(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 61) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure : et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction du procès-verbal est adoptée.
M. Thienpont,. présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Des habitants de Bruges demandent l'achèvement des travaux décrétés pour l'approfondissement du canal de Gand à Bruges. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Reynaert, greffier de justice de paix, demande la suppression des mots « au comptant » dans l'article 15 du projet de loi sur l'organisation judiciaire et prie la Chambre de rejeter l'amendement proposé à l'article 228 de ce projet. »
- Renvoi à la commission qui a examiné le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
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« Le sieur Nicolas Schaegen, instituteur communal à Ourthe, né à Clervaux (grand-duché du Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Eliasµ. - Messieurs, la Chambre avait ordonné le renvoi à la commission des pétitions de plusieurs pétitions relatives aux propositions de modifications à des dispositions des lois électorales. La commissions des pétitions a décidé le dépôt de ces pétitions sur le bureau de la Chambre pendant la discussion actuelle. Comme nous n'examinerons aucun feuilleton de pétitions avant la fin de cette discussion, je viens proposer à la Chambre d'ordonner immédiatement le dépôt des pétitions dont je parle sur le bureau de la Chambre.
- Cette proposition est adoptée.
M. Delaetµ. - Avant d'aborder la tâche que j'ai assumée, tâche rude, difficile, peut-être au-dessus de mes forces, j'ai, messieurs, un aveu à vous faire et une prière à vous adresser. Voici l'aveu : J'ai longtemps hésité hier à demander la parole. Sous le point de vue de l'art oratoire, je ne suis pas de taille à lutter avec mon honorable et très éloquent ami M. Schollaert et la comparaison immédiate que vous serez amenés forcément, et pour ainsi dire malgré vous, à faire entre sa parole et la mienne ne sera guère flatteuse pour mon amour-propre. Un motif plus grave cependant me retenait. Le respect dû à cette Chambre et au pays qui nous écoute ne permet l'improvisation qu'en une certaine mesure ; si la forme du discours peut être laissée à l'inspiration du moment, le fond doit être bien déterminé, bien circonscrit et arrêté d'avance, et celui qui a l'honneur de s'adresser à vous doit bien savoir ce qu'il a à vous dire et dans quel ordre il va vous le dire.
Or, messieurs, si je suis en ce moment en mesure de remplir la première de ces conditions, je n'oserais vous promettre absolument de le conformer à la seconde, et si j'ai hésité hier, c'est que je n'ignorais point qu'il me resterait à peine le temps de classer mes idées.
Cet aveu fait, voici la prière : Je crois avoir, en abordant cette tribune, un double titre à votre indulgence. J'y succède à mon honorable ami M. Schollaert, et je vais improviser. Je vous prie donc, messieurs, de ne point me refuser cette indulgence dont j'ai besoin. Pardonnez-moi une forme mal étudiée, un classement d'idées peu méthodique. Quant aux pensées que j'aurai à vous soumettre, aux sentiments que je pourrai exprimer, je n'ai pas d'indulgence à réclamer ; ce sont ceux de toute ma vie. Cependant, si un mot, excédant ma pensée, pouvait blesser quelqu'un dans cette enceinte ou ailleurs, je déclare le désavouer et le retirer d'avance. Dans ma conviction la plus profonde, la situation où nous nous trouvons est trop grave, la question que nous agitons trop haute, la solution que nous cherchons trop importante, pour qu'aucun de nous ait le droit de troubler par de mesquines considérations personnelles, par des mobiles d'amitié ou d'inimitié politiques, la haute sérénité de ce débat.
On a dit et l'on a répété bien souvent, messieurs, depuis quinze jours, que c'est la constitution même de notre édifice politique que nous discutons en ce moment.
Je le crois comme vous, messieurs, mais je ne le crois pas de la même manière que plusieurs d'entre vous. Je crois que nous sommes bien près de la vérité, mais que pourtant nous nous trouvons sur un terrain tout à fait faux.
On a agité la question du suffrage universel. Mais, messieurs, cette question, qu'au point d vue théorique on peut discuter, n'est pas du tout en jeu quant à la pratique, et je vais vous en donner une preuve péremptoire : le seul membre de cette Chambre qui se soit déclaré prêt à introduire la question du suffrage universel comme question pratique vous a déclaré en même temps qu'il ne trouverait pas, dans cette enceinte, quatre de ses collègues pour signer une proposition dans ce sens. Et pourtant, messieurs, c'est bien le principe du suffrage qui est en cause. On vous a dit, du côté de la Chambre où je siège, que le suffrage est un droit naturel aux citoyens d'un pays libre, On vous a dit, d'autre part, que c'est une fonction.
Nos principes, messieurs, sont très divergents et pourtant, comme, conclusion pratique, nous n'en avons qu'une seule en commun : c'est que, droit naturel ou fonction, le suffrage peut être limité en vue d'un intérêt d'ordre public, Que le suffrage soit de droit naturel dans les pays libres ; qu'il le soit surtout dans un pays dont la Constitution proclame par un de ses articles que tous les pouvoirs émanent de la nation ; cela n'est pas contestable, à mes yeux. Mais, répond-on, un droit naturel ne peut pas être limité.
Messieurs, je ne connais pas de droit naturel qui ne soit essentiellement limité dans un intérêt d'ordre public.
Les citoyens ne peuvent se marier qu'à un certain âge ; la consanguinité à certains degrés constituant des empêchements légaux et absolus au mariage.
Le droit d'aller et de venir est un droit naturel, et pourtant il n'y a pas si longtemps qu'on a aboli les passeports, et ils ne sont pas même supprimés universellement aujourd'hui.
Le droit d'exprimer sa pensée est un droit naturel, et pourtant, même, dans certains pays libres, on y met des conditions et des limites.
Ainsi donc le droit de suffrage est dans le cas de tous les autres droits naturels : il peut, dans un intérêt d'ordre public, être limité.
Dans le système du gouvernement, du moins en théorie ; le suffrage est une simple fonction exercée par quelques citoyens au profit de tous. Quelle est la conclusion pratique du gouvernement ? C'est qu'il a le droit de limiter ces fonctions.
Donc, comme conclusion pratique, il n'y en a qu'une. Mais voici où nous nous séparons.
J'appelle sur ce point toute votre attention, car il sortira de là la solution de ce problème : Sommes-nous un pays démocratique ? Sommes-nous un pays libre ? Ou ne le sommes-nous pas ? Si le suffrage est un droit naturel, il est évident qu'il ne peut être limité que par des motifs d'ordre public et dans les limites les moins étroites possibles. Si, au contraire la suffrage est une fonction, il s'ensuit qu'il doit être restreint dans les limites les plus étroites possibles. Voilà les déductions logiques de l'un et de l'autre système.
Mais le gouvernement lui-même, en pratique, nie que le suffrage soit une fonction. Si le suffrage était une fonction aux yeux du gouvernement, une fonction exercée par quelques-uns, au profit et pour le compte de tous, il est évident que le gouvernement devrait faciliter aux fonctionnaires l'exécution de leur mandat, qu'il devrait rapprocher l'urne de (page 62) l'électeur, qu'il ne devrait pas astreindre certains de ces fonctionnaires publics à nous donner leur temps et à négliger leurs affaires au delà du strict nécessaire ; qu'il devrait, s'il les soumet à cette corvée, les indemniser, du chef de la fonction publique qu'ils exercent.
Or, le gouvernement refuse de faciliter l'accès du scrutin et d'indemniser ceux qu'il appelle à remplir leurs fonctions, dans des conditions beaucoup moins favorables que celles qui sont assurées à d'autres.
Donc, du moment qu'il s'agit d'appliquer le suffrage, le gouvernement considère l'émission de ce suffrage, non plus comme une fonction, mais comme un droit.
Messieurs, ce qui distingue ce débat, c'est une double et évidente contradiction, en ce sens, d'un côté, que le débat s'établit principalement sur le suffrage universel, d'un autre côté, que tout le monde, je dis tout le monde, est partisan d'un abaissement de cens.
On nous a fait le reproche de ne point être de bons patriotes, parce que nous voulons l'abaissement du cens, et pourtant tout le monde veut l'abaissement du cens.
Le programme de 1864, l'honorable M. Guillery, l'honorable M. Couvreur, le gouvernement plus que d'autres, mais à certaines conditions, que j'aurai à juger tout à l'heure, et je prierai l'honorable M. Dumortier de me permettre cette petite indiscrétion, l'honorable M. Dumortier lui-même...
M. Dumortier - Où avez-vous trouvé cela, s'il vous plaît ? Vous avez découvert cela, comme vous avez découvert que la droite avait adopté le programme de l'honorable M. Dechamps.
MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.
M. Delaetµ. - Pardon ! M. Dumortier a le droit de m'interrompre, puisque j'ai une explication à lui demander.
MpVµ. - Personne n'a le droit d'interrompre. Voulez-vous lui céder la parole ?
M. Delaetµ. - J'ai demandé à l'honorable M. Dumortier la permission de faire une petite indiscrétion ; mais je me trompe, il ne s'agit pas d'une indiscrétion, car je n'ai pas été, il s'en faut, son seul confident.
Le système de l'honorable M. Dumortier consiste à abaisser le cens de 10, 20, 30, 40 pour cent.
M Dumortierµ. - Pas du tout. Vous avez encore inventé cela. Si tel était mon système, j'aurais eu le courage de le présenter.
M. Delaetµ. - L'honorable M. Dumortier oublie probablement que j'ai un fait public à invoquer, un fait qui est consigné aux Annales parlementaires.
Il a dit qu'avant de voter le projet de loi et pour y échapper, il voterait le projet de l'honorable M. Guillery amendé par l'honorable M. Nothomb.
M. Dumortier. - Je n'ai jamais dit cela, à aucune époque.
M. Delaetµ. - C'est consigné aux Annales parlementaires.
M. Dumortier. - Je n'ai jamais dit que je voterais ni le projet de M. Guillery ni les amendements de M. Nothomb ; jamais !
M. Royer de Behr. - Vous l'avez dit. Vous vouliez noyer les cabaretiers.
M. Delaetµ. - Je n'insiste pas, messieurs, je me borne à renvoyer l'honorable M. Dumortier aux Annales parlementaires.
Nous voulons donc chacun notre abaissement de cens ; seulement, ceux qui, comme moi, croient que le suffrage est un droit naturel veulent un abaissement de cens général, profitant à tous les citoyens capables et ne font pas de catégories.
Le gouvernement, lui aussi, est logique ; il voit dans le suffrage un privilège et il étend le privilège ; il fait des catégories : il choisit parmi les membres de la nation qu'il croit probablement les plus éclairés, c'est-à-dire les plus favorables à sa politique, car il présume avoir les lumières jour lui ; et il désigne ceux-là pour avoir accès au scrutin.
Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous dire tout à l'heure que je suis malheureusement contraint d'improviser, non pas seulement la forme de mon discours, mais un peu l'ordre dans lequel je vous présente mes idées. Vous me pardonnerez donc d'aborder une autre question, sauf à insister plus tard sur ce que je viens de dire.
Hier, j'ai beaucoup souffert, messieurs ; j'ai souffert parce qu'un de nos amis, aux applaudissements de la gauche, est en quelque sorte venu formuler contre nous l'accusation de mettre en péril la sécurité même du pays.
Il est venu nous dire que ce débat était inutile, ce qui déjà ne serait pas très bien mais il a ajouté qu’il était dangereux.
Il nous a dit (d'autres l'avaient dit avant lui) que nous soulevons des questions qui ne s'agitent pas dans le pays, que nous voulons provoquer une agitation dangereuse, et pourquoi ? (Cette fois-ci la phrase ne s'adressait pas à moi ni à mes amis de la droite réformiste, elle s'adressait à un membre qui, de son corps toujours et, je le suppose, un peu aussi de son cœur aujourd'hui, siège très près des bancs du ministère.) C'est qu'on avait désiré noyer les cabaretiers.
Messieurs, l'agitation en faveur de la réforme électorale, l'agitation paisible, intelligente, existe, et il est fort heureux qu'elle existe. Si elle n'existait pas, si le peuple belge était indifférent à cette loi, indifférent au développement de sa vie politique, je vous engagerais fort à ne pas constater publiquement le fait. Vous porteriez, en le faisant, un préjudice grave à la nationalité même ; car chez tout peuple, le sentiment de la nationalité est énergique, et profond dans la mesure même du sentiment de ses droits.
Ils se trompent, ceux qui disent que le peuple ne s'intéresse pas à cette question. L'agitation, je veux parler de l'agitation morale et intellectuelle, est profonde et universelle. Elle est si profonde, si universelle, que le gouvernement lui-même a cru devoir y donner satisfaction. Le gouvernement nous a apporté un projet de loi ; dire que ce projet de loi a été simplement apporté ici pour donner satisfaction à quelques membres de la Chambre, cela n'est pas vrai, ce serait puéril.
On nous a dit : « Quand le projet a été apporté, le pays était calme, il n'y avait aucun nuage à la frontière, l'Europe était suffisamment assise ; aujourd'hui il y a des secousses et il serait convenable de ne plus agiter des questions intérieures, de nous entendre sur tout et de laisser passer l'orage. »
Messieurs, ce serait là une très grande imprudence, et voici pourquoi : Si. dans ce moment, nous n'osions pas discuter une question intérieure, une question vitale, une question touchant aux intérêts fondamentaux de la nation, on dirait que nous n'avons pas foi en nous-mêmes, ni en notre union, ni en notre avenir, ni en notre patriotisme même. On nous dirait qu'une comparaison que j'ai entendu faire hier est vraie, qu'il aurait suffi de souffler sur l'âme du pays pour l'éteindre, comme si elle n'était pas plus puissante que la flamme d'une veilleuse ou de passer la main sur sa physionomie pour l'effacer, comme si ce n'était qu'un dessin au fusain, sans solidité et sans consistance aucune.
En 1848, lorsque le danger était à la frontière, lorsque le ministère était hésitant et la royauté vacillante, comme l'a dit mon honorable ami M. Royer de Behr, qu'avez-vous fait ?
Alors aussi une question s'agitait, une question touchant profondément à notre régime électoral, l'égalité du cens et l'abaissement de ce cens dans une certaine mesure.
En janvier 1848, vous avez refusé, vous qui siégez encore aujourd'hui sur les bancs du gouvernement, de porter la main sur le cens différentiel.
Vous avez dit qu'il y avait là un danger pour le pays, que c'était ébranler profondément les assises de notre nationalité. Le 28 janvier, un des membres du cabinet faisait un long discours, dans lequel il annonçait les événements les plus sinistres, si l'on osait toucher à cette arche sainte, qui s'appelle le cens différentiel.
Pas un mois après, le 24 février, le volcan français fait éruption, la lave passe notre frontière et c'est à ce moment de danger pour le pays que vous coupez cette assise et que vous abaissez le cens jusqu'à la dernière limite admise par la Constitution.
Et voilà comment vous résistiez, voilà comment vous prévoyiez ce qui doit arriver, vous, libéraux intelligents.
Est-ce qu'il y a eu une révolution dans le pays ? Est-ce qu'aucune de ces prédictions sinistres s'est réalisée ? Est-ce que le parti catholique vous a repoussés, (car il n'y avait pas seulement un sentiment national, il y avait un sentiment de parti qui vous retenait), est-ce que le pays ne vous a pas fait une réponse plus agréable que celle que vous attendiez de lui ?
Nous voyons aujourd'hui les mêmes faits se produire.
On dit : Il y a des nuages à l'horizon ; carguez les voiles, ne faites rien. Mais en définitive, messieurs, que Dieu nous en préserve ! si le nuage, devait s'approcher, si, comme en 1848, le danger était plus imminent, ne sentiriez-vous pas le besoin de faire acte de confiance envers cette nation au dévouement de laquelle vous faites des appels, ne voudriez-vous pas être défendus par des citoyens plus complets ? Je le crois, pour ma part, et je vous dirai que je ne le crains pas.
Je reviendrai probablement sur cette question, car j'ai à y insister, mais on dit aussi : Vous allez avoir la dissolution complète, vous allez avoir la dissolution des conseils communaux, vous allez avoir la dissolution des conseils provinciaux, vous allez avoir la dissolution de la (page 763) Chambre, vous allez avoir la dissolution du Sénat, cl, qui sait ? un nouveau baptême pour le Roi.
Mais messieurs, ce sont là des images oratoires, je le veux bien ; cela peut être très beau dans un chef-d'œuvre de rhétorique, mais en politique, c'est tout autre chose. Nous votons aujourd'hui une réforme électorale ; est-ce que le Sénat la votera cette année ? Je ne le crois pas. Nous n'aurons donc rien obtenu, direz-vous. Si fait, nous aurons obtenu quelque chose, car nous aurons dit à la nation, qui aujourd'hui est exclue des comices, que nous avons confiance dans un grand nombre de ses membres. Et quand, l'année prochaine, le Sénat aura à discuter le projet et qu'il le votera, je l'espère, il faudra faire des listes électorales nouvelles, Tout cela vous mènera au renouvellement partiel des conseils communaux, et votre dissolution ne devra porter que sur la moitié, et pour cette moitié on vous fera deux ans de crédit. Qu'y a-t-il là de si effrayant ?
Mais, nous dira-t-on encore, ces conseils communaux, émanant d'un autre corps électoral que la Chambre, se diront plus près de l'origine populaire, prétendront qu'ils expriment mieux les vœux de la nation.
Il est possible, messieurs, qu'il y ait là un danger si nous persévérons dans l'erreur politique que les amis du ministère ont introduite malheureusement dans noire pays. Les conseils communaux jusqu'en 1857 s'occupaient, au vœu de la loi, des affaires communales.
Depuis lors ils se sont transformés en corps politiques, ils ont émis des vœux et ils émettent tous les jours des vœux, des vœux politiques ; les conseils provinciaux et les députations permanentes font de même. Vous avez reçu récemment un rapport remarquable émanant de la plume de M. de Mévius, au nom des députations permanentes, où, dans un but à la fois économique et politique, on vous demande l'attribution de la patente sur le débit de boissons aux provinces afin de pouvoir abolir les barrières provinciales et exclure, c'est un libéral qui parle, ce n'est pas moi, et exclure du corps électoral des cabaretiers qui sont un mauvais élément.
M. de Moorµ. - M. de Mévius n'a jamais été libéral.
M. Royer de Behr. - C'est un esprit très libéral.
M. Delaetµ. - A son langage, je l'ai pris pour un des vôtres ; d'ailleurs, il est bien des membres de la droite qui sont plus rapprochés de vous que certains membres de la gauche, et c'est un bonheur, je dirai tout à l'heure pourquoi.
Quoi qu'il en soit, le fait est que les conseils communaux et les conseils provinciaux et les députations permanentes formulent aujourd'hui des vœux politiques, insistent sur leurs vœux politiques, pèsent sur les décisions du gouvernement.....
M. Eliasµ. - C'est l'article 21 de la Constitution qui leur donne ce droit-là.
M. Delaetµ. - Maintenant, messieurs, je crois vous avoir démontré qu'il n'y a aucun danger, ni danger intérieur, ni danger extérieur, à discuter la réforme électorale. Mais ce qui serait dangereux, ce serait, aujourd'hui que le problème est agité par le fait du gouvernement même, de dire au pays : Non, il ne sera rien fait pour vous, ni aujourd'hui ni jamais. J'ai eu l'honneur de vous le dire, messieurs, le suffrage est un droit absolu ; l'exercice du suffrage n'appartient qu'aux plus capables. Faut-il que le nombre de ces capables, faut-il que les catégories de capables restent toujours invariables ?
En effet, on voudrait aboutir à cela et on nous dit que parce que nous voulons modérément abaisser le cens, nous courons les aventures, nous avons besoin de bornes et de garde-fous.
Messieurs, il ne s'agit pas de courir les aventures, il s'agit de faire sagement et modérément ce qu'ordonne la situation. Les classes ouvrières n'ont pas de part au scrutin. On nous dit qu'il n'y a pas là quelque chose d'extraordinaire ; que l'ouvrier, quand il a de l'ordre, de l'intelligence, de la modération dans les désirs, quand il sait se diriger et se conduire, arrive toujours au suffrage.
D'abord, messieurs, cela n'est pas toujours vrai : la fortune ne favorise pas toujours les meilleurs et les plus dignes. Mais, cela fût-il vrai, qu'est-ce que cela prouverait ? Rien, absolument rien. Et si cela prouvait quelque chose, si vous aviez raison aujourd'hui, vous prouveriez que 1789 a été un non sens et n'a pas été nécessaire. D'après ce système, ce ne sont pas les classes qui montent, mais seulement des individus qui sortent de leur classe pour passer dans une classe plus élevée.
En 1789 le tiers état se plaignait, et de quoi se plaignait-il ? De ce que, comme tiers, il n'était rien. Mais les classes aristocratiques n'étaient pas si hermétiquement fermées qu'on ne s'y introduisît de toutes parts. (Interruption.) Eh, mon Dieu ! la noblesse alors, comme le scrutin aujourd'hui, s'ouvrait aisément devant les écus ; et si 1789 ne s'était pas produit, si l'arrière-grand-père, puis le grand-père et enfin le père de l'honorable M. Schollaert n'en avaient pas moins été des paysans économes, et si lui-même avait fait de fortes études, alors au lieu de venir s'asseoir ici aujourd'hui comme représentant, d'un pays libre, comme l'égal de tous, des plus grands comme des plus humbles, il aurait aisément lavé ses quelques siècles de roture dans la savonnette à vilain.
M. Dumortier. - Parlez de la Belgique communale.
M. Delaetµ. - Je parlerai plus tard de la Belgique communale, mais comme on a souvent rappelé les principes de 1789, je demande, à pouvoir en dire un mot aussi.
Du reste, même en Belgique, il y a plus d'un blason splendide dont les possesseurs, malgré tous les généalogistes complaisants, ne peuvent pas remonter aux croisades et à Charlemagne.
Maintenant, je tiens à rester en France, puisque, aussi bien, notre ancienne Belgique n'a pas été conduite, après 1830, comme je l'eusse désiré, qu'on nous l'a gâtée en ne la développant pas dans sa direction nationale et historique, qu'on l'a beaucoup trop centralisée et romanisée.
Ceci est une question que j'examinerai plus tard, si j'en ai le temps.
Je dis donc qu'en 1789 et en France, où est né le mouvement auquel nous obéissons aujourd'hui, et auquel, du reste, la Constitution a emprunté plus d'un de ses grands principes, en 1789 le tiers état se plaignait de n'être rien. Aujourd'hui, les classes ouvrières font entendre les mêmes plaintes.
En 1789, on a résisté si longtemps et si bien que le tiers a fait éclater la forme sociale et a fait disparaître les vieux joints des assises sociales pour les remplacer par le monolithe de l'égalité. Et vous iriez, dans notre Belgique, où depuis 1830 surtout et depuis 1842 vous avez fait les sacrifices les plus considérables pour répandre l'enseignement, où la presse, depuis 1848, est libre de toute entrave, et où le nombre des journaux a décuplé depuis cette époque, où les chemins de fer, depuis 1836, mettent en contact continuel tous les citoyens, où le télégraphe électrique se dresse jusque sur les routes communales ; vous iriez, dis-je, déclarer aux classes ouvrières de ce pays qu'elles ne sont pas aussi intelligentes, aussi instruites et qu'elles sont, à certains égards, moins morales que ne l'était le tiers en 1789 ! Ce ne sont donc pas des individus qu'il faut faire monter, mais des classes tout entières. Il a poussé des pans aux vestes de nos classes ouvrières et vous feriez bien de ne pas les lui couper légalement. Je constate un fait et je demande qu'on en tienne compte.
C'est là, du reste, messieurs, ce qui distingue la civilisation moderne, la civilisation chrétienne et d'égalité, de la civilisation antérieure, dont je ne médis pas pourtant, car elle a été, dans son temps, grande, forte et belle, et quoi que nous en ayons, nous vivons encore aujourd'hui de ses anciens bienfaits.
Maintenant si nous sommes d'accord sur ce point, que le niveau d'intelligence et de moralité de la classe inférieure aujourd'hui atteint, dépassé même l'étiage du tiers en 1789, pourquoi ne ferait-on pas monter cette classe ? Venons-nous vous demander de sacrifier un principe constitutionnel, de mettre en danger une de nos institutions quelconque ? Non ; nous vous disons : La moralité a monté ; l'intelligence a monté ; mais la richesse n'a pas monté dans la même proportion ; abaissez donc le cens. Si la richesse de la classe, ouvrière avait monté dans la même proportion que son intelligence et sa moralité, elle n'aurait pas besoin d'un abaissement de cens ; elle atteindrait facilement le cens actuel.
Mais dans la plupart de nos villes, les journées d'ouvrier n'ont pas augmenté dans la proportion de l'accroissement des nécessités de la vie ; je parle du logement, de la nourriture, des vêtements mêmes ; je parle des besoins d'ordre, de propreté ; car, sous le rapport des vêtements aussi, l'ouvrier est soumis à plus de nécessités qu’il ne l’était il y a trente ans.
Tout, cela fait obstacle à la classe ouvrière et l'empêchera de monter au cens, si vous ne consentez pas à en diminuer le taux.
Messieurs, on a essayé de vous faire grand-peur des suites qu'un abaissement modéré du cens pourrait entraîner. Mais ne devez-vous pas craindre, avec bien plus de fondement, qu'en condamnant la classe ouvrière à une immobilité systématique, vous n'ayez à courir des dangers bien plus grands ; que vous n'excitiez vous-mêmes cette classe à une agitation périlleuse ?
Voyez la contradiction. Je ne parle pas des meetings. N'est-il pas vrai que dans les conférences, dans les soirées populaires, vous (page 764) cherchez à élever l'intelligence de la classe ouvrière ? Et quand vous lui avez donné l'intelligence dont elle a besoin pour exercer les droits politiques, vous lui dites : « Je vous refuse toute satisfaction. » Si c'est là ce que vous appelez prudence, elle est étrange ; ce n'est pas la mienne.
On vous a parlé, messieurs, de la Constitution comme d'une machine à poids et à contre-poids ; l'image est un peu fausse, parce qu'elle est vieille. Notre mécanisme n'est plus l'ancienne machine à poids et à contrepoids et à ressorts ; c'est une machine à vapeur, une locomotive. Pour l'empêcher de dérailler et d'éclater, vous avez besoin de votre soupape de sûreté, que vous êtes dans la nécessité d'ouvrir quelquefois.
Messieurs, nous ne voulons pas courir les aventures ; nous ne sommes pas des imprudents, nous reconnaissons que le suffrage universel, qui est un droit naturel pour tous les citoyens du pays, est limité dans son exercice par la capacité des citoyens ; mais chaque fois que nous reconnaîtrons la capacité quelque part, nous irons à elle librement, franchement, fraternellement, et nous n'attendrons pas qu'on vienne nous arracher ce que nous sommes heureux d'accorder de bonne grâce.
On vous a parlé beaucoup d'histoire ancienne à propos du suffrage universel ; on vous a fait voyager de Memphis à Ninive, de Babylone à Sparte, d'Athènes à Rome, de l'Agora au Forum. Mais ce dont on ne vous a pas assez parlé, c'est de l'histoire moderne, de la naissance de notre état social actuel en 1789.
Le tiers état a démoli alors tout l'édifice politique qui avait ses racines dans les siècles ; et la vieille société, avec toute sa puissance, avec tout le pouvoir dont elle disposait, avec tout le respect dont elle était entourée, n'a pas résisté.
Et la bourgeoisie actuelle, quand elle aura devant elle une classe aussi intelligente qu'elle l'était alors, résistera-t-elle ? A quoi et par quels moyens résistera-t-elle ? Quel est le principe qui la sépare de la classe ouvrière, de la petite bourgeoisie ? Au plus quelques piles de pièces de cinq francs.
L'intelligence se trouve partout aujourd'hui ; et partout où l'intelligence s'unit à l'honnêteté, à la moralité, au patriotisme et au dévouement à la chose publique, l'intelligence doit être admise à réclamer ses droits de citoyen, et vous ne lui résisterez pas. Voilà la véritable prudence,
Messieurs, dans une autre enceinte, on a dit, non pas à nous cette fois, mais à M. le ministre de la justice dont cependant nous partageons l'opinion en cette circonstance ; on a dit à M. le ministre de la justice qu'il ébranlait les bases sociales, que sa réforme était déplorable, que la société allait périr.
Qu'a répondu M. le ministre de la justice ? Il a dit :
« Il n'est point de terreurs que l'on n'ait fait naître ; mais il y a ceci de remarquable, c'est que toutes les réformes ont été précédées de ces appréhensions, et si l'on avait dû écouter toutes les prédictions sinistres, tous les prophètes de malheur, jamais de changements n'auraient été apportée à notre situation. »
Ce n'est pas moi qui dis cela ; c'est M. le ministre de la justice, J'en demande pardon à M. le ministre dès finances, qui sera probablement d'une autre opinion ; mais j'invoque avec empressement le secours qui me vient du banc ministériel, par une chance rare et que je m'empresse de mettre à profit.
Messieurs, j'ai puisé dans ce fait un enseignement que je ne suis pas fâché de communiquer à la Chambre.
M. le ministre des finances, lors de ses excursions dans le passé et dans le présent, nous a conduits en Suisse aussi. Là il nous a fait voir l'assemblée populaire repoussant net toutes les mesures libérales et progressives qu'on lui proposait. Chose étrange et singulière distraction ! Il a fait cela le lendemain du vote du Sénat, sur l'article 1781 du code civil, M. le ministre de la justice étant assis à ses côtés. (Interruption.) L'honorable M. Bara a dû être médiocrement satisfait d'entendre attribuer à ine assemblée populaire des votes peu libéraux, lui qui venait d'essuyer un rude échec de la part d'un corps sorti de l'élection restreinte et de l'éligibilité restreinte. Cela prouve qu'on peut se tromper à tous les degrés de l'éligibilité et de l'électorat.
Mais, messieurs, en invoquant ce fait, j'ai bien soin de vous dire que je ne crois pas que le Sénat soit un rouage inutile ou un rouage mauvais, que le Sénat soit antidémocratique ; je mentirais à ma conviction si je le disais, et je citerai même plus d'un fait qui prouve que souvent le Sénat est plus démocratique que la Chambre. Ainsi quand il s'est agi des coalitions d'ouvriers, question essentiellement démocratique et même, à Dieu des égards, plus délicate que celle qui nous occupe aujourd’hui, la Chambre a refusé de faire des coalitions d’ouvriers une question de droit civil, elle a maintenu que c’était une question de droit pénal, elle a maintenu contre les ouvriers coalisés la coercition pénale ; le Sénat a refusé de suivre la Chambre dans cette voie, il a repoussé la pénalité pour ne laisser subsister que le droit civil.
C'est là un acte de libéralisme démocratique qui prouve que les assemblées issues de l'élection restreinte et de l'éligibilité restreinte sont parfois très libérales et très intelligentes. Il en a été de même pour la presse. Le gouvernement, cette fois, prenant le rôle le moins libéral, voulait de fortes pénalités ; le Sénat ne les lui a pas accordées.
Nous venons de parler de coalitions, eh bien, je prévois très bien l'issue de ce. débat, je vois bien que nous n'aboutirons qu'à une chose parfaitement insuffisante, si nous aboutissons. Mais, je tiens à y mettre une entière franchise, si beaucoup d'entre nous (je ne dis pas tous, je ne veux être injuste pour personne, je ne dirai pas même : le plus grand nombre, je dis beaucoup d'entre nous), repoussent la réforme électorale, c'est dans la crainte que la réforme électorale n'amène une réforme sociale. Cette crainte, messieurs, je ne la partage en aucune manière. Le meilleur moyen de prévenir les réformes sociales violentes, improvisées, intempestives, c'est de faire justice là où justice doit se faire.
Si vous acceptez aujourd'hui dans le corps électoral les membres les plus intelligents et les plus moraux de la classe ouvrière, au lieu de vous en faire des adversaires, vous vous en faites des alliés. Quand on vous a parlé hier de cette foule qui grouille, de cette foule odieuse et malsaine qui fait les révolutions, on vous a effrayés, messieurs, de ce qui devait vous rassurer. A cette foule qui grouille, qui n'a ni intelligence ni moralité, à cette foule qui est brute encore, qui peuple les prisons et que, malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas encore parvenus à moraliser, il faut, pour qu'elle agisse et devienne une force, des chefs intelligents. Sans cela, elle n'est qu'une force inactive et sans âme. Eh bien, lorsque vous dites que les classes ouvrières et la bourgeoisie sont exclues à tout jamais du banquet politique, vous lui donnez, imprudents que vous êtes, vous lui donnez des chefs et des généraux.
Pour les classes ouvrières, l'électorat n'est pas une question d'intérêt ; c'est une pure et simple question de dignité ; nos lois en général ne sont pas faites contre elles ; celles qui sont faites contre elles, à mesure qu'on les découvre, on les abolit ou on les améliore.
Je ne vois donc pas ce qu'elles ont matériellement à gagner à la réforme électorale. Je nous rends cette justice à tous que nous ne voudrions pas perpétuer une disposition législative quelconque qui fût contraire aux intérêts légitimes de la classe ouvrière. Mais il s'agit, messieurs, d'une question de dignité. Cette classe sent qu'elle s'est élevée, avec notre concours si vous voulez, et qu'elle s'est créé une dignité réelle ; eh bien, cette dignité, vous ne pouvez pas refuser d'en tenir compte.
Je crains, messieurs, que je ne vienne de m'exposer à un grand danger : on nous accuse volontiers, nous réformistes, d'être des flatteurs du peuple ; on l'a fait, on le fait et on le fera. Messieurs, je n'ai pas besoin de protester contre cette pensée ; je n'ai jamais flatté personne, je ne suis pas né courtisan et je n'ai aucune des qualités qu'il faut pour le devenir ; je me trompe, je suis courtisan de la vérité et de la. justice ; j'obéis lorsqu'elles commandent, et j'obéis avec tout le dévouement dont je suis capable, sans tenir compte des accusations fausses, des calomnies et des haines que je soulève. Mais la récompense aussi est haute et digne de tenter les plus fières ambitions : c'est la dignité de la conscience et le sentiment du devoir rempli.
Messieurs, ceux qui, par légèreté, j'aime à le croire, plutôt que par méchanceté de cœur, assignent à notre conduite un mobile intéressé ne devraient pas nous dénier toute intelligence.
Or, si nous nous abaissions à flatter le peuple, nous serions non seulement de fort mauvais citoyens, mais aussi des calculateurs on ne peut pas plus maladroits.
Qu'est-ce que l'ouvrier peut nous donner ? De quelle récompense reconnaîtra-t-il nos flatteries ? De quelles places, de quelles distinctions, de quels honneurs et de quels avantages dispose-t-il ?
Oh ! nous le savons, il peut descendre dans la rue ; mais ce n'est pas dans la rue que l'ouvrier peut nous rendre service à nous. Nous ne l'y appellerons jamais, car s'il y descend, c'est presque toujours contre la liberté et presque toujours aussi contre la vérité et la justice. Nous ne flattons donc personne, messieurs. Nous ne sommes pas des flatteurs, et ni notre tempérament ni notre intérêt ne nous poussent à le devenir,
Nous sommes de bons citoyens, capables de dévouement et de sacrifices, servant la liberté, la vérité et la justice à nos risques et périls et (page 65) nous souciant à peine, en présence des attaques dont nos tendances et nos convictions sont l'objet, de savoir si le corps électoral censitaire, auquel nous devons compte de nos actes, ne nous fera pas un crime d'avoir voulu lui rendre service à lui et au pays.
Messieurs, permettez-moi de revenir au danger dont on nous menace. On dit que la réforme serait dangereuse.
M. le ministre de la justice vous a déjà prouvé à quoi se réduisent toutes ces alarmes et toutes ces prédictions sinistres.
Si je pouvais vous faire l'histoire de toutes les réformes, ma réponse serait très complète et très victorieuse. Pas une seule n'est venue au monde sans douleurs et sans déchirements.
Mais aujourd'hui même que nous nous occupons de la réforme, un pays qui, comme l'a fait observer mon honorable ami M. Nothomb, a avec le nôtre beaucoup de rapports et qui est de la même race que nous, l'Angleterre s'occupe de la même question.
Là, messieurs, les classes ouvrières sont plus puissantes, elles s'entendent mieux que chez nous. Les coalitions s'y font constamment presque sans obstacle.
Qu'y propose-t-on ?
Si le gouvernement voulait consentir à nous donner la réforme anglaise, nous nous en contenterions. Non, je crois même que nous le trouverions trop radicale. Car, en admettant le household suffrage, tout chef de famille aurait le droit de vote.
On a trouvé d'abord un correctif, un contre-poids à ce vote réellement universel de tout père de famille : le double vote, accordé en vertu d'une qualité et en vertu d'une contribution.
Mais, M. Disraeli a renoncé à ce correctif, et désormais tout chef de famille en Angleterre et dans le pays de Galles sera électeur.
Nous n'en demandons pas tant et pourtant je crois que nos classes ouvrières en général sont aussi instruites et aussi morales que celles de l'Angleterre.
Notons en passant qu'à propos de l'Angleterre, l'honorable ministre des finances est venu vous dire que les chartistes demandaient des choses épouvantables, qu'on a lutté quinze ans contre eux pour ne pas leur accorder les épouvantables réformes qu'ils réclamaient.
Or, ces réformes, l'honorable ministre a eu la bonté de vous dire lui-même à quoi elles se réduisaient, elles consistaient purement et simplement, sauf le suffrage universel, dans les libertés consacrées par la Constitution belge sans que la Belgique ait, pour cela, péri le moins du monde.
1" Le suffrage universel ;
2° Le vole secret ;
3° L'abolition du cens d'éligibilité ;
4° Les membres du parlement payés ;
5° Le pays divisé en circonscriptions électorales d'après la population.
Il n'y avait donc que le suffrage universel, qui existe en France, en Allemagne et en Suisse, qui différât de notre Constitution.
Les chartistes, s'ils n'avaient eu que ce programme-là, n'étaient pas bien redoutables. Mais ils en avaient un autre, qu'on n'a pas cité, c'était le programme social, le programme communiste. Et voilà où était le danger du mouvement chartiste.
M. Nothomb. - C'est pourquoi il a péri.
M. Delaetµ. - Il a péri, parce qu'il voulait le communisme, la plus illibérale, la plus odieuse, la plus impossible des erreurs humaines.
Maintenant, messieurs, on vous dit : Mais quand le suffrage universel existerait en Angleterre, vous y trouvez le contrepoids d'une vieille et puissante aristocratie.
Je m'étonne de voir aujourd'hui produire cet argument. L'honorable ministre des affaires étrangères, qui doit connaître l'Europe politique, n'y cherchera pas, lui, un point d'appui. Depuis 1834 il y a eu en Angleterre une révolution peu sensible, pacifique, presque inaperçue sur le continent mais radicale : la substitution de l'influence des communes à celle de la chambre des lords.
Cette substitution d'influence, tous les hommes d'Etat anglais la proclament.
Dans la réforme électorale qu'aujourd'hui on demande en Angleterre, ce n'est pas seulement du droit de voie qu'il s'agit, c'est de quelque chose de plus : la suppression de l'influence absolue des bourgs.
Cette suppression de l'influence des bourgs, ce droit de localités déterminées, remplacé par le droit du nombre d'habitants, ce n'est rien moins qu'une profonde et radicale révolution sociale et politique dans la Grande-Bretagne, c'est une victoire entière et décisive des Saxons sur les Normands.
Je m'explique, car je n'entends pas vous parler anglais, messieurs, en me servant de vocables français. La nation anglaise, si vieille qu'elle nous puisse paraître, qu'elle l'est devenue peut-être par une lente fusion des races, n'est point parfaitement unitaire. Il y a là les Normands, qui représentent la conquête, l'aristocratie ; les Saxons, qui constituent la démocratie, la classe active, industrielle. Les premiers possèdent les bourgs, les seconds le nombre, la majorité et jusqu'ici, grâce aux bourgs et en dépit de la révolution de 1834, dont j'ai dit un mot tout à l'heure, les Normands avaient conservé une influence notable.
M. Disraeli, le ministre influent aujourd'hui, le M. Frère de la Grande-Bretagne, l'homme qui a défendu la cause des Normands contre les Saxons, comme M. Frère défend la haute bourgeoisie contre les petits censitaires, a décrit de main de maître, dans plusieurs de ses magnifiques ouvrages littéraires, cette lutte sociale des races dans la Grande-Bretagne. et pourtant c'est lui, c'est Disraeli, qui, suivant Robert Peel et n'ayant garde de vous suivre, vous les doctrinaires belges, ouvre en Angleterre la porte aux Saxons.
Lisez ses livres, ils vous instruiront ; suivez ses exemples, ils vous porteront bonheur.
Ainsi l'Angleterre possède dans ce moment une réforme radicale et nous ne vous demandons qu'un petit abaissement de cens.
Vous nous appelez révolutionnaires, vous prétendez que nous mettons le pays en danger.
Eh mon Dieu ! il n'y a pas de sinistres prédictions qu'on ne nous oppose. M. le ministre de la justice vous a dit ce qu'elles valent.
Du reste, messieurs, si vous craignez tant l'abaissement du cens, il y a un autre moyen. Supprimez quelques impôts indirects et remplacez-les par des impôts directs. Je sais que l'honorable ministre des finances n'aime pas beaucoup les impôts directs, et je le comprends. Quand l’impôt est direct, le contribuable sait ce qu'il paye ; l'impôt n'est pas masqué, et quand le contribuable sait ce qu'il paye, que ses yeux sont dessillés, il s'oppose aux grandes dépenses de l'Etat ; or, un gouvernement pseudo-libéral aime naturellement les grandes dépenses, car sa force est là.
Avec notre système électoral, avec des électeurs qui ne se contentent pas d'un verre de bière ou de genièvre, mais à qui il faut des faveurs, des places, des décorations, des concessions de tous genres, il faut disposer de gros budgets.
On vous a dit que le système de mon honorable ami M. Coomans, que je n'ai pas examiné à fond, n'était pas bon, que sur 900,000 maisons qui existent aujourd'hui en Belgique, il y en avait 468,000 qui sont exemptes de l'impôt. Mais les citoyens qui habitent ces maisons payent très bien l'impôt indirect, ils le payent comme ceux qui habitent les palais de la rue Royale.
Comment un certain nombre de citoyens sont-ils exempts de l'impôt et pourquoi ? Je voudrais bien que M. le ministre des finances nous le fît savoir, car je trouve une singulière contradiction dans les explications qu'il a données. Il dit d'abord : « Combien compte-on de maisons en Belgique ? Environ 900,000 ; la loi accorde l’exemption de l’impôt non pas à titre de droit, mais parce que cet impôt tomberait en non-valeurs. »
Et à six lignes plus loin il dit :
« Aujourd'hui les classes ouvrières sont exemptes de l'impôt par un sentiment de justice, parce qu'elles ne pourraient pas en supporter les charges. »
Où est la vérité ? Dans la première version, c'est contraint et forcé que le gouvernement exempte certaines maisons ; dans la seconde, c'est par un sentiment de justice et de bienveillance.
Le fait est que si vous n'aviez pas d'impôts indirects, si vos impôts n'étaient pas masqués, le plus pauvre pourrait payer sa quote-part dans les dépenses générales et réclamer, par suite, sa participation aux élections de l’Etat.
(page 766) Ceci m'amène à vous parler de la grande distinction qu'on a faite entre la démocratie unitaire et la démocratie égalitaire. La démocratie égalitaire, c'est la vôtre ; la démocratie unitaire, c'est celle du système du vote universel qui conduirait fatalement à l'oppression des minorités, au despotisme !
Mais, messieurs, si je dois reconnaître le caractère de la démocratie aux résultats qu'elle donne, si je consulte le fruit pour savoir de quelle nature est l'arbre, vous faites parfaitement de la démocratie unitaire. En Belgique, il y a la moitié, moins quelques centaines de citoyens, qui ne partagent pas les opinions du gouvernement. Cette minorité-là, on n'en tient pas compte dans la loi et on fait si bien de la démocratie unitaire qu'au Sénat, le projet de loi sur les bourses d'étude a été voté par hasard à la majorité d'une voix, et qu'ici on nous a fait naguère quitter nos bancs parce qu'à une voix de majorité on voulait faire adopter le système de M. Orts, lequel devait vous assurer une majorité dans la Chambre.
C'est donc bien la démocratie unitaire qui est dans vos tendances et même, par hasard sans doute, dans les chiffres de vos votants.
Malgré cela, messieurs, nous avons assisté hier à un spectacle qui a pu paraître étrange à beaucoup d'entre vous et qui même a dû produire une impression de surprise dans vos rangs ; mais qui, je vous l'avoue, ne m'a pas étonné. Ce qui s'est produit, hier est une chose naturelle ; nous avons vu un orateur de la droite se voir céder son tour de parole par M. le ministre de l'intérieur qui l'avait demandée avant lui.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je vous l'ai cédée également.
M. Delaetµ. - Soit, mais on ne verra pas, après mon discours, M. le ministre de l'intérieur se lever comme il l'a fiat hier après le discours de M. Schollaert, pour déclarer qu'après ce discours il n'avait plus un mot à dire, que M. Schollaert avait exprimé la pensée ministérielle avec une éloquence et une ampleur qui le dispensaient de rien ajouter. (Interruption.)
Lorsqu'un de mes amis, M. Coomans, lui a fait remarquer que M. Schollaert l'avait combattu, M. le ministre de l'intérieur a même été jusqu'à lui répondre : Vous n'avez rien compris au discours de M. Schollaert.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il ne faut pas dénaturer ma pensée.
M. Delaet dit avec une certaine affectation que j'ai cédé hier mon tour de parole à M. Schollaert. C'est vrai, mais j'ai également cédé aujourd'hui mon tour de parole à M. Delaet, car j'avais fait connaître à M. le président que je parlerais le premier dans la séance actuelle.
Quant à ce que j'ai dit hier, après le discours de M. Schollaert, on dénature également ma pensée.
J'ai constaté que, sur plusieurs points, j'étais d'accord avec M. Schollaert, mais je n'ai pas dit que j'étais d'accord avec lui sur tous les points.
M. Delaetµ. - Sur les principaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - ... et lorsque j'ai répondu à M. Coomans qu'il avait mal compris, je n'ai pas voulu dire qu'il avait mal compris le discours de M. Schollaert, mais qu'il avait mal compris le projet de loi. Voilà la vérité.
M. Delaetµ. - Permettez-moi de rétablir les faits.
Vous avez déclaré que vous étiez d'accord avec M. Schollaert ou bien que M. Schollaert était d'accord avec le gouvernement sur les points principaux.
Et lorsque alors l'honorable M. Coomans a émis, à cet égard, un doute que je crois motivé, vous lui avez dit, non pas qu'il ne vous comprenait point, mais qu'il n'avait pas compris le discours de M. Schollaert.
M. Coomans. - Que je n'avais rien compris du tout.
M. Delaetµ. - Messieurs, il y a dans cette Chambre deux courants très marqués et je ne sais pas pourquoi il faudrait en faire mystère. Il y a ceux qui veulent marcher en avant, ceux qui trouvent que ce sont de tristes questions que les questions clérico-libérales et je vous dirai tout à l'heure combien elles sont vides et tristes.
Ce sont ceux qui croient qu'il faut faire un large usage de nos libertés dans une direction vraiment libérale, c'est-à-dire dans un esprit qui respecte la liberté et qui respecte le droit de tous, celui des minorités comme celui des majorités, parce que le respect du droit de tous est la liberté, la seule vraie, la seule sincère et loyale liberté.
Il y a un autre courant, c'est celui des membres qui pensent qu'il vaut mieux discuter sur de très vieilles questions, légiférer tant bien que mal pendant une ou deux sessions et puis arriver vers la fin de la deuxième session et à la veille des élections périodiques avec un projet de loi clérico-libéral, quelque projet sur les bourses d'étude ou sur le temporel des cultes, et de passionner le pays là-dessus.
Voilà toute la politique clérico-libérale, et je constate que cette politique a ses prophètes et ses partisans, dans la droite et dans la gauche, partisans très respectables, très sérieux.
Je reconnais qu'à une autre époque cette politique a pu avoir sa raison d'être.
Mais, messieurs, tout change dans la vie humaine ; des besoins nouveaux se manifestent chaque jour et comme, en définitive, tout homme n'a qu'une seule grande mission à remplir dans sa vie, comme les Robert Peel sont très rares, en général ces hommes ne changent pas et on se croit réellement, permettrez-moi le mot, on se croit volé lorsqu'on voit se produire devant le parlement des questions qu'on n'a jamais examinées et qui révèlent de nouvelles tendances sociales.
II en résulte, c'est dans la nature humaine, qu'on est généralement porté à considérer comme des intrus, comme des trouble-fête ceux qui viennent apporter des idées nouvelles dans ce vieux concert de principes anciens.
Là, messieurs, est le point de contact qui vous est commun. Vous craignez l'avènement d'idées nouvelles ; vous craignez qu'une politique nouvelle ne vienne faire pâlir un peu votre vieille politique.
Il y a sur nos bancs, je n'ai pas besoin de les désigner autrement, des amis du ministère sur ce terrain.
M. Hymans. - M. Dumortier n'est pas là.
M. Delaetµ. - Si, si,-il est là-bas, je l'aperçois....
M. Dumortier. - Je n'appartiens pas au parti réformiste qui constitue un petit cercle dans nos rangs. Mais notre parti tout entier, dans ce pays, est le parti conservateur et je me flatte d'y appartenir.
M. Delaetµ. - Je ne vous en fais pas de reproche, vous le savez parfaitement, et je crois n'avoir rien dit qui vous fût désagréable.
Quant à moi, messieurs, je dis que c'est là une situation que je ne puis approuver, et voici pourquoi.
Hier, messieurs, on a fait vibrer ici une corde qui heureusement résonne toujours dans le cœur des Belges, la corde du patriotisme, et on nous a dit que nous exposions la patrie à des dangers sérieux, si nous touchions à cette Constitution qui fait notre physionomie et notre, âme. Puis amoindrissant cette physionomie et cette âme, on a dit : Cette âme, elle disparaîtra sous un souffle ; cette physionomie, vous l'effacerez en y portant la main. Eh bien, messieurs, admettons, Dieu nous en préserve ! mais admettons que, par une frontière quelconque, un étranger envahisse le pays. Nous sommes faibles numériquement, mais notre force morale est grande. Alors, en attendant des temps meilleurs, nous aurions besoin de vivre de souvenirs, et quels grands souvenirs historiques nous auriez-vous laissés, je vous le demande ? Une misérable querelle clérico-libérale, un mot qui ne se prononce plus ailleurs qu'en Belgique et qui depuis longtemps est relégué ailleurs parmi les vieilles ferrailles des politiques surannées. Voilà le seul souvenir que vous nous laisserez ; et je dis que ce serait là un immense danger pour le pays, parce qu'il n'y a, dans cette vieille querelle, ni consistance, ni grandeur.
Elle a pu être utile à certain parti comme tactique, mais il n'y a là aucun grand souvenir dans lequel le patriotisme aura à se retremper, et si l'histoire parle de nous, ce sera certainement là le côté mesquin de notre physionomie historique.
Hier, en terminant sa belle conférence, je désire que sa conscience lui rende aussi ce témoignage que ç'a été une bonne action, hier mon honorable ami M. Schollaert, que je regrette de ne pas voir en ce moment parmi nous, vous a parlé de l'armée et il vous a dit qu'aucun sacrifice ne coûterait au pays.
Vous feriez bien de ne peupler votre armée que de citoyens sachant, le cas échéant, qu'ils se battent pour leurs frères et pour eux-mêmes ; qu'ils se battent avec la dignité du citoyen et non pas sous la simple obligation du soldat. Et si alors la défense nationale est possible, messieurs, j'inviterai mon honorable ami M. Schollaert à prendre le fusil, à me donner la main et à marcher avec moi à la frontière, car moi aussi je suis prêt à verser la dernière goutte de mon sang pour l'indépendance de mon pays ; et pas plus que moi, M. Schollaert ne voudrait faire de l'héroïsme en paroles seulement et avec le sang d'autrui.
je ne veux pas entrer aujourd'hui dans la question de la défense nationale ; cela se discutera à un autre moment, à un moment très prochain je l'espère ; mais je puis dire que si vous avez à demander de nouveaux sacrifices aux classes populaires, vous feriez bien aussi de leur montrer que vous ne les considérez pas absolument comme les défenseurs obligés de privilèges qui ne leur appartiennent pas.
(page 767) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - A la fin de la séance d'hier, plusieurs membres ont convié le gouvernement à donner quelques explications nouvelles sur le projet de loi déposé par lui.
Je me rends d'amant plus volontiers à ce désir, que plusieurs membres de la Chambre, ceux surtout qui ont critiqué le plus vigoureusement les propositions du gouvernement, n'en ont pas, je pense, bien saisi toute la portée.
Messieurs, depuis deux semaines bientôt que dure cette discussion, nous avons, sans parler du discours qui vient d'être prononcé, nous avons entendu faire dans cette Chambre beaucoup de grands et de beaux discours.
La plupart des orateurs ont examiné la question électorale au point de vue historique, philologique, économique ; mais presque tous se sont placés dans des sphères si élevées qu'ils ont, comme l'a très bien fait observer, dans une séance précédente, l'honorable M. Guillery, perdu de vue le projet de loi, qui, à la hauteur où ils s'étaient placés, n'était plus pour eux qu'un point microscopique dans l'espace.
Comme l'honorable député de Bruxelles, je crois que le moment est venu de descendre de ces hauteurs et de s'occuper spécialement, uniquement, du projet de loi et des amendements qui sont à l'ordre du jour. Je laisse donc de côté toutes les grandes théories ; je me bornerai à justifier les dispositions proposées par le gouvernement et à discuter, en les comparant, les propositions faites par plusieurs membres de cette assemblée.
Messieurs, je n'examinerai pas si le gouvernement, en présentant le projet de loi, a cédé à une pression. C'est là une question à laquelle chacun de vous peut répondre. Chacun de vous a pu constater si, oui ou non, il existe, dans l'arrondissement qu'il représente spécialement, un mouvement, une agitation quelconque pour demander, en ce moment, une réforme électorale.
Mais il est un point sur lequel je dois appeler tout d'abord l'attention du pays.
Les honorables membres de cette Chambre et ceux qui au dehors réclament une réforme, motivent surtout leurs réclamations sur ce fait que, d'après eux, en Belgique la fraction des citoyens appelés aux droits électoraux serait infiniment minime en comparaison de la population du royaume. Voyez, nous dit-on, sur une population de 5 millions d'habitants environ, vous avez à peine cent et quelques mille électeurs. Voilà donc 4,900,000 citoyens qui ne sont pas représentés, qui n'ont pas le droit de prendre part à l'administration des affaires du pays. Voilà 4,900,000 déshérités !
Il y a dans ce chiffre une certaine exagération et je désire la relever pour l'honneur du pays.
Je ferai remarquer d'abord qu'il ne s'agit ici que d'électeurs pour la province et pour la commune et que lorsqu'on parle de ces 100,000 électeurs seulement, il est question des électeurs pour les Chambres. Nous nous occupons donc ici des électeurs communaux et provinciaux, et le chiffre de ces électeurs est bien plus grand qu'on ne semble je croire, il était, en 1863, de 227,335 et depuis il s'est accru, je pense.
Il est du reste à remarquer que ceux qui se plaignent le plus du petit nombre des électeurs pour les Chambrés législatives, se contentent en général de faire des plaintes.
Le gouvernement a fait autre chose. Aucune mesure n'a été proposée dans cette Chambre pour augmenter le nombre des électeurs dans les élections pour les Chambres législatives. Le gouvernement seul, par les articles 1 et 2 de son projet, a proposé d'abaisser l'âge exigé pour être électeur afin d'appeler un plus grand nombre de citoyens au scrutin. (Interruption.)
M. Coomans. - C'est une erreur.
M. Guillery. - Et les impôts directs ! et l'amendement de M. Couvreur !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ces impôts directs...
M. Guillery. - Je dis que j'ai proposé d'augmenter le nombre des électeurs pour les Chambres.
M. Coomans. - Vous dites que le gouvernement seul a proposé.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne dis rien. On ne me laisse pas parler, on m'interrompt de tous côtés, de l'extrême gauche comme de l'extrême droite.
M. Bouvierµ. - Ce n'est pas moi cette fois. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je croyais et je pense encore que lorsqu'on a proposé de compter tous les impôts directs pour la formation du cens, il s'agissait uniquement des élections communales et provinciales...
M. Guillery. - Je vous demande pardon.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - ... et qu'il ne s'agissait pas des élections législatives.
M. Nothomb. - Si ! si !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Or, je disais que le gouvernement a fait quelque chose pour augmenter le nombre des électeurs pour les Chambres en proposant d'abaisser l'âge de l'électorat...
M. Guillery. - J'ai dit dans mes développements que, d'après moi, l'on devait compter toutes les impositions directes versées au trésor de l'Etat, de la province et de la commune pour les élections aux Chambres ; que cela résultait de la loi de 1848 et de l'article 47 de la Constitution ; que si je ne proposais pas de disposition à cet égard, c'est que la loi de 1848 sainement interprétée me paraissait suffire et que si cela n'était pas ainsi entendu, je proposerais un amendement.
J'ai donc proposé d'augmenter le nombre des électeurs aux Chambres, et l'amendement de l'honorable M. Couvreur a la même portée.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je crois qu'en donnant une telle portée à la proposition de M. Couvreur, on s'écarterait de l'esprit de la Constitution et il me sera facile de vous démontrer tantôt que si l'on tenait compte des impôts communaux pour parfaire le cens électoral on ouvrirait en pratique la porte à des abus et à des fraudes de toute espèce.
Du reste, je reviens à mes électeurs et à la proportion qui existe entre les censitaires et le chiffre de la population.
Déjà l'honorable M. Kervyn a constate que le nombre des électeurs va sans cesse croissant.
Voici, messieurs, quelques renseignements à cet égard :
Le nombre des électeurs communaux était en 1836 de 186,633, en 1848 de 194,413, en 185 de 197,585, en 1860 de 221,714 et en 1863 de 227,333.
Ainsi, en 1863, il y avait 5,619 électeurs communaux de plus qu'en 1860 ; 29,748 de plus qu'en 1851 ; 32,920 de plus qu'en 1848 et 40,647 de plus qu'en 1836.
La progression du nombre des électeurs pour les Chambres a été plus grande encore.
Le chiffre de ces électeurs était en 1841 de 48,363, en 1851 de 79,407, en 1860 de 97,307 et en 1864 de 104,362.
Il y avait donc, en 1864, 7,000 électeurs généraux de plus qu'en 1860, 24,955 de plus qu'en 1851 et 56,000 de plus qu'eu 1841.
En 1841, il y avait environ 1 électeur sur 85 habitants, en 1851 1 sur 56, en 1860 1 sur 48 et en 1864 1 sur 4.
Mais pour comparer le nombre des électeurs à celui de la population, il faut tenir compte, non de toute la population du royaume, mais seulement de la population mâle, des hommes ayant l'âge requis pour pouvoir être inscrits sur les listes électorales, c'est-à-dire les hommes âgés de 21 ans, quand il s'agit des élections communales, et ceux âgés de 25 ans, quand il s'agit des électeurs généraux. Or, en prenant ces chiffres, on trouve qu'il y avait, en 1864, un électeur sur 12 à 13 habitants âgés de plus de 25 ans, et environ un électeur communal sur 6 Belges mâles, âgés de plus de 21 ans.
M. Coomans. - Cela n'est pas exact.
M. Dumortier. - C'est très exact. Si l'on compte les habitants mâles et majeurs, il y a un électeur sur six habitants. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On n'a pas la prétention de faire voter les enfants ni les femmes, sauf l'honorable M. Coomans, peut-être.
M. Coomans. - Vous ne commettez que des erreurs. Je n'ai pas proposé de faire voter les femmes.
MiVDPB. - Non, mais vous avez dit qu'il y aurait une certaine justice à leur donner le droit de vote.
(page 768) Eh bien, je dis qu'à moins de compter les femmes et les enfants dans la population à laquelle on veut conférer l'électorat, lorsqu'on veut établir une comparaison entre le nombre des électeurs et le chiffre de la population, on ne peut tenir compte que des hommes ayant atteint un âge suffisant pour être électeurs, soit pour les Chambres, soit pour la commune, et je répète qu'en prenant cette base, vous avez en Belgique un électeur pour les Chambres sur 12 à 13 habitants, et un électeur pour la commune sur 6 habitants.
Si j'insiste sur ces chiffres, c'est pour répondre à certaines erreurs qui se répandent et qui font croire qu'en Belgique il y a un nombre très restreint d'électeurs, à côté d'une foule très considérable, immense, de déshérités et de parias.
L'honorable M. Kervyn, et je rencontre ici en passant cette objection, parce que je parle des électeurs ; l'honorable M. Kervyn a signalé un fait incontestable, à savoir que le nombre des électeurs propriétaires augmente peu dans la situation actuelle, tandis que celui des fonctionnaires électeurs est en progression constante et rapide. Ces deux assertions sont exactes ; mais ce double fait résulte de la force même des choses.
Les propriétaires électeurs sont électeurs en vertu des contributions foncières qu'ils payent, c'est-à-dire de la fortune territoriale qu'ils possèdent.
Ou, comme la fortune territoriale générale ne varie point quant à l'impôt ; comme les évaluations cadastrales sont restées les mêmes jusqu'ici, il est assez difficile, sauf le cas de la division de la propriété, de voir augmenter rapidement le nombre des électeurs de ce chef, à moins de prendre des dispositions législatives nouvelles.
Quant aux fonctionnaires, le fait signalé s'explique encore. Le nombre des fonctionnaires a augmenté depuis quelques années, non pas, ainsi qu'on l'a dit, parce que la bureaucratie croit sans cesse, mais d'abord parce que plusieurs services nouveaux et importants ont été organisés ; on a créé les chemins de fer, on a réglé l'enseignement à tous ses degrés ; pour assurer la marché de ces divers services et pour les faire marcher convenablement, il a fallu employer un personnel de fonctionnaires plus considérable ; de plus, dans ces derniers temps, grâce à la munificence de la Chambre, le traitement des fonctionnaires a été augmenté, et partant, un certain nombre d'entre eux peuvent se donner un peu plus d'aisance, ils peuvent mieux se loger, ils payent un peu plus de contributions personnelles, et se trouvent ainsi inscrits sur les listes électorales, comme d'autres citoyens. Ceci dit, j'arrive au projet de loi.
Le projet a été bien maltraité par les différents orateurs qui l'ont apprécié. D'après les uns, la réforme que nous proposons n'en est pas une ; d'après d'autres, c'est une réforme timide, peu sérieuse, illibérale ; puis, c'est une manœuvre de parti ; c'est un acte de stratégie politique. On a dit aussi que notre loi est une œuvre inconstitutionnelle et qui mène droit au suffrage universel. Enfin quelques membres, faisant une excursion sur le domaine géographique, après avoir fait une excursion sur le domaine de l'histoire, nous disent : « Votre réforme est une réforme espagnole ; c'est une machine chinoise. » Et pour flétrir le projet de la manière la plus poignante, on déclare que notre réforme est une réforme doctrinaire ; et l'on croit avoir tout dit !
Messieurs, j'ai le droit de croire et de dire que les honorables membres qui ont apprécié le projet de loi d'une manière aussi sévère, aussi injuste, ne l'ont pas bien compris. Je vais le leur prouver.
Qu'on ne le perde pas de vue, d'abord il y a, entre le projet du gouvernement et les propositions qui ont été faites par divers membres, une différence essentielle. Le projet du gouvernement, et cette observation est importante, maintient tous les principes déposés dans nos lois électorales ; celui de l'honorable M. Guillery et même celui de l'honorable M. Nothomb les modifient, au contraire, dans leur essence.
Et en effet, d'après ces honorables membres, le cens ne serait en aucun cas la base unique de l'électoral, puisqu'ils exigent une autre condition ; ces honorables collègues maintiennent, il est vrai, un cens ; mais ils établissent désormais, pour tous les électeurs, une condition nouvelle, condition qui n'a pas été exigée spécialement, soit par le Congrès, soit par le législateur de 1831, soit par celui de 1836. Cette condition consiste à exiger, outre le cens, une preuve formelle de capacité. C'est donc là une innovation essentielle, et que je prie la Chambre de vouloir bien ne pas perdre de vue.
L'honorable M. Van Humbeeck, dans son premier amendement, va plus loin ; il propose la capacité comme base unique. Ceux qui possèdent une instruction suffisante, dit-il, seront désormais électeurs.
D'après le projet de l’honorable M. Guillery, pour pouvoir être électeur à l'avenir, il faudra nécessairement savoir lire et écrire.
Enfin, d'après les honorables MM. Nothomb et de Haerne, à dater de l'année 1870, nul électeur nouveau ne sera inscrit sur les listes électorales, s'il ne justifie qu'il sait lire et écrire.
Ainsi la proposition des honorables MM. Nothomb et de Haerne comme celle de l'honorable M. Guillery, bien que les premiers admettent un tempérament quant à l'époque de la mise en vigueur des dispositions nouvelles, ces propositions, dis-je, imposeront à l'électeur des conditions toutes nouvelles et que le législateur ancien n'avait pas établies. Il faudra à l'avenir que le citoyen, pour être inscrit sur les listes électorales, fasse la preuve qu'il possède un certain degré d'instruction, et ce indépendamment dc la preuve du cens qui lui est uniquement demandée dans l'état actuel des choses.
Le projet du gouvernement, au contraire, maintient en règle générale, la législation existante. Si notre projet est voté, tout citoyen payant le cens déterminé par la loi en vigueur sera électeur à l'avenir, comme il l'est aujourd'hui ; et cette catégorie d'électeurs sera toujours la plus nombreuse : elle formera le gros du corps électoral.
Donc, sous ce rapport, le projet du gouvernement ne modifie rien ; et c'est pour cela que j'ai pu dire hier, sans parler du suffrage universel, que nous étions d'accord sur plusieurs points avec l'honorable M. Schollaert ; car, comme l'a demandé l'honorable membre, le cens, d'après notre système, continue d'être la base de notre édifice constitutionnel.
Il y a donc, je le répète, entre le projet du gouvernement et la plupart des autres projets, une différence radicale qui ne doit pas, je le répète, échapper à l'attention de la Chambre. Nous maintenons en règle générale le système tel qu'il existe.
A l'avenir, continueront à être admis à l'électorat tous les citoyens qui y seraient admis aujourd'hui, sous l'empire de la législation existante. Au contraire, les systèmes que je combats imposent à l'électeur nouveau des conditions entièrement nouvelles ; il ne suffira plus de payer le cens, il faudra encore qu'on fournisse la preuve qu'on possède un certain degré d'instruction. (Interruption.)
L'honorable M. de Haerne nous dit que ceux qui sont aujourd'hui électeurs restent électeurs ; soit, mais il n'en est pas moins vrai qu'en 1870 ceux qui pourront être inscrits sur les listes électorales devront avoir fait preuve de capacité.
M. de Haerneµ. - Notre amendement n'exige la condition de l'instruction primaire que pour les électeurs à créer. Ceux qui sont inscrits resteront inscrits en venu du cens ; ils conserveront le droit acquis.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, sans doute d'après vous, et c'est la différence entre votre amendement et celui de l'honorable M. Guillery, tous ceux qui sont aujourd'hui électeurs, qui sont inscrits, restent électeurs.
M. Guillery. - Ce n'est pas une différence, c'est la même chose.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je vous demande pardon.
M. Guillery. - Je vous demande mille fois pardon.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous dites que pour être électeur...
M. Guillery. - Je le dis dans mes développements.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je prends votre projet.
M. Guillery. - Eh bien, dans mon projet je parle pour l'avenir. Je l'ai expliqué très clairement dans mes développements. Il est facile de combattre une proposition en la défigurant.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne défigure rien. Voulez-vous me permettre de lire votre texte. C'est le texte qu'on applique.
M. Guillery. - Non, c'est la pensée qu'il faut voir. (Interruption.) Je dis que, dans mon intention, il est bien clair que cela ne s'applique qu'à l'avenir.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous vous fâchez ; je ne crois cependant pas dire des choses qui peuvent blesser l'honorable M. Guillery ou quelque autre membre.
M. Guillery. - Si ! Cela me blesse, profondément, que vous me fassiez dire le contraire de ce que j'ai dit.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Si je me trompe, on peut me rectifier, J'ai compris ainsi votre projet et je m pouvais le comprendre (page 769) autrement. Voici en effet comment il est rédigé : « L'article 7 de la loi communale est modifié comme suit : « ... 4° Savoir lire et écrire. » Or, comme, tous les ans, on dresse les listes électorales, sans l'explication que vient de donner l'honorable membre et à moins d'une modification à son projet, s'il était adopté, ou aurait pu croire qu'on ne peut plus être électeur sans savoir lire et écrire, et je crois que tous les membres de l'assemblée ont compris comme moi.
M. Guillery. - C'est qu'alors ils n'ont pas lu mes développements : Du reste la section centrale a parfaitement compris ma proposition.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Quoi qu'il en soit, il est un point sur lequel, je pense, nous sommes d'accord avec l'honorable M. Guillery, c'est qu'à l'avenir, pour être inscrit sur une liste électorale, il faudra prouver que l'on sait lire et écrire. Or cette condition, introduite dans notre législation, est un changement essentiel au principe admis par le Congrès, tandis que nous admettons le principe ancien, sauf à faire une exception dont je vais avoir l'honneur de vous parler.
Tenant compte de certains faits et spécialement du développement de l'instruction dans le pays, le projet du gouvernement, tout en maintenant le principe du cens comme règle générale, croit pouvoir trouver dans la capacité une garantie suffisante pour réduire, par exception, le chiffre du cens en faveur de ceux qui possèdent un certain degré d'instruction. Nous admettons donc le principe général, mais nous établissons une exception. C'est une exception ; mais, d'après moi, elle est sans danger pour l'avenir, parce qu'elle ne peut prendre une extension immense et conduire au suffrage général ; elle ne nous semble pas non plus, quoi qu'on en ait dit et quoi qu'ait paru craindre l'honorable M. Kervyn, contraire à l'esprit de la Constitution.
Le Congrès, il est vrai, ainsi que le législateur de 1831 et de 1836, ont inscrit dans la loi le cens comme base unique de l'électorat ; mais faut-il s'en tenir au texte seul et ne peut-on pas rechercher les intentions du législateur, l'esprit qui a dicté ce texte ? Or, en exigeant un cens, et un cens dont le maximum était très élevé, qu'ont voulu ces législateurs ? Ils ont voulu conférer le droit de participer à la direction et à l'administration des affaires du pays à des citoyens présentant toutes les garanties exigibles pour remplir utilement cette importante mission. Ils ont évidemment pensé que des électeurs payant un cens élevé, possédant une certaine fortune, auraient pu acquérir d'abord les connaissances nécessaires pour bien remplir leur mandat ; ensuite que ces citoyens auraient le plus grand intérêt à la bonne direction des affaires publiques.
Ainsi donc, messieurs, nous justifions notre proposition en disant : Le Congrès, en fixant un cens comme base unique, avait en vue de ne conférer les droits électoraux qu'à des citoyens présentant des garanties de capacité, garanties qu'il croyait trouver dans le payement du cens, comme il croyait aussi y trouver des garanties d'ordre et de bonne administration.
Or, aujourd'hui que l'instruction a pris des développements considérables, aujourd'hui que l'instruction a été organisée à tous ses degrés en Belgique depuis plusieurs années, nous nous demandons s'il ne serait pas permis de tenir compte, dans une certaine mesure, de ce fait. Selon nous, les garanties de capacité et d'intelligence que l'on présume trouver exclusivement dans le payement du cens, on peut les constater aujourd'hui par d'autres moyens.
Et je le demande, ne peut-on pas tenir compte de cette situation, pour diminuer, en faveur de ceux qui présentent des garanties réelles et sérieuses de capacité, le chiffre du cens fixé primitivement plus haut afin de trouver ces garanties.
Je ne pense donc pas, messieurs, que notre proposition soit contraire à l'esprit de la Constitution.
Messieurs, je ne sais pas quelle est l'opinion des divers membres de cette assemblée qui ont siégé au Congrès. L'honorable M. de Theux, l'honorable M. de Brouckere et l'honorable M. de Terbecq ne se sont pas prononcés. Mais deux membres de cette assemblée, l'honorable M. Rogier et l'honorable M. de Haerne, qui siégeaient aussi au Congrès, semblent croire, comme nous, qu'il n'est pas contraire à l'esprit de notre pacte fondamental, d'admettre, dans une certaine mesure, l'instruction comme garantie de la capacité électorale.
On a accusé notre projet d'être illibéral, d'être inefficace, d’être illusoire ! Voyons si ces accusations sont fondées.
Examinons d'abord la question au point de vue de la réduction du cens, comparons le chiffre proposé par nous et le chiffre des réductions proposées par d'honorables membres ; on reconnaîtra facilement que, sous ce rapport au moins, le gouvernement va plus loin que les auteurs des propositions.
Aujourd'hui, vous le savez, le maximum du cens, je ne parle que des élections communales, est de 42 fr. 32 c. Le gouvernement propose, moyennant certaines conditions de capacité, de réduire ce sens de moitié pour toutes les communes du pays ; le maximum du cens serait donc à l’avenir de 21 fr. 16 c.
La section centrale a proposé de fixer ce maximum à 15 fr., et je déclare à la Chambre que, désirant arriver à une transaction et à l'adoption de notre projet, le gouvernement n'hésite pas à se rallier à la proposition de la section centrale. Il en résulterait que le maximum du cens dans les plus grandes villes serait de 15 fr.
D'après notre système, dans 1,966 communes dont la population est inférieure à 2,000 âmes, le cens pourrait être réduit de 15 fr. à 7 fr. 50 c. (interruption) en faveur de ceux qui offriront les garanties de capacité exigées par la loi, car nous maintenons le cens comme règle en principe général. (Interruption.) Mais, je ne parle maintenant que du cens, tout à l'heure je parlerai de la capacité.
Pour 451 communes, dont la population est de 2,000 à 5,000 âmes, le cens pourrait, être réduit de 20 à 10 francs. Enfin, pour 125 communes d'une population de 5,000 âmes et au delà, le cens pourrait être réduit de 30 fr., de 40 fr. ou de 42 fr. à 15 francs.
Je ne parle pas ici du projet de loi de l'honorable M. Van Humbeeck, qui s'écarte complètement du système du gouvernement, ni du projet de M. Couvreur, que nous discuterons séparément ; mais je ferai remarquer à l'honorable M. Guillery que son projet aurait, quant au cens, une portée bien moindre que celui du gouvernement.
En effet, messieurs, l'honorable député de Bruxelles fixe le chiffre uniforme de 15 fr. ; il en résulterait que 1,966 communes... (Interruption.) Nous examinerons tantôt la question des centimes communaux.
M. Guillery. - Vous dites que rien n'est changé.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, je dis que rien n'est changé, à moins que l'on ne tienne compte, pour fixer le cens, des impôts communaux directs et je prouverai tout à l'heure qu'il est impossible d'en tenir compte. (Interruption.) Si M. Guillery se rallie aux amendements proposés par d'honorables collègues, je dois croire qu'il abandonne son projet.
M. Guillery. - Je dois croire que vous ne m'avez ni écouté ni lu. J'ai dit formellement que si la Chambre n'admettait pas ma proposition de tenir compte des centimes additionnels, la conséquence en serait de réduire le cens à 12 ou à 10 fr. Je trouve donc très singulier qu'on répète que je ne fais rien pour les petites communes.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je laisse parler M. Guillery sans l'interrompre, même quand il m'interrompt ; je le prie donc de me laisser parler à mon tour. Ce n'est pas de ma faute si le texte de son projet m'a induit en erreur, comme il a induit en erreur beaucoup d'autres membres.
Les amendements qui fixent un cens uniforme de 15 fr. ne produiront, dis-je, aucun effet pour 1,966 de nos communes, et si on exige la condition de savoir lire et écrire, le nombre des électeurs sera même diminué dans les communes. Car aujourd'hui, dans ces 1,966 communes, tous ceux qui payent le cens de 15 fr. peuvent être éleveurs sans autre condition.
Tout à l'heure, l'honorable M. Nothomb m'a interrompu et m'a dit : « Nous descendons à 10 fr. » En effet, M. Nothomb descend à 10 francs pour les communes dont la population est inférieure à 2,000 âmes ; mais je ferai remarquer que le gouvernement descend plus bas et n'exige que 7 fr. 50 c, et dès lors l'honorable M. Nothomb n'a pas le droit de dire que notre projet est illibéral.
Ainsi l'honorable M. Nothomb ne diminue le cens que de 5 fr. pour les communes de moins de 2,000 aines, et pour les communes de 2,000 à 5,000 âmes, il propose de réduire le cens de 20 à 15 fr. ; c'est encore une diminution de 5 fr., tandis, que pour ces communes, nous proposons d’abaisser le cens de moitié. (Interruption.)
(page 770) Mais si vous ne trouvez pas dans ces communes un nombre considérable de gens instruits, vous aurez beaucoup moins d'électeurs qu'aujourd'hui, puisque vous n'admettez plus, à dater de 1870, que ceux qui savent lire et écrire. Il peut y avoir dans les communes rurales un certain nombre de personnes qui se sont enrichies et qui ne savent pas lire et écrire ; ces personnes vous les excluez ; vous forcerez un homme, fût-il riche, fût-il éligible même au Sénat, par exemple, à venir prouver qu'il sait lire et écrire.
Ainsi, messieurs, quand on compare les différents projets, quant au cens, à celui qui a été présenté par le gouvernement, il faut reconnaître que moyennant, il est vrai, une différence dans les conditions de capacité, nous fixons un cens plus bas que les honorables membres.
L'honorable M. Guillery nous a dit qu'il y a dans son projet deux principes fondamentaux : l'uniformité du cens et la faculté de compter les centimes additionnels pour la formation de ce cens. L'uniformité du cens, d'après l'honorable membre, est un principe d'équité et de justice distributive. Vous avez, dit-il, reconnu le principe lorsque vous avez introduit, en 1848, le cens uniforme pour les élections législatives. Messieurs, cela s'explique facilement : en 1848, la Chambre a voulu réduire le cens au minimum fixé par la Constitution, et dès lors il était impossible de maintenir un cens différentiel.
Mais il y aurait un inconvénient à admettre le système de l'honorable membre pour les élections communales.
Si le cens était fixé à 15 fr., taux auquel il est aujourd'hui dans 1,966 communes, le nombre des électeurs s'accroîtrait considérablement dans les grandes villes ; mais, comme j'ai eu l'honneur de le dire, par suite de la condition nouvelle de savoir lire et écrire, ce nombre décroîtrait dans les 1,966 communes rurales, et, dès lors, la proportion entre le nombre des électeurs et celui de la population serait insuffisante, et il en résulterait que l'article 9 de la loi électorale recevrait une application beaucoup plus fréquente qu'aujourd'hui dans beaucoup de communes, ou on devrait peut-être renforcer le. corps électoral par l'adjonction de contribuables moins imposés, ainsi que le veut l'article 9 de la loi communale.
Messieurs, le second principe fondamental dont nous a parlé l'honorable membre, c'est l'admission de tous les impôts directs pour la composition du cens électoral.
Eh bien, messieurs, ce système n'est point pratique et, je ne crains pas de le dire, si on l'admettait, on ouvrirait la porte à toutes les fraudes et l'on permettrait à toutes les communes d'avoir désormais un corps électoral à leur guise.
Que sont les impôts directs communaux ? Les principaux sont la cotisation personnelle et les centimes additionnels.
La cotisation personnelle, que dans les Flandres on appelle l'abonnement, est une taxe fixée pour ainsi dire arbitrairement par le conseil communal et répartie entre tous leurs habitants, suivant la fortune présumée de chacun et suivant d’autres bases, d’après des présomptions qui sont ordinairement énumérées dans la délibération constitutive de cet impôt.
Si le conseil communal peut établir ou ne pas établir cette taxe, répartir cet impôt, il pourra ainsi constituer le corps électoral à son gré, en vue des élections, puisqu'il peut fournir ou enlever la base du cens à son gré.
II pourra même faire disparaître d'un coup toute une catégorie d'électeurs en supprimant cette taxe.
On dit souvent à tort qu'il existe des centimes additionnels obligatoires. Il n'en est plus ainsi depuis la promulgation de la Constitution. Les communes sont libres de s'imposer comme elles l'entendent. Elles choisissent telle ou telle base d'impôt qui leur convient.
On pourra donc, dans une commune, supprimer les centimes additionnels pendant l'année qui précéderait les élections et demander à d'autres espèces d'impôts les ressources nécessaires. Il en résultera que les contribuables n'auront pas payé, pendant le nombre d'années voulu, la contribution exigée et qu'ainsi toute une catégorie d'électeurs disparaîtra.
Je crois, messieurs, que ces raisons seront appréciées par la Chambre. Il est impossible de permettre aux conseils communaux de faire et de défaire les listes électorales. C'est là un point très important et c'est pour cela que j'ai fait remarquer tout à l'heure que je croyais impossible d'admettre, pour les élections communales, le système de faire compter soit la cotisation personnelle, soit les centimes additionnels, soit toute autre espèce d'impôts.
Voilà, messieurs, quant au cens. J'ai comparé ce que propose le gouvernement à ce qu'ont proposé plusieurs honorables membres. Il nie reste à dire un mot des garanties de capacité que nous demandons aux électeurs.
Les garanties que nous demandons sont des garanties sérieuses. Nous demandons ces garanties, parce que nous réduisons davantage les garanties qu'on trouvait dans le cens.
D'après nous, les garanties que vous demandez, celle de savoir lire et écrire ou d’avoir fréquenté pendant 3 ans, par exemple, une école primaire, sont illusoires et ne peuvent remplacer les garantes du cens actuel. Que demandons-nous ? La fréquentation pendant trois ans d’une école moyenne.
On nous dit : Cette condition est difficile à remplir ; les écoles moyennes n'existent que dans les villes. D'après la loi, il y en a 50 ; il y a 10 athénées et de plus quelques établissements communaux. Voilà environ 70 ou 80 établissements, tous situés dans les chefs-lieux de province ou d'arrondissement. On fait donc tout pour les villes, rien pour les campagnes.
Ceux qui font cette objection ne se rendent pas bien compte de la portée de notre projet de loi. (Interruption.)
Ils l'ont mal interprété et ils ne semblent pas avoir lu l'article 5, qui est le commentaire de l'article 3, et qui dit ce que le gouvernement entend par établissement d'enseignement moyen.
Qu'il me soit permis de le rappeler à la Chambre pour ceux qui ne l'auraient pas lu, ou qui l'auraient perdu de vue. Cet article porte :
« Outre les établissements soumis au régime de la loi du 1er juin 1850, sont considérés comme établissements d'instruction moyenne ceux qui, pour être utilement fréquentés, exigent la connaissance préalable des matières faisant partie de l'enseignement primaire. »
Ainsi, il ne s'agit pas seulement de la fréquentation d'une école moyenne proprement dite, mais encore de tous les autres établissements qui ne peuvent être utilement fréquentés que lorsqu'on a suivi les cours d'une école primaire.
M. de Mérodeµ. - Quels sont ces établissements ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce sont, par exemple, outre les athénées dont je viens de parler, les écoles moyennes, les collèges communaux, les institutions d'instruction moyenne privées du premier et du second degré, les écoles industrielles qui sont nombreuses dans le pays, les écoles normales, les écoles d'agriculture et bien d'autres encore.
On a demandé si l'article 5 du projet de loi comprend les écoles d'adultes du premier degré, écoles qu'on ne peut fréquenter qu'après avoir quitté l'école primaire. Je n'hésite pas à déclarer que, dans l'opinion du gouvernement, ces établissements sont compris dans l'article 5 du projet et que ceux qui les auront fréquentés pendant le temps réglementaire, pourront demander le certificat.
M. Coomans. - C'est une manière de créer des électeurs tant qu'on veut.
MfFOµ. - Il faut payer le cens.
M. Coomans. - La moitié du cens actuel.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. Coomans semble nous faire un reproche de ce que nous comprenions les écoles d'adultes parmi ces établissements.
M. Coomans. - Du tout.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Que voulez-vous dire ?
M. Coomans. - Je veux dire qu'il suffira à un conseil communal d'instituer une école d'adultes pour créer un certain nombre d'électeurs, afin de parfaire la moitié du cens ou de supprimer une de ces écoles pour faire disparaître des électeurs.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Eriger ou supprimer une école d'adultes pour créer ou faire disparaître des électeurs, c'est s'y prendre longtemps d'avance, attendu que les écoles d'adultes sont fréquentées par des jeunes gens qui ne seront électeurs que quelques années plus tard.
(page 771) M. Coomans. - Vous supposez bien qu'on créera des impôts.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'espère que nous aurons bientôt des écoles d'adultes dans le plus grand nombre des communes du pays, et je regretterais qu'il y eût en Belgique une seule commune qui négligeât d'appliquer un moyen aussi efficace de développer l'instruction que celui que nous mettons aujourd'hui à leur disposition.
Le programme des écoles moyennes et des écoles d'adultes est déterminé par la loi ; c'est, sauf une légère distinction, le programme des anciennes écoles primaires supérieures.
M. Couvreurµ. - Et les écoles régimentaires ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Les écoles régimentaires ? Si, pour les fréquenter utilement, il faut posséder les connaissances qui forment le programme de l'école primaire, ces écoles seront comprises dans le projet. Du reste, messieurs, l'indication des établissements n'est pas limitative. (Interruption.)
Vous voyez donc, messieurs, que la faculté de suppléer par l'instruction à la partie de cens que l'on ne pourrait pas payer peut s'acquérir presque partout en Belgique et qu'il n'est pas raisonnable de dire que la réforme que nous proposons ne profitera qu'aux villes.
Si nous exigeons un certificat d'études dans une école un peu supérieure, c'est parce que nous croyons trouver, dans les études seules que l'on y fait, une garantie suffisante. Que propose-t-on, que proposent certains membres de la Chambre ? Des garanties complètement illusoires, complètement insuffisantes ; d'après les uns, il suffirait d'avoir suivi, pendant trois ans, les cours d'une école primaire publique ou privée.
Mais que savent en général les élèves des écoles primaires après trois ans de fréquentation ? L'enfant va à l'école à 7 ou 8 ans, il la quitte à 10 ou 11 ans, après avoir fait sa première communion et apprend un métier ou va travailler la terre. Et lorsqu'il aura atteint sa 21ème année, il viendra majestueusement avec son certificat de fréquentation, bien que très probablement il ne sache même plus le lire. (Interruption.)
C'est un fait connu, et je le demande à tous ceux de vous qui ont vécu avec la classe ouvrière : Un grand nombre d'enfants qui ont quitté l'école primaire à 10 ou 11 ans n'ont-ils pas. a leur majorité, oublié tout ce qu'il y ont appris ?
M. Coomans. - C'est la critique de l'enseignement primaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est la critique de l'enseignement primaire, dit M. Coomans ; évidemment, messieurs, l'enseignement primaire n'est pas parfait, il y a beaucoup à faire encore ; mais nous luttons tant que nous pouvons pour l'améliorer, nous luttons tant que nous pouvons pour en faire disparaître les vices ; seulement, en attendant que nous y soyons parvenus, les vices existent. Oui, il est certainement regrettable de voir les enfants quitter l'école à 11 ans.
M. Bouvierµ. - Vous avez établi des écoles d'adultes. C'est un moyen de remédier à cet inconvénient.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Sans doute, mais en attendant qu'elles existent partout, sur 68,000 enfants qui sont sortis des écoles primaires en 1865, 22,000 seulement avaient suivi un cours complet ; c'est regrettable, sans doute, mais c'est ainsi.
Et on voudrait inférer de ce que les enfants ont suivi les cours d'enseignement primaire pendant trois ans qu'ils ont les connaissances requises pour obtenir une réduction de cens et former d'utiles électeurs ! Mais, messieurs, veuillez remarquer, d'ailleurs, que le programme de l'école primaire est très peu étendu. En définitive, qu'enseigne-t-on à l'école primaire ? A lire, à écrire et à calculer. Eh bien, je le demande, suffit-il de pouvoir tracer quelques mots sur du papier pour exercer utilement le droit électoral ? (Interruption de M. Wasseige.) M. Wasseige, qui s'est beaucoup occupé des questions d'instruction, reconnaîtra que sur 30 enfants qui quittent l'école primaire à l'époque de leur première communion, il y en a à peine trois ou quatre qui, à l'âge de dix-huit ou vingt ans, savent encore convenablement lire et écrire.
M. Coomans. - L'instruction ne serait donc pas nécessaire, selon vous ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Mais si.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - M. Coomans, pas d'interruptions.
M. Coomans. - Les imbéciles sont électeurs et ils le restent, d'après M. le ministre.
MpVµ. - Je réitère à M. Coomans l'invitation de ne plus interrompre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il faut que je contrarie beaucoup l'honorable membre, puisqu'il m'interrompt sans cesse. Il ferait mieux de demander la parole.
M. Coomans. - Je la demande.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous pourrez me répondre, mais je dois croire que les choses que je dis vous sont bien désagréables...
M. Coomans. - Pas à moi, mais au peuple.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il ne s'agit pas ici du peuple, mais de savoir si les conditions de capacité que vous exigez des électeurs pour les admettre à l'électorat, sont suffisantes, si ces électeurs savent bien lire et bien écrire ; moi, je veux ce qu'a voulu le Congrès, ce qu'a voulu M. Kervyn, je veux maintenir ce qui est, je veux que ceux qui payent le cens entier continuent à être électeurs, sans tenir compte de leur capacité, mais je veux aussi tenir compte des. circonstances et faire une exception à cette règle générale, en comptant, pour une part plus large, la capacité sérieuse.
Il ne faut pas dénaturer ma pensée.
On me disait tantôt : Mais si vous admettez comme établissements d'enseignement moyen les écoles d'adultes et les écoles industrielles, vous allez ouvrir la porte à la fraude. Mais l'ouvrez-vous moins, en admettant l'école primaire privée ? Qu'est-ce qu'une école primaire privée ? Il y a des écoles primaires privées de toutes espèces, depuis celle où l'enseignement est donné à de tout petits enfants par de vieilles femmes, jusqu'à l'école primaire organisée en vertu de la loi de 1842.
Un des amendements porte que, seront électeurs ceux qui justifieront qu'ils possèdent l'instruction telle qu'elle est donnée dans les écoles organisées conformément à la loi de 1842.
Mais si ces écoles ne sont pas soumises au régime de cette loi, si ce sont des écoles libres, si elles ne sont pas inspectées, où sera la garantie ?
Vous voyez bien, messieurs, que le reproche qu'on fait à notre système retombe d'aplomb et beaucoup plus rudement sur le système des honorables membres de la Chambre qui ont présenté des amendements. Ainsi, quand, l'autre jour, M. Kervyn attaquait notre projet, il battait ses amis sur le dos du gouvernement. Car toutes les objections qu'on fait contre le projet du gouvernement atteignent, et plus directement encore, le projet de M. Guillery et les amendements qui ont été proposés.
On nous dit : Comment constatera-t-on qu'un établissement est d'enseignement moyen ? Mais, messieurs, cela sera constaté par les députations permanentes, corps respectables, corps électifs et qui présentent toutes les garanties désirables d'impartialité.
L'honorable M. Nothomb a vivement critiqué le système des certificats. Mais il admet lui-même ce système, puisqu'il exige la production d'un certificat de fréquentation, pendant trois années, d'une école primaire.
On craint les fraudes, mais les fraudes qui peuvent être la suite d'un examen passé devant un jury ne sont pas à redouter ?
Qui vous garantit que les 200 à 300 jurys qu'on devra instituer dans le pays seront d'une impartialité parfaite ; qui vous dit que des membres de ces jurys ne seront pas animés de passions politiques et ne se montreront pas injustement favorables à tels citoyens, défavorables à tels autres ?
Et si des injustices se commettent, comment pourra-t-on les réparer, puisque les décisions des jurys seront sans appel ?
Messieurs, je finis.
L'heure s'avance et la Chambre est, je pense, fatiguée et moi aussi.
Je terminerai donc ici, pour le moment, mes observations, me réservant de les développer davantage lors de la discussion des articles et de fournir alors les nouvelles explications qui pourront m'être demandées.
MpVµ. - Il est parvenu au bureau un amendement ainsi conçu :
(page 772) « La moitié de l'impôt foncier payé par le locataire ou le fermier lui sera comptée pour le cens, à charge par lui de justifier qu'il l'a payé l'année précédente.
« (Signé) Kervyn de Lettenhove, Delcour, Vander Donckt, Magherman, de Mérode, Dumortier, Wasseige, d’Ursel, Moncheur, Schollaert. »
Quand ces messieurs veulent-ils développer cet amendement ?
M. Kervyn de Lettenhove. - Je me réserve d'exposer les motifs de cet amendement lorsque la Chambre abordera la discussion des articles.
MpVµ. - L'amendement sera imprimé et distribué.
M. Pirmezµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le dernier rapport de la commission du code pénal sur les articles qui lui ont été renvoyés par la Chambre.
- Impression et distribution.
La séance est levée à quatre heures.