(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 281) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Des élèves de l'école industrielle de Charleroi demandent le rétablissement du tarif de faveur dont ils jouissaient naguère sur les chemins de fer de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Notre-Dame-au-Bois sous Isque demandent que le gouvernement soit autorisé à vendre publiquement quatre à cinq hectares de la forêt de Soignes pour que ce hameau puisse prendre une certaine extension. »
- Même renvoi.
« Le sieur De Vos prie la Chambre de faire annuler la décision de l'administration communale de Vollezeele relative à l'inhumation précipitée des individus morts du choléra et demande que des mesures soient prises pour qu'à l'avenir, en cas d'épidémie, tous les bourgmestres et échevins se conforment ponctuellement aux instructions de l'autorité supérieure. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dujardin-Lammens présente des observations sur les tarifs en vigueur au chemin de fer de l'Etat. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« MM. Jonet, d'Hane-Steenhuyse, Broustin et Hagemans, empêchés, par suite d'indisposition ou d'affaires, de se rendre à la Chambre demandent des congés. »
- Accordé.
« M. Tesch, obligé de s'absenter à cause de la maladie de sa mère, demande un congé. »
- Accordé.
MpVµ. - J'ai également reçu la lettre suivante :
« Limbourg, le 18 janvier 1867.
« M. le président,
« Si l'indisposition dont je souffre me le permettait, je me rendrais immédiatement à Bruxelles pour prendre part au vote sur la question de l'abolition de la peine de mort.
« Je vous prierai donc d'informer la Chambre des représentants que, resté fidèle à mes anciennes convictions, je suis partisan de la suppression de la peine capitale en toute matière.
« J'ai l'honneur, M. le président, de vous réitérer l'assurance de ma plus haute considération.
« David. »
MpVµ. - Les amendements proposés à l'article 30 ont été envoyés à la commission par décision de la Chambre, La commission n'a pas encore eu le temps de faire son rapports. Je propose, en conséquence, à la Chambre de tenir cet article en suspens et de passer aux articles suivants.
- Cette proposition est adoptée.
« Art. 31. Tous arrêts de condamnation à la peine de mort ou aux travaux forcés prononceront, pour les condamnés, l'interdiction à perpétuité du droit :
« 1° De remplir des fonctions, emplois ou offices publics ;
« 2° De vote, d'élection, d’éligibilité ;
« 3° De porter aucune décoration, aucun titre de noblesse ;
« 4° D'être juré, expert, témoin instrumentaire ou certificateur dans les actes ; de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements ;
« 5° De faire partie d'aucun conseil de famille, d'être appelé aux fonctions de tuteur, subrogé tuteur ou curateur, si ce n'est de leurs enfants et sur l'avis conforme du conseil de famille ; comme aussi de remplir les fonctions de conseil judiciaire ou d'administrateur provisoire ;
« 6° De port d'armes, de faire partie de la garde civique ou de servir dans l'armée ;
« 7° De tenir école, d'enseigner ou d'être employé dans un établissement d'instruction à titre de directeur, de professeur, de maître ou de surveillant. »
M. Lelièvreµ. - Je pense que l'interdiction d'être tuteur est générale et s'applique à toutes les tutelles quelconques, ainsi à la tutelle dont parle l'article 1055 du code civil, c'est-à-dire au tuteur nommé à l'exécution d'une substitution. Donc, sauf résolution contraire, l'article dont il s'agit sera entendu d'une manière générale, et s'appliquera à tous les tuteurs quelconques.
En ce qui concerne le n°7, je fais observer que la défense de tenir école sera sans sanction, à moins que, soit dans le code pénal, soit dans une loi spéciale, il soit comminé une peine contre celui qui, se trouvant dans le cas de l'article 31 en discussion, tiendrait école en contravention à la disposition dont il s'agit.
J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre de la justice.
M. Coomans. - Il me semble que les interdictions sont bien nombreuses et que plusieurs ne sont pas justifiées, en supposant qu'elles soient en harmonie avec la Constitution belge.
Je lis par exemple, au n°7, que les arrêts de condamnation à la peine de mort ou aux travaux forcés emporteront contre les condamnés l'interdiction à perpétuité du droit « de tenir école, d'enseigner ou d'être employé dans un établissement d'instruction à titre de directeur, de professeur, de maître ou de surveillant. »
S'il est entendu par cet article qu'il ne s'agit que des établissements de l'Etat, je pourrais, à la rigueur, passer condamnation. Mais je crois, que le sens est beaucoup plus large, qu'il s'agit de toutes les écoles, même des écoles libres. Cela ressort du texte.
Or, messieurs, la liberté d'enseignement, comme la liberté de la presse, est constitutionnelle ; une loi ne peut en dépouiller aucun membre libre de la société, à moins que la Constitution ne soit révisée. Si vous empêchez un libéré de tenir une école, d'être employé dans un établissement d'instruction, ne fût-ce qu'à titre de surveillant, pourquoi net défendez-vous pas à un libéré d'être journaliste, par exemple ? En un mot, pourquoi ne l'obligez-vous pas à n'être plus rien du tout ? Pourquoi ne lui défendez-vous pas d'être boulanger ?
Je suppose qu'il a été condamné pour crime d'empoisonnement ; il peut être boulanger après sa condamnation ; vous le trouvez bon ; mais vous ne voulez pas qu'il soit un simple pion dans un établissement d'instruction où il fera sans doute moins de mal que dans sa boulangerie.
Cela ne me paraît ni constitutionnel, ni surtout logique, ce qui est pis encore.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, il n'y a aucune inconstitutionnalité dans cette disposition.
Il est évident que la Constitution, en garantissant la liberté d'enseignement, n'a pu empêcher qu'à titre de peine on ne prive un citoyen de l'usage de ce droit.
La Constitution garantit la liberté individuelle, qui est une liberté plus précieuse que la liberté d'enseignement. La liberté individuelle comprend (page 282) le droit de demeurer où l'on veut et d'aller où l'on veut. Or, quand vous mettez quelqu'un en prison, vous violez la liberté individuelle de la manière la plus claire. L'honorable M. Coomans viendra-t-il prétendre qu'en vertu de la liberté individuelle on ne peut pas mettre quelqu'un en prison ?
Si je puis priver un citoyen de sa liberté individuelle, je puis le priver d'autres droits, et notamment du droit d'enseigner. Il y a du danger à voir des individus, condamnés pour certains crimes que je n'ai pas besoin de nommer, être autorisés à tenir école ; je crois qu'il ne faut pas supprimer du code pénal l'interdiction de tenir école, infligée à ceux qui ont été condamnés pour de pareils crimes. La loi doit intervenir pour ne pas permettre à ces gens-là d'être en contact avec l'enfance dans une école.
M. Coomans. - Messieurs, la question de constitutionnalité est discutable, je le reconnais ; je maintiens mon interprétation ; nous attendrons un autre moment pour nous livrer à un examen approfondi de la question théorique.
Mais quant aux autres observations de l'honorable M. Pirmez, je ne les trouve pas du tout fondées. S'il importe d'empêcher le condamné libéré de tenir école, malgré la liberté d'enseignement, je maintiens qu'il faut l'empêcher d'être journaliste, d'exercer une industrie quelconque qui exige une certaine confiance dans celui qui la pratique.
La logique de mon honorable adversaire doit aller jusque-là. Or, pouvez-vous mettre le condamné libéré dans l'impossibilité de gagner sa vie ? Véritablement, dans cette hypothèse, s'il est indigne et même dangereux, comme on dit, d'être simple surveillant dans une école, il est indigne et dangereux au même degré d'exercer d'autres industries. Je crois qu'il serait beaucoup plus simple de pousser la logique jusqu'au bout que de lui couper la tête.
M. Orts. - Messieurs, je comprends qu'il est fort regrettable de voir des gens complètement indignes exercer la noble fonction de l'enseignement et prendre part au droit d'enseigner.
Je suis également d'avis qu'il peut y avoir de très grands dangers à ce qu'il en soit ainsi.
Et cependant je ne puis m'empêcher de reconnaître que l'honorable M. Coomans a raison. Le motif de croire que l'honorable M. Coomans a raison c'est l'absence de sanction possible à donner au système de l'honorable M. Pirmez.
Je comprends très bien qu'on déclare indigne d'enseigner un homme qui, pour enseigner, doit recevoir une mission de quelqu'un qui a le droit de la refuser, comme l'Etat, la commune ou la province. Mais qu'un forçat libéré trouve convenable, en sortant de la maison de force, d'ouvrir une école privée, comment l'honorable M. Pirmez l'empêchera-t-il ? Je ne vois qu'un moyen d'arrêter le mal ; ce serait d'afficher sur la porte de l'école que le maître est un forçat libéré. Mais il n'y a pas même là de sanction. La sanction devrait consister dans l'application d'une peine pour avoir enseigné sans la permission de l'autorité. Or, cette peine n'existe pas et pourrait difficilement exister en présence de la Constitution.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que les observations présentées par l'honorable M. Coomans sont fondées en ceci, que dans le paragraphe 7° de l'article 31, ou n'a entendu parler que de fonctions publiques.
M. Coomans. - Alors nous serions d'accord.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais il ne fallait pas faire votre observation pour se convaincre de ce fait. Il suffit d'examiner les paragraphes qui précèdent. Les interdictions prononcées par l'article 31 concernent des emplois, charges, fonctions intéressant la chose publique.
M. Coomans. - Ce n'est pas le système de l'honorable M. Pirmez.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne sais comment les rapports se sont expliqués sur ce point ; je ne puis me rappeler en ce moment les développements dans lesquels les rapports sont entrés, mais si j'examine le paragraphe 7 de l'article 31 tel qu'il est conçu, je ne puis y voir l'interdiction d'occuper des emplois privés.
Il est vrai que l'honorable M. Pirmez pourra me répondre que le paragraphe 1 de l'article interdit au condamné libéré le droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics. Mais il ne faut pas interpréter ces mots dans un sens restrictif. Ainsi un instituteur primaire adopté remplit un office public. On peut croire que le législateur a eu en vue les écoles subsidiées et déclare que des forçats libérés ne pourraient être instituteurs dans les écoles de cette catégorie. Telle est la signification que je donne au paragraphe 7 de l'article 31, car il est impossible d'empêcher un individu de remplir des fonctions privées ; l'honorable M. Pirmez reconnaît lui-même que l'interdiction n'aurait pas de sanction. La disposition serait donc inutile.
D'après moi, en vertu du paragraphe premier de l'article 31, des individus condamnés ayant encouru une condamnation à la peine de mort ou aux travaux forcés à perpétuité ne peuvent être employés dans des établissements d'instruction qui, à un titre quelconque, reçoivent un subside de l'autorité publique.
M. Delcourµ. - J'avais interprété le projet dans le sens que vient de lui donner M. le ministre de la justice ; et j'avais cru cette interprétation d'autant plus certaine, qu'en comparant notre loi avec la loi française, je trouve dans la loi française les mots : « enseignement public et privé ». L'article 30 du projet s'énonce autrement ; il porte que « tous arrêts de condamnation à la peine de mort ou aux travaux forcés prononceront contre les condamnés l'interdiction à perpétuité du droit :
« 1° De tenir école, d'enseigner ou d'être employé dans un établissement d'instruction à titre de directeur, de professeur, de maître et de surveillant. »
Dans ma pensée ce texte ne devait s'appliquer qu'à l'enseignement public.
Un droit constitutionnel est engagé dans ce débat, or, je dis que nous ne pouvons restreindre l'exercice d'un droit constitutionnel.
Je comprends l'interdiction admise par la loi, lorsqu'il s'agit d'une école publique, et, par école publique, j'entends toute école subsidiée par l'Etat, la province, la commune, par une institution publique quelconque.
Mais la liberté d'enseignement, le droit pour le condamné d'ouvrir une école privée ne sont point limités par la disposition.
M. le ministre n'ayant pas expliqué la loi dans le même sens que l'honorable M. Pirmez, j'insiste pour que l'on se mette d'accord. Le doute n'est point possible dès qu'un droit constitutionnel est en cause.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Il est bien évident que les mots « tenir école » s'appliquent aussi bien à l'enseignement privé qu'à l'enseignement public, et je n'ai jamais compris l'article autrement ; mais je reconnais aussi que dans le sens que j'ai donné à l'article il n'y a pas de sanction.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne m'oppose pas au renvoi, mais il y aurait peut-être moyen de s'entendre, ce serait de supprimer le 7°. Du moment que le 1° a la signification qu'on est d'accord pour lui attribuer, le 7° n'est qu'une répétition. Il est évident que celui qui tient une école remplit un emploi public dès qu'il reçoit de l'argent, à un titre quelconque, d'une autorité publique.
M. Orts. - S'il est payé par une institution publique de bienfaisance ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais dans ce cas il remplit un emploi public.
Je pense donc qu'il y a lieu de supprimer le 7° puisque M. Pirmez ne propose pas de donner une sanction à cette disposition.
- Le 7° est supprimé.
L'article 31, ainsi modifié, est adopté.
« Art. 34 La durée de l'interdiction, fixée par le jugement ou l'arrêt de condamnation, courra du jour où le condamné aura subi ou prescrit sa peine.
« L'interdiction produira, en outre, ses effets, à compter du jour où la condamnation contradictoire ou par défaut sera devenue irrévocable. »
- Adopté.
« Art. 38. L'amende pour contravention est d'un franc au moins et de vingt-cinq francs au plus.
« L'amende pour crime ou délit est de vingt-six francs au moins.
« Les amendes seront perçues au profit de l'Etat. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il y a dans cet article une erreur. L'article porte :
« L'amende pour contravention est d'un franc au moins et de vingt cinq francs au plus. » Or on trouve à l'article 567 que, dans certains cas de récidive, l'amende est de vingt-six francs à deux cents francs.
Il faut donc ajouter : « sauf les cas exceptés par la loi. »
- L'article ainsi modifié est mis aux voix et adopté.
« Art. 40. A défaut de payement dans le délai de deux mois à dater de l'arrêt ou du jugement, s'il est contradictoire, ou de sa signification, s'il est par défaut, l'amende pourra être remplacée par un emprisonnement dont la durée sera fixée par le jugement ou l'arrêt de condamnation, et qui n'excédera pas six mois pour les condamnés à raison de crime, trois mois pour les condamnés à (page 283) raison de délit, et trois jours pour les condamnés à raison de contravention.
« Les condamnés soumis à l'emprisonnement subsidiaire pourront être retenus dans la maison où ils ont subi la peine principale.
« S'il n'a été prononcé qu'une amende, l'emprisonnement à subir, à défaut de payement, est assimile ) l'emprisonnement correctionnel ou de police, selon le caractère de la condamnation. »
M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il faudrait apporter une modification à l'article 40. On fait courir le délai alors que le jugement n'est pas irrévocable et qu'il peut être attaqué par appel ou par opposition. Remarquez même que l'opposition, d'après les principes du code d'instruction criminelle, fait même considérer la condamnation comme non avenue. J'estime donc qu'il faudrait rédiger l'article en ces termes : « A défaut de payement dans le délai de deux mois à dater du jour où la condamnation contradictoire ou par défaut sera irrévocable, l'amende pourra, etc. » Au moyen de cette disposition nous revenons aux vrais principes. Le délai pour le payement court à dater du jour où il y a condamnation certaine et irrévocable, et non pas à partir d'une époque où le jugement n'est encore qu'un simple projet. Faire courir le délai alors que le jugement n'a pas encore une existence définitive, c'est, à mon avis, faire quelque chose d'anomal.
M. Coomans. - La contrainte par corps me semble moins justifiable en cette matière-ci qu'en matière civile.
La principale raison que j'ai à en donner, c'est que la pénalité est inégale, selon le degré de fortune du citoyen. Le condamné riche ou aisé acquittera facilement l'amende et le condamné pauvre aura à subir la peine supplémentaire, souvent égale à celle dont le riche est affranchi à prix d'argent.
Je conçois que les partisans de la contrainte par corps au civil l'appliquent en matière correctionnelle et criminelle ; ils sont logiques. Mais lorsque vous supprimez la première, il me semble bien difficile de ne pas supprimer l'autre.
Je fais, messieurs, cette observation en acquit de ma conscience.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'observation de l'honorable M. Lelièvre ne change rien au système de l'article 40. Cependant son système peut présenter un inconvénient et le voici :
Un individu est condamné par défaut et il se laisse condamner par défaut précisément pour ne pas payer l'amende dans le délai fixé et il fait plus tard opposition.
Dans le système de l'honorable M. Lelièvre, le délai ne commence à courir qu'à partir du jour où il sera statué sur l'opposition, tandis que dans notre système, si le jugement est confirmé, le délai courra à partir du premier jugement par défaut ; et l'opposition n'aura pas servi au prévenu pour retarder le payement de la dette.
Je crois qu'il n'y a aucun inconvénient à maintenir la rédaction de l'article 40. Au surplus nous sommes d'accord au fond avec l'honorable M. Lelièvre.
Quant à l'observation de l'honorable M. Coomans, elle n'est pas fondée. L'honorable membre s'est trompé s'il s'est imaginé qu'il s'agissait ici de contrainte par corps.
Il n'y a pas là de contrainte par corps, mais bien le remplacement d'une peine par une autre, la substitution d'un emprisonnement à l'amende.
Aussi l'article 40 ne se sert pas des mots « contrainte par corps », mais il dit qu'à défaut de payement l'amende pourra être remplacée par un emprisonnement d'une durée déterminée ; le législateur fixe l'emprisonnement dont la durée est déterminée par le juge et qui tiendra lieu d'amende.
Si le système de l'honorable membre était adopté, il en résulterait que des individus qui ne peuvent pas payer l'amende ne pourraient jamais subir la peine qui est attachée à certains délits ou à certaines contraventions. Ce serait en définitive consacrer l'impunité au profit des citoyens insolvables.
Il faut bien considérer qu'il ne s'agit que d'une peine qui tient lieu d'une autre peine.
M. Coomans. - Quoi qu'en dise M. le ministre de la justice, il me semble que c'est une distinction bien aiguë, bien sophistique que celle qu'il établit entre la contrainte par corps et la peine.
C'est au fond la même chose, puisque dans l'un et l'autre cas, on a privé le citoyen de sa liberté pour le forcer à s'acquitter financièrement. Or, c'est cette coutume qui m'a choqué dans tout le cours de l'histoire. Nous. ne sommes pas si loin du temps où l'on s'acquittait, devant la justice criminelle, pour de l'argent. Il y a eu des siècles où l'on pouvait tuer pour de l'argent ; cela coûtait quelques deniers et ceux qui n'avaient pas de deniers en étaient quittes pour donner un animal, un mouton, un bœuf, etc., en échange d'une vie humaine.
Ce système a été condamné, mais nous en avons conservé quelque chose, nous n'avons pas poussé la franchise et l'humanité assez loin. Nous condamnons un individu à une amende pour avoir enfreint une loi de l'Etat et nous lui disons : Si vous ne payez pas, vous subirez un emprisonnement, absolument comme on dit au débiteur que s'il ne s'acquitte pas envers son créancier, il sera privé de la liberté pour un terme plus ou moins long. Au fond, je le répète, c'est la même chose ; mais il y a un privilège pour la fortune. L'homme riche ou aisé s'acquittera en ouvrant sa bourse ; le pauvre, coupable ici du délit de pauvreté, payera de sa personne.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Coomans oublie que l'emprisonnement et l'amende sont également à la disposition de la société.
M. Coomans. - Il faut rendre les peines égales.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous examinerons ce point tout à l'heure. Mais je vous ferai remarquer que lorsqu'elle commune un emprisonnement ou une amende, la société n'outrepasse pas ses droits, elle pourrait parfaitement comminer un emprisonnement dans les cas où elle commine l'amende. La question est celle-ci : Etant donnés des insolvables que faut-il faire ? Faut-il leur laisser commettre impunément toutes les contraventions alors que pour les mêmes faits le citoyen riche sera puni d'une amende ? Ce serait une injustice. Si on ne peut atteindre les individus dans ce qu'ils possèdent, il faut bien les frapper d'une autre manière, sans cela on créerait en leur faveur un véritable privilège ; il en résulterait que les insolvables seraient soustraits à toute pénalité.
M. Coomans. - Il y a la prison.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sans doute et cette peine est applicable au riche comme au pauvre. Mais quant à l'amende, je le répète, à moins de proclamer l'impunité des insolvables, il faut bien remplacer l'amende par une autre peine.
M. Coomans. - Je ne demande pas l'impunité du pauvre. (Interruption.)
M. de Mérodeµ. - M. Coomans demande qu'au titre des contraventions la peine de l'amende soit partout remplacée par celle de l'emprisonnement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Eh bien, si telle est la pensée de l'honorable M. Coomans, je l'engage à s'entendre avec l'honorable M. Lelièvre qui trouve que déjà le code pénal, au titre des contraventions, est beaucoup trop sévère.
Pour moi, je ne vois pas moyen de punir les insolvables si l'on n'admet pas la substitution de l'emprisonnement à l'amende en cas de non payement de celle-ci. Au surplus, la durée de l'emprisonnement subsidiaire sera toujours proportionnée par le juge au chiffre de l'amende ; c'est pour cela qu'il y a un minimum et un maximum, et il est certain que le juge n'infligera pas trois mois d'emprisonnement pour tenir lieu d'une amende de cent francs.
Il n'est pas question ici de la contrainte par corps, mais d'un moyen subsidiaire que le législateur emploie pour parer à la difficulté ou, a l'impossibilité de récupérer l'amende.
- L'article 40 est mis aux voix et adopté.
« Art. 47. En ce qui concerne la condamnation aux frais prononcée au profit de l'Etat, la durée de la contrainte sera déterminée par le jugement ou l'arrêt, sans qu'elle puisse être au-dessous de huit jours, ni excéder six mois.
« Néanmoins, les condamnés qui justifieront de leur insolvabilité suivant le mode prescrit par le code d'instruction criminelle, seront mis en liberté après avoir subi sept jours de contrainte. »
- Adopté.
« Art. 48. La contrainte par corps ne sera ni exercée ni maintenue contre les condamnés qui auront atteint leur soixante et dixième année. »
- Adopté.
« Art. 54. Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime emportant la réclusion, pourra être condamné aux travaux forces de dix ans à quinze ans.
(page 284) « Si le crime emporte les travaux forcés de dix ans à quinze ans, le coupable pourra être condamné aux travaux forcés de quinze ans à vingt ans.
« Il sera condamné à dix-sept ans au moins de cette peine, si le crime emporte les travaux forcés de quinze ans à vingt ans. »
- Adopté.
« Art. 55. Quiconque, ayant été condamné à une peine criminelle, aura commis un crime puni de la détention de cinq ans à dix ans, pourra être condamné à la détention de dix ans à quinze ans.
« Si le crime est puni de la détention de dix ans à quinze ans, le coupable pourra être condamné à la détention extraordinaire.
« Il sera condamné à dix-sept ans au moins de détention, si le crime emporte la détention extraordinaire. »
- Adopté.
« Art. 56. Quiconque, après une condamnation à une peine criminelle, aura commis un délit, pourra être condamné à une peine double du maximum porté par la loi contre le délit.
« La même peine pourra être prononcée en cas de condamnation antérieure à un emprisonnement d'un an au moins, si le condamné a commis le nouveau délit avant l'expiration de cinq ans depuis qu'il a subi ou prescrit sa peine.
« Dans ces deux cas, le condamné pourra être placé, par le jugement ou l'arrêt, sous la surveillance spéciale de la police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
- Adopté.
« Art. 57. Les règles établies pour la récidive seront appliquées, conformément aux articles précédents, en cas de condamnation antérieure prononcée par un tribunal militaire, pour un fait qualifié crime ou délit par les lois pénales ordinaires, et à une peine portée par ces mêmes lois.
« Si, pour ce fait, une peine portée par les lois militaires a été prononcée, les cours et tribunaux, dans l'appréciation de la récidive, n'auront égard qu'au minimum de la peine que le fait puni par le premier jugement pouvait entraîner d'après les lois pénales ordinaires. »
- Adopté.
« Art. 64. Les peines de confiscation spéciale, à raison de plusieurs crimes, délits ou contraventions, seront toujours cumulées. »
- Adopté.
« Art. 66. Seront punis comme auteurs d'un crime ou d'un délit :
« Ceux qui l'auront exécuté ou qui auront coopéré directement à son exécution ;
« Ceux qui, par un fait quelconque, auront prête pour l'exécution une aide telle que, sans leur assistance, le crime ou le délit n'eût pu être commis ;
« Ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoirs, machinations ou artifices coupables, auront directement provoqué à ce crime ou à ce délit ;
« Ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, auront provoqué directement à le commettre, sans préjudice des peines portées par la loi contre les auteurs de provocations à des crimes ou a des délits, même dans le cas où ces provocations n'ont pas été suivies d'effet. »
M. Coomans. - Le dernier paragraphe de cet article me paraît bien sévère. Qu'on punisse, comme le sont les auteurs d'un crime, les personnes qui y ont directement contribué et surtout celles dont l'aide a été indispensable à l'accomplissement de ce crime, ces personnes fussent-elles des complices éloignés, je le conçois et j'adhère entièrement. Mais je ne puis considérer comme complices directs, ni admettre que l'on punisse comme les auteurs du crime, des personnes qui, ainsi que le dit le paragraphe final « soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, auront provoqué directement à le commettre. »
Une pareille pénalité me semble excessive. Je la crains moins à cause du moindre degré de criminalité du coupable qu'à cause de l'abus qu'il est facile de faire d'une pareille disposition,
Reconnaissons-le : on pourrait considérer comme provocation directe à un crime des actes qui réellement n'offrent pas ce caractère. Un individu, par exemple, affiche et vend un écrit dans lequel il excite à l'assassinat d'un législateur, d'un ministre, ou d'une autre personne à laquelle il reproche des crimes politiques ; cet individu est certainement coupable ; il doit être puni ; mais doit-il être puni de la même peine que celui qui aura plongé le poignard dans le cœur de sa victime ? Cela me paraît trop fort.
J'appelle l'attention de la Chambre sur le point de savoir s'il ne serait pas juste et facile d'atténuer ce paragraphe.
M. Lelièvreµ. - Je dois faire observer à l'honorable M. Coomans que la disposition critiquée par lui est conforme à la législation antérieure, notamment au décret du Congrès de 1831.
Celui qui, par les moyens indiqués dans l'article, provoque directement à commettre un crime ou un délit, est, d'après la doctrine et la jurisprudence, l'auteur intellectuel. C'est lui qui, par sa provocation, est cause que le fait a été commis ; sans lui, il n'aurait été posé aucun fait délictueux. II est donc tout naturel que le provocateur, en ce cas, encoure toute la responsabilité de l'acte dont, en réalité, il est le premier auteur. Aussi, c'est en ce sens qu'ont statué toutes les législations et un grand nombre de lois spéciales portées en Belgique.
- La discussion est close. L'article 66 est adopté.
« Art. 67. Seront punis comme complices d'un crime ou d'un délit :
« Ceux qui auront donné des instructions pour le commettre ;
« Ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui a servi au crime ou au délit, sachant qu'ils devaient y servir ;
« Ceux qui, hors le cas prévu par le paragraphe 3 de l'article 66, auront, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs du crime ou du délit dans les faits qui l'ont préparé ou facilité, ou dans ceux qui l'ont consommé.
- Adopté.
« Art. 72. L'accusé ou le prévenu, âgé de moins de seize ans accomplis au moment du fait, sera acquitté s'il est décidé qu'il a agi sans discernement ; mais il pourra, d'après les circonstances, être mis à la disposition du gouvernement, pour un temps qui ne dépassera pas l'époque où il aura accompli sa vingt et unième année.
« Dans ce cas, il sera placé dans un des établissements spéciaux de réforme ou dans un établissement de charité. Le gouvernement pourra le renvoyer à ses parents, si, dans la suite, il présente des garanties suffisantes de moralité. »
MJBµ. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de discuter l'article 72 en trois paragraphes. Le premier finirait aux mots « sans discernement ». Le second alinéa commencerait par les mots : « Il pourra, d'après les circonstances, etc. » ; le deuxième paragraphe actuel deviendrait le troisième paragraphe.
M. Delcourµ. - Messieurs, je ne m'oppose pas à cet amendement, mais, à ce sujet, je demanderai une explication.
D'après la proposition de l'honorable ministre, le premier paragraphe finirait aux mots : « sans discernement ». Le deuxième paragraphe commencerait par les mots : « il pourra, d'après les circonstances, etc. ». Je demande si on ne devrait pas retrancher les mots : « d'après les circonstances ». Ces mots ont été empruntés à l'article 66 du code pénal de 1810. Mais le code de 1810 laissait une alternative au juge. Le juge pouvait, d'après les circonstances, ou remettre l'accusé à sa famille, ou le mettre à la disposition du gouvernement. Cette alternative n'est pas reproduite dans le projet de loi que nous discutons. Ce n'est plus le juge qui décidera si l'accusé sera remis à s a famille.
L'accusé peut être remis à la disposition du gouvernement pour un temps qui n'excédera pas l'époque de sa majorité, et, dans ce cas, le gouvernement pourra, si l'accusé présente des garanties suffisantes de moralité, le renvoyer à ses parents.
S'il résulte de ces observations que les mots « d'après les circonstances », sont inutiles, on devrait les retrancher, si l'honorable ministre y consent.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, les mots « d'après les circonstances » sont inutiles ; il n'y a aucun inconvénient à les supprimer dans l'article 72.
M. Mullerµ. - Messieurs, je ne sais si j'ai bien compris l'honorable M. Delcour ; mais il me semble que d'après les paroles qu'il a prononcées, le tribunal ne serait plus souverain juge de décider si l'individu serait renvoyé, oui ou non, dans une école de réforme...
(page 285) M. Delcourµ. - Je n'ai pas dit cela.
M. Mullerµ. - Je ne sais ; aussi je demande une explication sur ce point, que l'honorable M. Delcour, en rappelant le code pénal de 1810, a dit qu'il y avait actuellement pour le juge une alternative qui n'existerait plus dans le nouveau code.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, dans l'ancien code, il y avait cette distinction : le tribunal pouvait, d'après les circonstances, remettre l'enfant à sa famille, ou bien il le pouvait mettre à la disposition du gouvernement. D'après le nouveau. code, c'est le gouvernement qui a le droit de remettre l'enfant à sa famille ; mais après la condamnation ce n'est plus le tribunal. L'alternative qui existait dans le code pénal de 1810 est supprimée. Seulement le tribunal peut mettre ou ne pas mettre l'enfant à la disposition du gouvernement.
M. Lelièvreµ. - Je pense que l'article, tel qu'il est conçu, peut être maintenu. Il est évident que si le juge n'use pas du droit de mettre l'inculpé à la disposition du gouvernement, il le renvoie par cela même à ses parents, sous la tutelle desquels l'inculpé est placé. Du reste, le mot : « pourra », que contient l'article, suffit pour investir le juge d'un pouvoir discrétionnaire. Je dois convenir que les mots : « selon les circonstances », n'ajoutent rien à la pensée qui a dicté la disposition. En effet, évidemment, ce sont les circonstances qui détermineront le juge à user ou non de la faculté qui lui est accordée.
MpVµ. - M. Delcour, persistez-vous dans votre amendement ?
M. Delcourµ. - Oui, M. le président. Je ne vois réellement aucune difficulté, comme le disait tout à l'heure M. le ministre de la justice, à supprimer les mots : « d'après les circonstances ». Si la Chambre est d'accord, je n'insisterai pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande la suppression de ces mots. Il est toujours très inutile de maintenir des mots qui ne sont pas nécessaires.
- L'article 72, rédigé comme le propose M. le ministre de la justice et avec la suppression des mots : « d'après les circonstances », est adopte.
« Art. 73. S'il est décidé qu'il a agi avec discernement, les peines seront prononcées ainsi qu'il suit :
« S'il a encouru la peine de mort, des travaux forcés à perpétuité ou de la détention perpétuelle, il sera condamné à un emprisonnement de dix ans à vingt ans ;
« S'il a encouru la peine des travaux forcés à temps ou de la détention extraordinaire, il sera condamné à un emprisonnement de cinq ans à dix ans ;
« S'il a encouru la peine de la réclusion ou de la détention ordinaire, il sera condamné à un emprisonnement d'un an à cinq ans. »
- Adopté.
« Art. 74. Lorsque l'individu âgé de moins de seize ans accomplis aura commis, avec discernement, un délit, la peine ne pourra s'élever au-dessus de la moitié de celle à laquelle il aurait été condamné s'il avait eu seize ans. »
- Adopté.
« Art. 75. En aucun cas, l'accusé ou le prévenu âgé de moins de seize ans accomplis ne pourra être placé sous la surveillance spéciale de la police, ni condamné à l’interdiction des droits énumérés à l’article 31. »
- Adopté.
« Art. 76. Lorsqu'un sourd-muet, âgé de plus de seize ans accomplis, aura commis un crime ou un délit, s'il est décidé qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté ; mais il pourra, d'après les circonstances, être placé dans un établissement déterminé par la loi, pour y être détenu et instruit pendant un nombre d'années qui n'excédera pas cinq ans.
« S'il est décidé qu'il a agi avec discernement, les peines seront prononcées conformément aux articles 73, 74 et 75 du présent code. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cet article doit subir les mêmes modifications que l'article 72. Il doit donc être divisé en trois paragraphes, le deuxième commençant par les mots : « Il pourra être placé... »
Les mots : « d'après les circonstances » doivent être également supprimés.
-L'article ainsi modifié est adopté.
« Art 77. La peine de mort ne sera prononcée contre aucun individu âgé de moins de dix-huit ans accomplis au moment du crime.
« Elle sera remplacée par la peine des travaux forcés à perpétuité. »
- Adopté.
« Art. 79. S'il existe des circonstances atténuantes, les peines criminelles sont réduites ou modifiées conformément aux dispositions qui suivent. »
- Adopté.
« Art. 80. La peine de mort sera remplacée par les travaux forcés à perpétuité ou les travaux forces de quinze ans à vingt ans.
« La peine des travaux forcés à perpétuité, par les travaux forcés de quinze ans à vingt ans, ou de dix ans à quinze ans.
« La peine des travaux forcés de quinze ans à vingt ans par les travaux forets de dix ans à quinze ans ou la réclusion.
« La peine des travaux forcés de dix ans à quinze ans, par la réclusion ou même par un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous de trois ans.
« La peine de la réclusion, par un emprisonnement de trois mois au moins. »
- Adopté.
« Art. 81. La peine de la détention perpétuelle sera remplacée par la détention extraordinaire ou par la détention de dix ans à quinze ans.
« La peine de la détention extraordinaire, par la détention de dix ans à quinze ans ou de cinq ans à dix ans.
« La peine de la détention de dix ans à quinze ans, par la détention de cinq ans à dix ans, ou par un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous de deux ans.
« La détention de cinq ans à dix ans, par un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous de deux mois. »
- Adopté.
« Art. 82. Dans le cas où la loi élève le minimum d'une peine criminelle, la cour appliquera le minimum ordinaire de cette peine, ou même la peine immédiatement inférieure, conformément aux articles précédents. »
- Adopté.
« Art. 83. L'amende en matière criminelle pourra être réduite, sans qu'elle puisse être en aucun sas inférieure à vingt-six francs. »
- Adopté.
« Art. 85. S'il existe des circonstances atténuantes, les peines d'emprisonnement et d'amende pourront respectivement être réduites au-dessous de huit jours et au-dessous de vingt-six francs, sans qu'elles puissent être inférieures aux peines de police.
« Les juges pourront aussi appliquer séparément l'une ou l'autre de ces peines.
« Si l'emprisonnement est porté seul, les juges pourront y substituer une amende qui n'excédera pas cinq cents francs.
« Si l'interdiction des droits énumérés en l'article 31 et la surveillance de la police sont ordonnées ou autorisées, les juges pourront prononcer ces peines pour un teme d'un an à cinq ans, ou les remettre entièrement. »
- Adopté.
« Art. 86. Les peines prononcées par des arrêts ou jugements devenus il révocables s'éteignent par la mort du condamné.
« Toutefois, l'Etat pourra, après ces arrêts ou jugements, exiger le payement des amendes purement fiscales et se mettre en possession des objets dont la confiscation a été ordonnée et non effectuée. »
- Adopté.
« Art. 87. Le Roi peut faire cesser les incapacités prononcées par les juges ou attachées par la loi à certaines condamnations. » -
M. Lelièvreµ. -D'après le rapport de l'honorable M. Pirmez, l'article 87 a pour conséquence de supprimer la réhabilitation légale. En conséquence, s'il est voté, le droit à la réhabilitation disparaît complètement. M. Delcour et moi avons déposé une proposition ayant pour objet d'organiser l'exercice de ce droit en matière correctionnelle. Je pense donc qu'il faudrait réserver l'article 87 pour le discuter eu même temps que notre proposition, car le vote de la disposition de l’article 87 fait nécessairement tomber celle que nous avons déposée. Par conséquent, il faut naturellement discuter le tout en même temps.
(page 280) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, encore quatre ou cinq articles et nous arriverons à la fin du premier livre. Je crois que c'est le moment de s'occuper de la proposition de l'honorable M. Lelièvre. Je ne crois pas que l'honorable membre veuille exciper de ce que cette proposition n'est pas à l'ordre du jour, pour s'opposer à ce qu'on la discute, à propos de l'article 87. On acceptera le système proposé par l'honorable M. Lelièvre ou le système proposé par la commission de la Chambre et voté par la Chambre et par le Sénat.
M. Lelièvreµ. - Je me rallie à votre opinion.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Lelièvre se ralliant, je me permettrai alors de déclarer quelle est mon opinion sous ce rapport.
Il me semble préférable, sous tous les rapports, de voter le système qui a été adopté. Quel est ce système ? C'est d'accorder au pouvoir exécutif le droit de faire cesser les incapacités prononcées par le juge ou attachées par la loi à certaines condamnations.
Que veut l'honorable M. Lelièvre ? Il prétend qu'une pareille réhabilitation n'est pas suffisante, qu'elle n'a pas un effet moral assez grand et qu'il conviendrait, tout en maintenant peut-être la réhabilitation gracieuse, d'établir, à côté d'elle, la réhabilitation judiciaire.
Eh bien, je crois que le système de l'honorable membre n'est pas admissible, par cette seule raison que le pouvoir exécutif a toujours le droit de ne pas se rallier à l'avis donné par la cour d'appel. Ainsi, un individu est condamné, d'après le système de la réhabilitation légale, que doit-il faire ? Il doit poursuivre celle réhabilitation devant les tribunaux, c'est-à-dire qu'il faut recommencer de nouveau l'examen de tous les faits qui ont amené la condamnation ; et puis, quand la cour a donné un avis favorable, il faut que le pouvoir exécutif statue, et celui-ci est libre de ne pas accorder la réhabilitation.
Je comprendrais le système de l'honorable membre, si la cour avait le droit de réhabiliter, si le pouvoir exécutif était obligé de se conformer à l'avis de la cour ; mais il n'en est pas ainsi et le pouvoir exécutif reste libre d'accorder ou de refuser la réhabilitation.
J'ai la conviction, messieurs, que personne ne demandera la réhabilitation ordinaire ; j'en ai la preuve dans le petit nombre de réhabilitations demandées.
N'est-il pas douloureux pour un condamné de faire revivre devant les tribunaux le souvenir d'une ancienne faute, tandis que, dans le système du projet actuel, il peut obtenir la réhabilitation à la suite d'une instruction administrative, d'une instruction bienveillante, où il n'y a pas de délais de rigueur ?
M. Lelièvreµ. - Je crois devoir persister à maintenir la réhabilitation légale comme n'ayant rien de commun avec le droit de grâce, et je pense qu'il est important de ne pas supprimer cette institution. En effet, remarquez d'abord que mon système est conforme à toutes les législations antérieures. Le code de 1791 et le code d'instruction criminelle l'ont introduit dans des vues supérieures qu'il est impossible de méconnaître. La grâce est une pure faveur, qui se borne à libérer le condamné de certains effets de la condamnation. La réhabilitation légale au contraire est la déclaration solennelle des pouvoirs publics que l'individu autrefois coupable a expié son méfait, et cette déclaration a pour conséquence non seulement de faire cesser les incapacités, mais tous les effets quelconques de la condamnation. L'individu est considéré comme un homme nouveau rentrant dans la société pleinement justifié et n'étant plus même passible des peines de la récidive.
Or, est-il possible de remplacer semblable institution présentant des avantages considérables au profit du condamné par une simple faveur qui est loin d'avoir la même portée ?
Celui qui obtient sa grâce n'est pas lavé du méfait comme celui qui obtient sa réhabilitation.
A quel titre maintenant fera-t-on disparaître une institution qui doit exercer une influence favorable sur la position du condamné, qui doit relever ce dernier dans l'opinion publique et contribuer puissamment à amener l'amendement des individus frappés par la justice ?
Comment sans motifs sérieux abroger une législation en vigueur chez nous depuis 1791 et qui a sa source dans l'ancienne jurisprudence ? Quant à moi, messieurs, je ne saurais me rallier à un système qui amoindrit une institution que tous les criminalistes ont approuvée et qui est adoptée par les législateurs des pays voisins.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, je ne veux faire qu'une seule observation, c'est que l'honorable M. Lelièvre repousse précisément ce qu'il y a de bon dans le système du nouveau code.
Il veut rétablir la réhabilitation légale parce que c'est une déclaration « solennelle » que le condamné obtient de son retour à une conduite régulière.
Ce qu'il y a de mauvais dans ce système, c'est précisément la solennité de cette déclaration.
Je vous demande quel est l'individu condamné qui viendra cinq ans après sa condamnation ouvrir un débat devant une cour, s'exposer aux attaques du ministère public, pour entendre déclarer qu'il est un voleur, qu'il a été condamné pour vol, mais que depuis lors il s'est bien conduit ?
D'après nos mœurs le seul moyen de faire oublier une condamnation, c'est de ne pas en parler ; la solennité que demande l'honorable M. Lelièvre est tout ce qu'il y a de plus contraire à la réhabilitation de fait.
Remarquez, messieurs, qu'il n'y a rien autre chose dans la proposition de M. Lelièvre. Lorsque le condamné a obtenu une décision favorable de la cour d'appel, il arrive devant le pouvoir exécutif qui déclare si, oui ou non, il accorde la réhabilitation. N'est-il pas bien plus simple de s'adresser directement au pouvoir exécutif ?
L'honorable M. Lelièvre veut qu'on marche par un très long chemin à un but où l'on peut arriver par un chemin très court, et celui qui suivrait le système de l'honorable membre irait tout simplement chercher midi à 14 heures comme on dit vulgairement.
Je crois, messieurs, que le système de l'honorable M. Lelièvre est sans aucune espèce d'avantage et il devient bien plus inutile encore, aujourd'hui que nous admettons que le droit de grâce peut faire cesser les incapacités.
M. Lelièvreµ. - Le discours de l'honorable M. Pirmez n'a évidemment qu'une portée, celle d'établir que les formalités requises par le code d'instruction criminelle en matière de réhabilitation peuvent être modifiées. Il en résulterait, au plus, que, sous le rapport des formes solennelles, il faudrait supprimer celles qui concernent la publicité. Mais bien certainement, on n'a énoncé aucun motif solide à l'effet de prouver qu'il faut supprimer la réhabilitation légale, même celle qui serait prononcée par le pouvoir judiciaire.
J'ai justifié l'institution, et je ne puis, à cet égard, que me référer aux observations que j'ai présentées. On n'a jamais vu, dit M. Pirmez, d'exemple d'un individu réclamant sa réhabilitation. Mais en ce moment même, un individu, condamné en 1831, la poursuit devant la cour d'appel de Gand. Du reste, cela se comprend facilement. Un simple arrêté de grâce laisse subsister certains effets de la première condamnation, il n'efface pas le premier crime. Pourquoi donc vouloir faire cesser un état de choses, sauvegardant des intérêts précieux, éminemment favorable au condamné, replaçant celui-ci dans une position honorable ?
Si l'on pense que les formes telles qu'elles sont prescrites par le code d'instruction criminelle ne remplissent pas le but qu'on veut atteindre, déférons aux tribunaux le soin de statuer sur la réhabilitation ; mais ne confondons pas la grâce avec le droit à la réhabilitation et ne supprimons pas une institution qui, au point de vue de l'amendement des condamnés, ne peut produire que des résultats que l'on doit apprécier.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'erreur de l'honorable membre provient, j'imagine, de ce qu'il perd de vue que le pouvoir exécutif n'est pas lié par l'avis de la cour d'appel. Cependant l'honorable M. Lelièvre doit reconnaître que le pouvoir exécutif est libre d'accorder ou de ne pas accorder la réhabilitation ; la cour d'appel n'émet qu'un avis et la réhabilitation du Codé de 1810 n'est, en définitive, qu'une grâce.
Je concevrais le système de l'honorable M. Lelièvre s'il disait : « les cours d'appel ont le droit de réhabiliter ; » mais du moment qu'il admet le système du code d'instruction criminelle de 1810, d'après lequel le pouvoir exécutif peut ne pas se conformer à l'avis de la cour d'appel, alors la proposition de M. Lelièvre ne présente plus que des inconvénients.
L'honorable membre dit : « La preuve qu'on use de la réhabilitation légale, c'est qu'elle est, en ce moment-ci, demandée à la cour d'appel de Gand. » Cela est possible, mais avec la loi en discussion, l'individu qui sollicite sa réhabilitation de la cour d'appel de Gand préférerait s'adresser au gouvernement.
Au surplus depuis que le code d'instruction criminelle est en vigueur dans notre pays, il n'y a eu qu'un fort petit nombre de réhabilitations légales.
L'honorable membre ajoute que la réhabilitation par le Roi n'efface pas toutes les conséquences de la condamnation, notamment en ce qui concerne la récidive.
C'est là, messieurs, un point sur lequel il me serait impossible de me (page 287) prononcer. Je crois que l'honorable membre a vérifié la chose. Il est possible que. la réhabilitation du code d'instruction criminelle produise l'effacement complet de la condamnation, à tel point qu'on ne puisse s'en prévaloir pour la récidive. Je ferai remarquer cependant que l'article 633 du code d'instruction criminelle, qui règle les effets de la réhabilitation légale, se sert des mêmes termes que ceux employés dans le projet de loi.
Voici comment il s'exprime :
« La réhabilitation fera cesser, pour l'avenir, dans la personne du condamné toutes les incapacités qui résultaient de la condamnation. »
La jurisprudence a, dit-on, tiré de cet article la conséquence que la première condamnation disparaît, même pour la récidive. S'il en est ainsi, il est admissible que la jurisprudence devra tirer les mêmes conséquences de l'arrêté royal.
M. Delcourµ. - Messieurs, toute l'argumentation que vous venez d'entendre se réduit à ceci. La réhabilitation n'est plus nécessaire aujourd'hui parce que le droit de grâce, ici qu'il est défini par l'article 87 du projet, produira les mêmes effets que la réhabilitation.
Mais, messieurs, le droit de grâce n'est pas nouveau. Il existait à l'époque où l'on a promulgué le code d'instruction criminelle, en 1808.
Depuis l'établissement du premier empire, le droit de grâce n'a jamais cessé d'exister en France. Il appartenait à l'empereur Napoléon Ier ; il fut maintenu par la charte de 1814, par celle de 1830, par les constitutions impériales nouvelles : jamais, sous aucun de ces régimes, on n'a considéré la réhabilitation comme faisant un double emploi avec le droit de grâce.
Une difficulté d'interprétation très grave s'est présentée depuis la mise en vigueur de notre Constitution. On s'est demandé quelle était la portée de l'article 73 qui attribue au Roi le droit de remettre et de réduire les peines prononcées par le juge. Cette disposition accorde-t-elle au Roi le droit de faire cesser les incapacités prononcées par les juges ou attachées par la loi à certaines condamnations ?
Les opinions des jurisconsultes belges étaient partagées sur ce point. Plusieurs pensaient que le pouvoir constitutionnel du Roi ne s'étendait pas jusque-là.
L'occasion de trancher cette difficulté par la loi s'est présentée dans le code pénal.
L'article 87 que nous discutons confère, en termes formels, ce pouvoir au Roi. A l'avenir donc il n'y aura plus de doute ; le Roi pourra faire cesser les incapacités prononcées par les juges ou attachées par la loi à certaines condamnations.
En ce sens j'adhère complètement à la décision prise par la Chambre, et je voterai l'article 87. Mais de là à la suppression de la réhabilitation légale, il y a la distance du tout au tout.
Comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, le droit de grâce existait en France, lorsque la législature a voté le code d'instruction criminelle qui nous régit encore ; il était admis dans les termes les plus étendus ; il s'étendait même jusqu'à l'amnistie.
Si l'objection qu'on fait à la proposition que nous avons eu l'honneur de présenter à la Chambre, était fondée, on aurait dû supprimer, en France, la réhabilitation légale, comme on vous le propose ici. Loin de contester l'utilité de cette grande institution qui se retrouve partout et dans presque toutes les législations, la loi du 13 juillet 1852 a étendu la réhabilitation aux condamnés correctionnels.
Qu'on ne vienne donc plus nous dire que l'article 87 du projet de loi a pour conséquence de supprimer la réhabilitation légale : si tel était son objet, je ne comprendrais plus le code d'instruction criminelle lui-même.
La réhabilitation légale est une institution éminemment morale et sociale ; elle a sa racine dans le droit pénal lui-même : Dès qu'on établit des incapacités permanentes, la loi, pour être juste, doit offrir au condamné qui s'est amendé par une épreuve longue et soutenue, le moyen de rentrer dans la société Eh bien, la réhabilitation légale, c'est ce moyen :
« Lorsque la loi est sage, qu'elle ne réhabilite que celui qui est réellement régénéré, alors la réhabilitation est une institution éminemment morale et utile. Elle présente au criminel un appât pour devenir meilleur, elle lui donne une espérance et un avenir. » Ces paroles sont empruntées au rapport de la commission du corps législatif français sur la loi du 3 juillet 1832.
La réhabilitation légale, dit M, le ministre, aboutit toujours à un arrêté royal qui prononce définitivement sur son admission ou sur son rejet.
Ne confondons pas, messieurs, l’acte de grâce, proprement dit, pris en vertu de l'article 73 de la Constitution, avec l'arrêté royal porté en exécution des dispositions du code d'instruction criminelle.
Dans ce dernier cas, c'est moins un acte de grâce que le Roi pose qu'une prérogative judiciaire qu'il exerce.
L'arrêté royal qui accorde ou refuse la réhabilitation, dit M. Haus, dans le rapport même de la commission, doit être considéré comme un jugement.
J'avais donc raison de dire que la grâce diffère du tout au tout de la réhabilitation.
Prétendre que la réhabilitation légale est inutile, c'est faire le procès, messieurs, à la législation qui nous régit depuis 1808.
Je vous prie de ne pas oublier que, depuis cette époque, la grâce et la réhabilitation ont existé dans nos lois, et personne n'a dit encore que ces deux institutions ne pouvaient subsister à côté l'une de l'autre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre aurait raison si la thèse qu'il soutient était réellement celle qui est dans sa pensée. Mais il n'en est rien. J'admets parfaitement avec lui que la réhabilitation ne sera pas la même chose que le droit de grâce, à la condition que vous décidiez que dans certains cas déterminés la réhabilitation sera obligatoire comme pour le failli en matière commerciale. C'est là un système à examiner. Est-il possible ? je n'en sais rien.
L'honorable M. Delcour dit : Mais le droit de grâce a existé simultanément avec la réhabilitation depuis 1808. C'est là précisément la critique la plus sérieuse qu'on puisse faire du système de 1808 en matière de droit criminel.
M. Pirmezµ. - La réhabilitation a été introduite pour faire disparaître la note d'infamie attachée aux condamnations criminelles par le code de 1810. Il n'y a plus de peines infamantes.
La conséquence de la suppression des peines infamantes est la suppression de la réhabilitation. Cela est tellement vrai que le code de 1810 n'admettait pas la réhabilitation dans le cas où il n'y avait pas d'infamie et qu'il y aurait eu double emploi pour le droit de grâce et la réhabilitation. C'est ce double emploi que la proposition rétablit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une autre manière d'envisager les choses. Mais lorsque je réponds à l'honorable M. Delcour, qui demande d'étendre aux condamnés correctionnels le principe de la réhabilitation du code d'instruction criminelle, l'argument subsiste en entier.
Peu importe que la peine soit infamante ou non, l'honorable M. Delcour soutient que, pour le code de 1808, la réhabilitation était une sorte de jugement que rendait le Roi. C'est par un véritable abus de mots que l'on donne à la décision du Roi la qualification du jugement.
La réhabilitation telle qu'elle résulte du code de 1808 n'est, en réalité, qu'une véritable faveur. Sa conséquence n'est pas d'effacer le crime. Le crime existe, mais le droit de grâce fait remise des conséquences du crime.
Si l'honorable M. Delcour veut prétendre qu'il faut, à côté du droit de grâce, établir un moyen de réhabilitation légale et que les tribunaux devront prononcer la réhabilitation dans certains cas déterminés, alors la thèse change, et je ne dis pas que dans cette voie il n'y ait rien à faire.
Au surplus, l'honorable M. Delcour a prononcé quelques paroles qui peuvent donner une solution immédiate de la question.
M. Delcour dit qu'il votera l'article 87. Votons-le donc et lorsque nous arriverons à la réforme du code d'instruction criminelle, l'honorable membre pourra formuler sa proposition. Jusque-là la situation reste la même. La proposition de M. Lelièvre n'aurait d'importance que pour autant qu'elle dût apporter une modification à l'article 87 du code pénal. Mais il n'en est rien et l'honorable membre peut réserver son opinion jusqu'à la révision du code d'instruction criminelle.
M. Delcourµ. - S'il est entendu que la question de la réhabilitation légale pourra être reproduite lorsque la Chambre sera saisie d'un projet de loi sur la révision du code d'instruction criminelle, je n'insiste pas sur ma proposition.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est de droit.
M. Delcourµ. - Je le sais bien, mais je veux éviter qu'on ne vienne plus tard nous opposer la question préalable, en, invoquant la décision de la Chambre sur l'article 87.
(page 288) Je répète donc qu'il est entendu que le vote que nous allons émettre sur l'article 87 ne nous empêchera pas de revenir sur notre proposition et d'examiner la question éminemment sociale de la réhabilitation des condamnés.
MJBµ. - Le droit de l'honorable membre reste entier, puisque nous discutons pas en ce moment le code d'instruction criminelle.
M. Pirmezµ. - Je dois rectifier une erreur.
Le code d'instruction criminelle s'occupe de la réhabilitation ; mais ce code traite de matières qui rentrent tout à fait dans le droit pénal comme, par exemple : la matière du concours de délits, la prescription des peines. La réhabilitation est un mode d'extinction des peines ; or comme nous avons dans le code pénal un chapitre sur l'extinction des peines, c'est dans ce chapitre que doit être introduite la réhabilitation, si on la maintient.
Les commissions qui ont examiné la question, la commission extra-parlementaire, la commission de la Chambre dont j'ai été rapporteur, et la commission du Sénat dont M. le baron d'Anethan a été rapporteur, ont déclaré qu'en votant le chapitre X du code pénal, on entendait ne conserver que les modes d'extinction dont s'occupe ce chapitre.
Le mode d'extinction des peines étant régi par le code nouveau, sont abrogées de plein droit toutes les autres dispositions sur l'extinction des peines, et par conséquent celles qui traitent de la réhabilitation,
M. Coomans. - En tant qu'elles sont incompatibles ; mais ici ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela n'est pas logique et ce n'est pas conforme à l'article 6 du code pénal.
M. Pirmezµ. - Il suffit que la matière que régit une disposition de loi ait été traitée dans le code pour que cette disposition soit abrogée.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voyez l'article 6 du code pénal.
M. Pirmezµ. - Nous avons traité la matière de l'extinction des peines dans le nouveau code, pour abroger la réhabilitation ; on ne pouvait faire autrement que de la passer sous silence.
Nous avons une série de dispositions sur la prescription en matière criminelle ; les dispositions du code d'instruction criminelle sur cet objet sont abrogées. Nous avons traité de l'extinction des peines, il en résulte comme conséquence nécessaire que la réhabilitation, qui est un mode d'extinction, cesse d'exister.
Il ne faut pas qu'il y ait erreur à cet égard. Si donc les honorables membres veulent rétablir la réhabilitation, c'est dans le chapitre qui nous occupe qu'ils doivent introduire des dispositions à cet effet et pas ailleurs. (Interruption.)
Certainement les honorables membres seront toujours libres de proposer un projet de loi séparé, mais je constate que la place naturelle des dispositions concernant la réhabilitation serait dans le chapitre que nous discutons.
M. Delcourµ. - Il m'est impossible de me rallier à la théorie de M. Pirmez. De quoi s'agit-il, messieurs ? Mais d'abroger les dispositions du code d'instruction criminelle sur la réhabilitation. Je ne connais, messieurs, que deux modes d'abrogation des lois, l'abrogation expresse et l'abrogation tacite. L'abrogation expresse n'existe pas ; le code pénal ne contient pas de disposition formelle abrogeant les articles 623 et du code d'instruction criminelle.
Je ne retrouve pas non plus les conditions de l'abrogation tacite : il n'y a ni incompatibilité, ni opposition, ni contradiction entre l'article 87 du projet et les dispositions du code d'instruction criminelle.
Je sais bien, messieurs, qu'une déclaration contraire a été faite par l'honorable rapporteur au nom de la commission, mais une déclaration de cette nature ne peut abroger une loi existante. On s'est appuyé sur l'article 6 du projet de code pénal.
L'article 6 est conçu en ces termes : « Les cours et tribunaux continueront d'appliquer les lois et les règlements particuliers dans toutes les matières non réglées par le présent code. »
Veuillez remarquer que dans le chapitre X qui nous occupe, il n'est pas dit un mot de la réhabilitation, Il est donc impossible d'admettre, en droit, l'abrogation des dispositions du code d'instruction criminelle sur la réhabilitation.
Je ne saurais donc me rallier à la doctrine de M. Pirmez, qui est en opposition avec les principes du droit.
MpVµ. - Il a été convenu que la proposition de MM. Lelièvre et Delcour se rattacherait à l'objet qui nous occupe en ce moment ; je demande à ces honorables membre s'ils maintiennent leur proposition.
M. Delcourµ. - Je me suis expliqué tout à l'heure, M. le président ; j'ai dit que, en ce qui me concerne, je consens à ajourner notre proposition jusqu'au moment où la Chambre sera saisie d'un projet de loi sur la révision du code d'instruction criminelle, à la condition qu'on ne vienne pas nous opposer alors, comme fin de non-recevoir, l'article 87 qui est en discussion.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - La question soulevée est excessivement importante ; il ne s'agit pas seulement de savoir si l'honorable M. Delcour aura le droit de formuler de nouveau une proposition relativement à la réhabilitation ; il s'agit encore de décider si les tribunaux auront la faculté de prononcer la réhabilitation sans l'intervention du pouvoir exécutif.
Selon l'honorable M. Pirmez, toutes les commissions ont interprété l'article 87 dans le sens de l'abrogation de la réhabilitation établie par le code d'instruction criminelle.
M. Pirmezµ. - C'est évident : l'article 87 figure au chapitre X, intitulé : « De l’extinction des peines. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je concède que l'opinion de ces commissions soit sérieuse ; mais j'ajoute qu'elle n'est pas infaillible. Pour qu'elle le fût, il faudrait qu'elle s'appuyât sur des principes de droit. Or, quels sont les principes sur lesquels on s'est fondé ?
Comme l'a dit l'honorable M. Delcour, il n'y a que deux sortes d'abrogations : l'abrogation expresse et l'abrogation tacite. On reconnaît qu'ici l'abrogation expresse n'existe pas, mais on soutient qu'il y a abrogation tacite résultant de l'article 6, portant : « Les cours et les tribunaux continueront d'appliquer les lois et les règlements particuliers dans toutes les matières non réglées par le présent code. »
Or, messieurs, je pense que l'on donne à l'article. 6 du code une portée tout autre que celle qu'elle a réellement. (Interruption.)
L'honorable M. Pirmez base son opinion sur ce que l'article 87 figure au chapitre X intitulé « De l'extinction des peines. » Mais je ne sais pas si c'est éteindre une peine que de rétablir un individu dans tous les droits dont il jouissait avant sa condamnation. D'ailleurs, il y a, dans le fait, des incapacités qui ne sont pas des peines. Ainsi, l'incapacité résultant d'une condamnation et qui existe en vertu de la loi et non en vertu d'un jugement, cette incapacité n'est pas une peine ; c'est une simple conséquence de la condamnation. La réhabilitation peut donc effacer une incapacité prononcée en vertu de la loi et non en vertu d'un jugement.
La différence entre l'honorable MM. Pirmez et Delcour, c'est que ce dernier ne considère pas du tout la réhabilitation prononcée par le code d'instruction criminelle comme celle dont s'occupe l'article 87 du code pénal ; et selon moi ; il a parfaitement raison (Interruption.)
Vous dites : Les articles du code d'instruction criminelle relatifs à la réhabilitation sont abrogés par l'article 6 du nouveau code pénal. Je le veux bien, si l'article 87 et le chapitre de la réhabilitation du code d'instruction criminelle traitent la même matière ; mais l'article 87 s'occupe de la réhabilitation grâcieuse, le code d'instruction criminelle s'occupe de la réhabilitation judiciaire. Maintenant j'ajoute que telle qu'elle existe actuellement, la réhabilitation organisée par le code d'instruction criminelle est inutile, et c'est pourquoi je combats la proposition des honorables MM. Lelièvre et Delcour.
En effet, si les règles de la réhabilitation judiciaire actuelle devaient être maintenues, l'intéressé aurait un moyen beaucoup plus facile d'arriver à son but en s'adressant au pouvoir judiciaire. Mais je n'ai pas dit du tout qu'il y avait impossibilité de maintenir ces deux voies d'arriver à la réhabilitation et je crois qu'il peut être très utile même de les maintenir, parce que si, pour des raisons politiques, par exemple, un individu n'obtenait pas sa réhabilitation par la voie administrative, je ne verrais aucun inconvénient à ce que cet homme pût porter sa demande devant les tribunaux. (Interruption.) C'est un troisième système, en effet, et je le crois préférable aux autres puisqu'il offre aux intéressés deux voies pour arriver à la réhabilitation. Mais on comprend que je ne puis me prononcer sur ce système ; je ne sais s'il est possible,
(page 289) Je ne vois donc pas, messieurs, en quoi l'article 87, bien que placé au chapitre X qui traite de l'extinction des peines, a abrogé les dispositions du code d'instruction criminelle relatives à la réhabilitation judiciaire, et je ne vois pas non plus l'inconvénient que peut offrir l'adoption de cet article ; selon moi, la question reste entière et nous pourrons la résoudre définitivement quand nous nous occuperons du code d'instruction criminelle.
M. Lelièvreµ. - Au moyen des explications qui viennent d'être données par M. le ministre de la justice, je ne vois, pas plus que l'honorable M. Delcour, aucun inconvénient à remettre, jusqu'à la discussion du code d'instruction criminelle, l'examen de notre proposition relative à la réhabilitation légale.
MpVµ. - La proposition de MM. Lelièvre et Delcour est donc retirée pour le moment.
M. Mullerµ. - Comme on l'a dit, messieurs, il faut absolument qu'on s'explique à cet égard. Quant à moi, il m'est impossible de ne pas voir dans l'article 87 une dérogation expresse, si pas tout à fait littérale, au texte du code d'instruction criminelle actuel. En effet, le code d'instruction criminelle subordonne l'exercice du droit de grâce, quant à la remise des incapacités, à une procédure nouvelle ; c'est ce qu'on appelle la réhabilitation. L'article 87 supprime, selon moi, cette procédure judiciaire, et je comprends difficilement que les deux dispositions puissent subsister simultanément. Si, toutefois, elles devaient exister simultanément, il faut le dire par la disposition que nous discutons en ce moment ; sans cela, on s'en référerait aux rapports des commissions qui se sont prononcées sur ce point et qui ont déclaré formellement, sans rencontrer jusqu'ici de contradicteurs, que la réhabilitation consacrée par le code d'instruction criminelle est supprimée par l'article 87 du code pénal.
M. Guillery. - Si les commissions dont on a parlé ont eu l'intention qu'on leur attribue, il me semble qu'elles auraient dû l'exprimer législativement. Il est bien regrettable que, dans la discussion d'une loi aussi importante, il s'élève des doutes comme ceux qui, dans ce moment, occupent la Chambre.
Il était bien simple de dire : « Le Roi seul peut faire casser les incapacités... » ou adopter toute autre rédaction qui eût clairement indiqué l'intention d'abroger les articles 619 et suivants du code d'instruction criminelle. Mais le principe défendu par l'honorable M. Pirmez ne peut, évidemment pas être admis.
L'honorable membre dit : Il n'est pas nécessaire que la disposition que nous discutons soit incompatible avec le code d'instruction criminelle ; il suffit que la matière soit réglée par la loi actuelle, et de ce que la loi actuelle s'occupe de l'extinction des peines il résulte, d'après l'honorable membre, que tous les articles de lois qui s'appliquent à l'extinction des peines sont abrogés de plein droit.
C'est là, selon moi, une doctrine qu'il serait fort dangereux de voir se propager, et je sais gré à M. le ministre de la justice de l'avoir combattue.
Ne perdons pas de vue, messieurs, que l'application du code donnera lieu à des difficultés ; ne les augmentons pas en proclamant des principes de ce genre qui sont très controversables.
Non, messieurs, il n'est pas exact de prétendre que lorsque deux lois traitent de matières identiques, la seconde abroge la première. Ainsi la procédure devant les tribunaux de commerce est réglée pur le code de procédure civile et par le code de commerce et la seconde loi n'a cependant pas abrogé la première, si ce n'est dans les dispositions de celle ci qui étaient incompatibles avec les dispositions nouvelles.
M. Pirmezµ. - Lisez l'article 6 du code pénal.
M. Guillery. - L'article 6 ne dit pas ce que vous lui faites dire, ou, s'il le dit, c'est d'une manière qui n'est pas bien claire.
L'article 6 dit : « Les cours et les tribunaux continueront d'appliquer les lois et les règlements particuliers dans toutes les matières non réglées par le présent code. » Eh bien, on s'emparera de cet article pour en conclure a contrario sensu : Le code pénal n'a pas abrogé les dispositions du code d'instruction criminelle relatives à la réhabilitation. Pour moi j'y vois une intention de non-abrogation et non une intention d'abrogation.
Evidemment une disposition aussi vague que celle-là ne suffit pas pour que toute matière touchée par le nouveau code, fût-ce dans un seul article, soit exclusivement réglée par le code pénal ; pour que l'article 87 de notre projet abroge tout un chapitre du code d'instruction criminelle.
Les lois doivent être claires, et si M. le ministre de la justice ni d'anciens praticiens comme les honorables MM. Lelièvre et Delcour n'ont pas compris l'article 6 comme l'honorable M. Pirmez, j'ai le droit de dire que la loi n'est pas claire et demande à être corrigée.
Il importe en pareille matière qu'on s'explique clairement. Je crois que le mode indiqué par M. le ministre de la justice est le meilleur. Pourquoi ne voterions-nous pas cette disposition qui n'est, en définitive, comme l'a dit l'honorable M. Delcour, que l'interprétation de l'article de la Constitution qui donne au Roi le droit de grâce ? Il s'agit de décider que le droit de grâce s'étend aux incompatibilités prononcées par le juge. Voilà la question qu'on veut résoudre.
Il faut rédiger l'article en termes clairs. Certains jurisconsultes ont contesté ce droit au Roi. Eh bien, le législateur décide que le droit de grâce s'étend jusque-là.
Quant au fond de la question, j'incline vers l'opinion qui tend à conserver une réhabilitation judiciaire.
Autre chose est la réhabilitation judiciaire, autre chose la réhabilitation grâcieuse. A cet. égard, j'adhère complètement à ce qu'a dit l'honorable M. Delcour. Mais je m'associe aussi à l'observation qu'a présentée M. le ministre de la justice ; c'est qu'il faudrait donner une autre forme à la réhabilitation judiciaire. Je crois que, sous ce rapport, il y aurait lieu de modifier le système des honorables MM. Delcour et Lelièvre et de donner à la réhabilitation judiciaire, en cette matière comme en matière commerciale, un caractère mieux défini, un caractère purement judiciaire.
Je vais vous soumettre un exemple.
Je suppose un individu condamné par un tribunal correctionnel ; il obtient l'assurance qu'il aura sa grâce ; il ne veut pas de cette grâce ; il veut interjeter appel ; il veut faire réformer la décision du tribunal qui l'a condamné, car il préfère une décision judiciaire à la grâce qui, quelque honorable qu'elle soit, n'est cependant pas entourée des mêmes garanties et peut passer quelquefois pour une faveur ou pour un acte de clémence plutôt que de justice. Il en est de même pour la réhabilitation. Il est beaucoup plus désirable pour un condamné d'avoir une réhabilitation judiciaire que d'avoir ce qu'on appelle une réhabilitation grâcieuse.
M. Orts. - Messieurs, quelle que soit l'opinion qu'on ait sur ce débat, il faut absolument que la Chambre la consacre par une décision formelle. Il est impossible de rester dans la situation que nous font les déclarations contradictoires de M. le. rapporteur du code pénal, d'une part, et le ministre de la justice, au nom du gouvernement, de l'autre. Il y a pour cela une raison décisive : la question de l'abrogation des lois, dans le sens indiqué par M. Pirmez, est aujourd'hui, à tort ou à raison, résolue par la jurisprudence.
L'article 6 du nouveau code pénal, qu'on a lu tout à l'heure, déclare abrogées les lois qui s'occupent des mêmes matières que traite le nouveau code pénal.
Cette disposition n'est pas neuve : elle forme aujourd'hui le dernier article du code pénal de 1810. Cet article, conçu dans les mêmes termes que l'article 6 nouveau, est interprété par une jurisprudence constante dans le sens que donne à l'article 6 l'honorable M- Pirmez, c'est-à-dire que lorsqu'on invoque aujourd'hui une loi antérieure au code pénal de 1810 s'occupant d'une matière quelconque traitée par ce code, on la repousse en disant, non pas que le code pénal contient une disposition contraire à cette loi, mais que le code s'est occupé de la matière et que, par conséquent, il n'y a plus lieu de recourir à une législation antérieure.
Que ce système d'abrogation des lois soit bon ou mauvais, c'est là une question d'appréciation pour les jurisconsultes. Il reste néanmoins positif qu'en présence de l'article 6 qui reproduit les dispositions de l'article final du code pénal de 1810, l'interprétation donnée à cet article final du code ancien sera donnée à l'article 6 du nouveau code par les tribunaux.
Messieurs, il s'agit de la manière dont on pourra faire cesser les incapacités qui résultent d'une peine. Cette matière-là est traitée : vous avez donné au Roi le pouvoir de relever, non pas de la peine, mais des incapacités qui sont les conséquences d'une peine prononcée par le juge.
Je ne vois pas pourquoi on recule devant l'idée de trancher cette question d'une manière définitive. Nous discutons depuis une heure ; les (page 290) opinions doivent être faites ; qu'on nous présente un amendement, qu'il dise plus, qu'il dise moins, peu importe, mais qu'il dise quelque chose.
Voyez l'embarras dans lequel M. le ministre de la justice va se trouver, si on ne suit pas le conseil que je me permets de donner à la Chambre : Je suppose que le lendemain de la publication du nouveau code, il se présente un condamne qui, sans user du bénéfice de l'article que nous discutons, va s'adresser aux tribunaux et demande à être réhabilité par la voie judiciaire.
M. le ministre de la justice se croira-t-il autorisé, en présence du code pénal nouveau, à lui appliquer le code d'instruction criminelle aujourd'hui en vigueur ?
Ensuite, qu'arrivera-t-il si M. le ministre de la justice, ayant cette opinion que le code d'instruction criminelle peut encore être appliqué, se trouve en face d'une cour d'appel qui lui déclare : « Je ne m'occupe pas de cette affaire ; le code d'instruction criminelle est complètement remplacé par l'article 87 du nouveau code pénal, témoin M. Pirmez et toutes les commissions parlementaires. » Que fera M. le ministre de la justice si une cour d'appel dit blanc et une autre dit noir sur la question ? En que diront les justiciables, qui, sur la foi de son interprétation, se seront vainement adressés aux tribunaux ?
Devant cet embarras, pourquoi ne pas trancher la difficulté ? Pourquoi ne pas poser une règle qui soit un avertissement pour le public, de ne pas rechercher la réhabilitation par un moyen qui n'est plus légal ; qui soit aussi un guide pour le gouvernement et qui en même temps lève tous les doutes existant aujourd'hui sur l'interprétation de la loi dans l'esprit des législateurs auxquels on demande de la voter ?
Je demande donc à l'honorable ministre de la justice et à l'honorable rapporteur de vouloir bien aller jusqu'au bout, de nous proposer une affirmation directe et positive de leur opinion respective. La Chambre choisira.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, la difficulté signalée par l'honorable M. Orts n'existe pas. Voyons quelles sont les conséquences de la discussion qui a lieu en ce moment.
Les honorables MM. Lelièvre et Delcour présentent un amendement qui a pour but de rétablir la réhabilitation par voie judiciaire. On demande si l'article 87 supprime la voie judiciaire. Je réponds non, et l'honorable M. Pirmez répond oui. Je suppose que l'honorable M. Pirmez ait raison, et que moi j'aie tort. « Un justiciable, dit M. Orts, se présentera devant une cour d'appel et demandera la réhabilitation. »
La cour d'appel lui répondra qu'elle n'a pas à s'occuper de cette affaire ; le procureur général me renverra sa demande de réhabilitation et moi j'écrirai à ce justiciable : Vous avez eu grand tort de vous adresser à la cour d'appel, attendu que vous pouvez, en vertu de l'article 87, vous adresser directement au Roi. Je l'informerai que la procédure de la cour d'appel, si elle n'est pas supprimée de droit, est complètement inutile, parce que le pouvoir exécutif conserve le droit absolu d'adopter ou de ne pas adopter l'avis de la cour d'appel.
Donc, en fait, l'abrogation du code d'instruction criminelle, fût-elle évidente et certaine, ne peut amener aucun inconvénient.
Nous discutons, par conséquent, pour le plaisir de discuter.
M. Orts. - Nous discutons pour que les autres ne discutent pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je suppose un homme assez sot, comme le disait l'honorable M. Pirmez, pour préférer exposer son affaire devant la cour d'appel et voir discuter de nouveau le crime qu'il a commis dans le passé. Le Roi devra statuer sur l'avis de la cour. Donc quel que soit le système qu'on admette, il n'y a aucun inconvénient à redouter.
Maintenant, qu'ai-je voulu ? J'ai voulu émettre une opinion purement doctrinale. L'honorable M. Pirmez prétend que la matière est traitée dans le chapitre actuel. Je dis que, selon moi, elle n'y est pas traitée.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Si vous aviez lu les rapports des commissions, vous ne l'auriez pas cru.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai lu ces rapports, et je ne dis pas que tel ne soit pas leur avis. On comprendra au surplus que je ne les ai pas présents à la mémoire. Mais les commissions ont-elles eu raison ? Voilà la question. L'honorable M. Orts lui-même soutient que la question est controversée et controversable. Je ne dis pas que mon opinion doive triompher devant les tribunaux. Je suppose même qu'elle succombe. Mais vous ne pouvez m'imposer une opinion de droit qui n'est pas la mienne du moins en ce moment.
Messieurs, il s'agit, dans le chapitre que nous discutons, d'autre chose que des peines, et l'honorable M. Pirmez lui-même faisait sentir la différence ; il s'agit de la note d'infamie qui est supprimée. Or, la note d'infamie n'est pas une peine, c'est une conséquence de la peine de la condamnation.
Or, le chapitre que nous discutons parle de l'extinction des peines et non des conséquences des peines. C'est tout autre chose.
M. Orts. - Alors le code est inconstitutionnel. Si l'infamie n'est pas une peine, vous n'avez pas le droit de la faire remettre par le Roi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C’est une conséquence de la peine. Ainsi je suppose qu’en cas de réidive, il soit dit qu’on ne pourra tenir compte de la première condamnation. Ce n’est pas non plus la remise d’une peine, mais la remise de la conséquence d’une peine.
Le législateur a le droit de dire au pouvoir exécutif : Vous pouvez remettre les conséquences d'une peine, et il n'y a pas là d'inconstitutionnalité.
Je le répète, messieurs, en admettant que je n'aie pas raison, je demande quel avantage il y a à soulever le débat actuel.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Je ne puis pas venir déclarer à la Chambre que la loi a une autre portée que celle qu'on lui a donnée chaque fois qu'on l'a examinée. Je suis convaincu que si les honorables membres qui ne partagent pas mon opinion voulaient suivre la discussion du code pénal depuis l'origine, ils auraient l'intime conviction qu'il n'y a pas l'ombre d'un doute possible sur l'abrogation de la réhabilitation.
M. le ministre de la justice reconnaîtra bien qu'un des éléments de l'interprétation des lois, c'est le recours aux travaux préparatoires.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment.
M. Pirmezµ. - Eh bien, que s'est-il passé ? Le gouvernement avait institué une commission pour former un projet de code pénal. Cette commission n'avait d'abord rien statué quant à l'extinction des peines. Elle ne s'en est occupée qu'après le vote du premier livre et elle a fait le chapitre dont nous nous occupons.
La commission, s'occupant de cette question, a décidé qu'il n'y avait pas lieu de maintenir la réhabilitation légale, et voulant réaliser cette réforme elle a pensé qu'en ne la comprenant pas dans ce chapitre, cette réhabilitation était nécessairement abrogée.
La commission dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur examine à son tour la question et déclare qu'il n'y a, comme mode d’extinction des peines, que la grâce, la mort du condamné et la prescription.
La question est déférée au Sénat. La commission du Sénat l'examine, et l'honorable M. d'Anethan déclare de la manière la plus nette dans son rapport que la réhabilitation légale est supprimée.
Aussi quand, dans ces derniers temps, votre commission, présidée, par le prédécesseur de M. le ministre de la justice actuel, a été saisie de la proposition de MM. Lelièvre et Delcour, cette commission, à l'unanimité, sauf la voix de l'honorable M. Lelièvre, a déclaré que la réhabilitation était et demeurerait supprimée.
Je demande si lorsqu'une cour examinera la question avec cet ensemble de faits et de circonstances, elle pourra hésiter un instant à déclarer que la matière de l'extinction des peines a été réglée et qu'on a supprimé la réhabilitation, qui était considérée, par ceux qui ont fait la loi, comme étant un mode d'extinction des peines.
Vous comprenez, je le répète, que nous ne pouvons, sur l'observation de M. le ministre de la justice, venir déclarer le contraire de ce que nous avons toujours pensé.
On croit qu'il pourra y avoir lieu de revenir sur cette décision lors de l'examen du code d'instruction criminelle. Il est évident qu'en révisant ce code, on pourra faire telle proposition qu'on voudra, et y introduira de nouveau la réhabilitation ; mais je tiens à déclarer qu'il est incontestable que la réhabilitation sera aujourd'hui supprimée, et je dis que si on veut la maintenir, ce serait ici le moment de présenter un amendement.
Si donc des membres pensent qu'il y a une lacune dans le projet, qu'il faut avoir non le système de réhabilitation présenté par MM. Lelièvre et Delcour, mais un mode de réhabilitation purement judiciaire, je suis prêt, pour ma part, à examiner ce système ; mais je demande qu'on propose de l'établir ici et pas ailleurs, parce que c'est sa place.
- Plusieurs membres. - Le renvoi à la commission.
M. Pirmezµ. - Si la Chambre veut renvoyer le projet à la commission, celle-ci pourra entendre les honorables auteurs de la proposition, et s'ils ont un projet de réhabilitation judiciaire à proposer, ou si M. le ministre de la justice en a un, elle en délibérera.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est tout un projet à faire et un projet assez important, car, comme l'a très bien compris (page 291) l'assemblée, je ne suis pas de l'avis des honorables MM. Lelièvre et Delcour, à savoir que le Roi aurait à statuer sur la réhabilitation. Pour la réhabilitation judiciaire, il n'j a évidemment, selon moi, que les cours qui puissent déclarer que la réhabilitation existe. Ce projet est-il possible ? C'est une grave question.
C'est tout un système à examiner. Maintenant y a-t-il utilité à retarder pour cela le vote du code pénal ? L'honorable M. Pirmez déclare lui-même qu'il n'y a pas l'ombre d'un doute, qu'il aura raison devant les tribunaux ; je déclare, quant à moi, que celui qui se pourvoira devant les tribunaux, alors que les règles de la réhabilitation du code d'instruction criminelle ne seront pas modifiées, sera un homme qui ne jouira pas de la plénitude de ses facultés intellectuelles.
MpVµ. - Y a-t-il une proposition pour le renvoi à la commission ?
M. Dolezµ. - Il me paraît impossible que nous admettions dans le code pénal une pareille incertitude. Le législateur doit avant tout savoir ce qu'il veut ; ce n'est pas aux tribunaux à venir nous le dire. Nous devons aujourd'hui savoir si nous voulons maintenir le système de réhabilitation qui existe aujourd'hui ou bien si nous entendons y substituer autre chose.
Je demande donc le renvoi à la commission.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.