts indirects en impôts directs, moyen qui a été indiqué par l'honorable membre pour obtenir un plus grand nombre d'électeurs.

M. Dumortier. - On l'a bien fait pour les cabaretiers. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Laissez-les tranquilles pour un moment ; on s'en est déjà trop occupé.

MfFOµ. - Nous y viendrons peut-être tantôt.

L'honorable membre a pensé qu'il pouvait cependant, sous ce rapport, s'étayer d'une opinion que j'aurais exprimée, et il a cité, si j'ai bien compris, ce que j'ai dit en 1847, à savoir qu'il y avait nécessité de réviser notre régime d'impôts directs.

Mais, messieurs, quel rapport l'honorable membre peut-il trouver entre mes paroles et la question dont il s'est occupé ? Il s'est complément mépris sur leur signification qui me semble, cependant, n'être pas douteuse. Cela n'a rien de commun d'abord avec les impôts indirects et leur transformation. Ce que j'ai dit alors, je le crois encore aujourd'hui.

Je crois actuellement, comme je le disais à cette époque, que l'impôt direct descendait, dans beaucoup de cas, trop bas, qu'il allait atteindre des catégories de personnes qui ne pouvaient acquitter cet impôt, et qu'il était juste de ne pas le leur réclamer. J'étais donc bien loin de vouloir les gratifier d'une quotité des impôts indirects transformés en impôts directs, et j'étais ainsi bien loin de m'associer, par avance, à la théorie professée par l'honorable M. Couvreur.

Au surplus, messieurs, j'ai appliqué depuis lors les idées que j'avais exprimées ; je les ai appliquées notamment en deux circonstances, la première, lorsque j'ai proposé de supprimer, en attendant une réforme plus complète de la loi sur les patentes, l'impôt que payaient jadis de simples ouvriers. J'ai proposé à la Chambre, qui l'a adoptée, une loi qui supprimait les patentes descendant trop bas, et qui atteignaient 60,000 petits patentables.

A la même époque, j'ai proposé un projet de révision de la contribution personnelle qui élargissait considérablement la limite de l'exemption des taxes dues par les locataires d'habitations qui n'ont qu'une faible valeur locative, limite qui s'arrête aujourd'hui à 42 fr. 40 c.

C'était là, assurément, l'application d'un système qui est en contradiction formelle avec celui que vient de défendre l'honorable M. Couvreur, qui, transformant les impôts indirects en impôts directs, irait atteindre ces catégories de personnes que j'ai voulu dégrever de la contribution.

II n'y a donc aucune espèce de liaison entre les idées professées par l'honorable membre et celles que j'ai défendues. A toutes les époques, j'ai soutenu qu'il était impossible, dans notre état social, avec les nécessités gouvernementales, avec des besoins financiers bien constatés, de s'arrêter exclusivement à l'impôt direct.

M. Teschµ. - Cela ne serait pas juste.

MfFOµ. - Non seulement cela ne serait pas juste, mais cela serait impossible, cela serait inexécutable. Si l'on veut en avoir la preuve, que l'on prenne, par exemple, le produit de l’income-tax en Angleterre, de l'impôt sur le revenu, qui atteint indistinctement tous les revenus, sauf ceux qui sont trop minimes, et que l'on compare le produit de cet impôt si impatiemment supporté par la nation anglaise, avec la masse des produits des autres impôts, et notamment des impôts indirects ; on verra que c'est tout à fait insignifiant.

L’income-tax rapporte, je crois...

M. Teschµ. - 125 millions.

MfFOµ. - Oui ; de 125 à 130 millions, dans un budget qui s'élève à près de deux milliards. Eh bien, demandez-vous s'il y a possibilité ou même apparence de possibilité de transformer peut-être 1,400 à 1,500 millions d'impôts indirects en impôts directs ; pour peu que vous vouliez bien y réfléchir, vous serez bientôt amenés à reconnaître que la société ne pourrait pas supporter une semblable transformation.

D'ailleurs, quel est le but que l'on se proposerait en agissant ainsi ? L'idéal de certains économistes est de faire disparaître l'impôt indirect qui, disent-ils, pèse plus spécialement sur les classes les moins aisées. Mais comment peut-on imaginer que le but serait atteint par une semblable transformation ? Peut-on s'imaginer que ceux qui seraient obligés d'acquitter la somme de tous les impôts transformés, ne s'arrangeraient pas de manière à en récupérer le montant sur le consommateur, par l'élévation du prix de toute chose ? En définitive, l'impôt direct serait donc payé, comme l'impôt indirect, par le consommateur.

M. Couvreurµ. - Cela peut dépendre de bien des circonstances.

MfFOµ. - Certainement ; cela peut dépendre de l'état du marché, de la concurrence, ou même de la situation du pays. Je sais fort bien que c'est une question très difficile à résoudre que celle de savoir, en dernière analyse, qui supporte la charge de l'impôt. Mais il y a une tendance constante de la part de celui qui en a fait l'avance, à rejeter celle charge sur le consommateur.

Je m'arrête dans cette discussion qui nous conduirait beaucoup trop loin.

Il est un autre point sur lequel j'ai entendu avec plaisir les explications de l'honorable membre, c'est qu'il a reconnu, s'en référant aux déclarations que lui-même a faites à d'autres époques, qu'il n'y avait rien d'inconstitutionnel à admettre les capacités au droit électoral, même sans aucun cens, pour la province et pour la commune.

M. Couvreurµ. - Je n'ai pas reconnu cela.

MfFOµ. - Alors je ne sais pas à quoi vous avez adhéré, quand vous avez adhéré au programme du congrès libéral.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il ne dit rien de cela. (Interruption.)

MfFOµ - Il demandait l'adjonction des capacités avec le payement du minimum du cens, pour les élections aux Chambres. Donc vous reconnaissiez que, sous l'empire de la Constitution, qui exige un minimum de cens pour les élections aux Chambres, il n'était pas inconstitutionnel d'admettre les capacités au droit électoral moyennant le payement de ce minimum. Mais, dans la Constitution, il n'y a aucune espèce de condition pour les élections provinciales et communales. Le même Congrès qui a fait l'article 47 de la Constitution, a fait l'article 108, et le même Congrès qui écrivait des conditions de cens dans l'article 47, n'a rien écrit de semblable dans l'article 108. Il vous a laissé à cet égard une complète latitude. Comment pouvez-vous donc imaginer qu'il serait inconstitutionnel d'admettre les capacités à l'électoral pour les élections provinciales et communales, même sans le payement d'aucun cens ?

Je passe donc sur ce point et je vais m'occuper enfin, en très peu de mots, de l'amendement de l'honorable membre.

L'honorable membre ferait bien, je pense, de suivre le conseil que je viens lui donner : c'est de ne pas insister sur son amendement et de le retirer quant à présent. Cette question se représentera lorsque nous nous occuperons de la révision de la loi sur la contribution personnelle.

C'est là que cette question trouvera sa véritable place. C'est à cette occasion que nous pourrons examiner utilement dans quelle mesure et sous quelles conditions le fractionnement des cotes personnelles peut être plus étendu qu'il ne l'est aujourd'hui ; c'est alors qu'il y aura lieu de voir s'il faut faire une application plus large et plus formelle du principe qui existe dans la loi de 1822.

Il y aurait beaucoup à dire sur l'application de la règle que l'on propose d'introduire dans la loi. On compromettrait aujourd'hui inutilement le sort de ce principe, parce que je ne crois pas que l'on puisse raisonnablement l'appliquer dans les conditions actuelles.

Quel est le but que vous poursuivez ?

L'extension du droit de suffrage. Vous n'avez que ce seul motif à invoquer. Vous prétendez qu'il faut augmenter le nombre des électeurs. Eh bien, j'établis qu'au lieu d'augmenter le nombre des électeurs, vous le diminuerez pour les Chambres, c'est-à-dire là précisément où il serait le plus désirable de l'augmenter,

Que dit l'honorable membre ? J'ai fait mon enquête ; j'ai fait ma statistique à Bruxelles, dans les communes suburbaines, dans le Quartier-Léopold. u lieu de me contenter de chiffres, je me suis rendu compte des causes des chiffres, et j'ai ainsi constaté, non pas l’inexactitude des faits allégués par le ministre des finances, mais la raison des faits qu'il a signalés. J'ai constaté que si, contrairement à ce qui se pratique (page 828) généralement, l'on faisait la déclaration exacte des valeurs et des objets imposables, il n'y aurait pas, dans mon système, de diminution du nombre des électeurs.

Pourquoi donc aujourd'hui ne déclare-t-on pas les véritables valeurs ? Et serait-ce par hasard l'appât du droit électoral qui pourrait faire cesser cet abus ?

Mais aujourd'hui, dans la situation actuelle, l'on pourrait avoir déjà un bien plus grand nombre d'électeurs, si l'on faisait des déclarations sincères. Or, ce que l'on ne fait pas sous la législation actuelle, on ne le fera pas sous l'empire de votre amendement. Cela est tellement manifeste, que. je crois inutile d'y insister.

Messieurs, l'honorable membre, en suite des investigations auxquelles il s'est livré, assure que si l'on appliquait son système de division, quant au mobilier, par exemple, à une maison d'une valeur locative de 400 francs, on arriverait à attribuer le cens au sous-locataire, sans l'enlever au locataire principal. Eh bien, il se trompe complètement. Le fonctionnaire que j'ai chargé de relever au hasard, dans les rôles des contributions, les cotes d'un certain nombre de particuliers, en a relevé un certain nombre pour lesquelles la valeur locative déclarée, qui est bien inférieure à la valeur locative réelle, est de 480, 500 et jusqu'à 600 francs ; et partout où la valeur locative n'est pas quintuplée pour le mobilier, j'ai pu constater que la contribution est insuffisante pour parfaire le cens électoral.

M. Couvreurµ. - Elle doit être quintuplée.

MfFOµ. - Comment ! Dans tous les cas ? Mais ici votre erreur est manifeste. Vous ne pouvez pas à la fois faire payer les sous-locataires, et appliquer en même temps la loi actuelle qui fait quintupler la valeur locative et qui rend le locataire principal responsable.

Qu'a voulu le législateur en ordonnant, en cas de sous-location, de quintupler la valeur locative ? Il a voulu frapper globalement le mobilier de toute l'habitation. Et vous voulez que le locataire principal continue de payer le quintuple de la valeur locative et qu'en outre les sous-locataires payent de leur côté pour le mobilier qui leur est propre, c'est-à-dire que l'impôt soit perçu deux fois, et même davantage ! (Interruption.)

Vous dites : On fera la répartition entre le locataire principal et les sous-locataires. Mais cela serait-il juste ? Vous ne pouvez pas obliger le sous-locataire, qui n'a qu'un mobilier restreint, à payer un impôt sur un mobilier qu'il ne possède pas ; vous ne pouvez pas l'obliger à prendre une part du quintuple dont est frappé le mobilier de toute la maison.

Au surplus, messieurs, tout cela prouve que le système n'est pas suffisamment étudié. Je ne dis pas qu'il ne renferme pas quelques idées applicables, mais nous ne pouvons pas résoudre cette question aujourd'hui d'une manière incidente. La question est assez sérieuse pour faire l'objet d'un examen complet et approfondi.

L'honorable membre est tombé dans l'erreur, en disant qu'on évaluait à un taux beaucoup trop faible les objets qui servent de base à l'impôt personnel. Il n'a pas remarqué qu'en vertu d'une loi de 1831, les contribuables ont obtenu la faculté de se référer à la déclaration de l'année précédente, lorsqu'ils continuent à occuper la même maison. Qu'est-il résulté de là ? C'est que l'impôt a été en quelque sorte immobilisé et que l'on n'a pu, pour les nouvelles constructions et pour les évaluations nouvelles des mobiliers qu'elles renferment, prendre la valeur actuelle; il a fallu pour être juste prendre une valeur relative, en rapport avec la situation qui existait en 1831. On a été obligé de mettre les valeurs locatives d'aujourd'hui en harmonie avec les valeurs locatives de cette époque.

Voilà l'état des faits, on ne saurait pas exiger d'un contribuable une déclaration sincère de la valeur actuelle, sans commettre une véritable iniquité, parce que ceux qui se réfèrent aux déclarations de 1831 jouiraient en réalité d'une exemption d'impôt. Il en résulterait des inégalités que rien ne saurait justifier.

Permettez-moi, messieurs, de dire un mot de la dernière considération qui a été présentée par l'honorable membre.

Il y a une différence capitale entre la contribution personnelle d'un locataire ou d'un sous-locataire, et la contribution foncière, qui est due par le propriétaire.

L'honorable membre a indiqué une combinaison à l'aide de laquelle il lui semble que l'on pourrait arriver peut-être à attribuer une partie de l'impôt foncier au fermier. Il a dit qu'on pouvait tenir compte, dans l'évaluation de cette partie de l'impôt foncier, du mobilier de la ferme et du capital agricole nécessaire à l'exploitation. Je crois que l'honorable membre n'opérerait pas avec justice en procédant ainsi. Il se peut que ce soit à tort que l'on exemple le fermier de toute contribution à raison de son exploitation et de son industrie ; mais comment serait-il juste de lui attribuer, de ce chef, une part de la contribution du propriétaire ? Qu'il paye une contribution, si l'on trouve convenable de lui en imposer une ; mais on ne peut pas lui compter une part de la contribution du propriétaire. C'est le propriétaire qui doit la contribution foncière, et non le fermier. (Interruption.)

Supposons un instant que l'on supprime l'impôt foncier. Qu'arrivera-t-il ? C'est que le prix des baux sera augmenté d'autant. Cela est évident. L'impôt foncier est donc à la charge du propriétaire, non seulement par l'obligation légale, mais par la nature même des choses.

Lorsque nous examinerons l'amendement de M. Kervyn, je présenterai quelques autres considérations qui seront, peut-être, de nature à convaincre l'honorable membre que sa proposition repose sur une erreur, c'est-à-dire sur la supposition d'une participation insuffisante des représentants de la propriété foncière dans le corps électoral.

Je me suis borné l'autre jour à donner cette indication d'une manière générale. Je suis à même de prouver aujourd'hui par des faits que la part d'intervention de la propriété foncière dans le corps électoral est très considérable. Je réserve cette démonstration pour le moment où nous discuterons la proposition de l'honorable M. Kervyn.

M. Dumortier. - Il m'est impossible de laisser passer sous silence les théories que vient d'émettre l'honorable ministre des finances.

La preuve, dit-il, que l'impôt foncier appartient à la propriété, c'est que, si vous supprimiez l'impôt foncier sur la terre, le prix de location s'accroîtrait d'autant.

Il conclut de là que l'impôt foncier est essentiellement dû par le propriétaire.

Mais si vous supprimiez l'impôt personnel sur les maisons et sur les portes et fenêtres, est-ce que le loyer n'augmenterait pas d'autant ?

Ce serait précisément la même chose. Par conséquent, c'est à tort que le locataire se prévaut de l'impôt sur la valeur locative et sur les portes et fenêtres.

Voilà où l'on arrive lorsqu'on sort de la vérité des faits. Il n'y a qu'un seul principe vrai : c'est que l'impôt compte à celui qui le paye, sans réserve ni restriction.

On parle toujours de l'égalité des Belges devant la loi. Mais commencez donc par établir l'égalité des Belges qui payent l'impôt devant la loi électorale. (Interruption.) J'entends qu'on me dit : Les cabaretiers ! Je n'ai pas peur de l'argument.

MpVµ. - M. Dumortier, nous sommes à l'argument de M. Couvreur.

M. Dumortier. - Je le sais, M. le président, mais je ne suis pas plus hors de la discussion que ceux qui m'ont précédé.

L'honorable M. Frère a présenté deux budgets : ceux de 1848 et de 1849, où cet impôt figurait comme impôt indirect.

Si c'eût été là une inconstitutionnalité, est-ce que l'honorable ministre, qui a l'œil si fin, eût fait une pareille erreur ?

MpVµ. - M. Dumortier, restez dans la question.

M. Dumortier. - M. le président, on nous a entretenus toute une heure du congrès libéral, et je ne pourrais pas parler d'une loi que nous avons faite ?

MpVµ. - C'est que le congrès libéral se rattachait à l'article. Restez dans la discussion de l'article.

M. Dumortier. - On nous a parlé de transformation des contributions indirectes en contributions directes.

Je dis que ce qui se fait pour les cabaretiers n'est pas autre chose ; mais on veut faire pis encore, on veut faire considérer comme impôt l'absence de payement au trésor public, ce qui est l'inconstitutionnalité la plus flagrante que jamais on ait produite dans cette Chambre.

Il y a, dans les observations qu'a présentées l'honorable M. Couvreur, infiniment de choses sensées. J'ai cependant deux objections à lui faire.

La première, c'est que je ne vois pas précisément le moyen d'appliquer la division des cotes personnelles. Quand vous aurez fait cette division, comme les cotes seront sur le compte d'un seul locataire et que l'on fait les listes électorales d'après les rôles fournis par les receveurs, je demande comment on pourra établir les droits des sous-locataires.

J'ai une seconde observation à soumettre à la Chambre. Elle est plus sérieuse qu'elle ne le paraîtra à quelques-uns.

Ce que l'on propose par l'amendement ressemble à ce qui se passe dans certaines sociétés anonymes.

Dans ces sociétés, on fait des coupures d'actions et l'on a le droit (page 829) d'émettre un nombre de votes proportionné à celui des actions que l'on possède.

Je demanderais volontiers pourquoi, quand nous abaissons le cens, celui qui paye 2 fois, 3 fois, 4 fois, 6 fois, le cens n'aurait pas le droit d'émettre 2, 3, 4, 6 votes ? (Interruption.)

Cela n'est pas du tout injuste. Celui qui paye six fois l'impôt a six fois plus d'intérêt à la bonne marche des choses que celui qui ne le paye qu'une fois. (Interruption.)

Ce que je dis touche au fond de la question.

En abaissant comme on fait le cens électoral, il arrivera ceci : c'est que les grands intérêts ne seront plus comptés pour rien dans l'urne électorale.

M. Couvreurµ. - Et le Sénat ?

M. Dumortier. - Cela n'empêchera pas qu'un sénateur pourra voter autant de fois à la commune qu'il payera de fois le cens, et cela lui comptera. (Interruption.)

Vous établirez une proportion quelconque. Mais ce qui me paraît le plus déraisonnable, c'est d'abaisser le cens jusqu'aux dernières limites et de ne tenir aucun compte des intérêts.

Les intérêts doivent être représentés; ils sont aussi quelque chose : nous ne sommes plus à cet état sauvage où il y avait, pour tous les hommes, égalité de fortune et égalité d'intérêts.

L'amendement de l'honorable M. Couvreur, dans lequel je reconnais qu'il y a beaucoup de bonnes choses, me paraît d'une exécution très difficile. C'est le contraire de ce qui existe pour la terre.

Là, en vertu de ce que nous avons fait pour la division des cotes, le receveur inscrit sur les registres les noms de tous les occupants. Ce sont les fermiers qui payent, ce sont eux qui reçoivent les assignations pour le payement.

Il n'y a pas ici d'erreur possible et la différence, au lieu d'être contre le fermier locataire, comme l'a dit l'honorable M. Couvreur, est tout à fait en leur faveur.

Dès lors le payement est un fait, l'occupation est visible et l'on peut appliquer la division des cotes sans qu'il y ait la plus petite objection à faire.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Couvreur est mis aux voix par assis et levé.

Il n'est pas adopté.

Projet de loi prorogeant le mode de nomination des membres des jurys d’examen universitaires

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer, sur le bureau de la Chambre, un projet de loi qui proroge le mode de nomination des membres du jury d'examen et le système d'examen établi par la loi de 1857.

Projet de loi autorisant l’échange d’une terrain entre l’Etat et la ville d’Arlon

M. le ministre de la justice (M. Bara). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer, sur le bureau de la Chambre, un projet de loi décrétant un échange de terrains entre la ville d'Arlon et l'Etat.

- Il est donné acte à MM. les ministre» de la présentation de ces projets de loi, qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des section.

Rapport sur des pétitions

M. Jacquemynsµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur des pétitions relatives à la patente des meuniers.

- La séance est levée à 3 3/4 heures.