(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 221) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel, nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analysé suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Tongres appellent l'attention de la Chambre sur la manière dont se trouve administré le chemin de fer Liégeois-Limbourgeois et demandent qu'il soit porté remède à cet état de choses. »
« Même demande du conseil communal de Tongres et d'habitants de Liège. »
M. Thonissenµ. - Cette pétition présente un caractère d'urgence ; je prie la Chambre d'ordonner qu'elle fasse l'objet d'un prompt rapport.
M. Julliot. - Je tiens à vous donner quelques détails sur la position qui nous est faite. Depuis un mois nous avons eu deux collisions et deux déraillements ; la vie de nos concitoyens est en danger, et il faut y porter remède sans tarder.
Le commerce tout entier de ma contrée est en émoi et la preuve en est dans les 300 signataires de la pétition, qui vous est adressée.
Ensuite les convois ne correspondent plus entre eux de fait, quoique les correspondances soient affichées dans les stations. On donne des coupons pour telle destination, mais on ne vous garantit pas que vous y arriverez.
Il y a, du reste, un peu de désordre partout et l'Etat même n'en est pas exempt, car deux fois il m'est arrivé de prendre le dimanche l'express de neuf heures a la station du Nord, pour arriver à Tongres à midi, mais chaque fois ce train partait avec un retard considérable et arrivait à Ans quand le train de Tongres avait dû partir ; force me fut donc d'aller passer ma journée à Liège, en touriste malgré lui, pour arriver le soir à Tongres où j'aurais dû débarquer à midi.
Puis encore, nous avons obtenu la ligne de Bilsen, pour nos relations avec l'est de la province, qui est la partie principale de notre arrondissement. Eh bien, nous avons la ligne, mais une seule occasion par jour d'arriver à Maestricht et nous ne pouvons revenir le même jour.
Bref, il est urgent que le gouvernement s'entende avec la compagnie hollandaise, en y mettant de part et d'autre beaucoup de bonne volonté, afin que ce service soit réellement sûr et utile au public.
Je pense que nous pouvons compter sur l'intelligente énergie de M. le ministre des travaux publics, qui, s'il était présent, pourrait peut-être nous rassurer sur l'avenir.
Je demande donc un rapport des plus prompts sur cette pétition.
- La Chambre ordonne le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur de Saint-Mares, sergent au 9ème régiment de ligne, prie la Chambre de faire rapporter la décision ministérielle par laquelle il a été désigné pour permuter avec le sergent Brassine. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Denimal, ancien soldat, prie la Chambre de lui accorder un secours ou de lui faciliter l'entrée dans un hospice de la ville de Bruxelles. »
- Même renvoi.
« Le sieur Guillaume, ancien sous-brigadier des douanes, demande la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dierckx réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement d'une journée de vivres fournie, en mai 1865, à la 8ème compagnie des ouvriers, au fort n°7 du camp retranché sous Anvers et la valeur d'une bascule qu'il a été obligé d'y placer. »
- Même renvoi.
« Le sieur Valider Plancken demande l'abrogation de la loi du 16 juin 1836, sur la pension des officiers. »
- Même renvoi.
« Le sieur Massin, secrétaire communal de Wierde, prie la Chambre d'améliorer la position des secrétaires communaux. »
« Même demande de secrétaires communaux dans l'arrondissement de Huy. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Wevelghem demandent qu'un bureau de perception des postes soit établi dans cette commune. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Borgtlombeke demandent la révision de la loi sur la garde civique. »
« Même demande d'habitants de Dinant. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur d'IIamer, commissaire de police, à Termonde, demande qu'il soit accordé une indemnité aux commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près des tribunaux de simple police. »
« Même demande, des commissaires de police à Saint-Nicolas, Arlon, Ardoye, Meulebeke, Leuze, Tamise, Huy, Binche. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
« Des facteurs ruraux attachés au bureau de poste à Vertryck demandent une augmentation de traitement. »
« Même demande des facteurs ruraux attachés aux bureaux de postes de Rochefort, Jamoigne et Gembloux. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Le sieur Henrion fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de son cours de dictées françaises appliquées à la grammaire élémentaire et demande un subside pour l'aider à couvrir les frais de cet ouvrage. »
- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt des ouvrages à la bibliothèque.
« Le sieur J. Marx, lieutenant au 3ème régiment des chasseurs à pied, né à Frisange (Grand-Duché de Luxembourg) demande la grande naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Destoop demande la réduction du droit de patente sur les moulins à vent. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« Le sieur Joseph Lambert Jennekens, demeurant à Liège, né à Maestricht, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Torschen. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
(page 222) « Des orfèvres et bijoutiers présentent dos observations contre le projet de loi relatif à la liberté du travail des matières d'or et d'argent et proposent des mesures en faveur de leur industrie. »
« Même demande des bijoutiers, joailliers, orfèvres et horlogers à Liège et à Courtrai. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des orfèvres et bijoutiers à Malines demandent le maintien du règlement concernant les matières d'or et d'argent. »
« Même demande de bijoutiers, orfèvres et horlogers à Anvers et à Louvain. »
- Même renvoi.
« Le tribunal de Malines présente des observations sur la classification des tribunaux de première instance, réglée sur le projet de loi d'organisation judiciaire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des commerçants prient la Chambre de maintenir la loi du 24 mars 1859 sur la contrainte par corps. »
« Même demande d'industriels et de commerçants de Liège. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Rinsfelde propose des dispositions pour remplacer la loi sur la contrainte par corps. »
- Même renvoi.
« M. le ministre des travaux publics propose des amendements au budget de son département. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Par message du 21 et du 22 décembre 1866, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion aux projets de loi suivants :
« 1° Budget du ministère de l'intérieur pour 1867 ;
« 2° Budget des dotations, exercice 1867 ;
« 3° Budget des affaires étrangères, exercice 1867 ;
« 4° Approuvant le traité d'amitié, de commerce et de navigation, conclu entre la Belgique et le Japon ;
« 5° Approuvant le protocole concernant la convention relative à la législation des sucres et qui ouvre au département des finances un crédit spécial de 183,000 fr. ;
« 6° Approuvant l'acte d'accession du grand-duché de Saxe-Weimar à la convention conclue avec la Prusse, le 28 mars 1863 ;
« 7° Ouvrant, au budget du département des travaux publics, pour l'exercice 1866, un crédit supplémentaire de 99,900 fr. ;
« 8° Ouvrant des crédits provisoires à valoir sur les budgets des dépenses de l'exercice 1867 ;
« 9° Fixant le contingent de l'armée pour 1867. »
- Pris pour notification.
« Il est fait hommage à la Chambre :
« 1° Par M. le ministre des affaires étrangères, de dix exemplaires d'une description hydrographique de l'Escaut par le lieutenant de vaisseau de première classe Stessels ;
« 2° Par M. le gouverneur du Hainaut, de 2 exemplaires du budget de cette province pour l'exercice 1867 ;
« 3° Par la chambre de commerce de Mons, de 2 exemplaires du rapport sur la situation du commerce et de l'industrie de ce ressort pendant l'année 1865 ;
« 4° Par M. le docteur Durant, d'un exemplaire de son rapport sur l'épidémie cholérique de 1866 ;
« 5° Par le capitaine d'état-major Crousse, de 2 exemplaires d'une brochure sur le recrutement de l'armée ;
« 6° Par le capitaine Weimerskirch, de 124 exemplaires d'une brochure intitulée : Idées patriotiques et militaires à propos de la réorganisation de l'armée belge ;
« 7° Par M. le docteur De Roubaix, de 115 exemplaires d'un travail sur l'hygiène des villes ;
« 8° Par M. le ministre de l'intérieur, de 126 exemplaires de l'Annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles pour 1867. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« MM. de Liedekerke et le Bailly de Tilleghem, retenus par une indisposition, demandent un congé. »
- Accordé.
Il est procédé au tirage au sort des sections de janvier.
M. Bouvierµ (pour une motion d’ordre). - Nous avons reçu, pendant les vacances de Noël, le projet de loi sur l'expropriation par zones et nous avons eu le temps de l'étudier. Comme le projet est très important et présente un caractère d'urgence, je demanderai à la Chambre d'en ordonner le renvoi aux sections de vendredi prochain. De cette açon, tous les membres seraient prévenus et se trouveraient dans leurs sections respectives pour s'y livrer à l'examen du projet de loi auquel je viens de faire allusion.
- Cette motion est adoptée.
MpVµ. - La discussion générale est ouverte.
M. le ministre de la justice se rallie-t-il aux propositions de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ferai connaître mon opinion à chaque article.
M. Lelièvreµ. - La révision du code pénal est certainement l'un des travaux les plus importants dont puisse s'occuper la législature. Elle touche aux intérêts les plus graves de la société et aux droits les plus sacrés des citoyens. La législation pénale d'un peuple est l'indice caractéristique du degré de sa civilisation. Le progrès des mœurs publiques a pour conséquence nécessaire l'atténuation des peines et de la rigueur des lois répressives. C'est à ce point de vue que nous devons apprécier le projet soumis à la Chambre.
Je dois dire, à regret, que le projet du code pénal, tel qu'il a été adopté par le Sénat, ne me paraît pas réaliser un progrès marque en rapport avec le rang élevé que la Belgique occupe parmi les nations civilisées. Aussi, je ne pense pas que la législation nouvelle soit destinée à avoir une longue durée.
A mon avis, on aurait dû prendre pour base le code pénal de 1810, extrêmement remarquable par sa simplicité, la classification des matières, la netteté de ses dispositions et la définition des délits.
Il fallait se borner à réviser les dispositions dont la réforme était considérée comme indispensable par les amis de la science, et on aurait fait une œuvre utile, dont le pays aurait recueilli les bienfaits pendant longtemps.
Au lieu de suivre cette voie si rationnelle, les auteurs du projet ont voulu tout changer, tout innover ; ils ont mis au jour un projet plus théorique que pratique, emprunté en grande partie aux législations étrangères et l'on a ainsi créé une œuvre exotique qui n'aura pas une longue existence sur notre sol.
On n'avait jamais pensé que le code pénal de 1810 et les lois existantes ne fussent pas assez sévères et qu'on dût renchérir sur leur rigueur. C'est cependant ce qui a été fait en ce qui concerne de nombreuses dispositions. En effet, tandis que le code pénal de 1810 fixait la durée de la peine des travaux forcés à temps à cinq ans au moins et à vingt années au plus, le projet, par une modification peu heureuse, établit deux degrés dans le même genre de peine.
La peine des travaux forcés est édictée pour un terme de dix ans à quinze ans, elle est ensuite prononcée pour un intervalle de quinze à vingt ans.
C'est là d'abord une anomalie qu'on n'a jamais rencontrée dans les législations pénales qui ont régi le pays depuis la publication du code français de 1791. En second lieu, cette innovation a pour conséquence l'aggravation des lois en vigueur en ce qui concerne les circonstances atténuantes.
Aujourd'hui, d'après la loi du 15 mai 1849, qui sans contredit est l'une des meilleures qu'ait fait décréter l'honorable M. de Haussy, des actes délictueux entraînant la peine de vingt années de travaux forcés peuvent n'être punis que d'un emprisonnement de six mois ; tandis que, d'après le projet en discussion, les faits frappés de la peine des travaux forcés pendant un terme de quinze à vingt ans ne peuvent être punis d'une pénalité moindre que celle de cinq à dix années de réclusion.
Les crimes contre lesquels le projet commine dix à quinze années de travaux forcés ne peuvent, même en cas de circonstances atténuantes, être frappés d'une peine inférieure à trois années d'emprisonnement.
Il y a plus, aux termes de la loi de 1849, les faits criminels punissables (page 223) de la peine de la réclusion peuvent n'être réprimés que par un emprisonnement de huit jours, tandis que, d'après le code en discussion, le minimum sera de trois mois. Cette observation concerne notamment le faux en écriture privée et d'autres actes délictueux contre lesquels la loi future, adoptant la législation actuelle, commine la peine de la réclusion.
Cet état de choses aura d'autres conséquences fâcheuses. Le nombre des affaires portées devant les cours d'assises est aujourd'hui très restreint. Sans aucun doute il augmentera notablement quand le nouveau code sera mis en vigueur. Lorsque à l'égard de certains faits les tribunaux correctionnels ne pourront appliquer une peine inférieure à trois années d'emprisonnement, les chambres du conseil et d'accusation saisiront la cour d'assises de la connaissance de la cause.
En supposant qu'on maintienne, en ce cas, la faculté de renvoyer l'affaire devant les tribunaux correctionnels, on n'en usera pas quand il s'agira de l'application d'une pénalité dont le minimum sera aussi élevé.
L'accroissement du nombre des causes déférées aux cours d'assises aura, du reste, un autre inconvénient ; celui de nécessiter l'augmentation du personnel des tribunaux.
Une critique fondée que l'on peut formuler contre le nouveau code, c'est qu'il multiplie les délits et en crée de nouveaux en assez grand nombre, alors que la nécessité de semblable innovation n'est pas justifiée. Le code pénal de 1810 avait toujours été considéré comme suffisant, au point de vue des besoins de la répression et une législation plus rigoureuse n'était réclamée par aucun motif sérieux.
Les peines contre un grand nombre de contraventions de police sont aggravées. Il en est de même en ce qui concerne plusieurs délits.
De simples injures, même sans imputation de vices déterminés, qui ne sont aujourd'hui frappées que d'une amende, pourront désormais être punies d'un emprisonnement qui pourra être porté à deux mois ; des injures vagues, sans caractère de gravité, pourront ainsi être frappées de peines exorbitantes.
On assimile les membres des Chambres et les ministres aux magistrats et on punit les outrages par eux reçus, même à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.
On a perdu de vue que la disposition dont nous nous occupons pourrait s'appliquer aux membres des deux Chambres qui auraient adressé, soit à l'un d'eux, soit aux ministres, des paroles qu'on pourrait envisager comme outrages. Or, des membres de la législature, issus de l'élection, et des ministres ayant des attributions politiques, ne peuvent, à mon avis, être assimilés aux magistrats, sans de graves inconvénients. Semblable régime serait de nature à compromettre la liberté parlementaire et donner lieu, sous ce rapport, à des abus regrettables.
On a décrété la liberté du prêt à intérêt. On a laissé aux parties contractantes le soin de régler entre elles le taux de l'intérêt du capital comme elles le jugeront convenable. Cependant le code pénal révisé commine des peines contre ceux qui habituellement fournissent des valeurs à un taux excédant l'intérêt légal, pour le cas où il y aurait abus des faiblesses ou des passions de l'emprunteur.
On fait ainsi revivre les distinctions qui ont été solennellement proscrites, lorsqu'on a voté la loi assimilant le prêt aux autres contrats de droit commun.
Je me réserve d'indiquer plus tard d'autres dispositions qu'il me paraît impossible de maintenir.
Le projet en discussion soulève la question de savoir s'il faut rendre applicables aux lois spéciales les dispositions générales relatives aux circonstances atténuantes.
Nous pensons, comme déjà nous l'avons dit lors de la discussion du budget de la justice, qu'il convient de déterminer, dans un projet de loi particulier, les lois spéciales promulguées depuis la loi du 22 vendémiaire an IV, auxquelles sera étendu le pouvoir accordé au juge de modérer les peines en cas de circonstances atténuantes. Il doit en être ainsi, parce que s'il est vrai que les pénalités, comminées par certaines lois spéciales, peuvent devenir inefficaces, si on autorise le juge à les réduire, il est certain, d'un autre côté, que ce pouvoir modérateur peut être concédé sans inconvénient à l'égard d'un grand nombre de délits prévus par des lois particulières. Il est donc rationnel que cette matière importante fasse l'objet d'un projet de loi distinct du code dont nous nous occupons.
Cet ordre de choses est même indispensable à l'effet d'éviter des anomalies regrettables entre la loi générale et certaines dispositions de lois particulières.
Tel est le système que je crois devoir proposer et qui me paraît conforme aux nécessités de la légitime répression mises en rapport avec la faculté accordée aux juges de réduire les pénalités, faculté fondée sur les principes d’équité qui sont la base du droit de punir.
Du reste, je dois faire remarquer qu'il sera impossible de publier le nouveau code avant d'avoir édicté une disposition législative autorisant les juges à correctionnaliser certains faits qualifiés crimes. Sous ce rapport, la loi de 1849 devra être révisée et mise en harmonie avec le code pénal que nous discutons en ce moment.
D'un autre côté, une loi nouvelle sera indispensable à un autre point de vue, notamment à l'effet d'étendre la juridiction des tribunaux de simple police relativement aux contraventions prévues par le projet en discussion, qui sont frappées de. peines excédant celles de simple police, telles qu'elles sont déterminées par la législation en vigueur.
Il me reste à exprimer mon opinion sur la disposition de l'article 87 du titre en discussion qui, selon l'avis émis par le rapporteur, a pour conséquence de supprimer la réhabilitation légale décrétée par le code d'instruction criminelle.
Quant à moi, j'estime qu'il faut maintenir la réhabilitation comme droit compétent au condamné, ayant pour objet d'effacer entièrement les effets de la condamnation, non seulement au point de vue des incapacités, mais aussi en ce qui concerné les autres conséquences d'un jugement criminel, notamment quant à la récidive.
Ce droit, fondé sur la loi, ne saurait être confondu avec la grâce, simple faveur émanée du chef de l'Etat. L'arrêté de grâce ne peut remplacer l'acte solennel proclamant que le condamné, après avoir expié sa peine, a effacé son méfait par une conduite honorable.
Sous l'empire du code pénal de 1791, la réhabilitation était prononcée par le tribunal criminel qui avait rendu le premier arrêt. L'article 6 du littera 7, partie I du code pénal du 25 septembre 1791 portait : « Si la majorité est d'avis que l'arrestation soit accordée, deux officiers municipaux, revêtus de leur écharpe ou, avec leur procuration, deux officiers municipaux de la ville où siège le tribunal criminel du département dans le territoire duquel le condamné est actuellement domicilié, conduiront le condamné devant ledit tribunal criminel.
« Après avoir fait lecture du jugement prononcé contre le condamné, ils diront à haute voix : Un tel a expié son crime en subissant sa peine. Maintenant sa conduite est irréprochable. Nous demandons, au nom de son pays, que la tache de son crime soit effacée. »
L'article 7 est ainsi conçu :
« Le président du tribunal, sans délibération, prononcera ces mots : Sur l'attestation et la demande de votre pays, la loi et le tribunal effacent la tache de votre crime. »
Or, ces formes solennelles ne sont certainement pas remplacées par un arrêté de grâce qui est de pure faveur et ne saurait être assimilé à l'acte imposant qui efface entièrement la tache du premier crime. Je pense donc que l'article 87 doit subir des modifications laissant subsister le droit à la réhabilitation, et c'est pour atteindre ce but que l'honorable M. Delcour et moi avons déposé une proposition sur laquelle la Chambre sera appelée à délibérer.
En résumé, tout en reconnaissant que le projet renferme, sous plusieurs rapports, des améliorations, je dois dire qu'il me paraît présenter des défectuosités qu'il importe de faire disparaître. Sans cela, il me serait impossible d'émettre un vote favorable.
M. Thonissenµ. - Avant d'aborder l'examen des articles du projet, il me semble utile, indispensable même, de résoudre une question préliminaire.
Je voudrais savoir si, dans le cours des débats qui vont s'ouvrir, nous avons le droit de modifier par de nouveaux amendements les article déjà votés par la Chambre et par le Sénat.
MpVµ. - Oui, c'est le droit. (Interruption.)
M. Thonissenµ. - Tout le monde ne paraît pas d'accord sur ce point.
M. Coomans. - Le projet revient tout entier.
MfFOµ. - C'est une erreur ; le règlement est formel.
M. Pirmezµ. - L'honorable membre pose une question dont la solution est très simple ; nous devons voter d'abord sur les articles amendés par le Sénat ; nous ne devons pas voter sur les autres ; si des amendements admis par le Sénat rendent nécessaires des modifications à d'autres articles, nous amenderons ces articles, mais je ne crois pas qu'on puisse remettre en question toutes les dispositions adoptées par la Chambre et auxquelles le Sénat n'a pas touché.
M. Guillery. - Tout s'enchaîne.
(page 224) M. Thonissenµ. - Je déclare franchement que mon intention, en soulevant l'incident, est de me fournir l'occasion de demander la suppression de la peine de mort.
M. Coomans. - C'est de droit.
M. Thonissenµ. - Je croirais manquer à mon devoir et à ma conscience, si je ne saisissais toutes les occasions de manifester une conviction profonde, longuement mûrie, fortifiée par l'étude et basée sur des faits irrécusables. Cependant, je ne veux pas non plus, par une discussion inopportune, compromettre la cause que je désire voir triompher. J'ai consulté beaucoup de membres appartenant aux deux partis qui divisent cette Chambre et, je dois le dire, la plupart sont d'avis qu'il vaudrait mieux faire de la question de l'abolition de la peine de mort l'objet d'un projet de loi spécial et d'une discussion particulière.
- Quelques membres. - Non ! non !
- D'autres membres. - Si ! si !
M. Thonissenµ. - Pour ma pari, je suis prêt à discuter la question et, si la Chambre n'y voit pas d'inconvénient, je demanderai la parole à propos de l'article 7, pour réclamer l'abolition de la peine de mort. Mais, je le répète, si la Chambre aime mieux ajourner ce débat, qui sera certainement assez long et très approfondi, je me rangerai volontiers à l'avis de la majorité.
M. J. Jouretµ. - Si la Chambre est d'avis qu'il est impossible de discuter de nouveau toutes les dispositions du code pénal et que nous devons nous borner à nous occuper des articles amendés par le Sénat et de ceux qui se lient à ceux-ci, je me bornerai à me joindre à l'honorable M. Thonissen et à déclarer que lorsqu'une proposition formelle de suppression de la peine de mort sera faite, je seconderai cet honorable membre de toutes mes forces.
Quant à la question d'opportunité de la discussion, je crois qu'il serait imprudent, pour nous abolitionnistes, de nous exposer à voir repousser par une fin de non-recevoir pure et simple, une proposition d'abolition de la peine de mort qui serait faite dans le moment actuel, fin de non-recevoir qui serait basée sur la pratique habituelle de la Chambre en matière de. discussion de projets de loi amendés par le Sénat. On ne manquerait probablement pas, en effet, de nous dire : Il est bien vrai qu'un des amendements votés par le Sénat a rapport à la disposition qui consacre le principe de la peine de mort ; mais cet amendement n'affecte en rien ce principe ; par conséquent, en vertu de la marche indiquée par l'honorable M. Pirmez, on nous opposerait une fin de non-recevoir qui, peut-être, serait adoptée par la Chambre et qui, par conséquent, compromettrait une discussion de la question de la peine de mort, qui doit être sérieuse, approfondie.
Nous sommes aujourd'hui en possession d'ouvrages extrêmement intéressants sur la question de l'abolition de cette peine. Nous avons celui de l'honorable M. Haus qui a été distribué à tous les membres de cette Chambre ; nous avons également un ouvrage de M. Mittermaier, qui date de plus longtemps, qui a jeté de nouvelles lumières sur la question et qui, lorsque la traduction qui en a été faite en France sera connue, sera de nature à faire une impression profonde sur l'opinion publique et sur la conviction des membres de cette Chambre.
Je suis persuadé que l'honorable M. Thonissen sera de mon avis, que nous n'avons rien à perdre à attendre que l'opinion se mûrisse encore quelque, peu sur cette question. Dans tous les cas, en supposant que nous fussions assez heureux de voir consacrer notre sentiment par la Chambre, à quoi cela nous servirait-il quand nous songeons que, malgré les efforts de l'honorable ministre de la justice et d'autres membres de cette assemblée partagent notre manière de voir, elle a repoussé à la majorité des deux tiers des voix la proposition d'abolir la peine de mort ?
Je crois donc, messieurs, que, la Chambre nous autorisât-elle à discuter de nouveau cette question, nous ne pourrions pas espérer d'arriver dans le moment actuel à la solution que nous désirons si vivement.
Lorsque le moment sera venu d'aborder cette discussion avec espoir de succès, lorsque les abolitionistes que renferme cette Chambre, et je me plais à constater que, depuis les dernières élections, le nombre s'en est sensiblement accru, lorsque ces partisans de l'abolition de la peine de mort seront encore un peu plus nombreux, nous pourrons alors discuter de nouveau cette grave question avec l'espoir fondé de la résoudre conformément à nos vœux.
M. Pirmezµ. - Je ne puis laisser passer sans réponse les observations que vient de faire l'honorable M. Lelièvre.
L'honorable membre attaque non seulement certaines dispositions du code, ce qu'il aurait pu différer de faire jusqu'à ce que nous fussions arrivés à chacun des articles incriminés ; mais il attaque la marche qui a été suivie ; d'après lui, l'œuvre à laquelle nous sommes appelés à donner notre voix d'une manière définitive est vicieuse dans son essence ; on l'a mal entreprise et mal conçue. D'après lui, on a mal fait de formuler un nouveau code pénal ; il fallait prendre le code pénal de 1810 et le modifier dans quelques-unes de ses dispositions ; le code pénal par lequel nous allons remplacer celui qui nous régit aujourd'hui est un code d'importation étrangère qui n'est pas destiné à vivre longtemps sur notre territoire.
Messieurs, j'aurais lieu de m'étonner de ces critiques de la part de tout membre de la Chambre ; mais j'ai plus lieu de m'en étonner de la part de l'honorable membre que de la part de tout autre membre de la Chambre.
N'est-il pas étrange que l'honorable M. Lelièvre, qui a été rapporteur de plusieurs titres du code pénal que nous discutons, qui a ainsi contribué à faire l'œuvre que nous allons ratifier aujourd'hui, vienne nous dire que ce qu'il a fait, il n'aurait pas dû le faire ? Comprend-on que cette observation fondamentale qui devait empêcher la Chambre de se livrer à ce travail pendant un si grand nombre d'années, l'honorable M. Lelièvre ait attendu, pour la faire, que le travail soit arrivé à son terme ? Il a contribué à formuler cette œuvre, et il n'a jamais songé à nous dire : Nous faisons un travail que nous ne devrions pas faire ; il y pense alors que tout va se terminer.
Je crois que l'honorable M. Lelièvre, en présentant les observations que je rencontre en ce moment, a perdu complètement la mémoire de ce qu'il a fait ; sans cela, il ne nous aurait pas tenu le langage que nous venons d'entendre.
Les observations de l'honorable M. Lelièvre, à d'autres points de vue sont encore beaucoup plus singulières.
Ainsi, dit l'honorable membre, les travaux forcés sont aujourd'hui de 10 à 20 ans ; le nouveau code pénal a le tort grave d'établir, pour les travaux forcés le terme de 10 à 15 ans et celui de 5 à-10 ans ; il y a là une aggravation considérable de pénalité !
Si l'honorable membre avait voulu se donner la peine de lire toutes les dispositions du nouveau code pénal, il aurait constaté qu'on a admis le terme de 15 à 20 ans de travaux forcés pour remplacer les travaux forcés à perpétuité, c'est-à-dire pour arriver à une atténuation de peine en remplaçant une peine perpétuelle par une peine temporaire.
L'honorable membre ajoute qu'il y a aujourd'hui, sous l'empire du code pénal actuel, un petit nombre d'affaires déférées aux cours d'assises ; il nous annonce que d'après le nouveau code pénal il y aura beaucoup plus d'affaires déférées aux cours d'assises ; cela suppose bien qu'on a érigé en crime ce qui n'était que délit correctionnel.
J'engage l'honorable M. Lelièvre à vouloir bien lire le nouveau code pénal, à le comparer avec l'ancien et je serais désireux d'entendre de sa bouche quel est le délit que nous y avons érigé en crime.
L'honorable membre admire la simplicité du code pénal actuel ; et il nous reproche d'y avoir introduit de nombreuses distinctions.
Mais ces distinctions ont pour but des atténuations de peines, j'en citerai un exemple.
Un seul article du code actuel punit l'incendie. Cet article est d'une simplicité parfaite, je le reconnais ; il punit de la peine de mort l'incendie ; qu'il s'agisse de l'incendie d'une meule de grain ou d'une maison habitée, la peine est la même : c'est la mort. Rien assurément de plus simple, je demande à l'honorable membre s'il admire cette simplicité ; je lui demande s'il ne trouve pas que nous avons bien fait de prononcer une peine beaucoup plus légère contre celui qui incendie une meule de grain, par exemple, que contre celui qui incendie une maison qu'il sait être habitée, et qui fait périr dans une mort horrible ceux qui s'y trouvent.
Si l'honorable membre préfère la simplicité du code pénal aux dispositions que nous avons prises, je l'engage à le déclarer.
Les exemples que cite l'honorable M. Lelièvre sont réellement quelque chose de prodigieux. Ainsi, il nous indique comme une aggravation, comme introductif d'un délit nouveau, l'article du code nouveau qui punit ceux qui, en prêtant à un taux usuraire, abusent des passions d'un majeur.
Mais comparons la législation actuelle avec la législation que nous avons votée.
Aujourd'hui le prêt au-dessus du taux légal est toujours puni ; il constitue toujours un délit. Eh bien, le nouveau code supprime ce délit et ne punit plus que dans le cas où l'on abuse des passions ou de la faiblesse de l'emprunteur.
Je demande à l'honorable M. Lelièvre quelle est la disposition la plus (page 225) sévère, celle qui punit toujours ou celle qui ne punit que dans certains cas spéciaux, exceptionnellement graves !
La Chambre se rappellera que s'il y a eu opposition à l'article que j'indique, cette opposition n'a pas été fondée sur ce qu'il était trop sévère, mais sur ce qu'il laissait échapper des faits qui méritent une peine.
L'honorable M. Guillery et l'honorable M. Nothomb ont présenté un amendement demandant que nous punissions aussi non seulement l'abus des faiblesses ou des passions, mais aussi l'abus de l'ignorance, et j'ai dû combattre cet amendement.
Si l'honorable M. Lelièvre avait un peu plus de mémoire, il se serait souvenu que de toutes les dispositions du code pénal, celle qui a donné lieu aux difficultés les plus graves, parce qu'il y avait réellement là une aggravation de peine, c'est une disposition dont il était rapporteur et que lui-même a présentée à la Chambre.
La Chambre se rappelle que les délits de presse sont en général punis aujourd'hui d'une peine maximum de trois ans d'emprisonnement. Eh bien, le premier projet qui a été présenté à la Chambre et qui d'abord a été voté, portait celle peine à cinq ans. Il y avait là une véritable aggravation et cette aggravation d'où venait-elle ? De ce que l'honorable M. Lelièvre, rapporteur, n'avait pas signalé à la commission et à la Chambre l'aggravation qui avait été proposée. J'ai le droit d'être étonné qu'après avoir présenté lui-même cette seule aggravation que nous avons modifiée ensuite, ce soit lui qui nous reproche d'avoir aggravé les délits.
Messieurs, tout est étonnant dans ce discours de l'honorable membre.
La dernière critique que l'honorable M. Lelièvre a faite au projet, c'est d'avoir permis au Roi de remettre les incapacités qui résultent de certaines condamnations. Eh bien, l'honorable M. Lelièvre, il y a un mois, a déposé un projet de loi qui avait précisément pour but de permettre la remise de ces incapacités. Nous lui avons fait remarquer alors que la besogne était faite, que l'article 87 avait prévu la réalisation de son projet de loi, et aujourd'hui l'honorable M. Lelièvre nous fait un reproche d'avoir permis la remise des incapacités par le droit de grâce.
J'avoue que je n'y comprends rien. J'espère que si l'honorable M. Lelièvre veut réfléchir un peu aux observations qu'il a faites, s'il veut les comparer au projet qu'il critique, il reconnaîtra lui-même qu'il ne l'a pas suffisamment étudié, ou que, s'il l'a étudiée naguère, il a oublié les résultats de cet examen.
M. Coomans. - Je dois revenir au point de droit qui a été soulevé par l'honorable M. Thonissen. Nous devons nous montrer jaloux de maintenir les prérogatives de la Chambre. Or, il me paraît certain que lorsqu'un projet de loi a été modifié par le Sénat, il nous revient tout entier, et que nous avons la faculté de le modifier dans son entier.
Telle est, je pense, la véritable doctrine constitutionnelle et parlementaire. Du moins je l'ai entendu défendre dans cette assemblée depuis de très longues années.
Il doit donc être généralement compris que nous avons le droit de modifier tout article quelconque d'un projet de loi qui nous revient du Sénat. Dès lors, messieurs, la question posée par deux honorables membres est résolue. Chacun de nous a le droit de proposer dès aujourd'hui, pour ce projet de loi, l'abolition de la peine de mort.
Je dois ajouter, messieurs, que cette discussion relative à la peine de mort ne sera jamais plus opportune qu'aujourd'hui. On parle de l'ajourner pour en faire l'objet d'un débat spécial. Mais, messieurs, à quoi bon ? Quand le code pénal sera voté avec cette disposition capitale, la question sera jugée et le débat que l'on prévoit, que quelques-uns désirent, sera alors très inopportun. En maintenant le code pénal tel qu'il nous est renvoyé par le Sénat, nous déclarons très positivement que nous maintenons la peine de mort, que notre opinion est fait en ce point, car si nous n'étions pas bien sûrs que la peine de mort doit être maintenue, nous devrions discuter hic et nunc cette question. L'ajournement n'est pas possible en pareille matière. Je comprends qu'on dise aux partisans de l'abolition de la peine de mort, qu'ils ont tort, mais je ne comprends pas qu'on dise : « Nous ne sommes pas suffisamment éclairés, attendons ! » Il faut une déclaration formelle. Ceux qui avec moi désirent l'abolition de la peine de mort sont disposés à la voter immédiatement.
Je ne croyais pas que la question se serait présentée aujourd'hui, cependant puisqu'on la soulève il faut la discuter. Encore une fois, je ne conçois pas le doute en pareille matière ; l’ajournement est impossible, car il serait contraire à la dignité de la Chambre.
MpVµ. - Quand il s'est agi, au commencement de la discussion, de savoir si la Chambre a le droit de modifier des articles non amendés par le Sénat, j'ai dit que ce droit existait. Je parlais d'après mes souvenirs ; mais depuis je me suis fait mettre sous les yeux les précédents de la Chambre et ces précédents sont conformes à ma déclaration. Ils se trouvent notamment dans la séance du 21 février 1855.
On ne met pas en discussion les articles non amendés lorsqu'aucun membre n'y propose de modifications ; mais quand des modifications sont proposées à un article quelconque, cet article est discuté à nouveau.
Voici les antécédents de la Chambre.
M. Lelièvreµ. - J'aurais lieu de m'étonner de la vivacité du langage de l'honorable M. Pirmez, si je ne connaissais combien est grand l'amour de la paternité. On a pour ses enfants une affection particulière, on les trouve d'une beauté parfaite, fussent-ils même malingres et rabougris. Je comprends donc qu'alors que je n'admire pas son œuvre, M. Pirmez se soit ému sans motif sérieux.
L'honorable membre fait remarquer que j'ai été rapporteur de quelques titres du projet du code pénal ; qu'est-ce à dire ? Cette circonstance est-elle d'abord un obstacle à ce que je puisse librement émettre un vote sur l'ensemble de l'œuvre ? En second lieu, en 1859 j'ai cessé de faire, partie de la Chambre et c'est depuis cette époque que le code pénal a subi de profondes modifications et a été presque entièrement refondu. Il s'agit d'une œuvre nouvelle, et du reste, déjà antérieurement à 1859, j'avais déclaré que plusieurs dispositions que je signalais alors ne me permettraient pas de voter le projet pour lequel, déjà à cette époque, je n'avais pas de bien grandes sympathies.
Du reste, en déclarant que je suis loin de considérer le code pénal révisé comme une œuvre parfaite, j'use d'un droit avec la liberté et l'indépendance qui me caractérisent, et je ne permets à qui que ce soit de se servir à mon égard d'expressions peu convenables entre collègues, alors que je me borne à émettre avec modération mon avis sur un projet dont la Chambre est saisie. J'ai jusqu'à présent conservé la mémoire, j'espère la conserver encore longtemps, et je n'ai pas encore à recevoir des leçons sous ce rapport de l'honorable M. Pirmez.
Je persiste, du reste, dans les observations que j'ai présentées, dussent-elles ne pas recevoir l'approbation de M. Pirmez. Je persiste à dire que le projet en discussion est plus sévère que la législation en vigueur au point de vue des circonstances atténuantes. En effet, tous les crimes contre lesquels, à l'exemple du code pénal de 1810, le projet prononce la peine de la réclusion ne pourront jamais, même en cas de circonstances atténuantes, être punis d'une peine moindre de trois mois d'emprisonnement, tandis que la loi de 1849 permet de réduire la peine à huit jours de prison.
Je dis encore que le code révisé crée de nouveaux délits, alors que la nécessité de semblable innovation n'est pas justifiée. A l'égard d'autres, les peines sont aggravées, et cet état de choses suffirait seul pour que je ne puisse me rallier à l'œuvre nouvelle.
J'ai dit que le projet introduit, en ce qui concerne le prêt à intérêt, des dispositions en contradiction manifeste avec le projet que nous avons voté, décrétant en cette matière la liberté et assimilant le prêt aux autres contrats du droit commun. Mon assertion est incontestable. On n'a qu'à lire l'excellent rapport de l'honorable M. Jamar. On n'a pas voulu alors admettre des restrictions, sous prétexte d'abus de la faiblesse ou des passions de l'emprunteur. A quel titre veut-on les faire revivre lorsqu'il s'agit du code pénal ?
Ce n'est pas tout, la disposition du projet introduit une véritable énormité. Elle suppose qu'il est permis d'abuser de la faiblesse ou des passions de l'emprunteur, alors que cet abus n'est pas habituel. On concevait la loi de 1807 punissant l'usure dénuée de toute circonstance immorale, seulement dans le cas où elle était habituelle. Mais vouloir punir l'abus des faiblesses ou des passions de l'emprunteur dans le cas seulement où il est habituel, cela n'est pas admissible. Il faut maintenir les choses sous l'empire du droit commun ; il faut assimiler, d'une manière générale, le prêt aux autres achats, et, sous ce rapport, la disposition que défend M. Pirmez ne peut être admise.
Quant au droit de grâce accordé au Roi de faire remise des incapacités, je puis l'approuver, mais je prétends que la remise émanée du Roi doit laisser intact le droit légal à la réhabilitation. Je soutiens qu'il faut laisser subsister pour le condamné le droit de faire déclarer solennellement qu'il a expié son crime et que toutes les traces de la condamnation sont effacées.
Je me borne à émettre, pour le moment, ces observations, en persistant dans celles que j'ai proposées et auxquelles je pourrai donner des développements nouveaux pendant la discussion.
M. Thonissenµ. - Après les précédents rappelés par notre honorable (page 226) président, la question préalable que j'ai eu l'honneur de soulever se trouve résolue dans le sens affirmatif. Reste la question de fait. Des problèmes tels que ceux de la suppression de la peine de mort ne doivent pas, je le sais, être discutés dans un moment inopportun. Or, d'après les dispositions que je crois apercevoir sur plusieurs bancs de la Chambre, j'ai raison de douter que le moment opportun soit réellement venu. Dans cette position, je crois prudent de me rallier à l'opinion émise par l'honorable M. Jouret. J'attendrai un moment plus favorable, à moins que d'autres membres ne fassent une proposition formelle d'effacer la peine de mort de l'échelle pénale.
Je profiterai de l'occasion pour dire un mot du débat engagé entre l'honorable M. Lelièvre et l'honorable M. Pirmez. A mon avis, l'honorable M. Lelièvre va trop loin dans sa critique. Sans doute, le nouveau code pénal n'est pas une œuvre parfaite dans toutes ses parties. Quelques détails laissent à désirer, quelques articles me semblent empreints d'une sévérité surabondante ; mais ce code, considéré dans son ensemble, est, en somme, une œuvre digne de la science contemporaine. Je n'hésite pas à dire que, comparé au code français de 1810, il constitue un progrès immense.
M. Guillery. - Messieurs, d'après ce que vient de dire l'honorable M. Thonissen, je crois qu'il n'a pas bien compris la déclaration de M. le président. M. le président a déclaré que les précédents de la Chambre étaient entièrement conformés à l'opinion qu'il avait émise spontanément, c'est-à-dire que tout est remis en discussion.
M. Coomans. - Evidemment.
M. Guillery. - Nous avons donc le droit de discuter la peine de mort comme toutes les autres dispositions du code et je ne comprendrais pas qu'on ajournât une discussion d'une aussi grande importance. Du reste, en fait, il y a des amendements qui concernent la peine de mort ; par conséquent, de toute manière, en fait comme en droit, la discussion nous est soumise.
L'article 7 a été amendé par le Sénat ; il n'a subi qu'un changement de rédaction, il est vrai ; mais il serait par trop rigoureux de venir prétendre que la Chambre n'a à voter que sur une modification de forme et n'a pas à connaître du fond.
L'article 7 porte :
« Les peines applicables aux infractions sont :
« En matière criminelle :
« 1° La mort ;
« 2° Les travaux forcés ;
« 3° La détention ;
« 4° La réclusion.
« En matière correctionnelle et de police, l'emprisonnement, etc. »
Dans ce projet tel que la Chambre l'avait voté, l’énumération comprenait toutes les peines.
Un autre article, supprimé par le Sénat, définissait les peines en matière criminelle.
La question, quant à moi, n'a jamais paru douteuse, parce que je ne comprendrais pas que toutes les dispositions du code pénal ne formassent pas un tout indivisible. Le changement d'un article peut avoir des conséquences indirectes de la plus haute importance. Il est impossible à la législature de ne pas connaître, d'une façon complète, d'un travail semblable lorsqu'il lui est soumis. Nous serions obligés de transiger avec nos convictions, d'accepter des articles votés il y a plusieurs années par la Chambre et sur lesquels elle-même peut avoir changé d'opinion, et cette dernière observation serait décisive à elle seule.
Les idées, il ne faut pas en douter, ont marché depuis quelques années et je ne doute pas qu'elles marcheront encore. Peut-on douter qu'il y ait de nouveaux convertis ? M. Jouret ne croit pas que le Sénat modifie son opinion sur la nécessité de la peine de mort ; je crois, au contraire, que le Sénat modifiera son opinion si la Chambre modifie la sienne. Je ferai remarquer que lorsque le Sénat s'est occupé de la peine de mort l'année dernière, il se trouvait en présence d'un vote de la Chambre qui maintenait cette peine.
D'ailleurs la discussion qui a eu lieu au Sénat, quelque brillante qu'elle ait été, quelque science qu'aient déployée les orateurs qui y ont pris part, n'a pas épuisé la question.
Je ne doute pas qu'il n'y ait encore beaucoup de choses à dire. Je compte beaucoup, je dois le dire, sur la discussion qui aura lieu au sein de cette Chambre pour éclairer le pays et tous ceux qui s'occupent de cette question importante.
L'honorable M. Jouret pense qu'il n'y a pas d'urgence ; je trouve, moi, qu'il n'y a pas de question plus urgente, Sans doute, aussi longtemps que l'honorable M. Bara sera ministre de la justice, la peine de mort ne sera pas appliquée ; il s'est expliqué sur ce point, et à cet égard je désire que l'honorable M. Bara reste ministre le plus longtemps possible. Mais cette garantie ne suffit pas ; le jour où M. Bara se retirera du ministère, y laissera-t-il les convictions dont il est animé ? Son successeur aura-t-il la même opinion que lui ? Nous n'en savons rien et les garanties personnelles ne sont pas suffisantes.
Quant à l’idée de disjoindre la question, je la trouve des plus malheureuses. Je ne puis comprendre une Chambre législative votant un code pénal qui commine la peine de mort alors qu'elle a la conviction que la peine de mort devrait être supprimée. (Interruption.) Vous me permettrez de me placer dans cette hypothèse.
La conviction de la nécessité de supprimer cette peine n'existe peut-être pas aujourd'hui, mais permettez-moi d'espérer qu'elle existera après la discussion. Pour moi il y a contre la peine de mort un argument invincible, c'est qu'elle est inutile. Lorsqu'on vous aura démontré que la peine de mort, qui se justifie peut-être en présence d'un grand danger social, à des époques de trouble où il est nécessaire de porter la terreur dans les esprits animés de projets criminels, ne se justifie pas dans les conditions ordinaires, lorsqu'on vous aura démontré que des pays moins civilisés que la Belgique ont pu supprimer la peine de mort sans danger et que nous ne pouvons pas la conserver sans honte, mais vous voudrez tous, j'en suis sûr, l'abolition de cette peine.
Il faut donc que nous sachions, oui ou non, si l'on veut de la peine de mort ; sans cela, nous manquerions à notre dignité et à notre devoir en votant un code pénal qui commine cette peine et qui l'applique dans plusieurs dispositions.
On parle d'un projet de loi spécial, mais, messieurs, un projet de loi spécial c'est en quelque sorte la destruction du droit d'amendement. Qu'est-ce donc que le droit d'amendement ? C'est le droit de mettre des conditions à l'application d'un ensemble de dispositions législatives. Quelle différence y a-t-il entre les législatures qui ont le droit d'amendement et celles qui ne l'ont pas ? Celles qui ont le droit d'amendement peuvent tout en votant l'ensemble, modifier les articles ; celles qui n'ont pas le droit d'amendement se trouvent dans la nécessité ou de s'abstenir ou de voter contre leur conscience.
Nous avons le droit d'examiner toutes et chacune des dispositions du code pénal, et à mon avis en laissant de côté la question de la peine de mort, nous laisserions de côté la question la plus importante qui puisse nous occuper.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J’ai soutenu au Sénat l’abolition de la peine de mort, mais vous savez que le Sénat a rejeté la proposition qui lui avait été faite, non par le gouvernement, mais par un de ses membres, M. Forgeur.
Au Sénat on a admis le droit de l'assemblée de revenir sur toutes les dispositions du premier livre, de même qu'on l'avait admis à la Chambre parce que le gouvernement avait modifié le premier livre et l'avait soumis de nouveau aux assemblées législatives. Le projet amendé n'était donc pas dans les conditions d'un projet ordinaire.
Je ne veux pas dire que l'assemblée n'ait pas le droit de revenir sur toutes les dispositions et je crois avec MM. Pirmez et Guillery que si l'on rejette, par exemple, certaines dispositions qui ont été amendées et que ce rejet emporte la nécessité de modifier d'autres dispositions, il importe de revenir même sur des articles que le Sénat n'aurait pas amendés.
Mais, messieurs, une autre question se présente : celle de l'achèvement du code pénal. .
Je suis tout prêt à entreprendre, avec M. Guillery, une campagne contre la peine de mort. Mais je crois que l'entreprendre aujourd'hui ce serait le faire en pure perte. Faut-il, pour défendre une thèse que je considère comme très bonne, retarder d'autres réformes importantes qui amélioreraient sensiblement notre système pénal ? Je suppose que la Chambre vote la suppression de la peine de mort. Nous aurons peut-être reculé de 10 ans la promulgation du nouveau code, car il est certain que nous n'arriverons pas en ce moment à modifier l'opinion du Sénat.
M. Guillery vous a dit que lorsque le Sénat a repoussé la proposition due à l'initiative de l'honorable M. Forgeur, il se trouvait en présence d'un vote de la Chambre maintenant la peine de mort et que, si un vote favorable intervenait, le Sénat modifierait peut-être son opinion.
Si des événements considérables s'étaient produits, si des lumières nouvelles avalent été jetées sur la question, si une modification importante était survenue dans la composition du Sénat, je comprendrais cet espoir, mais rien de tout cela ne s'est produit, Comment pouvons-nous croire que le Sénat reviendra, sur son voie ?
(page 227) Il ne faut pas se le dissimuler, le Sénat s'est montré très hostile à l'abolition de la peine de mort, et il ne s'est trouvé dans toute la gauche qu'un seul membre pour la défendre de sa parole, M. Forgeur, qui l'a soutenue, du reste, avec beaucoup d'éloquence. Je pense donc que quelque important que puisse être le vote de la Chambre, et ce vote n'est pas encore acquis, nous aurions toutes les difficultés du monde à faire partager nos idées par le Sénat, et nous retarderions ainsi la promulgation du code.
M. Guillery disait tout à l'heure que le code pénal n'aurait qu'une durée de cinquante ans ; mais avec le système qu'il voudrait voir adopter, il faudrait cinquante ans pour arriver à une rédaction définitive.
La réforme du code pénal a été commencée en 1834, et toutes les dispositions du projet sont encore l'objet de discussions.
Je me permettrai de présenter une observation à l'assemblée.
L'honorable M. Lelièvre a fait tout un discours sur l'ensemble du code pénal. Evidemment, c'était son droit ; mais je demande que les membres qui auront des observations à présenter veuillent bien les exposer à propos de chacun des articles auxquels elles s'appliquent, parce qu'il est impossible de suivre utilement la discussion si l'on traite quatre ou cinq questions à la fois.
Tous ces travaux relatifs au code pénal ont été soumis à la Chambre ; les questions ont été examinées sous toutes leurs faces ; il ne s'agit plus maintenant que d'affaires de détail.
Je crois donc, tout en laissant intacts tous les droits de la Chambre, que l'idée de M. Thonissen est la plus rationnelle.
Si l'honorable M. Thonissen ou l'honorable M. Guillery ou le gouvernement lui-même croit, à un moment donné, que l'abolition de la peine de mort est possible, à raison de la dispositions des esprit dans les deux Chambres, eh bien, chacun fera son devoir : ou bien le gouvernement présentera un projet de loi, ou bien, si des membres croient qu'il ne se hâte pas assez de le faire, ils pourront user de leur droit d'initiative, et nos travaux n'en marcheront qu'infiniment mieux.
M. J.. Jouretµ. - Après ce que vient de dire M. le ministre de la justice, je pourrais renoncer à la parole. J'ai cependant une observation à faire à l'honorable M. Guillery.
Je suis aussi convaincu que lui qu'il y a la plus grande urgence à discuter la question de la peine de mort et surtout à prononcer la suppression de cette peine. Mais la question est de savoir si, dans le moment actuel, nous avons quelque espoir fondé d'arriver à cette suppression. La question est de savoir si nous n'agissons pas avec plus de prudence, et parlant d'une manière plus utile au but que nous voilions atteindre, en laissant le problème de l'abolition de la peine de mort s'emparer un peu plus encore qu'elle ne l'a fait jusqu'ici, de l'opinion publique.
Je n'ai pas besoin de dire, je pense, que je suis entièrement de l'avis de l'honorable M. Guillery qu'il serait désirable au plus haut point d'abolir la peine de mort ; mais en présence des précédents posés par la Chambre, et tout récemment par le Sénat, je crois que la prudence nous conseille de ne point demander actuellement la discussion de cette question.
L'honorable M. Guillery exprimait tout à l'heure la pensée que l'honorable M. Thonissen n'avait point saisi la position de la question telle que l'avait expliquée M. le président.
Il m'a paru, au contraire, que l'honorable M. Thonissen avait parfaitement saisi la pensée de M. le président ; il a bien compris que le droit de la Chambre ne pouvait pas faire l'ombre d'un doute, en présence des explications données par M. le président ; mais il s'est demandé s'il était opportun, s'il était désirable, dans l'intérêt même de la cause, dont il est un des persévérants défenseurs, de faire actuellement usage de ce droit.
Sous ce rapport, je ne puis que partager l'opinion de l'honorable membre, persuadé, comme je le suis, que nous avons tout à gagner à différer quelque temps encore la discussion de l'abolition de la peine de mort, et qu'il importe peu qu'elle ait lieu à propos des amendements apportés au code pénal par le Sénat, plutôt qu'ensuite d'une proposition formelle à faire plus tard.
M. Guillery - Je suis fâché de prendre une seconde fois la parole, mais l'importance du sujet m'excusera, j'espère, aux yeux de la Chambre.
Les considérations que vient de développer M. le ministre de la justice sont précisément celles qui me portent à insister, parce que je désire qu'il puisse tenir devant le Sénat, en faveur de l'abolition de la peine de mort, le langage qu'il tient aujourd'hui pour nous engager à voter un code pénal qui la consacre.
Si la Chambre, comme je l'espère, supprime du code pénal la peine de mort, l'honorable ministre pourra reproduire les observations qu'il a développés tantôt ; mais seulement alors en faveur d'un code pénal ainsi modifié, ainsi purifié, et je doute, quant à moi, que le Sénat, en présence d'un travail complet supprimant la peine de mort, d'un travail mûri, parfaitement étudié, n'accepte pas ce que la Chambre aura voté.
Il y a, entre ces deux positions, une différence qui ne nous échappera pas. Lorsque la question de la suppression de la peine de mort s'est produite devant le Sénat, elle a pris tout le monde un peu au dépourvu, reconnaissons-le.
Cette proposition de l'honorable M. Forgeur a paru une témérité ; beaucoup de personnes seront étonnées que M. le ministre de la justice l'eût soutenue. Cette attitude a provoqué une surprise réelle dans les Chambres et au dehors.
Mais aujourd'hui, messieurs, cette question a fait de grands progrès et beaucoup de personnes qui se sont étonnées alors approuvent aujourd'hui et applaudissent.
Autre chose est voter sur une proposition due à l'initiative d'un membre et de voter sur une proposition faite par le gouvernement et adoptée par l'une des Chambres. N'est-il pas évident que beaucoup de membres du Sénat comme de cette Chambre professent le plus grand respect pour ce qui a été adopté par l'autre branche du pouvoir législatif ?
J'en conclus, messieurs, que si vous supprimiez aujourd'hui la peine de mort, il est très probable que, pour ne pas ajourner plus longtemps l'application du nouveau code pénal, pour ne pas le remettre en question, le Sénat le voterait dans son ensemble.
Le système des honorables MM. Jouret et Thonissen consiste simplement à nous rendre impuissants, à nous faire déclarer nous-mêmes que nous n'aboutirons jamais à rien.
Comment ! vous désespérez de faire accepter notre proposition tendante à la suppression de la peine de mort, lorsqu'elle fera partie d un système complet, tel que le Sénat sera mis dans l'alternative d'ajourner la révision du code ou de ratifier notre vote ; et vous espérez faire adopter cette proposition lorsqu'elle sera présentée sous forme de loi spéciale exposée à toutes les vicissitudes de semblables lois ? Explique qui voudra cette contradiction ; quant à moi, je n'entreprendrai point cette tâche ?
L'honorable M. Jouret veut que l'opinion publique se forme, que de nouvelles lumières jaillissent sur la question. C'est là, messieurs, une manière de voir par trop modeste, selon moi ; et, dussé-je passer pour ne l'être pas du tout, en parlant de l'assemblée à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, je proteste énergiquement contre un tel sentiment. C'est d'ici que doit partir la lumière ; nous comptons parmi nous assez de jurisconsultes éminent, pour n'avoir pas besoin d'attendre du dehors les lumières nécessaires à la solution d'une question comme celle-ci.
Nous avons parmi nous des hommes qui se sont distingués dans la défense de la question qui nous occupe, qui l'ont traitée avec un talent supérieur et qui, j'en suis convaincu, apporteraient encore de précieuses lumières dans un débat qui est agité depuis longtemps déjà dans le pays. Je compte beaucoup, quant à moi, sur la discussion que j'espère voir surgir dans cette Chambre pour exciter l'opinion publique à s'en occuper avec une nouvelle ardeur.
Quand on saura que la Chambre s'occupe de l'abolition de la peine de mort, tous ceux que cette question intéresse s'y appliqueront avec une ardeur nouvelle, tandis qu'ils s'en abstiennent aujourd'hui dans la conviction, motivée par le silence des Chambres, qu'ils se livreraient à des travaux tout à fait superflus.
En définitive, messieurs, voici la question qui vous est soumise. J'ai montré qu'en droit comme en fait, la question de la peine de mort doit être soulevée puisque vous aurez à voter sur un article amendé par le Sénat et qui commine la peine de mort.
Qu'on le veuille donc ou non, il faudra que la Chambre se prononce sur la peine de mort. La question est seulement de savoir si ce vote aura lieu sans discussion. Quant à moi, je supplie la Chambre, de toutes les forces de mon âme, de toutes les forces de mon dévouement et de mon respect pour elle, je la supplie de ne pas permettre qu'on dise que la question de la peine de mort a été posée devant elle et qu'elle a refusé de la discuter.
M. Hagemansµ. - Je partage complètement l'opinion de l'honorable M. Guillery, d'autant plus que nous nous trouverons bientôt en présence d'un amendement dont la discussion nous reporte aux plus beaux temps des Torquemada. Je veux parler de celui qui touche à l'exécution de la femme enceinte. Il est tout bonnement horrible, selon moi, d'avoir à s'occuper d'une pareille question ; car, en vérité, c'est, (page 228) comme je viens de le dire, nous reporter à une époque heureusement bien loin de nous. Le marchand d'esclaves sépare la mère d'avec son enfant.
Ici il s'agit de quelque chose de plus cruel encore : on attend que la mère mette l'enfant au monde pour tuer celle qui vient de lui donner le jour. Nous ne devrions pas avoir à discuter de pareils sujets, et pour cela il n'y aurait qu'un moyen : débarrasser notre code et nos places publiques de cette tache sanglante dont rougit notre civilisation.
M. Lambertµ. - Messieurs, il y a peut-être témérité de la part d'un nouveau membre à prendre la parole après le discours de l'honorable M. Guillery. Je ne puis que donner une adhésion cordiale aux observations présentées d'une manière si éloquente par cet honorable collègue et qui, je n'en doute pas, ont porté la conviction dans vos cœurs. Mais il est pour certains membres de la Chambre une position qui doit être définie.
Ces membres sont ceux qui, comme moi, viennent de pénétrer dans cette enceinte. Les anciens membres de la Chambre, dans les discussions antérieures concernant le code pénal, ont été mis à même de faire connaître leur opinion sur la grande question de l'abolition de la peine de mort ; pour nous, nous n'avons pas eu l'occasion de nous prononcer à cet égard, et nous allons nous trouver dans une position qui n'est pas tenable.
Ainsi, par exemple, nous allons nous trouver en présence de l'article 7 du projet renvoyé par le Sénat, article qui commine la peine de mort, alors que nos convictions nous font un devoir de repousser cette horrible peine.
Il est donc indispensable d'aborder aujourd'hui la question de l'abolition de la peine de mort, ne fût-ce que pour les nouveaux membres qui vont être en présence, de l'article 7. Je ne comprends pas la fin de non recevoir qu'on oppose à la demande d'une discussion immédiate.
Nous assistons à un singulier spectacle. M. le ministre de la justice dit, et c'est là un honneur ! qu'on n'exécute plus la peine de mort ; il s'est écrié que, quant à lui, il ne l'appliquerait pas.
Et quand le gouvernement, rendant hommage au sentiment public, dit lui-même que la peine de mort n'existe plus à ses yeux, nous irions la maintenir ! nous l'inscririons dans la loi !
Si la peine de mort doit être inscrite dans la loi, est-ce comme un épouvantail ? Evidemment non ; nous sommes des hommes sérieux, nous savons ce que nous faisons, nous ne devons pas inscrire, la peine de mort dans le code pénal, nous devons nous hâter de l'abolir en droit, puisqu'elle est abolie en fait.
Messieurs, je croirais abuser des moments de la Chambre en m'arrêtant plus longtemps à la question préalable ; je ne sais pas si le règlement s'applique, ou ne s'applique pas au cas présent ; je suis trop nouveau dans la Chambre pour me prononcer à cet égard ; mais je dis qu'il y a là une question d'équité qui nous fait un devoir d'émettre actuellement un vote sur la question de l'abolition de la peine de mort ; alors même que nous nous attendrions à voir le Sénat maintenir son premier vote, nous ne devrions pas reculer.
Nous aurons rempli notre devoir ; nous aurons réclamé dans cette enceinte ce qui est commandé par le progrès et par l'intérêt de l'humanité, en proclamant que la peine de mort n'existe plus en Belgique.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le gouvernement ne fait aucune opposition à la discussion de la question de la peine de mort. J'ai été très mal compris. L'attitude que l'honorable M. Lambert prête au gouvernement est évidemment contraire à la conduite qu'il a tenue au Sénat. L'honorable M. Forgeur a proposé à cette assemblée l'abolition de la peine de mort ; le gouvernement a soutenu cette proposition, et il a fait tous ses efforts pour rallier le Sénat à l'amendement de l'honorable M. Forgeur.
Maintenant, l'honorable membre dit : Si nous ne discutons pas la peine de mort, la dignité des nouveaux membres de la Chambre sera compromise.
Messieurs, c'est là une thèse qui n'est pas admissible dans une assemblée délibérante. Avec le système de l'honorable M. Lambert, chaque fois que le Sénat nous renverrait un projet de loi amendé, il faudrait entamer une nouvelle discussion, si entre le vote de la Chambre des représentants et celui du Sénat il est entré quelques nouveaux membres dans cette enceinte. Les Annales parlementaires sont là, qui rendent compte des débats antérieurs ; il faut les lire. J'ai été moi-même dans le cas ; je n'ai pas été toujours de la Chambre ; il y a beaucoup de questions que j'ai dû étudier dans des ouvrages et dans les Annales.
Il est certain que bien que l'honorable M. Lambert n'ait pas assisté aux diverses discussions qui ont eu lieu sur la peine de mort, il doit en avoir une connaissance suffisante.
Au reste, quand la Chambre arrivera à l'article 7, les honorables membres qui sont, comme moi, partisans de l'abolition de la peine de mort, feront les propositions qu'ils jugeront convenable, et la Chambre décidera.
Pour moi, je pense qu'il n'y a pas lieu de se livrer maintenant à une nouvelle discussion, parce que, à mes yeux, dans l'intérêt de la cause de la suppression de la peine de mort, il ne faut pas aller au-devant d'un échec certain.
Je suis convaincu que le Sénat ne reviendra pas sur son vote de l'année dernière ; c'est parce que j'en suis convaincu que, bien qu'adversaire de la peine de mort, je ne saurais conseiller à la Chambre d'entamer une nouvelle discussion. La ligne de conduite que je prie la Chambre de vouloir bien suivre dans cette circonstance est la seule qui sauvegarde entièrement les intérêts de la cause de l'abolition de la peine de mort.
Si la Chambre croit devoir se livrer aujourd'hui à de nouvelles discussions sur cette question, si elle croit devoir entamer de nouveaux et longs débats sur d'autres questions, sur le prêt à intérêt, sur l'usure, par exemple, elle en a parfaitement le droit, mais elle doit renoncer à voir la révision du code pénal. Pour ma part, je pense qu'il est de la dignité de la Chambre que l'œuvre de la révision du code s'achève, qu'une réforme, dont tout le monde reconnaît le bienfait, puisse enfin être mise en vigueur.
Du reste, quand nous serons à l'article 7, les membres de la Chambre hostiles à la peine de mort ne voteront pas cet article, et si le premier vote de la Chambre, contraire à l'abolition de la peine de mort, n'est pas maintenu, je m'engage à lui soumettre des propositions destinées à modifier l'échelle des peines.
MpVµ. - Il est parvenu au bureau un amendement à l'article 7. Cet amendement est ainsi conçu :
« Art. 7. Supprimer le n°1°. La peine de mort.
« J. Guillery, Alfred Dethuin, G. Hagemans, Kervyn de Lettenhove, Ed. Lambert, Louis Crombez, Vleminckx, G.-F. Funck, Ad. Le Hardy de Beaulieu, Aug. Couvreur. »
M. Dumortier. - Messieurs, j'avais demandé la parole avant le dépôt de cet amendement. Je voulais présenter à la Chambre des considérations à deux points de vue : d'abord sur la question de règlement, en second lieu sur la question au fond même, puisqu'elle a été traitée.
Quant à la question de règlement, elle est constitutionnelle. La Chambre ne peut voter une loi qu'après qu'elle a été discutée, dit la Constitution, et votée article par article. Or, ne nous faisons pas illusion, le code qui nous est renvoyé par le Sénat est une loi nouvelle. La Chambre a donc le droit de l'examiner article par article.
Cependant, dans la pratique, il arrive souvent que la Chambre ne croit pas devoir user de son droit, que les membres qui ont émis une opinion différente sur un article donné, au premier vote, ne soulèvent pas de nouveau la question, lorsque la loi revient du Sénat, comme cela arrive souvent en matière de second vote, mais le droit de chacun est entier.
Cette question avait été soulevée à propos de la question de la peine de mort.
Bien qu'un amendement, soit présenté, permettez-moi de vous dire en bien peu de mots ce que j'avais l'intention de vous dire auparavant.
Quant à moi, je le regrette vivement, mais j'ai des idées diamétralement opposées à celles de notre honorable collègue et ami M. Guillery. M. Guillery reconnaît que la peine de mort peut être en vigueur à certaines époques, dans des moments de terreur ; mais il ne veut pas qu'elle figure dans une loi contre les crimes et délits ordinaires. Eh bien, messieurs, je professe une opinion tout à fait contraire. J'exècre et je déteste la peine de mort dans les moments de terreur, parce qu'elle présente un caractère véritablement odieux, parce que là, ce sont des victimes, et non des coupables qu'elle atteint.
Mais en est-il de même dans l'état normal ? En est-il de même dans les cas prévus par les lois ordinaires ?
(page 229) Je regarde, pour mon compte, la suppression de la peine de mort, non comme un progrès, comme l'ont dit d'honorables orateurs, mais comme une reculade de la civilisation moderne. Et en effet, ne nous laissons pas aller à de vaines théories, à des systèmes humanitaires. Ayons d'abord et avant tout de l'humanité pour les victimes ; ayons de l'humanité non pour les assassins, mais pour les assassinés.
- Plusieurs membres. - C'est le fond.
M. Dumortier. - Oui, mais tout le monde a traité le fond, je réponds à ce qui a été dit, et je ne serai pas long.
Je déclare donc qu'à mes yeux, l'abolition de la peine de mort n'est qu'un encouragement donné à l'assassinat. (Interruption.) Vous n'êtes pas de cet avis. Soit ; je respecte votre opinion. Mis j'ai le droit de dire que vous devez respecter la mienne, parce qu'elle est aussi consciencieuse que la vôtre.
J'ajouterai que l'opinion publique, dont on a parlé, est tout à fait opposée à toutes ces théories, que l'opinion publique ne veut pas la suppression de la peine de mort, parce qu'il y a, en matière d'assassinats, en matière de grands crimes, des sentiments de justice et de vindicte publique inscrits dans tous les cœurs, et que chacun sent que. cette peine de mort, réservée, comme elle l'est dans le. code nouveau, aux crimes les plus graves contre la société, est la seule garantie que nous ayons pour empêcher ces crimes de devenir par trop fréquents dans notre pays.
M. Coomans. - Messieurs, je comprends l'honorable M. Dumortier. Je comprendrais de même tous les partisans sincères, loyaux et éclairés de la peine de mort. Mais ce que je ne comprends pas, c'est un gouvernement qui condamne la peine de mort et qui la maintient.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce sont les Chambres qui la maintiennent.
M. Coomans. - Je dis que le maintien de la peine de mort sera votre fait, si vous n'en proposez pas aujourd'hui la suppression.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous allez la voter vous-même à l'article 7.
M. Coomans. - Point, nous allons voir.
Quelle est la vraie raison de l'opposition que fait aujourd'hui le gouvernement ? Ce sont les répugnances du Sénat. Il faut, dit-on, respecter la libre volonté du Sénat. Le Sénat ne veut pas l'abolition de la peine de mort. Donc maintenons la peine de mort.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas dit cela.
M. Coomans. - C'est bien là votre argumentation. Mais c'est la première fois qu'on montre ce respect, cette fois excessif, pour la libre volonté du Sénat. Quand on veut absolument lui arracher de l'argent, on en obtient. Et quand il s'agit de nous faire proclamer un principe que vous jugez vrai, que vous jugez juste, utile même, vous reculez.
Voilà ce que je ne comprends pas, voilà ce que je blâme. Il faut se prononcer nettement. On veut ou l'on ne veut pas de la peine de mort, et je dis avec l'honorable M. Guillery, qui du reste l'avait redit après moi, que sur de pareilles questions, il n'y a pas d'ajournement possible. Vous pouvez ajourner des questions d'intérêt, des questions secondaires, mais vous ne pouvez pas ajourner la capitale question de savoir si vous avez le droit doter la vie à vos semblables. Je m'inclinerai devant vos votes, mais non devant votre refus de voler.
Et quoi ! vous voulez discuter la peine de mort après que vous l'aurez maintenue ? et vous parlez de dignité de la Chambre ? La Chambre votera aujourd'hui le maintien de la peine de mort, et demain, dites-vous, elle examinera si elle a bien fait d'émettre un pareil vote.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vos interprétations ne sont malheureusement pas vraies.
M. Coomans. - Vous avez dit : Le moment n'est pas heureux pour examiner la question. L'honorable M. Jouret dit aussi que le moment de discuter n'est pas opportun.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais le moment de voter est opportun.
M. Coomans. - La discussion est aussi importante que le vote.
Je dis qu'il serait contraire à la dignité de la Chambre de lui faire voter aujourd'hui le maintien de la peine de mort et de fixer un jour pour examiner si ce vote a été convenablement émis. Vous devez discuter et voter aujourd'hui.
M. Pirmezµ. - Vous ne faites pas une loi nouvelle. Le maintien de la peine de mort a été voté deux fois par la Chambre, ne l'oubliez pas.
M. Coomans. - Chaque fois que la question de la peine de mort est posée, il faut une résolution formelle ; vous ne pouvez la laisser dans le vague.
Eh quoi ! messieurs, le public sera fort étonné d'apprendre que la peine de mort est maintenue, alors qu'elle est combattue, qu'elle est condamnée par un grand nombre de membres de cette assemblée.
En vérité, je ne comprends pas l'hésitation devant des problèmes de cette importance. Quant à l'attitude du Sénat, j'ai encore un mot à dire.
Quand le Sénat a maintenu à une forte majorité la peine de mort, il se trouvait devant un vote de cette Chambre qui avait conservé cette peine à une majorité plus considérable encore. Le Sénat pouvait croire que les convictions de la Chambre étaient restées les mêmes. Il pouvait même douter que le gouvernement tout entier partageât celles de M. le ministre de la justice. Quand nous aurons émis un vote solennel après une discussion sérieuse, qui vous dit que la manière de voir du Sénat ne changera pas ? Et encore une fois c'est en pareille matière qu'il faut peser sur une assemblée, bien plutôt que pour ramasser des sous pour le trésor.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois rectifier une assertion de l'honorable membre. Il prétend que le gouvernement s'oppose maintenant à l'abolition de la peine de mort. C'est une erreur complète.
M. Coomans. - A la discussion tout au moins.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai dit moi-même que je ne voterais pas l'article 7 ; mais j'ai dit qu'une discussion serait oiseuse. Pourquoi ? Parce que la question est connue de tout le monde.
L'honorable M. Guillery dit : C'est un système nouveau. Mais ce système est discuté depuis un temps infini ; il a été examiné dans cette Chambre de même qu'au Sénat. Quand nous avons discuté au Sénat, nous l'avons fait pour affirmer notre opinion. Mais c'est une question que tout le monde a étudiée et connaît.
M. Thonissenµ. - Il y a des faits nouveaux, et en grand nombre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est possible, c'est-à-dire qu'il y a des interprétations nouvelles, qu'il y a des arguments que la science découvre tous les jours. Mais il est certain aussi que tous les membres de cette assemblée sont au courant de ce qui se passe à ce sujet et que vous ne modifierez pas sensiblement par une discussion l'opinion de la Chambre.
An surplus, si un laps de temps considérable s'était écoulé depuis nos dernières discussions, je comprendrais que la question fût reprise. Mais je voudrais savoir si nous avons intérêt à y revenir tous les jours. Vous avez vu la résistance des assemblées législatives à la mesure proposée. Si vous prétendez que la Chambre est convertie, qu'on supprime la peine de mort ; je voterai cette suppression à l'article 7, comme l'honorable M. Coomans pourra la voter, et si la peine de mort est supprimée, comme je l'ai dit à l'honorable membre, je suis prêt à proposer les changements que ce vote nécessiterait.
Mais je n'ai pas dit que je voterais aujourd'hui le maintien de la peine de mort pour en demander demain la discussion ; ce serait absurde.
Maintenant le droit de la Chambre est de discuter. L'honorable M. Guillery a présenté un amendement dont la Chambre s'occupera à l'occasion de l'article 7.
Je proposais de ne pas discuter, parce que je ne prévois pas qu'on puisse le faire avec succès ; mais du moment qu'on veut discuter, on ne peut l'empêcher, le règlement de la Chambre est formel.
- La discussion générale est close.
La Chambre passe à la délibération sur les articles.
MpVµ. - Le premier article modifié est l'article 2.
« Art. 2. Nulle infraction ne peut être punie de peines qui n'étaient pas portées par la loi avant que l'infraction fût commise.
« Si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l'infraction, la peine la moins forte sera appliquée. »
- Adopté.
« Art. 3. L'infraction commise sur le territoire du royaume, par des Belges ou par des étrangers, est punie conformément aux dispositions des lois belges. »
- Adopté.
« Art. 4. L'infraction commise hors du territoire du royaume, par des Belges ou par des étrangers, n'est punie, en Belgique, que dans les cas déterminés par la loi. »
- Adopté.
(page 230) « Art. 7. Les peines applicables aux infractions sont :
« En matière criminelle :
« 1° La mort ;
« 2° Les travaux forcés ;
« 3° La détention ;
« 4° La réclusion.
« En matière correctionnelle et de police :
« L'emprisonnement.
« En matière criminelle et correctionnelle :
« 1° L'interdiction de, certains droits politiques et civils ;
« 2° Le renvoi sous la surveillance spéciale de la police.
« Pour les trois espèces d'infraction.
« 1° L'amende ;
« 2° La confiscation spéciale. »
MpVµ. - A cet article se rapporte l'amendement dont j'ai donné lecture, et qui consiste à supprimer le n°1°, c'est-à-dire à supprimer la peine de mort.
La parole est à M. Thonissen.
M. Thonissenµ. - Messieurs, la question étant soulevée, elle doit être discutée sérieusement. Or, un débat sérieux ne peut pas avoir lieu d'ici à la fin de la séance. Je crois donc qu'il vaudrait mieux remettre la séance à demain. Si cependant la Chambre l'exige, je suis prêt ; mais je dois déclarer que mon discours prendra tout le reste de la séance.
- Plusieurs membres. - Discutons immédiatement !
M. Bouvierµ. - Je pense qu'on pourrait remettre l'article 7 à demain et poursuivre la discussion des autres articles.
MfFOµ. - Puisque M. Thonissen est prêt.
M. Thonissenµ. - Je suis prêt, mais je ne pourrai pas terminer aujourd'hui.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Thonissenµ. - Messieurs, puisque le débat s'engage, je viens appuyer la proposition faite par l'honorable M. Guillery.
Quand on demande le renversement de l'échafaud, il importe, avant tout, de bien poser le problème à résoudre.
L'illégitimité absolue de la peine de mort ne peut être sérieusement alléguée. La société possède le droit de punir, et, si la conservation de l'ordre et le maintien de la sécurité publique exigent une répression énergique, rien ne s'oppose à ce que le législateur, dans la punition des actes immoraux, aille, au besoin, jusqu'à la rétribution du mal causé par un mal identique. Si la peine capitale est indispensable pour dissiper les complots et désarmer les bras des assassins, cette peine, appliquée à l'assassinat, devient par cela même incontestablement légitime.
Mais, à côté de cette vérité fondamentale, il en existe une autre que le législateur criminel ne doit jamais perdre de vue.
Si la société possède le droit de punir, elle ne peut exercer ce droit que dans la mesure des besoins sociaux. Elle ne doit pas saisir le glaive et frapper pour se ménager le plaisir cruel et barbare d'étaler sa puissance. Si le châtiment d'un degré inférieur suffit pour sauvegarder les intérêts confiés à sa sollicitude, elle n'a pas le droit de recourir au châtiment d'un degré supérieur.
Le problème à résoudre se réduit donc purement et simplement à une question de fait. Si la peine de mort est nécessaire, on doit la conserver ; si elle n'est pas nécessaire, on doit la supprimer.
En plaçant ainsi le débat sur son véritable terrain, on s'aperçoit, à l'instant même, que les adversaires de l'échafaud n'ont qu'une seule tâche à remplir : démontrer, à l'aide de faits irrécusables, que la prétendue nécessité de la peine de mort dans les sociétés modernes est une affirmation sans preuve, un adage témérairement affirmé par les uns et aveuglément accepté par les autres.
Les annales du droit criminel attestent que, chaque fois qu'on appuie son argumentation sur la prétendue nécessité de certaines peines, il convient de procéder avec une réserve extrême.
Partant de l'idée qu'il faut, avant tout, jeter l'effroi dans l'âme des malfaiteurs, les anciens criminalistes avaient varié les supplices avec une déplorable fécondité d'imagination. La mort simple ne leur suffisant pas, ils avaient inventé la mort « qualifiée. » « Le bourreau, dit Damhouder, exécute les sentences capitales en brûlant les coupables, en les décapitant, en les précipitant dans un puits, en les écartelant, en les assommant sur la roue, en les suspendant au gibet, en arrachant leurs membres. »
Pour ne pas remonter à une époque trop éloignée, nous nous bornerons à rappeler que la plupart des législations européennes, et notamment celle de la France, admettaient encore, en plein dix-huitième siècle, six espèces de mort, dont quelques-unes, telles que l'exécution par la roue, par le feu vif ou par l’écartèlement, s'accomplissaient avec des détails horribles.
Or, quand des hommes généreux, révoltés de ces barbaries, vinrent demander que la peine capitale ne fût plus que la seule privation de la vie, les administrateurs, les magistrats, les criminalistes, les avocats eux-mêmes, à de très rares exceptions près, furent unanimes à déclarer que toutes ces tortures étaient indispensables. Ils affirmaient que les malfaiteurs endurcis, loin de s'arrêter devant la perspective d'une mort instantanée, se jetteraient à corps perdu dans la carrière du crime, en se disant qu'après tout, si la main de la justice réussissait à les atteindre, le seul dommage qui en résulterait pour eux serait de voir avancer de quelques années, de quelques mois peut-être, le terme fixé par la nature. Des centaines de voix prophétiques s'élevèrent pour annoncer un épouvantable accroissement de crimes atroces, aussitôt que la roue, le feu et l'écartèlement auraient cessé de protéger la sécurité publique. On proclamait de bonne foi l'affreuse nécessité de faire endurer d'horribles tourments aux malheureux que la société se croyait obligée de retrancher de son sein.
Le même argument de la nécessité fut mis en avant pour justifier toutes ces atrocités judiciaires qui, indépendamment de la mort qualifiée, semblaient former le droit commun de l'Europe. On le vit même invoquer à l'appui du maintien de la question préparatoire.
Malgré les raisons sans réplique alléguées par Montaigne, Bayle, Grotius, Jongtys, Montesquieu, Beccaria, Servan, Voltaire, Brissot et tant d'autres, la torture continua longtemps à figurer parmi les parties essentielles de la procédure criminelle du dix-huitième siècle. Elle était indispensable, disait-on, pour assurer l'exercice régulier et fructueux de la police judiciaire ! Pendant plus de vingt années, Marie-Thérèse et Joseph II furent obligés de lutter contre la résistance obstinée des Conseils de justice des Pays-Bas autrichiens. Nos magistrats, repoussant dédaigneusement « ces spéculations nouvelles », répondaient que, si la torture était un mal, c'était un mal nécessaire ! »
(page 231) Qui oserait aujourd'hui défendre la question préparatoire et la mort qualifiée ? Un sourire de pitié accueillerait le jurisconsulte assez aveugle pour croire encore à leur prétendue nécessité. Une expérience presque séculaire a dissipé tous les doutes.
Il ne suffit donc pas d'affirmer qu'une peine est nécessaire. Il ne suffit pas surtout de dire que la peine de mort a existé chez tous les peuples, à toutes les époques et à tous les degrés de civilisation. Par cela même que la peine de mort a toujours existé, on se trouve dans l'impossibilité d'indiquer à priori les conséquences qui résulteraient de son abolition.
Au lieu de discuter à l'aide d'affirmations dénuées de preuves, il faut étudier les faits, interroger la statistique, rechercher les véritables causes de la criminalité, et se prononcer ensuite en parfaite connaissance de cause.
Ni les faits ni les chiffres ne font défaut à la thèse généreuse que défendent les adversaires de l'expiation sanglante. Nous allons en fournir la preuve.
L'histoire du droit moderne ne signale pas de phénomène plus remarquable que celui de la réduction successive du nombre des crimes capitaux, dans tous les codes de l'Europe et de l'Amérique.
En Angleterre, dans la seconde moitié du siècle passé, les crimes capitaux formaient une longue et lamentable série de deux cent quarante cas. Dans les premières années du siècle actuel, ils s'élevaient encore au chiffre énorme de cent soixante. Aujourd'hui, grâce à des réductions successivement opérées sous la pression de l'opinion publique, ces crimes se réduisent à deux : l'assassinat et la haute trahison.
Chacune de ces réductions a eu pour accompagnement un concert bruyant de prédictions sinistres. Supprimer la peine de mort pour la fabrication de fausse monnaie, pour la contrefaçon du timbre ou des billets de banque, pour le vol du bétail, pour la destruction des machines, pour la banqueroute frauduleuse, pour le vol des lettres, pour les menaces par écrit, pour le viol, pour l'évasion des criminels, pour les diverses variétés du faux, pour la soustraction de quelques linges mouillés sur le pré d'une blanchisserie, c'était, disait-on, inaugurer une lamentable époque de désordre, d'anarchie et de ruine ; c'était condamner le commerce et l'industrie à une décadence irrémédiable ; c'était tarir les sources de la subsistance des peuples de la Grande-Bretagne ; c'était faire déserter le pays par ses habitants les plus utiles, c'était amener, à l'expiration d'un petit nombre d'années, la dépopulation, la stérilité, la solitude, une désolation semblable à celle qui règne dans quelques contrées de l'Asie, jadis les plus civilisées et les plus peuplées de la terre !
Ces prédictions se produisirent à la tribune du parlement, dans les colonnes des journaux, dans les dissertations des jurisconsultes et jusque dans les traités de philosophie morale. Qu'en est-il résulté ? C'est que les exécutions devinrent d'année en année moins fréquentes, sans que le nombre des crimes, antérieurement frappés de mort, subît une augmentation quelconque, susceptible d'être attribuée à l'admission d'un châtiment moins rigoureux. Tandis que 802 exécutions eurent lieu dans la période de 1800 à 1810, et 897 dans celle de 1811 à 1820, il n'y en eut que 250 dans la période de 1831 à 1840, et 107 dans celle de 1841 à 1850. Vers la fin du dix-huitième siècle, le nombre des condamnés sacrifiés à la vindicte publique s'élevait, en moyenne, à 800 par année ! Cet effroyable chiffre était réduit à 9 en 1859, sans que la sécurité publique en eût souffert le moindre préjudice.
Une expérience analogue a été faite en France. Au moment où éclata la grande révolution du dernier siècle, la peine de mort y était applicable à 115 cas. Dans le code pénal de 1810, elle était encore prononcée, expressément ou implicitement, par 39 articles, dont la plupart prévoyaient plusieurs crimes différents. La loi du 28 avril 1832 réduisit tous ces crimes capitaux à 22 ; puis, après un nouvel intervalle de seize années, ces 22 crimes furent, à leur tour, réduits à 13, par le décret du gouvernement provisoire du 26 février 1848, abolissant la peine de mort en matière politique.
Ici encore, aucun inconvénient n'est résulté de la suppression de la peine de mort pour toute une série de crimes. Dans le gouvernement, dans la magistrature, dans le barreau de France, aucun homme sérieux ne songe à revenir aux rigueurs exagérées du code de 1810. Au premier abord, l'augmentation de la criminalité, dans le quart de siècle qui a suivi la législation de 1832, peut faire concevoir des doutes ; mais un examen, même superficiel, suffit pour prouver que cette augmentation, loin d'être le produit de l'admission d'un système plus humain, tient à des causes qui lui sont complètement étrangères. Il suffit de faire remarquer que l'accroissement se manifeste surtout pour deux catégories d'infractions : celles à l'égard desquelles il n'a jamais été question de la peine de mort et celles qui n'ont jamais cessé d'en être largement frappées. De 1826 à 1852, le nombre des délits correctionnels s'est élevé de 59,620 à 179,394. Dans la même période, les accusations d'assassinat se sont accrues de 22 p. c, et celles de parricide ont presque doublé ; et cependant, pour ces deux espèces de crimes, les exécutions n'ont pas fait défaut.
De 1826 à 1832, nous trouvons 1,668 condamnations à mort, 605 commutations et 1,063 exécutions ; c'est-à-dire, en moyenne, 66 condamnations et 42 exécutions par an. Il n'y a donc rien d'étrange ni d'anormal dans l'augmentation de criminalité qui s'est également manifestée, pendant les mêmes années, pour la plupart des crimes que les législations de 1832 et de 1848 ont affranchis de la peine capitale. C'est une vérité que le gouvernement et le jury français ont parfaitement comprise. De 1830 à 1860, la moyenne des exécutions capitales fut encore de 27 par an ; de 1861 à 1864, nous la voyons descendre à 14.
Les mêmes tendances existent, à des degrés divers, dans une foule d'autres pays de l'Europe et de l'Amérique. On en trouve la preuve dans tous les codes criminels promulgués depuis vingt, ans, notamment dans ceux de la Prusse (1851), du Portugal (1852), de l'Autriche (1852), de la Bavière (1861), du Piémont (1859), de la Suède (1863), de New-York (1860), du Massachusetts (1858) et de Philadelphie (1860). Partout le nombre des infractions passibles de mort a été réduit dans une proportion plus ou moins considérable, et, en outre, plusieurs législations, imitant l'exemple donné par la France en 1832, autorisent les juges ou le jury à écarter cette peine quand la cause présente des circonstances atténuantes. Or, parmi tant de peuples, si différents par leur origine, leurs traditions, leurs habitudes et leurs intérêts, ils n'en est pas un seul qui ait eu à se plaindre de ce remarquable adoucissement de la législation criminelle. Nulle part on ne voit surgir les conséquences funestes annoncées par les partisans de l'échafaud. Nulle part les gouvernements ne songent à revenir sur leurs pas. Nulle part on ne voit paraître une demande tendante à appliquer de nouveau la peine de mort aux nombreuses catégories d'infractions qui n'en sont plus passibles. Que, dans tous les pays que nous venons de passer en revue, certains préjugés sur l'efficacité souveraine du dernier supplice se soient maintenus dans l'esprit d'une foule de personnes étrangères à l'étude des lois criminelles, nous l'avouons sans peine ; que des jurisconsultes (page 232) et des hommes d'Etat s'y prononcent contre la suppression immédiate et complète de la peine de mort, nous en convenons encore ; mais il est incontestable que les fonctionnaires supérieurs de l'administration de la justice, les directeurs des prisons centrales, les aumôniers habitués à scruter la conscience des criminels, en un mot, tous ceux qui ont longuement et attentivement étudié les faits, sont unanimes à déclarer que rien n'atteste le besoin de revenir aux rigueurs du passé. Dans tous ces pays, il est au moins permis de se demander si les mêmes résultats ne se seraient pas manifestés pour les crimes à l'égard desquels la mort continue à figurer dans l'échelle pénale.
Il est une autre série de faits qui mérite d'être prise en sérieuse considération.
Dans quelques pays, la peine de mort, tout en continuant à subsister en droit, a été supprimée en fait, pendant une période plus ou moins longue, à cause de la répulsion qu'elle rencontrait chez les chefs de l'Etat. Or, chaque fois, cet éloignement momentané de l'échafaud a eu pour résultat de confirmer les prévisions des adversaires de l'expiation sanglante. En Valachie, où les lois prononçaient la peine de mort dans huit cas, aucune exécution n'a eu lieu de 1830 à 1864, date du renversement de l'échafaud, et le nombre des crimes capitaux y fut moins élevé que dans les contrées voisines. Dans le duché de Brunswick, aucune exécution n'eut lieu sous le règne du duc Charles-Guillaume, et il n'en résulta aucun inconvénient pour la sécurité publique. Il en fut de même dans le duché d'Oldenbourg, sous le règne du duc Pierre. Il en fut de même encore en Finlande, où la peine de mort a été supprimée de fait, pendant quatre-vingt-dix ans. En Belgique, tous les condamnés à mort reçurent une commutation de peine dans la période de 1830 à 1835, et les crimes capitaux y furent plus rares que sous le régime des Pays-Bas, où le gouvernement et la magistrature déployèrent constamment une sévérité peu commune. En Amérique, dans l'Etat du Maine, aucune condamnation à mort n'a été exécutée depuis 1857, et le nombre des assassinats y est resté stationnaire. En Asie, dans la régence de Bombay, l'absence de toute exécution capitale, de 1835 à 1840, ne fit pas augmenter le nombre des attentats contre les personnes et les propriétés. A la vérité, ce sont là des faits isolés ; mais, dans ces dernières années, ces fails manifestent une irrésistible tendance à se généraliser, et partout ils produisent les mêmes conséquences. Aucune exécution capitale n'a eu lieu en Bavière, depuis 1862 ; dans le grand-duché de Bade, depuis 1864 ; dans le grand-duché de Hesse, depuis 1858 ; en Hollande, depuis 1861 ; en Portugal et dans le Wurtemberg, depuis 1863.
Un motif plus sérieux encore de douter de l'efficacité souveraine de la peine de mort, nous est fourni par la statistique criminelle des contrées où elle a cessé de figurer dans les codes.
Depuis l'avènement de Léopold Ier, en 1765, la peine de mort a été supprimée, de droit ou de fait, dans le grand-duché de Toscane, sans que cette suppression y soit devenue une cause d'augmentation pour les attentats contre les personnes ou les propriétés. Loin d'avoir été affligée du spectacle d'un nombre sans cesse croissant de crimes, cette belle contrée continue à être l'une des plus paisibles et des plus morales de l'Italie. Lès jurisconsultes les plus éclairés, les magistrats les plus expérimentés du pays sont unanimes à se féliciter du renversement de l'échafaud. La même conviction y a pénétré dans la conscience du peuple. Léopold II, cédant à des suggestions venues de l'étranger, avait rétabli la peine de mort par un décret du 16 novembre 1852 ; mais, depuis cette époque, jusqu'au jour de son départ de Florence en 1859, aucune exécution n'avait eu lieu sur le. sol de la Toscane. La répulsion que le décret avait rencontrée chez les juges et dans les masses n'en fut pas moins tellement vive que l'un des premiers actes de l'administration piémontaise fut la suppression de la peine capitale par un décret du 10 janvier 1860.
Le même enseignement nous est fourni par le canton de Fribourg et les duchés d'Oldenbourg d'Anhalt et de Nassau, où la peine de mort a été supprimée en 1849 ; par l'Etat de Michigan, où elle n'existe plus depuis 1846 ; par le canton de Neufchâtel, où elle a disparu en 1854 ; enfin, par les Etats de Rhode-Island et de Wisconsin, la Nouvelle-Grenade, les Etats-Unis de Colombie, le Venezuela et les principautés Moldo-Valaques, où l'échafaud a été successivement renversé en 1852, 1853, 1862, 1863 et 1864. Dans aucun de ces pays, les crimes les plus graves ne se sont multipliés depuis l'abolition de la peine capitale. Si l'on tient compte de l'augmentation de la population, les meurtres sont même devenus moins fréquents dans le Michigan. Il est vrai que, dans l'Etat de Rhode-Island, le nombre des homicides s'est accru depuis 1852, date de l'abolition de la peine de mort ; mais qu'on ne se hâte pas de triompher de ce résultat. Plusieurs fois la législature du pays, refusant de s'engager dans une voie rétrograde, a formellement déclaré que cette situation tient à des circonstances passagères et ne provient nullement de l'inaction du bourreau. Le fait d'ailleurs ne présente pas en lui même une grand importance. Dans les pays où la peine de mort a été maintenue, le nombre des crimes capitaux s'accroît parfois durant certaines périodes. Pourquoi le même phénomène ne se produirait-il pas dans les contrées où cette peine a été supprimée ?
Les faits qui précèdent ont une éloquence plus forte que toutes les dissertations théoriques. En réalité, quand on se dégage des idées préconçues, quand on pèse impartialement les témoignages, quand on étudie attentivement la statistique européenne des crimes et des châtiments, on doit avouer que, partout où la peine de mort a été supprimée d'une manière partielle ou totale, cette innovation n'a produit aucun résultat défavorable pour la moralité et la sécurité de la nation.
Dans l'état actuel de la science, la prétendue nécessité de la peine de mort n'est pas seulement une affirmation dénuée de preuves : c'est un argument réfuté par toutes les expériences tentées dans les deux hémisphères sous l'impulsion des idées généreuses du dix-neuvième siècle.
Examinons maintenant si la statistique criminelle de notre pays est de nature à confirmer ou à contredire les renseignements qui nous sont fournis par les nations étrangères.
Pendant l'existence du royaume des Pays-Bas, le nombre des exécutions capitales s'éleva, pour sept de nos provinces (le Limbourg et le Luxembourg exceptés), au chiffre considérable de 74 ; c'était plus de quatre exécutions par an.
Après la révolution de Septembre, de 1830 à 1833, par suite de la répulsion profonde que l'échafaud inspirait au Roi Léopold Ier, la peine de mort fut supprimée de fait sur le sol belge.
Quelles furent les conséquences de cette innovation, au point de vue de la criminalité ?
En 1830, le nombre des condamnations capitales fut de 2 ; en 1831, de 9 ; en 1832, de 7, y compris une condamnation par contumace ; en 1833, de 7, y compris 2 condamnations par contumace.
Les adversaires de l'expiation sanglante s'emparèrent de ces résultats comme d'une démonstration péremptoire de l'excellence et de l'efficacité de leur doctrine. Sous le gouvernement des Pays-Bas, où, sur 150 arrêts contradictoires, il y avait eu 74 exécutions, le nombre des condamnations capitales s'était élevé, en moyenne, à peu près à 14 par an pour sept provinces ; tandis que, sous le régime issu des barricades de Septembre, le nombre des condamnations n'avait pas atteint, en moyenne, le chiffre de 7 pour le pays tout entier. Le chiffre de 1830 était inférieur à celui de chacune des années de la période néerlandaise ; les chiffres de 1831, 1832 et 1833 étaient inférieurs à ceux des années 1816, 1817, 1818, 1819, 1821, 1824, 1825, 1826, 1827, 1828 et 1829.
On croyait le problème irrévocablement résolu ; mais, en 1834, le nombre des condamnations capitales s'éleva brusquement à 27, chiffre qui n'avait jamais été atteint sous le régime néerlandais.
Aussitôt les partisans de l'échafaud reprirent courage ; ils attribuèrent la multiplication des crimes à la « fausse philanthropie » du ministre de la justice ; ils protestèrent, à la tribune du parlement, contre les loisirs qu'on laissait au bourreau depuis la régénération politique du pays.
Ces tristes débats produisirent un résultat immédiat. Le 3 février 1834, un article du Moniteur, renfermant le récit d'un procès criminel jugé par la cour d'assises de Bruges, se termina par les lignes suivantes : « L'arrêté sera exécuté. L'atrocité du crime et les antécédents du condamné le rendent indigne de la clémence royale. » Six jours plus tard, la tête de l'assassin tomba sur la place publique de Courtrai, où depuis dix-neuf années l’instrument du supplice n'avait plus été dressé.
Depuis le 3 février 1835, la peine de mort a donc cessé d'être supprimée de fait sur le sol belge ; mais, nous nous plaisons à le dire, le pouvoir exécutif, tout en revenant sur ses pas, n'a plus permis d'exécuter les condamnations capitales prononcées pour infanticide, pour vol ou par suite de l'aggravation résultant de la récidive. D'un autre côté, sur 40 (page 233) condamnés pour incendie, un seul a été exécuté. On peut donc dire que, de 1830 à 1860 année où s'arrêtent les publications officielles, les seuls crimes à l'égard desquels la justice suprême ait eu son cours sont le parricide, l'assassinat, l'empoisonnement et le meurtre accompagné d'une autre infraction. Pour ces quatre crimes les exécutions ont eu lieu dans les proportions suivantes :
1831-1835 : 68 condamnés, 3 exécutés (4.4 p. c.)
1836-1840 : 79 condamnés, 2 exécutés (2.5 p. c.)
1841-1845 : 120 condamnés, 8 exécutés (6.6 p. c.)
1846-1850 : 213 condamnés, 18 exécutés (8.4 p. c.)
1851-1855 : 141 condamnés, 17 exécutés (12 p. c.)
1856-1860 : 100 condamnés, 4 exécutés (4 p. c.)
Total : 721 condamnés, 52 exécutés (7.2 p. c.)
On compte vingt-neuf exécutions dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles, vingt-deux dans le ressort de la cour d'appel de Gand, une seule (pour parricide) dans le ressort de la cour de Liège.
Il en résulte que, si la peine de mort possédait la vertu souveraine et infaillible qu'on se plaît à lui attribuer, le nombre des crimes capitaux, eu égard au chiffre de la population, aurait dû s'accroître dans le ressort de la cour de Liège, tandis que, par la même raison, il eût dû considérablement diminuer dans les ressorts des cours de Bruxelles et de Gand. Or, c'est précisément le résultat contraire qui se manifeste dans les comptes rendus de la justice nationale.
Dans la période de 1832 à 1835, il y avait dans le ressort de la cour de Liège un accusé sur 66,475 habitants ; dans le ressort de la cour de Gand, un accusé sur 86,228 habitants ; dans le ressort de la cour de Bruxelles, un accusé sur 125,865 habitants.
Dans la période de 1856 à 1860, nous trouvons, au contraire, dans le ressort de la cour de Liège, un accusé sur 146,519 habitants ; dans le ressort de la cour de Gand, un accusé sur 78,442 habitants ; dans le ressort de la cour de Bruxelles, un accusé sur 106,916 habitants.
Ainsi, dans le ressort de la cour de Liège, où une seule tête est tombée sur l'échafaud, il y a une diminution de criminalité de 54 p. c. Dans le ressort de la cour de Gand, où le bourreau a vingt-deux fois rempli son triste office, il y a une augmentation de criminalité de près de 10 p. c. Dans le ressort de la cour de Bruxelles, où le hideux instrument du supplice a été vingt-neuf fois dressé sur la place publique, il y a une augmentation de criminalité de près de 18 p. c. !
Ici nous rencontrons une objection.
Dans un de ses remarquables discours de rentrée, M. le procureur général de Bavay, faisant allusion aux résultats que nous venons d'énumérer, a dit avec raison qu'il ne suffit pas de prendre pour base d'une statistique de la criminalité le nombre des accusations portées devant les cours d'assises. Si l'on veut, disait-il, posséder une statistique exacte et complète, on doit ajouter au nombre des accusations portées devant le jury, celui des crimes dont les auteurs sont restés inconnus.
Quand l'honorable chef du parquet de la Cour d'appel de Bruxelles tenait ce langage en 1862, le tableau des crimes capitaux restés impoursuivis n'avait jamais été publié. Nous le possédons aujourd'hui, parmi les documents annexés au rapport de la section centrale chargée de l'examen du budget de la justice pour 1865.
Or, cette statistique, loin d'ébranler les résultats antérieurement constatés, est venue leur attribuer une force nouvelle. Le ressort où l'échafaud a fonctionné avec le plus d'activité est précisément celui où le nombre des crimes restés impoursuivis a atteint le chiffre le plus élevé !
Dans le ressort de la Cour de Bruxelles, sur une population de 2,008,277 âmes, on a constaté, de 1840 à 1860, l'existence de 268 crimes capitaux dont les auteurs sont restés inconnus ; tandis que, durant la même période, sur une population de 1,195,888 âmes, on n'en a trouvé que 97 dans le ressort de la Cour d'appel de Liège. En doublant ce nombre, pour tenir compte de la population respective des deux ressorts, on n'arrive qu'à 194, c'est-à-dire, à une différence en moins de 74, au bénéfice du ressort de Liège.
Est-ce à dire que la peine de mort soit complètement dépourvue d'efficacité ; que, toujours inopérante et toujours dédaignée, elle n'arrête jamais le bras du coupable prêt à frapper sa victime ? Non, sans doute, il y aurait de la folie à le prétendre. Plus d'une fois on a vu une seule exécution mettre un terme à des crimes qui, depuis plusieurs années, désolaient une commune populeuse.
? Mais là n'est pas le nœud du problème. Il s'agit de savoir si un autre châtiment, tel que l'emprisonnement perpétuel dans une cellule, ne produirait pas un effet analogue.
Au premier abord, nous le savons par notre propre expérience, on est tenté de répondre négativement ; on hésite à croire que la terreur de l'échafaud n'exerce pas une influence beaucoup plus efficace que la perspective d'une réclusion à vie. Mais on ne tarde pas à changer d'avis lorsqu'on étudie, avec l'attention qu'ils méritent, les enseignements fournis par les annales du droit criminel. On s'aperçoit bientôt que les châtiments modérés, mais prompts et certains, agissent tout aussi efficacement que les peines d'une rigueur extrême.
Les individus qui ne reculent pas devant la perpétration d'un crime capital appartiennent à deux catégories bien distinctes. Les uns agissent sous l'impulsion d'une passion violente, telle que la vengeance, la jalousie ou la haine. Les autres, calmes et froids, mûrissent leur dessein et en calculent prudemment toutes les chances.
Une longue expérience démontre que les premiers, plaçant au-dessus de tous les autres intérêts l'assouvissement de leurs passions brutales, ne reculent jamais devant la perspective du châtiment comminé par la loi. Quant aux seconds, ils s'entourent de toutes les précautions qui se trouvent à leur portée, et, s'ils passent outre, c'est qu'ils nourrissent l'espoir que les investigations de la justice ne parviendront pas à établir leur culpabilité ; s'ils conçoivent le moindre doute à cet égard, ils s'abstiennent ou remettent la réalisation de leurs projets à une époque plus favorable.
Mais les choses se passent absolument de la même manière quand le crime, au lieu d'entraîner la peine capitale, n'est passible que d'une réclusion perpétuelle. Tout aussi bien que dans la première hypothèse, les coupables s'arrêtent lorsqu'ils ne se croient pas assurés de l'impunité. Pour celui qui subit la peine de mort, elle constitue incontestablement la souffrance la plus épouvantable qu'il soit possible d'imaginer ; mais il n'en est pas de même pour celui qui la voit à distance, comme un événement incertain, comme une éventualité dont rien n'atteste l'inévitable réalisation. Or, quand il s'agit de déterminer l'effet préventif de la peine de mort, il ne faut pas tant s'occuper de celui qui la subit que de celui qu'elle doit arrêter dans la carrière du crime. Pour ce dernier, il n'y a aucune témérité à affirmer que, lorsqu'il prémédite un crime, il songe autant à sa liberté qu'à sa vie.
Ainsi s'explique le fait si remarquable du défaut d'influence de la suppression de la peine de mort sur une multitude de crimes, qui en étaient jadis frappés dans la législation européenne. Ainsi s'explique encore la conservation de l'ordre et le maintien de la sécurité publique dans tous les pays qui, jaloux de prendre une initiative glorieuse, ont complètement supprimé la potence et la guillotine.
Nous croyons avoir suffisamment prouvé que la prétendue nécessite de la peine de mort est un préjugé, rien qu'un préjugé dans la société moderne. Aux yeux de tout homme dépourvu d'idées préconçues, cette preuve doit suffire pour légitimer le renversement de l'échafaud. Aussi, laissant de côté une foule de considérations secondaires, qui ont cependant une valeur réelle, nous bornerons-nous à appeler l'attention de la Chambre sur un dernier fait : le danger d'un système qui consiste à faire prononcer une peine irréparable par des juges faillibles.
On croit que les erreurs judiciaires sont excessivement rares. On s'imagine que la condamnation d'un innocent est devenue à peu près impossible sous l'empire d'une législation qui soumet successivement la cause à l'examen du juge d'instruction, de la chambre du conseil et de la chambre des mises en accusation, avant de lui faire subir l'épreuve publique et solennelle d'un débat contradictoire devant la cour d'assises. Qu'on se détrompe ! Dans la seule période décennale de 1846 à 1856, l'Angleterre et la France ont vu condamner pour crime capital dix individus dont l'innocence a été plus tard judiciairement reconnue ! Nous ne possédons pas encore la statistique exacte des années suivantes, mais les intéressantes recherches qu'un savant criminaliste, M. Haus, a récemment publiées tendent à prouver que le triste bilan des erreurs de la justice humaine a conservé son niveau ordinaire.
Quel est l'homme d'intelligence et de cœur que l'épouvantable éventualité de l'exécution d'un innocent ne fait pas trembler ?
Les conséquences rationnelles de toutes les prémisses que nous venons de poser ne sont pas difficiles à saisir.
Si la nécessité de la peine de mort n’est pas démontrée, et assurément (page 234) cette démonstration n'est pas faite, le pouvoir social doit, au moins provisoirement, l'effacer de nos codes.
Si l'excuse de la nécessité lui manque, le législateur doit renoncer à un système audacieux qui tend à faire prononcer des peines irréparables par des juges faillibles.
Si des châtiments moins sévères suffisent, la nation doit s'empresser de répudier un moyen de préservation tellement dangereux que, dans une seule période décennale, l'Angleterre et la France ont vu condamner pour crime capital dix individus dont l'innocence a été plus tard judiciairement reconnue.
Si rien ne prouve que l'effusion de sang humain soit indispensable, la société doit laisser au coupable les jours de remords et de repentir que Dieu lui accorde pour arriver a sa régénération morale avant l'heure suprême marquée par la nature.
Je voterai par conséquent la proposition de l'honorable M. Guillery.
- La séance est levée à 5 heures.