(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 697) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du 'procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction du procès-verbal est adoptée
M. Thienpont,. présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Un grand nombre d'habitants de Tournai présentent des observations contre les travaux qui se font à l'Escaut près de cette ville. »
M. Dumortier. - Messieurs, cette pétition est extrêmement sérieuse. Trois à quatre cents habitants notables de Tournai réclament contre les travaux qui sont à la veille d'être faits à l'Escaut et qui ont été suspendus par suite des faits dont j'ai entretenu dernièrement la Chambre.
Comme il s'agit d'une affaire très urgente, je demanderai à la Chambre de bien vouloir ordonner un prompt rapport sur cette pétition. Sinon, le rapport viendrait trop tard.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Des habitants de Bruxelles demandent l'extension du droit électoral. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Des habitants de Mariembourg demandent le suffrage universel à tous les degrés. »
- Même dépôt.
« Le sieur Dubrune, combattant de 1830, demande un secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Desmecht demande qu'on poursuive les infractions qu'il a signalées à l'autorité judiciaire et à la Chambre. »
M. Jouretµ. - Je me proposais de demander un prompt rapport sur cette pétition. Elle est très importante, car elle signale des abus de pouvoir de la part de l'administration communale de Biévène.
Mais je vois dans mon feuilleton de pétitions que cette pétition sera rapportée dans quelques jours sans doute par l'honorable M. de Kerchove. Je crois donc que j'atteindrai mieux mon but en appuyant le renvoi à la commission des pétitions, mais en faisant remarquer que la pétition qui figure au feuilleton sous le n°18441 a le même objet, afin que l'honorable M. de Kerchove la comprenne dans son rapport.
- Le renvoi à la commission des pétitions est ordonné.
« Le sieur Jeanly, greffier de la justice de paix du canton de Houffalize, demande la suppression des mots « au comptant » dans l'article 15 du projet de loi sur l'organisation judiciaire et prie la Chambre de rejeter l'article 225 de ce projet. »
« Même demande des greffiers des justices de paix de Nederbrakel, Bruxelles, Ninove, Wolverthem, Herzele, Loochristy, Moll, Ferrières, Heyst-op-den-Berg, Harlebeke, Hoogstraeten, Santhoven, Perwvez et Bruges. »
- Renvoi à la commission qui a examiné le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
« Le sieur Steinebruggen, greffier à la justice de paix du canton de Dalhem, demande la suppression des mots : « au comptant » dans l'article 15 du projet de loi sur l'organisation judiciaire. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Wavre demandent la révision de la loi sur la garde civique. »
« Même demande d'habitants de Bruxelles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.
MpVµ. - La discussion générale continue.
M. Nothomb. - Je voudrais exposer ou plutôt rappeler à la Chambre pourquoi nous avons pensé, mes amis et moi, qu'une extension du droit électoral est une chose désirable et avantageuse pour le pays ; pourquoi le projet du gouvernement nous a semblé défectueux, et enfin pourquoi les propositions que nous avons formulées nous paraissent préférables.
Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale commençait dernièrement son discours en lisant quelques parties de son rapport. Il me sera permis de l'imiter, car dans le passage que je vais avoir l'honneur de vous lire, je trouverai à l'avance la réfutation d'une première objection qu'on nous a présentée sous forme générale et en quelque sorte comme fin de non-recevoir.
Je disais, dans la note qui se trouve à la suite du rapport de l'honorable M. Hymans, ceci :
« On ne peut nier l'opportunité d'une modification de notre régime électoral renfermée dans les limites de la Constitution. Cette modification doit avoir pour résultat de développer la vie politique du pays en appelant, d'une manière sérieuse, un plus grand nombre de citoyens à prendre part à la gestion des affaires de la province et de la commune. C'est à la fois une mesure basée sur la justice et sur la prévoyance, car, d'un côté, elle procède de l'extension de notre principe fondamental, « la souveraineté nationale, » de l'autre côté, elle initie graduellement des classes jusqu'ici privées du droit de suffrage à l'exercice d'une prérogative sans laquelle l'homme reste à l'état de minorité dans la société politique d'un pays. »
Messieurs, on paraît abandonner aujourd'hui cette objection qu'on faisait d'abord aux partisans d'une réforme électorale ; et véritablement l'on fait bien. Elle n'était pas sérieuse. On nous disait : « Le besoin d'une réforme ne se fait pas sentir ; c'est un besoin factice ; le pays ne s'en émeut pas ; c'est une question qui a surgi dans l'esprit de quelques rêveurs ; sauf 25 ou 50 personnes au plus, le pays ne s'en préoccupe pas. »
Ces allégations méritent à peine qu'on les réfute. La question de la réforme électorale a surgi depuis longtemps dans le pays. Elle a d'abord été soulevée par quelques voix isolées dans cette Chambre, il y a plusieurs années, j'en étais ; elle a été posée plus tard par le programme de l'honorable M. Dechamps et de ses amis ; elle a été reprise par l'honorable M. Guillery, deux ans après.
Et, en définitive, elle a été affirmée en quelque sorte par le gouvernement lui-même qui, ne pouvant plus résister à l'opinion publique, a présenté lui-même un projet de réforme. Enfin, l'émotion, calme, je le reconnais, et je m'en félicite, et la solennité de ce débat, comme l'a dit l'honorable rapporteur, attestent à la dernière évidence que le besoin d'une réforme n'est pas artificiel et qu'il correspond à l'opinion du pays.
Peut-être dira-t-on encore que c'est une manœuvre de parti inventée par quelques meneurs mécontents. Est-ce soutenable ? Peut-on admettre qu'il dépende de quelques personnes d'inventer une question semblable, de la porter devant le parlement ? Mais si elle ne répondait pas au sentiment du pays, la discussion ne tiendrait pas deux heures, elle ne résisterait pas au moindre examen, tandis que voilà deux ans et au delà que nous nous en occupons, que voilà quatre jours que la Chambre y consacre des séances longues et remplies et qu'elle a entamé un débat qui ne semble pas près de finir.
D'ailleurs, n'est-ce pas l'objection qu'on fait à toutes les réformes, à toutes les innovations ? Elle est éternelle, et si je puis le dire, stéréotypée à propos de toute demande sérieuse de progrès et de modification, surtout dans l'organisation politique d'un pays. Toujours l'on répond que personne ne demande la réforme, que tout est bien et que ses auteurs l'ont imaginée. Mais aussi il arrive parfois que les événements du (page 698) lendemain viennent donner un cruel démenti à la prévoyance de ces prétendus sages qui niaient, la veille, le besoin d'une réforme qui les emportait quelques jours après.
Je ne m'arrêta donc pas davantage à cette première objection ; je crois qu'on n'y insistera plus ; et qu'il reste bien entendu que l'extension du droit électoral n'est pas une question factice, oiseuse, mais qu'elle est digne d'occuper le parlement et qu'elle répond à un sentiment profond du pays.
Il y a une seconde espèce de fin de non-recevoir qu'on nous a opposée, que l'on continuera de nous opposer et sur laquelle je reviendrai tout à l'heure.
Messieurs, il nous a été impossible d'accepter le projet du gouvernement. J'en ai dit les raisons l'année dernière.
Pour être plus court, pour ne pas trop fatiguer la Chambre, et pour m'éviter à moi-même l'ennui de donner une forme nouvelle à des idées déjà vieilles, je me permets de vous relire une partie des observations par lesquelles précédemment j'ai combattu le projet.
C'était dans la séante du 2 mai de l'année dernière ; je m'exprimais ainsi :
« Toute réforme électorale, pour être sage et juste, pour être large et loyale, doit s'inspirer non d'un intérêt de parti, mais de l'intérêt de tous, non d'un calcul de prépondérance de parti, mais de l'impartialité politique. C'est à ce point de vue qu'il convient d'apprécier les diverses propositions qui nous sont soumises.
« Il m'est, quant à moi, impossible de reconnaître, dans le projet du gouvernement, ce caractère de justice, d'égalité et d'impartialité sans lequel toute réforme électorale n'est plus, à vrai dire, qu'un acte de stratégie politique.
« Sous ce rapport, le projet de mes honorables amis de 1864 et celui que je développe en ce moment sont essentiellement différents.
« Nous, aujourd'hui, nous demandons une réduction de cens pour le vote communal et pour le vote provincial, mais nous maintenons les bases de la loi provinciale et de la loi communale existantes. On n'a jamais accusé ces lois d'avoir été faites dans un intérêt de parti et, en les respectant comme nous le faisons, on se met certainement à l'abri du reproche, de tenter une modification électorale dans un intérêt de parti. Aujourd'hui comme alors nous voulons une réforme loyale, libérale, constitutionnelle, au profit de tous, et non au profit de quelques catégories et de quelques privilégiés.
« Tel est cependant le caractère qu'il faut reconnaître dans le projet du gouvernement, et l'on n'en juge pas trop sévèrement en affirmant que c'est un intérêt politique, un intérêt de parti qui l'a dicté.
« On dirait que, forcés de présenter le projet pour conserver le pouvoir et un reste de popularité, les auteurs du projet se sont posé le problème suivant : Etant donnée ou subie plutôt la nécessité d'une réforme électorale, quel est le système qui, sous des apparences, sous des formes libérales, serait au fond le moins libéral possible et servirait le mieux les intérêts d'une opinion exclusive ?
« La réponse à ce problème a été le projet que le gouvernement nous a présenté et dont on a pu dire avec raison qu'il n'est pas digne du nom de réforme électorale.
« Que devait faire un projet de cette nature ? Il devait étendre sérieusement le nombre des électeurs, il devait favoriser le principe de l'égalité, il devait simplifier et faciliter l'exercice du droit électoral.
« C'est tout l'opposé qu'il fait.
« Loin d'étendre le nombre des électeurs, il met à la faculté d'obtenir ce droit, une condition exorbitante, une limite que bien peu pourront franchir : l'obligation de produire un certificat constatant que l'on a suivi pendant trois ans un cours d'enseignement moyen.
« Etablir une telle restriction, exiger la production d'un pareil certificat pour avoir droit au vote, c'est une véritable dérision ; c'est faire une apparente concession, sachant très bien qu'elle est illusoire pour le grand nombre. et pour tout dire, cela n'est pas sérieux.
« C'est en définitive exclure de la réforme tous les agriculteurs, tous les petits négociants, tous les chefs artisans, toute l'élite de nos ouvriers qui est digne d'entrer dans le corps électoral. Rien que pour cette incroyable proscription je repousserais le projet ; il ne tient pas ce qu'il annonce, il n'est pas une réforme électorale ; d'un côté il semble faciliter le moyen d'exercer le droit électoral et de l'autre il en ferme l'accès en imposant l'obligation de produire une attestation que pas 1 sur 50 ne pourra se procurer. Ensuite le projet crée des privilégiés, il établit des classes et invente la caste des lettrés. Dans ce système que verrions-nous ? Des catégories nombreuses, des électeurs payant le cens complet ; des électeurs payant un demi-cens et enfin des électeurs ne payant pas de cens du tout.
« C'est, à coup sûr, le composé le plus bizarre qu'on aurait jamais vu dans une législation électorale ; j'en ai cherché vainement l'analogie et je ne l'ai trouvée nulle part si ce n’est peut-être dans la législation espagnole, où l'on admet à l'exercice du droit électoral des catégories de personnes qui ne payent que la moitié du cens. J'ignore si c'est dans cette législation qu'on a puisé l'idée du projet, mais ce n'est pas en Espagne, pays qui ne brille ni par une liberté bien réglée, ni par la stabilité, que j'aurais été chercher le modèle d'une réforme électorale.
« D'un autre côté le projet amènera certainement l'entrée dans le corps électoral de personnes qui en réalité n'auraient pas le droit d'en faire partie ; il conduira à la création d'électeurs en quelque sorte fictifs en permettant à l'esprit de parti, à l'intrigue de nommer en apparence des commis, des employés avec 1,500 fr. de traitement et moyennant un léger droit de patente, de faire entrer subrepticement dans le corps électoral des personnes qui n'en auraient pas le droit. Comme on le dit à mes côtés, c'est le moyen de faire des fournées d'électeurs.
« Le projet augmente aussi et d'une manière démesurée, contraire à nos institutions, l'influence du gouvernement ; il établit par les fonctionnaires une véritable aristocratie électorale. Et nous verrons cette singularité que des fonctionnaires qui sont aujourd'hui exclus du droit de siéger dans les assemblées délibérantes, deviendront par faveur électeurs pour ces mêmes assemblées.
« Enfin, messieurs, pour la délivrance de ce certificat, qui est la base du projet, qui en est le pivot, on est exposé à rencontrer la partialité ou l'arbitraire, car, remarquez-le, les corps qui doivent décider si un établissement est dans les conditions voulues par la loi sont des corps ou politiques ou dépendants du pouvoir exécutif ; aucune garantie n'existe de ce côté pour les citoyens ; l'autorité judiciaire, qui devrait certainement décider à cet égard, n'intervient pas.
« Enfin, le projet du gouvernement, supprimant le cens pour une catégorie d'électeurs, mérite beaucoup plus qu'aucun autre le reproche de rendre un jour inévitable la révision de la Constitution. Dans aucun des projets soumis à la Chambre, on n'avait songé à supprimer complètement le cens, base de notre droit public, et le projet du gouvernement vient décréter cette suppression pour une catégorie d'électeurs favorisés. On comprend une suppression comme mesure générale ; elle est inadmissible comme faveur au profit de quelques-uns.
« En somme donc, on peut dire que, d'après le projet du gouvernement, les privilégiés et les fonctionnaires profiteraient seuls du bénéfice de la réduction proposée par le gouvernement. C'est un acte de parti purement politique, qui se fait non dans un intérêt national, mais dans l'intérêt d'une seule opinion, ce serait introduire en Belgique une oligarchie nouvelle contre laquelle proteste certainement le sentiment du pays. »
Messieurs, je n'ai rien à ajouter aujourd'hui à ces considérations générales. Au fond il n'y a rien de changé, il n'y a qu'une année de perdue pour la réforme et un grand nombre d'électeurs de moins. Mes objections restent toutes debout. Il en est une surtout sur laquelle j'appelle votre attention la plus sérieuse, c'est le reproche que nous faisons au gouvernement de toucher lui-même à la Constitution, en proposant la suppression du cens pour certaines catégories d'électeurs. L'honorable M. Couvreur, dans le remarquable discours qu'il a prononcé il y a deux jours, a mis ce point dans une telle évidence, l'a rendu tellement lumineux que je n'ai rien à ajouter à ses paroles.
Si quelqu'un mène à la révision de la Constitution, si quelqu'un l'entame dans sa base, c'est incontestablement le gouvernement, par une proposition qui supprime radicalement, pour une nouvelle catégorie d'électeurs, le cens électoral. Certes, je sais que le cens n'est pas prescrit littéralement dans la Constitution pour la province et la commune, mais j'affirme qu'il est dans l'essence de la Constitution, et supprimer le cens, c'est s'écarter de l'esprit du Congrès, c'est méconnaître le but, le caractère de notre pacte fondamental, comme c'est sortir des traditions et des habitudes du pays.
Quand nous arriverons à la discussion des articles, j'aurai l'occasion d'entrer plus avant dans la critique des divers points du projet. Pour le moment je me borne à ces remarques générales.
Je me suis rallié à la proposition de l'honorable M. Guillery. Les amendements que j'ai présentés de concert avec mon honorable ami M. de Haerne contiennent les résolutions que nous proposons à la Chambre.
Nous admettons le principe de M. Guillery ; réduction du cens, mais maintien du cens pour la province et pour la commune.
(page 699) Seulement il est un point très important sur lequel nous nous éloignons - ( nous l'acceptons telle que nous la faisons et non telle qu'on veut nous la gnons du pn>p't tle rh'>u»rnlù> député «V Bruvellc, ; e'e l celui qui faire,
concerne les petites commîmes en dev-ous de 2,001 ! habitants. M. tîuil-Iery ne propose qu'un cens uniforme de V» francs applicable à toutes bs communes du pays ; il laisse ainsi ondehor>de lVxlend«> i du droit électoral un grand nombre de communes, au delà de l,0i>0 environ. Nous avons cru qu'il y avait là une inégalité qui froissait le principe de la justice disiribulive, et comme nous voulons une extension du droit électoral sérieuse, loyale, vraie pour tout le monde, il nous a paru impossible de ne pas comprendre dans le projet les communes au-dessous de 2,000 habitants.
Nous sommes arrivés à cette conclusion, qu'acceptant leçons de l."î francs pour les communes au-dessus de 2,000 habitants, il fallait descendre à 10 francs pour les communes au-dessous de cette population.
C'est la modification la plus sérieuse que nous introduisons à la proposition de M. Guillery, presque la seule, maisje déclare aussi que nous y attachons, mes amis et moi, une importance majeure.
Conséquent avec les idées que j'avais soutenues ici il y a trois ans, j'ai accepté de la proposition de M. Guillery, la condition, pour l'électeur, de savoir lire et écrire. Certes, messieurs, nous ne voyons pas dans cette condition la capacité dans le sens du projet du gouvernement. Ce n'est pas poumons le signe de la capacité, dans le sens spécial et privilégié, du mol, c'est pour nous une simple condition d'ordre, presque de moralité, et unegarantie d'iudépendauce ; c'est surtout un moyen de diminuer les fraudes électorales,
Nous voulons que l'éleckur soit éclairé, en ce sens qu'il sache lire et écrire, afin qu'il ne puisse plus être trompé, qu'on ne puisse plus escamoter son vote, qu'il puisse lire son bulletin et l'écrire au besoin. C'est ainsi que nous entendons la condition ; c'est le moyen le plus efficace, le seul peut-être, contre une masse d'abus el, sous ce rapport, je-suis heureux de me rencontrer avec un homme éminent du Sénat, homme de 1S50 qui récemment a déclaré publiquement qu'à son avis, le vrai moyen de prévenir les fraudes réside daus une large réforme de notre système électoral.
Il est un autre reproche général que j'oubliais d'articuler contre le projet du gouvernement et qui a sa valeur, c'est qu'il est extrêmement compliqué, et qu'ainsi que M. Gladstone, au parlement anglais, à propos du projet de M. Disraeli, je dirai que celui-ci est d'une apparence désagréable et embrouillée.
Toute réforme électorale doit être simple, large, facile à saisir, ne prêtant ni à l'arbitraire, ni à l'équivoque, et le projet du gouvernement n'a aucun de ces mérites. Difficile à comprendre, formulé par catégories conduisant aux distinelious, ouvrant la porte à l'arbitraire, exigeant des conditions impossibles à remplir, diminuant tf'un côté le cens de moitié, d'un autre côté le suppléant par des diplômes que bien peu de personnes pourront produire, je dis que cette réforme n'a pas ce caractère de simplicité et de largeur qui doit avant tout distinguer une bonne réforme électorale.
Nous croyons que tout en restant dans l'esprit de la Constitution, par l'abaissement graduel du cens, on fera une chose que l'opinion publique comprendra, qu'on fera une modification conforme à l'égalité, à nos institutions et aux habitudes du pays.
Il y a, messieurs, une seconde objection qu'on nous fait pour écarter, "pour essayer d'écarter la proposition que nous discutons. On invoque sans cesse devant vous le suffrage universel ; c'est là le grand argument. Dès le premier jour on s'y est accroché. Personne ne se lève de la part, soit du gouvernement, soit de ceux qui soutiennent son projet, sans qu'à l'instant, au bout de dix minutes, le suffrage universel apparaisse comme un épouvantail.
Hier encore l'honorable M. Ilymans nous disait. Mais vous le demandez le suffrage universel ; vous le voulez, non seulement vous y conduisez par votre réforme, mais vous l'appelez, vous M. Nothomb, vous M. Couvreur.
C'est, messieurs, une tactique parlementaire très connue, très pratiquée, je le veux bien, que d'exagérer la pensée de ses contradicteurs pour en avoir meilleur marché. C'est de la stratégie politique, mais de celle que ceux à qui on l'oppose ont le droit de repousser, de repousser énergi-quement, en rétablissant la véritable situation. C'est ce que je vais faire.
Ce n'est pas, messieurs, que ni moi ni aucun de mes amis, nous entendions décliner notre part de responsabilité dans le mouvement électoral. Cette part de responsabilité, nous l'acceptons tout entière. Mais,
Nnu-.vou'ons, re,iiT ihns les limites de notre volonté, de notre conscience, de notre droit, et nous ne permettrons pas que, pour perdre une grande que-lion, on dénature nos intentions.
FJi bien, je veux définir cette situation et je veux la rétablir en vous donnant connaissance de divers passages des discours que j'ai prononcés dans cette Chambre depuis plusieurs années. Tous verrez dans quelle mesure j'ai parlé du suffrage universel, comment je l'ai envisagé, com-mein j'ai entendu appliquer la réforme électorale, dans quelles limites j'ai toujours voulu la renfermer.
Il y a longtemps que, pour la première fois, j'ai été appelé à parler ici de l'extension du droit électoral. Il y a quatre ans, le 11 mars 1863, dans une grande discussion, j'étais amené à dire ceci :
".....Et le temps viendra, il serait inutile de se le dissimuler et il faut
le prévoir, le temps viendra, dis-je, où l'extension du droit élec'oral s'imposera non seulement comme un acte de justice, mais comme une nécessité à laquelle il est prudent de se préparer. »
Je ne parlais certes pas ainsi dans Je sens du suffrage universel ; je prévoyais une situation nouvelle, que l'avenir pouvait nous réserver et je répondais alors à une opinion produite en dehors de. cette Chambre, opinion par laquelle ou proposait de restreindre, la Constitution, de lui donner un application restrictive. Eh bien, je disais alors que s'il y avait jamais lieu de modifier la Constitution, il fallait non la restreindre, mais l'étendre. Je répondais en ce moment à une théorie extra-parlementaire, j'opposais une autre ihéorie. L'année dernière, je vous disais :,
« Cette réforme est foncièrement conservatrice, car en augmentant sérieusement le nombre des électeurs, en faisant participer un plus grand nombre de citoyens à la vie politique du pays, on les intéresse au bien-être public, à la stabilité, à l'ordre, à nos institutions, et plus vous aurez de citoyens, moins vous aurez d'indifférents ; plus grand sera le nombre de vos citoyens, etplusgrand dans les temps difficiles serale nombre des soutiens de la nationalité. »
Un peu plus tard, le 16 mai 1866, j'avais l'occasion de m'expliquer plus à fond sur cette question. Je répondais à un discours accentué da l'honorable mini-Ire des finances et je disais :
t Yous venez de dire que celle discussion vous aurait également servi de levier pour remuer le corps électoral, pour l'éclairer ; qu'elle vous aurait fourni l'occasion d'examiner jusqu'à quel point il fallait engager le pays dans des dangers, le compromettre dans le suffrage universel et faire arriver aux comices la plèbe et les valets de ferme ! Ah ! je saisis à merveille cette nouvelle tactique : d'ailleurs personne ici n'a demandé le suffrage universel...
« Voix à gauche : Si, vous...
« M. Nolhomb. — On l'a discuté en théorie, c'est un droit que chacun de nous garde ; et de ce que je pense, et de ce que j'ai dit du suffrage universel, je ne renie rien : mais dans les propositions qui vous sont soumises aussi bien dans celle de M. Guillery que dans la mienne, il n'est j>as question du suffrage universel.
« C'est donc encore une manœuvre pour égarer l'op inion du pays : vous évoquez le spectre rouge après le spectre noir. Personne n'en sera la dupe.
« Nous ne vous parlions pas du suffrage universel ; nous vous demandons une réforme électorale destinée à appeler à l'exercice de la vie publique un plus grand nombre de citoyens. Ceci est chose juste autant que nationale. Qu'est-ce qui nous manque ? Une plus large base à notre édifice constitutionnel ; eh bien, pour élargir celle base, pour la fortifier, pour prévenir les périls de l'avenir, nous voulons étendre le droit électoral. Et en cela, nous sommes dans la Constitution, nous sommes dans le progrès, nous sommes dans les idées de notre temps et nous sommes fidèles au principe fondamental de nos institutions qui fait émaner tous les pouvoirs de la nation.
« Nous ne vous demandons pas le suffrage universel, mais l'extension du droit électoral dans les limites de la Constitution, afin de pouvoir la conférer non pas seulement à l'oligarchie qui en jouit aujourd'hui, mais à l'ouvrier d'élite, au chef-artisan, au petit cultivateur, au petit négociant, au vrai peuple en un mot. Ce que nous voulons, c'est doubler, tripler, quadrupler Je nombre de nos électeurs provinciaux et communaux. Ce seront autant de soutiens nouveaux et dévoués pour nos institutions et notre patrie si elle venait à être menacée »
Enfin, messieurs, dans une de nos dernières séances, le 19 février dernier, quand nous discutions la mise à l'ordre du jour du projet, voici ce que j'avais l'honneur de vous dire :
(page 699) Seulement il est un point très important sur lequel nous nous éloignons du projet de l’honorable député de Bruxelles ; c’est celui qui concerne les petites communes en dessous de 2,000 habitants. M. Guillery ne propose qu'un cens uniforme de 15 francs applicable à toutes bs communes du pays ; il laisse ainsi en dehors l’extension du droit électoral un grand nombre de communes, au delà de l,900 environ. Nous avons cru qu'il y avait là une inégalité qui froissait le principe de la justice distributive, et comme nous voulons une extension du droit électoral sérieuse, loyale, vraie pour tout le monde, il nous a paru impossible de ne pas comprendre dans le projet les communes au-dessous de 2,000 habitants.
Nous sommes arrivés à cette conclusion, qu'acceptant le cens de 15 francs pour les communes au-dessus de 2,000 habitants, il fallait descendre à 10 francs pour les communes au-dessous de cette population.
C'est la modification la plus sérieuse que nous introduisons à la proposition de M. Guillery, presque la seule, mais je déclare aussi que nous y attachons, mes amis et moi, une importance majeure.
Conséquent avec les idées que j'avais soutenues ici il y a trois ans, j'ai accepté de la proposition de M. Guillery, la condition, pour l'électeur, de savoir lire et écrire. Certes, messieurs, nous ne voyons pas dans cette condition la capacité dans le sens du projet du gouvernement. Ce n'est pas pour nous le signe de la capacité, dans le sens spécial et privilégié du mot, c'est pour nous une simple condition d'ordre, presque de moralité, et une garantie d'indépendance ; c'est surtout un moyen de diminuer les fraudes électorales,
Nous voulons que l'électeur soit éclairé, en ce sens qu'il sache lire et écrire, afin qu'il ne puisse plus être trompé, qu'on ne puisse plus escamoter son vote, qu'il puisse lire son bulletin et l'écrire au besoin. C'est ainsi que nous entendons la condition ; c'est le moyen le plus efficace, le seul peut-être, contre une masse d'abus et, sous ce rapport, je-suis heureux de me rencontrer avec un homme éminent du Sénat, homme de 1830 qui récemment a déclaré publiquement qu'à son avis, le vrai moyen de prévenir les fraudes réside dans une large réforme de notre système électoral.
Il est un autre reproche général que j'oubliais d'articuler contre le projet du gouvernement et qui a sa valeur, c'est qu'il est extrêmement compliqué, et qu'ainsi que M. Gladstone, au parlement anglais, à propos du projet de M. Disraeli, je dirai que celui-ci est d'une apparence désagréable et embrouillée.
Toute réforme électorale doit être simple, large, facile à saisir, ne prêtant ni à l'arbitraire, ni à l'équivoque, et le projet du gouvernement n'a aucun de ces mérites. Difficile à comprendre, formulé par catégories conduisant aux distinctions, ouvrant la porte à l'arbitraire, exigeant des conditions impossibles à remplir, diminuant d'un côté le cens de moitié, d'un autre côté le suppléant par des diplômes que bien peu de personnes pourront produire, je dis que cette réforme n'a pas ce caractère de simplicité et de largeur qui doit avant tout distinguer une bonne réforme électorale.
Nous croyons que tout en restant dans l'esprit de la Constitution, par l'abaissement graduel du cens, on fera une chose que l'opinion publique comprendra, qu'on fera une modification conforme à l'égalité, à nos institutions et aux habitudes du pays.
Il y a, messieurs, une seconde objection qu'on nous fait pour écarter, pour essayer d'écarter la proposition que nous discutons. On invoque sans cesse devant vous le suffrage universel ; c'est là le grand argument. Dès le premier jour on s'y est accroché. Personne ne se lève de la part, soit du gouvernement, soit de ceux qui soutiennent son projet, sans qu'à l'instant, au bout de dix minutes, le suffrage universel apparaisse comme un épouvantail.
Hier encore l'honorable M. Hymans nous disait : Mais vous le demandez, le suffrage universel ; vous le voulez, non seulement vous y conduisez par votre réforme, mais vous l'appelez, vous M. Nothomb, vous M. Couvreur.
C'est, messieurs, une tactique parlementaire très connue, très pratiquée, je le veux bien, que d'exagérer la pensée de ses contradicteurs pour en avoir meilleur marché. C'est de la stratégie politique, mais de celle que ceux à qui on l'oppose ont le droit de repousser, de repousser énergiquement, en rétablissant la véritable situation. C'est ce que je vais faire.
Ce n'est pas, messieurs, que ni moi ni aucun de mes amis, nous entendions décliner notre part de responsabilité dans le mouvement électoral. Cette part de responsabilité, nous l'acceptons tout entière. Mais, nous l’acceptons telle que nous la faisons et non telle veut nous la faire.
Nous voulons rester dans les limites de notre volonté, de notre conscience, de notre droit, et nous ne permettrons pas que, pour perdre une grande question, on dénature nos intentions.
Eh bien, je veux définir cette situation et je veux la rétablir en vous donnant connaissance de divers passages des discours que j'ai prononcés dans cette Chambre depuis plusieurs années. Vous verrez dans quelle mesure j'ai parlé du suffrage universel, comment je l'ai envisagé, comment j'ai entendu appliquer la réforme électorale, dans quelles limites j'ai toujours voulu la renfermer.
Il y a longtemps que, pour la première fois, j'ai été appelé à parler ici de l'extension du droit électoral. Il y a quatre ans, le 11 mars 1863, dans une grande discussion, j'étais amené à dire ceci :
« ... Et le temps viendra, il serait inutile de se le dissimuler et il faut le prévoir, le temps viendra, dis-je, où l'extension du droit électoral s'imposera non seulement comme un acte de justice, mais comme une nécessité à laquelle il est prudent de se préparer. »
Je ne parlais certes pas ainsi dans le sens du suffrage universel ; je prévoyais une situation nouvelle, que l'avenir pouvait nous réserver et je répondais alors à une opinion produite en dehors de cette Chambre, opinion par laquelle on proposait de restreindre, la Constitution, de lui donner un application restrictive. Eh bien, je disais alors que s'il y avait jamais lieu de modifier la Constitution, il fallait non la restreindre, mais l'étendre. Je répondais en ce moment à une théorie extra-parlementaire, j'opposais une autre théorie. L'année dernière, je vous disais :
« Cette réforme est foncièrement conservatrice, car en augmentant sérieusement le nombre des électeurs, en faisant participer un plus grand nombre de citoyens à la vie politique du pays, on les intéresse au bien-être public, à la stabilité, à l'ordre, à nos institutions, et plus vous aurez de citoyens, moins vous aurez d'indifférents ; plus grand sera le nombre de vos citoyens, et plus grand dans les temps difficiles sera le nombre des soutiens de la nationalité. »
Un peu plus tard, le 16 mai 1866, j'avais l'occasion de m'expliquer plus à fond sur cette question. Je répondais à un discours accentué de l'honorable ministre des finances et je disais :
« Vous venez de dire que cette discussion vous aurait également servi de levier pour remuer le corps électoral, pour l'éclairer ; qu'elle vous aurait fourni l'occasion d'examiner jusqu'à quel point il fallait engager le pays dans des dangers, le compromettre dans le suffrage universel et faire arriver aux comices la plèbe et les valets de ferme ! Ah ! je saisis à merveille cette nouvelle tactique : d'ailleurs personne ici n'a demandé le suffrage universel...
« Voix à gauche. - Si, vous...
« M. Nothomb. - On l'a discuté en théorie, c'est un droit que chacun de nous garde ; et de ce que je pense, et de ce que j'ai dit du suffrage universel, je ne renie rien : mais dans les propositions qui vous sont soumises aussi bien dans celle de M. Guillery que dans la mienne, il n'est pas question du suffrage universel.
« C'est donc encore une manœuvre pour égarer l'opinion du pays : vous évoquez le spectre rouge après le spectre noir. Personne n'en sera la dupe.
« Nous ne vous parlions pas du suffrage universel ; nous vous demandons une réforme électorale destinée à appeler à l'exercice de la vie publique un plus grand nombre de citoyens. Ceci est chose juste autant que nationale. Qu'est-ce qui nous manque ? Une plus large base à notre édifice constitutionnel ; eh bien, pour élargir cette base, pour la fortifier, pour prévenir les périls de l'avenir, nous voulons étendre le droit électoral. Et en cela, nous sommes dans la Constitution, nous sommes dans le progrès, nous sommes dans les idées de notre temps et nous sommes fidèles au principe fondamental de nos institutions qui fait émaner tous les pouvoirs de la nation.
« Nous ne vous demandons pas le suffrage universel, mais l'extension du droit électoral dans les limites de la Constitution, afin de pouvoir la conférer non pas seulement à l'oligarchie qui en jouit aujourd'hui, mais à l'ouvrier d'élite, au chef-artisan, au petit cultivateur, au petit négociant, au vrai peuple en un mot. Ce que nous voulons, c'est doubler, tripler, quadrupler le nombre de nos électeurs provinciaux et communaux. Ce seront autant de soutiens nouveaux et dévoués pour nos institutions et notre patrie si elle venait à être menacée »
Enfin, messieurs, dans une de nos dernières séances, le 19 février dernier, quand nous discutions la mise à l'ordre du jour du projet, voici ce que j'avais l'honneur de vous dire : (page 700)
« Pourquoi insistons-nous pour que la Chambre aborde enfin la discussion de la réforme électorale ?
C'est parce que nous avons la conviction que dans un avenir plus ou moins prochain l'extension du droit de suffrage s'imposera à nous, malgré nous et peut-être sans nous... Un fait que personne ne peut nier, c'est qu'il y a dans le monde entier un mouvement considérable, une aspiration irrésistible vers l'extension du droit de vote. Partout les classes exclues de la puissance politique demandent à y être associées.
« Demandons-nous aujourd'hui l'application du suffrage universel ? Non, nous ne la demandons pas et lorsqu'il en est question dans cette Chambre, nous y appliquons un correctif, un frein : c'est que nul ne pourrait exercer le droit de vote qu'à la condition de savoir lire et écrire.
« Je n'ai du reste pas à m'occuper du suffrage universel. Il n'est pas en cause. On l'a sévèrement critiqué. Je n'ai pas à le défendre, au moins pour le moment. D'ailleurs quand son heure sera venue, il saura bien se défendre lui-même. Nous nous occupons ici d'une réduction de cens, pour la province et la commune. Restons-en là. »
Telle est la position que nous avons prise dans ce débat. Nous parlons du suffrage universel comme d'une théorie, d'une éventualité, d'une situation qui peut surgir. Mais nous ne le réclamons pas, nous n'en voudrions pas actuellement ; nous ne demandons pas la révision de la Constitution ; nous voulons préparer les populations à ce que nous considérons comme la loi des sociétés futures ; nous ne voulons rien de plus pour le moment.
Et au surplus, j'ai parlé du suffrage universel dans des termes moins apologétiques peut-être que M. le ministre des finances.
J'ai entendu l'honorable M. Frère dire ici, dans cette Chambre, à propos de la même discussion, que le suffrage universel, c'est l'idéal à poursuivre.
MfFOµ. - Je n'ai jamais dit cela.
M. Nothomb. - En 1864, en parlant du suffrage universel, vous avez déclaré dans cette Chambre que la participation de tous les citoyens à la chose publique...
MfFOµ. - Ah !
M. Nothomb. - Ah ! La participation de tous les citoyens à la chose publique, n'est-ce pas le suffrage universel ? Vous avez dit alors : « C'est l'idéal à poursuivre ! » Moi, je n'ai jamais dit cela. L'idéal à poursuivre... c'est très expressif. Moi, je me suis borné à dire : « C'est une nécessité qu'il faudra peut-être subir, préparons-nous à la recevoir, à pouvoir la supporter. » Mais je n'ai jamais parlé d'idéal.
J'accepte cependant volontiers. le concours de l'honorable ministre des finances pour rendre justice à ce que je considère comme un mécanisme politique auquel probablement les sociétés modernes n'échapperont pas.
Messieurs, depuis quatre jours on ne parle ici que du suffrage universel ; on ne se douterait pas qu'il s'agit seulement d'une réduction du cens pour les élections provinciales et communales ; on dirait que le gouvernement ou un membre de la Chambre ont proposé l'adoption du suffrage universel en Belgique ; tous les discours de nos contradicteurs roulant sur ce chapitre, et ainsi que l'honorable M. Coomans l'a fait observer hier, on ne se fait pas faute d'accuser ce pauvre suffrage universel de tous les crimes, de toutes les énormités, de toutes les iniquités possibles.
Ici une première chose m'étonne : si vous trouvez le suffrage universel aussi indigne ou si peu sérieux, si condamnable, pourquoi tant d'émotion ? Laissez-le tomber dans son avilissement, ne vous échauffez pas tant ; ne l'accablez pas sous tant de colère.
Pourquoi tant de dédain, là où vous ne devriez éprouver d'autre seulement que la simple indifférence.
On ne se fait pas faute du dédain à l'endroit du suffrage universel. Je me demande si c'est bien convenable, bien opportun ; je me demande même si c'est bien prudent ?
On se complaît dans des critiques amères du suffrage général ; car, il ne faudrait pas l'appeler universel ; il n'y a pas de suffrage universel ; il n'y en a jamais eu ; il n'y en aura jamais. Eh bien, quand je vois ceux de mes honorables collègues, qui ne sont pas de mon avis, s'élever avant tant d'animosité contre le suffrage général, je me demande sérieusement si cela est de bon goût, si cela est prudent dans un parlement comme le nôtre.
On paraît oublier que le suffrage général est admis aujourd'hui par les nations les plus considérables du monde ; qu'il forme le régime et la loi politiques de 120 millions d'habitants. (Interruption.)
Oui, certes, je répète que le suffrage plus ou moins universel gouverne actuellement près de 120 millions d'hommes, qu'il existe chez les peuples les plus éclairés du monde, et avec lesquels, chose assez remarquable, nous avons précisément le plus d'affinités ou de rapports. (Interruption.)
Vous ne nierez pas que nous ayons une multitude de rapports avec la France, avec l'Allemagne, avec les Etats-Unis, avec la Suisse. ; et j'ajoute l'Angleterre ; car là aussi on s'occupe beaucoup du suffrage universel ; et si le bill de réforme, présenté au parlement par le ministère de lord Derby, et que l'on considère comme trop étroit, comme insuffisant, est adopté, un grand pas sera fait vers le suffrage généralisé, car le bill dont je parle abaisse le cens pour la chambre à 25 fr.
Je trouve donc qu'on devrait se garder de montrer tant de dédain pour le suffrage universel, pour cette institution qu'ont adoptée 120 millions d'hommes avec lesquels nous avons tant de rapports, d'intérêt, ou de bon voisinage ou de race. Car enfin le suffrage universel est admis en Allemagne ; nous sommes un peu, je crois, de cette race ; il l'est aux Etats-Unis ; il fait des progrès en Angleterre ; c'est bien encore notre race.
M. Bouvierµ. - Nous appartenons donc à toutes les races !
M. Nothomb. - Il y a des interruptions que je considère comme sérieuses, comme propres à faciliter ou à abréger le débat ; je suis toujours prêt à les accepter, ou à y répondre comme je puis.
Il y en a d'autres qui ont un caractère personnel ou futile. Permettez, M. Bouvier, que je n'y réponde pas.
M. Bouvierµ. - Bien ! très bien ! C'est plus facile.
M. Nothomb. - J'insiste donc, messieurs ; sur cette observation, et je suis convaincu que ceux mêmes de mes honorables contradicteurs qui ne partagent pas mon opinion avoueront qu'il y a quelque chose d'au moins inopportun, de déplacé, et peut-être de dangereux, de parler, dans une Chambre belge, avec cet amer dédain, avec ce profond mépris, d'une, institution qui régit ces puissantes agglomérations d'hommes les plus éclairés du monde.
Messieurs, pour faire àa suffrage universel, au suffrage général, un procès en règle, l'honorable M. Hymans s'est mis en frais d'érudition historique. Il est remonté jusqu'aux Grecs.
(page 705) M. Nothomb. - Je ne sais, messieurs, ce que les Grecs et les Romains ont à faire ici.
M. Bouvierµ. - C'est M. Coomans qui en a parlé.
M. Nothomb. - Pardon, c'est M. Hymans, on ne peut le contester, qui a porte la discussion sur ce terrain. C’était son droit... Ce n'est pas que je n'aie écouté avec plaisir le discours de l'honorable rapporteur. Bien qu'a mon sens, ce soit un paradoxe historique, un roman, presque une fantaisie littéraire qu'il nous a apportés, au moins l'a-t-il fait avec esprit. La forme a protégé le fond et elle nous a plu. Mais encore, je le demande, que viennent faire ici Grecs ou Romains ? Nous faisons des lois pour nous, pour la Belgique, en l'année 1867, en vue de notre situation politique, d'après nos mœurs, suivant nos intérêts. Qu'importent les anciens ? Toutefois l'honorable rapporteur y a singulièrement insisté ; il y est revenu à trois ou quatre reprises, et j'ai pu constater que plusieurs membres de la majorité, même des membres du cabinet, semblaient attacher à cette partie de son discours une particulière importance.
En effet, quand nous contestions certaines assertions de l'honorable rapporteur, nous trouvions de la contradiction, non seulement chez lui, mais chez les membres de la majorité. La discussion étant donnée, je croirais manquer d'égards envers eux si, à mon tour, je n'en disais quelques mots, et si je passais à côté d'elle avec une indifférence ou un dédain que je n'ai jamais pour les opinions de mes collègues.
Parlons donc un peu des Grecs et des Romains.
L'honorable M. Hymans a absolument voulu trouver le suffrage universel chez ces peuples. Il en avait besoin, puisque c'est à l'existence de ce système qu'il a attribué la décadence et la chute d'Athènes et de Rome.
Messieurs, je connais, quant à moi, d'autres causes à la décadence et à la chute de Rome. Ce sont celles que Montesquieu a indiquées il y a plus d'un siècle. Pour être vieilles, elles n'en sont pas moins bonnes et je les préfère à celles de l'honorable rapporteur.
Montesquieu ne parle pas du suffrage universel, n'y voit pas la perte de l'Etat romain, il la résume, dans les considérations que voici : la corruption générale des mœurs, la dépravation des grands, l'étendue même d'un territoire devenu immense, l'ambition des généraux qui n'ont plus respecté les lois de la république. Enfin et surtout l'oppression énorme que l'aristocratie exerçait sur le peuple.
Les choses en étaient venues à ce point que la grande aristocratie ou plutôt quelques familles possédaient presque seules tout le sol italien, et la classe inférieure était tombée dans une telle pauvreté, dans une telle dégradation morale et matérielle que l'invasion des barbares parut presque une délivrance à ces populations plongées dans l'excès de la misère. Telles ont été les vraies causes de la chute des Romains. D'ailleurs, supposer l'existence du suffrage universel à Athènes et à Rome, concilier cette idée avec celle de la société antique, telle que nous la connaissons, c'est aboutir à une contradiction absolue et à deux termes qui s'excluent mutuellement.
Sans doute il y a eu à Athènes, à Sparte, dans d'autres républiques grecques comme à Rome un suffrage populaire ; mais il était restreint à la cité même ou s'étendait peu au delà. En dehors il n'y avait qu'une population plus ou moins asservie, dépourvue du droit de vote, ne prenant aucune part à la puissance politique. Il y avait un Etat privilégié dans l'Etat. La population foraine n'a été admise à la puissance publique que bien tard, parcimonieusement, et l'on sait au prix de quels sanglants sacrifices. C'était une véritable oligarchie, une sorte de féodalité qui régnait à Sparte avec ses 9,000 citoyens, à Athènes avec ses 20,000, et même à Rome avec son système de classes dont je vais parler.
Le suffrage général, avec les idées que nous y attachons, c'est-à-dire le droit pour tout homme, parce qu'il est homme, de prendre part, sous certaines conditions de moralité et d'intelligence, à la puissance publique au nom d'un principe d'égalité que la société païenne n'a pas connu et n'a pu connaître, ce droit de suffrage n'a pu se rencontrer dans l'antiquité.
Ce qu'il y avait à Rome, c'était le vote par castes, par centuries et là se trouve précisément la cause de ces grandes et longues guerres qui ont désolé l'Italie, c'est le refus opposé constamment par l'oligarchie romaine à la population italienne de lui donner des droits égaux à la puissance politique qui a coûté la vie, dit-on, à 300,000 Italiens voulant arracher à Rome le privilège de l'électorat.
Les républiques grecques, Athènes surtout, n'avaient pas échappé aux mêmes troubles, aux mêmes malheurs, fruit d'une situation analogue basée sur le privilège d'une classe prépondérante. L'honorable M. Hymans nous a cité beaucoup d'historiens : Hérodote, Thucydide, Plutarque, que sais-j encore ! Il a pu y lire le tableau déchirant du despotisme cruel qu'Athènes faisait peser sur ses colonies, les plaintes continues de ceux que l'oligarchie athénienne exploitait sans pitié. C'était une source d'agitations sans fin, et les plus grands orateurs marquaient le début de leur carrière en prenant en mains devant l'assemblée du peuple la cause des opprimés, des ilotes qu'on pressurait par l'impôt, dont les fils couraient, pour la gloire ou la vanité des Athéniens, mais auxquels ces fiers aristocrates refusaient obstinément une part, une petite part des droits électoraux. Est-ce là le suffrage universel ?
Ce que je viens de dire de Rome, je veux le placer sous l'autorité d'un historien distingué que l'honorable rapporteur ne récusera sans doute pas.
« Le pouvoir réel était entre les mains des centuries, c'est-à-dire de l'armée des propriétaires. Les centuries, composées d'un nombre inégal de citoyens, participaient au pouvoir politique, en raison de leur richesse et en raison inverse du nombre de leurs membres. Ainsi chaque centurie donnant également un suffrage, les nombreuses centuries qui se trouvaient composées d'un petit nombre de riches avaient plus de suffrages que les dernières, où l'on avait entassé la multitude des pauvres... Au-dessous des centuries composées de ceux qui payaient et servaient à la guerre, se trouvaient les aerarii qui n'y contribuaient que de leur argent. Ceux-là ne donnaient point de suffrage. Mais leur position politique n'était guère plus mauvaise que celle des individus placés dans les centuries des pauvres. Celles-ci, consultées les dernières et lorsque le suffrage des autres avait décidé la majorité, ne l'étaient que pour la forme et le plus souvent on ne prenait pas la peine de recueillir leurs suffrages...
« En réalité, la richesse donnait la puissance dans toutes les assemblées de Rome. Les maîtres de l'Etat étaient les riches... » Cet historien, c'est M. Michelet.
Mais, messieurs, comment en aurait-il été autrement ? Qu'est-ce qu'il y avait dans la société romaine ? Sept ou huit classes différentes. Il y avait les patriciens, divisés eux-mêmes en patriciens de la vieille souche et en hommes nouveaux, comme on les appelait ; les chevaliers, les plébéiens, les affranchis, les habitants des colonies romaines, ceux des villes adoptées et puis les esclaves. Ceux-ci, il est vrai, ne comptaient pas, ce n'étaient pas des hommes.
Et vous voudriez qu'une société ainsi constituée, composée d'éléments aussi disparates, eût possédé l'égalité réelle et, au nom de cette égalité, le suffrage général ! Vraiment je m'étonne que des hommes du sens de l'honorable M. Pirmez qui m'interrompt, de l'esprit de l'honorable M. Hymans puissent sérieusement soutenir une pareille opinion ! Je ne saurais en vérité y voir qu'une véritable gageure ou un tour de force oratoire.
M. Pirmezµ. - Si M. Nothomb veut me le permettre, puisqu'il répond à mon interruption, je préciserai ma pensée.
Les centuries constituent le système établi par Servius Tullius ; il a fonctionné à Rome pendant de longues années, et c'est sous ce système que la république romaine a grandi en force, en puissance, en richesse, en dignité.
Ce système, M. Nothomb vient de le dire, est le contraire du suffrage universel, tel qu'on l'entend aujourd'hui, puisqu'il donne une influence prépondérante aux classes supérieures.
Mais il a été remplacé par le système de vote par tribus qui se rapprochait du suffrage universel en menant les décisions au pouvoir des classes numériques. On sait si les derniers temps de la république romaine, en proie aux factions d'abord et cherchant le calme sous le despotisme, ont répondu à ses commencements.
M. Nothomb. - Mais je le demande à M. Pirmez, est-il vrai, oui ou non, qu'il n'y a eu de suffrage plus ou moins général que dans la cité de Rome même, exclusivement, où régnait une oligarchie ?
Il importe peu qu'il y eût à Rome plus ou moins de gens participant au droit de vote, je dis que ce n'est pas là le suffrage universel. C'était une oligarchie électorale disposant de Rome et, par les électeurs de Rome, de l'Italie d'abord, puis du monde conquis.
Du reste, je renvoie l'honorable M. Pirmez à M. Michelet et à d'autres écrivains.
L'honorable membre, dans son interruption, vient de me rappeler une idée qu'hier déjà, mon honorable ami M. Coomans a développée avec un rare talent.
L'honorable M. Pirmez, parlant de la grandeur de Rome, l'a attribuée aussi au suffrage universel pendant quatre siècles.
(page 706) M. Pirmezµ. - Pas du tout, c'est le contraire. (Interruption.)
M. Nothomb. - Pardon, je vous avais mal compris. Je confonds avec ce qu'a soutenu l'honorable rapporteur. Je continue la pensée de mon honorable ami M. Coomans ; elle m'avait frappé pendant que l'honorable rapporteur parlait et je comptais la lui opposer.
Donc je suppose avec lui un instant qu'il soit dans le vrai, j'admets que le suffrage universel ait réellement existé à Athènes et à Rome...
- Un membre. - Le despotisme des Césars.
M. Nothomb. - Je ne saisis pas le sens de l'interruption... Qu'il y a fonctionné comme loi politique de ces républiques ; eh bien, alors quel est le tableau qui s'offre à nous ? Nous voyons Athènes, ce petit coin de terre sablonneux et stérile, devenir le foyer de l'intelligence, des lumières et des arts, et briller durant trois siècles d'une splendeur sans pareille. Athènes est resté le modèle de la civilisation antique et ses grands hommes aujourd'hui encore sont nos maîtres.
Si le suffrage universel a réellement gouverné la république athénienne, vous admettrez bien avec moi qu'il n'a pas été sans influence sur ses destinées, qu'il a aidé à former, à trouver les hommes qui ont vaincu à Marathon, qui ont repoussé l'invasion de Xercès et de ses 1,200,000 soldats, qui ont délivré la Grèce de la domination étrangère ; vous admettrez aussi avec moi, et vous le devez, que c'est sous ce régime que se sont produits des capitaines comme Thémistocle et Cimon, des citoyens comme Aristide et Phocion, des poètes comme Sophocle, Euripide, Aristophane, des hommes d'Etat comme Solon et Périclès ; des philosophes comme Socrate et Platon, des historiens comme Thucydide et Xénophon, des artistes comme Phidias et Zeuxis et enfin des orateurs qui sont restés sans rivaux et parmi eux le roi de l'éloquence politique !
Si un système politique peut donner ou seulement favoriser de tels résultats, oh alors ! cessez de le blâmer. Acclamez-le. Donnez-le-nous. Ah ! que ne puis-je, à ce prix, donner à ma pairie la grandeur, l'illustration d'Athénes et repousser, comme elle, l'invasion d'un Xercès et de son million d'hommes !
M. Coomans. - Les Béotiens ont eu le suffrage restreint pendant huit siècles. Les Béotiens !
M. Nothomb. - Rome, pendant sept siècles, a eu une gloire incomparable et l'empire du monde. N'est-ce donc rien ? Encore une fois, respectez le suffrage universel s'il peut donner à mon pays l'empire du monde et une gloire immense, qui a fait la ville éternelle qui est restée « veuve du peuple roi, mais reine encore du monde. »
Ce vers admirable de forme et de pensée, est du malheureux Gilbert, qui est mort, lui, exclu du banquet de la vie, comme on paraît vouloir exclure nos citoyens de la vie politique ! Oui, vraiment ! si le suffrage universel a produit à Rome et à Athènes de pareilles merveilles, cessez de le dédaigner, acclamez-le et saluez-le avec nous ! (Interruption.)
Le suffrage général si vivement critiqué ici, et sur lequel je dois insister, précisément parce qu'il a fait les frais de tous les discours que nous avons entendus depuis trois jours, ce suffrage n'est pas sans avoir obtenu cependant l'adhésion d'un grand nombre d'hommes distingués ou éminents, amis de l'ordre comme de la liberté, qui n'ont rien de subversif dans leurs idées et qu'on n'accusera pas d'être soit des rêveurs, soit des agitateurs disposés à pousser la société à l'inconnu et à l'anarchie.
Je ne veux pas trop abuser de votre patience et je me borne à vous communiquer l'opinion de trois hommes que je choisis à dessein parmi les plus modérés, plutôt effrayés qu'ils ne sont engoués de cette forme d'organisation politique. Je prends un Anglais, un Allemand et un Français.
Voici, d'après la Revue britannique du mois de juin 1864, l'opinion de M. Gladstone sur le suffrage universel :
« C'est à vous de prouver aux ouvriers qu'ils sont incapables d'exercer le droit qui appartient moralement et naturellement à chaque citoyen, non à eux de prouver qu'ils en sont dignes ; n'ont-ils pas, d'ailleurs, fait récemment leur preuve ? La détresse des districts cotonniers n'a-t-elle pas mis en évidence la sagesse du peuple ?
« En publiant son discours avec une préface, l'illustre orateur explique sa pensée en l'atténuant : « Il convient que le droit d'élection est le droit général, le privilège de tout citoyen ; mais deux motifs d'exception doivent limiter ce droit et rassurer les conservateurs qui auraient peur du suffrage universel. Le législateur doit exclure :
« 1° Tous les individus qui sont présumés incapables d'exercer leur droit avec intelligence ;
« 2° Ceux dont l'admission serait un danger public, soit en portant le trouble dans l'équilibre du corps constituant, soit en donnant à une classe le monopole de l'élection.
« Cete opinion, M. Gladstone ne l'a d'ailleurs émise que comme une théorie à discuter. »
Telle est l'opinion de l'illustre homme d'Etat anglais.
MfFOµ. - Il l'a expliquée.
M. Nothomb. - Contestez-vous l'exactitude de la citation ? Vous aurez à le prouver. Mais jusqu'il ce que vous l'ayez fait, je tiens pour vrai que M. Gladstone a émis cette opinion, qu'il a mitigée plus tard, mais qu'il a constamment soutenue, que le suffrage général est le privilège de tous les citoyens.
M. Bouvierµ. - Des hommes intelligents.
M. Nothomb. - Vous ne comprenez pas. Des hommes intelligents ! Que voulez-vous dire par là ? Est-ce que nous demandons le suffrage pour la multitude ignorante, quand même ? Est-ce que nous n'ajoutons pas une condition essentielle ? Ne demandons-nous pas que le peuple qui vote soit indépendant et éclairé ? M. Gladstone ne demande pas autre chose. (Interruption.)
Pour le moment je constate son opinion telle que je la trouve écrite dans un livre dont personne ne contestera la valeur. Je vous donne un extrait du dictionnaire général de la politique de Maurice Block, d'un écrivain distingué qui s'est livré toute sa vie à l'élude des questions politiques et sociales. (Interruption.)
Je persiste donc à dire que M. Gladstone a été favorable en théorie au suffrage universel, qu'il l'a été plus que nous ne le sommes, qu'il a expliqué sa pensée mais en maintenant qu'il faut donner le droit de vote à quiconque est capable de le remplir..
Et, messieurs, ce qu'il fait en ce moment au parlement le prouve bien ; il combat le bill présenté par lord Derby, comme insuffisant, comme une équivoque, comme un leurre, comme désagréable et embrouillé, ce sont ses expressions.
Je me suis engagé à ne vous produire que les opinions d'hommes qui ne sont pas du tout fanatiques du suffrage universel, qui en sont plutôt inquiétés ; vous auriez récusé avec raison des témoignages choisis parmi ceux qui sont dévoués à une cause dont ils ont fait le culte politique de leur vie.
C'est avec intention, je le répète, que je vous apporte l'appréciation d'hommes qui envisagent le suffrage universel comme nous n'avons cessé de le faire, c'est-à-dire, comme une nécessité que les sociétés européennes devront subir. Dans cet ordre d'idées, permettez-moi de faire une seconde citation, prise dans le même ouvrage.
« Donnons maintenant, pour terminer, l'opinion qu'exprime, sur le suffrage universel considéré comme moyen ou mécanisme politique, un homme d'Etat éminent, l'un des publicistes les plus illustres de l'Allemagne, M. Robert de Mohl.
« Le vote universel qui a joué de nos jours un rôle si considérable, que les uns ont salué de leurs acclamations, que d'autres ont exploité avec habileté, que d'autres encore ont attaqué comme un moyen d'obscurcie toutes les notions du droit, comme l'instrument du mensonge et de la mauvaise foi, n'a mérité ni cet excès d'honneur ni cette indignité.
« Le vote universel n'est pas un moyen de gouvernement sûr, d'un maniement facile et applicable à un grand nombre de cas. Il ne peut être considéré que sous certaines réserves comme donnant l'expression du vœu actuel des populations ; il fournit un argument juridique plus ou moins sérieux, mais ne garantit nullement que l'opinion émise a de la consistance, qu'elle aura ses conséquences logiques, qu'elle résistera à la nécessité du sacrifice. En revanche, le vote universel est loin de n'être que leurre et illusion ; il peut être appliqué sans danger, et même avec avantage, dans un Etat régulièrement constitué ; quelquefois même il devient une nécessité légale ; enfin, il n'est pas un moyen tout-puissant contre le droit, il ne desserre pas non plus les liens de la Constitution ou des lois, il montre seulement où se trouve la solution de continuité.
« Il va sans dire aussi que l'impudent abus auquel le vote universel peut avoir donné lieu n'en condamne pas le principe et ne nous autorise pas à contester la possibilité d'une application honnête et loyale ; l'abus doit seulement nous engager à être sur nos gardes, à bien examiner les faits et à ne pas nous laisser surprendre. Comme dans toute mesure gouvernementale, le bien, le mal, le conditionnel et le douteux forment un mélange et c'est la tâche de la science de discerner chacun de ces éléments et, s'il est possible, de poser des règles d'application et d'indiquer la voie du progrès. L'expérience que nous aurons sans doute l'occasion (page 707) de faire mettre ces propositions à l'épreuve et appellera sans doute l'attention sur des conséquences ou des points de vue négligés jusqu'alors ; les passions favorables ou hostiles se calmeront par l'usage et l'abus du moyen, et en fin de compte le vote universel prendra sa vraie place dans la pratique et dans la science, comme d'autres idées qui ont commencé par produire des appréhensions ou des espérances également exagérées. »
On ne saurait, ce me semble, tenir un langage plus sensé et plus modéré.
Enfin, j'invoque encore à l'appui de l'extension du droit de vote l'avis d'un homme qui a été entouré pendant sa vie d'une considération bien grande, qui a laissé après lui des regrets unanimes, qui a donné à l'ordre des gages incontestables et au libéralisme des preuves d'un dévouement constant et éclairé, d'un écrivain dont la réputation déjà glorieuse et imposante, grandira dans l'avenir, auquel la postérité, je n'hésite pas à le croire, réservera une place non loin et pas loin de Montesquieu, je veux parler de M. de Tocqueville.
J'emprunte la citation à un discours tenu au conseil provincial du Brabant par un professeur de l'université libre, un de nos historiens les plus remarquables ; on discutait, en 1864, précisément la question de la réforme électorale.
L'honorable professeur l'appuyait et invoquait l'autorité de Tocqueville comme je le fais maintenant par la citation suivante :
« Il existe un amour de la patrie qui a principalement sa source dans ce sentiment irréfléchi, désintéressé et indéfinissable qui lie le cœur de l'homme aux lieux où l'homme a pris naissance... Il en est un autre plus rationnel que celui-là ; moins généreux, moins ardent peut-être, mais plus fécond et plus durable ; celui-ci naît des lumières ; il se développe à l'aide des lois, il croît avec l'exercice des droits, et il finit, en quelque sorte, par se confondre avec l'intérêt personnel. Un homme comprend l'influence qu'a le bien-être du pays sur le sien propre ; il sait que la loi lui permet de contribuer à produire ce bien-être, et il s'intéresse à la prospérité de son pays comme à une chose qui lui est utile, et ensuite comme à son ouvrage.
« II faut donc marcher en avant et se hâter d'unir, aux yeux du peuple, l'intérêt individuel à l'intérêt du pays.
« Je suis assurément loin de prétendre que, pour arriver à ce résultat, on doive accorder tout à coup l'exercice des droits politiques à tous les hommes ; mais je dis que le plus puissant moyen, et peut-être le seul qui nous reste, d'intéresser les hommes au sort de leur patrie, c'est de le faire participer à son gouvernement. De nos jours, l'esprit de cité me semble inséparable de l'exercice des droits politiques ; et je pense que désormais on verra augmenter ou diminuer, en Europe, le nombre des citoyens en proportion de l'extension de leurs droits.
« Après l'idée générale de la vertu, je n'en connais pas de plus belle que celle des droits.
« Sans respect des droits, il n'y a pas de grand peuple.
a Je me demande quel est, de nos jours, le moyen d'inculquer aux hommes l'idée des droits, et je n'en vois qu'un seul, c'est de leur donner à tous le paisible exercice de certains droits. »
MfFOµ. - Il se prononce pour le suffrage à deux degrés.
M. Nothomb. - C'est une nuance, une question d'application.
MfFOµ. - C'est une couleur complète et non pas une nuance.
M. Jacobsµ. - C'est une question de mécanisme.
M. Nothomb. - Ainsi parlent du droit de vote général, des hommes sages, prudents, modérés qui l'envisagent philosophiquement, en hommes d'Etat, en penseurs, qui le croient inévitable dans l'avenir et qui cherchent à le régler et à le modérer. C'est tout ce que j'avais à vous prouver de ce côté.
Messieurs, il ne faut rien exagérer et rester juste, même et surtout envers les causes que l'on n'aime pas. C'est ce que nos contradicteurs n'ont pas fait.
Quand on parle du suffrage général, il me semble équitable de demander aussi une leçon à l'histoire contemporaine.
Examinons donc ce que le suffrage universel a produit dans les pays où il a été pratiqué.
Je prends d'abord l'Italie, qui ne doit pas vous être suspecte. L'Italie a demandé au suffrage universel la consécration de son unité. Toute l'école libérale y a applaudi. Le suffrage universel a été trouvé bon dans cette circonstance.
En Allemagne le même fait vient d'avoir eu lieu.
On n'a pas seulement fait l'unité allemande avec les canons et les fusils à aiguille. Non, on a demandé la consécration de l'unité allemande au vote populaire et, en ce moment, il y a un parlement réuni à Berlin nommé par le suffrage universel, librement, loyalement, qui est en train de cimenter l'unité allemande.
Je ne sais s'il faut s'inquiéter ou se réjouir de ce grand fait. J'ignore si, comme Belge je dois m'en applaudir. J'en suis tenté cependant, car l'Allemagne aujourd'hui une, indépendante, forte, puissante, sera libérale un jour et il m'est impossible de croire qu'une Allemagne grande et libérale ne soit pas une protection pour les petits peuples libres et honnêtes. .
Voyons maintenant ce qui s'est passé en France. Oh ! je sais, c'est là qu'on croit trouver un argument irréfutable. Là, dit-on, le suffrage universel a produit une compression énorme et la confiscation de toutes les libertés. D'abord le tableau est chargé ; il est inexact de dire qu'il n'y a pas une certaine somme de liberté en France, même avant ces derniers temps Mais aujourd'hui la situation se dégage sous la pression de l'opinion publique ; l'honorable M. Couvreur l'a déjà fait remarquer, les dernières discussions du corps législatif en sont d'ailleurs une preuve évidente. La France entre dans une voie plus libérale, et l'on peut prédire que dans un temps plus ou moins rapproché elle aura repris sa place, sa grande place parmi les nations parlementaires. Elle le devra au travail continu, lent quelquefois, mais certain du suffrage universel.
Mais remontons plus haut. Rappelons ce qu'a fait le suffrage universel en 1848.
Il y avait alors en France un gouvernement, intelligent, éclairé, digne de respect, dirigé par les personnages les plus remarquables ayant à leur tête un homme illustre que j'admire et que je vénère ; ce gouvernement semblait avoir tout pour lui, ordre, paix, liberté modérée et surtout une tribune parlementaire d'un éclat sans égal.
Eh bien, il est arrivé, ce gouvernement, par une obstination irréfléchie, à tout compromettre et à tout perdre.
Un jour, subitement, du jour au lendemain, roi, royauté, charte, institutions.....
M. Coomans. - Et majorité.
M. Nothomb. - ... tout a disparu et le gouvernement lui-même s'est abandonné. Il émanait cependant d'un corps de censitaires éclairés et qui doit avoir les approbations et les regrets de tous ceux qui veulent un cens considérable ; ce corps de censitaires était formé d'électeurs à 200 francs.
Malgré cette présomption d'intelligence, et de capacité, malgré ces lumières, malgré la force apparente de ce régime, un jour a tout abîmé.
Du moment que le peuple français a été mis en possession de cet instrument formidable qu'on appelle le suffrage universel, qu'a-t-il fait ? Hors Dieu et lui-même, tout l'avait abandonné. Eh bien, ce peuple dans son bon sens admirable a sauvé la société.
Il a choisi une assemblée conservatrice qui a préservé la liberté, la paix et l'ordre en France et en Europe.
M. Coomans. - Voilà la vérité.
M. Nothomb. - Voilà ce qu'a fait le suffrage universel en 1848 !
On a dit hier : Mais les émeutes de juin, qu'est-ce donc ?
N'allons pas faire de l'histoire d'hier le même tableau fantastique qui a été fait de l'histoire grecque et romaine.
Les journées de juin ont été la réaction de la démagogie contre le suffrage universel, qui avait nommé une assemblée libérale, sage et conservatrice. Elles ont été la révolte de la démagogie contre la volonté nationale . On peut le rappeler après les magnifiques paroles que M. de Lamartine . a consacrées aux émeutes du mois de juin 1848. Tout le monde sait de quel stigmate ineffaçable, cet homme illustre, qui a modéré la révolution de 1848, a marqué la démagogie, cette ennemie du suffrage universel qui l'avait déçue dans ses instincts de désordre, d'anarchie et de socialisme.
Ce peuple français, échappé de ses lois, pour reproduire l'expression d'un grand poète, abandonné de tout le monde, le 24 février, du roi, des Chambres, du gouvernement, ce peuple s'est sauvé lui-même et a sauvé la société.
L'honorable M. Hymans nous a rappelé, à cette occasion, l'échauffourée de Risquons-Tout. II l'attribue au suffrage universel. Erreur manifeste.
(page 708) Sans doute, cette tentative criminelle a échoué devant l'attitude énergique du peuple belge comme elle échouerait encore aujourd'hui, mais aussi ne le cachons pas, devant l'assemblée conservatrice et les hommes de 1848, que le suffrage universel avait portés aux affaires et qui ont condamné cette folle et audacieuse entreprise.
Ayons donc de la mémoire et ne soyons pas ingrats envers le suffrage universel.
Pour moi, je garde cette conviction que dans toutes les grandes crises sociales, c'est au suffrage populaire qu'on demandera la force, la stabilité et peut-être le salut de la société.
Quoi qu'on puisse dire et malgré les accusations de toute espèce dont nous sommes l'objet, nous persistons à conseiller et à poursuivre l'extension des droits politiques au plus grand nombre possible d'électeurs en ce qui concerne la province et la commune.
Nous sommes guidés par une pensée loyale et un patriotisme qui nous paraît plus éclairé que celui qui s'inspirerait d'une résistance obstinée. Et en cela nous croyons rester les plus vrais défenseurs de la Constitution et de la nationalité : de la Constitution, car tous ceux que vous appellerez à en partager les avantages seront enlevés au nombre de ceux qui seraient tentés d'en demander la révision.
Nous croyons surtout servir l'intérêt de notre indépendance nationale, le plus haut de tous, qui les résume tous et devant lequel toutes nos dissidences disparaissent. Si pour la préserver, si pour la garantir, au milieu des temps troublés où nous vivons, il faut, comme je le pense, créer une force nationale défensive considérable, il faut aussi et surtout développer la force morale du pays.
Je ne sépare pas ces deux éléments qui me paraissent dans l'avenir, pour les petits peuples, la condition du respect de leur indépendance.
Il ne reste, selon moi, que deux moyens aux nations secondaires de résister aux ambitions des grandes ; deux moyens que je tiens pour les seuls efficaces, et je serais tenté de dire, infaillibles : faire qu'à un moment donné chaque homme soit soldat et que toujours et partout chaque homme soit citoyen effectif du pays qui lui demande un dévouement sans réserve et sans bornes.
(page 700) MfFOµ. - Messieurs, le discours que vous venez d'entendre se divise, comme tout bon discours, en trois points.
Dans la première partie de ce discours, l'honorable préopinant a cherché à établir qu'une réforme électorale était nécessaire lorsqu'elle a été proposée par ses amis ; il a prétendu que cette nécessité était clairement démontrée, et qu'elle ne pouvait plus être contestée par personne.
Dans la seconde, l'honorable membre s'est défendu d'avoir jamais provoqué une agitation en faveur du suffrage universel. Il s'est efforcé d'amoindrir autant que possible l'initiative qui a été prise à cet égard par ses amis à une autre époque.
Dans la troisième partie, se relevant enfin de la position par trop effacée qu'il s'était faite, et sentant bien qu'il ne pouvait continuer à déserter la cause qu'il avait embrassée, il a repris résolument en mains la défense du suffrage universel et ç'a été réellement l'objet principal de son discours.
Je ne partage, sur aucun des points qui ont été traités par l'honorable membre, les opinions qu'il a défendues. Pour justifier mon appréciation, je pense qu'il me suffira de retracer rapidement l'historique de la question.
Il y a deux ans, personne ne parlait de réforme électorale. Inopinément, sans réclamations, sans suggestions d'aucune part, sans discussion dans la presse et ainsi sans qu'aucun besoin eût été révélé, le parti qui, jusque-là, avait revendiqué avec orgueil le titre de parti conservateur a pris l'initiative d'une proposition de réforme électorale. Il fallait abaisser le cens communal et le cens provincial.
Il formulait cette proposition dans un programme soumis à la couronne.
Nous étions alors démissionnaires. Nous n'avons pas hésité un seul instant à accepter la responsabilité du refus manifesté par la couronne de sanctionner le programme qui lui était présenté.
Si une réforme avait été réclamée par l'opinion publique, est-ce ainsi que nous aurions cherché, comme on vient de le dire tout à l'heure, à rendre au parti libéral un peu de sa popularité prétendument ébranlée ? On sait quelle était à cette époque la situation des partis dans la (page 701) Chambre. Il était devenu indispensable de faire un appel au corps électoral. Le pays croyait-il une réforme nécessaire par l'abaissement du cens pour les élections communales et provinciales ? Telle est la question qui lui fut soumise. Et quelle a été la réponse du pays ?
M. Coomans. - Pas du pays.
MfFOµ. - Quelle a été la réponse du pays ? Je n'admets pas votre thèse anarchique, que le corps électoral ne représente pas le pays.
M. Coomans. - Je la tiens pour bonne.
MfFOµ. - Le pays a répondu en renvoyant dans cette enceinte la majorité libérale, qui avait combattu le projet d'une semblable réforme électorale, et il l'y a renvoyée plus forte, plus nombreuse qu'elle ne l'était auparavant.
Dix-huit mois s'étaient écoulés, lorsqu'un honorable membre reprit la même motion d'abaissement du cens électoral, en y ajoutant un correctif, sous forme de disposition restrictive, et consistant dans la condition de savoir lire et écrire.
Nous avons encore combattu cette proposition en formulant à notre tour les idées que nous étions provoqués à émettre sur cette question. Nous l'avons fait à la veille d'élections nouvelles. Et cette fois encore, quelle a été la réponse du pays ? Il a accru, il a fortifié la majorité libérale.
La proposition émanée de la droite comme la proposition nouvelle qui en fut plus tard la conséquence, furent précédées et suivies de certaines manifestations d'opinion, qui imprimaient aux projets de réforme leur véritable signification, qui leur donnaient, il faut le dire, un caractère de gravité que personne n'a méconnu. C'était comme un prélude du suffrage universel.
« Il est temps d'agir, s'écriait-on ; la réforme électorale est partout à l'ordre du jour ; le suffrage universel est à vos portes ; hâtez-vous ; prenez des mesures ; faites des concessions ; si vous n'agissez pas, le torrent vous submergera. »
Un des membres du cabinet qui avait essayé de se constituer sur les bases de ce programme, disait, en défendant le projet de réforme :
« La forme la plus simple, la plus vraie, la plus juste, selon moi, en fait de système électoral, c'est le suffrage universel vivifié par la liberté de conscience, par la liberté de la presse, par la liberté d'enseignement, par la liberté d'association et de réunion, qui permettent à l'électeur de se prononcer en pleine connaissance de cause ; et, dans de semblables conditions, bien loin de recevoir un mandat, c'est l'électeur qui délègue ses pouvoirs, et qui est la source de tout Etat légitime. »
ML. Royer de Behrµ. - Voilà la théorie ; c'est l'idéal ; je n'en demandais pas l'application immédiate ; je réclamais un abaissement modéré du cens.
MfFOµ. - Je sais parfaitement que l'honorable membre, qui était destiné à faire partie du cabinet auteur du programme soumis à la couronne, ne demandait pas alors et incontinent le suffrage universel ; il proposait simplement un abaissement du cens. Mais en même temps, il déclarait quelles étaient ses idées, et par conséquent, ce qu'il désirait et ce qu'il espérait réaliser. Il caractérisait ainsi toute la situation ; il donnait un mot d'ordre à ceux qui voudraient réclamer l'appui du pouvoir pour obtenir la plus large extension du suffrage, le jour où le pouvoir aurait été remis en ses mains.
Ce sont, en effet, ces mots de suffrage universel, étrangers jusque-là à nos luttes de parti, qui reviennent incessamment désormais dans les discussions relatives à la réforme électorale.
Lorsque la Chambre fut saisie de la proposition, légèrement amendée, de la droite, ce fut encore la question de suffrage universel qui fut agitée devant elle.
Certes, messieurs, je ne dirai pas que toute la droite est favorable à cette idée, loin de là ; je déclare, au contraire, que, dans ma conviction, la grande majorité de la droite est opposée à de pareilles tendances ; mais je dirai avec la même franchise que c'est une faute que de paraître en accepter la solidarité ; on s'expose ainsi à faire naître des espérances qu'on ne veut pas et qu'on ne saurait pas réaliser ; on suscite des agitations que l'on pourrait quelque jour être impuissant à calmer. On ne doit pas, surtout en matière aussi grave et aussi périlleuse, ouvrir la perspective d'événements dont on n'a nulle intention de poursuivre la réalisation.
Le devoir d'un parti, et surtout d'un parti qui se dit et qui veut être conservateur, c'est avant tout de consulter l'état social de la nation, de respecter tout ce qui révèle sa vitalité politique, et non de se lancer dans le champ d'innovations dont rien ne démontre la nécessité.
Il n'y eut qu'un motif à cette dérogation à des principes trop évidents pour qu'il soit besoin d'y insister ; cédant à une étrange suggestion, on se laissa persuader qu'on déplacerait le terrain de nos luttes, qu'on nous diviserait, qu'on trouverait dans nos rangs, ceux-ci résolus à courir au-devant de tout ce qui serait qualifié de réforme, ceux-là obstinés à refuser toute espèce de modification à nos lois électorales.
On s'imaginait surtout que, sous le drapeau de prétendues réformes, on allait rallier de nombreux adhérents dans le corps électoral.
Cette illusion n'a pas duré longtemps ; mais ce qui subsiste, c'est l'idée malsaine qui a été lancée dans le pays.
On dira qu'elle y était tout au moins à l'état latent ; je le veux bien : elle est au fond de toutes les démocraties ; elle y était en germe, soit ; mais c'était un germe endormi, que les partis extrêmes n'étaient pas parvenus à éveiller, et sur lequel vous avez les premiers projeté un rayon de soleil.
Dieu me garde d'exagérer l'importance des aspirations plus bruyantes qu'étendues qui s'agitent autour de nous !
Je rends grâce à nos populations, si calmes, si honnêtes, si sages, démontrer en cette circonstance plus de confiance dans la sollicitude des pouvoirs publics pour elles, que dans les vaines promesses et les appâts trompeurs que l'on fait miroiter à leurs yeux.
Mais ce n'est pas assez d'avoir excité les passions populaires ; on proclame, sans doute pour que l'aliment soit plus puissant encore, que, faibles comme nous le sommes, entourés par des Etats puissants qui ont pris pour base de leurs institutions, comme on vient de le dire, le suffrage universel, nous ferons bien de mettre nos institutions en harmonie avec les leurs.
Ce n'est pas la première fois que nous entendons un pareil langage. Après les excès de la démocratie triomphante en 1848, après les prédications anarchiques des journées de juin, après la mise en action de toutes les théories du communisme et du socialisme, lorsque partout le monde épouvanté laissa tomber les institutions libres, à nous qui seuls avions échappé à la tempête, on vint dire aussi : « Vous ne résisterez pas, il faut mettre vos institutions en harmonie avec celles de vos puissants voisins. »
Le parlementarisme était condamné ; il avait engendré tous les maux, et dans des écrits qui eurent un grand retentissement, des hommes aveugles ou pusillanimes se firent les contempteurs des principes sur lesquels notre édifice politique est assis. C'étaient des hommes de peu de foi. Ils oubliaient que si nous sommes une nation, c'est grâce à l'originalité de nos mœurs et de nos institutions. Sans doute, nous vivons de la vie des grands et nobles peuples qui nous entourent ; nous puisons dans les magnificences de leur développement intellectuel tout ce qui peut contribuer à réaliser pour nous-mêmes de nouveaux progrès.
Mais à travers les âges, malgré toutes les vicissitudes, nous avons conservé, pour les développer, pour les perfectionner, les institutions qui donnent un caractère propre à la nation belge.
Lorsque, en 1830, pour ne pas remonter plus haut, notre révolution éclata au contact de celle de la France, il parut aux esprits vulgaires qu'une même pensée, un même sentiment animaient les deux peuples. Et cependant, des idées différentes se manifestaient de l'un et de l'autre côté de la frontière. D'un côté, la liberté religieuse restait enchaînée ; de l'autre elle triomphait. Le régime ancien pour les rapports de l'Eglise et de l'Etat recevait là une nouvelle sanction. Il était ici brisé à jamais. Nous consacrions, dans notre pacte fondamental, l'application pratique de la formule, devenue célèbre trente-six ans plus tard, de l'Eglise libre dans l'Etat libre. Nous proclamions et nous pratiquions, d'une manière si entière, si complète, si absolue, toutes les garanties que la science sociale indiquait pour les droits individuels, que toutes les formes de gouvernement ont pu se manifester sur le continent, sans que la nation belge ait songé un instant à modifier ses institutions.
Conservons donc, messieurs, conservons ce qui nous distingue entre tous ; cherchons nous-mêmes ce qui convient à notre propre développement, sans condamner, sans critiquer, sans nous préoccuper outre mesure de ce qu'on a pu tenter ailleurs.
Mais, dit-on, toute résistance est vaine. Le suffrage universel sera votre maître, votre maître à tous. « Il l'est, le fut ou le doit être, » disait un honorable préopinant.
Qui parle ainsi, messieurs ? Chose étrange, ce sont des hommes qui se proclament les adversaires du suffrage universel. Ils préparent les hommes aux lâches abandons ; ils désertent la cause avant le combat ; ils jettent l'alarme, le sauve-qui-peut dans les rangs.
(page 702) Ce serait un lieu commun de répéter avec Royer-Collard que, partout aujourd’hui la démocratie coule à pleins bords. Il s’agit de savoir si cette force doit être réglée ou abandonnée à son propre mouvement, si les destinées de l’humanité doivent être l’œuvre de l’intelligence et de la raison, ou celle de la force matérielle et du nombre. Il s’agit de savoir s’il faut creuser un lit au torrent, élever des digues pour en contenir les flots tumultueux, ou s’il faut rompre les digues afin que le torrent puisse dévaster la plaine.
Eh bien, soit, dit-on ; mais du moins il faut préparer l'avenir ; il ne faut pas, c'est le mot admis et qu'on vient encore de répéter, il ne faut pas, par d'aveugles résistances, laisser croître des prétentions qui finiraient par vous emporter.
Et d'abord, où sont ici les aveugles résistances ? Sans reconnaître qu'il y eût un besoin bien prononcé de réforme électorale, mais puisque nous étions mis en demeure de formuler nos idées, ou tout au moins de dire quelles étaient les modifications que nous pensions pouvoir introduire dans nos lois, nous avons déposé un projet, qui certes, n'est ni moins complet ni moins libéral que tous ceux qui ont été produits jusqu'ici dans cette Chambre.
Ce mot d'aveugle résistance, c'est donc au suffrage universel que vous prétendez l'appliquer ? Entendons-nous : Selon moi, il faut céder à tout ce qui est juste ; mais il faut résister courageusement, énergiquement à tout ce qui ne l'est pas. C'est la cause qu'il faut juger, et non la résistance, qui n'est alors qu'une résistance sans signification, sans valeur morale.
Lorsqu'on voit une nation poussée au paroxysme de la colère, parce qu'on conteste à une poignée d'hommes le droit de s'asseoir à un banquet, comme vient de le rappeler l'honorable préopinant, pour y réclamer l'adjonction de quelques centaines de diplômés aux listes électorales, on peut dire qu'une résistance, dans de pareilles circonstances, est une résistance aveugle et que l'histoire la jugera sévèrement. Mais si la cause avait été juste, la résistance aurait été glorifiée par l'histoire.
Si l'on nous demandait de sacrifier la vie d'un innocent, sous prétexte de colères et de passions populaires, il faudrait résister au péril de nos jours et ne sacrifier l'innocent à personne.
M. Coomans. - C'est évident.
MfFOµ. - Eh bien, la vérité comme la vie de l'innocent, ne doit jamais être sacrifiée.
M. Delaetµ. - Etes-vous la vérité ? Voilà la question à résoudre.
MfFOµ. - C'est précisément ce qui explique, et ce que je dis est irréfutable, qu'il faut résister quand on croit être dans la vérité.
M. Coomans. - On croit ! Nous le croyons aussi.
MfFOµ. - « Mais voyez, nous dit-on, ce qui se passe au delà du détroit. » L'honorable préopinant vient également d'en parler. « Ouvrez les yeux, éclairez-vous. Personne ne songeait en Angleterre au suffrage universel, quand l'échec du cabinet qui avait proposé un premier projet de réforme, est venu tout à coup éveiller cette idée et la répandre dans les masses. Elle est aujourd'hui un danger public. »
Messieurs, c'est avec une grande surprise, je l'avoue, que dans cette discussion je vois avec quelle facilité on invoque les enseignements les plus avérés, les faits les plus notoires, pour les accommoder à des systèmes préconçus, on pour défendre des idées que le plus simple examen doit renverser.
S'il est un exemple concluant et lumineux à la fois, c'est celui que nous offre précisément l'Angleterre sur la question du suffrage universel.
C'est une inadvertance fort singulière de nous convier à examiner ce qui se fait là-bas, et d'affirmer que, jusque dans ces derniers jours, jusqu'à ces dernières résistances, personne n'y songeait au suffrage universel.
Depuis plus de trente ans, les Anglais ont opposé une résistance, jusqu'ici couronnée de succès, à l'idée du suffrage universel, et c'est déjà quelque chose que trente ans de sécurité et trente ans de liberté de plus !
On a peut-être perdu le souvenir, au milieu de tant et de si graves événements qui viennent nous surprendre de jour en jour, on a peut-être perdu le souvenir des agitations formidables fomentées en Angleterre par les chartistes, et qui, commencées il y a une trentaine d'aunées, ont duré très longtemps et ont leur dernier écho, très affaibli, dans ce qui se passe aujourd'hui en Angleterre.
Que voulaient les chartistes ?
Le suffrage universel ;
Le vote secret ;
L'abolition du cens d’éligibilité.
Les membres du parlement payés ;
Le pays divisé en circonscriptions électorales d'après la population.
Voilà ce qu’était la charte que l'on voulait faire promulguer.
Les chartistes, comme les radicaux de tous les temps et de tous les pays, dirigeaient surtout leurs attaques contre ce qu'ils nommaient l'aristocratie bourgeoise, les classes moyennes, sachant bien que là est toute la force des sociétés modernes, dédaignant de s'attaquer à la vieille et puissante oligarchie anglaise, comprenant parfaitement que le jour où les classes moyennes seraient renversées, l'oligarchie serait réduite en poussière.
Les chartistes étaient à l'affût de toutes les émotions populaires, de tous les désordres, de tous les troubles, pour les favoriser, les exciter et les diriger selon leurs vues.
En 1842, pour citer quelques-uns des faits les plus importants, une insurrection éclata dans plusieurs des grands districts manufacturiers. Les ouvriers dans les mines, dans les forges, cessaient de travailler et se présentaient en foule dans la plupart des districts, annonçant partout les projets les plus dangereux. Durant quinze jours, une foule furieuse brûla les manufactures. Aussitôt à Liverpool, à Manchester, à Coventry et ailleurs, des assemblées de chartistes se forment ; à Preston ils dirigeaient le mouvement, et au milieu d'une émeute sanglante, les meneurs furent arrêtés.
Fergus O'Connor, qui plus tard parvint à se faire élire et à occuper un siège au parlement, fut également arrêté.
Après la répression, après avoir rétabli l'ordre, est-ce que le parlement anglais a courbé la tête devant ces manifestations ? A-t-il cédé aux exigences de ceux qui réclamaient le suffrage universel ? Non, messieurs, le parlement anglais a résisté, et il a bien fait !
En 1846, une nouvelle et plus formidable agitation se produisit de nouveau en faveur du suffrage universel. Des processions immenses parcouraient la ville de Londres ; il s'agissait de faire pénétrer dans le parlement une pétition rédigée par M. Duncombe, et qui était couverte, disait-on, de cinq millions de signatures. C'est la fameuse pétition monstre des chartistes, dont il fut tant parlé dans le temps.
Eh bien, devant ces grandes manifestations, le parlement a de nouveau résisté, et, encore une fois, le parlement a eu raison.
Et voulez-vous sur ce point, pour apprécier et ce mouvement et la nature du suffrage universel, voulez-vous le témoignage de l'un des plus grands historiens de ce temps, d'un libéral éprouvé et dont nul, assurément, ne suspectera les convictions ?
Un des hommes qui avaient favorisé dans une certaine mesure le mouvement, mais qui craignait que l’on ne se méprît sur le caractère de cette agitation, sur les opinions qui étaient exprimées dans cette pétition, écrivit à Macaulay pour lui donner quelques explications ; voici la réponse que lui fit Macaulay le 23 février 1846 :
« Monsieur,
« Rien de plus modéré et de plus convenable que votre lettre. J'ai un grand plaisir à y répondre promptement et franchement. Mais je vous prie de ne pas envoyer ma communication aux journaux. »
Cette lettre n'a été publiée qu'en 1867.
« Vous n'avez en rien ébranlé mon opinion. Au contraire, vous la confirmez. Vous me dites qu'un grand nombre de ceux qui ont signé la pétition de M. Duncombe ne savaient pas ce qu'elle contenait. Permettez- moi de vous rappeler que cette pétition n'était pas un objet ordinaire. Elle était représentée comme une pétition nationale, comme le manifeste du million non représenté au parlement. On l'a portée à Westminster avec une pompe inusitée. La procession de bannières et de devises s'étendait sur l'espace de plus d'un mille. Une motion d'un caractère extraordinaire fut présentée à cette occasion à la chambre des communes. On demanda que les pétitionnaires fussent entendus à la barre de la chambre. Je crois donc que personne n'a pu signer ce document sans en comprendre la portée. Vous m'assurez toutefois que les centaines de milliers d'individus qui ont signé cette solennelle profession de foi politique ne l'avaient jamais lue.
« Elle était si longue, dites-vous, qu'ils ne pouvaient la lire. Cependant, il eût suffi de dix minutes. Mais dix minutes, paraît-il, auraient été plus que ces gens, qui nous demandaient de remettre le gouvernement entre leurs mains, n'auraient pu consacrer à l'examen d'une matière aussi grave. Plutôt que de prendre la peine de s'informer, ils ont apposé leurs signatures aux atroces absurdités que leur a soumises un (page 703) démagogue politique dans lequel ils ont placé leur confiance. Remarquez, monsieur, que c'est vous et non pas moi qui dites tout cela. J'ai une foi entière dans votre déclaration, niais quelle on est la conclusion ? Elle ne signifie pas que beaucoup de nos compatriotes industrieux et bien pensants sont privés du droit d'exercer des droits politiques, à l'avantage de la communauté. Et notez que c'est pour ceux-là que les chartistes réclament, non une part du pouvoir, mais le gouvernement tout entier de l'Etat. Car, si le suffrage universel était établi, ces personnes, qui ont signé la pétition nationale sans la connaître, formeraient la majorité de tous les collèges électoraux, et nommeraient, non pas 10 ou 400 membres du parlement, mais tous les six cent cinquante-six.
« Un homme de bon sens, comme vous, peut-il douter sur quel genre de candidats porterait le choix de pareils électeurs ? Pouvez-vous douter qu'ils donneraient leurs suffrages comme ils donnent leurs signatures ? Vous dites que nos législateurs actuels ont commis des erreurs. Sans doute, tous les gouvernements en commettent, car tous les gouvernements sont composés d'hommes, et vous ne pouvez faire de gouvernements parfaits avec des matériaux aussi imparfaits, pas plus que vous ne pouvez construire un palais de marbre avec des briques. Mais, entre les erreurs dans lesquelles ont versé trop souvent les parlements et l’erreur des chartistes, il y a, d'après moi, une grande différence.
« L'erreur de nos parlements, si grande qu'elle fût, n'a pas été de nature à frapper à la racine même notre prospérité nationale. Au contraire, vous admettrez qu'il y a une tendance générale vers le progrès, que la civilisation marche, que les sciences font des progrès constants, |que beaucoup d'abus qui florissaient naguère ont disparu ou sont sur le point de disparaître ; qu'en un mot, la plupart des changements qui se produisent nous rapprochent du bien.
« Par conséquent, tout en ne trouvant point parfait notre régime actuel, je le considère avec espoir et sérénité. Mais le système des chartistes, tel qu'il est exposé dans la pétition nationale, nous précipiterait, j'en suis sûr, au bout de peu de temps, dans un abîme de misère et de dégradation dont il est difficile de se faire une idée. Il ferait de la Grande Bretagne, au bout de trois générations, une île aussi barbare que Madagascar. La seule chance de salut serait qu'un Cromwell ou un Napoléon vînt établir un despotisme militaire vigoureux et bien organisé. »
L'agitation continua. Les chartistes de Londres tenaient régulièrement leurs assemblées, et lorsque la révolution de 1848 éclata, ils avaient, sous le nom de convention nationale, une sorte de parlement à côté du parlement légal.
M. Wasseige. - Comme le congrès libéral le fit en 1846.
MfFOµ. - Evidemment, c'était tout à fait la même chose. Le congrès libéral demandait exactement la même chose que les chartistes. Il était constitué en parlement et il siégeait à côté de la Chambre. Je vois que l'on fait très bien l'histoire dans cette Chambre. (Interruption.)
M. Wasseige. - Veuillez, M. le ministre, ne pas me faire dire autre chose que ce que j'ai dit. J'ai dit que vous, qui blâmez si vivement la position prise par les chartistes anglais, vous avez essayé de faire la même chose au congrès libéral de 1846. Je n'ai rien voulu dire de plus.
M. Allard. - Vous avez eu le congrès de Malines.
MpVµ. - Messieurs, n'interrompez pas, je vous prie.
M. Wasseige. - On n'a fait que cela jusqu'ici.
MfFOµ. - Je ne m'en plains pas, M. le président.
MpVµ. - Les interruptions sont défendues par le règlement.
M. Delaetµ. - Vous avez permis tantôt à l'honorable M. Pirmez de faire un discours dans le discours de M. Nothomb.
MfFOµ. - Le 6 avril, le gouvernement interdit la nouvelle grande procession charliste, qui devait avoir lieu le 10. Il proposa incontinent un bill au parlement pour être armé de mesures répressives suffisantes, et ce bill fut admis à la chambre par 283 voix contre 24.
Les chartistes persistèrent à soutenir leur droit de porter leur pétition en procession au parlement ; mais, le matin du jour fixé, les délégués de la convention nationale reculèrent, et les membres les plus ardents montèrent seuls dans une voiture où se trouvait la pétition, et qui était décorée de drapeaux et d'inscriptions. On y lisait : Suffrage universel, vote secret ; vivre libre ou mourir ; tous les hommes sont égaux, etc.
Ces nouvelles manifestations, au milieu des agitations de 1848, n'intimidèrent pas davantage le parlement. Le suffrage universel ne fut pas consacré.
Depuis 15 ans, il est vrai, on s'occupe en Angleterre, et sans pouvoir aboutir, d'une réforme électorale ; mais ce qui est précisément un obstacle à ce que les esprits les plus éclairés se mettent d'accord sur les conditions du nouveau vote, c'est précisément la crainte d'ouvrir la porte au suffrage universel.
J'aurai maintenant, messieurs, à entrer dans la discussion des principes, mais je pense qu'il conviendra à la Chambre que la séance soit remise à demain.
- La séance est levée à 4 3/4 heures.