Séance du 19 février 1867
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 471) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction du procès-verbal est adoptée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre :
« Le sieur Vanderstraeten prie la Chambre de s'occuper du projet de loi relatif à la réforme électorale. »
« Même demande des sieurs Finoelst et Van Seybroeck. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
- Même dépôt.
« Des échevins et des conseillers communaux de Lophem demandent que leur ancien bourgmestre soit bientôt réintégré dans ses fonctions. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vanhoorebeke fait hommage à la Chambre de 130 exemplaires d'un opuscule qu'il a publié afin d'obtenir la réparation de griefs dont il se plaint. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. de Baillet-Latour, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé. »
- Accordé,
M. Orts. - Je dépose sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission chargée de l'examen du projet de loi d'organisation judiciaire sur les quatre chapitres du titre Ier de cette loi.
M. Van Humbeeck. - Au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi de révision du code, de commerce, je dépose le rapport sur le titre IV du livre premier.
- Ces rapports seront imprimés et distribués et les projets qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Couvreurµ (pour une motion d’ordre). - Lorsque, la semaine dernière, j'ai demandé à la Chambre l'autorisation de lui proposer aujourd'hui une date pour l'examen des projets de loi apportant des modifications aux législations électorales pour la commune et pour la province, je l'ai fait avec l'espoir de ne rencontrer, ni sur les bancs de la Chambre ni sur les bancs du gouvernement, aucune opposition au fond même de la proposition, aucune opposition à la nécessité d'aborder et de résoudre la question dans le cours de cette session. Nous pourrons différer sur la date où il convient de commencer les débats ; j'aime à croire que la Chambre sera unanime pour reconnaître les inconvénients d'un ajournement indéfini, indéterminé.
En effet, messieurs, si ce. sentiment, n'avait pas dominé la Chambre, elle n'eût pas mis la question à son ordre du jour lorsque l'honorable M. Guillery lui en a fait la proposition ; à coup sûr, elle ne l'y eût pas maintenue, après réflexion, lorsque l'honorable rapporteur de la section centrale est venu l'interroger sur ses intentions. Elle n'aurait pas voulu faire de cette question, ainsi remise en lumière, un brandon de discorde, une cause d'excitation pour ceux chez qui la loi éveille des espérances irréalisables ; une cause d'irritation, au contraire, pour ceux qui ne veulent absolument rien changer à ce qui existe aujourd'hui.
D'ailleurs, la question elle-même est de celles qui ne comportent pas de longs ajournements ; elle est du nombre de celles qu’un gouvernement, qu'une majorité peuvent ne pas poser, mais qui, une fois posées, demandent une prompte solution.
Il n'est pas prudent de permettre que la légitimité des bases de la représentation communale, qui touche de si près aux intérêts des citoyens, avec laquelle ils sont en contact constant, soit mise en suspicion, alors surtout que cette mise en suspicion est le résultat, non pas des écrits et des discours de quelques publicistes ou d'orateurs populaires, mais d'un parti puissant qui a essayé d'en faire la pierre angulaire d'un nouvel édifice politique, lorsqu'elle a été présentée au sein du parlement par un membre de la majorité, et appuyée par des conseils élus sous l'empire de la législation en vigueur, lorsque enfin le gouvernement lui-même a reconnu la nécessité d'une réforme par la présentation d'un projet de loi.
A mon sens, nous n'avons déjà que trop tardé à aborder franchement le problème très difficile, très redoutable, posé devant nous.
Il est des difficultés qu'il faut vaincre à l'origine, dans leur berceau. Les laisser grandir, c'est s'exposer à être vaincu par elles ; ne pas les aborder de front, c'est, pour un parti, préparer son abdication.
Vous connaissez, messieurs, l'historique de la question. En réalité, elle est déjà vieille : elle date de 1864, lorsque l'honorable M. Dechamps, le premier, l'a introduite dans cette enceinte. Reprise l'année dernière par l'honorable M. Guillery, elle a été interrompue par une interpellation sur l'application de la loi sur les bourses, par le vote de projets de loi d'un intérêt matériel de la plus haute importance et, enfin, par la clôture de la session.
Maintenant que tous les budgets sont votés, sauf celui des travaux publics, qui touche à sa fin, et celui de la guerre, qui sera examiné demain en sections, il m'a semblé que l'heure était venue d'en finir avec cette question et de mettre ainsi un terme aux causes d'agitation et d'inquiétude qu'elle crée dans le pays... (interruption) qu'elle peut créer dans le pays
Mes honorables interrupteurs voudront bien remarquer que je ne me suis pas prononcé, jusqu'à présent, sur le mérite de la réforme, et mon intention est de ne pas aborder ce terrain.
J'en serais l'adversaire le plus déterminé, j'aurais, pour ce qui existe et pour ce qui a bien fonctionné jusqu'à ce jour, le respect le plus absolu, j'aurais l'horreur la plus vive, pour tout changement, que néanmoins la logique, le bon sens, les leçons de l'expérience me commanderaient d'insister sur l'opportunité et sur la nécessité de décider si la législation actuelle peut rester en vigueur, quels changements doivent y être apportés, sur quelles bases ces changements devraient être effectués, jusqu'à quelles limites il faut les poursuivre.
Or, il me semble qu'avec les précédents de la question, et telle qu'elle se présente à nous, nous devons tous reconnaître que quelque chose doit être fait, ne fût-ce qu'à raison des progrès réalisés par le pays à l'intérieur, et à raison de la pression qu'exercent sur lui les événements qui se passent à l'extérieur.
Comme je ne veux pas abuser des moments de la Chambre et que j'aurai l'occasion, dans la discussion générale de la loi, de revenir sur les considérations qui se rattachent à la situation intérieure, je me bornerai à passer rapidement en revue les considérations d'un ordre extérieur, les considérations qui se rattachent à notre solidarité politique avec les Etats qui nous entourent.
Cette revue pourra être d'autant plus utile que, depuis l'année dernière, il s'est passé des faits nouveaux très importants, que ces faits en préparent d'autres plus importants encore, et qui, pour peu que nous tardions à en finir, pourraient nous créer de très graves embarras, avec lesquels, bon gré mal gré, nous serions obligés de compter.
(page 472) Lorsque, l'année dernière, nous fûmes saisis de la proposition de l'honorable M. Guillery, le suffrage universel existait en France, mais il y fonctionnait sous la tutelle administrative, sans droit de réunion et sans garanties accordées à la presse.
En Angleterre, l'agitation, en vue d'une extension du suffrage, naissait à peine ; elle s'essayait à la vie ; elle ne trouvait pas sa voie ; de même que le gouvernement qui désirait lui donner une satisfaction, elle ne parvenait qu'à prouver son impuissance.
Enfin, en Allemagne, on attribuait bien au premier ministre d'un puissant Etat, l'intention de fonder sur le suffrage universel l'unité de sa patrie et la puissance de la maison dont le chef l'honorait de son amitié ; mais à cette époque ce projet paraissait tellement audacieux qu'on doutait de la sincérité de son auteur et de la possibilité de sa réalisation.
Aujourd'hui, messieurs, que de changements ! Dans cette Allemagne, à nos portes, dans ces villes et dans ces campagnes dont quelques heures à peine nous séparent, qui sont aujourd'hui moins éloignées de nous que ne l'étaient, il y a trente ans, les extrémités du pays de la capitale, dans ce pays le suffrage universel vient de fonctionner. Il vient de fonctionner pour la constitution d'une assemblée représentant la confédération du Nord. Or, il faudrait ne pas se rendre compte des tendances qui emportent l'Allemagne, de la civilisation qu'elle possède, de la puissance de l'instrument mis en œuvre, pour douter que cette assemblée n'emportera, dans un temps peu éloigné, les institutions particulières, secondaires et inférieures des pays auxquels elle se superpose et des pays qui, aujourd'hui, en dehors de son cercle d'action, ne tarderont pas à se ranger sous ses lois.
En Angleterre, messieurs, l'agitation qui ressemblait à une armée sans soldats, ou plutôt à une armée dont les régiments étaient dispersés et qui n'avait de colonels et de généraux qu'au sein du parlement, en Angleterre l'agitation a trouvé, depuis lors, des chefs et une organisation. Elle a promené ses griefs, ses réclamations, ses désirs, de ville en ville. Elle a suspendu deux fois la vie si active du cœur de l'Angleterre, de la métropole du commerce. Enfin, elle s'est si bien manifestée, elle dont, il y a peu de temps encore, on niait l'existence, qu'elle a obligé le gouvernement qui était arrivé au pouvoir pour la combattre et l'enrayer, qu'elle l'a obligé de réfugier sa responsabilité derrière la responsabilité de la chambre des communes ; et malgré cette preuve évidente de faiblesse, ce gouvernement n'a pas réussi, jusqu'à présent, à échapper aux coups de ses adversaires.
Si les fractions libérales, au sein de la chambre des communes, n'étaient pas profondément divisées, on pourrait dès à présent, entrevoir l'époque où les torys seront obligés ou de déposer le pouvoir, ou, pour s'y maintenir, de faire à l'opinion publique des concessions plus étendues que n'en voulaient accorder ceux qui, d'abord, avaient pris le mouvement sous leur direction.
En France, enfin, messieurs, le suffrage universel, hier encore dans les langes, touche à la virilité. Emancipé, dans les grandes villes, de la tutelle administrative, il tend à s'en émanciper dans les campagnes, il vient de conquérir la reconnaissance du droit de réunion et des garanties légales pour la presse. Quelle que soit la teneur de ces lois, en ce moment à l'étude, dans un pays si voisin de nous, en relations si intimes avec le nôtre, et qui a, dans beaucoup de circonstances, exercé sur lui une influence souvent si puissante, quelle que soit, dis-je, la teneur de ces lois, leurs effets ne tarderont pas à se faire sentir. Il suffît de mesurer la puissance de l'instrument dont elles vont devenir les auxiliaires pour comprendre l'action qu'elles exerceront sur le développement démocratique de la société française.
Lorsque je contemple ce spectacle, je ne puis me défendre, moi qui ne veux pas du suffrage universel, je ne puis me défendre d'un sentiment d'effroi pour mon pays. Je me dis qu'à moins de l'isoler complètement, qu'à moins d'interdire à nos populations tout contact avec les pays voisins, qu'à moins de transformer la Belgique en une espèce de Japon ou de Paraguay, nous ne pourrons pas la soustraire à la contagion, à l'infiltration des idées sur lesquelles nos voisins assoient leur organisation sociale.
Je me demande avec inquiétude comment nous pourrons conserver nos institutions, ces institutions qui nous ont donné trente années de bonheur, de paix et de prospérité et qui n'ont pas épuisé le cours de leurs bienfaits.
Je me demande, sans en faire l'objet d'une récrimination contre qui que ce soit, si, depuis longtemps, nous n'aurions pas dû prévoir le danger, si, depuis longtemps, nous n'aurions pas dû jeter millions sur millions dans le gouffre de l'ignorance ; je me demande, puisqu'on a parlé du gouvernement des valets de ferme, je me demande si depuis longtemps, nous n'aurions pas dû faire, de ces valets de ferme, des citoyens éclairés, dignes de marcher les égaux des fils des plus infimes bourgeois et des aristocrates les plus fiers de l'illustration de leurs aïeux.
Ce qui me rassure, messieurs, c'est la pensée qu'en présence de cet avenir fort sombre, nous avons des hommes d'Etat qui savent qu'on ne gouverne pas avec des expédients et des ajournements ; des hommes d'Etat qui se souviendront qu'il ne suffit pas d'avoir derrière soi des majorités parlementaires dévouées : qu'à côté de ces majorités, il faut des majorités populaires qui les appuient et les approuvent ; des hommes d'Etat enfin, qui se souviendront de ce mot si profond et si vrai proclamé un jour, dans cette enceinte, par l'honorable ministre des finances : Gouverner, c'est prévoir.
Prévoyons, messieurs, voilà ce que je vous demande.
Je le répète, messieurs, plus on est adversaire des formes nouvelles qui s'introduisent autour de nous dans les lois, plus on est pénétré des dangers que ces formes peuvent présenter pour l'ordre social, plus il faut redouter, pour la Belgique, l'extension, la puissance et l'autorité qu'elles acquièrent à l'extérieur, plus nous devons redouter les épreuves auxquelles nous serions exposés si, comme un pays voisin, nous avions à les subir à l'improviste ; plus nous devons être impatients de nous aguerrir dans nos comices communaux contre ces dangers, plus nous devons imiter ces généraux qui, à la veille d'entrer en campagne, fortifient les membres de leurs jeunes soldats par des marches forcées et les exercices de la guerre.
Rappelons-nous, messieurs, ce qui s'est passé en 1847. Alors, aussi, au sein de cette Chambre, des voix amies, mais des voix importunes, je le reconnais, proclamaient la nécessité d'aviser à l'avenir, demandaient des modifications à la législation. Elles ne furent pas écoutées. Une année après, que dis-je ? vingt-quatre heures après, le gouvernement lui-même était obligé de venir apporter, dans cette enceinte, des projets qui allaient bien au delà des désirs combattus par lui. On fut obligé, alors, de tout jeter par dessus bord et d'abandonner le navire aux flots de la tempête.
L'expérience a réussi. Le pays a montré qu'il était digne des libertés nouvelles qui lui avaient été accordées, mais qui oserait, de propos délibéré, recommencer cette expérience ?
Nous avons une pente à descendre. Il faut la descendre pas à pas, sans bonds, sans saccades ; sinon, nous sommes exposés à tomber, du jour au lendemain, au fond de l'abîme, au risque d'y voir périr nos plus chères libertés.
Telles sont le considérations, messieurs, qui me portent à vous demander, puisque le gouvernement a fait un premier pas en présentant le projet de loi sur les lois électorales, de vouloir bien le mettre à l'ordre du jour le plus promptement possible. Je propose à cet effet la date du 19 mars. C'est, si je ne me trompe, le premier jour de la semaine qui suivra les vacances que la Chambre a l'habitude de prendre vers l'époque du carême.
D'ici là, les membres de la Chambre auront le temps de se préparer à la discussion, et comme la Chambre ne se séparera de nouveau que le samedi 13 avril, elle aura pleinement quatre semaines pour examiner le projet de loi. D'ici là nous pourrions en finir avec le budget des travaux publics, le code pénal, et si la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre voulait y mettre un peu de bonne volonté, avec le budget de la guerre.
Enfin, si la majorité de la Chambre, après la discussion générale du projet de loi présenté, jugeait nécessaire d'envoyer les amendements à la section centrale, celle-ci aurait le loisir de se livrer à cet examen dans le courant des vacances de Pâques, et nous pourrions immédiatement après ces vacances, voter la loi et la mettre eu état d'être soumise au Sénat.
MfFOµ. - Messieurs, il appartient à la Chambre de fixer son ordre du jour .Nous sommes, quant à nous, à la disposition de l'assemblée. Nous n'avons spécialement aucun motif de refuser la discussion, ni même de chercher à l'éluder, en combattant la motion de l'honorable M. Couvreur.
A la vérité, nous n'avons pas pris l'initiative de propositions relatives à une réforme électorale. Mais, lorsque des propositions de cette nature ont été soumises à la législature, nous n'avons pas hésité un seul instant à dire notre opinion et à la formuler.
Quel motif aurions-nous de ne pas aborder la discussion ? Nos idées ont été soumises à une première épreuve et cette épreuve leur a été (page 473) favorable. La majorité de la Chambre .s'est prononcée dans le sens de nos opinions.
M. Coomans. - La majorité des sections.
MfFOµ. - Evidemment. La majorité des sections s'est donc prononcée dans le sens des opinions défendues par le gouvernement.
Depuis lors, des élections ont eu lieu en face de ces propositions, en présence des débats qu'elles avaient motivés, et nous croyons pouvoir dire que le résultat de ces élections a suffisamment démontré que nous avions répondu aux véritables sentiments de l'opinion publique.
Il ne peut donc y avoir de notre part aucune raison de ne pas discuter. Mais notre devoir est de soumettre à la Chambre quelques observations à raison des travaux dont elle est saisie, qui sont d'une importance considérable, dont quelques-uns sont des plus urgents, et qui seraient nécessairement entravés si la motion de l'honorable membre était adoptée.
La Chambre doit tout d'abord s'occuper des budgets ; arrivés au mois de février, presque au mois de mars, nous n'avons pas encore tous les budgets de l'exercice qui est ouvert. Aux termes de la loi sur la comptabilité, le gouvernement est tenu de déposer dans peu de jours les budgets de 1868, afin qu'ils puissent être examinés et votés en temps utile. C'est un sujet habituel de récriminations dans les deux Chambres que le retard apporté habituellement à l'examen des budgets ; or il est incontestable que si la Chambre ne prend pas une bonne fois la résolution de les examiner dans les délais légaux, nous nous trouverons indéfiniment dans la même position.
Indépendamment de ces devoirs qui sont impérieux pour la Chambre, des objets très importants doivent également la préoccuper ; il est de son devoir, je dirai même de sa dignité, d'achever les travaux entrepris pour la révision du code pénal. Encore un peu d'efforts, et cet immense travail sera terminé ; cette révision du code pénal, attendue depuis si longtemps, pourra être complétée. Serait-il convenable d'empêcher qu'un pareil travail, entamé depuis tant d'années, pût enfin aboutir ?
Vous avez ensuite le projet de loi relatif à la révision du code de commerce dont un titre, celui qui règle le régime des sociétés commerciales, présente sans contredit une urgence toute spéciale.
M. Teschµ. - Certainement.
MfFOµ. - C'est là une réforme qui est vivement désirée par le pays, et il s'agit d'un objet important, qui absorbera pendant assez longtemps l'attenion de l'assemblée.
Vous avez aussi une loi sur l'organisation judiciaire, déposée depuis quelques années déjà, et dont un rapport partiel vient de vous être présenté. Ici encore, vous êtes en présence d'un objet urgent, et qu'il serait du plus grand intérêt pour le pays de voir aborder. Vous avez la loi sur l'expropriation par zone, si vivement désirée, et qui donnera lieu très probablement à d'assez longues discussions dans cette Chambre.
Vous avez enfin un projet inévitable, à la discussion duquel vous ne sauriez échapper : je veux parler de la péréquation cadastrale, dont s'occupe eu ce moment la section centrale, et qui doit être indispensablement soumise aux délibérations de la Chambre dans le cours de la présente session, et en temps utile pour que le Sénat puisse s'en occuper à son tour, sinon les résultats de cette péréquation ne pourront être appliqués qu'en 1869.
Vous savez, en effet, que c'est seulement au moment de l’établissement des rôles, c'est-à-dire au commencement de l'année, qu'une mesure de ce genre peut être mise en vigueur ; et encore, il y aura des travaux préparatoires qui exigeront plusieurs mois, pour arrêter les éléments nécessaires à la formation des rôles d'après les principes de la nouvelle législation. Comment donc serait-il possible que la Chambre prît un mois, et peut-être davantage, pour s'occuper de la réforme électorale et négligeât cet objet si important pour le pays ?
Je ne veux pas contester l'intérêt qu'il peut y avoir à s'occuper de la réforme électorale, sans y attacher cependant cette haute importance qui vient de lui être attribuée par l'honorable membre.
Soyons francs et vrais, et reconnaissons que, s'il est un objet dont l'opinion publique ne se préoccupe pas, c'est précisément la nécessité d'une réforme électorale.
M. Coomans. - Pas du tout ! (Interruption.)
MfFOµ. - Il faut dire la vérité !
M. Royer de Behr. - Et toutes les pétitions qui nous ont été adressées ?
MfFOµ. - Ce que je dis est avoué et reconnu par les journaux, même les plus avancés, qui regrettent que l'opinion publique ne se préoccupe pas davantage de cette question. Voilà la vérité.
Je me garderai bien, messieurs, de suivre l'honorable préopinant dans les considérations auxquelles il s'est livré par anticipation, et assez inutilement, selon moi, sur l’état de l'Europe, sur le prétendu progrès que fait l'idée du suffrage universel, et sur l'influence qu'une pareille situation existant à l'extérieur pourrait exercer chez nous.
Je me bornerai à dire que, depuis 30 ans, nous n'avons pas eu coutume de nous préoccuper beaucoup, pour régler notre régime intérieur, de ce qui se passe à l'étranger, et je crois qu'en cela nous n'avons pas eu tort.
Lorsque, dans d'autres pays, des principes fort différents de ceux que nous pratiquons étaient en honneur, nous n'avons pas songé à modifier nos institutions pour les mettre en harmonie avec celles des pays voisins. Nous avons pratiqué honnêtement, prudemment, sagement nos institutions, et c'est ce que nous devons continuer à faire encore.
Je ne relèverai pas les erreurs et les appréciations erronées de l honorable membre sous ce rapport. Il a, par exemple, supposé que le ministère qui est actuellement au pouvoir en Angleterre était arrivé pour combattre la réforme et s'y opposer, et qu'il était obligé aujourd'hui de céder sous la pression de l'opinion publique.
Eh bien, l'honorable membre s'est complètement trompé : le ministère actuellement au pouvoir en Angleterre avait, il y a bien des années déjà, fait une proposition en faveur de la réforme électorale. Il n'a pas attendu les manifestations de l'opinion publique, ou plutôt les manifestations de la rue, pour se prononcer sur cette question. Lui aussi, comme le parti auquel il est opposé, croyait à la nécessité d'une réforme pour l'Angleterre ; il n'y a divergence que sur les conditions auxquelles cette réforme pourra être accomplie.
Mais s'il est un principe qui est considéré par tous sans distinction comme présentant les plus graves dangers, principe que l'on repousse et que l’on combat, c'est celui du suffrage universel, devant lequel l'honorable membre déclare d'ailleurs reculer également. Et cependant, par une singulière contradiction, ce sont les exemples tirés de pays dans lesquels le suffrage universel a été plus ou moins pratiqué, ou dans lesquels on vient de l'introduire récemment, ce sont ces exemples qu'il cite comme devant nous convier à nous occuper de réforme électorale, en nous déclarant que ce qui se passe dans ces pays voisins exercera nécessairement, dans un temps plus ou moins rapproché, une influence prédominante sur notre politique intérieure.
Eh bien, je crois qu'il n'en sera rien ; je crois que nous pourrons continuer à nous occuper très pacifiquement, très largement de nos réformes intérieures, sans avoir à nous inquiéter, outre mesure, de ce qui peut se faire à l'étranger.
Quoi qu'il en soit, et pour en revenir à la motion de l'honorable M. Couvreur, je répète, messieurs, qu'en présence des travaux nombreux et importants dont la Chambre est saisie, et sur lesquels je viens d'appeler son attention, il serait tout à fait prématuré, scion moi, de fixer des à présent le jour de la discussion de la réforme électorale, de le fixer surtout pour une date aussi rapprochée que celle qui vient d'être indiquée, c'est-à-dire pour le 19 mars. Si cette motion était admise, il faudrait interrompre pour un temps indéterminé tous les travaux de la Chambre, quelque indispensables, quelque urgents qu'ils fussent, et cela contrairement aux intérêts manifestes du pays, et au profit d'une discussion qui n'aurait, en réalité, qu'une valeur purement théorique.
En effet, messieurs, veuillez considérer que si une réforme était apportée à notre législation électorale, elle ne pourrait pas être mise immédiatement à exécution. Il n'est dans la pensée de personne assurément de prononcer, à l'occasion d'une modification qui serait introduite dans nos lois électorales, la dissolution de tous les conseils communaux et des conseils provinciaux du pays. Or, les conseils communaux viennent à peine d'être reconstitués ; c'est-à-dire que c'est seulement dans trois ans que l'on pourrait commencer la première application de la réforme qui serait adoptée. A moins, je le répète, qu'on ne veuille prétendre que, par suite d'une modification telle que celle qui est proposée, il faudrait dissoudre tous les conseils communaux e provinciaux du pays.
Ainsi, la mesure n’est pas urgente, et elle ne doit pas avoir la priorité sur d'autres mesures dont le caractère d'urgence et l’importance réelle pour les intérêts du pays ne sauraient être contestés. Dans tous les cas, il y a impossibilité d'accepter la date du 19 mars, sous peine d'entraver (page 474) les travaux les plus essentiels, les plus indispensables dont la Chambre est saisie.
J’allais oublier, messieurs, de faire une observation qui est de nature encore à prouver l'impossibilité qu'il y aurait d'accepter le jour rapproché qui vient d'être indiqué, c'est que le Sénat est convoqué ou va l'être, pour s'occuper des budgets qui restent à voter.
Eh bien, le Sénat, en prévision de cette convocation, a décidé, lorsqu'il s'est séparé la dernière fois, que pendant l'examen du budget par les commissions, il s'occuperait, comme premier objet, du projet de loi sur les fraudes électorales. Or, la discussion de ce projet exigera nécessairement la présence au Sénat de MM. les ministres de l'intérieur et de la justice, qui auraient également à s'occuper plus particulièrement de la question de la réforme électorale ; cette circonstance est une nouvelle preuve de l'impossibilité de maintenir la date proposée pour la discussion du projet de loi concernant cette réforme.
M. Nothomb. - Je viens appuyer la proposition de l'honorable M. Couvreur et engager, avec lui, la Chambre à fixer au 19 du mois prochain la reprise de la discussion relative à la réforme électorale.
Pas plus que l'honorable préopinant, je ne veux entamer en ce moment le fond de la question.
Il me permettra cependant de formuler certaines réserves quant à ce qu'il vient de répondre à l'honorable M. Couvreur. M. le ministre des finances conteste d'abord l'existence d'un mouvement en faveur d'une réforme électorale ; il nie tout au moins que ce mouvement soit réel, et il va jusqu'à le qualifier de factice. Il affirme que le pays ne s'en préoccupe pas.
J'ai, à cet égard, une opinion absolument opposée et je trouve la preuve de la réalité de ce mouvement, non seulement dans les discussions qui ont lieu dans cette Chambre depuis bientôt quatre ans, non seulement dans les polémiques de la presse, mais encore dans ce fait qui frappe tout le monde : c'est qu'il n'y a aucune réunion politique dans le pays où cette question de la réforme électorale ne soit agitée.
Elle occupe les esprits. Dès qu'un certain nombre de personnes s'occupant de politique sont réunies, on soulève la question électorale, soit pour l'approuver, soit pour la combattre ; mais au moins on s'en inquiète ; elle s'est emparée, selon moi, à un degré incontestable de l'attention du pays ; et comme l'a dit l'honorable M. Couvreur, elle s'impose à nous par tout ce qui se passe au dehors.
Nous croyons que c'est à la fois un acte de justice et de prévoyance, que d'appeler un plus grand nombre de Belges à l'exercice des droits politiques, d'en faire des citoyens, de véritables défenseurs de notre nationalité, si elle venait à être menacée.
C'est un acte de justice, parce que tous les Belges doivent, selon l'esprit de nos institutions, participer à l'exercice des droits politiques ; et c'est une œuvre de prudence, que de se préparer à l'avènement de ce que je considère, je n'hésite pas à le dire, comme la loi des sociétés modernes, l'universalité, plus ou moins réglée, du droit de suffrage.
Ce. n'est pas que nous appelions ce suffrage, ce n'est pas que nous demandions la révision de la Constitution ; mais je suis profondément convaincu que nous ne pourrons nous soustraire au suffrage universel ; en d'autres termes, repousser indéfiniment la participation de tous les citoyens à l'exercice de la puissance publique, dans les conditions que la loi peut déterminer. C'est dans ce sens que nous disons que l'extension du suffrage est un acte de justice et de prudence.
Mais, nous objecte M. le ministre des finances, pourquoi invoquer l'exemple de ce qui se passe à l'étranger ? Pourquoi se préoccuper de ce qui a lieu en France, en Allemagne, en Angleterre ? Nos institutions sont bonnes ; conservons-les telles qu'elles sont, n'y touchons pas.
Eh bien, nous répondons que ce sont précisément nos institutions, basées sur l'égalité de tous, qui impliquent cette extension du droit électoral ; suivant nous, elle est en germe dans nos institutions et c'est renier la pensée et l'esprit qui les ont dictées, que de se renfermer dans l'immobilisme politique.
Pour écarter la motion de l'honorable M. Couvreur, M. le ministre des finances a ajouté que la réforme qu'il s'agit d'introduire ne serait pas réalisable dans un bref délai ; qu'elle demanderait beaucoup de temps pour être mise en vigueur, et qu'on ne pourrait pas dissoudre immédiatement les conseils provinciaux ni les conseils communaux.
Je suis d'accord avec M. le ministre des finances ; mais j'y puise un motif nouveau pour commencer une discussion qui doit nécessairement être longue et entraîner de longs retards pour la mise à exécution de la loi qui en serait la suite.
.Maintenant, les projets de loi indiqués par M. le ministre des finances sont-ils d'une urgence telle, qu'il faille écarter la réforme électorale qui nous domine malgré nous, qui nous entraîne par son double courant extérieur et intérieur ? Voyons ces projets.
Le code pénal ; soit, j'y consens ; il faut en finir. Or, la discussion du code pénal n'est pas destinée à prendre beaucoup de temps. Je pense qu'en moins d'une dizaine de séances au plus, la Chambre pourra terminer cette discussion. Ainsi écartons le code pénal. Vient le budget de la guerre ; comme nous n'aurons pas à nous occuper immédiatement de la réorganisation de l'armée, je ne prévois pas que ce budget absorbe cette fois beaucoup de temps ; il sera sans doute voté sans grande discussion.
Ainsi le code pénal et le budget de la guerre peuvent avoir disparu de notre ordre du jour bien avant le 19 mars.
M. le ministre des finances a cité encore le projet de loi sur la réorganisation judiciaire. Mais ce projet existe depuis de très longues années ; il y a dix ans que je l'ai soumis à la Chambre, et bien qu'il n'ait pas été voté, je ne vois pas que la Belgique en ait tant souffert, ni la justice non plus. L'objet est utile, je le reconnais ; mais ce n'est pas urgent et la discussion en demandera beaucoup de temps ; nous devrons peut-être l'interrompre dix fois ; et je doute qu'en moins d'un an on ait converti ce projet en loi définitive.
Quant à la révision du livre premier du code de commerce, elle se rattache à l'ensemble des lois qui régissent le commerce. Cet objet exigera aussi beaucoup de temps, et il n'est pas très urgent. Il en est de même du projet de loi sur la péréquation cadastrale et de celle sur les expropriations dont la nécessité est loin d'être reconnue.
Enfin, quant aux budgets nouveaux dont a parlé M. le ministre, et qu'il faut voter par respect pour la loi de comptabilité, le scrupule est nouveau, et une année d'irrégularité, ajoutée à tant d'autres, ne me paraît pas chose si effrayante.
Je viens de passer en revue toutes les lois que M. le ministre des finances a présentées, et j'en conclus que si nous devions discuter tous ces objets, nous n'aborderions jamais la réforme électorale ; car chaque fois qu'on demandera la discussion de cette question, le gouvernement viendra nous dire qu'il y a tels ou tels projets qui doivent être votées avant ; avec un tel système, toute question qui gêne le gouvernement peut être écartée, les projets à prétexte ne manqueront jamais ; la réforme électorale est une de ces questions qu'il faut aborder dans des conditions de calme et de paix intérieure ; nous sommes dans cette situation et n'attendons pas que cette question s'impose à nous dans des circonstances moins favorables.
Je voterai pour la proposition de l'honorable M. Couvreur.
M. Royer de Behr. - Messieurs, je viens à mon tour appuyer la proposition de l'honorable M. Couvreur ; et, contrairement à l'opinion de M. le ministre des finances, je pense que si une discussion a jamais été opportune, c'est celle de la réforme électorale. Je supplie donc la Chambre de ne pas ajourner davantage un débat qui est ouvert ; la discussion est commencée depuis la session dernière, et elle a été interrompue par des causes que je n'ai pas besoin de rappeler.
Les ajournements successifs qui ont fait traîner d'une session à l'autre les deux projets de loi destinés à modifier nos lois électorales, constituent, la Chambre le reconnaîtra, un précédent sans exemple dans nos annales parlementaires.
En dehors de l'examen des budgets, en dehors des lois qui doivent être absolument volées pour assurer la marche régulière des services publics, je ne crois pas qu'il y ait une raison plausible, comme vient de le démontrer mon honorable ami, M. Nothomb, pour justifier de tels ajournements ; et si vous ne trouvez pas de motifs suffisants, d'autres motifs que ceux que vous avez indiqués, on sera peut-être en droit de dire que vous faites de la tactique parlementaire.
L'honorable M. de Brouckere, à propos de la discussion du projet de loi portant abrogation de l'article 1781 du code civil, nous disait qu'il est des questions qui doivent être résolues une fois qu'elles ont été posées.
Eh bien, dans mon opinion, s'il est une question dont cela peut se dire à bon droit, c'est celle de la réforme électorale.
El si nous avons accordé naguère l'égalité civile, quand on vient nous demander, en «'appuyant sur le texte de la Constitution, la réforme électorale, l'égalité politique, nous devons examiner, et après avoir accordé l'une, l'égalité civile, nous n'avons pas le droit de refuser l'autre, l'égalité politique.
A la fin de la dernière session, l'honorable M. Frère, exhortant à la patience les membres réformistes de cette Chambre, leur disait : Mais (page 475) attendez ; bientôt nous discuterons, nous examinerons s'il est utile d'appeler au scrutin quelques catégories de citoyens qui en sont aujourd'hui exclus. Nous examinerons cela ; attendez.
Eh bien, j'en appelle à l'honorable ministre des finances, nous avons attendu ; nous lui demandons maintenant la discussion, et il est le premier à s'y opposer.
Je dis, messieurs, qu'il est utile, qu'il est sage de résoudre sans tarder cette grande question de la réforme électorale. Il est utile, en effet, d’élargir la base de nos institutions politiques, parce qu'en élargissant ces bases, nous consoliderons, nous assurerons encore mieux la solidité de ces institutions.
Et puis, veuillez-y réfléchir : refuser d'examiner immédiatement les réclamations nombreuses, émanant de citoyens qui jouissent de leurs droits civils et payent l'impôt ; de citoyens sur qui la conscription pèse de son poids le plus lourd, d'hommes en définitive que vous pouvez appeler à défendre ce que nous avons de plus cher, l'indépendance de la patrie et nos grandes et précieuses libertés, c'est à la fois un danger et c'est une contradiction.
C'est un danger, car vous créez, d'une part, une politique d'isolement et d'hostilité, et c'est une contradiction, car vous ne pouvez pas supposer que ceux que vous appelez à défendre nos institutions ont un intérêt quelconque à ne pas les conserver.
Il est sage de discuter maintenant la réforme électorale. Nous traversons une période de paix et de calme. L'honorable M. Couvreur le faisait remarquer tantôt, dans l'opinion de plusieurs membres de cette assemblée, on a été trop loin en 1848.
Sous l'empire de certaines circonstances, on a abaissé le cens au minimum indiqué par la Constitution. Maintes fois plusieurs de nos collègues ont exprimé l'opinion que cette réforme avait été trop radicale. Eh bien, c'est à ces honorables membres que je m'adresse, et je leur dis : Prenez garde ; car si vous acceptez le système de l'ajournement, bientôt peut-être vous serez entraînés sur une pente qui vous conduira sans transition aucune à l'universalité du suffrage.
M. Bouvierµ. - C'est ce que vous désirez.
M. Royer de Behr. - Je n'aborde pas le fond de la question. J'y suis prêt, quand la Chambre le voudra. Aujourd'hui, je ne discute que l'opportunité. Je pense, messieurs, pouvoir présenter à la Chambre un argument qui est assez convaincant en faveur de l'opportunité de la réforme.
Les électeurs aujourd'hui exercent un mandat. Non seulement ils votent pour eux-mêmes, mais aussi ils votent pour ceux qui ne sont pas électeurs. Eh bien, examinons comment les électeurs actuels, pendant la dernière période décennale, ont exercé leur mandat.
M. Bouvierµ. - C'est le fond de la question.
M. Royer de Behr. - Pas le moins du monde. Si je prouve que les électeurs actuels n'ont pas exercé leur mandat comme ils devaient l'exercer, j'aurai démontré, je crois, la nécessité de réviser nos lois électorales, parce que, dans notre système de gouvernement, tous les pouvoirs émanent des élections.
Je ne veux pas fatiguer la Chambre par des chiffres. Je lui demanderai la permission d'insérer ces chiffres aux Annales parlementaires. (Note du webmaster : ces chiffres, insérés dans les Annales à la page 475, ne sont pas repris dans la présente version numérisée.) Je me bornerai à indiquer, pendant cette période décennale de 1851 à 1860, le nombre d'électeurs inscrits qui ont participé au scrutin, tant pour les élections communales et provinciales que pour les élections législatives.
La statistique de 1851 à 1860 fournit ces éléments : pendant cet espace de dix ans, plus d'un quart des électeurs inscrits a régulièrement manqué au scrutin. Les élections communales, provinciales et législatives se sont faites pendant dix ans, les premières par 69 p. c. du nombre des électeurs inscrits, les secondes par 58 p. c. et les troisièmes par 65 p. c.
Ma conclusion, messieurs, je l'ai indiquée déjà, c'est que si ceux qui sont appelés aujourd'hui à voter ne remplissent pas leurs devoirs civiques, il n'y a pas lieu de refuser l'accès du scrutin à ceux qui sollicitent cet honneur et qui en sont dignes.
M. Bouvierµ. - Vous aurez plus d'abstentions.
M. Royer de Behr. - Je n'ai pas les renseignements officiels en ce qui concerne les élections ultérieures. Cependant, en ce qui concerne les élections de 1864, j'ai les chiffres sous les yeux. Ces élections de 1864 avaient une importance considérable, une importance presque égale à celles de 1857. Un journal, qui a d'intimes affinités avec le ministère, le proclamait ; il constatait à cette époque que toutes les forces, toutes les influences des partis avaient été déployées.
Eh bien, voyons ce qu'a amené ce déploiement de forces et d'influences, à Bruxelles, dans le collège électoral le plus important de la Belgique ; sur 13,152 électeurs, 9,693 ont voté d'abord, 3,459 se sont donc abstenus. Au scrutin de ballottage, il n'y avait que 6,285 électeurs présents, c'est-à-dire moins de la moitié du corps électoral. Et dans la dernière élection, celle qui a amené l'honorable M. Watteeu dans cette Chambre, sur 13,500 électeurs, 1,829 se sont présentés.
MfFOµ. - Proposez-vous de modifier la Constitution ?
M. Royer de Behr. - Du tout. Je réponds à l'interruption. Je crois qu'en matière d'élections législatives il y a moyen, sans changer la Constitution, d'appeler un plus grand nombre d'électeurs au scrutin.
M. Coomans. - C'est évident.
M. Royer de Behr. - Messieurs, un dernier mot. l'n membre de la chambre des communes d'Angleterre, l'un des chefs du mouvement progressiste, me faisait l'honneur de m'écrire, il y a peu de mois. Il terminait sa lettre par ces mots : « On ne sait pas encore si le ministère présentera un bill de réforme. Je pense qu'il n'a pas la volonté de faire (page 476) quelque chose de bon et j'espère qu'il sera impuissant à faire quelque chose de mauvais. »
Certes, je n'ai pas l'intention d'appliquer ces paroles au ministère belge ; cependant, dans une certaine mesure, elles lui sont applicables ; je dis que le ministère et l'honorable chef du ministère, M. Frère-Orban, n'ont pas la ferme volonté de faire discuter cette réforme électorale ; mais je suis profondément convaincu qu'ils seront impuissants à l'entraver.
M. Teschµ. - Attendez que vous soyez au pouvoirs alors.
MfFOµ. - Messieurs, il me semble que la chose dont on s'occupe le moins, c'est la question de savoir si l'on pourra discuter la réforme électorale au jour qui est proposé par l'honorable M. Couvreur. L'honorable membre demande que l'on commence cette discussion le 19 mars ; j'énumère des travaux très nombreux dont la Chambre est saisie, dont plusieurs sont urgents et dont quelques-uns ont une importance telle qu'ils sont inévitables ; on ne s'en occupe pas ; on nous fait des histoires sur la réforme électorale dans d'autres pays, sur l'opinion que l'on peut avoir à propos du suffrage universel, sur son avènement fatal dans un temps donné.
Mais de savoir si la Chambre est en mesure de s'occuper de la réforme électorale au jour que l'on indique, personne n'en dit mot, si ce n'est l'honorable M. Nothomb, par exemple, qui se borne, pour ainsi dire, à parler de l'organisation judiciaire. « Comment, dit-il, l'organisation judiciaire ? Mais elle peut attendre ; il y a dix ans que la Chambre en est saisie, rien ne presse par conséquent. » Eh bien, je le demande à l'honorable membre, je le demande à l'assemblée, de ces deux propositions quelle est celle qui, à l'heure présente, offre le plus d'utilité pratique et intéresse le plus le pays ? (Interruption.) Et cependant, parmi les projets de loi que j'ai énumérés, le projet d'organisation judiciaire est celui que je mets encore après les autres. Ainsi, que dites-vous des budgets, vous qui récriminez toujours sur les retards apportés à leur discussion ?
Ils seront présentés dans quelques jours, n'importe. C'est le moment où l'on devrait les examiner que vous choisissez pour discuter la réforme électorale. Quand nous disons : Vous êtes obligés de vous occuper de la péréquation cadastrale : il s'agit de savoir si deux de nos provinces continueront à être grevées d'une surcharge de plus d'un million de francs ; nous proposons, quant à nous, de dégrever ces provinces et de répartir la surcharge d'une manière équitable. Que nous répondez-vous ? - Occupons-nous de la réforme électorale ; la péréquation viendra en 1869 ou en 1870, peu nous importe ; nous avons bien autre chose à faire ; il s'agit, avant tout, de la réforme électorale.
Messieurs, je le demande, est-ce sérieusement que l’on veut ainsi traiter les affaires publiques dans la Chambre ? L'honorable membre qui vient de parler a dit que c'est une tactique de notre part. (Interruption.) C'est le mot dont il s'est servi avec beaucoup de bienveillance ; mais, au moins, répondez à nos raisons avant de faire des suppositions désobligeantes.
- Un membre. - Etablissez que vous avez raison de vouloir ajourner la réforme électorale.
MfFOµ. - J'établis que nous sommes en présence de travaux urgents et nombreux.
M. Delaetµ. - M. Nothomb a répondu à cela.
MfFOµ. - M. Nothomb n'a rien répondu : le code de commerce, titre des sociétés, l'expropriation par zones, la péréquation cadastrale, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus urgent, de tout cela l'honorable AI. Nothomb ne se préoccupe pas.
M. Delaetµ. - C'est que vous causiez pendant qu'il parlait.
MfFOµ. - J'ai fait remarquer de plus que le Sénat est convoqué ou va l'être, pour discuter les budgets ; pendant que ses commissions les examineront, et avant qu'ils puissent être portés à la discussion publique, le Sénat s'occupera du projet de loi sur la répression des fraudes électorales, projet de loi voté par cette Chambre, et que le Sénat a porté comme premier article à son ordre du jour. Or, c'est précisément en ce moment que l'on voudrait s'occuper ici de la réforme électorale, alors que les ministres de l'intérieur et de la justice seraient retenus au Sénat !
M. Coomans. - L'extension du droit de suffrage supprimera une foule de fraudes électorales.
MfFOµ. - Nous connaissons parfaitement vos idées sur ce point ! Nous connaissons tous votre opinion en matière électorale ; il est admis par vous que, lorsqu'on aura établi le suffrage universel, il n'y aura plus de corruption ; personne alors ne sera plus à corrompre, personne ne sera plus à séduire. Non, en effet, quelques tonneaux de bière ou de genièvre feront l'affaire. Voilà la vérité. (Interruption.)
M. Delaetµ. - Quand nous aurons les manouvriers et les valets de fermes nous aurons certainement, dans votre système, les tonneaux de bière et de genièvre.
MfFOµ. - Messieurs, déjà plusieurs fois on a fait revenir dans la discussion les mots dont je m'étais servi dans une autre circonstance, et que je tiens pour très justes. A propos du suffrage universel, j'ai demandé très simplement et très naïvement si l'on voulait constituer en arbitres des destinées du pays, en maîtres souverains des administrations communales, les manouvriers et les valets de ferme ; mais n'est-ce pas en fait ce que vous feriez en établissant le suffrage universel ?
M. Coomans. - Est-ce que tous les Belges sont des valets ?
MfFOµ. - J'ai toujours ouï dire qu'il y avait beaucoup plus d'ouvriers que de patrons ; j'ai toujours ouï dire aussi qu'il y avait beaucoup plus de manouvriers et de valets de ferme que de fermiers et de propriétaires, et j'ai pensé qu'il en était réellement ainsi ; peut-être me suis-je trompé ? Mais j'ai toujours cru et je crois encore que le suffrage universel fait appel au nombre, et que le nombre comprend, pour une grande partie, les personnes de la catégorie que j'ai indiquée.
J'ai cru cela et je l'ai dit sans offense et sans dédain, en constatant simplement un fait indéniable. J'ai demandé si c'est bien à la masse, au nombre, qu'il faut remettre le pouvoir de faire et de défaire les administrations communales ?
M. Coomans. - C'est la majorité.
MfFOµ. - Sans doute ! c'est la majorité ! Mais nous, nous n'admettons pas cette majorité ; nous ne croyons pas que dans le nombre soit la vérité et la justice ; nous ne croyons pas que dans le nombre soit la garantie des citoyens, que dans le nombre soit la garantie de la liberté.
M. d’Hane-Steenhuyseµ. - . — Les Belges valent bien les nègres.
MfFOµ. - Point de dissimulation ! Dites donc ouvertement ce que vous nous voulez ; dites donc : C'est le suffrage universel que nous voulons ! Mais quand on parle du suffrage universel, vous êtes tous à vous écrier : Nous n'en voulons pas, nous reculons devant le suffrage universel ! Que signifient donc vos objections ? Vous êtes donc parfaitement de mon avis, puisque vous ne voulez pas que le nombre soit l'arbitre des destinées du pays. Ou bien, si vous le voulez, dites-le hautement, ayez le courage de votre opinion. (Interruption.) Je sais que l'honorable M. Royer de Behr a préconisé le suffrage universel, une fois ; mais il a un peu reculé après. (Interruption.) Vous avez demandé l'avènement du suffrage universel ; vous avez défendu le suffrage universel.
M. Delaetµ. - Sans doute, mais pas immédiatement, en y arrivant par degrés.
MfFOµ. - Ce sont précisément ces idées que je combats. Vous voulez, en deux actes, arriver au suffrage universel. Quant à nous, ni en un ni en deux ni en trois, ni en cinq actes, nous ne voulons y arriver. Est-ce clair- ?
M. Bouvierµ. - Voilà de la franchise.
MfFOµ. - Je ne suis pas partisan du suffrage universel, je le dis tout net, et je donnerai mes raisons lorsque nous discuterons la question de la réforme électorale.
L'honorable M. Royer de Behr dit : Puisque vous admettez l'égalité civile, pourquoi n'admettez-vous pas l'égalité politique ? La Constitution le veut ainsi. Ceci me paraît vraiment incroyable, car, précisément, c'est la Constitution qui condamne le principe que vous préconisez ! La Constitution, qui admet l'égalité civile, repousse formellement l'égalité politique. C'est donc le changement de la Constitution que vous demandez ? (Interruption.) Vous parlez de réforme électorale en vous préoccupant de la formation du Parlement, en vous préoccupant des élections générales, en relevant des statistiques qui constatent le nombre des électeurs présents dans les comices pour les élections législatives.
Mais voulez-vous donc proposer aussi la révision de la Constitution ? Sinon, que signifie toute votre argumentation ?
Les propositions faites ont exclusivement pour objet des modifications aux lois électorales en ce qui touche ma commune et la province. Je ne sache pas que quelqu'un ait proposé jusqu'à présent de faire autre (page 477) chose. Si, cependant : l'on a proposé autre chose, c'est de restreindre le nombre des électeurs, c'est de faire disparaître les électeurs inscrits du chef de la patente et du débit des boissons.
M. Bouvierµ. - Voilà le progrès.
MfFOµ. - Il ne peut nous convenir, avec les convictions que nous avons, avec les opinions que nous avons manifestées, que nous voulons défendre, que nous cherchons à propager, il ne peut nous convenir de paraître reculer devant la discussion.
Ce que j'en ai dit est sincère. Il s'agit exclusivement de demander que les travaux urgents de la Chambre soient continués dans l'intérêt du pays. Si vous voulez fixer une époque où il sera réellement possible de s'occuper de cette discussion, si vous voulez fixer un jour, ce n'est pas nous qui reculerons. Mais fixer le jour qui est proposé c'est un ajournement prémédité. Le 19 mars, d'autres débats seront sans doute engagés, qui empêcheront absolument d'aborder la question de la réforme électorale, à moins qu'on n'aille, pour cette question ainsi introduite, jusqu'à déclarer que les travaux entrepris seront suspendus. On sera, d'ailleurs, en présence de travaux urgents et inévitables.
Si l'on veut donc fixer un jour après les vacances de Pâques, à une époque où il sera réellement et sérieusement possible de discuter la question, nous acceptons le débat.
M. Couvreurµ. - Nous sommes d'accord.
MfFOµ. - Vous êtes donc d'accord avec moi, on ne discutera pas le 19 mars.
Que la Chambre décide, nous sommes à ses ordres ; nous ne reculerons pas devant le débat si l'on veut sagement fixer un jour, ou se réserver de le fixer lorsqu'il sera constaté que les travaux de la Chambre permettent d'entamer la discussion.
M. Teschµ. - Qu'on se réserve.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, je viens soutenir en principe la motion de l'honorable M. Couvreur. Cependant je ne tiens pas d'une façon absolue à la date fixée par l'honorable membre ; sous ce rapport, les dernières paroles de l'honorable ministre des finances doivent nous faire espérer que nous sommes plus prêts de nous entendre que nous ne le pensions d'abord.
Ce qui m'importe, c'est qu'une date soit fixée.
M. Dolezµ. - A la rentrée de Pâques.
M. Van Humbeeck. - Je prendrai celle que l'on voudra, mais il doit être entendu que l'on ne veut pas éviter le débat. J'attendrai les propositions qui seront faites.
Je tiens cependant à faire observer que, dans ma pensée, les divers travaux dont on a fait l'énumération ne doivent pas être un obstacle insurmontable à la fixation d'une date rapprochée.
Parmi ces travaux quelques uns présentent un intérêt administratif urgent. Tels sont les budgets qui restent à examiner. Ceux là évidemment doivent passer avant la loi électorale, mais ils seront terminés avant le 19 mars.
MfFOµ. - Et les nouveaux budgets ?
M. Van Humbeeck. - Pour les budgets nouveaux, il ne peut y avoir lieu immédiatement qu'à un examen en sections. Ils ne seront peut-être pas imprimés avant le 19 mars ; s'ils le sont, ce sera la première fois que cela arrivera depuis 7 ans que je siège dans cette Chambre. D'ici au 19 mars il n'y a donc que les anciens budgets qui doivent être discutés de toute nécessité avant la réforme électorale.
Quant aux autres travaux qui sont à l'ordre du jour de nos séances publiques, je n'entends pas en méconnaître l'importance, ni même l'urgence relative ; cependant, lorsque je mets en regard la réforme électorale, il y a une raison décisive à mes yeux pour la discussion préalable de cette dernière.
Cette raison la voici : La discussion de tous les projets qui nous ont été énumérés est possible, quelle que soit l'atmosphère politique dans laquelle nous nous trouvions, tandis que, pour la réforme électorale, il y a évidemment avantage, au point de vue de sa valeur et de son prestige, à la discuter dans des conditions de calme.
Il n'y a pas d'agitation aujourd'hui autour de cette question. Tant mieux ! Si je ne craignais pas de paraître, dans une question de cette gravité, céder au plaisir de faire un jeu de mots, je dirais qu'il sera très heureux de la discuter pendant que le pays l'agite et avant qu'elle n'agite le pays.
La réforme électorale décrétée dans un moment de calme ne sera pas un triomphe pour les passions populaires. Ce sera une concession faite par des législateurs intelligents, agissant avec une entière liberté, à des aspirations rendues légitimes par l'état intellectuel du pays. Ce sera de plus une garantie pour l'avenir de la sécurité nationale en prévision des tempêtes qui peuvent venir encore troubler cette Europe, déjà depuis un quart de siècle si profondément agitée.
En discutant et en votant la réforme électorale dans de pareilles conditions, nous avons le droit de dire que nous l'avons faite, sans être poussés ni par la pression du dehors, ni par un entraînement irréfléchi vers des idées qui nous sont chères. Nous montrerons que nous avons su, sans rien abdiquer de notre amour de la régularité et de la retenue de notre jugement, ne pas renoncer non plus cependant au courage, et à la hardiesse, que peut quelquefois inspirer un sentiment de sage prévoyance.
Profitons par conséquent, messieurs, des conditions de calme où nous nous trouvons et discutons le plus tel possible la question de la réforme électorale.
MpVµ. - M. Lelièvre vient de faire parvenir au bureau la proposition suivante :
« Je propose de fixer au mardi 30 avril le jour de la discussion du projet de loi concernant la réforme électorale. »
M. Dolezµ. - C'est la proposition du gouvernement.
MfFOµ. - C'est la proposition que j'ai faite.
M. Royer de Behr. - Messieurs, j'avoue que j'ai entendu la fin du discours du ministre des finances avec une extrême satisfaction. Au moment où j'ai réclamé tantôt la parole, il me semblait que l'intention de l'honorable ministre des finances était d'ajourner presque indéfiniment la discussion sur la réforme électorale.
En effet si nous avions dû discuter tous les projets dont M. le ministre des finances nous a parlé, avant d'entamer la question de la réforme, il est de toute évidence que cette question n'aurait pu être abordée avant plusieurs années.
Mais l'honorable ministre a fait un pas vers nous, il ne s'oppose plus d'une manière absolue à une discussion dans un délai rapproché. Eh bien, que voulons-nous ? Nous voulons discuter dans le cours de la session actuelle.
Certainement il n'entre pas dans mes intentions d'entrer en ce moment dans le fond du débat. Mais l'honorable ministre m'a prêté des opinions que je ne professe pas et je tiens à m'expliquer à cet égard. Je me rallie dès à présent au projet de M. Guillery. Peut-être aurai-je l'occasion de me prononcer en faveur des amendements de M. Nothomb. Mais j'ai déjà voté une motion de M. Orts, reproduite par M. Guillery.
M. Guillery, dans les développements qu'il a donnés à son projet, disait : « Ce que je veux, c'est accorder aux uns leurs droits politiques et aux autres l'espérance de les obtenir. »
C'est ce que je désire également. Ce qui a pu induire M. le ministre des finances en erreur, c'est qu'en 1864 j'ai soutenu le suffrage universel en principe, mais je n'en ai pas demandé l'application immédiate, je me suis joint à mes honorables amis pour réclamer une réduction modérée du cens.
Je n'ai pas abandonné cette opinion ; la preuve, c'est que j'appelais il n'y a qu'un instant l'attention des adversaires de la réforme sur les inconvénients d'arriver sans transition à l'universalité du suffrage.
MfFOµ. - La considération par laquelle l'honorable préopinant vient de terminer, est une de ces considérations banales qui se reproduisent incessamment et qui deviennent des lieux communs, comme l'épée de Damoclès suspendue sur nos têtes ; mais de pareilles assertions ne prouvent absolument rien.
L'honorable membre nous dit : Si vous ne cédez pas aujourd'hui, demain vous serez obligés de céder sous une pression irrésistible. Mais, messieurs, si cela était vrai, après une première concession faite par de telles considérations, on nous en demanderait une autre, et l'on viendrait encore nous dire alors, pour nous l'arracher : Prenez garde si vous ne cédez pas aujourd'hui, vous devrez céder demain ; et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'on soit arrivé au suffrage universel, qui est l'idéal du genre.
Eh bien, qu'on me permette de le dire, cette raison est puérile : elle n'est pas digne d'hommes politiques. Ce que nous avons à faire quand une mesure nous est proposée, c'est d'examiner si elle est bonne, si elle est juste, si elle est utile au pays ; toutes les considérations extérieures ne signifient absolument rien, et elles ne doivent exercer aucune influence sur notre détermination. C'est par faiblesse d'esprit que l'on cède à des considérations de ce genre et c'est ainsi que l'on compromet es causes les meilleures et les plus justes.
(page 478) M. Delaetµ. - C'est le vieil argument du despotisme.
MfFOµ. - Ce sera, dans tous les temps, l'argument du sens commun.
L'argument qui consiste à dire : Cédez, ou demain il y aura pression ! que signifie-t-il ? Il signifie que vous céderez chaque fois qu'il y aura pression.
M. Delaetµ. - Qu'avez-vous fait en 1848 ?
MfFOµ. - Ce que l'on demandait en 1848 n'était pas injuste ; ce que l'on demandait en 1848 a été reconnu utile et pratique.
Mais dans la situation que l'on veut nous faire à l'aide de cet argument, il n'y aurait plus lieu d'examiner les propositions que l'on voudrait nous imposer ; il suffirait à l'avenir de savoir s'il y a pression, et quelle qu'elle soit, de quelque part qu'elle vienne, chaque fois qu'il y aura pression, il faudra courber la tête et céder !
Tout cela est-il raisonnable ? Tout cela est-il digne de législateurs sérieux ? Non, messieurs, encore une fois, nous avons à examiner si' une chose est juste ou injuste, bonne ou mauvaise, si elle est utile ou dangereuse. Voilà le cercle dans lequel nous devons nous renfermer. Quant aux pressions extérieures, nous devons avoir le courage de nous en affranchir.
L'honorable préopinant vous a dit qu'il était surpris de la modification survenue dans mon langage d'un discours à l'autre, et il m'a félicité d'être venu à lui. Je suis fâché de le détromper et de lui enlever cette illusion ; mais il m'a assurément fort mal compris. Dans mon premier comme dans mon second discours, j'ai tenu le même langage.
J'ai dit : « La Chambre a des travaux qui ne lui permettront pas d'examiner le projet de réforme le 19 mars, date qui est indiquée, sans négliger des objets plus urgents », et mes honorables contradicteurs, venant à moi, eux, ont confessé qu'ils ne pouvaient maintenir leur proposition, et ils ont admis une date plus éloignée. Cette date éloignée, je l'ai indiquée : c'est l'époque de la rentrée après Pâques.
Et en m'exprimant ainsi, je l'ai fait avec cette réserve... (Interruption.)
Oh ! j'entends m'expliquer très franchement : à la rentrée, la Chambre jugera mieux de l'état de ses travaux ; elle sera parfaitement en mesure de constater s'il convient d'aborder la discussion de la réforme électorale. Quant à nous, nous accepterons la discussion au jour indiqué.
Je persiste donc à demander, pour lever tout doute, que la Chambre fixe à la rentrée, après les vacances de Pâques, la discussion de la réforme électorale.
M. Dumortier. - Vous le savez, messieurs, je n'appartiens pas au parti des réformistes : partisan de nos grands principes de 1830, des libertés qu'ils nous ont conquises à cette époque, j'appartiens à l'opinion conservatrice, je suis prêt à faire toutes les choses justes que l'opinion publique réclame, mais jamais je ne consentirai à me mettre à la suite de ceux qui voudraient devancer l'opinion publique et faire du parti conservateur l'exécuteur des idées du parti radical ; or, l'opinion publique, je me le demande, réclame-t-elle, comme on le dit depuis le commencement de cette séance, la réforme électorale ?
Quant à moi, je déclare que nulle part je n'ai vu se manifester cette opinion publique dont on parle. Je me trompe, je l'ai vue patronnée, cette idée de réforme électorale, de vote universel, dans quelques meetings de la capitale.
Je l'ai vue défendue dans quelques journaux et j'ai été frappé d'une chose, c'est que, malgré les efforts de ces meetings et de ces journaux, le public ne s'émouvait en aucune manière de la question de la réforme électorale. Voilà l'état vrai et réel de l'opinion publique.
Eh ! mon Dieu ! dans un pays de liberté comme celui-ci, l'opinion publique n'a-t-elle pas moyen de se faire jour ? Si elle voulait la réforme électorale, si elle était émue, comme on vous le dit, n'y aurait-il pas de pétitions à cette Chambre, n'y aurait-il pas de mouvement dans tout le pays ?
- Des voix. - Et les pétitions ?
M. Dumortier. - Elles viennent toutes de la même source, mais le pays ne s'occupe pas de la question. (Interruption.)
Allez dans votre arrondissement de Turnhout, mon cher collègue, et vous verrez que personne ne s'y occupe de réforme électorale, pas plus que dans le reste de la Belgique.
Il ne faut pas, messieurs, se méprendre sur l'importance des mouvements qui s'opèrent dans le public en faveur de telle ou telle réforme, car ce mouvement est purement factice. N'est-il pas vrai qu'il suffit que quelqu'un, dans une réunion publique, ait l'idée d'un changement quelconque, qu'il décore au nom de réforme, pour que tout de suite tout ce qui se prétend réformiste s'écrie à l'unisson : Ah, voilà une réforme ; il faut l'adopter ! Là n'est pas l'opinion publique, mais celle de quelques personnes qui s'agitent et font du bruit au milieu du vide de la population.
Mais, messieurs, que deviendraient, je le demande, les institutions du pays, si nous, législateurs, nous nous montrions disposés à prêter ainsi l'oreille à tous les bruits du dehors, et à donner satisfaction à toutes les demandes de réforme ? Mais nos institutions deviendraient un véritable kaléidoscope offrant aux regards les images les plus variées. (Interruption.)
Pour moi, messieurs, je le répète, je serai toujours prêt à donner à l'opinion publique les satisfactions raisonnables qu'elle pourra réclamer, et par là j'entends parler des réformes qui ne touchent pas à l'essence de nos institutions, mais pour cela il faut que ce soit le pays, et non quelques individualités, qui les réclame.
Si je suis contraire à la réforme électorale, j'ai pour cela deux raisons que je veux faire connaître pour mes amis de la droite de cette Chambre et surtout pour mes amis du dehors, car je ne veux pas qu'ils se trompent sur mes opinions personnelles et il m'importe de m'expliquer de manière à ne laisser aucun doute sur mes sentiments.
Je déclare donc que je n'ai jamais été partisan du programme de l'honorable M. Dechamps.
- Voix à gauche. - Ah ! ah ! Très bien. (Longue interruption.)
M. Dumortier. - J'en ai toujours été l'adversaire déclaré. (Nouvelle interruption.) Et cela, messieurs, parce que je ne veux pas compromettre le sort de mon parti par de prétendues réformes qui peuvent le tuer.
Sans doute, j'ai dû me taire à l'époque où le programme de l'honorable M. Dechamps a été produit parce que je ne voulais pas m’exposer à ce qu'on m'attribue l'échec électoral, que je prévoyais, mais je n'attendais qu'une occasion favorable pour m'en expliquer franchement devant la Chambre et déclarer qu'à aucun prix je ne veux du suffrage universel. (Interruption.)
M. Thonissenµ. - Il n'en était pas question dans le programme de M. Dechamps.
M. Dumortier. - J'affirme que ce programme n'a été connu de la droite que lorsqu'il a paru dans les journaux et que la veille encore du jour où le programme a paru il n'y était pas question de réforme électorale.
- Plusieurs voix. - C'est très vrai. (Interruption.)
M. Dumortier. - Et j'ajoute que j'ai été vivement surpris de lire dans plusieurs journaux que ce programme était accepté par toute la droite alors qu'il ne lui avait jamais été présenté.
- Voix à droite. - Allons donc ! (Longue interruption.)
M. Dumortier. - Je prie M. Royer de Behr, qui m'interrompt, de ne pas me forcer à des révélations qui le gêneraient plus que moi et j'affirme de nouveau que ce prétendu programme de la droite ne m'a jamais été ni soumis, ni présenté.
Voilà donc, messieurs, l'origine de celtt réforme électorale.
Elle a vu le jour dans un programme fait par quelques personnes très honorables sans doute, mais qui n'étaient pas du tout chargées de le présenter comme l'œuvre de toute la droite parlementaire, qui n'avaient ni mission, ni mandat pour cela.
Depuis lors, cette question a fait du chemin et elle semble, aux yeux du public, être devenue le programme du parti conservateur.
Eh bien, je considère comme un devoir de déclarer qu'à mes yeux cette réforme serait fatale pour le parti conservateur et je vais le prouver tout de suite. (Interruption.) Comment ! Vous vous plaignez tous les jours que le ministère ne nomme aux fonctions de bourgmestres et. d'échevins que des hommes de son parti et vous iriez, en rendant une dissolution des conseils communaux indispensable, exposer les quelques bourgmestres et les échevins de votre opinion qui sont encore en exercice à être écartés et remplacés par des hommes d'une opinion contraire.
Voilà le résultat auquel vous vous exposez, et vous vous étonnez que. je sois l'adversaire d'une réforme qui le produirait !
Pour mon compte, je le déclare, je ne veux point me prêter à de pareilles expériences et j'aime infiniment mieux conserver les choses comme elles sont que de concourir à amener peut-être une situation aussi funeste pour notre partie
Je partage certainement l'avis de mes honorables amis que le corps (page 479) électoral n'est plus aujourd'hui ce que l'a fait le Congrès ; il n'est pas ce qu'il devrait être devant la loi de la justice et de l'égalité ; par le fait de l'accession des débitants de boissons à l'urne électorale, le corps électoral se trouve complètement vicié, et c'est sans doute ce qui porte une grande partie de mes amis politiques à se montrer favorables à une réforme électorale. Je le comprends tellement que peut-être, contraint par cette situation, et si on n'y porte pas le remède qu'exigent la justice et l’égalité, je serai forcé de voter moi-même un abaissement du cens... (Interruption.) afin de noyer les débitants de boissons dans la masse de nouveaux électeurs que la réforme créerait.
Si je n'ai pas le moyen de les écarter, il ne me restera d'autre ressource que de les noyer pour paralyser leur influence. Quand vous avez dans le corps électoral un élément mauvais, reconnu tel et qui tend à le dominer, il faut nécessairement en venir à un remède extrême pour le détruire ou le paralyser. C'est pour cela que, malgré ma profonde répulsion pour la réforme proposée, je pourrai être contraint de la voter et voilà où nous serons conduits par ce fait déplorable de la création de faux électeurs pris dans la catégorie qu'ont si bien définie les honorables MM. Dolez et Devaux.
Si l'on était resté fidèle à l'esprit de la loi électorale, personne ne songerait à y demander aucune modification ; mais en présence de ces fournées d'électeurs que j'appelle frauduleux par dessus tout et qui viennent vicier nos institutions électorales, je comprends qu'un grand nombre de mes amis cherche un remède à ces abus et que, dans l'impuissance d'éloigner de l'urne électorale ces faux électeurs, on se résigne à proposer et à voter des mesures destinées à les noyer dans une augmentation du corps électoral.
M. Bouvierµ. - Ce sera un naufrage universel. (Interruption.)
MfFOµ. - Les réformes dont il est question ne concernent pas les élections pour les Chambres.
M. Dumortier. - Je sais qu'il ne s'agit que des électeurs pour la province et pour la commune ; mais j'explique comment l'idée d'une réforme électorale a pu venir à l'esprit de plusieurs de mes amis politiques.
En résumé, messieurs, la nécessité d'une réforme électorale ne m'est nullement démontrée ; le mouvement de l'opinion publique dont on parle n'existe pas, les menaces auxquelles on a fait allusion n'existent que dans l'imagination de ceux qui en parlent.
Je crois, quant à moi, qu'il serait beaucoup plus sage de nous occuper de faire des lois que le pays réclame, et dont il a réellement besoin, plutôt que de nous lancer dans toute sorte d'expériences dont nous ne pouvons pas même prévoir tous les résultats. Adversaire prononcé du suffrage universel, je ne veux pas appuyer des réformes qui nous en rapprocheraient.
L'honorable député de Namur disait tout à l'heure qu'en 1848, au dire de plusieurs membres, on avait été trop loin dans la voie de l'abaissement du cens. Mais je ferai remarquer qu'à cette même époque on a également abaissé le cens électoral pour la commune.
M. Guillery. - Pour certaines communes.
M. Dumortier. - Oui, excepté, je crois, celles des deux dernières catégories. La réforme ne s'est donc pas bornée alors, comme on paraît le croire, aux électeurs pour les Chambres ; elle s'est étendue au corps électoral tout entier.
Encore une fois, messieurs, je suis adversaire résolu de la réforme électorale, mais le jour où l'on voudra la discuter, je serai prêt à justifier mon opinion et je déclare ne pas m'opposer à la proposition qui tend à remettre cette discussion après nos vacances de Pâques.
M. Nothomb. - Messieurs, je constate une situation assez piquante : c'est que M. le ministre des finances et l'honorable Dumortier sont ici du même avis : ils sont d'accord pour repousser toute extension du droit de suffrage ; et au nom de quelle doctrine ? Celle de la résistance à l'opinion publique...
M. Dumortier. - J'ai dit le contraire.
M. Nothomb. - ... Pourquoi insistons-nous pour que la Chambre aborde enfin la discussion de la réforme électorale ?
C'est parce que nous avons la conviction que dans un avenir plus ou moins prochain l'extension du droit de suffrage s'imposera à nous, malgré vous et peut-être sans vous.
Un fait que personne ne peut nier, c'est qu'il y a dans le monde entier un mouvement considérable, une aspiration irrésistible vers 1'exlension du droit de vote. Partout les classes exclues de la puissance politique demandent à y être associées. Je dis que personne n'oserait révoquer en doute l’étendue, l'intensité de ce mouvement et la gravité de cette situation.
Je ne cesserai donc de vous le répéter : préparons-nous à cette situation ; apprenons à nos concitoyens à manier cet instrument formidable, permettez-moi cette expression, initions-les par le droit de vote à la commune et à la province.
Demandons-nous aujourd'hui l'application du suffrage universel ? Non, nous ne la demandons pas ; et lorsqu'il eu a été question dans cette Chambre, nous avons déclaré que si le suffrage universel devait s'introduire en Belgique, il y fallait un correctif : c'est que nul ne pourrait exercer le droit de vote qu'à la condition de savoir lire et écrire.
Je n'ai, du reste, pas à m'occuper ici du suffrage universel. II n'est pas en question. On l'a amèrement critiqué. Je n'ai pas à le défendre, au moins pour le moment.
D'ailleurs, quand son heure sera venue, il saura bien se défendre lui-même. Nous nous occupons ici d'une réduction de cens pour le droit de vote à la commune et à la province. Restons-en là.
Il faut, dit M. le ministre des finances, examiner si la proposition est juste, utile et raisonnable.
Messieurs, nous ne disons pas autre chose : nous affirmons que l'extension du droit de suffrage pour la commune et pour la province est juste, utile et raisonnable, et nous demandons qu'on l'examine à ce triple point de vue.
Mon Dieu ! en 1848, le ministère dont l'honorable M. Frère-Orban faisait partie passa tout à coup d'une organisation électorale à une législation électorale tout opposée. La veille il disait aussi que la réforme n'était ni juste, ni utile, ni raisonnable ; le lendemain, la réforme avait pris un tout autre caractère : elle était devenue tout cela, juste, utile et raisonnable.
Mais elle avait été imposée par les événements extérieurs ; nous vous demandons de ne pas préparer pour le pays une situation pareille.
Messieurs, je ne veux pas me placer sur le terrain où s'est engagé mon honorable ami M. Dumortier. Seulement je tiens à dire que le programme de mon honorable ami, M. Dechamps, en 1864, programme sage, modéré, progressif, indiquant une extension du droit de vote pour la commune et pour la province, a obtenu l'adhésion de la très grande majorité des membres qui siègent sur nos bancs, qu'il a rencontré les mêmes adhésions parmi nos amis en dehors de cette Chambre, et que cette adhésion, il la conserve ; c'est tout ce que je veux dire à cet égard.
MfFOµ. - Je suis bien fâché de devoir prendre encore la parole ; mais après ce que vient de dire l'honorable M. Nothomb, il m'est impossible de garder le silence.
Je vois clairement que l'honorable M. Nothomb est parfaitement d'accord avec l'honorable M. Couvreur. Tous deux plaident absolument la même thèse. Dans cette situation, l'honorable M. Nothomb a trouvé piquant de me faire plaider la même thèse que l'honorable M. Dumortier ; il dit : « M. Dumortier déclare qu'il n'y a pas de modifications à introduire dans nos lois électorales, et cette opinion est également celle de M. le ministre des finances. »
Messieurs, j'avoue que je suis fort étonné d'entendre un pareil langage de la part de l'honorable M. Nothomb. La mémoire lui fait sans doute défaut ; il oublie que nous avons déposé une proposition de réforme électorale.
- Un membre. - Nous sommes donc d'accord.
MfFOµ. - Voici ce qui nous sépare : vous rêvez le suffrage universel ; d'après vous, il est à nos portes, il faut que nous l'adoptions tôt ou tard (Interruption.)
Messieurs, pour notre part, sans nous ingérer dans les affaires d'autres pays, nous examinerons à notre heure si, dans notre heureuse, calme et prospère Belgique, il est nécessaire d'introduire le suffrage universel. Voilà la question, voilà ce qui nous sépare. Ce que nous proposons est pour nous une réforme raisonnable, sage, pratique, sérieuse et non compromettante : elle ne vous convient pas, parce qu'il vous faut la réforme qui conduira dès le lendemain au suffrage universel : voilà ce que je me suis toujours attaché à faire ressortir ; c'est là le danger de la proposition que nous combattons.
Mais il n'y a aucune analogie entre mes opinions et celles de l'honorable M. Dumortier ; l'honorable M. Nothomb se trompe ; en effet, l'honorable M. Dumortier déclare qu'il n'y a rien à faire, et nous faisons quelque chose (Interruption.)
Je constate uniquement la situation ; j'énonce mon opinion ; si elle était conforme à celle de l'honorable M. Dumortier, je le dirais et je pourrais m'en féliciter. Je me borne à constater que l'honorable M. Nothomb fait erreur quand il prétend que l'honorable (page 480) M. Dumortier et moi sommes d'accord. Mais je ne fais pas erreur quand je dis que l'honorable M. Nothomb est, au fond, d'accord avec l'honorable M. Couvreur ; c'est la même opinion qui a été exprimée des deux côtés ; nous la combattons des deux côtés.
Messieurs, l'honorable M. Nothomb est toujours à prévoir que nous serons l'objet d'une pression extérieure ; il invoque ce qui s'est passé en 1848. Mais, messieurs, avant les événements de 1848, nous avions annoncé nous-mêmes une réforme électorale, réforme dont la nécessité avait été proclamée par tous nos amis politiques dès 1846.
Dès 1846, nous croyions qu'une réforme électorale était nécessaire. Les événements de 1848 ont porté à faire une réforme plus étendue que celle qui était alors projetée, mais nul n'a imaginé de soutenir que le suffrage universel se trouvant alors proclamé à nos portes, il fallait le proclamer chez nous. Et bien plus, pour que l'honorable membre le sache, en ce qui me concerne, je n'ai pas cru qu'il fût nécessaire, même en 1848, d'aller aussi loin que l'on a été. Je n'étais pas précisément de cette opinion. Je croyais que l'on pouvait faire une réforme moins radicale. Mais l'unanimité de la Chambre a été contre moi, et tous les amis de l'honorable membre ont cru que le salut du pays était attaché à une réforme aussi large que celle qui a été faite.
Elle à trompé peut-être certaines espérances comme d'autres réformes rêvées pourraient les tromper encore ; car le pays a continué, après cette réforme électorale, et pendant une période, aujourd'hui déjà assez longue, à maintenir le pouvoir aux mains de l'opinion libérale, et je crois que le pays a sagement fait.
M. Couvreurµ. - Le débat touche à sa fin. Je crois que je répondrai au vœu de la Chambre en ne rentrant pas dans le fond de la question : je veux seulement, pour ce qui me concerne, faire une déclaration.
L'honorable ministre des finances a paru m'imputer l'opinion que j'étais favorable au suffrage universel, que je voulais l'introduire dans le pays, que j'invoquais, à cet effet, les faits qui se produisent à l'extérieur, dans les Etats voisins. Or, je tiens à ce que vous le sachiez, je ne suis pas partisan du suffrage universel, je le subirai peut-être un jour, comme l'honorable M. Frère a dû se résigner, en 1848, à l'abaissement du cens jusqu'à la limite extrême de la Constitution ; mais aussi longtemps que je le pourrai, je combattrai son application, parce que je crois qu'avant d'arriver à cette nécessité, nous avons, dans la révision de notre système d'impôts, un moyen plus sûr, plus efficace et plus juste d'augmenter considérablement et sans danger le nombre des électeurs tant pour les élections communales et provinciales, que pour les élections générales.
Voilà pour la question de principe.
Deux considérations m'ont déterminé à proposer la date du 19 mars.
La première est celle que l’honorable M. Van Humbeeck a développée. La question intéresse l'opinion publique, mais sans qu'il y ait d'agitation, c'est un grand bonheur. Pour le moment, nous n'avons pas à trancher une question de principe, mais une question d'application. Nous avons à apprécier jusqu'où nous pouvons étendre le suffrage, quels éléments nouveaux nous pouvons y appeler. Or, une appréciation pareille ne peut se faire que dans les temps calmes.
La paix, la sécurité dont nous jouissons peut venir à cesser dans un délai rapproché. Qui sait où nous en serons dans quelques mois ? Discutons donc plutôt aujourd'hui que demain, puisque nous pouvons le faire encore en dehors de la pression que peuvent exercer sur nous ou ceux qui veulent aller trop loin, ou ceux qui ne veulent pas marcher, ceux qui veulent tout renverser, ceux qui poussent l'esprit de conservation jusqu'à refuser d'étayer la maison qui se lézarde au-dessus de leurs tètes.
Voilà ce qui m'a déterminé à fixer une date aussi rapprochée que celle du 19 mars.
Une autre considération encore m'a guidé, c'est que cette année, nous avons des élections sénatoriales. Si la discussion ne s'ouvre qu'après les vacances de Pâques, soit le 30 avril, comme la Chambre se séparera probablement vers le 24 mai, soit le samedi qui précède la fête de l'Ascension, il nous restera tout au plus trois semaines pour la discussion.
Or je doute que, dans ce cas, nous puissions, avec la besogne courante, résoudre cette importante question. Nous serons obligés de la renvoyer à l’année prochaine, et l'année prochaine, les obstacles signalés par M. le ministre des finances pourront nous être opposés de nouveau. Les budgets devront être votés en temps utile ; les lois qu'on a citées seront encore à l'ordre du jour ou seront remplacées par d'autres non moins importantes.
Il n'est pas difficile de saisir une Chambre de lois importantes et intéressantes pour le pays, pour lesquelles on pourra demander la préférence sur celles traitant des modifications à apporter au régime électoral de nés provinces et de nos communes.
Toute la question à apprécier, c'est de savoir si, à raison de la situation intérieure et extérieure du pays, il n'y a pas un intérêt politique primordial et supérieur à donner une prompte solution à la loi que vous nous avez présentée et dont nous avons commencé la discussion, ou bien, au contraire, si les projets énumérés par vous doivent passer les premiers.
Si vous êtes d'avis qu'il faille leur accorder la priorité, faites une autre proposition, demandez que la Chambre raye purement et simplement de son ordre du jour la réforme électorale. C'est une proposition nette et franche, je la comprends.
Si, au contraire, vous pensez que nous avons intérêt à en finir avec toute cause d'agitation pour l'extension du suffrage, joignez-vous à moi, pour demander le vote de la loi dans le délai le plus rapproché possible.
Si vous partagez cette dernière opinion, je ne me refuse pas, et c'est par esprit de conciliation, à me rallier à votre proposition de renvoyer l'examen du projet de loi au 30 avril.
Seulement, je vous demande de nous dire loyalement si, à ce moment, vous n'invoquerez pas le bénéfice des réserves que vous avez formulées ; si vous ne présenterez pas à la Chambre des arguments de nature à déterminer un nouvel ajournement.
Si nous sommes d'accord, s'il n'y a pas d'arrière-pensée dans la proposition que vous avez faite, je me résignerai. Si, au contraire, le 30 avril, alors que nous n'aurons plus que trois semaines avant de nous séparer, vous voulez invoquer contre ma proposition des nécessités particulières que vous prévoyez dès à présent, je dois maintenir ma proposition et ne puis que vous engager alors à demander purement et simplement la radiation de la question de notre ordre du jour.
M. Teschµ. - Je répondrai très franchement à l'interpellation que vient de nous adresser l'honorable M. Couvreur. Il est évident que la question de savoir si l'on abordera, le 30 avril, la discussion des propositions relatives à la réforme électorale doit dépendre exclusivement des travaux dont la Chambre sera saisie à cette époque.
Ainsi, je ne consens pas, en ce qui me concerne, à ajourner la discussion du projet de loi sur la péréquation cadastrale. Je ne consens pas à la remise indéfinie, au profit, de la réforme électorale, de la discussion de l'organisation judiciaire, de la réforme du code pénal, dont l'achèvement est réclamé depuis longtemps.
Messieurs, je ne puis du reste admettre que l'opinion publique se préoccupe, à un aussi haut degré qu'on le prétend, de la réforme électorale. II y a peut être 25 personnes qui s'en occupent, mais c'est tout au plus. (Interruption.)
- Un. - Mettons-en 50.
M. Teschµ. - Mettons-en 50, si vous voulez. Mais c'est, en réalité, la question qui intéresse le moins l'opinion publique.
Je veux bien, à raison des arguments invoqués, à raison du calme du pays, mais sans craindre le moins du monde que ce calme soit troublé d'ici à longtemps, je veux bien que cette question soit mise à l'ordre du jour. Mais je ne veux pas lui sacrifier d'autres questions beaucoup plus importantes.
On parle de la dignité de la Chambre, du devoir de la Chambre. Eh bien, la dignité, le devoir de la Chambre consistent aussi à mettre de l'ordre dans ses travaux et du sérieux dans ses discussions.
Ainsi, quant à l'organisation judiciaire, il y a quatre ou cinq ans j'étais au banc ministériel. Il n'y avait pas de projet dont on réclamât la présentation avec autant d'instance que celle de l'organisation judiciaire. Je n'abordais pas cette enceinte sans qu'on vînt demander l'organisation judiciaire. Le projet est déposé depuis quatre ans, je pense, et jusqu'à présent on n'a rien fait.
- Un membre. - Si !
M. Teschµ. - C'est-à-dire qu'aujourd'hui on a déposé le rapport sur un des premiers titres de cette loi.
Je demande aussi s'il n'est pas de la dignité de la Chambre, s'il n'est pas du devoir de la Chambre, quand elle réclame une réforme aussi vivement, de ne pas ajourner indéfiniment ce travail qui a semblé, à une autre époque, d'une si extrême utilité.
J'en dirai autant de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée. Dans les différents pays qui nous environnent, cette loi existe, fonctionne. La Chambre a encore réclamé avec la plus grande insistance une loi sur le même objet.
(page 481) J'ai, comme ministre, insisté prés de la commission chargée de la révision du code de commerce pour que ce projet fût achevé d'urgence ; il a été déposé. L'honorable M. Pirmez a fait rapport sur ce projet, il peut être mis à l'ordre du jour quand on voudra, eh bien, c'est encore un projet qui devra être ajourné indéfiniment. Je dis que la Chambre suivrait une ligne de conduite enfantine en demandant au gouvernement des projets de lois, en insistant pour les obtenir, si elle ne les discutait pas, quand, sur ses plus vives instances, ils ont été présentés.
M. Guillery. - Je suis de l'avis de l'honorable M. Tesch ; la Chambre doit mettre de la suite dans ses travaux ; elle doit continuer les discussions commencées et ne pas demander aux ministres des projets de lois pour ne pas les discuter ensuite. C'est pour cela que je la convie à examiner la réforme électorale puisque la discussion en est commencée, et qu'elle est suspendue depuis 9 mois. La Chambre n'aurait pas ajourné cette discussion, l'année dernière, si elle n'avait eu à résoudre des questions d'une extrême urgence, et les personnes qui ont proposé l'ajournement ont eu bien soin de stipuler qu'au premier jour utile, au premier jour où ce serait possible, on reprendrait la discussion commencée. Je demande que cette stipulation soit exécutée : c'est le seul parti digne de la Chambre, digne du pays.
Le système de l'honorable préopinant est tout simplement l'enterrement de la réforme électorale, car si la réforme électorale est moins importante que le code pénal, que le code de commerce, que l'organisation judiciaire, moins importante, enfin, que tous les projets dont nous sommes saisis, il n'y aura jamais lieu de la meure à l'ordre du jour.
On dit que les projets de lois dont on a fait l’énumération, sont plus importants que cette malheureuse réforme électorale !
Cette déclaration n'est-elle pas étrange après celles que vous avez encore présentes à votre souvenir et qui ont terminé la session dernière ? A la fin de la session dernière, tout le monde disait qu'il fallait discuter la réforme électorale ; les sections, à l'unanimité, ont déclaré qu'il fallait une réforme électorale ; la section centrale, à l'unanimité, s'est prononcée pour une réforme électorale, et lorsque le rapport de la section centrale a été fait, la Chambre a commencé la discussion d'urgence. On n'est pas venu dire alors que le pays ne s'occupait pas de cette question.
Il ne pétitionne pas. Mais l'honorable M. Tesch voit-il donc que le pays s'occupe avec ardeur du code pénal ? Ne pourrait-on pas dire aussi, que sauf vingt-cinq personnes, chiffre indiqué par l'honorable membre, personne ne songe au code pénal ? Si avant de discuter un projet de loi nous devons attendre que les populations s'en occupent, qu'elles en exigent ou sollicitent du moins la discussion, il n'est probablement aucun des projets soumis actuellement à la Chambre qui serait jugé digne d'être mis à l'ordre du jour.
On a dit que nous devons être francs, je ne demande pas mieux ; mais si nous sommes francs, convenons que la date du 30 avril (avec la réserve que l'on a faite, que s'il y a à cette époque des discussions importantes on pourra ajourner de nouveau la réforme électorale), convenons que la date du 30 avril est un ajournement indéfini. Si la Chambre ne veut pas de la réforme électorale, elle a le droit de le dire, mais après discussion ; il n'y a qu'un seul droit qu'elle n'ait pas, c'est de ne pas discuter, de rejeter sans discussion.
On a parlé des budgets, du code pénal, du code de commerce, de la péréquation cadastrale ; pour le code pénal, la discussion ne doit plus durer longtemps, c'est l'affaire de peu de jours ; quant au code de commerce, je doute que la discussion commence avant que le rapport soit plus avancé ; il en est de même de l'organisation judiciaire ; quant aux budgets, s'ils sont imprimés le 19 mars, nous ne pourrons les examiner qu'en sections et s'ils arrivent à la discussion publique pendant cette session, ce ne sera pas avant le 30 avril, jour indiqué par l'honorable M. Lelièvre.
Pour le dire en passant, si l'on tient à ce que la loi de comptabilité soit exécutée, il y a un moyen très simple d'y arriver, c'est qu'on examine les budgets en sections, immédiatement après l'impression et qu'on les imprime aussitôt qu'ils sont présentés. Si l'on avait procédé ainsi l'année dernière, il est évident que nous aurions pu voter les budgets avant le 1er janvier, et éviter les crédits provisoires.
En résumé, messieurs, veut-on rejeter la réforme électorale sans discussion ? La discussion a commencé, elle a été interrompue par des lois urgentes, mais tout le monde a promis que la discussion serait reprise au premier jour où il serait possible de la reprendre. Nous avons droit de demander l'accomplissement de cette promesse. Enfin, je demande si aujourd'hui la Chambre va décider en face du pays, non pas qu'elle repousse toute réforme électorale, non pas qu'elle veut tel ou tel système ; mais qu'elle n'a pas le temps de s'en occuper !
M. de Brouckere. - Messieurs, nous ne sommes plus en présence que d'une seule proposition, celle qui a pour objet de fixer la discussion de la réforme électorale au 30 avril. (Interruption.) L'honorable. M. Couvreur me dit que je me trompe et que la proposition de fixer la discussion au 19 mars existe encore ; mais l'honorable M. Couvreur a déclaré tout à l'heure très nettement qu'il se ralliait à la date du 30 avril. Il a ajouté, il est vrai : « Mais il doit être bien entendu que ceux qui proposent ou qui appuient la date du 30 avril, n'aient pas d'arrière-pensée. »
Eh bien, je suis de ceux qui appuient le 30 avril, et je déclare de la manière la plus nette à l'honorable M. Couvreur, que je n'ai pas d'arrière-pensée. Si j'agis contrairement à ce que je déclare aujourd'hui, vous pourrez me le rappeler le 30 avril. Mais l'honorable M. Tesch a émis l'avis, tout en acceptant cette date aussi, qu'il était bien entendu que la Chambre ne prenait pas une décision sur laquelle elle ne pût revenir si c'était nécessaire.
A cela deux honorables orateurs répondent que raisonner comme le fait l'honorable M. Tesch, c'est enterrer la discussion de la loi électorale.
Je voudrais bien savoir, messieurs, comment on s'y prendrait pour fixer un ordre du jour qu'on ne pourrait modifier plus tard.
Vous auriez beau faire, messieurs, vous ne sauriez arriver à ce résultat. Cela est de toute impossibilité, et vous-mêmes vous avez eu soin de le prouver en rappelant les faits de la session dernière.
Nous étions en pleine discussion de la loi électorale, et c'étaient, remarquez-le bien, beaucoup de grands partisans de la réforme électorale qui ont demandé qu'on interrompît la discussion pour s'occuper de l'exécution de la loi sur les bourses.
Pourquoi ? Parce que ces honorables| membres trouvaient que cet objet était tellement indispensable, qu'd fallait lui donner la préférence sur tous les autres.
Vous voyez donc, messieurs, qu'il est impossible de. prendre une décision en s'engageant d'une manière absolue à ne pas y revenir. Eu deux mots, la date du 30 avril est la seule en présence de laquelle nous nous trouvions. Je vote celle proposition et je déclare que si au 30 avril il n'y a pas de raison déterminante pour changer l'ordre du jour, j'adopterai le maintien de la décision qui aura été prise aujourd'hui et qui tendra à ce que la discussion de la loi électorale soit commencée le 30 avril.
M. Delaetµ. - Messieurs, tout- à l'heure en terminant un des nombreux discours qu'il a faits, M. le ministre des finances disait : Fixer au 19 mars la discussion, c'est un ajournement prémédité (Interruption.)
J'ai noté immédiatement ses paroles. L'honorable ministre justifiait sa thèse en disant que les projets de lois qui auraient été à discuter à cette date, auraient eu une importance telle, que la Chambre n'aurait pas voulu donner la préférence à la loi électorale. Pourtant, un peu plus tard, l'honorable ministre des finances a indiqué lui-même la date du 20 avril, qu'il a portée ensuite au 30 avril.
MfFOµ. - J'ai indiqué la rentrée.
M. Delaetµ. - Je dois vous faire remarquer que ce que vous avez dit à l'honorable M. Couvreur au sujet de la date du 19 mars s'appliquerait beaucoup mieux à la date du 30 avril. Nous serons alors à la veille de la séparation de la Chambre ; il y a des élections le 10 juin pour le Sénat.
MfFOµ. - Cela ne fait rien.
M. Delaetµ. - Il faut 20 à 25 jours au moins pour se préparera cette lutte. Si donc elle n'a plus à discuter qu'une loi d'intérêt moral et politique comme la réforme électorale, la Chambre se séparera ; mais elle ne se séparerait pas si elle avait encore à discuter une loi d'administration comme la péréquation cadastrale.
Les adversaires de la loi électorale ne seraient pas fâchés de trouver le 30 ayril une cause déterminante pour ne pas la discuter.
Je croyais qu'après la proposition conditionnelle faite par l'honorable M. Couvreur, l'honorable ministre des finances aurait répondu.
Deux orateurs, les honorables MM. Tesch et de Brouckere ont fait de très fortes réserves. Si donc l'honorable M. Couvreur retire sa proposition d'ajournement au 19 mars, je crois que beaucoup de membres seront prêts à la reprendre, moi tout le premier.
M. Jacobsµ. - Il ne la retire pas.
M. Delaetµ. - Non, et il a le droit de la maintenir.
Voici où la discussion nous amenés. Il y a évidemment deux opinions (page 482) dans cette enceinte : celle des membres qui ne veulent pas de la réforme électorale et celle des membres qui en veulent.
On a présenté deux dates. La première date veut dire : Je suis favorable à une réforme sauf à la discuter ; la seconde date veut dire : Je ne suis pas favorable à la réforme. (Interruption.)
Voilà comment je pose la question devant la Chambre et comment je crois qu'elle doit être résolue. C'est la signification que le pays tout entier attribuera au vote qui sera émis tout à l'heure.
M. Vleminckxµ. - Je proteste contre cette interprétation.
M. Guillery. - Messieurs, je ferai remarquer à la Chambre qu'il serait très possible de discuter la réforme électorale ainsi que les objets qui sont à l'ordre du jour et dont la plupart] ne donneront lieu qu'à de courtes discussions.
Ainsi le budget de la guerre ne sera pas discuté ; on ne peut mettre en question l'organisation de l'armée, qui est en ce moment examinée par une commission spéciale. On se bornera à voter ce budget qui ne tiendra probablement qu'une ou deux séances.
La Chambre pourrait, si elle ajournait la réforme électorale au 30 avril, se trouver, bien avant cette époque, sans travaux.
Je vous engage donc, messieurs, à fixer la date la plus rapprochée et si, à cette époque, il y a des motifs déterminants pour ne pas discuter la réforme électorale, il est évident que la Chambre fera comme elle a toujours fait, elle remettra la discussion à un autre moment.
L'honorable ministre des finances croit que ceux qui ont demandé la date du 19 mars ont le projet prémédité de faire manquer la discussion. Eh bien, qu'on prenne cette date et l'on verra. Si ceux qui avaient cette préméditation sont alors combattus par ceux qui ne l'avaient pas, il sera encore temps de fixer la date du 30 avril.
Si le rapport sur la péréquation cadastrale n'était fait qu'à la veille des vacances de Pâques, il est clair que ces motifs déterminants, dont parlait l'honorable M. de Brouckere, n'arriveraient que le 30 avril.
Je ne sais du reste quand ce rapport sera fait.
La date du 19 mars ne compromet personne ; elle permet de régler convenablement les travaux de la Chambre ; celle du 30 avril est l'enterrement de la réforme électorale, c'est le refus de discuter.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Van Humbeeck. - J'ai déclaré tout à l'heure que je désirais voir fixer une date, peu importe laquelle, mais une date irrévocable. Ce que je voulais, c'était une certitude de discuter la question dans le cours de cette session. On prétend maintenant qu'on ne peut me donner cette certitude ; on ne veut nous assurer, même le 30 avril, qu'une chance de voir commencer le débat.
Pour n'avoir que des chances, messieurs, je veux en avoir le plus possible. Je désire donc que l'honorable M. Couvreur maintienne sa proposition fixant la date du 19 mars.
Si à cette époque il est prouvé que, par la force dès choses, il est impossible d'aborder le débat immédiatement, il nous restera au moins l'espérance de voir encore la discussion s'ouvrir dans le cours de cette session à un jour à fixer ultérieurement.
En prenant, au contraire, dès maintenant, la date du 30 avril, nous nous enlevons un pareil espoir, pour le cas où quelques circonstances viendraient empêcher d'entamer la discussion ce jour-là.
MpVµ. - Il y a la proposition de M. Couvreur consistant à fixer la discussion au 19 mars et l'amendement de M. Lelièvre qui propose le 50 avril.
M. Allard. - C'est M. le ministre des finances qui a proposé la date du 30 avril.
M. Guillery. - Ce sont deux propositions.
MpVµ. - Je mets aux voix la proposition de M. Couvreur.
MfFOµ. - Non.
MpVµ. - J'ai commencé par dire que la proposition de M. Lelièvre était un amendement et devait, par conséquent, être mise aux voix la première ; mais la Chambre n'a pas paru admettre cette manière de voir ! Puisqu'elle le désire, je vais mettre aux voix la proposition de M. Lelièvre :
- Des voix à droite. - Non ! non !
MpVµ. - L'épreuve est commencée.
M. Coomans. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
J'ai le droit de demander la parole sur la position des questions et M. le président n'a pas le droit de clore la discussion, ainsi qu'il le fait. Il y a deux propositions en présence : celle tendante à fixer la discussion à la date du 19 mars et celle qui tend à la fixer à la date du 30 avril, Il faut nécessairement mettre aux voix la proposition qui fixe la date la plus rapprochée, parce que c'est celle qui met le mieux tout le monde à l'aise. Comment voulez-vous que nous votions contre la date du 30 avril, nous qui voulons de la discussion de la réforme. Mais nous la voudrions plus tôt, et il faut nous laisser la liberté de notre vote.
MpVµ. - Je mets aux voix la proposition de M. Lelièvre, qui est un amendement.
- Des voix à droite. - Non ! non !
M. Delaetµ. - C'est si peu un amendement que vous-même, vous avez commencé par mettre aux voix la proposition de M. Couvreur.
M. Van Humbeeck. - En général la question de savoir quelle proposition doit être mise aux voix la première n'a pas d'importance ; mais elle en a une dans le débat actuel et c'est pour ce motif que je prie la Chambre de mettre d'abord aux voix la proposition de M. Couvreur. Nous acceptons bien la date du 30 avril si nous ne pouvons pas avoir celle du 19 mars, mais nous préférerions cette dernière. Qu'on ne nous mette pas dans la nécessité de contribuer à faire rejeter d'abord la date du 30 avril, sans que nous soyons certains d'être assez nombreux pour faire accepter celle du 19 mars.
Je demande donc que, pour laisser à chacun sa liberté, la proposition de M. Couvreur soit la première soumise à l'épreuve du vote.
MpVµ. - La parole est à M. Delaet.
- Voix nombreuses à gauche. - Nous sommes d'accord.
MpVµ. - On paraît d'accord pour faire passer d'abord la proposition de M. Couvreur.
M. Delaetµ. - Dès lors je renonce à la parole.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Couvreur.
99 membres y prennent part.
50 membres l'adoptent.
48 membres la rejettent.
1 membre s'abstient.
En conséquence le jour de la discussion de la réforme électorale est fixé au 19 mars.
Ont adopté.
MM. de Maere, de Mérode, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dubois d'Aische, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Jamar, Landeloos, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Orts, Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Wasseige, Watteeu, Wouters, Beeckman, Carlier, Coomans, Couvreur, de Coninck, Delaet, Delcour et de Liedekerke.
Ont rejeté :
MM. de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Vrière, Dolez, Dumortier, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Jacquemyns, Jonet, Jouret, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Orban, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem, Warocqué, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Crombez, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Lexhy, de Macar et Ernest Vandenpeereboom.
S'est abstenu :
M. Hymans.
MpVµ. - M. Hymans est invité à faire connaître à la Chambre les motifs de son abstention.
M. Hymans. - Avec l'interprétation que vient de donner M. Van Humbeeck, il n'y a pas grande différence entre les deux propositions et, en ma qualité de rapporteur du projet de réforme, je suis partie intéressée. Ce sont les raisons qui m'ont déterminé à m'abstenir.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - D'après les promesses que j'ai faites dans la dernière séance, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau l'exposé des négociations entre la Belgique et les Pays-Bas, relativement aux barrages projetés sur l'Escaut oriental et le Sloe. Cet exposé comprend une période de plus de 20 ans, qui commence, au mois de mars 1846.
J'ai fait imprimer l'exposé, qui pourra être distribué dès ce soir.
Je dépose également divers documents qui s'y rapportent :
1° L'enquête belge de 1850 ;
(page 483) 2° L'enquête belge de 1859 ;
3° L'enquête belge de 1860 ;
4° L'enquête belge de 1865 ;
5° L'enquête néerlandaise de 1866 ;
6° La réponse de la commission belge au rapport de la commission néerlandaise ;
7° L'enquête mixte du 12 septembre 1866 ;
8° Une carte de la jonction de l'Escaut oriental et du Sloe.
Cette carte pourra servir à l'intelligence des pièces.
Quant aux annexes, elles n'ont pas été imprimées en nombre suffisant pour être distribuées aux membres. Je les ai fait tirer cependant à quelques exemplaires afin qu'elles soient d'une lecture plus facile pour ceux des membres de la Chambre qui voudraient en approfondir l'examen. Je crois, cependant, qu'il pourrait être utile que ces pièces mêmes fussent imprimées et distribuées. La Chambre en décidera.
MpVµ. - Il est donné acte à M. le ministre des affaires étrangères du dépôt de ces pièces.
La Chambre entend-elle qu'elles soient imprimées ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
MpVµ. - Il en sera ainsi.
MfFOµ. - J’ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre la correspondance entre le gouvernement et la ville d'Anvers, dont il a été question dans la discussion du budget des travaux publics.
M. Delaetµ. - Il a été entendu que cette correspondance serait accompagnée d'un état de subsides accordés depuis 1830 aux grandes villes du royaume. (Interruption.) La proposition a été faite, et M. le ministre des finances ne s'y est pas opposé.
MfFOµ. - L'honorable M. Jacobs avait dit qu'on ferait bien de joindre à cette correspondance un état des subsides alloués aux différentes villes du pays. Il n'a rien été répondu à cette observation, et l'on aurait grand tort d'appliquer ici le dicton : Qui ne dit mot consent.
D'abord, je ne sais ce que la publication du tableau demandé pourrait signifier, dans l'état actuel des choses. Quand on aura lu la correspondance que je viens de déposer, on pourra juger s'il est nécessaire de réclamer d'autres renseignements, et l'on pourra s'expliquer sur ce que l'on entend par les subsides alloués aux différentes villes du pays. En tant qu'il s'agisse de subsides locaux proprement dits, cela est tout à fait secondaire et, pour un des objets signalés, la correspondance les énumère ; si vous entendez parler des travaux généraux exécutés dans le pays, il suffit de recourir aux lois qui les ont décrétés.
M. Delaetµ. - Il y a dans le dépôt de cette correspondance quelque chose d'anormal, attendu que cette correspondance n'est pas terminée et que, dans ce moment même, la ville d'Anvers prépare une réponse, qui ne laissera debout aucun des arguments développés dans la dernière lettre de M. le ministre des finances.
- Plusieurs voix. - On la publiera.
M. Delaetµ. - La Chambre peut-elle utilement prendre connaissance d'une correspondance non terminée ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On publiera la réponse annoncée comme les autres pièces.
M. Delaetµ. - Oui, mais la publication qui va être faîte aura produit son impression dans le pays, et cette impression persistera jusqu'à ce que la réponse de la ville d'Anvers soit connue, c'est-à-dire pendant une huitaine de jours au moins. Je demande donc que la correspondance ne soit imprimée que lorsque la réponse de la ville d'Anvers aura été transmise à M. le ministre des finances. C'est une question de loyauté.
MfFOµ. - Pour bien comprendre l'utilité du retard qu'on veut mettre à la publication de cette correspondance, il est bon de dire que la lettre à laquelle on annonce une réponse est du 31 décembre 1866. (Interruption.)
M. Pirmezµ. - Et il faut encore huit jours pour la faire. (Nouvelle interruption.)
MfFOµ. - Par conséquent, la réponse est annoncée depuis que la publication elle-même a été annoncée.
Je persiste, messieurs, à demander l'impression de ces pièces et, du reste, j'ai le droit de les faire imprimer pour détruire les reproches injustes adressés au gouvernement, pour faire apprécier la valeur des imputations qui ont été dirigées contre lui, et pour éclairer les populations. Je déposerai ultérieurement les pièces qui pourront m'être encore adressées ; la Chambre en ordonnera l'impression et ainsi la lumière se fera.
MpVµ. - Il ne s'agit, en ce moment, que de l'exécution de l'engagement que M. le ministre des finances avait pris devant la Chambre, de déposer les pièces qu'il avait en sa possession.
MfFOµ. - Et de les livrer à la publicité.
M. Delaetµ. - Puisqu'il s'agit ici d'une réponse à faire et de chiffres invoqués par M. le ministre des finances, nous désirons formellement que le tableau dont a parlé mon honorable ami M. Jacobs soit joint à ces pièces. J'en fais la proposition formelle.
MfFOµ. - Vous ferez cette proposition quand la Chambre sera en nombre et qu'elle pourra apprécier l'objet de votre demande. Vous voudrez bien alors la préciser de manière qu'on puisse la comprendre.
M. Delaetµ. - Je fais un appel au règlement ; nous ne sommes plus en nombre ainsi que vient de le constater M. le ministre des finances lui-même. Nous ne pouvons donc prendre aucune décision aujourd'hui.
M. Jacquemynsµ. - Mais la Chambre était en nombre quand M. le ministre a fait le dépôt des pièces.
MpVµ. - La Chambre n'étant plus en nombre, nous ne pouvons pas prendre de résolution.
- La séance est levée à 5 1/4 heures.