Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 2 avril 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 773) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction du procès-verbal est adoptée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Moorµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Buys, greffier de la justice de paix du canton de Hamme, demande la suppression des mots « au comptant » dans l'article 15 du projet de loi sur l'organisation judiciaire et prie la Chambre de rejeter l'amendement proposé à l'article 228 de ce projet. »

« Même demande des greffiers de justice de paix de Turnhout et d'Oostroosebeke. »

- Renvoi à la commission qui a examiné le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Des habitants d'Anvers prient la Chambre d'adopter la proposition de loi de M. Guillery relative à la réforme électorale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« Des habitants de Laethem-Sainte-Marie demandent l'abrogation ou du moins la révision de la loi sur la chasse. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Diest prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer destiné à relier Bruxelles à Louvain par Tervueren et Héverlé. »

M. Beeckman. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Ce renvoi est ordonné.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un rapport sur l'état de l'enseignement industriel et professionnel organisé avec le concours du gouvernement. »

- Impression et distribution.

Projet de loi portant le budget des dotations de l’exercice 1868

Rapport de la section centrale

M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des dotations de l'exercice 1868.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et l'objet qu'il concerne sera mis à l'ordre du jour lorsque la Chambre aura statué sur son propre budget.


Il est procédé au tirage au sort pour la composition des sections du mois d'avril.

Projet de loi modifiant quelques dispositions des lois électorales

Discussion générale

M. Coomans. - L'adhésion si vive et si sympathique que le ministère a donnée au discours de l'honorable M. Schollaert, m'engage, m'oblige même à y répondre. Je n'avais pas d'abord saisi les motifs de l'enthousiasme qui s'est produit, sur les bancs qui entourent le ministère, pendant le discours de l'honorable député de Louvain. J'avais écouté ce discours avec toute l'attention qu'il mérite ; je n'avais perdu aucune belle phrase de l'éloquent orateur et j'avais très nettement compris que M. Schollaert repoussait toutes les bases du projet du ministère, je puis dire plus, que M. Schollaert ne souscrivait pas à une ligne, pas à un iota du projet du ministère.

Dès lors comment m'expliquer la faveur avec laquelle le ministère avait écouté et couronné l'orateur ? Après réflexion, j'ai fini par comprendre.

Voici comment les choses se sont passées, ce me semble : si je me trompe, MM. les ministres me réfuteront, car j'avoue qu'ils doivent connaître mieux que moi leurs propres pensées. Au fond, le ministère ne voulait, ne veut d'aucune réforme électorale, et comme M. Schollaert venait de combattre toute réforme électorale quelconque, il avait exprimé la pensée du ministère ; de là les applaudissements du ministère.

Pendant que l'honorable M. Schollaert parlait, le ministère avait oublié qu'il venait de déposer lui-même un projet de réforme électorale ; il se croyait encore de quelques mois en arrière, à l'époque où il ne voulait pas de réforme du tout. Si telle n'est pas la vraie explication, je prie le ministère de m'en donner une autre.

Remarquons que M. Schollaert, comme je viens d'avoir l'honneur de vous le dire, n'admet aucun article, aucune partie d'article du projet du gouvernement.

En effet, il repousse toute réduction de cens, il repousse et condamne l'adjonction des capacités et ce sont là les deux bases du projet du ministère.

L'honorable ministre de l'intérieur, qui m'avait reproché de n'avoir rien compris à son projet de loi, s'était engagé à me l'expliquer, ou tout au moins à prouver que ce projet était parfaitement d'accord avec le système de l'honorable M. Schollaert. Cette démonstration est encore à faire.

Il est incontestable que l'honorable député de Louvain s'est rendu l'organe, le puissant organe de ceux des membres de cette assemblée qui ne veulent pas de réforme électorale. J'espère et j'attends avec impatience le vote qui interviendra ; j'espère que, même à droite, ses prévisions ne se réaliseront pas.

Il est un point sur lequel je suis d'accord avec l'honorable député de Louvain, mais où l'honorable membre est en désaccord avec le ministère, c'est sur la substitution de la capacité au cens : l'honorable M. Schollaert a prouvé, selon moi, avec un plein succès, qu'il est impossible d'introduire la base de la capacité pour les élections communales et provinciales, alors qu'on la repousse pour les élections législatives.

Je ne veux pas revenir sur les bons arguments que l'honorable M. Schollaert a produits pour faire cette démonstration. Je me bornerai à en rappeler un seul ; c'est que le jour où vous exigerez des électeurs communaux plus de lumières pour s'acquitter d'une fonction très facile, que vous n'en exigez des électeurs législatifs pour remplir des devoirs délicats et parfois ardus, ce jour-là vous aurez ruiné à la fois et notre système électoral et notre système parlementaire, et le Parlement et la Constitution. Il est clair que le verdict rendu par un plus grand nombre de citoyens, qui seraient aussi plus instruits, aura plus de poids dans le pays que le verdict rendu par un corps électoral restreint, dans lequel continueront à figurer les 15,000 ou 16,000 électeurs illettrés qui s'y trouvent aujourd'hui, d'après certaines statistiques.

La capacité et le cens s'excluent. La proclamation de la capacité offre d'ailleurs une difficulté énorme sur laquelle il me semble qu'on n'a pas assez insisté, difficulté inhérente à la nature humaine.

Les hommes sont assez disposés à voir jouir leurs semblables de privilèges basés sur des cas de force majeure.

Je m'explique : les hommes consentent à se laisser dire qu'ils sont pauvres d'argent, mais point à se laisser dire, de par la loi, qu'ils sont pauvres d'esprit. On veut bien avouer la pauvreté de sa bourse, mais on n'aime pas avouer cette de son intelligence ; et jamais le peuple ne consentira à se laisser parquer en deux classes : les instruits et les imbéciles.

(page 774) La base du cens a souvent existé, elle existe encore dans quelques pays. Quant à la base des capacités, je ne l'ai rencontrée nulle part. Vous en serez les inventeurs et je vous en laisse toute la responsabilité.

Remarquez, messieurs, que, tout en attaquant la base de la capacité, je n'accepte que, sous toutes sortes de réserves, la base de l'argent.

Celle-ci ne me paraît guère meilleure que l'autre ; et, en pratique, elle présente de très graves inconvénients.

Quelle est votre prétention, ou du moins quelle est votre espérance ? C'est de faire représenter la fortune. D'après vous, notre Congrès constituant a voulu que les fortunes fussent représentées, et vous pensez que vous atteignez ce but, en adoptant la base ou la fiction du cens.

C'est une erreur : vous ne privilégiez pas la fortune, car il y a bien des gens, relativement riches, qui ne payent guère d'impôts et qui pourtant ne sont pas électeurs ; alors que beaucoup d'autres gens, relativement pauvres et payant un impôt supérieur, se trouvent inscrits sur les listes électorales.

La base constitutionnelle, c'est l'impôt ; ce n'est pas la fortune. La distinction est importante à établir.

Dans la pratique, il est donc bien clair que ce n'est pas à la fortune que vous accordez le privilège électoral, puisque vous admettez sur les listes des milliers d'individus qui ont peu ou point de fortune, qui, à coup sûr, en ont bien moins que des milliers d'autres individus qui sont exclus des comices.

Je n'hésite pas à mettre ici en regard les cabaretiers et les fermiers.

Nous savons qu'il est bon nombre de fermiers qui ont une fortune considérable ; que cette fortune dépasse, pour quelques-uns, cent mille francs ; et cependant les fermiers ne figurent pas sur les listes électorales, tandis qu'on y voit figurer une douzaine de mille petits cabaretiers dont les fortunes réunies ne dépassent peut-être pas le capital d'un certain nombre de fermiers aisés.

C'est donc l'impôt qui est la base du cens, c'est l'impôt qui donne droit au suffrage.

Or, messieurs, si cela est vrai et incontestable, s'il est vrai que c'est l'impôt qui donne le droit au suffrage, voyons qui paye l'impôt en Belgique.

Messieurs, je vous présente tout d'abord ma conclusion, qui est celle-ci : que les huit dixièmes de tous les impôts en Belgique sont payés par les citoyens qui ne sont pas électeurs. Je dois entrer dans quelques explications : ce point en vaut la peine. (Interruption.)

Vous prétendez que c'est la fortune qui est représentée ; moi, je prétends que c'est l'impôt. Mais puisque vous attachez un droit politique à l'impôt, encore une fois voyons qui paye cet impôt.

Nos 100,000 électeurs pour les Chambres, avec leurs familles, représentent le dixième de la population. Or, les neuf dixièmes, exclus des comices, payent les sept dixièmes et peut-être les huit dixièmes de tous les impôts. (Interruption.)

D'abord vous m'accorderez qu'au point de vue des impôts indirects, les exclus payent autant que les électeurs.

Il est démontré, et je pourrais, au besoin, invoquer le témoignage de l'honorable ministre des finances ; il est démontré que la classe moyenne et la classe inférieure contribuent dans les droits d'accises et de douanes autant que la classe supérieure.

Ainsi, il est bien certain que les neuf dixièmes de l'impôt indirect, lequel est de 50 millions et plus en Belgique ; que les neuf dixièmes de l'impôt indirect sont payés par des citoyens non-électeurs, par des citoyens incomplets.

Mais, si j'ai bien compris tout à l'heure une interruption de l'honorable M. Dumortier, les impôts directs sont payés en grande partie par les électeurs...

M. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.

M. Coomans. - Alors je vous ai mal compris.

D'autres donc me diront : « Il est vrai que les neuf dixièmes des impôts indirects sont payés par les non-électeurs ; au moins devez-vous reconnaître que la grande majorité des impôts directs est acquittée par les électeurs représentant les classes supérieures de la société. » Cela n’est pas ; je prétends que la même proportion existe pour les impôts directs que pour les impôts indirects.

En fait, l'impôt foncier, par qui est-il payé ? Est-ce par les riches, au nom desquels les immeubles sont inscrits ? Non ; l'impôt foncier est payé par les locataires, par les fermiers. (Interruption.)

L'impôt foncier est payé d'abord par les locataires, parce que l'impôt figure en réalité dans le prix de location ; la terre diminuerait d'autant, si l'impôt foncier était supprimé. (Interruption.) J'exprime mes idées et pas les vôtres. Vous me réfuterez, si vous le voulez, si vous le pouvez.

- Un membre. - Rentrons dans la question.

M. Coomans. - Je suis dans la question. Je recherche qui paye, l'impôt en Belgique ; j'ai le droit, le devoir de rechercher cela devant vous, qui prétendez que le droit électoral est un droit qui s'attache à l'impôt.

M. Delaetµ. - Dans le courant de la session dernière, l'honorable M. Vermeire nous a parfaitement démontré que tout impôt, indirect ou direct, est compris dans le prix des choses,

M. Vermeireµ. - C'est incontestable.

ML Coomansµ. - Tout impôt est compris dans la valeur vénale des choses. Mais sortons des questions élémentaires, ou nous n'en finirons jamais.

Je dis que l'impôt foncier est payé d'abord par les locataires et ensuite par les consommateurs. Il en est de même de l'impôt personnel.

L'impôt personnel est payé par tous les locataires et non par le principal locataire d'une maison. Cela me paraît élémentaire. Il est évident que le locataire d'une grande maison, qui sous-loue et paye l'impôt, porte en compte cet impôt dans le prix du loyer, dans la mesure exacte de la hauteur de l'impôt et du nombre de chambres qu'il sous-loue.

L'impôt foncier est payé en Belgique par tout le monde, excepté par ceux au nom desquels il est inscrit. L'impôt foncier n'est payé que par partie, sous forme de consommation, par les riches. Mais il est payé d'abord en grande partie par les locataires et ensuite indirectement par les consommateurs, parmi lesquels figurent les propriétaires.

Voilà la vérité.

Les impôts directs, je le répète, et j'attends une réfutation, tous les impôts directs sont payés par les consommateurs en déduction de ce que les payeurs réels ont avancé au gouvernement.

Messieurs, à ce point de vue, il est vrai de dire, et c'est là le point capital de ma démonstration, que les sept dixièmes, peut-être les huit dixièmes de tous les impôts sont payés par les familles exclues du droit de suffrage. Eh bien, je vous demande, non pas si cela est juste, mais même si, en réalité, cela est constitutionnel, ou tout au moins si cela est conforme à vos doctrines ? Vous ne pouvez pas le soutenir. Quand vous prétendez que le droit de suffrage gît dans l'argent, surtout dans l'impôt, que ceux qui possèdent et payent ont seuls le droit de prendre part au gouvernement de leur pays, alors il faut admettre aux comices les citoyens d'après la part qu'ils payent de l'impôt ; eh bien, vous n'admettez qu'un dixième des contribuables.

Je pourrais bien, pour être plus véridique, rabattre un peu des déclarations excessives que l'honorable M. Schollaert a faites en l'honneur de la Belgique. Certes, nous figurons parmi les pays libres, parmi les pays relativement riches, mais il n'est pas vrai de dire que nous soyons le seul pays libre et le seul pays riche ; il y a, Dieu merci ! bien d'autres pays qui jouissent de la liberté et de la prospérité que nous avons en Belgique.

Messieurs, le motif principal pour lequel j'ai demandé encore une fois la parole, c'est le désir de relever une erreur dangereuse commise par l'honorable député de Louvain, erreur d'autant plus dangereuse qu'elle a été acclamée par une grande partie des membres de la majorité. Cette erreur consiste à dire qu'en cas d'adoption, de mise en pratique du suffrage universel en Belgique, c'en serait fait bientôt de notre Constitution, de notre nationalité, de notre royauté.

Messieurs, cela n'est pas ; déjà mon honorable ami, M. Nothomb (et je l'en remercie), avait protesté par un mot, mais un mot-argument, lorsqu'il avait dit à M. Schollaert : « Mais vous avez une singulière opinion de notre pays, quand vous doutez ainsi de lui ! »

Messieurs, je vais m'expliquer là-dessus avec une entière franchise. Voici ma pensée, et cette pensée est tout à fait contraire à celle qui a été exprimée par d'honorables préopinants.

Je pense que la très grande majorité des Belges, sans distinction de classe, ni de cens, ni d'opinion religieuse ou politique, que la très grande majorité des Belges est très attachée à la Constitution, à la nationalité et au Roi. Je n'admets pas le moins du monde que si cette très grande majorité des Belges était appelée à régler nos destinées les plus hautes, la Constitution, les lois, l'indépendance nationale et la royauté seraient en péril ; non, c'est là une sorte d'article du Pays que nous repoussons de toutes nos forces. Il ne faut pas que l'étranger croie que le suffrage universel, serait un danger pour nos institutions fondamentales.

(page 775) Il ne faut pas laisser le prétexte à des ambitions malsaines et criminelles.

- Des membres. - Très bien !

M, Coomansµ. - Eh, messieurs, vous tout les premiers, ne médisez pas du suffrage universel. Vous en aurez besoin peut-être plus tôt que nous ne le désirons tous. (Interruption.)

Voici mon hypothèse.

- Une voix. - Ce n'est pas un argument.

M. Coomans. - Je vais vous en donner un.

Voici mon hypothèse :

Je ne partage pas vos craintes, mais enfin elles sont respectables, peut-être vraies ; vos craintes se réalisent. Une grande ambition étrangère jette son dévolu sur la Belgique, et son premier acte est de nous promettre le suffrage universel, pour nous infliger le double outrage de souscrire nous-mêmes à notre ruine et à notre déshonneur.

- Des membres. - Très bien !

M. Coomans. - Eh bien, je suppose que nous soyons avertis quinze jours, trois semaines d'avance. Qu'aurions-nous de mieux à faire ? Ce serait de provoquer nous-mêmes le suffrage universel et d'aller nous y retremper tous, Sa Majesté comprise. (Interruption.)

Et qu'arriverait-il ? C'est qu'à part une dizaine de Belges qui ont le cens électoral, mais pas le sens moral, tous les Belges se lèveraient en masse à la même heure pour former des Chambres nationales, pour confirmer la Constitution et réélire le Roi. (Interruption.)

Ce spectacle serait beau et cette admirable tactique de notre part déjouerait l'ambition étrangère.

Voilà ce que ferait le suffrage universel, loyalement et pacifiquement pratiqué chez nous, mais si vous n'avez à opposer à l'étranger que vos discours si beaux qu'ils soient, que votre petit personnel administratif, que vos cent mille électeurs privilégiés, je n'ai que fort peu de foi dans l'avenir. (Interruption.)

C'est étrange. Il est des moments où nos grands adversaires du suffrage universel se montrent les partisans du suffrage universel !

Quand la foule, la vile multitude acclame le Roi dans la rue, on trouve que le peuple a de l'esprit, qu'il est excellent et animé des meilleures intentions.

Ces ovations que vous vantez, qu'est-ce autre chose que le suffrage universel de la rue ? Ce suffrage universel-là, je le respecte quelquefois, mais je l'admire rarement, et j'aime mieux le suffrage universel des comices.

Vous ai-je dit ceci, messieurs, pour vous engager à voter le suffrage universel ? Vous savez bien qu'il n'y a pas du danger imminent pour vous de ce côté, mais je tiens à venger le peuple belge de l'hypothèse injurieuse qu'on a posée contre lui, quand on a dit que le jour où il serait maître de la patrie, il la vendrait. Je proteste au nom de tout le monde, même au nom des meetings, auxquels je n'ai pas eu le temps d'assister. (Interruption.)

A propos du suffrage universel, l'honorable M. Schollaert nous a conté une historiette, avec l'esprit qui le caractérise. Je vous demande la permission de vous citer deux faits dans le même ordre d'idées.

L'honorable M. Schollaert a montré un domestique noyé par un gobelin parce que son maître ne lui avait pas donné le mot cabalistique.

Je connais encore quelqu'un qui s'est noyé par imprudence et ce n'était pas un domestique, mais un roi ; un roi Scandinave, roi puissant, roi doctrinaire dans la plus haute acception du mot. Il se croyait tellement puissant et maître de tous les éléments, qu'un jour, mettant son casque en tête et tirant son épée il se rend au bord de la mer, fait un beau discours au dieu Neptune ou à Thétis et lui dit (interruption.) (c'était un roi païen) « Vous n'irez pas plus loin ; je ne le veux pas ; je résiste et je résisterai. »,

La mer n'obéit pas.

Je ne sais si le roi Canut fut noyé, mais il a été bien près de l'être, et s'il a été logique, persistant et résistant jusqu'au bout, il aura été noyé.

Eh bien, messieurs, craignez aussi la mer du suffrage universel, elle monte sans cesse.

Les concessions, messieurs, mais il est sage de les faire quand elles sont justes, et seulement, je le reconnais avec l'honorable M. Frère, quand elles sont justes.

Mais, messieurs, il y a des concessions honorables qui ont sauvé l'Europe à certaines époques. Au beau milieu du moyen âge, ce fait-ci s'est produit 1,000 fois, 10,000 fois peut-être.

Un baron, très fier aussi de ses droits, de son omnipotence, de son casque, de son épée et de son éloquence, un baron est attaqué par un voisin, un ultra-baron, comme lui, est menacé, et que fait-il ? Il émancipe autour de lui ses vassaux en les suppliant de vouloir défendre son château d'abord, et leurs chaumières ensuite. Maintes fois ainsi tous ces barons ont obtenu un plein succès. Les pauvres, les déshérités, les parias se pressent, à la dernière heure, autour du baron, bien moins pour défendre son donjon que pour conquérir leur liberté. Voilà des moments où il est bon de faire des concessions.

Et puis, messieurs, au lieu d'attaquer notre système électoral, à nous, que nous ne vous proposons pas encore, vu notre impuissance, au lieu d'attaquer un système électoral que nous considérons comme plus juste et plus parfait que le vôtre, votre devoir était de justifier votre système, à vous, de prouver que le système en vigueur aujourd'hui est à la fois juste et moral. Voilà ce que vous auriez dû faire, et vous ne l'avez pas fait. Mais votre système, si on l'examine dans les détails, est intolérable, indéfendable. Ce n'est pas la fortune que vous y représentez, ce n'es pas l'impôt, ce ne sont pas les capacités que vous y représentez, ce sont des fictions, et des fictions qui sont viciées par l'immoralité.

El pour me résumer en un mot, je dis que quand vous admettez sur vos listes électorales 19,000 cabaretiers sur 100,000 citoyens, 19,000 cabaretiers qui n'ont pour la plupart ni fortune, ni instruction, vous n'avez plus le droit d'exclure qui que ce soit en Belgique.

Après avoir admis les cabaretiers, vous devez admettre tout le monde, ou vous faites la plus grave des injures à vos compatriotes.

J'ai combattu tout à l'heure le principe de la capacité, je vous prie de me permettre d'exprimer ma pensée à cet égard. Je ne crois pas que le droit électoral gise dans la capacité plus que dans l'argent ; je crois qu'il est un droit naturel que doivent avoir tous les chefs de famille honnêtes.

M. Hymanµ. - Et les célibataires ?

M. Coomans. - Les célibataires y compris... (Interruption.) Comment ! Est-ce qu'il n'y a pas de célibataires chefs de famille ?

Mon système, à moi, consiste à admettre tous les chefs de famille ; voulez-vous admettre encore d'autres citoyens ? J'y consens.

- Une voix. - Les femmes peuvent être chefs de famille. (Interruption.)

M. Coomans. - M. Hymans m'interrompt ; est-ce pour justifier une assertion qu'il a mise dans ma bouche, dans son journal ? Il me fait dire que je ne propose pas l'admission des femmes et des enfants dans les comices, parce qu'il n'y aurait pas quatre membres dans cette Chambre pour appuyer ma proposition.

Je n'ai rien dit de pareil ; j'ai dit que je ne proposais pas le suffrage universel des hommes, parce que je ne trouverais pas quatre membres dans cette Chambre pour appuyer ma proposition. Quant à faire voter les enfants, c'est un enfantillage. (Interruption.) Si une proposition est faite dans ce sens, nous l'examinerons.

Je ressaisis le fil de mes idées.

Si la capacité n'est pas une bonne base du droit de suffrage, pourtant, à titre de concession et pour être prudent, il est permis de reconnaître, je crois, qu'il faut reconnaître qu'il y a lieu de prescrire certaines conditions pour l'exercice du droit électoral.

Mais ces conditions doivent être faciles à remplir, et être mises à la portée de tous les citoyens ; remarquez bien que je dis à la portée de tous les citoyens ; c'est pour cela que j'adhère à la condition de l'enseignement primaire ; en effet, il est permis à tous les citoyens de remplir cette condition avec un peu de bon sens et un peu de bonne volonté. Quand vous demandez à un citoyen de savoir lire et écrire, vous ne lui demandez guère plus que d'avoir 21 ans et de faire un trajet de quelques lieues pour déposer son bulletin dans l'urne.

La condition de l'instruction primaire est facile à acquérir ; il n'est pas de même de la condition d'avoir fait trois années d'études moyennes. Cette condition-ci n'est pas à la portée de tout le monde et, par conséquent, je ne la trouve pas légitime.

Voilà la distinction que j'établis au sujet de l'enseignement et, à un point de vue général, je la maintiens aussi, c'est-à-dire que vous ne pouvez imposer aux citoyens que des conditions qu'il dépend d'eux d'accomplir. L'instruction primaire est de ce nombre.

J'appelle du reste toute votre attention sur le danger d'introduire dans nos lois électorales des principes disparates et hostiles ; j'ai déjà dit que j'adhère en ce point à la doctrine de M. Schollaert et je suis étonné que le gouvernement qui se pose comme barrière, je ne dirai pas comme borne, introduise dans notre mécanisme électoral le rouage le plus (page 776) révolutionnaire qu'on y puisse faire entrer ; je veux parler du double principe de la capacité et du cens, du double étalon en politique.

La capacité tuera le cens ou le cens tuera la capacité, et, le jour où vous aurez introduit un principe vraiment libéral pour les élections à la commune ou à la province, vous l'aurez introduit forcément pour les élections législatives, et si alors la Constitution est un obstacle, vous serez bien forcé de modifier la Constitution.

Messieurs, je dois, pour finir, vous rappeler un épisode de notre histoire.

En 1789, nous fîmes une révolution et nous fûmes presque unanimes à la faire. Mais alors, comme aujourd'hui, le parti conservateur (il n'y en avait guère d'autre en Belgique) était divisé en deux fractions, puissantes l'une et l'autre, quoique inégales en nombre. La fraction de Vandernoot prétendait qu'il ne fallait pas toucher aux lois fondamentales du pays ; que c'était le plus grave de tous les dangers, surtout en présence de la domination autrichienne qui s'était concentrée dans le Luxembourg.

Vandernoot, comme je l'ai rappelé l'autre jour, a prétendu longtemps qu'il était impossible, souverainement périlleux de modifier d'un iota la Constitution. Vonck et son parti soutenaient le contraire ; ils demandaient quoi ? Une extension du droit de suffrage, et pas autre chose ; tout le système de Vonck se résumait en ces mots : Extension du droit de suffrage. Vonck voulait augmenter le nombre des électeurs de la noblesse, des électeurs du clergé et des électeurs du tiers état.

Eh bien, Vandernoot avec plusieurs de ses amis, très éloquents aussi, très savants également, a écrit sur cette question une foule de brochures qui ont fini par l'emporter. Mais le parti Vonckiste, qui avait derrière lui une forte fraction du peuple, surtout dans le Brabant et dans les Flandres, réclama vivement, et on lui répondit par la violence officielle d'abord, par la violence officieuse ensuite, par des pavés, par des fusils, par des hallebardes ; on tua quelques Vonckisles, on en emprisonna beaucoup, on les força tous à la retraite.

Eh bien, messieurs, qu'arriva-t-il au mois de septembre 1790, dans ces journées mémorables et, à coup sûr, bien moins glorieuses que celles du même mois de 1830 ? Trois ou quatre régiments autrichiens quittèrent Luxembourg pour rétablir l'ordre dans les Pays-Bas ; et Vonck n'étant pas là, tout le parti Vonckiste étant ou en prison ou en exil, le parti Vandernoot, resté seul avec une petite armée, fut honteusement battu.

Il est clair que si les deux partis s'étaient réunis après octobre 1789 et si le plan très modéré de Vonck, car ce n'était pas le suffrage universel, il s'en faut de beaucoup ; si, dis-je, le plan très modéré de Vonck avait triomphé, les deux partis étant unis eussent été assez forts pour mener à bon port la belle barque de la république belge, car nous avions conquis notre indépendance tout entière et nos vieilles libertés. Mais on n'a pas voulu de réforme électorale, et on a perdu le pays.

Je souhaite de tout mon cœur que vous soyez plus heureux que Vandernoot.

M. Kervyn de Lettenhove. - Plusieurs membres de cette Chambre m'ont fait l'honneur de me demander à quel article du projet de loi se rattachait l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer avec plusieurs de mes honorables collègues. En présence de la proposition de l'honorable M. Guillery, qui ne s'occupe pas de l'élection législative et du projet du gouvernement, qui ne s'en occupe que fort accessoirement, le caractère de mon amendement est déterminé par la nature même de nos discussions.

Il se rapporte à l'article 3 du projet de loi qui traite des élections provinciales et communales.

Nous ne croyons pas devoir rechercher aujourd'hui s'il serait utile et convenable d'appliquer le même principe à l'élection législative.

Le moment ne nous paraît pas opportun pour soulever des questions constitutionnelles.

MfFOµ. - Je ne me lève pas, messieurs, pour répondre au discours que vous venez d'entendre. Si je devais suivre l'orateur qui vient de se rasseoir, dans toutes les idées qu'il a énoncées, dans toutes les thèses qu'il a défendues, nous serions amenés à discuter des questions fort nombreuses, fort complexes, et pour la plupart fort étrangères assurément à celles dont la Chambre est appelée à s'occuper actuellement. Les sujets traités par l'orateur n'ont, en effet, qu'un rapport, bien indirect, pour ne pas dire qu'elles n'ont aucun rapport avec le projet de loi ou avec les propositions dont la Chambre est saisie.

Il me faudrait rechercher d'abord qui paye l'impôt, examiner si c'est le propriétaire foncier ou le fermier qui en supporte la charge ; en d'autres termes, si c'est producteur ou le consommateur. Je suis obligé, sur tous ces points, de renvoyer l'orateur aux cours d'économie politique.

La majorité de la Chambre a exprimé la volonté de discuter les propositions de réforme électorale ; elle a cru que cela était convenable et opportun. Je ne suppose pas que l'on ait eu en vue, en prenant cette résolution, de faire quelque chose que l'on pouvait croire désagréable au ministère ; si, par impossible, il en était même ainsi, je pense que l'on a pu se convaincre que l'on s'était singulièrement trompé.

Quoi qu'il en soit, un fait évident résultera de cette discussion : c'est que nous avons pu constater les profonds déchirements qui existent au sein de la droite parlementaire.

A ce propos, on a manifesté certain étonnement d'avoir vu nos honorables amis, et particulièrement M. le ministre de l'intérieur, applaudir à un discours éloquent que vous avez entendu dans une de nos précédentes séances ; et, se complaisant évidemment dans une équivoque, on a déduit de ce fait que mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, avait ainsi condamné le projet de loi du gouvernement qu'il a lui-même présenté à la législature.

Il n'a pu cependant échapper à personne dans l'assemblée que M. le ministre de l'intérieur a applaudi aux opinions qui ont été exprimées par l'honorable membre en ce qui concerne le suffrage universel, opinions qui sont tout à fait conformes à celles que nous défendons nous-mêmes. Mais personne n'a pu s'imaginer sérieusement qu'il repoussait en même temps toute espèce de réforme et que, dans sa pensée, il n'y avait aucune modification actuelle ou future à introduire dans nos lois électorales.

Mon honorable collègue n'a donc pas cessé un seul instant de persister dans la défense du projet de loi que nous avons soumis à la Chambre.

Ceci établi, il est temps, ce me semble, messieurs, d'en arriver enfin à l'examen des diverses propositions dont la Chambre est saisie, et de démontrer que, de toutes ces propositions, celles du gouvernement sont les plus conformes aux saines idées de réforme en une matière aussi grave.

Comme on vous l'a dit déjà, messieurs, le projet du gouvernement maintient tout ce qui existe aujourd'hui. Tout le système électoral en vigueur est conservé ; seulement nous proposons une certaine adjonction à la liste électorale. Voilà le projet du gouvernement dans son caractère général.

Que sont, au contraire, les autres propositions ? Elles conduisent au bouleversement complet de notre législation actuelle : on fait disparaître d'une manière absolue ce qui existe ; on diminue le cens sans aucune espèce de restriction, et je dirai sans aucune condition ; car la seule condition ou restriction qu'on y mette, celle de savoir lire et écrire, est absolument inefficace et, j'ose le dire, dérisoire.

Quelles sont les objections qu'on oppose à la proposition du gouvernement ? On dit : « C'est une œuvre de parti ; ce n'est pas une réforme ; l'adjonction des capacités aux listes électorales est un principe inconstitutionnel. »

C'est une œuvre de parti !.... En quoi donc, s'il vous plaît ? Il ne suffit pas d'affirmer ; il faut prouver de semblables assertions. La première disposition du projet de loi du gouvernement consiste en ceci, et remarquez-le, c'est à peu près toute la loi : « Seront considérés comme électeurs, s'ils payent la moitié du cens exigé aujourd'hui, ceux qui justifieront d'avoir fait des études moyennes pendant trois années. »

En quoi une pareille proposition a-t-elle le caractère d'une œuvre de parti ? Qui favorise-t-on ? Quels sont les privilégiés ? Quels sont ceux qui sont appelés au scrutin, à raison de leur opinion supposée favorable à l'un ou à l'autre parti ? Personne ne le dira !

La seconde proposition a pour objet d'admettre les employés du commerce et de l'industrie, jouissant de 1,500 francs de traitement et qui justifient d'avoir fait les mêmes études.

En quoi cette disposition a-t-elle le caractère d'un acte de parti ?

Enfin, la troisième proposition, qui complète l'article 3, admet au droit électoral les magistrats, les fonctionnaires et employés de l'Etat, de la province et de la commune, jouissant de 1,500 francs de traitement ; les ministres des cultes, et les instituteurs primaires diplômés.

Est-ce encore ici que se révèle l'esprit de parti ?

Et remarquez d'abord que cette troisième proposition n'a qu'une importance extrêmement médiocre. Combien y a-t-il de magistrats qui ne sont pas électeurs, ou qui ne le seraient pas dans le système de la proposition principale, qui n'admet la réduction du cens pour ceux qui auront (page 777) fait des études moyennes ? Combien y en a-t-il ? Je ne sais s'il en existe un seul.

Et maintenant, pour parler des fonctionnaires publics, combien y en a-t-il qui, sous l'empire de la législation actuelle, ne sont pas électeurs ?

Enfin, est-ce un esprit de parti qui a engagé le gouvernement à comprendre les ministres des cultes dans le 3° de l'article 3 ? Est-ce un esprit de parti qui y a fait figurer les instituteurs primaires diplômés, alors que, dans le système de la législation actuelle sur l'enseignement primaire, tous les instituteurs communaux sont, pour ainsi dire, placés sous l'influence du clergé ?

Une proposition de ce genre, considérée sans prévention, de bonne foi, avec impartialité, doit être, au contraire, reconnue comme une œuvre essentiellement dégagée de toute espèce d'esprit de parti.

Et jusque dans les moyens que nous proposons pour assurer l'exécution de la loi, on voit régner l'esprit le plus large, le plus libéral, le plus impartial. Personne n'est exclu : toutes les écoles, publiques et privées, sont admises. Un simple particulier, qui, en vertu de la liberté d'enseignement, aura ouvert une école privée réunissant les conditions déterminées par la loi, pourra délivrer des certificats au vu desquels on sera inscrit sur les listes électorales.

Il faut donc renoncer à parler d'esprit de parti, à propos du projet du gouvernement ; nous pourrions avec bien plus de raison adresser ce reproche, et il en a déjà été question lorsqu'on a discuté le programme de M. Dechamps ; nous pourrions, dis-je, avec bien plus de raison adresser ce reproche à la proposition d'abaissement du cens, telle qu'elle est formulée par les honorables MM. Nothomb et de Haerne.

On a pu dire, non sans fondement, que cette proposition aurait pour résultat de faire envahir le corps électoral par des masses d'individus ignorants, sur lesquels des influences de diverse nature pourraient aisément s'exercer.

Voyons maintenant le projet du gouvernement au point de vue de la Constitution. En quoi la proposition, que l'on appelle assez improprement l'adjonction des capacités, est-elle inconstitutionnelle ?

Je prie la Chambre de vouloir bien remarquer qu'il ne s'agit pas ici des capacités dans le sens qu'on attache à ce mot. Il y a ici une fiction légale que l'on peut discuter, que l'on peut trouver subtile, si l'on veut ; mais je répète que c'est une simple fiction légale ; ce sont, en réalité, des censitaires que nous avons voulu trouver.

Mais supposons même qu'aucun cens ne soit exigé pour cette adjonction des capacités aux listes électorales. J'ai fait remarquer, et je répète mon observation, que le n°3° de l'article 3 du projet du gouvernement n'aura, dans la pratique, que la plus minime importance, et qu'il ne doit s'appliquer qu'à une catégorie extrêmement restreinte de personnes : Supposons donc qu'il n'y ait pas de cens ! En quoi cela serait-il inconstitutionnel ?

Je le sais, on a prétendu, on a affirmé que cela serait inconstitutionnel. L'honorable M. Royer de Behr a fait là-dessus toute une théorie ; d'après lui, la capacité ne doit compter pour rien dans le corps électoral. En matière électorale, il ne reconnaît que des droits parfaitement égaux. L'homme le plus ignorant est pour lui l'égal de l'homme de génie.

Les honorables MM. Le Hardy et Couvreur ont affirmé également que le principe était inconstitutionnel. J'ai été fort étonné, je l'avoue, d'entendre cette assertion émise par ces trois honorables membres. Tous les trois, à une certaine époque, ont cependant adhéré à un programme fameux, au programme formulé par le congrès libéral en 1846, programme dans lequel se trouvait inscrit le principe de l'adjonction des capacités aux listes électorales.

Un de ces honorables membres a depuis longtemps renié les faux dieux ; il a brûlé ce qu'il adorait naguère. Mais les deux autres honorables membres, qui ont continué d'adhérer au programme, comment peuvent-ils soutenir aujourd'hui une pareille thèse ?

Et d'ailleurs, où a-t-on puisé la vérité de cette singulière assertion ? On a dit que c'était dans les discussions du Congrès national ; on a affirmé que le Congrès s'était prononcé dans ce sens, qu'il avait proscrit l'adjonction des capacités aux listes électorales ; on a raconté que cette proposition avait été formellement soumise au Congrès et que le Congrès l'avait formellement rejeté.

Eh bien, messieurs, il y a dans ces affirmations autant d'erreurs que de mois ; tout cela est complètement inexacte.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Lisez le discours de M. Le Hon.

MfFOµ. - Je répète que cela est complétement inexact. Voici ce qui s’est passé :

Lorsqu'on s'est occupé de l'article 47 de la Constitution, la section centrale, par l'organe de l'honorable M. Raikem, a présenté un rapport dans lequel il était énoncé que diverses sections avaient demandé que le droit électoral fût exclusivement basé sur le cens.

Le rapport de la section centrale ajoute : Sans rejeter cette opinion, la section centrale a pensé que c'était une question dont la solution devait être laissée au législateur.

La disposition de l'article 47 ayant été mise en délibération dans le sein du Congrès, M. Defacqz proposa de fixer, dans la Constitution, le maximum et le minimum du cens, et M. de Foere exprima l'idée que l'on pourrait admettre également les capacités au droit électoral. On se méprit sur sa pensée ; ou crut qu'il voulait adjoindre les capacités sans payement d'aucun cens, et il fit remarquer qu'il avait été mal compris, qu'il entendait qu'on pourrait admettre les capacités avec un cens réduit.

M. de Haerneµ. - Très réduit.

MfFOµ - Soit, avec un cens très réduit.

Cette opinion ne fut guère controversée. On exprima quelques opinions très affirmatives en vue du cens, et la proposition proposée par M. Defacqz fut adoptée.

Mais il n'y eut aucun amendement dans ce sens présenté par M. de Foere et il n'y eut ainsi aucun vote du Congrès sur la question.

Voilà la vérité.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Et la question préalable proposée par M. Devaux ?

MfFOµ. - Vous n'y êtes pas du tout ; vos souvenirs vous trompent.

Ce que je viens de rapporter se passait au sein du Congrès national au mois de janvier 1831. Au mois de février, le Congrès, qui agissait alors non plus comme corps constituant, mais comme pouvoir législatif, avait à faire la loi électorale et à fixer les conditions de l'électorat.

Un honorable membre, M. Van Snick, si je ne me trompe, proposa d'admettre les capacités sans le payement d'aucun cens. L'honorable abbé de Foere proposa de les admettre avec un cens réduit. Et que fit le Congrès ?

On opposa la question préalable à la proposition de M. Van Snick, parce que l'admission d'électeurs sans payement d'aucun cens était contraire à l'article 17 de la Constitution.

Mais quant à la proposition de M. de Foere, elle ne fut pas écartée par la question préalable ; elle fut mise en délibération par le Congrès ; elle fut discutée, mais elle ne fut pas adoptée.

Voilà donc ce qui s'est passé, quant à la question de capacité ; ces circonstances prouvent à toute évidence qu'on ne l'a jamais considérée comme inconstitutionnelle.

Sous l'empire de la Constitution, et si le cens n'avait pas été réduit au minimum fixé par la Constitution elle-même, il est hors de doute que, pour les élections générales, on eût pu admettre les capacités avec un chiffre très réduit, abaissé même jusqu'au minimum.

Si donc on proposait, pour les élections générales, aujourd'hui que le cens a été abaissé au minimum fixé par la Constitution, d'adjoindre, sous le titre de capacités, une certaine catégorie de citoyens, sans payement d'aucun cens, on ferait comme fit le Congrès en 1831, on proposerait, sur ce point, la question préalable.

Mais lorsqu'il s'agit des élections communales et provinciales, en quoi la discussion qui a eu lieu au Congrès peut-elle exercer la moindre influence au point de vue constitutionnel ?

Les conditions qui ont été déterminées par le Congrès pour les élections générales, ont-elles donc passé dans nos lois pour les élections communales et provinciales ? Est-ce que le cens pour les élections communales a été fixé au minimum de 20 florins, et est-il contraire à la Constitution de fixer ce minimum à 15 francs, à 10 francs, à 35francs. Evidemment non !

En effet, messieurs, qu'ont fait les auteurs de la loi de 1836 ? Ils ont admis les fermiers à se prévaloir d'une partie de la contribution payée par les propriétaires. Est-ce que, par hasard, cela se trouve écrit dans la Constitution ? Cela est-il autorisé par la Constitution ou en harmonie avec l'esprit de la Constitution, comme vous l'interprétez ? Nos lois ont admis encore une délégation du cens de la veuve à son fils ou à son gendre. Pouvez-vous admettre un pareil principe dans les élections (page 778) générales ? Encore une fois, non ; cela est impossible. Mais conclurez-vous de cette impossibilité à une prétendue inconstitutionnalité, ou à quelque chose de contraire à l'esprit de la Constitution dans l'application d'un principe analogue pour les élections provinciales ou communales ? Qui oserait le soutenir ? Personne assurément.

Vous voyez donc qu'en nous plaçant sur le terrain constitutionnel, on ne peut faire aucune objection à une adjonction de certaines capacités aux listes électorales, communales ou provinciales, même sans le payement d'aucun cens. Cela me paraît incontestable, à moins d'admettre comme inconstitutionnelles les propositions admises par la Chambre jusqu'à présent : celle du cens compté au locataire et payé par le propriétaire, celle de la délégation autorisée dans certains cas.

Mais je vais plus loin : je dis que la fiction légale que nous indiquons dans notre proposition, non seulement n'est pas inconstitutionnelle, mais même qu'elle n'est pas sans analogie dans notre législation actuelle. Ainsi, par exemple, un propriétaire laisse sa maison inhabitée pendant toute une année ; il n'a pas reçu de revenus ; dans ce cas la loi sur la contribution foncière permet de lui restituer entièrement l'impôt. Cesse-t-il cependant d'être électeur même pour les Chambres ? Non, il conserve son droit électoral.

M. de Mérode-Westerlooµ. - Parce qu'il a la base.

MfFOµ. - Précisément ! Parce qu'il a la base. Eh bien, les personnes mentionnées au n°3 du projet du gouvernement possèdent également la base de l'impôt. Si elles ne jouissaient pas de l'exemption, elles payeraient nécessairement une patente et une patente supérieure au cens réduit.

Le propriétaire foncier, dont la terre a été ravagée par un événement calamiteux, obtient de même la restitution de l'impôt foncier, et il continue néanmoins d'être électeur. Personne n'a prétendu jusqu'à présent qu'il ne dût pas en être ainsi. N'est-ce donc pas une position tout à fait analogue, à celle des citoyens qui sout dans la catégorie indiquée par le troisième paragraphe de l’article 3 de la proposition du gouvernement ?

On fait, messieurs, une autre objection : nous demandons trop en exigeant l'enseignement moyen. C'est là l'objection de quelques-uns. Nous sommes, au contraire, trop restrictifs, selon quelques autres. On prétend qu'il y a beaucoup d'autres catégories que celles qui sont désignées par le gouvernement, qui devraient être admises à titre de capacités ; ainsi on cite, les avoués, les notaires, les arpenteurs, les artistes vétérinaires, etc. On en cite beaucoup et l'on se plaint de l'insuffisance du projet.

C'est en quoi l'on prouve que l'on n'a pas compris, positivement pas compris, le mécanisme du projet de loi. Tous les individus dont on parle tombent en effet réellement sous l'application du projet de loi, et l'honorable M. Funck s'est complètement trompé sous ce rapport. Ils y sont compris parce qu'ils ont nécessairement fait les études moyennes que la loi exige, et parce qu'ils sont des patentables et des patentés payant le cens qui sera requis. (Interruption.)

Je ne prétends pas que toute personne payant le cens, mais n'ayant pas fait d'études moyennes...

M. Delaetµ. - Les médecins et les pharmaciens payent patente et sont pourtant compris dans le projet de loi.

MfFOµ. - Le projet de loi ne s'applique qu'aux médecins et aux pharmaciens des établissements publics, qui sont, à ce titre, exemptés de la patente.

M. Delaetµ. - Ils sont fonctionnaires ou employés.

MfFOµ. - Ils ne sont pas fonctionnaires ; ils exercent simplement leur profession ; mais la loi les a exemples de la patente parce que ce serait, en définitive, l'Etat ou l'établissement publie qui la payerait. (Interruption.)

- Un membre. - Et un médecin qui ne pratique pas ?

MfFOµ. - Je ne prétends pas qu'on ne découvrira pas, de par le monde, un docteur en science qui ne fait rien, un ingénieur qui n'exerce pas sa profession, un médecin qui ne pratique pas ; mais je dis que s'ils ne font rien, s'ils sont célibataires, occupant un appartement et ne payant pas d'impôts, ce sont là des mythes ou tout au moins des exceptions rares et que le législateur ne doit pas s'en occuper.

Nous n'avons pas voulu admettre d'une manière absolue la capacité proprement dite, comme vous l'entendez ; nous avons voulu admettre ceux qui payent l'impôt, ou ceux qui sont exemptés de payer l'impôt par des motifs d'intérêt public ; c'est en ce sens que je dis que nous avons en réalité des censitaires, et que l'objection même tirée de l'esprit de la Constitution manque de base.

Vient maintenant la deuxième objection : Vous exigez trop en demandant l'enseignement moyen ; il suffirait de savoir lire et écrire, et c'est en quoi diffèrent les propositions qui sont en présence, car la question du cens est ici tout à fait accessoire ; le cens est le même ou à peu près le même dans toutes les propositions : 15 francs, 10 francs, 7 fr. 50 ; il y aurait 15 francs et 10 francs au lieu de 7 fr. 50, que je ne saurais pas y voir une bien grande différence. Ainsi le cens est le même, ou à peu près, dans les diverses propositions ; ce qui importe donc. c'est la condition que l'on met à la réduction du cens.

Mais ici j'ai à soumettre à la Chambre une observation qui me paraît capitale : autre chose est de mettre une condition à une faveur que l'on accorde, et autre chose est d'opposer une barrière à l'exercice d'un droit. Dans le système de la proposition du gouvernement, nous accordons une faveur à ceux qui se trouvent dans certaines conditions que la loi détermine, mais nous n'excluons personne ; tous ceux qui peuvent arriver indépendamment de ces conditions, en vertu du droit commun actuel, à l'exercice du droit électoral, tous ceux-là continueront, comme par le passé, à jouir de ce droit. Mais il en est tout autrement dans le système des propositions qui imposent la condition de savoir lire et écrire ; car, on exclut par cette restriction les censitaires eux-mêmes, c'est-à-dire ceux qui payent le cens actuel.

Eh bien, messieurs, cela est très grave, et cela n'est pas juste. Savoir lire et écrire, c'est quelque chose, je le veux bien ; mais savoir seulement lire et écrire, n'est pas évidemment une preuve de capacité. Il est beaucoup d'individus qui, ne sachant ni lire ni écrire, sont de beaucoup supérieurs intellectuellement à ceux qui possèdent ces éléments d'instruction. L'antiquité a été peuplée d'hommes très distingués qui ne savaient ni lire ni écrire, et de nos jours nous avons aussi des hommes très remarquables pour leur jugement et leur intelligence, et qui ne savent cependant ni lire ni écrire.

Robert Stephenson n'apprit à lire, si je ne me trompe, qu'à l'âge de 40 ans, alors que sa renommée était déjà universelle. Savoir lire et écrire, c'est simplement posséder l'instrument nécessaire pour cultiver le terrain de l'instruction. Mais en soi-même, cela ne signifie absolument rien. J’ai lu quelque part, que la seule différence entre l'homme qui sait lire et écrire, mais qui ne pense pas, et l'homme qui ne sait pas lire et écrire, c'est la différence qui existe entre un perroquet qui parle et un perroquet qui ne parle pas,

Messieurs, ceux qui ont été aux prises avec les difficultés de la vie, qui ont travaillé, qui ont lutté, qui sont arrivés à développer leur intelligence et leur jugement, ceux-là sont des citoyens qu'il ne faut pas exclure parce qu'ils ne savent pas lire et écrire.

Ceux qui savent lire et écrire, s'ils n'arrivent pas à penser, ne possèdent absolument rien ; ce qu'il faut faire, ce sont des êtres pensants, et c'est par la puissance de la pensée seulement que l'on distinguera un homme dont l'intelligence est développée, qu'il sache lire ou non, d'un homme qui sait lire, mais dont l'intelligence est inerte.

Je regarde donc comme absolument injuste, dans l'état actuel de la société, d'exclure un homme qui, par son travail, son intelligence, sera arrivé à conquérir le cens électoral, parce qu'il ne saura pas lire et écrire. Sous ce rapport, les propositions qui sont faites et par l'honorable M. Guillery et par les honorables MM. Nothomb et de Haerne, me paraissent absolument inadmissibles.

Ces propositions diffèrent cependant beaucoup l'une de l'autre ; l'honorable M. Guillery seul applique son principe dans toute son intégrité ; les autres ne l'appliquent point. Adopter leur système serait un subterfuge qui serait tout à fait indigne du législateur.

Que fait-on, en effet, grâce à la proposition de MM. Nothomb et de Haerne ?

On commence par laisser envahir tout le corps électoral par les ignorants, et puis, à partir de 1870, lorsque les élections qui doivent avoir lieu en 1806 auront été faites on dira : Désormais il faudra savoir lire et écrire pour être inscrit sur les listes électorales ; c'est-à-dire que cette condition s'appliquera exclusivement à ceux qui atteindront successivement les conditions d'admission dans le corps électorat, c'est-à-dire un nombre extraordinairement restreint, comme vous pouvez le voir en suivant le mouvement de la progression des listes électorales.

Ce n'est donc point une proposition sérieuse.

Maintenant, quels sont les éléments qu'on va demander pour déterminer le cens électoral ?

Ici les propositions qui vous sont soumises diffèrent essentiellement.

D'après la proposition du gouvernement, la règle suivie jusqu'à présent est maintenue.

(page 779) D'après la proposition de l'honorable M. Guillery, on doit comprendre dans le cens tous les centimes additionnels, et même, si je ne me trompe, tous les impôts directs, de quelque nature qu'ils soient, payés dans les diverses communes.

D'après la proposition des honorables MM. Nothomb et de Haerne, les seuls centimes additionnels perçus au profit des provinces par la loi de 1821 seront comptés pour la formation du cens électoral.

Nous croyons que c'est la proposition du gouvernement qui seule puisse être admise et qui seule soit constitutionnelle.

Messieurs, l'honorable auteur de la proposition principale me paraît s'être fait une idée fort erronée de cette question des centimes additionnels. Il pose en principe, dans les développements de sa proposition, que les centimes additionnels de toute nature doivent être comptés pour la formation du cens électoral pour les Chambres. Il n'en fait pas l'objet d'une proposition de loi, parce qu'il considère la question comme ne pouvant être douteuse.

L'honorable membre affirme, dans ses développements, que tel a été le principe admis et suivi jusqu'à une certaine époque, avant 1836, je pense.

Mais l'honorable membre se trompe, messieurs ; il n'y a rien d'exact dans ce qu'il a énoncé sous ce rapport. Jamais, depuis la loi électorale de 1831, on n'a compté ni proposé de compter tous les centimes additionnels provinciaux et communaux pour la formation du cens électoral.

A une certaine époque, à la vérité, on a soutenu qu'on pouvait compter, pour la formation du cens, les centimes additionnels qui étaient dits alors centimes légaux, et dont la perception avait été rendue obligatoire pour la province et la commune en vertu de la loi de 1821. C'est sur ce point seulement qu'a porté la discussion ; mais jamais il n'a été question des autres centimes additionnels, et, en effet, il était impossible de soutenir une pareille proposition. Voici pourquoi.

Dans la discussion de la loi électorale de 1831, un membre du Congrès, M. Wannaert, proposa de faire compter tous les centimes additionnels provinciaux et communaux, et on lui objecta que ce serait remettre au corps subordonné ce qui doit appartenir nécessairement à la loi.

C'est, en effet, la loi qui doit nécessairement fixer les conditions de l'électorat. Il ne peut dépendre des administrations subordonnées de faire ou de défaire des électeurs. Il ne leur est pas permis d'établir des inégalités de condition entre les citoyens sous le rapport de l'exercice des droits électoraux.

Ainsi les conditions du cens varieraient suivant les besoins plus ou moins grands des communes, pour ne pas dire selon leur caprice. Cela est inadmissible. C'est ce que M. Lebeau fit observer. La proposition fut écartée et jamais plus elle ne fut reproduite.

Restent donc les centimes additionnels qui ont été qualifiés de légaux, d'obligatoires, et qui étaient uniformément perçus pour toutes les provinces et toutes les communes.

Ces centimes additionnels prenaient leur principe dans la loi de 1821, qui dispose à peu près dans ces termes : « Jusqu'à ce qu'il ait été autrement statué par nous sur les finances communales, il sera perçu 3 et 7 centimes additionnels au profit des provinces et des communes. »

En 1830, la Constitution fut formulée et elle disposa que nul impôt à charge de la province ou de la commune ne pouvait exister que du consentement des conseils provinciaux et communaux, sauf les exceptions déterminées par la loi. C'était là une simple déclaration de principe, devant laquelle continuaient de subsister les lois antérieures.

Mais enfin, la loi de 1836 sur l'organisation communale a tracé les règles à suivre en matière d'impositions communales. Elle a décidé d'une manière absolue que les provinces et les communes s'imposeraient comme elles l'entendraient, sauf l'approbation royale.

Par cela même, la loi de 1821 a disparu. Les communes et les provinces ne sont plus obligées de maintenir les centimes additionnels, dits légaux, de la loi de 1821. Et en effet, il y a des communes qui ne perçoivent plus les 7 centimes additionnels prescrits par cette loi, et nous marcherons probablement de plus en plus vers l'extinction de cette perception.

Par exemple, toutes les communes rurales qui, grâce au fonds communal, trouvent les ressources qui leur manquaient autrefois, supprimeront successivement les autres impôts qui leur seront inutiles.

On ne pourrait donc pas, en se prévalant de la loi de 1821, prétendre qu'il y a lieu décompter les centimes additionnels, soit pour la province, soit pour la commune, dans la formation du cens électoral.

Nous devons nous en tenir aux principes qui ont régi cette matière jusqu'à présent, et qui sont les seuls constitutionnels.

Je dis constitutionnel, parce que c'est de la loi seule qui fixe le cens, que peut dériver la capacité politique du citoyen, et non de la décision d'un conseil communal ou provincial.

Je n'ai pas besoin de faire remarquer les étranges anomalies qui proviendraient du système consistant à compter pour la formation du cens tous les centimes additionnels provinciaux et communaux. On sait, en effet, que la quotité de ces centimes diffère beaucoup de province à province et surtout de commune à commune. Il en résulterait les plus choquantes inégalités.

Cela écarté, messieurs, il reste encore le système résultant de l'uniformité du cens.

Je ne sais pas, pour ma part, quelle vertu l'on découvre dans l'uniformité du cens. Je ne sais pas pourquoi nous devons avoir absolument le même niveau pour déterminer les conditions de l’électoral dans des collèges différents.

Qu'importe à la bonne administration du pays que des électeurs soient censitaires à Bruxelles pour la commune à raison d'un cens de 40 fr. et que, dans un village voisin, ils soient censitaires à raison d'un cens différent ? Je n'aperçois donc pas la raison si séduisante de l'uniformité. D'ailleurs l'uniformité serait peu juste dans le système de nos impôts.

La manière dont ils sont établis fait crouler par la base le système de l'uniformité du cens. Nos impôts sont différentiels, et ils sont différentiels parce qu'on a voulu, avec raison, les mettre en harmonie avec la nature des choses. Par exemple, je possède un immeuble d'une valeur de 100,000 fr. ; s'il est situé en ville, il aura une valeur locative de 5,000 fr. je suppose ; mais ce même immeuble d'une valeur vénale de 100,000, s'il est situé à la campagne, n'aura guère qu'une valeur locative de 600 fr. Or, les impôts étant assis sur la valeur locative, comment serait-il juste de mesurer la capacité des individus d'après un chiffre uniforme d'impôt payé n'importe dans quelle condition ?

Evidemment cela n'est pas admissible. Aujourd'hui je ne veux pas insister sur ce point ; je veux seulement faire comprendre que l'on est à la recherche d'une chimère quand on veut trouver l'égalité en cette matière. Ce que l'on ne sait pas ou ce que l'on oublie, c'est qu'il existe en Belgique 300 à 400 communes dans lesquelles il est impossible de former un collège de 25 électeurs payant 15 francs ; et comme, la règle de l'uniformité existant, il faudrait prendre le cens le plus bas, il en résulterait qu'il faudrait descendre jusqu'à un franc et même au-dessous... (Interruption) car il y a des communes dans lesquelles on est électeur en payant un franc d'impôt. La recherche de l'uniformité est donc une pure chimère.

Maintenant on nous a dit que si l'uniformité n'est pas possible, que si l'on ne peut pas étendre le nombre des électeurs par les centimes additionnels, on peut 1'élendre au moins par la division des cotes de la contribution personnelle.

Celte proposition en a fait surgir une autre, que vient tout à l'heure de caractériser l'honorable M. Kervyn, en la restreignant, pour le moment, aux élections communales et provinciales. Ces deux propositions procèdent de deux principes essentiellement différents.

L'obligation légale, en matière de contribution personnelle, conforme encore au surplus à la nature des chose ; c'est que la personne doit l'impôt pour l'appartement qu'elle habile, pour les fenêtres qui éclairent, pour le mobilier qu'elle possède, pour les domestiques, pour les chevaux qu'elle emploie. Pour l'impôt foncier, au contraire, l'obligation légale est celle du propriétaire.

C'est le propriétaire qui doit payer. (Interruption.) C'est le propriétaire qui est légalement le débiteur du trésor.

Quant à la première proposition, celle qui est relative à la division des cotes de la contribution personnelle, je fais remarquer que cette division est de droit en principe ; la loi le dit formellement. Aux termes de l'article 6, cette contribution est due par tous ceux, propriétaires ou non, qui occupent des habitations ou bâtiments, et les motifs donnés à l'appui dans un mémoire explicatif sont les suivants :

« II s'agit d'un impôt personnel, qui est dû et doit être acquitté, non par le propriétaire en cette qualité, mais par l'usager, propriétaire ou autre, des habitations et bâtiments, portes et fenêtres, foyers, meubles, domestiques et chevaux, passibles de cette imposition. »

C'est donc le principe général, c'est la règle. Il y a exception pour le cas où le propriétaire occupe la maison et sous-loue, ou pour le cas où il y a un sous-locataire principal qui sous-loue à son lotir.

L'idée de faire disparaître cette exception, car ce n'est qu'une exception, m'avait été suggérée par une personne de mon intimité qui, (page 780) connaissant mes sentiments en cette matière, savait que, si l’extension était possible, je m'y serais associé.

J'avais d'abord accueilli cette idée avec beaucoup de faveur ; lorsque la proposition de M. Couvreur fut ultérieurement formulée, il m'a paru qu'il y avait, en effet, quelque chose de très admissible dans cette proposition. Mais je l'ai soumise à un examen, d'où il résulte que l'on arriverait par ce moyen à un résultat tout à fait contraire à celui que l'on veut atteindre : au lieu d'avoir un accroissement du nombre des électeurs, on arriverait à une réduction.

Ce n'est pas là ce que veut l'honorable M. Couvreur ; si sa proposition doit réellement avoir ce résultat, il ne saurait la maintenir, et pour mon compte, je ne saurais l'accueillir. Or, vous allez comprendre, messieurs, qu'il doit en être ainsi dans la plupart des cas.

Dans le système de la loi, lorsque le propriétaire sous-loue ou lorsque le principal locataire sous-loue, il est obligé de quintupler la valeur locative pour représenter la valeur totale de son mobilier et de celui de ses sous-locataires. Or, il se trouve que, presque toujours, c'est par suite de cette circonstance que le locataire principal devient électeur ; il n'atteint le cens que grâce à cette évaluation du mobilier qui est très onéreuse...

- Une voix. - Qui n'est pas juste.

MfFOµ. - ... qui n'est pas juste et que j'ai même proposé de réformer dans le projet de loi déposé en 1849. Cette obligation a pour résultat une élévation très considérable du chiffre de l'impôt, et l'on a constaté que des propriétaires de magasins de la rue de la Madeleine, par cela seul qu'on y sous-loue, sont censés avoir un mobilier d'une valeur plus considérable que celle d'un riche hôtel du quartier Léopold.

Voilà la situation actuelle. Qu'arriverait-il donc dans le cas où l'on opérerait la division des cotes ? Il arriverait que désormais le mobilier de chacun sera évalué séparément, par l'expertise, c'est-à-dire, à un taux extrêmement bas, comme l'honorable membre l'a fait rcmarquer lui-même.

Eh bien, messieurs, vous perdriez de cette façon un électeur général ; et croyez-vous que vous allez trouver en échange deux électeurs communaux ? Dans bien des cas vous n'en trouverez pas même un. Donc à ce point de vue-là et sauf meilleur examen...

M. Couvreurµ. - C'est une question de statistique.

MfFOµ. - Oui, et si je me prononce dans ce sens, c'est précisément parce que j'ai fait quelques recherches qui m'ont démontré les inconvénients du système proposé. J'ai fait examiner, dans les registres des receveurs des contributions, quel aurait été le résultat probable d'une pareille mesure, et il est résulté de cet examen la probabilité d'une réduction du nombre des électeurs. Or, ce n'est pas là ce que l'on cherche. Ceci s'applique, à l'exception prévue par l'article 7 de la loi de 1822.

Dans le second cas d'exception, qui est celui de l'article 9 de la même loi, il ne s'agit, dans la plupart des cas, que de maisons d'une valeur locative trop minime pour qu'on puisse arriver au cens, même actuellement ; à plus forte raison, s'il y avait division des cotes. C'est donc dans la seule hypothèse de l'article 7 que l'on pourrait espérer parfois quelque résultat favorable.

Or, les sous-locations n'ont quelque importance que dans les grandes villes et particulièrement à Bruxelles. Mais voyez combien les effets de la division des cotes seraient restreints même dans la capitale.

A Bruxelles, par exemple, beaucoup de membres des deux Chambres occupent des appartements pendant la durée des sessions législatives ; la plupart des étudiants étrangers sont également sous-locataires. La division ne profiterait donc à personne et elle ferait disparaître des électeurs ; cela est de toute évidence.

D'ailleurs, en général, ces appartements ne sont pas loués pour un terme assez long pour placer ceux qui les occupent dans les conditions prescrites par nos lois pour être électeurs ; car je suppose que l'obligation de payer l'impôt depuis deux ans et pendant l'année courante serait maintenue et appliquée d'une manière générale ; sinon, des fraudes seraient inévitables. L'honorable membre l'a très bien compris, puisque sa proposition impose l'obligation de payer d'avance l'année entière. Mais ce serait une condition trop rigoureuse, dans le cas où l'on ne voudrait pas frauder, et elle serait insuffisante si elle devait avoir pour objet de prévenir la fraude.

II me reste, messieurs, à parler de la proposition de l'honorable M. Kervyn, proposition que je regrette d'avoir vu introduire dans ce débat, autant que j'ai été surpris de voir parmi les noms de ses auteurs celui de l'honorable M. Schollaert, après l'avoir entendu déclarer qu'il fallait bien se garder de toucher à aucune disposition de nos lois électorales. Etendue aux élections générales et provinciales, une disposition de ce genre, messieurs, il faut le dire franchement, serait un des actes de parti les plus violents qu'on pût imaginer.

Que demandez-vous en effet, par cette proposition ? Vous ne vous contentez pas de la législation actuelle pour les élections communales, et qui est déjà exorbitante, qui permet au fermier de compter le tiers de la contribution foncière sans réduction du droit du propriétaire, disposition qui n'est pas même étendue aux propriétaires de maisons, car elle ne s'applique qu'aux propriétés foncières proprement dites.

Vous ne vous contentez pas de cela ; vous demandez pour les élections provinciales aujourd'hui, demain pour les élections législatives, que tout propriétaire foncier puisse faire des électeurs en proportion d'une cote foncière ! Il pourra en créer autant que sa contribution foncière comprendra de fois le cens électoral.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je m'expliquerai.

MfFOµ. - Avec des maisons, cela n'est pas possible ; les maisons ne se divisent pas ; mais avec la terre, rien de plus simple, on la divisera en autant de parties qu'on voudra faire de censitaires.

M. Dumortier. - C'est impossible, il ne suffira pas de payer le cens, il faudra encore cultiver.

MfFOµ - Oui, il suffira d'avoir un bail, et encore on ne le dit pas, comme l'on ne dit pas davantage quelle serait la durée du bail.

M. Dumortier. - Et cultiver.

MfFOµ. - Ecoutez-moi, voici de l'histoire.

Lors de la réforme en Angleterre, en 1832, on a proposé d'accorder le droit électoral aux fermiers en possession de baux à long terme. Par exemple, pour un bail de 60 années et plus, le fermier se trouvait être électeur pourvu que son fermage atteignît le chiffre de 10 livres sterling ou 250 francs. Pour les baux inférieurs à 60 années, on avait admis le droit électoral pour ceux qui payaient 1,250 francs de loyer.

Le marquis de Chandos proposa une clause en vertu de laquelle la franchise électorale aurait été accordée également à ceux qui auraient des baux non limités, comportant un certain loyer. Qu'cst-il arrivé ? C'est que la plupart des grands propriétaires fonciers de l'Angleterre, désireux d'étendre leur influence électorale, ont divisé leurs domaines entre des tenants à volonté, c'est-à-dire entre des fermiers qui pouvaient être expulsés du jour au lendemain, et qui, par conséquent, étaient sous la dépendance absolue du propriétaire.

Et ces baux, messieurs, se sont multipliés de telle sorte, que quelques personnes y ont vu un obstacle à la bonne exploitation de la propriété.

Permettez-moi donc de croire que si une disposition analogue était introduite dans noire législation, et si du terrain communal on passait sur le terrain politique, où la passion est d'ordinaire plus vive, les grands propriétaires fonciers, pouvant diviser leurs cotes foncières et faire des censitaires, pour ainsi dire à volonté, ne manqueraient pas d'user de ce moyen d'influence électorale.

M. Coomans. - Vos brasseurs ne font-ils pas électeurs des cabaretiers ?

MfFOµ. - Il m'est impossible de tout dire à la fois ; nous arriverons peut-être à cette question là tout à l'heure.

Je dis qu'un système électoral qui serait établi chez nous sur de pareilles bases, ne résisterait pas un seul instant à la pratique qui en serait faite ; il serait inévitablement renversé en très peu de temps, parce que cela n'est pas juste et qu'on ne peut pas attribuer ainsi la faculté de créer des droits électoraux.

S'il y a d'autres moyens à trouver, je le veux bien ; je suis tout disposé à y prêter les mains : je reconnais que l'élément dont vous vous occupez (page 781) est un élément très sage, très important dans la société, et qu'il serait désirable de le voir figurer en plus grand nombre dans le corps électoral, s'il est constaté toutefois qu'il n'y est pas suffisamment représenté. Cet élément n'est d'ailleurs pas le seul qui réunisse ces qualités ; il en est d'autres, très respectables aussi, qu'il serait juste, d'investir de l'électoral. Il en est ainsi, notamment, de nos ouvriers d'élite, de nos contre-maîtres, etc., qu'il serait désirable de faire arriver au scrutin ; et je ne pense pas que notre proposition y mette obstacle, puisqu'elle admet, par exemple, les employés à 1,500 fr. de traitement, qui ont fréquenté pendant 3 années une école moyenne. Cette mesure rendra certainement l'urne accessible peu à peu à un grand nombre de citoyens qui feront honneur au corps électoral.

Mais il ne faut pas chercher par des moyens violents à obtenir ce résultat ; et je suis persuadé que si l'honorable membre avait examiné sa proposition à ce point de vue, il ne l'eût point présentée.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je la justifierai demain, si la Chambre veut bien me le permettre.

MfFOµ. - Messieurs, vous avez pu voir avec quelle violence on s'est, dans un pays voisin, élevé contre la proposition d'établir un double vote. Or, que vient-on nous proposer ? Le double vote au minimum, et le vote triplé, quintuplé, décuplé même selon l'importance de chaque cote foncière !

Une pareille proposition n'est évidemment pas acceptable ; elle serait de nature à altérer profondément la Constitution.

Et d'abord, entendez-vous que, ce cens se trouvant délégué par le propriétaire à ceux qu'il trouvera bon de faire électeurs, ce même cens continuera à être compté au propriétaire ?

M. Kervyn de Lettenhove. - La moitié de l'impôt compte au propriétaire, l'autre au fermier.

MfFOµ. - Et les éligibles au Sénat ?

M. Kervyn de Lettenhove. - Nous ne nous occupons que des élections provinciales et communales.

M. de Naeyerµ. - Il y aura toujours des éligibles.

MfFOµ. - Oh ! sans doute, puisque, à défaut d'un nombre suffisant de propriétaires payant le cens, on descend, pour compléter le nombre, en prenant ceux qui payent successivement le cens le plus élevé. Mais alors au lieu d'avoir ce que la Constitution a voulu, c'est-à-dire une grande représentation de la propriété, vous n'aurez plus qu'un élément qui sera tout à fait analogue à celui de la Chambre des représentants ; vous aurez des citoyens payant un cens beaucoup plus réduit, pour peu que votre système reçoive une application un peu étendue.

M. Kervyn de Lettenhove. - Elle ne concerne que les élections provinciales et communales.

MfFOµ. - Je le sais bien, l'honorable membre a déclaré déjà que sa proposition s'applique principalement aux élections provinciales et communales, mais cette proposition est susceptible d'une application plus étendue.

M. Kervyn de Lettenhove. - Plus tard.

MfFOµ. - Evidemment, plus tard ; mais je dénonce dès à présent la portée de votre proposition ; je la dénonce comme renfermant un principe des plus dangereux et des plus contraires à l'esprit de notre Constitution.

M. Vleminckxµ et M. de Moorµ. - M. Schollaert lui-même l'a dit.

MfFOµ. - Maintenant, messieurs, quels sont les résultats probables des divers projets de réforme qui sont en présence ?

Pour le projet du gouvernement, la condition des trois années d'études moyennes ne doit pas amener, du moins quant à présent, un très grand changement dans le corps électoral ; l'esprit du corps électoral ne doit pas en être essentiellement modifié. Notre projet est une proposition d'avenir ; le principe qu'il tend à consacrer doit fructifier ; c'est à mesure que l'instruction se développera que nous pourrons amener à l'urne électorale un plus grand nombre de citoyens payant le cens réduit, mais, pour le moment, il n'y a pas à craindre de ce chef un très grand envahissement du corps électoral. Tout le monde doit être d'accord sur ce point.

Quant aux autres propositions, ce que leurs auteurs ont négligé de faire, c'est de nous dire quel résultat ils espèrent atteindre. Où va-t-on avec le cens uniforme à 15 francs ? Où va-t-on avec les propositions de réduction du cens à 15 et à 10 francs ? Où va-t-on avec les propositions des honorables MM. Nothomb et de Haerne ? La Chambre ne possède absolument aucune espèce d'éléments, de renseignements ni d'indications quelconques à cet égard.

Il est fort étrange assurément qu'on propose une réforme aussi considérable, qu'on demande de descendre du cens de 42 fr. à celui de 15 fr. sans se donner la peine de dire où l'on va, d'indiquer au moins les résultats probables d'une pareille modification.

Messieurs, l'administration s'est livrée à quelques recherches sur ce point ; je n'ai pas eu le temps de les contrôler ; mais d'après les éléments qui m'ont été soumis, j'estime que, par la proposition de l'honorable M. Nothomb, le nombre des électeurs communaux serait porté à 350,000 au moins, dans lesquels on compterait 80,000 cabaretiers. (Longue interruption.)

Si l'on appliquait le suffrage universel, en excluant les aliénés, les incapables, les indigents, j'estime qu'on arriverait à 900,000 électeurs. Or, comme il y a quelque chose comme 100,000 cabaretiers, ils seraient exactement, en ce qui concerne le corps électoral communal, dans la même proportion pour laquelle ils figurent dans le corps électoral pour les Chambres, situation qui a fait l'objet de toutes les critiques de M. Coomans.

Maintenant, je demande si les honorables membres qui s'insurgent contre ces pauvres cabaretiers vont admettre la proposition qui nous est faite ? La Chambre est en présence de deux propositions : celle du gouvernement qui les exclut, celle de l'honorable M. Nothomb qui les fait entrer en plus grand nombre dans le corps électoral. (Interruption.)

Comment ! notre proposition ne les exclut pas ! Combien trouvez-vous de cabaretiers ayant fait trois années d'études moyennes ? (Interruption.)

Ils ne feront pas partie du corps électoral là où le cens sera supérieur à 15 francs. Et, lorsque vous abaissez le cens à 15 ou à 10 francs, vous amenez une nouvelle adjonction très considérable de cabaretiers. Nous, je le répète, nous n'admettons pas les cabaretiers, à moins qu'ils ne justifient d'avoir fait trois années d'études moyennes, en d'autres termes, à moins qu'ils ne présentent les garanties qu'on requiert de tous les autres citoyens.

Dans ce cas, il n'y a pas de raison de les frapper d'ostracisme.

Certes je ne prétends pas que ce soit là l'élément le meilleur du corps électoral : mais il ne faut pas non plus tomber dans l'exagération à ce sujet. La moitié et même les trois quarts des cabaretiers sont de simples ouvriers, des journaliers. La femme tient le cabaret, et l'ouvrier trouve un supplément à sa journée dans le petit commerce exercé par sa femme.....

M. Coomans. - J'aime mieux les vrais ouvriers que les cabaretiers.

MfFOµ. - Sans doute ; je préfère même les ouvriers qui ne vont pas au cabaret ; mais il ne faut pas non plus frapper d'une réprobation générale tous les cabaretiers ; tout le monde sait, je le répète, que les cabaretiers sont, en grand nombre, de simples journaliers. En tous cas, ce qui est clair, ce qui est manifeste, c'est qu'ils n'obtiennent point de faveur dans le système du gouvernement, tandis qu'ils seront nécessairement électeurs par l'abaissement du cens, d'après les propositions que nous combattons.

Messieurs, je crois avoir, sans entrer dans les détails, que nous pourrons réserver pour les articles, apprécié dans leurs caractères principaux les diverses propositions qui vous sont soumises. J'espère que j'aurai réussi à vous éclairer un peu plus sur la portée de ces propositions et sur les conséquences qu'elles peuvent avoir ; je me persuade qu'après les explications que j'ai eu l'honneur de donner à l'assemblée, la proposition du gouvernement aura pris, aux yeux de la majorité de cette (page 782) Chambre, le caractère d'une bonne loi, d'une loi sagement progressive, d'une loi qui est en harmonie avec nos institutions et qui s'inspire de cette maxime salutaire en politique ; améliorer tout en conservant.

- Des membres. - La clôture !

M. Dumortier. - J'ai demandé la parole pour répondre à M. le Ministre des finances. J'espère que la Chambre voudra bien m'entendre.

- Des membres. - Oui. A demain !

MpVµ. - Il n'est pas dans les usages de la Chambre de clore après le discours d'un ministre, quand un membre s'est fait inscrire pour lui répondre.

- La suite de la discussion générale est remise à demain.

La séance est levée à 5 heures.