(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1966-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 391) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l’appel nominal à 3 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ. - présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent la révision de la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre adresse à la Chambre les six dernières livraisons du Bulletin du conseil supérieur d'agriculture contenant les comptes rendus des irrigations de 1860 à 1865, demandés par la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« M. Delcour, retenu chez lui pour affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »
- Accordé.
« M. Warocqué, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
M. de Macar, rapporteurµ. - Par pétition datée de Hesbaye, le 2 novembre 1866, les propriétaires principaux de diverses communes traversées par le chemin de fer de Hesbaye-Condroz réclament l'intervention de la Chambre pour que la société concessionnaire soit mise en demeure d'exécuter ses engagements.
La concession du chemin de fer de Landen à Aye par Hamont et Huy a été accordée le 15 mars 1864.
La première section comprise entre Landen et Huy devait être achevée dans un délai de trois ans, c'est-à-dire le 15 mars 1867.
Les pétitionnaires se plaignent de la lenteur avec laquelle les travaux se sont exécutés depuis l'octroi de la concession et de ce que ces travaux soient complètement arrêtés en ce moment.
Ils émettent des doutes, qui ne sont que trop fondés, sur l'achèvement de la ligne dans un délai assez rapproché de celui qu'exige le cahier des charges, en priant la Chambre et l'honorable ministre des travaux publics de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts sérieux et nombreux qui se trouvent lésés par l'inexécution des engagements contractés.
Celle pétition est de nature à appeler l'attention sérieuse de la Chambre, en ce moment surtout où l'influence des événements de 1866 pèse sur la situation financière générale.
Il y a une distinction a établir entre la conduite et les mesures à prendre vis-à-vis des sociétés qui, ayant loyalement exécuté leurs engagements, sont atteintes par ces événements et ne peuvent terminer leurs travaux et celles qui, n'ayant rempli que peu ou point de leurs obligations, voudraient exploiter la situation fâcheuse où l'on s'est trouvé pour réclamer des prolongations successives et des délais indéterminés.
II y a évidemment une ligne de démarcation à établir entre les unes et les autres qui n'échappera pas, nous n'en doutons point, à la sollicitude de l'honorable ministre des travaux publics.
Messieurs, en ce qui touche la ligne Hesbaye-Landen, nous devons reconnaître que les éléments d'appréciation manquent pour déterminer à laquelle des catégories que nous venons de faire appartient la compagnie contre laquelle il est réclamé ; nous nous bornons donc à appeler sur ce point l'attention sérieuse de M. Vanderstichelen.
Qu'il me soit permis seulement de rappeler l'importance capitale qu'offre la ligne de Landen à Aye, non seulement pour les arrondissements de Huy et de Waremme, mais encore pour une partie du Limbourg et du Luxembourg et les espérances nombreuses que sa prochaine construction avait fait naître ; d'appeler enfin toute la sollicitude de l'honorable ministre sur les intérêts sérieux qui, engagés avec la confiance que la convention du 15 mars serait exécutée, auront à souffrir gravement de trop longs retards.
En résumé, messieurs, votre commission, tout en reconnaissant que des circonstances spéciales, et dont il y a lieu de tenir compte, ont pu peser sur l'exécution de la convention dans les délais fixés, et qu'il y a lieu de n'user qu'avec modération, dans ce cas, des pouvoirs attribués au ministre, engage cependant celui-ci à attirer toute l'attention de la compagnie sur la situation qui lui serait faite, s'il n'était pas démontré qu'elle a fait tout ce qu'elle pouvait consciencieusement faire pour remplir ses engagements.
La commission vous propose le renvoi au ministre des travaux publics.
M. De Lexhy. - Messieurs, j'appuie la conclusion qui vient d'être formulée et qui consiste dans le renvoi des pétitions au ministre des travaux publics.
Les pétitionnaires se plaignent des retards très considérables apportés à l'exécution du chemin de fer de Landen à Huy. Ces plaintes sont très légitimes et très fondées.
En effet, les populations de deux cantons importants de mon arrondissement sont lésées gravement en ne se trouvant pas mises en possession de ce grand instrument de bien-être et de richesse. Ces populations, qui ont un droit acquis à ce chemin de fer, en sont privées malgré les stipulations de la loi du 31 mai 1863.
L'industrie agricole, déjà florissante dans nos riches contrées, n'attend que l'exploitation de cette voie nouvelle, pour prendre un nouvel essor.
Les travaux de la section de Landen à Hannut ont été commencés à plusieurs reprises, mais ils ont été bientôt statés. Cet état de choses est très préjudiciable surtout à ceux qui ont laissé exécuter des travaux dans leurs terrains, sans avoir préalablement réglé l'indemnité du chef d'emprise.
D'autre part, l'exécution de ces travaux a nécessité le détournement de ruisseaux, la coupure de chemins, ce qui constitue une entrave à la circulation et à l'exploitation des terres arables.
Il y a donc une urgence extrême, impérieuse à faire droit aux plaintes des pétitionnaires.
Il faut que ce chemin de fer s'exécute dans le plus bref délai possible.
La loi du 31 mai 1863, qui a doté mon arrondissement de ce grand bienfait, en homologuant le cahier des charges de la concession (article 15), a stipulé que le tronçon de Landen à Huy devait être achevé pour le 15 mars 1867.
Or, nous demandons que cette loi ne soit pas une lettre morte, ne soit pas un leurre pour nous.
Je reconnais que la faute du retard de l'exécution de ce chemin de fer n'est pas imputable d'une façon absolue aux concessionnaires, dont l'intérêt bien entendu se confond avec le nôtre.
L'équité veut qu'on tienne compte, dans une certaine mesure, des difficultés réelles qui se sont présentées. Les conditions du marché financier n'ont guère été favorables, surtout pour des entreprises aussi importantes que la création du railway de Landen à Aye, malgré la grande prospérité à laquelle cette ligne est indubitablement appelée. On (page 392) doit aussi prendre en considération le différend grave qui a surgi entre les concessionnaires et l'entrepreneur général.
Mais enfin, il faut que cette situation cesse : trop de personnes en sont lésées : trop de grands intérêts en souffrent.
Le gouvernement dispose de grands moyens d'action, et il peut forcer la compagnie concessionnaire à exécuter ses engagements.
Cependant, je ne conseille pas au gouvernement de se servir de l'arme de la déchéance en ce moment, parce je sais que les concessionnaires font les efforts les plus grands pour aboutir à une prompte solution. Je compte sur la sollicitude du ministre des travaux publics pour la satisfaction des intérêts des populations de deux cantons de mon arrondissement.
M. Preud’hommeµ. - Messieurs, je viens, en quelques mots, m'associer au vœu émis par mes deux honorables collègues, pour que le chemin de fer de Landen à Aye soit exécuté le plus tôt possible. C'est surtout pour une considération qui, à mon point de vue, est assez grave, que je viens appuyer les observations présentées par mes deux honorables collègues.
Lors de la discussion du budget des voies et moyens, M. le ministre des finances a fait connaître à la Chambre que les deux affluents principaux qui amènent à Huy les denrées et marchandises diverses, resteront soumises à la taxe des barrières, aussi longtemps qu'une convention ne sera pas intervenue entre les concessionnaires de ces routes et le gouvernement, relativement aux obligations qui grèvent ces voies de communication.
Eh bien, aussi longtemps que le chemin de fer de Landen à Aye n'est pas exécuté, tant que la ligne ne sera pas en exploitation, évidemment, les actionnaires de la route, percevant le droit des barrières, ne renonceront pas au bénéfice de leurs actions. Il résultera donc de là que le retard apporté à l'exécution du railway de Landen à Aye reculera aussi l'abolition du droit de barrière sur les deux routes.de Huy à Tirlemont et de Huy à Stavelot. Or, le maintien du droit de barrière sur ces deux affluents principaux de l'arrondissement de Huy cause un tort considérable à cet arrondissement, en ce sens qu'il éloigne le commerce de la ville de Huy, car les cultivateurs et les concessionnaires de transport ne viennent plus à Huy, à cause de la lourde taxe des barrières maintenue sur les deux routes, et se dirigent, de préférence, vers les provinces voisines.
C'est surtout à ce point de vue, excessivement sérieux pour l'arrondissement de Huy, que j'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics sur l'exécution immédiate du railway de Landen à Aye, en exécution de la loi de concession qui oblige les concessionnaires à achever ce chemin de fer dans le délai de trois ans.
Or, ce délai est ou va bientôt être expiré ; les difficultés financières qui s'étaient présentées d'abord n'existent plus aujourd'hui ; l'argent est à bon marché actuellement et par conséquent rien n'entravant plus l'exécution de ce chemin de fer, je convie fortement M. le ministre des travaux publics à engager les concessionnaires à mettre la main à l’œuvre immédiatement et à achever ce chemin de fer dans le plus bref délai possible.
MtpVSµ. - Je n'ai qu'un mot à répondre. La compagnie du chemin de fer de Landen à Aye a subi et continue à subir, comme toutes les autres sociétés concessionnaires de chemins de fer, l'influencé des circonstances calamiteuses qui pèsent sur les entreprises financières. Les travaux ont été provisoirement abandonnés sur ce point comme sur beaucoup d'autres points. Je crois savoir que l'administration de la compagnie fait des efforts énergiques en ce moment pour relever l'affaire. J'attends des renseignements ultérieurs. Le gouvernement fera ce qu'il pourra pour doter les populations intéressées du chemin de fer qui leur a été promis et qu'elles attendent avec une légitime impatience.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. d’Hane-Steenhuyse, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Anvers, le 15 janvier 1867, le sieur Verdoncken demande que le gouvernement ordonne la mise en vente publique des bâtisses et parcelles expropriées qui n'ont pu être comprises dans les travaux des fortifications d'Anvers.
Comme il s'agit ici d'une question à régler entré le gouvernement et les personnes expropriées en 1860 pour l(établissement des nouvelles fortifications d'Anvers, nous avons l'honneur, messieurs, de proposer à la Chambre le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.
- Adopté.
M. d’Hane-Steenhuyse, rapporteurµ. - Par pétition datée de Boisschot, le 10 décembre 1866, le sieur Mortelmans se plaint de la manière dont se fait le service de la poste à Boisschot et demande l'établissement d'un bureau à la station de cette commune.
Comme la pétition du sieur Mortelmans semble constater une situation défectueuse au point de vue du service des postes dans cette partie de la province d'Anvers, nous avons l'honneur, messieurs, d'en proposer le renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
MpVµ. - La discussion continue sur les articles 267 et 268.
M. Dumortier. - Messieurs, je n'aurais probablement pas demandé la parole dans ce débat, s'il n'avait été de nouveau ouvert. Car déjà, à deux reprises, j'ai eu occasion de dire toute ma pensée sur les articles en discussion. Je les ai toujours regardés et je les regarde encore comme essentiellement inconstitutionnels, parce qu'ils constituent une loi d'exception et que nous n'avons pas le droit de faire des lois d'exception.
Cependant, je le répète, je n'aurais pas demandé la parole, mais le discours qu'a prononcé hier M. Guillery, attaquant principalement les bancs sur lesquels j'ai l'honneur de siéger et émettant des doctrines à mon avis insoutenables, m'a forcé à rompre le silence.
Comment, en effet, a commencé l'honorable membre ? Il a commencé par cette sentence : La droite, dit-il, ne se souvient du droit commun que lorsqu'il s'agit de la liberté de la chaire.
Ainsi, nous sommes accusés, nous qui sommes sur ces bancs, de méconnaître le droit commun, et de ne le défendre que lorsqu'il s'agit de la liberté de la chaire ; nous qui, dans toutes les circonstances, avons soutenu le droit commun, qui l'avons encore, pour la plus grande partie d'entre nous, soutenu lorsqu'on l'a rompu, ces jours derniers, au détriment des maîtres, nous qui, dans cette circonstance, avons encore défendu le droit commun, c'est-à-dire le droit pour tous de se défendre et d'arriver à la démonstration de son innocence, nous sommes accusés de mépriser le droit commun. Le droit commun n'a pas été respecté dans cette circonstance, car on a établi une position telle, qu'une classe de la société ne peut plus se défendre devant la justice.
Maintenant je ne veux point rentrer dans ce débat, je me borne à repousser le reproche qui est adressé à mes honorables amis et à moi.
Messieurs, dans cette discussion, l'honorable M. Guillery a beaucoup parlé du droit commun ; mais qu'est-ce donc que ce droit commun ? Est-ce que, par hasard, il se compose de ces principes socialistes en vertu desquels vous iriez jusqu'à la loi agraire ? Voilà la dernière conséquence du droit commun tel que vous paraissez l'entendre.
Selon moi, messieurs, le droit commun c'est l'égalité de tous les citoyens devant la justice, c'est la protection de tous devant la justice, en ce sens qu'il ne doit point être fait de lois d'exception ni pour ni contre une classe de citoyens. Voilà le droit commun, le droit d'égalité devant la loi. Ce droit ne consiste certainement pas à établir la même peine pour tous les délits ; il y a toute une échelle de peines, mais la même peine est applicable a quiconque se rend coupable du délit contre lequel la pénalité est comminée, c'est là le droit commun.
Mais, messieurs, il y a des catégories de citoyens qui jouissent d'une protection spéciale de la loi. Ainsi nous siégeons dans cette Chambré. Nous jouissons d'une protection spéciale et, mon Dieu ! est-ce que les personnes qui assistent à nos séances peuvent prendre part à nos délibérations ? Devant un tribunal, nous entendons dire des choses qui nous choquent, et nous sommes obliges de garder le silence. Est-ce que, par hasard, le droit commun est violé ? Les avocats ont seuls le droit de parler devant les tribunaux et cela viole-t-il le droit commun ? Le droit commun consiste en ce que la loi pénale soit la même pour tous ceux qui l'enfreignent, en ce que, comme le disait la déclaration des droits de l'homme « la loi soit la même, soit qu'elle punisse, soit qu'elle récompense, pour toutes les classes de citoyens. »
Si la loi accorde certaines mesures de conservation pour telle ou telle classe de la société, pour la commune, pour les Chambres, pour les juges, pour les différentes autorités publiques, ce n'est point à cause des personnes, c'est à cause du principe d'autorité, que les institutions ainsi protégées représentent ; mais le droit commun est respecté, en établissant la même peine pour quiconque enfreint la loi.
Voilà où est l'égalité devant la loi. C'est que la peine est restée la même pour toutes les classes de la société.
(page 393) Mais ce n'est pas encore une fois à cause de telle ou telle catégorie de citoyens, c'est parce que telle ou telle classe de citoyens représente ce qui doit constituer, dans tous les pays du monde, le principe d'autorité et le principe d'autorité morale, et c'est pour cela que dans le code on a établi des mesures spéciales contre l'atteinte portée aux objets du culte, parce que les objets du culte se rattachent au .principe d'autorité, sans lequel une société quelconque ne pourrait exister. Il n'y a là aucun privilège, mais seulement la protection à un droit constitutionnel.
Il n'y a donc aucune espèce de corrélation entre les peines comminées par le code pour un outrage fait aux objets du culte et la liberté de la chaire. Ce sont là deux choses essentiellement différentes.
Les unes ont pour but de protéger le culte que le peuple révère, et qui doit être révéré, c'est-à-dire l'exercice d'un droit constitutionnel, si vous voulez conserver une société morale ; l'autre a pour objet de punir d'une peine spéciale une classe de citoyens.
Voilà où est la différence, et c'est par la confusion de toutes les idées qu'on peut arriver à comparer des choses qui appartiennent à deux ordres d'idées tout à fait différents.
Encore une fois, si la loi a établi des peines spéciales, pour garantir le respect que les populations doivent, soit à la couronne, soit aux corps délibérants, soit aux assemblées communales, soit à la magistrature, soit à l'armée, et si elle a fait de même pour les objets du culte, elle n'a eu en vue qu'une seule chose, le respect de l'autorité et le respect de l'autorité morale sans lesquels il serait impossible à toute société régulière de se constituer et de rester debout.
L'argumentation de l'honorable M. Guillery consiste à dire : Si l'on donne au prêtre des faveurs pour les objets du culte, on a le droit de le frapper de pénalités spéciales.
Je réponds à cela que ce sont là deux ordres d'idées qui n'ont aucune espèce de corrélation, que la peine comminée pour outrage aux objets du culte a pour but le respect du principe d'autorité morale, et du libre exercice des cultes, tandis qu'il n'en est pas de même de la personne du ministre du culte.
Mais, dit l'honorable M. Guillery, et c'est ici la grande objection, voulez-vous faire des temples des lieux de droit commun ?
L'honorable membre voudrait-il faire des temples des lieux de réunion comme les cabarets et les tavernes ? Vous vous plaignez de ce que vous ne pouvez pas répondre au prêtre ; moi je me plains de ce que vous ayez seul le droit de parler devant les tribunaux et de ce que, si vous m'y attaquez, je n’ai pas le droit de vous répondre.
Comment ! vous représentez le privilège, vous avocat, vous êtes le privilège incarné ; quand vous venez m'injurier dans un plaidoyer, je n'aurai pas le droit de répondre, et vous voulez, vous, faire des lieux de prière des lieux dans lesquels tout le monde pourra venir argumenter, c'est-à-dire que vous combattez chez le prêtre ce que vous voulez pour votre profession. C'est la subversion de toutes les idées sages et raisonnables.
Mais a-t-on le droit de parler devant un conseil communal ou devant un tribunal ? Quand une armée est réunie, avez-vous le droit d'argumenter devant un colonel ou un général ? Partout où le principe d'autorité est prescrit et établi, il faut l'entourer de respect, et c'est en vertu de cette même maxime et du droit constitutionnel que le prêtre, dans sa chaire, doit être entouré de respect.
Si, dans l'exercice de ses fonctions, il commet un délit, pouvez-vous comminer des peines spéciales et établir à son sujet une loi d'exception au lieu de rester dans le droit commun ? Ici j'arrive à la question fondamentale du débat. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une loi d'exception contre une classe de citoyens. Or, voilà ce qui est contraire au droit commun.
Si vous comminez des peines contre les ministres des cultes qui dans la chaire attaquent les actes de l'autorité, pourquoi ne comminez-vous pas des peines semblables contre les avocats plaidant devant la justice, puisqu'ils jouissent du même privilège ? Mais vous ne le ferez pas, vous réservez vos rigueurs pour les curés. Pour quelques membres de l'extrême gauche, tous les principes de droit et de liberté doivent être mis de côté lorsqu'il s'agit des curés.
Eh bien, c'est cette tendance que je viens combattre, parce que je ne veux pas qu'on soit dupe de belles paroles.
M. Guillery ajoute que les évêques doivent être traduits devant les tribunaux pour les attaques contenues dans leurs mandements. M. Guillery a perdu de vue l'article 16 de la Constitution qui interdit qu'il soit porté des peines contre les mandements des évêques.
Voilà en peu de mots ce que je voulais dire.
Dans ma conviction, en comminant des peines spéciales contre les ministres des cultes agissant dans l'exercice de leurs fonctions, nous faisons une loi d'exception ; or, je regarde les lois d'exception comme la chose la plus funeste que l'on puisse faire dans un pays.
En présence de la transaction intervenue au Sénat, je n'aurais pas pris la parole sur la question qui s'agite en ce moment devant vous, mais il m'est impossible de garder le silence devant les attaques si vives adressées à moi et à quelques-uns de mes amis, et je dois déclarer que le droit commun dont on parle toujours n'est qu'un moyen de créer la persécution contre le clergé.
Je le répète, dans un pays comme la Belgique qui doit donner l'exemple de la liberté en tout et pour tous, il ne faut pas de lois d'exception. Les lois d'exception ont toujours été mauvaises et le seront toujours.
M. Thonissenµ. - Après les discours prononcés par MM. De Fré, Jacobs et Dumortier, je puis me dispenser d'entrer dans de longs développements. L'honorable ministre de la justice a lui-même déclaré qu'il ne demandait pas mieux que de placer les prêtres dans le droit commun pour tous les délits qu'ils pourraient commettre à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions religieuses. S'il n'accueille pas la proposition faite, dans la séance d'hier, par l'honorable M. De Fré, c'est uniquement parce que, à son avis, les ministres des cultes se trouvent dans une position privilégiée, et que, dès lors, à titre de compensation, on peut lui imposer des devoirs exceptionnels. Son argumentation, si je ne me trompe, peut être réduite aux termes suivants : « Le prêtre, parlant du haut de la chaire, a le privilège de pouvoir parler seul. Quelle que soit la violence des critiques qu'il dirige contre les actes d'un citoyen, celui-ci doit garder le silence ; s'il ose répondre aux critiques dont il est l'objet, s'il ouvre la bouche, il encourt les peines comminées par les articles 145 et suivants du code pénal. »
Il me semble que M. le ministre ne place pas la question sur son véritable terrain.
Il est vrai que, quand un ministre du culte parle du haut de la chaire, nul n'a le droit de l'interrompre. Il est vrai que si, pour nous servir d'un des exemples souvent cités par M. le ministre de la justice, un curé critique en chaire les actes de son bourgmestre, celui-ci n'a pas le droit de lui répondre séance tenante.
Mais je demanderai à M. le ministre si le curé peut, de son côté, interrompre son bourgmestre, quand celui-ci, dans une séance publique du conseil communal, critique les actes ou dénigre les intentions du chef religieux de la paroisse ?
Si le droit de parler seul dans certaines circonstances constitue un privilège, il y a évidemment privilège de part et d'autre.
Pourquoi donc punissez-vous la simple critique l'un, tandis que vous la laissez impunie chez l'autre ?
Ah ! je le sais, l'honorable ministre de la justice m'a répondu par anticipation. Le bourgmestre, dit-il, remplit une fonction publique, il parle en qualité de fonctionnaire, et ceux qui ne sont revêtus d'aucun caractère public doivent donc nécessairement garder le silence.
Mais c'est là, messieurs, une subtilité juridique, peu digne de la gravité du débat actuel.
Oui, sans doute, quand un bourgmestre, parlant dans une séance publique du conseil communal, abuse de son droit et oublie les égards qui sont dus à l'un ou à l'autre de ses administrés, le citoyen injurié ou calomnié doit se taire, sauf à demander aux tribunaux la répression de l'injure ou de la calomnie. Le bourgmestre exerce ici un mandai public, et ceux qui ne participent pas à l'exercice de ce mandat n'ont pas le droit de se mêler de la discussion.
Mais c'est précisément pour une raison de même nature que, si le ministre d'un culte, dans l'exercice de l'un des actes de ce culte, blesse les droits de l'un ou de l'autre de ses paroissiens, celui-ci, complètement privé de tout caractère sacerdotal, doit également se taire, sauf à demander, de son côté, à la justice nationale la répression de l'outrage, de l'injure ou de la calomnie dont il a été la victime.
Le droit commun suffit ainsi pour donner satisfaction à toutes les exigences raisonnables. Pour rester dans l'exemple cité par M. le ministre de la justice, le curé qui critique les actes de son bourgmestre ne doit être punissable que dans le cas où devient punissable le bourgmestre critiquant les actes de son curé ; en d'autres termes, ni l'un ni l'autre ne doit être puni que si le fait mis à sa charge rentre de plein droit dans la catégorie des délits.
M. le ministre de la justice a le tort de voir des privilèges personnels dans les garanties de respect dont le législateur entoure des choses évidemment respectables.
Du reste, messieurs, soyez-en bien persuadés, si, comme l'honorable M. De Fré, je demande la suppression de l'article 268, ce n'est nullement (page 394) parce que je désire que les ministres du culte critiquent en chaire les actes de l'autorité civile. Aucun catholique éclairé ne désire ces critiques, et nos évêques se sont maintes fois exprimés très clairement à cet égard. Dernièrement encore, l'un d'eux, dans un mandement très remarquable, a fait ressortir combien il importait que, dans les communes rurales surtout, les conflits fussent évités entre l'autorité civile et l'autorité religieuse.
Si je demande la suppression de l'article 268, c'est d'abord par respect pour nos grands principes constitutionnels. L'article 14 proclame la liberté des cultes, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de cette liberté. Evidemment cet article ne se réfère qu'aux délits de droit commun et non pas à des délits exceptionnels, créés en vue de restreindre la liberté des ministres du culte. L'honorable M. Frère nous l'a clairement démontré un jour, quand il a dit : « Au point de vue constitutionnel, la liberté des cultes est placée sur la même ligne que la liberté des opinions. »
Je demande ensuite la suppression de l'article 268, parce que, nonobstant cette suppression, les pouvoirs publics trouveront, dans les autres articles du code pénal, des armes plus que suffisantes pour réprimer tous les écarts. Il y a des articles qui punissent la calomnie, l'injure, l'outrage, l'excitation à la révolte, les offenses envers les dépositaires du pouvoir, les menaces, la divulgation méchante des secrets, la provocation à commettre un crime ou un délit. Est-ce que tout cet arsenal de pénalités sévères ne suffit pas ? Faut-il encore, je vous le demande, créer des délits spéciaux ?
Je désire enfin la suppression de l'article 268, parce que des législateurs sages doivent toujours scrupuleusement éviter de placer les citoyens entre la voix impérieuse de leur conscience et l'obéissance aux lois de leur pays. Il y a, en effet, des cas où le prêtre n'est pas libre de se taire. Ainsi que l'a dit Pie IX, dans un bref adressé au roi de Piémont : « Si la loi n'est pas catholique, le clergé est obligé d'en avertir les fidèles. » C'est une doctrine à l'égard de laquelle l'Eglise n'a jamais varié.
Elle a toujours dit qu'il faut obéir à Dieu avant d'obéir aux hommes. Et qu'on ne dise pas qu'il y a là un principe d'anarchie, un élément de révolte ! La religion catholique condamne tous les vices, elle encourage et récompense toutes les vertus. Elle est compatible avec toutes les formes de gouvernement, depuis le despotisme jusqu'à la république démocratique. Ce n'est pas l'Eglise, ce sont les gouvernements eux-mêmes qui sèment la désaffection quand ils font des lois qui blessent la liberté de conscience. Le cas sera rare, très rare en Belgique, je le veux bien ; mais enfin le cas est possible, et puisque M. le ministre aime les exemples, je lui citerai un fait dont j'ai été le témoin. Il y a quelques années, l'administration locale d'un village avait dressé un rôle de journées de travail pour l'entretien des chemins vicinaux. Ceux qui avaient de l'argent payaient, mais les autres devaient travailler, et on les faisait travailler le dimanche.
M. de Theuxµ. - C'est contraire à la Constitution.
M. Thonissenµ. - Les travailleurs murmuraient, mais ils ne croyaient pas méconnaître leurs devoirs religieux en obéissant à un ordre de leur bourgmestre. Que fit le curé ? Il monta en chaire pour dire aux fidèles que la loi divine était en opposition avec les décrets du conseil communal. Eh bien, suivant votre code pénal, le curé, qui se bornait à remplir une obligation sacrée, était digne d'être condamné à trois mois de prison.
N'allez pas jusque-là, messieurs. Placez les prêtres dans le droit commun. Faites pour les ministres des cultes ce que vous ayez fait avant-hier pour les ouvriers.
M. De Fréµ. - Je demande la permission à la Chambre de lui adresser encore quelques courtes observations.
Mon honorable ami, M. Guillery, n'a pas pu me faire le reproche qu'il a fait à la droite de vouloir de la liberté de la chaire et de vouloir de l'article 145, qui punit tous ceux qui ont outragé un objet du culte catholique.
En 1858 au mois de décembre, en 1839 au mois de février, j'ai combattu et l'article 145 et la disposition actuelle. J'ai combattu ces deux articles au nom d'un même principe ; j'ai soutenu un système complet, un système philosophique en vertu duquel il n'y a de privilège pour aucun culte ; en vertu duquel les représentants des cultes, quels qu'ils soient, sont placés sur la même ligne que tous les citoyens ; car, si nous, libéraux, nous sommes adversaires des doctrines catholiques, nous devons, me semble-t-il, les laisser se produire librement pour que nous puissions librement les combattre,
En matière de cultes, messieurs, il y a trois systèmes : il y a la suprématie de l'Eglise sur l'Etat, c'est le système qui existe à Rome : là, toute l'administration est théocratique ; là, le pape est à la fois souverain de son peuple et chef de l'Eglise ; là, la politique ne marche pas, parce que, de son essence, la politique est progressive et que, de son essence, l'Eglise catholique est immuable.
Il y a un autre système, celui qui a été inauguré en Angleterre sous Henri VIII ; c'est la suprématie de l'Etat sur l'Eglise ; là, l'Eglise doit obéir, et vous savez, messieurs, quel mal l'Eglise a eu pour affranchir les catholiques et pour permettre aux juifs d'entrer au parlement.
A côté de ces deux systèmes opposés, il y en a un autre ; c'est celui qui existe en Belgique ; c'est celui de la séparation des deux mondes, du monde politique et du monde religieux ; c'est la société religieuse pouvant dire contre la société civile ce qu'elle veut à moins qu'elle n'aille jusqu'au délit ; et la société civile, à son tour, par son enseignement, par ses écrivains, pouvant faire ce qu'elle veut, pouvant attaquer la société religieuse également dans les limites de la légalité. C'est une séparation complète entre les deux sociétés.
On argumente des privilèges que le clergé possède depuis très longtemps pour lui ôter une partie de sa liberté ; et moi j'argumente de la liberté pour arrivera la suppression des privilèges ; et aussi longtemps que le clergé ne sera pas dans le droit commun au point de vue de la liberté des opinions, il protestera toujours contre la suppression des privilèges que vous voudrez lui enlever.
Pour moi, messieurs, cette séparation complète des pouvoirs résulte de la Constitution. La Constitution n'a pas créé de privilèges, elle n'a pas créé de classes privilégiées et l'article que nous discutons est un vestige d'un autre temps, d'un temps où vous aviez la domination d'une société sur l'autre.
Je sais bien que nous avons beaucoup de peine à entrer dans le droit commun : il est difficile de détruire ce qui existe depuis très longtemps ; nous avons pu le voir récemment encore à propos de l'abrogation de l'article 1781 du code civil. Nous avons pu voir aussi combien la thèse de la suppression de la peine de mort a de difficulté à triompher.
Ainsi, séparation complète ; pas de privilège, ni pour les objets des cultes, ni pour les ministres du culte. Mais d'un autre côté, liberté complète pour le prêtre.
Je disais hier à l'honorable ministre de la justice que la disposition que je combats n'était pas appliquée et, en effet, messieurs, qui ne sait avec quelle ardeur la loi sur les fondations de bourses a été attaquée dans les chaires catholiques ? Partout elle a été attaquée, et le gouvernement n'a pas poursuivi ; de sorte que nous donnons l'exemple d'une loi qui n'est pas exécutée.
Vous reconnaissez que la loi vous est inutile ; puisque la discussion suffit, puisque la presse suffit, puisque le bon sens suffit pour écarter ces excitations contre l'autorité. Pourquoi maintenez-vous alors l'article 268 ?
Si vous, ministre de la justice, vous veniez appliquer le système que vous avez soutenu en 1859, c'est-à-dire le système de la séparation absolue dans toutes les matières qui se rattachent au culte, vous auriez rendu, en matière de liberté, un immense service.
M. le ministre de la justice m'a dit hier : « Vous ne voulez pas qu'on réponde au prêtre. » J'ai soutenu dans mon discours de 1859 qu'à mon avis, permettre au premier venu de répondre au prêtre, même quand il s'égare, c'était permettre que le culte soit troublé. Or, le libre exercice du culte est dans la Constitution. L'Etat doit garantir à chaque citoyen l'exercice du culte. Ce n'est pas là une faveur, ce n'est pas une protection accordée à une classe privilégiée de la société.
C'est la consécration d'un droit constitutionnel.
Et l'honorable ministre de la justice l'a établi dans une argumentation irréfutable. Voici ce qu'il dit dans son ouvrage sur la matière :
« Si tout citoyen a le droit d'exercer son culte, il faut bien qu'on punisse ceux qui empêchent, retardent ou interrompent les offices du culte. » (Essai sur les rapport de l'Etat et des religions, page 130.)
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Maintenant, d'après l'honorable ministre de la justice, le particulier peut répondre...
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voilà la question.
M. De Fré.µ. - Vous avez soutenu, dans l'ouvrage cité, que le citoyen peut répondre au prêtre ; vous n'avez donc pas besoin de le mettre dans la loi.
(page 395) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les tribunaux ne sont pas de cet avis.
M. De Fréµ. - Messieurs, si vous pouvez allier le droit de répondre avec l’obligation, pour l'Etat, de garantir le libre exercice du culte, la question serait résolue.
Mais puisque l'exercice du culte est un droit constitutionnel et que vous devez, avant tout, maintenir ce droit constitutionnel, vous ne pouvez pas vous exposer à ce qu'il y ait du trouble dans un temple.
Au reste, en fait, cette objection n'a pas une très grande importance.
D'abord, l'article que nous discutons ne prévoit pas des attaques personnelles ; il parle d'attaques contre les lois, contre les actes de l'autorité ; il ne s'agit donc pas de personnes qui soient en jeu dans un pareil débat.
M. le ministre de la justice disait : « Comment ! je serai attaqué, et je ne pourrai pas répondre ! » Ce n'est pas le cas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande la parole.
M. De Fréµ. - Voici l'article 208. «... Seront punis les ministres d'un culte qui dans l'exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l'autorité publique. »
M. le ministre de la justice a dit : « Je serai attaqué et je ne pourrai pas répondre. »
Messieurs, les citoyens belges qui ont fait des lois pouvant tomber sous la critique du prêtre ne vont pas s'asseoir à l'église pour entendre cette critique.
Le cas prévu par la loi ne s'applique pas aux attaques personnelles. Le droit commun suffira lorsqu'il y aura des attaques personnelles, comme cela est arrivé dernièrement dans le hameau de Boendael où le curé a attaqué en chaire les membres du conseil de fabrique ; ces membres ont, à leur tour, attaqué le curé en justice, et le curé a été condamné à des dommages-intérêts. Le droit commun a suffi dans cette circonstance.
Quel est le principe de la loi ? Le voici : vous ne voulez pas qu'une société qui est sortie de la philosophie du XVIIIème siècle avec ses grands principes et qui a lutté autrefois et qui lutte encore contre le clergé, puisse être attaquée par le clergé, ni dans ses lois, ni dans les actes de l'autorité publique. Autrefois, lorsque les philosophes luttaient contre l'ancien pouvoir, l'ancien pouvoir politique et clérical, ce pouvoir avait besoin de violence pour se maintenir ; il y avait les cachots d'Etat ou l'exil, si on ne voulait pas des cachots d'Etat ; mais la philosophie qui a triomphé n'a pas besoin de cette violence.
La liberté lui suffit, et la société moderne ne périra pas, parce qu'un prêtre l'aura attaquée dans sa chaire. Pour les vaincus de 89, je veux la liberté au nom de la philosophie triomphante.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, la Chambre me permettra de dire quelques mots, plutôt pour un fait personnel que pour éclairer le débat.
L'honorable M. De Fré, après l'honorable M. Jacobs, vient de citer mon opinion, pour faire croire que je ne défends plus aujourd'hui... (Interruption), ou du moins de manière que plusieurs personnes puissent croire que je ne défends plus aujourd'hui la même opinion que celle que je soutenais en 1859. (Nouvelle interruption.)
Je respecte les intentions de l'honorable M. De Fré, mais il ne manquera pas de personnes qui ne déduiront pas de son discours, du reste, très bienveillant pour moi, que je soutiens aujourd'hui une tout autre opinion que celle que j'ai défendue en 1859.
Messieurs, il n'en est absolument rien. Je maintiens tout entière la thèse que j'ai publiée.
Voici comment j'établissais mon système : je disais qu'il y avait deux systèmes, ou bien la séparation radicale, absolue, de l'Eglise et de l'Etat ; suppression de toutes les dispositions contre les ministres des cultes ; mais aussi suppression de tous les privilèges établis au profit des ministres des cultes, ou bien le système de l'alliance de l'Eglise et de l'Etat, avec des privilèges et des restrictions pour le clergé.
Arrivant à l'objet spécial qui nous occupe, je rappelais que, d'après un article du code pénal, tout citoyen qui interrompt l'exercice d'un culte est passible de peines déterminées par le code ; interprétant cet article, je disais : Mais interrompre un ministre du culte qui fait de la politique, ce n'est pas un délit, attendu que, quand il fait de la politique, le ministre du culte n'est pas dans l'exercice de ses fonctions, ne se livre pas à un acte du culte.
Malheureusement les tribunaux ne sont pas de mon avis, et l'honorable M. Thonissen, qui vient de parler, n'est pas non plus de mon avis. Les tribunaux prétendent que dès qu'on interrompt un ministre du culte dans l'église, on trouble l'exercice du culte. Eh bien, si la théorie que j'ai exposée, et qui n'est pas celle de la jurisprudence, est vraie, il faut changer l'article 145. Vous ne pouvez maintenir cet article, car si vous le maintenez, la liberté de la critique dans un lieu destiné au culte n'existera pas.
Ainsi quand j'ai dit que ce n'était pas une faveur pour le ministre du culte d'être protégé dans l'exercice du culte, je n'ai entendu parler que du ministre du culte qui accomplit des actes religieux et non du ministre du culte qui fait de la politique en chaire.
Mais les tribunaux, je le répète, n'ont pas accepté cette interprétation, ils n'admettent pas les interruptions dans l'église et quand un individu interrompt un ministre du culte dans l'église, il tombe sous l'application de l'article 145. Eh bien, cela est incontestable, il y a là un privilège. Dans le système de la séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat, le ministre du culte en chaire n'est qu'un simple particulier, et, dès lors, si on l'interrompt, on n'est passible d'aucune peine.
L'honorable M. Thonissen a parlé de ce qui arriverait si un particulier interrompait un bourgmestre présidant le conseil communal.
Veuillez-le remarquer, messieurs, le bourgmestre, le conseil communal ne sont point protégés dans la loi d'une manière spéciale.
L'individu qui interrompt les séances au conseil communal ne peut être traduit devant les tribunaux. Seulement le président peut ordonner l'expulsion de l'interrupteur.
Ainsi ce prétendu privilège du bourgmestre que vous invoquez n'existe pas.
M. Delaetµ. - Accordez au bedeau le droit de mettre à la porte celui qui interrompt dans l'église.
M. Nothomb. - La loi punit également les voies de fait et les outrages dont un bourgmestre peut être l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. C'est aussi une protection spéciale.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je réponds en ce moment à l'honorable M. De Fré ; mais je rencontrerai aussi le discours de l'honorable M. Thonissen. Car nous y avons vu de très jolies prétentions pour un parti qui dit vouloir du droit commun et de la liberté. Un peu de patience.
II est donc bien avéré que ce n'est pas se mettre en contradiction avec soi-même que de soutenir que les garanties que les citoyens trouvent dans la loi ne peuvent disparaître que si l'on supprime aussi le privilège dont jouit le ministre du culte.
Je ne dis pas que la société civile n'est pas assez forte pour se défendre contre les critiques du clergé. C'est une tout autre question. Je défends un principe dans l'ouvrage que j'ai écrit, un principe bien autrement important ; le principe de la séparation radicale et complète de l'Eglise et de l'Etat.
Or, du moment que vous maintenez un privilège pour le ministre du culte, vous faites entrer le ministre du culte dans l'Etat, et voilà ce dont vous ne demandez pas la suppression. L'honorable M. De Fré ne la demande pas ; il ne la demandait pas en 1859 ; car, en 1859, l'honorable M. De Fré a voté l'article 145.
M. De Fréµ. - Pardon, à la séance du 22 décembre 1858, j'ai combattu l'article 145.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est possible, l'honorable M. De Fré a combattu l'article 145, mais quand on en est venu à l'article dont nous nous occupons, l'honorable M. De Fré, tout en voyant l'article 145 maintenu, a demandé la suppression de l'article 208 ; de telle sorte qu'il demandait l'inviolabilité pour le ministre du culte alors qu'il agit comme simple citoyen.
Car vous ne voudrez pas admettre que des peines puissent être comminées contre ceux qui se permettent des interruptions, soit dans des associations, soit dans des meetings, soit dans des lieux publics quelconques.
Maintenant, que s'est-il passé au Sénat ? C'est là le grand point.
La Chambre avait repoussé le principe de la séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat. Cela est incontestable, puisqu'elle avait voté l'article 145 qui accorde un privilège et l'honorable M. De Fré n'avait pas réussi à faire supprimer l'article que nous discutons. Je n'avais aucune raison de croire que la Chambre serait revenue sur ce vote et qu'elle allait inaugurer le système de la séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat.
Au Sénat pouvais-je avoir l'espoir de faire triompher le système qui avait échoué à la Chambre ? Evidemment non ; le Sénat ne l'aurait pas (page 396) accepté et il n'est venu à l'idée d'aucun membre de cette assemblée de proposer ce que l'honorable M. Jacobs a promis de proposer. Je me trouvais donc en présence des anciens articles, et de l'opposition très violente dont ils étaient l'objet. Il fallait rester dans le même ordre d'idées. On est convenu d'une rédaction qui a été unanimement adoptée.
Messieurs, la Chambre fera ce qu'elle voudra. Pour ce qui est du gouvernement, pour moi, je considérerais comme déloyal, en ce qui concerne le code pénal actuel, de revenir sur cette disposition. En outre, messieurs, changer ces dispositions, ce serait évidemment retarder de beaucoup la promulgation du code pénal. Car, vous en avez la certitude, devant le Sénat, les propositions de liberté et de séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat échoueront.
M. Delaetµ. - Je n'en sais rien.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous n'en savez rien ? Eh bien, je vais proposer aux honorables membres un moyen de faire trancher la question a'ns qu'il puisse en résulter aucun inconvénient. Soumettez à la Chambre un projet de loi supprimant les dispositions du code pénal dont il s'agit. Mais établissant en toutes matières la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Alors nous serons libres. Mais je ne veux pas arrêter la promulgation du code pénal, empêcher que cette œuvre depuis si longtemps commencée n'aboutisse parce qu'au milieu de la discussion du code pénal on aura jeté une question politique très importante, je l'admets.
Si la droite croit que le moment est arrivé, pour le clergé, d'abandonner ses privilèges, qu'elle vienne en faire le sacrifice sur l'autel de la patrie. Rien ne l'empêche de faire cet holocauste, et je ne crois pas qu'il se rencontrera beaucoup de bourgmestres qui s'accrocheront à la garantie à peu près illusoire que leur accorde l'article 165 du code pénal. C'est donc aux honorables membres à proposer un projet de loi. Nous discuterons alors à fond cette question des rapports de l'Eglise et de l'Etat. Mais nous ne nous entendrons pas, et c'est parce que l'honorable M. Jacobs sait qu'il ne s'aventure sans aucun danger, qu'il se montre si hardi.
M. Jacobsµ. - Ce n'est pas cette considération qui m'a guidé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas cette considération qui vous a guidé, soit ; je veux bien croire que vous êtes très convaincu de la bonté de la thèse que vous soutenez ; mais, quant au résultat, vous devez avoir la loyauté de reconnaître que vous le connaissez à l'avance ; vous savez que c'est sans aucune espèce de péril pour les privilèges du clergé que vous pouvez faire une tentative en faveur de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, quand il s'agit uniquement de supprimer les inconvénients du système contraire.
M. Jacobsµ. - Cela dépend de vous.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela ne dépendra pas de moi ; cela dépendra de vous ; demandez à l'honorable M. Thonissen et à l'honorable M. Dumortier. Comment ces honorables membres envisagent-ils la question ? Qu'est-ce pour eux que le ministre du culte ? C'est l'autorité ; c'est le pouvoir.
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ! vous n'avez pas dit cela ?
M. Dumortier. - C'est une autorité morale et rien de plus.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Une autorité morale ! mais le professeur de rationalisme, le professeur de philosophie est un homme qui a une grande autorité morale. Un journaliste se prétendra l'homme qui a la plus grande autorité morale. Un orateur dans un meeting, dans une association, dans un congrès, dira qu'il est une autorité morale.
Nous voyons M. de Montalembert, par exemple, au congrès de Malines, nous voyons l'évêque d'Orléans faire de magnifiques discours. Voilà des hommes qui jouissent d'une grande autorité, voilà des bouches ouvertes par l'Eglise ; on pourra les interrompre sans s'exposer à être traduit en police correctionnelle, et un obscur curé de campagne faisant de la politique, de la mauvaise politique et attaquant avec violence soit le gouvernement, soit le conseil communal, devra être inviolable ! Pourquoi ? Parce que vous le considérez comme un dépositaire du pouvoir, parce que vous en faites le rival du bourgmestre. Chaque fois que vous en parlez, vous prenez le bourgmestre comme point de comparaison. Vous dites : « Le bourgmestre est protégé comme le curé ; on ne peut pas l'interrompre. »
Eh bien, le bourgmestre n'est pas protégé autant que le curé, car le bourgmestre n'a d'autre droit que de faire sortir de la salle des délibérations celui qui l'interrompt.
M. Dumortier. - Vous devez protéger le libre exercice du culte.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je protège le libre exercice du culte.
M. Teschµ. - C'est précisément pour protéger la liberté du culte qu'il faut empêcher le prêtre de faire de la politique en chaire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quand le prêtre fait de la politique en chaire, il empêche ses auditeurs de pratiquer le culte. On disait tout à l'heure : « Ceux que le curé attaque ne vont pas à l'église. » C'est une erreur. On ne va pas à l'église pour faire de la politique, on se rend à l'église pour pratiquer le culte, et on est tout étonné d'assister à une séance de la Chambre des représentants ou à une séance du conseil communal. Or je soutiens que, dans ce cas, celui qui aura interrompu le prêtre n'aura pas entravé le libre exercice du culte. Faire de la politique, ce n'est pas se livrer à un exercice du culte.
Je vais citer un exemple que j'ai déjà invoqué. Je suppose que le prêtre à l'autel s'avise de se battre avec le sacristain ; est-ce que l'un et l'autre sont dans l'exercice de leurs fonctions religieuses, est-ce que ceux qui interviendront pour empêcher la rixe auront interrompu l'exercice du culte ? Evidemment non.
M. Jacobsµ. - C'est dix fois évident.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais les tribunaux l'entendront-ils ainsi ? (Interruption.) Non, messieurs, et alors il faut remettre l'article en discussion.
Faites un amendement et dites que les tribunaux apprécieront si, au moment où il est interrompu, le ministre du culte faisait de la religion ou faisait de la politique. Le ministre du culte viendra dire : J'ai critiqué la loi, j'ai critiqué le gouvernement, mais je me suis placé au point de vue religieux. Il faut bien que les tribunaux puissent décider.
M. Jacobsµ. - C'est évident.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pour moi c'est évident ; les tribunaux devraient apprécier si le ministre du culte, quand on l'a interrompu, faisait du culte ou faisait de la politique ; mais alors aussi il ne faudra pas prétendre que les tribunaux ne peuvent pas faire toutes les investigations nécessaires pour s'éclairer sur les faits dont ils ont à s'occuper. Voulez-vous de ce système ? Non, n'est ce pas ?
L'honorable M. Thonissen l'a dit : « Le droit de discuter les affaires civiles est imposé par la loi religieuse ; peu importe au clergé la loi civile si la loi civile paraît contraire à la loi religieuse. »
Eh bien, messieurs, quant à moi, sans entrer dans le fond du débat, je proteste contre de pareilles théories ; je ne puis pas admettre qu'on ait le droit de prêcher la désobéissance à la loi, en vertu des principes religieux.
Quant à la critique de la loi, tout le monde peut la faire. M. Thonissen parlait tout à l'heure d'un ministre du culte qui avait prêché contre des corvées imposées le dimanche. Mais ce ministre du culte n'avait pas besoin de monter en chaire, il n'avait qu'à se rendre chez les habitants de la commune, il avait mille moyens pour faire connaître sa manière de voir et engager les habitants à ne pas exécuter l'arrêté du conseil communal.
Je ne puis pas admettre que le prêtre ait le droit de faire de la politique dans l'église avec le privilège de l'inviolabilité ; je n'ai pas seulement à protéger le ministre du culte, mais j'ai à protéger le citoyen qui pratique son culte et quand la loi punit le ministre du culte qui fait de la politique, elle protège le citoyen dans l'exercice de son culte.
Si maintenant les honorables membres veulent proposer un projet de loi, le gouvernement l'examinera avec une entière liberté, mais je ne pense pas qu'il soit possible dans le code pénal de revenir sur ce qui a été fait au Sénat.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je voterai purement et simplement la disposition adoptée par le Sénat. Voici mes motifs. La disposition a été adoptée à l'unanimité des voix ; le Sénat avait sous les yeux l'article 14 de la Constitution et il est bien certain que dans la rédaction de son amendement il a voulu maintenir intact l'article 14 de la Constitution. Il n'y a donc aucune espèce de crainte qu'on abuse de la disposition. Je compte assez sur la bonne foi des tribunaux pour concilier la loi avec la Constitution et l'intention manifeste de l'unanimité du Sénat, auteur de la proposition.
Je crois, messieurs, qu'il est inutile d'en dire davantage. Ces questions ont été discutées très longuement. Aussi longtemps que le projet m'a paru contraire aux articles 14 et 16 de la Constitution, je l'ai combattu avec la plus grande énergie, et si je n'étais pas convaincu que le Sénat a voulu maintenir intact l'article 14 de la Constitution, je combattrais son amendement. Mais j'ai tous mes apaisements à cet égard.
M. Jacobsµ. - L'honorable ministre de la justice a surtout tenu à (page 397) prouver qu'il était conséquent avec lui-même, que ce qu'il était, étudiant défendant une thèse, il l'est encore, ministre de la justice ; il n'a fait ni un pas en avant, ni un pas en arrière, il n'a pas bougé, ne fût-ce que de l'épaisseur d'un portefeuille ; il reste cependant partisan de la théorie de la séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat, mais ses opinions théoriques il ne cherche pas à les introduire dans la pratique.
Il est l'homme le plus accommodant du monde ; il présume que la Chambre ne les adopterait pas ; il suppose surtout que le Sénat s'y opposerait et ce lui est une raison suffisante pour ne faire aucune espèce de tentative à cet égard.
L'honorable ministre de la justice nous a beaucoup parlé du droit de réponse, et il semble que ce droit ait quelque chose à faire dans nos débats. Mais il n'a absolument rien à y voir.
Ce que M. le ministre disait dans sa brochure est vrai comme interprétation de l'ancien article du code pénal et restera vrai comme interprétation de l'article futur.
En effet, M. le ministre soutient dans sa thèse que les tribunaux auront à examiner en fait si le prétendu perturbateur a troublé l'exercice du culte ou s'il a interrompu un discours exclusivement politique. Cela est incontestable et quand M. le ministre me répond qu'il y a une jurisprudence constante contraire, je le prie de me l'indiquer, car j'avoue qu'elle m'est inconnue.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je pourrais citer plusieurs cas personnels.
M. Jacobsµ. - Je ne connais pas un seul cas dans lequel un perturbateur ait été condamné pour avoir troublé un discours exclusivement politique.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas dit exclusivement politique.
M. Jacobsµ. - Soit. Je vais vous lire ce que vous avez écrit dans votre ouvrage.
« Or, faire de la politique en chaire, critiquer un bourgmestre, est-ce un exercice du culte ? Le ministre du culte qui se livre à ces sortes de discussions et de critiques sort du domaine religieux, tout le monde le reconnaît, et dès lors il n'exerce pas le culte. C'est un tort de croire que le prêtre exerce toujours le culte dès qu'il est revêtu des habits sacerdotaux, et qu'il est en chaire. Est-ce qu'un prêtre qui ferait en chaire un discours tellement immoral qu'un cri d'indignation sortirait du public, et que les fidèles abandonneraient bruyamment le temple, exercerait le culte, et y aurait-il lieu à l'application de l'article 261 du code pénal ? »
« On dira que si l'on accorde au citoyen le droit de répondre au prêtre, il sera difficile, dans chaque espèce, de savoir si la réponse a été faite légalement, si le prêtre était ou non dans l'exercice de son ministère. C'est là une question de fait que les tribunaux trancheront, et ils en ont souvent d'aussi délicates. Les témoignages ne manqueront pas, et les juges auront tous les moyens de se former une conviction. »
Le cas que vous supposiez était donc celui où, de l'avis de tout le monde, le ministre du culte sortait du domaine religieux pour entrer dans le domaine exclusivement politique.
Dans ce cas, évidemment, le perturbateur n'a pas troublé l'exercice du culte et vous ne me citerez pas une seule décision judiciaire emportant condamnation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Dites-le clairement dans la loi.
M. Jacobsµ. - Il n'est pas nécessaire de le mettre dans la loi, pas plus aujourd'hui qu'autrefois, parce que ce sera toujours au juge à apprécier. Comme vous l'avez dit, les juges sont les seuls appréciateurs du fait, s'il y a eu trouble du culte ou trouble d'autre chose.
Messieurs, on prétend que, tout en réclamant le droit commun en faveur des ecclésiastiques, nous sommes, au fond, les défenseurs du privilège à leur profit, parce que nous avons voté sans discussion, et sans que notre attention y fût beaucoup attirée, l'article 145 du code pénal.
Eh bien, pour ma part, je déclare que je ne tiens en aucune façon à l'article 145 et que si l'article 268 est supprimé par la Chambre, je proposerai immédiatement la suppression de l'article 145 du code pénal. Je le ferai parce que cet article n'accorde absolument rien, si ce n'est une aggravation inutile de peine ; or, le cas du premier paragraphe de l'article, celui d'outrager par paroles, gestes ou menaces, est prévu par l'article 565 du code pénal, qui ne commine, il est vrai, qu'un à sept jours de prison.
M. Teschµ. - Il y a aussi l'article 143.
M. Jacobsµ. - Et le cas du deuxième paragraphe est prévu par l'article 398. J'avoue que ces peines me paraissent suffisantes.
Ce que je soutiens en ce moment a été dit en 1862, dans la séance du 30 mai, par l'honorable M. Nothomb, et l'honorable M. Dechamps, l'interrompant, disait : et moi aussi : et plusieurs membres ajoutaient : Et nous aussi.
On a parlé, messieurs, des articles 143 et 144. Mais l'article 143 n'accorde pas nu privilège, car c'est précisément en réponse à cette objection que l'honorable M. Bara disait dans sa thèse : « L'argument tiré d'une prétendue corrélation entre les articles 201 et 261 du code pénal (l'article 261 était l'article 143) peut être aisément réfuté. » On donne à l'article 261 du code pénal un sens qu'il n'a pas.
El puis il y a la distinction entre ce qui est trouble du culte et ce qui ne l'est pas, distinction que j'admets et qu'on doit admettre, puisque les tribunaux auront, en définitive, toujours à décider en fait s'il y a ou s'il n'y a pas trouble du culte.
M. Pirmezµ. - On n'a jamais entendu l'article ainsi ni dans la jurisprudence, ni dans la loi.
M. Jacobsµ. - Soit ; mais les annales judiciaires ne signalent aucun cas d'un discours exclusivement politique suivi d'interruption ou trouble...
L'article 144, relatif aux objets du culte, est d'ailleurs étranger à cette discussion. Tout le monde convient que ces objets doivent être entourés d'une protection spéciale ; et quand l'honorable M. Guillery disait hier qu'ils méritent une protection beaucoup moindre que les ministres du culte, il tombe dans une erreur complète. Les objets du culte qui ne peuvent se défendre eux-mêmes, tandis que les ministres du culte le peuvent, sont protégés dans toutes les législations du monde.
Peut-on, par exemple, assimiler le fait de celui qui renverse méchamment le Saint-Sacrement sur l'autel au fait de celui qui renverse volontairement une pendule dans votre salon ? Pourrait-on soutenir sérieusement que le premier de ces faits serait, comme le second, suffisamment réprimé par une demande en dommages-intérêts ? Personne n'oserait dire cela.
D'ailleurs, cette demande de l'honorable M. Guillery n'est pas nouvelle ; elle date aussi de 1862 et dès cette époque mes honorables amis l'ont combattue et réfutée. L'honorable M. Nothomb s'en expliquait ainsi dans la séance du 30 mai :
« C'est la partie acceptable des lois du sacrilège. Ceci, messieurs, doit rester dans le code, parce qu'il n'y a pas de législation humaine qui ne renferme des dispositions analogues. Chez tous les peuples, même les plus sauvages, vous trouvez des pénalités contre le sacrilège. Partout et toujours l'on a entouré d'une sollicitude spéciale les objets du culte. C'est un hommage rendu à la Divinité, par la conscience unanime du genre humain et il est impossible que cette protection ne soit pas exprimée dans notre législation. »
Il n'y a donc aucune relation entre l'article et celui que nous discutons. Le seul qui s'y réfère est l'article 145 ; et si la Chambre veut rejeter l'article 268, je n'hésiterai pas à lui proposer de revenir sur le vote de l'article 145 et j'en demanderai la suppression.
- La discussion est close.
Il est procédé au vote, par assis et levé, sur l'article 267.
- Cet article est adopté.
« Art. 268. Seront punis d'un emprisonnement, de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt six francs à cinq cents francs, les ministres du culte qui, dans l'exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, auront directement attaqué le gouvernement, une loi, un arrêté loyal ou tout autre acte de l'autorité publique. »
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
Il est procédé à cette opération.
78 membres prennent part au vote.
49 répondent oui.
26 répondent non.
3 se sont abstenus.
Ont répondu oui : MM. de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, de Vrière, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Jamar, Jouet, Jouret, Lambert, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Snoy, Tesch, Alp. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vilain XIIII, Vleminckx, Allard, Ansiau, Bara, Bruneau, Carlier, (page 398) Crombez, David, de Baillet-Latour, de Florisone, de Kerchove, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Mérode et Ern. Vandenpeereboom.
Ont répondu non :
MM. de Naeyer, Dewandre, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Nothomb, Reynaert, Royer de Behr, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Wasseige, Wouters, de Conninck, De Fré et Delaet.
Se sont abstenus : MM. Kervyn de Lettenhove, Couvreur et de Haerne.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je me suis abstenu parce que, bien que favorable à la suppression de l'article 268, je n'admets pas comme conséquence celle de l'article 145.
Le ministre, du culte jugeant un acte, politique me paraît devoir être soumis à la même pénalité que tons les citoyens ; mais ce serait affaiblir le respect du à un grand principe social que de ne voir qu'un simple citoyen dans le ministre du culte outragé dans l'exercice de son ministère.
M. Couvreurµ. - Partisan de la séparation absolue et radicale de l'Eglise et de l'Etat, je n'ai pas voulu consacrer par mon vote une disposition qui va à rencontre de ce principe ; mais comme l'article 145 se trouve déjà dans la loi, j'ai dû m'abstenir pour ne pas remettre en question tout le code pénal.
M. de Haerneµ. - Je n'ai pas voté pour cet article, parce qu'il porte atteinte au principe constitutionnel, ainsi que je l'ai démontré dans une discussion précédente. Je n'ai pas voté contre, à cause de la décision prise à l'unanimité par le Sénat.
- Des voix. - A demain !
- La séance est levée à 5 heures.