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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 janvier 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 305° M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Vanderperen présente des observations relatives au projet de loi sur les expropriations pour cause d'utilité publique. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les secrétaires communaux de l'arrondissement de Thielt-Roulers prient la Chambre d'améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Schupert, ancien employé de l'atelier général du timbre, réclame l'intervention de la Chambre pour être admis à la pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

« Même demande d'habitants de Saint-Josse-ten-Noode. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.


« Des facteurs ruraux attachés au bureau de poste de Rhisne demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Un grand nombre d'habitants dans la province de Liège prient la Chambre de rejeter l'amendement à l'article 638 du code pénal concernant les combats de coqs. »

- Renvoi à la commission pour le code pénal.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire des recueils de procès-verbaux des séances des conseils provinciaux (session de 1866) et un exemplaire de deux annexes aux Exposés de la situation administrative des provinces de Hainaut et de Liège. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Broustin, retenu par un service public, demande un congé pour la séance de ce jour. »

- Accordé.


« M. Hayez, retenu par des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi autorisant les pensionnés à charge de de l’Etat de résider à l'étranger sans l'autorisation préalable du gouvernement

Discussion générale

MfFOµ. - Messieurs, le projet de loi qui est en ce moment soumis à la Chambre a été adopté unanimement par les sections.

Je ne pense pas, en effet, qu'il puisse donner lieu à des objections. On a cependant fait une observation qui me paraît fondée. Il pourrait arriver qu'un individu pensionné, passible d'une peine d'emprisonnement, allât, pour braver la justice belge, résider à l'étranger et dans cette hypothèse, cet individu continuerait à jouir de sa pension. Il y aurait là un véritable abus.

Je propose, pour faire droit à cette observation, d'ajouter à l'article premier un paragraphe ainsi conçu :

« Toutefois cette disposition reste en vigueur à l'égard des pensionnés qui se trouvent sous le coup d'une condamnation à la peine d'emprisonnement. »

Ceux-là n'obtiendront pas l'autorisation de résider à l'étranger, tant qu'ils n'auront pas subi leur peine.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Articles 1

“Art. 1er. Le dernier alinéa de l'article 27 de la loi du 24 mai 1838, sur les pensions militaires, et l'article 48 de la loi du 21 juillet 1844, sur les pensions civiles, sont abrogés. »

MpVµ. - C'est ici que vient l'amendement proposé par M. le ministre des finances.

M. Lelièvreµ. - Je comprends la disposition additionnelle proposée par M. le ministre en ce sens qu'elle concerne une condamnation à l'emprisonnement prononcée par un tribunal belge et non pas une condamnation portée en pays étranger. Je prie M. le ministre de me dire si tel est le sens de l'amendement qu'il propose.

MfFOµ. - Evidemment.

- L'amendement est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. La présente loi sera exécutoire le jour de sa publication au Moniteur. »

- Adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

La Chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote définitif.

L'amendement est définitivement adopté.

Il est procédé au vole par appel nominal sur l'ensemble.

82 membres y prennent part ; tous répondent oui.

En conséquence la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont voté :

MM. Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Coomans, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, De Fré, Delaet, Delcour, de Lexhy, de Macar, de Maere, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, Desmedt, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, Dewandre, de Woelmont, Dumortier, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lienart, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orban, Pirmez, Preud'homme, Reynaert et Ernest Vandenpeereboom.

Projet de loi abrogeant l’article 1781 du code civil

Motion d’ordre

M. Lelièvreµ. - A la fin de la dernière séance, l'honorable M. Pirmez a proposé un amendement à l'article 1781 du code civil. Je désire, si la Chambre le permet, en proposer un, de mon côté, afin qu'on en ait connaissance avant d'entamer la discussion.

Cet amendement est ainsi conçu :

« Je maintiens la disposition de l'article 1781 du code civil. Cependant, j'ajoute la disposition suivante :

« Toutefois, la disposition qui précède ne recevra son exécution qu'en l'absence de toute preuve légale en faveur des domestiques et ouvriers. »

L'abrogation pure et simple de l'art.icle1781 du code civil me paraît présenter de graves inconvénients. Cet article, qui a vu le jour dans des temps où les principes d'égalité politique étaient parfaitement compris, avait pour fondement des considérations graves, déduites de la matière même qu'il s'agissait de traiter.

Il n'est pas possible, en effet, alors qu'il s'agit d'affaires intimes, étrangères aux négociations ordinaires, de traiter cet objet comme s'il s'agissait d un créancier et d'un débiteur ordinaire. Entre maître et domestiques, on ne peut exiger ni des actes écrits, ni des quittances, parce que la nature de leurs relations est obstative à pareil ordre de choses.

J'estime que le principe écrit dans l'article 1781 est seul propre à prévenir des contestations entre les maîtres et les domestiques, contestations (page 306) qui se multiplieraient outre mesure, si un principe contraire était décrété.

Toutefois, je pense que la disposition dont il s'agit est trop rigoureuse, en ce qu'elle ne permet même pas au domestique et à l'ouvrier de justifier leurs prétentions par des preuves légales. Si semblables preuves existent, j'estime qu’elles doivent prévaloir sur l'affirmation du maître. Dans mon opinion, ce serait seulement en l'absence de preuves légales que serait maintenu l'article 1781. En ce cas, la disposition est juste, parce que, indépendamment de la position du maître, celui-ci est défendeur en cause.

Du reste, d'après ma proposition, lorsqu'il s'agira de plus de cent cinquante francs, les domestiques et ouvriers ne pourront invoquer la preuve testimoniale que dans le cas où ils auront en leur faveur un commencement de preuve par écrit.

Je pense donc que mon amendement établit un ordre de choses qui, en faisant disparaître ce que le code civil présente d'exorbitant, ne donne pas lieu à de sérieux inconvénients de la nature de ceux que ferait naître indubitablement le projet du gouvernement.

- Cet amendement est appuyé ; il sera imprimé et distribué et fera partie de la discussion du projet auquel il se rattache.

M. de Naeyerµ. - J'ai proposé, non un amendement proprement dit, mais une disposition additionnelle à l'amendement de M. Pirmez.

Cette proposition a un caractère purement fiscal ; je voudrais que les écrits sous seing privé qui peuvent servir de preuve entre maîtres et domestiques soient exempts du timbre et de l'enregistrement. Ma proposition se justifie en peu de mots. Il est à remarquer qu'il ne peut en résulter aucune diminution des recettes actuelles du trésor, puisque aujourd'hui les écrits de ce genre existent très rarement et ne sont d'ailleurs jamais produits en justice par la raison que les maîtres sont toujours crus sur leur seule affirmation.

D'un autre côté, par ce moyen on encouragera les preuves écrites dans les arrangements qui peuvent intervenir entre maîtres et domestiques.

Vous aurez remarqué que l'amendement de l'honorable M. Pirmez a pour objet d'établir une législation spéciale et exceptionnelle ; et du moment que la preuve écrite existera, nous rentrons dans le droit commun ; or, je crois qu'il importe que les principes du droit commun puissent recevoir ici leur application comme en toute autre matière.

Ma proposition en encourageant la preuve par écrit serait encore utile sous un autre rapport, elle donnera à l'ouvrier qui sait lire et écrire une valeur plus grande ; chaque fois que le maître aura à contracter avec un domestique ou un ouvrier, il lui demandera s'il sait lire et écrire et cela contribuera à faire mieux comprendre à celui-ci l'avantage qu'il y a à posséder ces connaissances ; il en résultera donc un encouragement pour la propagation de l'instruction primaire.

Pour le moment, je n'ai pas d'autres considérations à faire valoir en faveur de ma proposition ; j'espère qu'elle ne rencontrera pas d'opposition de la part de M. le ministre des finances et que la Chambre ne fera aucune difficulté de l'adopter.

MpVµ. - L'amendement de M. de Naeyer est ainsi conçu :

« Ajouter à l'amendement de M. Pirmez :

« Les écrits sous seing privé, produits comme moyen de preuves dans les contestations de cette nature, sont exempts du timbre et de l'enregistrement.

« de Naeyer. »

Cet amendement sera imprimé et distribué il fera partie de la discussion du projet auquel il se rattache.

MfFOµ et d'autres membres. - Ouvrons cette discussion de suite.

- D'autres membres. - Non ! non !

M. Dumortier. - Suivons l'ordre du jour.

- Des membres : Le projet de loi figure à l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

MpVµ. - L'ordre du jour appelle en second lieu la présentation de rapports sur des pétitions.

M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition datée de Molenbeek-Saint-Jean, le 13 novembre 1866, le sieur Espreman réclame l'intervention de la Chambre pour faire accorder une pension à la veuve d'un garde de barrières aux chemins de fer de l'Etat, qui est mort dans l'exercice de ses fonctions.

Cette veuve, s'étant remariée, tombe sous l'application de l'article 41 des statuts de la caisse de retraite et de secours des ouvriers de l'administration des chemins de fer. Cet article déclare cependant que la veuve reçoit, à titre de dot, une somme égale à une année de la pension dont elle jouissait, ou un renouvellement d'un an de secours en plus, dans les cas prévus par les articles 27 et 53.

J'avais donc eu l'honneur de proposer d'abord à la commission l'ordre du jour, ne croyant pas les réclamations du sieur Espreman fondées. Mais le sieur Esperman m'a déclaré que, loin d'avoir reçu celle dot ou ce secours, la veuve Rubens, devenue sa femme, est restée depuis le 31 décembre 1839 jusqu'au 31 octobre 1860 sans recevoir aucune espèce de secours, ce qui m'oblige à demander quelques renseignements à M. le ministre des travaux publics.

- La Chambre ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

M. Coomans. - Je ne m'oppose pas au renvoi de cette requête à M. le ministre des travaux publics ; au contraire, je l'appuie ; mais je prie en même temps cet honorable ministre de bien vouloir examiner s'il ne serait pas utile d'établir au département des travaux publics un fonds spécial pour indemniser extraordinairement les fonctionnaires ou les familles de fonctionnaires du chemin de fer victimes d'accidents dont ils n'ont pas été la cause. Aujourd'hui, la légalité empêche le gouvernement de faire, dans certains cas, pour ces fonctionnaires ou pour leurs familles tout ce que l'équité naturelle exigerait. Or, il me semble que lorsqu'un agent du chemin de fer, de cette administration qui rapporte tant au Trésor public, mais dont l'exploitation est si dangereuse, lorsque, dis-je, un agent de cette administration a éprouvé un accident plus ou moins grave, il serait juste de lui accorder les secours que sa position réclame. Cela est d'autant plus indispensable que, malheureusement et inévitablement, les accidents sur les chemins de fer sont fréquents sur toutes les lignes.

MtpVSµ. - Ce que demande l'honorable M. Coomans existe.

M. Coomans. - Oui, mais dans une mesure trop restreinte.

MtpVSµ. - Ceci est une autre question ; mais je dis que, indépendamment d'une caisse des veuves et orphelins des fonctionnaires, il existe au département des travaux publics une caisse de secours à laquelle les ouvriers sont tous et obligatoirement affiliés. L'existence de cette caisse est, sans contredit, un des plus grands avantages que les ouvriers trouvent à l'administration des chemins de fer, puisqu'elle leur assure des secours pour eux et pour leur famille lorsqu'ils sont victimes d'un accident.

- Le renvoi à M. le ministre des travaux publics est ordonné.


M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition datée de Segelsem, le 26 avril 1866, l'administration communale de Segelsem, se plaignant de la grande différence de format de quelques feuilles d'impression du Recueil des Lois, demande qu'il soit porté remède à cet état de choses, qui rend difficile la reliure des volumes, ou que l'abonnement à ce recueil cesse d'être obligatoire pour les communes.

Conclusions : Renvoi à M- le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition datée de la Cambre, le 17 août 1866, le sieur Antoine, reclus infirme, à la Cambre, demande l'autorisation de porter la médaille commémorative de 1813-1815, qui lui a été accordée par le gouvernement des Pays-Bas, le 27 juin 1865.

Conclusions : Ordre du jour.

- Adopté.


M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Overpelt, le 30 avril 1866, des propriétaires d'Overpelt demandent qu'il soit ordonné une enquête sur la nécessité de maintenir les chemins vicinaux ou de grande communication que doit traverser le chemin de fer de Hasselt à Eyndhoven.

Conclusions : Renvoi à MM. les ministres des travaux publics et de l'intérieur.

- Adopté.


M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition sans date, les facteurs ruraux attachés au bureau de Silly demandent une augmentation de traitement. Ils invoquent à l'appui de la demande le renchérissement des loyers et des vivres dans ce centre assez populeux.

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des géomètres arpenteurs diplômés demandent qu'il soit défendu, par des peines plus sévères que celles édictées par la loi du 6 mars 1818, à toutes personnes non qualifiées, ainsi qu'aux employés du cadastre et des ponts et chaussées d'exercer la profession de (page 307) géomètre arpenteur, et qu'on n'accepte l'instruction administrative que des plans-rayons dressés par des géomètres assermentés et patentés.

M. Coomans. - Je ne comprends pas la nécessité de ce double renvoi, pas même celle d'un renvoi simple. Quoi ! des géomètres diplômés, et malheureusement nous n'avons que trop de concitoyens diplômés en Belgique, demandent qu'on interdise, sous certaines peines, à d'autres citoyens d'opérer ou de faire opérer des mesurages à leur guise, à leur convenance.

Mais, messieurs, cette prétention est vraiment trop forte. Il arrive tous les jours que des particuliers s'entendent soit avec des maçons, soit avec des peintres, soit avec des plafonneurs, pour faire mesurer par des hommes non diplômés, qui, bien souvent, ne sont pas moins savants pour faire mesurer toute espèce de travaux. Où est l'inconvénient ? Quel est l'intérêt de l'Etat ? Qu'est-ce qui nous autorise à apporter cette entrave à la liberté générale ? Pourquoi défendre aux particuliers de se servir de l'intermédiaire de géomètres non diplômés ? Quel droit avons-nous de consacrer un privilège pour une sorte de corporation ? C'est une réminiscence d'institutions d'un autre âge. On vous demande tout simplement d'ajouter une nouvelle corporation aux corporations qu'un autre âge nous a léguées et que nous avons conservées.

Nous avons la corporation des médecins vétérinaires ; nous avons la corporation de tous les médecins, celle des avoués, des courtiers, etc.

Messieurs, cela me paraît fort exagéré, et je ne laisserai échapper aucune occasion pour demander, autant que possible, l'extension du droit commun.

Par conséquent, j'engage les deux ministres auxquels la commission propose de renvoyer la pétition, à ne pas l'examiner du tout. Je demande l'ordre du jour.

- L'ordre du jour est mis aux voix et adopté.


M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition datée de Wellen, le 10 mai 1866, les membres de l'administration communale et des habitants de Wellen demandent la construction d'un chemin de fer de Hasselt à Ans, par Looz.

Même demande des membres de l'administration communale et des habitants de Looz.

La commission propose le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics.

M. Julliot. - Je demande que ces pétitions soient renvoyés à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


M. Hagemans, rapporteurµ. – Par pétition sans date, le sieur Dartevelde demande qu'il soit pourvu à la place de notaire vacante à Frameries.

Même demande des sieurs Letoret, Normand, Foulon.

Par pétition datée de Bruxelles, le 22 novembre 1865, le sieur Barbieur demande qu'il soit pourvu aux places vacantes de procureur du roi à Mons et de notaire à Frameries.

Par pétition datée de Lens, le 17 novembre 1865, le sieur Vanlierde demande qu'il soit pourvu à la place de notaire vacante à Frameries.

Même demande du sieur De Grève, qui prie en outre la Chambre de s'occuper de sa pétition ayant pour objet des modifications au mode de nomination aux fonctions de notaire.

Ces pétitions sont devenues sans objet par suite de la nomination d'un titulaire à cette place. En conséquence, la commission propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Hagemans, rapporteurµ. - Par pétition datée de Florennes, le 13 novembre 1866, le sieur Leduc, gendarme à pied à Florennes, prie la Chambre de faire accorder à la gendarmerie les récompenses pécuniaires ducs pour les délits de chasse constatés par ses membres depuis 1846.

La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

- Adopté.

Projet de loi abrogeant l’article 1781 du code civil

Discussion générale

M. Vandermaesen, rapporteurµ. - Messieurs, comme rapporteur de la section centrale, je dois nécessairement prendre la parole dans cette discussion, ne fût-ce que pour répondre a certaines objections que j'ai entendu formuler autour de moi et qui ont pris corps dans cette enceinte, sous la forme de deux amendements présentés par l'honorable M. Pirmez et par l'honorable M. Lelièvre.

Messieurs, le rapport de la section centrale vous aurait entretenus de ces objections, si elles avaient été produites en section ; mais elle ne l'ont pas été.

De plus, le rapporteur ne s'est pas ingénié à rencontrer les moyens d'opposition qu'on pourrait faire valoir, parce qu'il était pressé de déférer au désir de la Chambre de voir examiner sans délai et mettre à l'ordre du jour de ses délibérations ce projet de loi. Le rapporteur a aussi tenu à accomplir le vœu exprimé par un honorable membre de cette assemblée d'offrir l'abrogation de l'article 1781 comme étrenne à l'occasion de l'année 1867.

Personne, messieurs, dans cette enceinte ne méconnaît la nécessité de l'abrogation de l'article 1781, parce que son principe est contraire à notre Constitution, est contraire à tout sentiment de justice, puisqu'il dispose que le maître sera cru sur sa parole, lorsqu'il s'agira d'une contestation entre lui et son domestique ou un ouvrier, qu'en un mot le maître sera fait juge dans sa propre cause. Autant vaudrait dire que le maître aura toujours raison.

Aussi personne ne conteste ce point, seulement on soulève des objections et l'on craint la position que l'abrogation de l'article 1781 fera au maître. On dit : Le maître sera à la discrétion de son ouvrier ou de son domestique ; il sera dans l'impossibilité de justifier les à-compte qu'il aura payés ou la libération qui sera arrivée entre lui et son serviteur.

C'est sous l'empire de ces idées que les amendements que vous avez entendu formuler, ont pris naissance.

Avant de discuter ces amendements, demandons-nous bien quelle sera la situation faite au maître par l'abrogation de l'article 1781 et demandons-nous s'il sera toujours à la discrétion de l'ouvrier ou du serviteur.

Messieurs, pour moi, j'applaudis à l'abrogation de l'article 1781 et surtout par cette raison, qu'elle aura pour effet de rendre plus fréquentes et plus usitées les preuves écrites. Généralement, lorsqu'il s'agira d'une somme assez considérable, le maître se procurera la preuve écrite, et généralement il pourra se la procurer. L'instruction que nous avons répandue à pleines mains depuis un grand nombre d'années, a produit des fruits, et le maître n'est plus, comme en 1804, dans tous les cas, dans l'impossibilité, de se procurer une quittance. C'est donc une disposition qui sera fertile en résultats. Elle aura pour effet de faire sentir le besoin de l'instruction, de faire comprendre l'avantage qu'un ouvrier lettré a sur tout autre et de peupler nos écoles d'adultes, dont on vient de décréter l'existence.

Je fais encore remarquer que les industriels, les commerçants, ceux qui traitent le plus fréquemment avec les ouvriers, sont hors de question. Ils n'ont point à craindre l'abrogation de l'article 1781, sous aucune espèce de rapport.

En effet, le commerçant aura toujours des livres qui feront foi en justice, ou tout au moins seront considérés comme un commencement de preuve par écrit autorisant le juge à déférer le serment supplétoire.

Nous ferons aussi remarquer que le maître sera à l'abri de réclamations importantes, en vertu des prescriptions des articles 2271 et 2272 du code civil. Alors qu'il s'agira de moins de 150 fr., le droit commun protégera suffisamment le maître parce que, dans ce cas, la preuve par témoins et la présomption avec ou sans témoins viendront également à son aide pour le mettre à l'abri de réclamations illégitimes de la part de ses domestiques.

Il n'y a qu'un seul cas où l'abrogation de l'article 1781 peut présenter quelque difficulté pour le maître, c'est le cas où il s'agira d'une somme supérieure à 150 francs. Alors le maître qui ne se sera pas pourvu d'une preuve par écrit ne pourra plus servir ni de la présomption ni de la preuve testimoniale. Mais, messieurs, cette hypothèse sera extrêmement rare et je crois surtout qu'il sera peu commun qu'un domestique ou un ouvrier vienne réclamer indûment le montant de ses gages. Cette circonstance ne doit pas se présenter plus souvent que maint autre cas où nous payons sans réclamer de quittance. Le législateur a-t-il trouvé nécessaire de prendre des dispositions spéciales pour ces cas ?

Eh bien, messieurs, sous peine de reproduire dans les considérants du nouvel article les considérations qui ont fait agir le législateur de 1804, sous peine de dire que le maître doit avoir nécessairement plus d'honnêteté que l'ouvrier ou le serviteur, vous devez dire que le maître n'a pas besoin de plus de protection que l'ouvrier, Car, encore une fois, la disposition ne pourrait s'établir qu'en disant que l'ouvrier est de plus mauvaise foi que les autres créanciers auxquels nous faisons des payements sans exiger de quittance.

Je ne vois donc pas de nécessité de présenter des amendements ; je crois que le droit commun suffira. Cependant on a formulé deux amendements. Le premier amendement (page 308) (sous le rapport de l'importance au point de vue de l'abrogation de l'article 1781), c'est celui de l'honorable M. Lelièvre. Cet amendement dit qu'à défaut d'autres preuves lorsque le maître n'a aucun moyen d'établir sa libération, il sera cru sur son serment. Eh bien, un semblable amendement va à rencontre de tout ce qu'on a voulu lorsqu'on a proposé d'abroger l'article 1781. Cet amendement le rétablit pour le cas où le maître ne s'est pas procurée la preuve de sa libération. Ne vaut-il pas mieux rétablir le droit commun ? Si l'on veut, le maître est à la discrétion de l'ouvrier lorsqu'il n'a pas de preuve ; mais l'ouvrier, de son coté, est à la discrétion du maitre s'il ne sait pas produire la preuve sur la quotité des salaires.

L'amendement de l'honorable M. Pirmez me semble en contradiction avec les développements qu'il y a donnés. Tel qu'il est formulé, cet amendement présente l'inconvénient de dire que le maître sera cru sur sa seule affirmation comme dans la disposition de l'article 1781, avec cette restriction que le juge pourra lui déférer le serment.

Or, il me paraîtrait fort extraordinaire qu'en présence de présomptions, de preuves testimoniales que pourrait administrer le domestique ou l'ouvrier, le maître fût encore cru sur son serment. Je ne sais si cette idée est entrée dans l'esprit de l'honorable M. Pirmez, mais il est positif que l'amendement le dit.

M Pirmezµ. - Il dit exactement. le contraire.

M. Vandermaesenµ. - L'article dit : « Le juge pourra admettre la preuve testimoniale et les présomptions ou déférer le serment à l'une des parties. »

Je dis que d'après l'article tel qu'il est rédigé, le juge pourrait déférer le serment à l'une des parties alors que l'autre aurait pu demander l'interrogatoire, invoquer des présomptions ou la preuve testimoniale.

D'après l'amendement de l'honorable M. Pirmez, la preuve testimoniale est admissible dans tous les cas, alors même qu'il s'agit d'une somme inférieure à 150 fr. Ce principe pouvait être adopté en présence de l'usage admis de ne pas retirer de quittance des domestiques, mais je répudie la faculté accordée au juge de déférer le serment au maître en l'absence de toute autre preuve.

M. Lelièvreµ. - Le gouvernement propose d'abroger purement et simplement l'article 1781 du code civil, qui décrète que les maîtres seront crus sur leur serment en ce qui concerne certains chefs de contestations qui peuvent s'élever entre eux et leurs ouvriers et domestiques.

Il est d'abord à remarquer que le titre VIII du chapitre III du contrat de louage, sous lequel se trouve énoncé l'article 1781 du code civil, a été décrété le 7 mars 1803 et promulgué le 17 même mois, par conséquent dans un temps où les principes d'égalité civile et politique étaient en vigueur dans toute leur énergie.

Cela prouve déjà, à mon avis, qu'en dérogeant aux règles ordinaires, le législateur français ne faisait qu'obéir à des nécessités d'ordre supérieur, rendant indispensables les prescriptions qu'il croyait devoir décréter.

Les graves motifs justifiant semblable régime sont exposés par un jurisconsulte dont la France est fière à juste titre.

Troplong, Traité du contrat de louage, n°882, s'exprime en ces termes : «

« Les locations de service se font verbalement, les à-compte se payent sans quittance ; la loi n'a pas été assez déraisonnable pour exiger nécessairement la preuve écrite de conventions dont l'écriture a été bannie par l'usage.

« Que faire cependant si des contestations s'élèvent sur les gages entre le maître et le domestique ?

« Admettra-t-on la preuve testimoniale, moyen ordinaire de faire la preuve dans les matières qui n'excèdent pas 150 francs (et l'on sait que bien souvent les débats sur les salaires des domestiques et des ouvriers roulent sur des sommes inférieures à ce taux) ? Non ; ce serait fatiguer les tribunaux de querelles interminables. Ce serait surtout ouvrir la porte aux fraudes, comme disait Treilhard, et exciter contre les maîtres les ouvriers ou les domestiques coalisés pour rendre des témoignages suspects. Il fallait donc repousser la preuve testimoniale, même dans les cas où elle est ordinairement admise. Des raisons supérieures de bonne justice en faisaient une loi. (Voir la discussion au conseil d'Etat. Fouet, tome 14, page 256. Locré, tome 7, page 170, n°4.).

« Restait le serment, ce moyen simple et court de terminer les petits procès. Mais à qui le déférer d'office ? au serviteur ? à l'ouvrier.

« Entre le locataire de services et le maître, quel est celui qui, par son éducation, ses habitudes, sa position sociale, est le plus digne de foi ? C'est le maître. Quel est en effet le maitre qui osera spéculer sur les avantages de la position que lui fait la loi pour envier à un pauvre domestique ou à un malheureux ouvrier le fruit du travail le plus pénible, la récompense des sueurs répandues à son profit ?

« .... et le plus souvent il y aura avantage au profit de l'ouvrier, le maître sera plus facile à lui faire des avances, dans les fabriques surtout où le prolétariat a tant et de si impérieux besoins ; la facilité de la preuve sera, pour le maître, un motif d'être, à son tour, plus accessible à donner des à-compte anticipés. »

II nous paraît bien difficile de résister à ces observations.

Il est une considération qui vient les appuyer, c'est qu'il est impossible de prétendre que la disposition de l'article 1781 ait donné lieu à des abus sérieux. Dans ma longue carrière, je n'ai pas vu un seul cas où un domestique ait été victime de la mauvaise foi de son maître en ce qui concerne les prescriptions de l'article qui fait l'objet du débat.

Quelle nécessité y a-t-il donc de changer radicalement un régime qui n'a pas donné lieu à de graves inconvénients ? Ce n'est pas tout ; le système du projet aurait pour conséquence de créer de nombreuses difficultés.

Comment peut-on forcer un maître à exiger des quittances d'un serviteur qui souvent ne sait pas écrire, et s'il s'agit de sommes excédant 150 fr., à recourir au ministère de notaires ? Ainsi un maître sera obligé de passer chaque année un acte notarié attestant qu'il s'est libéré envers son domestique !

Il devra constater de la même manière les à-compte qu'il payera à ce dernier.

Ce n'est pas tout, si le domestique sachant écrire donne sa signature, le maître devra recourir à des vérifications d'écriture dont les éléments lui feront défaut, puisque presque toujours les domestiques n'auront pas signé des actes authentiques, seuls admis parl a loi pour servir de pièces de comparaison (article 200 du code de procédure).

Tout cela me paraît en fait impraticable et devra créer un régime bien autrement abusif que celui qu'on veut faire disparaître. Il s'agit ici d'un ordre de choses exceptionnel, parce qu'il est question effectivement d'affaires de ménage et de famille qu'il est impossible d'assimiler aux affaires ordinaires.

L'on ne peut prétendre soumettre aux règles ordinaires une situation née de relations d'intimité qui n'ont rien de commun avec les négociations ordinaires.

Il y a impossibilité morale pour le maître de régler sa position avec son serviteur par des actes civils. Comment prétendre qu'il doive arrêter par écrit ses conventions relatives à la quotité des gages ? Peut-on astreindre un maître à passer avec son domestique un contrat notarié déterminant la hauteur des gages ou salaires convenus ? Mais il y a des personnes qui changent fréquemment de domestiques et des formalités dispendieuses et de difficile exécution devraient être remplies à chaque mutation.

L'abrogation pure et simple de l'article 1781 donnera naissance à un grand nombre de contestations. Le domestique infidèle prétendra que son maître ne lui a pas payé ses gages. L'innovation proposée créera, à mon avis, plus d'inconvénients que de résultats avantageux.

Toutefois, je pense que l'article 1781 pourrait être modifié en ce sens qu'il recevrait son exécution dans le cas seulement où le domestique et l'ouvrier ne pourraient produire, en leur faveur, aucune preuve légale ; ce ne serait qu'à défaut de preuve contraire aux prétentions du maître que celui-ci serait cru sur son affirmation. Cette affirmation serait même en ce cas conforme aux principes du droit, puisque le maître étant défendeur en cause, c'est à lui que le serment doit être déféré de préférence.

Modifier l'article 1781 en ce sens, ce ne serait, en définitive, que faire prévaloir les règles du droit commun.

Mais laisser le maître exposé à des actions du domestique, parce qu'il aurait négligé de se faire délivrer des quittances notariées en matière de plus de cent cinquante francs, c'est ce qui me paraît inadmissible. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de n'admettre l'affirmation du maître qu'en cas d'absence de preuves légales en faveur du domestique ou de l'ouvrier.

Par cette disposition, nous restreignons l'application de l'article 1781 dans des limites raisonnables qui sauvegardent tous intérêts légitimes.

M. Van Overloopµ. - Messieurs, l'abrogation de l'article 1781 du code civil me paraît beaucoup plus grave que ne semblent le croire l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale.

Il est évident que l'article 1781 attribue légalement au maître sur le domestique une suprématie, qui est contraire au principe de l'égalité des droits.

(page 309) Un domestique poursuit son maître en payement. La discussion s'engage, soit sur la quotité des gages, soit sur le payement de l'année échue, soit sur les à-compte qui ont été payés pour l'année courante.

Il suffit au maître d'affirmer sous serment qu'il ne doit rien, et le domestique est débouté.

Cela constitue évidemment une position privilégiée pour le maître.

Mais si l'article 1781 constitue une position privilégiée, l'abrogation pure et simple de cet article, et c'est là l'objet du projet de loi, n'aurait-elle pas pour résultat nécessaire de créer de fait la suprématie du domestique sur le maître ?

Voilà la question telle qu'elle se présente, selon moi.

Quelques mois suffiront, messieurs, pour l'élucider.

Le contrai de louage et le payement se font dans l'intérieur du ménage, sans écrit, sans témoins. C'est là un fait. Or, il faut compter avec les faits et nous faisons des lois pour les faits. (Interruption.)

Je vous déclare que si un domestique s'offrait à moi, disant :« Je ne veux de votre service qu'avec un contrat en partie double, » je ne crois pas que je le prendrais ; cela me prouverait qu'il n'a pas de confiance en moi, et, dès lors, je n'en aurais pas en lui.

Je reprends mon argumentation.

Je suppose qu'un cocher se présente. Nous faisons un contrat de louage, aux termes duquel je devrai payer par an 400 fr.

Je paye exactement par mois et, au bout de 11 mois, je. congédie le cocher, soit parce qu'il a fait danser l'anse du panier, soit pour toute autre cause légitime.

Ce domestique fâché m'assigne devant le magistrat, prétendant qu'il n'a pas reçu un sou.

Que va-t-il se passer ? Aux termes du droit, commun, le cocher devra prouver mon obligation. Rien de plus simple. Il a été à mon service pendant 11 mois. Je ne puis pas le nier, car il lui suffirait de me déférer le serment sur ce point, et si je m'avisais de jurer qu'il n'a pas été à mon service, je serais immédiatement traduit en cour d'assises.

La position du domestique serait donc très facile.

Mais moi, conformément au droit commun, je devrais prouver ma libération.

Comment pourrais-je le faire ?

Par écrit ? Il n'y en a point.

Par témoins ? Ce n'est pas possible. L'article 1341 du code dit que la preuve testimoniale ne sera pas admise quand la valeur excède 150 fr. Par présomption ? Pas davantage.

L'article 1355 dit que les présomptions graves, précises et concordantes ne peuvent être admises que dans le cas où la loi admet les preuves testimoniales.

Par l'aveu des parties ?

Evidemment le domestique n'ira pas avouer sa mauvaise foi.

Par le serment ? Pas davantage encore. Pourquoi ? Parce que, comme je vous l'ai dit, tous les faits se passent dans l'intimité, entre quatre murs. Dès lors celui qui est assez malhonnête pour réclamer ce qui ne lui est pas dû, prêtera facilement le serment que la somme lui est duc, puisqu'il n'aura pas à craindre la Cour d'assises. Cela est incontestable.

Donc l'abrogation de l'article 1781 aurait pour conséquence nécessaire de changer précisément l'état des parties en jeu.

Aujourd'hui la suprématie existe au profit du maître ; l'abrogation complète de l'article 1781 aurait pour conséquence d'assurer la suprématie du domestique. Cela me paraît ne pas pouvoir être contesté.

Or, s'il convient de ne pas maintenir la suprématie du maître sur le domestique, il convient non moins de ne pas assurer la suprématie du domestique sur le maître.

C'est ce qu'on a parfaitement compris dans l'assemblée nationale législative issue de 1848. Le 22 novembre 1849, MM. Nadaud et consorts proposèrent formellement l'abrogation de l'article 1781 du code civil absolument par les mêmes motifs que font valoir l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale ; le 12 avril 1850, la proposition de MM. Nadaud et consorts fut prise en considération, mais, le 19 mai 1851, après une nouvelle discussion, on maintint l'article 1781 dans son entier.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous êtes dans l'erreur.

M. Van Overloopµ. - C'est possible, mais le fait est que l'article 1781 a été maintenu.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La proposition de M. Nadaud a été repoussée.

M. Van Overloopµ. - Et l'article maintenu, et la preuve qu'il a été maintenu c'est qu'il est encore tous les jours appliqué en France.

On est en droit d'inférer de là que l'on n'a pas trouvé, en France, le moyen d'établir l'égalité réelle des droits entre le domestique et le maître.

L'amendement de M. Pirmez suffira-t-il pour établir cette égalité ? Je suis heureux que cet amendement ait été proposé, parce qu'il nous met à même d'examiner le projet d'une manière plus complète.

A l'égard de cet amendement, je commencerai par faire remarquer que la rédaction devrait, dans tous les cas, être modifiée.

Cet amendement est ainsi conçu :

« Dans les contestations entre maîtres et domestiques ou ouvriers,

« Sur la quotité des gages ;

« Sur le payement du salaire de l'année échue ;

« Sur les à-compte donnés pour l'année courante, le juge pourra admettre la preuve testimoniale et les présomptions ou déférer le serment à l'une des parties. »

Ce mot « pourra » me paraît fort amphibologique.

J'en demande pardon à M. Pirmez, mais on pourrait interpréter cet article comme s'il attribuait au juge un pouvoir discrétionnaire. Je ne pense pas que ce soit là la pensée de M. Pirmez.

M. Pirmezµ. - Si, si.

M. Van Overloopµ. - Vous voulez lui donner un pouvoir discrétionnaire ! Alors je ne sais s'il ne faudrait pas s'écrier, comme autrefois : Dieu nous préserve de l'équité du parlement ! car pour moi, en général, l'arbitraire de la loi est encore préférable à l'arbitraire du juge.

Dans l'ordre d'idées où se place M. Pirmez, je ne pourrais pas adopter son amendement, mais je l'admettrais probablement et sans préjudice à d'autres, s'il était rédigé en ce sens que la preuve testimoniale serait admissible, comme en matière ordinaire, sans devoir réunir toutes les conditions auxquelles la preuve testimoniale est actuellement soumise.

Si l'on décidait simplement que la preuve testimoniale sera admissible, elle resterait soumise aux conditions de la loi générale. Or, comme, aux termes de l'article 1341 du code civil, la preuve testimoniale n'est pas admissible quand la somme excède 150 francs, il en résulterait que la preuve testimoniale n'aurait aucune efficacité dans l'hypothèse que j'examine.

II en serait de même de la preuve par présomption, Là, il faudrait recourir à l'article 1353 du code civil, aux termes duquel la preuve par présomptions n'est admissible que dans les cas où la preuve testimoniale l'est.

De plus, une présomption ne suffit pas : il faut des présomptions graves, précises et concordantes. Il serait difficile, on le comprend, pour le maître de réunir de pareilles présomptions.

Le maître jouissant d'une grande notoriété d'honnêteté pourra, dit-on, invoquer l'opinion que tout le monde aura qu'il est incapable de ne pas payer ses ouvriers. Mais je ne suis pas certain que cette présomption suffirait pour appliquer l'article 1353 du code civil.

On dit aussi que le juge pourra déférer le serment. Dans ce cas il faudrait encore une fois réunir les conditions prescrites par la loi générale (article 1367) portant : « Le juge ne peut déférer d'office le serment que sous les deux conditions suivantes :

« 1° Que la demande ou l'exception ne soit pas pleinement justifiée ;

« 2° Qu'elle ne soit pas totalement dénuée de preuves.

Il y a plus, la preuve par témoins sera excessivement difficile pour le maître ; elle sera, au contraire, très facile pour le domestique. Ne perdez pas de vue que tout se passe dans l'intérieur. En présence de qui le maître aura-t-il payé son domestique ? En présence de ses parents, de ses serviteurs. Mais si le maître qui a ainsi payé est poursuivi en payement par un domestique qu'il aura congédié, il aura beau pouvoir faire dire par dix serviteurs qu'il a payé : cela ne servira de rien, parce qu'ils sont reprochables.

Vous voyez donc, messieurs, que l'abrogation pure et simple de l'article 1781 du code civil, ou l'abrogation avec l'amendement tel que je le comprends, n'aurait pas pour résultat d'établir entre le maître et le domestique une égalité réelle, de fait, des droits.

Cette abrogation, même avec l'amendement, aurait pour conséquence nécessaire d'assurer précisément la suprématie du domestique sur le maître, alors que l'on ne veut plus de la suprématie du maître sur le domestique. S'il fallait choisir entre deux extrêmes, il conviendrait au moins d'examiner quelle suprématie est la moins dangereuse. Vous vous rappelez ce que l'honorable M. Lelièvre a dit à ce sujet.

Il y aurait peut-être moyen de se rapprocher davantage de la réalité des choses : ce serait de diminuer les délais des prescriptions.

(page 310) Aux termes de l'article 2271 du code civil, l'action des ouvriers, gens de travail, pour le payement de leurs journées, fournitures et salaires se prescrit par six mois ; et aux termes de l'article 2272, celle des domestiques qui se louent à l'année pour le payement de leur salaire se prescrit par un an.

Si on réduisait le délai à 2 ou 3 mois, la grande difficulté disparaîtrait, parce que le domestique n'aurait jamais un grand intérêt à réclamer et d'autre part parce que le maître, s'il ne pouvait pas prouver la libération, ne saurait jamais être dupe pour une somme trop considérable.

Je n'ai parlé, messieurs, que de la question des domestiques proprement dits ; je n'ai pas parlé des ouvriers, voulant laisser à d'honorables collègues qui, plus que moi, sont en rapport avec les ouvriers, le soin d'examiner, à leur point de vue, les conséquences de l'abrogation de l'article 1781.

Quant à moi, je le répète, je ne désire qu'une chose : je désire l'égalité la plus complète entre les maîtres et les domestiques et ouvriers ; mais à une condition, c'est que les principes de justice qui, d'après moi, sont plus importants que les principes d'égalité, ne puissent pas être compromis. Il est évident que si, par respect pour les principes de l'égalité, vous supprimez l'article 1781 du code civil, vous aurez des contestations à l'infini, dans lesquelles des domestiques souvent infidèles, et ce sont précisément ceux-là qui y mettront le moins de scrupule, viendront réclamer de leurs maîtres le payement de ce qui ne leur est pas dû ; et conséquemment l'abrogation pure et simple de l'article 1781 aurait pour conséquence nécessaire, inévitable, de créer des injustices au détriment des maîtres.

Je désirerais, si la Chambre partageait cette manière de voir, que cet article 1781 fût examiné de plus près en section centrale ou en commission et qu'on recherchât s'il n'y a pas moyen d'établir autant que possible l'égalité, tout en prévenant les inconvénients qui résulteraient, je crois, de l'abrogation pure et simple que le projet de loi nous propose d'adopter.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quand le gouvernement a présenté le projet de loi portant abrogation de l'article 1781 du code civil, il ne s'est nullement dissimulé qu'il y avait, à l'adoption de sa proposition, quelques inconvénients pratiques. Mais il était persuadé que la Chambre serait unanime pour reconnaître que cet article 1781 est injuste, qu'il blesse les règles de l'égalité qui doit régner entre tous les citoyens. D'un autre côté, il avait la conviction de pouvoir établir que les inconvénients que l'on redoutait n'existent réellement que si l'on veut persister dans de mauvaises habitudes.

Point de contestation, messieurs, sur le principe du projet de loi. Il y a quelque chose d'odieux à voir un domestique, un ouvrier, qui peut établir par témoins que sa créance existe, débouté de sa demande en justice parce que son patron affirmera qu'il s'est libéré. On ne peut pas, selon moi, tolérer plus longtemps une pareille législation, et M. Troplong a beau dire, dans son traité sur le contrat de louage, que l'article 1781 a été introduit dans le code dans l'intérêt des ouvriers. Ce n'est plus à l'heure qu'il est que l'on croira encore à de pareilles paroles, quelque autorité, quelque prestige qui s'attache au nom de celui qui les a écrites. (Interruption.)

Vous êtes de l'avis de M. Troplong ! Quant à moi, je ne puis pas comprendre comment il est possible de donner à un individu le pouvoir de trancher, par sa seule affirmation, une contestation existant entre lui et son adversaire, et l'honorable M. de Brouckere sera bien obligé de reconnaître...

M. de Brouckere. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si je me permets de répondre à l'interruption, c'est parce qu'elle émane d'un homme dont j'apprécie hautement la valeur et le mérite.

Je dis donc que l'honorable M. de Brouckere voudra bien reconnaître qu'il est déplorable de constater qu'un maître fripon peut, sous l'empire de la législation actuelle, enlever à un ouvrier le gage auquel il a droit.

Eh bien, je défie et l'honorable M. de Brouckere et M. Troplong de contester cette conséquence possible de l'article 1781. Je sais bien que l'honorable M. de Brouckere répondra à cela qu'il n'y a pas de fripons parmi les maîtres. Mais je ferai remarquer que ce n'est là qu'une simple présomption. Ensuite ce n'est pas seulement dans les classes élevées de la société qu'existent les rapports entre patrons et ouvriers ; il ne faut donc pas trop se fier aux sentiments de délicatesse sur lesquels l'on compte pour écarter la possibilité des abus,

Le principe de la loi est bon : il est utile, il est indispensable de faire disparaître l'article 1781 du code civil.

Voyons maintenant ce que le gouvernement propose. Le gouvernement propose de supprimer purement et simplement l'article 1781 du code civil et de revenir au droit commun.

Quel est le droit commun ? Deux cas peuvent se présenter : la contestation portera sur une somme inférieure ou supérieure à 150 francs.

S'il s'agit de contestations pour des sommes de moins de 150 francs, il n'y a aucun inconvénient à se référer au droit commun.

Si le domestique qui réclame ou le maître qui repousse ces prétentions a une preuve écrite, tout est dit, tout est terminé ; s'il n'a pas de preuve écrite, il peut y suppléer par la preuve testimoniale et cette preuve également mettra fin à la contestation, s'il n'y a qu'un commencement de preuve, le juge déférera le serment supplétoire. Donc, pour ce cas, les règles du code civil suffisent largement ; remarquons que les procès pour des sommes de moins de 150 francs sont de beaucoup les plus nombreux. Je dirai même que ce sont à peu près les seuls qui existent.

Maintenant, s'agit-il 'd'une contestation ayant pour objet une créance de plus de 150 francs ? Ici j'attaque directement l'amendement de l'honorable M. Pirmez.

Cet amendement, en effet, ne tend à rien moins qu'au rétablissement de l'article 1781 avec l'arbitraire du juge en plus. Vous dites au juge : Vous aurez la faculté d'admettre le système de preuves du code civil ; mais vous n'y êtes pas tenu ; vous ne le ferez pas si vous le jugez convenable, vous êtes libre de déférer le serment à l'une ou à l'autre des parties.

M. Pirmezµ. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Un ouvrier soutient qu'il a travaillé sans avoir reçu son salaire, le juge n'est pas forcé d'ouvrir une enquête, il peut s'en rapporter uniquement à l'affirmation du patron ; à l'arbitraire de la loi on ajoute encore l'arbitraire du juge, qui, selon son gré, admettra ou n'admettra pas les preuves offertes par les parties.

J'ajoute que dans ce système l'ouvrier succomberait presque toujours parce que le juge déférera de préférence le serment au patron.

- Une voix. - On n'entend pas !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dis que l'amendement de M. Pirmez a pour but de laisser subsister l'article 1781 du code civil, avec ce désavantage de permettre au juge de l'appliquer arbitrairement soit contre le maître soit contre l'ouvrier. L'ouvrier dit qu'il a travaillé et il demande à le prouver ; d'après le système de l'honorable M. Pirmez, le juge pourra, dans cette hypothèse, admettre la preuve testimoniale et les présomptions, ou ne pas les admettre du tout ; et s'il ne les admet pas, il déférera le serment à l'une ou l'autre partie ; ainsi, lorsque l'ouvrier aura des preuves certaines pour établir sa créance, il perdra son procès si le juge défère le serment au maître et si le maitre prête le serment.

Si l'ouvrier prétend qu'il n'a pas été payé, et si le maître demande à prouver qu'il a payé, le jugé, d'après l'amendement de l'honorable M. Pirmez, peut déférer le serment à l'ouvrier, et si l'ouvrier affirme que son patron est dans son tort, le patron devra payer une seconde fois.

Voyous à quelle espèce d'inconvénient l'honorable M. Pirmez a voulu parer. Je croîs que l'honorable membre admettra avec moi qu'en dessous de 150 francs il faut laisser au droit commun tout son empire ; dans ce cas, l'ouvrier et le maître feront usage de tous les moyens de preuve que la loi met à leur disposition.

Mais, disait hier l'honorable M. Pirmez, si la somme dépasse 150 francs, la preuve littérale sera seule admissible.

Je ne nie point qu'il n'y ait une certaine difficulté lorsque la somme réclamée excède 150 francs. Il arrive sans doute que certains domestiques soient loués à l'année. Mais les gages se payent-ils annuellement ? Certainement non. Les gages se payent soit tous les mois, soit tous les trimestres.

Voilà la règle ; la valeur du titre n'excédera donc 150 francs que dans des cas très exceptionnels, de sorte que la plupart du temps la preuve testimoniale sera de droit.

Voulez-vous prévoir le cas où la valeur du litige soit supérieure à 150 francs ? Soit ; j'admettrai que dans cette hypothèse la preuve par témoins puisse être reçue, à moins, bien entendu, qu'il n'y ait un écrit, car alors les principes du code doivent prévaloir.

Je le répète, ce sont là des cas exceptionnels, que les règles ordinaires du droit pourraient résoudre, mais s'il faut pour ces cas une précaution, je l'admets volontiers.

(page 311) Que faire maintenant, si le maître n'a pas du tout de preuves de la libération ? Il y a là une difficulté ; on va voir d'où elle provient.

Un domestique, établira facilement qu'il a servi ; mais comment le maître fera-t-il la preuve du payement des gages, qu'il s'agisse de sommes inférieures ou supérieures à 120 francs ? Si la somme est inférieure à 150 francs, pas de difficultés.

Si le maitre a eu soin d'annoter le payement dans ses livres, le soutènement du maître ne sera pas complètement dénué de preuve et le juge pourra déférer d'office le serment en vertu de l'article 1367 du code civil. (Interruption.)

Ce que je dis est conforme à la jurisprudence ; il suffit aux maîtres, aux commerçants, aux directeurs d'usine de bien tenir leurs livres, d'y inscrire leurs payements, pour qu'ils puissent demander que le serment supplétoire soit déféré. »

M. de Theuxµ. - Les cultivateurs ne tiennent pas de livres.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pourquoi n'en tiennent-ils pas ; et quel inconvénient y aurait-il à ce qu'il en fût autrement ? Un cultivateur, dites-vous, ne tient pas de livres ; mais de quelle espèce de cultivateurs parlez-vous ? S'agit-il des cultivateurs qui ont un seul ouvrier ?

- Des membres. - Non ! non !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous parlez des cultivateurs qui emploient plusieurs ouvriers ? Eh bien, vous aurez facilement la preuve testimoniale ; car quand un cultivateur a plusieurs ouvriers, il les paye ordinairement en même temps, et ces ouvriers viendront affirmer que le payement a été effectué.

Au surplus, si vous voulez faire les choses irrégulièrement, tant pis pour vous. Ce n'est pas une raison, parce que vous ne voulez pas prendre vos précautions, d'établir une iniquité dans la loi.

Mais, dit-on, le maître ne pourra pas prouver sa libération en l'absence de toute preuve ? Je réponds tout d'abord que les maîtres doivent et peuvent se procurer des preuves, soit par des écrits, lorsque l'ouvrier sait signer, soit en ne payant qu'en présence de témoins. Veut-on au surplus une garantie nouvelle dans la loi ? Eh bien, accordons au juge, dans cette hypothèse, le droit de déférer le serment à l'une des parties, selon les circonstances, les déclarations, les apparences.

Je présenterai un amendement dans ce sens.

L'honorable M. Van Overloop a en outre parlé de la prescription. Je crois, en effet, qu'il y aurait lieu de diminuer de six mois et d'un an la prescription dont il est question aux article 2271 et 2272 du code civil.

Voici l'amendement que j'ai l'honneur de proposer.

« Art. 1er. L'article 1781 du code civil est abrogé.

« Art. 2. A défaut de preuve écrite et si la somme ou valeur réclamée excède 150 francs, les contestations entre maîtres et domestiques ou ouvriers :

« Sur la quotité du gage,

« Sur le payement du salaire de l'année échue,

« Sur les à-compte donnés pour l'année courante,

« Seront décidées sur les preuves admises lorsque l'objet ne dépasse pas 150 francs.

« Art. 3. En cas d'absence complète de preuve, le juge peut, dans les mêmes contestations, déférer d'office le serment à l'une ou l'autre des parties, conformément à l'article 1366 du code civil.

« Art. 4. Par dérogation aux articles 2271 et 2272 du code civil, l'action des ouvriers et gens de travail, pour le payement de leurs journées, fournitures et salaires, se prescrit par deux mois, et celle des domestiques qui se louent à l'année, pour le payement de leur salaire, se prescrit par trois mois. »

M. Coomans. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Il me paraît que la question s'est étendue, s'est développée. L'honorable ministre vient de nous présenter en quelque sorte un nouveau projet de loi, nouveau au moins quant à son application. Je crois qu'il serait désirable qu'avant de continuer la discussion, nous pussions prendre connaissance des divers amendements. .

MfFOµ. - On peut parler.

M. Coomans. - On peut parler, dit M. le ministre des finances. Mais je crois qu'il est préférable de parler en connaissance de cause. En vous proposant donc de renvoyer à demain la suite de cette discussion, je crois que ce n'est pas trop demander.

MpVµ. - Il y a des orateurs inscrits, on peut les entendre et ne pas voter dans cette séance.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je tiens à déclarer à l'honorable M. Coomans qu'il ne s'agit nullement d'un nouveau projet de loi. La véritable portée du projet déposé est l'abrogation de l'article 1781.

Quant à l'amendement que j'ai déposé, je suis persuadé qu'il n'aura guère d'application...

M. Nothomb. - Pas une fois sur huit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - ... et c'est précisément parce que j'avais cette conviction, que je n'ai pas déposé cet amendement qui avait été, je dois le dire, indiqué dans les discussions qui ont eu lieu en France, au sein de l'assemblée législative.

Et à ce sujet, je vais répondre un mot à ce que disait tout à l'heure l'honorable M. Van Overloop.

Il est vrai que M. Nadaud avait proposé l'abrogation pure et simple de l'article 1781. Cette proposition avait été rejetée, et on y avait substitué une autre proposition, tendante à établir des livrets obligatoires où l'on aurait inscrit tous les payements qui auraient été successivement faits par les maîtres aux ouvriers et aux domestiques.

M. Chauffeur avait présenté l'amendement de l'honorable M. Pirmez.

M. Pirmezµ. - Je n'en savais rien.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je suis heureux de vous l'apprendre, et cet amendement avait aussi été rejeté. La discussion, à l'assemblée nationale, n'aboutit pas. Les amendements ayant été repoussés, on n'alla pas plus loin. Mais personne ne déclara que l'article 1781 était bon.

Au contraire, les orateurs de toutes les nuances protestèrent contre cttle disposition, et si l'assemblée avait duré quelque temps de plus, la question serait revenue et aurait reçu une solution.

M. Van Overloopµ. - Je n'ai pas dit que l'article 1781 était bon.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez laissé entendre que l'assemblée législative avait décidé que l'article 1781 devait être maintenu.

Or, cela n'est pas exact.

M. Van Overloopµ. - J'ai dit qu'il avait été maintenu.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - De fait, il a été maintenu, c'est vrai, parce qu'on n'a pas voté. Mais dans l'opinion de tous les orateurs et même des opposants à la proposition Nadaud, l'article 1781 du code civil devait être modifié.

M. Liénartµ. - Messieurs, je rends bien volontiers hommage à la pensée généreuse qui a inspiré le projet que nous discutons. Cependant, malgré le vif désir que j'éprouve d'apporter de notables modifications à l'article 1781, je n'aurais pu consentir à voter purement et simplement la suppression de cet article ; c'est pourquoi je remercie l'honorable M. Pirmez d'avoir proposé un moyen terme qui me permettra, je l'espère, d'effacer de l'article 1781 l'inégalité blessante qui s'y trouve consacrée.

En effet, messieurs, voter cette suppression, ce serait sortir d'un abus pour verser dans l'abus contraire ; par la suppression pure et simple de cet article, la position privilégiée du maître serait acquise de fait à l'ouvrier. Comme l'a très bien dit l'honorable M. Van Overloop, le service rendu par l'ouvrier pendant un certain temps est un fait patent qu'il sera extrêmement facile d'établir ; mais il n'en est pas de même du payement du salaire, lequel, sous l'empire du droit commun, ne pourra s'établir que par une preuve écrite lorsque ce payement dépasse 150 francs.

C'est à cette inégalité d'un autre genre que l'honorable M. Pirmez a voulu porter remède. On s'est singulièrement mépris sur la portée de sa proposition, qui est purement et simplement la prorogation ou l'extension aux contestations dont l'objet dépasse la somme de 150 francs de ce qui existe pour les contestations dont l'objet est inférieur à cette somme. Aussi, selon moi, cette proposition ne diffère guère du nouveau projet de loi que M. le ministre de la justice vient de substituer, à notre très grand étonnement, au projet de suppression pure et simple qu'il avait présenté et fait discuter en sections, et qui rencontre peu ou point de partisans, à en juger par la présente discussion.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Donnez-vous la peine de le lire.

M. Liénartµ. - Voici, si j'interprète bien sa proposition, ce que craint l'honorable M. Pirmez : c'est que la preuve écrite n'existe pas et qu'il s'agisse d'une somme de plus de 150 fr., et pour ce cas M. Pirmez demande que l'on étende les dispositions du code civil, applicables aux contestations dont l'objet est inférieur à 150 fr.

Je demande à M. Pirmez lui-même si je ne rends pas bien sa pensée.

M. Pirmezµ. - Pas tout à fait.

M. Liénartµ. - Mais, quoi qu'il en soit, ni la proposition de l'honorable M. Pirmez, ni celle de l'honorable ministre de la justice ne me (page 312) donnent tous mes apaisements. J'avoue que j'éprouve encore une certaine hésitation, et voici ma raison de douter.

Si je saisis bien la pensée de l'honorable M. Pirmez, son but est de faciliter au maître la preuve de sa libération ; à cet effet, à quel moyen de preuve le plus ordinaire le maître sera-t-il obligé d'avoir recours ? Puisque nous sommes tous d'accord sur ce point qu'il n'est pas d'usage en cette matière de rien consigner par écrit, le maître sera forcé de recourir à la preuve testimoniale. Mais cette preuve testimoniale sera difficile, pour ne pas dire impossible à administrer, puisque les témoins qui pourront attester le payement, les témoins habituels de ce fait, sont les commis de la maison ou les ouvriers eux-mêmes, le payement se faisant ou dans l'atelier ou à la caisse. Or, précisément l'article 283 du code de procédure civile déclare reprochables les serviteurs et les domestiques. Cette observation s'applique également aux modifications proposées par M. le ministre de la justice.

Je pense donc que pour compléter la proposition de M. Pirmez et pour donner au maître une garantie sérieuse et non éphémère, je crois, messieurs, qu'il convient d'y ajouter un paragraphe additionnel ainsi conçu, par exemple :

« Par dérogation à l'article 283 du code de procédure civile, ne pourront être reprochés ni les serviteurs ni les domestiques. »

Peut-être M. Pirmez m'objectera-t-il que le juge n'est pas obligé d'admettre les reproches ; je reconnais que la solution de cette controverse prête au doute, mais l'opinion généralement admise est que les causes de reproches spécialement désignées à l'article 283, s'imposent au juge dès que leur existence est constatée en fait.

Messieurs, je ne veux pas insister davantage devant vous sur une controverse de droit, mais puisque le doute, et partant le danger pour le maître existe, je prie la Chambre, dans l'intérêt bien entendu des ouvriers comme dans celui des maîtres, qu'elle veuille bien par un texte formel, dissiper toute espèce d'inquiétude.

L'ouvrier, dis-je, y est aussi intéressé que le maître lui-même. La Chambre n'ignore pas combien l'ouvrier a besoin du maître et surtout combien, dans certaines circonstances, l'ouvrier a impérieusement besoin que le maître lui fasse des avances. Gardons-nous donc bien, en allant trop loin, d'intimider le maître par la perspective d'un procès dont il aurait grande peine à sortir victorieux ; nous rendrions le maître plus circonspect, et ainsi nous taririons dans leur source les avances qui sont indispensables à l'ouvrier, à certains moments. N'oublions pas d'ailleurs, messieurs, que le maître n'est pas en faute de n'avoir pas retiré quittance ; il a affaire le plus souvent à des gens illettrés et il voudrait recourir à un écrit, qu'il ne le pourrait pas, parce que toute sa bonne volonté viendrait échouer contre l'ignorance de ses ouvriers.

Dans aucune hypothèse, je ne voterai l'abolition radicale de l’article 1781 ; je voterai l'amendement de M. Pirmez ou celui de M. le ministre, s'il est tenu compte des observations que je viens de présenter ; dans le cas contraire, je serai obligé de me rallier à l'amendement de M. Lelièvre, bien que celui-ci soit loin de me satisfaire complètement, puisqu'il n'efface qu'en partie l'inégalité civile entre le maître et l'ouvrier, inégalité que je condamne en principe.

M. de Brouckere. - Messieurs, pendant que M. le ministre de la justice parlait, j'ai fait une observation à mi-voix et en quelque sorte à part, mais cependant mon observation a été entendue par M. le ministre, à ma grande surprise et il l'a relevée. Je demanderai à dire deux mots, sinon pour la justifier, au moins pour l'expliquer.

L'article 1781 du code civil existe depuis plus de 60 ans et je ne pense pas qu'il ait donné lieu à des abus graves, du moins on n'en a signalé aucun, mais l'article a froissé certains amours-propres et les réclamations ont surgi.

Cet article, en effet, semble établir une inégalité choquante entre le maître d'une part, les domestiques et les ouvriers de l'autre.

L'honorable ministre de la justice a cru devoir faire droit aux réclamations qui avaient surgi et il a présenté un projet de loi abolissant purement et simplement l'article 1781.

Dans les sections et dans la section centrale, l'honorable rapporteur que nous avons entendu aujourd'hui nous en a fait l'aveu, il n'y a eu qu'un examen assez superficiel.

Aucune objection n'a été produite et la section centrale a présenté pour conclusion l'adoption du projet de loi.

Je dois dire, messieurs, que dès la première connaissance que j'ai prise du projet de loi, il m'a paru que l'abrogation pure et simple était chose impossible.

Je commence par reconnaître qu'aujourd'hui que la discussion a été solennellement soulevée, il est impossible de laisser l'article 1781 comme il est, mais je tiens pour certain qu'il est indispensable d'y substituer une autre disposition.

Déjà, j'ai entendu avec plaisir M. le ministre de la justice reconnaître qu'il fallait que l'on donnât au maître certaines facilités pour établir, au moins dans quelques cas, qu'il s'était acquitté envers son domestique ou son ouvrier.

Réellement, messieurs, si vous vous contentiez de supprimer l'article 1781 sans y rien substituer, c'est le maître que vous mettriez dans une condition très défavorable, vis-à-vis du domestique ou de l'ouvrier.

Messieurs, on a rappelé que M. Troplong dans ses commentaires sur le code civil avait dit que l'article 1781 y avait été inséré dans l'intérêt des domestiques et des ouvriers, et c'est au moment où M. le ministre de la justice rappelait cette opinion de Troplong, que j'ai dit à demi-voix : Je suis un peu de cet avis.

Eh bien, messieurs, je répète que je ne trouve pas l'opinion de M. Troplong aussi dénuée de fondement que l'a dit M. le ministre de la justice.

Aujourd'hui, messieurs, les maîtres payent leurs domestiques et leurs ouvriers sans exiger de quittance. Ils inscrivent à leur livre les payements qu'ils ont faits, et lorsque quelque difficulté surgit entre le maître et son domestique ou ses ouvriers, il suffit au maître de montrer ses livres pour que toute difficulté cesse.

Si vous abrogez l'article 1781 sans y rien substituer, les livres du maître ne seront plus ni une preuve, ni même, je dois le faire observer à l'honorable rapporteur, un commencement de preuve, parce qu'on ne peut se créer à soi-même un commencement de preuve ; ils ne signifieront plus rien.

Que feront les maîtres ? Consultez-vous, messieurs. Il n'est aucun de vous qui ne fera ce que je vais dire ; ils ne feront plus aucun payement sans quittance. Et pour qui sera la gêne dans ce nouvel état de choses ? Sera-ce pour le maître ? Evidemment non. Elle sera pour les domestiques et les ouvriers.

Vous me direz peut-être : Oui ce sera une gêne, mais au moins cela est praticable. Bien. Mais à la campagne (cela se présentera en ville également) vous prenez au mois de mars ou d'avril, 6, 8, 10 ouvriers pour les charger d'un certain ouvrage.

Cette besogne dure un certain temps ; quand elle est terminée, vous payez vos ouvriers. Six mois après, chacun d'eux vient réclamer le payement de l'ouvrage qu'il a fait au mois de mars ou d'avril. Vous aurez beau dire : Je vous ai payé, il niera. Vous montrerez vos livres qui établissent que le payement a été fait immédiatement après l'ouvrage.

L'ouvrier dira : Je ne connais pas vos livres. Il y a une chose certaine, c'est que j'ai fait l'ouvrage ; mais quant au payement, à vous de prouver que vous l'avez fait.

Nous serons donc réduits à exiger une quittance chaque fois que nous aurons employé un ouvrier.

Est-ce que cela tournera au détriment du maître ou ne sera-ce pas plutôt au détriment de l'ouvrier ?

Vous voyez donc, et c'est tout ce que j'ai voulu dire quand j'ai fait ma petite observation très innocente, que l'opinion de M. Troplong, quand il disait que l'article 1781 avait été établi dans l’intérêt des ouvriers, n'était pas si dénuée de fondement.

Je crois qu'il est reconnu par tout le monde à présent qu'en supprimant l'article 1781 nous devons y substituer une autre disposition spéciale. Cela me suffit, et j'ajoute que je ne serai pas des plus exigeants.

Je demande que tous les amendements présentés soient renvoyés à la section centrale avec invitation de nous présenter un nouveau rapport..

MpVµ. - Il vient de parvenir au bureau un nouvel amendement, ainsi conçu :

« Ajouter à l'amendement de M. Pirmez le paragraphe suivant :

« Par dérogation à l'article 283 du code de procédure civile, ne pourront être reprochés les serviteurs ni domestiques. »

« (Signé) Liénart. »

L'amendement a été développé.

- Il est appuyé.

M. Pirmezµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole au moment où M. le ministre de la justice déployait son éloquence contre mon amendement. Je pensais alors devoir lui répondre avec certains développements. J'ai été agréablement surpris de voir l'honorable ministre terminer son discours par la présentation d'un amendement qui, à très peu de chose près, est la reproduction en d'autres termes de la disposition que j'ai proposée.

Je n'ai donc pas à rencontrer les arguments de M. le ministre de la (page 313) justice sur tous les points où il a attaqué mon amendement, puisqu'il l'adopte.

Le motif qui a dicte ma proposition était la crainte de voir disparaître l’article 1781 sans qu'on eût conservé au maître le moyen de se défendre et surtout de prouver les payements faits. M. le ministre de la justice a présenté un amendement qui, au lieu de la suppression du projet de loi, contient une disposition dans le sens que j'indiquais.

Je voulais qu'il n'y eût pas de distinction entre les contestations au-dessous de 150 francs et les contestations pour des sommes plus élevées.

M. le ministre adopte encore a cet égard mes idées.

Il n'y a qu'un point sur lequel nous ne sommes pas parfaitement d'accord et je vais indiquer à la Chambre quel est le dissentiment.

La commission statuera en premier ressort, entre ces deux propositions.

M. le ministre de la justice veut que dans tous les cas le juge examine s'il n'existe pas des preuves avant de recourir au serment.

Ma première idée a été de présenter un amendement dans ce sens, mais après y avoir réfléchi, j'ai pensé qu'en cette matière il est préférable d'abandonner à la discrétion du juge le point de savoir s'il faut ordonner une enquête, ou se contenter des présomptions ou déférer le serment.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est un abus.

M. Pirmezµ. - Je connais bien ces grands mots : l'arbitraire du juge !

Mais la décision des questions de fait ne repose-t-elle pas toujours sur une appréciation du juge ?

Quand on oppose des faits, le juge est maître de les admettre ou de ne pas les admettre. Ne peut-il pas les rejeter en déclarant que des preuves ou des présomptions les écartent, qu'ils sont controuvés ou invraisemblables ?

Il y a des motifs sérieux pour que le pouvoir discrétionnaire soit laissé au juge.

Il a toujours été reconnu dans la jurisprudence des anciens parlements, dans la discussion du code civil, dans les ouvrages de droit moderne, que dans cette matière il faut éviter d'entrer dans de longues procédures ou dans des enquêtes dispendieuses.

C'est ce que faisait ressortir tout à l'heure M. Lelièvre.

L'examen que j'ai fait de la question m'a donc fait penser qu'il fallait admettre le juge à statuer lorsqu'il se croit suffisamment éclairé soit par la position des parties, soit par des documents produits, et l'autoriser à clore le débat par une délation de serment à l'une ou à l'autre des parties.

Je le pense dans l'intérêt des parties, que de mauvais conseils ne pourront, pour une somme peu importante, entraîner à des procédures frustratoires.

Vous voyez, messieurs, que la nuance qui sépare M. le ministre et moi c'est que M. le ministre est plus formaliste que moi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Pirmez s'est chargé lui-même de démontrer que mon amendement est complètement différent du sien. Je n'ai pas dit qu'il y avait d'autre différence entre mon amendement et le sien que celle qu'il vient de signaler, mais cette différence n'est-elle pas capitale ?

D'après M. Pirmez, le juge est libre de faire ce qu'il veut, il accepte ou il n'accepte pas la preuve testimoniale, il peut en un mot agir à son gré ou à son caprice.

Je veux, moi, que l'individu qui offre une preuve soit admis à faire cette preuve, car c'est là un principe de justice.

Comment ! un ouvrier ou un maître se présentera devant le juge disant : Je demande à prouver par témoins que j'ai fait tel travail, et le juge pourra répondre : Il ne me convient pas que vous fassiez cette preuve, je défère le serment à votre adversaire. Cela n'est pas possible. Le juge, selon l'honorable M. Pirmez, est toujours libre de faire cela. Le juge est libre de manquer à son devoir, mais nous ne devons pas l'encourager dans cette voie.

Savez-vous ce qui arriverait avec le système de M. Pirmez ? C'est que bien des juges de paix, pour éviter les ennuis d'une enquête, termineraient les procès en disant : Je connais le maître, je vais lui déférer le serment et de cette façon l'article 1781 du code civil, bien que nominalement supprimé, continuerait de fait à subsister. Or, comme ce n'est pas là, j'en suis sûr, l'intention de M. Pirmez, je l'engage à se rallier à l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.

. M. de Brouckere a cité un exemple. Prenez, au mois de mars ou d'avril, vous a-t-il dit, huit ou dix ouvriers pour les charger d'un ouvrage : la besogne terminée, vous payez vos ouvriers ; six mois après chacun d'eux vient réclamer le payement de l'ouvrage qu'il a fait ; vous aurez beau prétendre que vous avez payé, cela ne servirait de rien.

Si M. de Brouckere avait bien voulu se rappeler ce que j'avais dit, il n'aurait pas commis cette erreur. Dans ce cas il y aurait lieu à l'application de l'article 1367 du code civil. La cour de cassation de France a décidé que l'annotation des payements dans les livres du patron servait de commencement de preuve. L'absence de réclamation dans un délai déterminé est une présomption grave en faveur du payement. La jurisprudence a développé les principes selon les règles du bon sens qui doit prévaloir dans cette matière difficile au point de vue de la preuve.

Je crois que mon amendement répond à toutes les objections qui ont été présentées, mais je ne m'oppose pas à ce qu'il soit renvoyé à la section centrale.

Un mot sur l'amendement de M. Liénart.

Cet amendement doit être combattu, car l'article 283 du code de procédure civil ne s'applique pas aux ouvriers et aux gens de travail. Il est impossible d'admettre qu'un domestique puisse déposer dans une cause où son maître est intéressé.

Lorsqu'il n'y aura pas de preuves, le juge déférera le serment, mais je ne puis admettre que les personnes qui sont encore au service du demandeur ou défendeur puissent venir déposer en sa faveur. Il y a là un principe de morale et de justice qu'il ne faut pas amoindrir.

M. Dumortier. - Je n'ai pas l'honneur d'être avocat et je demande la permission de présenter simplement quelques observations de sens commun.

Je suis vraiment frappé des dangers qui peuvent naître de l'abolition de l'article 1781 du code civil, et j'avoue que, sous ce rapport, je me range à l'opinion de. M. de Brouckere.

Que se passe-t-il souvent dans un ménage ? Vous renvoyez un domestique parce qu'il est mauvais sujet ; eh bien, ce domestique, pour se venger de vous, vous traduira devant les tribunaux, et cherchera à vous faire passer pour un voleur. (Interruption.) Oui, messieurs, ne pouvant obtenir de vous un bon certificat, il vous en donnera un mauvais. (Nouvelle interruption.)

Je ne parle ici que d'après le gros sens commun, et je dis que je ne veux pas mettre l'homme à la merci de mauvais drôles. Quels sont ceux qui useront du bénéfice de la loi ? Les mauvais garnements seulement, car les braves domestiques, lorsqu'ils seront renvoyés, iront demander du service ailleurs sans chercher chicane à personne.

La loi s'applique à trois catégories de citoyens : les domestiques, les ouvriers à qui on fait exceptionnellement faire un travail et les ouvriers de fabrique. Quelle sera la position du maître devant le tribunal s'il y est introduit par l'un ou l'autre individu rentrant dans ces catégories ? Si c'est un domestique qui le traduit en payement, il n'a pas de témoins à opposer, parce que les témoins qu'il pourrait opposer sont, dans presque tous les cas, des domestiques eux-mêmes, et que ceux-ci ne sont pas admis à témoigner. Il en est de même s'il s'agit d'ouvriers de fabrique ; les autres ouvriers ne pourront pas non plus venir témoigner.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les ouvriers peuvent témoigner.

M. Dumortier. - Soit ; je renonce donc à l'argument. J'ai eu l'honneur de vous le dire, je ne suis pas avocat. Mais j'espère bien que M. le ministre de la justice répondra tout à' l'heure à l'observation que j'ai faite que lorsqu'un maître renverra un domestique, celui-ci pourra le traduire devant les tribunaux et chercher ainsi à le faire passer pour un mauvais drôle.

Mais c'est un homme à gages, c'est un domestique qui est à voire service et si vos autres serviteurs ne peuvent pas témoigner que vous l'avez payé, comment donc pourrez-vous fournir cette preuve ?

Maintenant, il faut bien reconnaître que la grande majorité des domestiques ne savent pas lire ni écrire ; quand donc il s'agira d'un domestique qui se trouvera dans ce cas, il faudra faire venir deux témoins du dehors.

- Un membre. - Ou un notaire.

M. Dumortier. - Mais où donc allez-vous avec un pareil système ?

Je comprends, messieurs, que, dans une chaire professorale, on défende des théories comme celle que le projet de loi tend à consacrer, et je déclare que si j'étais professeur d'université, je ne manquerais pas non plus de dire : Voilà une disposition qui n'est pas conforme au principe de l'égalité des citoyens ; car un professeur, un théoricien peut ne pas tenir compte des faits et de la pratique. Mais notre position ici n'est pas du (page 314) tout la même ; nous devons peser le fait, nous, devons consulter la pratique et tenir grand compte de ses enseignements.

Eh bien, je le demande, pouvons-nous admettre un système dans lequel, tout en proclamant que le maître est admis à faire la preuve de ce payement, on lui refuse les moyens de produire cette preuve ? Vous lui enlevez le moyen qu'il possède actuellement et vous n'y substituez aucun moyen nouveau.

Maintenant, supposez qu'il s'agisse d'un ouvrier qui vient chez vous pour faire un travail de quelques heures : voici, par exemple, un ramoneur de cheminées qui vient travailler chez vous pendant une heure ; vous le payez ; est-ce que vous allez lui réclamer une quittance ? (Interruption.) Encore une fois, cela est-il raisonnable ? Et cependant voilà toute la loi.

Pour ma part, il m'est impossible de croire que la Chambre soit disposée à voter une pareille loi, et puisque la commission va être appelée à examiner de nouveau la question, je la prie de vouloir bien peser les considérations que je viens de présenter et de rechercher le moyen de mettre les maîtres à l'abri des manœuvres de mauvais domestiques qui, profitant de la position privilégiée qui leur serait faite, se livreraient à des actes de vengeance, et feraient passer leurs maîtres pour des voleurs parce qu'ils n'auraient pas pu obtenir de bons certificats.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande à répondre quelques mots au discours humoristique de l'honorable M. Dumortier.

L'honorable M. Dumortier commence par dire qu'il n'y a que les domestiques, les mauvais serviteurs renvoyés qui intenteront des procès à leurs anciens maîtres pour leur faire délivrer un certificat de voleur.

M. Dumortier. - Je n'ai pas dit qu'il n'y avait que de mauvais serviteurs ; mais j'ai dit que cela se présentera.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela se présentera ; soit ! Mais quand il se présentera un maître fripon, que fera l'honorable M. Dumortier ?

M. Dumortier. - Cela n'existe pas !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ah ! cela n'existe pas.

Voilà ce que répond l'honorable M. Dumortier, et je n'en suis point surpris, car sa pensée est parfaitement conforme à celle qui a guidé le législateur du code civil.

Ce sont les maîtres de cette époque qui ont fait la loi et ils ont eu soin de n'écouter que leur intérêt personnel sans se préoccuper de sauvegarder le principe de l'égalité.

Eh bien, je dis que nous sommes arrivés à une époque où ce principe doit dominer dans toutes nos lois et qu'on ne doit pas accorder au maître seul le droit d'être cru en justice parce que le maître serait exposé à passer pour un voleur. Cette législation injuste, odieuse a fait son temps.

M. Dumortier. - C'est pour cela que je conviens qu'il faut la modifier.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - h bien, si vous avez des amendements meilleurs que les miens, présentez-les ; le champ est ouvert aux amendements ; il en pleut. Mais non ; l'honorable M. Dumortier se bornera aux critiques que lui a suggérées ce qu'il appelle son gros bon sens ; et il s'imagine que c'est avec des arguments de la force de celui que lui a fourni son ramoneur de cheminées qu'il exercera une influence sur la Chambre.

Donnez-vous quittance au ramoneur de chemines, s'est écrié l'honorable M. Dumortier ! Mais je lui demanderai à mon tour : Quand vous allez chez votre perruquier, est-ce que vous lui demandez quittance ? Quand vous allez acheter du tabac, demandez-vous quittance ? (Interruption.) C'est absolument la même chose. Tous les petits artisans, tous les petits détaillants ont avec le public des rapports commerciaux et industriels qui sont régis par les règles du droit civil et non par les principes de l'article 1781.

Et vous voudriez exclure de ces règles la seule classe des domestiques, des serviteurs que votre système place ainsi sous le coup d'une suspicion injuste et contre laquelle je proteste de toutes mes forces.

Messieurs, je crois que les amendements que j'ai eu l'honneur de déposer suffisent pour parer aux quelques petites difficultés de détails chimériques pour moi qui ont été indiquées, car, dans le plus grand nombre de cas il existera des preuves ou des commencements de preuve, alors le juge aura le droit de se référer aux articles 1366 et 1367 du code civil.

M. Dumortier. - C'est un moyen fort commode de se tirer d'embarras, que de ridiculiser un adversaire et de faire du même coup la plus belle réclame en faveur de soi-même.

Rappelons, messieurs, ce qui s’est passé. M. le ministre de la justice a commencé par demander la suppression pure et simple de l'article 1781 du code civil et maintenant, par une reculade qui saute aux yeux de tous, il vous convie, en définitive, à adopter l'amendement de l'honorable M. Pirmez, quelque peu modifié. Qui donc de nous deux est anti-conséquent avec lui-même ?

Ce procédé est passablement singulier, mais ce que je ne puis admettre, c'est que M. le ministre cherche à me rendre odieux en disant que j'ai présenté la classe des domestiques comme ne se composant que de voleurs. (Interruption.) Je proteste contre une pareille allégation ; et je prie M. le ministre de ne point m'attribuer des pensées que je n'ai jamais eues ni exprimées et de s'abstenir de me rendre odieux en prétendant que j'ai représenté les domestiques comme de malhonnêtes gens.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas dit cela.

M. Dumortier. - J'ai dît que si, dans cette classe, il y avait beaucoup de bons sujets, il y avait aussi de fort mauvais drôles et que c'est contre ceux-ci qu'il importe de laisser la société suffisamment armée. Or, je dis que votre projet de loi aurait un effet diamétralement opposé et c'est pourquoi je persiste dans l'opinion qu'il devra être sensiblement modifie pour pouvoir être admis sans inconvénient.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai rien dit de ce qui paraît avoir si vivement irrité l'honorable M. Dumortier,

L'honorable membre avait supposé que chaque fois qu'un domestique serait renvoyé, il s'adresserait au tribunal pour tâcher de faire délivrer à son maître un certificat de voleur ; et j'ai répondu : A moins de prétendre que la classe tes domestiques ne soit composée que de gens malhonnêtes, vous êtes obligé d'admettre la même hypothèse pour les maîtres.

Vous supposez que des domestiques ne reculeraient pas devant des procès aussi scandaleux et vous semblez croire (votre pensée s'est révélée dans une interruption que j'ai relevée immédiatement) qu'il n'existe pas de maîtres de mauvaise loi.

M. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela du tout.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous l'avez déclaré formellement.

M. Dumortier. - Vous l'avez rêvé !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Tous les honorables membres qui sont assis à côté de moi m'affirment que vous l'avez dit.

M. Dumortier. - Je ne l'ai pas dit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La sténographie vous répondra ; quand j'ai dit qu'il pouvait y avoir un maître fripon, vous vous êtes écrié : Cela n'existe pas.

Messieurs, l'honorable M. Dumortier a cherché à faire tomber sous le coup du ridicule le projet de loi en discussion ; il a dit qu'à l'aide du gros bon sens il en ferait justice. Mais le gros bon sens doit cependant fléchir devant l'équité et la justice.

Si le gros bon sens n'est pas du côté de la justice et de l'équité, je consens à avoir un peu moins de gros bon sens, pour avoir un peu plus de justice et d'équité, en appliquant les mêmes règles aux maîtres et aux ouvriers.

Quant à ma prétendue reculade, je ne sais où l'honorable M. Dumortier la découvre ; car tous les amendements déposés sont indiqués dans la discussion qui a eu lieu sur l'article 1781 ; si je n'ai pas présenté l'amendement plus tôt, c'est que je le croyais inutile, et je le crois encore, c'est que je ne croyais pas aux inconvénients qu'on a signalés. Quoi qu'il en soit, il y a dans l'assemblée des membres qui redoutent ces inconvénients et j'ai voulu leur donner toutes les garanties possibles, et faire disparaître toutes leurs appréhensions.

M. Preud'hommeµ. - Messieurs, je désire aussi appeler l'attention de la section centrale sur un point.

Evidemment l'article 1781 du code civil place l'ouvrier dans une position d'infériorité à l'égard du maître. Il est donc juste et constitutionnel que cet article disparaisse du code.

La Chambre a parfaitement compris, et M. le ministre de la justice a reconnu aujourd'hui par le dépôt de son amendement, qu'une abolition pure et simple de l'article 1781 changerait complètement les rôles et accorderait à l'ouvrier une position privilégiée que le code civil accorde aujourd'hui aux maîtres. C'est pour parer à cet inconvénient que plusieurs honorables membres ont présenté des amendements.

Mais, messieurs, ces amendements sont incomplets et ne font pas disparaître l'inconvénient qui existe, c'est-à-dire que ces amendements laissent désormais le maître à la merci de l'ouvrier.

En effet, messieurs, que contiennent ces amendements, et quelle est leur signification. Il est reconnu par tous les orateurs précédents, qu'entre maîtres et ouvriers les engagements ne sont pas constatés par (page 315) écrit ; que lorsque le maître paye des à-compte à l'ouvrier, l'ouvrier ne remet jamais au maître une quittance écrite.

Pour combler cette lacune, pour parer à cette difficulté, on veut étendre les termes de la loi, c'est-à-dire qu'on veut admettre la preuve testimoniale lorsque la somme est supérieure à 150 francs, tandis qu'aujourd'hui, d'après la loi, la preuve testimoniale n'est admise, en matière civile, que pour les sommes inférieures à 150 francs.

Mais, messieurs, qu'est-ce qui arrivera les plus souvent ? C'est que dans le cas où les ouvriers pourront être entendus comme témoins, ils se concerteront entre eux et viendront déposer contre le maître ; chaque ouvrier aura intérêt à rendre ce service au camarade qui le lui demandera ; il pourra compter sur le même service, le cas échéant. Aussi, cette preuve testimoniale sera-t-elle invoquée dans tous les cas : l'ouvrier viendra prouver par témoins qu'il a travaillé chez le maître et que le maître n'a pas payé telle ou telle quinzaine.

Il est donc dangereux d'établir la preuve testimoniale, surtout dans cette matière spéciale, pour des sommes dépassant 150 fr.

Il faudrait, par conséquent, chercher un nouveau mode de preuve, de nature à établir une balance, une égalité complète entre le maître et l'ouvrier. Le mode de constater les engagements et les à-compte payés, je crois qu'on pourrait le trouver dans les livrets, si cette mesure était étendue sur une large échelle.

Déjà un arrêté royal de 1845 a prévu qu'en même temps que se ferait l'inscription au livret de l'ouvrier chez son patron, on y mentionnerait les engagements contractés entre eux, mais seulement pour autant que ces engagements s'écartent des conditions en usage ; le maître peut donc, lors de l'entrée de l'ouvrier chez lui, constater sur le livret les engagements intervenus entre lui et l'ouvrier, ainsi que le salaire qu'il doit recevoir, soit par année, soit par mois.

Ensuite, chaque fois que le maître ferait un payement à l'ouvrier, le maître inscrirait ce payement sur le livret, de sorte que le livret mentionnerait les engagements conclus entre le maître et l'ouvrier ainsi que les sommes que l'ouvrier aurait reçues successivement du maître.

Dans mon système, il est bien entendu que l'ouvrier resterait en possession du livret, et que celui-ci lui serait remis par le maître après l'insertion des diverses mentions dont je viens de parler. Dès lors s'il y avait une contestation en justice entre le maître et l'ouvrier, l'ouvrier, détenteur du livret, devra le produire en justice ; sinon il serait débouté de sa demande.

J'attire l'attention de la section centrale sur ce point ; je crois qu'il y a un mode légal de constater les obligations entre les maîtres et les ouvriers et de mettre les uns et les autres sur un pied parfait d'égalité.

- La Chambre consultée renvoie les divers amendements à l'examen de la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'est pas possible que la Chambre s'occupe demain du code de commerce. Le rapport n'est pas encore distribué.

M. Pirmezµ. - Il le sera demain ou après-demain.

MpVµ. - Il y a demain d'autres objets à l'ordre du jour.

- La séance est levée à 5 heures.