(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 357) M. de Florisone, secrétaire, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Laroche, locataires des cantonnements de pêche de l'Ourthe, demandent une loi qui réserve aux adjudicataires seuls le droit de pêcher à la ligne ou autrement. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la pêche fluviale.
« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vandendoren, sous-officier pensionné, demande la révision de la loi sur les pensions militaires et la participation des sous-officiers et soldats pensionnés aux bénéfices de la loi révisée. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jacobs, ancien commis de première classe des accises, demande qu'il lui soit fait application de la disposition finale de l'article 33 de la loi du 28 mai 1838 pour fixer le chiffre de sa pension. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Neufchâteau demandent qu'il soit pourvu aux trois places d'avoué vacantes près le tribunal de cette ville. »
- Même renvoi.
« M. le ministre de l'intérieur a adressé à la Chambre 126 exemplaires du bulletin du conseil supérieur d'agriculture. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. Van Overloop, obligé de s'absenter, demande un congé. »
- Accordé.
MpVµ. - Messieurs, nous avons reçu la lettre suivante de Mme la douairière Vanden Branden de Reeth :
« Monsieur le président,
« La part que la Chambre a bien voulu prendre à ma douleur, les témoignages de sympathie et de regrets qu'elle a rendus à la mémoire de mon si cher époux, les belles paroles que vous avez prononcées, monsieur le président, m'ont profondément touchée.
« Si quelque chose peut aujourd'hui me consoler un peu de la perte immense que j'ai faite, ce sont assurément les touchants honneurs d'un . deuil public.
« Veuillez agréer, monsieur le président, ainsi que la Chambre, l'expression de ma profonde reconnaissance et l'hommage de mes sentiments très distingués.
« Baronne douairière Vanden Branden de Reeth. »
M. de Macarµ. - Messieurs, la calamité dont la ville de Hasselt vient d'être frappée a produit une profonde sensation dans le pays. Cette émotion n'est que trop expliquée par ce qui s'est passé dans d'autres contrées. Mais, messieurs, cette émotion a produit certaines exagérations qu'il y a lieu d'apaiser et surtout de ne pas laisser exploiter.
Je demanderai donc à l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir donner à la Chambre quelques explications sur l'état de choses existant en ce moment. Je me permettrai de lui signaler en outre quelques faits sur lesquels il serait désirable d'être édifié complètement.
Il m'est affirmé que la maladie existait dans les provinces rhénanes, lorsque le convoi de bœufs auquel on attribue la funeste introduction de la contagion à Hasselt a quitté ce pays.
On se demande dans ces conditions pourquoi la frontière du côté de la Prusse n'a pas été fermée.
Je dois déclarer cependant, messieurs, que je sais que le convoi était couvert par des certificats nombreux et notamment par une attestation de notre consul à Cologne établissant qu'il n'existait aucun cas de maladie dans les provinces rhénanes.
C'est là un fait sur lequel je demanderai à M. le ministre de vouloir bien s'expliquer. Un autre fait, qui serait plus grave encore peut-être, est celui-ci.
Un certain nombre de bêtes serait parvenu à franchir le cordon sanitaire établi autour de Hasselt ou plutôt aurait été mené hors de la ville lorsque la maladie était déjà déclarée mais quand le cordon établi n'était pas encore suffisant pour constituer un blocus complet.
Si ceci est exact, je demanderai à M. le ministre de nous dire quelles sont les mesures qu'il a prises pour parer à cet état de choses et celles qu'il compte prendre encore. Je lui demanderai enfin s'il n'y aurait pas utilité de rétablir sur notre frontière du côté de la Hollande le cordon de troupes qui a existé pendant quelque temps.
Ces postes ont été éloignés lorsque le fléau a quitté le Brabant septentrional et se portait vers la Gueldre. Mais si mes renseignements sont exacts, la maladie a reparu depuis dans cette province et la fraude s'exercerait de nouveau. C'est là un fait des plus graves.
En présence du résultat obtenu par les mesures qui ont été prises l'année dernière, je crois que ce serait une très grande faute que de ne pas persévérer dans la voie suivie avec la plus grande fermeté.
Ce que je dis, messieurs, ne contient pas l'apparence d'un blâme pour M. le ministre de l'intérieur. Ce qu'il a fait l'année dernière doit lui mériter la reconnaissance entière de tous ceux qui s'intéressent à la prospérité agricole, et par conséquent à la prospérité générale du pays. Mais de grands sacrifices seront encore nécessaires peut-être, et toute hésitation serait en ce cas un acte de faiblesse qui pourrait avoir des conséquences tellement graves qu'on hésite à les envisager.
Je ne doute pas, quant à moi, des intentions de l'honorable ministre. Ce qu'il a fait garantit pour moi ce qu'il fera.
Mais je crois qu'il est bon que tout le monde soit convaincu, et je ne doute pas que la déclaration que l'honorable ministre viendrait leur faire, serait de nature à rassurer quelque peu les intérêts si nombreux, si intéressants et si graves que la présence inopinée et foudroyante de la contagion dans le pays alarme sérieusement.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je m'empresse de donner à l'honorable M. de Macar les renseignements qu'il vient de me demander et de répondre aux questions qu'il m'a posées.
Je dois dire cependant tout d'abord qu'il n'y a eu de la part du gouvernement dans cette circonstance, pas plus qu'antérieurement, aucun moment d'hésitation ni de défaillance. Au contraire, les mesures les plus énergiques ont été prises aussitôt que l'on a eu connaissance de l'invasion de l'épizootie.
C'est le dimanche 28 janvier que le gouvernement a appris que le typhus contagieux venait d'éclater à Hasselt ; toutes les mesures qu'exigeait la situation furent immédiatement prises ; des instructions furent données et un fonctionnaire supérieur du département de l'intérieur, qui connaît fort bien ce qu'il y a à faire en pareille circonstance, a été envoyé sur les lieux afin de prêter son concours et de donner des conseils aux autorités provinciales et communales.
Des troupes ont été dirigées de Liège vers Hasselt afin d'y établir un cordon sanitaire et d'isoler les quartiers envahis par l'épizootie ; on a ordonné l'abattage immédiat non seulement de tout le bétail infecté, mais encore de tout le bétail suspect, on a envoyé à Hasselt des professeurs de l'école (page 358) vétérinaire de Cureghem et des élèves de cette école avec leurs répétiteurs, afin d'y aider les hommes de l'art.
Messieurs, le gouvernement a expédié sur les lieux des matières pour désinfecter les étables ; enfin des chevaux et des fourgons ont été envoyés du camp de Beverloo.
Le gouvernement a été puissamment secondé dans son œuvre par la gendarmerie et par les troupes qui non seulement ont contribué à maintenir l'ordre et la police, mais qui ont encore prêté un concours des plus actifs dans toutes les opérations fort désagréables qu'il y a eu à faire à Hasselt depuis le 28 janvier ; les autorités civiles et militaires ont aussi rempli leurs devoirs.
Toutes ces mesures étaient de nature à diminuer la gravité du mal et en effet, du 1er au 4 février, aucun cas nouveau n'a été constaté. Malheureusement, j'ai reçu tantôt d'affligeantes nouvelles ; le gouverneur a été obligé de faire sacrifier encore 50 nouvelles têtes de bétail et je n'ose espérer que nous en resterons là, car les distilleries de Hasselt sont tellement rapprochés qu'il est bien difficile que la contagion ne se propage pas.
L'honorable M. de Macar vous a dit qu'on répandait dans le public des bruits exagérés sur la situation et sur les pertes qui avaient été faite. Je crois qu'il ne sera pas sans intérêt pour la Chambre d'avoir quelques renseignements sur ces points. Voici la situation exacte de l'épizootie à Hasselt jusqu'à ce jour : il est mort 7 animaux tant du typhus charbonneux que du typhus contagieux ; il a été abattu comme atteints ou suspects du typhus contagieux 365 animaux, desquels 140 reconnus malades ont été enfouis et 225 reconnus sains ont pu être livrés à la consommation, ce qui fait donc un total de 370 bêtes mortes de la maladie ou abattues à Hasselt. Depuis il y a eu de plus 15 animaux abattus chez un distillateur. Je viens d'apprendre à l'instant que l'ordre a encore été donné d'en abattre 35 autres qui sont suspectes. Ces chiffres ajoutés au total précédent donnent un nombre de 420 têtes de bétail mortes de l’épizootie ou sacrifiées par mesure de précaution.
On avait parlé de 2,000 à 2,500 têtes de bétail sacrifiées ; vous voyez que nous sommes heureusement encore bien loin de là.
On a exagéré aussi le nombre du bétail qui se trouve à Hasselt. Ce nombre est :
A Hasselt même, chez les distillateurs de 1,795, chez les cultivateurs de 199
Hors ville : chez les distillateurs de 338, chez les cultivateurs de 1,083.
Soit au total de 3,415.
Il me reste à répondre aux questions que m'a posées l'honorable M. de Macar.
L'honorable membre m'a demandé d'abord comment le troupeau de bœufs arrivé de Cologne à Hasselt, et qui semble avoir importé la maladie, a pu entrer en Belgique, c'est-à-dire pourquoi notre frontière du côté de la Prusse n'a pas été fermée.
Lorsqu'il s'agit de prendre une mesure aussi grave que celle d'interdire l'entrée d'une de nos principales denrées alimentaires, il faut que la nécessité en soit bien constatée, il faut y regarder à deux fois. Les discussions qui ont eu lieu dans cette Chambre, les interpellations qui y ont été formulées ont assez prouvé que cette défense lèse gravement des intérêts respectables et surtout un intérêt éminemment respectable, celui de la consommation.
Il ne faut donc prohiber l'entrée des denrées alimentaires dans les circonstances actuelles, qu'en cas d'absolue nécessité. Pour ce motif, le gouvernement a autorisé l'entrée du bétail par la frontière de Prusse, il avait d'ailleurs la certitude qu'il ne régnait aucun cas d'épizootie dans ce pays. Plus tard, on a fait courir, il est vrai, le bruit qu'un cas de peste bovine avait éclaté sur les frontières de la Gueldre.
Le gouvernement n'a pas cru devoir fermer immédiatement la frontière, d'abord parce que la nouvelle n'avait pas un caractère officiel, ensuite parce que la police sanitaire est si bien faite en Prusse que la contagion peut difficilement s'y propager. D'ailleurs le gouvernement français laissait sa frontière de l'est ouverte et le bétail prussien pouvait entrer en Belgique en transitant par la France. Des quantités considérables de bétail allemand avaient été importées en Belgique par cette voie à l'époque où nous maintenions la prohibition à l'entrée par notre frontière de l'est.
Il eût donc été parfaitement inutile de la fermer en Belgique, aussi longtemps que la France ne fermait pasla sienne. Dès que j'ai appris que le gouvernement français était disposé à prendre cette mesure, l'ordre de fermer nos frontières du côté de la Prusse a été donné.
Du reste, je crois que les causes de l'invasion de l'épizootie à Hasselt ne sont pas encore parfaitement connues.
Il est certain que c'est à la suite de l'arrivée de ce troupeau venant de Cologne, que l'épizootie a éclaté à Hasselt ; mais ce bétail était parfaitement couvert, comme vient de le dire l'honorable M. de Macar, par des documents réguliers. Il se peut que le conducteur, qui venait de la Hollande, ait communiqué la maladie à ce bétail, mais il est possible aussi que ce bétail ait été infecté par suite de son séjour dans l'étable d'une auberge près de Hasselt, où sont déposées toujours des denrées venant de la Hollande, car tout le bétail étranger et indigène qui a séjourné dans cette étable depuis 20 jours a été atteint et est aujourd'hui sacrifié. Je ne puis donc pas me prononcer sur ce point, quant à présent. Une enquête sur les causes de l'invasion est ouverte.
L'honorable M. de Macar m'a demandé encore ce qu'est devenu le bétail qui est parvenu à sortir de Hasselt la veille ou l'avant-veille du jour où la maladie a éclaté. A dater du 28 janvier plus une seule tête de bétail n'est sortie de Hasselt ; mais un certain nombre de bœufs auraient été dirigés la veille ou l'avant-veille sur Bruxelles, Liège et Anvers ; dès que le gouvernement a eu connaissance de ce qui se passait, il a immédiatement donné des instructions aux autorités locales, et a fait suivre en quelque sorte les bêtes qui venaient de quitter Hasselt. Tous ces bœufs ont été atteints sans retard, ils ont été séquestrés et sacrifiés dans les 48 heures, tous d'ailleurs ont été reconnus sains. Il n'y a donc aucun danger de ce côté.
L'honorable membre me demande enfin s'il ne serait pas nécessaire d'établir un cordon à la frontière et d'y envoyer des troupes. J'ai appelé sur ce point l'attention de mon collègue des finances ; mon honorable collègue croit que la surveillance établie aujourd'hui est suffisante ; si l'expérience venait à en établir l'insuffisance, on prendrait de nouvelles mesures.
En terminant, je dois faire connaître à la Chambre que depuis le 28 janvier dernier jusqu'à ce jour aucun cas de peste bovine n'a été signalé dans le pays. Il y a eu quelques fausses alertes ; mais, vérification faite, on a reconnu que le mal qu'on signalait n'était pas le typhus contagieux.
Je suis donc fondé à dire que, dans cette circonstance comme précédemment, le gouvernement a rempli son devoir, et qu'il a fait tout ce qui était humainement possible pour détourner du pays cette grande calamité.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, nous applaudissons tous aux mesures énergiques prises par M. le ministre de l'intérieur. Il faut néanmoins reconnaître que ces mesures liées au progrès de la peste bovine entraînent pour les classes ouvrières, dans une proportion considérable, le renchérissement de la viande.
Je me place à ce point de vue, en demandant à M. le ministre de l'intérieur s'il ne croit pas possible d'autoriser, aux frontières où la maladie n'existe pas, l'abattage du bétail étranger. Un vétérinaire du gouvernement constaterait d'abord que le bétail n'est pas atteint de l'épizootie.
Il est reconnu, je pense, qu'il ne peut résulter le moindre inconvénient de l'introduction dans le pays et de la mise en consommation de la viande dépecée. Cela sera surtout incontestable lorsqu'un vétérinaire aura pu constater, dans un lazaret, l'état de santé de l'animal destiné à être abattu.
M. Dubois d'Aischeµ. - Messieurs, je me permets de recommander à M. le ministre de l'intérieur la surveillance très spéciale de la Flandre hollandaise, du côté de la Hollande. Je suis en droit d'affirmer que des fraudes très nombreuses et permanentes se pratiquent de ce côté-là ; je pourrais presque dire que j'en ai des preuves. Dernièrement, dans une conversation particulière avec M. le ministre de l'intérieur, je lui ai signalé un cas dont je ne veux pas reparler ici, pour ne pas prolonger le débat ; mais j'espère qu'avec sa sollicitude constante, il bannira le danger de toutes nos frontières ; je lui recommande de nouveau d'une manière spéciale la frontière de la Hollande, du côté de Stekene. C'est cette frontière qui est la plus exposée.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, j'aurai égard à l'observation que vient de présenter l'honorable député d'Anvers ; déjà des mesures sont prises de ce côté. Tout le bétail sur cette frontière vient d'être recensé. M. le ministre des finances (page 359) et moi, nous nous entendrons pour le faire surveiller avec le plus de soin possible.
Quant à la demande de l'honorable M. Kervyn de Lettenhove, je m'étonne de la voir introduire dans les circonstances actuelles et je ne pense pas que le gouvernement puisse, sans s'exposer aux risques les plus graves, se départir des règles qu'il a adoptées et que je ferai observer le mieux possible.
- Des voix nombreuses . - Appuyé ! Appuyé !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On prend peut-être en ce moment des précautions inutiles ; mais mieux vaut sans doute prendre cent précautions inutiles que d'en négliger une, et d'exposer le pays à un véritable désastre.
- L'incident est clos.
M. Lelièvreµ. - Le fond de la discussion me semble épuisé ; je ne reviendrai donc pas sur le débat principal, mais je dois faire observer à M. le ministre de la justice qu'il existe une véritable antinomie entre l'article 2 de son projet et l'article 4.
L'énonciation écrite dans l'article 2, « payement de l’année échue, a-compte donnés » pour l'année courante, est tirée de l'article 1781 du code civil ; elle suppose la prescription des gages pour le terme d'une année, fixé par l'article 2272 du même code.
Mais, si les gages se prescrivent par trois mois, il ne peut plus être question d'énoncer de quelle manière seront décidées les contestations concernant le payement des gages remontant à plus de trois mois, puisque ces réclamations sont frappées de prescription.
L'article 2 suppose qu'on maintient la prescription réglée par le code civil. Mais si la prescription est réduite à trois mois, les énonciations de l’article 2 ne peuvent plus être conservées. A mon avis, il faut se borner à dire : « sur la quotité des gages et le payement des salaires ».
Une autre considération que je dois soumettre à la Chambre, c'est que l'article 3 interprété dans le sens du discours de M. le ministre de la justice, dans la séance du 2 février, doit nécessairement subir des modifications. M. le ministre déclare qu'il ne veut pas déroger à l'article1367 du code civil, qui n'autorise la délation du serment supplétoire qu'à la partie qui a déjà en sa faveur un commencement de preuve.
Dès lors, il faut remplacer les expressions « en cas d'absence complète de preuve », par celles-ci : « En cas d'absence de preuve complète », ou ce qui serait préférable, on devrait énoncer la disposition en ces termes : « Le juge peut dans les mêmes contestations déférer d'office le serment à l'une ou l'autre des parties, conformément aux articles 1366 et 1367du code civil. »
Je signale ces observations à l'attention du gouvernement.
(page 369) M. Carlierµ. - Messieurs, il y a aujourd'hui trente-six ans, presque jour pour jour, que le Congrès national proclamait l'un des principes essentiels de la vie des peuples libres : l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Il me semble qu'à l'heure même où cette grande règle était proclamée dans cette enceinte, l'article 1781 devait être complètement, abrogé.
Il n'en a pas été ainsi, et à la suite d'un oubli aussi injuste que regrettable, nous sommes appelés aujourd'hui, par le gouvernement lui-même, à faire disparaître du code un article qui le dépare.
Je suis disposé, messieurs, à voter ce projet de loi, non pas amendé par les articles 3 et 5 proposés par le gouvernement ou par la section centrale, mais à voter l'abrogation pure et simple de l'article 1781, appelant ainsi tous les ouvriers, tous les domestiques, tous les citoyens belges en un mot, à jouir de la même façon et avec les mêmes avantages des bienfaits du code civil.
Parmi les orateurs qui se sont fait entendre sur cette question, deux seulement se sont opposés en principe à l'abrogation de l'article 1781. Ce sont MM. Lelièvre et Dumortier.
L'honorable M. Dumortier ne nous a pas fourni de bien amples raisons pour motiver son opposition. Il s'est plaint assez amèrement de se trouver forcé, de par la législation proposée, de demander des quittances à tous ses fournisseurs, voire même à son ramoneur de cheminée. L'honorable M. Guillery s'est chargé de répondre à l'honorable M. Dumortier et lui a montré que le ramoneur de cheminée n'avait rien à faire dans ce débat, que ce fonctionnaire était beaucoup moins noir qu'il ne le paraissait d'après ses fonctions, qu'on pouvait très bien voter l'abrogation de l'article 1781, sans que les rapports de l'honorable membre avec cet artisan en devinssent plus difficiles qu'ils ne l'ont été jusqu'ici.
Je n'ai pas entendu que l'honorable membre ait fourni d'autres raisons à l'appui de son opposition. Je crois qu'il est inscrit au nombre des orateurs qui doivent encore prendre la parole, et s'il formule d'autres raisons, moi et mes honorables amis, partisans de l'abrogation de l'article 1781, nous serons, je crois, prêts à lui répondre.
Quant à l'honorable M. Lelièvre, ses raisons n'ont pas été non plus très convaincantes. La principale est qu'il craignait qu'en abrogeant l'article 1781, nous ne fissions aux ouvriers et aux domestique un fort triste cadeau, un cadeau beaucoup plus regrettable qu'avantageux pour eux.
Je crois que l'honorable M. Lelièvre se trompe et pour le lui démontrer, j'en appelle à l'avocat très distingué, ayant nom Lelièvre, et je lui demande si le code civil tout entier n'est pas un modèle, un chef-d'œuvre de législation, et si, parce que nous ferons disparaître de ce chef d'œuvre une tache qui le dépare, l'article 1781, il se trouvera que le code civil deviendra tout à coup un instrument dangereux, auquel l'ouvrier et le domestique ne pourront recourir sans risquer de se blesser. Evidemment l'honorable M. Lelièvre a conçu, à cet égard, une crainte chimérique, et le cadeau que nous ferons ou plutôt la justice que nous rendrons l'ouvrier, en abrogeant l'article 1781, n'offrira pour lui aucun danger.
Je disais, messieurs, que je me proposais de voter l'abrogation pure et simple de l'article 1781, en repoussant tous les amendements et même les amendements proposés par le gouvernement et par la section centrale. Les raisons qui me poussent sont celles mêmes que l'honorable ministre de la justice a cru devoir produire à l'appui de ses amendements.
La raison générale qu'il a invoquée en faveur des articles 2 et 3, c'est que ces articles prévoient des cas exceptionnels, des cas qui ne se présenteront pas une fois sur cent. Eh bien, messieurs, les lois d'exception sont toujours des lois mauvaises ; on ne fait pas une loi pour une exception qui ne se présente pas une fois sur cent.
L'article 2 du projet amendé nous demande, messieurs, de porter atteinte aux règles qui concernent la preuve testimoniale et qui sont établies par les articles 1341 et suivants du code civil. Je crois, messieurs, qu'il y a là quelque chose de grave et de dangereux. Lorsque dans l'ensemble des relations de la vie civile, dans l'ensemble des rapports entre tous les citoyens, les articles 1341 et suivants doivent être appliqués, lorsqu'il ne s'élève aucune plainte contre leur application, il serait extrêmement fâcheux que pour les relations entre maître et domestique, entre patron et ouvrier il fallût créer d'autres règles. Les dispositions formulées dans l'article 2 me semblent, du reste, complètement inutiles. Il ne se présentera jamais ou presque jamais que patrons ou maîtres doivent recourir à la prouve testimoniale pour une somme supérieure à 150 fr., payée à un domestique ou à un ouvrier.
Supposer qu'un domestique ou un ouvrier puisse accorder au maître ou au patron un crédit assez long pour que le maître doive une somme supérieure à 150 fr., c'est sortir des conditions ordinaires dans lesquelles les choses se passent. Le plus souvent le domestique est payé au mois ou à des intervalles tels que jamais il n'aura contre son maître une créance supérieure à 150 fr.
Cette situation vraie dans les rapports des maîtres et des domestiques est encore bien plus vraie dans les rapports des patrons et des ouvriers.
Le domestique trouve le vivre et le couvert chez son maître, il n'a pas besoin d'argent ; il n'en est pas de même de l'ouvrier, qui doit vivre de son salaire et qui par conséquent ne peut attendre ce salaire assez longtemps pour que son patron lui doive plus de 150 fr.
Ainsi dans la presque généralité des cas, le patron paye l'ouvrier, le maître paye le domestique de telle sorte que jamais l'ouvrier ou le domestique n'ont à réclamer une somme supérieure à 150 fr., et que jamais le patron ou le maître ne peut avoir à justifier du payement d'une somme de plus de 150 fr.
Le code civil, dans un ensemble de législation dont nous avons toujours eu à nous louer, donne au maître les moyens de justifier qu'il s'est libéré vis-à-vis de l'ouvrier sans devoir recourir à des mesures d'exception.
L'honorable M. Gerrits l'a très bien dit, il y a peu de jours, nous sommes le pouvoir, nous sommes les forts, nous avons l'ascendant.
Nous n'avons évidemment rien à craindre de ceux sur lesquels nous exerçons ce pouvoir, cet ascendant.
Dans ces rapports du maître et de l'ouvrier, et je vous présente ces considérations comme s'appliquant à la fois à l'amendement compris dans l'article 2 et à l'amendement compris dans l'article 3, il y a une considération qui, jusqu'ici, a passé inaperçue dans le débat, c'est celle à tirer de la loi sur les livrets.
Veuillez remarquer que le domestique et l'ouvrier doivent être munie d'un livret. Les suppositions que nous avons à faire lorsque nous discutons des lois, nous devons les asseoir sur les lois existantes. Nous devons donc supposer que la loi sur les livrets d'ouvriers reçoit son exécution.
Dans cette supposition, que doit-il arriver ?
Un domestique se présente chez moi et demande à entrer à mon service. Un ouvrier se présente chez un industriel et demande à travailler dans ses ateliers.
L'industriel et moi nous nous renseignons, par le livret, quel a été le précédent patron de l'ouvrier, quel a été le maître précédent du domestique ; agissant alors comme le dicte la prudence la plus ordinaire, nous prendrons des informations pour savoir de quelle manière l'ouvrier, le domestique se sont conduits.
Je suppose que l'un ou l'autre se soit trouvé en situation de réclamer à son précédent maître ou patron une somme supérieure à 150 fr. à prétexte que le précédent maître ou patron n'aurait pas payé le gage ou le salaire. Le maître ou le patron me rendra compte de la conduite du domestique ou de l'ouvrier. Il me dira qu'abusant d'une loi, le domestique ou l'ouvrier a exigé une somme qui ne lui était pas due et qu'il s'est rendu ainsi coupable de fraude et d'improbité.
Si ce maître est un homme d'honneur ou qu'il mérite confiance, sitôt qu'il m'aura fait connaître l'abus dont il aura été victime, je dirai au domestique : Je ne veux pas de vous ; et tout maître dira de même ; et ce domestique qui aura abusé d'une loi que je crois bonne, se sera mis au ban de la société, il sera mis au ban du travail, il aura perdu son gagne-pain pour une somme insignifiante. Il en serait de même pour l'ouvrier et le patron.
Messieurs, parmi les nombreux éléments dont le maître peut tirer parti à l'effet de se mettre à l'abri des actes d'infidélité, d'improbité que l'ouvrier ou le domestique peut commettre à son égard, il y a l'acte écrit.
On dit : Mais demander une quittance à un ouvrier ou à un domestique est chose fâcheuse. C'est se ravaler pour ainsi dire que de reconnaître qu'on est forcé d'exiger d'un tel subalterne, un acte qui démontre la libération. Je crois que cette idée est complètement fausse. Chaque jour, messieurs, vous employez des gens qui vous rendent des services moins coûteux que ceux que rendent vos domestiques, vos ouvriers et cependant vous exigez des quittances de ces personnes. Ne sauriez-vous employer les mêmes précautions à l'égard de vos (page 370) ouvriers ou de vos domestiques ? Mais, dit-on, le domestique n'est pas à même de donner quittance. Ceci vaut une réponse.
Vendredi, M. le ministre de l'intérieur nous disait avec orgueil que, grâce aux sacrifices que le pays s'était imposés en faveur de l’enseignement primaire, on était arrivé à faire une conquête bien plus glorieuse que celles que l'on peut faire sur les champs de bataille, une conquête de 30 p. c. sur l'ignorance ! Tous, nous l'avons applaudi !
Lorsque en présence de cette constatation, il s'en présente une autre, celle que le pays s'impose une dépense de 12 millions l'an pour l'instruction primaire, je crois que nous pouvons attendre d'un pareil sacrifice des résultats importants et que nous pouvons espérer que dans un délai rapproché, tous les domestiques et tous les ouvriers seront à même de donner quittance ou du moins de signer une quittance.
J'entendais dire, il y a peu de temps, qu'il y a même des maîtres qui ne sont pas à même de donner quittance. Une pareille considération doit être complètement repoussée, elle ne mérite pas que nous nous y arrêtions.
Nous faisons des lois. Ce n'est certes pas pour protéger l'ignorance, notre devoir est de la proscrire. Je le disais tout à l'heure, toute loi d'exception est une loi mauvaise.
Je n'admets pas plus d'exception dans l'article 3 que dans l'article 2 et quelques précautions suffiront pour nous mettre à l'abri de toutes les conséquences fâcheuses que le retour complet au droit commun pourrait engendrer.
N'oublions pas, messieurs, que le droit vient toujours au secours de ceux qui règlent diligemment et convenablement leurs affaires, inspirons-nous d'un vieil adage, vigilanlibus jura succurrunt.
J'ai, messieurs, une dernière considération à faire valoir ; elle est délicate et je ne l'aborde qu'avec certaine appréhension.
Nous exerçons en ce moment un grand arbitrage entre deux grandes fractions de la société, les maîtres et les travailleurs ; au moment de décider entre eux, n'oublions pas l'origine du mandat qui nous a confié cet arbitrage.
Le domestique, l'ouvrier, le prolétaire n'ont pas participé à ce mandat ; il nous vient des maîtres, il nous vient des patrons. Nous aussi nous sommes au rang des maîtres, que cette situation ne nous fasse pas suspecter de partialité ; soyons. non seulement justes, mais soyons généreux. Prouvons à l'ouvrier qu'il peut avoir confiance en nous comme nous avons confiance en lui et notre vote marquera dans les annales du progrès.
(page 359) M. Liénartµ. - Si l'on consulte les discours qui ont été prononcés sur le sujet qui nous occupe, il semble qu'il n'y ait qu'un seul système qui soit inspiré par des sentiments véritablement démocratiques et que tous les autres systèmes, y compris même l'amendement de l'honorable ministre de la justice, renferment, au moins en germe, une pensée de défiance et d'hostilité vis-à-vis de l'ouvrier.
Je n'ai pas mission de défendre contre ce reproche les divers amendements, mais je tiens à prouver à la Chambre qu'en votant l'amendement de la section centrale, je crois placer l'ouvrier et son patron, le domestique et son maître sur un pied de parfaite égalité.
L'article 1781 fait un procès de tendance à l'ouvrier, je ne fais aucune difficulté pour le reconnaître. L'égalité est rompue au profit du maître et au détriment de l'ouvrier et du domestique.
On peut faire valoir des motifs plus ou moins plausibles pour justifier cette préférence accordée au maître, mais puisque inégalité il y a et surtout puisque cette inégalité a été publiquement signalée, je suis tout disposé à la faire disparaître et coûte que coûte je veux rétablir entre le maître et l'ouvrier l'égalité la plus complète et la plus absolue. L'amendement que j'ai présenté n'avait d'autre but. Je ne l'ai retiré, de l'avis de la section centrale, que pour des motifs étrangers à la matière actuelle.
Aussi, je le déclare franchement, si quelqu'un me prouve que l'égalité n'est pas parfaitement et scrupuleusement sauvegardée dans l'amendement de la section centrale, je voterai contre cet amendement.
Mais, messieurs, cette preuve est impossible ; je porte aux adversaires de l’amendement de la section centrale le défi de prouver le fondement du reproche qu'ils lui ont adressé en disant, comme quelques-uns l'ont fait, que cet amendement n'était que le maintien déguisé de l'article 1781 du code civil. Cette critique, je la répudie de toutes mes forces.
De quoi s'agit-il, et qu'est-ce en effet que l'amendement de la section centrale ?
L'amendement de la section centrale, c'est le droit commun pour l'ouvrier comme pour le maître, sauf qu'il étend les facilités de preuve. Mais, veuillez bien le remarquer, ces facilites profitent à l'ouvrier autant qu'au maître.
C'est là le seul point que je voudrais mettre en lumière et c'est pour ce motif que j'ai demandé la parole. Je serai court et je prie la Chambre de m'accorder encore un instant de bienveillante attention.
On est parti, messieurs, de l'idée suivante : il n'est pas d'habitude dans les relations d'ouvrier à patron, et de domestique à maître, de recourir à des écrits. Tout le monde est d'accord sur ce point. Il en résulte que les seules preuves possibles sont la preuve testimoniale, la présomption et le serment.
Mais il peut arriver que dans certaines circonstances chacune de ces preuves vienne à faire défaut ; ainsi la preuve testimoniale est interdite au-dessus de 150 fr. ; le serment supplétoire du juge n'est admis que lorsqu'il y a commencement de preuve. Ces conditions rigoureuses de la loi générale peuvent venir à manquer dans la matière spéciale qui fait l'objet de notre examen, et ce sont précisément là les difficultés que présente l'application du droit commun à la matière qui nous occupe et qui est toute spéciale, il faut en convenir.
Eh bien, qu'a voulu la section centrale ? La section centrale a voulu obvier à ces deux inconvénients qu'une première discussion avait révélés, en édictant des preuves spéciales pour une matière spéciale ; rien que cela.
Mais, s'est écrié l'honorable préopinant, des preuves spéciales, c'est le privilège ! C'est là une grande confusion. Les preuves que nous introduisons ne sont spéciales ni aux ouvriers ni aux maîtres ; au contraire, ce mode de preuves spéciales est commun à l'ouvrier et au maître, l'un comme l'autre en profitera ; il n'est spécial qu'à la matière qui nous occupe, ce qui est tout différent. Or, quelles sont ces dérogations au droit commun ? Il n'y en a que deux. Au-dessus de 150 francs la section centrale propose d'admettre la preuve testimoniale comme au-dessous de 150 fr. ; voilà la première dérogation ; ensuite la section centrale permet au juge de déférer le serment alors même qu'il y aurait absence complète de preuves. Voilà la seconde dérogation.
Maintenant, je réitère ma demande aux adversaires de l'amendement de la section centrale, aux partisans de l'abrogation pure et simple da l'article 1781. En quoi la position du maître vis-à-vis de l’ouvrier est-elle améliorée ou autrement dit : en quoi la position de l'ouvrier vis-à-vis du maître est-elle diminuée par l'une ou l'autre de ces dérogations ?
Je dois faire remarquer aux adversaires de l'amendement de la section centrale qui se posent trop volontiers en seuls défenseurs de la cause ouvrière, que l'ouvrier profitera tout autant que le maître des facilités de preuve que nous introduisons dans la loi.
Jusqu'à présent dans cette discussion on a supposé d'une façon trop exclusive que l'ouvrier avait toujours une preuve facile à faire. Moi-même, je l'avoue, j'ai raisonné uniquement dans cette hypothèse lorsque pour la première fois j'ai pris part à ce débat. Mais cette supposition n'est pas toujours exacte.
Il ne suffit pas, en effet, à l'ouvrier d'établir qu'il a servi pendant un certain nombre de jours ou de mois ; il faut encore qu'il apporte la preuve du salaire qui a été convenu.
Or, lorsqu'on écarte la preuve testimoniale, qui en droit commun est interdite au-dessus de 135 fr., la preuve de l'ouvrier peut être aussi difficile à faire que le serait pour le maître celle de sa libération.
Dans cette conjoncture et dans d'autres semblables l'ouvrier profitera de l'extension que l'amendement de la section centrale apporte aux modes de preuve aujourd'hui admis par la loi.
El pour parler plus spécialement du serment, d'après l'amendement de la section centrale le serment n'est plus forcément déféré au maître. Le juge peut le déférer soit au maître soit à l'ouvrier, d'après les inspirations de sa conscience.
Vous le voyez donc, messieurs, l'amendement de la section centrale, quoi qu'on en ait dit, consacre, d'une façon parfaite, le principe, d'égalité que j'ai à cœur de faire triompher ici, comme partout ailleurs. Si ces amendement sort du droit commun, s'il augmente les facilités de preuve, c'est uniquement dans l'intérêt de la vérité, c'est pour débarrasser la vérité des nuages qui peuvent l'envelopper au sein de la famille et pour la faire sortir du foyer domestique où elle se trouve cachée.
(page 360) Je dois ajouter, en terminant, que, pour ma part, je regrette virement que M. le ministre de la justice, après avoir abandonné, timidement, il est vrai, légèrement, il le dit, la cause de l'abolition pure et simple de l'article 1781, en soit arrivé dans la seconde séance à donner à son amendement une portée différente de l'amendement de la section centrale, et une interprétation que nul dans cette Chambre n'avait soupçonnée avant qu'elle fût exposée. Je le regrette, parce que M. le ministre de la justice maintient dans son amendement le raccourcissement de la prescription et que je considère ce raccourcissement non pas comme une superfétation, comme l'a jugé la section centrale, mais au contraire comme un complément utile qui peut trouver sa place, même dans les amendements de cette section.
M. Delcourµ. - J'ai demandé la parole, messieurs, lorsque j'ai vu le débat sortir des limites dans lesquelles, selon moi, il aurait fallu le maintenir,
L'honorable M. Carlier a terminé son discours par une pensée extrêmement généreuse ; il nous a dit : Nous sommes ici les représentants des censitaires ; nous n'avons pas été appelés au sein de la représentation nationale par les ouvriers ni par les domestiques ; il faut donc que nous nous montrions généreux envers cette classe de la société, en quelque sorte déshéritée par nos lois civiles.
Messieurs, ce n'est pas à ce point de vue qu'il convient de se placer ; nous ne faisons pas une loi politique ; nous faisons une loi éminemment civile.
Nous discutons une question de preuves en matière civile : l'unique question est de savoir si, en abrogeant l'article 1781 du code civil, nous établirons des règles de preuve propres à sauvegarder les intérêts en cause, ou bien si nous nous jetterons dans toutes les difficultés qu'entraînerait l'abrogation pure et simple de la disposition citée. Telle est la véritable portée du débat ; je n'en aperçois pas d'autre. On peut donc combattre le système proposé par l'honorable ministre de la justice sans être accusé de ne pas défendre les intérêts du peuple, des classes ouvrières.
Cependant ne croyez pas, messieurs, que je vienne combattre la proposition du gouvernement. Mais, afin de justifier mon vote, permettez-moi de résumer les différents systèmes qui sont en présence.
Le débat a soulevé trois systèmes.
Les uns prétendent qu'il faut maintenir l'article 1781 purement et simplement ; qu'il n'y a pas de motif assez grave pour en prononcer l'abrogation.
Selon d'autres, il est nécessaire d'abroger l'article 1781 purement et simplement, sans le remplacer par aucune disposition nouvelle. Dans ce système, les contestations qui s'élèveraient entre les maîtres et les domestiques, entre les patrons et les ouvriers, seront décidées par les preuves ordinaires, par les preuves admises par le droit commun.
Enfin il s'est produit un troisième système. On consent à l'abrogation de l'article 1781, mais à la condition de remplacer l'article abrogé par une nouvelle disposition, attendu que l'application des règles du droit commun entraînerait les plus grandes difficultés et serait insuffisante dans la plupart des cas.
Le gouvernement a hésité entre les deux derniers systèmes. Le projet de loi a proposé l'abrogation pure et simple de l'article 1781. Mais depuis, et à la suite des discussions qui ont lieu dans cette enceinte, le ministre de la justice a présenté des amendements qui ont complété les lacunes qui avaient été signalées. Ces amendements ont profondément modifié le projet de loi primitif ; ils tendent à sauvegarder les intérêts nombreux et délicats engagés dans le débat.
Telle est, messieurs, la situation réelle, la situation vraie.
Bien des attaques ont été dirigées contre l'article 1781. Ne croyez pas, messieurs, que j'entende défendre cet article. Non, mais je veux être juste.
Je dis cependant qu'en attaquant cette disposition comme une atteinte portée aux droits des classes ouvrières, qu'en l'attaquant comme un principe contraire à l'égalité politique et civile des Belges, on exagère singulièrement la portée de la disposition.
Tous ceux qui se livrent à l'étude approfondie des lois n'ignorent pas que l'article 1781 n'a point une origine féodale, que son origine est essentiellement populaire.
Il suffira, pour l'établir, de dire comment l'article 1781 a été introduit dans le code civil. A l'époque où le code civil a été discuté et voté, l'égalité de tous les citoyens était aussi complète qu'aujourd'hui ; la France était soumise au régime républicain. Plus tard, en 1848, lorsque la question de l'abrogation de l'article 1781 fut portée devant l'assemblée nationale, la France était de nouveau régie par une constitution républicaine, et les députés, au sein de cette assemblée, se traitaient de citoyens.
Eh bien, l'article 1781 est resté debout, quoique l'assemblée appelée à prononcer fût issue du suffrage populaire.
Qu'on ne vienne donc plus nous dire que l'article 1781 est fait contre la classe ouvrière, contre les domestiques. Non, pas une assemblée, issue du suffrage universel, n'eût laissé subsister une disposition aussi humiliante pour le peuple. Si je consens, messieurs, à son abrogation, c'est parce que je me dis, avec l'honorable M. de Brouckere, qu'il y a des questions qui, une fois posées, doivent être résolues. Je voterai l'abrogation de l'article 1781.
Je répète, messieurs, qu'on peut défendre le maintien de l'article 1781 sans blesser aucun principe, sans blesser même l'égalité civile qui doit régner entre les Belges.
J'arrive maintenant au deuxième système.
Ce système, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, consiste à abroger purement et simplement l'article 1781.
Je me demande d'abord, messieurs, si cette abrogation est possible ; je me demande quelle en sera la conséquence ? La conséquence, messieurs, en sera que les contestations qui s'élèveront entre les maîtres et les domestiques sur la quotité des gages ou sur le payement des salaires, seront décidées d'après le droit commun. Or, la mission du droit commun est d'établir des règles de preuves pour décider les contestations ayant pour objet les faits juridiques généraux. Mais, s'il y a lieu de régler des situations particulières, des situations exceptionnelles comme celles qui résultent des rapports entre maître et domestique, entre le patron et ses ouvriers, il faut une législation spéciale. Quoi que vous fassiez, vous n'empêcherez pas qu'il y ait, entre le maître et le domestique, des relations d'autorité, des relations de subordination ; ces relations sont dans la force des choses ; si vous n'en teniez pas compte dans la loi civile, vous méconnaîtriez un des premiers devoirs du législateur.
En renvoyant, messieurs, aux principes généraux admis pour la preuve des contrats et des obligations, la loi créerait des difficultés inextricables.
Nous connaissons tous les modes de preuve admis par le droit commun ; je n'entrerai pas dans les détails du droit sur ce point. Mais j'affirme que, dans le plus grand nombre des cas, les preuves ordinaires ne seront point admissibles, soit en faveur de l'ouvrier pour établir sa créance contre le patron, soit en faveur du maître pour établir sa libération.
On a parlé, messieurs, des livrets. Sans doute, un livret sur lequel le maître inscrirait les payements qu'il a faits au domestique ou à l'ouvrier présenterait un moyen de preuve facile. Mais je ne compte pas sur l'efficacité de ce moyen eu présence de la répugnance qu'il inspire à nos classes ouvrières. Est-ce au moment où nous discutons une loi qui a pour objet de relever la dignité de nos classes laborieuses, que nous pouvons penser à étendre une législation qu'elles combattent elles-mêmes au nom des principes démocratiques ?
Il faut donc, si la législature abroge l'article 1781 du code civil, que cette disposition soit remplacée par d'autres règles. L'amendement de M. le ministre, modifié par la section centrale, répondrait à cette lacune. L'honorable M. Carlier a rappelé, messieurs, les dépenses considérables que l'Etat fait en faveur de l'instruction primaire ; tous, nous désirons que l'instruction se répande et que nos classes laborieuses sachent lire et écrire. Mais, ce vœu, messieurs, ne modifie en rien la question que nous discutons. Les contestations entre les maîtres et les domestiques cesseront-elles ? Sera-t-il moins nécessaire d'organiser un système de preuve pour vider ces contestations ? Evidemment non ! Ne nous berçons pas, messieurs, d'illusions qui ne se réaliseront jamais.
Quel est donc le véritable système ? Je l'ai dit en commençant. Si j'avais eu l'honneur d'être à la place de M. le ministre de la justice, je n'aurais pas proposé l'abrogation de l'article 1781 ; mais aujourd'hui que la question est soulevée, je ne reculerai pas, je voterai l'abrogation de l'article 1781, à la condition de le remplacer par une disposition nouvelle.
L'amendement déposé par M. le ministre de la justice répondait assez bien à la situation. Il a été adopté par la section centrale, avec un léger changement de rédaction. Au fond, l'amendement de M. le ministre reproduit celui de M. Pirmez, avec quelques modifications, que j'approuve.
Mon honorable ami, M. Liénart, vous a dit, dans un magnifique (page 361 ) langage, quelle avait été la pensée de la section centrale, en se ralliant à l'amendement de M. le ministre.
Cette pensée était d'établir un système d'égalité parfaite, entre les maîtres et les ouvriers ; elle a voulu qu'ils pussent, les uns et les autres, invoquer les mêmes preuves.
On reproche à l'article 1781 d'établir une preuve exceptionnelle au profit du maître contre le domestique ; la section centrale dit à son tour : « Je ferai tomber cette supériorité, et j'établirai l'égalité la plus parfaite entre eux. »
Le système proposé par M. le ministre et la section centrale se réduit à ceci : « A défaut de preuves écrites. » Ainsi l'écrit se présente en premier lieu dans l'ordre des preuves. S'il y a une preuve écrite, soit de la part du maître contre l’ouvrier, soit de la part de l'ouvrier contre le maître, l'écrit fera foi ; on le produira et la contestation sera décidée.
A défaut de preuve écrite, l'amendement admet la preuve testimoniale. En cela, l'amendement s'écarte complètement du code civil.
Dans les contestations dont nous parlons, la preuve testimoniale n'était point admise même lorsque la valeur du litige était inférieure à 150 francs ; on vous propose de l'étendre et de la décréter même dans les cas où la valeur excède 150 francs.
Ainsi donc, égalité parfaite ; les preuves seront communes à toutes les parties ; le domestique y recourra pour prouver sa créance, le maître pour établir sa libération.
Messieurs, consultons notre propre expérience ; lorsque nous contractons avec un domestique, lorsque nous lui faisons un payement, tout se passe entre nous, sans témoins, sans écrit : la preuve testimoniale elle-même ne pourra pas être reçue dans le plus grand nombre de cas.
Enfin, messieurs, en cas d'absence complète de preuve, le serment sera déféré d'office par le juge à l'un ou à l'autre des parties. C'est là encore une délégation au droit commun, mais rendue nécessaire.
Le principal reproche adressé au système présenté par la section centrale, c'est de consacrer l'arbitraire du juge.
Oui, messieurs, on a consacré l'arbitraire du juge, mais pouvait-on faire autrement ? Il y a un litige, on ne peut invoquer des preuves écrites, on ne peut recourir à la preuve orale. Comment la contestation sera-t-elle vidée si on ne permet pas au juge de recourir au serment supplétoire ? Je ne crains pas cet arbitraire. Nos juges sont des hommes intègres, instruits et capables ; ils m'inspirent la plus grande confiance.
En présence de ces observations, je ne crains pas de dire que l'amendement de M. le ministre a une importance réelle. Ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu l'honorable M. Bara diminuer cette importance.
A mes yeux, l'importance de l'amendement est si grande, que je ne crains pas d'affirmer que, si vous abrogez l'article 1781 purement et simplement, le gouvernement sera obligé, avant dix ans, de nous préparer une disposition nouvelle.
Persistant dans le même ordre, M. le ministre a dit encore que le louage des domestiques est un contrat ordinaire qui peut être prouvé par les moyens de preuve ordinaires. Pourquoi s'écarter, ajoute-t-il, des règles du droit commun ?
Il n'est pas aussi exact de dire, messieurs, que tous les contrats sont soumis aux mêmes modes de preuve.
En matière de preuve, l'égalité ne consiste pas à décréter la même preuve dans tous les cas. Elle consiste à établir que toutes les parties qui se trouvent dans une même situation pourront chacune invoquer la preuve établie.
L'argument de M. le ministre prouve trop, et par conséquent ne prouve rien.
Le contrat de louage me fournit la preuve de ce que j'avance.
Supposons le louage d'un immeuble. La loi écarte, afin de prévenir les procès, la, preuve testimoniale pour établir l'existence du bail qui n'a point encore reçu de commencement d'exécution.
Elle prévoit encore le cas où la contestation a pour objet le payement du prix : à défaut de quittance, le code décide de nouveau que le propriétaire en sera cru sur son serment.
Vous voyez donc, messieurs, que la loi peut, sans danger, établir une preuve spéciale dans le cas qui nous occupe.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne veux point répondre aux honorables orateurs que la Chambre vient d'entendre, je n'ai qu'une explication à donner, elle est nécessaire pour bien fixer le débat.
Messieurs, l'honorable M. Delcour se trompe quand il suppose que le gouvernement a retiré ses amendements ; il n'en est rien ; ces amendements subsistent.
Il se passe un phénomène très remarquable : la section centrale a modifié légèrement les amendements que j'ai eu l'honneur de déposer, et des membres qui ne font pas partie de la section centrale s'efforcent d'interpréter mes propres amendements qu'ils prétendent être les amendements de la section centrale dans un sens qui est complètement contraire aux idées que j'ai développées.
II est évident, messieurs, que si cette erreur se perpétue, si l’assemblée veut toujours discuter sur cette équivoque, à savoir que je veux la même chose que la section centrale, pour autant que la section centrale veuille ce qu'on lui fait dire, alors nous ne sortirons pas du débat. Il serait donc important de savoir ce qu'a voulu et ce que vaut la section centrale.
Mais avant de connaître les intentions de la section centrale que j'aimerais d'entendre exprimer par des membres qui en font partie et non par des membres qui n'en font pas partie...
M. Liénartµ. - Nous avons été appelés à la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez été appelés pour donner des explications sur votre amendement, mais non à voter. Veuillez remarquer que mes amendements avaient été renvoyés à la section centrale et que celle-ci, dans un premier rapport, avait approuvé, la suppression complète de l'article 1781.
Et dans son second rapport voici comment la section s'exprime : « Cependant la section centrale reste d'avis que l'on exagère les conséquences de l'abrogation pure et simple de la disposition dont il s'agit. Le maître est suffisamment garanti par le droit commun qui ne deviendra pas la source de décisions injustes comme on l'appréhende. Les motifs de sa manière de voir ont été exposés ; il est inutile d'y revenir. »
Voilà donc la section centrale qui, dans son second rapport, maintient le système premier du gouvernement, et dit nettement qu'elle persiste dans ses appréciations.
L'honorable M. Delcour vient d'exposer les systèmes qui sont en présence et qui, d'après lui, seraient au nombre de trois. L'honorable membre s'est trompé ; il y a quatre systèmes en présence, du moment que l'on veut considérer comme un système les amendements que j'ai déposés.
Indiquons-les :
Le premier, c'est le maintien de l'article 1781.
Le second, qui lui est tout à fait opposé, c'est l'abrogation pure et simple de l'article 1781.
Le troisième système, c'est la substitution d'un autre mode de preuve à l'article 1781.
Mais il y a un quatrième système, si vous voulez l'appeler système : c'est l'abrogation pure et simple de l'article 1781 pour quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, et un mode de preuve spécial pour le centième cas. Voilà ce que vous n'avez jamais voulu comprendre depuis le commencement du débat. Et voilà sur quoi porte la discussion.
On est venu dire au gouvernement : Mais l'abrogation de l'article 1781 est impossible au delà de 150 fr. Que fera le juge, s'il n'y a pas de preuve écrite ? J'ai répondu que cela ne se présentera pas, parce qu'il s'agit d'un cas plus qu'exceptionnel ; parce qu'il serait dû à une très mauvaise habitude et qu'il n'est pas ordinaire qu'un domestique dont les gages sont supérieurs à 150 fr. ne sache pas signer ; vous n'avez qu'à vous procurer une preuve écrite et pas n'est besoin de déroger au droit commun. Il est, en effet, certain, et c'est ce que tous les auteurs reconnaissent, que toutes les contestations de ce genre porteront sur des sommes inférieures à 150 fr. Cependant par voie de concession, j’ai dit que je ne m'opposais pas, pour le cas tout exceptionnel qu'on indiquait, à ce qu'on admît la preuve testimoniale.
Est-ce là changer de système ? Est-ce renverser, l'abrogation pure et simple de l'article 1781 ? Non. C'est dire tout simplement que, dans un cas exceptionnel qu'on a signalé, on pourra recourir à la preuve testimoniale.
Quant à l'article 5, quelle était sa portée ? Elle était bien simple. Je vous ai dit qu'il pouvait y avoir des cas dans lesquels les parties ne peuvent apporter aucune espèce de preuve à l'appui de leurs dires respectifs.
M. Thonissenµ. - Quels cas ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je les ai cités et je vais vous en citer encore. Si l'honorable M. Thonissen avait entendu ou avait lu mes discours, il ne m'adresserait pas cette question.
M. Thonissenµ. - Je les ai très bien écoutés. Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - II ne faut pas vous animer pour cela.
(page 362) M. Thonissenµ. - C'est vous qui vous animez.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai dit que s'il se présentait des espèces, où ni le demandeur ni le défendeur ne pouvaient apporter de preuves, le juge pourrait déférer le serment, mais bien entendu pas dans le cas où une partie prouverait son droit.
Et j'ai pris des exemples : Un domestique se présente devant le juge. Il soutient qu'il a servi pendant autant de temps. Ce point est reconnu. Mais le domestique prétend que son gage est de 10 fr. par mois. Le maître prétend que le gage n'est que de 8 fr. Personne n'apporte de preuves et n'offre de preuves. Que doit faire le juge ? Il y a absence complète de preuve, c'est-à-dire ni preuve, ni commencement de preuve pour autoriser le serment supplétoire selon l'article 1367 du code civil. Eh bien, j'ai dit : On pourrait, ainsi que cela se pratiquait sous le droit coutumier, faire une enquête à l'effet de savoir comment les autres maîtres payent leurs domestiques |et j'ai ajouté : Evitons une enquête pour ce cas exceptionnel. Permettons au juge de déférer le serment à l'une ou l'autre des parties.
Voici un autre cas ; je l'ai aussi cité.
Je suppose qu'un ouvrier se présente et dise : J'ai travaillé autant de temps chez mon maître. Le maître répond : Non ; mon ouvrier n'a travaillé que tel laps de temps. L'ouvrier demande à prouver par témoins ; le maître fait une contre-enquête. Mais ni l'enquête ni la contre-enquête n'établissent la durée du travail ; ni d'un côté ni de l'autre, il n'y a pas de preuve. Eh bien, dans ce cas, disais-je, laissons au juge la faculté de déférer le serment.
Mais voici la différence entre le système de la section centrale et celui du gouvernement, pour autant que le système de la section centrale soit tel qu'on le dise, pour autant que ce système soit tel que l'honorable M. Pirmez le prétend, c'est que si le droit d'une des parties est parfaitement prouvé, si, par exemple, l'ouvrier établit qu'il lui est dû, à titre de salaire, une somme de 200 fr., le maître, s'il prétend qu'il s'est libéré, peut, dans ce système, être admis par le juge à prêter serment, et l'ouvrier, malgré sa preuve, sera débouté (interruption), tandis que dans mon système l'ouvrier doit triompher.
(erratum, page 418) Oui, c'est une aggravation, et je vais le prouver par un exemple. Sous la législation actuelle, quand l'ouvrier a un titre écrit, il ne peut y avoir lieu à l'application de l'article 1781. Cela est constant. L'honorable M. Delcour me fait un signe d'assentiment.
Eh bien, je suppose qu'un maître donne à son domestique un écrit dans lequel il reconnaît lui devoir 200 fr. de gages. L'ouvrier va en justice, produit son titre et le maître a beau dire : Je me suis libéré, le tribunal ne peut pas lui déférer le serment. Voilà la législation actuelle. Si le système de la section centrale, tel qu'il est interprété par l'honorable M. Pirmez, vient à triompher, l'ouvrier pourra voir tomber son titre devant l'affirmation du maître.
Or, si l'on n'est pas tenu de supprimer l'art.icle1781, assurément on est moins tenu encore de le rendre plus injuste. Si nous ne pouvons pas faire une loi pour assurer le règne de l'égalité civile sous le rapport de la garantie de la propriété, il n'y a pas lieu, je pense, de faire un pas de plus dans une voie où l'on ne prend pas pour guide les principes du droit publie moderne.
Messieurs, je ne discute pas pour le moment ; je me borne à préciser la différence qui existe entre les systèmes en présence. Oui, les amendements de la section centrale et ceux du gouvernement sont les mêmes, si la section centrale donne à mes amendements la portée qu'elle doit leur donner. Mais si les amendements de la section centrale ont la portée que leur attribue l'honorable M. Pirmez, ces amendements sont l'aggravation de l'article 1781 du code civil.
M. Vander Maesen, rapporteurµ. - Messieurs, je ferai d'abord une déclaration, c'est que la section centrale, pas plus que le gouvernement, ne tient à ses amendements. (Interruption.)
- Plusieurs membres. - C'est dans le rapport.
M. Vander Maesen, rapporteurµ. - Si la section centrale vous a présenté des amendements, c'est qu'elle y était conviée par la Chambre et en particulier par l'honorable ministre de la justice. En effet, le ministre de la justice avait proposé l'abrogation de l'article 1781 dans un exposé des motifs aussi énergique que bien pensé ; la section centrale avait admis purement et simplement son projet d'abrogation, et lorsque son rapport a été soumis à la Chambre, il est arrivé ceci de singulier qu'aucune objection ne s'étant présentée en sections, aucune contradiction ne s'étant rencontrée en section centrale, de tous côtés dans la discussion les oppositions ont surgi : on a représenté l'abrogation de l'article 1781 comme devant nécessairement livrer le maître pieds et poings liés au domestique ou à l'ouvrier.
L'honorable M. Dumortier nous a dit : « Lorsque je renverrai un domestique fripon, si je ne veux pas lui donner un bon certificat, il me fera assigner et m'en délivrera un mauvais.» Ces arguments ont paru exercer quelque influence sur la Chambre, car M. le ministre de la justice a formulé des amendements à son projet primitif, et le tout a été renvoyé à la section centrale. Or, la section centrale a eu soin de déclarer, dans son deuxième rapport, qu'elle reste persuadée que l'abrogation pure et simple de l'article 1781 est le seul mode raisonnable et sérieux d'abroger cette disposition ; elle éprouverait quelque doute que toutes les difficultés qui surgissent dans cette Chambre sur l'application des dispositions exceptionnelles que l'on propose pour des cas exceptionnels, seraient pour elle la meilleure preuve qu'il faut que nous en revenions au projet primitif du gouvernement. »
Voici ce que nous disions :
« La section centrale reste d'avis que l'on s'exagère les conséquences de l'abrogation pure et simple de la disposition dont il s'agit. Le maître est suffisamment garanti par le droit commun, qui ne deviendra pas une source de décisions injustes, comme on l'appréhende. Les motifs de sa manière de voir ont été exposés ; il est inutile d'y revenir. »
En effet, l'hypothèse de l'honorable M. Dumortier n'est pas possible, c'est un fantôme que l'on fait apparaître, comme tous ceux que l'on crée quand une réforme est présentée ; le domestique renvoyé n'assignera pas son maître pour lui donner un mauvais certificat, parce qu'il saura que c'est à lui-même qu'il en donnera un mauvais, un détestable ; on le trouvera chaque fois quand on ira prendre des renseignements chez son ancien maître ; son intérêt d'accord avec la morale sera un frein à une pareille conduite.
Il n'arrivera donc pas que le maître sera poursuivi de demandes illégitimes. Toutes ces idées parlent des abus d'un autre âge ; on pense que les domestiques sont encore des Mascarille et des Scapin ; cela se rencontrait dans les comédies et aujourd'hui cela ne se présente plus nulle part.
La section centrale reste donc convaincue que le meilleur moyen est d'abroger purement et simplement l'article 1781. Mais elle a été saisie de nombreux amendements, il en avait plu un peu de toutes parts. Cela lui paraissait un signe des dispositions de la Chambre. Il lui a semblé que les difficultés soulevées avaient un côté réel ; elle s'est dit : Lorsque la demande de l'ouvrier porte sur une somme supérieure à 150 francs, le droit commun ne suffit pas pour parer à toutes les éventualités. Il exige, dans cette circonstance, que l'on produise une preuve écrite ; la preuve écrite pourra-t-elle être toujours fournie ? Non, elle ne pourra pas être produite, d'abord à cause de l'ignorance qui règne encore chez un grand nombre de personnes. On a constaté dans la dernière discussion que 30 p. c. des miliciens ne savent pas lire et écrire. Cette proportion est encore énorme, surtout lorsque vous considérez que ces 30 p. c. appartiennent presque exclusivement à la classe des ouvriers et des domestiques.
Dans cet état de choses, comment pourra-t-on se procurer la preuve écrite ? Ira-t-on chez le tabellion ? Ne prendra-t-on un domestique que de la main d'un fondé de pouvoir muni d'une procuration authentique ? Les usages, les mœurs répudient l'emploi de toutes ces précautions dans les relations entre maîtres et domestiques, entre ouvriers et patrons. On ne retire pas de quittances. Pourriez-vous dire que, parce que vous aurez fait votre loi, les mœurs changeront du jour au lendemain ? Assurément non. C'est pour parer à ces difficultés que la section centrale s'est demandé s'il n'y avait pas quelque chose à faire. Elle a pensé qu'il y avait à rechercher des règles nouvelles possibles qui pussent être appliquées sans blesser les principes de justice et d'égalité et qui donnassent des garanties à l'ouvrier et au maître. Deux moyens se présentaient : c'était, car la difficulté n'existe que lorsque la somme réclamée excède 150 francs, c'était d'élargir le cercle des preuves, de permettre au domestique ou à l'ouvrier de prouver par des moyens que le droit commun ne lui accorde pas lorsqu'il s'agit de plus de 150 fr.
Un autre moyen existait. Celui-ci avait pour but d'empêcher les réclamations de plus de 150 fr. d'arriver devant la justice, c'était la prescription. Nous n'en avons pas voulu, je dirai tout à l'heure pourquoi. Nous avons dit, comme M. le ministre dans son amendement, qu' « à défaut de preuves écrites, les contestations entre maîtres et ouvriers pouvaient être décidées par les preuves admises lorsque l'objet ne dépasse pas 150 fr. »
J'aborderai, messieurs, la question délicate du débat, celle de savoir si, par les changements de rédaction, nous avons admis d'autres amendements que ceux de M. le ministre.
Je dirai que, quant à moi, j'ai toujours cru que les amendements que (page 363) nous proposions étaient ceux que M. le ministre avait formulés ; mais les explications qui ont été fournies à la dernière séance nous ont prouvé que nous n'étions pas tout à fait d'accord.
En effet, messieurs, nous avons rédigé l'amendement en disant que la preuve testimoniale était admise même au delà de 150 fr., sans répéter l'expression « à défaut de preuve écrite ». Cette expression avait été écartée par la section centrale comme parfaitement inutile.
Il est évident, disions-nous, que celui qui a devers lui la preuve par excellence, la preuve écrite, ne songera pas à invoquer la preuve testimoniale.
En d'autres termes, nous avons cru que l'expression, à défaut de preuve écrite, se rapportait à la quotité des gages ou à la libération du maître, c'est-à-dire à l'action ou à l'exception, parce que le juge n'a pas à statuer sur les deux choses à la fois, mais sur l'une ou l'autre. Il ne peut se préoccuper de la libération que pour autant que l'obligation soit trouvée.
Nous ne partageons pas non plus l'interprétation donnée à l'article 3, où l'on fait encore porter l'absence de preuve à la fois sur la demande et la défense. Les termes des amendements ne permettent pas une pareille manière de voir ; mais à quoi bon discuter plus longtemps ?
M. le ministre l'entend autrement. Je ne sais pas quel eût été l'avis de la section centrale si elle avait eu à se prononcer sur cette interprétation, mais je crois être son interprète en disant qu'elle avait compris l'amendement tel que nous l'avions admis, tel que je viens de vous l'expliquer.
Messieurs, je serai fort heureux pour ma part d'admettre l'interprétation des amendements de M. le ministre parce qu'elle se rapproche davantage de l'abrogation de l'article 1781, que nous proposons avant tout à la Chambre.
J'en excepte cependant la prescription et je ne suppose pas que M. le ministre de la justice y tienne infiniment. En effet, la prescription est toujours un moyen en quelque sorte odieux. Il présente cet inconvénient de faire perdre des droits en justice pour une simple négligence. Or ici cette négligence n'est pas assez forte pour entraîner la peine proposée ; une prescription de deux ou trois mois ne peut engendrer une présomption de payement, car c'est sur la présomption de payement que sont fondés les articles 2771 et 2772.
Il faut se rappeler la nature des relations qui existent entre les maîtres et les domestiques pour être convaincu que ce n'est pas après deux mois que celle présomption peut s'élever. Si vous admettiez une prescription de deux mois, vous jetteriez la perturbation dans les relations entre le maître et l'ouvrier ; vous forceriez le domestique à ne pas accorder un délai de quelques jours à son maître pour ne pas perdre l'exercice de ses droits, vous excluriez la confiance dans leurs rapports.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. Thonissenµ. - Messieurs, tout à l'heure, quand j'ai demandé la parole, M. le ministre de la justice m'a dit : Restons calmes !
J'étais parfaitement calme et je n'avais, en effet, aucune raison de m'émouvoir. Je suis du nombre de ceux qui, au sein de la section centrale, ont voté l'abrogation pure et simple de l'article 1781 du code civil.
Je l'ai fait, et je suis encore prêt à le faire en ce moment. Je suis tout disposé à voter l'abrogation d'une règle que je regarde comme blessante pour un nombre considérable de nos concitoyens et comme incompatible avec nos grands principes constitutionnels.
Je le ferai d'autant plus volontiers que, dans mon opinion, les inconvénients qui pourront résulter de la suppression pure et simple de l'article 1781 ne seront ni considérables, ni nombreux. La classe des serviteurs, fort heureusement, est en général très morale en Belgique. Les maîtres, de leur côté, prendront des précautions ; ils demanderont des quittances ou payeront devant témoins. Enfin, il existe une considération qu'on n'a pas fait assez valoir : c'est que les domestiques et les ouvriers ont intérêt à se montrer honnêtes.
En effet, quand un domestique se présente pour entrer en service, la première chose que l'on fait, c'est de s'adresser à son ancien maître, et si le domestique réclamait un payement indu, on donnerait sur lui de mauvais renseignements et il ne trouverait plus à se placer.
Ainsi que l'a dit l'honorable M. Vander Maesen, nous avons voté, une première fois, en section centrale, la suppression pure et simple de l'article 1781. Dans le deuxième rapport, nous déclarons encore que nous ne demanderions pas mieux que de voter cette abrogation pure et simple.
Mais nous avions cru remarquer que la majorité de la Chambre ne partageait pas notre opinion, et pour ce seul motif nous avons cherché à améliorer la situation et à parer aux inconvénients éventuels qu'on semblait redouter. C'est ainsi que nous sommes arrivés à combiner en un tout homogène les amendements de M. Pirmez et de M. le ministre de la justice.
Je rencontre ici un point sur lequel je dois appeler l'attention de la Chambre, parce qu'il importe que l'on sache exactement ce que vont l'honorable ministre de la justice, dans la partie de son amendement, devenue, avec quelques modifications, l'article 5 du projet de la section centrale, M. le ministre avait formulé sa pensée de la manière suivante :
« En cas d'absence complète de preuve, le juge peut, dans les mêmes contestations, déférer d'office le serment à l'une ou à l'autre des parties, conformément à l'article 1366 du code civil. »
Ces lignes sont la reproduction, sous une autre forme, d'un amendement présenté par M. Pirmez, et c'est ici que commencent les dissidences qui séparent l'honorable député de Charleroi de l'honorable ministre de la justice.
M. Pirmez avait posé ce cas : un domestique quitte son maître et l'appelle devant le juge pour obtenir le payement d'un salaire qu'il prétend lui être dû. Le maître, de son côté, avoue que le domestique a été à son service, mais il prétend avoir payé. M. Pirmez veut que, dans cette hypothèse, le juge ait le droit de déférer le serment soit au maître, soit au domestique. Au contraire, d'après M. le ministre de la justice, cela ne se peut pas : il faut, selon lui, absence complète de preuves de part et d'autre.
Je dois déclarer que ce n'est pas ainsi que nous avons compris, au sein de la section centrale, l'amendement de l'honorable ministre de la justice. (Interruption.).
L'art. 1367 dispose que le juge ne peut déférer le serment que moyennant deux conditions : la première, que la demande ou l'exception ne soit pas pleinement justifiée ; la seconde, qu'elle ne soit pas totalement dénuée de preuves.
En lisant, au commencement de l'amendement, les mots : « En cas d'absence complète de preuve....., » nous pensions que l'honorable ministre voulait simplement déroger au n°2 de l'art. 1567, en admettant le serment en cas d'absence complète de preuve.
Il est évident, en effet, que si l'on entend autrement l'amendement présenté par l'honorable ministre de la justice, il ne peut, en pratique, offrir aucune espèce d'avantage. Le fait même du service est toujours démontré ; cela est incontestable. Nous en avions conclu que le juge obtenait le pouvoir de déférer le serment sur le seul objet de la contestation, qui est ici le payement du salaire réclamé par le domestique congédié. Sommes-nous d'accord là-dessus ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non, mais vous exposez bien la question.
M. Thonissenµ. - Nous avions donc cru, je le répète, qu'il était nécessaire que le juge eût le pouvoir de déférer le serment, soit au maître, soit au domestique, puisque, sans cela, il n'y aurait aucun avantage pratique dans l'adoption de l'amendement. (Interruption.)
Pour que le service ne fût pas prouvé, il faudrait que le domestique eût servi dans un île déserte, il faudrait supposer une contestation entre Robinson Crusoé et Vendredi. (Nouvelle interruption.)
L'état de la question à résoudre par la Chambre se présente ainsi dans les termes suivants :
D'après M. le ministre de la justice, on ne pourra déférer le serment supplétoire qu'on cas d'absence complète de preuve des deux côtés ; tandis que, dans le système de M. Pirmez. on pourra déférer le serment soit sur l'action, soit sur l'exception, lorsqu'il y aura absence complète de preuve d'un côté seulement.
C'est maintenant à la Chambre à décider ; mais, pour ma part, si la Chambre préfère voter l'abrogation pure et simple, je me rallierais bien volontiers à cette opinion.
M. de Brouckere. - Les derniers discours que nous venons d'entendre me semblent réclamer, soit de la part de la section centrale, soit de la part du gouvernement, quelques nouvelles explications afin que nous sachions bien ce que nous allons voter.
M. Delcour me semble avoir parfaitement apprécié le débat qui nous occupe. On a fait, particulièrement dans la séance de samedi, d'éloquents efforts pour élever le débat à la hauteur d'une question philosophique, sociale, humanitaire ; j'ignore si ces efforts ont eu du succès auprès de quelques-uns d'entre vous, mais sur moi ils n'ont fait aucune impression.
Je reste convaincu que la question que nous débattons en ce moment est tout simplement une question de législation civile ; il s'agit de trouver le meilleur moyen de régler les rapports des maîtres et des patrons (page 364) d'un côté, des domestiques et des ouvriers, de l'autre, en ce qui concerne le payement de leurs gages et de leurs salaires.
Jusqu'ici et depuis plus de 60 ans, comme je l'ai dit dans une précédente séance, l'article 1781 avait seul servi de règle en cette matière, et je répéterai ce que j'ai dit alors, que cet article n'a donné lieu ni à de nombreux abus ni à des abus graves.
Depuis le jour ou je me suis exprimé ainsi, j'ai eu l'occasion de consulter quelques anciens membres du barreau qui m'ont dit que peu d'articles du code civil avaient donné lieu à moins de critiques que l'article 1781.
M. Guillery. - Le maître a toujours raison.
M. de Brouckere. - Il est possible que vous ayez raison aussi, mais je demande à faire valoir mes raisons à moi.
Je dis donc que l'article 1781 n'avait donné lieu ni à de nombreux abus ni à des abus graves, ni même à des plaintes sérieuses.
Mais on a découvert que cet article était injurieux, humiliant, outrageant pour une fraction de la société ; on a découvert qu'il était une atteinte à la Constitution, qu'il était un vestige du temps féodal, on a découvert tout cela, et je vous avoue que, dès ce moment, j'ai bien dû me résigner. Aussi, dès la première séance, j'ai dit que si réellement l'article 1781 du code civil était coupable de toutes ces abominations, nous devions l'abroger immédiatement et j'ai déclaré que j'en voterais l'abrogation, mais je me suis empressé d'ajouter que, si nous l'abrogions, il était indispensable d'y substituer d'autres mesures, par la raison bien simple que les rapports des maîtres et des patrons avec les domestiques et les ouvriers sont d'une nature si spéciale, si particulière, qu'ils exigent des règles spéciales, particulières aussi pour le juge.
Le premier jour de la discussion, beaucoup de membres de cette assemblée ont été du même avis que moi, et à l'instant, différents amendements ont surgi. Le moins empressé à présenter un amendement n'a pas été M. le ministre de la justice : il a rédigé, séance tenante, une série de mesures...
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas dans le sens que vous supposez.
M. de Brouckere. - Je n'en indique pas le sens ; je me borne à dire que vous avez proposé une série de mesures destinées à remplacer l’article 1781.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas le moins du monde ; ces mesures consistent simplement dans un supplément en vue d'un cas déterminé.
M. de Brouckere. - Mais on ne peut pas faire un supplément à une abrogation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce supplément se justifie par des dispositions du code civil qui subsistent.
M. de Brouckere. - Je me servirai des termes que vous voudrez ; toujours est-il que vous avez présenté une série d'articles qui devaient.... je ne sais plus comment m'exprimer, qui devraient faire partie de notre législation si l'article 1781 était abrogé. Voilà qui est clair. Eh bien, j'ai entendu la lecture des amendements de M. le ministre de la justice et ils me satisfaisaient. J'étais donc disposé à les voter, mais comme il y avait d'autres amendements encore, on a décidé le renvoi de tous les amendements à la section centrale.
La section centrale vous a apporté un second rapport et ce rapport concluait par une nouvelle série d'amendements. Je vais vous prouver, messieurs, que j'ai le caractère très facile : en entendant lire les amendements de la section centrale, je me suis encore dit : Ils sont bons ; je les voterai, et j'ai cru que la Chambre à la presque unanimité allait les voter immédiatement avec moi.
Mais un premier incident a surgi. L'honorable M. Pirmez, qui avait aussi soumis un amendement, renvoyé à la section centrale, a retiré cet amendement, en disant qu'il se ralliait à celui de M. le ministre de la justice et il a expliqué pourquoi il s'y ralliait. A l'instant M. le ministre de la justice se lève et dit : « Vous ne comprenez pas mes amendements, je vais vous les expliquer. »
Et je dois dire que les explications fourmes par M. le ministre de la Justice ont singulièrement amoindri, non pas la portée qu'il avait voulu y donner, Dieu me garde de dire une pareille chose, mais la portée que moi j'y avais donnée.
Je me suis dit : Mon embarras ne sera pas grand ; je voterai pour les amendements de la section centrale. Mais aujourd'hui voici un nouvel incident. (Interruption.) Voici que la section centrale, par l'organe de son honorable rapporteur, vient nous déclarer qu'elle ne tient pas beaucoup à ses amendements. (Nouvelle interruption.)
Et non seulement l'honorable rapporteur de la section centrale nous déclare qu'il ne tient plus à ses amendements ; mais il va plus loin, et nous conjure de ne pas les voter.
Je n'exagère pas, messieurs, je suis un narrateur fidèle. L'honorable rapporteur nous conjure de ne pas voter les amendements de la section centrale. Ainsi, je me proposais de voter ces amendements parce que j'ai confiance dans la section centrale, parce qu'elle renferme d'excellents jurisconsultes, entre autres l'honorable rapporteur qui, deux fois déjà, nous a donné des preuves de son talent ; et voici qu'au moment de procéder à ce vote, moi qui ai confiance dans les membres de la section centrale, je me trouve abandonné par tout le monde.
M. le ministre de la justice ne tient pas à ses amendements, il l'a dit, il aime autant l'abrogation pure et simple de l'article 1781 et ce n'est que pour donner une espèce de satisfaction aux hommes qui, comme moi, n'ont pas une résolution aussi énergique, qu'il a bien voulu nous présenter des amendements, expliqués d'ailleurs par lui d'une manière fort anodine.
Voilà donc les amendements de la section centrale repoussés par la section centrale elle-même et par l'honorable M. Thonissen, qui en fait partie. Mais, messieurs, dans quelle position nous a-t-on donc mis !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous sommes au point de départ.
M. de Brouckere. - Quoi ! nous voici revenus au point de départ ? Mais, messieurs, quand j'ai marché pendant trois jours, j'aime à me persuader que je me suis approché du but, au lieu d'être encore au point de départ. (Interruption.)
Comment ! voici trois jours que nous discutons, et je puis dire sans être accusé de manquer de modestie, car j'ai pris une bien faible part à cette discussion, que celle-ci a été très remarquable ; j'ai entendu d'excellentes choses de part et d'autre, et après que nous avons discuté pendant trois jours, on viendra nous dire : Toute cette discussion ne signifie rien, retournons au point de départ ; ce point de départ vaut bien mieux que le point d'arrivée !
Eh bien, non, messieurs, je ne suis pas de cet avis, je dois dire que la discussion m’a éclairé et c’est parce qu’elle m’a éclairé que je suis très disposé à voter l’abrogation de l’article 1781 dont, je le répète, je n’avais pas aperçu toutes les monstruosités qu'on y a découvertes ; et je ne viens pas après coup, car dès le premier jour j'ai déclaré qu'à mon avis l'article 1781 devait être rayé de noire législation.
A plus forte raison, dis-je encore, aujourd'hui, qu'il faut supprimer l'article 1781, puisqu'il contient de si grandes monstruosités qui jusqu'ici n'avaient pas choqué mes yeux... Il est vrai qu'ils ne sont pas très bons. (Interruption.)
Messieurs, nous sommes, je crois, arrivés au terme de cette discussion ; je demande que, malgré les déclarations de M. le ministre de la justice et de l'honorable rapporteur de la section centrale et de l'honorable M. Pirmez et de tous les auteurs d'amendements, je demande qu'on mette aux voix les amendements qui nous sont soumis.
On prétend qu'ils laissent quelque vague, quelque doute.
M. Pirmezµ. - Il n'y a plus de doute maintenant ; tout est parfaitement clair.
M. de Brouckere. - J'avais en vue, en m'exprimant ainsi, les paroles prononcées par l'honorable rapporteur de la section centrale qui m'avait fait croire que les amendements tels que la section centrale les avait rédigés pouvaient offrir un certain doute.
Eh bien, messieurs, s'il en est ainsi, le juge appréciera.
D'un côté, on dit : Le juge ne peut déférer le serment qu'en l'absence de toute preuve ; d'un autre côté, on dit : Le juge entendra les preuves, il déférera le serment quand bon lui semblera, et à qui il le jugera convenable. Mais n'est-ce pas l'égalité la plus absolue ? Loin de favoriser une classe de la société au détriment de l'autre, on donne au juge la faculté la plus entière de déférer le serment à quelle partie il le trouvera bon.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande la parole.
MfFOµ. - Ce n'est pas cela.
M. de Brouckere. - Je ne dis pas que c'est M. le ministre de la justice qui veut cela ; je dis que cela est dans la rédaction (je ne dis pas dans la pensée) de la section centrale.
On a dit que l'honorable M. Pirmez avait été jusqu'à soutenir que lors même qu'une des deux parties se présentera avec un titre, le juge pourra encore déférer le serment contre ce titre. Je ne pense pas que l'honorable membre ait été aussi loin.
M. Pirmezµ. - L'amendement dit textuellement le contraire ; il (page 365) dit formellement qu'en cas de preuve on ne peut pas déférer le serment.
M. de Brouckere. - J'en étais certain.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous êtes dans l'erreur la plus complète. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - En voilà une confusion !
M. de Brouckere. - Je termine en demandant que, selon la coutume invariablement suivie dans cette assemblée, on mette aux voix les amendements avant l'article principal.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire ou plutôt qu'un mot à répéter : l'amendement de la section centrale, tel que l'a interprété l'honorable M. Thonissen qui assure que telle est bien la pensée, l'opinion des membres de la section centrale ; cet amendement est le rétablissement de l'article 1781 du code civil, avec une aggravation en sus dans le cas le plus intéressant.
Voyons l'article 3, tel qu'il est proposé par la section centrale :
« En cas d'absence complète de preuve et par dérogation au n°2 de l'art. 1367 du code civil, le juge pourra, d'office, déférer le serment à l'une ou à l'autre des parties. »
Le gouvernement soutient que cet article rétablit l'article 1781 que l'on veut abroger ; et il vous en donne la preuve.
En effet, un domestique prouve que son maître lui doit une somme d'argent déterminée ; il produit un titre constatant que cette somme lui est due ; le juge, d'après l'article du projet de la section centrale, peut déférer au maître le serment si le maître invoque en termes de défense qu'il est libéré.
Eh bien, cela n'est pas possible aujourd'hui sous l'empire de l'article 1781 du code civil. Une jurisprudence constante a établi que c'est à défaut de titre écrit de la part du domestique que le serment peut être déféré au maître. Le domestique qui a la preuve écrite de sa créance, va donc se trouver, par l'amendement de la section centrale, dans la position qui lui est faite par l'article 1781 alors qu'il ne peut produire de titre à l'appui de sa réclamation.
Dans cet ordre d'idées, il vaudrait mieux, pour les partisans de l'article 1781, se rallier au système de l'honorable M. Lelièvre qui me paraît être celui de l'honorable M. Delcour, c'est-à-dire laisser subsister l'article 1781.
Le gouvernement a déclaré vouloir l'abolition de l'article 1781 du code civil.
Selon lui, l'abrogation pure et simple ne présente pas de dangers ; on a voulu, dans cette Chambre, prendre des précautions pour des cas très exceptionnels ; je me suis efforcé, dans une certaine mesure, de parer à des difficultés dont on s'exagère singulièrement l'importance ; mais, je le déclare, si la Chambre repoussait tous les amendements pour s'arrêter à l'abrogation pure et simple de l’article 1781 du code civil, je n'en éprouverais par le moindre déplaisir.
M. Nothomb. -Au milieu de ce dédale d'incidents dont l'honorable M. de Brouckere vient de nous tracer le tableau pittoresque, je crois nécessaire de motiver mon vote. Je le ferai en quelques mots : la question est de celles qui auraient dû ne pas être soulevées, car elle implique de graves difficultés, et elle va bien au delà de ce qu'elle paraît d'abord ; mais une fois soulevée, elle doit être tranchée et elle n'est pas, à mon sens, susceptible de deux solutions, il n'y en a qu'une : ou bien le maintien absolu de l’article 1781, ou bien l'abrogation pure et simple avec le retour complet au droit commun ; toute autre crée des difficultés et engendre les inégalités.
On a parlé quelque peu de l'origine de l'article 1781 ; et l'on a traité assez lestement l'opinion de ceux qui voient dans cette disposition un souvenir suranné et le vestige du servage des temps passés.
Rien n'est cependant plus vrai. Rappelons-nous l'époque à laquelle l'article 1781 a été introduit dans la législation. Alors en effet, en France, les domestiques, les serviteurs et les hommes à gage, ne jouissaient pas de la plénitude de l'égalité sociale ; ils étaient, sous le rapport politique, dans une position réellement inférieure à celle des autres citoyens.
La constitution de 1791 ne leur donnait pas les mêmes droits qu'aux autres citoyens ; ils étaient exclus des assemblées électorales, et cette situation a subsisté en France, sous le Directoire, le Consulat, l'Empire, jusqu'en 1848. Toute la classe des domestiques, des serviteurs et des hommes à gages était positivement, au point de vue politique et social, dans une condition inférieure. C'est ce qui explique comment le législateur du code de 1803, trouvant une catégorie de gens placés dans une condition politique et sociale si humble, si abaissée, ne leur a pas accordé l'égalité civile ; à l'inégalité politique a répondu l'inégalité civile.
Il y avait là une apparence de logique. On a été si loin dans cette voie que l'on a agité longtemps la question de savoir si, sous l'empire de pareilles dispositions, les domestiques, les serviteurs et les hommes à gages pouvaient être témoins dans un acte authentique. Mais aujourd'hui, messieurs, chez nous, en Belgique, il ne peut plus être question de ces disparates, de ces inégalités, privilège des uns, abaissement des autres. La question posée, la Constitution la résout en faveur de l'égalité.
Cela me paraît au-dessus de toute discussion, et il serait aussi injuste que dangereux, par une autre solution, de heurter le principe d'égalité, ce sentiment le plus vif de la société moderne.
Je repousse donc les divers amendements, j'y ai, après mûre réflexion, trouvé plus d'inconvénients que d'avantages. Ils offrent tous l'inconvénient de s'écarter de plus en plus du droit commun, en deux points surtout : d'abord, en étendant la preuve testimoniale au delà de 150 fr. ; ceci me paraît particulièrement grave, et je ne puis m'empêcher de trouver cette extension fort dangereuse.
Considérez, messieurs, dans quelles circonstances, pour quelle classe se fait cette extension, cette dérogation au droit commun. Songez que, pour cette classe, une somme de 100, de 200 francs est considérable, et demandez-vous si ce n'est pas provoquer des tentations, des défaillances de conscience, des parjures ! Pour moi, je crains cette extension de preuve et j'insiste sur le danger qu'elle offre.
Une autre dérogation au droit commun, c'est de permettre l'admission au serment, dans des cas autres que ceux que l'article 1367 a sagement prévus et limités. Je ne la trouve pas non plus justifiée.
Je ne disconviens pas que la suppression pure et simple de l'article 1781 ne puisse donner lieu à des difficultés ; mais les amendements doivent amener des inconvénients d'une nature beaucoup plus sérieuse, et je viens d'en indiquer un à la Chambre, à propos de la preuve testimoniale, dont il me paraît impossible de méconnaître la gravité.
Ainsi, obligé de choisir entre des propositions qui, d'aucun côté, ne sont exemptes de difficultés, je n'hésite pas à me rallier à celle qui, du moins, fait régner le droit commun et forme un pas de plus dans la voie qui est le but de l'avenir de la société moderne : l'égalité de tous devant la loi civile comme devant la loi politique.
Je vote la suppression pure et simple de l'article 1781.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier. - Vous me permettrez de répondre quelques mots au discours que vous venez d'entendre. Je ne partage pas l'opinion de mon honorable ami et j'ai été mis assez de fois en cause dans le débat pour qu'on m'accorde la parole pendant quelques instants.
Messieurs, dans toute cette discussion j'ai entendu répéter ces mots : L'égalité devant la loi. Eh bien, je dis que d'une part on réclame l'égalité devant la loi, dans une situation où il ne peut y avoir égalité réelle et que, d'autre part, on va créer l'inégalité devant la loi.
Il n'y a pas d'égalité réelle ; car il est certain que celui qui loue ses services pour un prix donné n'est pas égal à celui qui prend cette location. (Interruption.) Vous voulez donc faire de l'égalité où, en pratique, elle n'existe pas.
Ce n'est pas de l'égalité devant la loi. L'égalité devant la loi consiste à donner des titres égaux devant les tribunaux aux parties. Or, s'il est vrai que l'article 1781 brise cette égalité devant te tribunal, il est évident que sa suppression va briser cette égalité d'une manière bien plus scandaleuse, va la briser complètement contre les maîtres. En effet, deux personnes se trouvent devant un tribunal : c'est le domestique, c'est le maître qui l'a engagé. L'un a une preuve manifeste, il a la preuve de son service qu'il est impossible de nier ; l'autre se présente sans aucune espèce de preuve.
Ainsi la suppression pure et simple de l'article 1781, sans son remplacement par d'autres dispositions, c'est la condamnation nécessaire de tout Belge qui aura eu un mauvais ouvrier, un mauvais domestique qui voudra le traduire devant les tribunaux.
Voilà la vérité. Et cela n'est, pas l'égalité devant la loi, c'est le renversement de l'égalité devant la loi.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.
MpVµ. - Les amendements de la section centrale forment des sous-amendements aux amendements de la section centrale. Ce sont donc les amendements de la section centrale que je dois mettre les premiers aux voix.
M. Pirmezµ. - On a parfaitement exposé quelle était la situation de la question. Il y a plusieurs amendements en présence. J'ai retiré mon amendement qui se confond par conséquent aujourd'hui avec celui de la section centrale. Celui-ci est celui qui s'éloigne le plus du projet primitif, ; il doit donc être mis le premier aux voix.
MpVµ. - C'est ce que je viens de faire observer. Les (page 366) amendements de la section centrale doivent être considérés comme des sous-amendements aux propositions du gouvernement ; ils s'écartent le plus du projet primitif. Par conséquent ils doivent être mis les premiers aux voix.
M. de Theuxµ. - D'après le règlement, les articles doivent être votés successivement. Ou propose de changer ce mode.
MpVµ. - Du tout. Je mettrai aux voix les amendements article par article.
M. de Theuxµ. - On suivra donc l'ordre des articles. Dans ce cas, je demanderai la parole sur l'article 3.
MpVµ. - Je vais mettre aux voix le premier amendement de la section centrale :
« Art. 1er. L'article 1781 du code civil est abrogé. »
M. de Brouckere. - M. le président, ce n'est pas l'article premier que vous allez mettre aux voix ? (Interruption.)
- Des membres. - Si ! si !
M. de Brouckere. - Il faut au moins que nous nous entendions. Je n'ai mis aucune passion dans cette discussion et je n'en éprouve aucune.
Nous ne pouvons pas mettre, en premier lieu, aux voix l'abrogation pure et simple de l'article 1781. C'est le projet primitif, cela. Nous devons d'abord voter sur les amendements.
M. Guillery. - Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je la demande.
M. de Brouckere. - Mais c'est la voie qui a été invariablement suivie. Ce n'est pas le projet qu'on met d'abord aux voix ; ce sont les amendements, ce sont les modifications qu'il a inspirées. (Nouvelle interruption.)
MfFOµ. - Les amendements aux articles.
M. de Brouckere. - Voulez-vous me permettre de continuer, ou nous n'en finirons pas.
J'entends un de mes honorables collègues dire : Non, il faut d'abord mettre l'abrogation aux voix. Mais comment voulez-vous que nous votions ?
MfFO. - Sur l'ensemble ; comme tous les projets.
M. de Brouckere. - Ce n'est pas comme tous les projets.
M. de Mérodeµ. - C'est tout le contraire.
M. de Brouckere. - Toujours, invariablement, je le répète, on met les amendements, les modifications, les articles complémentaires aux voix avant l'article principal.
M. Dumortier. - C'est le règlement.
M. de Brouckere. - Voulez-vous d'abord mettre aux voix l'abrogation de l'article 1781 ? Soit, mais alors je dois vous prévenir dans quelle position vous nous mettrez : nous devrons nous abstenir, et par une raison bien simple, oui, je veux comme vous l'abrogation de l'article 1781, pourvu qu'on y substitue quelque chose. Par conséquent je ne puis voter l'abrogation pure et simple.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M- de Brouckere ne paraît pas se faire une idée bien exacte de ce qui est en discussion.
M. de Brouckere. - C'est ce que vous dites toujours.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois le dire, parce que c'est la vérité. Je le dis aussi sans aucune espèce d'irritation.
Qu'y a-t-il en présence ? Il n'y a plus que deux projets : le projet de la section centrale et le projet du gouvernement.
- Des membres : Et votre premier projet.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je l'ai retiré, puisque je l'ai amendé par des articles supplémentaires.
M. Teschµ. - Il n'est donc pas retiré, il est amendé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Soit, pour un instant, j'admets avec l'honorable M. Tesch qu'il ne soit pas retiré. Mais qu'est-ce que cela fait ? Il y a donc trois projets en présence ; mais tous ces projets ont un article premier qui est le même. (Interruption.)
Comment ! sans déclarer qu'un article est abrogé, vous allez y substituer autre chose ?
M. Pirmezµ. - C'est toujours ainsi. Les dispositions abrogées sont indiquées dans le dernier article de la loi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela est si peu vrai que l'honorable M. Pirmez a lui-même admis, comme premier article dans le projet de la section centrale, que l'article 1781 est abroge.
Il faut donc que vous décidiez tout d'abord que cet article est abrogé.
Alors à l'article 2 et à l'article 3 viendront les amendements. Ceux qui ne veulent pas de l'abrogation pure et simple, si les amendements sont rejetés, auront le vote sur l'ensemble pour repousser le projet.
M. de Naeyerµ. - Il me semble, messieurs, que pour garantir la liberté complète de tous les voles, la marche la plus logique à suivre, ce serait de poser une question de principe, conçue en ces termes :
«Y a-t-il lieu d'abroger purement et simplement l'article 1781 du code civil ? »
M. Dumortier. - Messieurs, le règlement tranche nettement la question. L'article 24 du règlement porte que les amendements sont mis aux voix avant la proposition principale et les sous-amendements avant les amendements. Or, quelle est ici la proposition principale ? C'est évidemment l'article premier, et les articles 2, 3 et 4 sont les amendements. Ce n'est pas parce que vous avez divisé la proposition en plusieurs articles, ce n'est pas parce que vous avez fait un numérotage que vous avez changé la nature des choses.
La proposition principale, c'est la suppression de l'article 1781 et si la section centrale avait mis cette suppression à la fin de ses amendements, personne n'aurait soulevé de difficultés.
Encore un fois le règlement est formel, les amendements peuvent être mis aux voix avant la proposition principale. Pourquoi le règlement a-t-il voulu qu'il en fût ainsi ? C'est précisément, comme l'a dit M. de Brouckere, pour faire respecter l'opinion de chacun.
Je demande l'exécution du règlement.
M. Guillery. - Je demande aussi l'exécution du règlement et je demande aussi que l'on respecte l'opinion de chacun.
Le règlement dit que les amendements doivent être mis aux voix avant la proposition principale, mais l'auteur des amendements les rédige comme il l'entend. Or, l'amendement de la section centrale comprend divers articles et tout le monde a le droit de demander la division. Eh bien, nous demandons la division et nous demandons que l'en commence par l'article premier.
Voici, messieurs, ce qui arriverait si l'on procédait autrement : les membres qui veulent l'abrogation pure et simple doivent rejeter tous les amendements ; on voterait ensuite sur l'article premier qui serait rejeté et l'article 1781 du code civil serait maintenu. Je le demande, messieurs, serait-ce là la sincérité du vote ?
M de Theuxµ. - Messieurs, si l'on met d'abord aux voix l'article premier, comme l'a dit l'honorable M. de Brouckere, tous ceux qui veulent les amendements devront s'abstenir ; on mettra ensuite aux voix les autres articles, et je suppose qu'ils soient rejetés, il en résultera que ceux qui ne voulaient de l'article premier qu'avec les amendements n'auront pas eu l'occasion de voter contre cet article.
MpVµ. - Il y a un vote d'ensemble.
M. de Theuxµ. - S'il est bien entendu qu'il y aura un vote sur l'ensemble, je n'insiste pas.
M. Orts. - Je crois, messieurs, que le seul moyen d'arriver au but et de permettre à chaque opinion de se produire d'une manière nette et franche, c'est d'adopter la proposition faite par M. de Naeyer.
L'honorable M. de Naeyer demande que l'on vote sur cette question : « Y a-t-il lieu d'abroger purement et simplement l'article 1781 du code civil ? » Eh bien, tous ceux qui veulent les amendements répondront non.
M. Coomans. - La proposition de M. de Naeyer ne nous laisserait pas la liberté de notre vote.
Du reste vous ne pouvez pas compliquer la question, et je demande la division. Vous faites une proposition double ; vous dites : « Abrogera-t-on purement et simplement l'article 1781 du code civil ? » Eh bien, je demande qu'on vote séparément sur les mots purement et simplement.
M. Dolezµ. - Messieurs, je croîs que toute la difficulté vient de ce que l'on a considéré à tort l'article premier comme étant un amendement ; l'article premier n'est pas un amendement, ce qui constitue les amendements ce sont les articles complémentaires présentés les uns par M. le ministre, les autres par la section centrale, et une fois la question posée sur ce terrain, il suffit de lire le règlement pour décider la question. Vous devez commencer par voter sur les amendements et après cela vous en viendrez à la proposition principale.
MfFOµ. - Il me semble qu'il n'y a véritablement aucun intérêt dans ce débat ; que l'on commence par l’article premier du projet ou que l'on commence par les amendements, nous arriverons absolument au même résultat. (Interruption.) Cela ne signifie absolument rien. Si nous étions en présence d'un projet (page 367) de loi renfermant 400 articles et qu'il y eût un amendement à l'article 100, pourrait-on venir dire qu'il faut commencer par cet article ?
On met en délibération l'abrogation de l’article 1781 ; ceux qui veulent cette abrogation avec ou sans amendement répondront affirmativement dans cette dernière épreuve. On votera ensuite sur l'ensemble de la loi. Ainsi toutes les opinions pourront se manifester complètement.
De cette manière, en effet, on aura résolu toutes les questions qui se trouvent dans la proposition de l'honorable M. de Naeyer.
H n'y a donc pas là, me semble-t-il, de difficulté sérieuse.
Il y a un véritable inconvénient à commencer par l'amendement : c'est que cet amendement suppose que l'article 1781 est abrogé et remplacé par d'autres dispositions ; or, c'est là un point sur lequel la Chambre ne s'est pas encore prononcée.
Je reconnais que, si la liberté du vole était entravée par cette manière de procéder, il faudrait recourir à une autre voie ; mais il n'en est rien ; c'est évidemment le vote sur l'ensemble qui décidera la question.
MpVµ. - M. de Naeyer insiste-t-il sur sa proposition ?
M. Dumortier. - Je ne puis admettre qu'il y ait liberté du vote par le procédé qu'indique M. le ministre des finances. II consiste à mettre aux voix le projet du gouvernement avant les amendements.
M. Delaetµ. - Pas du tout.
M. Dumortier. - Comment est conçu le projet du gouvernement ? « L'article 1781 du code civil est abrogé. » C'est donc le projet du gouvernement que vous voulez mettre aux voix avant l'amendement.
Après toutes les tergiversations, les reculades, les voltiges dont nous avons été témoins, on veut que tous ceux qui ont déclaré qu'ils consentaient à voter l'abrogation de l'article 1781 à la condition qu'il soit remplacé, se trouvent dans la nécessité de voter cette abrogation purement et simplement parce que, comme dit M. le ministre, il est indifférent que nous adoptions ou que nous n'adoptions pas les amendements.
Si l'honorable M. de Naeyer retire sa proposition, je la reprends, parce qu'il faut, en définitive, que, dans une question aussi grave et qui peut avoir les conséquences que j'ai indiquées, nous puissions nous prononcer avec une entière liberté.
MpVµ. - La proposition retirée par l'honorable M. de Naeyer est reprise par l'honorable M. Dumortier.
MfFOµ. - Je m'y oppose. On ne peut poser une question de principe si ce n'est du consentement unanime de la Chambre.
M. Dumortier. - Je demande l'exécution du règlement.
MpVµ. - Je vais mettre aux voix l'amendement par division.
« Art. 1er. L'article 1781 du code civil est abrogé. »
M. Dumortier. - C'est le projet de loi que vous mettez aux voix.
MpVµ. - Je dois mettre l'amendement aux voix tel qu'il est.
M. Dumortier. - C'est la question principale que vous voulez mettre aux voix. Le règlement le défend. Ce sont les articles 2, 3 et 4 qui doivent être mis aux voix d'abord.
MpVµ. - Je mets les amendements aux voix tels qu'ils sont formulés. La division est demandée, elle est de droit.
« Art. 1er. L'article 1781 du code civil est abrogé. »
Il est procédé au vole par assis et levé.
L'article est adopté.
« Art. 2. Les contestations entre maîtres et domestiques ou ouvriers, relatives à la quotité des gages ou au payement du salaire, seront décidées, à quelque valeur qu'elles puissent monter, sur les preuves admises, lorsque l'objet ne dépasse pas 150 francs. »
M. de Theuxµ. - Messieurs, si le projet de la section centrale avait été rédigé dans une forme régulière, celui du gouvernement l'était, il n'avait qu'un seul article, on aurait dû commencer par les article 2,3 et 4. On ne l'a pas fait, soit. Nous sommes obligés maintenant de discuter article par article.
J'ai donc une observation à présenter sur l'article 2.
- Plusieurs voix. - A demain !
M. Guillery. - L'honorable M. de Theux, suivant moi, se trompe complètement.
La discussion était close sur tous les amendements. Il n'y a pas ici de discussion article par article. Quand un projet de loi ne comprend qu'un article, la discussion générale est la même que celle de l'article. Peu importe que les amendements comportent plusieurs articles. Par conséquent, la discussion est close sur le tout.
- Plusieurs membres. - A demain.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je demande la parole, non seulement . pour un rappel au règlement, mais pour un rappel à la vérité.
Quand on a parlé de mettre aux voix l'article premier, j'ai demandé qu'on votât article par article, parce que la proposition de loi est rédigée d'une manière vicieuse. J'ai même demandé à être inscrit sur l'article 3.
M. le président a répondu qu'il en serait ainsi. Je fais appel à ses souvenirs.
- Plusieurs voix. - A demain !
- La séance est levée à 5 heures et un quart.