(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 807) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Filleul dénonce des faits à charge d'un commandant de gendarmerie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
«Le sieur Sagner, garde champêtre à Merckem, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une récompense honorifique du chef de ses captures et de services rendus pendant une trentaine d'années. »
- Même renvoi.
« Le sieur Thiry, propriétaire d'une zone de bruyères préparées à l'irrigation par l'Ettl, demande qu'une indemnité pour manque d'eau lui soit accordée, aux conditions qu'il a proposées, ou bien qu'on le fasse jouir de l'eau nécessaire à ses irrigations, qu'on construise le canal collecteur projeté et qu'il soit pris des mesures dans l'intérêt de tous les irrigateurs. »
M. Bricoultµ. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. »
- Adopté.
« Le conseil communal de Wangenies prie la Chambre d'autoriser la concession du chemin de fer de Bruxelles vers Marbais et Coorbcek-Dyle. »
« Même demande du conseil communal de Fleurus. »
- Même renvoi.
« M. Carlier, retenu pour affaire urgente, demande un congé d'un jour. »
« M. de Moor, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »
« M. Thibaut, empêché par la maladie de son fils, demande un congé de quelques jours. »
- Ces congés sont accordés.
MpVµ. - Il a été décidé hier par l'assemblée qu'on réglerait, avant d'aborder les articles, l'ordre de la discussion.
A cet égard, il a été annoncé deux propositions, celle de M. Hymans, tendante à arrêter l'ordre de discussion des diverses propositions, et celle de M. Dumortier, tendante à l'ajournement.
Deux propositions viennent d'être déposées sur le bureau.
L'une, de M. Wasseige, est ainsi conçue :
« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de renvoyer les divers projets de loi de réforme électorale et les amendements qui s'y rattachent, à la section centrale, qui sera chargée de réclamer du gouvernement tous les renseignements propres à faire connaître leurs conséquences relatives et notamment le nombre approximatif des électeurs nouveaux que chaque projet aurait pour résultat de créer.
« (Signé) A. Wasseige. »
M. Dumortier propose de renvoyer tous les amendements à la section centrale pour qu'elle fasse un rapport à la session prochaine.
Ces deux propositions tendant toutes deux à l'ajournement, il y a lieu de se prononcer d'abord sur elles.
M. Wasseige. - Messieurs, je respecte toutes les opinions qui se sont produites dans cette Chambre pendant l'importante discussion qui dure depuis plus de quinze jours.
Je suis convaincu que les auteurs des divers projets et des différents amendements soumis à votre examen, sont mus également par les meilleures intentions et par les sentiments les plus patriotiques. Les éloquents discours qui ont été prononcés par les orateurs de toutes les nuances en sont une preuve évidente. Tous proclament le respect inaltérable de notre Constitution, l'amour de nos institutions et de notre nationalité, et ce résultat est, à lui seul, d'une grande importance ; et fût-il le seul obtenu quant à présent, nous pourrions dire que nous avons bien employé notre temps.
Un autre résultat important constaté par cette discussion, c'est que l'opinion publique est restée parfaitement calme ; qu'aucune émotion n'existe dans le pays quant à la question de la réforme électorale ; que le pays, au contraire, ne se trouve nullement impatient de changer le régime existant, et que, sauf quelques entrepreneurs de meeting dans la capitale, toujours les mêmes, toujours peu nombreux et qui cherchent à provoquer une agitation qui leur échappe, le vrai public reste calme et parfaitement disposé à attendre. Nos tribunes qui sont tous les jours moins remplies, nos bancs peu garnis, sont une preuve évidente que l'impatience n'existe nulle part et que les préoccupations sont ailleurs.
Dans cette situation, quel est le parti le plus sage à prendre ?
Réfléchir et examiner de nouveau.
Convenons-en d'ailleurs, savons-nous bien ce que nous voulons, savons-nous surtout où nous allons ?
Aucun des auteurs des projets de loi de réforme et des amendements en discussion, pas plus le gouvernement que les honorables membres de cette assemblée n'a pu jusqu'à présent nous fournir le moindre renseignement statistique sur la portée des changements qu'ils proposent. Quel sera le nombre d'électeurs nouveaux dans l'un ou l'autre système ? Dans quelle couches sociales seront pris ces nouveaux électeurs, quel sera leur rapport avec le nombre des électeurs actuellement existants ?
Aucune réponse n'est donnée à ces différentes questions.
L'honorable ministre des finances l'a reconnu lui-même dans son premier discours. La question n'est pas suffisamment étudiée, il vous l'a dit, je le répète, renvoyons-la donc à l'étude.
Et la question des cabaretiers qui devient de plus en plus sérieuse, et qui doit exercer une si grande influence sur l'opinion et sur le vote de plusieurs de nos honorables collègues, est-elle plus complètement connue ? Seulement l'honorable M. Sabatier, qui nous a présenté hier des observations si frappantes et si morales, vous a dit lui-même que les renseignements qu'il avait demandés au gouvernement lui manquaient encore pour se former une opinion arrêtée et pour proposer une résolution !
Nouveau motif d'ajournement.
Et d'ailleurs, comment agit-on en semblable matière dans le pays dont nous sommes toujours forcés de citer l'exemple en fait de régime constitutionnel ?
En Angleterre ?
Lorsqu'un bill de réforme est présenté au parlement, dans ce moment encore à propos du projet du ministère Derby, les tableaux les plus complets sont joints au projet de loi, pour en expliquer le résultat et en faire apprécier l'importance, dans son ensemble et dans toutes ses parties.
Chacun peut les examiner, les comparer avec la loi soumise à son examen et se décider en parfaite connaissance de cause. Sommes-nous dans les mêmes conditions ?
Nullement, toute espèce de renseignement nous manque et nous agissons un peu en aveugles dans une des matières les plus importantes qui puissent être soumises à nos délibérations ?
Mais, dira-t-on, il est impossible de déclarer que nous avons discuté inutilement pendant quinze jours, et que la Chambre ne peut aboutir qu'à une déclaration d'impuissance.
Messieurs, je crois avoir démontré que la discussion n'avait pas été inutile, qu'elle avait eu de bons résultats, que ces résultats ne seront pas perdus, qu’il reste acquis, notamment, que le suffrage universel n'a pas de partisans actuels dans cette Chambre. Cela ne peut-il donc suffire, et (page 808) faut-il, parce qu'une discussion a duré quelque temps, voter absolument une loi quelconque, s'il est reconnu que l'on n'est pas suffisamment éclairé ? Evidemment non !
Ce qui est important n'est pas de voter une loi, mais de voter une bonne loi.
Je n'insisterai pas sur les autres raisons tirées de la situation de l'Europe et des événements extérieurs devenant chaque jour plus menaçants ; ces raisons vous ont été développées trop éloquemment par mes honorables amis MM. Schollaert et Dumortier, je ne ferais que les affaiblir.
J'ajouterai seulement que ces événements ont marché avec une rapidité qui a dérouté toutes les prévisions et je crois pouvoir affirmer que le vote de la Chambre qui a fixé au 19 mars la discussion du projet qui nous occupe, eût été tout différent s'ils avaient pu être prévus. Quant à ce qui me concerne, je déclare positivement que j'aurais voté contre la fixation du jour de la discussion, et je crois pouvoir le déclarer également pour plusieurs de mes amis de la droite.
Ces raisons, jointes à toutes celles que j'ai développées plus haut, me paraissent justifier complètement la proposition d'ajournement que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre.
MfFOµ. - Messieurs, nous n'avons pas recherché cette discussion. La Chambre a décidé qu'elle devait avoir lieu. Nous l'avons acceptée franchement, loyalement.
Nous avons déclaré que du moment que ce débat était ouvert, il nous semblait qu'il valait mieux en finir et, en effet, je vois un grand inconvénient à laisser cette question indécise.
On peut dire qu'aujourd'hui on s'en occupe peu ; il existe, à la vérité, d'autres préoccupations en ce moment ; mais, dans quelque temps, la situation étant changée, l'agitation peut renaître, et il faudra rouvrir encore une fois le débat sur cette question, qui, aujourd'hui, peut être résolue très pacifiquement, quelle que soit la résolution qu'adopte la Chambre.
Messieurs, je ne me dissimule pas que, parmi mes honorables amis, il s'en trouve sans doute qui étaient d'opinion qu'on pouvait ajourner. D'autre part, des honorables amis, dont l'opinion est également respectable et considérable, ont pensé que cette discussion devait aboutir.
Dans cette situation, ayant à me prononcer sur ce point, je crois devoir déclarer que je persévère dans la déclaration que j'ai faite à la Chambre et qu'il est désirable d'arriver à une solution.
La Chambre décidera comme elle le jugera convenable.
M. Dumortier. - Je remercie M. le ministre des finances de la déclaration qu'il vient de faire.
Evidemment, dans la situation actuelle, ce qu'il y a de plus sage et de plus simple, c'est d'ajourner.
La Chambre se rappellera que je me suis opposé à la mise à l'ordre du jour de cette proposition.
Veuillez remarquer, messieurs, que ce n'est point en quinze jours que nous aurons terminé cette discussion. Nous allons nous engager dans l'examen d'une foule d'articles sur lesquels des discussions très sérieuses auront lieu. Qui sait même si nos débats, qui se sont maintenus jusqu'ici dans des sphères élevées, ne pourront pas prendre un autre caractère
Il me semble, messieurs, qu'il serait désirable que l'assemblée renvoyât aux sections l'examen de cette loi.
Je crois, avec M. le ministre des finances, que si nous n'étions pas dans les circonstances actuelles, le mieux serait de la discuter, mais les circonstances sont telles, que nous devons aussi quelque chose à notre pays. Nous avons à faire un sacrifice sur l'autel de la patrie. Nous avons à nous unir et à constituer ce qui est nécessaire pour le maintien de notre nationalité.
Le temps que nous emploierions à cet objet serait plus utilement consacré à d'autres objets, car cette discussion, j'en ai la conviction profonde, nous mènerait jusqu'aux vacances de Pâques. .
Je. supplie donc la Chambre de vouloir bien voter l'ajournement de celle loi à l'an prochain.
M. De Fréµ. - Messieurs, lorsque l'honorable M Couvreur a proposé de commencer à discuter la réforme électorale au 19 mars, j'ai voté contre cette proposition, parce que je croyais qu'il y avait des projets beaucoup plus urgents, et qu'avant de songer à donner à l'ouvrier des droits électoraux, il fallait songer à la santé de l'ouvrier.
L'épidémie terrible qui, l'année dernière, a tant ravagé le pays, et notamment les lieux insalubres, les seuls que le peuple habite, nous imposait un devoir impérieusement urgent, celui de voter avant tout la loi sur l'expropriation par zones. Il vaut mieux garantir la santé et l'existence du peuple, l'éternelle victime de toutes nos crises sociales, comme il est l'éternel jouet de tous les ambitieux ; mais puisque la discussion est commencée, il faut aboutir, il faut résoudre.
L'année dernière nous avons discuté pendant quinze jours. cette fois, voilà trois semaines que nous discutons et vous proposez l'ajournement ; vous voulez arriver à l'ajournement ! On nous accusera, messieurs, de mauvais vouloir ou d'impuissance, et ceux qui attaquent ce qu'on appelle l'émanation des censitaires, ceux-là viendront dire : Vous voyez bien, cette institution représentative, telle qu'elle ressort de la Constitution avec l'élection restreinte, ne sait rien faire.
Ils discutent dans le vide et quand ils ont passé le temps à faire de beaux discours, ils ajournent ; ils n'arrivent pas au vote. Ils sont impuissants à faire le bien. Nous avons beau secouer les portes de la Chambre pour avoir une réforme, ils ne savent rien nous donner. Et alors vous verrez se produire contre nos institutions, telles qu'elles existent, contre la Chambre telle qu'elle est constituée en vertu de la Constitution, vous verrez se produire dans ces meetings dont parlait l'honorable M. Wasseige, des arguments terribles et irréfutables.
Je conclus donc à ce que la discussion continue, pour qu'on arrive à un texte de loi, quel qu'il soit ; mais qu'on arrive à un résultat afin que personne ne puisse nous accuser d'impuissance ou de mauvais vouloir.
M. Wasseige. - Je ne sais à quel temple l'honorable M. De Fré fait allusion ; je sais qu'il en est dont l'entrée lui est interdite, mais c'est parce qu'un résultat, quel qu'il soit, ne me satisfait pas, comme il paraît satisfaire l'honorable préopinant, que je réclame un ajournement pour être plus éclairé et mis à même de faire mieux.
On n'a pas répondu à cette partie de mes observations. Nous ne savons pas où nous allons, nous n'avons aucun renseignement ni sur l'amendement de M. Nothomb, ni sur la proposition de M. Guillery, ni même sur le projet du gouvernement. Nous ne savons pas quelle situation nous allons créer, ni le nombre d'électeurs que nous allons ajouter au corps électoral. Je demande donc, non pas un ajournement indéfini, mais je demande que le gouvernement nous éclaire et nous mette à même d'apprécier le résultat des différentes propositions. Que peut-on faire de plus sage ?
Quant au temple dont on pourrait secouer les portes, je ne sais pas à quel temple l'honorable M. De Fré a fait allusion ; mais quant à moi, je ne me sens nullement ébranlé dans celui-ci, si temple il y a, et je crois que vous êtes tous comme moi. L'opinion publique nous laisse parfaitement calmes et c'est ce qu'elle continuera à faire si nous prononçons l'ajournement.
M. Coomans. - Messieurs, il m'est impossible de consentir au renvoi de toutes les propositions à la section centrale, parce que ce renvoi est, en réalité, un ajournement et un ajournement indéfini. Cet ajournement, je n'en veux pas, pour différentes raisons que voici en termes très sommaires : Si nous ajournons, nous serons en butte à trois accusations, selon moi, toutes trois fondées.
En premier lieu, nous aurons fait preuve d'impuissance ; après de longs débats, nous n'aboutissons pas. C'est la situation la plus inacceptable de la part d'une Chambre qui est censée constituer l'élite de la nation.
Deuxième reproche. Nous aurons eu peur, peur de quoi ? Des événements extérieurs ? On y a fait allusion plusieurs fois.
D'abord ils ne m'inspirent pas grande crainte, et je crois que ce qu'il y a de pis dans la peur, c'est de l'avouer. Je n'ai pas peur ; mais quand même les événements futurs, prochainement futurs, seraient tels que bien des gens le supposent, j'y verrais un motif de plus pour procéder à une réforme électorale ; j'en ai dit les raisons. Il est plus que temps que nous associions une grande partie de la nation aux affaires nationales.
Le troisième reproche, très mérité aussi, que nous encourrons, ce sera d'avoir commis un déni de justice. Je veux une réforme, non pas parce qu'elle pourrait être utile à un parti, désagréable à un autre parti ; je veux une réforme parce que la justice et la morale l'exigent, parce que notre régime électoral est devenu tellement mauvais qu'il discrédite tous ses produits. (Interruption.)
C'est ma conviction, et c'est notre conviction à tous. (Interruption.) La preuve, c'est que vous voulez tous une réforme. (Interruption.) Mais il est fort étrange que les principales dénégations viennent du banc ministériel, alors que le ministère propose une réforme basée sur la capacité.
MfFOµ. - On n'insulte pas à nos institutions.
(page 809) M. Coomans. - On les réforme, quand c'est nécessaire.. Je veux donc une réforme, parce que la justice, la morale, les nécessités politiques même le commandent.
Pour ces raisons et pour beaucoup d'autres encore, je propose la continuation des débats.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
- D'autres membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
102 membres y prennent part.
32 répondent oui.
70 répondent non.
En conséquence, la proposition d'ajournement n'est pas adoptée.
Ont répondu oui :
MM. Landeloos, Magherman, Moncheur, Nélis, Notelteirs, Pirmez, Sabatier, Schollaert, Tack, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Wasseige, Wouters, Beeckman, Eugène de Kerckhove, Delcour, De Lexhy, de Liedekerke, de Mérode, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dumortier, d'Ursel, Julliot et Kervyn de Lettenhove.
Ont répondu non :
MM. Lange, Lebeau, Le. Hardy de Beaulieu, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Thienpont, Valckenaere, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Verwilghen, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Coomans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delaet, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Muelenaere, de Rossius, Descamps, Dethuin, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Dolez, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Lambert et Ernest Vandenpeereboom.
MpVµ. - Vient à présent la proposition de M. Hymans, qui est ainsi conçue :
« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de discuter dans l'ordre suivant les diverses propositions qui lui sont soumises :
« 1° L'amendement principal de M. Van Humbeeck, impliquant, sous certaines conditions, la suppression du cens ;
« 2° La proposition principale de MM. Nothomb et de Haerne, qui implique la .réduction du cens, moyennant une condition de capacité exigible à dater de 1870 ;
« 3° La proposition de M. Guillery, avec l'amendement de M. Nothomb, relatif aux centimes additionnels ;
« 4" Le projet du gouvernement avec les amendements de la section centrale et ceux de M. Couvreur (article 3), Van Humbeeck (amendement subsidiaire), Funck et Kervyn. »
La parole est à M. Hymans pour développer sa proposition.
M. Hymans. - J'ai pris la liberté de formuler la proposition dont l'honorable président vient de vous donner lecture, parce que je l'ai cru indispensable pour faciliter la marche de nos débats et pour prévenir une confusion qui, sans cela, me paraît inévitable.
La discussion à laquelle nous nous sommes livrés pendant plus de quinze jours a naturellement porté sur toutes les propositions qui nous étaient soumises, et ces propositions quelque disparates, quelque hétérogènes qu'elles fussent, se rattachaient au principe de la réforme, électorale. Mais du moment que nous abordons la discussion des articles, je crois qu'il y a lieu de coordonner notre travail sous peine de nous heurter à des difficultés.
Si je me permets de signaler ce point à la Chambre, c'est que nous avons fait l'expérience de ces difficultés en section centrale, quoique dans la section centrale nous fussions saisis de moins de propositions qu'aujourd'hui, et qu'il soit bien plus facile de s'entendre à dix personnes qu'à cent.
Le seule manière que nous ayons de nous entendre est de voter sur des principes. Nous avons examiné d'abord s'il y avait lieu d'étendre le droit de suffrage pour les élections provinciales et communales, puis si cette extension devait avoir pour base unique la réduction du cens, si le cens devait être uniforme pour toutes les communes du pays, ou s'il devait être différentiel. Nous avons décidé que le cens uniforme devait être maintenu pour la province et le cens différentiel pour la commune. Toutes ces différentes questions résolues, nous avons voté sur la proposition de l'honorable M. Nothomb, dont le rejet impliquait celui de la proposition de l'honorable M. Guillery.
L'ordre de discussion que je propose de suivre est analogue à celui-là.
Je ne le propose qu'après un mûr examen que je me suis cru obligé de faire en ma qualité de rapporteur et afin de simplifier nos débats. Je prie la Chambre de croire qu'aucune idée préconçue n'a présidé a cet examen. Je n'ai jamais vu, dans toutes les propositions qui nous occupent, une question de parti et ce n'est pas dans une proposition qui a pour but de fixer simplement l'ordre de nos débats que j'apporterai une préoccupation de parti.
L'examen auquel je me suis livré a été facilité, du reste, par la déclaration faite, à l'avance par les auteurs de la plupart des propositions qui nous sont soumises.
Ainsi, l'honorable M. Couvreur reconnaît que son amendement est un article additionnel au projet du gouvernement ; c'est même sous ce titre qu'il est indiqué dans l'imprimé.
L'honorable M. Funck rattache ses propositions à des articles du projet du gouvernement.
L'honorable M. Van Humbeeck rattache formellement son amendement subsidiaire (j'arriverai tout à l'heure à l'amendement principal) à l'article 3 du projet de loi, dont il propose même de maintenir un certain nombre de paragraphes.
La proposition de l'honorable M. Kervyn me paraît être un article additionnel, que l'honorable membre peut placer à l'endroit du projet de loi qui lui conviendra.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je l'ai rattaché à l'article 3.
M. Hymans. - C'est donc un amendement au projet de gouvernement.
L'honorable M. Guillery ne considère pas sa proposition comme un amendement au projet du gouvernement, quoiqu'on l'ait erronément prétendu, puisqu'elle est antérieure de plusieurs semaines à la présentation du projet de loi ; c'est plutôt celui-ci qui devrait être considéré comme un amendement aux propositions de l'honorable M. Guillery.
Les honorables MM. Nothomb et de Haerne reconnaissent, eux, que leur proposition principale est un amendement à celles de l'honorable M. Guillery. Plusieurs membres ont formellement déclaré qu'ils se ralliaient aux propositions de l'honorable M. Guillery, amendées par les honorables MM. Nothomb et de Haerne.
Je ne sais pas si l'expression est exacte, mais je constate que les membres qui se rallient à la proposition de MM. Nothomb et de Haerne la considèrent comme un amendement à celles de l'honorable M. Guillery.
Le seul point en litige est donc de savoir si la proposition principale de l'honorable M. Van Humbeeck constitue un système à part ou si elle est un amendement au projet du gouvernement. L'honorable membre l'a qualifiée d'amendement au projet du gouvernement ; mais après avoir examiné mûrement cette proposition, je trouve qu'elle constitue tout un système qui n'a absolument rien de commun avec le projet du gouvernement. L'honorable M. Van Humbeeck propose, en effet, non pas la réduction du cens dans certaines limites, non pas certaines modifications à introduire au principe du système du gouvernement, mais la suppression radicale du cens moyennant certaines conditions ; et il est évident que si cette proposition venait à être adoptée, il n'y aurait plus lieu de se prononcer sur les autres propositions.
La proposition de l'honorable M. Van Humbeeck, dans tous les cas, est incontestablement la plus radicale.
Quant à la proposition des honorables MM. Nothomb et de Haerne, concernant les centimes additionnels perçus au profit de la province, elle est tout à fait distincte de leur proposition principale et elle se rapporte à la partie de la proposition de l'honorable M. Guillery qui est relative aux contributions provinciales et communales.
J'ai donc suivi, pour rédiger ma proposition, un ordre qui me paraît logique.
Je crois que si, au lieu de suivre cet ordre, la Chambre met en discussion dès à présent le projet du gouvernement ou celui de la section centrale, nous allons tomber dans une confusion déplorable, et sous le prétexte d'une discussion des articles, nous allons verser de nouveau en plein dans la discussion générale.
C'est là ce que, dans l'intérêt d'une prompte solution, j'ai voulu éviter et j'espère que la Chambre, désireuse qu'elle est de prolonger le moins possible cette discussion, adoptera la proposition que j'ai eu l'honneur de lui soumettre.
MfFOµ. - Messieurs, il me paraît très facile de donner pleine satisfaction aux observations (page 810) très justes qui ont été présentées par l'honorable rapporteur de la section centrale.
La discussion doit s'ouvrir sur le projet qui est soumis à la Chambre ; c'est le règlement qui le dit. Jusqu'à présent, aucun amendement n'est proposé à l'article premier. (Interruption.) Je ne sache pas que, jusqu'à présent, il existe d'amendement à cet article. Si l'on en présente un, la Chambre l'examinera, aux termes du règlement, et on le mettra aux voix, avant l'article du projet de loi.
A l'article 2, la section centrale propose un amendement. Mais nous avons également la proposition des honorables MM. Nothomb et de Haerne, relative aux centimes additionnels perçus au profit de la province. Cette proposition constitue un autre amendement qui se rattache également à l'article 2.
Ces diverses dispositions seront de même examinées et mises aux voix dans l'ordre réglementaire.
Nous passons à l'article 3. Cet article est amendé par la proposition principale de l'honorable M. Van Humbeeck.
L'honorable membre, au lieu de la proposition du gouvernement, portant qu'on jouira de la réduction de la moitié du cens, si l'on justifie d'avoir fait trois années d'études moyennes ; l'honorable membre, dis-je, propose d'admettre au droit électoral, sans payement d'aucun cens, ceux qui auront fait certaines études déterminées.
A ce même article 3, se rattache la proposition de l'honorable M. Guillery qui accorde le droit électoral, moyennant le cens uniforme de 15 francs, à la condition de savoir lire et écrire, exigée immédiatement.
La proposition de l'honorable M. Guillery est à son tour sous-amendée par les honorables M. Nothomb et de Haerne. Conformément au règlement, le sous-amendement a le pas sur l'amendement ; le sous-amendement consiste en ce que c'est seulement à partir de 1870 que la condition de savoir lire et écrire sera exigée ; et qu'il y aura deux cens différentiels, l'un de 15 et l'autre de 10 francs. Si la proposition des honorables M. Nothomb et de Haerne est écartée, la Chambre s'occupera de celle de l'honorable M. Guillery qui comporte la condition de savoir lire et écrire, exigée immédiatement, et le cens uniforme de 15 francs.
A la suite de cette proposition, vient l'amendement de l'honorable M. Funck, qui substitue, dans le projet du gouvernement, l'enseignement primaire à l'enseignement moyen.
Si aucune de ces dispositions n'est adoptée, on abordera la discussion de l'article du gouvernement.
Voilà l'ordre logique que le règlement lui-même nous prescrit. C'est également l'ordre qui est indiqué dans la proposition de l'honorable M. Hymans. Il me semble que de cette façon il ne peut y avoir aucune espèce de difficulté ni de confusion.
M. Van Humbeeck. - Je ne sais si l'honorable M. Hymans maintient sa proposition ; dans ce cas, je serais obligé de la combattre.
Quant à la proposition de l'honorable ministre des finances, avant de savoir si je puis l'accepter, je demanderai une explication.
Il vient d'indiquer un ordre dans lequel les diverses propositions devraient être votées. Sur cet ordre, je n'ai rien à dire, comme ordre de vote. Mais, selon moi, tous les amendements et la proposition même du gouvernement à laquelle ils se rapportent, doivent être discutés en même temps.
MfFOµ. - Evidemment.
M. Van Humbeeck. - C'est un ordre de vote qu'il indique et non un ordre de discussion. J'y tiens beaucoup, parce que les critiques comme les moyens de défense qui seront apportés à l'appui du projet du gouvernement ou dirigés contre lui pourront également servir d'éléments à l'appui des amendements ou contre les amendements.
MfFOµ. - Je suis d'accord avec vous.
M. Van Humbeeck. - Il faut procéder par voie de comparaison, et lorsque mon amendement sera en discussion, la proposition du gouvernement sera aussi en discussion.
MfFOµ. - Parfaitement.
M. Van Humbeeck. - Dans ces termes, je n'ai rien à objecter contre la proposition de M. le ministre des finances.
M. Coomans. - Il me semble que l'honorable M. Frère et l'honorable M. Van Humbeeck sont dans le vrai et qu'il est impossible d'accepter la proposition de l'honorable M. Hymans, laquelle n'est, au fond, qu'une modification du règlement.
II me paraît que l'honorable M. Frère et l'honorable M. Van Humbeeck ont très bien interprété le règlement. La chose est importante ; la discussion simultanée est non seulement un droit ; elle est, en quelque sorte, un devoir, une nécessité de logique.
- Plusieurs membres. - Nous sommes d'accord.
M. Coomans. - M. Hymans est-il aussi d'accord avec vous ?
M. Hymans. - En adoptant la proposition de M. le ministre des finances, à laquelle je ne fais pas opposition puisqu'elle est appuyée par les deux côtés de la Chambre, je crois que les difficultés que j'ai signalées tout à l'heure, et que je voulais prévenir par ma proposition, se reproduiront lorsqu'il s'agira de la mise aux voix des diverses propositions. C'est un embarras que je voulais éviter.
M. Coomans. - Je dois ajouter que le but que l'honorable M. Hymans a eu en vue, à savoir la simplification du débat, ne serait pas atteint. Je crois que le débat serait embrouillé, au lieu d'être simplifié.
Ensuite je vais plus loin : nous ne pouvons, dès à présent, déterminer l'ordre des votes. Outre les propositions déjà déposées et que l'honorable ministre des finances vient de remémorer, il y en aura d'autres ; j'ai, quant à moi, deux amendements à proposer. La Chambre sera juge du moment et de la discussion et du vote sur tous les amendements, sur toutes les propositions que nous pourrons faire.
Restons dans les termes des articles 39 et 41 du règlement. Procédons par articles et rattachons à chaque article toutes les questions qui peuvent s'y rapporter.
MfFOµ. - Nous sommes d'accord.
M. Coomans. - Si nous sommes d'accord, je n'ai rien à ajouter.
M. Dumortier. - C'est déjà un point très important que de savoir si la discussion pourra s'établir en même temps par comparaison sur les divers systèmes. Cependant il est une chose qui me frappe et au sujet de laquelle je dois nécessairement deux mots d'explication.
Qu'est-ce qui est ici la question principale ? Evidemment c'est la proposition de l'honorable M. Guillery.
L'honorable M. Hymans disait tout à l'heure avec beaucoup de raison que le projet du gouvernement ne peut être considéré, au fond, que comme un amendement. Il ne suffit pas que ce soit le gouvernement qui présente un projet pour que ce projet soit la question principale. Que deviendrait le droit d'initiative de chacun de nous ? Le droit d'un député est tout aussi sacré, tout aussi constitutionnel que le droit d'initiative du gouvernement.
MfFOµ. - Il n'y a pas de difficulté.
M. Dumortier. - Je pense donc que, quand on en viendra au vote, on devra considérer la proposition du gouvernement comme devant subir les conditions d'un amendement. S'il n'y a pas de difficulté, comme le dit M. le ministre, je n'ai rien à ajouter.
MfFOµ. - Il n'y a en effet aucune espèce de difficulté. Il faut bien que les propositions soient mises aux voix dans l'ordre indiqué par le règlement. Je vous ai indiqué cet ordre. Evidemment, toutes les propositions, quelles qu'elles soient, tendent à substituer un système à celui qui est formulé dans l'article 3 du projet du gouvernement.
Maintenant, dans la discussion, il va de soi qu'on examinera toutes les propositions en les comparant entre elles, comme le disait l'honorable M. Van Humbeeck. Mais, au fond, il faudra bien suivre l'ordre indiqué, et je pense qu'il n'y aura d'objection d'aucun côté de la Chambre à l'adoption de cet ordre.
M. Couvreurµ. - Je crois que la Chambre est d'accord. Si j'ai demandé la parole, c'est pour réserver mon droit en ce qui concerne mon amendement. Mon amendement, dans ma pensée, s'applique aux élections générales, et par conséquent son ordre utile est indiqué entre l'article 2 et l'article 3 du projet du gouvernement. Il viendra, ce me semble, avec l'amendement de l'honorable M. Nothomb qui compte les centimes additionnels pour former le cens.
MpVµ. - La Chambre paraît d'accord.
M. Guillery. - Il est bien entendu qu'il s'agit d'un ordre de discussion et pas d'un ordre de vote. Lorsqu'il s'agira de voter, je me réserve de faire des observations.
- La discussion est close.
MpVµ. - Nous passons à la discussion des articles. Je dois d'abord demander au gouvernement s'il se rallie au projet de la section centrale,
(page 811) MfFOµ. - Nous nous expliquerons aux articles.
MpVµ. - La discussion s'ouvre donc sur le projet du gouvernement.
MpVµ. - L'article premier est ainsi conçu :
« Art. 1er. Par dérogation au n°2 de l'article premier de la loi électorale, il suffit, pour être électeur aux Chambres, d'être âgé de 21 ans accomplis. »
La parole est à M. de Theux.
M. de Theuxµ. - C'est par erreur que j'ai été inscrit sur l'article premier. C'est à l'article 3 que je demande à être inscrit, parce que c'est le système du projet.
M. Coomans. - Messieurs, je désire obtenir une explication.
L'article premier dit que, pour être électeur aux Chambres, il suffit d'être âgé de 21 ans accomplis. Cela signifie-t-il que, dès que le citoyen aura atteint l'âge de 21 ans, il pourra se faire inscrire sur les listes électorales ?
- Des membres. - Non ! non ! au mois d'avril.
M. Coomans. - Vous voyez que mon doute avait quelque raison de se produire devant vous.
- Un membre. - Les listes sont permanentes.
MfFOµ. - Ils seront inscrits dans les conditions indiquées par la loi électorale.
M. Coomans. - Il me semble qu'il eût mieux valu dire : Il suffit, pour être inscrit comme électeur aux Chambres, d'être âgé de 21 ans. Je comprends l'utilité de la permanence des listes. Je ne veux pas combattre ce principe, mais il est évident que l'article premier dit le contraire.
Il dit qu'on est électeur, quand on a 21 ans. (Interruption.)
M. Mullerµ. - Il ne dit pas cela. Lisez le n°2 de l'article premier de la loi électorale.
M. Coomans. - Nous sommes d'accord au fond, mais il n'en est pas moins vrai que la rédaction aurait pu être plus nette.
M. Guillery. - Pour donner satisfaction à l'honorable M. Coomans, je crois qu'on pourrait faire ce qu'on a fait lorsque en 1848 on a modifié la loi communale. Sur la proposition de l'honorable (erratum, page 829) M. Tielemans, on a rédigé la disposition législative autrement qu'elle n'est rédigée ici. Je crois que la disposition devrait être ainsi conçue :
« Dans le n°2 de l'article premier de la loi électorale, le chiffre 25 est remplacé par le chiffre 21. »
MfFOµ. - Il me semble que ce serait exactement la même chose. Quand on dit : « Par dérogation au n°2 de l'article premier de la loi électorale, il suffit, pour être électeur aux Chambres, d'être âgé de 21 ans accomplis », c'est exactement ce qui vient d'être indiqué.
Quant à l'observation de l'honorable M. Coomans, il a dû comprendre, par les interruptions qui lui ont été adressées, qu'elle n'était pas fondée ; les listes sont permanentes ; il ne suffit pas d'avoir 21 ans, comme il ne suffit pas de payer le cens, pour être inscrit immédiatement, dès que l'une ou l'autre de ces conditions vient à s'accomplir. Ainsi les individus qui ne remplissent les conditions voulues qu'après la clôture des listes, ne peuvent pas se faire inscrire immédiatement ; ils doivent attendre l'époque de la révision des listes.
Il en sera de même pour la stipulation de l'article premier.
MpVµ. - M. Le Hardy de Beaulieu vient de déposer la disposition suivante :
« A. Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale, supprimer les mots : au trésor de l'Etat.
« B. Rédiger ainsi le dernier paragraphe de cet article :
« Les centimes additionnels perçus sur les contributions directes au profit des provinces et des communes sont comptés pour former le cens électoral.
(page 815° M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, la réfutation anticipée par l'honorable ministre des finances, du principe de l'amendement que je viens de déposer, m'a obligé de préciser dans cet amendement les développements du projet de M. Guillery, relatifs à l'adjonction des centimes additionnels pour former le cens électoral, tant pour les élections générales que pour celles de la province et de la commune.
En effet, messieurs, d'après ces développements, s'ils avaient été acceptés par le gouvernement et par la Chambre, l'adjonction des centimes additionnels eût découlé de la loi elle-même sans contestation, tandis que l'opposition qui y est faite par M. le ministre des finances soulève des doutes, et c'est pour les faire disparaître que j'ai rédigé mon amendement.
Je vais essayer de le justifier par des raisons politiques, par des raisons de justice distributive comme par des raisons de constitutionnalité.
Messieurs, on a dit tantôt, et je dois le répéter maintenant, la raison qui a dominé les longs débats auxquels nous nous sommes livrés, ce que je pourrais appeler : la raison motrice de la réforme proposée, c'est la corruption électorale ; ce sont les accusations de corruption émises dans le pays qui ont conduit cette Chambre à s'occuper de la réforme, et ces mêmes accusations, en se renouvelant, nous forceront bientôt à y revenir si nous n'y portons un remède prompt et efficace. Tel est le motif de l'amendement que je viens de présenter.
En effet, messieurs, depuis les élections de 1859, celles de 1861, de 1863, de 1864, n'avons-nous pas toujours entendu la minorité se plaindre de ce qu'elle avait succombé dans la plupart des collèges électoraux à la suite de la pression et de la corruption exercées sur le corps électoral ? Et quand, dans le cours de cette discussion, j'ai entendu des orateurs, siégeant sur les bancs de la minorité, demander le statu quo, j'ai été fort étonné de ce langage venant de la part de ceux-là mêmes qui se plaignaient le plus haut du résultat des dernières élections.
Le seul remède qu'on ait jusqu'à présent essayé d'apporter à cet état de choses, c'est la loi sur les fraudes électorales. Mais, vous savez, messieurs, quel a été le sort de cette loi devant le Sénat, et quel a été le vote sur l'un des moyens de corruption le plus généralement employés. Il en résultera que lorsque de nouvelles élections auront lieu, si les mêmes faits se reproduisent, les mêmes accusations vont surgir plus vives que jamais et il s'ensuivra que l'autorité de cette Chambre en sera fortement ébranlée. Ce n'est donc pas, croyez-le bien, par une loi sur les fraudes électorales que nous pourrons porter remède à un mal qui grandit, qui devient de plus en plus patent à chaque élection, et d'après moi, ce n'est que par une forte adjonction de nouveaux électeurs que vous parviendrez à rétablir l'équilibre menacé ou rompu, en modifiant la composition du corps électoral, de façon à répartir, sur ce corps électoral élargi, la responsabilité des accusations qui nous sont souvent adressées directement.
Il y a donc nécessité urgente d'élargir les collèges électoraux et de répondre de cette manière à des accusations qui nous sont lancées à chaque élection.
D'un autre côté, messieurs, lors de la réforme de 1848, un certain nombre de districts électoraux possédaient déjà le cens électoral minimum fixé parla Constitution ; ces districts n'ont donc rien gagné à cette réforme ; je viens, par conséquent, en ajoutant aux contributions payées à l'Etat les centimes additionnels payés à la province et à la commune, donner à ces districts le moyen de profiter, à leur tour, de la réforme faite en 1848.
Ensuite, messieurs, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire dans mon premier discours, le corps électoral actuel ne représente qu'une très faible partie de la richesse sociale ; il ne paye qu'une très minime portion de la masse totale des impôts. J'ai essayé de me rendre un compte aussi exact que possible de la part dans les impôts qui incombe aux classes qui constituent le corps électoral. J'ai consulté les statistiques et pour ne pas entrer dans des détails que ne comporte pas la discussion des articles, je vous dirai que s'il y a environ 104,000 électeurs aux Chambres, il y a d'autre part 1,086,000 propriétaires, 421,000 cotes de contribution personnelle, 304,000 cotes de patentes, 86,000 cotes de débits de boissons et 26,000 cotes de débits de tabacs, de telle sorte qu'en prenant ces chiffres comme points de comparaison, je suis arrivé à cette conclusion, que le corps électoral actuel paye à peine le sixième de la somme des impôts du pays.
Or, si nous additionnons ce que donne au bout d'un certain nombre d'années les cinq sixièmes payés par les non-censitaires, nous arrivons à des résultats réellement effrayants.
En effet, depuis 1830, le pays a fourni à l'Etat, pour subvenir aux besoins du gouvernement, une somme totale de 4,785,000,000 fr., je passe les centaines de mille.
Nous avons une dette constituée de 688 millions et nous avons des engagements que j'estime au moins à 50 millions. Total plus de 5 milliards et demi.
Dans cette somme immense qu'on peut à peine se représenter tous, elles sont colossales, les classes qui ne prennent pas part aux élections ont fourni au delà de 4 milliards 600 millions.
Je demande, messieurs, si ces classes, qui produisent et possèdent la grande masse de la richesse publique, n'ont aucun droit d'exercer un contrôle sur l'usage que nous faisons des sommes qu'elles nous confient, et je demande, d'un autre côté, si nous, qui représentons la nation entière, nous avons intérêt à conserver, sur un très petit nombre de têtes, la responsabilité de cet usage. Je réponds que c'est nous qui avons au contraire le plus grand intérêt à faire porter sur le plus grand nombre de têtes possible cette dangereuse responsabilité.
Donc, au point de vue de la justice distributive comme au point de vue politique, l'élargissement du corps électoral me paraît indispensable.
Voyons si, comme l'a prétendu l'honorable ministre des finances, ma proposition est inconstitutionnelle.
L'article 47 de la Constitution, bien souvent cité dans cette discussion, porte ce qui suit :,
« La Chambre des représentants se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d'impôt direct, ni être au-dessous de, 20 florins. »
Voyons d'abord ce qu'est l'impôt direct ?
L'article 115 de la Constitution le dit d'une façon claire, nette, positive :
« Hors les cas formellement exceptés par la loi, aucune rétribution ne peut être exigée des citoyens, qu'à titre d'impôt, au profil de l'Etat, de la province ou de la commune. »
Donc, toute rétribution exigée à quelque titre que ce soit au profit de l'Etat, de la province ou de la commune, est, aux termes de la loi fondamentale, un impôt, et, comme l'article 17 stipule qu'il suffit de payer de 20 à 100 florins d'impôt direct pour faire partie du corps électoral, il est évident que les impôts directs payés au profit de la province comme, de la commune doivent être comptés au citoyen pour former son cens électoral.
En effet j'ai déjà, lors de mon premier discours, eu l'honneur devons montrer cet avertissement de contribution personnelle, et je vous ai demandé si tous les centimes qui composent le montant total de cet avertissement n'étaient pas un impôt aussi direct que possible et payé dans les caisses de l'Etat, bien qu'une partie soit perçue au profit de la commune et une autre à celui de la province et, comme je vous le disais alors, sur un total de 269,66 fr., 83 fr. et des centimes en sont distraits et ne comptent pas pour former le cens électoral, bien que tout le montant soit payé par le citoyen au profit de la chose publique.
Je pense, messieurs, que cette simple démonstration suffira pour démontrer la justice qu'il y aurait de compter aux citoyens, pour former leur cens électoral, tout ce qu'ils payent sur la contribution en centimes additionnels tant au profit de la commune que de la province.
Je pourrais me borner, messieurs, à cette démonstration que j'abrège autant que possible, mais j'ai voulu aussi me rendre compte de l'effet pratique que son adoption pourrait avoir sur la composition des collèges électoraux.
Il est évident que pour la commune de Bruxelles, par exemple, à laquelle se rapporte l'avertissement que j'ai en mains, un tiers environ de la contribution directe n'est pas compté aux électeurs pour le cens.
Il n'en est pas tout à fait de même dans d'autres localités, où les centimes additionnels ne sont pas aussi élevés.
Si, partant de ce point, nous nous rappelons que lors de la réforme de 1848, qui a abaissé le cens électoral à 20 florins dans la plupart des arrondissements, tandis qu'elle n'a pas touché à un certain nombre d'autres, le résultat a été de doubler le corps électoral, on peut à peu près faire la proportion et se rendre compte du résultat qu'aurait l'adjonction au cens électoral des contributions qui ne sont pas comptées dans l'état actuel des choses.
(page 816) Le résultat que je prévois ressort de ce que les couches sociales s'élargissent très fortement à mesure qu'on descend, et cela me fait croire que l'adjonction de nouveaux électeurs, par suite de l'adoption de ma proposition, serait de 30,000 à 40,000.
On me dira : Mais vous allez créer des privilèges en faveur des communes fortement imposées. Vous allez créer des inégalités entre les différents arrondissements.
Je sais que les centimes additionnels ne sont pas les mêmes à Bruxelles que dans d'autres localités du Brabant, de même que dans d'autres provinces.
Mais, messieurs, la loi actuelle comprend bien d'autres inégalités ; si nous devions nous arrêter devant ce défaut d'uniformité, nous devrions également nous arrêter devant d'autres encore. Est-ce qu'à Bruxelles on ne paye pas deux fois la même contribution pour une fenêtre ou pour une porte que dans les faubourgs ?
Est-ce que cela ne constitue pas une très grande inégalité, au détriment des pauvres de la capitale, vis-à-vis des gens qui habitent des châteaux en province ?
Si l'on devait tenir compte de toutes ces petites inégalités, il serait bien difficile de faire des lois parfaitement justes.
Quant à la crainte que des communes n'abusent des centimes additionnels pour créer quelques électeurs de plus, elle est chimérique, et trouve son contrepoids, et dans l'action des députations permanentes, qui sont là pour veiller à la bonne administration des communes et dans le corps électoral lui-même, qui ne se laissera pas imposer volontairement, sans utilité réelle, simplement pour faire des électeurs, d'autant moins que la masse des imposés n'en profitera pas à ce point de vue ; elle trouvera encore son contrepoids dans le contrôle suprême du gouvernement, qui ne manquera pas d'intervenir s'il aperçoit la moindre trace d'imposition systématique, en vue de la création de faux électeurs...
M. Bouvierµ. - Et que faites-vous des rôles de capitation ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Les rôles de capitation ne sont pas compris dans les contributions directes dont je propose l'adjonction au cens....
M. Bouvierµ. - Pardon.
M. le Hardy de Beaulieuµ. - C'est seulement sur les centimes additionnels aux contributions de l'Etat que porte mon amendement.
Là nous avons un contrôle, nous avons les moyens d'actions nécessaires pour arrêter la fraude : en un mot, nous rendons à chacun ce qui lui appartient, en donnant le droit électoral à tous ceux qui payent l'impôt fixé par la loi. La loi a fixé le chiffre de 20 florins comme base du cens électoral ; eh bien, celui qui paye 20 florins d'impôts directs, que ce soit au profit de l'Etat, de la province ou de la commune, doit être électeur, d'après les termes mêmes de la Constitution.
Voilà, en aussi peu de mots que possible la justification de l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer.
- L'amendement de M. Le Hardy de Beaulieu est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. Hymans. - La proposition que vient de vous faire l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a été combattue déjà dans le sein de la section centrale, qui n'a pas cru pouvoir s'y rallier ; elle a été combattue également dans la discussion générale par l'honorable ministre des finances, qui a prouvé d'une façon péremptoire que, contrairement à ce qui avait été affirmé par l'honorable M. Le Hardy, jamais, depuis 1831, on n'avait compté pour la formation du cens électoral les centimes additionnels provinciaux et communaux et bien moins encore les autres impôts directs purement locaux que l'honorable M. Guillery propose de faire entrer en ligne de compte. L'honorable M. Guillery, à cet égard, va plus loin que MM. Nothomb et Le Hardy.
M. Nothomb dans son amendement propose de compter les centimes additionnels obligatoires provinciaux. M. Le Hardy propose de compter tous les centimes additionnels provinciaux et communaux pour la formation du cens. M. Guillery propose, en outre, de compter toutes les contributions directes perçues au profit de la province et de la commune, c'est-à-dire que M. Guillery nous soumet une proposition aux termes de laquelle, si elle passait dans la loi, il suffirait de posséder un chien pour être électeur. Il y a dans certaines provinces des taxes sur les chiens qui pourraient tout aussi bien être des taxes communales. Un chien de chasse paye 15 ou 16 fr. (interruption), un lévrier en paye 32 dans le Brabant, peut-être davantage dans d'autres provinces.
- Une voix. - 30 fr. dans la province de Liège.
M. Hymans. - 30 fr. dans la province de Liège, me dit-on ; en sorte que, d'après la proposition de M Guillery, il suffirait de posséder le tiers d'un chien pour être électeur communal. Or, il n'a jamais pu entrer dans les intentions du Congrès de créer des électeurs à si bon marché.
M. Bouvierµ. - Ce seraient des chiens d'électeurs. (Interruption.)
M. Guillery. - Et ceux qui n'ont qu'une bouteille de genièvre ?
- Une voix. - Et ceux qui ne possèdent qu'un cheval ?
M. Hymans. - Ceux qui possèdent un cheval sont présumés avoir une certaine fortune ; il n'en est pas de même de ceux qui ne possèdent qu'un chien.
M. Delaetµ. - Il suffit de posséder un cheval de luxe.
M. Hymans. - Je viens de répondre à celle interruption. Celui qui possède un cheval de luxe est présumé posséder autre chose.
M. Delaetµ. - Celui qui a un chien de chasse également.
M. Hymans. Pas du tout. Le chien courant, le lévrier peut être un moyen d'existence. Du reste, je n'insiste pas sur ce point. Nous discutons en ce moment l'amendement de M. Le Hardy, qui n'a trait qu'aux centimes additionnels, à compter pour le cens législatif.
Or, je tiens à rappeler que la question soulevée par cet amendement, discutée il y a peu de jours par l'honorable ministre des finances dans la discussion générale, par la section centrale dans son rapport, a été, en outre, il y a de longues années, discutée et tranchée dans cette Chambre, dans une circonstance qu'aucun des orateurs précédents n'a indiquée, c'est-à-dire à propos de la loi du 1er avril 1843. Dans le projet de loi présenté à la Chambre le 15 février 1843, M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, proposa de décider que les centimes additionnels perçus sur les contributions directes au profit des provinces et des communes ne seraient pas comptés pour former le cens électoral. M. Nothomb s'appuyait sur un arrêt de la cour de cassation et sur la pratique constante de huit députations permanentes sur neuf. Encore la neuvième députation, la députation permanente de la province de Liège, qui avait adopté un système différent, ne faisait entrer en ligne de compte que les centimes additionnels considérés comme obligatoires aux termes de la loi de 1821, abrogée par l'article 110 de la Constitution, qui dit qu'aucune imposition ne peut être établie que du consentement du conseil communal.
Dans la séance du 8 mars, M. Malou présenta le rapport de la section centrale qui avait examiné le projet de M. Nothomb.
Il soutenait que les mots « impôts directs » ne s'appliquaient qu'aux impôts perçus au profit de l'Etat et non pas aux sommes que l'Etat perçoit à titre de simple dépositaire.
Il rappelait que le Congrès, dans la séance du 5 mars 1831, avait rejeté un amendement de M. Wannaer, conçu dans le sens de la proposition de l'honorable M. Guillery et cela après un discours de l'honorable M. Lebeau, qui ne voulait pas donner aux autorités locales le moyen de créer des électeurs.
L'honorable M. Guillery, dans le discours qu'il a prononcé l'autre jour à l'appui de sa proposition, nous a dit que la loi de 1831 n'avait pas exclu de la supputation du cens électoral, les centimes additionnels perçus au profit de la province et de la commune.
Or, messieurs, je tiens à signaler à la Chambre un fait de la plus haute importance ; la Chambre elle-même, en 1834, à l'époque de la discussion de la loi communale (j'en appelle au souvenir de l'honorable M. Dumortier, qui a été rapporteur de cette loi), la Chambre s'est prononcée sur le sens de cette disposition de la façon la plus catégorique. Il s'agissait de l'article 7 de la loi communale.
L'article 25 du projet portait ces mots que je signale à l'attention toute particulière des auteurs de la proposition :
« Pour être électeur, il faut payer dans la commune, en contributions directes y compris la patente, le cens électoral, etc. »
Or, dans le rapport de la section centrale qui fut chargée d'examiner cet article, je lis ce qui suit :
« La première section a demandé le retranchement des mots : « dans la commune » ; la cinquième a proposé de dire : « versés au trésor de l'Etat » afin d'écarter tout doute sur les impositions communales qui ne doivent pas entrer en ligne de compile pour parfaire le cens électoral. »
La question se présenta à la Chambre dans la séance du 31 juillet 1834. M. le ministre de la justice ayant demandé que le sens de la modification fût bien défini, un membre de la section centrale (je ne crois pas que ce fût l'honorable rapporteur de la section centrale) lui répondit :
« La section centrale a effectivement cru qu'il ne fallait pas comprendre dans le cens les centimes additionnels aux contributions provinciales et communales. C'est pour cela que nous avons substitué aux mots : « payer dans la commune » les mots « à verser au trésor de l'Etat. »
Voilà donc la loi de 1831 interprétée par les auteurs de la loi (page 817) communale. Et en 1834 la Chambre comptait dans son sein un nombre considérable d'anciens membres du Congrès.
M. Dumortier. - Les deux tiers.
M. Hymans. - Les deux tiers, me dit l'honorable M. Dumortier ; or, il est permis de croire que si l'interprétation de la section centrale n'avait pas été conforme à l'esprit du législateur constituant, il se serait bien élevé contre elle une voix pour protester dans cette enceinte ; ce qui n'a pas eu lieu.
M. Malou, dans son rapport de 1843, faisait remarquer avec beaucoup de raison que, s'il fallait compter pour le cens les centimes ordinaires et permanents, il n'y avait aucune raison de ne pas compter aussi les centimes extraordinaires. Ce sont des impôts directs, exactement comme les autres, et l'honorable M. Le Hardy vient de le soutenir lui-même. En somme, la section centrale de 1843 proposa de ne pas compter les centimes provinciaux et communaux pour la formation du cens ; et que disait M. Malou en terminant son rapport ?
« En comptant ces centimes additionnels, disait-il, on s'exposerait à violer la Constitution. Fallût-il même admettre qu'il y a doute sur ce point, ce doute suffirait pour s'abstenir de déclarer que les centimes additionnels formeront un des éléments du cens électoral. »
Nous n'en sommes encore qu'au rapport de la section centrale. La discussion de l'article premier du projet de loi de 1843 eut lieu dans la séance du 20 mars. L'honorable M. Vilain XIIII soutint alors la thèse que défend aujourd'hui l'honorable M. Le Hardy.
D'après lui, tout impôt direct, qu'il profitât ou non au trésor, devait former un élément du cens. M. Fleussu, venant après lui, expliqua les raisons pour lesquelles la régence de Liège avait toujours complètes centimes additionnels ; mais il eut soin de déclarer, à la fin de son discours, qu'il lui importait peu que le vote vînt trancher la question dans un sens différent.
M. Mullerµ. - Il parlait des centimes additionnels établis en vertu de la loi de 1821.
M. Hymans. - Evidemment ; j'ai dit tantôt qu'on n'en avait jamais compté d'autres ; et je fais remarquer que, même pour ceux-là M. Fleussu déclarait qu'il tenait seulement à ce qu'une décision intervînt pour que le cens fût compté de la même manière dans toutes les provinces.
M. le comte de Muelenaere, qui était aussi un ancien membre du Congrès, soutint énergiquement la thèse de la section centrale ; d'après lui aussi, il n'y avait pas plus lieu de compter les centimes additionnels perçus en vertu de la loi de 1821 que les autres centimes additionnels versés, tout comme les premiers, dans le trésor de l'Etat, au profit des provinces et des communes.
Malgré l'opposition de M. Delfosse, dont la parole avait une grande autorité dans cette enceinte, la Chambre adopta l'opinion de la section centrale, et les centimes additionnels furent exclus de la supputation du cens, à la suite d'un simple vote par assis et levé ; on ne demanda pas même l'appel nominal.
Vous le voyez, messieurs, la question n'est pas neuve. Elle a été résolue dans le même sens par la cour de cassation, par huit députations permanentes sur neuf, par les auteurs de la loi communale en 1834 et par les auteurs de la loi de 1843.
Ce sont là, messieurs, des faits dont nous devons tenir compte, et en face de ces précédents, appuyés par des raisons péremptoires, je crois que la Chambre n'adoptera pas l'amendement de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.
(page 811) M. Coomans. - Si nous désirions sincèrement étendre le droit de suffrage, nous devrions saisir avec empressement toutes les occasions qui se présentent de le faire, alors que la Constitution peut être interprétée dans un sens libéral.
Certes il ne faut pas aller à l’encontre des principes de la Constitution. Mais dès qu'il y a doute en cette matière, je désire qu'il profite à la liberté. Or, il y a doute. L'honorable M. Hymans n'a rien répondu aux excellents arguments présentés par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ; il a perdu de vue une chose : c'est que maintes fois beaucoup de législateurs, et même des députations permanentes, ont cru qu'il était constitutionnel de compter les centimes additionnels pour la formation du cens électoral.
M. Bouvierµ. - Huit députations permanentes ont soutenu l'opinion contraire.
M. Coomans. - Je dis que beaucoup de législateurs ont soutenu l'opinion que je défends en ce moment ; une députation permanente l'a fait également ; des ministres ont émis le même avis. Dès lors vous devez avouer qu'il y a au moins doute. Eh bien, que devez-vous faire ? Résoudre ce doute dans le sens de l'interprétation la plus libérale.
Mais, au fond, ce n'est pas la question de principe qui arrête ; c'est la répugnance qu'on éprouve à élargir le cercle électoral, répugnance que, du reste, beaucoup de membres avouent hautement.
Messieurs, je viens de dire que l'honorable M. Hymans n'avait pas rencontré les arguments de l'honorable M. Le Hardy. En effet, tout son raisonnement, à lui, se borne à invoquer les précédents de l'assemblée. A une autre époque, la Chambre a décidé ceci, la Chambre a décidé cela, et voilà ! Mais pour telles ou telles raisons... c'est ce que l'honorable M. Hymans n'a pas développé.
Messieurs, cet argument est étrange dans la bouche de l'honorable membre. Quoi ! parce que la Chambre de 1831 a décidé dans un sens, nous devons aujourd'hui décider dans le même sens ! Et quand mon honorable ami, M. Dumortier et d'autres membres invoquent les précédents de la Chambre de 1838 et de toutes les Chambres qui se sont succédé jusqu'en 1849, vous prétendez que c'est un argument de peu de valeur. Vous allez plus loin ; vous avez déclaré que toutes les Chambres, depuis 1838 jusqu'en 1849, ont violé la Constitution clairement, manifestement ; ce sont vos expressions.
Or, si vous osez dire que de 1838 à 1849, c'est-à-dire pendant onze ans, toutes les Chambres ont violé la Constitution, comment osez-vous invoquer, comme un jugement en dernier ressort, comme un arrêt de cassation nationale, une décision de la Chambre de 1834 ?
Autre chose. Les impôts prélevés immédiatement au profit de la commune et de la province ne sont pas des impôts directs !... Mais il n'y a rien de plus direct que de verser directement une certaine somme dans un trésor public.
Comment ! cet impôt n'est pas direct !... Mais le plus indirect de tous les impôts, celui qui passe par l'alambic des brasseurs et des distillateurs, cet impôt est un impôt direct. La taxe des cabaretiers est un impôt direct !
Rien n'est plus clair, on défend une opinion inconstitutionnelle quand on soutient le contraire ; mais les impôts immédiatement perçus à la commune et à la province ne sont pas des impôts directs !
Messieurs, la proposition des honorables MM. Le Hardy de Beaulieu et Guillery ne donne lieu qu'à une seule objection d'une apparence sérieuse ; c'est celle ci : il ne peut dépendre ni d'une commune ni même d'une province de créer à volonté des électeurs. C'est la seule difficulté qui existe, du moins en ce qui concerne les élections législatives.
J'avoue qu'il me répugnerait de permettre à quelques communes d'augmenter extraordinairement et exceptionnellement le nombre de ses électeurs, alors que d'autres communes ne procéderaient pas de même.
Il y a là une objection à examiner ; je suis prêt à le faire, mais remarquez que cette objection ne porte pas du tout sur la proposition en ce qui concerne les élections communales.
Ici, peu importe, au point de vue électoral, le chiffre de l'impôt. Il n'est que juste que la masse de la population, en d'autres mots, que tous ceux qui contribuent à l'impôt aient leur mot à dire, quand il s'agit d'élire leurs mandataires communaux.
Au point de vue législatif, je le reconnais, il y a une difficulté. Je ne proposerais pas de compter en entier dans le cens tous les centimes additionnels. Mais pourquoi ne pas décréter une règle générale et dire, par exemple, que les dix à vingt premiers centimes communaux et provinciaux compteront dans le cens électoral ?
Il y aura alors égalité pour toutes les localités. Il y aura très peu de communes et très peu de provinces qui ne percevraient pas 10 à 20 centimes additionnels.
Remarquez, messieurs, que ceci est une simple concession que je veux bien faire à ceux qui ont des doutes sur la constitutionnalité de la proposition. C'est aussi une satisfaction que je donne à ceux qui ne veulent pas permettre à certaines communes et à certaines provinces d'augmenter irrégulièrement le nombre de leurs électeurs. Mais quant au principe, il (page 812) est inattaquable, et les objections qu'on y fait ne sont réellement pas sérieuses.
L'impôt est direct ; il est, à coup sûr, plus direct que plusieurs impôts que vous avez déclarés directs. Je vous défie de me prouver le contraire.
Je crois donc que la Chambre fera sagement, se trouvant dans la possibilité d'interpréter libéralement la Constitution, de le faire dans le sens que nous désirons et d'accepter, pour le moment, sauf à voter plus tard d'autres propositions, l'amendement qui a été présenté par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne pense pas qu'il puisse y avoir le moindre doute sur la constitutionnalité de la proposition, en tant qu'elle s'applique aux élections législatives. Nous avons maintenant une manière de raisonner complètement différente de celle qu'on suivait dans les premières années de notre existence politique. Pendant longtemps on a interprété la Constitution sérieusement, dans son texte, non pas avec l'intention de lui faire dire ce qu'elle ne dit pas, mais avec l'intention de lui faire dire ce qu'elle dit, et pour arriver à cette interprétation, quel guide avait-on ?
Le Congrès lui-même. Si un article quelconque de la Constitution pouvait avoir deux interprétations, ce n'était pas l'opinion de la minorité du Congrès qu'on consultait, c'étaient les dispositions votées par lu Congrès lui-même qui venaient vous dire le sens que cette illustre assemblée avait voulu donner à l'article en question. Il en est surtout ainsi pour l'article qui nous occupe.
Il est bien vrai que, dans le texte même de la Constitution, il est dit : Versé en contribution directe. Mais le Congrès ne s'est pas borné à faire la Constitution ; il a fait aussi la loi électorale, et là il a expliqué clairement sa pensée, par ces mots : Versés au trésor public.
Ainsi l'impôt direct dont le Congrès a parlé en faisant la Constitution, il vous l'a dit lui-même, c'est celui qui est versé au trésor de l'Etat. Dès lors il est impossible, quelque grand désir qu'on puisse avoir d'étendre le cens électoral, d'admettre la constitutionnalité de l'amendement de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, en tant qu'il s'applique aux élections pour les Chambres.
Une objection a pu être présentée, c'est en ce qui concerne les 6 centimes additionnels établis par un arrêté du roi Guillaume en faveur des communes et des provinces ; ces 6 centimes additionnels offraient un caractère spécial ; c'est qu'ils étaient uniformément établis dans le pays. Car remarquez bien que quand le Congrès a voulu que l'impôt fût versé au trésor public, il a voulu, avant tout, l'uniformité pour le cens dans toutes les parties du pays.
Or, comme, ces 6 centimes étaient uniformément payés dans toutes les communes, plusieurs personnes ont cru qu'on pouvait les attribuer au cens électoral.
Mais il n'en est plus de même, aujourd'hui. Le roi Guillaume avait établi ces 6 centimes additionnels, en vertu de son pouvoir, par un arrêté qui avait alors la force de décret.
Mais, veuillez-le remarquer, la Constitution, qui est au-dessus des décrets, est venue dire qu'aucun impôt communal ne peut être établi sans le consentement du conseil communal. Qu'ont fait certains conseils communaux, notamment le conseil communal de la ville de Liège ? Ils ont supprimé ces six centimes, de sorte que ces six centimes ne constituent pas un impôt établi dans tout le pays. Or, ce. qu'il faut en matière d'élection pour les Chambres, c'est évidemment et avant tout, l'uniformité dans tout le pays.
Dès lors, vous ne pouvez plus admettre que ces 6 centimes versés dans le trésor, qui n'en est que le dépositaire, comptent pour former le cens des électeurs pour les Chambres. Vous voyez donc qu'il est impossible d'admettre l'amendement de l'honorable M. Le Hardy et celui que vous ont proposé mes honorables amis MM. Nothomb et de Haerne.
Pour les élections générales, ce serait commettre une flagrante inconstitutionnalité. Vous ne pouvez compter, pour former le cens, que les fonds versés au trésor public, c'est-à-dire payés à l'Etat.
En droit constitutionnel, il en est autrement pour la province et pour la commune. Là vous n'êtes pas lié par le Congrès qui n'a pas porté de décret et qui a laissé à la loi le soin de déterminer quelles seraient les impositions provinciales et communales.
Convient-il d'admettre les centimes additionnels communaux pour former le cens électoral pour la commune et la province ? Je dis que non seulement cela ne convient pas, mais que cela n'est pas possible, et par un motif très simple : c'est que ces centimes varient de commune à commune, et même souvent d'année à année. Si vous en arriviez là, voyez quel serait le résultat. Il y a des communes qui vivent de leurs propres biens et qui n'ont pas de centimes additionnels. D'autres communes ont 100 centimes additionnels à leur profit ; l'impôt y est doublé.
A Bruxelles, je crois que les centimes additionnels s'élèvent au montant de la contribution principale. Qu'en résulterait-il ? C'est que vous n'auriez plus une loi générale, vous auriez autant de lois qu'il y a de communes. C'est ce qu'on n'a pas voulu. C'est ce que la législature n'a pas voulu, quand elle a fait la loi communale ; elle a entendu qu'il y eût uniformité dans tout le pays ; que, quand la loi parlait, elle parlât pour tout le monde.
Je pense donc que ces amendements ne peuvent être admis. Ce qu'a dit l'honorable M. Hymans, tout à l'heure, est exact. Non pas que je considère les centimes additionnels comme un impôt indirect ; non, ils sont un impôt direct, et très direct. Sous ce rapport, l'honorable M. Coomans a cent fois raison, et je partage complètement son avis, comme je suis encore de son avis en ce qui concerne la question des cabaretiers.
Mais il ne s'agit pas de cela en ce moment, il s'agit uniquement des centimes additionnels, et je viens de démontrer qu'ils ne peuvent être comptés dans le cens électoral pour les Chambres, que les compter serait une flagrante inconstitutionnalité.
Quant aux centimes additionnels pour la commune, je crois que ce serait une très mauvaise chose que de les compter pour former le cens communal. Voyez où vous arriveriez. Je suppose que l'amendement de l'honorable M. Guillery soit admis. Il propose de réduire le cens électoral à 15 fr. Eh bien, dans la ville de Bruxelles, vous réduiriez le cens électoral à 7 fr. 50 c., puisqu'il y a 100 centimes additionnels.
MpVµ. - Je vous ferai remarquer que nous discutons en ce moment l'amendement de M. Le Hardy qui se rapporte aux élections générales.
M. Dumortier. - M. le président, ces questions se confondent. Je crois que je suis dans la question ; tous les autres orateurs l'ont traitée de la sorte. Je n'aurais pas pris l'initiative, si d'honorables préopinants n'avaient pas porté la question sur ce terrain. Cela servira pour l'appréciation des divers amendements. Du reste, je vais terminer.
Vous voyez donc où vous conduirait ce système ; au lieu d'avoir, pour la capitale, un cens de 15 fr., vous en auriez un de 7 fr. 50. Il faut que chacun sache ce qu'il va voter, et c'est pour cela que je fais ces observations.
En ce qui concerne le cens général, il ne peut y avoir et il n'y a jamais eu dans cette Chambre, de la part de qui que ce soit, l'ombre d'un doute sur la question de constitutionnalité.
Le doute dont a parlé l'honorable M. Coomans n'a jamais existé et n'a pu exister en présence du texte précis de la loi électorale votée par le Congrès, dans laquelle il a défini en termes exprès ce qu'il avait entendu par l'expression dont se sert la Constitution.
M. Mullerµ. - Je n'ai pas l'habitude d'abuser des moments de la Chambre, et je ne compte pas lui faire un long discours ; mais j'ai une explication à donner sur les faits anciens qui ont été signalés en ce qui concerne la députation permanente du conseil provincial de Liège, le conseil communal du chef-lieu et l'opinion émise par mon honorable prédécesseur, M. Delfosse, dont la perte a été si unanimement regrettée.
Jamais la députation provinciale ni le conseil communal de Liège, ni MM. Fleussu et Delfosse n'ont soutenu, ou imaginé que l'on pût compter dans le cens électoral législatif toutes les contributions votées par les provinces et par les communes. C'était exclusivement aux centimes additionnels créés par la loi de 1821 et réputés obligatoires que s'appliquait leur doctrine, condamnée, depuis lors, par la cour de cassation. Les motifs pour lesquels il pouvait y avoir doute, les voici : c'est que, d'après la loi de 1821, le gouvernement percevait lui-même directement et en son nom, sauf affectation spéciale, ces centimes additionnels ; à la différence de tous les autres centimes additionnels, provinciaux et communaux, ils étaient forcément versés au trésor de l'Etat ; à cette époque-là, en effet, ces centimes étaient perçus uniformément dans toute la Belgique au profit des conseils provinciaux et des conseils communaux. Je conçois donc qu'il a pu y avoir un doute, d'autant plus que la loi de 1821, telle qu'elle avait été libellée sous le régime des Pays-Bas, réservait au gouvernement le droit d'affecter à tel travail qu'il jugeait convenable le produit de ces centimes additionnels dans chaque province ou dans chaque localité.
Il y avait donc là une disposition qui avait continué transitoirement à être appliquée, sans examen approfondi, et c'est ce qui a pu donner lieu au doute levé par la loi de 1843.
(page 813) Quant à la question en elle-même du débat dont la Chambre s'occupe, j'avoue m'expliquer très difficilement qu'après 36 ans écoulés depuis la promulgation de la Constitution, on prétende qu'elle a été mal interprétée. Jusqu'à présent, il a toujours été unanimement reconnu que les centimes votés soit par les provinces, soit par les communes, ne pouvaient pas être admis dans la supputation du cens général. Remarquez que je ne m'occupe ici que de la question des électeurs généraux. L'honorable M. Coomans a commencé par vouloir démontrer que cela est parfaitement conforme à la Constitution ; eh bien, si son système est vrai, c'est pour lui un devoir de l'établir sans transaction, et M. Coomans a été en contradiction avec lui-même lorsqu'il a fini par proposer de n'admettre que 20 ou 10 centimes provinciaux et communaux dans le cens général. Je répète que s'il faut entendre par impôts directs les centimes additionnels votés par les provinces et par les communes, vous n'avez pas le droit d'en écarter une partie quelconque pour la supputation du cens.
J'appartiens, messieurs, à un centre industriel qui a une population de 105,000 âmes, la ville de Liège. Eh bien, je déclare, très franchement que la mesure ne me paraîtrait pas juste, y eût-il même doute sur son caractère, inadmissible au point de vue de la pensée qui a dominé le Congrès.
En effet, la ville de Liège s'est imposée de 50 p. c., et au delà de la contribution foncière, de 50 p. c. des patentes et de 50 p. c. de la contribution personnelle. D'autres grandes villes sont également forcées de créer des impôts directs très lourds. Entre les différentes localités du pays, il y a les écarts les plus considérables ; les ressources, les besoins, les dépenses varient à l'infini. Les impôts communaux ou provinciaux peuvent-ils équitablement servir de base au cens législatif ? Je ne puis l'admettre.
J'ajoute que si l'on essayait d'en venir aux moyens d'exécution et de contrôle, je ne sais pas comment on en sortirait. Et, puisqu'on parle tant des fraudes électorales, je me demande comment on parviendrait à mettre obstacle au redoublement des tentatives de dol et de fausses inscriptions que ce système entraînerait par suite de la difficulté de vérifier la possession des bases et le payement de toutes ces contributions dues, les unes à l'Etat, les autres à la province, les autres à la commune et perçues par des receveurs appartenant à des administrations indépendantes ; il faudrait une révision de toute une partie de la loi électorale.
M. de Haerneµ. - Messieurs, je n'avais pas l'intention de rentrer dans le débat, mais l'honorable M. Nothomb, dont j'ai signé la proposition, a dû s'absenter par suite d'un malheur de famille auquel nous prenons tous une grande part, une part d'autant plus grande que nous éprouvons une vive sympathie et pour lui et pour son honorable frère. Je crois donc devoir dire quelques mots au sujet de la question qui s'agite et qui rentre aussi en partie dans notre amendement.
Mon intention n'est pas, messieurs, de trancher le doute qui existe relativement aux centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes ; ce doute est très sérieux, et plus j'écoute les arguments que l'on apporte de part et d'autre, plus je dois le dire, le doute me paraît fondé. Mais je crois devoir faire une distinction. Je dis d'abord que nous sommes partis, en section centrale, de l'idée du doute ; sans cela, nous n'aurions pas pu formuler le premier paragraphe de l'amendement tel qu'il est conçu ; nous sommes donc partis de l'idée du doute, mais d'un autre côté nous avons parfaitement compris le danger qu'il pourrait y avoir à laisser aux provinces et aux communes la possibilité de créer de nouveaux électeurs en augmentant les centimes additionnels. Ce danger n'est pas aussi grand pour la province que pour la commune, et c'est pour ce motif que le premier paragraphe de notre amendement s'applique seulement aux centimes provinciaux. Je le répète, messieurs, pour le moment je ne veux pas trancher la question, mais je crois devoir établir cette distinction et je demanderai la division lorsqu'il s'agira d'aller aux voix sur l'amendement de M. Le Hardy de Beaulieu.
M. Guillery. - Messieurs, je ne serai pas long, mais permettez-moi de protester contre la confusion perpétuelle que l'on fait entre la loi électorale de 1831 et la Constitution. La loi électorale dit, il est vrai : « Versé au Trésor de l'Etat », mais la Constitution ne dit rien de semblable ; la Constitution dit « impôts directs. » Il faut donc que nous définissions ce que c'est que l'impôt direct.
Le Congrès qui n'a pas voulu mettre dans la Constitution les mots : « Versé au trésor de l'Etat » parce qu'il voulait abandonner au législateur le soin de comprendre ou de ne pas comprendre les centimes provinciaux et communaux dans le cens électoral, le Congrès, quand il a fait ]a loi électorale, a décidé qu'il ne fallait compter que les impôts versés au trésor de l'Etat. Lorsque l'honorable M. Wannaert a proposé de compter les centimes additionnels, que lui a répondu M. Lebeau ?
Il ne lui a pas dit : Votre proposition est inconstitutionnelle ; il lui a dit : Votre proposition aurait des inconvénients et, entre autres, celui de permettre aux communes de créer des électeurs ; la proposition de M. Wannaert a été rejetée, mais elle n'a pas été repoussée comme inconstitutionnelle, on ne lui a pas opposé la question préalable.
L'honorable M. Defacqz connaissait parfaitement le projet de loi présenté en France et les discussions qui avaient eu lieu en France, pendant plusieurs années, sur la signification des mots « impôts directs ».
Que faisait-on en France, pendant que le Congrès discutait la loi électorale ? On faisait ce que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu propose de faire .On faisait la loi des 19-23 avril 1831 qui, à l'article 4, comprend toutes les impositions indirectes.
Cet article 4 comprend expressément les centimes additionnels.
Le ministre de l'intérieur avait, dans la discussion à la Chambre des députés, donné le commentaire le plus explicite, le plus clair de cette expression. Il faudrait, disait-il, plus de 20 amendements pour comprendre tous les impôts directs. Il résulte des expressions dont il s'est servi qu'on ne devait exclure que les impôts indirects.
Et comment cet article a-t-il été interprété ? La cour de cassation de France a été jusqu'à compter par deux arrêts successifs les prestations en nature relatives aux chemins vicinaux.
Or, en France comme en Belgique, ces prestations sont votées par le conseil municipal, de même que les contributions en argent pour le même objet.
Vous voyez donc que toutes les craintes qui surgissent ici n'ont pas effrayé le législateur français et, dans la pratique, vous verrez, dans tous les livres de droit administratif français, une série d'arrêts et de décisions en vertu desquels les impôts communaux sont comptés pour par. faire leçons des électeurs aux Chambres.
La cour de cassation admet tout ce qui n'est pas impôt indirect.
L'inconvénient qu'on a signalé, messieurs, ne peut d'ailleurs exister en présence de notre loi communale. Il semblerait véritablement que les communes soient indépendantes en Belgique. Mais je n'ai jamais vu cela, dans la loi du moins.
L'article 76 de la loi communale dit :
« Néanmoins, sont soumises à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et à l'approbation du Roi, les délibérations du conseil sur les objets suivants :
« 5° L'établissement, le changement ou la suppression des impositions communales et des règlements y relatifs. »
Pourquoi donc le gouvernement permettrait-il, en supposant qu'il y eût une commune capable de le faire, qu'une commune modifiât d'une manière intempestive ses impositions ?
Pourquoi le gouvernement n'userait-il pas de son autorité, comme lorsqu'il a annulé l'emprunt de la ville de Bruxelles, et comme, dans d'autres circonstances, il a refusé de ratifier des décisions de conseils communaux, qui devaient jouir de plus d'autorité morale que des décisions de conseils communaux de villages.
Ainsi donc, messieurs, le gouvernement, responsable devant les Chambres, est là pour empêcher l'abus qu'on a signalé. Et les Chambres sont là pour le contrôler.
Maintenant, messieurs, quant aux autorités qui ont été citées au sujet de l'interprétation de la loi belge, l'arrêt de la cour de cassation interprétait la loi de 1831 qui porte qu'il faut verser au trésor de l'Etat ...
Est-il étonnant qu’il ait dit que ce qui est versé au trésor de la commune n'est pas versé au trésor de l'Etat !...
Cet arrêt a dit : Vous ne pouvez compter les centimes additionnels versés au trésor du la commune, mais perçus à la vérité par le receveur de l'Etat, ce qui importe, fort peu, la loi de 1831 a dit : « versés au trésor de l'Etat. »
Est venue ensuite la loi de 1843 qui certes n'était pas populaire à gauche et que l'on a fortement reprochée à son auteur. Elle a décidé qu'on ne compterait que les contributions réellement versées au trésor de l'Etat.
Mais ne pouvons-nous décider, comme l'a fait le législateur de 1831 en France, que, parmi les contributions directes qui confèrent le droit électoral, se trouvent les suppléments d'impôt de toute nature compris sous le nom de centimes additionnels, y ajouter si l'on veut l'énumération qui résulte de la jurisprudence française, et dire que l'on comptera les prestations relatives aux chemins vicinaux, etc., etc. ?
(page 814) En résumé, la proposition n'est pas inconstitutionnelle. Le Congrès ne s'en est pas occupé. Le Congrès, devenu législateur, a dit : vergsés au trésor de l'Etat. La loi communale a dit la même chose, mais elle aurait pu dire autre chose, et lorsqu'on a combattu l'opinion de ceux qui voulaient décider la question dans un autre sens, on n'a pas dit que leur opinion fût inconstitutionnelle.
M. Coomans. - Il n'y a pas eu de question préalable.
M. Guillery. - La lecture des discussions du Congrès démontrera encore que mon opinion est constitutionnelle. Je démontre par les dispositions de la loi française qu'elle est pratique et incontestablement pratique.
MfFOµ. - Messieurs, en présence du, texte de la Constitution, et en s'arrêtant exclusivement à la lettre, j'admets que l'on puisse concevoir quelque doute sur la question de savoir si la proposition de comprendre les centimes additionnels dans les impôts directs servant de base au cens électoral, est inconstitutionnelle.
Le texto de la Constitution parle en effet exclusivement d'impôts directs. Mais il s'agit de rechercher quelle a été la véritable pensée du législateur. Qu'a-t-on voulu par le cens ? On a voulu déterminer les conditions de capacité que doit réunir un citoyen pour exercer le droit électoral.
Eh bien, si l'on compte autre chose que des impôts déterminés, arrêtés par la loi, impôts dont le législateur seul peut autoriser la perception, on n'a plus une mesure certaine et uniforme pour l'appréciation de la capacité électorale. Cette mesure dépendra non plus de la loi, mais de la décision des conseils communaux ou des conseils provinciaux.
On a reconnu la nécessité d'un cens bien déterminé, et basé sur certains impôts que la loi réclame, dans la même quotité proportionnelle, de tous les citoyens qui sont dans les conditions requises pour acquitter ces impôts. Mais un conseil communal vient y ajouter des centimes additionnels. Si on les admet également, comme éléments constitutifs du cens électoral, les conditions de capacité sont modifiées, quant aux électeurs appartenant aux communes qui ont imposé ces centimes, et l'égalité se trouve ainsi détruite.
Or, à ce point de vue, est-on bien dans les termes de la Constitution ? Non pas seulement dans les termes de l'article 47, mais dans ceux de l'article 4 qui porte ceci :
« La qualité de Belge s'acquiert, se conserve et se perd d'après les règles déterminées par la loi civile.
« La présente Constitution et les autres lois relatives aux droits politiques déterminent quelles sont, outre cette qualité, les conditions nécessaires pour l'exercice de ces droits. »
Mais sera-ce encore la loi qui déterminera les droits politiques des citoyens dans le système de l'amendement ? Pas le moins du monde. Ce seront les conseils communaux et provinciaux qui les détermineront. Cela dépendra de leur vote.
On allègue qu'en France on a admis un autre système. Cela se peut, je ne le conteste pas ; mais il faut considérer l'ensemble du régime politique d'un pays, si l'on veut en invoquer la législation avec autorité, et pour que la comparaison que l'on en veut faire avec celle d'un autre pays soit juste et logique, il faut nécessairement que les deux régimes présentent une certaine analogie.
Or, l'analogie, n'existe pas entre les systèmes des deux pays que l'on veut comparer. Les conditions d'aptitude exigées ne sont pas les mêmes ; les conditions politiques générales ne sont pas les mêmes ; elles sont, au contraire, essentiellement différentes, surtout en matière financière, pour les communes et les départements.
On a dit enfin que ce système ne présenterait que de minimes inconvénients ici, parce que le législateur a investi le gouvernement du droit d'approuver ou d'interdire l'application dés impositions locales décrétées par les administrations communales, et que, bien évidemment, le gouvernement, en qui on a, pour le moment, une très grande confiance, ne permettrait aucune mesure qui aurait pour effet de modifier les conditions électorales. Mais, messieurs, lorsque ces mesures sont soumises à l'approbation du gouvernement, il n'a pas à prendre en considération les conséquences qui peuvent en résulter au point de vue électoral ; il serait obligé d'approuver les impôts qu'il reconnaîtrait nécessaires à la bonne administration des communes.
Mais, au surplus, il n'y a pas que l'approbation des taxes dont il faille tenir compte. Le système proposé pourrait avoir les mêmes inconvénients en sens inverse. Il y a, en effet, la suppression des taxes, qui se fait sans aucune intervention du gouvernement. On verra donc des citoyens qui étaient électeurs, et qui seront dépouillés de leur droit électoral par la simple volonté d'un conseil communal.
A ces différents points de vue, je .pense que la proposition ne réunit pas les conditions nécessaires pour qu'on puisse l'admettre.
Lorsqu'on a écarté l'amendement présent 'par M. Wannaert au Congrès dans la discussion de la loi électorale, on ne l'a pas, à la vérité, écarté par la question préalable, mais par les motifs que je donne. A cette occasion M. Lebeau disait ceci :
« Il ne veut admettre que l'impôt payé au Trésor public ; il démontre les inconvénients de l'opinion contraire ; il dit qu'il y a des communes riches où les charges sont presque nulles. Il en résulterait que ce ne serait pas la loi, mais les autorités locales qui créeraient les électeurs. »
Ces dernières paroles renferment la véritable raison de décider.
MpVµ. - Je mets aux voix l'amendement de M. Le Hardy de Beaulieu, qui est ainsi conçu :
« A. Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale, supprimer les mots : au trésor de l'Etat.
« B. Rédiger ainsi le dernier paragraphe de cet article :
« Les centimes additionnels perçus sur les contributions directes au profit des provinces et des communes sont comptés pour former le cens électoral. »
- Des voix. - La division.
M. de Haerneµ. - Je propose que l'on vote pour la province d'abord et ensuite pour la commune.
- Cette proposition est adoptée.
MpVµ. - Je mets aux voix la partie de l'amendement relative aux centimes additionnels perçus au profit des provinces.
- Cette partie de l'amendement n'est pas adoptée.
MpVµ. - Je mets aux voix la partie de l'amendement relative aux centimes additionnels perçus au profit des communes.
- Cette partie de l'amendement est également rejetée. En conséquence, le reste de l'amendement tombe.
- Des membres. - A demain.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.