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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 février 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 435) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont,. présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des facteurs ruraux attachés au bureau de postes de Ninove demandent une augmentation de traitement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.


« Le sieur Coël prie la Chambre de mettre à son ordre du jour la discussion de la réforme électorale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'une commune non dénommée demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« M. Jouret informe la Chambre qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance de ce jour. »

- Pris pour information.


« M. Tack, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »

- Ce congé est accordé.

Vérification des pouvoirs

M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre, avec les pièces à l'appui, les procès-verbaux des opérations qui ont eu lieu à Bruxelles le 12 de ce mois pour l'élection d'un représentant en remplacement de M. le comte Louis Goblet.

Il est procédé au tirage au sort d'une commission de sept membres pour vérifier les pouvoirs de M. Watteau, député élu. Elle se compose de MM. Van Cromphaut, Magherman, de Terbecq, Lange, Jacquemyns, Jamar et Moncheur.

Ordre des travaux de la chambre

MfFOµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, aux termes de la loi sur la comptabilité de l'Etat, les budgets doivent être présentés à la législature dix mois avant l'ouverture de l'exercice qu'ils concernent. Le moment approche donc où les budgets de l'exercice 1868 devront être soumis à la Chambre.

Dans ces circonstances, il me paraît indispensable que la Chambre mette sans plus tarder à l'ordre du jour des sections le budget de la guerre pour l'année courante, puisqu'il est bien certain que l'on ne peut attendre les conclusions de la commission, pour statuer sur ce budget en temps utile.

Je pense qu'il n'y aura pas d'objection à ce que les sections soient saisies de ce budget pour assurer la marche régulière du service. Les crédits provisoires qui ont été accordés seront bientôt absorbés. Il faudrait en allouer de nouveaux et continuer ainsi pendant tout l'exercice, ce qui ne peut être assurément l'intention de la Chambre.

M. de Brouckere. - J'appuie la proposition de M. le ministre des finances ; je demanderai que l'on fixe mercredi pour l'examen en sections du budget de la guerre.

M. Vleminckxµ. - Je dois cependant faire remarquer à la Chambre que, l'année dernière, nous nous sommes trouvés dans la même position, que bien que la présentation du budget de la guerre pour 1867 ne pût avoir lieu au temps fixé par la loi de comptabilité, nous avons examine en sections le budget de 1866 postérieurement au mois de février. (Interruption.)

Il avait été positivement arrêté par la Chambre, sur la proposition que j'ai eu l'honneur de lui faire, que le budget de 1866 ne serait examiné en sections que lorsque nous serions en possession du rapport promis par l'honorable général Chazal.

Or, ce rapport, nous ne l'avions pas reçu au mois de février, et ce n'est pas par conséquent dans le courant de ce mois que le budget a été envoyé en sections.

- Un membre. - Qu'est-ce que cela dit ?

M. Vleminckxµ. - Cela dit que nous ne pourrons examiner utilement le budget de la guerre pour 1867, que lorsque nous aurons le rapport de la commission chargée d'examiner les questions relatives à l'organisation de l'armée.

MfFOµ. - L'observation de l'honorable M. Vleminckx est fondée dans un sens, mais l'on ne peut en tirer les conséquences qu'il en a déduites. Il est parfaitement vrai qu'il avait été décidé que l'on n'examinerait en sections le budget de la guerre de 1867, qu'après le dépôt du rapport annoncé par l'honorable général Chazal. Mais depuis une commission a été instituée pour s'occuper des questions relatives à l'organisation de l'armée ; le rapport est donc devenu sans objet, et ce sont les conclusions de la commission qu'il faut attendre.

L'observation que fait l'honorable membre serait encore fondée, si nous demandions la discussion du budget de 1868. Il aurait parfaitement raison d'attendre les conclusions de la commission. Mais pour les budget de 1867, cela est inutile et impossible.

M. de Brouckere. - Il n'y a aucune raison quelconque pour ne pas procéder immédiatement à l'examen en sections du budget de 1867. Evidemment le rapport de la commission qui s'occupe de l'organisation militaire ne pourra vous être présenté dans un bref délai. Or, la Chambre n'a voté des crédits provisoires que jusqu'au 1er avril ; et à quelque époque que soit présenté le rapport de la commission qui s'occupe de la révision de l'organisation militaire, il est évident que le vote qui interviendra de la part de la Chambre ne pourra donner lieu à une exécution que pour l'année 1868.

Le budget de 1867 doit donc être arrêté, et sera appliqué pendant toute l'année.

L'honorable M. Vleminckx me dit à demi-voix qu'il est utile de l'examiner. Comment peut-on le voter sans l'examiner ?

M. Vleminckxµ. - L'examen ne signifiera rien.

M. de Brouckere. - Si l'examen approfondi du budget fatigue l'honorable M. Vleminckx, qu'il n'en fasse qu'un examen superficiel. Il est évident que la Chambre ne peut discuter sans rapport sur des questions semblables.

M. Vleminckxµ. - Il est bien certain que l'examen en sections ne me fatiguerait pas le moins du monde, quoi qu'en puisse penser l'honorable M. de Brouckere.

Mais je tiens à dire encore une fois à la Chambre que l'année dernière elle n'a pas voulu examiner le budget de la guerre sans le rapport de l'honorable ministre de la guerre. Or, si l'examen eût été stérile alors sans ce rapport, il le sera à fortiori cette année-ci.

Je voudrais bien savoir à quel examen utile les sections se livreront en présence d'une organisation qui a été combattue par beaucoup d'honorables membres et qui n'a pas reçu la moindre modification depuis la dernière discussion. Que ferons-nous aujourd'hui en sections, si nous n'avons pas le rapport de la nouvelle commission ? Absolument rien. Nous n'aurons qu'à approuver purement et simplement. L'examen serait donc stérile hic et nunc.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, j'appuie la proposition de l'honorable M. Vleminckx et je me permettrai d'en ajouter une autre à la sienne.

(page 436) Depuis deux ans, un rapport nous a été promis, relatif à l'organisation de l'année.

Ce rapport doit exister, on nous l'a dit ; je demanderai donc qu'au budget qui sera renvoyé aux sections on veuille bien joindre ce document.

MpVµ. - Nous avons à voter d'abord sur le renvoi du budget aux sections.

- Il est procédé au vole par assis et levé. Le renvoi aux sections est ordonné.

Le budget de la guerre sera examiné en sections mercredi prochain.

MpVµ. - Vient maintenant la proposition de l'honorable M. d'Hane d'y joindre le rapport de l'honorable ministre de la guerre.

M. Allard. - Il n'existe pas.

MpVµ. - Mais enfin la proposition est faite.

MfFOµ. - Deux fois déjà, sur les interpellations qui nous ont été adressées, nous avons déclaré à la Chambre que le rapport de l'honorable général Chazal avait été remis par lui entre les mains du Roi, qu'il n'avait pas encore été communiqué aux ministres, que ce n'était donc pas encore un acte du gouvernement, puisque nous n'avions pas délibéré sur son contenu.

Les choses étaient dans cet état, lorsque l'honorable baron Chazal a donné sa démission et a été remplacé par le ministre de la guerre actuel.

Dans cette situation, une proposition nouvelle a été faite à là Chambre, celle d'instituer une commission pour examiner les questions relatives à l'armée. Eh bien, le rapport est devenu par cela même sans objet. Ce rapport existe, en ce sens qu'il a été communiqué au chef de l'armée ; mais il n'existe pas comme acte du gouvernement, puisque nous n'en sommes pas saisis, que nous n'en avons pas délibéré.

Nous n'avons donc pas de communication à faire en ce qui concerne ce rapport.

Nous avons proposé à la Chambre, qui a accueilli notre proposition, l'institution d'une commission chargée d'étudier toutes les questions relatives à l'organisation de l'armée. Lorsque les conclusions de cette commission seront connues, nous les communiquerons à la Chambre, qui pourra ensuite se prononcer sur les propositions qui lui seront soumises.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Me voilà fort en peine, messieurs. D'un côté, l'honorable président dit que ce rapport n'existe pas, de l'autre, M. le ministre des finances nous assure qu'il existe, mais que le ministère ne le connaît pas. Cependant ce document a été promis à la Chambre à deux reprises différentes afin qu'elle pût se faire une idée exacte de notre situation militaire.

Il doit être excessivement facile au ministère de se procurer ce rapport et de l'envoyer aux sections chargées d'examiner le budget de la guerre.

Les sections doivent avoir sous les yeux les renseignements que M. le général Chazal a consignés dans son travail et qu'il serait très utile pour la Chambre de connaître.

Je maintiens donc ma proposition et je demanderai au ministère de faire le possible et même l'impossible pour que me rapport nous soit produit.

MfFOµ. - Ce que demande M. d'Hane ne peut pas lui être accordé. Nous ne connaissons pas, je le répète, le rapport fait par M. le général Chazal et qui existe...

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Et qui existe !

MfFOµ. - Certainement.

M. Teschµ. - Il est entre mes mains en ce moment.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Que M. Tesch veuille bien alors le déposer.

M. Teschµ. - Pas du tout.

MfFOµ. - L'honorable membre ne paraît pas se faire une juste idée de la question qu'il soulève.

Est-ce que l'honorable membre demande qu'on lui fasse connaître l'opinion personnelle de M. le général Chazal, ou bien demande-t-il la communication d'un acte du gouvernement, d'un acte que le ministère vienne déposer à la Chambre et dont il accepte la responsabilité ?

Je le répète, le rapport de l'honorable général Chazal ne possède pas ce caractère, et dès lors, il est bien évident que nous ne pouvons pas en saisir la Chambre. Nous n'avons pas délibéré sur les conclusions de ce rapport, et il se pourrait que nous ne fussions pas disposés à nous y rallier.

Mais ce que désire en réalité l'honorable M. d'Hane, ce sont des éclaircissements sur les diverses questions qui se rattachent à notre état militaire.

Eh bien, je vais lui indiquer un document qui lui permettra de se faire une juste idée de l'organisation de l'armée. Une commission a été instituée en 1851 pour étudier un projet d'organisation militaire ; cette commission a formulé un rapport très volumineux, qui a été publié et qui est dans les archives de la Chambre ; l'honorable membre peut consulter ce rapport, qui contient tous les détails de l'organisation de l'armée, et qui a eu pour résultat pratique le projet de loi déposé par l'honorable M. Devaux, c'est-à-dire l'organisation de 1853.

L'honorable membre trouvera dans ce document tous les renseignements qu'il peut désirer.

M. Couvreurµ. - Franchement, messieurs, c'est à ne plus rien comprendre à tout ce qui se passe. On nous a déclaré une première fois que le rapport était entre les mains du Roi ; plus tard il a été dit à la commission militaire, les journaux l'ont répété et le fait n'a pas été démenti, il a été dit que le rapport n'existait pas.

MfFOµ. - Mais non.

M. Couvreurµ. - Qu'on n'en trouvait pas de traces au département de la guerre.

MfFOµ. - Qu'est-ce que cela fait ?

M. Couvreurµ. - Je vais vous le dire. Nous apprenons maintenant qu'il est confié à M. Tesch. Ce rapport, que pendant deux ans nous avons attendu comme sœur Anne, et qui n'est jamais venu, paraît et disparaît ainsi suivant les besoins de la cause.

Mais ce rapport, c'est le pivot sur lequel a reposé pendant deux ans le vote du budget de la guerre par la Chambre. Ce n'est pas le premier document venu.

A défaut du général Chazal, tout le gouvernement en est responsable, tout le gouvernement est solidaire de promesses faites par le ministre de la guerre et prises si bien au sérieux par la Chambre qu'une première fois elle avait décidé de ne statuer sur le budget de la guerre qu'après le dépôt du rapport. Si elle est revenue sur cette décision, ce n'est que pressée par les exigences constitutionnelles.

Aujourd'hui, nous apprenons que le document en question est entre les mains du vice-président de la commission militaire. Est-ce à dire qu'il se prépare à jouer un nouveau rôle dans notre histoire parlementaire ?

Sur quoi repose maintenant la situation ? Sur l'institution de la commission militaire. Mais qui nous garantit que l'année prochaine cette commission ne viendra pas déclarer qu'elle n'a pas terminé son œuvre ? La situation actuelle se prolongera ainsi d'année en année, au grand détriment des intérêts les plus sacrés du pays.

Je comprends que la commission militaire ne puisse pas déposer son rapport pour le mois de mars prochain ; je comprends qu'elle ne puisse pas nous présenter avant huit jours un travail complet ; mais si elle y mettait un peu d'activité, elle pourrait, avant l'absorption des crédits provisoires qui ont été alloués au gouvernement, nous faire connaître les bases qu'elle a arrêtées pour notre future organisation militaire. Nous pourrions alors examiner le budget de la guerre en connaissance de cause. Maintenant nous n'avons d'autre alternative que de le rejeter ou d'être ridicules aux yeux du pays.

M. Teschµ. - L'honorable préopinant vient de nous dire qu'il n'y avait plus moyen d'y rien comprendre. Cependant les faits sont d'une simplicité telle, que je suis surpris que l'intelligence de l'honorable membre ne soit point parvenue à s'en rendre compte. Que s'est-il passé, en effet ? L'honorable général Chazal a promis un rapport à la Chambre ; ce rapport a été fait ; ce rapport est l'œuvre personnelle de l'honorable général, ainsi que le cabinet l'a déclaré dans cette enceinte à deux reprises différentes, je pense.

MfFOµ. - C'est exact.

M. Teschµ. - Ce rapport est l'œuvre personnelle de M. le général Chazal, qui l'a élaboré dans son cabinet ; et ce n'est pas seulement son œuvre personnelle politiquement parlant, mais encore dans la réalité des faits, ce sont ses idées, ses opinions, ses convictions que l'honorable général Chazal a consignées pour être communiquées ultérieurement au Roi, à ses collègues et aux Chambres.

Quand ce rapport a été terminé, qu'a fait l'honorable général ? Il a fait ce que les convenances et la hiérarchie lui commandaient de faire : il a (page 437) communiqué son œuvre au chef constitutionnel de l'armée, au Roi, avec lequel il devait nécessairement être d'accord avant de la soumettre aux délibérations du cabinet.

Depuis, sont survenus et les grands événements politiques de l'année dernière que vous connaissez et la retraite de l'honorable général Chazal.

Après son départ, une commission a été instituée pour examiner la question se rattachant à notre organisation militaire et une interpellation a été adressée au sein de cette commission au sujet du rapport dont il s'agit. Il y a été répondu qu'il n'y avait pas de trace de ce rapport dans les archives du département de la guerre, et ceci s'explique très bien. L'honorable général Chazal a rédigé ce rapport dans son cabinet, cela a été, comme je l'ai dit, son œuvre personnelle et aucune copie n'en est restée dans les archives des bureaux.

Les journaux ont répété cette interpellation, quelques-uns même en faisant entendre que ce rapport n'aurait pas été fait. Le général Chazal justement froissé, blessé dans sa dignité par une semblable insinuation, a voulu qu'il en soit fait justice, et il m'a adressé à moi, son ancien collègue et ami, membre de la commission militaire, tout son travail, et m'a mis ainsi à même de déclarer de la manière la plus formelle et la plus péremptoire que les promesses faites par lui à la Chambre, il les avait complètement exécutées.

Voilà comment les faits se sont passés ; voilà comment je me trouve en possession du rapport de l'honorable général Chazal.

Voilà la vérité vraie ; et la Chambre trouvera sans doute comme moi que ce qu'on déclarait tout à l'heure inintelligible et inexplicable est parfaitement intelligible, explicable et expliqué.

Après cela, ce rapport peut-il donner lieu à une discussion dans le moment actuel ? Cela ne me paraît point possible.

Une commission a été nommée ; elle est chargée d'éclairer le gouvernement, la Chambre et le pays sur les différents points dont doit s'occuper le rapport de l'honorable baron Chazal.

Or, la discussion qui aurait lieu aujourd'hui anticiperait sur celle à laquelle la Chambre devra se livrer, quand elle sera saisie de ce travail de la commission. Il n'est donc pas possible d'établir actuellement un débat sur le rapport de l'honorable général Chazal.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Je demande la parole.

MpVµ. - M. d'Hane demande la parole pour la troisième fois. S'il n'y a pas d'opposition... (non), la parole est à M. d'Hane.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, selon moi, il serait beaucoup plus simple, plus commode et plus logique de mettre à l'ordre du jour de la Chambre le budget de la guerre, sans le renvoyer aux sections...

M. Bouvierµ. - Cela est contraire au règlement.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Je le sais fort bien, mais ce que je viens de dire n'est que la conséquence de la discussion actuelle qui s'égare et se perd, comme s'est égaré et perdu le fameux rapport...

M. Bouvierµ. - Il est entre les mains de M. Tesch.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Il vient donc d'être retrouvé.

MfFOµ. - Il a toujours été où il devait être.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - M. le ministre des finances nous disait tantôt que le rapport était l'œuvre personnelle de M. le général Chazal. Or, je tiens à constater que c'est bien cependant le rapport officiel qui avait été promis par M. le ministre de la guerre, et qui devait nous éclairer sur les modifications à introduire dans notre organisation militaire.

Eli bien, je demanderai, non pas au ministère qui n'a pas le rapport, mais à l'honorable M. Tesch qui le possède, si ce document contient des choses tellement effrayantes que la Chambre ne puisse pas, collectivement, prendre connaissance d'un document que l'honorable M. Tesch, membre de cette même Chambre, a pu examiner à l'aise ?

L'honorable M. Vleminckx demandait le rapport de la nouvelle commission avant l'examen du budget de la guerre. Celle proposition était logique ; la Chambre ne l'a pas adoptée : elle a ordonné l'examen du budget de la guerre dans les sections. L'honorable membre demandait ce rapport, afin qu'on pût examiner avec fruit notre nouvelle organisation militaire ; je le répète, la Chambre en a décidé autrement et peut-être eût-il été difficile d'agir différemment ; mais pour ce qui regarde le travail de M. le général Chazal, le même obstacle n'existe pas.

Il me semble que nous avons parfaitement le droit d'avoir dans les sections un rapport qui nous a été officiellement promis et qui existe. J'irai même moins loin que l'honorable M. Couvreur qui fait de ce rapport l'œuvre du gouvernement. J'accepte l'affirmation de M. le ministre des finances, qui déclare que le rapport contient les opinions purement personnelles de M. le général Chazal ; mais ce document doit renfermer des informations précises sur noire organisation militaire, et c'est pour cela que je demande formellement que ce rapport, qui nous a été promis il y a deux ans et auquel nous avons droit, soit renvoyé aux sections, en même temps que le budget de la guerre de cette année.

MfFOµ. - Messieurs, je ne conçois vraiment pas l'insistance de l'honorable membre. Sa proposition est la chose la plus irrégulière, la plus incompréhensible qu'on puisse produire dans celle Chambre.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Puisque vous nous offrez des renseignements....

MfFOµ. - Je ne vous offre absolument rien du tout.

J'ai dit et je répète que l'honorable général Chazal, en exécution d'un engagement qu'il avait pris envers la Chambre, a préparé un rapport qui devait être déposé par le gouvernement ; que ce rapport a été fait, et qu'il a été remis au chef constitutionnel de l'armée ; qu'avant que le gouvernement eût délibéré sur ce rapport, avant même qu'il en eût pris connaissance, des circonstances nouvelles se sont produites ; que la démission de M. le général Chazal est arrivée ; qu'une commission a été instituée pour examiner les mêmes questions, relatives à l'organisation de l'armée, et que le rapport de M. le général Chazal est ainsi devenu sans objet.

Or, le gouvernement ne peut pas déposer ce rapport, parce qu'il ne le connaît pas, parce qu'il n'en a pas délibéré. Ce ne peut pas être un acte du gouvernement que le dépôt de ce rapport : Qu'est-ce donc, à votre sens ?

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Je le demande à titre de renseignement.

MfFOµ. - A titre de renseignement, vous voulez l'opinion personnelle de l’honorable général Chazal ? Je vous engage à lui en écrire. (Interruption.)

Est-ce que M. Tesch peut communiquer ce document ?

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - J'use de mon initiative.

MfFOµ. - Il faut en user sagement. Si vous voulez l'opinion personnelle de l'honorable général Chazal, consultez-le, ce sera très bien, s'il juge convenable de vous satisfaire ; mais quant à la Chambre, elle n'a pas à intervenir.

Maintenant, vous dites que le renvoi en sections du budget de la guerre de 1867 ne signifie rien, puisqu'il n'y a rien à changer à ce budget. Messieurs, cela est vrai pour le budget de la guerre, comme pour les autres budgets qui sont basés sur une loi organique. Quant on s'occupe du budget de la justice, il est bien certain que l'examen en sections a lieu uniquement pour s'assurer, par exemple, que les chiffres portés à ce budget pour la magistrature concordent avec les dispositions de la loi d'organisation judiciaire.

Il en est absolument de même du budget de la guerre : il y a une loi organique de l'armée, il faut bien l'appliquer ; on ne peut la modifier incidentellement à propos de la discussion d'un budget basé sur cette loi organique. Vous examinerez en sections si le budget est conforme à la loi existante, c'est-à-dire à une loi qui ne peut être modifiée que par le concours des trois branches du pouvoir législatif.

M. Couvreurµ. - Je ne m'oppose pas, en ce qui me concerne, à l'examen du budget de la guerre en sections ; seulement, je me demande pourquoi cet examen n'a pas pu avoir lieu dans les mêmes conditions il y a trois mois. Nous aurions évité ainsi les crédits provisoires et la violation de la loi sur la comptabilité.

Quant à la communication du rapport promis par l'honorable général Chazal, il me paraît qu'il règne, dans la pensée de M. le ministre des finances, une confusion singulière.

Evidemment, l'honorable général Chazal n'a pas rédigé ce rapport à titre personnel, comme simple particulier. Il l'a rédigé eu qualité de ministre de la guerre, comme membre du gouvernement. Celui-ci en est responsable envers nous. Ce n'est pas à la Chambre de réclamer ce rapport du ministre démissionnaire. Ce devoir incombe à ceux qui ont été ses collègues, à ceux qui ont assumé envers nous la responsabilité de ses promesses. Sinon il serait par trop facile, à chaque changement de ministre, le cabinet restant au pouvoir, d'annuler l'effet des déclarations les plus solennelles. Et à ce propos, je ne sais même pas à quel titre le général Chazal a pu enlever du département de la guerre un document qui (page 438) était la propriété de ce ministère ; un document qui avait une importance exceptionnelle, puisque c'était en considération de son existence que la Chambre avait consenti, pendant deux années, à ajourner la discussion approfondie du budget de la guerre.

Que demandons-nous ? Que le document nous soit communiqué à titre de renseignement. Est-ce pour en faire la base de la discussion du budget de la guerre ? Cela serait assez inutile, attendu qu'une commission a été chargée d'étudier la question de l'organisation de l'armée ; mais le rapport, s'il existe, doit contenir des arguments justifiant l'organisation actuelle.

Ce sont ces arguments que nous avons un intérêt réel à connaître pour les comparer avec les faits survenus depuis et avec les conclusions éventuelles de la commission. Ils exprimaient, à une époque déterminée, l'opinion du gouvernement sur l'organisation militaire. Il nous importe de savoir en quoi et pourquoi, sur cette matière, le gouvernement a changé d'avis.

Je ne vois donc rien que de raisonnable et de légitime dans la motion de l'honorable M. d'Hane.

MfFOµ. - J'espérais avoir convaincu ou à peu près l'honorable M. d'Hane, et je regrette de n'avoir pas convaincu l'honorable M. Couvreur, qui reprend la même thèse.

L'honorable membre se fait une idée entièrement fausse de ce que sont des ministres, et des rapports qu'ils ont entre eux. De ce qu'un ministre fait un rapport, de ce qu'il élabore une proposition quelconque dans l'intention de la soumettre à la Chambre, eu résulte-t-il, jusqu'à ce que le conseil des ministres en ait délibéré, qu'il y ait là un acte du gouvernement dont on puisse demander la communication à la Chambre ?

Quelle confusion ferions-nous donc, si nous envisagions les choses de cette manière !

Je suppose un instant que l'on communique à la Chambre le rapport de l'honorable général Chazal ; la Chambre le lit, l'examine ; des observations sont présentées ; puis nous nous levons tous successivement pour dire que nous ne partageons pas les idées exprimées dans le rapport de l'honorable général Chazal, qui est son œuvre personnelle, et que nous ne reconnaissons pas pour un acte du gouvernement. Quelle serait la situation ? Mais ce serait la situation la plus ridicule qui se pourrait imaginer. Le gouvernement est un être moral, qui représente une idée collective, et non pas l'opinion individuelle et isolée de chacun de ses membres.

L'honorable membre va jusqu'à demander si l'honorable M. Chazal a bien pu reprendre son rapport et l'enlever. Mais encore une fois, jusqu'à ce que le conseil des ministres en eût délibéré, ce rapport n'était pas un acte du gouvernement ; ce n'était qu'un acte préparatoire, ce n'était qu'une affaire personnelle au général Chazal.

Mais, moi-même, j'ai, en dehors de mes bureaux, un cabinet dans lequel je prépare bien des projets, dans lequel j'élabore une foule de choses qui n'aboutissent pas, que je ne juge pas même devoir soumettre à mes collègues ; sont-ce là des actes du gouvernement. ? On pénétrera donc dans mon cabinet pour savoir ce que j'ai pensé sur telle ou telle question ! En vérité, messieurs, cela n'est pas sérieux ; cela ne mérite pas de faire l'objet d'une discussion.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je ne comprends réellement pas l'argumentation de l'honorable M. Frère. Il établit un parallèle entre le travail de M. Chazal et des pièces qui ont rapport à l'administration des finances, mais qui ne font point partie intégrante des documents officiels de ce département. Ce n'est pas du tout la même chose et il n'y a là rien de commun. Ce rapport ne peut pas être considéré comme exprimant l'idée personnelle de l'honorable général Chazal.

MfFOµ. - Si, jusqu'à ce que nous en ayons délibéré.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Il a été exécuté à la suite d'une promesse formelle faite à la Chambre par le gouvernement et il est évident, comme le disait fort bien l'honorable M. Couvreur, que le vote du budget de la guerre a été obtenu depuis deux ans au moyen de celle promesse. Il s'agit donc d'un document officiel et je ne comprends pas que le gouvernement trouve un si grand inconvénient à le communiquer à la Chambre.

Nous avons le droit de demander aux différents ministères tous les renseignements que nous désirons. Je crois surtout que nous avons le droit de demander celui-ci, parce qu'il nous a été formellement promis dans différentes occasions.

Messieurs, comme le disait très bien l'honorable M. Couvreur, ce document appartient au ministère de la guerre. Il doit s'y trouver. Il est en ce moment dans les mains de l'honorable M. Tesch, soit, mais il me paraît qu'il doit retourner au ministère de la guerre et que la Chambre a le droit d'en demander le dépôt sur son bureau.

Je le répète, ce n'est pas là un document étranger au département de la guerre : ce n'est pas une œuvre personnelle. C'est une pièce qui nous a été officiellement annoncée par le ministre de la guerre et que nous attendons depuis deux ans. Aussi espéré-je être soutenu par la majorité de la Chambre, en demandant que le rapport soit envoyé aux sections avec le budget.

M. Bouvierµ. - Faites-vous une proposition formelle ?

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Certainement.

M. Bouvierµ. - Il faut la déposer sur le bureau.

MpVµ. - Je mets aux voix la proposition de M. d'Hane tendante à ce que le rapport dont il s'agit soit communiqué à la Chambre.

M. Funckµ. - Je ne comprends pas trop la position de la question. Je suppose que la Chambre décide, sur la proposition de M. d'Hane, que le rapport ou plutôt le projet de rapport de M. Chazal lui sera communiqué. Quelle sanction y aura-t-il à cette décision ?

Qui sera chargé de faire cette communication ?

- Des membres. - Le gouvernement.

M. Funckµ. - Le gouvernement ! Mais le gouvernement déclare qu'il ne l'a pas ; et M. Chazal n'est plus ministre. Est-ce l'honorable M. Tesch, à qui le rapport a été confié, qui devra le communiquer ? (Interruption.) Mais M. Tesch s'y refusera, et que devient alors votre décision ?

MpVµ. - Ce sont là des questions préalables qu'on peul poser. Mais je suis saisi d'une proposition que je dois mettre aux voix.

Ceux qui adoptent cette proposition sont priés de se lever.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je vais l'écrire.

MpVµ. - M. d'Hane, j'ai dit que je mettais votre proposition aux voix. Cette proposition consiste à faire communiquer aux sections le rapport du ministre de la guerre.

MfFOµ. - Du général Chazal.

MpVµ. - Du général Chazal, si vous voulez.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je demande l'appel nominal.

MpVµ. - L'épreuve est commencée. Il est trop tard pour demander l'appel nominal. (Interruption.)

- La proposition de M. d'Hane-Steenhuyse est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

MpVµ. - Les sections seront saisies mercredi de l'examen du budget de la guerre.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruxelles

M. Jamar, rapporteurµ. - La commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. Watteeu a pris connaissance des procès-verbaux des diverses opérations électorales auxquelles son élection a donné lieu.

Ils constatent que 2,162 électeurs ont pris part au vote. Au dépouillement des bulletins, 192 ayant été annulés, le nombre de bulletins valables s'est trouvé en conséquence réduit à 1,970.

Sur ce chiffre, M. Watteeu a obtenu 1,829 voix. M. Watteeu ayant justifié des conditions d'éligibilité prescrites par l'article 50 de la Constitution et aucune réclamation ne s'étant produite contre cette élection, voire commission vous propose d'admettre M. Watteu comme membre de la Chambre des représentants.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

M. Watteeu est introduit et prête le serment constitutionnel.

Rapport sur des demandes en naturalisation ordinaire

M. Thienpont,. et M. Bouvierµ déposent sur le bureau des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1867

MtpVSµ. - Messieurs, ainsi que je l'ai déclaré dans la séance d'hier, je traiterai (page 439) d'abord la question des tarifs, la plus importante de celles que soulève cette année le budget des travaux publics.

Avant d'entrer dans les développements que cette question comporte, je dois constater que la faiblesse des recettes de l'année qui vient de finir a produit dans l'opinion, au sujet des réductions de tarif, une certaine hésitation, pour ne pas dire plus.

La section centrale s'est rendue l'écho de cette impression en relatant que quelques-uns de ses membres se sont demandé si le gouvernement n'est pas entré trop brusquement dans la voie des réductions.

Dans la séance d'avant-hier, l'honorable M. Julliot a, d'une manière aussi bienveillante que possible, exprimé la même appréhension, lorsqu'il se demandait si le département des travaux publics n'était pas entré dans cette voie avec trop de courage.

Messieurs, il se pourrait qu'une faute eût été commise. Nous sommes tous faillibles et certainement je n'ai jamais eu la prétention d'avoir à priori édifié une sorte de monument.

J'ai cependant le droit de constater aussi que si l'expérience tentée par le gouvernement avait conduit à un insuccès, certes le gouvernement serait coupable et responsable, mais que le pays serait un peu son complice.

Pendant des années, et par tous les organes dont le pays dispose, on a poussé le gouvernement aux réformes. Les réclamations de la part des chambres de commerce étaient devenues de style. Les vingt-neuf chambres de commerce du pays concluaient uniformément, invariablement que le salut de l'industrie, ou tout au moins sa prospérité, dépendait d'une large diminution des tarifs. La presse suivait les chambres de commerce, et défendait la même thèse. cette thèse était soutenue dans le sein même de cette Chambre, et à peine le gouvernement avait-il introduit, en 1864, la réforme des tarifs en ce qui concerne les grosses marchandises, qu'on le pressait de décréter la réforme du tarif des petites marchandises. Jusque dans le sein de cette Chambre, on prétendait que tant que la réforme des petites marchandises ne serait pas réalisée, on aurait infligé un grief sérieux au petit commerce, attendu qu'on n'avait rien fait pour lui et qu'on avait tout fait pour la grande industrie et le grand commerçant. Cette thèse était erronée, elle était fausse, elle était néanmoins défendue avec ardeur.

Quant à la réforme du tarif des voyageurs, on l'a préconisée de même, non pas précisément dans les termes où elle a été accomplie, mais sous la forme qu'on a suggérée encore hier, sous la forme de billets de retour, les billets de retour étant toujours une réduction plus ou moins notable du tarif des voyageurs.

Je le répète donc, le gouvernement a été poussé dans la voie où il est entré, et si je le constate, c'est pour rester fidèle à la vérité historique et nullement, la Chambre peut en être persuadée, pour chercher à atténuer en quoi que ce soit la responsabilité du gouvernement.

Dans ma conviction, les réformes ont réussi, et si je n'avais pas cette conviction, je ne rappellerais pas cet élément de la question.

Pour bien apprécier ce que le gouvernement a fait, il importe aussi grandement de déterminer quel est le rôle de l'Etat lorsqu'il se fait exploitant de chemins de fer.

Il y a plusieurs manières d'exploiter. La manière la plus simple, la plus commode, la plus lucrative, celle qui consiste à se donner le moins de peine et de travail, c'est de surtaxer les transports. De cette manière, vous serez sûrs de réaliser infailliblement la recette la plus élevée avec la dépense la plus restreinte.

La Chambre conviendra que ce n'est pas suivant ce mode qu'il serait permis au gouvernement de procéder.

Il y a, messieurs, la méthode inverse. Elle consiste à détaxer à l'infini, de façon à provoquer certainement un énorme accroissement de mouvement et peut-être un très grand accroissement de recette brute, mais probablement une très grande augmentation de dépense.

La première méthode ruine le public ; la seconde ruine le trésor. La seconde ruine aussi les compagnies, et c'est une raison de plus pour que le gouvernement ne puisse la pratiquer.

Les compagnies sont chose respectable : c'est l'argent de quelques-uns mis au service de tous, et quand les compagnies concessionnaires de chemins de fer se forment avec l'aide de la loi (elles ne peuvent se former autrement), elles ont droit de compter qu'il ne leur sera pas fait par l'Etat de concurrence exagérée.

Je dis donc que l'Etat ne peut ni surtaxer les transports, ni chercher à amener un accroissement anomal dans le mouvement par une réduction indéfinie des taxes.

II y a quelque chose de mieux à faire : c'est de rechercher le système qui concilie tous les intérêts, l'intérêt du trésor, l'intérêt du public et l'intérêt des compagnies, et ce système, je le définis, je le formule eu deux mots : c'est celui qui, tout compte fait de la dépense, car la dépense est un des éléments les plus essentiels en cette matière, procure la recette la plus élevée au moyen des prix les plus réduits.

Quel est le tarif qui réalise cet idéal ? Quelles sont les taxes qui, toujours compte fait de la dépense, amèneront les recettes les plus élevées ? Il n'y a, à cet égard, aucune donnée scientifique. Ainsi que je l'indique, la dépense est un élément considérable de la solution d'une pareille question. Mais quelle est à priori la dépense ; quelle est l'unité du prix du revient du trafic direct et du trafic additionnel, quelle est la quantité de matière transportante soit voyageurs, soit marchandises ? Nul n'en sait rien. C'est là affaire de tâtonnement et d'expérience.

Cela étant, la question est de savoir qui doit tenter l'expérience ? Je dis que c'est l'Etat, et pourquoi ? Parce que l'Etat est plus que les compagnies, chargé de veiller à l'intérêt public, parce que l'Etat, plus que les compagnies, est à même de supporter le préjudice éventuel de cette expérience.

Si nous sommes d'accord sur le rôle qui incombe ici à l'Etat, il faudra, abstraction faite du passé, abstraction faite des excitations dont le gouvernement a été l'objet, il faudra, dis-je, reconnaître, tout au moins en principe, que l'Etat a bien fait, qu'il n'a fait que ce qu'il devait faire en tentant pareille expérience ; il faudra reconnaître aussi que, s'il y aurait faux amour-propre à maintenir des tarifs que l'expérience aurait condamnés, il y aurait précipitation à les abandonner avant que les faits aient pu se développer.

Nous devons donc tous attendre pour nous prononcer : les promoteurs de la réforme, comme ceux qui se sont posés de prime abord en simples observateurs.

II y a un autre point essentiel dont il importe de tenir compte : c'est que chaque fois qu'on veut, par un accroissement de mouvement, combler le déficit qui doit résulter d'un abaissement de taxe ou de péage, l'accroissement de mouvement ne peut se réaliser instantanément ; il faut un certain temps pour que les courants nouveaux qui se forment aient apporté leur contingent. On ne peut juger d'une réforme de cette nature du jour au lendemain ; de toute nécessité, il faut attendre.

C'est d'ailleurs ainsi que la Chambre a toujours procédé ; elle n'a jamais prétendu qu'une réforme n'est bonne que pour autant que le déficit éventuel soit comblé dès le lendemain du jour où l'on aurait voté un abaissement de taxe quelconque.

II y a de cela des exemples très remarquables. Ainsi à l'heure qu'il est, c'est-à-dire au bout de 20 ans de pratique de la taxe nouvelle, le déficit qui est résulté de la réforme postale n'est pas encore comblé.

La recette antérieure à la date du 22 avril 1849 ou plutôt la recette de 1-47, la recette de 1848 n'ayant pas été relevée au point de vue des résultats que j'envisage, la recette de 1847 était de 3,387,000 fr. pour le produit des lettres ; en 1855, elle était de 3,542,000 fr. Mais il y avait un accroissement annuel qui, de 1830 à 1847, montait à 120,000 francs. Si l'on tient compte de cet accroissement normal et de l'augmentation de dépenses qui a été la conséquence inévitable du mouvement provoqué par l'abaissement de la taxe, en 1866 nous n'avons pas la recette que nous eussions eue si aucune reforme n'avait été introduite. Je crois que nous l'aurons un jour, mais au bout de vingt ans nous ne l'avons pas.

Ce que j'en dis n'est pas pour critiquer la réforme. S'il y a un partisan de la réforme postale, c'est moi. Je ne fais que constater les faits et montrer comment il est indispensable de procéder en pareille matière.

Mais, messieurs, on a fait des réformes bien plus malheureuses au point de vue financier que celle de la réforme postale et la Chambre y a participé ; l'abaissement des péages sur les canaux n'a certainement pas produit les résultats qu'a donnés la réforme postale. En 1863, une dernière réduction a été introduite dans les péages du canal de Charleroi et non seulement la recette a baissé notablement, non seulement le déficit n'a pas été immédiatement comblé, mais le mouvement n'a pas même progressé.

Dans l'année postérieure à la réforme, comparée à l'année antérieure, il y a eu diminution de 23,000 tonnes sur le tonnage total des marchandises transportées.

Je ne pense pas que, malgré cette circonstance, la Chambre soit disposée à revenir sur cette réduction ; c'est la preuve que la Chambre sait semer pour récolter.

(page 440) Et si je rencontrais des contradicteurs, je serais en droit de leur demander pourquoi on voudrait, en ce qui concerne les tarifs du chemin de fer, procéder différemment qu'on ne l'a fait pour les autres réductions de taxes.

Le terrain étant ainsi déblayé, je pose comme suit la question que la Chambre a à résoudre.

L'expérience pour le chemin de fer (car j'ai dit que nous ne faisons qu'une expérience) peut-elle être regardée comme arrivée à son terme ? Si non, quelle est la signification des faits connus ? Faut-il persévérer dans la réforme ou faut-il l'abandonner ?

Parcourons aussi succinctement que possible les résultats des réformes qui ont été introduites dans les tarifs du chemin de fer et dont la première, parmi celles qui appellent le plus particulièrement l'attention, est la réforme du tarif des grosses marchandises, accomplie en 1864.

Je dis : parmi celles qui appellent le plus particulièrement l'attention, car la réforme du tarif des grosses marchandises ne remonte pas à 1864 seulement ; la réforme était commencée bien antérieurement et elle avait été accomplie sous deux formes : les traités spéciaux, les tarifs spéciaux.

Je n'ai pas besoin de rappeler à la Chambre quelles vives critiques ont été dirigées, et avec raison, contre la pratique des traités spéciaux.

Les traités spéciaux ont été regardés comme incohérents, de même que les tarifs spéciaux ont été regardés comme insuffisants, mais traités spéciaux et tarifs spéciaux étaient une dérogation au tarif général ; c'était déjà la réforme. Ces modifications quoique incomplètes ou incohérentes avaient cependant donné de très bons résultats et c'est en s'appuyant sur ces résultats que la presse, que les chambres de commerce et que cette Chambre même réclamaient une application plus large des principes dont une première expérience avait été faite d'une manière heureuse.

C'est dans ces conditions qu'intervint le tarif du 20 mai 1864, pour les grosses marchandises. Les bases principales étaient celles-ci : on introduisait une nouvelle classe pour les grosses marchandises à prix très réduit ; on faisait une application nouvelle et très large du principe de la décroissance progressive de la taxe à la distance ; enfin on opérait de nombreux déclassements dans les marchandises.

Deux points sont à examiner : quel a été le résultat de ce tarif, d'une part quant au mouvement, d'autre part quant à la recette brute ? Je réserve la question des dépenses, pour l'examiner séparément.

Pendant la période quinquennale qui a précédé l'année dans laquelle la réforme a été introduite, c'est-à-dire pendant la période de 1839 à 1863, l'augmentation moyenne de mouvement avait été de 257,000 tonnes par an. Je viens de dire que l'arrêté introduisant la réforme a été mis à exécution au mois de juin. Du mois de juin à la fin de l'année 1864, il s'est donc écoulé sept mois. Pendant ces sept mois, messieurs, l'accroissement du tonnage a été de 530,000 tonnes, tandis, je le répète, que la moyenne avait été antérieurement de 257,000 tonnes seulement par an. L'année suivante, l'année 1865, a donné un accroissement de 642,000 tonnes ; enfin, en 1866, année que l'on doit considérer comme très médiocre, aussi bien pour le transport des marchandises que pour le transport des voyageurs, en 1866, l'augmentation a été de 580,000 tonnes.

Ainsi, en 1865 et 1866, pendant les deux années entières, nous avons, pour l'année la moins favorisée, plus de cent pour cent d'augmentation sur la moyenne quinquennale antérieure à 1864, et les sept derniers mois de cette même année 1864 donnent un accroissement plus que double de l'accroissement annuel antérieur. Ce sont certainement là des résultats extraordinaires.

Je veux tout dire et si je donnais à la Chambre certaines indications erronées, la Chambre, j'en suis convaincu, sera bien persuadée que ces erreurs sont tout à fait involontaires de ma part.

L'année 1864, qui donne cet accroissement énorme pendant les sept derniers mois, est une excellente année pour les transports : les cinq premiers mois avaient donné une augmentation de 247,000 tonnes. Nous avons donc, pour les cinq premiers mois 247,000 tonnes et pour les sept derniers mois 530,000 tonnes ; ce qui donnait, comme moyenne mensuelle de 1864, un tonnage de 49,500 pour les cinq premiers mois et de 75,700 pour les sept derniers mois. Il y a donc pour les derniers mois un accroissement de plus de 26,000 tonnes par mois. Et veuillez remarquer, messieurs, que les grands mouvements ne s'improvisent pas ; veuillez remarquer de plus que nous exploitions avec un matériel insuffisant ; considérez enfin les résultats des années 1865 et 1866 et dites si une réforme de tarif pouvait être suivie d'un succès plus complet quant au mouvement.

En 1863, dans l'année antérieure à la réforme, le tonnage total des grosses marchandises transportées avait été de 4,478,000 tonnes ; en 1865 et 1866 ensemble, c'est-à-dire dans les deux années postérieures à la réforme, on a réalisé un accroissement de 1,222,000 tonnes, ce qui équivaut à 25 p. c. de tout le tonnage transporté en 1863. Et si, à cet accroissement qui a signalé les deux années postérieures à la réforme, on ajoute l'accroissement réalisé dans les sept derniers mois de 1864, qui se sont écoulés sous l'influence de la réforme, soit 530,000 tonnes, on arrive à un total qui donne, pour ces deux années et les sept mois d'application du nouveau tarif en 1864, une augmentation de 39 p. c. sur le tonnage total transporté en 1863, c'est-à-dire après plus d'un quart de siècle d'exploitation.

Mais, messieurs, on peut provoquer un grand accroissement de mouvement et se trouver en face d'un déficit quant à la recette ; ce déficit peut provenir de deux causes, soit de l'augmentation exagérée de la dépense, soit même du chiffre absolu de la recette réalisée.

Je l'ai dit, je traiterai plus tard la question de la dépense.

Voyons donc, après avoir constaté l'influence du nouveau tarif sur le mouvement, voyons l'influence qu'il a exercée sur la recette brute.

Quelle était d'abord la perte éventuelle que l'introduction du tarif des grosses marchandises pouvait amener ? La perte éventuelle, telle qu'elle résulte du tarif du 20 mai 1864, était de 1,654,000 francs ; mais diverses mesures de détail, divers déclassements opérés postérieurement et réclamés par la logique, ont accru cette somme, et la perte ne peut pas être évaluée à moins de deux millions de francs ; c'est-à-dire que si le mouvement était resté stationnaire, il y aurait, à l'heure qu'il est, un déficit annuel de deux millions de francs sur les grosses marchandises.

Eh bien, qu'est-ce que la recette est devenue ?

Pendant la période quinquennale qui a précédé immédiatement la réforme, la progression annuelle de recette a été de 551,000 francs, en moyenne.

De juin à fin décembre 1864, c'est-à-dire dans les premiers mois d'application, nous avons réalisé une augmentation de 556,000 fr., supérieure à la moyenne annuelle. En 1865, nous avons réalisé sur 1864 une augmentation de 515,000 fr. En 1866, dans l'année qui vient de finir, nous avons réalisé sur 1865, en évaluant aussi approximativement qu'on peut le faire les recettes des mois pour lesquels nous n'avons pas encore de renseignements définitifs (mais j'ajoute que ces évaluations sont assez précises pour que je puisse en faire état devant cette Chambre), en 1866, dis-je, nous avons réalisé, sur 1863, une augmentation de 625,000 fr.

La moyenne quinquennale annuelle a donc été dépassée de 5,000 fr., rien que pendant les sept premiers mois d'application du nouveau tarif en 1864 ; elle a été atteinte, en 1865, à 38,000 fr. près ; et en 1866, cette moyenne a été dépassée de 74,000 fr. ; c'est-à-dire que, si l'on demandait à quelqu'un d'indiquer, au point de vue du mouvement et de la recette brute, quelle est l'année, dans une période de dix ans si l'on veut, pendant laquelle cette grande réforme a été introduite, quelle est l'année qui lui semble avoir dû amener un déficit du chef d'une réduction de tarif, c'est précisément l'année de la réforme qu'il n'indiquerait pas. Le mouvement annuel a été plus que doublé et la moyenne d'accroissement de recette été maintenue sans interruption même momentanée.

Evidemment, c'est là un résultat magnifique, et si les réformes pèchent par quelque point, ce n'est certes pas du côté des grosses marchandises.

La réforme des tarifs 1 et 2, petites marchandises, a été accomplie en 1865. J'y applique les mêmes calculs et je me demande quel a été le résultat de la réforme quant au mouvement d'abord, quant à la recette ensuite.

L'arrêté introduisant la réforme est du 31 août. L'application en a commencé le 1er septembre ; nous comparons donc la période du 1er septembre 1865 au 31 août 1866 à la période antérieure du 1er septembre 1864 au 31 août 1865.

Dans l'année qui s'étend du 1er septembre 1864 au 31 août 1865, c'est-à-dire pendant les douze derniers mois qui ont précédé l'introduction de la réforme, il avait été transporté, aux conditions des tarifs 1 et 2 991,000 quintaux de petites marchandises ; et dans l'année qui suit, il a été transporté 1,165,000 quintaux ; c'est-à-dire qu'il y a pendant la première année d'application du nouveau tarif une progression de 174,000 quintaux.

Dans l'année antérieure à la réforme, il n'avait été signalé, sur l'année qui l'avait précédée, qu'une augmentation de 21,000 quintaux ; donc augmentation de 21,000 quintaux d'un côté, et de 174,000 de l'autre.

Quanta la recette, si le mouvement était resté stationnaire, la réforme pouvait amener un déficit de 543,000 fr., tandis que le déficit réel a été seulement de 136,000 fr.

(page 441) Le résultat est sans doute satisfaisant ; mais l'expérience est venue nous montrer certaines incohérences dans la nouvelle tarification.

Je devrai corriger ces incohérences, toutefois je tiens à constater que ce ne sera point par suite de mécomptes que l'application du nouveau tarif aurait amenés dans le mouvement ni dans la recette.

J'arrive maintenant à la réforme du tarif des voyageurs.

Cette réforme a été introduite par arrêté du 20 mars 1866, mis h exécution le ler mai suivant.

La réforme du tarif des voyageurs était, selon moi, devenue urgente pour plusieurs motifs.

Le premier, qui n'est pas le plus grave, c'est qu'à mesure que des progrès se réalisaient dans l'exploitation du chemin de fer, il devenait de plus en plus choquant que le tarif des voitures de première classe fût notablement plus élevé que le prix des anciennes messageries. Il faut avouer que le chemin de fer, signalé par tous comme un progrès immense, ne semblait pas répondre à sa mission en maintenant cette surtaxe sur les anciennes messageries, alors qu'un seul convoi de chemin de fer peut très facilement transporter vingt ou trente fois plus qu'une diligence.

La seconde raison pour laquelle la réforme du tarif des voyageurs était devenue urgente, c'est qu'en présence du résultat constaté pour les petites et surtout pour les grosses marchandises, la logique voulait qu'on appliquât au transport des voyageurs le principe si fécond de la réduction progressive de la taxe selon les distances.

Enfin, ce qui devait encore et énergiquement recommander au gouvernement la réforme du tarif des voyageurs, c'est que cette réforme pouvait s'opérer sans augmentation de dépenses, tout au moins pendant un certain temps.

Qui n'a pas été témoin de ce fait que, dans un grand nombre de convois, le tiers ou la moitié des places était vide ? Le nombre de voyageurs pouvait donc augmenter notablement, sans danger pour la dépense.

La réforme est accomplie, elle introduit d'abord sur une grande échelle le principe de la décroissance progressive de la taxe selon les distances ; elle décrète, en second lieu, l'adjonction de voitures de troisième classe aux trains express.

La Chambre sait aussi que l'administration a commencé par faire une application partielle des nouvelles bases du tarif ; que, par mesure de prudence, le tarif ancien n'a pas été modifié dans la zone comprise entre une et sept lieues ; que la réduction définitive a été appliquée à la zone qui comprend les parcours dépassant 75 kilomètres ou 15 lieues ; qu'entre la première et la troisième zone, il a été établi une zone transitoire.

Quel était le déficit que cette application partielle pouvait amener ? Le déficit, pour le service intérieur seul, pouvait être de 1,691,000 fr., en calculant sur le mouvement existant à l'époque où la réforme a été introduite.

La réduction n'a pas été rendue applicable aux voyageurs internationaux. Mais on devait s'attendre à ce qu'il y eût un certain nombre de ces voyageurs qui prendraient un billet jusqu'à la frontière, et qui profiteraient ainsi, contre l'intention de l'administration, des réductions du tarif. Il y avait de ce chef et du chef de quelques mesures de détail, à prévoir un nouveau déficit évalué à 500,000 francs. Le déficit éventuel était donc de.2,200,000 francs en totalité.

Voyous ce que ces 2,200,000 fr. sont devenus.

La Chambre sait que l'application du nouveau tarif des voyageurs a eu la mauvaise chance de coïncider avec des calamités de toute espèce. Le mouvement et par conséquent la recette ont dû nécessairement recevoir le contre-coup de ces calamités. Il serait superflu et très difficile de démontrer mathématiquement dans quelle mesure les événements calamiteux, les intempéries de la saison, la guerre, et surtout le choléra, comme je l'ai dit dans une autre circonstance, ont influé défavorablement sur le mouvement et sur la recette ; mais je vais fournir à la Chambre quelques indications qui lui permettront d'apprécier dans quelles limites ces influences ont agi.

On a reproché au gouvernement d'avoir mal pris son temps. Il a été très facile de dire cela à la fin ou au milieu de 1866. Mais je prie la Chambre de ne pas oublier à quelle date la réforme a été introduite : elle date du mois de mars ; sa mise a exécution est du 1er mai.

Quelle était la situation pendant les premiers mois de l'année 1866 ? La voici, et voyez si le gouvernement a agi avec légèreté en choisissant l'année 1866 comme la première pour cette expérience.

Pour les quatre premiers mois (janvier, février, mars, avril), l'année 1865 avait donné, sur 1864, une augmentation de 243,000 voyageurs. L'année 1806 donne, sur 1865, une augmentation de 422,000 voyageurs.

J'insiste sur ce fait, messieurs, que le commencement de l'année 1865 a été signalé par une augmentation du nombre des voyageurs, comme aucune année antérieure n'en avait donné l'exemple. L'année 1865 a donné une augmentation totale de plus de 1,200,000 voyageurs sur l'année antérieure.

Eh bien, en comparant cette année exceptionnelle à l'année 1866, on remarque que les quatre premiers mois ne donnent pour 1865 qu'une augmentation de 245,000 voyageurs sur l'année antérieure, tandis que les mêmes mois de 1866 donnent, sur 1865, une augmentation de 422,000 voyageurs.

Je passe aux quatre mois pendant lesquels les voyages sont le plus fréquents et le plus actifs, juin à septembre.

L'année 1865 donne, sur l'année antérieure pendant cette dernière période, une augmentation de 540,000 voyageurs. Par conséquent, en 1866, si la proportion s'était maintenue, nous devions avoir une augmentation se trouvant en rapport avec le chiffre de 540,000 comme 422,000 est à 243,000. Eh bien, au lieu de donner pendant les mois d'été un accroissement sur les 4 premiers mois proportionnel à celui de 1865 sur 1864, l'année 1866, dans ces quatre mois les plus actifs des voyages et malgré la réforme du ' tarif, ne donne qu'une augmentation de 99,000 voyageurs.

Je reviens sur mes pas et je réponds encore à cette objection : Pourquoi avez-vous choisi l'année 1866 pour début de la réforme ? J'ai choisi cette année, parce que, d'après les résultats des premiers mois, je devais croire que 1866, même en l'absence de toute réduction de tarif, serait encore infiniment supérieur à 1865. Il n'y avait pas seulement, pour le croire, la proportion tout à fait exorbitante, si je puis m'exprimer ainsi, des premiers mois de l'année, il y avait encore cette circonstance des voyages du Roi dans le pays. L'année 1866 était donc logiquement marquée pour le commencement de ces expériences.

Je continue à faire connaître quelques circonstances, à donner quelques chiffres qui permettront à la Chambre d'apprécier dans quelle mesure les calamités ont comprimé les recettes et le mouvement.

Pendant le mois d'août et malgré la réduction des tarifs, il y a 62,000 voyageurs de moins en 1866 qu'en 1865.

Depuis le mois de mai jusques et y compris le mois de décembre 1866, il y a une diminution de 100,000 francs sur les bagages. Il n'y a pas un seul mois qui fasse exception. Tous les mois, depuis celui où la réforme a été mise en vigueur jusqu'à la fin de l'année, donnent une diminution quant aux bagages. Mais rien n'a été modifié quant au tarif des bagages ! Si les bagages manquent, c'est que ce sont les voyageurs d'une certaine classe qui manquent, ce sont les étrangers, ce sont les touristes.

Les quatre premiers mois de 1866 avaient, au contraire, tous donné une augmentation pour les bagages, et quand je signale que l'année 1866 a été marquée par un abaissement de 100,000 fr. dans le produit des bagages, cette réduction est considérable. Le. produit total de 1865 n'a pas atteint 600,000 fr. ; la réduction, pendant ces huit mois de 1866 a donc été de 18 p. c. Au mois d'août, elle a été de 42 p. c. Mais, encore une fois, ce n'est pas la faute du tarif, puisque le tarif a été maintenu pour les bagages.

Pendant ce même mois d'août, nous éprouvons une perte de 150,000 fr. du seul chef des transports de la ville d'Ostende. Les trains de plaisir de Bruxelles à Ostende donnent une perte de 31,000 fr., et le service international essuie une perte de 250,000 fr.

Messieurs, c'est chose remarquable que la corrélation entre les fluctuations du mouvement et de la recette du chemin de fer, et l'intensité des influences fâcheuses qui ont pesé sur l'exploitation pendant l'année 1866. Le chemin de fer suit cette intensité pas à pas comme un instrument de précision.

Voici les chiffres :

Les quatre premiers mois avaient donné une augmentation de 318,000 francs.

Le mois de mai, le premier de l'application de la réforme, donne pour la recette brute totale une augmentation de 9,300 fr.

Au mois de juin, le choléra faisant des progrès et la guerre approchant, il y a un déficit de 188,000 fr.

Au mois de juillet, le déficit monte à 271,000 fr.

Au mois d'août, le plus mauvais mois pour l'épidémie, le déficit est de 567,000 fr.

Au mois de septembre, il descend à 404,000 fr.

(page 442) Au mois d'octobre, à 21,000 fr.

Au mois de novembre, à 22,000 fr.

Vous remarquerez qu'aux mois de septembre et d'octobre, le choléra et la guerre n'avaient pas cessé d'exercer leur influence. Les étrangers qui étaient restés chez eux pendant l'été, ne se sont pas mis à voyager pendant les mois de septembre et d'octobre. Malgré cela, dans le premier mois d'application du nouveau tarif, nous avons une augmentation de 9,300 fr. Pendant le mois d'octobre, la diminution n'est plus que de 21,000 francs ; pendant le mois de novembre, elle n'est plus que de 22,000 fr.

Il suffit, messieurs, de citer ces chiffres, pour faire partager par la Chambre la conviction que, dans des circonstances normales, non seulement il n'y aurait pas eu pendant un temps plus ou moins long un déficit qu'on serait parvenu ultérieurement à remplir, mais il n'y aurait pas eu de déficit pendant un jour.

Je ne cite pas le mois de décembre, parce que je n'en connais pas encore exactement les résultats et ensuite parce qu'on sait que le mois de décembre 1865 a subi l'influence de circonstances spéciales. La Chambre n'a pas oublié les faits qui ont amené, pendant ce mois, à Bruxelles, une énorme affluencede monde. Evidemment, la comparaison pour l'année 1866 devenait impossible.

Le mouvement et la recette, pris d'une manière absolue, pour les mois qui se rapprochent le plus d'une période normale, mai, octobre et novembre, montrent qu'on pouvait facilement surmonter le déficit éventuel à résulter de la réduction des tarifs.

Mais ne peut-on pas constater de plus près l'influence des calamités qui ont signalé l'année 1866 ? On le peut et je vais avoir l'honneur de le faire devant la Chambre.

Pour juger sainement de l'influence des nouveaux tarifs, il faut évidemment isoler le mouvement intérieur, sur lequel seul la réduction a porté, du mouvement international et du mouvement des voyageurs mixtes, c'cst-à-dire des voyageurs passant du réseau de l'Etat sur les chemins de fer des compagnies belges. Il faut encore isoler le mouvement des voyageurs à prix réduits, comme militaires, sociétaires, voyageurs des trains de plaisir, tous mouvements auxquels la réduction ne s'applique pas.

Voyons si l'on peut trouver ce que le mouvement aurait été sans la réforme. C'est là la question importante, c'est là toute la question. Commen peut-on le déterminer ?

A mon sens, on peut le déterminer parfaitement. J'ai dit à la Chambre que par l'application partielle qui a été fait du nouveau tarif il existe une zone dans laquelle aucun changement n'a eu lieu ; eh bien, ne peut-on pas supposer qu'en l'absence de nouveau tarif le mouvement eût été dans la deuxième zone (zone à réduction provisoire) et dans la troisième zone (zone à réduction définitive), ce qu'il a été dans la première zone (zone sans réduction)' ? Evidemment il n'y a pas de raison de croire que le mouvement eût été plus fort dans la zone à réduction provisoire et dans la zone à réduction définitive, que dans la zone sans réduction.

Il y a des raisons de penser, au contraire, que la progression de mouvement eût été moins forte dans la deuxième et dans la troisième zones, que dans la zone sans réduction, attendu que les voyages ont nécessairement dû se circonscrire dans un rayon restreint, les longs parcours ayant été empêchés par deux causes : le désir de rester chez soi, avec les siens, pendant que la maladie sévissait, le désir de quitter le moins longtemps possible son domicile, sa femme et ses enfants, à une époque où l'on craignait d'être atteint en route par le fléau.

La deuxième cause, c'est la gêne du commerce et de l'industrie. Encore ici, plus les prix étaient élevés, plus ils devaient faire hésiter.

Quand je dis qu'il y aurait eu dans la deuxième et dans la troisième zones un mouvement proportionnellement égal à celui de la première zone, s'il n'y avait pas eu de nouveau tarif, je raisonne donc d'une manière trop défavorable à la réduction ; c'est, je crois, ce que l'on ne mettra pas en doute. Voyons, sous cette réserve, ce qu'a été, dans chaque zone, l'augmentation du mouvement.

Dans la zone sans réduction, elle est de 1.93 p. c. ; il devrait donc y avoir, dans l'hypothèse d'une progression proportionnelle, une augmentation de 1.93 p. c. pour chacune des deux autres zones. Eh bien, dans la zone à réduction provisoire, l'augmentation est de 20.17 p. c., et dans la zone à réduction définitive, elle est de 91.90 p. c.

Voilà les résultats exprimés en tantièmes. Voyons ces mêmes résultats exprimés en nombre de voyageurs.

Dans la zone sans réduction, il y en 1865, 4,631,000 voyageurs ; en 1866 (je parle toujours de la période mai-novembre), il y a eu en plus 89,700 voyageurs.

Dans la zone à réduction provisoire, il y a eu, en 1865, 862,000 voyageurs et ces 862,000 donnent en 1866 une augmentation de 173,000 ; dans la zone à réduction définitive, il y a eu 189,000 en 1865, et 1866 donne une augmentation de 175,800.

Ainsi dans la zone à réduction provisoire nous avons en nombre absolu, une augmentation double de celle qui se produit dans la zone sans réduction, quoique le nombre total des voyageurs appartenant à cette dernière zone soit cinq fois plus élevé que celui des voyageurs appartenant à la première.

Ainsi encore la zone à réduction définitive donne un accroissement également double de celui de la zone sans réduction, quoique le nombre total des voyageurs appartenant à l'une et à l'autre soit comme 1 est à 24.

Ce sont là, messieurs, des chiffres extrêmement remarquables.

Comment ! avec une certaine réduction, nous obtenons un mouvement dix fois plus considérable, et avec une réduction plus forte, nous obtenons une augmentation de mouvement 45 fois plus grande que l'augmentation réalisée dans la zone sans réduction. Je le répète, ces résultats sont frappants.

Je fais maintenant un autre calcul, et d'après les données que je vais indiquer, vous reconnaîtrez que l'augmentation du nombre des voyageurs dans les deux dernières zones doit être presque entièrement attribuée à la réduction des tarifs.

Si en l'absence de réforme il s'était produit dans la deuxième et dans la troisième zones l'effet qui s'est produit dans la première, il y aurait eu pour le service intérieur et pour la période de mai-novembre, une augmentation totale de 108,000 voyageurs ; l'augmentation réelle a été, au contraire, de 437,000 voyageurs. J'ai donc le droit de dire que la différence provient de la réduction. Cette différence est de 329,000 voyageurs.

C'est un résultat tellement extraordinaire qu'on a voulu l'expliquer autrement que par la reforme. On a dit : Mais ces voyageurs en plus proviennent du déclassement des voyageurs internationaux. Vous prétendez avoir 329,000 voyageurs attribuables à la réforme ; il n'en est rien.

Examinons cette objection, ; voyons ce qu'elle peut contenir de fondé et faisons pour l'apprécier la supposition la plus absurde, la plus exagérée.

Je dis donc, - je viens de fournir les éléments du calcul, - que la réforme a produit 329,000 voyageurs, et j'admets pour un instant que tout ce qui manque à l'international en 1866 sur 1865, ait passé à l'intérieur, que le déclassement ait été total ; je ne puis, semble-t-il, faire une concession plus grande.

Or, en 1866 sur 1865, il y a eu en moins dans le service international, pendant la période dont je m'occupe, 63,860 voyageurs. En considérant ces 63,800 voyageurs comme ayant tous passé au service intérieur, je n'en garde pas moins le droit de soutenir que l'accroissement dû à la réduction atteint encore le chiffre de 225,000 à 226,000 voyageurs.

Je fais une autre supposition plus favorable mais tout aussi évidemment contraire à la vérité : Je suppose que la moitié de ces voyageurs ait passé à l'intérieur. Cela fait 65,860 divisé par 2, soit 31,930. En retranchant ce dernier chiffre de celui de 329,000 que j'ai indiqué, il reste 297,000 en chiffres ronds. Mais je dis encore que cette supposition est absurde et nous allons voir pourquoi.

Je parle pour ceux qui n'ont pas mis les pieds dans une gare dans le courant de cette année. Pour les autres, je n'ai pas besoin de prouver qu'il n'y a eu qu'un déficit trop réel sur les voyageurs internationaux et que, par conséquent, l'accroissement obtenu quant au mouvement constaté dans les deuxième et troisième zones au service intérieur ne peut être attribué à un déclassement dont ce dernier service aurait profilé.

Sans doute la reprise des coupons à la frontière se pratique par quelques-uns, par des gens qui ont une grande habitude des voyages, qui parlent sans bagages, qui ne vont qu'à de petites distances au delà de la frontière ; mais la reprise des coupons ne se pratique pas de la part des voyageurs à longue distance, de la part des touristes, de la part de ceux enfin qui prennent en général les voitures de première classe.

Néanmoins je poursuis mon hypothèse. Je viens d'indiquer le rapport de l'augmentation du mouvement dans les diverses zones. Le tantième d'accroissement proportionnel est de 1-93 pour la zone sans réduction, de 20-17 pour la zone à réduction provisoire, et de 91-90 p. c. pour la zone à réduction définitive. Ce rapport serait-il gravement altéré en admettant que même la moitié des voyageurs internationaux eût passé à (page 443) l’intérieur ? Voici quelle serait la proportion nouvelle : Pour la première zone, la proportion de 1-93 reste invariable ; la proportion applicable à la seconde zone reste également invariable ; quant à la proportion calculée pour la troisième zone, que devient-elle ? Elle ne se maintient pas à 91-90, mais elle reste à 73-02 ! C'est donc la preuve que non seulement la réduction de prix est un attrait pour les voyageurs, mais qu'une réduction plus ou moins grande constitue un attrait plus ou moins grand et dont l'effet se fait immédiatement sentir.

Après avoir passé en revue les résultats du tarif des voyageurs, quant au mouvement, voyons quel a été le résultat quant à la recette. Nous ne pouvons encore ici raisonner que par hypothèse. Je reproduis donc l'hypothèse si rationnelle que je faisais tout à l'heure : Quelle eût été la recette sans la réforme ?

Dans la zone sans réduction, il y a eu en 1866, pour une période de sept mois (toujours mai à novembre inclus), une diminution de 1.83 p. c. sur la recette.

Eh bien, les recettes dans les trois zones ayant été en 1865 de 5,846,000 fr., cela donnerait comme résultat hypothétique 5,758,000 fr. La recette réelle n'ayant été que de 5,714,000, on constate une différence de 25,000 fr. En supposant que le service intérieur eût donné pour les zones à réduction provisoire et à réduction définitive un résultat analogue proportionnel à celui de la première zone, il n'y aurait, du chef de la réforme, qu'une perte de 25,000 fr.

On objectera : Mais si votre perte n'est pas plus élevée, c'est que vous avez empiété par le service intérieur sur les recettes que vous donnaient les voyageurs internationaux. Examinons : La perte sur le service international à raison des 63,000 voyageurs qui nous ont fait défaut est exactement de 846,875 fr. ; en supposant que la moitié ait passé au service intérieur, cela ferait 423,000 fr. que le service intérieur aurait pris au service international. La perte serait ainsi de 446,000 à 447,000 fr. Eh bien, je le demande, cela ne serait-il pas le succès, en présence des prévisions qui annonçaient un déficit possible de 2 millions 200 mille francs ?

Mais, messieurs, si ces chiffres sont exacts, si le résultat est tel, malgré les calamités que nous avons eu à subir, c'est le succès le mieux affirmé de la réforme.

Mais encore cette supposition que la moitié de la recette brute de l'international a passé à l'intérieur, est-elle justifiée ? Du tout, celle supposition est absurde.

Au mois de mai, il y avait, sur l'international, un déficit de 17 p. c., en juin de 35 p. c., en juillet de 54 p. c., en août de 56 p. c., en septembre de 49 p. c., en octobre de 27 p. c. et en novembre de 19 p. c.

Je suppose que la moitié de ces diminutions représente le nombre des voyageurs qui ont passé du service international au service intérieur ; pourrait-on expliquer comment les 17 p. c. ou, pour ne prendre que la moitié, pourrait-on expliquer comment les 8 p. c. du mois de mai deviennent 17 p. c. au mois de juin, 27 p. c. au mois de juillet, 28 p. c. au mois d'août, et descendent à 24 p. c. au mois de septembre, à 13 p. c. au mois d'octobre et à 9 p. c. au mois de novembre ?

Au début de la réforme, le petit subterfuge au moyen duquel on peut réaliser une économie sur le transport jusqu'à la frontière n'était pas connu ; je comprendrais donc que le nombre de voyageurs passant d'un service à l'autre fût peu élevé dans les premiers temps ; je comprendrais qu'il montât jusqu'au mois d'août, mais pourrait-on dire alors comment il se fait qu'il descende au mois de septembre et qu'il revienne à son point de départ aux mois d'octobre et de novembre ?

Il ne s'agit donc pas ici de voyageurs internationaux qui ont passé dans une proportion notable à l'intérieur, mais de voyageurs internationaux qui ont fait absolument défaut.

J'arrive au résultat de la réforme quant à l'adjonction des voitures de troisième classe aux trains express. Ici il ne s'agit pas d'hypothèse ; il s'agit de faits.

Je prends encore d'abord les faits quant au mouvement, puis je prendrai ces faits quant à la recette. Quant au mouvement (je raisonne toujours sur la période de mai à novembre), il y a eu, en 1865, au service intérieur pour les première et deuxième classes, un mouvement de 140,000 voyageurs ; en 1866, ce mouvement s'est élevé à 287,000, soit une augmentation de 147,000, l'augmentation est donc de plus de 100 p. c. Or, quelle est la décomposition de ce chiffré ? La première classe a donné en moins 8,000 voyageurs, la seconde en plus 22,000 voyageurs et le restant, ou 133,000 voyageurs, appartient tout entier à la troisième classe. L'augmentation de 100 p. c. provient donc exclusivement de la mesure prise par le gouvernement.

Voyons l'effet de la mesure sur les recettes :

En 1865, les voitures de première et de deuxième classes ont donné une recette totale de 599,700 fr. ; en 1866, les trois classes ont donné une recette de 722,700 francs : augmentation 125,000 fr.

Mais vous allez voir que c'est la troisième classe qui a sauvé la recette :

La première classe donne une diminution de 121,000 fr.

La deuxième classe une augmentation de 14,000 fr.

La troisième classe produit une recette de 231,000 fr. C'est donc la troisième classe qui comble le déficit laissé par la première et donne tout l'accroissement final.

Je passe maintenant à l'examen de la question des dépenses.

- Des voix. - A demain !

- La séance est levée à quatre heures et demie.